Séance du 10 février 2000
DÉVOLUTION DIRECTE DES BIENS VACANTS
ET SANS MAÎTRE À LA COMMUNE
Adoption des conclusions du rapport d'une commission
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 208,
1999-2000) de M. Pierre Jarlier, fait au nom de la commission des lois
constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et
d'administration générale sur la proposition de loi (n° 325, 1998-1999) de M.
Bernard Joly, tendant à permettre la dévolution directe de tous les biens
vacants et sans maître à la commune en lieu et place de l'Etat.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Jarlier,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Monsieur le
président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le Sénat est
appelé à examiner la proposition de loi n° 325 de M. Bernard Joly, tendant à
permettre la dévolution directe de tous les biens vacants et sans maître à la
commune en lieu et place de l'Etat.
Ce texte s'inscrit dans la continuité des précédentes propositions de loi
déposées sur le même thème. Se fondant sur le constat que les communes seraient
mieux à même de savoir quels sont les biens susceptibles d'être vacants et sans
maître et quel usage en faire, son auteur suggère de leur permettre, d'une
façon générale, de se substituer à l'Etat et d'obtenir la dévolution directe de
tous les biens vacants et sans maître selon un dispositif similaire à celui qui
est actuellement prévu pour l'Etat.
Pour bien appréhender les incidences de cette substitution de la commune à
l'Etat, il convient d'abord de rappeler les différentes procédures de
dévolution des biens vacants ou sans maître à l'Etat.
Tout d'abord, le domaine des successions vacantes ou en déshérence constitue
l'illustration la plus courante des cas dans lesquels l'Etat recueille des
biens sans maître.
Lorsqu'une personne décède sans laisser de successeur, l'Etat peut avoir
recours à la procédure des successions en déshérence en requérant l'envoi en
possession ou plus simplement en demandant à ce que la succession soit déclarée
vacante.
L'envoi en succession se définit comme l'ensemble des formalités auxquelles
l'Etat doit satisfaire, en raison de l'incertitude de son titre, pour entrer en
possession. Ces formalités ont pour objet à la fois d'avertir de l'ouverture de
la succession les successeurs que le défunt peut avoir laissés et de garantir
leurs intérêts au cas où ils se présenteraient ultérieurement.
En requérant l'envoi en possession d'une succession en déshérence, l'Etat
manifeste sa volonté de la recueillir. Comme toute succession, celle-ci doit
être administrée, ce qui signifie que le service des domaines doit en gérer
l'actif et en liquider le passif.
Après l'envoi en possession définitive, l'Etat est dans la même situation
qu'un héritier saisi. L'Etat ne doit liquider le passif qu'à la hauteur des
valeurs successorales recueillies.
Il faut préciser, ici, que l'Etat envoyé en possession reste dans une
situation précaire à l'égard de celle-ci puisque la restitution de la
succession peut être réclamée pendant trente ans à compter de l'ouverture de la
succession.
Ces différents aspects de la procédure applicable aux successions en
déshérence mettent donc en évidence qu'il s'agit d'une procédure lourde pour
l'Etat et marquée par une assez forte précarité tenant à la fois aux charges
qui peuvent affecter la succession et à la durée pendant laquelle celle-ci peut
être réclamée.
En dehors des cas de successions vacantes, il est plus rare qu'un immeuble
n'ait pas de maître.
Cependant, l'article L. 27
bis
du code du domaine de l'Etat établit
que, lorsqu'un immeuble n'a pas de propriétaire connu et que les contributions
foncières y afférentes n'ont pas été acquittées pendant plus de cinq ans, un
arrêté préfectoral constate la situation, après avis de la commission communale
des impôts directs.
Si le propriétaire ne s'est pas fait connaître dans les six mois qui suivent
la date d'accomplissement de la dernière de ces mesures de publicité,
l'immeuble est alors présumé sans maître par application des dispositions de
l'article 539 du code civil. Un nouvel arrêté préfectoral en attribue la
jouissance au service des domaines. L'Etat peut alors aliéner ou utiliser le
bien ainsi appréhendé, mais son droit de propriété ne se trouve consolidé que
passé trente ans. En pratique, cette procédure semble se dérouler en moyenne
sur une période de vingt-quatre mois.
A la suite des lois de décentralisation, une réflexion interministérielle a
été entreprise afin de déterminer dans quelle mesure il serait envisageable de
rendre les communes bénéficiaires des biens vacants et sans maître.
Cette réflexion a mis en évidence deux séries de difficultés qu'une telle
mesure pourrait poser.
Les communes disposent, en effet, de procédures pour acquérir des biens
vacants, à travers la déclaration d'abandon manifeste et l'expropriation dans
des conditions précises.
Or, si les biens vacants leur étaient dévolus en lieu et place de l'Etat,
elles seraient confrontées à plusieurs obstacles : apprécier si le bien relève
d'une succession et mettre en oeuvre le cas échéant la procédure de succession
en déshérence ; faire supporter par les élus locaux une éventuelle
responsabilité pénale pour les dommages causés par les biens à des tiers ;
enfin, supporter le risque d'une réclamation du bien par un propriétaire qui
n'avait pas été identifié au début de la procédure.
A ces difficultés juridiques se sont ajoutées des interrogations sur l'étendue
du transfert de charges financières qui résulterait de la gestion des
procédures relatives aux biens vacants. On y ajoutera l'interrogation qui porte
sur la possibilité de remettre en cause le droit souverain de l'Etat sur ces
biens vacants.
Néanmoins, face à des situations qui se sont prolongées pendant des années,
les délais de mise en oeuvre des procédures de dévolution du bien à l'Etat
apparaissent souvent trop longs. Le même sentiment est ressenti par beaucoup
d'élus à l'égard des procédures telles que l'expropriation ou la déclaration
d'abandon manifeste.
Enfin, des communes qui ont dû engager des frais dans le cadre de procédures
de péril peuvent avoir légitimement le sentiment que leurs efforts financiers
ne sont pas payés de retour.
Considérant que les communes sont mieux placées que l'Etat pour savoir quels
biens sont susceptibles d'être vacants et sans maître et quel usage il convient
d'en faire au profit de la collectivité, M. Bernard Joly, dans sa proposition
de loi, prévoit donc de transférer de l'Etat aux communes la dévolution des
biens vacants et sans maître.
Composée de quatre articles, cette proposition de loi vise à modifier, à cette
fin, les articles 539 et 713 du code civil, ainsi que les articles L. 27
bis
et L. 27
ter
du code du domaine de l'Etat, afin de substituer
la commune à l'Etat dans chacun de ces articles.
Cette modification du régime de dévolution des biens vacants et sans maître
aurait donc une portée générale. Le transfert s'opérerait de plein droit à la
commune, que celle-ci l'ait ou non accepté.
La commission des lois a donc souhaité évaluer la portée d'une telle mesure au
regard d'une double préoccupation : d'une part, apprécier quel pourrait être
son impact sur le régime des successions ; d'autre part, déterminer l'intérêt
que les communes pourraient y trouver, compte tenu des charges nouvelles
qu'elles devraient supporter.
Tout d'abord, en ce qui concerne le régime des successions, force est de
constater que la proposition de loi aurait un impact sur les règles en vigueur
et sur les caractéristiques mêmes des successions. Une telle modification
s'accorderait mal avec les principes du droit successoral, puisqu'elle
aboutirait à une dévolution en fonction de la nature des biens, en
contradiction avec les principes d'ordre successoral et d'universalité du
patrimoine.
Par ailleurs, ce transfert en faveur des communes aurait pour ces dernières
des conséquences immédiates sur le plan financier, sur le plan de la précarité
de la propriété et sur le plan de la responsabilité.
Sur le plan financier, les communes devraient, le cas échéant, supporter le
poids de la liquidation du passif et, dans tous les cas, de la gestion des
biens.
Sur le plan de la précarité, la commune resterait également exposée au risque
d'une réclamation du bien pendant la période trentenaire requise pour la
prescription de l'action.
Sur le plan de la responsabilité, enfin, la dévolution directe des biens
vacants à la commune se traduirait par un transfert de responsabilité pour les
dommages causés par des biens qui sont souvent de faible valeur et non
entretenus.
Pour tous ces motifs, une dévolution directe sans que la commune ait pu, le
cas échéant, faire connaître son opposition paraît devoir être écartée.
Toutefois, pour répondre aux difficultés rencontrées par certains maires ayant
des biens vacants sur le territoire de leur commune, la commission des lois a
estimé que, sans remettre en cause le principe de la dévolution des biens
vacants à l'Etat, il était possible de renforcer la prise en compte des
intérêts des communes dans les procédures existantes.
C'est pourquoi la commission des lois propose de modifier et de compléter
l'article L. 27
bis
du code du domaine de l'Etat, et ce avec un triple
objectif.
Tout d'abord, la procédure d'appréhension du bien vacant pourrait être
déclenchée à la demande du maire de la commune concernée. Cette précision
permettrait au maire qui, au vu du rôle des contributions directes, a constaté
que le bien était vacant, de pallier l'éventuelle carence de l'Etat à
diligenter ces procédures et d'éviter ainsi des délais actuellement aléatoires
dans cette phase.
Par ailleurs, il paraît nécessaire de prévoir l'information directe du maire
de la commune concernée pour chacun des arrêtés préfectoraux pris dans le cadre
de la procédure d'appréhension. Même si ces arrêtés font l'objet d'une
publication et d'un affichage, force est de constater que les communes sont
souvent mal informées de l'existence d'une procédure en cours.
Enfin, un droit de priorité pour l'acquisition du bien vacant devrait être
reconnu à la commune, dès lors que l'Etat a décidé de céder le bien.
La loi d'orientation pour la ville du 13 juillet 1991 a, de manière plus
affirmée, reconnu un droit de priorité aux communes lorsqu'elles souhaitent
réaliser des équipements publics ou des logements à usage locatif.
Cette disposition pourrait être généralisée. En conséquence, l'Etat serait
obligé de notifier à la commune son intention d'aliéner l'immeuble et de lui
indiquer le prix de mise en vente. La commune pourrait alors exercer un droit
de priorité pour l'acquisition de l'immeuble dans un délai de deux mois à
compter de cette notification. A l'expiration de ce délai, l'aliénation serait
faite dans les conditions de droit commun.
Ces propositions sont formalisées à l'article 1er des conclusions que la
commission des lois soumet aujourd'hui au Sénat.
Enfin, dans certains cas, la commune peut directement aliéner un bien
vacant.
En effet, dès lors que le bien a fait l'objet d'une déclaration d'état
d'abandon manifeste, il paraît possible de permettre son expropriation, selon
les dispositions du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, sans
exiger des conditions supplémentaires quant au but de l'expropriation.
On rappellera que, lorsque, dans une commune, des immeubles, parties
d'immeuble, installations et terrains sans occupant à titre habituel ne sont
manifestement plus entretenus, le maire, à la demande du conseil municipal,
engage la procédure de déclaration de la parcelle concernée en état d'abandon
manifeste.
Au terme d'une procédure de constat provisoire et à l'issue d'un délai de six
mois à compter de l'exécution des mesures de publicité et des notifications au
propriétaire, le maire constate par un procès-verbal définitif l'état d'abandon
manifeste de la parcelle et saisit le conseil municipal, lequel décide s'il y a
lieu de déclarer la parcelle en état d'abandon manifeste et d'en poursuivre
l'expropriation au profit de la commune pour une destination qu'il
détermine.
Dans sa rédaction issue de la loi n° 89-550 du 2 août 1989, l'article L.
2243-4 du code général des collectivités territoriales exige néanmoins que
l'expropriation ait pour but soit la construction de logements, soit tout objet
d'intérêt collectif relevant d'une opération de restauration, de rénovation ou
d'aménagement.
Ces conditions supplémentaires paraissent inutilement restrictives. L'utilité
publique de l'expropriation peut certes être fondée sur de tels motifs. Elle
peut également reposer sur d'autres motifs d'intérêt général, tels que les
nuisances causées à l'environnement par le bien abandonné.
Il pourrait dès lors être envisagé de prendre en compte ces motifs dans la
rédaction du second alinéa de l'article L. 2243-4 qui serait complétée à cette
fin. Toutefois, jugeant préférable d'éviter une complexité excessive, la
commission des lois a privilégié un renvoi au droit commun de l'expropriation,
suggérant, en conséquence, l'abrogation de cet alinéa.
M. Pierre Fauchon.
Très bien !
M. Pierre Jarlier,
rapporteur.
Les communes pourraient alors être plus incitées qu'elles ne
le sont actuellement à utiliser la procédure de déclaration d'abandon manifeste
pour résoudre les problèmes que leur pose la présence d'un bien vacant sur leur
territoire. Soulignons que cette procédure très encadrée permet d'assurer le
respect des droits du propriétaire, à charge pour ce dernier de remplir ses
obligations.
Cette proposition est formalisée à l'article 2 des conclusions que la
commission des lois vous soumet, mes chers collègues.
En dernier lieu, l'intitulé de la proposition de loi doit être modifié, d'une
part, pour ne faire référence qu'aux immeubles qui sont seuls concernés et,
d'autre part, pour tenir compte du nouveau dispositif qui vous est proposé.
Sous le bénéfice de ces observations, la commission des lois vous propose
d'adopter la présente proposition de loi dans les conclusions qu'elle vous
soumet.
(Applaudissements.)
M. Pierre Fauchon.
C'est excellent !
M. Jean-Jacques Hyest.
Très bien !
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Jean-Jack Queyranne,
secrétaire d'Etat à l'outre-mer.
Monsieur le président, mesdames,
messieurs les sénateurs, la situation des biens abandonnés et sans maître, à
laquelle se trouve confrontés les maires, notamment les maires ruraux, fait
l'objet de dispositions législatives particulières.
Aux termes de l'article 713 du code civil, les biens qui n'ont pas de maître
appartiennent à l'Etat. L'article 539 du même code précise que « tous les biens
vacants et sans maître et ceux des personnes qui décèdent sans héritier, ou
dont les successions sont abandonnées, appartiennent au domaine public ».
Sont donc concernés par ce dispositif, d'une part, tous les biens, qu'ils
soient meubles ou immeubles, et d'autre part, les biens vacants et sans maître
et les successions en déshérence.
Le code du domaine de l'Etat, dans son article 27
bis
, organise la
procédure d'appréhension par l'Etat d'un immeuble qui n'a pas de propriétaire
et dont les contributions foncières n'ont pas été acquittées pendant cinq
années.
Depuis les lois de décentralisation, de nombreux parlementaires, au travers de
propositions de loi et de questions écrites ou orales, ont marqué leur souhait
de voir les biens abandonnés et sans maître dévolus directement aux
communes.
C'est dans ce cadre que s'inscrit la proposition n° 325, présentée par M.
Bernard Joly. La commission des lois, après avoir étudié ce texte, l'a modifié
dans les termes qui viennent d'être rappelés par M. le rapporteur.
Je voudrais tout d'abord faire quelques observations sur la proposition de loi
présentée par M. Joly, qui tend à permettre la dévolution directe de tous les
biens vacants et sans maître à la commune en lieu et place de l'Etat. Elle vise
à modifier, d'une part, les articles 539 et 713 du code civil et, d'autre part,
les articles L. 27
bis
et L. 27
ter
du code du domaine de
l'Etat.
Le Gouvernement est réservé sur cette proposition de loi pour les raisons
juridiques et financières qui ont été rappelées par M. le rapporteur.
En effet, sur le plan juridique, on peut évoquer différentes raisons.
La première est celle de l'absence de déclaration d'intention de la part de la
commune, la procédure pouvant être engagée sans qu'elle en fasse la demande.
La deuxième raison concerne la mise en cause des responsabilités civile et
pénale des élus pour les dommages causés par le bien aux tiers - immeubles en
mauvais état, par exemple - qui obligerait les communes à s'assurer sur le plan
civil, alors que l'Etat est son propre assureur.
La troisième raison touche au risque de recours en restitution des
propriétaires inconnus au moment de la dévolution, puisqu'il s'agit d'une
prescription trentenaire, ce qui nuit à la sécurité juridique de la dévolution,
d'autant que la commune, pour se garantir, devra appeler l'Etat en cause si son
intermédiation est obligatoire.
Je note l'existence d'autres procédures, à savoir la procédure d'expropriation
contre inconnu et la procédure de déclaration d'abandon manifeste, qui
permettent d'atteindre un résultat équivalent à celui qui est souhaité. Il
convient de remarquer que la procédure de péril, dès qu'elle est engagée,
permet de garantir la commune sur le plan des responsabilités civile et
pénale.
Je crois enfin que la dévolution à l'Etat est fortement ancrée dans notre
tradition juridique et se fonde à la fois sur le principe de souveraineté et
sur le rôle de l'Etat comme gardien de la propriété privée, rôle qui a été
confirmé récemment dans le rapport d'étude présenté par le Conseil d'Etat sur «
L'utilité publique aujourd'hui » en matière d'expropriation.
La proposition de loi pourrait donc se heurter à des obstacles sur le plan
constitutionnel.
En outre, la proposition de loi de M. Bernard Joly peut donner lieu à des
réserves sur le plan financier.
En effet, le transfert de charges aux collectivités locales ne peut pas être
exactement mesuré.
Par ailleurs, il arrive que des demandes de restitution soient formulées par
des propriétaires inconnus. Le rapport écrit de M. Jarlier fait état de treize
demandes en moyenne par an en 1982 et en 1983. Certes, ce chiffre peut
apparaître faible ; mais les contentieux et les charges financières consécutifs
à ces demandes peuvent être lourds pour une petite commune.
Enfin, le coût de l'assurance civile déjà évoquée est à prendre en compte.
C'est pourquoi, compte tenu de toutes ces observations, la commission des lois
a proposé une nouvelle rédaction qui concerne désormais les seuls immeubles, et
non plus l'ensemble des biens meubles et immeubles, et vise à modifier
l'article L. 27
bis
du code du domaine de l'Etat et l'article L. 2243-4
du code général des collectivités territoriales.
La modification envisagée de l'article L. 27
bis
du code du domaine de
l'Etat a un triple objet.
Premièrement, elle vise à éviter une carence de l'Etat dans l'appréhension
d'un bien sans propriétaire en prévoyant, le cas échéant, une demande de la
commune qui, au vu du rôle des contributions directes, pourrait ainsi
déclencher la procédure.
Deuxièmement, elle tend à assurer une information directe de la commune par
notification au maire des deux arrêtés préfectoraux de constatation de la
vacance du bien et d'appréhension par l'Etat.
Troisièmement, enfin, elle permet de reconnaître un droit de priorité à la
commune, au même titre que cela avait été fait, dans l'article 30 de la loi
d'orientation pour la ville du 13 juillet 1991, pour l'acquisition du bien par
voie de cession amiable, avant toute adjudication.
La modification de l'article L. 2243-4 du code général des collectivités
territoriales, dans sa rédaction issue de la loi du 2 août 1989, vise à
supprimer la condition supplémentaire d'expropriation prévue par le second
alinéa de cet article.
Il s'agit de revenir au droit commun de l'expropriation pour cause d'utilité
publique et d'appliquer la théorie générale jurisprudentielle dite « bilan
coût-avantages ».
La procédure ainsi prévue peut apparaître, sur ce sujet délicat parce qu'il
concerne la propriété privée, complexe et coûteuse. Elle semble difficile à
mettre en oeuvre et risque d'allonger d'au moins deux mois la procédure
d'aliénation par l'Etat de biens généralement difficiles à vendre. Elle
présente cependant l'avantage de permettre aux communes d'éviter l'abandon, la
déshérence de patrimoines immobiliers sur leur territoire, avec les
conséquences qui peuvent en résulter.
Votre rapporteur l'a précisé, la proposition de loi vise notamment à
déclencher la procédure sur l'initiative de la commune. C'est une réflexion
intéressante que le Gouvernement retient et qu'il souhaite approfondir.
Dans l'immédiat, le Gouvernement s'en remet à la sagesse de votre Haute
Assemblée sur cette proposition de loi telle qu'elle est rédigée par votre
commission des lois.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. Joly.
M. Bernard Joly.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
presque vingt ans après les lois de décentralisation, il m'a semblé utile de
poursuivre le transfert de certaines compétences aux collectivités locales.
Ainsi, en ce qui concerne les biens vacants et sans maître, il m'a semblé
souhaitable que les communes puissent, si elles le désirent, obtenir la
dévolution de ces biens à la place de l'Etat.
L'esprit de cette proposition de loi relève d'une volonté de rapprocher les
centres de décision des citoyens. Qui, mieux que les communes, est à même
d'apprécier le meilleur usage qui peut être fait, au profit de la communauté,
de biens susceptibles d'être en déshérence ou à l'abandon ? L'aménagement du
territoire, au-delà des grandes orientations, s'apprécie sur le terrain et dans
la proximité !
Chacun a dans l'esprit des îlots qui sont des plaies au sein de certains
bourgs. La capacité qu'aura la collectivité d'en prendre la destinée permettra
de répondre aux besoins réels et non de subir des solutions inadaptées.
Il convient que le choix puisse exister entre des opérations de restauration,
de rénovation, d'aménagement ou de construction. La revitalisation des centres
de villages appelle un engagement des communes pour suppléer les initiatives
privées défaillantes car, bien souvent, ces dernières achoppent sur la
rentabilité des investissements. Ainsi peuvent être réactivées des unités de
services polyvalents de proximité comme peut être comblé, partiellement, le
déficit chronique du milieu rural en matière de logements locatifs.
La commission des lois et son excellent rapporteur, notre collègue Pierre
Jarlier, ont su proposer des conclusions qui renforcent la prise en compte des
intérêts des communes dans les procédures relatives aux biens vacants sans pour
autant qu'elles soient contraintes à se substituer systématiquement à l'Etat.
Ainsi pourront être évitées des situations qui auraient présenté plus
d'inconvénients que d'avantages, notamment au niveau des charges. Par ailleurs,
les modifications proposées tiennent compte du respect du régime des
successions.
C'est donc avec reconnaissance que je me rallierai aux conclusions de notre
commission des lois.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la
proposition de loi déposée par notre collègue Bernard Joly a le grand mérite de
répondre à un besoin concret ressenti dans l'immense majorité des communes.
Comme il l'a rappelé, on comprend mal aujourd'hui, près de vingt ans après les
premières lois de décentralisation, que les communes n'aient aucune prise sur
les biens vacants ou sans maître situés sur leur propre territoire et que seul
l'Etat puisse intervenir à l'issue de procédures lourdes.
Les fondements historiques de cette situation sont identifiables. La
République est demeurée un Etat absolu pour ce qui est du territoire. Héritiers
de la royauté, la Révolution française et l'Etat républicain ont parachevé le
processus commencé au xive siècle tendant à considérer le domaine de la
Couronne comme une entité abstraite et cohérente. La notion de souveraineté
collective du peuple s'est substituée à la souveraineté personnelle du
monarque.
L'Etat se définit comme « un territoire, un peuple, un gouvernement ». Il
marque son domaine en exerçant sa souveraineté sur l'ensemble de son
territoire. On comprend que des biens vacants ou sans maître ne puissent rester
sans propriétaire et lui reviennent donc.
Tout au long du xixe siècle, l'Etat a maintenu sa tutelle sur l'entité
communale, instituée par le décret du 14 décembre 1789. La commune n'a connu
son émancipation politique, juridique et financière qu'avec la loi du 5 avril
1884 et son article 61, qui affirme le principe toujours en vigueur de la
compétence générale de la commune. Ce principe doit devenir une réalité sous
peine de garder un goût d'inachevé.
Au regard de la dévolution des biens vacants ou sans maître, je vous propose
de parachever cette émancipation au nom de l'application du principe de
subsidiarité.
En effet, qu'est-ce qui justifie, aujourd'hui, le maintien de la dévolution
directe à l'Etat ? Qui peut connaître l'existence de biens susceptibles de
devenir vacants ? Qui subit au quotidien la vue et les nuisances d'un immeuble
qui se dégrade ? Qui subit les reproches de ses concitoyens sans pouvoir
intervenir ? Qui peut juger de la valorisation optimale qui pourra être faite
d'un immeuble ? Nous répondons sans hésitation : la commune, son maire et ses
habitants.
Si le droit d'initiative, d'information et de priorité de la commune qui nous
est proposé par la commission constitue une amélioration intéressante, je
propose cependant, pour ma part, une avancée plus forte : la commune devrait
être prioritaire par rapport à l'Etat pour la dévolution de biens vacants ou
sans maître, par l'application du principe de subsidiarité.
Cette proposition me semble plus souple qu'une dévolution directe et
systématique de ces biens à la commune en lieu et place de l'Etat. Celle-ci se
trouverait alors dans l'obligation de remplir toutes les procédures et
d'acquitter toutes les charges afférentes, ce qui serait normal. Surtout, elle
n'aurait pas la liberté de choisir, elle se retrouverait liée. Dans certains
cas, les inconvénients seraient plus importants que les avantages.
L'application du principe de subsidiarité conférerait à la commune un droit de
priorité sur le bien vacant ou sans maître après qu'elle a pris connaissance de
l'ensemble des éléments. Elle pourrait alors accepter ou refuser, en motivant
sa décision. En cas de refus, l'Etat, qui, lui, a les moyens d'équilibrer et de
lisser ses actions dans le temps, retrouverait la gestion directe de ces
biens.
Cette solution permettrait de reconnaître à la commune sa meilleure
connaissance des intérêts locaux, sa liberté de décision et sa responsabilité,
tout en conservant à l'Etat son rôle essentiel de garant.
Ce souci d'impliquer la commune sans la contraindre a également habité la
commission des lois. Ses conclusions sont pourtant différentes.
Trois propositions sont avancées : la possibilité pour le maire de diligenter
la procédure d'appréhension des biens vacants, l'information du maire à chaque
étape de la procédure, le droit de priorité reconnu à la commune pour
l'acquisition d'un bien dont l'Etat a décidé l'aliénation.
Ces propositions permettent à la commune de ne plus être exclue d'une
situation qui la concerne au premier chef et une collaboration utile
s'instaurerait entre les communes et l'Etat.
C'est déjà un progrès de faire participer la commune, mais l'Etat conserve ici
toute sa souveraineté. Il me semble utile de pousser la logique jusqu'à son
terme en donnant la priorité à la commune sur l'Etat pour la dévolution directe
des biens.
Un aménagement des délais serait nécessaire car la durée proposée de deux mois
semble insuffisante. En effet, les communes, surtout les petites communes
rurales, auraient besoin de davantage de temps pour trouver les
financements.
Par souci de démocratie locale, il faudrait également que le maire ait le
temps de consulter la population sur l'opportunité d'une telle acquisition. Une
durée de six mois me paraîtrait donc préférable.
En ce qui concerne la procédure de déclaration d'état d'abandon manifeste, je
suis favorable à la simplification proposée, c'est-à-dire à la suppression des
conditions supplémentaires quant aux buts de l'expropriation.
Le Sénat, dans son travail législatif, démontre à nouveau, par la proposition
de loi du sénateur Bernard Joly, qu'il porte une attention particulière aux
collectivités territoriales, et singulièrement aux communes. Ces progrès
touchent aussi directement les citoyens, à la recherche d'une démocratie de
proximité toujours plus grande.
Cette proposition de loi, qui a le mérite d'offrir une solution claire et
simple, sinon « radicale »
(Sourires),
doit être expérimentée. Je vous
proposerai ensuite, dans une prochaine étape, une solution amendée qui laisse à
la commune la faculté de choisir la première. J'espère vivement que nous
saurons aller au-delà des propositions de la commission, même si elles
constituent un progrès par rapport aux textes actuels.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. Schosteck.
M. Jean-Pierre Schosteck.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je
voudrais tout d'abord remercier notre collègue Bernard Joly d'avoir mis en
lumière, en déposant cette proposition de loi, un problème bien réel que
rencontrent toutes les communes.
Cette proposition de loi part d'une bonne intention et d'un constat que bon
nombre d'entre nous ont eu l'occasion de faire bien souvent dans le cadre de
l'exercice de leur fonction de maire, s'ils l'ont été ou le sont encore.
Permettre la dévolution des biens vacants et sans maître aux communes en lieu
et place de l'Etat est une proposition de prime abord séduisante, parce que les
communes, mieux que les services de l'Etat - les orateurs précédents l'ont
rappelé - sont à même d'apprécier au mieux la vacance ou non des immeubles, le
degré de salubrité, l'éventuel danger qu'ils représentent pour nos
administrés.
Néanmoins, je ne peux que partager les arguments fort justement développés par
notre rapporteur, M. Pierre Jarlier. Il a en effet très bien montré que
l'automaticité de cette mesure risquerait de porter finalement préjudice aux
communes dans un certain nombre de cas : préjudice financier en raison de la
longueur des procédures, en raison du risque de liquidation du passif ;
exposition de la responsabilité pénale pour les dommages causés à des tiers.
Ainsi, les propositions de notre rapporteur paraissent particulièrement justes
et équilibrées puisqu'elles permettront à la commune de déclencher la procédure
d'appréhension d'un bien vacant lorsqu'elle l'estime nécessaire. Ce point est
tout à fait important.
Le maire sera informé tout au long de la procédure sur les décisions
préfectorales qui pourront être prises.
La commune, surtout, se verra octroyer un droit de priorité non négligeable
pour l'acquisition d'un bien vacant dont l'Etat a décidé l'aliénation.
L'article 2 des conclusions de la commission des lois prévoit également de
ramener les règles de l'expropriation d'un bien à l'issue d'une déclaration
d'abandon manifeste aux règles du droit commun. Cette disposition intéressante
permettra d'ouvrir un peu plus largement le champ d'application de cette
mesure, qui est, encore une fois, d'une très grande utilité pour les
communes.
Cela étant, peut-on sincèrement considérer que tous les problèmes seront
réglés ? Bien évidemment, non !
Les termes de cette proposition de loi et des conclusions excellentes de son
rapporteur ne règlent pas le problème essentiel, celui de la longueur de la
procédure.
La procédure d'expropriation d'un bien après déclaration d'abandon manifeste
est, en effet, d'une longueur manifestement rédhibitoire.
Nombre d'entre nous ont été confrontés un jour à ce véritable parcours du
combattant : il y a d'abord la nécessité d'une enquête publique ; il faut
ensuite démontrer l'utilité publique de cette mesure d'expropriation, utilité
publique, il faut le reconnaître honnêtement, elle-même parfois contestable.
La procédure d'expropriation en elle-même est très longue : le préfet doit la
déclarer ; il y a ensuite un interminable délai de recours ; le juge doit se
transporter sur place - et cela peut prendre un certain temps du fait de la
saturation, dénoncée souvent, ici et ailleurs, des juridictions - puis relancer
une audience.
C'est, en somme - et pardonnez-moi la trivialité de la figure - prendre un
marteau-pilon pour écraser une mouche !
(Sourires.)
Certes, il est indispensable de préserver et garantir le droit de
propriété.
M. Jean-Jacques Hyest.
Ah oui !
M. Jean-Pierre Schosteck.
Vous l'avez fort bien rappelé, monsieur le secrétaire d'Etat, et je ne saurais
dire le contraire.
Certes, toutes ces mesures sont destinées à protéger les éventuels
propriétaires au cas où ceux-ci se manifesteraient un peu tardivement.
Mais, en attendant, cette procédure est malheureusement interminable et
décourageante pour les élus.
C'est dans cette direction qu'il nous faudra réfléchir, la prochaine fois que
nous nous saisirons de cette question, peut-être, d'ailleurs, à l'occasion de
la prochaine lecture, si l'Assemblée n'adoptait pas conforme notre rédaction,
ou la question est bien de savoir comment concilier les impératifs des
communes, notamment en matière d'utilité publique, et le légitime respect du
droit de propriété.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et
Indépendants.)
M. Jean-Jack Queyranne,
secrétaire d'Etat.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Jean-Jack Queyranne,
secrétaire d'Etat.
Les différents intervenants ont souligné le caractère
irritant de ce problème des propriétés laissées en déshérence, qui, s'il
concerne principalement le monde rural, touche aussi le secteur urbain. En tant
que maire, j'ai eu à en connaître deux fois en dix ans.
Nous avons la possibilité de faire jouer l'arrêté de péril ; mais celui-ci ne
permet que de mettre en demeure et, éventuellement, d'exécuter des mesures
immédiates ; il ne règle pas le problème des biens.
Cela étant, je ne suivrai pas M. de Montesquiou sur un terrain qui porte à la
fois sur la propriété privée et sur le droit des successions. Je ne crois pas
que la commune puisse directement prendre en charge ces deux problèmes,
notamment parce que nombre de biens en déshérence résultent de successions
impossibles à régler, par exemple, parce que l'un des héritiers est parti on ne
sait où, qu'on l'a perdu de vue et que, de ce fait, des indivisions se
perpétuent.
Ce qu'il faut - sur ce point, le texte demande à être amélioré - c'est que la
commune puisse faire déclencher beaucoup plus rapidement que ce n'est le cas
actuellement par l'Etat, donc par les Domaines, ce type de procédure.
La présence du service des Domaines est une garantie. On le sait, dans les
communes, ces questions de propriété sont très sensibles. Si le maire,
sollicité par ses administrés, décidait d'engager cette procédure, on voit bien
les sources de conflit qui pourraient apparaître et les risques financiers qui
en résulteraient, notamment pour les petites communes. C'est pourquoi il faut
laisser cette compétence à l'Etat et ne pas invoquer le principe de
subsidiarité ou de transfert. En revanche, l'Etat doit être plus actif dans ce
domaine.
Les derniers chiffres qui ont été communiqués sont un peu anciens, puisqu'ils
datent de 1984. A cette date, 70 000 immeubles étaient estimés vacants et sans
maître, dont 85 % dans le domaine rural. Pour l'immense majorité, il s'agissait
de parcelles de terrain non bâti. Le nombre d'appréhensions par l'Etat était de
l'ordre de 3 000. Les revendications en restitution ayant abouti étaient au
nombre de treize. C'est peu, mais la commune concernée peut alors se trouver
entraînée dans des frais très lourds.
Voilà pourquoi il m'apparaît conforme aux principes de notre droit public que
l'Etat conserve la maîtrise dans le domaine de l'appréhension des biens vacants
et sans maître. En revanche, les communes doivent être mieux associées à la
procédure et doivent pouvoir la déclencher afin d'éviter que les choses ne
traînent.
Un travail interministériel devrait, par conséquent, être réalisé avec le
ministère des finances, donc les Domaines, le ministère de l'intérieur, le
ministère de la justice et le ministère de l'urbanisme pour essayer d'avoir des
procédures qui fonctionnent mieux et qui aillent dans le sens de la proposition
de loi modifiée par la commission des lois.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Article 1er
M. le président.
« Art. 1er. - L'article L. 27
bis
du code du domaine de l'Etat est
ainsi modifié :
« 1° Le premier alinéa est ainsi rédigé :
« Lorsqu'un immeuble n'a pas de propriétaire connu, et que les contributions
foncières y afférentes n'ont pas été acquittées depuis plus de cinq années,
cette situation est constatée, le cas échéant à la demande du maire, par arrêté
préfectoral, après avis de la commission communale des impôts directs. Il est
procédé par les soins du préfet à une publication et à un affichage de cet
arrêté et, s'il y a lieu, à une notification aux derniers domicile et résidence
connus du propriétaire. Le maire en est immédiatement informé. En outre, si
l'immeuble est habité ou exploité, une notification est également adressée à
l'habitant ou exploitant.
« 2° Le second alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée : "Le maire en
est immédiatement informé".
« 3° Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« L'Etat notifie à la commune son intention d'aliéner l'immeuble et lui
indique son prix de mise en vente. La commune peut exercer un droit de priorité
pour l'acquisition de l'immeuble, dans un délai de deux mois à compter de cette
notification. A l'expiration de ce délai, l'aliénation est faite dans les
conditions de droit commun. »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 1er.
(L'article 1er est adopté.)
Article 2