Séance du 20 décembre 1999
LOI DE FINANCES RECTIFICATIVE
POUR 1999
Adoption d'un projet de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi de finances
rectificative pour 1999 (n° 127, 1999-2000) adopté par l'Assemblée nationale.
[Rapport n° 144 (1999-2000).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini,
rapporteur général de la commission des finances, du contrôle budgétaire et
des comptes économiques de la nation.
Avant de vous livrer les quelques
considérations qui me semblent devoir être versées au débat, je souhaiterais,
monsieur le ministre, en réponse à l'un des propos que vous avez tenus tout à
l'heure, vous dire qu'après vérification nous avons observé que l'article 63
quindecies
avait été voté conforme par l'Assemblée nationale.
Notre hésitation était possible puisque nous avions reçu le compte rendu
analytique de l'Assemblée nationale qui faisait état du rejet de l'article,
puis ce que l'on appelle en jargon parlementaire la « petite loi », qui
indiquait le vote conforme. L'hésitation s'explique donc, mais les services de
l'Assemblée nationale nous ont confirmé ce vote.
Dont acte au Gouvernement, et surtout dont acte à la majorité sénatoriale, qui
a permis qu'une vieille injustice soit enfin réparée.
En ce qui concerne le projet de loi de finances rectificative pour 1999, je
veux tout d'abord rappeler qu'un tel exercice a toujours deux objectifs : d'un
côté, faire le point sur l'exécution de l'année en cours et, de l'autre,
affirmer, modifier ou confirmer les choix de politique budgétaire en fonction
de l'évolution de la conjoncture.
L'analyse de ce texte que nous avons fait au sein de la commission des
finances nous conduit à penser qu'aucun de ces deux objectifs n'est réellement
atteint.
De même que pour la loi de finances initiale pour 2000, dont nous venons de
considérer qu'il n'y avait plus lieu de délibérer, le présent collectif
budgétaire nous paraît être le reflet d'un non-choix tout à fait préoccupant,
d'une non-volonté de tirer profit, comme on pourrait le faire, des fruits de la
croissance, pour tenter d'abaisser les prélèvements obligatoires, pour faire
reculer, plus vite que cela n'est prévu par le Gouvernement, l'endettement et
le déficit public.
Ce non-choix et cette non-volonté nous semblent révélateurs d'un comportement
qui sans cesse retarde les réformes indispensables pour adapter l'Etat, pour
préparer les régimes de retraite aux chocs inévitables qu'ils vont subir et
pour créer une dynamique nouvelle des services publics.
Il est tout à fait révélateur, monsieur le ministre, que plus des deux tiers
des recettes supplémentaires que vous avouez dans ce collectif, soient
affectées à des dépenses et non à un effort supplémentaire de réduction du
déficit budgétaire.
Monsieur le ministre, vous vous attendiez sans doute à ce que l'on évoque à
nouveau les plus-values de recettes fiscales, à ce que l'on parle de la «
cagnotte » fiscale.
Les estimations de la commission des finances, fondées à présent sur les
chiffres comptables au 31 octobre dernier, valident l'estimation d'une recette
nette supplémentaire située entre 30 milliards et 40 milliards de francs. Dans
le rapport écrit, vous trouverez, mes chers collègues, toutes les
considérations arithmétiques qui nous permettent de valider cette estimation et
ce jugement.
Or nous pensons que la loi de finances rectificative est la bonne occasion,
avant la fin de l'exercice budgétaire, pour voir la réalité en face et pour
accepter l'évidence. C'est la raison pour laquelle, mes chers collègues, nous
allons proposer, au nom de la sincérité budgétaire, une réévaluation des
recettes de l'Etat de 20 milliards de francs.
Cela étant, j'espère que nous trouverons, dans cette démarche, des soutiens
au-delà même des rangs de majorité sénatoriale car, si l'un de nos collègues du
groupe socialiste, lors du débat sur le projet de loi de finances, a lancé
cette interjection, qui restera certainement dans les annales, « à bas la
cagnotte ! », il n'en reste pas moins que l'une de nos collègues de la majorité
plurielle a déposé un amendement visant à une réévaluation, non pas de 20
milliards de francs, mais de 5 milliards de francs, ce qui, à mon avis, est
insuffisant mais mérite d'être salué. Je pense que notre collègue Mme
Marie-Claude Beaudeau pourrait dire : « La cagnotte existe, je l'ai rencontrée.
»
(Sourires.)
Mais, au-delà, il y aurait lieu de débattre de son affectation. Il n'en reste
pas moins, monsieur le ministre, que le principe de sincérité budgétaire
voudrait que l'on rattache à un exercice toutes les recettes qui,
manifestement, ont été engendrées par l'activité économique de l'exercice et
que vouloir les repousser devant soi pour, au moment opportun, annoncer de
bonnes nouvelles n'est pas convenable à l'égard de l'opinion publique et de la
représentation parlementaire, et au regard des règles de droit régissant les
lois de finances.
En termes de méthode, je voudrais aussi relever la précipitation avec laquelle
nous sommes conduits à examiner ce collectif budgétaire. Nous avons terminé il
y a moins de six jours l'examen du projet de loi de finances initial pour l'an
2000, et nous siégeons demain matin en commission mixte paritaire sur le
collectif.
Ce qui aurait pu se concevoir si le texte était resté dans ses dimensions
initiales, 24 articles initiaux, est à présent beaucoup plus difficile,
puisque, sur l'initiative directe ou indirecte du Gouvernement, 29 articles
additionnels ont été votés par l'Assemblée nationale, traitant souvent de
sujets de fond techniquement complexes et auxquels il faut réserver tout
l'examen en profondeur qu'ils méritent.
M. Christian Sautter,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Oh !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
... n'est pas une bonne méthode et n'est pas
conforme...
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes
économiques de la nation.
Eh oui !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
... à la conception que l'on se fait de la loi.
Nous le disons chaque année et, cette année, mon collègue rapporteur général
de l'Assemblée nationale, M. Didier Migaud, soutient, me semble-t-il, le même
point de vue lorsqu'il affirme : « Le temps n'épargne guère ce qui se fait sans
lui ».
M. Christian Sautter,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Belle formule
!
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
C'est en effet une belle formule à laquelle je rends
volontiers hommage.
Lorsque l'on voit que des dispositions très substantielles, issues parfois à
bon escient des bureaux de l'administration, viennent ainsi nourrir en
amendements une loi de finances rectificative sans avoir fait l'objet peut-être
de toutes les concertations nécessaires, je m'interroge sur le cheminement de
la machine administrative, voire gouvernementale.
Comme vous le savez, monsieur le ministre, le Conseil constitutionnel, dans
une décision très récente du 16 décembre 1999, a reconnu une valeur
constitutionnelle à l'objectif consistant à rendre la loi plus accessible et
plus intelligible, de manière à en faciliter la connaissance par nos
concitoyens. Le Conseil constitutionnel exercera ses prérogatives et
appréciera. Nous verrons si ce critère lui permettra d'accepter ou de rejeter
certaines dispositions dont nous allons débattre.
J'entamerai ma brève analyse de ce collectif budgétaire, par quelques
considérations sur la croissance en 1999.
Au mois de mars dernier, on nous annonçait un « trou d'air » et une croissance
en volume pour le produit intérieur brut limitée, dans une fourchette de 2,2 %
à 2,5 %. Au mois d'octobre, les annonces étaient beaucoup plus optimistes et
c'était le retour de ce que j'appellerai le triomphalisme de DSK.
Sans doute faut-il considérer que tant la réestimation du printemps que les
considérations très optimistes de l'automne avaient un caractère très excessif.
Au demeurant, dans ses annonces, le Gouvernement a bien reconnu l'importance du
rôle de l'environnement international.
Il serait également, me semble-t-il, bien inspiré aujourd'hui de reconnaître
que cette croissance dont il se targue est due, notamment, à l'effet de parité
de change obtenu grâce à l'euro faible, qui est une bonne affaire pour nos
entreprises et ce n'était pas prévu, à commencer par le Gouvernement.
Vous vous enorgueillissez de cette croissance, monsieur le ministre, et vous
l'avez montré encore tout à l'heure à cette tribune. Mais il est clair que tant
les baisses d'activité, dont nous pensions, en début d'année, qu'elles étaient
liées aux phénomènes de crise, en particulier asiatique, que les effets de
parité de change sur l'activité, jouent et continuent à jouer un rôle tout à
fait essentiel dans la détermination du taux de croissance réel de
l'économie.
Peut-être faudrait-il aussi reconnaître - mais c'est une autre affaire - que
la bonne évolution de l'économie aujourd'hui est peut-être due pour une toute
petite partie aux politiques d'ajustement budgétaire courageuses, mais sans
doute ingrates ou mal présentées en termes de communication, menées entre 1993
et 1997.
Je vais enfin m'arrêter quelques instants sur les « non-choix » qui ont
présidé à l'élaboration de ce collectif.
Les recettes ne sont réévaluées que de 13 milliards de francs, dont 6
milliards de francs auraient déjà été distribués. Nous savons bien que ce n'est
pas le reflet de la situation, à en croire les données comptables de l'Etat.
Sur ce point, je me permets de vous renvoyer à mon rapport écrit.
Toujours dans cette optique d'absence de sincérité budgétaire des recettes,
j'ai l'impression que, au-delà des surenchères politiques ou verbales,
l'existence de la cagnotte est désormais avouée à demi-mot par mon collègue
Didier Migaud, reconnue par nos collègues du groupe communiste républicain et
citoyen. Vous l'admettez vous-même implicitement, monsieur le ministre, lorsque
vous nous donnez rendez-vous en avril prochain pour discuter de la baisse des
impôts locaux avant 2001.
M. Christian Sautter,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Eventuelle !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Vous reconnaissez par là que vous aurez, le cas
échéant, des munitions qui pourront être utilisées, faisant de cette cagnotte
ce que M. de Raincourt appelait, dans la discussion de la loi de finances, une
« machine à pomper les voix ». Croyez bien que le Sénat demeure lucide et qu'il
est dans son rôle en dénonçant les atteintes graves au principe de la sincérité
budgétaire.
Pour notre part, nous souhaitons réévaluer les recettes de 20 milliards de
francs et affecter ce surcroît de recettes pour moitié à la baisse du déficit
et pour moitié aux Français sous forme de diminution des prélèvements
obligatoires.
Bien évidemment, nous suivons une autre logique, à laquelle vous nous direz
sans doute que vous ne pouvez adhérer, et je le comprends fort bien puisqu'elle
va à l'encontre de la politique que vous menez. En effet, vous n'avouez qu'une
petite partie des recettes vraisemblables et vous en affectez 70 % à de
nouvelles dépenses sachant que la baisse du déficit est très faible puisque
celle qui est autorisée par la loi de finances rectificative n'est que de 2,4
milliards de francs alors que, l'an dernier, la loi de finances rectificative
pour 1998 avait réduit le déficit budgétaire de 3,2 milliards de francs
supplémentaires. Ainsi, alors que la conjoncture est meilleure, l'effort
diminue ! C'est assez difficile à comprendre.
Pour ce qui est des dépenses, les propositions que vous présentez suscitent un
renforcement des critiques que nous émettons depuis un certain temps. La
rigidité de la dépense publique va s'aggraver, de même que le poids des
dépenses de fonctionnement par rapport aux dépenses d'investissement. Cette loi
de finances rectificative fait d'ailleurs un certain nombre d'impasses. Ainsi,
la mesure annoncée à grand renfort de trompettes dans les médias visant à
accorder 2,7 milliards de francs en fin d'année aux chômeurs et aux personnes
défavorisées ne figure pas dans le collectif budgétaire. J'ai bien cherché.
J'ai analysé toutes les dispositions. Et j'ai été extrêmement déçu, monsieur le
ministre : je n'ai rien trouvé !
Il faudra vraisemblablement attendre la publication d'un décret d'avances en
janvier 2000 pour que devienne effectif ce qui a été annoncé en novembre ou en
décembre 1999, alors qu'existent les recettes qui auraient permis de gager une
telle dépense.
Je comprends que certains éléments de votre majorité plurielle puissent se
trouver dans une situation inconfortable face à ces jongleries difficilement
admissibles.
Il est d'ailleurs d'autres points sur lesquels nous pouvons nous poser des
questions.
Les lois de finances initiale et rectificative de 1999 demeurent régies par
des hypothèses économiques fondées sur une croissance en volume des dépenses de
1 %, ce qui correspond à une hypothèse d'inflation de 1,3 % l'an, alors qu'en
réalité ce pourcentage atteindra 0,5 %. Dès lors, monsieur le ministre, je vous
pose la question : quelle sera l'affectation de la différence, qui permettrait
de gager des dépenses significatives pour l'appareil d'Etat ? N'allez-vous pas
utiliser cette marge supplémentaire que vous donne l'évolution économique pour
accroître de façon insidieuse la dépense publique, en dehors du Parlement, en
laissant les administrations suivre le cours naturel de leurs dépenses, alors
que nous attendions de votre part beaucoup plus de rigueur ?
Lors de la présentation du projet de loi de finances initiale, vous nous aviez
promis que l'Etat reviendrait à une situation d'excédent primaire. Vous savez
que l'on dénomme solde primaire le solde des dépenses et des recettes ne
prenant pas en compte la charge de la dette. M. Strauss-Kahn avait d'ailleurs
présenté ce point comme un élément extrêmement positif. Qu'en est-il en réalité
?
La charge de la dette a diminué - ce qui est une bonne chose - de 8,2
milliards de francs - économie de constatation. De ce fait même, il se trouve
que le très léger excédent prévu s'est transformé en un déficit primaire.
Sans doute aurait-il fallu prendre des mesures correctives correspondant à la
réalité de l'évolution monétaire, c'est-à-dire au taux d'inflation réel, pour
éviter de faire une annonce d'excédent primaire et de se retrouver, finalement,
avec un déficit primaire !
Quelle peut être, mes chers collègues, l'attitude du Sénat face à un tel
projet de loi de finances rectificative ?
Au nom de la sincérité budgétaire, nous proposons de réévaluer les recettes de
20 milliards de francs, je l'ai déjà dit.
Par ailleurs, nous allons nous livrer à un examen très précis de tous les
articles fiscaux, et ils sont nombreux.
Il est des dispositions qui sont prises, comme je l'ai déjà dit, à la
hussarde, telle la réforme des fonds départementaux de péréquation de la taxe
professionnelle issue des votes de l'Assemblée nationale, sur l'initiative de
Gérard Fuchs, et qui ne tient aucun compte des points de vue susceptibles de
s'exprimer au sein des collectivités concernées. Il est nécessaire de revoir
cela de manière beaucoup plus pondérée.
Nous allons également nous efforcer de compléter l'information du Parlement et
de toutes celles et eux qui doivent avoir accès à la loi de finances, en
développant les arguments de la commission, en retraçant de la façon la plus
explicite possible les travaux préparatoires que nous avons menés.
Enfin, monsieur le ministre, la commission des finances va présenter un nombre
significatif d'amendements pour rectifier et améliorer, dans un esprit
constructif, nombre de vos propositions. Vous ne serez pas étonné que, en
accord avec nos positions constantes, nous refusions les validations
législatives de complaisance, nous supprimions par ailleurs, dans sa version
actuelle, l'article 24 relatif à l'indemnisation des porteurs d'emprunts
russes. Ce n'est pas que nous émettions un jugement défavorable sur le travail
extrêmement délicat qui a été réalisé par la commission
ad hoc
, mais
nous pensons que le dispositif que vous proposez, complexe et opaque, va à
l'encontre de principes juridiques importants car une part, au moins, des
créances dont il s'agit demeure des valeurs mobilières et doit être traitée
comme telle.
Ainsi, mes chers collègues, nous efforçons-nous de continuer à faire entendre
la voix du Sénat en, pardonnez-moi ce jeu de mots, monsieur le ministre,
montrant au Gouvernement la voie pour l'avenir. De nos délibérations peuvent
naître des idées que vous seriez susceptible de mettre à profit.
Vous savez, dans cette maison, nous n'avons aucun amour-propre d'auteur. Ce
que nous voulons, c'est que les choses avancent. Et, si vous souhaitez
reprendre à votre compte certaines bonnes idées, eh bien faites-le, comme vous
allez d'ailleurs sans doute le faire, s'agissant de la prorogation d'un an des
arrêtés Miot en Corse, en nous recommandant de voter un amendement quasiment
identique à celui que nous avions voté ici même l'an dernier.
Si cet amendement avait été maintenu par l'Assemblée nationale il y a un an,
on aurait sans doute fait l'économie de facteurs supplémentaires de crise et
d'incompréhension dans cette île si belle mais si compliquée qu'est la Corse.
Monsieur le ministre, que cet exemple vous engage à suivre un peu plus nos
propositions dans l'avenir !
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes
économiques de la nation.
Monsieur le ministre, en écoutant les propos de
M. le rapporteur général on se dit que, en effet, au lieu d'attendre un an pour
graver dans la loi les propositions du Sénat, vous devriez le faire l'année
même où il vous le propose.
L'année dernière, à la même époque, la discussion de la loi de finances de
1999 avait été pour nous l'occasion de mettre en garde le Gouvernement sur les
risques de gaspillage des fruits de la croissance en cas de maîtrise
insuffisante des dépenses. Eh bien, ce risque est devenu réalité : l'exécution
de la loi de finances en 1999 en apporte le témoignage.
Au-delà du débat sur la sincérité de l'estimation des recettes que vient
d'ouvrir M. le rapporteur général, il ne faut pas oublier, mes chers collègues,
que nous sommes toujours en situation de déficit public très sérieux ; il
dépasse 200 milliards de francs pour l'Etat. Notre dette publique continue de
progresser encore pour financer des dépenses courantes, c'est-à-dire des
dépenses de l'année, à hauteur de 69 milliards de francs pour 1999.
Ce débat sur les recettes est donc pour nous un débat de sincérité budgétaire
et il n'est pas naturellement, contrairement à la position adoptée par nos
collègues du groupe communiste républicain et citoyen, une spéculation sur une
réserve qu'il faudrait à tout prix affecter à de nouvelles dépenses, bien au
contraire.
Pour fixer les idées, je rappellerai simplement que notre déficit budgétaire,
qu'il soit d'ailleurs de 235 milliards ou de 215 milliards de francs, ne fait
que revenir au niveau de 1992, juste au début de la terrible récession de 1993,
dont nos comptes publics auront mis plus de six ans à se remettre.
Je note d'ailleurs que le taux de chômage, lui-même, en se rapprochant des 10
% de la population active, ne revient qu'à son niveau de 1992.
Cela nous permet de mesurer que, contrairement à ce qu'on entend parfois, la
dépense publique et les déficits publics n'ont pas d'effet réel sur le chômage,
surtout lorsque l'on constate que la France reste en Europe l'un des pays qui
réalisent les plus mauvaises performances sur ces trois tableaux.
Malgré l'embellie inespérée dont la France bénéficie actuellement, et dont le
Gouvernement s'attribue bien à tort les mérites...
M. Christian Sautter,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Une partie des
mérites !
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Monsieur le ministre, si vous
souhaitez m'interrompre sur ce sujet, j'en serai très heureux, car j'aimerais
vraiment approfondir ce débat entre nous.
(M. le ministre fait un signe de
refus.)
Je trouve curieux que vous puissiez, j'allais dire sans vergogne, vous
attribuer les mérites de l'embellie d'aujourd'hui sans songer une seconde à
endosser la responsabilité du retournement conjoncturel de 1992-1993.
M. Yves Fréville.
Très bien !
M. Paul Loridant.
Dans le passé, la droite, elle, a cassé la croissance !
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
De deux choses l'une : soit vous
estimez, que le Gouvernement décide, « convoque », en quelque sorte, la
croissance - et pourquoi ne l'a-t-il pas fait en 1992 et 1993 ? -...
M. Paul Loridant.
On peut la casser !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
On peut la préparer !
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
... soit vous êtes plus humble
et plus réaliste, et vous considérez que le Gouvernement doit simplement
chercher à « surfer » sur la croissance, essayer d'en tirer parti.
Il peut en tirer parti utilement lorsqu'il réduit les déficits. Il en tire
malheureusement parti au détriment de la France lorsqu'il en consomme les
fruits pour accroître encore les dépenses.
C'est d'ailleurs pourquoi, malgré cette embellie, nous constatons aujourd'hui
que le déficit ne se réduit que trop lentement. Il laisse notre pays très
vulnérable face aux aléas d'une conjoncture qui peut toujours se retourner et
face aux chocs démographiques qui, eux, sont annoncés.
Quand la conjoncture le permet - et elle le permet aujourd'hui -, il faut
réduire nettement le déficit, et pas seulement de deux tout petits milliards,
comme nous le propose ce collectif.
Au début des années quatre-vingt-dix, un autre gouvernement socialiste
agissait de même : il croquait allègrement les fruits de la croissance et ne
réduisait pas le déficit annoncé en début d'année. On sait ce qu'il en est
advenu !
Il est nécessaire de réduire les déficits publics, et ce, naturellement, non
par une augmentation des impôts, mais par un véritable effort sur les dépenses.
Je remarque que cela n'est pas impossible, contrairement à ce que le
Gouvernement nous avait affirmé l'année dernière, lorsque nous avons discuté le
projet de loi de finances pour 1999.
Il est tout de même assez extraordinaire que vous annuliez vous-même plus de
34 milliards de francs de dépenses. Je rappelle que le Sénat, toujours trop
modéré, au fond,...
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Absolument !
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
... n'avait proposé qu'une
atténuation de 26 milliards de francs de la progression des dépenses au début
de l'année 1999. Du point de vue des ordres de grandeur, notre démarche n'avait
donc rien d'irréaliste ; elle était, comme toujours, très prudente, peut-être
même trop prudente.
Certes, nous souhaitions remettre véritablement en cause les services votés -
c'est-à-dire 93 % des dépenses, qui sont votés en un seul article -, les
charges de structure, qu'il s'agisse de la fonction publique ou des dépenses de
fonctionnement.
A l'inverse, ce gouvernement fonde sa démarche sur la facilité, sur des
économies de constatation, sur des effets d'aubaine : le coût de la dette
publique est moins élevé, et c'est une économie de 11 milliards de francs.
Quant aux interventions sociales, vous ne craignez pas de les réduire
massivement : 15 milliards de francs sur les crédits de l'emploi.
Vous nous diabolisiez au début de l'année 1999, mais vous le faites encore une
fois cette année dans l'allégresse, alors que Mme Aubry nous disait, lors du
vote du projet de loi de finances pour 1999, que l'on ne pouvait réduire son
budget d'aucun centime, qu'elle avait absolument besoin de chaque franc pour
mener l'action sociale ! Alors, de qui s'est-on moqué ?
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Quelle grande souplesse !
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
La réduction bienvenue de la
charge de la dette a d'ailleurs pour effet de refaire passer le budget de
l'Etat d'une situation d'excédent primaire à une situation de déficit. Le
collectif budgétaire que vous nous proposez contribue donc à nouveau à
l'alourdissement de la dette publique.
Ainsi, l'exercice 1999 est bien le deuxième exercice des promesses non tenues.
Les prélèvements obligatoires devraient diminuer ; ils augmentent. Les dépenses
devraient être stables ; elles augmentent. L'Etat devait enfin atteindre
l'équilibre primaire ; c'est encore « raté » pour cette année. Chaque année,
depuis qu'il est aux commandes, le Gouvernement nous promet la vertu financière
pour l'année suivante. Chaque collectif budgétaire sert d'ailleurs,
systématiquement, à différer les promesses d'un an.
Pour toutes ces raisons, vous comprendrez que la commission des finances
propose une autre voie, celle qui a été tracée tout à l'heure par le rapporteur
général, c'est-à-dire la voie de la responsabilité et du progrès.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et
Indépendants et du RPR.)
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Christian Sautter,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Monsieur le
président, mesdames, messieurs, le projet de loi de finances rectificative pour
1999, qui vient de faire l'objet de deux exposés très remarquables du président
de la commission des finances et du rapporteur général, confirme, tout en
apportant des améliorations, les grandes orientations de la loi de finances
initiale.
Premièrement, la dépense publique est maîtrisée, et je vais vous montrer que
l'objectif que nous nous étions fixé il y a un an d'une progression de 1 % en
volume de la dépense de l'Etat est respecté bien que la hausse des prix ait été
moins forte que prévu : 0,5 % au lieu de 1,3 %.
Deuxièmement, la bonne tenue de la conjoncture économique engendre des
surcroîts de recettes dont une bonne part est immédiatement rendue aux Français
sous forme de baisse d'impôts.
Troisièmement, le déficit annoncé de la loi de finances est respecté ; en
fait, il est même diminué.
Je crois que ce collectif marque une nouvelle étape dans la voie de
l'assainissement de nos comptes publics.
Je voudrais souligner, avant de détailler chacun de ces trois points, que les
priorités du Gouvernement en faveur de l'emploi et de la justice sociale sont
renforcées par le texte qui vous est soumis.
Tout d'abord, il finance les allégements d'impôts qui ont été anticipés au 15
septembre, qu'il s'agisse de la baisse de la TVA sur les travaux dans les
logements ou de la baisse des frais de notaire deux mesures qui sont favorables
aux ménages et à la création d'emplois.
Ensuite, les ouvertures de crédits accentuent - et c'est une tradition depuis
l'été 1997 - l'effort de solidarité. Je mentionnerai en particulier les 7
milliards de francs qui sont inscrits au titre de la prise en charge par l'Etat
de la majoration de l'allocation de rentrée scolaire décidée au mois d'août
dernier.
Enfin, et votre rapporteur général y a fait allusion, ce projet de loi
contient des dispositions très attendues au titre de l'indemnisation des
porteurs d'emprunts russes, dispositions qui ont été encore améliorées par
l'Assemblée nationale.
La dépense de l'Etat est maîtrisée. Les ouvertures de crédits s'élèvent, dans
ce collectif, à 20,8 milliards de francs : ce montant n'a rien d'extraordinaire
puisqu'il est à peu près le même que celui de l'an dernier et qu'il s'inscrit
dans la tradition des collectifs budgétaires.
A ces sommes il faut ajouter 10 milliards de francs correspondant à la mise en
jeu de la garantie de l'Etat pour rembourser un emprunt souscrit par l'UNEDIC.
Cette opération exceptionnelle résulte d'un engagement pris en octobre 1995 par
le précédent gouvernement, et que nous avons dû honorer.
Au titre des dépenses nouvelles, outre la majoration de l'allocation de
rentrée scolaire, je citerai le versement de 5,1 milliards de francs au profit
d'interventions économiques, dont 1,3 milliard de francs au bénéfice de
Charbonnages de France et 500 millions de francs pour les services régionaux de
voyageurs de la SNCF. Je tiens également à souligner qu'une somme de 1,4
milliard de francs est inscrite au titre des dépenses de coopération
internationale, pour financer, en particulier, l'allégement de la dette des
pays les plus pauvres, conformément à ce qui avait été annoncé au sommet de
Cologne.
Je mentionnerai aussi l'inscription de 1,6 milliard de francs au titre de la
compensation par l'Etat aux collectivités territoriales de la baisse des droits
de mutation sur l'immobilier.
Bien qu'elle soit d'un moindre montant, une autre dépense mérite d'être
signalée : la constitution de l'Etablissement français du sang, qui bénéficie
de 350 millions de francs.
En face de ces ouvertures de crédits, les annulations de crédits s'élèvent à
25,4 milliards de francs. Elles ont été réalisées, selon l'habitude, dans le
cadre d'un arrêté d'annulation en date du 24 novembre 1999, qui est annexé au
présent projet de loi.
Parmi ces annulations de crédits, j'évoquerai d'abord la réduction du service
de la dette, à hauteur de 8,2 milliards de francs. Cette baisse permet de
ramener la charge de la dette pour l'année 1999 à 229 milliards de francs.
C'est encore un niveau élevé, M. le président de la commission des finances a
eu raison de le souligner, mais il est du même ordre que celui qui a été
atteint en 1998.
Cette politique de réduction du déficit et la baisse des taux d'intérêt, qui a
été favorisée par la mise en place de l'euro, permettent de redéployer une
dépense passive vers des dépenses de solidarité, telle l'allocation de rentrée
scolaire.
Les crédits d'équipement militaire ont été réduits de 5,3 milliards de francs,
dont 800 millions de francs ont été « rendus » au ministère de la défense pour
améliorer le fonctionnement des armées.
Je tiens à souligner devant la Haute Assemblée que cette réduction de crédits
n'entame en rien les capacités d'engagement du ministère de la défense et
n'affecte pas la réalisation des programmes en cours. La meilleure preuve en
est que le montant des crédits non utilisés en fin d'année 1999 équivaudra à
celui qui a été constaté à la fin de l'année dernière.
Enfin, les crédits pour l'emploi ont été réduits de 4,4 milliards de francs à
la suite d'une conjoncture favorable permettant de nombreuses créations
d'emplois, et cette évolution positive se confirme mois après mois. Je signale
à cet égard que les trois premiers trimestres de l'année 1999 ont vu se créer
autant d'emplois que l'ensemble de l'année 1998, année où la croissance était
pourtant supérieure. C'est dire que les dispositifs complémentaires de la
croissance, qu'il s'agisse des emplois-jeunes ou de la réduction négociée du
temps de travail, ont joué pleinement en 1999.
Les ouvertures nettes de crédits dans le collectif qui vous est présenté
s'élèvent donc à 5,4 milliards de francs.
Chacun constatera que, si l'on exclut les 10 milliards de francs au titre de
l'UNEDIC, la progression des dépenses du budget général est ramenée de 2,4 %,
chiffre qui figurait dans la loi de finances initiale, à 1,5 %, chiffre qui
figure dans le présent projet de loi de finances rectificative.
Ainsi, l'objectif de progression des dépenses de l'Etat de 1 % en volume est
tenu puisque cette progression de 1,5 % représente la somme des pourcentages de
0,5 % de hausse des prix et de 1 % de progression en volume.
Comment sommes-nous parvenus à cette maîtrise des dépenses ? A cet égard, je
souhaite répondre au rapporteur général. Dès le premier semestre de cette
année, nous avons mis en oeuvre une procédure de contrats de gestion consistant
non pas à programmer des économies brutales et forfaitaires, mais à donner aux
ministères dépensiers davantage de responsabilité en matière de consommation de
leurs crédits. Ils ont ainsi pu mesurer quelle marge de manoeuvre leur laissait
la hausse des prix plus modeste que prévu et dont ont pu profiter certains
postes.
Cela me paraît constituer un bon exemple de modernisation de nos méthodes de
gestion publique, qui va d'ailleurs dans le sens voulu par le Gouvernement,
celui d'une maîtrise des dépenses publiques. M. Marini, qui s'inquiétait de la
gestion de nos dépenses, devrait se trouver complètement rassuré.
J'en viens à un sujet que le rapporteur général et le président de la
commission des finances ont longuement évoqué, à savoir les recettes perçues au
titre de l'année 1999.
Il est clair que la prévision des recettes de l'Etat est un art
particulièrement difficile. D'ailleurs, pour aucun exercice depuis 1985,
l'exécution budgétaire, c'est-à-dire ce que l'on constate une fois que
l'ensemble des comptes est clos, n'a été strictement égale aux prévisions
figurant dans le collectif. Cette situation résulte du fait que les
recouvrements de l'Etat sont, pour une bonne part, décalés en fin d'année.
En matière d'impôts sur le revenu, par exemple, il faut attendre le 15
septembre, voire le 15 novembre pour les contribuables qui sont mensualisés,
afin d'avoir une idée claire du montant de cet impôt.
S'agissant de la fiscalité locale, qui a un effet indirect sur le budget de
l'Etat, elle est recouvrée principalement les derniers mois de l'année,
notamment le 15 décembre pour la taxe professionnelle.
Enfin, un impôt important est payé à échéance du 15 décembre : l'acompte de
l'impôt sur les sociétés, qui est très difficile à prévoir, porte sur plus de
50 milliards de francs. Des surprises peuvent apparaître chaque année dans ce
domaine, car les entreprises ne paient pas selon un rythme mécanique ; elles
peuvent ajuster ce versement du 15 décembre en fonction de leurs perspectives
de résultats.
M. le rapporteur général, dans ses calculs, qui me semblent un peu hasardeux
(M. le rapporteur général proteste),
s'est appuyé sur les résultats qui
ont été publiés à la fin du mois d'octobre. Or, entre la fin du mois d'octobre
et la fin du mois de décembre, ce sont plus de 250 milliards de francs de
recettes de l'Etat sur lesquelles pèse une incertitude.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Et pourquoi plus que les années précédentes ?
Me permettez-vous de vous interrompre, monsieur le ministre ?
M. Christian Sautter,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Je vous en prie,
monsieur le rapporteur général, mais j'allais répondre à la question que vous
n'avez pas encore formulée.
(Sourires).
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur général, avec l'autorisation de M. le
ministre.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Je souhaite simplement rappeler - mais vous allez
sans doute le dire dans un instant, monsieur le ministre - que les estimations
que nous avons effectuées sont fondées non pas sur les chiffres particuliers à
l'exercice de 1999, mais sur la prise en considération des proportions
observées sur au moins cinq exercices, c'est-à-dire la situation des recettes à
un moment donné de l'année sur les recettes de l'ensemble de l'année, ces
proportions étant relevées sur une séquence d'exercice, afin d'atténuer, bien
sûr, ce qu'il peut y avoir de spécifique au mouvement d'un exercice donné.
Tel est le raisonnement qui a été tenu, monsieur le ministre. Je ne comprends
donc pas la raison pour laquelle les lois statistiques auparavant observées ne
devraient pas s'appliquer à cette année 1999.
M. le président.
Veuillez poursuivre, monsieur le ministre.
M. Christian Sautter,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Monsieur le
rapporteur général, l'année 1999 a connu un profil de conjoncture
particulièrement chaotique. L'effet de la réduction de la croissance a été,
vous vous en souvenez, très brutal à la fin de l'année 1998, au point que,
lorsque nous discutions du budget de l'année 1999, vous considériez - et vous
n'étiez pas le seul ! - que le chiffre de croissance que le Gouvernement
annonçait pour l'année 1999 était complètement hors de portée.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Non, volontariste !
M. Christian Sautter,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Je vous remercie
de rendre hommage à la volonté du Gouvernement ! C'est en partie grâce au
dynamisme à la fois des consommateurs et des entreprises qui investissent que
ce chiffre de croissance, qui était prévu à 2,7 % et que nous avions corrigé à
la baisse dans le courant de l'année 1999, sera non seulement atteint, mais
probablement dépassé.
Par conséquent, si vos calculs statistiques, que je respecte évidemment, sont
sujets à caution, c'est en raison, d'une part, du profil heurté de la fin de
l'année 1998 et, d'autre part, de la reprise de notre économie - elle a surpris
non seulement les sénateurs et les députés, mais également l'ensemble des
observateurs - qui est de l'ordre de 4 % par an. Cette reprise économique tout
à fait remarquable n'était pas anticipée. Quelles sont les raisons de cette
reprise ?
Tout d'abord la consommation française est robuste - je crois que nous en
avons des témoignages tous les jours - parce qu'elle s'appuie sur des gains de
pouvoir d'achat, sur des créations d'emplois et sur une confiance qui est à un
niveau inégalé. Ensuite, les entreprises n'ont pas baissé les bras en matière
d'investissement, alors qu'elles avaient été prudentes dans la période
1991-1997 ; elles ont même accéléré leurs investissements. Enfin, la demande
internationale est venue ajouter un nouveau moteur à notre expansion.
Les profils de la fin de l'année 1998 et de l'année 1999 sont donc
particulièrement heurtés. Par ailleurs, des perturbations calendaires majeures
ont été constatées en ce qui concerne les recouvrements de 1999, notamment en
matière d'impôt sur le revenu. En 1998, vous vous en souvenez peut-être, une
grève des centres informatiques avait décalé de deux mois le recouvrement de
l'impôt sur le revenu. Par conséquent, tout en ayant un grand respect pour les
abaques que vous maniez avec tant de dextérité, monsieur le rapporteur général,
il ne me paraît pas possible de procéder à des extrapolations mécaniques à
partir des résultats des dix premiers mois et de considérations de régularité
sur les mois de novembre et de décembre.
Vous avez, semble-t-il, pêché par excès d'esprit de géométrie, monsieur le
rapporteur général, alors que peut-être, en la matière, un peu d'esprit de
finesse, que vous manifestez souvent en d'autres circonstances, aurait été tout
à fait bienvenu.
Néanmoins, le Gouvernement, inspiré, comme vous l'êtes, par un double principe
de sincérité et de prudence, avait déjà réévalué de 13 milliards de francs les
recettes de 1999, lorsque ce collectif budgétaire a été élaboré, c'est-à-dire à
la mi-novembre. Cette démarche tenait compte des informations qui étaient
disponibles à l'époque. Depuis cette date, nous avons eu une vision plus
précise des recouvrements, dont je tire, grâce à ce principe de sincérité et de
prudence, la conclusion suivante : je vais vous proposer, à l'article
d'équilibre, un amendement...
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances,
et M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Ah !
M. Christian Sautter,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
... tendant à
traduire les recouvrements supplémentaires observés le mois dernier, soit, au
total, plus de 10 milliards de francs sur divers impôts.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Encore un petit effort ! On peut aller jusqu'à 20
milliards de francs.
(Sourires.)
M. Christian Sautter,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Non !
Monsieur le rapporteur général, vous avez plaisir à m'interrompre, et vous le
faites avec tant de sincérité que je ne vous en fais pas grief.
(Sourires.)
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
C'est pour mettre en valeur ce
que vous dites !
M. Christian Sautter,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Cela montre bien
que le Gouvernement, avec ce souci de sincérité, que nous partageons,...
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Merci de nous rendre hommage ! Il le fallait !
M. Christian Sautter,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
... et avec un
principe de prudence que vous n'avez pas toujours manifesté dans le passé, mais
que, pour ma part, j'ai appliqué avec constance, tient compte immédiatement des
informations nouvelles qu'il reçoit.
Les informations récemment disponibles m'amènent donc à majorer de 11,3
milliards de francs, au-delà des 13 milliards de francs, les recettes de
l'année 1999.
Je vois à votre grand sourire, monsieur le président de la commission,
monsieur le rapporteur général, que nous devons nous réjouir de cette
situation,...
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Bien sûr !
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
On pourrait se réjouir davantage
! Vous nous empêchez de le faire !
M. Christian Sautter,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
... qui est
simplement le reflet du dynamisme de notre économie et de la reprise
exceptionnelle, aussi bien de l'investissement des entreprises que de la
consommation des ménages.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Le père Noël pourrait faire mieux !
M. Christian Sautter,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Monsieur le
rapporteur général, vous devenez sarcastique !
Cela doit permettre de répondre à une question que vous avez posée dans votre
rapport, celle du financement des 3 milliards de francs de mesures annoncées
par le Premier ministre en faveur des plus démunis. Je vous proposerai que ces
11 milliards de francs de recettes supplémentaires financent, à concurrence de
3 milliards de francs, ces dépenses, qui seront effectivement engagées d'ici à
la fin de l'année.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
C'est mieux que les décrets d'avance !
M. Christian Sautter,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Par conséquent,
en matière de sincérité et de prudence, les leçons que vous avez plaisir à
prodiguer sont parfois complètement déplacées.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Non, elles sont écoutées et entendues !
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Nous ne donnons pas de leçons,
nous faisons des recommandations !
M. Christian Sautter,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Le solde
permettra d'accélérer la réduction du déficit, qui devrait revenir à 226
milliards de francs environ. Voilà qui permet de calmer vos angoisses en
matière d'excédent primaire, qui est largement assuré.
Tout cela montre que le Gouvernement gère avec sérieux les finances publiques
et s'efforce, dès qu'il a des informations supplémentaires, d'améliorer les
perspectives, dans cet esprit de sincérité que vous avez souhaité. Bien
évidemment, j'ai informé M. le rapporteur général de la commission des finances
de l'Assemblée nationale de la prise en compte de ces informations fiscales les
plus récentes et il m'a donné son accord sur cette démarche de sincérité, de
transparence et de prudence.
Ayant abordé les questions des recettes et du déficit, il me revient
d'expliciter maintenant rapidement un certain nombre de dispositions qui sont
au coeur de ce collectif budgétaire.
Tout d'abord, par l'article 24, le Gouvernement propose à la Haute Assemblée
un dispositif d'indemnisation, dès l'an prochain, des porteurs d'emprunts
russes. Un peu plus de neuf millions de titres ont été recensés.
L'indemnisation s'effectuera sur la base des versements effectués par la Russie
à partir de juin 1997, lesquels seront majorés, bien entendu, des intérêts
échus. Les versements de la Russie doivent s'achever en août prochain et nous
devrions pouvoir compter sur une somme finale de plus de 2,5 milliards de
francs à redistribuer.
Le Gouvernement vous propose des règles d'indemnisation qui sont fondées sur
le principe d'équité et qui sont d'ailleurs inspirées des suggestions de la
commission de suivi des accords entre la France et la Russie, à laquelle M. le
rapporteur général a fait allusion tout à l'heure, présidée par le conseiller
d'Etat, Jean-Claude Paye. Celui-ci a largement consulté les associations de
porteurs avant de rédiger son rapport. Le Gouvernenemnt a tenu à éviter une
trop grande disparité entre les sommes qui seront versées aux ayants droit :
l'indemnisation sera plus importante pour ceux qui détiennent peu de titres que
pour ceux qui en possèdent beaucoup, ces derniers étant d'ailleurs peu
nombreux. Ce problème, pour lequel la France attendait une solution depuis
1917, sera résolu l'an prochain, si vous en êtes d'accord.
Je souhaite également attirer votre attention sur un deuxième point. Le
Gouvernement vient de déposer un amendement tendant à reporter au mois de
janvier 2001 le retour au droit commun en Corse en matière de droits de
succession. Il avait pris l'engagement, vous le savez, de faire travailler sur
ce sujet une commission composée à la fois de représentants de l'Etat et
d'élus. Un excellent travail a été réalisé de part et d'autre, mais il n'a pas
permis de dégager une solution consensuelle ; le rapport a été achevé au mois
de septembre dernier.
Le Premier ministre, avec un certain nombre de membres du Gouvernement, dont
moi-même, a reçu le 13 décembre dernier les élus de Corse. Un grand espoir est
né, me semble-t-il, et il ne faut pas le décevoir. Je vous propose donc de
laisser le temps nécessaire aux élus corses pour qu'ils formulent, comme ils
s'y sont engagés, des propositions sur le statut fiscal de l'île.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Il fallait nous écouter l'année dernière !
M. Christian Sautter,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Telle est la
motivation de l'amendement que le Gouvernement à déposé et que nous examinerons
ultérieurement.
Je souhaite évoquer maintenant brièvement d'autres mesures fiscales de moindre
portée.
Je citerai, par exemple, la transposition en droit français de la directive
relative à la TVA sur l'or - j'y reviendrai peut-être plus dans le détail tout
à l'heure - ou l'adaptation des règles applicables aux opérateurs qui
réalisaient des ventes hors taxes avant le 1er juillet 1999. Vous le savez, le
Gouvernement, avec l'appui du Parlement, s'est battu à Bruxelles pour obtenir
le report de cette décision, mais sans obtenir gain de cause.
Le texte qu'il vous est proposé d'approuver permettra d'assurer une transition
vers la taxation des ventes hors taxe en simplifiant et en allégeant les
obligations des opérateurs.
Je voudrais aussi attirer votre attention sur l'article 14 de ce projet de
loi, qui permettra de moderniser l'organisation de nombreuses professions
libérales - je pense, par exemple, aux avocats - en atténuant les obstacles
fiscaux qui constituaient autant de freins à la restructuration de ces
professions.
Ce dispositif fiscal ouvre la faculté à tous les Français de déclarer leurs
impôts, notamment l'impôt sur le revenu, par Internet. Cette possibilité
n'était ouverte, jusqu'à présent, qu'aux professionnels, et je suis un peu fier
- parce que je suis modeste, comme M. Marini - de faire bénéficier les
particuliers de cette faculté à partir de l'an prochain.
Autre avancée importante sur le plan de la démocratie, l'article 19 obligera
désormais l'administration fiscale à motiver toutes les pénalités qui seront
mises à la charge des contribuables. Il me semble qu'il s'agit là d'un progrès
important de l'état de droit, puisque les citoyens connaîtront les motifs qui
fondent les pénalités fiscales.
En matière d'épargne, les contrats d'assurance vie investis en actions
pourront être, si vous en êtes d'accord, élargis à des titres de sociétés ayant
leur siège dans l'Union européenne. Corrélativement, l'Assemblée nationale a,
sur proposition du Gouvernement, complété cette disposition en ouvrant le plan
d'épargne en actions de telle façon que les porteurs d'actions françaises qui
sont remplacées par des actions européennes n'en soient pas pénalisés.
Je voudrais encore mentionner quelques améliorations substantielles apportées
au texte initial du Gouvernement à l'occasion de la première lecture par
l'Assemblée nationale.
Ainsi, s'agissant de l'initiative prise pour alléger la dette des pays pauvres
très endettés, qui avait été annoncée lors du sommet de Cologne, au mois de
juin dernier, l'Europe tiendra son engagement, alors que le Congrès américain a
manifesté plus qu'une réticence en la matière. L'Assemblée nationale a relevé,
pour ce faire, le plafond des annulations des créances correspondantes
auxquelles le ministre que je suis est autorisé à procéder.
Une mesure a été prise pour donner une nouvelle impulsion à la politique de
prévention des risques naturels dont les événements récents dans le sud de la
France ont rappelé toute l'importance. Désormais, si vous en êtes d'accord, le
fonds de prévention des risques naturels pourra, conjointement avec l'Etat,
financer et accélérer ainsi la réalisation des plans de prévention des risques,
en particulier en faveur des 3 000 communes qui sont les plus exposées aux
aléas naturels.
Par ailleurs, deux fonds ont été créés en faveur des communes voisines des
aéroports parisiens - Paris-Charles-de-Gaulle et Paris-Orly - qui, sans
bénéficier des retombées fiscales résultant de l'activité aéroportuaire, sont
cependant victimes de nuisances sonores.
Enfin, s'agissant d'une catégorie de personnes à laquelle vous êtes très
attentifs, les harkis, je mentionne la création d'une rente viagère pour
poursuivre notre effort de réparation. D'un montant de 9 000 francs, cette
rente permettra aux plus fragiles des harkis de bénéficier d'une plus grande
solidarité nationale.
Telles sont, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, les
grandes lignes de ce projet de loi de finances rectificative dont nous allons
débattre et que je vous invite à adopter.
(Applaudissements sur les travées
socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Gaillard.
M. Yann Gaillard.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon
intervention ne portera que sur l'article 24 de ce projet de loi. Si j'ai
demandé ce temps de parole, c'est pour rendre compte au Sénat du travail
effectué, sous la remarquable présidence de M. Jean-Claude Paye, en commission
du suivi de l'accord franco-russe de 1997. J'y représentais notre assemblée,
par décision du président Monory, confirmée par le président Poncelet. J'ajoute
que je n'étais pas candidat !
Cette commission était composée de membres compétents et attentifs. Elle a
bénéficié de la science d'un historien, René Girault, spécialiste éminent des
emprunts russes, auxquels il a consacré une thèse en 1971, judicieusement
rééditée, après son décès, sous l'égide du comité de l'histoire économique et
financière. Je rends ici hommage à sa mémoire et je vous recommande la lecture
de son ouvrage. Je pense pouvoir me le permettre, car il s'agit d'une
publication officielle. Ce livre montre comment nos aïeux sont tombés dans ce
piège financier d'où nous tentons de sortir - définitivement, je l'espère,
douloureusement, en tout cas - quatre-vingts ans après.
Dans les deux phases de notre travail - recensement et évaluation - nous avons
entendu les associations de porteurs, d'une crédibilité au reste fort inégale.
Beaucoup d'informations alarmistes et démagogiques ont circulé. On a entretenu
des légendes, jusques et y compris à l'Assemblée nationale, comme celle de
stocks d'or disponibles à la Banque de France. On a parlé de titres arrivant en
France par palettes entières : à supposer que ce soit le cas, ce qui n'a pas
été prouvé, on verra que le système proposé par la commission et partiellement
repris par le Gouvernement, système qui privilégie les petits porteurs,
constitue l'antidote.
Parmi les fantasmes auxquels le sujet des emprunts russes se prête hélas ! il
en est un qui a la vie dure. Il fallait, ont dit les associations, ainsi qu'un
certain nombre de députés, privilégier les héritiers des souscripteurs
d'origine, décédés depuis longtemps. Hélas ! le droit des valeurs mobilières
s'y oppose. Je rappelle, à cet égard, que les emprunts russes sont restés à la
cote jusqu'en 1996. Et, surtout, il n'y a plus de moyens pratiques d'identifier
les descendants des souscripteurs : les registres constitués au moment de
l'estampillage de 1919 ont disparu et les archives bancaires, y compris à la
Banque de France, sont vides. Et si même cette recherche avait pu être
entreprise, combien de temps eût-il fallu en attendre les résultats, quand,
légitimement, les intéressés et leurs associations se plaignent déjà des
lenteurs de l'indemnisation ?
Mes chers collègues, le sujet est des plus ingrats. L'accord du 27 mai 1997
offre 400 millions de dollars, soit 2,5 milliards de francs, auxquel s'ajoutent
150 millions de francs d'intérêts, comme le rappelait M. le ministre, soit 2 %
d'une créance qui est évaluée à quelque 125 milliards de francs d'aujourd'hui.
La France s'en contente. Les créanciers pourront toujours, dit-on, poursuivre
individuellement la Russie devant les tribunaux de ce grand pays que l'on sait
si respectueux du droit ! Mais passons...
L'accord, en outre, mélange les emprunts russes proprement dits, dont le
remboursement a été bloqué en 1917, et l'indemnisation d'actifs industriels, ou
autres, spoliés par l'envahisseur soviétique dans les Etats baltes et en
Pologne au cours des années 1939-1945. Nous avons donc, d'un côté, 300 000
déclarants, de l'autre, 253 dossiers, dont 183 ont été admis par l'ANIFOM,
l'Agence nationale pour l'indemnisation des Français d'outre-mer, selon les
conditions prévues par la loi sur le recensement ; je vous renvoie à la loi du
2 juillet 1998 portant diverses dispositions d'ordre économique et
financier.
Les opérations de recensement, dont seul le Trésor public a accepté de se
charger, ont représenté, pour cette administration, une tâche herculéenne,
puisqu'il s'agissait de 9 millions de titres, comme toujours le nombre ayant
subi une inflation notable dans les derniers jours, avec 4 000 types de valeurs
différentes rédigées en caractères cyrilliques et un affreux mélange d'emprunts
garantis ou non garantis, de l'Etat ou des collectivités, d'obligations,
d'actions de sociétés russes, des valeurs nominatives et même de simples
liquidités en monnaie tsariste... Tout cela est couvert par l'accord.
Je passe sur les problèmes d'interprétation, notamment pour les actions. Quand
il s'agit de sociétés françaises, c'est la société elle-même qui a été spoliée,
non ses actionnaires ; on les renvoie donc à l'ANIFOM. Quand il s'agit de
sociétés russes, encore faut-il s'assurer que l'actionnaire d'alors était
français, d'où la condition proposée par la commission de s'en tenir aux
actions estampillées en 1919. J'en passe et des meilleures. Tout cela devrait
être précisé dans le décret en Conseil d'Etat qui est prévu par l'article 24,
et qui sera bien nécessaire.
Avouons-le : dans une telle situation, on ne peut aboutir à un résultat
satisfaisant. Il faut se contenter de ce qu'il ne soit pas trop mauvais.
Intellectuellement, il y a deux solutions extrêmes, avec, bien entendu, toutes
les options intermédiaires possibles. L'indemnisation au marc le franc,
c'est-à-dire 2 % de la valeur nominale de la créance - pour respecter le
sacro-saint principe du droit des valeurs mobilières - avantagerait les gros
porteurs, donc les spéculateurs ou les fraudeurs : il doit bien y en avoir
quelques-uns tout de même ! Le porteur d'un seul titre de 500 francs, valeur de
1914, recevrait 200 francs. Le plus gros porteur recensé, qui a présenté 60 000
titres, toujours dans l'hypothèse où ces titres auraient une valeur moyenne de
500 francs, valeur de 1914, recevrait, lui, 12,8 millions de francs. C'est
évidemment impossible !
Mais, à l'autre extrémité du raisonnement, l'indemnité forfaitaire, quel que
soit le nombre de titres portés, donnerait 7 970 francs par porteur. Notre
propriétaire d'un seul titre de 500 francs, valeur de 1914, serait donc
aujourd'hui indemnisé à 80 % de sa créance, alors que le taux d'indemnisation
globale est de 2 %. Impossible encore !
Nous avons aussi pensé à des taux dégressifs, mais c'était trop en
contradiction avec le droit des valeurs mobilières cher à notre rapporteur
général, et cette solution ne nous protégeait pas contre les porteurs qui
auraient astucieusement réparti leurs titres entre des déclarants de
complaisance.
Il a donc fallu « bricoler ». L'architecture du système proposé par la
commission Paye, dans son rapport du 13 novembre 1999, a été pour partie, mais
pour partie seulement, reprise par le Gouvernement, lequel nous a pressés de
conclure, car il tenait à régler le problème dans le projet de loi de finances
rectificative.
On partage le pactole - si l'on peut dire - en deux masses : celle des
porteurs et celles des spoliés. Pour les porteurs, soit 93 % de la créance
totale, la commission a proposé - et le Gouvernement l'a suivie sur ce point,
il est vrai important - de prévoir une part forfaitaire, à la tête du client,
et l'autre proportionnelle à la créance, cette dernière part étant soumise à un
plafond pour éviter un écart excessif entre le plus faible et le plus fort
montants d'indemnisation.
Un tel système n'est sans doute pas exempt de critiques, mais il est
relativement équitable. La commission avance, dans son rapport, un argument
réaliste : « Le geste fait par la Russie relève plus de la symbolique que d'une
indemnisation significative. On peut donc considérer comme justifié, sinon
inévitable, de ne pas répartir ces sommes à proportion exacte des créances
individuelles. »
La deuxième masse - beaucoup plus réduite - correspond à la créance de «
spoliés » de 1939-1945.
A ce titre, 183 dossiers ont été retenus par l'Agence nationale pour
l'indemnisation des Français d'outre-mer.
Les problèmes sont ici d'une nature très différente. Le portefeuille moyen
d'un « porteur » est de 12 000 francs or, et le patrimoine du spolié moyen est
de 918 000 francs or, soit soixante-quinze fois plus. On ne peut donc, selon la
commission, appliquer le même taux de dégressivité. Il serait préférable de
prévoir un plancher forfaitaire, car il y a aussi des petits « spoliés », et
une indemnisation au marc le franc dans le cadre d'un plafond qui serait
soixante-quinze fois plus élevé que celui des porteurs, soit 11,25 millions de
francs or. C'est, en tout cas, ce que nous avions proposé.
La part théorique des spoliés dans l'indemnisation, si l'on considère celle
qui est la leur dans la créance globale, aurait dû « tourner » autour de 170
millions de francs. La commission aurait compris qu'on la réduise à quelque 70
millions de francs, dégageant ainsi une économie de 90 millions à 100 millions
de francs, qui aurait pu être répartie à due concurrence entre les seuls
spoliés ou entre les spoliés et les porteurs. Ce n'est pas la voie qu'a suivie
le Gouvernement, qui réduit les spoliés à la portion congrue - 18 millions de
francs au mieux, et probablement 16 millions de francs seulement - en leur
appliquant le même plafond qu'aux porteurs. C'est, à notre avis, tout à fait
insuffisant et, pour le coup, cela fait peser sur l'article 24, tel qu'il a été
voté en première lecture par l'Assemblée nationale, un risque d'annulation non
négligeable.
Nous aurions préféré un système qui soit, pour les spoliés, homothétique de
celui qui a été prévu pour les porteurs, soit un plancher forfaitaire, qui
aurait été le même, et une indemnisation au marc le franc, jusqu'à un plafond
égal à soixante-quinze fois celui des porteurs, ce qui ne laissait au-dessus de
ce plafond - heureux hasard - que les deux fameuses sociétés pétrolières, et
aurait permis de traiter de manière comparable 99 % des spoliés et 98 % des
porteurs.
La part de la créance indemnisée au marc le franc aurait également été
comparable, avec 46 % de la masse des spoliés et 51 % de la masse des porteurs.
L'« économie » réalisée aurait permis éventuellement de trouver une solution
présentable pour FIPP et Silva Plana.
C'est pourquoi, pour ma part, considérant que, pour les porteurs, le système
qui nous a été proposé par le Gouvernement est celui que j'avais approuvé en
commission, je ne voterai pas contre l'article 24 du projet de loi de finances
rectificative. Toutefois, je ne puis aller jusqu'à l'approuver, compte tenu de
ce que j'estime être une erreur en ce qui concerne les spoliés. Je
m'abstiendrai donc, aussi, sur le texte. Je ne voterai pas non plus
l'amendement de suppression déposé par la commission des finances. Je pense, en
effet, et le dis en toute confraternité, que, d'une manière ou d'une autre, il
faut en finir, et que le plus tôt sera le mieux. Me sera-t-il permis, au
surplus, d'ajouter que, pour digne d'intérêt qu'il soit, ce problème, dont je
vous prie de m'excuser de vous avoir entretenus si longuement, mais c'était un
compte rendu de mission, ne me semble pas le plus important que nous ayons à
résoudre ensemble dans la France de l'an 2000 !
(Applaudissements sur les
travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et
Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Fréville.
M. Yves Fréville.
Quel coup de théâtre, monsieur le ministre ! Nous avons commencé la discussion
d'un collectif budgétaire avec 13 milliards de francs de plus-values fiscales,
et, après que vous avez défendu bec et ongles votre évaluation à l'Assemblée
nationale, nous voilà avec 10 milliards de francs supplémentaires !...
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
C'est le miracle du Sénat !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
C'est l'ambiance de Noël !
M. Yves Fréville.
Cédant aux conseils de la commission des finances du Sénat et à l'objurgation
de son président de réduire le déficit budgétaire, vous annoncez donc un
surcroît de recettes fiscales de 10 milliards de francs et une diminution du
déficit budgétaire de 7 milliards de francs supplémentaires ! Si vous n'allez
pas jusqu'au bout de ce qu'il convient de faire, vous allez néanmoins dans la
bonne direction, monsieur le ministre !
(Sourires.)
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
C'est bien parti !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Encore un effort !
M. Yves Fréville.
Quoi qu'il en soit, il est certain que le problème auquel nous sommes
aujourd'hui confrontés est très simple : nous revivons, avec dix ans de
décalage, une conjoncture un peu similaire à celle qu'avait connue le
gouvernement Rocard, et nous devons faire en sorte que nos plus-values fiscales
servent, contrairement à ce qui avait été fait à l'époque, à réduire le déficit
budgétaire. Celui-ci est aujourd'hui deux fois supérieur à ce qu'il était voilà
une décennie, et il est impératif de réduire son montant à 1 % du PIB si nous
voulons conserver une marge de sécurité en cas de difficultés
conjoncturelles.
Cela étant, cette correction est-elle suffisante ? Je ne le pense pas. Ce
collectif budgétaire ne fait à mes yeux que conforter les lignes directrices de
la loi de finances initiale et, malheureusement, il illustre encore les
critiques fondamentales que nous adressons au Gouvernement s'agissant de
l'alourdissement des prélèvements obligatoires, de la maîtrise insuffisante des
dépenses et de la réduction, peut-être un peu plus rapide que prévu mais encore
trop lente, du déficit budgétaire.
Certes, le problème des recettes est maintenant à envisager sous un angle tout
à fait différent. Sans avoir, bien entendu, la compétence de l'administration
de Bercy ni la capacité d'expertise de la commission des finances, je voyais
très clairement que 15 milliards de francs de plus-values fiscales avaient été
engrangés fin octobre et que, finalement, les 250 milliards de francs qui,
l'année dernière, avaient été perçus en novembre et en décembre le seraient
sans doute encore cette année, la croissance jouant dans le sens d'une
augmentation, les effets calendaires jouant en sens inverse.
Dans ces conditions, une plus-value fiscale de 15 milliards de francs était
parfaitement envisageable ! Or vous avez retenu le chiffre de 10 milliards de
francs, peut-être pour respecter le principe de précaution. Soit ! mais, en
réalité, la question est non pas de connaître le montant réel des plus-values,
puisque nous disposerons très prochainement des chiffres exacts, mais de savoir
pourquoi vous ne vouliez pas l'avouer. Aviez-vous peur que votre majorité
plurielle ne vous incite à vous engager dans une politique de dépenses ?
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
C'est à craindre !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Peut-être !
(Sourires.)
M. Christian Sautter,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Quelle
imagination !
M. Yves Fréville.
Vous prévoyez simplement 3 milliards de francs de cadeaux de Noël. Je m'en
réjouis d'ailleurs, dans la mesure où ils sont destinés aux plus défavorisés et
où les 7 milliards à 8 milliards de francs de plus-value restante seront
consacrés à la réduction du déficit budgétaire. Mais je crois surtout que vous
ne vouliez pas avouer aux Français que les prélèvements fiscaux opérés par
l'Etat s'accroissent beaucoup plus vite que leurs revenus.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
C'est le théorème de DSK !
M. Yves Fréville.
Même si l'on ne retient que la croissance prévue initialement de 88 milliards
de francs des recettes fiscales par rapport à l'exécution de la loi de finances
de 1988, cela représente une augmentation des recettes fiscales nettes de 6,1
%. Si l'on ajoute les 10 milliards de francs de recettes supplémentaires,
l'alourdissement des impôts doit atteindre 7 % par rapport à l'année
dernière.
Voilà, je le crois, l'une des raisons fondamentales qui vous ont amené, au
fond, à ne pas vouloir reconnaître l'évidence, à savoir que la pression fiscale
pesant sur les Français s'est considérablement aggravée au cours de l'année
1999, ce que constatent nos concitoyens dans leur vie de tous les jours.
La seconde ligne de défense que vous avez édifiée dans ce collectif budgétaire
tient au fait que les 39 milliards de dépenses supplémentaires prévues seraient
dans une très large mesure compensés par 34 milliards de francs d'économies, ce
qui ramènerait la croissance nette des dépenses à 5 milliards de francs. Or que
sont ces économies ? Pour moitié, il s'agit de simples économies de
constatations résultant de l'amélioration de la conjoncture et de la baisse des
taux d'intérêt.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Exactement !
M. Yves Fréville.
Mais les « stabilisateurs automatiques », permettez-moi d'employer cette
expression technique, jouent, en matière de dépenses comme de recettes, en
faveur de la réduction du déficit. Si vous opérez 7 milliards de francs
d'économies sur le budget de l'emploi, la logique des « stabilisateurs »
voudrait que cette réduction des dépenses ne soit pas compensée : c'est en
effet en période de croissance économique que, très logiquement, doit être
corrigée l'augmentation des dépenses destinées à financer la lutte contre le
chômage qu'avait rendue nécessaire la mauvaise conjoncture des années 1992 et
1993.
Si, par ailleurs, la charge nette de la dette est allégée de 8 milliards de
francs, essentiellement du fait de la baisse des taux d'intérêt, il serait là
aussi parfaitement logique que ce montant soit non pas compensé par de
nouvelles dépenses mais incorporé à la réduction du déficit.
Je suis certes très conscient du fait que, sur ce point particulier, il existe
cette année un argument, apparemment tout à fait valable, selon lequel l'Etat
doit compenser la charge résultant de la garantie qu'il a apportée pour le
paiement de la dette contractée en 1995 par l'Union nationale
interprofessionnelle pour l'emploi dans l'industrie et le commerce, l'UNEDIC,
auprès de Paribas.
Cet argument serait tout à fait convaincant si le rapport de M. Migaud,
rapporteur général à l'Assemblée nationale, n'indiquait pas que l'UNEDIC aurait
pu organiser délibérément son insolvabilité, d'une part, et que l'on est en
droit de s'interroger sur l'opportunité d'une action récursoire de l'Etat
contre cet organisme, d'autre part. Ce sont là des propos très sévères de la
part du rapporteur général de l'Assemblée nationale, et je serais heureux,
monsieur le ministre, que vous puissiez nous éclairer sur ce point : l'UNEDIC
aurait-elle délibérément organisé son insolvabilité pour faire supporter 10
milliards de francs de charges par l'Etat ?
Outre ces économies de constatations, vous réduisez drastiquement les dépenses
d'équipement des armées. Ainsi, nous avons constaté, bien que ce fait ait été
largement passé sous silence, que plus de 9,3 milliards de francs prévus à ce
titre, c'est-à-dire 10 % des crédits initiaux, ont été annulés. C'est là, me
semble-t-il, une véritable dénaturation de l'autorisation budgétaire, dont
parlait M. le président de la commission des finances tout à l'heure.
Je ne suis pas un spécialiste des questions militaires, mais je ne comprends
pas très bien l'argument que vous avez invoqué, monsieur le ministre, suivant
lequel les armées ne consomment pas suffisamment leurs crédits d'équipement. En
effet, nous savons tous que la capacité à consommer des crédits disponibles
dépend aussi de la plus ou moins grande propension du contrôle financier à
accorder son visa. Ne s'agit-il pas là d'une certaine tendance du ministère des
finances à entraver en amont l'engagement des crédits, pour constater ensuite
en aval une insuffisante consommation de ceux-ci, justifiant leur annulation
?
M. Christian de La Malène.
Très bien !
M. Yves Fréville.
Dès lors, si l'on veut mettre en oeuvre la loi de programmation, ne sera-t-on
pas amené un jour à réinscrire au budget l'équivalent des crédits annulés ? En
tout état de cause, vos affirmations selon lesquelles les annulations de
crédits ne remettraient en question aucun programme majeur me paraissent
dépourvues non pas de sens, mais de portée concrète, et la loi de programmation
risque de devenir peu à peu une loi fantôme.
Par ailleurs, en contrepartie de ces économies, vous nous demandez d'autoriser
près de 40 milliards de francs de dépenses supplémentaires.
Je me permets de faire remarquer à cet égard que ces opérations s'inscrivent
dans un contexte où l'inflation est inférieure de près de 0,7 point à celle qui
avait été prévue en loi de finances initiale, ce qui se traduit naturellement
par un gain considérable en matière de pouvoir d'achat de la dépense déjà
votée. Je constate, comme à l'habitude, car ce n'est pas une spécificité du
Gouvernement auquel vous appartenez, hélas ! une sous-estimation manifeste des
évaluations initiales.
Ainsi, les crédits prévus pour financer l'ARS, l'allocation de rentrée
scolaire, avant que celle-ci ne soit réévaluée, n'avaient pas été inscrits en
loi de finances initiale. De même, le montant des dépenses liées au RMI a dû
être revu à la hausse à hauteur de 3,5 milliards de francs, alors que nous
savions, à la fin de 1998, que cette allocation serait réévaluée de 3 %. Cette
situation prévaut également pour une part importante des crédits militaires du
titre III, puisque si certains crédits supplémentaires sont demandés pour
financer les interventions sur les théâtres d'opérations extérieurs, au moins
40 % de ces majorations, d'après le président de la commission des affaires
étrangères, de la défense et des forces armées de notre assemblée, serviront en
fait à financer des besoins courants des armées, qui avaient été mal évalués en
loi de finances initiale.
Je constate enfin que, s'agissant des crédits d'urgence que vous avez évoqués,
vous n'avez pas fait allusion aux mesures d'urgence en faveur de l'agriculture
: leur financement est-il inclus dans les 3 milliards de francs que vous venez
de débloquer ? J'ai bien relevé, dans le collectif budgétaire, le financement
des aides qui avaient été décidées lors de la table ronde d'octobre, mais je me
permets de vous rappeler que le ministre de l'agriculture avait annoncé, le 9
décembre dernier, des mesures d'urgence en faveur de la production porcine et
des autres secteurs de l'élevage pour un montant de 215 millions de francs.
J'ose espérer que cette somme promise par le ministre de l'agriculture fera
bien partie du train de dépenses supplémentaires, d'autant qu'elle apparaît
relativement modeste au regard des 3 milliards de francs dont vous avez demandé
l'inscription. Je souhaiterais que vous nous rassuriez sur ce point, monsieur
le ministre.
Je conclurai mon intervention par une remarque sur les méthodes
gouvernementales en matière fiscale, qui fera écho aux propos de M. le
rapporteur général relatifs aux fonds départementaux de la taxe
professionnelle.
Les amendements qui ont été votés par l'Assemblée nationale entraîneront de
graves conséquences pour les collectivités locales et, surtout, paraissent en
totale contradiction avec la méthode même que le Gouvernement entendait
appliquer en ce domaine.
J'ai eu quelques difficultés à obtenir - mais grâce à M. le président de la
commission des finances, j'y suis parvenu - le rapport sur les fonds
départementaux de péréquation de la taxe professionnelle déposé par le ministre
de l'intérieur sur le bureau du Parlement. Le contenu en est très intéressant,
mais sa conclusion a surtout retenu mon attention : pour débattre de ce
rapport, le Gouvernement engagera une concertation avec l'ensemble des parties
intéressées, dont, je l'espère, le Sénat, afin de déterminer les évolutions
possibles de la péréquation des bases de taxe professionnelle, lesquelles
doivent s'inscrire dans l'effort de péréquation des dotations de l'Etat.
Permettez-moi, monsieur le ministre, de m'étonner que des amendements aient
été votés, avec pour certains d'entre eux l'avis favorable du Gouvernement,
visant à affecter les ressources supplémentaires des fonds départementaux de
péréquation de la taxe professionnelle non plus à la péréquation décentralisée,
mais au Fonds national de péréquation, c'est-à-dire que l'on retombe dans le
financement étatique !
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Avec l'accord du Gouvernement
!
M. Yves Fréville.
Cela me semble très grave sur le plan des principes, et je souhaite que nous
ayons, au cours de la discussion budgétaire, l'occasion de revenir sur ces
amendements.
Mes chers collègues, Jean Arthuis a coutume de dire que, avec la loi de
finances initiale, nous votons un budget virtuel ; aujourd'hui, nous
connaissons le budget réel pour 1999. Je constate que les recettes fiscales
nettes connaissent une augmentation de l'ordre de 7 % par rapport à l'exécution
du budget de 1998, et que les dépenses nettes du budget général, hors fonds de
concours et recettes d'ordre, progressent de 1 583 milliards de francs en
exécution à 1 677 milliards de francs, soit, après correction à hauteur de 22
milliards de francs des rebudgétisations, une progression nominale de 4,6 % et
une progression réelle de 4 %.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Et voilà !
M. Yves Fréville.
Telle est la vérité des chiffres, tirés non pas d'une loi de finances, qui est
un exercice virtuel, mais ramenés à l'exécution du budget de 1998.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
C'est parlant !
M. Yves Fréville.
D'un collectif budgétaire à l'autre, je reconnais que le déficit sera passé de
250 milliards de francs à 226 milliards de francs. Je vous l'accorde, monsieur
le ministre, mais l'augmentation tant des dépenses que des impôts est telle que
le groupe de l'Union centriste ne pourra naturellement pas voter ce collectif
budgétaire en l'état.
(Applaudissements sur les travées de l'Union
centriste, des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. le président.
La parole est à M. Angels.
M. Bernard Angels.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'examen du
collectif budgétaire 1999 nous permet, comme les années précédentes, de tirer
les conséquences des évolutions de l'exercice sur les finances publiques.
La première remarque que l'on doit faire concerne l'évolution de la
conjoncture. Le budget 1999 reposait sur une prévision de croissance de 2,7 %.
Cette prévision n'intégrait pas les conséquences de la crise internationale
survenue à partir de l'été 1998.
La majorité sénatoriale s'était alors montrée très critique sur cette
estimation. M. le rapporteur général nous avait, en effet, expliqué que « ce
budget nous faisait prendre de très lourds risques » car « il se fondait sur
une hypothèse de croissance substantielle qui supposait la confiance des
ménages et des entreprises ».
Dominique Strauss-Kahn, pour sa part, ne voyait dans ce ralentissement
probable qu'un « trou d'air »...
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Et oui !
M. Bernard Angels.
... puisque les « fondamentaux », notamment sa politique économique, étaient
dirigés dans la bonne direction.
Une fois de plus, mes chers collègues, il aura eu raison, et vous vous serez
trompés !
Une fois passées les turbulences internationales, tous les indicateurs sont en
effet revenus au beau fixe : la consommation des ménages demeure très élevée,
l'investissement productif est en nette progression, les créations d'emplois
s'accélèrent.
Si j'insiste sur ces bons résultats, c'est pour bien montrer qu'ils ne sont
pas là par hasard et que cette équipe gouvernementale a, jusqu'à maintenant,
toujours réalisé ses objectifs. Selon l'INSEE, la croissance devrait même
atteindre 2,9 % en 1999.
La seconde constatation que nous devons faire est la gestion maîtrisée des
comptes publics. Comme pour le collectif 1998 et le collectif 1997, le
Gouvernement a respecté dans l'exécution 1999 tous les objectifs fixés en
prévision initiale.
En premier lieu, nous pouvons observer que la baisse des déficits publics se
poursuit, conformément à ce qui était prévu : 0,7 point en 1997, 0,6 point en
1998, 0,5 point au minimum en 1999. Remarquons que cette réduction est la plus
rapide de la zone euro. De plus, comme en 1997 et 1998, nous constatons même,
monsieur le ministre, que vous avez fait mieux en dépassant l'objectif
initial.
Autre poursuite positive, l'exercice 1999 n'aura pas, comme le précédent,
connu de régulation budgétaire, et seulement un décret d'avance contre deux en
1998. Ce décret du 2 septembre 1999 aura ouvert 7,7 milliards de francs de
crédits, dont 3,5 milliards de francs pour le RMI, conformément aux engagements
de Lionel Jospin du 15 décembre 1998, et 4 milliards de francs pour le budget
de la défense à la suite des opérations au Kosovo. Ces dépenses supplémentaires
ont été associées à des annulations de crédits de même montant.
Ce collectif budgétaire enregistre 31,6 milliards de francs d'ouvertures de
crédits, dont 31,4 milliards de francs pour le budget général. Ces
augmentations de crédits sont du même ordre que les mouvements habituels
constatés en collectif depuis 1997, et elles sont largement gagées par des
annulations de crédits. Et encore, 10 milliards de francs de dépenses nouvelles
sont indépendantes de la gestion courante de l'Etat puisqu'il s'agit de la mise
en jeu de la garantie de l'Etat au profit de l'UNEDIC.
Au total, sur l'année, c'est 39,5 milliards de francs d'ouvertures de crédits
nets sur l'année qui sont effectuées, dont 39,2 milliards de francs pour le
budget général, soit un montant équivalent à 1998. Comme 34,3 milliards de
francs de crédits nets auront été annulés, l'année 1999 se soldera par
seulement 5 milliards de francs de crédits supplémentaires et encore il
faudrait tenir compte des 10 milliards de francs exceptionnels.
Ces chiffres illustrent la bonne maîtrise de l'exécution budgétaire par le
Gouvernement, notamment si l'on compare aux années 1994 - plus 31,8 milliards
de francs...
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Et en 1992, comment cela
s'est-il passé ?
M. Bernard Angels.
... 1995 - plus 79,8 milliards de francs -...
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Et en 1992 !
M. Bernard Angels.
... et 1996 - plus 14,6 milliards de francs - ce qui était un peu mieux, je
vous l'accorde !
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Votre traitement de texte ne va
pas jusqu'en 1992 !
M. Bernard Angels.
Surtout par rapport aux dépenses constatées l'année dernière, l'augmentation
des dépenses, à périmètre constant, est de 1 % en volume.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
C'est encore trop !
M. Bernard Angels.
C'est un chiffre qui, là encore, correspond aux prévisions initiales. Il est
comparable aux augmentations enregistrées en 1997 et en 1998. Ces éléments nous
confirment bien que la maîtrise de la dépense publique se poursuit.
Les recettes, quant à elles, sont supérieures de 0,4 % par rapport aux
prévisions initiales.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
C'est l'impôt !
M. Bernard Angels.
Ces résultats proviennent des plus-values fiscales estimées à 13 milliards de
francs dans un premier temps.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Dans un premier temps !
M. Bernard Angels
M. le rapporteur général considère, pour sa part, que les plus-values fiscales
atteindront 30 à 40 milliards de francs et en fait sa critique principale.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Je persiste et je signe !
M. Bernard Angels.
Monsieur le ministre, selon les prévisions initiales, les recettes fiscales
nettes devaient augmenter de 5,7 %. Le recouvrement cumulé de janvier à octobre
a progressé de 8,7 % par rapport à l'année dernière, mais il reste à prendre en
compte certains effets calendaires et l'effet de la baisse de la TVA.
Aussi, une évaluation prudente vous avait conduit à cette prévision de
recettes fiscales en hausse de 13 milliards de francs par rapport aux
prévisions initiales. Vous venez de nous annoncer qu'elle avoisinerait 24
milliards de francs. Bien entendu, nous nous en félicitons.
On peut être plus optimiste que vous, monsieur le ministre, et considérer,
comme le fait M. le rapporteur général, que les résultats très positifs de
votre politique économique vont permettre aux rentrées fiscales du derner
trimestre d'être supérieures à celles de l'année dernière, et nous aurons alors
des plus-values supérieures.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
N'extrapolez pas trop sur ce plan !
M. Bernard Angels.
Mais comme certaines gestions antérieures ont montré qu'il valait mieux faire
preuve de mesure, nous acceptons cette estimation prudente, en espérant qu'elle
sera dépassée.
M. Philippe Marini,
rapporteur spécial.
De toute façon, vous acceptez tout !
M. Bernard Angels.
Ainsi, ce collectif, qui se situe dans le droit-fil des deux précédents,
n'apparaît pas appeler de remarques particulières. Les objectifs ont été une
nouvelle fois atteints. Les évolutions constatées sont comparables aux
prévisions et aux ajustements habituels réalisés dans ce genre d'exercice un
peu formel qu'est un collectif, lorsque les finances publiques sont bien
gérées, ce qui est le cas.
Par conséquent, le groupe socialiste soutient le projet de loi de finances
rectificative pour 1999.
(Applaudissements sur les travées
socialistes.)
M. le président.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les
reprendrons à quinze heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures cinquante-cinq, est reprise à quinze
heures quarante-cinq, sous la présidence de M. Guy Allouche.)