Séance du 1er février 2000
ADAPTATION AU DROIT COMMUNAUTAIRE
DANS LE DOMAINE DES TRANSPORTS
Discussion d'un projet de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (1998-1999) portant
diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine des
transports. [Rapport n° 190 (1999-2000).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat au logement.
Monsieur le président, monsieur le
rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais tout d'abord excuser
l'absence de M. Jean-Claude Gayssot, qui est retenu ce matin par d'importantes
discussions avec les représentants des chauffeurs routiers afin d'aider à
dénouer la situation que vous connaissez.
Comme vous le savez, la France exercera la présidence du Conseil des ministres
européens au cours du second semestre de cette année.
Il s'agit d'une échéance très importante à laquelle le Gouvernement travaille
afin qu'elle se traduise dans les faits par des avancées significatives de la
construction européenne dans de nombreux domaines, en particulier dans ceux
dont M. Gayssot a la charge.
Le Gouvernement souhaite que l'on puisse aboutir ou avancer, en particulier
sur les dossiers qui touchent à la sécurité, à l'harmonisation économique et
sociale dans le transport, ainsi qu'à un développement plus équilibré des
différents modes de transports.
Le projet de loi qu'en remplacement de M. Gayssot je vous présente ce matin a
pour objectif de transposer, dans notre droit interne, plusieurs dispositions
communautaires concernant les transports maritimes, aériens, routiers et
fluviaux.
Les mesures proposées ont déjà fait l'objet de longues discussions avec les
représentants des professions concernées et sont même déjà quasiment entrées
dans les faits pour certaines d'entre elles.
Cet exercice de transposition vous sera également demandé prochainement par
plusieurs membres du Gouvernement dans leurs domaines respectifs, toujours dans
le même esprit d'ajustement de certaines dispositions de notre droit au droit
communautaire.
Le retard relatif que vous pouvez constater dans le dépôt et la discussion de
ce projet de loi par rapport aux dates de transposition requises par les
directives s'explique de deux manières : d'abord, la densité du calendrier
parlementaire, depuis deux ans et demi, ne nous a pas permis de faire plus vite
; ensuite et surtout, il n'était pas question pour le Gouvernement de mettre
les professions concernées devant le fait accompli. Il importait de discuter
avec elles les modalités de passage aux nouveaux systèmes plus conformes au
droit européen de la concurrence, notamment pour les courtiers maritimes et les
bateliers.
Agir autrement aurait sans doute acculé ces professions à d'importantes
difficultés, ce que nous ne voulions, bien sûr, pas. M. Gayssot a donc pris le
temps d'organiser avec elles la transition et la mise en place d'un nouveau
mode de fonctionnement.
En revanche, prendre le temps de la discussion a permis à chacun de réfléchir
et de s'organiser pour mieux s'adapter aux nouvelles réalités et aux nouveaux
systèmes proposés. Aussi, je crois sincèrement que nous sommes parvenus à une
situation juste et équilibrée.
Le présent projet de loi comporte quatre titres : le premier est consacré aux
transports maritimes, le deuxième à l'aviation civile, le troisième aux
transports routiers, le quatrième au transport fluvial.
Permettez-moi de vous présenter maintenant, dans l'ordre, chacun de ces titres
dans ses grandes lignes.
Le titre Ier concerne les transports maritimes et les activités nautiques.
Le transport maritime a fait, hélas ! vous le savez, les unes des journaux
depuis le naufrage de l'
Erika
et la pollution de nos côtes qu'il a
provoquée.
Le Gouvernement tient ici à rendre hommage une fois de plus aux sauveteurs de
l'équipage du navire ainsi qu'à toutes celles et à tous ceux qui ont contribué
- et contribuent encore aujourd'hui -, directement ou indirectement, à l'effort
de nettoyage de nos plages.
Sachez, mesdames, messieurs les sénateurs, que le Gouvernement, qui n'a pas
attendu cette catastrophe pour agir à l'échelon international afin d'améliorer
les conditions du transport maritime, notamment les conditions de travail et
les qualifications des marins, n'en est maintenant que plus déterminé à faire
tout ce qu'il est possible de faire auprès des différentes instances
européennes et internationales pour avancer vite sur ce dossier de la sécurité
du transport maritime.
Dans la continuité de son engagement depuis deux ans, le ministre s'emploiera
à poursuivre son action nationale et internationale en faveur de la sécurité
autour de quatre axes principaux : le renforcement de la réglementation, le
renforcement du système de contrôle, la responsabilité des acteurs du commerce
maritime et, enfin, la définition de sanctions plus fortes pour ceux qui ne
respecteraient pas les règles.
La tragédie de l'
Erika
nous enseigne que les obligations et la
réglementation concernant les navires qui transportent des matières dangereuses
ou polluantes doivent être durcies. Dans les instances compétentes que sont
l'Organisation maritime internationale - qui, je le précise, s'est récemment
prononcée à nouveau en faveur d'un renforcement des règles - et la Commission
européenne, le gouvernement français demandera que les navires à simple coque
ou les navires les plus âgés soient rapidement bannis des ports européens.
M. Gayssot continuera à défendre avec vigueur, comme il l'a fait pendant deux
ans, une amélioration des conditions de travail et des qualifications des
marins, qui constitue un élément essentiel de la sécurité des transports.
Comme je le disais, la réglementation existe, mais trop nombreux sont ceux qui
ne la respectent pas. Qu'ils puissent obtenir des certificats de complaisance
auprès de sociétés peu scrupuleuses et qu'ils passent au travers de nos
contrôles n'est pas acceptable et ne devrait plus être possible.
Mais il faut préciser également qu'après des années de disette budgétaire, le
Gouvernement a décidé, depuis 1997, de renforcer les moyens en hommes et en
investissements pour assurer un contrôle de qualité des navires qui touchent
nos ports. Ainsi, d'ici à deux ans, le nombre d'inspecteurs dans les ports aura
doublé.
Mais sachez également que, pour être efficace, le renforcement des contrôles
doit en outre être le fruit d'une volonté, d'une politique commune, car la
pollution ne connaît bien évidemment pas les frontières administratives.
M. Gayssot a commencé à mettre en place avec les pays voisins un système
européen de surveillance maritime. Il souhaite étendre ce projet à l'ensemble
de l'Europe, et il proposera à nos partenaires européens, en conformité avec le
droit international, d'instaurer un système européen de surveillance et de
contrôle maritime.
Ce système devra nous permettre d'obliger les navires à destination des ports
européens à se signaler et à être soumis à des contrôles en tant que de besoin
dès leur entrée dans la zone d'exclusivité économique, c'est-à-dire, vous le
savez, jusqu'à 200 milles de nos côtes. M. Gayssot demandera ainsi, dans ce
cadre, que soit admise la possibilité de réaliser des contrôles sur les navires
susceptibles de mettre en péril l'environnement marin ou de polluer les
côtes.
Au-delà de l'augmentation des contrôles publics, c'est un contrôle sur
l'ensemble de ceux qui sont à même, de par leur responsabilité, de nous
garantir la sécurité qu'il convient de mettre en place. La banque de données
Equasis, que le ministère de l'équipement a commencé à développer en 1998, va
dans ce sens.
Cependant, il ne faut point espérer de remède à long terme si les dispositions
juridiques internationales ne sont pas revues pour permettre de mieux
responsabiliser l'ensemble des acteurs du transport maritime, qui, pour le
moment font encore courir un risque aux hommes et à l'environnement. Le
mécanisme actuel limite leur responsabilité.
Le gouvernement français demandera que la responsabilité financière des
pollueurs soit revue à la hausse. Les pollueurs potentiels doivent payer,
avant, le coût de la sécurité, et les pollueurs coupables doivent payer, après,
le coût des dommages qu'ils occasionnent.
Enfin, il est souhaitable que nos partenaires européens acceptent de renforcer
les sanctions pour les navires qui ne respectent pas les réglementations en
vigueur. L'accès aux ports européens devrait leur être interdit et la
possibilité d'étendre les occasions données aux contrôleurs de bannir un navire
devrait être examinée.
Nous ne pouvons espérer éradiquer les risques d'un nouveau naufrage sans
mobiliser l'ensemble de nos partenaires et des institutions internationales,
notamment la Commission européenne, bien sûr, avec laquelle M. Gayssot a eu
plusieurs contacts depuis le naufrage de l'
Erika
.
J'en viens maintenant aux dispositions du projet de loi concernant le secteur
maritime, en particulier à celles qui ont trait aux courtiers maritimes.
Elles ont pour objectif de supprimer le privilège accordé à cette profession
de courtier interprète et de conducteur de navires qui date de l'Ancien régime,
plus précisément de Colbert, et qui n'est plus compatible, vous le comprenez
bien, avec le droit communautaire de la concurrence.
Jusqu'à présent, les courtiers maritimes étaient titulaires d'une charge,
comme il y en avait beaucoup au xviie siècle mais qui n'ont plus de véritable
raison d'être à l'aube du xxie siècle.
La suppression de leur monopole laisse donc à l'armateur la liberté de choix.
La suppression du privilège se traduit concrètement par une modification du
code de commerce.
Le projet de loi prévoit, bien entendu, que la perte du droit de présentation
de leur successeur qui leur était reconnu fait l'objet d'une indemnisation par
une commission selon des modalités très précises de calcul ; il prévoit
également une reconversion possible de ces officiers ministériels vers d'autres
professions connexes.
Il est en effet tout à fait normal et légitime que les titulaires de ce type
de charge soient, conformément aux textes constitutionnels, justement
indemnisés.
L'indemnité représente 65 % de la valeur des offices. Elle est calculée sur la
base des recettes moyennes et du solde moyen d'exploitation entre 1992 et 1996,
selon des coefficients sur lesquels je ne m'étendrai pas.
Comme en matière de suppression de la charge de commissaire-priseur, le projet
de loi pose les jalons de la reconversion des courtiers maritimes dans
certaines professions juridiques et judiciaires.
Ainsi que vous pouvez le constater, la suppression du privilège est
accompagnée de mesures compensatoires précises permettant une bonne adaptation
de la profession. Rappelons que celle-ci compte aujourd'hui moins de
quatre-vingts membres. Ces derniers peuvent d'ailleurs continuer à exercer la
partie commerciale de leur activité qui, pour sa part, reste autorisée.
Comme je vous l'ai dit voilà quelques instants, le chapitre II traite des
modalités de francisation des navires. Il complète la mise en conformité de
notre législation en matière de francisation des navires avec les dispositions
du traité de Rome posant les principes de la libre circulation des
travailleurs, du libre établissement et de l'égalité de traitement à l'égard
des ressortissants de l'Unioneuropéenne.
En modifiant le code des douanes, le dispositif proposé consacre le caractère
communautaire du cabotage aujourd'hui réservé aux seuls navires français et
procède à la même extension communautaire pour le transport du charbon.
Il vise également à adapter aux directives communautaires les procédures de
contrôle en matière de plaisance et de sécurité de la navigation et instaure
des habilitations au profit d'agents publics.
Le titre II est consacré, pour sa part, aux licences des personnels
navigants.
Depuis 1991, une directive européenne instaure les principes de reconnaissance
mutuelle de ces licences.
L'application pratique de cette directive s'est heurtée à de nombreuses
difficultés en raison des exigences et des niveaux de formation assez
disparates dans les différents Etats de l'Union européenne.
Pour surmonter cette difficulté, les autorités conjointes de l'aviation
civile, dénommées « JAA », qui regroupent trente autorités aéronautiques
européennes, ont travaillé à la mise en oeuvre d'un code commun dit « JAR-FCL »
en matière de sécurité et d'exploitation des aéronefs. Son adoption par les
différents Etats de l'Union européenne doit permettre d'assurer un niveau de
compétence identique, et donc la reconnaissance sans difficulté des titres
délivrés dans l'ensemble de ces Etats.
L'harmonisation des licences entre les pays de l'Union européenne sera donc
profitable à la fois aux pilotes ressortissants de la Communauté souhaitant
exercer en France et aux pilotes français désirant travailler dans ces pays.
Techniquement, ces nouvelles règles européennes sont satisfaisantes. Elles
renforcent la rigueur de la formation, en s'appuyant notamment sur l'agrément
formel des organismes de formation, des centres d'examen médicaux et des
examinateurs, navigants ou médecins. Ces agréments mettront notamment l'accent
sur l'introduction, au sein des organismes de formation et de contrôle, de
véritables systèmes qualité. Cela se traduira également par la possibilité
d'une formation et d'un contrôle continus.
L'adoption de ces règles permet à la France de figurer dans le peloton de tête
européen, de renforcer la crédibilité de nos navigants auprès des compagnies
étrangères. Elle nous permet aussi de disposer d'un référentiel indiscutable
pour accueillir les navigants de l'espace économique européen qui voudraient
voir reconnaître leurs licences.
Conformément aux recommandations des JAA, lesdispositions techniques sont
applicables depuis le 1er juillet 1999 pour les pilotes d'avions et le seront
le 1er juillet 2000 pour les pilotes d'hélicoptères. Il convient donc d'adopter
les dispositions législatives permettant d'asseoir convenablement dans le droit
français ces règles nouvelles.
Ces règles nouvelles reposent sur trois dispositions.
Tout d'abord, les personnels chargés de piloter un avion doivent, pour le
faire en toute sécurité, avoir des connaissances théoriques et pratiques qu'il
convient d'entretenir périodiquement et non pas disposer seulement d'un brevet
acquis à vie.
Ensuite, la reconnaissance de la qualité du système d'expertise médicale passe
par la mise en place d'une obligation d'agrément fondé sur le respect de
critères stricts applicables aux centres d'expertise et aux médecins
examinateurs.
Enfin, les organismes de formation devront obtenir un agrément. Ils doivent,
pour cela, se structurer, s'équiper et formaliser le suivi de la qualité de la
formation qu'ils délivrent pour produire une formation de qualité. Il est
néanmoins prévu que certains organismes qui seront limités à la formation des
pilotes privés pour le pilotage de loisir pourront continuer à faire l'objet
d'une simple déclaration.
Le projet de loi met en place des examinateurs chargés de contrôler les
pilotes et habilités à renouveler leurs qualifications, rendant ainsi effective
la notion de contrôle continu.
Le texte offre enfin la possibilité de reconnaître, conformément à nos
engagements communautaires, les titres aéronautiques et les formations produits
par les autres Etats de l'Union européenne dans des conditions équivalentes aux
nôtres.
Le titre III comprend, pour sa part, des dispositions relatives aux transports
routiers de voyageurs.
Le règlement communautaire n° 12/98 du Conseil du 11 décembre 1997 fixant les
conditions de l'admission des transporteurs non résidents aux transports
nationaux de voyageurs par route dans un Etat membre, dit « règlement cabotage
voyageurs », doit être intégré dans notre droit interne.
Ce règlement admet le cabotage européen pour les services occasionnels et rend
caducs les régimes d'autorisation nationaux s'appliquant aux seules entreprises
françaises.
Ce type de cabotage, lorsqu'il est exécuté sur le territoire français par des
transporteurs établis en France, est jusqu'à présent régi par les dispositions
de la loi d'orientation des transports intérieurs, la LOTI, et par le décret du
14 novembre 1949 pour les entreprises établies en Ile-de-France.
Ces dispositions nationales constituent des mesures de « discrimination à
rebours » des transporteurs français vis-à-vis de leurs concurrents établis
dans les autres pays de l'Union européenne. En effet, elles restreignent leur
possibilité de prise en charge des voyageurs sur le territoire national aux
seuls départements où sont implantés ces transporteurs, et aux départements
limitrophes ou à la région d'Ile-de-France pour les transporteurs qui y sont
implantés.
Il est donc proposé de mettre fin à ces discriminations à rebours, tout en
unifiant les dispositions applicables sur l'ensemble du territoire national.
Permettez-moi, pour terminer, d'évoquer le titre IV, qui est consacré au
transport fluvial.
La réforme que nous proposons de réaliser se situe non pas dans un contexte de
régression de ce mode de transport, mais au contraire dans un contexte et des
perspectives de renouveau de la voie d'eau. Je crois que c'est très
important.
Comme vous le savez, le développement de la voie d'eau est primordial. Depuis
juin 1997, Jean-Claude Gayssot a tenu à ce que les crédits destinés à
l'entretien du réseau augmentent de plus de 40 %, et le Gouvernement a relancé
le projet de canal à grand gabarit Seine-Nord.
La modernisation et la mise au gabarit des canaux entre Dunkerque et l'Escault
au prochain contrat de plan Etat-région permettra une première phase de
réalisation de la liaison globale projetée.
Nous avons la volonté de continuer cette année à améliorer le réseau, grâce à
des dotations en forte augmentation, ce qui permettra au programme
d'investissement de Voies navigables de France d'être proche du milliard de
francs cette année.
Après une forte croissance en 1998, le transport fluvial de marchandises a
conforté son dynamisme en 1999, avec un trafic en hausse d'environ 10 % en
tonne kilométrique.
La batellerie montre ainsi sa capacité à faire valoir les atouts du transport
fluvial et aborde une nouvelle étape de modernisation dans de bonnes
conditions. M. Gayssot est, vous le savez, très attaché, dans l'intérêt d'un
équilibre entre les modes de transport et du développement durable, à ce que
cette tendance se confirme.
Le présent projet de loi vise à transposer la directive 96-75 du 19 novembre
1996 concernant les modalités d'affrètement et de formation des prix dans le
domaine des transports nationaux et internationaux de marchandises par voie
navigable dans l'Union européenne.
Cette directive a posé le principe du régime de la liberté d'affrètement,
conduisant en cela à l'extinction du système du tour de rôle. Nous avons
préparé avec une attention toute particulière cette transition dans le
fonctionnement de la batellerie.
Cette transposition ne pouvait en effet être faite à la légère, sans prendre
toute la mesure de la réalité économique et sociale du secteur et sans prévoir,
de concert avec tous les acteurs sociaux, des solutions pour assurer l'avenir
de la profession.
A cet effet, un contrat de modernisation a été conclu en mai 1999 entre
l'Etat, Voies navigables de France et les professionnels. Il a permis de fixer
les contours de cette nouvelle organisation et les efforts de chacun, y compris
de l'Etat, pour participer activement au développement du transport fluvial. La
profession a ainsi bénéficié de 35 millions de francs d'aides publiques.
Poursuivant sa démarche d'accompagnement des transitions, le Gouvernement a
prévu des modalités d'observation, statistiques notamment, du secteur du
transport fluvial et l'instauration de sanctions en cas de prix anormalement
bas.
Depuis le 1er janvier 2000, les professionnels ont anticipé la réforme, et
tous les indices montrent que les prix des transports restent soutenus dans un
environnement où la demande est en forte croissance avec deux années
successives d'augmentation du trafic de 10 %.
L'article 16 du projet de loi pose donc le principe de la libre conclusion des
contrats et de la libre négociation des prix. Il définit les différents types
de contrats et prévoit l'inscription des bateaux utilisés pour le transport de
marchandises au fichier tenu par Voies navigables de France.
L'Etat conserve cependant la possibilité d'intervenir en cas de perturbations
graves du marché. Il peut ainsi saisir la Commission européenne pour demander à
celle-ci d'empêcher toute nouvelle augmentation de capacité sur un marché en
difficulté.
Enfin, le projet de loi introduit des possibilités de sanctions pénales à
l'encontre de tout prestataire de transport public par voie navigable qui
pratiquerait un prix trop bas.
Tel est donc, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs,
brièvement exposé, l'objet de ce projet de loi que le Gouvernement vous propose
d'adopter.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur les
travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-François Le Grand,
rapporteur de la commission des affaires économiques et du Plan.
Monsieur
le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, c'est une
première que nous vivons aujourd'hui au Sénat, puisque c'est la première fois
que le Parlement français a à traiter de dispositions d'adaptation au droit
communautaire dans le domaine des transports.
Après les projets de loi « portant diverses dispositions d'ordre social », les
DDOS, et les projets de loi « portant diverses dispositions d'ordre financier
», les DDOF, voici donc un projet de loi « portant diverses dispositions
d'adaptation au droit communautaire », un DDAC, premier d'une « catégorie »
nouvelle appelée vraisemblablement à prospérer et dont l'objet est, par un
texte législatif unique, d'adapter au droit communautaire un certain nombre de
codes et textes législatifs français. Je note d'ailleurs avec satisfaction que
c'est sur le bureau du Sénat qu'a été déposé ce projet de loi.
Si l'urgence n'a pas été déclarée par le Gouvernement, on relève néanmoins que
les délais fixés par les textes européens visés sont le plus souvent dépassés
et qu'il convient donc d'adopter rapidement ces mesures sous peine d'exposer
notre pays à des recours contentieux devant la Cour de justice des Communautés
européennes.
Le projet de loi comporte vingt articles. Il concerne exclusivement le domaine
des transports, mais dans ses trois modes : maritime, aérien et terrestre.
Monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez présenté en détail les diverses
dispositions de ce texte ; je me bornerai donc à les rappeler brièvement et à
faire quelques commentaires, sachant que nous aurons l'occasion, lors de la
discussion des amendements que j'aurai l'honneur de présenter au nom de la
commission des affaires économiques et du Plan ou que nos collègues défendront
intuitu personæ,
de revenir sur chacun des articles.
Les modifications et adaptations présentées par ce projet de loi touchent
principalement et successivement au code du commerce, au code des douanes, à la
loi du 3 janvier 1967 portant statut des navires, à la loi du 5 juillet 1983
sur la sauvegarde de la vie humaine en mer, au code de l'aviation civile, à la
loi du 30 décembre 1982 plus communément appelée la « LOTI », et, enfin, au
code du domaine public fluvial, et de la navigation intérieure.
Les douze premiers articles constituent le volet maritime du projet de loi.
Ils portent essentiellement sur quatre points : les articles 1er à 6 concernent
la suppression du monopole des courtiers maritimes, les articles 7 et 8
l'assouplissement des règles de francisation des navires, l'article 9 la mise
en conformité de notre législation sur le cabotage maritime, et l'article 11 le
renforcement du contrôle des normes de conformité européennes pour ce qui est
du marquage des bateaux de plaisance et d'un certain nombre d'équipements
marins des navires professionnels.
Dans le secteur aérien, les articles 12 à 14 tendent à adapter certaines
dispositions du code de l'aviation civile relatives aux conditions de formation
et à l'aptitude médicale des personnels navigants afin de prendre en compte
plusieurs mesures prises dans le cadre de la conférence européenne de
l'aviation civile.
Dans le secteur des transports terrestres, l'article 15 vise à mettre en
conformité la LOTI avec un règlement communautaire de 1997 sur le cabotage
routier européen. J'y reviendrai dans un instant : il y a là un clin d'oeil
sinon de l'histoire, du moins de l'actualité immédiate puisque, au moment même
où nous nous exprimons, se déroulent dans le pays des mouvements sociaux
concernant ce secteur.
Enfin, s'agissant du transport de marchandises par voie fluviale, les articles
16 à 20 tendent à supprimer l'actuel système d'affrètement et de prix
administrés en vertu d'une directive de 1996, tout en appliquant au secteur la
législation pénale punissant les prix trop bas.
Puisque nous sommes conduits à examiner un projet relevant de la catégorie
nouvelle que je citais tout à l'heure, un DDAC, peut-être convient-il de
s'interroger sur l'approche qui doit être la nôtre face à des dispositions
présentées comme des adaptations législatives nécessitées par les textes
communautaires sous peine de contentieux.
En bref, pour poser la question différemment, quelle est la marge de manoeuvre
des assemblées parlementaires ? Celles-ci doivent-elles seulement juger les
projets de cette nature sur leur conformité aux décisions européennes ? C'est
toute la question.
Nombre de dispositions du projet de loi mettent manifestement en conformité
notre législation avec les normes européennes.
Les nouvelles dispositions relatives à la francisation des navires sont ainsi
présentées comme la mise en conformité de notre législation avec les articles
48, 52, 58 et 221 du traité de Rome posant les principes de la libre
circulation des travailleurs et de l'égalité de traitement à l'égard des
ressortissants des Etats membres de la Communauté européenne.
Les nouvelles dispositions relatives au cabotage maritime mettent notre
législation en conformité avec le règlement CEE n° 3577/92 du Conseil du 7
décembre 1992 concernant l'application du principe de la libre circulation des
services aux transports maritimes à l'intérieur des Etats membres de la
Communauté européenne.
Les dispositions relatives aux importations de charbon, quant à elles, mettent
notre législation relative au transport maritime des importations de charbon en
conformité avec le règlement CEE n° 4055/86 du Conseil du 22 décembre 1986
portant application du principe de la libre prestation des services au
transport maritime entre Etats membres et entre les Etats membres et les pays
tiers.
Les nouvelles mesures relatives au contrôle du marquage des bateaux de
plaisance et des équipements marins appliquent - pardonnez-moi cette litanie de
références, mais elle nous permettra d'acter les dispositions concernées -
plusieurs textes européens : la directive n° 89/686 CEE du Conseil du 21
décembre 1989, modifiée par la directive n° 93/95/CEE du Conseil du 29 octobre
1993 ; la directive n° 94/25/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 juin
1994 ; enfin, la directive n° 96/98/CE du 20 décembre 1996 relative aux
équipements marins.
S'agissant des dispositions relatives aux personnels navigants de
l'aéronautique civile, les modifications apportées au code de l'aviation civile
fondent les nouvelles reconnaissances de validité sur l'acceptation mutuelle
des licences du personnel navigant, elle-même prévue par la directive n°
91/670/CEE du 16 décembre 1991.
En ce qui concerne les nouvelles règles relatives au cabotage routier, les
dispositions proposées portent application du règlement CE n° 12/98 du Conseil
du 11 décembre 1997 fixant les conditions de l'admission des transporteurs non
résidents aux transports nationaux de voyageurs par route dans un Etat
membre.
Enfin, en ce qui concerne les nouvelles règles relatives à l'affrètement et à
la formation des prix en matière de transport de marchandises par voie
navigable, la réforme proposée - qui met fin aux dispositions transitoires de
la loi n° 94-576 du 12 juillet 1994 - applique la directive n° 96-75 du 19
novembre 1996 concernant les modalités d'affrètement et de formation des prix
dans le domaine des transports nationaux et internationaux de marchandises par
voie navigable dans la Communauté européenne.
On relèvera cependant que les nouvelles dispositions proposées pour les
personnels navigants de l'aéronautique civile transposent non pas des normes
européennes mais des règlements aéronautiques communs, les
Joint Aviation
Requirements,
ou JAR, adoptés dans le cadre de la conférence européenne de
l'aviation civile en ce qui concerne les licences du personnel de conduite des
avions et les conditions d'aptitude médicale applicables à ces personnels.
D'autres JAR traitent des normes de formation et définissent des règles qui
sont désormais applicables dans les Etats membres de la Communauté, même si
elles n'y sont pas encore appliquées.
Il ne s'agit donc point là,
stricto sensu,
de dispositions d'adaptation
au droit communautaire, même si elles ont vocation à être incorporées dans un
règlement européen.
Bien souvent, les dispositions qui nous sont proposées présentent un caractère
si technique qu'on se demande s'il est de bonne méthode législative de les
soumettre à la représentation nationale, leur caractère réglementaire pouvant
apparaître patent.
Par ailleurs, les différentes sections du projet de loi présentent un
caractère si hétéroclite qu'elles relèvent presque d'un inventaire à la Prévert
!
On passe ainsi de la suppression des courtiers maritimes à la libéralisation
de la navigation fluviale en passant par l'octroi du pavillon français aux
navires, par la libéralisation du cabotage maritime et des importations de
charbon, par la reconnaissance mutuelle des licences des personnels navigants
aéronautiques et par la libéralisation du cabotage routier.
La catastrophe de l'
Erika
fera sans doute apparaître bien déplacé,
voire peut-être, aux yeux de certains, inopportun un débat parlementaire sur
l'assouplissement des règles concernant l'octroi du pavillon français ou les
conditions du contrôle des marques européennes de conformité sur les bateaux de
plaisance.
A ce sujet, monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez rendu hommage tout à
l'heure à celles et à ceux qui se sont dévoués pour éviter le pire, encore que
le pire se soit peut-être déjà produit. Permettez à la commission des affaires
économiques, mais également au Sénat, de s'associer à l'hommage que vous avez
rendu. Toutefois, dans le même temps, vous avez rappelé la détermination du
Gouvernement à mettre en oeuvre des dispositions susceptibles d'éviter que ne
se renouvellent de telles situations. Dès lors, permettez-moi de vous donner un
simple conseil : lisez les rapports du Sénat !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
C'est vrai !
M. Jean-François Le Grand,
rapporteur.
En 1994, une mission d'information diligentée par la
commission des affaires économiques et du Plan - j'ai eu l'honneur de rapporter
ses travaux - a rédigé un document que je tiens à votre disposition et que j'ai
d'ailleurs fait parvenir à M. Gayssot. Y sont proposées des mesures qui, si
elles avaient été appliquées, auraient permis d'éviter aujourd'hui une
catastrophe de l'ampleur de celle que nous connaissons avec l'
Erika.
M. François Gerbaud.
Très bien !
M. Charles Revet.
Une fois encore le Sénat, montre son bon sens !
M. Jean-François Le Grand,
rapporteur.
Alors, plutôt que de dire aujourd'hui, monsieur le secrétaire
d'Etat, que vous faites preuve de détermination, que le Gouvernement fera, que
le Gouvernement agira, que le Gouvernement entreprendra, que le Gouvernement
proposera, pouvez-vous nous dire que le Gouvernement lira les rapports du Sénat
et qu'il s'inspirera de ses conclusions ? Ces propositions ont été élaborées
par des sénateurs issus de toutes les tendances politiques et ont recueilli
l'approbation unanime du Sénat lorsque j'ai eu l'honneur de les lui présenter.
Je crois, monsieur le secrétaire d'Etat, que le Gouvernement pourrait gagner un
peu de temps en les lisant et en s'en inspirant.
J'ai même demandé que soit diligentée, dans le même esprit et peut-être dans
le même format, une mission d'information visant à évaluer la pertinence des
recommandations que nous avions faites à l'époque. Si elles avait été
appliquées
in extenso
, aurait-on pu éviter le pire ?
M. François Trucy.
Eh oui !
M. Jean-François Le Grand,
rapporteur.
Si tel est le cas, il faut alors mettre en oeuvre ces
recommandations ; sinon, il faut les réévaluer à la lumière de la réalité
malheureuse des faits consécutifs au naufrage de l'
Erika
. Nous ferons
alors oeuvre utile.
Monsieur le secrétaire d'Etat, puisque la France va présider l'Union
européenne du mois de juin au mois de décembre de cette année, il serait
peut-être bon que vous vous inspiriez de ce type de travail. Trop souvent - et
je conclurai ainsi mon intervention s'agissant de l'
Erika
- les travaux
parlementaires retiennent l'attention le jour où ils sont présentés mais
retombent dans l'oubli dès le lendemain, pour disparaître au fond d'un placard.
Si on les en tirait, peut-être s'apercevrait-on qu'ils contenaient des éléments
tout à fait intéressants. En l'occurrence, cela nous aurait évité de perdre six
ans et de subir aujourd'hui la catastrophe économique - mais bien plus encore
écologique, n'en déplaise à ceux qui pensent qu'il s'agit d'un événement mineur
- que représente l'accident de l'
Erika
.
Monsieur le secrétaire d'Etat, il est urgent aujourd'hui de légiférer et de
statuer sur ce point, mais il est vrai que, lorsqu'on parle de libéralisation
des normes, on s'inscrit peut-être un peu à contre-courant de ce qu'il serait
souhaitable de faire.
Ma démarche, aujourd'hui, s'est voulue pragmatique et réaliste. C'est la
raison pour laquelle je vous présenterai tout à l'heure, au nom de la
commission des affaires économiques et du Plan, une dizaine d'amendements,
tendant à une clarification rédactionnelle d'un certain nombre de textes de
transposition et, surtout, à une amélioration des mesures accompagnant la
disparition du privilège des courtiers interprètes et des conducteurs de
navires. Certains de mes collègues y adjoindront d'ailleurs leurs propres
amendements et nous aurons, monsieur le secrétaire d'Etat, à vous entendre sur
ce point.
Avant de conclure, comment pourrais-je passer sous silence le problème des
transporteurs routiers ? On nous propose aujourd'hui d'adapter le droit
français au droit communautaire. Et si nous nous posions la question inverse ?
Et si nous adaptions le droit communautaire au droit français ? Et si nous
faisions en sorte que les dispositions sociales ou économiques qui valent en
France puissent être reprises par l'ensemble des pays de la Communauté
européenne ?
M. Charles Revet.
Ce serait plus logique !
M. Jean-François Le Grand,
rapporteur.
Nous éviterions ainsi des poches de
dumping
social et
des distorsions de concurrence.
Il y a deux ans, au moment de la discussion de la loi dite « loi Gayssot » sur
les transporteurs routiers, texte que j'avais eu l'honneur de rapporter devant
le Sénat, j'avais invité M. le ministre de l'équipement, des transports et du
logement à tenir une conférence européenne sur l'harmonisation des normes
sociales et des conditions de travail dans le transport routier et dans le
cabotage. Il m'avait alors été répondu que l'idée était bonne et qu'on le
ferait. Deux ans après, j'entends dire encore que c'est une bonne idée et qu'on
va le faire !
J'ai eu l'occasion, à diverses reprises, soit en présentant des avis
budgétaires, soit à l'occasion d'un certain nombre d'autres interventions, de
rappeler cette exigence. Il y a quelques mois encore, j'ai interpellé le
Gouvernement, lors d'une séance de questions d'actualité au Sénat, sur ce qui
se passait dans le cabotage, citant une entreprise allemande qui fait appel à
des chauffeurs bulgares payés à peu près 4 000 francs par mois, soit le double
du salaire moyen en Bulgarie, mais nettement moins que ce que peuvent gagner
les chauffeurs et les transporteurs routiers en France. Il y a là, à
l'évidence, une distorsion de concurrence et un
dumping
social négatif
qui jouent contre nos entreprises. Il ne s'agit pas ici d'attaquer qui que ce
soit, mais simplement de constater la réalité des faits : de promesse en
promesse, nous nous réveillerons peut-être un jour pour constater qu'il n'y a
plus d'entreprises françaises pour assurer le cabotage routier.
Voilà quelques semaines, les patrons transporteurs manifestaient pour dire
qu'ils ne pouvaient plus tenir. Aujourd'hui, ce sont les chauffeurs, parce
qu'on veut leur imposer des charges inacceptables dans l'exercice même de leur
travail. Monsieur le secrétaire d'Etat, profitons de cette journée d'action à
l'extérieur de cette enceinte pour en faire une journée d'action à
l'intérieur.
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 31 minutes ;
Groupe socialiste, 26 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 17 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 9 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Heinis.
Mme Anne Heinis.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, mon
intervention ne portera que sur le titre Ier, relatif aux activités maritimes
et nautiques, et plus précisément sur les six premiers articles du texte, qui
ont pour objet la suppression du privilège dont bénéficie la profession des
courtiers interprètes et des conducteurs de navires, communément appelés
courtiers maritimes.
Jusqu'à présent, ces derniers bénéficiaient d'un monopole de présentation en
douane en qualité d'officiers ministériels.
La plupart d'entre eux exercent, en outre, des activités annexes de
prestataire de services.
Pour l'ensemble de ces activités, la perte brutale du monopole va se traduire,
dans le climat de concurrence exacerbée actuel, par une perte de chiffre
d'affaires immédiate et importante, chacun des prestataires de services
portuaires essayant de récupérer les affaires traitées jusqu'alors par les
courtiers maritimes. Les plus lucratives seront, évidemment, les premières
visées, avant celles qui étaient peu rentables, voire déficitaires.
Or, les courtiers maritimes seront mal armés pour résister, car l'article 85
du code de commerce leur interdit de faire des opérations pour leur propre
compte et de s'associer dans des sociétés commerciales.
Cet énorme handicap aurait pu être surmonté si le Gouvernement avait prévu,
dans son dispositif, une période transitoire pendant laquelle ils auraient
conservé leur monopole tout en étant libérés des contraintes de l'article 85 du
code du commerce. Ils auraient ainsi pu assurer la mutation de leur entreprise
en se dotant de structures adaptées pour résister à la concurrence.
Le Gouvernement ne s'est pas engagé dans cette voie. Il ne prévoit qu'une
indemnisation de la perte du droit de présentation, autrement dit, en termes
clairs, la possibilité pour eux de vendre leur charge, sans toutefois prendre
en compte l'inévitable chute du chiffre d'affaires et de la rentabilité des
anciennes charges qui parviendront à survivre.
C'est la raison pour laquelle, monsieur le secrétaire d'Etat, je défendrai un
amendement visant à l'instauration d'une telle période transitoire.
Mais, consciente des aléas de cette demande et du peu de chances, compte tenu
de ce qui a déjà été dit, de la voir aboutir, je veux attirer l'attention du
Gouvernement sur la faiblesse de l'indemnisation globalement retenue pour
l'ensemble de la profession.
Sans entrer dans la discussion technique portant sur le mode de calcul de la
valeur des offices et sur l'indemnité subséquente, il apparaît que les
évaluations doivent prendre en compte l'ensemble des activités exercées par les
courtiers maritimes, qu'elles soient ou non liées au privilège, c'est-à-dire
leur valeur économique réelle globale, qui, encore une fois, va être
sérieusement mise à mal faute de période transitoire.
D'un mot, je tiens à dire également que, s'agissant des transporteurs
routiers, et plus précisément du conflit actuel, je partage totalement le point
de vue que vient d'exprimer M. le rapporteur.
M. Charles Revet.
Nous sommes tout à fait d'accord !
M. Jean-François Le Grand,
rapporteur.
Cela ne me surprend pas !
Mme Anne Heinis.
En effet, la disparité des normes sociales au sein de l'Union européenne
pénalise nos transporteurs, confrontés à des concurrents qui, nous le savons,
versent des salaires beaucoup plus bas et paient des charges beaucoup moins
lourdes,...
M. Charles Revet.
Eh oui !
Mme Anne Heinis.
... ce qui les rend beaucoup plus compétitifs. Il faudra bien, un jour,
arriver à cette égalité de moyens qui fait aujourd'hui défaut !
De plus, monsieur le secrétaire d'Etat, ce genre de problèmes est appelé à
toucher de plus en plus de secteurs dans notre pays, et souvent à son
désavantage, ce qui n'est pas acceptable. Cela signifie d'ailleurs que nos
normes sociales sont plus avancées.
Au nom du groupe des Républicains et Indépendants, et rejoignant en cela M. le
rapporteur, j'en appelle donc au Gouvernement pour qu'il se saisisse avec la
plus extrême vigilance de ces problèmes de cohésion entre le droit européen et
le droit français, problèmes qui, nous le savons, ne sont pas simples et qui
nécessiteront un suivi aussi actif que permanent.
(Applaudissements sur les
travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. le président.
La parole est à M. de Richemont.
M. Henri de Richemont.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
notre assemblée est donc saisie la première de ce projet de loi portant
diverses mesures d'adaptation au droit communautaire dans le domaine des
transports.
Avant d'en venir à l'examen du texte lui-même, je veux, dans mon propos
liminaire, souligner combien la libéralisation européenne des modes de
transport routier, aérien et maritime s'est accélérée depuis que M. Gayssot et
vous-même, monsieur le secrétaire d'Etat, êtes au Gouvernement.
En effet, force est de constater que la libéralisation est presque complète au
sein du marché intérieur, et la Commission européenne travaille encore à une
rénovation des règles de service public dans le domaine du transport terrestre,
afin d'introduire plus de concurrence et plus de transparence dans
l'attribution des contrats de service public.
J'en viens au projet de loi qui nous est aujourd'hui présenté. Dans
l'ensemble, il est parfaitement bien rédigé et correspond à son objet, qui est
d'adapter le droit français concernant, notamment, le transport maritime aux
exigences du droit communautaire.
En ce qui concerne l'attribution du pavillon français, il tient exactement
compte de la jurisprudence la plus récente de la Cour de justice des
Communautés européennes, et notamment des arrêts du 7 mars 1996, du 12 juin
1997 et du 27 novembre 1997.
L'essentiel de mon propos portera sur la partie du texte qui concerne les
courtiers maritimes, auxquels je veux, en préambule, rendre un hommage
particulier. Dans l'affaire de l'
Erika,
ils se sont mobilisés sur toute
la côte ouest pour être les intermédiaires entre les victimes, les communes et
le Fonds international d'indemnisation pour les dommages à la pollution pour
les hydrocarbures, le FIPOL, afin de mettre en place, notamment, le bureau des
réclamations à Lorient. Leur disponibilité a favorisé la compréhension entre
les parties. Aujourd'hui, leur avenir est en cause et l'on peut regretter que,
demain, on ne trouve plus des professionnels disponibles mettant toutes leurs
compétences au service des victimes mais aussi d'une meilleure compréhension
entre les différents acteurs du transport maritime.
Dans le contexte actuel, concurrentiel et mondialisé, la disparition de leur
privilège entraînera irrémédiablement une baisse du chiffre d'affaires
correspondant, soit entre 70 % et 100 % des ressources des entreprises
concernées.
Quant aux courtiers individuels, certains se retrouveront sans emploi et sans
possibilité de recours à l'assurance chômage.
C'est la raison pour laquelle je tiens à remercier tout particulièrement notre
excellent rapporteur qui, conscient des difficultés auxquelles sera confronté
l'ensemble de la profession, propose les modifications, notamment d'ordre
fiscal et social, indispensables pour assurer la pérennité des activités en
cause et empêcher que les courtiers ne voient leur profession disparaître.
Pour ma part, monsieur le secrétaire d'Etat, je proposerai trois modifications
qui me paraissent importantes.
La première vise à resserrer l'article 1er du projet de loi sur son objectif,
à savoir la suppression du privilège des courtiers maritimes quant à la
conduite en douane des navires.
Je ne pense pas que notre Haute Assemblée puisse aujourd'hui voter un texte
qui nous ramènerait plus de trois cents ans en arrière, puisque aussi bien le
projet de loi qui nous est proposé reprend exactement le texte de l'ordonnance
de Colbert sur la marine de 1681.
Aujourd'hui, plus personne ne conteste que le courtage d'affrètement ou la
traduction des chartes-parties soient des activités libres, comme toute
activité commerciale et intellectuelle. Quant à la fixation des cours de fret,
elle n'existe plus depuis bien longtemps.
Il ne me paraît pas non plus nécessaire d'énoncer, à l'article 1er, que les
activités visées sont exercées librement par l'armateur ou son représentant.
C'est la raison pour laquelle, dans un souci d'efficacité, nous proposerons un
amendement tendant à simplifier, à rendre le texte plus moderne, plus
compréhensible, sans se référer à des activités qui, encore une fois, sont
libéralisées depuis bien longtemps.
La deuxième modification tend à ce que, dans un délai de quatre mois à compter
de la promulgation de la présente loi, un expert indépendant désigné par une
commission évalue, dans un rapport, la situation économique de la profession de
courtier maritime et réévalue, si nécessaire, le mode de calcul et le montant
de l'indemnité.
Sans préjuger du dispositif proposé au Sénat, il me paraît plus judicieux et
plus sage, vis-à-vis des acteurs concernés, de se donner les moyens d'évaluer
de manière objective et transparente la situation économique de l'ensemble de
la profession.
Enfin, troisième modification, je propose que le dispositif soit assorti d'une
période transitoire de trois ans pour permettre aux professionnels concernés de
s'adapter et d'assurer la pérennité de leur activité, soumise, je le répète, à
une rude concurrence.
La mise en place éventuelle d'une période transitoire est conforme au
règlement communautaire du 12 octobre 1992. Je souhaite donc que les courtiers,
dont le rôle est irremplaçable et auxquels j'ai tenu à rendre hommage tout à
l'heure, puissent en bénéficier.
Monsieur le secrétaire d'Etat, je vous ai écouté avec grand intérêt parler de
l'
Erika
et des conséquences désastreuses de son naufrage pour nos côtes
et notre environnement.
Je souhaite faire quelques observations sur les réformes possibles en matière
tant de responsabilité que de sécurité.
Il est important de souligner qu'aucune réforme ne peut être faite par le
biais d'une loi française, car la matière, vous le savez, monsieur le
secrétaire d'Etat, est régie par les conventions internationales, qui ont une
force supérieure aux lois françaises. Ainsi, on ne peut envisager de rendre
l'affréteur responsable en cas de simple faute dans le choix d'un navire
affrété puisque les conventions de 1969 et 1992 l'exonèrent de toute
responsabilité, sauf faute inexcusable.
De même, il est totalement irréaliste de penser que l'on pourrait abandonner
la règle selon laquelle la faute inexcusable seule entraîne déchéance du droit
à limitation pour le propriétaire du navire. Ce serait en effet ébranler tout
le système actuel de la limitation de responsabilité des armateurs, sans
lesquels, d'ailleurs, il n'y aurait pas de transport maritime, la convention de
1976 sur la limitation de responsabilité en matière de créance maritime faisant
de la faute inexcusable le pivot de son système.
En revanche, la modification des plafonds de responsabilité paraît plus facile
à obtenir, car l'article 15 de la convention de 1992 prévoit une procédure
particulière de modification des limites de responsabilité au cas où le quart
des Etats contractants déposeraient une demande visant à modifier ces
limites.
J'en viens aux réformes à envisager en matière de sécurité.
Modifier la structure de la réglementation nous paraît difficile à imaginer.
En revanche, des améliorations sont non seulement possibles mais
nécessaires.
Vous avez parlé, monsieur le secrétaire d'Etat, des navires âgés. La
réglementation internationale n'interdit pas à un armateur d'exploiter des
pétroliers de plus de vingt-cinq ans d'âge. Les règles plus récentes de la
convention MARPOL imposent seulement que les navires de plus de trente ans
d'âge aient une double coque. Si tel est le cas, il n'est pas possible de les
empêcher de venir charger ou décharger dans nos ports.
Pourquoi, dans ces conditions, ne pas demander à l'Union européenne de prendre
des mesures pour interdire à tous les navires de plus de vingt ans d'âge de
venir charger ou décharger dans les ports des Etats membres ? On pourrait
d'ailleurs également le prévoir en droit français, à condition, bien entendu,
qu'il n'y ait aucune discrimination contraire aux dispositions du traité de
Rome.
En matière de contrôle, monsieur le secrétaire d'Etat, de tout temps, c'est le
principe de l'Etat du pavillon qui prévaut. Il appartient, en effet, à ce
dernier de faire respecter la réglementation internationale. Mais cela n'a pas
empêché le contrôle de l'Etat du port. Le principe qu'un Etat peut contrôler
tout navire en escale dans un port a toujours été appliqué par les Etats et a
même été reconnu par le droit international, notamment par des dispositions
récentes de l'OMI. Mais c'est un droit et non pas une obligation, excepté pour
les Etats membres de l'Union européenne, depuis l'entrée en vigueur du
mémorandum de Paris, intégré dans le droit communautaire par une directive du
mois de juillet 1996.
Aux termes de cette directive, les Etats membres de l'Union européenne ont
l'obligation d'inspecter au moins 25 % des navires qui entrent dans leurs
ports, y compris les navires non communautaires, et d'exercer une rétention au
cas où ils ne respecteraient pas les règles de sécurité. Cette directive
prévoit également des mesures de publicité pour informer les Etats du nom des
navires qui auraient été retenus plus de vingt-quatre heures.
Monsieur le secrétaire d'Etat, l'Union européenne devrait encore durcir cette
directive, en portant l'obligation de contrôle à 30 %, puis à 40 %, voire à 50
% des navires et - pourquoi pas ? - en l'étendant à tous les navires
pétroliers.
M. Jean-François Le Grand,
rapporteur !
Absolument.
M. Henri de Richemont.
Une dimension europénne devrait être conférée au contrôle qui s'effectue
aujourd'hui dans un contexte purement national.
Monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, l'efficacité du contrôle
dépend de la volonté et des moyens dont dispose l'administration nationale. Or
il existe aujourd'hui des disparités nationales qui peuvent entraîner la fuite
des navires à problèmes vers les ports où l'administration a la réputation
d'être moins rigoureuse.
Il faudrait donc instaurer une coopération entre l'Etat du port et
l'administration européenne, mais surtout prévoir des moyens en personnel et
financiers pour effectuer ces contrôles qui ne sont pas assurés à l'heure
actuelle.
C'est donc par une coopération étroite des pays membres de l'Union européenne
que nous pourrons éviter que ne se reproduisent des drames tels que celui que
nous avons connu. Si nous pouvons nous rassembler et faire des propositions
lorsque la France présidera l'Union européenne au printemps prochain, nous
ferons alors oeuvre utile.
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants,
ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Lefebvre.
M. Pierre Lefebvre.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
comme l'indique son exposé des motifs, ce sujet est le premier du genre en ce
sens qu'il compile une série de textes communautaires non encore retranscrits
dans notre droit et qui n'ont aucun rapport direct entre eux.
Aussi, avant d'en venir plus précisément au contenu des différentes
dispositions proposées, je souhaiterais exprimer brièvement quelques réserves
sur la forme puisque, semble-t-il, les projets de loi de ce type sont amenés à
se multiplier très prochainement. Après le DDOEF et le DMOS, voici donc venu le
temps des « DDAC » !
En premier lieu, la haute technité de ce texte - quatre codes et cinq lois
sont modifiés - ainsi que la diversité des sujets abordés - le maritime, le
routier, l'aérien, le fluvial - tendent à faire oublier quelque peu les
véritables enjeux de chacun de ces secteurs, qui méritent les uns après les
autres un débat portant sur l'avenir, sur la place, sur le type de
développement des transports que nous souhaitons pour notre pays.
En second lieu, les directives et règlements dont ce projet de loi organise la
transposition ont été adoptés en d'autres temps et devaient être intégrés dans
notre droit avant le 1er janvier 2000 pour les plus récents. Ainsi ce texte
fait figure de « voiture balai législative », regroupant plusieurs textes
européens en souffrance que le Parlement est chargé d'adopter en urgence pour
éviter une condamnation de notre pays.
Enfin, je l'ai dit, pour l'essentiel des dispositions à examiner, la
réglementation européenne s'applique d'ores et déjà et, en quelque sorte, la
représentation nationale a pour seule fonction, en la matière, d'adapter la
législation sans être en mesure de discuter, voire de contester le fond.
Cela révèle, une fois de plus, le peu d'influence qu'exerce le Parlement
français sur les choix européens, les résolutions ayant tout au plus pour
fonction de conforter, le cas échéant, le Gouvernement dans ses démarches et
son action au sein de l'Union européenne.
Certes, monsieur le secrétaire d'Etat, je comprends la position qui est celle
de M. Gayssot en présentant par ce texte des directives négociées et votées par
ses prédécesseurs et qu'il lui revient - tâche ingrate - de transposer.
Pour autant, et malgré le caractère libéral de la réglementation européenne
dans le domaine des transports, il faut reconnaître que ce projet de loi
traduit le souci du Gouvernement de concertation avec les professionnels et de
précaution contre les effets néfastes de la concurrence.
Dans le même temps, vous le comprenez, il nous est difficile de ressentir de
l'enthousiasme devant un projet de loi qui s'inspire, de fait, d'une
réglementation dont nous rejetons les finalités et la logique.
Cette logique est particulièrement apparente dans les titres I et IV du projet
de loi, qui concernent les transports maritimes et fluviaux.
S'agissant tout d'abord du domaine maritime, la suppression du monopole
conféré jusqu'à maintenant à la profession des courtiers interprètes et
conducteurs de navires n'est pas sans susciter quelques interrogations, tant
sur la survie des cabinets de courtage que sur les emplois liés à leur
activité.
En effet, la fin de ce privilège ne peut que fragiliser et menacer les
opérations commerciales d'ores et déjà effectuées par les courtiers mais dont
la viabilité reposait jusqu'à présent en grande partie sur les activités de
nature administrative.
Certes, le présent projet de loi prévoit un mécanisme d'indemnisation devant
faciliter la transition de cette profession. Toutefois, comme pour les
commissaires-priseurs - le dispositif proposé est largement inspiré de celui
qui leur est applicable - le risque existe de voir une profession aux
dimensions limitées et fortement localisées être rapidement soumise à des
opérations peu amicales de la part de cabinets anglais ou néerlandais, par
exemple, avec les conséquences que l'on peut imaginer sur les emplois dans nos
régions portuaires.
Malgré la forte implantation locale des cabinets de courtage, il est à
craindre en effet que la période de transition qui leur sera nécessaire ne soit
insuffisante pour surmonter une concurrence dont les conditions sont par trop
inégales au niveau européen.
Les mêmes questions se posent s'agissant de l'avenir des navires de commerce
confrontés à la libéralisation du cabotage, compte tenu de la faiblesse de
notre flotte en unités comme en capacité de transport, qui a connu un déclin
continu depuis près de trente ans.
C'est, à l'évidence, l'avenir de la flotte de commerce française qui est en
jeu et, notamment, celui des petites unités.
S'il faut espérer par ailleurs un surcroît d'activités pour les ports de
commerce de la métropole et des territoires d'outre-mer, encore faut-il prévoir
les conditions d'une réelle capacité d'accueil à l'intérieur de ces ports et
s'assurer de leur bonne insertion dans le territoire avec les liaisons
routières et ferroviaires. A défaut, les ports d'importance secondaire n'auront
rien à gagner, bien au contraire, à cette libéralisation qui aurait pour effet
de détourner le trafic côtier vers les ports de dimension européenne et
internationale, ou de voir les donneurs d'ordre privilégier d'autres modes de
transport, tels que le mode routier et autoroutier.
Enfin, conformément au droit communautaire, l'article 219 du code des douanes
est modifié afin d'élargir les conditions de francisation des navires aux
armateurs européens.
Si chacun d'entre nous peut souhaiter une expansion du pavillon national, il
est à redouter, dans le même temps, que le
dumping
fiscal et social
auquel se livrent les Etats membres soit aggravé, les armateurs étant incités à
rechercher le pavillon le plus avantageux.
A l'heure où chacun se dit prêt à lutter contre les pavillons de complaisance,
encore faut-il ne pas suivre cette pente en Europe même, où les régimes fiscaux
évoluent de plus en plus vite, sans pour autant tendre vers une harmonisation
souhaitable et une égalisation des conditions d'immatriculation des navires.
Il est à noter - il faut s'en réjouir - que le texte conditionne l'octoi du
pavillon à l'existence d'un lien économique entre le navire et un établissement
stable implanté sur le territoire français. Cette précaution supplémentaire
était indispensable pour garantir la stabilité de notre flotte ; je pense en
particulier, ici, aux pêcheurs, qui ont déjà été durement frappés par la
concurrence et par la succession des plans communautaires.
Le transport fluvial est un autre volet du projet de loi visé par la directive
du 19 novembre 1996 prévoyant la liberté de contracter entre transporteurs et
chargeurs sur la base de prix librement négociés.
Du reste, la loi de 1994 s'inscrivait déjà dans la perspective de la
libéralisation de ce secteur, rendue effective depuis le 1er janvier
dernier.
On ne peut que partager l'inquiétude qui se manifeste dans la batellerie
artisanale, tant l'existence du « tour de rôle » constitua une véritable
institution, antérieure d'ailleurs à la loi de 1941, qui l'a, en quelque
sorte,officialisée.
A l'heure où les dépôts de bilan se multiplient et où les bateliers
connaissent les plus grandes difficultés, contraints de se reconvertir ou de
partir en retraite anticipée, l'arrivée sur le marché de nouveaux concurrents
amènera inévitablement la profession à se réorganiser pour être compétitive.
Aussi, certains craignent à juste titre que la libéralisation ne signe la mort
de la batellerie artisanale en France.
Je sais, monsieur le secrétaire d'Etat, que le texte qui nous est soumis
aujourd'hui a fait l'objet sur ce point d'une longue concertation, en amont,
avec l'ensemble des professionnels.
Cependant, le retard accumulé par la France depuis plusieurs années dans ce
secteur ne place-t-il pas notre pays en situation de subir les prix et les
conditions du marché imposés par les batelleries belge, hollandaise ou
allemande ?
Certes, depuis deux ans, les efforts consentis en faveur du soutien à la
batellerie ou pour l'entretien et l'aménagement des canaux sont importants,
mais ils sont, hélas ! encore bien insuffisants pour mettre notre pays sur un
pied d'égalité avec ses voisins.
De même, si le trafic fluvial a sensiblement augmenté depuis 1997, il ne
représente cependant qu'à peine 3 % du transport de marchandises, alors que ce
mode est peu coûteux et est écologique, de surcroît.
Faute de temps, je n'évoquerai pas les différents aspects de ce texte
concernant les transports aériens et routiers, qui ne donnent pas lieu
d'ailleurs à de grands bouleversements.
En conclusion, je dirai que ce texte porte la marque libérale de directives
dont nous contestons la pertinence, mais qu'il est assorti toutefois de
dispositions de nature à en limiter les inconvénients.
(Applaudissements sur
les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Fatous.
M. Léon Fatous.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
comme nous le savons tous aujourd'hui, nous avons à adapter notre législation
en matière de transports aux directives européennes, et ce, bien entendu, avant
que notre pays n'assume la présidence de l'Union européenne.
Ainsi, les différents modes de transport sont concernés ; je m'attacherai,
pour ma part, à n'évoquer que les services de transport routier non urbain de
personnes, et le transport de marchandises par voie navigable.
Premièrement, s'agissant du service de transport routier non urbain de
personnes, la difficulté rencontrée concernait notamment l'article 29 de la loi
d'orientation des transports intérieurs. Cet article oblige les voyagistes à
obtenir l'autorisation du préfet du département où l'entreprise était inscrite
pour tout déplacement de personnes au plan national.
Le règlement communautaire autorise dans son article 3 le cabotage pour les
services occasionnels, et il énumère, dans son article 4, les dispositions
nationales qui peuvent s'appliquer à ces services, mais il ne prévoit pas de
les soumettre à autorisation.
C'est pourquoi l'article 15 du projet de loi supprime la procédure
d'autorisation pour les services occasionnels. Cela simplifiera une nouvelle
fois la tâche des transporteurs, et il faut s'en réjouir.
Par ailleurs, l'article 15 étend les dispositions relatives aux services
privés définis par l'article 29 de la LOTI, la loi d'orientation des transports
intérieurs, à la région d'Ile-de-France. C'est la fin d'un protectionnisme
franco-français, ce qui permettra une concurrence plus ouverte.
Deuxièmement, concernant l'affrètement et, plus particulièrement, la formation
du prix en matière de transports de marchandises par voie navigable, on peut
ajouter, avant même d'entrer dans le débat, que ces mesures répondent à la fois
aux attentes et aux craintes des bateliers français. Nous savons d'ailleurs que
certaines mesures sont déjà entrées en application.
Quelles sont les modifications concrètes ?
D'un système organisé et réglementé dit de « tour de rôle » dans lequel les
demandes de marchandises sont réparties au sein de bourses d'affrètement avec
des prix préalablement fixés, on passe, avec la directive européenne, à un
système de libre conclusion des contrats d'affrètement et de formation des
prix.
Bien que cette directive de 1996 ait été applicable en janvier 1997, elle
avait néanmoins prévu une période transitoire jusqu'au 1er janvier 2000
permettant le maintien du tour de rôle et un régime de tarifs minimaux.
L'application de cette directive nécessite donc de revoir les dispositions
régissant les règles commerciales.
Je note avec satisfaction que le Gouvernement a déjà pris plusieurs mesures,
notamment au travers du contrat de modernisation du transport fluvial, pour
permettre à la batellerie française de faire face à l'ouverture du marché dans
de bonnes conditions.
Par ailleurs, et je vous en félicite, monsieur le secrétaire d'Etat, la
politique de rééquilibrage en faveur des modes de transports alternatifs à la
route a permis une progression du trafic fluvial de 10 %, montrant ainsi aux
professionnels de la batellerie une volonté de les accompagner.
Ainsi, l'article 16 du projet de loi instaure un régime de liberté
d'affrètement et de formation des prix du transport fluvial de marchandises.
Cet article réécrit les dispositions relatives aux contrats de transport de
marchandises. Il prévoit la libre conclusion des contrats entre les parties et
la classification des contrats selon trois types : le contrat à temps, le
contrat au tonnage et le contrat de voyage. Il prévoit également la liberté de
sous-traiter et le recours au contrat type.
Vous n'avez cependant pas sous-estimé le risque de voir naître des
difficultés, et vous avez prévu, à l'article 17, un certain nombre de sanctions
pénales applicables aux transporteurs, aux auxiliaires de transport et aux
loueurs de bateaux en cas de prix anormalement bas. Cette disposition n'est pas
prévue par la directive européenne.
Pouvez-vous nous indiquer, monsieur le secrétaire d'Etat, si elle a reçu
l'aval de la Commission ? Je crois qu'elle viendra utilement compléter le
dispositif de sauvegarde proposé par la directive en cas de perturbation grave
du marché.
L'article définit - c'est une bonne chose - les charges qui doivent être
couvertes, ne permettant ainsi aucune tergiversation aux contrevenants.
L'ensemble de ces mesures était attendu par les bateliers français afin de
dissuader tout
dumping
social et économique. Nous savons qu'ils en sont
satisfaits.
Monsieur le secrétaire d'Etat, je profiterai de cette intervention pour vous
parler de deux problèmes liés à des questions touchant la région Nord -
Pas-de-Calais.
D'abord, s'agissant de la plate-forme multimodale de Dourges, baptisée « Delta
3 » depuis quelques jours, le dossier est bien avancé et la première pierre
devrait être posée dans le courant de l'année 2000. C'est un vaste et important
projet de développement qui ne peut avoir des chances de réussir que si la
question du canal Seine-Nord est traitée.
La réalisation de ce canal de grand gabarit, de même que la modernisation du
canal de la Deule sont très attendues par les élus, à commencer par le
président de la région, maire de Dunkerque et président de la communauté
urbaine de Dunkerque, qui y voit l'affirmation du rôle du port autonome de
Dunkerque.
Ce sont là, je sais, des projets d'investissement importants, mais ils
répondent à notre objectif de régulariser les différents modes de transport en
favorisant le transport ferré et le transport fluvial.
Il me serait agréable, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous puissiez nous
dire, sinon aujourd'hui, du moins dans une autre circonstance, où vous en êtes
dans vos réflexions. Cela dit, le groupe socialiste vous suivra, bien sûr, sur
ces deux dossiers.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Godard.
M. Serge Godard.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
c'est la première fois que nous sommes amenés à discuter et à réfléchir sur
diverses dispositions à prendre en matière de transport à travers une loi
unique visant à adapter notre législation au droit communautaire.
Le terme « adaptation » pourrait laisser croire qu'il s'agit de simples
aménagements techniques, d'une sorte de toilettage des textes. En réalité, nous
devons nous interroger bien au-delà de ces considérations banales et avoir à
l'esprit non seulement pour ce qui nous concerne aujourd'hui, mais aussi pour
les autres lois d'adaptation qui suivront, la nécessité de prendre en compte un
certain nombre de spécificités liées soit à nos pratiques, soit à des
structures professionnelles, soit, aussi, à la nécessité de protéger notre
environnement.
Ainsi, pour ce qui concerne l'affrètement maritime en particulier, nous
devrons faire preuve d'une vigilance particulière. Notre pays développe en
effet une longueur exceptionnelle de côtes sur la façade atlantique et le long
de la Manche et nous ne pouvons admettre que des équipages de rencontre, armant
des bâtiments devenus dangereux, continuent à faire courir des risques
écologiques inadmissibles, à l'insu des affréteurs ou, parfois, avec leur
tacite complicité.
Pour ce qui concerne l'aéronautique civile, les dispositions nouvelles mises
en avant dans ce projet de loi résultent d'une volonté de la Conférence
européenne de l'aviation civile qui a fait élaborer par le
Joint Aviation
Authority,
cet organisme associé, des règles propres à améliorer la
sécurité et l'exploitation des aéronefs.
Faut-il ajouter que ces règles permettront enfin une cohérence dans la
formation, la qualification et le contrôle des équipages européens d'aéronefs
?
De plus, nous pourrons bénéficier dans notre pays d'avancées notables et d'une
plus grande clarté quant aux notions de brevets et de licences. En fait, la
distinction entre ces deux dernières entités est pratiquement abolie, ce qui
est une bonne chose, puisque la licence devient permanente, seules les
qualifications seront soumises à renouvellement.
En outre, si la distinction entre pilotes privés et pilotes professionnels est
parfaitement respectée, les uns et les autres peuvent être titulaires des mêmes
qualifications. Ainsi, la qualification de vol aux instruments, dite IFR, peut
être reconnue aux pilotes privés. Cette avancée est importante.
Ces dispositions permettent aussi aux centres de formation aéronautique et aux
écoles de pilotage que sont la plupart des aéroclubs français de continuer
leurs missions. Il est en effet indispensable que cette adaptation au droit
communautaire ne se fasse pas au détriment de la formation et du maintien à
niveau des nombreux pratiquants du sport aérien et, du même coup, au détriment
de l'activité des clubs aéronautiques. Beaucoup de ces clubs représentent une
activité économique non négligeable, ne serait-ce que par les emplois de
moniteurs ou de mécaniciens qui sont nécessaires à leur fonctinnement. Ce sont
aussi - faut-il le rappeler ? - des centres de formation pour nombre de jeunes
pilotes dont quelques-uns deviendront des professionnels.
Pour leur part, les écoles privées pourront mettre à profit ces nouvelles
dispositions pour remonter leur niveau de qualité, en particulier au travers du
dispositif assurance-qualité.
En outre, à la faveur de l'adoption de ces nouvelles règles, les distinctions
entre centres d'expertise disparaissent, tandis que les agréments qui avaient
été donnés à des médecins spécialisés ne sont pas remis en cause. Ainsi, encore
une fois, les adeptes du sport aérien que sont essentiellement les pilotes
d'aéro-club continueront à bénéficier d'un système simple et peu coûteux de
contrôle médical.
De façon générale, il est par ailleurs prévu de faire appel des décisions
médicales devant le conseil médical de l'aéronautique civile. C'est également
une excellente disposition.
Ce projet de loi ne se contente donc pas d'adapter des directives de droit
européen, il permet aussi de mieux définir une formation de qualité et de
maintenir la sécurité au niveau le plus élevé.
Ce texte devrait enfin permettre une reconnaissance mutuelle des licences
entre les Etats de l'Union européenne, ce qui devrait clarifier et sans doute
donner plus de réalisme à la définition des normes européennes en face des
licences ou brevets acquis outre-Atlantique et dont la reconnaissance en Europe
posait souvent de nombreux problèmes à leurs titulaires.
En termes économiques par ailleurs, l'application de ce projet de loi
entraînera la création de postes de pilotes inspecteurs, et, comme je l'ai déjà
dit, cela ne destructurera pas les milieux associatifs de l'aéronautique ; au
contraire, cela devrait les conforter dans leurs missions, tout en donnant aux
professionnels les moyens de rehausser les niveaux de formation donc, au final,
d'améliorer la sécurité.
On le voit, avec ce projet de loi, il s'agit de prendre des décisions qui,
même si elles présentent une certaine urgence, vont tout à la fois harmoniser
les dispositions existantes à travers l'Europe dans l'ensemble des domaines des
transports et, à n'en pas douter, en particulier pour ce qui est du transport
aérien, améliorer la formation des personnels navigants. Plus généralement, ce
texte traduit une importante avancée de l'organisation de l'ensemble des
transports en Europe. C'est la raison pour laquelle le groupe auquel
j'appartiens le soutiendra, monsieur le secrétaire d'Etat.
(Applaudissements
sur les travées socialistes.)
M le président.
La parole est à Mme Boyer.
Mme Yolande Boyer.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le
Gouvernement a souhaité, dans un texte unique, transposer dans notre droit des
directives européennes, ce qui est une première pour notre assemblée. Il
manifeste ainsi la volonté d'accélérer le processus législatif afin de préparer
la présidence française de l'Union européenne. Nous comprenons sa volonté et
nous le soutiendrons.
Ce texte regroupe les trois modes de transport : aérien, terrestre et
maritime. Mon intervention portera toutefois sur les transports maritimes et,
plus précisément, sur deux aspects du texte : les dispositions relatives aux
courtiers et la francisation des navires.
Enfin, en raison de l'actualité, je tiens à parler à nouveau du drame que nous
vivons dans ma région, la Bretagne, depuis le 12 décembre dernier, jour du
naufrage du pétrolier
Erika.
La mise en conformité de la réglementation française avec le droit
communautaire va mettre un terme au privilège séculaire des charges de
courtiers interprètes et conducteurs de navires que l'on nomme également
courtiers maritimes.
Cette profession, instituée par Colbert en 1657 - vous l'avez rappelé,
monsieur le secrétaire d'Etat - va faire l'objet de mesures d'indemnisations
substantielles du fait de l'abolition de l'exclusivité qu'elle détient
jusqu'ici en matière de transport maritime.
Il me paraît en outre important de souligner que ces nouvelles dispositions ne
portent pas atteinte à la partie commerciale de l'activité, qui pourra
continuer à s'exercer lilbrement.
Le projet de loi, les amendements et les réflexions résultant du travail de la
commission des affaires économiques et du Plan permettent d'affirmer que le
préjudice subi par la profession sera réellement pris en compte. Toutefois, il
serait dommageable de s'en tenir là et d'éluder le volet social de ce dossier
concernant le personnel salarié des offices des courtiers interprètes et
conducteurs interprètes et conducteurs de navires.
On compte aujourd'hui 80 courtiers maritimes en France et l'on peut estimer à
environ 200 le nombre de salariés qui peuvent être directement affectés par les
mesures de suppression du privilège accordé à cette profession. J'ai rencontré
certains d'entre eux, ils sont inquiets sur leur avenir professionnel.
J'insiste donc sur la nécessité d'associer à cette réforme des dispositions
sociales satisfaisantes en cas de licenciements des salariés.
Au chapitre II du titre Ier relatif aux transports maritimes et activités
nautiques, il est question des dispositions relatives à la francisation des
navires. L'on se réjouira de la volonté clairement affirmée dans le projet de
loi de mettre en conformité notre législation avec les dispositions de certains
articles du traité de Rome : libre circulation des travailleurs, libre
établissement et égalité de traitement à l'égard des ressortissants des Etats
membres de l'Union européenne.
Je noterai particulièrement l'introduction de conditions supplémentaires
nécessaires pour l'entrée en flotte de navires de pêche.
L'existence d'un lien économique réel entre ces bâtiments et la France doit
faire l'objet de toutes les attentions afin d'éviter toute fragilisation
supplémentaire d'un secteur déjà trop souvent malmené, dans un souci notamment
de préservation de la ressource en évitant toute captation de quota.
J'en arrive au dramatique accident de l'
Erika,
qui souligne bien la
pertinence de l'échelle européenne dans de telles situations.
Certes, bon nombre de textes existent déjà et des progrès ont été réalisés, je
pense en particulier au mémoradum de Paris mis en place en 1982 par Louis Le
Pensec, ministre de la mer. Mais à cela doivent s'ajouter la volonté et les
moyens d'imposer ces règles.
Mme Loyola de Palacio, commissaire européenne en charge de ces dossiers, ainsi
que la Commission semblent sensibilisés et souhaitent une évolution quant à la
sécurité des navires et à la lutte contre les pavillons de complaisance.
Les députés européens du groupe socialiste, par la voix de Bernard Poignant,
ont fait des propositions. Nous souhaitons qu'elles soient reprises
fermement.
Dans notre mémoire collective de Bretons, l'
Erika
est un nom de plus
qui s'ajoute à la dramatique liste :
Tanio, Bolen, Amoco Cadiz...
Ce
sont des noms synonymes de catastrophe pour la vie économique, pour l'écologie,
pour les paysages et, finalement, pour la vie de toute une région.
Dans cette catastrophe, nous ne devons pas oublier que des hommes ont été
sauvés par d'autres hommes courageux. On ne l'a pas nécessairement assez
souligné. Nous ne devons cependant pas nous contenter de dénoncer, d'être
excédés, d'en avoir « ras-le-bol ».
Il est essentiel que la part du budget de l'Etat consacrée à la protection de
nos côtes et à la sauvegarde des vies humaines ne s'affaiblisse pas. La France
doit maintenir les moyens civils et militaires destinés à la protection de ses
marins et des marins qui transitent au large de nos côtes.
Il faut continuer à faire progresser la législation dans le domaine de la
sécurité maritime de l'Union européenne, même si nous devons toujours garder en
mémoire que la cause réelle de cette nouvelle catastrophe est bien le
libéralisme effréné et les recherches de profits, au mépris de tout le
reste.
Ainsi, nous vous proposons de défendre au niveau communautaire et au sein de
l'Organisation maritime internationale les mesures suivantes : le renforcement
des contrôles sur les navires à risques et sur les sociétés de classification ;
l'interdiction de l'accès au port des navires sans double coque, tout en
modifiant la réglementation sur l'âge des bateaux qui transitent dans nos eaux
; une harmonisation des sanctions entre les divers Etats membres ; des
exigences plus grandes par rapport aux pavillons de complaisance ; une plus
grande responsabilisation des propriétaires de cargaison, en appliquant le
principe pollueur-payeur ; la mise en place d'une base de données permettant à
chacun une meilleure information sur les navires qui circulent ; enfin, et cela
est extrêmement important, une meilleure formation des marins.
Monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez longuement développé les propositions
dans ce domaine au début de votre intervention. Nous comptons donc sur la
détermination du Gouvernement français afin que nous puissions dire : « Plus
jamais ça ! », même si nous savons que le risque zéro n'existe pas.
(Applaudissements sur les travées socialistes).
M. le président.
La parole est à Mme Dieulangard.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
nous sommes amenés aujourd'hui à compléter notre législation afin d'y intégrer
des directives élaborées dans le cadre de l'Union européenne, puisque les
transports entrent désormais dans le champ d'une politique commune.
A l'heure où plus de 400 kilomètres de notre littoral sont pollués par le
naufrage de l'
Erika,
vous comprendrez que l'élue de la Loire-Atlantique
que je suis revienne sur les dispositions relatives au contrôle et à la
poursuite des infractions en matière de réglementation portant sur les
équipements de sécurité et de prévention de la pollution.
Ces aménagements permettant l'extension du contrôle au marquage européen de
conformité sont, certes, relativement modestes, mais ils participent à
l'édification d'une politique européenne de sécurité maritime, ainsi que l'ont
souhaité les Etats européens, en faisant, par le traité de Maastricht, un
nouveau champ d'intervention de l'Union européenne.
En effet, bien que l'Organisation internationale du travail et, surtout,
l'Organisation maritime internationale demeurent des niveaux pertinents
d'élaboration de conventions internationales, ces organisations comportent des
failles liées à l'absence de pouvoirs de police.
D'ailleurs, le mémorandum de Paris, dont notre collègue Louis Le Pensec a pris
l'initiative, permet depuis 1982 d'organiser les contrôles par l'Etat du port
dans la zone « Europe » et contribue à résoudre un certain nombre de problèmes,
ce qui va dans le sens de l'efficacité.
Mes chers collègues, les naufrages de navires transportant des produits
dangereux sont tragiquement synonymes de catastrophes : catastrophes
écologiques, économiques et sociales.
Ils sont, pour la communauté internationale, des électrochocs et doivent nous
inciter à combattre les dérives auxquelles ont mené les dérégulations
successives en matière d'organisation du trafic, de fiabilité des navires, de
respect des normes sociales élémentaires en direction des équipages.
Déjà le naufrage de l'
Amoco Cadiz
avait conduit les autorités à édifier
le rail d'Ouessant.
Aujourd'hui, le cas de l'
Erika
est malheureusement emblématique. Le
navire a près de vingt-cinq ans, il est immatriculé sous un pavillon de
complaisance, celui de Malte, dont on sait qu'il représente plus de 19 % des
accidents. L'armateur, après avoir été rappelé à l'ordre à l'occasion de
visites de contrôle, a pu changer de société de certification, ce qui confirme
le bien-fondé des suspicions qui planent sur l'absence de transparence et de
fiabilité de certaines de ces sociétés.
D'ailleurs, les professionnels de la construction navale jugent que seules
quatre ou cinq sociétés dans le monde sont véritablement fiables, ce qui
explique qu'aujourd'hui l'on estime que 40 % des bateaux qui continuent à
naviguer sont sous-normes !
Tous ces éléments démontrent que le naufrage de l'
Erika
n'était pas une
fatalité.
M. Jean-François Le Grand,
rapporteur.
Absolument !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
Un consensus semble se dégager entre les autorités publiques et les
professionnels du transport maritime autour des priorités qu'il convient de
traiter à l'échelle de l'Union européenne, car elle apparaît comme le meilleur
niveau d'intervention, puisqu'elle peut mettre en oeuvre des instruments
juridiques contraignants.
Le Gouvernement place ce projet au coeur du programme de la présidence
française ; la Commission a également annoncé qu'elle allait compléter ses
propositions.
Ces initiatives porteraient sur le contrôle des navires.
Cela passe par la fixation d'une limite d'âge, qui pourrait être de quinze ou
vingt ans. Monsieur le secrétaire d'Etat, il conviendra alors de « balayer
devant notre porte », puisque, sur la quinzaine de pétroliers qui naviguent
sous pavillon français, la plupart dépassent cette limite d'âge.
Le Gouvernement souhaite par ailleurs étendre notre capacité d'intervention
dans la zone économique exclusive, c'est-à-dire 200 milles, voire interdire le
cas échéant l'accès de navires dangereux à nos eaux et nos ports.
En France, les pouvoirs de police sont assurés par des contrôleurs des
affaires maritimes, dont M. Gayssot a annoncé le doublement des effectifs.
Mais certains s'interrogent sur l'opportunité de créer un corps de garde-côtes
européen à l'image de ce qui existe aux Etats-Unis.
En ce qui concerne les sociétés de certification, soumises à agrément depuis
une directive européenne de 1994, il convient, à l'aune de ce qui s'est passé
pour la certification de l'
Erika
, d'assurer une plus grande transparence
des registres de ces sociétés tenus secrets jusqu'à présent.
L'amélioration de la sécurité des navires passe également par des mesures
volontaristes en matière de politique industrielle. L'OMI avait posé la règle
de la double coque pour le transport des hydrocarbures, mais les délais
octroyés aux flottes permettent à des bateaux défaillants de naviguer
encore.
Des innovations techniques ont été imaginées et proposées dans nos chantiers
de construction navale. Je pense en particulier au projet de
tanker
3E -
économique, écologique, européen - qui fut abandonné dès lors que les armateurs
et affréteurs savaient pouvoir utiliser des navires construits selon des normes
moins exigeantes.
Sur un autre plan, le Gouvernement entend que soit réformé le régime de
responsabilités, afin d'associer à la responsabilité des armateurs celle des
affréteurs. En effet, il est normal que ceux-ci supportent les conséquences
juridiques et financières de leurs choix hasardeux. Ainsi, pour l'
Erika
,
le FIPOL interviendra à hauteur de 1,2 milliard de francs, alors que l'on
estime actuellement le montant de la facture à 2 milliards de francs déjà.
Je souhaite également attirer votre attention, monsieur le secrétaire d'Etat,
sur la nécessité d'aggraver les pénalités financières sanctionnant les
dégazages au large de nos côtes.
M. Jean-François Le Grand,
rapporteur.
Très bien !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
Il s'agit là d'une délinquance régulière,...
M. Jean-François Le Grand,
rapporteur.
Absolument !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
... moins spectaculaire certes, mais qui atteste du degré de cynisme de ceux
qui se livrent à de telles pratiques.
M. Jean-François Le Grand,
rapporteur.
Vous avez parfaitement raison !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
Je conclurai mon intervention en soulevant quelques questions qu'il conviendra
également d'intégrer à nos réflexions. J'espère que, à l'occasion de la
présidence française de l'Union européenne, les Etats membres seront en mesure
de proposer un dispositif permettant de résoudre rapidement les difficultés
inextricables que rencontrent les marins d'origine étrangère dont les navires
sont bloqués dans les ports européens et qui sont obligés de rester à bord sans
percevoir de salaires, subsistant grâce à la solidarité des associations et des
collectivités locales.
Enfin, je pense qu'il serait urgent, monsieur le secrétaire d'Etat, de trouver
des solutions juridiques à la question du droit social applicable aux marins
embarqués sur les navires inscrits au registre des terres Australes et
Antarctiques françaises.
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat.
Monsieur le président, je m'exprimerai succinctement,
car M. Jean-Claude Gayssot sera disponible à seize heures et fera donc précéder
la discussion des articles d'une réponse plus complète aux divers
intervenants.
Permettez-moi toutefois de souligner d'ores et déjà la qualité du rapport de
la commission des affaires économiques et de remercier tout spécialement M. le
rapporteur,...
M. Charles Revet.
Très bien !
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat.
... les membres de la commission et leurs
collaborateurs. En approfondissant chacun des volets de ce texte, ils ont
incontestablement contribué à enrichir le projet.
La discussion des articles et des amendements qui s'y rapportent permettra,
bien évidemment, de faire écho à tel ou tel point évoqué par les intervenants.
Je pense, par exemple, à la préoccupation de Mme Heinis sur les courtiers
maritimes. L'échange sur cette question qui nous retiendra au début de la
séance de cet après-midi permettra, je l'espère, une meilleure compréhension
réciproque.
M. Jean-Claude Gayssot sera certainement très sensible aux propos de M. de
Richemont, qui a en quelque sorte salué le travail réalisé en donnant au
ministre des transports français ce label « d'euroconstructivité » auquel il
tient, comme vous le savez.
M. Lefebvre a qualifié ce texte de « voiture balai », en raison de la
disparité et de la diversité des points qui y sont abordés, mais c'est souvent
le fait des projets dits « portant diverses dispositions ». Comme cette
expression l'indique, de tels textes ne sont pas ciblés sur un seul sujet.
M. Lefebvre en a également profité pour prendre acte de la concertation
approfondie qui a eu lieu avec les professions concernées et pour se réjouir
des corrections rendues possibles par le projet pour certaines situations qui
seraient l'expression d'une dégradation face à laquelle il ne faudrait pas,
effectivement, que nous nous trouvions démunis, sans possibilité
d'intervenir.
Un peu dans le même esprit, M. Fatous s'est interrogé sur l'aval qu'aurait pu
donner ou non la Commission européenne au dispositif visant à appliquer des
sanctions en cas de prix trop faibles. On m'a indiqué que cet aval avait été
donné.
En conséquence, le travail qui vous est demandé constitue une harmonisation
entre les démarches dont le Gouvernement prend l'initiative, qu'il soumet au
Parlement, et les exigences de l'échelon européen.
M. Godard a beaucoup insisté sur la nécessité de la formation en soulignant
que le projet de loi allait au-delà d'une simple adaptation du droit
communautaire et ouvrait des perspectives de progrès. Je lui donne l'assurance
que ce sont là les intentions qui ont présidé aux travaux d'élaboration de ce
projet de loi.
Mmes Boyer et Dieulangard se sont bien évidemment fait l'écho du drame vécu
par leurs départements respectifs qui subissent de plein fouet les conséquences
du naufrage de l'
Erika.
Leur souhait de voir progresser les dispositions de prévention, de contrôle,
de formation, dans un objectif de sécurité accrue, ne peut bien évidemment
qu'être partagé par le Gouvernement. Il en est de même de leur souci de voir
pris en compte, au-delà des naufrages, les problèmes de dégazage.
Monsieur le rapporteur, vous avez opportunément évoqué, dans votre
intervention, l'important rapport que vous aviez établi en 1994 et dans lequel
étaient suggérées des mesures utiles pour accroître la sécurité dans le
transport maritime. Vous avez émis quelques regrets que des suites positives ne
soient pas toujours données aux travaux du Parlement.
J'ajouterai - sans vouloir en rien amoindrir ces propos - qu'il arrive aussi
que le Parlement approuve des mesures budgétaires allant à l'encontre des
propositions de certains rapports produits par ses membres...
Je pense ainsi au problème du contrôle réalisé dans les ports et aux effectifs
insuffisants d'inspecteurs. C'est vrai que les capacités d'interventions ont
été réduites. A ce propos, un orateur estimait tout à l'heure que l'objectif de
contrôle de 25 % des navires était insuffisant. Mais, mesdames, messieurs les
sénateurs, grâce aux efforts les plus récents, on est parvenu à un contrôle de
13 % des navires et le doublement annoncé pour deux ans devrait permettre
d'atteindre enfin le seuil de 25 % que vous considérez comme insuffisant !
Il faut avoir ces indications présentes à l'esprit pour mesurer les efforts
exigés de la collectivité publique et y affecter, bien évidemment, les moyens
correspondants dans les lois de finances.
Vous avez quasiment tous, mesdames, messieurs les sénateurs, mis en
perspective vos propositions, vos réflexions avec la prochaine présidence
européenne qu'assumera la France.
M. Jean-Claude Gayssot vous confirmera cet après-midi qu'il abordera cette
présidence avec des dossiers solides, des propositions bien étudiées et qu'il
mettra la détermination que vous lui connaissez à essayer d'emporter le plus
possible l'adhésion de ses collègues ministres des transports de l'Union
européenne.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les
reprendrons à seize heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à onze heures cinquante, est reprise à seize heures
cinq, sous la présidence de M. Jean Faure.)