Séance du 15 décembre 1999
RÉDUCTION NÉGOCIÉE
DU TEMPS DE TRAVAIL
Rejet d'un projet de loi en nouvelle lecture
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion en nouvelle lecture du projet de loi (n°
115, 1999-2000), adopté avec modifications par l'Assemblée nationale, en
nouvelle lecture, relatif à la réduction négociée du temps de travail. [Rapport
n° 116 (1999-2000).]
Dans la discusion générale, la parole est à Mme le ministre.
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, j'interviens devant vous pour présenter une
nouvelle fois les objectifs que le Gouvernement cherche à atteindre avec ce
texte en faveur de la réduction négociée du temps de travail.
Une majorité d'entre vous a exprimé, à l'issue de la première lecture, un
désaccord profond avec ces objectifs. Je voudrais en rappeler rapidement les
grands principes.
Vous le savez, M. le Premier ministre a fait de l'emploi sa priorité numéro
un, et la réduction de la durée du travail constitue l'un des éléments de
nature à réduire le chômage.
Pour réussir, nous avons choisi une méthode : la négociation.
La première loi a été un appel à la négociation, et cet appel a été fructueux
puisque, aujourd'hui, le tiers des salariés des entreprises de plus de vingt
salariés sont d'ores et déjà aux 35 heures ou couverts par un accord.
Ces négociations ont infligé un réel démenti à ceux qui pronostiquaient
l'échec de cette première loi. Par ailleurs, elles ont présenté l'avantage
considérable de nous permettre de nous appuyer sur les avancées qu'elles ont
permises pour préparer cette seconde loi. N'allons donc pas chercher très loin
l'équilibre de cette seconde loi, si ce n'est dans les voies qui ont été
ouvertes par les 50 000 négociateurs des accords d'entreprise déjà signés.
Même nées des négociations et s'appuyant sur des accords, les dispositions de
la seconde loi, je le répète, ont été soumises à des consultations d'une
ampleur sans précédent auprès des organisations patronales au cours de la
préparation du projet de loi, mais aussi avant et pendant les discussions
parlementaires.
Dans ce contexte, et comme j'ai eu l'occasion de vous l'indiquer, je considère
que le texte que vous aviez adopté en première lecture ne tenait pas compte de
la dynamique enclenchée par les négociations et conduisait à stopper ce
processus de réduction de la durée du travail.
Vous aviez décidé le maintien du calendrier des aides de la loi du 13 juin
1998 en supprimant l'aide structurelle sans même réintroduire le dispositif «
de Robien », qui avait été adopté voilà quelques années.
Ce choix se doublait de la suppression de l'allégement des charges sociales,
choix quelque peu étonnant alors que vous aviez adopté, en juin 1998, une
proposition de loi sur la baisse des charges sociales.
Vous avez ensuite dissocié réduction et aménagement du temps de travail. Cette
décision a un caractère à la fois partiel et partial, car comment aménager le
temps de travail, c'est-à-dire l'assouplir avec le risque de précarisation que
cela peut entraîner, paralèllement, sans réduire la durée du travail ?
En revanche, sur quelques points, les propositions du Sénat ont été reprises
par l'Assemblée nationale. Le Gouvernement y avait d'ailleurs donné un avis
favorable lors du débat dans votre assemblée. Je pense notamment à un
amendement relatif au régime de rémunération des permanences nocturnes en
chambre de veille dans le secteur sanitaire et médico-social. Je pense aussi à
la solution que nous avons trouvée, en nous appuyant sur le travail que vous
aviez fait, sur l'intégration du temps d'habillage et de déshabillage dans le
temps de travail effectif. Enfin, comme vous l'avez souhaité, les
établissements médico-sociaux qui, à la date d'entrée en vigueur de la loi,
seront dans l'attente d'une décision d'agrément seront dispensés du paiement de
la contribution.
Le Gouvernement se retrouve donc totalement en accord avec le texte modifié en
nouvelle lecture par l'Assemblée nationale.
Cette seconde loi a, vous le savez, une ambition : faire réussir les 35
heures.
Pour cela, il fallait poursuivre la méthode déjà employée avec succès sur les
accords déjà signés, en laissant le temps à la négociation.
Contrairement à ce que certains ont pu dire, à l'exception d'un accord de
branche qui s'était délibérément situé en dehors de la loi, les accords de
branche qui ont été signés sont déjà applicables pour 88 d'entre eux et les 19
restants sont en cours d'examen. Toutes les clauses étendues dans ces accords
sont ou seront, dès le vote de la loi, applicables. Seules trois dispositions
ont été exclues : la banalisation du travail du dimanche, l'exclusion de toute
formation du temps de travail, la généralisation du forfait « tous horaires » à
tous les cadres. Elles étaient d'ailleurs illégales avant même la loi du 13
juin 1998.
Non seulement la loi valide et respecte les accords, mais elle est construite
sur les acquis et les avancées de ces accords.
Il était donc logique que les accords qui n'étaient pas conformes au droit
existant à la date de leur signature mais qui vont devenir conformes aux
dispositions du projet de loi soient validés et que les partenaires sociaux ne
soient pas tenus de les signer à nouveau ; c'est l'objet du paragraphe I de
l'article 14.
La première loi a permis de vivifier le dialogue social en France. Parmi les
entreprises qui n'ont pas abouti à un accord, une sur deux est en négociation
aujourd'hui. De la même manière, la seconde loi, avec les modernisations du
code du travail qu'elle introduit et les allégements de charges sociales
qu'elle prévoit, va susciter sans nul doute en 2000 une seconde vague de
négociations.
Par ailleurs, le projet de loi élargit le champ conventionnel dans notre
pays.
Sans entrer dans le détail, je rappellerai qu'en matière d'heures
supplémentaires la loi renverra à l'accord d'entreprise le choix de la nature
de la bonification pour les salariés entre la récupération en temps ou la
majoration financière en argent.
Plus généralement, de nombreuses modalités pourront être précisées par
l'accord, notamment la répartition du temps libéré, le régime applicable aux
cadres, le recours au temps choisi ou au compte épargne-temps, ou encore le
développement de la formation.
En outre, ce projet de loi prévoit plusieurs dispositifs de sécurisation des
accords.
Pour reconnaître explicitement toute l'importance de la négociation, le projet
de loi prévoit pour la quasi-totalité des points concernés - modulation,
réduction en jours du temps de travail, contrats à temps partiel, contrats à
temps partiel annualisé - une disposition spécifique qui pérennise, au sein
même de l'article concerné, les accords qui ont été signés.
Mais le projet prévoit aussi, dans le paragraphe II de l'article 14, une
disposition qui complète les précédentes dispositions, en apportant une
garantie supplémentaire. Les éventuelles clauses conventionnelles non couvertes
par les précédentes dispositions et hors, bien entendu, les dispositions
concernant les heures supplémentaires - je pense par exemple au repos
compensateur, à la bonification des heures supplémentaires - continueront de
produire effet pendant un an après la date d'entrée en vigueur de la loi.
Cette disposition additionnelle, qui joue le rôle d'une clause « balai »
insiste donc sur le rôle majeur de la négociation, même si sa portée pratique
sera limitée puisque, encore une fois, la seconde loi a largement pris en
compte dans son texte même les avancées des accords de branche.
Ainsi, par sa démarche originale, par l'élargissement de l'espace
conventionnel qu'elle organise et par la sécurisation des accords et
conventions valablement conclus qu'elle prévoit, la loi vise à donner toute sa
mesure au principe de liberté contractuelle auquel le Gouvernement est très
attaché.
Ce projet de loi s'appuie largement sur la maturité et sur le sens des
responsabilités dont les négociateurs ont déjà fait preuve. A cet égard, je
voudrais, comme l'a fait Mme Notat voilà quelques jours, ramener les conflits
actuels à leur juste dimension. Ils sont peu nombreux, ils ont surtout lieu
dans le secteur public et beaucoup d'entre eux n'ont pas pour objet la
réduction du temps de travail.
Personnellement, je n'ai jamais considéré qu'une négociation qui entraînait un
conflit était en soi une mauvaise chose. Je ne suis pas pour le développement
des conflits, mais c'est parfois le moyen de sortir d'un désaccord pour
parvenir à conclure une bonne négociation.
Pour que le processus de négociation se traduise par une amélioration des
conditions de vie des salariés, la loi protège mieux ces derniers, notamment
par la baisse de la durée maximale moyenne ou les nouvelles règles concernant
la modulation.
La loi a par ailleurs pris en compte des aménagements qu'ont demandés les
salariés pour mieux articuler les temps de vie familiale et de vie
professionnelle, par l'institution du compte épargne-temps, de calendriers
individualisés, par l'établissement de souplesses permettant de choisir de
bénéficier de la réduction du temps de travail par jour, mais aussi en
apportant un certain nombre de garanties aux salariés employés à temps
partiel.
Pour les entreprises, les souplesses visent à rapprocher les rythmes de
production de ceux de la demande, sans précariser le statut des salariés. Ce
processus doit donc concerner tous les salariés, d'où l'importance des
questions soulevées par les cadres. Nous en avons largement débattu ici.
S'inspirant de la majorité des accords, la loi définit trois catégories de
cadres. Tout d'abord les cadres dirigeants, à qui on n'applique pas la durée du
travail ; ensuite à l'autre extrémité, les cadres qui appartiennent à une
équipe de travail et qui se voient appliquer l'horaire collectif, donc les 35
heures : d'après les enquêtes, ils représentent 58 % du total ; enfin ceux qui
ne sont ni dirigeants ni intégrés dans une équipe de travail et qui, de par
leurs fonctions ou leurs responsabilités, ne peuvent passer de manière directe
aux 35 heures.
Pour ces derniers, l'Assemblée nationale a, en nouvelle lecture, encore
amélioré le dispositif existant. Les accords mettant en place un forfait annuel
horaire ou en jours pourront donner lieu à l'exercice du droit d'opposition par
les organisations syndicales majoritaires. Les catégories de cadres
susceptibles d'être concernées par un forfait en jours ont été précisées. Les
règles, en cas de dépassement du plafond du nombre de jours travaillés fixé par
l'accord, ont été complétées. Enfin, une voie de recours a été explicitement
prévue pour les cadres relevant du forfait en jours, leur permettant de faire
valoir leurs droits, soit lorsqu'il n'y a pas de baisse effective de la durée
du travail, soit lorsque leur niveau de rémunération est manifestement
disproportionné par rapport aux sujétions qui leur sont imposées.
Nous avons donc trouvé, sur ce problème délicat des cadres, une solution qui
permet à chacun de bénéficier de la réduction du temps de travail de manière
effective tout en prenant en compte la situation réelle des entreprises, car
rien ne serait pire que de voter une loi qui ne serait pas appliquée.
De la même manière, l'Assemblée nationale a complété les dispositions sur le
SMIC en ce qui concerne les salariés à temps partiel, non pas pour modifier
mais pour préciser les cas dans lesquels s'applique à eux la garantie
mensuelle.
Le nouvel élan de négociation impulsé par les 35 heures sera évidemment
facilité par le dispositif d'allégement sur les bas et les moyens salaires que
nous mettons en place et qui est à la fois plus ample et plus puissant que le
système qui s'appliquait précédemment. Ce dispositif permet, pour la première
fois, de financer la sécurité sociale par des cotisations qui portent non plus
essentiellement sur les salaires mais aussi sur les bénéfices des entreprises
et sur les entreprises polluantes.
Je suis convaincue que ce système favorisera la création d'emplois. Il est
très favorable aux entreprises de main-d'oeuvre, aux petites entreprises, au
commerce, à l'artisanat et aux services, tous secteurs qui sont actuellement
créateurs d'emplois.
Les entreprises de ces secteurs l'ont d'ailleurs bien compris : alors que
l'obligation ne leur est applicable qu'en 2002, elles sont déjà très nombreuses
à avoir signé des accords, soit d'entreprise, soit de branche.
Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, ce que je souhaitais rappeler
brièvement à l'occasion de la dernière lecture de ce texte devant votre
assemblée.
Ce texte est très important eu égard à notre démarche, qui est celle d'un
retour au plein emploi. Après les emplois-jeunes, le programme TRACE, l'aide
aux nouvelles technologies et aux PME, la réduction de la durée du travail fait
déjà la preuve de son efficacité.
Grâce à cette loi, notre pays passera un cap supplémentaire et acquerra une
maturité nouvelle en matière de relations sociales. Jamais on n'a autant
discuté au sein des entreprises à la fois de ce qui était nécessaire à leur
fonctionnement et de la manière de répondre aux souhaits des salariés. Au-delà
de la question de la quantité de travail, c'est la qualité de la vie dans
l'entreprise qui est placée au coeur de la négociation.
Bien sûr, je n'ignore pas, je vous l'ai déjà dit, que la réduction du temps de
travail n'est pas un exercice facile. Mais nous pouvons faire confiance aux
vertus des négociateurs : il n'est que d'examiner les accords auxquels ils sont
parvenus jusqu'à présent.
Il faut avoir confiance en nos concitoyens, qu'ils soient salariés ou chefs
d'entreprise, et leur dire que nous savons qu'à travers les accords signés ils
obtiendront ce qu'ils veulent, c'est-à-dire à la fois un meilleur
fonctionnement des entreprises, de meilleures conditions de travail et de vie,
plus de liberté, plus de loisirs et aussi plus d'emplois. C'est ce qu'attendent
nos concitoyens.
Voter contre ce texte, c'est voter contre leurs aspirations. C'est peut-être
également aller à contre-courant à une époque où chacun souhaite être reconnu
pour son utilité sociale dans le travail, pouvoir vivre dans de meilleures
conditions et mieux articuler sa vie professionnelle et sa vie personnelle.
Je vous invite donc, mesdames, messieurs les sénateurs, à ne pas perdre de vue
que cette réforme est une grande réforme de société, très attendue par nos
concitoyens et que, dès lors, il convient sans doute de la voter.
(Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des affaires sociales.
M. Jean Delaneau,
président de la commission des affaires sociales, en remplacement de M. Louis
Souvet, rapporteur.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers
collègues, le Sénat aborde aujourd'hui la nouvelle lecture du projet de loi
relatif à la réduction du temps de travail.
Dès ce soir, l'Assemblée nationale procédera à une lecture définitive de ce
texte. Cet ordre du jour de l'Assemblée nationale est programmé depuis
longtemps : cela signifie que son texte de nouvelle lecture aura constitué, par
avance, son « dernier mot ». C'est dire le peu de cas qui est fait de nos
délibérations d'aujourd'hui sur un projet de loi dont les conséquences
économiques et sociales - vous l'avez souligné, madame la ministre, et nous en
sommes bien d'accord - sont considérables, mais qui aura pourtant été examiné,
ce que nous déplorons, selon la procédure d'urgence !
Remplaçant M. Louis Souvet, qui a été retenu dans son département de façon
impérative, je rappellerai brièvement l'état du texte qui nous est transmis
avant d'indiquer les raisons qui ont conduit notre commission des affaires
sociales à déposer une motion tendant à opposer la question préalable.
Mon propos initial, monsieur le président, sera peut-être un peu long, mais il
vaudra justification de la question préalable.
A l'issue de la première lecture dans notre assemblée, quarante articles du
projet de loi restaient en discussion. Sans surprise, la commission mixte
paritaire, qui s'est réunie le 15 novembre dernier, a abouti à un constat
d'échec. Sans surprise, car le Sénat avait récusé ce qui constitue l'ossature
du projet de loi, c'est-à-dire l'abaissement général et autoritaire de la durée
du travail.
En nouvelle lecture, l'Assemblée nationale a, certes, suivi le Sénat sur deux
points.
Ce fut d'abord le cas d'un article additionnel inséré par le Sénat sur
l'initiative de notre collègue Jean Chérioux et qui a pour objet de valider les
versements effectués en contrepartie de permanences nocturnes comportant des
périodes d'inaction accomplies en chambre de veille par le personnel des
institutions sociales et médico-sociales.
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Très bonne disposition !
M. Jean Delaneau,
rapporteur.
Nous avons également été suivis dans la suppression d'un
article relatif au principe des contreparties dont devaient bénéficier les
salariés confrontés à un dispositif d'aménagement du temps de travail.
L'Assemblée nationale a, par ailleurs, adopté deux nouveaux articles
additionnels, dont l'un prévoit une entrée en vigueur de la loi postérieure au
1er janvier 2000.
Pour le reste, l'Assemblée nationale a rétabli son texte de première lecture,
notamment dans toutes ses dispositions relatives à l'abaissement de la durée
légale du travail à 35 heures. Elle a ainsi supprimé six articles additionnels
introduits par le Sénat et rétabli huit articles dans le texte qu'elle avait
adopté en première lecture.
Mais ces rétablissements n'ont pas été sans de nombreux remords ou
ajustements, qui ont concerné vingt-quatre articles, le plus souvent dans le
cadre d'un dialogue de l'Assemblée nationale avec elle-même sur des
dispositions déjà particulièrement complexes.
On peut, du reste, s'interroger sur le sens et l'intérêt de certaines
dispositions ajoutées en nouvelle lecture au regard de l'article 34 de la
Constitution, qui prévoit que « la loi détermine les principes généraux du
droit du travail ».
M. Alain Gournac !
Absolument !
M. Jean Delaneau,
rapporteur.
Ainsi, le paragraphe IV
bis
de l'article 1er précise
que, « si le décompte des heures de travail effectuées par chaque salarié est
assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable
et infalsifiable ». Pour voir là un principe général du droit du travail, il
faut pousser très loin l'interprétation de cet article 34 !
Pour reprendre une expression familière, lorsque les bornes sont franchies, il
n'y a plus de limites ! Il n'y a, en effet, guère de limites dans l'aspect
pointilleux, directif et complexe d'un dispositif qui prétend corseter le
détail des relations sociales. La nouvelle lecture à l'Assemblée nationale en a
témoigné à bien des égards.
« Il faudra aller plus loin dans le contrôle et les sanctions », disiez-vous,
madame la ministre, à l'Assemblée nationale, en évoquant le temps de travail
des cadres. Mais je crois effectivement que l'un des nombreux effets pervers de
votre loi sera de multiplier, de façon générale, les contrôles et les sanctions
à l'égard des entreprises qui ne pourront - ou ne sauront - appliquer votre
texte !
A contrario,
lorsque l'Assemblée nationale a bien voulu s'inspirer des
travaux du Sénat, le résultat obtenu a souvent permis d'apporter des réponses
raisonnables à certaines questions ; il convient toutefois de se demander si
celles-ci devaient être ainsi posées à la hâte.
L'exemple le plus marquant est sans doute celui qui a trait au régime
applicable aux temps d'habillage et de déshabillage.
En première lecture, l'Assemblée nationale avait, dans un article
additionnel, modifié l'article L. 212-4 du code du travail de telle façon que
les temps relatifs à l'habillage et au déshabillage, lorsqu'ils étaient prévus
par une norme légale, conventionnelle ou contractuelle, devaient être
considérés comme du temps de travail effectif.
Cela signifiait que, dans de nombreux secteurs d'activités, la durée
collective du travail allait être abaissée, dans un premier temps, à 35 heures
pour tenir compte de la nouvelle durée légale du travail, puis dans un deuxième
temp, à 32 ou 33 heures de travail productif, pour tenir compte des temps
d'habillage et de déshabillage.
En nouvelle lecture, l'Assemblée nationale a rebroussé chemin, approuvant la
position du Sénat qui avait adopté une solution de bon sens consistant à
prévoir que ces temps d'habillage et de déshabillage feraient l'objet de
contreparties mais ne constituaient pas du travail effectif.
La commission des affaires sociales souhaite par ailleurs insister en
particulier sur les suites données par l'Assemblée nationale à l'article
introduit par le Sénat qui prévoyait des dispositions particulières applicables
aux établissements soumis à la procédure d'agrément dans le secteur social et
médico-social.
Bien que vous ayez considéré, madame la ministre, que cet article était « sans
objet » lors du débat au Sénat
(Mme le ministre marque son étonnement) -
je vous renvoie à la page 5642 du
Journal officiel,
séance du 3
novembre 1999 : vous paraissez étonnée, mais c'est bien ce que vous avez dit -
l'Assemblée nationale a repris la préoccupation exprimée par la Haute Assemblée
aux articles 2 et 11, sous une autre forme.
J'observe à cet égard que la rédaction adoptée par l'Assemblée nationale n'est
pas sans poser des problèmes aux associations du secteur social, médico-social
et sanitaire.
Le paragraphe III de l'article 2 prévoit, certes, une dispense de paiement de
la contribution de 10 % pour les établissements ayant signé un accord en vertu
de la loi du 13 juin 1998 jusqu'au premier jour suivant la date à laquelle
l'autorité compétente aura statué sur la demande d'agrément, mais cet article
ne concerne pas les associations qui passeront des accords sous le régime de la
nouvelle loi : elles devront acquitter la contribution de 10 % dans l'attente
de l'agrément de l'accord, ce qui peut prendre jusqu'à six mois. Cela accroîtra
d'autant, pendant cette période, les coûts salariaux de ces établissements.
Je note également que de multiples incertitudes demeurent quant aux règles
applicables aux associations ayant passé des accords d'anticipation.
Je crois que l'Assemblée nationale aurait gagné à s'inspirer davantage de
l'article additionnel introduit par le Sénat et qui visait, dans notre esprit,
à repousser de plusieurs mois les conséquences financières des 35 heures pour
l'ensemble de ces établissements.
Ainsi saisie du présent projet de loi en nouvelle lecture, la commission des
affaires sociales a tenu à rappeler que le Sénat, tant lors du vote de la loi «
Robien » en 1996 que lors de l'examen de la loi dite « Aubry I » l'an dernier,
s'était montré résolument favorable à une réduction de la durée effective du
travail sur la base d'une démarche négociée entre les partenaires sociaux et
adaptée à la situation de chaque secteur d'activité et de chaque entreprise.
En revanche, la Haute Assemblée s'était vivement opposée à la démarche retenue
par le Gouvernement tendant à une baisse générale et autoritaire de la durée
légale du travail.
Lors de la première lecture, le Sénat a montré sa préférence pour une
extension du champ de la négociation collective. Il a réaffirmé sa conviction
selon laquelle la réduction du temps de travail devait être laissée à
l'initiative des partenaires sociaux. Cette position du Sénat constituait une
alternative crédible au projet de loi tel qu'il avait été adopté par
l'Assemblée nationale. Elle permettait, en tout cas, de prémunir notre économie
contre les effets néfastes de ce dispositif.
La commission des affaires sociales constate que cette démarche d'abaissement
de la durée légale du travail isole notre pays en Europe. Elle risque de lui
faire perdre le bénéfice qu'il est en droit d'attendre de la croissance
mondiale. Elle ouvre, de surcroît, un certain nombre de « boîtes de Pandore »,
telles la revalorisation massive du SMIC et la perspective, dans les fonctions
publiques, d'une baisse de la durée du travail assortie de nouvelles créations
d'emplois qui ne pourront que grever et le budget général, et les finances
locales, et les comptes sociaux.
Le financement des exonérations de charges consenties dans le cadre de la
réduction du temps de travail est, en outre, fragile et paradoxal. En effet, il
repose essentiellement sur les droits sur les tabacs et sur les alcools, sur la
taxation des heures supplémentaires et sur la taxe générale sur les activités
polluantes.Or ces impositions présentent le point commun d'avoir pour vocation
moins le rendement que la disparition de l'assiette sur laquelle elles sont
assises, c'est-à-dire, d'une part, les « pratiques addictives » - au rang
desquelles le Gouvernement, sans doute, place les heures supplémentaires ! -
et, d'autre part, les activités polluantes. De surcroît, ce financement, à
terme, n'est pas assuré pour le tiers environ du coût supplémentaire du projet
de loi.
J'insiste sur ce point, madame la ministre, car vous dites volontiers pour
votre défense qu'« il manquait en 1997 des crédits pour financer la "ristourne
Juppé". » Certes, mais les collectifs de fin d'année sont bien là pour ajuster
les dotations budgétaires en tant que de besoin ! Le collectif budgétaire pour
1999, sur lequel nous allons nous prononcer au début de la semaine prochaine,
ne déroge pas à la règle : il ouvre bien 20 milliards de francs de crédits
supplémentaires, hors remboursement, à l'UNEDIC.
Dans le cas de votre dispositif, le Parlement ne sait pas quelle est la clef
de son financement futur, quelle est la nature des transferts de charges qu'il
entraînera entre les agents économiques, quelles seront ses conséquences sur
l'emploi.
La commission constate, en outre, que la réduction de la durée légale du
travail conduit le Gouvernement à mettre en place une garantie mensuelle de
rémunération au niveau du SMIC et à accepter, par avance, une revalorisation
massive de son taux horaire.
En dépit des aides qu'il comporte, le projet de loi aura donc au total pour
effet un renchérissement du coût du travail peu qualifié et rendra plus
difficile l'insertion des populations les plus fragiles et les moins formées,
celles qui, précisément, bénéficient le moins des effets de la croissance.
M. Patrick Lassourd.
Très bien !
M. Jean Delaneau,
rapporteur.
La commission regrette que ce texte, dont le Gouvernement
considère qu'il est « l'occasion de s'interroger sur l'organisation de la
société », soit examiné dans l'urgence, je l'ai dit tout à l'heure, et n'ait
pas donné lieu - je le répète car je n'ai pas obtenu de réponse sur ce point -
à un avis du Conseil économique et social, comme le prévoit l'article 69 de la
Constitution.
Elle s'inquiète, en outre, des multiples atteintes que comporte le projet de
loi au principe d'égalité, tant entre les entreprises qu'entre les salariés.
Elle déplore, enfin, le peu de cas qui est fait du droit à la négociation
collective reconnu par le préambule de la Constitution de 1946.
Je constate, à cet égard, que le Gouvernement semble avoir pris la mesure des
objections soulevées concernant plusieurs articles de son projet de loi,
notamment ceux qui sont relatifs au « double SMIC » et à l'aide publique
attribuée aux entreprises signataires d'un accord de réduction du temps de
travail.
En ce qui concerne le SMIC, vous savez, madame la ministre, que nous sommes
nombreux à considérer que les différences de traitement qu'introduit le projet
de loi, tant entre les salariés à temps plein qu'entre les salariés à temps
partiel, ne sont guère justifiées au regard du respect du principe
d'égalité.
Je ne reviendrai pas davantage sur les objections que nous avons déjà
formulées quant à l'articulation entre l'aide publique et les accords signés
par les partenaires sociaux, qui constitue, de la part de l'Etat, une
délégation à des personnes privées du droit à engager la dépense publique et
qui crée, par ailleurs, des différences de traitement non justifiées entre les
entreprises.
Vous mesurez parfaitement, madame la ministre, les réserves constitutionnelles
qui peuvent être évoquées à l'encontre de ces dispositions. C'est sans doute la
raison pour laquelle vous avez estimé nécessaire de déclarer, à l'Assemblée
nationale, lors du débat en nouvelle lecture, que la rédaction de l'article sur
le SMIC se conformait au principe de l'égalité de traitement. Tel n'est pas
notre point de vue !
De même, il vous a paru utile de rappeler que « ce texte sur la durée du
travail visait à donner toute sa mesure au principe de liberté contractuelle
auquel le Gouvernement est très attaché ».
Il ne nous appartient pas de nous prononcer ici et maintenant sur la
constitutionnalité de ce projet de loi. Pour ma part, je me bornerai à rappeler
qu'en première lecture l'Assemblée nationale avait adopté, avec votre accord,
une disposition manifestement anticonstitutionnelle. Il s'agit du paragraphe
XVI de l'article 11, qui prévoyait le principe d'une contribution de l'UNEDIC
et des régimes sociaux au financement du fonds de financement de la réforme des
cotisations sociales. Cette contribution devait voir son montant fixé par
décret en Conseil d'Etat, ce qui est en contradiction avec le texte même de
l'article 34 de la Constitution.
Fait sans précédent, cette disposition a été supprimée par le Sénat sur
proposition de sa commission des affaires sociales, avec l'avis favorable du
Gouvernement. L'Assemblée nationale n'est pas revenue sur cette suppression en
nouvelle lecture.
Il ne nous appartient pas, je le rappelle, de présumer de la conséquence d'une
saisine probable du Conseil constitutionnel, mais je pense m'exprimer au nom de
l'ensemble de la majorité de notre Haute Assemblée en considérant que ce texte
remet gravement en cause des principes sociaux qui constituent autant de
fondements de notre République.
Je ne ferai que citer, à cet égard, les termes du huitième alinéa du préambule
de la Constitution du 27 octobre 1946 : « Tout travailleur participe, par
l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions
de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises. »
Faut-il rappeler qu'un principe essentiel de la démocratie sociale résidait
jusqu'alors dans la préférence donnée aux accords collectifs sur le recours à
la loi ?
M. Jean Chérioux.
Très bien !
M. Jean Delaneau,
rapporteur.
Le Gouvernement a ouvert une crise de confiance qui affecte
gravement l'ensemble de notre organisation sociale, la place qui doit être
celle de la négocation collective comme le rôle qui doit être celui des
partenaires sociaux dans la gestion paritaire de notre protection sociale.
Je terminerai en évoquant les regrets que m'inspire l'action du Gouvernement
depuis deux ans, notamment dans le domaine de l'emploi. Que d'occasions
manquées et de temps perdu !
Nous attendons toujours une véritable réforme de l'assiette des cotisations
patronales de sécurité sociale. Le mécanisme de financement des exonérations de
charges sociales lié aux 35 heures ne peut en tenir lieu ! La loi de
financement de la sécurité sociale de 1999 annonçait pourtant une réforme qui
devait avoir pour objet « de stabiliser le financement de la protection sociale
afin d'en assurer la pérennité, en recherchant une assiette moins sensible aux
variations de la masse salariale des entreprises ». Ce n'est pas, à l'évidence,
en finançant les 35 heures par la taxation des heures supplémentaires que vous
stabiliserez le financement de notre protection sociale !
Par ailleurs, la grande réforme annoncée de la formation professionnelle se
fait toujours attendre. Pendant ce temps, les effectifs de jeunes en alternance
stagnent et la pénurie de main-d'oeuvre qualifiée s'accroît.
Il y a, enfin, les emplois-jeunes, dont plus de la moitié ne savent pas quel
avenir leur est réservé.
Certes, le Gouvernement bénéficie d'une conjoncture favorable qui permet
d'observer, ce dont nous nous réjouissons tous, une éclaircie sur le front du
chômage. Mais tous les paramètres avaient viré au vert dès la fin 1996 ou en
janvier 1997.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
Pourquoi alors avoir dissous ?
M. Jean Delaneau,
rapporteur.
Le Gouvernement a bénéficié d'un effet d'aubaine, avant même
que ne soit prise la moindre mesure : il a fallu attendre pour cela la fin de
l'année 1997.
Prenant l'initiative de l'affrontement, le Gouvernement retarde les réformes
structurelles, pourtant indispensables à une baisse de notre taux de chômage,
qui est lui-même structurel. Or les réformes nécessitent la participation de
chacun à un effort commun !
Il y a, certes, une euphorie. Ainsi, vous êtes euphorique, madame la ministre,
quand vous nous donnez les chiffres de l'emploi. Mais il faut se méfier de
l'euphorie, qui a toujours des effets anesthésiants et qui évite parfois de
penser au lendemain et d'engager les réformes nécessaires.
Les conflits sociaux se multiplient à travers la France, dans les entreprises
du secteur privé comme dans le secteur public, qu'il s'agisse des hôpitaux, des
entreprises publiques ou des administrations. Le Gouvernement aura du mal à
nous persuader qu'il s'agit là d'un indice du succès de sa politique et de
l'adhésion qu'elle suscite ! C'est au contraire le doute qui s'installe.
On le voit, ce projet de loi est aussi grave par les conséquences qu'il aura
sur notre société et notre économie que par le nombre de réformes
indispensables qu'il a retardées, voire empêchées.
Aussi la majorité de la commission des affaires sociales vous
proposera-t-elle, mes chers collègues, l'adoption d'une motion signifiant le
rejet de l'impasse dans laquelle le Gouvernement s'obstine à engager notre pays
depuis deux ans.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et
Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidé par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 22 minutes ;
Groupe socialiste, 18 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 14 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 8 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Gournac.
M. Alain Gournac.
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, hier, France
Télécom était en grève afin de préparer les futures négociations. Cette grève
préventive reflète l'absurdité de certaines situations puisque, dans ce cas
précis, la réduction du temps de travail ne concerne que 10 % des personnels du
groupe, à savoir celui qui est régi par le droit privé, alors que les autres
personnels attendront 2002.
Un peu partout, aujourd'hui, les gens descendent dans la rue, se mettent en
grève,...
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Vous confondez avec l'époque
Juppé !
M. Alain Gournac.
... car ils sont soucieux de leur avenir, tant ils craignent que le progrès
social ne soit pas aussi manifeste que vous le leur laissez croire, tant ils
craignent également pour leur pouvoir d'achat.
Malgré ces mouvements sociaux qui se multiplient, vous nous assurez, forte des
accords signés, que le dialogue social se porte bien. Regardez par vos fenêtres
de la rue de Grenelle : celui-ci ne se porte pas si bien, et ce pour la simple
raison que les partenaires sociaux ont le sentiment d'avoir été méprisés.
Toute bonne politique de l'emploi ne peut se passer d'une véritable
négociation sociale. C'est ce que nous avions affirmé lors de l'examen de ce
texte en première lecture. En effet, contrairement aux allégations qui
tendaient à enfermer le discours du Sénat dans une logique réductrice - « soit
vous êtes pour la réduction du temps de travail, et donc pour le projet de loi,
soit vous êtes contre le projet de loi, et donc contre toute forme de réduction
du temps de travail » - nous sommes résolument contre votre méthode, mais
certainement pas contre la réduction du temps de travail négociée. D'ailleurs,
nous ne vous avons pas attendue pour le faire avec la loi Robien !
« Les syndicats, en France comme ailleurs, préfèrent obtenir quelque chose par
le dialogue, la discussion et la négociation plutôt que de se le voir octroyer
d'autorité par le pouvoir politique. » Ce n'est pas moi qui le dis, je cite le
Premier ministre qui s'est exprimé ainsi, lors de sa déclaration de politique
générale le 19 juin 1997. Sur ce point au moins, je partage cette analyse, que
vous n'auriez pas dû perdre de vue.
Pour nous, une réduction du temps de travail négociée devrait reposer sur
trois principes simples, que nous avons exposés en première lecture.
Premier principe : la tenue d'une conférence nationale sur le développement de
la négociation collective aurait dû être le préalable à toute réforme. Chacun
sait que les partenaires sociaux souffrent, dans notre pays, de l'insuffisance
de leur représentativité. Il aurait été souhaitable de les rassembler autour
d'une table et de chercher à remédier à cette situation.
Deuxième principe : le respect des partenaires par la validation des accords
qu'ils avaient signés. Il est totalement injuste de ne pas reconnaître tous les
accords signés par le patronat et les syndicats, lesquels ont été obtenus en
tenant compte de la réalité singulière de chaque entreprise.
Troisième principe : le renvoi à la négociation collective pour toutes les
questions relatives à l'application de la réduction du temps de travail dans
les autres articles du projet de loi.
L'Assemblée nationale a repoussé ces trois principes. Nous en prenons acte
!
Nous sommes, à l'évidence, face à deux conceptions qui s'opposent (
Mme la
ministre acquiesce
) : celle des tenants de la liberté et celle des tenants
de l'égalitarisme ; celle des tenants de la société de confiance et celle des
tenants de la société de défiance.
M. Guy Fischer.
Et le MEDEF ?
M. Alain Gournac.
Pour nous, la liberté de négociation n'est pas négociable. Quant à vous, au
nom de l'égalitarisme, il vous faut tout niveler, quitte à ce que cela se fasse
au détriment des intérêts vitaux de certains secteurs d'activité.
Il est regrettable que vous n'ayez pas écouté les voix du syndicalisme qui se
sont élevées. Ainsi, M. Edmond Maire déclare que « l'espoir de voir s'installer
dans ce pays des relations économiques et sociales nouvelles s'éloigne ». Et il
ajoute, à votre adresse : « Le Gouvernement a gâché de façon absurde les
chances de réforme. »
Mais Mme Nicole Notat n'est pas moins amère, qui déplore que le Gouvernement
soit passé par-dessus les syndicats.
Voilà ce qui nous sépare, voilà l'élément essentiel sur lequel je souhaitais
intervenir au nom du groupe du Rassemblement pour la République, qui défend la
liberté de négociation et le dialogue social en toute occasion, avec ses
partenaires de la majorité sénatoriale.
Ce que nous voulons, c'est la réconciliation des Français au sein de
l'entreprise et avec l'entreprise. Je ne rappelle que pour mémoire la
proposition de loi sur le plan épargne-retraite, adoptée le mois dernier, et ne
ferai qu'évoquer par anticipation celle qui est relative à l'actionnariat
salarié, dont nous débattrons demain.
Evidemment, ce n'était pas notre seul point de désaccord, et M. le rapporteur
a excellemment rappelé les multiples zones d'ombre de ce projet de loi.
Il s'agit d'abord de son financement, injuste. On crée en effet de nouvelles
taxes, on augmente l'assiette de celles qui existent et on en détourne d'autres
de leurs fins.
Il s'agit ensuite de l'iniquité de ses dispositions, qui divisent nos
concitoyens, qu'ils soient salariés d'une grande ou d'une petite entreprise,
suivant leur date d'entrée dans une société, ou au regard des heures
supplémentaires, suivant qu'ils sont salariés d'une entreprise qui a passé ou
non un accord sur la réduction du temps de travail.
Il s'agit encore du centralisme du dispositif, qui traite de tout, y compris
du contenu du contrat de travail.
Il s'agit enfin du caractère inapplicable de la réforme, comme le prouve la
création de 130 emplois destinés principalement à contrôler plus encore nos
entreprises.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
Eh oui ! C'est nécessaire.
M. Alain Gournac.
Dans la longue liste des incohérences, j'aimerais également attirer votre
attention sur l'amendement adopté par l'Assemblée nationale qui exclut les
salariés itinérants non cadres du forfait annuel en jours. Cette disposition
aura des conséquences désastreuses pour les entreprises du commerce en ce
qu'elle déstabilisera l'organisation de leurs forces de vente.
Quitte à vous obstiner dans cette logique, madame le ministre, il aurait été
souhaitable au moins de maintenir le principe de la réduction du temps de
travail en jours pour les salariés itinérants, dont on sait bien que les
conditions de travail ne permettent pas, et ne permettront jamais, un décompte
quotidien en heures.
Les critiques sont nombreuses mais, une fois encore, ce que nous ne pouvions
accepter, c'est le mépris délibérément affiché à l'égard des partenaires
sociaux. Nous nous sommes retrouvés de nouveau devant cette logique que nous
croyions à jamais disparue : faire le bonheur des gens contre leur gré et sans
leur avis. Curieuse manière d'entrer dans le xxie siècle !
Pour toutes ces raisons, notre groupe votera la question préalable de notre
excellent rapporteur, M. Louis Souvet.
(Applaudissements sur les travées du
RPR et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, faute de
s'accorder sur le principe même du recours à la loi pour franchir un pas de
plus dans le processus continu et général de réduction du temps de travail,
faute aussi de partager une conception commune tant du droit du travail que des
relations sociales, les sénateurs et députés réunis en commission mixte
paritaire ont inévitablement conclu, le 15 novembre dernier, à l'impossibilité
d'élaborer un texte commun sur les articles de ce texte restant en
discussion.
Suivant les conclusions de la commission des affaires culturelles, familiales
et sociales en nouvelle lecture, les députés ont naturellement, pour
l'essentiel, rétabli le texte adopté en première lecture, et confirmé ainsi
leur volonté de faire vivre et réussir les 35 heures.
Pour nous, il était essentiel de reconduire les améliorations sensibles
obtenues grâce à l'intervention, en première lecture, des parlementaires de la
gauche plurielle.
Je pense, notamment, à la définition du temps de travail effectif, au lien
entre allégement des charges sociales des entreprises et créations d'emplois,
au SMIC, aux quelques garanties entourant la modulation et le temps partiel,
tant le texte reprofilé par le Sénat, qui ambitionnait uniquement d'aménager le
temps de travail, réduisait à néant la possibilité pour les 35 heures d'être un
facteur de progrès social.
Je m'arrêterai sur l'attitude de la Haute Assemblée qui, à l'instar de la
droite en général, s'est employée, depuis la conférence sur l'emploi d'octobre
1997, à relayer la thèse du MEDEF selon laquelle les 35 heures seraient une
mauvaise chose à la fois pour l'entreprise, pour l'économie du pays et pour les
salariés, en oubliant de relever qu'aujourd'hui même la France demeure le
troisième pays d'accueil des investissements étrangers, que de nombreuses
entreprises se créent, en particulier dans le secteur des nouvelles
technologies, et que, enfin, la croissance économique aidant, les entreprises
françaises, comme les indices boursiers, affichent une excellente santé
financière.
A l'approche de l'échéance du vote définitif du projet de loi et de l'entrée
en vigueur de la nouvelle durée légale du travail, les syndicats et les
salariés du secteur public comme du secteur privé se sont mobilisés, mais ce
n'était pas, messieurs, contre les 35 heures : il s'agissait bien de réclamer
la diminution effective du temps de travail, des garde-fous renforcés contre la
précarité et l'annualisation, une réelle maîtrise du temps libéré ainsi que
l'ouverture de négociations. Il s'agissait aussi de contester les modalités
pratiques d'application de la réduction du temps de travail, principalement la
modération salariale et l'intensification du travail.
En bref, tous partagent notre souhait d'une loi réellement créatrice d'emplois
et facteur d'amélioration tant des conditions de travail que de la qualité de
vie.
Aspirations étrangères au MEDEF, qui a pris prétexte de la réduction du temps
de travail pour dénoncer en cascade les conventions collectives, remettant
ainsi en cause les garanties collectives de salariés avec lesquels il
tergiverse, bloquant les négociations sur les 35 heures, essayant à tout prix,
à cette occasion, de monnayer plus de flexibilité en multipliant les ouvertures
dominicales, les nocturnes et le recours massif au temps partiel.
L'exemple des grands magasins est révélateur de la tentative de certains
dirigeants de négocier au rabais, de leur volonté d'user des 35 heures comme
d'une excuse pour introduire toujours plus de souplesse, d'intensifier le
travail, d'en diminuer les coûts pour s'assurer d'importants profits financiers
en méprisant le développement de l'emploi, des qualifications et des
rémunérations !
Tel était aussi le sens de votre démarche, messieurs, lorsqu'en première
lecture, après avoir proposé de supprimer le coeur même du dispositif
confirmant la généralisation du passage à la nouvelle durée légale - l'article
1er - vous vous êtes attachés, amendement après amendement, à mettre en place
un dispositif qui circonscrit au minimum, c'est-à-dire à rien, des garanties
essentielles pour les salariés, à savoir les contreparties nécessaires et leurs
droits d'intervention, et qui élargit la panoplie des outils de flexibilité au
point de remettre en cause l'effectivité de la réduction du temps de
travail.
Qu'il s'agisse de la modulation ou du temps partiel, vous vous êtes évertués à
en faciliter l'usage et vous avez balayé d'un revers de main la prévisibilité
des horaires de travail et les délais de prévenance, pourtant si
nécessaires.
En maintenant l'abattement spécifique au temps partiel, incitation favorable à
l'employeur, vous avez miné toute tentative de renforcement du caractère choisi
du temps partiel.
Vous vous êtes opposés à la moralisation des recours aux plans sociaux, à
l'accroissement des pouvoirs du juge des référés en matière de suspension des
licenciements et de réintégration des salariés.
Les substituts envisagés pour favoriser les négociations, les conditions
posées, qui renforcent les pouvoirs des employeurs, ne servent, en fait, que
les intérêts du MEDEF et bloqueront la dynamique des 35 heures.
Que dire de vos souhaits de voir organiser une conférence sur la négociation
collective qui nie le rôle de la commission nationale collective, de valider
pour cinq ans des clauses litigieuses d'accords signés par des syndicats de
préférence minoritaires - remettant en cause au passage le droit existant en
matière de formation professionnelle ou de repos dominical, généralisant le
forfait tout horaire - et de passer outre l'obligation d'un accord collectif
préalable à la mise en place du régime des astreintes, de la modulation, du
contrat de travail intermittent ? Que dire de ces souhaits, sinon qu'ils
traduisent les conditions posées par le MEDEF pour rendre cette seconde loi
moins inacceptable ?
De surcroît, ils participent d'une stratégie plus générale, ultralibérale, de
casse du socle de base des normes sociales et, parallèlement, de recul du poids
de la puissance publique, du champ d'intervention de la loi, des droits
sociaux, pour laisser la place à des « contrats sociaux » négociés entreprise
par entreprise !
Non, ni les formes nouvelles de travail qu'il prône, ni la vision du
paritarisme, de la protection sociale ou de la société avancée par le MEDEF ne
nous semblent modernes.
Dans ce contexte de pression permanente, introduire des précisions dans la
loi, ajouter dans le code du travail des garanties pour les salariés, ce n'est
en rien « corseter » le texte ou le rendre plus « directif ». C'est se donner
toutes les chances pour que les négociations soient le plus équilibrées
possible et aboutissent à augmenter les effectifs, sans négliger les salaires
et en repensant l'organisation du travail pour harmoniser les temps d'activité
et les temps libres.
Rétablir le texte complètement démantelé par le Sénat nous paraissait à ce
titre important, mais non suffisant. C'est pourquoi, à l'occasion de la
navette, les parlementaires communistes ont insisté pour que certaines des
critiques formulées soient prises en compte.
Je constate avec satisfaction que, sur deux points importants à nos yeux, le
projet de loi a pu évoluer.
Je pense, en premier lieu, à l'application des 35 heures aux cadres. Ceux-ci,
après deux manifestations nationales sur la base d'un appel unitaire des
organisations syndicales, ont empêché que soit banalisé le décompte en jours
qui, dérogatoire au droit commun, ouvre aux syndicats majoritaires non
signataires de l'accord un droit d'opposition.
Même si, comme nous le souhaitions, les limites horaires n'ont pas été
réintroduites, des barrières ont été dressées pour que les entreprises
n'ouvrent pas largement le forfait en jours à tous les cadres et itinérants.
En effet, le texte, d'une part, dissocie la situation des salariés itinérants
de celle des cadres itinérants - qui, seuls, peuvent désormais en bénéficier -
et, d'autre part, retient le critère d'autonomie de l'emploi du temps.
De plus, des moyens de contrôle et de sanction en cas de non-respect des
règles ainsi que des mesures telles que l'obligation pour l'employeur de tenir
à disposition de l'inspection du travail un document récapitulatif
comptabilisant les jours de travail ou la possibilité de contester devant le
juge et d'obtenir réparation, en cas notamment de non-application de la loi,
sont utilement venus prévenir l'intensification du travail de ces salariés.
En second lieu, en acceptant que, dans le cadre du bilan pour l'emploi, le
Gouvernement dresse un rapport sur l'application des 35 heures dans la fonction
publique et le secteur public, on pallie l'absence de référence à la fonction
publique, qui était préjudiciable.
Je regrette que, sur la question pourtant centrale et délicate des heures
supplémentaires, qui représentent entre 108 000 et 230 000 emplois équivalents
temps plein, nos demandes de suppression de la période transitoire d'un an et
de taxation plus importante n'aient pu aboutir.
Nous prenons acte des nouvelles précisions apportées et nous pensons qu'on
aurait pu aller plus loin, notamment à travers la politique des allégements de
charges, mêmes conditionnés à la réduction du temps de travail, par exemple, ou
la faible participation des entreprises au fonds de financement de la réforme
des cotisations sociales.
Quoi qu'il en soit, globalement, et contrairement à vous, messieurs de la
majorité sénatoriale, qui nous proposez aujourd'hui d'adopter une motion
tendant à opposer la question préalable, clôturant ainsi symboliquement le
parcours parlementaire sur ce texte emblématique de la gauche plurielle par un
rejet du texte, nous sommes convaincus qu'il convient d'ouvrir toutes les
pistes pour continuer à faire baisser le chômage et pour enrichir la croissance
en emplois.
Pour renouer effectivement avec une société du plein emploi, où le travail
précaire, les formes de travail atypiques, sources d'insécurité, ne seraient
plus la norme, nous croyons aux atouts de la formation professionnelle et de la
réduction du temps de travail. Vous l'aurez compris, nous ne voterons pas la
motion présentée par la commission des affaires sociales.
(Applaudissements
sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à Mme Dieulangard.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous arrivons
pratiquement au terme du processus législatif qui permettra à notre pays de
s'engager résolument dans un mouvement général et négocié de réduction du temps
de travail.
La majorité et le gouvernement de Lionel Jospin ont voulu faire de cette
réforme un axe important da la lutte contre le chômage, parce que nous refusons
la fatalité d'un partage sauvage du temps de travail entre ceux qui ont un
emploi et ceux qui n'en n'ont pas, parce que nous entendons répartir les fruits
de la croissance et les retombées des progrès technologiques de façon plus
équitable, parce que notre projet repose sur un objectif : que chacun de nos
concitoyens puisse se voir reconnaître une place dans la société, place qui,
ont le sait bien aujourd'hui, est grandement conditionnée par le travail.
Cette réforme est éminemment politique, car les objectifs qui l'inspirent
touchent aux fondements essentiels de notre relation au travail. Elle révèle
clairement les aspirations de nos concitoyens en faveur d'un meilleur équilibre
entre la sphère privée et leur vie professionnelle.
Elle requiert que nous imaginions de nouvelles réponses aux mutations que va
susciter la mise en oeuvre de la réduction du temps de travail. Je pense aux
opportunités qu'ouvre le temps libéré en termes de loisirs, d'enrichissement
personnel et de renforcement du lien social.
Je pense également - permettez-moi d'insister sur ce point - à un meilleur
équilibre dans le partage des responsabilités au sein de la cellule familiale,
afin que ces nouvelles disponibilités se traduisent par une amélioration de la
situation des femmes. Sans éluder les nécessaires évolutions culturelles
qu'implique cette amélioration - c'est l'affaire de chacun et ce sera sans
doute plus facile au sein des jeunes générations - cela suppose, par exemple,
que l'on repense les différents modes de garde des enfants.
Cela exige aussi que les négociateurs veillent à ce que les nouveaux outils de
modulation ne compliquent pas davantage le parcours du combattant
qu'accomplissent très souvent les parents.
La loi prévoit, à cet égard, des mécanismes que les représentants du personnel
peuvent utiliser afin de combattre les dérives en ce domaine.
Nous avons également saisi l'occasion de cette réforme pour lutter contre les
recours abusifs au temps partiel ou au travail précaire. Nous serons amenés,
madame la ministre, à travailler prochainement sur cette question, sans doute
dans le courant de l'année 2000.
Les discussions que nous avons eues au cours de ces deux années ont mis en
évidence les nombreuses divergences qui opposent la majorité et l'opposition en
matière de réduction du temps de travail.
Elles se concluent aujourd'hui, sur l'initiative de la majorité de la
commission des affaires sociales, par le dépôt d'une motion tendant à opposer
la question préalable.
Tout au long de nos débats, chers collègues de la majorité sénatoriale, vous
avez affirmé que vous n'étiez pas opposés au principe de la réduction du temps
de travail. D'ailleurs, M. Gournac a rappelé tout à l'heure que vous aviez voté
la loi Robien.
Mais vous refusez le rôle que nous attribuons à cette réduction de temps de
travail dans le cadre de la politique de l'emploi et de la politique
économique, alors que nous mesurons désormais les incidences des premiers
accords en termes de création ou de préservation d'emplois, soit, à ce jour,
120 000 emplois. Un cinquième de ces recrutements concernent des jeunes de
moins de vingt-six ans et 75 % de ces postes ont été créés sous forme de
contrats à durée indéterminée.
Par ailleurs, deuxième angle d'attaque, vous contestez la légitimité de
l'intervention de la loi dans ce champ et vous voulez, dites-vous, valoriser la
négociation collective.
Nous ne sommes pas loin de l'accusation que portent depuis le début l'Union
des industries métallurgiques et minières, l'UIMM et le MEDEF, qui dénoncent ce
qui, à leurs yeux, est une « immixtion de l'Etat qui s'apparente à une
nationalisation des rapports sociaux » !
Le Gouvernement et la majorité ont résolument opté pour une réforme qui allie
à la fois la loi et le contrat.
Nous pensons, en effet, que c'est à la loi républicaine de fixer un objectif,
d'établir un cadre juridique définissant, à l'échelon national, un ensemble de
garanties, qui relèvent notamment de l'ordre public social. Et c'est à la
négociation collective, décentralisée à l'échelon des branches ou des
entreprises, d'en organiser la mise en oeuvre.
Nous avons fait, ici, le pari audacieux de la relance du dialogue social, qui
était en panne, et d'un renouveau de la démocratie sociale. Or personne ne
conteste aujourd'hui la nouvelle dynamique qu'ont enclenchée les discussions
autour des 35 heures permettant à des revendications trop longtemps jugulées de
s'exprimer.
L'élaboration de ce cadre législatif a été également l'occasion pour le
Gouvernement de préciser de nouveaux outils de la négociation collective, qu'il
s'agisse de la réaffirmation du principe majoritaire, du mandatement, dont les
conditions d'exercice sont mieux définies, ou de la consultation des salariés
qui résulte de l'expérience que nous apportent les accords issus de la loi
Aubry.
Ce sont autant d'actes forts de la part du Gouvernement qui, contrairement à
vos dires, se donne véritablement les moyens de favoriser la négociation
collective.
En effet, la majorité sénatoriale affirme vouloir renforcer la négociation
collective et améliorer la représentation des salariés, notamment dans les
petites et moyennes entreprises, mais les amendements que vous avez adoptés ont
de quoi nourrir nos craintes sur les conditions d'une telle négociation.
Je ne citerai que quelques exemples : vous ouvrez la possibilité de recourir
au travail intermittent sans la signature d'un accord collectif ; vous
reconnaissez à l'employeur le droit de déroger unilatéralement aux durées
maximales, journalières et hebdomadaires ; vous supprimez l'obligation
d'informer le comité d'entreprise des aides reçues au titre de la réduction du
temps de travail.
Par ailleurs, vous dénoncez un procès d'intention lorsque nous décelons dans
vos propositions une remise en cause de garanties importantes en faveur des
salariés.
Mais qui, dans cette assemblée, suggère la suppression du droit de refuser une
modification de son agenda professionnel pour des raisons familiales, alors
même que nous souhaitons faire de cette loi un vecteur de progrès, afin de
mieux concilier vie familiale et vie professionnelle ?
Pourquoi refuser aux salariés soumis à un régime d'astreinte le bénéfice d'un
délai de prévenance de quinze jours ?
Vous exhortez régulièrement le Gouvernement à encourager le développement du
temps partiel, mais vous dénoncez parallèlement les dispositions organisant ce
temps partiel dans le cadre d'un accord collectif et qui mettent en place des
passerelles entre travail à temps plein et travail à temps partiel.
Vous proclamez, au fil de nos débats, votre credo sur les allégements de
charges, mais quand le Gouvernement propose une réforme ambitieuse des
cotisations patronales, liant les allégements sur les bas et moyens salaires
aux créations d'emploi dans le cadre de la réduction du temps de travail, vous
la récusez. Vous vous opposez également à la diversification des ressources
pour notre protection sociale, qui doit permettre d'alléger le facteur «
travail ».
La stratégie que vous avez tenté de mener tout au long de ce débat reflète
finalement vos contradictions.
En effet, il se révèle que, en dépit de ce qui a pu être dit, notamment au
cours de l'examen de la première loi de 1998, nos concitoyens se sont
progressivement appropriés cet enjeu de société qu'est la réduction du temps de
travail. On les disait davantage préoccupés par la revalorisation de leurs
salaires, qui est une revendication légitime, mais ils manifestent aujourd'hui
afin d'accélérer le processus de négociation des réductions du temps de
travail.
D'après un récent sondage, 59 % des salariés qui ne bénéficient pas encore de
cette réduction estiment que celle-ci améliorera leur qualité de vie.
Par ailleurs, 85 % des salariés interrogés dans les entreprises ayant signé un
accord considèrent que la mise en oeuvre de la réduction du temps de travail
est une bonne chose ; ce taux passe même à 95 % pour les femmes. Parallèlement,
85 % des employeurs déclarent que la réduction du temps de travail a un effet
positif sur leur entreprise.
On disait les cadres à mille lieues de cette aspiration, voués corps et âme à
leur entreprise. Or 90 % des accords signés prévoient des dispositions qui les
concernernent et ils demandent des garanties supplémentaires autour des
dispositifs envisagés à leur intention.
De fait, vous oscillez en permanence entre cette réalité que vous ne pouvez
pas méconnaître, à savoir l'adhésion des salariés et des chefs d'entreprise -
lorsque ceux-ci ne sont pas inféodés au MEDEF - et votre souci de ne pas être
devancés par cette organisation patronale dans un travail de sape de l'action
du Gouvernement.
Le Parlement, démocratiquement élu, vote une loi. Qu'importe, le MEDEF appelle
ses adhérents à en combattre l'application, quitte à se placer dans
l'illégalité.
Le discours qu'il tient aujourd'hui autour des divergences en matière
d'encadrement du contingent d'heures supplémentaires - discours relayé dans
cette enceinte - est assez significatif de sa volonté de se placer en dehors
des règles déterminées par la représentation nationale.
Nous avons entendu, ces dernières semaines, le MEDEF invoquer la défense du
paritarisme pour expliquer ses prises de position radicales et contradictoires.
Mais quelle cohérence et quel sens y a-t-il à en appeler à une « nouvelle
constitution sociale » tout en bloquant les négociations au sein de l'UNEDIC,
tout en refusant de discuter de la formation professionnelle et en menaçant de
se retirer de la gestion des organismes paritaires, à commencer par la CNAM, la
Caisse nationale de l'assurance maladie.
La dernière manifestation de M. Seillière, qui a refusé de vous rencontrer,
madame la ministre, met en évidence sa volonté de rompre avec notre
organisation sociale telle qu'elle a été définie notamment par le Conseil
national de la Résistance.
On peut s'interroger sur le sens des responsabilités de cette organisation
patronale, qui n'hésite pas à instrumentaliser le paritarisme à des fins
politiciennes.
M. André Lejeune.
Cela a toujours été le cas !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
J'en viens aux débats en nouvelle lecture à l'Assemblée nationale, qui ont
permis d'apporter des précisions sur des questions que les sénateurs
socialistes avaient souhaité soulever.
Je pense à la difficile question du calcul du temps de travail effectif et du
temps consacré à l'habillage dans certaines professions soumises à des
réglementations strictes en termes d'hygiène et de sécurité.
La majorité sénatoriale avait adopté la solution radicale consistant à exclure
ces périodes du temps du travail effectif. Mais notre collègue Bernard Cazeau
avait attiré votre attention, madame la ministre, sur la situation de
l'industrie agroalimentaire.
La solution retenue à l'Assemblée nationale pose le principe de l'exclusion de
ces périodes du calcul du temps de travail effectif, mais envisage des
contreparties, financières ou sous forme de repos. Elle fait prévaloir,
parallèlement, les dispositions conventionnelles qui auront pu les
comptabiliser dans le temps de travail effectif.
Le régime d'équivalence a donné lieu a quelques précisions, à la demande du
Sénat, afin de tenir compte des décisions prises pour les chambres de veille
dans les établissements médico-sociaux.
Le champ des entreprises pouvant bénéficier des allégements est précisé :
seront concernés les établissements médico-sociaux, les associations
intermédiaires ainsi que les entreprises d'insertion, les entreprises de
travail temporaire qui seront passées aux 35 heures et dont le salarié exercera
une mission dans une entreprise ayant également signé un accord.
Ces dernières semaines ont été l'occasion, pour les cadres, d'exprimer leurs
craintes de voir la formule du forfait, notamment celui qui est calculé en
jours, donner lieu à des dérives dès lors que ce dispositif ne s'articulait
plus autour de durées maximales.
C'est en vue d'éviter ces abus que le groupe socialiste du Sénat avait déposé
des amendements, afin, d'une part, de se référer au moins à la durée maximale
hebdomadaire et, d'autre part, de mieux sérier la définition de la notion
d'itinérants non cadres.
L'Assemblée nationale est intervenue sur ces deux volets. Elle a, tout
d'abord, reconnu le caractère dérogatoire du forfait calculé en heures. Elle a,
ensuite, exclu du dispositif du forfait calculé en jours les itinérants n'ayant
pas le statut de cadres. Cette option répond à notre attente. Elle a, enfin,
instauré un droit d'opposition en faveur des syndicats majoritaires face à
l'instauration de ce dispositif. Elle a renforcé le pouvoir de contrôle de
l'inspection du travail et a reconnu le droit pour le salarié qui s'estime lésé
de contester ses horaires devant le conseil des prud'hommes et d'obtenir,
éventuellement, une compensation.
Enfin, les sénateurs socialistes avaient défendu un amendement afin que la
procédure de licenciement engagée à l'encontre d'un salarié qui refusait une
réduction du temps de travail occasionnant une dégradation de sa situation soit
entourée de l'ensemble des garanties qui accompagnent les licenciements
économiques, à commencer, bien sûr, par le droit d'ester en justice.
L'Assemblée nationale a dégagé une formulation permettant de préciser la
procédure attachée au licenciement individuel, qui ne sera plus « réputé
reposer sur une cause réelle et sérieuse ».
Avant de conclure, madame la ministre, je soulèverai la question de la mise en
oeuvre de la réduction du temps de travail dans le secteur de la pêche.
Ce secteur connaît de profondes restructurations depuis plusieurs années et
doit faire face à des problèmes de recrutement, notamment en raison de la
pénibilité des conditions de travail.
De toute évidence, il ne saurait être question d'y mettre en place la
réduction du temps de travail par le biais d'un décompte en heures. La solution
du décompte en jours avait été évoquée, et des négociations avec les
partenaires sociaux de la profession ont été menées, au cours desquelles il a
été convenu de prendre en compte les différences qui existent entre la pêche
artisanale et la pêche industrielle.
Madame la ministre, dès la promulgation de cette loi, il sera nécessaire
d'envisager, le plus rapidement possible, la prise d'un décret visant cette
profession. Il sera important qu'il puisse permettre de concilier le code du
travail maritime et le code du travail.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la motion
tendant à opposer la question préalable résume à elle seule la position de la
majorité sénatoriale, qui rejette l'ensemble du texte et considère donc qu'il
n'y a pas lieu d'en discuter.
Cette motion symbolise parfaitement le clivage qui nous sépare, car les
sénateurs socialistes sont convaincus que cette loi est source de progrès :
progrès économique pour nos entreprises, qui repensent et réorganisent leurs
modes de fonctionnement et de production, progrès social, car elle contribue à
la lutte contre le chômage et à l'amélioration de la qualité de vie de nos
concitoyens.
Mais il est vrai que cette dimension ne s'évalue pas, au moins à court terme,
en parts de marché, pas plus qu'en points de croissance, et c'est probablement
la raison pour laquelle cet apport essentiel de la réduction du temps de
travail est absent des préoccupations de la majorité sénatoriale.
Madame la ministre, je conclurai mon intervention en saluant, au nom de mes
amis du groupe socialiste, l'énergie, la capacité d'écoute et la force de
conviction dont vous avez fait preuve tout au long de l'élaboration de cette
réforme fondamentale pour la gauche plurielle.
M. André Lejeune.
C'est vrai !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
Cette réforme est désormais entre les mains des partenaires sociaux. Mais à
notre niveau, en tant que parlementaires et élus locaux, nous nous mobiliserons
pour favoriser sa mise en oeuvre.
(Applaudissements sur les travées
socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Nogrix.
M. Philippe Nogrix.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, au rebours de
tous nos voisins européens, c'est avec une certaine frilosité que nous allons
entrer dans la mondialisation, et ce en grande partie à cause de la réduction à
35 heures du temps de travail imposée par le Gouvernement.
Nos partenaires européens ont, en effet, tous préférés à la mise en oeuvre des
35 heures des solutions qui s'inspirent de la stratégie pour l'emploi définie
par l'OCDE et qui privilégient la croissance, la flexibilité et la libre
négociation entre les partenaires sociaux.
Or, par votre projet de loi, madame la ministre, vous tournez le dos non
seulement à la logique incitative et individuelle, mais également à la
concertation et à la négociation que prévoyait, notamment, la loi Robien de
1996.
Votre texte marque, c'est indéniable, un véritable recul de la négociation
sociale, et les mouvements sociaux qui se multiplient actuellement illustrent
bien mon propos. Espérons qu'ils ne seront pas aussi puissants que celui que
vous espérez avoir lancé, comme vous nous l'avez affirmé tout à l'heure !
En effet, votre projet de loi, rigide et complexe, va malheureusement priver
les entreprises de la souplesse dont elles ont besoin pour aménager le temps de
travail et va approfondir encore un peu plus l'« exception française ». La
réduction administrative du temps de travail, avec fixation non seulement de la
durée hebdomadaire mais également du niveau de la rémunération et du régime des
heures supplémentaires, constitue bien une exception, puisqu'elle nous isole de
nos partenaires européens.
Alors que, dans l'Europe entière, c'est le contrat social qui prévaut,
permettant de répondre aux attentes des entreprises et des salariés, en France,
le Gouvernement choisit la méthode autoritaire en imposant une loi
contraignante. Vous risquez ainsi, madame la ministre, de briser le dynamisme
du renouvellement des rapports sociaux, véritable levier des avancées
souhaitées pour le modèle social européen à venir.
Les effets de cette loi sur l'emploi se révèlent déjà très décevants, malgré
votre enthousiasme, parce qu'elle a été imposée par l'Etat comme étant la seule
solution. Or, c'est votre solution, et rien d'autre ! Les négociateurs, que
vous avez évoqués, n'en veulent pas en l'état, pas plus les employeurs que les
syndicats.
Parmi les salariés eux-mêmes, les pertes de revenus liées à la réduction du
temps de travail affecteront surtout ceux qui, aujourd'hui, font volontairement
des heures supplémentaires et dont les rémunérations se situent plutôt vers le
bas de la hiérarchie. Ce sont les mêmes qui feront également les frais de la
flexibilité accrue des horaires !
S'agissant de la solidarité et de la justice sociale, c'est aussi un bilan
négatif qui se profile déjà à l'horizon.
Quant à l'allongement de la durée du temps libre, s'agit-il réellement d'une
avancée sociale ? La plupart des salariés, lorsqu'ils peuvent choisir,
arbitrent naturellement en faveur plutôt d'une hausse de leurs revenus que d'un
surcroît de temps libre. Les loisirs réclament en effet des moyens financiers,
ce qui est difficilement compatible avec la baisse du niveau de vie engendrée
par un gel des salaires généralisé.
En dépit des aides qu'il prévoit, le projet de loi aura au total pour effet un
renchérissement du coût du travail peu qualifié et rendra encore plus difficile
l'insertion des populations les plus fragiles et les moins formées, celles qui,
précisément, bénéficient le moins des effets de la croissance, croissance
heureusement bien réelle et qui vous permet de donner à penser que les
améliorations constatées sont dues à votre politique.
Ce texte comporte également des atteintes au principe d'égalité, tant entre
les entreprises qu'entre les salariés.
Il faut déplorer, en outre, le peu de cas qui est fait du droit à la
négociation collective, droit pourtant reconnu par le préambule de la
Constitution de 1946.
Le bilan que vous avez présenté le 20 septembre dernier, et que Mme
Dieulangard a rappelé tout à l'heure, montre que les accords d'entreprise ont
abouti à la création ou à la préservation de 120 000 emplois, soit 83 826
créations nettes d'emplois, compte tenu des 18 800 emplois relevant du secteur
public et des 17 600 emplois dont la suppression aurait été évitée.
Toutefois, madame la ministre, ces entreprises pouvaient-elles prendre le
risque d'être hors-la-loi, une loi que vous aviez les moyens démocratiques de
faire voter ? Leur signature ne vaut cependant pas adhésion.
Quoi qu'il en soit, les emplois promis dans l'optique de l'application de la
première loi correspondent finalement, dans ces conditions, à 0,58 % seulement
des effectifs actuels du secteur marchand. Ce chiffre de 83 826 créations
nettes d'emplois recouvre donc, à l'évidence, des effets d'aubaine ou de
substitution, par exemple la transformation de CDD en CDI ou de contrats
d'intérim en emplois définitifs, des rapatriements d'activité, etc.
Mais ce bilan devra être revu à la baisse, car il ne permet pas d'estimer
l'influence globale des 35 heures sur l'emploi, compte tenu de projets de
restructuration concernant certaines entreprises et de possibles disparitions
d'emplois liées au coût de la mise en oeuvre des 35 heures et aux rigidités
qu'elle implique pour les entreprises exposées à la concurrence
internationale.
Interrogés sur les conséquences des 35 heures pour l'emploi, 61 % des
directeurs des ressources humaines considèrent qu'elles n'auront pas d'effet
positif, que ce soit pour leur entreprise ou pour l'économie française en
général, et encore ne se sont pas exprimés les dirigeants des entreprises
n'ayant pas de directeur des ressources humaines, lesquelles représentent, dans
nos régions, le moteur le plus dynamique du développement actuel. Vous jouez
avec elles aux apprentis sorciers, vous les fragilisez inutilement, alors
qu'elles auraient besoin de soutien et de reconnaissance, car ce sont elles qui
créent des emplois !
De leur côté, les inspecteurs du travail sont très déçus, car l'application
concrète de cette loi ne correspond pas aux espoirs qu'ils avaient placés en
elle.
S'agissant plus particulièrement des cadres, le projet consistant à décompter
la durée de leur travail en jours aura inévitablement pour conséquence
d'empêcher le contrôle du nombre d'heures travaillées quotidiennement. Les
cadres « autonomes » seront donc les grands perdants de la mise en oeuvre de
votre loi, madame la ministre, car il faudra bien faire fonctionner la machine
! Mesdames, messieurs les cols blancs, au charbon !
En ce qui concerne, enfin, les modalités du financement des 35 heures, elles
reposent en grande partie sur les dispositions du projet de loi de financement
de la sécurité sociale pour 2000 et, surtout, sur un raisonnement qui anticipe
le succès du passage aux 35 heures, ce qui constitue véritablement un pari,
s'appuyant sur le présupposé d'une corrélation quasi mécanique et
proportionnelle entre réduction du temps de travail et créations d'emplois.
Mais le financement des 35 heures n'est pas seulement incertain, il est
potentiellement dangereux pour l'équilibre de la sécurité sociale et des
comptes sociaux. En effet, le Gouvernement n'a pas su assurer le financement
d'une mesure qu'il a pourtant imposée d'une manière autoritaire, tant aux
entreprises qu'aux partenaires sociaux. Il eût été légitime que le choix ainsi
fait soit contrebalancé par un financement volontaire qui n'engage que le
budget de l'Etat, décideur en la matière.
Même les agriculteurs sont mis à contribution avec l'écotaxe sur les produits
phytosanitaires, eux qui travaillent entre douze et quinze heures par jour. Ils
devront payer pour que d'autres ne travaillent que sept heures quotidiennement
! Il existe réellement une corrélation malsaine entre les écotaxes et les 35
heures. Le dossier des écotaxes - taxes assises sur le rendement et ne visant
pas à réduire la pollution - est désormais lié à celui des 35 heures. Des taxes
pouvant servir à financer le partage du travail ? Quelle idée géniale vous avez
eue, madame la ministre ! Reste à savoir si les fonds récoltés financeront bien
la création d'emplois !
La majorité sénatoriale considère pour sa part que c'est non pas la réduction
du temps de travail qui est susceptible de permettre de créer directement des
emplois, mais bien la réorganisation du travail qui devra être mise en oeuvre
parallèlement.
Nous avons donc estimé préférable de promouvoir directement cette
réorganisation plutôt que de passer par l'intermédiaire d'un processus
généralisé et uniforme de réduction du temps de travail. Nous avons privilégié
l'aménagement du temps de travail librement choisi par les entreprises et les
salariés, nous avons privilégié la négociation collective et nous avons fait
valider, lors de la première lecture du texte, les accords conclus en
application de la loi du 13 juin 1998.
Mais vous avez préféré, madame la ministre, avec votre majorité plurielle de
l'Assemblée nationale, vous enfermer dans les rigidités d'un texte d'un autre
temps - un temps révolu aujourd'hui - ce qui mettra immanquablement notre pays
à l'écart de l'Europe qui est en train de monter en puissance et de se
développer.
Dès le début de l'année 1998, la commission d'enquête mise en place par la
majorité sénatoriale sur les conséquences économiques, financières et sociales
de la réduction généralisée et autoritaire du temps de travail à 35 heures
hebdomadaires - dont le rapporteur était notre collègue Jean Arthuis - avait
mis en garde le Gouvernement contre les incertitudes et les dangers que
recelait le projet de loi, considérant que celui-ci entraînerait une
détérioration des comptes publics. Ne vous en déplaise, madame la ministre, il
faut bien reconnaître aujourd'hui qu'elle avait raison.
La commission d'enquête avait, en outre, considéré que la démarche dans
laquelle le Gouvernement s'était engagé, et dans laquelle il engageait avec lui
tout le pays, se situait en marge des lignes directrices de la politique de
l'emploi adoptées par nos partenaires européens. C'est, je le répète,
l'exception française !
Pour financer les 35 heures, le Gouvernement a créé cinq prélèvements
obligatoires - il n'y en avait donc pas assez ! - et il a eu recours, de
surcroît, au budget de l'Etat. Il existe bien des incertitudes sur le montant
des dépenses couvertes par le fonds créé, et le bouclage financier du passage
aux 35 heures n'est pas assuré, puisque, à terme, il manquera de 15 milliards à
20 milliards de francs, soit le tiers du surcoût engendré par le projet de loi
!
Par ailleurs, les 35 heures sont applicables, vous le savez, à la branche
sanitaire, sociale et médico-sociale, malgré la particularité de ce secteur,
dont le financement est totalement assuré par des fonds publics : ceux de
l'Etat, ceux de l'assurance maladie et ceux des collectivités locales.
L'application des 35 heures à ce secteur va inévitablement provoquer une
augmentation difficilement tolérable des prix de journée, ce qui risque de
compromettre, à terme, le fonctionnement de structures indispensables au
bien-être d'une part non négligeable de la population et d'opposer financeurs
et salariés, salariés et résidents, et ce par entêtement et idéologie ! Quel
gâchis ! Bravo, madame !
Il semble que le Gouvernement n'ait pas analysé l'impact financier des mesures
envisagées et des compensations qu'il devra verser aux collectivités locales
pour ne pas déséquilibrer leur budget.
Les institutions sociales et médico-sociales offrent une large gamme
d'activités et de prestations et les dépenses de fonctionnement de ces
établissements sont appelées à augmenter fortement au cours des prochaines
années, en raison, d'une part, du vieillissement de la population et de
l'accroissement des situations de dépendance qui en découlent, et, d'autre
part, de la hausse des dépenses des personnels spécialisés dans un secteur de
plus en plus médicalisé.
Le Gouvernement n'aurait-il pas mieux fait, dans ce cas, d'augmenter les
dotations à ces établissements pour leur permettre de se moderniser et de se
doter de personnels supplémentaires, plutôt que d'inclure ce secteur dans le
champ d'application de la loi relative à la réduction du temps de travail, ce
qui risque de remettre en question la qualité du service fourni aux usagers
?
Quant au passage aux 35 heures dans la fonction publique, il soulève de
nombreuses interrogations, relatives notamment à la création de nouveaux
emplois et à leur financement. Le Gouvernement est, pour le moment, incapable
d'estimer les coûts engendrés par le passage aux 35 heures dans la fonction
publique.
L'inspection générale des finances a fait état, dans une note interne datant
de l'automne 1997, d'un sureffectif de 10 % au minimum dans les trois fonctions
publiques, soit près de 500 000 agents en trop - oui, je dis bien « en trop » !
Le coût de ce sureffectif est estimé à 150 milliards de francs par an.
Vous n'avez pas encore indiqué, madame la ministre, comment vous financerez
cette réduction du temps de travail dans la fonction publique et la création de
nouveaux emplois de fonctionnaires. En avons-nous réellement besoin ? Il est
d'ailleurs intéressant de rappeler que les emplois-jeunes ont été financés par
divers redéploiements ou diminutions des crédits alloués aux heures
supplémentaires dans l'éducation nationale ! Leur financement futur reste donc
largement problématique.
On peut alors se demander si le Gouvernement entend faire bénéficier les
emplois-jeunes du passage aux 35 heures et comment il entend financer cette
nouvelle mesure.
Quand on sait que le passage aux 35 heures dans le secteur privé va coûter,
chaque année, au minimum 110 milliards de francs en année pleine, il est
légitime de s'interroger sur l'ampleur de la dérive des comptes publics, pour
cette année et les années à venir. Mais telle n'est peut-être pas votre
préoccupation !
Pourrez-vous rester les faux prophètes de la fin du travail ? Comment
prendrez-vous en charge les laissés-pour-compte, ceux qui, pour les plus
exposés, n'auront pas réussi à relever votre défi destructeur ?
C'est donc pour l'ensemble de ces raisons, madame la ministre, que mes
collègues du groupe de l'Union centriste et moi-même ne pourrons cautionner
votre projet de loi relatif à la réduction généralisée du temps de travail à 35
heures. Nous voterons, en revanche, sans état d'âme la motion tendant à opposer
la question préalable présentée par la commission des affaires sociales, pour
signifier notre rejet d'un texte qui va conduire à coup sûr notre pays dans une
impasse.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et du
RPR.)
M. Emmanuel Hamel.
Hélas !
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Question préalable