Séance du 11 décembre 1999
SOMMAIRE
PRÉSIDENCE DE M. PAUL GIROD
1.
Procès-verbal
(p.
0
).
2.
Loi de finances pour 2000.
- Suite de la discussion d'un projet de loi (p.
1
).
Anciens combattants (p. 2 )
MM. Jacques Baudot, rapporteur spécial de la commission des finances ; Marcel
Lesbros, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales ; Joseph
Ostermann, Guy Fischer, Bernard Joly, Mme Gisèle Printz, MM. Rémi Herment,
Michel Pelchat, Hubert Durand-Chastel, Mme Nelly Olin, MM. Gilbert Chabroux,
Marcel-Pierre Cléach, Raymond Courrière.
M. Jean-Pierre Masseret, secrétaire d'Etat à la défense chargé des anciens
combattants.
Crédits du titre III (p. 3 )
MM. le rapporteur spécial, le secrétaire d'Etat.
Rejet des crédits.
Crédits du titre IV (p. 4 )
M. Guy Fischer.
Rejet des crédits.
Article 65. - Adoption (p.
5
)
Article 66 (p.
6
)
Amendement n° II-70 de M. Fischer. - MM. Guy Fischer, le rapporteur spécial, le
secrétaire d'Etat. - Irrecevabilité.
Adoption de l'article.
Articles additionnels après l'article 66 (p. 7 )
Amendements n°s II-1 de la commission des affaires sociales et II-72 de M.
Fischer. - MM. le rapporteur pour avis, Guy Fischer, le secrétaire d'Etat, le
rapporteur spécial. - Irrecevabilité des deux amendements.
Amendements identiques n°s II-60 de Mme Printz et II-84 de M. Hoeffel. - Mme
Gisèle Printz, MM. Rémi Herment, le secrétaire d'Etat, le rapporteur spécial. -
Irrecevabilité des deux amendements.
Amendement n° II-69 du Gouvernement. - MM. le secrétaire d'Etat, le rapporteur
spécial. - Adoption de l'amendement insérant un article additionnel.
Article 66 bis (p. 8 )
Amendements n°s II-71 rectifié de M. Fischer et II-36 de M. Cléach. - MM. Guy
Fischer, Marcel-Pierre Cléach, le secrétaire d'Etat, le rapporteur spécial. -
Irrecevabilité des deux amendements.
Adoption de l'article.
Article 66 ter. - Adoption (p. 9 )
M. le président.
Suspension et reprise de la séance (p. 10 )
3.
Dépôt d'un rapport du Gouvernement
(p.
11
).
4.
Loi de finances pour 2000. -
Suite de la discussion d'un projet de loi (p.
12
).
Culture (p. 13 )
MM. Yann Gaillard, rapporteur spécial de la commission des finances ; Philippe
Nachbar, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles ;
Marcel Vidal, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles,
pour le cinéma et le théâtre dramatique ; Jack Ralite, Bernard Joly, Mme
Danièle Pourtaud, MM. André Maman, Louis de Broissia, Marcel Vidal.
Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication.
Adoption des crédits.
Communication (p. 14 )
MM. Claude Belot, rapporteur spécial de la commission des finances ; Jean-Paul
Hugot, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles, pour la
communication audiovisuelle ; Louis de Broissia, rapporteur pour avis de la
commission des affaires culturelles, pour la presse écrite ; Mme Danièle
Pourtaud, MM. André Maman, Louis de Broissia, Ivan Renar, Michel Pelchat.
PRÉSIDENCE DE M. GÉRARD LARCHER
Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication.
Article 55 (p. 15 )
Amendements identiques n°s II-5 rectifié de la commission des finances et II-83
de Mme Pourtaud. - M. le rapporteur spécial, Mmes Danièle Pourtaud, le
ministre. - Adoption des deux amendements.
Adoption de l'article modifié.
Article 55 bis (p. 16 )
M. le rapporteur spécial.
Adoption de l'article.
Lignes 39 et 40 de l'état E. - Adoption (p.
17
)
SERVICES DU PREMIER MINISTRE
I. -
Services généraux
(p.
18
)
Crédits du titre III (p.
19
)
M. le rapporteur spécial.
Rejet des crédits.
Crédits des titres IV et V. - Rejet (p. 20 )
5.
Dépôt d'une proposition de loi
(p.
21
).
6.
Ordre du jour
(p.
22
).
COMPTE RENDU INTÉGRAL
PRÉSIDENCE DE M. PAUL GIROD
vice-président
M. le président.
La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à neuf heures quarante-cinq.)
1
PROCÈS-VERBAL
M. le président.
Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.
2
LOI DE FINANCES POUR 2000
Suite de la discussion d'un projet de loi
M. le président. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi de finances pour 2000 (n° 88, 1999-2000), adopté par l'Assemblée nationale. [Rapport n° 89 (1999-2000).]
Anciens combattants
M. le président.
Le Sénat va examiner les dispositions du projet de loi concernant les anciens
combattants.
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Jacques Baudot,
rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et
des comptes économiques de la nation.
Monsieur le président, monsieur le
secrétaire d'Etat, mes chers collègues, alors que, dans quelques jours, nous
franchirons le seuil d'un nouveau siècle, alors qu'à Istanbul, voilà quelques
semaines, les gouvernants des pays les plus industrialisés se sont entendus sur
le principe de la réduction des armements en Europe, il nous faut nous
préoccuper ce matin des crédits alloués au secrétariat d'Etat aux anciens
combattants.
Certains pourraient être tentés d'y voir un symbole du passé. Ce serait une
grossière erreur. Les anciens combattants, par le sang qu'ils ont versé, par
l'épreuve qu'ils ont subie, portent l'essence même de ce « nouveau monde » sans
conflit, sans armes et sans horreur que nous appelons tous de nos voeux.
Les sommes qui leurs sont consacrées ne sont donc que le prix de notre
reconnaissance envers eux, le prix du souvenir. La leçon qu'ils nous ont
enseignée, bien malgré eux, ils l'ont payée cher, très cher : le prix d'une
jeunesse sacrifiée. Nous nous devons d'oeuvrer pour que nul ne l'oublie.
Aujourd'hui, grâce aux mesures que vous nous proposez dans votre projet de
budget, monsieur le secrétaire d'Etat, grâce à celles que vous avez accordées
lors du débat à l'Assemblée nationale et à celles que vous nous concéderez
peut-être à l'issue de cette discussion, j'espère que nous apporterons la
réparation à laquelle peuvent légitimement prétendre ceux qui nous ont ouvert
la voie de la paix.
Ma fonction de rapporteur spécial m'impose de vous infliger quelques chiffres,
ce dont je vous prie de bien vouloir m'excuser.
La restructuration du secrétariat d'Etat aux anciens combattants et la
confusion de certains de ses crédits avec ceux du ministère de la défense
conduisent à une lisibilité difficile de ce projet de budget. Nous ne pouvons,
en effet, nous arrêter aux chiffres bruts, et la diminution apparente des
crédits doit être corrigée par ces transferts.
Il en est ainsi des crédits destinés à la politique de la mémoire, s'élevant à
14,9 millions de francs, qui sont alloués à la direction de la mémoire, du
patrimoine et des archives du ministère de la défense, seuls 5,07 millions de
francs restant à la disposition du secrétariat d'Etat aux anciens combattants
pour subventionner les associations ou les collectivités locales.
Les crédits destinés à financer les fêtes nationales et les cérémonies
publiques augmentent, par ailleurs, de 24 %.
Un même transfert est opéré pour les crédits destinés à la remise en état des
nécropoles nationales, avec 4 millions de francs de crédits de paiement et 8
millions de francs d'autorisations de programme, et pour le financement des
hauts lieux de mémoire, avec 2 millions de francs de crédits de paiement et 2
millions de francs d'autorisations de programme.
Deux projets au moins sont à l'étude : un projet de mémorial de l'annexion de
fait de l'Alsace-Moselle et un projet de mémorial consacré au système
concentrationnaire nazi dans le camp du Struthof.
A cet égard, il semblerait préférable, afin d'améliorer la transparence du
budget, que la ligne budgétaire concernant l'entretien et la rénovation des
sépultures de guerre soit distincte de celle qui concerne la construction des
hauts lieux de mémoire. Pourrai-je connaître tout à l'heure votre position à ce
sujet ?
Il me semble souhaitable, si l'on reste sur la même ligne budgétaire,
d'achever le programme de remise en état de nos nécropoles et autres sépultures
avant d'engager de nouveaux projets.
Je vous rappelle qu'un plan avait été estimé, en 1994, à 50 millions de
francs, avec un étalement jusqu'à l'an 2000. Or, il n'a été exécuté qu'à 60 % ;
24 millions sont donc nécessaires pour le mener à bien.
Parlant des hauts lieux de la mémoire, j'aimerais que vous nous fassiez,
monsieur le secrétaire d'Etat, une brève communication sur l'état d'avancement
du projet de mémorial de la guerre d'Algérie. Pourriez-vous nous donner des
indications sur le mode de financement de l'opération et sur le stade des
négociations avec la mairie de Paris quant au lieu d'implantation du monument
?
Enfin, on peut noter, dans le budget de la défense, la création d'une ligne
budgétaire pour le financement des travaux de sécurité dans les établissements
publics sous tutelle ; avec 11,5 millions de francs en crédits de paiement et
16 millions en autorisations de programme.
En tenant compte de cette évolution, les crédits réels du secrétariat d'Etat
aux anciens combattants s'élèvent à près de 25 milliards de francs et accusent
donc une diminution de près 2 %, qu'il nous faut encore relativiser du fait de
la diminution inéluctable des parties prenantes.
Il est à noter que la part de la dette viagère régresse, à 17,28 milliards de
francs. En effet, alors qu'elle représentait encore 78 % du budget pour 1999,
elle ne représente que 69 % du budget pour 2000.
Il me faut donc vous rendre hommage, monsieur le secrétaire d'Etat, pour
l'usage que vous avez fait de ce différentiel. C'est ainsi que les crédits à la
disposition de l'Institution nationale des invalides augmentent de 2,3 % par
rapport à 1999 et élèvent à 44 millions de francs. Les subventions de
fonctionnement de l'ONAC, qui s'élèvent à 238 millions de francs, augmentent de
4,1 % par rapport à 1999, soit 37 millions de francs.
Vous savez combien l'office national des anciens combattants et victimes de
guerre a occupé mes pensées durant cette année. Je profite de l'occasion qui
m'est donnée aujourd'hui d'intervenir à cette tribune pour vous faire part
brièvement de mon sentiment sur cette institution.
Il n'est nullement dans mon intention de vous présenter le rapport que je
viens d'achever et dont, je n'en doute pas, vous avez fait votre livre de
chevet. Mais je tiens à vous dire, monsieur le secrétaire d'Etat, combien je
suis impressionné par l'évolution que j'ai constatée dans la gestion de
l'office depuis le début de ma mission. Sous votre rigoureuse impulsion,
l'office, dont l'existence même était sujette à caution il y a un an, apparaît
désormais comme le relais incontournable de votre action auprès du monde
combattant.
Je me devais de rendre hommage à l'efficacité et à la détermination de votre
action à cet égard, action qui, au demeurant, a été remarquablement relayée par
le préfet Claude Guizard, directeur général de l'ONAC.
Je me félicite aussi qu'après avoir exigé dix-huit mois, puis quinze, vous
proposiez, avec l'article 65, d'étendre les conditions d'attribution de la
carte du combattant à douze mois de service en Afrique du Nord.
De même, et bien que cela ne satisfasse pas totalement les associations
d'anciens combattants, j'approuve votre projet de revalorisation du plafond de
la retraite mutualiste à 105 points, tel qu'il est présenté à l'article 66.
Je note toutefois qu'il est peu probable que les 130 points espérés par les
intéressés soient atteints avant la fin de la législature. Il aurait fallu,
pour cette année, revaloriser le plafond à au moins 110 points.
Poursuivons avec les mesures à mettre au crédit de votre action.
Chacun de nous vous est reconnaissant d'avoir accordé 5 millions de francs de
mesures nouvelles en faveur des veuves à l'occasion du débat à l'Assemblée
nationale.
Par ailleurs, 3 millions de francs supplémentaires sont prévus pour le
développement de la politique de la mémoire. Là encore, vous savez combien je
suis attaché à cette question je m'en suis largement expliqué dans le rapport
intitulé « Les défis de la mémoire », que j'ai publié l'année dernière.
Toutefois, ces mesures, dont je ne puis que me réjouir et qui prouvent votre
volonté de tenir compte des attentes du monde combattant, sont loin de résoudre
toutes les questions en suspens.
La commission des finances du Sénat veille à ce que les crédits mis à la
disposition des ministères soient utilisés de la manière la plus efficace
possible. Pourquoi les crédits affectés aux centres d'appareillages demeurent,
alors que, depuis plusieurs années, leur activité diminue ? Peut-être
pourrez-vous me donner quelques explications sur ce sujet.
Sachant que le budget pour 2000 fait apparaître un déficit de près de 700
millions de francs par rapport au budget pour 1999, il est intolérable de
constater que le Gouvernement a préféré y voir le moyen de réaliser une
économie - je sais que vous n'êtes pas le seul responsable, qu'il y a toujours
Bercy ! - plutôt que de mettre à profit cette somme, ou une partie de cette
somme, pour résoudre des contentieux depuis trop longtemps en instance.
Trop de demandes légitimes restent en effet non satisfaites.
Je ne puis me contenter de la mesquine revalorisation partielle des pensions
des plus grands invalides. Vous accordez 15 millions de francs, quand 70
millions de francs auraient suffi au rattrapage du retard accumulé depuis tant
d'années. Songez aux souffrances physiques et morales de ces hommes dont la vie
a été sacrifiée : aucune somme d'argent ne peut compenser leur vie gâchée,
a
fortiori
cette demi-mesure, pour ne pas dire ce dixième de mesure !
Je veux parler encore de cette injustice qui frappe les rappelés de la guerre
d'Algérie. Ils ont dû quitter famille et emploi pour aller, six mois durant,
combattre sous le drapeau. Imaginez un instant les conséquences d'une telle
épreuve !
Leur refuser la carte du combattant est indigne du sacrifice qui leur a été
imposé. L'application de l'accord du 22 octobre 1996 suffirait à mettre fin à
ce contentieux.
Indigne encore est le mépris avec lequel sont traitées les troupes stationnées
en terre étrangère après la fin officielle des combats. Pensez-vous que mourir
dans le Djebel en 1963 ou en 1964 soit bien différent de mourir en 1959 ou en
1960 ? La mort dans une rizière en 1947 est-elle moins digne de la
reconnaissance de la nation que la mort survenue en 1944 ? Il serait bon,
monsieur le secrétaire d'Etat, de prolonger jusqu'au 2 juillet 1964 la date des
services ouvrant droit au Titre de reconnaissance de la nation.
Non moins honteuse est la cristallisation pensions - ce n'est pas la première
fois que je le dis ! - des pensions des combattants originaires de nos
anciennes colonies. L'étude comparative que vous avez fait mener sur le pouvoir
d'achat des pensionnés fait apparaître un net retard au détriment des
Algériens, des Marocains et des Tunisiens. Mais ce constat n'a engendré aucune
mesure en leur faveur.
Je rends hommage à votre grand sens de la concertation et à votre honnêteté
morale dans l'analyse des situations. Néanmoins, toute étude ne vaut que si ses
conclusions sont suivies d'effets. Or, les commissions, études, rapports et
autres analyses se succèdent sans que soient adoptées des mesures concrètes.
C'est le cas de la décristallisation, c'est le cas aussi des psychotraumatismes
de guerre : une étude a été lancée, une commission a été mise en place en
juillet 1999 ; nous en verrons les résultats.
J'en veux encore pour exemple le cas des incorporés de force dans le
Reichsarbeitsdienst
, RAD, et le
Kriegshilfsdienst,
KHD. Le
dédommagement, dont, je le reconnais, vous ne contestez pas le principe, avait
été différé du fait du non-engagement de l'Entente franco-allemande, qui doit
le cofinancer avec le Gouvernement français. L'accord de principe de l'Entente
est acquis depuis plus d'un an, mais aucune ligne budgétaire n'est prévue à
cette fin.
J'achèverai mon propos sur le constat suivant : la retraite anticipée des
anciens d'AFN n'a pu voir le jour - je faisais partie de la commission sur ce
sujet et nous avons passé des heures avec les anciens combattants et les
responsables politiques je n'y reviens pas.
Quant à l'allocation de remplacement pour l'emploi, vous allez me répondre que
la mesure s'applique depuis quelques jours, mais je vous rappelle à ce propos,
monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, qu'il y a tout juste un an
j'avais été le seul, dans ces lieux, à m'élever contre cette mesure aussi
médiatique qu'inapplicable. Le temps m'a malheureusement donné raison, et
croyez bien que je le regrette, car le sort de nos anciens combattants est
inchangé et à l'espoir a succédé la déception.
Monsieur le secrétaire d'Etat, vous êtes redevable de cette attente bafouée ;
une anticipation de la retraite du combattant si ce n'est à soixante ans, du
moins à soixante-trois ans - si on ne l'a pas décidé cette année ; on pourrait
l'envisager pour le prochain budget - pourrait vous dédouaner à leur égard.
Ce n'est pas un privilège exorbitant que je vous demande, au nom du monde
combattant ; il y a eu des précédents !
En 1930, la loi de finances n'avait-elle pas prévu une allocation, ancêtre de
la retraite du combattant, de 500 francs en faveur des poilus de 14-18
titulaires de la carte du combattant et ayant atteint cinquante ans ?
Par ailleurs, nos anciens combattants des territoires d'outre-mer ne
touchent-ils pas la retraite du combattant dès soixante ans ?
C'est, à mon avis, une question d'égalité de traitement. Vous allez me dire
que la mesure coûte très cher, ce que je sais. Mais essayons de l'étaler sur
deux ans ; n'attendons pas cinq ans !
Vous le constatez, monsieur le secrétaire d'Etat, malgré la qualité technique
du projet de budget que vous soumettez à notre approbation aujourd'hui, malgré
votre engagement, dont nul ne met en doute la sincérité et l'efficacité - je
peux en témoigner, vous connaissant depuis longtemps - il ne m'est pas possible
d'appeler mes collègues à voter les crédits de votre ministère.
Trop d'oublis, trop de mesures partielles et frileuses entachent votre budget.
Aussi, la commission des finances du Sénat a-t-elle décidé de le rejeter.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Marcel Lesbros
rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales.
Monsieur le
président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, les crédits
relatifs aux anciens combattants pour 2000 s'inscrivent en apparence dans la
continuité des budgets précédents : l'érosion régulière des crédits se
poursuit, tandis que les mesures nouvelles proposées sont très loin de répondre
à toutes les attentes du monde combattant.
Les crédits budgétaires diminuent en effet de 500 millions de francs, soit de
2 %, pour atteindre 25 milliards de francs à structure constante. Les mesures
nouvelles positives se limitent, elles, à 81 millions de francs dans la version
initiale de ce budget.
Pourtant, l'examen de ces crédits intervient dans un contexte particulier qui
nous aurait laissé espérer la présentation d'un budget plus ambitieux.
La contrainte budgétaire est en effet moins forte. Le monde combattant aurait
été en droit d'attendre un meilleur redéploiement des crédits.
En outre, le Parlement vient d'adopter à l'unanimité une proposition de loi
reconnaissant, enfin, la réalité de l'état de guerre en Algérie. Je ne peux que
me féliciter de cette mise en accord tant attendue du droit et des faits. Si
cette loi n'a aucune incidence budgétaire, son vote a toutefois montré que les
questions touchant les anciens combattants peuvent être résolues, grâce au
débat parlementaire, en associant dans un consensus à la fois la représentation
nationale, les associations et le Gouvernement. J'aurais aimé qu'une telle
démarche consensuelle se poursuivre à l'occasion de l'examen du projet de
budget.
Enfin, la réforme de votre département ministériel est désormais effective.
Elle permet de lever toute ambiguïté sur la pérennité d'un budget autonome,
Elle aurait pu également permettre de profiter des économies de gestion pour
améliorer l'action en faveur des anciens combattants.
Mais ce nouveau contexte ne s'est, hélas ! traduit ni par un budget plus
ambitieux ni par le souci de régler au plus vite les principaux contentieux
subsistant avec le monde combattant.
Il se traduit, au contraire, par une diminution sensible des actions de
solidarité, diminution que la commission considère comme préoccupante.
La politique de la mémoire est confortée. A ce propos, j'observe avec
satisfaction que vous avez dégagé des crédits d'études pour le mémorial de la
guerre d'Algérie.
Les crédits relatifs à la politique de la réparation, eux, sont globalement
stables.
Certes, le poids des évolutions démographiques contribue, hélas ! à la
diminution du nombre de pensionnés. En revanche, l'arrivée massive à l'âge de
soixante-cinq ans des anciens combattants d'Afrique du Nord se traduit par une
montée en charge de la retraite du combattant. Ainsi, en 2000, il devrait y
avoir 985 000 titulaires de la retraite du combattant et 485 000 pensionnés.
L'application du rapport constant, évalué à 248 millions de francs en 2000,
aura alors pour conséquence de stabiliser les dépenses liées à la
réparation.
A l'inverse, les crédits relatifs à la politique de solidarité sont en forte
baisse.
Cela tient avant tout à l'extinction progressive des actions du fonds de
solidarité, dès lors que les allocataires du fonds atteignent massivement l'âge
de la retraite. Les crédits du fonds diminuent de quelque 450 millions de
francs.
Aussi, dans ce contexte, la commission des affaires sociales considère comme
nécessaire d'utiliser une part des crédits ainsi dégagés pour financer de
nouvelles actions de solidarité. Il est en effet à craindre que nombre
d'allocataires actuels ne se retrouvent dans une situation plus précaire
lorsqu'ils ne sont plus ressortissants du fonds.
Le Gouvernement ne semble pourtant pas s'engager dans cette voie.
Le budget de 1999 avait prévu deux nouvelles actions de solidarité : la
suppression du sas de six mois pour bénéficier de l'allocation de préparation à
la retraite, l'APR, et l'attribution automatique, aux anciens combattants
titulaires de la carte du combattant, de l'allocation de remplacement pour
l'emploi, l'ARPE, en cas de refus de l'employeur.
Or ces deux mesures n'ont eu qu'un impact pour le moins limité.
La première n'a concerné que 192 personnes au premier semestre de 1999.
La seconde n'est toujours pas appliquée, malgré la conclusion d'un accord
entre les partenaires sociaux, le 12 mai dernier. Mme le ministre de l'emploi
et de la solidarité bloque l'application de cette mesure en se refusant à
signer le nécessaire agrément. Pourriez-vous, à ce propos, monsieur le
secrétaire d'Etat, nous indiquer l'évolution de ce dossier ?
Le projet de budget pour 2000 est encore plus parcimonieux en mesures de
solidarité.
Certes, le projet de budget prévoit, dans sa version initiale, quelques
mesures nouvelles. Je pense notamment à l'assouplissement des conditions
d'attribution de la carte du combattant et à la revalorisation du plafond
majorable de la retraite mutualiste. Il s'agit ici du droit à réparation.
C'est vrai, la discussion à l'Assemblée nationale a permis de dégager quelque
30 millions de francs de crédits supplémentaires, qui permettront de financer
certaines actions nécessaires comme l'indemnisation des veuves des patriotes
résistant à l'Occupation, les PRO, une augmentation des subventions à l'ONAC en
faveur des veuves ou la revalorisation annoncée de la pension des grands
invalides.
Ces mesures nouvelles ne peuvent cependant nous satisfaire totalement.
D'abord, elles sont soit ponctuelles, soit très partielles.
Ainsi, l'extension des conditions d'attribution de la carte du combattant ne
permet pas de prendre en compte la situation particulière des rappelés.
J'insiste sur ce point, auquel les associations sont particulièrement
attachées.
De même, la revalorisation des plafonds majorables est bien timide. Vous avez
choisi l'indice 105. L'indice 110 nous aurait semblé préférable pour que soit
atteint à terme, comme promis, l'objectif de l'indice 130.
Surtout, la revalorisation de la pension des grands invalides, qui fut gelée
entre 1991 et 1995, n'est que de 1,5 %. Or, l'écart moyen né du gel des
pensions atteint environ 7 %. Vous vous êtes engagé, monsieur le secrétaire
d'Etat, lors de votre audition par la commission, à aboutir à une compensation
intégrale dans le prochain budget. Je ne peux que solennellement vous inviter à
faire un geste supplémentaire dès ce budget.
Mais, au-delà de ces mesures partielles, force est de constater que de
nombreuses attentes du monde combattant sont toujours en suspens.
J'en citerai cinq pour lesquelles la commission souhaiterait qu'une solution
soit très rapidement trouvée.
La première concerne la décristallisation.
En dépit de vos déclarations lors du dernier débat budgétaire, monsieur le
secrétaire d'Etat, la situation n'a pas évolué. La commission en tire les
conséquences et elle vous proposera tout à l'heure de faire un premier pas dans
le sens de la décristallisation en adoptant l'amendement qu'elle vous
présentera.
La situation des veuves d'anciens combattants est également très préoccupante.
On constate notamment un accroissement sensible des demandes d'aide
individuelle déposées auprès de l'ONAC.
La commission considère toutefois qu'il faut aller plus loin qu'une simple
augmentation des crédits sociaux de l'ONAC. Il serait notamment nécessaire soit
de revaloriser les pensions les plus modestes, soit d'assouplir les conditions
de réversion. Cela peut se faire. Vous nous avez annoncé votre intention de
revoir l'ensemble du dispositif d'aide aux veuves au début de l'année
prochaine. Nous vous donnons donc rendez-vous sur ce point très important.
Il importe également de clore au plus vite la douloureuse question de
l'indemnisation des incorporés de force dans les formations paramilitaires
allemandes, RAD et KHD. Alors qu'un accord est intervenu en juin 1998 au sein
de l'Entente franco-allemande sur ce point, l'instruction des quelque 10 000
dossiers déposés traîne en longueur et retarde d'autant l'inscription des
crédits budgétaires correspondants.
Cette situation est difficilement acceptable. C'est pourquoi nous vous
demandons solennellement d'inscrire, dès à présent, au moins une partie des
crédits nécessaires. Deux millions de francs constitueraient déjà un geste
tangible, pour un coût budgétaire très raisonnable.
L'extension des conditions d'attribution de la carte du combattant impose une
réflexion sur le Titre de reconnaissance de la nation. Il faudrait notamment
étudier les conditions de son extension aux anciens d'Afrique du Nord ayant
séjourné en Algérie entre 1962 et 1964. Vous vous êtes engagé, monsieur le
secrétaire d'Etat, à remettre à plat le dispositif dès janvier. Là encore,
rendez-vous est pris.
Enfin, la demande de l'abaissement de soixante-cinq à soixante ans de l'âge
ouvrant droit au bénéfice de la retraite du combattant devra être étudiée, en
l'absence de toute retraite anticipée. Toutefois, le coût d'une telle mesure -
1,4 milliard de francs, selon les services du secrétariat d'Etat - incite à une
certaine prudence.
Au total, ce budget se contente d'être un simple budget de reconduction. Il
n'intègre que de rares mesures nouvelles et passe sous silence les
préoccupations les plus vives du monde combattant. Il semble donc difficilement
acceptable en l'état.
La commission des affaires sociales a, dans ces conditions, décidé de s'en
remettre à la sagesse de la Haute Assemblée quant à l'adoption des crédits des
anciens combattants. Elle a toutefois émis un avis favorable sur les articles
65, 66 et 66
bis
rattachés à ce budget.
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 26 minutes ;
Groupe socialiste, 21 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 14 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 22 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 6 minutes.
Groupe communiste républicain et citoyen, 5 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe,
5 minutes.
La parole est à M. Ostermann.
M. Joseph Ostermann.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, en
baisse de 2 % par rapport à 1999, le budget des anciens combattants, même s'il
présente quelques notables avancées, n'en demeure pas moins décevant au regard
des attentes du monde combattant.
Il convient, à mon sens, de saluer deux ensembles de mesures positives.
D'une part, on peut noter la hausse de 19,6 % des crédits consacrés à la
mémoire et à l'information historique, qui passent ainsi de 28,36 millions à
33,91 millions de francs.
Outre l'importance de la rénovation des sépultures pour nos anciens
combattants - vous connaissez, monsieur le secrétaire d'Etat, la volonté réelle
des collectivités locales de participer financièrement à la création de lieux
ou de structures de mémoire, notamment en Alsace - il me semble primordial
d'accroître nos efforts de diffusion de la mémoire auprès des jeunes
générations.
En effet, les jeunes, j'ai encore eu récemment l'occasion de le déplorer lors
de célébrations commémoratives du 11 novembre, ont tendance à ne plus mesurer
l'importance des événements du passé. Ces cérémonies relèvent, pour certains
d'entre eux, plus de l'amusement que du recueillement et du souvenir. Cela est
d'autant plus regrettable que nous assistons à la disparition progressive des
derniers anciens combattants de la Première Guerre mondiale.
D'autre part, je tiens à saluer les mesures qui s'inscrivent dans la démarche
de reconnaissance de la guerre d'Algérie, engagée en octobre dernier, et dont
je suis heureux d'être l'un des initiateurs. Il est important, en effet, que
cette reconnaissance symbolique soit suivie de l'attribution d'avantages et de
droits concrets.
Ainsi l'abaissement de quinze à douze mois de la durée de service en Afrique
du Nord pour obtenir la carte du combattant me semble aller dans le bon sens.
Cette carte constitue, pour nos anciens combattants, un sésame pour l'obtention
de droits légitimes tels que la rente mutualiste, la retraite du combattant à
partir de soixante-cinq ans, ainsi que le bénéfice du fonds de solidarité.
Malheureusement, en dehors de ces deux avancées, ce projet de budget se révèle
bien décevant. Il est dommage que vous n'ayez pu profiter des marges de
manoeuvre dégagées par la forte baisse des crédits d'assistance et de
solidarité pour faire progresser certains chantiers en suspens, monsieur le
secrétaire d'Etat.
Les chiffres sont pourtant éloquents : baisse de 28,8 % pour les
remboursements à diverses compagnies de transport, de 14,01 % pour les soins
médicaux gratuits et de 28,5 % pour les crédits du fonds de solidarité AFN.
La seule baisse mécanique des crédits de ce fonds vous permettrait de
poursuivre le travail de reconnaissance des conflits d'Afrique du Nord, pour
lequel beaucoup reste à faire.
Tout d'abord, si l'abaissement de la durée de service pour l'obtention de la
carte du combattant constitue une bonne mesure, elle se situe bien en deçà des
revendications visant à obtenir l'aplication de l'accord intervenu le 22
octobre 1996 avec le cabinet du ministre d'alors. Il était convenu d'attribuer
15 points pour le Titre de reconnaissance de la nation, 7 points pour la
médaille commémorative, 4 points par trimestre en AFN dans le calcul des 30
points exigés pour l'octroi de la carte du combattant. Cette mesure mettrait un
terme aux injustices qui subsistent malgré les mesures décidées ces dernières
années, en particulier en ce qui concerne les rappelés.
Quand pourrez-vous donner satisfaction aux organisations de combattants sur ce
point, monsieur le secrétaire d'Etat ?
Par ailleurs, les dispositions prévues dans ce projet en matière de retraite
sont loin d'apporter une réponse satisfaisante aux diverses attentes des
combattants.
Premièrement, les associations souhaiteraient un rattrapage à 130 points d'ici
à la fin de la législature. Elles n'ont pas été entendues.
Deuxièmement, une partie des crédits inutilisés par le fonds de solidarité
pourrait être affectée aux anciens d'AFN qui perçoivent une retraite
professionnelle sensiblement inférieure, du fait d'une carrière écourtée par le
chômage, au niveau de ressources assuré jusqu'à présent par l'allocation
différentielle du fonds de solidarité ou de l'allocation de préparation à la
retraite. Monsieur le secrétaire d'Etat, j'aimerais connaître votre position
sur cette question.
Autre dossier en attente : la retraite à soixante ans et la revalorisation de
son montant en compensation des engagements non tenus en matière de retraite
professionnelle anticipée. En effet, 40 millions de francs sont affectés, mais
non consommés, au financement de l'ARPE.
C'est une mesure inapplicable, car beaucoup trop défavorable aux entreprises.
Comme le souligne notre collègue Jacques Baudot dans son excellent rapport, ce
dispositif risque de se retourner contre les salariés anciens combattants dans
la mesure où certains employeurs refuseraient de les embaucher pour éviter de
se voir imposer une décision unilatérale de préretraite, alors que seulement
170 personnes sont susceptibles d'en bénéficier. Ce dossier semble cependant en
voie de règlement.
Dernier point du douloureux dossier des retraites : les maisons de retraite
gérées par l'ONAC.
Les fermetures successives sont préoccupantes. Qu'en est-il, par conséquent,
des démarches visant à offrir un nombre de lits en nette augmentation et mieux
répartis géographiquement, au moyen de conventions avec des établissements
appropriés ?
La troisième avancée qu'il aurait été souhaitable d'adopter en faveur des
anciens d'AFN a trait au Titre de reconnaissance de la nation.
Les personnes ayant servi entre le 2 juillet 1962 et le 1er juillet 1964
souhaitent être décorées de la médaille commémorative, compte tenu de son
attribution jusqu'au 1er juillet 1964 et de la nature des risques encourus,
comparables à ceux qu'ont impliqués des missions extérieures postérieures à la
guerre d'Algérie, pour lesquelles le Titre de reconnaissance de la nation a été
décerné.
Pourriez-vous, là encore, nous éclairer sur l'état d'avancement du dossier
?
Pour en terminer sur l'AFN, permettez-moi d'évoquer le problème posé par la
cristallisation des pensions servies aux combattants ressortissants des Etats
anciennement sous souveraineté française.
Ne conviendrait-il pas de procéder à une harmonisation progressive - j'insiste
sur ce point - des pensions, en commençant par les combattants les plus
défavorisés, c'est-à-dire ceux de Tunisie et du Maroc ? Cela éviterait à notre
pays de se faire remarquer en traitant de façon indigne des personnes qui l'ont
servi, comme ce fut le cas récemment à Bordeaux. Il est urgent de leur
permettre de percevoir une pension décente tout en restant dans leur pays.
Enfin, l'élu alsacien que je suis ne peut s'empêcher d'évoquer l'épineux
dossier de l'indemnisation des incorporés de force dans les formations
paramilitaires allemandes.
Le recensement étant achevé depuis le mois de mars et la fondation Entente
franco-allemande s'étant engagée sur sa participation, il est infiniment
regrettable qu'aucune ligne budgétaire retraçant la participation de l'Etat ne
soit inscrite dans le présent budget. Cela est d'autant plus inacceptable que
vous pourriez disposer cette année de marges de manoeuvre financières largement
suffisantes.
Il est urgent de tourner cette page douloureuse de notre histoire et
d'accorder la considération qu'ils méritent à ces incorporés.
Vous avez, monsieur le secrétaire d'Etat, reçu les parlementaires concernés,
mais, à ma connaissance, la situation est toujours bloquée. Je n'ose mettre en
parallèle le coût des 35 heures - des dizaines de milliards de francs ! - et
cette mesure aux conséquences financières tout de même très limitées.
Comme vous pouvez le constater, monsieur le secrétaire d'Etat, beaucoup reste
à accomplir pour accorder toute la reconnaissance qu'ils méritent à nos anciens
combattants. Il est, par conséquent, regrettable que vous n'ayez pas su
profiter des crédits supplémentaires dont vous bénéficiez - et ce, une fois
n'est pas coutume, sans même avoir à négocier âprement avec Bercy - pour faire
avancer quelques-uns de ces dossiers.
A défaut, j'espère que vous apporterez des réponses à certaines de mes
interrogations.
Je reconnais volontiers vos efforts, mais vous comprendrez que mon groupe et
moi-même, au vu de ce bilan bien maigre, ne puissions voter les crédits que
vous nous proposez.
(Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. le président.
La parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je
me crois revenu un an en arrière, à cette même tribune, en regrettant qu'une
fois encore le budget des anciens combattants soit en régression, et l'argument
de la baisse démographique que l'on nous oppose régulièrement ne me convainc
pas plus que l'an dernier.
En effet, n'aurait-on pas pu profiter de la reprise économique et de la
décroissance de la dette de l'Etat pour résoudre enfin, en maintenant le budget
des anciens combattants au même niveau que l'an dernier, une partie des
contentieux ? Peut-on véritablement se réjouir d'un budget en « moindre baisse
», comme vous le dites pudiquement, que les années précédentes ?
A quelques mois du cinquante-cinquième anniversaire de la fin de la Seconde
Guerre mondiale, urgente autant que symbolique est la nécessité d'un règlement
définitif des contentieux, même s'il est raisonnablement progressif.
Face à cette nécessité, accrue par l'âge des ressortissants de la dernière
génération du feu, je me dois de déplorer une nouvelle fois le fait que nous
soit proposé un budget
a minima,
auquel on ajoute quelques avancées au
cours de la discussion budgétaire. Nous aurons à juger de celles qui nous
seront proposées ce matin.
Cependant, il me semble important de relever que vous avez tenu votre
promesse, monsieur le secrétaire d'Etat, en nous présentant ce premier budget
des anciens combattants rattaché à la défense dans le respect de sa
spécificité, avec une réelle volonté de préserver l'imprescriptibilité du droit
à réparation, de développer l'action de mémoire, et avec des services
modernisés.
Par ce budget, vous proposez l'attribution de la carte du combattant à partir
d'une durée minimale de douze mois de service en Algérie au lieu de quinze.
Cela permettra l'attribution de 6 000 cartes supplémentaires, mais ne résoudra
en rien le problème des rappelés.
Vous proposez aussi la revalorisation du plafond donnant lieu à majoration de
la retraite mutualiste du combattant. L'indice de référence du plafond
majorable passe donc de 100 à 105 points. Ce rythme est encore trop lent et ne
permettra pas d'atteindre l'indice 130 d'ici à 2002. Il sera proposé par voie
d'amendement, de le porter à 110 points dès l'an 2000.
Par ailleurs, à la suite du débat à l'Assemblée nationale, quelques autres
avancées ont été reprises, ou devraient l'être, par le Gouvernement. Mais,
monsieur le secrétaire d'Etat, il reste encore du chemin à faire, et je
souhaiterais que, sans attendre, nous en fassions un bout ensemble
aujourd'hui.
Nous ne pouvons que nous réjouir de ce que le Gouvernement soit décidé à
régler, du moins en partie, l'épineux problème de la mise en oeuvre de
l'allocation de remplacement pour l'emploi. En effet, l'article 121 de la loi
de finances pour 1999 n'est toujours pas entré en vigueur, suscitant la
légitime émotion du monde combattant, et vous savez que ce point est capital en
raison du nombre de personnes concernées.
J'ai bien noté les 30,48 millions de francs qui devraient permettre,
notamment, une amorce du dégel des pensions des plus grands invalides de
guerre. Cependant, cette proposition de rattrapage de 15 millions de francs par
étapes ne peut me satisfaire. Il faut mettre un terme à cette injustice une
fois pour toutes. C'est pourquoi je demanderai tout à l'heure l'abrogation de
l'article L. 114
bis
du code des pensions militaires d'invalidité.
S'agissant du problème lancinant de la cristallisation des pensions, c'est
solennellement, monsieur le secrétaire d'Etat, que je réclame un effort de la
nation. Il n'est en effet plus possible de perpétuer l'injustice criante dont
sont victimes les ressortissants des pays de l'ex-Union française qui ont
combattu sous notre drapeau.
L'abondement des crédits de l'action sociale de l'ONAC est également une bonne
mesure. Cela devrait notamment permettre la liquidation des dossiers des veuves
de patriote résistant à l'Occupation. Toutefois, j'attends de votre part la
confirmation d'un geste significatif - il est indispensable - en faveur des
incorporés de force dans les formations paramilitaires allemandes et de leurs
veuves.
Par ailleurs, entendez-vous abonder les crédits destinés aux maisons de
retraites ?
Vous avez également décidé d'attribuer des crédits supplémentaires aux
initiatives citoyennes et au devoir de mémoire ; si l'on tient compte des
crédits figurant au budget de la défense, l'effort semble satisfaisant.
Pourtant, je m'interroge sur l'utilisation de ces crédits. Au nom des
associations concernées, je souhaiterais que soit dressé un bilan des actions
liées à la mémoire et à la citoyenneté qui ont été réellement mises en oeuvre
localement grâce aux emplois-mémoire.
Je m'interroge, en outre, sur le coût réel de la nouvelle mesure dite «
tourisme de mémoire ». Si son coût était surestimé, ne serait-il pas possible
d'affecter une partie de ces crédits au dossier de l'historial consacré au
système concentrationnaire nazi du Struthof, au projet de mémorial de
l'internement sur le site de l'ancien camp de Royallieu à Compiègne, ou encore
au mémorial national de la guerre d'Algérie, qui devrait être inauguré à Paris
en 2002 ?
Je suis également favorable à un renforcement de l'aide aux associations, qui,
comme vous le savez, s'investissent énormément dans les actions
pédagogiques.
Je souhaite aussi vous entendre sur les crédits consacrés au
cinquante-cinquième anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale, de la
libération des camps de concentration et de la création de l'organisation des
Nations unies.
Je souhaite encore savoir à quel point d'avancement en sont les travaux du
groupe de travail que vous avez constitué sur les psychotraumatismes de
guerre.
Enfin, monsieur le secrétaire d'Etat, je souhaite, pour une fois, vous faire
une demande qui ne coûte rien.
(M. le secrétaire d'Etat s'exclame.)
Il s'agit de donner force
législative à la circulaire DSPRS 98-014XR/AL du 27 janvier 1998 par laquelle
vous supprimiez toute forclusion dans l'attribution de la carte du combattant
volontaire de la Résistance. Cette circulaire mettait un terme à un contentieux
de longue date.
M. le président.
Veuillez conclure, monsieur Fischer !
M. Guy Fischer.
Je conclus, monsieur le président.
Puisque, nous l'avons vu, les conditions économiques sont aujourd'hui
favorables et que la pratique annuelle de l'annulation de crédits permet une
marge de manoeuvre, nous pourrions rendre le plus bel hommage aux combattants
de ce siècle finissant en abondant significativement ce budget.
Le groupe communiste républicain et citoyen déterminera son vote selon la
teneur de vos réponses, monsieur le secrétaire d'Etat. Nous ne pouvons, en
effet, approuver votre projet de budget en son état actuel, et croyez bien que
notre position très critique frôle le vote contre.
Monsieur le secrétaire d'Etat, finalement, ce n'est pas nous qui attendons un
geste de votre part ; ce sont, comme le disait André Malraux dans une oraison
funèbre, les hommes et les femmes qui ont le souvenir d'avoir « tenu dans leurs
mains une parcelle du refus de la France, du destin de la France ».
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Joly.
M. Bernard Joly.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
l'examen du projet de budget des anciens combattants constitue un moment
privilégié qui, au-delà des chiffres, nous rappelle à cet indispensable devoir
de mémoire à l'égard de ceux qui ont consenti de lourds sacrifices dans les
circonstances douloureuses et tragiques qui ont jalonné ce siècle.
Tout d'abord, je dois reconnaître que le passage du portefeuille des anciens
combattants sous la houlette du ministre de la défense s'est mieux déroulé que
prévu. Ainsi le budget autonome du secrétariat d'Etat est-il cohérent, même
s'il est insuffisant. En effet, comme cela a été dit, il accuse une diminution
de 2 % par rapport à 1999 et s'élève à 25 milliards de francs. Pour autant, le
monde combattant représente encore près de quatre millions d'ayants droit ou
d'ayants cause, pour lesquels de nombreux problèmes persistent.
La baisse sensible du nombre de titulaires d'une pension militaire
d'invalidité devrait permettre, à budget constant, de solder le contentieux.
Il est ainsi dommageable, pour l'honneur de notre pays, que nos camarades
originaires de pays devenus indépendants et qui ont servi à nos côtés lors de
la guerre d'Algérie ou dans d'autres conflits ne puissent pas faire valoir
leurs droits d'ancien combattant et que leur pension soit cristallisée.
Le cas du tirailleur Kosseyo est significatif. Cet homme a rejoint le général
de Gaulle le 29 août 1940 ; dernier des quinze Africains compagnons de la
Libération, il est décédé en 1993. La France lui allouait alors une pension
d'ancien combattant de 2,26 francs par jour. Comment peut-on qualifier cette
aumône !
La décristallisation des pensions des ressortissants de nos anciennes colonies
me paraît donc indispensable, afin que les soldats de l'ex-empire puissent
vivre dignement dans leur pays et ne soient pas obligés, comme c'est trop
souvent le cas, de demander, chez nous, le RMI.
S'agissant maintenant des pensions des grands invalides de guerre, je trouve
inacceptable que celles-ci ne soient pas identiques à taux de pension égal. Le
rattrapage, d'un coût de 70 millions de francs, à comparer aux 600 millions de
francs économisés par ailleurs, doit se faire en une seule fois par
l'abrogation pure et simple de l'article L. 114
bis
du code des
pensions, et non par étapes, comme le prévoit l'amendement voté à l'Assemblée
nationale le 3 novembre dernier. En effet, il est inadmissible que cet article
organise, depuis maintenant neuf ans, le gel de ces pensions.
Il faut avoir présent à l'esprit ce que cette classification recouvre
d'héroïsme, de sacrifices, de mutilations, de vies sinon brisées du moins
bouleversées.
Si le Gouvernement avait consenti à maintenir ce budget au même niveau que
l'année dernière, il aurait été possible de régler le réalignement des pensions
des grands invalides de guerre.
En ce qui concerne le Titre de reconnaissance de la nation, nous souhaitons
que son attribution soit étendue à tous les militaires ayant séjourné en
Algérie jusqu'au 1er juillet 1964. Cette mesure est justifiée par le fait que
la médaille commémorative des opérations dites « de sécurité et de maintien de
l'ordre » a été décernée jusqu'à cette date.
S'agissant de l'attribution de la carte du combattant, le projet de loi de
finances ramène de quinze à douze mois la durée de la présence exigée.
Malheureusement, cette mesure ne règle pas le cas des rappelés. C'est la raison
pour laquelle il est urgent de trouver une réponse adaptée à cette question.
Par ailleurs, je rappellerai que la mesure ARPE, qui permet à un ancien
combattant d'Afrique du Nord âgé de moins de cinquante-huit ans, titulaire de
la carte et comptant quarante annuités de cotisations de partir à la retraite à
la condition d'être remplacé par un jeune en recherche d'emploi, n'est toujours
pas appliquée. Cette disposition a pourtant été votée par le Parlement en 1998,
dans l'article 121 de la loi de finances de 1999.
Je regrette également que le Gouvernement n'ait toujours pas ratifié l'avenant
signé par l'UNEDIC le 12 mai dernier. Je crois savoir qu'il est actuellement en
cours d'agrément par le ministère de l'emploi et de la solidarité. Qu'en est-il
exactement, monsieur le secrétaire d'Etat ?
Au surplus, je souhaite attirer votre attention sur la situation des veuves
d'anciens combattants. Elles se débattent bien souvent dans des situations
difficiles et le niveau de leur pension reste particulièrement faible au regard
des épreuves qu'elles ont dû surmonter Je pense donc qu'un effort particulier
doit être accompli en leur faveur.
Enfin, je tiens à saluer l'action indispensable et positive de l'office
national des anciens combattants et victimes de guerre et de ses directions
départementales en matière sociale à l'égard des victimes des actions de
terrorisme. On ne peut que louer le dévouement des assistantes sociales à
l'égard de ces victimes souffrant de lourds traumatismes, et l'oeuvre utile de
l'association SOS-Attentats que dirige Françoise Rudetzki.
En conclusion, j'ajouterai un mot sur les psychotraumatismes de guerre. Un
groupe de travail a été récemment mis en place à ce sujet, et j'espère
sincèrement que, très vite, une nouvelle circulaire d'application du décret du
10 janvier 1992 sera rédigée.
La cohérence m'oblige, monsieur le secrétaire d'Etat, à renoncer à adopter
votre budget, car le devoir de mémoire passe obligatoirement par des
réparations immédiates. Certaines générations du feu ne sont plus en capacité
physique d'attendre. Il en est qui ne connaîtront pas la loi de finances pour
2001.
M. le président.
La parole est à Mme Printz.
Mme Gisèle Printz.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je
suis très heureuse, cette année encore, de défendre le budget des anciens
combattants, au nom du groupe socialiste.
Depuis plus de deux ans, monsieur le secrétaire d'Etat, vous faites preuve
d'un intérêt considérable à l'égard du monde combattant. Cet intérêt se
manifeste notamment par les liens que vous entretenez avec les associations
représentatives, par l'écoute des problèmes qui leur sont propres et par les
efforts que vous entreprenez pour intégrer les différentes catégories de
victimes dans le dispositif de reconnaissance et de réparation.
Votre intérêt et votre respect à l'égard du monde combattant se manifestent
également par une volonté sans précédent d'être sur le terrain, aux côtés de
celles et ceux qui se sont engagés dans les moments difficiles que la nation a
pu connaître.
Ce budget reflète tout à fait votre action, monsieur le secrétaire d'Etat,
même si nous sommes déçus, tout comme vous, qu'il n'ait pu rester au même
niveau que pour la précédente loi de finances.
Il s'agit essentiellement d'un budget d'intervention, dont les grandes masses
sont les suivantes : plus de 18 milliards de francs sont affectés à la
réparation du préjudice de l'invalidité, soit 72 % du budget, dont 40 %
concernent les ayants cause, notamment les veuves ; près de 6 milliards de
francs sont consacrés à la mémoire, à la reconnaissance et à la solidarité ;
enfin, plus de 1 milliard de francs ont trait au fonctionnement courant, soit 5
% du budget.
En 1999, le nombre d'invalides a diminué de 14,8 %, mais, compte tenu de la
stabilité des concessions nouvelles des veuves, la diminution globale est
ramenée à 10,08 %. Cette diminution, qui devrait vraisemblablement s'accélérer
en 2000, n'est pas sans conséquence sur l'activité des services. Si elle
conforte le choix de l'insertion du secrétariat d'Etat dans le ministère de la
défense, elle conduit à réfléchir au devenir des structures déconcentrées des
directions départementales.
La réorganisation administrative, qui a été conduite grâce à la confiance et
au soutien du monde combattant, se traduit par la fusion des deux services
chargés de l'administration générale et par la création d'une grande direction
de la mémoire et du patrimoine, ce qui devrait permettre des synergies plus
fortes.
La présentation du projet de loi de finances pour 2000 intègre cette
réorganisation. Votre budget, monsieur le secrétaire d'Etat, conserve,
conformément aux engagements pris, l'ensemble des lignes liées au droit à
réparation, à la reconnaissance et à la solidarité.
Cependant, comme je l'ai dit en introduction, le facteur démographique
engendre une baisse des crédits liés aux pensions, ainsi qu'une baisse des
crédits inscrits au fonds de solidarité par suite de l'arrivée des anciens
d'Afrique du Nord à l'âge légal de la retraite. Il me semble toutefois
important de préciser qu'en contrepartie l'évolution du nombre de bénéficiaires
de la retraite du combattant induit une augmentation des crédits inscrits.
En fait, les mesures nouvelles, qui traduisent la volonté du Gouvernement de
répondre aux attentes du monde combattant, représentent 112 millions de francs.
Bien évidemment, nous aurions aimé davantage.
Certaines de ces mesures nouvelles permettent le renforcement de l'action
sociale de proximité de l'ONAC, qui constitue un volet privilégié du nouvel
élan donné à cet établissement public.
Le secrétariat d'Etat des anciens combattants soutient aussi la dynamisation
de la politique de mémoire à vocation pédagogique et civique.
Nous sommes également satisfaits de la prise en compte de trois revendications
fortes : le relèvement du plafond de la rente mutualiste de 100 à 105 points ;
l'assoupplissement des conditions d'attribution de la carte du combattant pour
les anciens d'Algérie, la durée de services nécessaire passant à douze mois ;
le début du règlement du contentieux relatif aux plus grands invalides.
A ces mesures généralistes s'ajoutent : premièrement, le règlement du dossier
concernant les prisonniers du FLN ; deuxièmement, les crédits d'études pour le
mémorial des anciens d'Afrique du Nord ; troisièmement, la réalisation d'un
historial à proximité du camp du Struthof ; enfin, quatrièmement,
l'indemnisation des veuves des patriotes résistant à l'Occupation, les PRO,
d'Alsace-Moselle.
Ces bonnes nouvelles ne doivent cependant pas occulter les problèmes que nous
aurions aimé voir résoudre en tout ou partie.
Nous savons que vous ne pouvez pas répondre favorablement à toutes les
demandes et nous saluons les efforts que vous accomplissez et l'esprit qui vous
anime. Nous connaissons la part que vous avez prise dans la reconnaissance de
la guerre d'Algérie et votre engagement pour développer le devoir de mémoire,
que vous organisez toujours, à juste titre, autour du thème des valeurs de la
République.
M. Raymond Courrière.
Très bien !
Mme Gisèle Printz.
Toutefois, nous attendons des avancées sur des questions que nous jugeons
majeures.
Tout d'abord, en ce qui concerne l'ARPE, les dispositions votées l'an passé
seront-elles enfin appliquées ?
Pourquoi ne pas avoir réglé le contentieux relatif aux plus grands invalides
en une seule fois ? Nous aurions aimé que l'on aille au-delà de la mesure dont
nous avons parlé tout à l'heure.
S'agissant de la décristrallisation des pensions, que comptez-vous faire,
monsieur le secrétaire d'Etat, pour répondre aux aspirations des combattants de
nos anciennes colonies, dont le montant des prestations n'est pas à la hauteur
du devoir moral de la France à leur endroit ?
Par ailleurs, nous espérions vivement un geste du Gouvernement pour que le
Titre de reconnaissance de la nation soit attribué aux soldats affectés en
Algérie après le 2 juillet 1962.
Nous attendons aussi des mesures positives pour rendre plus lisible le rapport
constant et pour mieux prendre en compte la situation des veuves et des
orphelins de guerre.
En outre, monsieur le secrétaire d'Etat, il reste à travailler sur les
questions touchant aux psychotraumatismes de guerre, à la campagne double,
ainsi qu'à l'attribution de la carte du combattant pour les rappelés de la
guerre d'Algérie.
Enfin, il est un dossier qui me tient particulièrement à coeur en tant que
Mosellane, celui des incorporés de force dans les formations paramilitaires
allemandes, les KHD-RAD. J'ai déposé un amendement en faveur de ces nombreux
jeunes hommes et jeunes femmes qui ont été contraints de servir et qui ont subi
un entraînement militaire sévère, casernés, traités dans des organisations
nazies tels des esclaves. Certains en gardent des séquelles encore visibles
aujourd'hui.
La fondation « Entente franco-allemande » est prête à financer en grande
partie leur indemnisation, sous réserve que le Gouvernement s'engage, lui
aussi, à ce financement ; j'y reviendrai tout à l'heure de façon plus
précise.
Monsieur le secrétaire d'Etat, nous connaissons les efforts que vous
accomplissez au service du monde combattant et nous vous soutenons. C'est
pourquoi nous voterons votre projet de budget. Mais nous sommes aussi les
représentants de la nation et nous veillons scrupuleusement au devoir de l'Etat
envers ses anciens combattants. Nous sommes exigeants, mais nous attendons vos
réponses avec confiance.
(Applaudissements sur les travées
socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Herment.
M. Rémi Herment.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le
budget des anciens combattants et victimes de guerre pour 2000 a été élaboré
dans un contexte exceptionnel de croissance. Dès lors, mes collègues du groupe
de l'Union centriste et moi-même ne pouvons que déplorer la baisse de 1,97 %
dont il est l'objet, alors que le budget de 1999 était déjà lui-même en
diminution de 2 %.
Toutes les associations d'anciens combattants demandent unanimement que le
budget des anciens combattants ne soit pas en baisse, chaque année, au nom de
la diminution des parties prenantes.
Comme le faisaient très justement remarquer mes collègues Jacques Baudot et
Marcel Lesbros, l'examen des crédits budgétaires relatifs aux anciens
combattants intervient, cette année, dans un contexte particulier puisque le
Parlement vient d'adopter, à l'unanimité, la proposition de loi visant à
reconnaître - enfin ! - la réalité de l'état de guerre en Algérie, ainsi que
les combats du Maroc et de la Tunisie.
Il est désormais souhaitable que les anciens combattants d'Afrique du Nord
soient traités dans des conditions de stricte égalité avec les combattants des
conflits antérieurs. A ce sujet, nous souhaitons tous que le mémorial national
de la guerre d'Algérie soit érigé à Paris, sur un site prestigieux, au plus
tard en 2002, année du quarantième anniversaire de la fin de la guerre
d'Algérie.
Mes collègues du groupe de l'Union centriste et moi-même avons constaté avec
regret que l'amputation du budget des anciens combattants pour 2000 maintenait
le préjudice subi par les anciens combattants et victimes de guerre
d'outre-mer, du fait de la loi de cristallisation, - article 71 de la loi de
finances de 1959 - notamment en ce qui concerne les combattants marocains,
algériens et tunisiens par rapport aux combattants des autres pays d'Afrique et
de Madagascar.
Nous regrettons qu'aucune évolution ne soit intervenue en dépit de vos
engagements, monsieur le secrétaire d'Etat. C'est la raison pour laquelle notre
groupe votera l'amendement présenté par notre collègue Marcel Lesbros,
rapporteur pour avis du budget des anciens combattants, au nom de la commission
des affaires sociales, et permettant d'avancer sur deux points : d'une part, la
levée temporaire, en 2000, de la forclusion pesant sur les demandes nouvelles
et, d'autre part, la revalorisation des pensions militaires d'invalidité et des
retraites du combattant de 20 % au Maghreb et dans l'ex-Indochine, ces pays
ayant accumulé le plus de retard. Cet amendement constituera un signe de
reconnaissance envers les anciens combattants d'outre-mer pour les sacrifices
qu'ils ont consentis.
Il faut rappeler que les pensions militaires d'invalidité et les retraites du
combattant versées aux anciens combattants des pays anciennement sous
souveraineté française ont été cristallisées à la valeur atteinte lors de
l'indépendance, même si des revalorisations ponctuelles ont pu intervenir.
Monsieur le secrétaire d'Etat, vous vous étiez engagé à débattre de la
décristallisation lors de l'examen du projet de la loi de finances pour 1999.
Or, à ce jour, me semble-t-il, aucune mesure concrète ne nous a été présentée.
C'est la raison pour laquelle cet amendement a été déposé. Mes collègues du
groupe de l'Union centriste et moi-même souhaitons très vivement qu'il soit
adopté par notre assemblée.
En outre, nous insistons pour que le groupe de travail, maintes fois évoqué
par le Gouvernement, soit enfin constitué, avec, notamment, des représentants
des associations d'anciens combattants de la métropole, afin que toute
ambiguïté sur la politique du Gouvernement soit levée et que, rapidement,
l'égalité de comportement de la France à l'égard des citoyens des différents
pays qui se sont sacrifiés pour elle, dans les moments difficiles qu'elle
connaissait, soit réalisée, conformément aux recommandations de la commission
des droits de l'homme des Nations unies et au traité de New York, auquel elle a
pleinement adhéré.
J'en viens à la situation des harkis. Ces combattants n'ont pas obtenu jadis,
de la part de la communauté nationale, la reconnaissance qu'ils méritaient.
C'est la raison pour laquelle leur rôle et leur sacrifice pour la France ne
doivent pas être oubliés. Comme nous l'avons rappelé le 5 octobre dernier, dans
cette assemblée, nous avons un devoir de mémoire, de respect et de
reconnaissance.
Vous avez présenté, monsieur le secrétaire d'Etat, des propositions à la
communauté française musulmane pour qu'une juste traduction de ce respect et de
cette reconnaissance soit effectuée par l'exercice du devoir de mémoire.
Néanmoins, ce n'est pas suffisant.
Vous me répondrez que les solutions ne relèvent pas de votre département
ministériel. Pourtant, les harkis sont bien des anciens combattants, au même
titre que les anciens combattants d'Afrique du Nord !
Le 5 octobre dernier, mon collègue Jean Faure était tout spécialement
intervenu sur la situation des harkis rapatriés qui ont choisi l'option de la
France sans pour autant bénéficier de conditions décentes de vie et
d'intégration de la part de leur mère patrie, ce qui malheureusement, mais
logiquement, a eu des répercussions sur les deuxième et troisième générations.
Il vous avait demandé d'être notre porte-parole auprès de votre collègue du
Gouvernement, Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité, pour que, dans
ce projet de budget pour 2000, des mesures significatives puissent être prises
en faveur des harkis rapatriés, d'une part, et de leurs enfants, d'autre
part.
La France s'honorerait en faisant un geste significatif qui démontrerait sa
reconnaissance à l'égard d'anciens frères d'armes qui ont été les grands
sacrifiés de la guerre d'Algérie.
Je vous renvoie donc à l'excellente intervention de mon collègue Jean Faure,
qui a su, avec beaucoup d'émotion, souvenons-nous en, défendre la cause des
harkis rapatriés.
Le 27 octobre 1998, lors de l'examen du projet de loi de finances à
l'Assemblée nationale, Mme Aubry avait précisé que « le Gouvernement est très
sensible à la question de la réparation de l'injustice causée par l'article 46
de la loi du 15 juillet 1970 et qu'il travaille à sa révision ». Or, nous
constatons qu'à ce jour le dossier n'a pas eu de suite, laissant les personnes
concernées dans un sentiment d'attente et de déception.
Nous vous demandons donc instamment, monsieur le secrétaire d'Etat,
d'intercéder auprès de Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité pour que
cette question soit réglée au plus vite.
De même, nous vous demandons d'insister auprès d'elle pour qu'elle accepte de
ratifier l'avenant signé par l'UNEDIC le 12 mai dernier. Je veux, bien sûr,
parler de la mesure visant à étendre le bénéfice de l'allocation de
remplacement pour l'emploi, qui avait fait l'objet de l'article 121 de la loi
de finances pour 1999 et qui n'est toujours pas entrée en application. Cette
mesure, dont la portée est extrêmement modeste, aurait pu être financée par le
fonds de solidarité.
Le Gouvernement doit prendre ses responsabilités et, s'agissant de la mise en
oeuvre de l'ARPE, d'un engagement pris devant tous les Français, il n'est pas
normal qu'une mesure adoptée par la représentation nationale soit toujours
bloquée, un an après.
S'agissant des conditions d'attribution de la carte du combattant en Afrique
du Nord, le projet de budget prévoit d'abaisser de quinze à douze mois la durée
minimale de service en Afrique du Nord pour bénéficier de la carte du
combattant et de la retraite. A ce sujet, je me permets de réitérer la demande
du front uni des organisations nationales représentatives des anciens
combattants, visant à obtenir l'application de l'accord intervenu le 22 octobre
1996 en matière d'attribution de la carte du combattant. Il était en effet
convenu d'attribuer quinze points pour le Titre de reconnaissance de la nation,
sept points pour la médaille commémorative et quatre points par trimestre de
présence en Afrique du Nord dans le calcul des trente points exigés pour
l'octroi de la carte. Cette disposition réglerait les injustices qui
subsistent, malgré les mesures décidées ces dernières années, notamment en ce
qui concerne les rappelés, parmi lesquels je figurais. Monsieur le secrétaire
d'Etat, quelle suite envisagez-vous de réserver à cette demande ?
A l'évidence, l'extension des conditions d'attribution de la carte du
combattant impose une nouvelle réflexion sur le Titre de reconnaissance de la
nation. Comptez-vous étudier l'opportunité de son extension aux anciens
combattants d'Afrique du Nord qui ont séjourné en Algérie en 1962 et 1964 ?
Reconnaissez, monsieur le secrétaire d'Etat, que, malgré les mesures décidées
ces dernières années, les attentes majeures des anciens combattants d'Afrique
du Nord ne sont toujours pas entièrement satisfaites.
La revendication relative à la retraite anticipée ne semble plus d'actualité,
compte tenu du faible nombre de bénéficiaires. Toutefois, et à titre de
compensation, le monde combattant souhaite bénéficier de la retraite du
combattant à partir de soixante ans, par analogie avec la retraite
professionnelle. Certes, le coût de cette mesure est important, mais la mise en
oeuvre de celle-ci ne pourrait-elle être prévue par paliers, sur deux exercices
? Ne pourrait-on pas prévoir, dans le cadre du projet de budget pour 2000,
d'accorder la retraite du combattant à partir de soixante-trois ans, par
exemple ?
S'agissant de la campagne double, mes collègues du groupe de l'Union centriste
et moi-même vous demandons si vous comptez, enfin, prendre les dispositions
nécessaires pour mettre un terme à cette inégalité devant la loi qui frappe les
générations du feu qui ont combattu, en vertu du strict respect de l'égalité
des droits.
Vous avez proposé de constituer un groupe de travail sur cette question, et
nous vous serions reconnaissants de bien vouloir nous faire connaître les
récentes avancées de ces travaux. Avez-vous réellement la volonté de régler ce
dossier et de convoquer une commission tripartite chargée de l'étude et du
règlement de ce problème récurrent ?
Je me permettrai d'évoquer également, au nom de mes collègues, la question de
l'indemnisation des incorporés de force dans les formations paramilitaires
allemandes, les RAD-KHD.
En effet, malgré l'accord intervenu en juin 1998 au sein de l'Entente
franco-allemande, l'instruction des quelque 10 000 dossiers déposés traînait en
longueur et retardait d'autant l'inscription des crédits budgétaires
correspondants. Cette situation est difficilement acceptable, et c'est la
raison pour laquelle je me permets d'appeler votre attention tout
particulièrement pour que l'indemnisation des jeunes d'Alsace et de Moselle
incorporés de force dans les formations paramilitaires allemandes se mette en
place de façon effective.
Cette indemnisation n'est possible que si les deux partenaires, à savoir la
fondation Entente franco-allemande et l'Etat français, en assurent réellement
et simultanément le financement. Le droit à réparation des anciens incorporés
de force a été reconnu par l'Entente franco-allemande. Monsieur le secrétaire
d'Etat, nous souhaiterions connaître vos intentions à cet égard.
Enfin, mes collègues et moi-même nous réjouissons de l'adoption par
l'Assemblée nationale, le 3 novembre dernier, d'un amendement tendant à
revaloriser de 1,5 % au 1er janvier 2000 les pensions des plus grands invalides
de guerre, pensions dont l'évolution avait été gelée entre 1991 et 1995.
Nous nous sommes donc félicités d'une telle décision. Cependant, il est bon de
rappeler que l'écart né du gel de ces pensions est de l'ordre de 7 %. C'est
pourquoi nous souhaitons vivement que l'effort soit poursuivi, pour que la
revalorisation soit totale dès l'an prochain.
Telles sont les raisons pour lesquelles le groupe de l'Union centriste n'est
pas très enclin à voter le budget des anciens combattants. Toutefois, mes
collègues et moi-même nous en remettrons à l'avis de nos deux excellents
rapporteurs, MM. Jacques Baudot et Marcel Lesbros, également membres du même
groupe. Notre vote dépendra notamment de l'adoption de l'amendement présenté
par notre collègue M. Lesbros, au nom de la commission des affaires sociales,
et ayant pour objet d'apporter une première réponse à la question de la
décristallisation.
Monsieur le secrétaire d'Etat, ma dernière question a trait au rapport
Mingasson. Où en sommes-nous ? Vous êtes, je le sais, très attaché à l'effort
de mémoire.
(M. le secrétaire d'Etat fait un signe d'assentiment.)
A cet égard,
entendez-vous mettre en application les excellentes idées qui avaient été les
vôtres, notamment dans les régions les plus touchées de l'Est de la France.
Je vous remercie de l'attention que vous avez bien voulu me porter et, par
avance, des réponses que vous ne manquerez pas de donner à notre Haute
Assemblée.
M. le président.
La parole est à M. Pelchat.
M. Michel Pelchat.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
comme dans le conte, je pourrais dire, lorsque j'examine ce projet de budget :
« Anne, ma soeur Anne, ne vois-tu rien venir ? »
M. Raymond Courrière.
Vous étiez plus conciliant avec M. Juppé, à l'époque !
(Protestations sur
les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. Michel Pelchat.
Je n'ai pas changé de discours, monsieur Courrière. Vous pouvez reprendre le
texte des interventions que j'ai prononcées, y compris à cette époque !
M. Jean Chérioux.
Toujours le sectarisme !
M. Raymond Courrière.
Ce sont des constatations !
M. Michel Pelchat.
Non, me répondrait soeur Anne, je ne vois rien venir, si ce n'est, comme par
le passé, la diminution des crédits du budget des anciens combattants,
notamment de ceux qui sont consacrés aux anciens combattants des territoires
d'outre-mer, ces tirailleurs sénégalais, marocains, algériens, malgaches, ces
Vietnamiens, ces harkis, et j'en oublie, qui se sont battus sous la bannière
française et qui ont autant de droits sur la France que les anciens combattants
« français » que nous sommes.
Oui, monsieur le secrétaire d'Etat, ces centaines de milliers de soldats ont
donné leur vie pour la France, non seulement durant la Première et la Seconde
Guerre mondiales, mais aussi au cours des aventures extérieures où la France a
été engagée, comme en Indochine, ainsi que durant la guerre d'Algérie, que nous
venons d'ailleurs enfin de reconnaître comme telle. Ces anciens combattants
sont de moins en moins nombreux, mais ils demeurent les éternels oubliés de la
reconnaissance française.
On parle pudiquement, depuis des années, de cristallisation des pensions de
retraite et d'invalidité et de forclusion, alors que l'on devrait plutôt parler
d'obstination dans le mépris. Le sang versé hier pour la France a pourtant la
même valeur, que l'on soit ou non Français.
Monsieur le secrétaire d'Etat, vous aviez promis, lors de l'examen du
précédent projet de budget et à plusieurs reprises au cours de l'année écoulée,
notamment à moi-même, que la forclusion et la décristallisation des pensions
feraient l'objet de toute l'attention de votre secrétariat d'Etat et que des
mesures allaient être annoncées, notamment en faveur de la décristallisation
des pensions des anciens combattants marocains et tunisiens. Voilà quelques
semaines encore, lors de la discussion de votre projet de budget à l'Assemblée
nationale, vous indiquiez que des mesures seraient annoncées par le Premier
ministre à l'occasion de son déplacement au Maroc. Malheureusement, si le
voyage a bien eu lieu, le Premier ministre n'a rien annoncé.
S'il est bien de faire défiler la garde présidentielle marocaine à l'occasion
du 14 juillet, cela n'est certainement pas suffisant pour honorer ses anciens ;
s'il est juste de décorer de la Légion d'honneur d'anciens tirailleurs
sénégalais, cela ne saurait en aucun cas les aider matériellement à vivre,
surtout lorsque cela intervient quatre-vingts ans après leurs faits d'armes.
Les anciens combattants ressortissants des pays antérieurement placés sous la
souveraineté française ont pourtant des droits sur la France, droits qui ne
devraient faire l'objet d'aucun marchandage !
Alors que vous évoquez, monsieur le secrétaire d'Etat, des projets de
construction d'un mémorial de l'annexion de fait de l'Alsace-Lorraine et le
lancement d'une étude de faisabilité pour l'érection d'un mémorial du système
concentrationnaire nazi dans le camp du Struthof, j'ose espérer que votre
secrétariat d'Etat prendra, au cours des mois prochains, des mesures concrètes
à l'intention de nos anciens combattants des territoires d'outre-mer, notamment
des harkis, ces laissés-pour-compte qui, depuis trente-sept ans, souffrent au
plus profond de leur être de ce mépris de la France, ce pays pour lequel ils
ont choisi de se battre parce que c'était le leur !
Monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez choisi, cette année encore, de
réduire le montant de vos crédits de 2 % par rapport à l'an passé. Or, je note
que si, les années précédentes, la baisse du budget des anciens combattants
résultait de la seule diminution de la dette viagère, cette année, c'est la
réduction des crédits consacrés au fonds de solidarité qui en est la cause.
Cette baisse de 450 millions de francs s'explique par la sortie progressive du
dispositif des anciens combattants d'Afrique du Nord, dès lors qu'ils font
valoir leurs droits à une pension de vieillesse à taux plein ou qu'ils
atteignent leur soixante-cinquième année. Que n'avez-vous utilisé ces 450
millions de francs au bénéfice des anciens combattants de la France d'outre-mer
! C'eût enfin été, à leur égard, une marque de reconnaissance comme ils n'en
ont jamais reçu.
Malheureusement, monsieur le secrétaire d'Etat, votre budget, comme le
précédent et comme tous ceux de vos prédécesseurs, est un budget indigne. Alors
que le Gouvernement nous a annoncé une bonne rentrée fiscale, je dirai même que
votre budget est indécent vis-à-vis de ces soldats qui ont risqué ou donné leur
vie pour la France, et à l'égard de leurs enfants et petits-enfants qui ont,
eux aussi, choisi la patrie dite « des droits de l'homme. »
A ce propos, je vous invite, les uns et les autres, à vous référer à une
émission diffusée par France Info le 11 novembre dernier. Certains des jeunes
des banlieues qui étaient interrogés étaient les enfants de ressortissants de
ces anciens territoires d'outre-mer. Vous prendrez conscience de ce qu'ils
pensent de la reconnaissance que nous avons su témoigner à leurs parents et à
leurs grands-parents. Une véritable reconnaissance pourrait peut-être, à
l'heure où l'on parle tant d'intégration, aider à mener celle-ci à bien.
Pour toutes ces raisons, monsieur le secrétaire d'Etat, les membres du groupe
des Républicains et Indépendants, notamment Jean-Claude Carle, René Garrec et
moi-même, ne voteront pas votre projet de budget.
(Applaudissements sur les
travées des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Durand-Chastel.
M. Hubert Durand-Chastel.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, les
crédits consacrés aux anciens combattants pour l'année 2000 sont en baisse de 2
% par rapport à 1999. On doit le regretter, car, s'il est bien certain que le
nombre des anciens combattants est actuellement inférieur à 500 000, de
nouvelles obligations morales doivent être prises en compte.
Je me réfère essentiellement ici au devoir de mémoire collective. En effet,
les récentes générations n'ont pas connu la dernière guerre mondiale, et ceux
qui y ont participé sont de moins en moins nombreux pour en témoigner.
Il convient également d'encourager ce que vous avez appelé, monsieur le
secrétaire d'Etat, le tourisme de mémoire, par une concertation entre l'Etat,
les régions et les départements, pour le développer dans le Nord, la Marne, la
Champagne, l'Alsace et autres régions de batailles, sur des sites où se sont
déroulés des événements mémorables. La mémoire constitue en effet le meilleur
hommage qui puisse être rendu à tous ceux qui ont accepté de se sacrifier pour
la cause commune de notre pays. Ainsi, les héritiers de ceux qui ont combattu
préserveront les valeurs de la République et les légueront aux futures
générations.
Je vous félicite, monsieur le secrétaire d'Etat, pour la création de la
nouvelle direction de la mémoire, du patrimoine et des archives, que vous venez
de doter d'un crédit de 9 millions de francs. De plus, une sous-direction de la
mémoire est destinée à mettre en oeuvre le partenariat avec le monde
associatif.
Dans la politique que suivra cette direction, de nombreux axes me paraissent
devoir être encouragés.
D'abord et avant tout, une action pédagogique coordonnée doit être menée avec
le ministère de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie
pour que le corps enseignant et les manuels scolaires relatent fidèlement les
événements militaires passés et en tirent toutes les leçons. La présence
d'élèves aux grandes cérémonies commémoratives de notre histoire, celles du 11
novembre en particulier, est tout à fait souhaitable, tant devant les monuments
aux morts que dans les cimetières militaires.
Je souhaiterais, ensuite, évoquer l'aide aux anciens combattants nécessiteux.
La meilleure formule me paraît être d'accroître le crédit social, qui, cette
année, sera doté de 5 millions de francs supplémentaires.
Les contraintes budgétaires ne permettent de disposer que de moyens
relativement limités. Aussi, plutôt que de procéder à un saupoudrage peu
significatif pour certains bénéficiaires qui n'ont pas un réel besoin de cette
mesure, qui correspond à une légère augmentation de la pension actuelle, à
hauteur de 2 800 francs par an, serait-il à mon sens préférable de réserver les
montants disponibles au traitement des cas sociaux les plus difficiles. Les
structures départementales de l'office national des anciens combattants sont
tout à fait aptes à s'occuper de la répartition de ces aides d'urgence, en
plein accord avec les conseils généraux, gestionnaires de l'aide sociale, qui
seront déchargés du financement des aides maladie départementales grâce à la
mise en oeuvre de la nouvelle couverture maladie universelle. Une telle
décentralisation paraît tout à fait souhaitable.
Je me réjouis, par ailleurs, monsieur le secrétaire d'Etat, de la
modification, adoptée à l'unanimité par les deux chambres du Parlement,
relative au remplacement de l'appellation « opérations de maintien de l'ordre
en Afrique du Nord » par celle de « guerre d'Algérie », qui correspond tout à
fait à la réalité. Il convient maintenant que le mémorial national de cette
guerre soit érigé dès que possible à Paris pour être inauguré en 2002, de
préférence le 19 mars, date du quarantième anniversaire de la fin des
hostilités.
M. Rémi Herment.
Mais non !
M. Hubert Durand-Chastel.
J'en arrive maintenant aux voeux émis par la commission des anciens
combattants du Conseil supérieur des français de l'étranger, le CSFE, et
approuvés lors de la dernière session plénière de celui-ci. Le droit d'accès à
la nationalité française au titre du « sang versé » a été reconnu aux
légionnaires par l'Assemblée nationale, et devrait l'être aussi par le Sénat
dans quelques jours.
Le CSFE a également demandé une importante réévaluation des pensions pour les
anciens combattants de l'armée française originaires de l'ex-Indochine. Cette
pension est actuellement de 103,62 francs par an. Je dis bien 103,62 francs par
an ! Nous sommes loin des 2 800 francs annuels accordés en France.
Enfin, le CSFE a souhaité que le versement des pensions et retraites aux
anciens combattants algériens puisse être fait en France, sur leur demande, au
taux appliqué en métropole. Je conclurai en vous demandant, monsieur le
secrétaire d'Etat, d'accélérer la revalorisation des pensions des grands
invalides de guerre, lesquelles avaient été gelées précédemment.
Pour toutes ces raisons et eu égard à l'insuffisance des mesures proposées, je
ne voterai donc pas, monsieur le secrétaire d'Etat, le projet de budget des
anciens combattants pour 2000, qui ne soutient pas assez ceux qui ont défendu
la patrie.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et
Indépendants et du RPR.)
M. le président.
La parole est à Mme Olin.
Mme Nelly Olin.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
nous nous sommes tous félicités du vote unanime de la loi requalifiant les
événements en Afrique du Nord, et, à cette occasion, j'avais précisé que la
reconnaissance morale allait bien évidemment de pair avec une reconnaissance
matérielle.
C'est donc avec une certaine impatience que nous attendions l'examen de ce
projet de budget, lequel, hélas ! affiche une fois encore, et je dirai même une
fois de trop, une baisse de 2 %.
Je connais les arguments pouvant expliquer cette diminution. Toutefois, ils ne
sont pas acceptables, car fonder cette diminution sur la baisse du nombre des
anciens combattants me semble quelque peu indécent.
Monsieur le secrétaire d'Etat, nous ne doutons pas de votre volonté d'aller de
l'avant, mais les mesures que vous proposez en faveur des anciens combattants
d'Afrique du Nord sont nettement insuffisantes, et ce uniquement par manque de
moyens.
Ainsi, les crédits alloués aux fonds de pension destinés aux anciens
combattants d'Afrique du Nord chômeurs de longue durée et âgés de plus de
cinquante-sept ans sont en baisse de 28 %. Cette diminution s'explique par la
sortie progressive du dispositif des ayants droit.
Aujourd'hui, certains anciens combattants d'Afrique du Nord sont dans une
situation financière dramatique. Il eût été plus que légitime, monsieur le
secrétaire d'Etat, que les 1,5 milliard de francs qui disparaissent de votre
budget soient redéployés en leur faveur.
En effet, certains d'entre eux perçoivent une retraite professionnelle
extrêmement modeste, du fait d'une carrière bien souvent écourtée par le
chômage, hélas !
Aujourd'hui, il est inacceptable de laisser ces crédits disparaître. Je
demande, monsieur le secrétaire d'Etat, au nom des associations d'anciens
combattants d'Afrique du Nord, que ces crédits soient redéployés dès cette
année en faveur de ceux-ci, notamment quand le montant de leur retraite est
insuffisant.
De plus - et vous le comprendrez - je m'associe aux revendications de ces
associations s'agissant de l'attribution de la carte du combattant. Le projet
de loi de finances ramène de quinze mois à douze mois la durée de présence
exigée, mais cela ne règle pas le cas des rappelés. Il est par conséquent
impératif d'appliquer l'accord du 22 octobre 1996. Cette mesure mettrait enfin
un terme aux injustices qui subsistent, en particulier en ce qui concerne les
rappelés.
J'ai été surprise par les propos que vous avez tenus, lors des débats à
l'Assemblée nationale, relatifs à votre projet de budget, s'agissant de
l'attribution du Titre de reconnaissance de la nation jusqu'au 1er mars
1963.
Je vous rappelle que bon nombre d'associations demandent que ce titre soit
accordé aux militaires qui ont servi en Algérie jusqu'au 1er juillet 1964,
puisque la médaille commémorative des opérations dites de « sécurité et de
maintien de l'ordre » a été décernée jusqu'à cette date.
A l'Assemblée nationale, vous avez repoussé l'amendement qui tendait à
délivrer le Titre de reconnaissance de la nation jusqu'au 1er mars 1963 ; c'est
dommage ! Vous avez, en revanche, précisé que vous envisagiez cette
possibilité. Vous l'envisagez seulement, monsieur le secrétaire d'Etat ?
Alors, à quand la décision !
Vous voulez remettre à plat l'ensemble du dispositif et vous vous êtes engagé
à le faire dès janvier. Le Gouvernement a décidément, hélas ! la fâcheuse
habitude d'annoncer, particulièrement cette année, de nombreuses mesures pour
l'année suivante sans que, évidemment, elles apparaissent dans le budget. Nous
ne sommes plus à un mois près, monsieur le secrétaire d'Etat ! Pourquoi, dans
ces conditions, n'avoir pas inclus dans ce budget vos projets quant au Titre de
reconnaissance de la nation ? Comme je l'ai dit récemment au ministre délégué à
la ville, à quoi sert-il de voter des crédits sans en connaître les véritables
objectifs ?
Vous n'êtes pas favorable au versement de la retraite du combattant dès l'âge
de soixante ans. Pourtant, ce serait une bien modeste compensation au regard du
refus de la retraite anticipée.
Vous avez néanmoins pris l'engagement que les dossiers en suspens seraient
réglés, et nous vous savons attaché au respect de votre parole. Je tiens à
préciser que nous serons tous très vigilants quant au respect de ces
engagements, dans la mesure où aucun d'entre eux n'apparaît ici de façon
concrète.
Je voudrais m'arrêter quelques instants sur la situation des anciens
combattants originaires de pays devenus indépendants, qui ont combattu pour la
France et dont les pensions sont « cristallisées », comme l'ont rappelé nombre
de nos collègues. Le Premier ministre devait annoncer des décisions à ce sujet
lors de son récent voyage au Maroc ; il n'en a, hélas ! rien été.
Ces anciens combattants ne perçoivent parfois que 350 francs par mois pour
vivre et, à condition toutefois de résider sur le territoire français, ils
peuvent prétendre au RMI, au minimum vieillesse et à l'allocation logement.
Le transfert du tribunal des pensions de Bordeaux à Caen ne change rien au
fond du problème, et notre reconnaissance ne pourra se manifester qu'en leur
permettant de toucher une pension décente tout en restant vivre dans leur pays,
auprès de leur famille.
Vous avez, là encore, proposé d'engager une réflexion à ce sujet, ce dont je
vous félicite. Mais il est regrettable que vous vous arrêtiez au seul problème
du coût budgétaire pour répondre à cette question.
Comme beaucoup avant moi l'ont souligné, la revalorisation des pensions
pourrait se faire progressivement, et nous ne pouvons que regretter qu'aucune
mesure ne soit prévue dans le projet de budget à ce sujet. Donner aux anciens
combattants métropolitains les moyens d'une vie décente ne me semble vraiment
pas être un sacrifice énorme.
Je voudrais également dire quelques mots sur la situation des incorporés de
force dans les formations paramilitaires allemandes. La fondation Entente
franco-allemande a accordé une indemnité d'un montant de 9 100 francs aux
incorporés de force dans l'armée allemande. Le certificat d'incorporé de force
dans les formations paramilitaires allemandes ne procure aucun avantage
financier. Aujourd'hui, le recensement des personnes concernées est clos, et
nous attendons tous que des crédits soient débloqués dès que sera connu le
nombre de personnes pouvant prétendre à cette indemnité.
Monsieur le secrétaire d'Etat, je ne saurais vous dire combien je déplore que
les crédits alloués à votre secrétariat d'Etat pour 1999 ne soient pas
reconduits pour 2000. Il est fort dommage que les excédents de la croissance ne
profitent pas, en tout cas, à cette noble cause. Il est donc urgent d'améliorer
les droits des anciens combattants pour répondre à leurs légitimes
revendications.
La France ne saurait continuer à les traiter de la sorte : ils ont des droits,
des droits légitimes, car ils ont fait face, eux, à leurs devoirs.
Par conséquent, le projet de budget étant loin de répondre aux attentes des
associations d'anciens combattants, attentes qui sont également les nôtres : il
nous sera impossible de voter pour un budget si peu ambitieux.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants
et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Chabroux.
M. Gilbert Chabroux.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, mon
intervention se situera dans le prolongement de celle de notre collègue Gisèle
Printz.
Je considère, comme elle, que le projet de budget que vous nous présentez,
monsieur le secrétaire d'Etat, va dans le bon sens et qu'il permettra de
poursuivre et de renforcer l'action que vous avez engagée depuis 1997 en faveur
des anciens combattants. Il constitue une nouvelle étape et comporte de
nouvelles avancées.
Pour bien l'apprécier, il faut déjà bien mesurer les changements qui sont
intervenus. Il y a eu ainsi un changement majeur depuis l'année dernière. Nous
avions tous exprimé, à cette tribune, nos préoccupations, nos inquiétudes même
; en effet, la diminution naturelle du nombre des ressortissants faisait
craindre que la pérennité de votre département ministériel et de l'office
national des anciens combattants et victimes de guerre ne soit pas assurée.
Dans un contexte délicat, vous avez su conduire une grande réforme « grace à la
confiance et au soutien du monde combattant », ainsi que vous le dites.
M. Raymond Courrière.
Très bien !
M. Gilbert Chabroux.
De fait, votre département ministériel est maintenant adossé au ministère de
la défense. Le secrétariat d'Etat à la défense, chargé des anciens combattants,
possède ainsi son propre budget ; il assure et garantit la gestion des intérêts
moraux et matériels des anciens combattants et pérennise l'ONAC.
Nous sommes rassurés et satisfaits que le monde combattant ait un
interlocuteur gouvernemental privilégié et que vous soyez, monsieur le
secrétaire d'Etat, cet interlocuteur.
M. Raymond Courrière.
Très bien !
M. Gilbert Chabroux.
Dans votre projet de budget, une nouvelle impulsion, un « nouvel élan », pour
reprendre vos propres termes, est donné à l'ONAC, qui disposera de 36 millions
de francs supplémentaires pour développer des actions sociales individualisées
et venir ainsi en aide aux ressortissants les plus démunis : veuves, anciens
combattants sortant du fonds de solidarité, ressortissants les plus âgés. Il
faut apprécier aussi que des travaux de mise en conformité et d'amélioration du
cadre de vie des maisons de retraite puissent être effectués rapidement. Les
besoins dans ce secteur sont, nous le savons bien, considérables.
Un autre changement majeur est intervenu depuis l'année dernière : trente-sept
ans après la fin du conflit, la guerre d'Algérie et les combats en Tunisie et
au Maroc ont été, enfin, officiellement reconnus. Le vote du Sénat, le 5
octobre dernier, a été unanime, comme l'avait été celui de l'Assemblée
nationale. Le texte était, certes, d'origine parlementaire, mais nous savons
bien la part que vous avez prise, monsieur le secrétaire d'Etat, pour que,
finalement, il soit voté.
Bien sûr, cette loi a une portée symbolique, morale et éthique dont nous
mesurons tous l'importance, mais elle ne pouvait pas se traduire en termes
budgétaires, pour ne pas réduire sa portée historique.
Cette loi étant votée et la guerre d'Algérie reconnue sans l'ombre d'une
restriction, on peut maintenant se demander si les anciens combattants
d'Algérie, de Tunisie et du Maroc sont bien reconnus dans la plénitude de leurs
droits.
En fait, un certain nombre de questions demeurent, par exemple, au sujet de la
carte du combattant. Vous le savez bien, puisque vous abaissez de quinze à
douze mois la durée minimale de service en Afrique du Nord pour pouvoir en
bénéficier. C'est une nouvelle avancée qui est accueillie très favorablement
par les anciens d'AFN.
Reste toutefois à régler le problème des rappelés. Les rappelés de 1956 n'ont
effectué que six mois. Ils n'étaient pas tous dans des unités combattantes,
mais ils ont pu participer, d'une manière ou d'une autre, à des opérations et,
de toute façon, c'était la guerre, une guerre omniprésente, même là où l'on ne
s'en méfiait pas. Il faudrait sans doute, pour ces rappelés, instituer un
système de points.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Tout à fait !
M. Gilbert Chabroux.
Se pose aussi le problème du Titre de reconnaissance de la nation, qui n'est
attribué que jusqu'au 2 juillet 1962, alors que la médaille commémorative a été
décernée jusqu'au 1er juillet 1964. Or, chacun le sait, des soldats ont été
blessés ou tués bien au-delà du 2 juillet 1962 et la mission de ceux qui sont
restés était bien le maintien de la paix, et ce, comme pour d'autres missions
qui se sont déroulées par la suite.
Au regard de cette réalité historique et de cette dimension humaine, ne
peut-on envisager l'extension du titre de reconnaissance de la nation jusqu'au
1er mars 1963, date à laquelle le service historique de l'armée de terre a
recensé le dernier soldat tombé au combat ? Le coût de cette mesure est faible
- un million de francs - mais elle aurait un effet psychologique très
important.
L'année dernière, le Sénat et l'Assemblée nationale ont adopté une autre
mesure à caractère largement symbolique, l'allocation de remplacement pour
l'emploi, l'ARPE. Ce dispositif devait permettre aux anciens d'Afrique du Nord
de quitter l'entreprise dès cinquante-huit ans s'ils remplissaient certaines
conditions, et ce même en cas de refus de l'employeur.
C'était une mesure très importante sur le plan du principe. C'était aussi une
forme de solidarité et de justice. Je regrette et déplore, pour ma part, que ce
dispositif n'ait pas pu s'appliquer du fait de l'attitude inacceptable du
MEDEF, le Mouvement des entreprises de France, qui n'a pas voulu y
participer.
M. Jacques Baudot,
rapporteur spécial.
Oh !
M. Raymond Courrière.
Très bien !
M. Gilbert Chabroux.
Toujours au sujet de la guerre d'Algérie, permettez-moi d'évoquer le projet de
construction à Paris d'un mémorial national, qui aurait aussi une valeur
symbolique forte. Ce projet n'avance qu'avec beaucoup de lenteur et de
difficultés. Pouvez-vous nous dire, monsieur le secrétaire d'Etat, où en est ce
dossier ? Pouvez-vous préciser son calendrier ? Pouvez-vous confirmer que
l'inauguration aura lieu en 2002 ?
Je ne reviendrai pas sur ce qu'a dit notre collègue Gisèle Printz sur le
problème difficile de la cristallisation des pensions des anciens combattants
originaires des anciennes colonies ou protectorats. Il faut trouver une
avancée, sans doute en termes de pouvoir d'achat, et envisager une mesure
équitable pour ces anciens combattants qui ont combattu pour la France,
particulièrement pour ceux du Maghreb et des anciens pays de l'Indochine, qui
comptent actuellement parmi les plus défavorisés.
Je voudrais insister, comme ceux qui m'ont précédé à cette tribune, sur la
situation des grands et très grands invalides, dont la pension a été gelée
depuis 1991. Il y a là quelque chose de profondément choquant et il est
impératif de procéder à un rattrapage moral et matériel. C'est le dernier acte
de justice qu'ils attendent !
L'augmentation de leurs pensions, que vous prévoyez, est un premier pas, mais
il ne suffit pas. S'il n'est pas possible d'effectuer ce rattrapage en une
seule année, il faudrait qu'il puisse être achevé d'ici à 2001. Cette mesure
concerne mille personnes à peine, certaines d'entre elles ne pouvant survivre
sans l'aide de deux auxiliaires.
Enfin, monsieur le secrétaire d'Etat, je veux saluer l'action que vous menez
pour la mémoire et la citoyenneté.
La création d'une grande direction de la mémoire, du patrimoine et des
archives s'inscrit dans la perspective d'un « grand ministère de la mémoire »
contribuant, conformément aux nouvelles attributions du secrétariat d'Etat, à
l'enseignement de l'esprit de défense et à l'indispensable sensibilisation des
jeunes générations à l'Histoire.
Le dispositif « emplois-jeunes mémoire » que vous avez créé commence à donner
des résultats. Votre projet de budget permettra de le renforcer ; il comporte,
de plus, des mesures nouvelle en faveur des actions de mémoire et d'information
historique.
Monsieur le secrétaire d'Etat, dans l'esprit de beaucoup, l'année 2000 est la
première année d'un nouveau siècle et d'un nouveau millénaire. Le xxe siècle a
été atroce : deux guerres mondiales, des génocides, des abominations auxquelles
ont conduit le racisme, le fascisme, des discriminations basées sur la
nationalité, la religion, l'origine ethnique !
L'assemblée générale des Nations unies a proclamé l'an 2000 « Année
internationale de la culture de la paix ». Il faut que des initiatives fortes
soient prises, à l'échelle nationale et mondiale, pour transformer enfin la
culture de la guerre et de la violence en une culture de la paix et de la
non-violence.
Je suis persuadé, monsieur le secrétaire d'Etat, que votre département
ministériel participera très activement aux initiatives qui seront prises pour
promouvoir cette culture de la paix en direction de la jeunesse, qui, comme
vous le dites, « doit se sentir l'héritière de ceux qui ont combattu pour
préserver les valeurs de la République ».
En tout cas, le groupe socialiste vous apportera tout son soutien pour mener à
bien votre tâche.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Cléach.
M. Marcel-Pierre Cléach.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le
budget pour 2000, dernier budget d'un siècle marqué par trop de guerres, se
doit de répondre au devoir de solidarité et de mémoire. Il doit refléter
l'effort fait par la nation pour rendre l'hommage mérité aux anciens
combattants, d'autant que la conjoncture plutôt favorable s'y prête.
En francs constants et à périmètre constant, le budget a baissé de 2 % par
rapport au budget précédent, qui enregistrait déjà la même évolution.
Vous nous direz, monsieur le secrétaire d'Etat, que la baisse des crédits
reste inférieure à celle du nombre de ressortissants - elle devrait atteindre 4
% en l'an 2000 - et même légèrement inférieure aux baisses constatées les
années précédentes. C'est exact. Marquées chaque année par la triste mais
inéluctable diminution des parties prenantes, les évolutions du budget doivent
beaucoup au poids du facteur démographique : ce sont en effet entre 700
millions et 900 millions de francs de crédits qui disparaissent par le seul
effet de la baisse du nombre d'allocataires.
Je ne saurais, par ailleurs, critiquer une diminution budgétaire liée à la
baisse des effectifs du secrétariat d'Etat, bien au contraire. Je n'ai jamais
considéré qu'une bonne gestion ministérielle soit appréciée en fonction et au
prorata des augmentations de crédits obtenues chaque année dans les
arbitrages.
M. Jean Chérioux.
Très bien !
M. Marcel-Pierre Cléach.
Mais, une fois encore, ce budget semble jouer avec le temps, comptant sur ce
dernier pour satisfaire les revendications en rendant sans objet le droit à
réparation. Ni le monde ancien combattant ni la représentation nationale ne
peuvent entériner une telle stratégie. C'est pourquoi il nous faut aussi
réfléchir sur la régulation budgétaire à mettre en oeuvre. En effet, si la
diminution du nombre des anciens combattants doit logiquement donner lieu à une
baisse des crédits, elle doit aussi se traduire par un redéploiement
qualitatif. Nous avons beaucoup de propositions à vous faire, monsieur le
secrétaire d'Etat.
Il faut ausi améliorer la consommation des crédits, même si ce problème
récurrent tend à prendre une moindre ampleur, afin d'utiliser toutes les marges
de manoeuvre existantes pour satisfaire, si ce n'est de façon définitive, au
moins de manière appréciable, les principales revendications du monde ancien
combattant.
Pour porter une appréciation globale sur votre budget, monsieur le secrétaire
d'Etat, je dirai qu'il apporte des améliorations partielles tout en laissant en
suspens de nombreuses demandes du monde combattant.
J'aborderai, d'abord, les points positifs et les mesures nouvelles.
Comme beaucoup de mes collègues, monsieur le secrétaire d'Etat, je salue
l'élan que vous avez su donner à la politique de la mémoire. Les crédits
budgétaires qui y sont affectés, désormais inscrits dans le budget du ministère
de la défense, augmentent de 18 % pour atteindre 74 millions de francs, à quoi
il convient d'ajouter 9 millions de francs dans le cadre des contrats de plan
Etat-région, je note avec satisfaction la volonté d'affecter des moyens
supplémentaires à l'entretien des sépultures, car, trop souvent, cette charge
est laissée au seul budget des communes.
L'ONAC m'apparaît plutôt bien traité puisque ses crédits de fonctionnement
augmentent ; il retrouve ainsi les moyens qui lui avaient été retirés dans un
passé récent, et sa subvention pour l'action sociale est augmentée de 5
millions de francs, afin de permettre un renforcement de son action sociale de
proximité.
Mais se pose avec acuité le problème des maisons de retraite, dont plusieurs
ont d'ores et déjà cessé leur activité ou doivent fermer. Il est à craindre que
le crédit de 8 millions de francs destiné à leur mise aux normes ne soit
insuffisant.
Votre budget comporte aussi deux mesures nouvelles qui répondent en partie aux
attentes des anciens combattants.
Première avancée, l'attribution de la carte du combattant pour douze mois de
présence au lieu de quinze mois. Ainsi, 15 millions de francs ont été crédités
au titre de l'article 15. Mais cet assouplissement des conditions d'attribution
de la carte du combattant ne règle pas la situation des rappelés en Tunisie, en
Algérie et au Maroc, qui n'ont pas effectué ces douze mois. Ce point a été
souligné également par la plupart de mes collègues, notamment par mon
prédécesseur à cette tribune. Peut-être conviendrait-il, pour résoudre ce
problème, de reprendre la proposition ministérielle du 22 octobre 1996 faite
par votre prédécesseur.
Le deuxième point positif est à la revalorisation du plafond majorable de la
rente mutualiste. L'article 66 permet le relèvement de la rente mutualiste de
100 à 105 points, faisant ainsi passer son plafond de 7 993 francs à 8 553
francs, soit une progression annuelle de 560 francs. Je vous donne acte,
monsieur le secrétaire d'Etat, du fait que le plafond a été régulièrement
augmenté. Néanmoins, ce relèvement reste insuffisant pour parvenir aux 130
points, niveau unanimement souhaité par les associations d'anciens combattants,
avant la fin de la législature.
A ces dispositions, il convient d'ajouter les 30 millions de francs de crédits
supplémentaires alloués lors de l'examen du budget en première lecture devant
l'Assemblée nationale, qui ont permis un saupoudrage, souvent insuffisant, de
subventions sur différents postes budgétaires.
En revanche, il nous faut revenir, monsieur le secrétaire d'Etat, sur le gel
inadmissible des pensions des grands invalides de guerre. Cette disposition
entache l'esprit de tout budget des anciens combattants, qui se doit de faire
du droit imprescriptible à une juste réparation sa philosophie.
Alors que l'écart lié au gel intervenu entre 1992 et 1995 est de l'ordre de 7
%, l'amendement adopté avec votre avis favorable par l'Assemblée nationale
revalorise uniquement de 1,5 %, à compter du 1er janvier 2000, les pensions des
plus grands invalides.
Nous jugeons cette amorce de revalorisation très insuffisante. C'est pourquoi
j'ai présenté un amendement visant à compenser intégralement, dès 2000, les
conséquences de ce gel.
C'est un amendement de principe, je dirai même un amendement d'éthique, tant
il est vrai que nous devons établir une hiérarchie dans le traitement des
problèmes qui restent en suspens, et que notre devoir commun, au titre de la
réparation, au titre de la mémoire, est de contribuer sérieusement à
l'amélioration du sort de nos grands invalides. C'est véritablement, monsieur
le secrétaire d'Etat, une question d'éthique, un problème moral. Faisons-le,
faites-le, monsieur le secrétaire d'Etat, avant qu'il ne soit trop tard !
Par ailleurs, chaque année nous attirons l'attention du Gouvernement sur la
situation des veuves, veuves d'invalides, veuves de guerre et veuves d'anciens
combattants. Cette année encore, le Parlement a dû attendre les aménagements de
dernière minute pour remédier aux difficultés les plus criantes : la rallonge
budgétaire accordée lors de l'examen du budget à l'Assemblée nationale va enfin
permettre l'indemnisation des quelque cent cinquante veuves des patriotes
résistant à l'Occupation, ainsi qu'une augmentation de 5 millions de francs des
crédits de l'ONAC en faveur des veuves. C'est un geste, mais il reste
insuffisant au regard de cette situation très préoccupante. Vous vous êtes
engagé à remettre à plat le régime légal existant, et je sais que c'est
difficile. J'espère que cette réforme pourra être financée l'an prochain par un
redéploiement important des crédits.
Malgré ces dispositions nouvelles et cette rallonge budgétaire, de nombreuses
difficultés subsistent sans connaître de début de solution.
Au premier rang de ces difficultés, je relèverai le problème de la
cristallisation des pensions servies aux anciens ressortissants des pays
antérieurement placés sous la souveraineté française. En effet, en dépit de vos
engagements et de votre déclaration du 14 juillet dernier, le dossier n'a guère
avancé : nous avons seulement l'annonce de la création d'un groupe d'étude et
de réflexion !
La France - l'ensemble des orateurs l'ont souligné - a contracté une dette
morale à l'égard de ces combattants, il convient de ne pas l'oublier. Or, les
anciens combattants de ces pays ne peuvent bénéficier ni de l'évolution des
taux ni de la réversion aux ayants droit, comme les pensionnés français.
Pour traiter ce problème, je pense comme vous, monsieur le secrétaire d'Etat,
qu'il faut raisonner en termes de pouvoir d'achat. A ce titre, la priorité doit
être donnée aux pays du Maghreb et au Vietnam, où le pouvoir d'achat des
pensions cristallisées est significativement inférieur au pouvoir d'achat des
pensions françaises. Vous ne pouvez vous contenter de nous répondre en nous
renvoyant à l'attitude adoptée par le Royaume-Uni, la grandeur de notre pays
résidant aussi dans la pérennisation du lien avec ceux qui l'ont soutenu à des
moments difficiles de son histoire. C'est dire si nous attendons avec
impatience vos propositions sur ce point.
L'allocation de remplacement pour l'emploi, dispositif de préretraite
volontaire, n'a pas été mise en application dès 1999, alors qu'elle avait été
votée lors du précédent budget. Il n'est pas admissible qu'une mesure adoptée
par la représentation nationale soit toujours bloquée un an au plus tard et que
les crédits correspondants soient reportés, Mme Aubry n'ayant toujours pas
délivré l'agrément nécessaire à l'application de l'avenant signé par les
partenaires sociaux le 12 mai dernier, alors qu'il existe de nombreuses
demandes en instance.
Le fonds de solidarité pour les anciens combattants d'Afrique du Nord et
d'Indochine est en régression en raison de la sortie du dispositif de nombreux
allocataires. Il y a donc là matière à un redéploiement de crédits vers de
nouvelles actions de solidarité.
Il est également nécessaire de rendre plus lisible le rapport constant, afin
que les intéressés puissent avoir une connaissance précise de leurs droits et
de leur évolution. Nous espérons que les réflexions menées sur ce point en
concertation avec les associations d'anciens combattants déboucheront
rapidement sur un projet de loi.
Il vous est, par ailleurs, souvent demandé d'augmenter la retraite des anciens
combattants. J'avoue, monsieur le secrétaire d'Etat, que la situation des
grands invalides, que j'évoquais tout à l'heure, m'apparaît beaucoup plus
prioritaire et que, s'il y a lieu de procéder à un redéploiement des crédits,
cette priorité me semble devoir être respectée, les anciens combattants
eux-mêmes devant faire preuve d'une solidarité absolue à l'égard de ceux
d'entre eux qui sont dans cette situation difficile.
La promesse de mettre en place la retraite anticipée, souvent faite à droite
comme à gauche, n'a jamais été tenue pour des raisons financières. Du fait de
l'évolution démographique, cette revendication a perdu de son acuité
puisqu'aujourd'hui le nombre de bénéficiaires serait inférieur à 5 %. Pour
compenser cet engagement non tenu des gouvernements successifs, les anciens
combattants demandent l'attribution de la retraite du combattant dès soixante
ans au lieu de soixante-cinq ans actuellement. Il serait nécessaire, si ce
n'est déjà fait, d'étudier le coût de cette disposition pour voir si,
raisonnablement, satisfaction peut leur être donnée.
Autre point d'inquiétude pour les anciens combattants, la fragilité de la
situation financière de l'Institution nationale des invalides. En effet, la
faible augmentation des crédits de fonctionnement ne permettra probablement pas
de couvrir l'augmentation des frais due à la diminution des effectifs médicaux
liée à la fin du service national obligatoire. Vous avez reconnu, monsieur le
secrétaire d'Etat, cette faiblesse de votre budget, mais sans proposer de
remède.
Concernant la carte de combattant volontaire de la résistance, vous avez
déclaré qu'« aucun dossier de carte de CVR ne serait plus classé sans suite en
raison de la non-conformité des témoignages », aucune homologation des services
par l'autorité militaire n'étant plus exigée. Nous espérons donc voir les
dossiers trop longtemps restés en suspens rapidement réglés.
Enfin, comme Mme Printz, j'évoquerai l'indemnisation des anciens du RAD-KHD,
qui constitue l'un des derniers contentieux de la Seconde Guerre mondiale à
n'être toujours pas réglé. Pourtant, la fondation Entente franco-allemande est
prête à verser une indemnisation correcte et le Gouvernement, par votre voix,
s'était engagé à y participer. Vous nous avez déclaré, lors de votre audition
devant la commission des affaires sociales, que vous n'aviez pas été en mesure
de dégager des crédits budgétaires suffisants. Cette situation ne saurait
perdurer. Il conviendrait d'inscrire dès cette année des crédits pour régler au
plus vite la question de l'indemnisation des quelque 10 000 dossiers de
personnes incorporées de force dans des formations paramilitaires allemandes,
dont l'instruction traîne en longueur, alors qu'un accord est intervenu en juin
1998.
Enfin, comme l'an dernier, et comme nombre de mes collègues, je me dois
d'attirer votre attention sur le problème des troubles psychotraumatiques
d'apparition différée. Il reste indispensable que soit modifiée la circulaire
d'application du décret du 10 janvier 1992, qui trahit la lettre et l'esprit de
ce décret. Allez-vous, monsieur le secrétaire d'Etat, modifier cette circulaire
?
M. Jean-Pierre Masseret,
secrétaire d'Etat à la défense chargé des anciens combattants.
Je vais
même l'annuler !
M. Marcel-Pierre Cléach.
Enfin, rappelons que 1999 est une année importante pour le secrétariat d'Etat
aux anciens combattants, puisque ce dernier, né en 1920, a été rattaché, cette
année, au ministère de la défense. Cette réforme des structures ministérielles
s'est traduite par une intégration des services du secrétariat d'Etat chargé
des anciens combattants au sein du ministère de la défense. Elle a entraîné une
modification de la nomenclature budgétaire, rendant un peu plus opaque la
lecture du budget. Mais, par ailleurs, la concertation menée par les
associations d'anciens combattants a permis une mise en place satisfaisante de
la réforme.
Il n'en reste pas moins, vous le savez, monsieur le secrétaire d'Etat, que la
représentation nationale et l'ensemble des associations d'anciens combattants
resteront vigilantes quant au maintien d'un interlocuteur de rang
gouvernemental et d'un budget autonome individualisé, ainsi qu'à la
pérennisation de l'INI et de l'ONAC, afin que les services de proximité
existant dans les départements puissent poursuivre leur action.
Pour conclure, je voudrais rappeler que cette session a été ouverte avec
l'adoption, à l'unanimité, de la loi portant reconnaissance de la guerre
d'Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc. Nous ne pouvons que nous
réjouir de ce geste unanime, qui honore le Parlement, et nous féliciter des
mesures récemment annoncées pour les harkis.
Mais reste en suspens la question de la date de commémoration du souvenir de
la guerre d'Algérie, date sur laquelle les différentes parties continuent à
s'opposer, malheureusement violemment.
Avec mon collègue Lucien Neuwirth et la quasi-totalité des sénateurs membres
du groupe d'étude des sénateurs anciens combattants, nous avons proposé de
retenir comme date de commémoration le 18 octobre, date de la promulgation de
la loi reconnaissant la guerre d'Algérie.
(Très bien ! et applaudissements
sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union
centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Guy Fischer.
Nous ne sommes pas d'accord !
M. Marcel-Pierre Cléach.
J'espère vivement que cette proposition sera de nature à rallier le plus grand
nombre d'anciens combattants, malheureusement engagés dans une contestation
fratricide à cet égard.
Pour en revenir au budget, et m'exprimant à titre personnel, je tiendrai
compte de vos réponses aux questions posées par mes collègues et par moi-même
pour me déterminer, monsieur le secrétaire d'Etat.
M. le président.
La parole est à M. Courrière.
M. Raymond Courrière.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues : «
Notre siècle s'achève. Un siècle d'épreuves pour la France combattante, qui a
su défendre et faire prévaloir ses valeurs. Rendre hommage aujourd'hui à toutes
celles et à tous ceux qui ont accepté que leur destin individuel s'efface
devant le destin collectif de la France, c'est donner en exemple leur histoire,
qui est notre histoire. »
Telle est la teneur de votre message, monsieur le secrétaire d'Etat, lors des
cérémonies du 11 novembre dernier, message que je fais mien, aujourd'hui, à
l'occasion de la discussion des crédits de votre département ministériel.
Cet hommage passe par le renforcement de la solidarité de notre nation avec
ses anciens combattants, par la reconnaissance de la France envers ceux qui lui
ont tout donné, par une politique de la mémoire tournée vers la jeunesse,
politique toujours plus ambitieuse et permettant d'affirmer les valeurs de la
République, et par un soutien accru aux actions de l'office national des
anciens combattants et victimes de guerre.
Un siècle s'achève en instituant un secrétariat d'Etat à la défense chargé des
anciens combattants et en rassurant le monde combattant que leur mémoire sera
préservée, en reconnaissant l'état de guerre en Algérie, en somme en donnant le
nom de guerre à une guerre sans nom.
Ce projet de budget se caractérise par des avancées importantes, bien qu'il
puisse ête perfectible sur un certain nombre de points.
Ce projet renforce les actions de proximité de l'ONAC. Les conditions
d'attribution de la carte du combattant ont été de nouveau assouplies, le
budget prévoit l'abaissement de quinze à douze mois de la durée minimale de
service en Afrique du Nord afin de bénéficier de la carte du combattant. Cette
mesure est la poursuite d'un processus déjà engagé. Nous vous remercions,
monsieur le secrétaire d'Etat, de l'avoir proposée.
Il faut également souligner la revalorisation de 2 % de la retraite du
combattant et le relèvement du plafond majorable de la rente mutualiste, porté
de 100 à 105 points.
Je me réjouis de voir également 31,8 millions de francs de mesures nouvelles
destinées à améliorer l'accueil dans les services départementaux, le
renforcement de l'action sociale pour les anciens combattants les plus
défavorisés, l'amélioration de la qualité de l'hébergement dans certaines
maisons de retraite.
Au-delà de ces mesures significatives, il reste encore, monsieur le secrétaire
d'Etat, quelques contentieux. Chacun ici, connaît bien les revendications que
portent avec un courage et une grande pugnacité qui les honorent les
associations représentatives du monde combattant.
Parmi ces revendications, je souhaite insister sur l'extension du Titre de
reconnaissance de la nation au 1er mars 1963, date à laquelle le service
historique de l'armée de terre a recensé le dernier soldat tombé au combat. Le
coût de cette mesure a été chiffré à 1 million de francs.
Je voudrais également insister sur la décristallisation des pensions des
anciens combattants de notre ancien empire colonial. A cet égard, je rappelle à
certains que cette cristallisation remonte à une époque où la gauche n'était
pas au pouvoir. Il est urgent que la République mette un terme à une situation
d'injustice insupportable. De même, il est urgent, monsieur le secrétaire
d'Etat, de trouver une solution à la mesure concernant l'ARPE que nous avions
votée, ici, l'année passée, et qui aujourd'hui reste inapplicable.
Enfin, prolongeant l'intervention de ma collègue Gisèle Printz, que je salue,
je dirai que l'indemnisation des anciennes et des anciens incorporés de force
dans le RAD et le KHD reste un dossier sensible qui doit trouver une solution
rapide.
Monsieur le secrétaire d'Etat, je connais votre attachement à ces dossiers, et
nous avons pu apprécier le travail effectué depuis trois ans. D'ailleurs,
s'agissant d'un ancien sénateur, comment n'en serait-il pas ainsi ?
(Sourires.)
Je sais que les remarques faites sur votre budget tant à l'Assemblée nationale
qu'au Sénat ont retenu toute votre attention. Il en va du respect de ceux qui
ont combattu, quel que soit le combat, pour sauver notre pays !
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Jean-Pierre Masseret,
secrétaire d'Etat à la défense chargé des anciens combattants.
Monsieur
le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vais répondre maintenant
aux questions que vous avez posées ; mais cela ne signifie pas, naturellement,
que je donnerai satisfaction à chacun d'entre vous !
(Sourires.)
M. Guy Fischer.
Je le regrette bien !
M. Jean-Pierre Masseret,
secrétaire d'Etat.
S'agissant des appréciations générales portées sur le
projet de budget pour 2000, les mesures nouvelles s'élèvent à 121 millions de
francs compte tenu d'une déclaration que je ferai ultérieurement, à quoi il
faut ajouter les crédits qui figureront dans les contrats de plan Etat-région -
c'est vrai, ils se développeront sur une certaine période - et qui concerneront
principalement le devoir de mémoire, le tourisme de mémoire et le rappel des
valeurs de la République, organisé autour de l'histoire combattante du xxe
siècle.
S'agissant de la gestion des crédits, monsieur Cléach, je crois qu'elle
s'améliore, puisque le taux de consommation tourne autour de 99 %. On peut donc
parler d'une certaine rigueur de la gestion, pour ne pas dire davantage.
Quels sont les points forts de ce budget et de la politique qui est menée
depuis deux ans et demi ?
Le premier est le pan consacré à l'intégration, à l'insertion, non pas du
département ministériel, mais du droit des anciens combattants d'Afrique du
Nord dans le dispositif général, notamment avec la reconnaissance de la guerre
d'Algérie.
Le deuxième concerne la retraite mutualiste, qui évolue dorénavant chaque
année.
Le troisième est le rappel du rôle joué par l'office national des anciens
combattants, et surtout notre volonté de lui donner un nouvel élan.
Enfin, quatrièmement, c'est la politique de mémoire, dotée des crédits
budgétaires adéquats et organisée de façon structurelle sur les emplois-jeunes,
et la contractualisation non seulement avec les départements, les régions et
les villes, mais également avec les fondations dont c'est la mission.
J'ai bien noté les griefs à mon encontre, et je comprends cette démarche, qui
est légitime. Mais quand on est responsable d'un département ministériel, on
doit à la fois gérer le quotidien en résolvant des questions immédiates et
organiser l'avenir.
C'est ainsi que j'ai été amené à ouvrir un certain nombre de dossiers, qui ne
sont traités ni immédiatement, ni complètement ! Mon département ministériel
doit maintenant concentrer ses efforts sur leur règlement avant d'en ouvrir de
nouveaux. C'est, en quelque sorte, une mécanique intellectuelle, qui est, à mon
avis, nécessaire.
Avant de répondre dans l'ordre à vos différentes interventions, je voudrais
d'abord remercier vos deux rapporteurs, MM. Baudot et Lesbros, de leur travail,
ainsi que les différents intervenants, qui ont précisé, voire amplifié, ce que
les rapporteurs avaient eux-mêmes noté.
S'agissant de l'ONAC, il est clair que notre volonté politique est bien de
renforcer son rôle et ses moyens dans chacun des départements français et de
concrétiser ce nouvel élan grâce aux mesures budgétaires qui figurent dans le
projet de budget pour 2000.
Comme je vous l'annoncerai tout à l'heure, ses crédits seront majorés de 4
millions de francs. Sur le plan de la technique budgétaire, je ne déposerai pas
d'amendement sur ce point, parce que cette augmentation résulte de démarches
que j'ai effectuées encore ce matin. Mais elle sera concrétisée, ou alors
j'irai faire autre chose ! En tout cas, elle se fera par des redéploiements au
sein du budget général de l'Etat. Ces crédits supplémentaires seront donc
effectivement attribués pour permettre d'améliorer le fonctionnement de
proximité, d'organiser ce nouvel élan sur le plan matériel.
Un million de francs de crédits seront consacrés au Bleuet de France, pour
confier à un groupe professionnel une étude sur les moyens non seulement de
développer le symbole du Bleuet comme politique du souvenir, mais également
d'orienter cette politique du Bleuet vers les entreprises privées, afin
d'impliquer les collectivités territoriales et l'ensemble de la nation dans ce
projet de communication. C'est probablement le moyen que nous aurons de trouver
des crédits sociaux supplémentaires, qui seront versés à l'ONAC et qui
soutiendront les efforts que nous faisons déjà ensemble.
J'en viens à la politique de mémoire, qui est au coeur de mon action.
Des crédits d'étude figurent dans le projet de budget pour 2000 pour le
mémorial de la guerre d'Algérie. La Ville de Paris est d'accord pour participer
à la recherche d'un site approprié. Les propositions faites pour l'instant
n'ont pas reçu l'agrément du monde combattant.
Le président de la commission, M. Jean Lanzi, m'a fait passer, cette semaine,
une note pour me dire qu'il souhaite qu'une nouvelle rencontre ait lieu entre
la Ville de Paris, le monde combattant et le Gouvernement, afin que nous
trouvions enfin un lieu. Je souscris tout à fait à cette démarche. Nous
disposons des crédits d'étude.
Quant au financement, évoqué par M. le rapporteur spécial, il est clair que
l'Etat participera à la réalisation de ce mémorial. Il est aussi question de
lever une souscription nationale et, le cas échéant, de solliciter un certain
nombre d'aides de collectivités territoriales qui le souhaiteraient.
En tout cas, ce mémorial sera réalisé et la question budgétaire ne constituera
pas un handicap. Je souhaite qu'il soit inauguré au cours de l'année 2002 -
c'est un projet, et je ne peux être plus précis sur la date. Je dirai très
pratiquement et très prosaïquement qu'elle se situera entre le 19 mars et le 16
octobre, moyen terme qui ne fâchera ni les uns ni les autres !
Les crédits consacrés à la politique de la mémoire dans le budget pour 2000
seront majorés de tous les crédits figurant dans les contrats de plan
Etat-région. Je précise à M. Herment que le rapport de M. Paul Mingasson aura
une traduction concrète : environ 45 millions de francs pour des réalisations
avec les collectivités territoriales, précisément le conseil régional de
Lorraine et le département de la Meuse, mais également d'autres collectivités
de Lorraine, de Champagne, d'Argonne.
Seront réalisés le mémorial du Struthof et celui de l'annexion de fait, en
partenariat, pour ce dernier, avec le conseil régional d'Alsace et le
département du Bas-Rhin, principalement, sur le site de Schirmeck.
Un million de francs pour d'autres actions viendront, par voie d'amendement,
abonder le budget pour 2000 et permettront de prendre en compte d'autres
initiatives avec d'autres départements ou d'autres collectivités territoriales.
Enfin, quatre millions de francs iront aux fondations qui gèrent la mémoire
combattante du xxe siècle, y compris peut-être la mémoire de l'Entente
franco-allemande, qui a un rôle particulier à jouer, certains l'ont
souligné.
Monsieur le rapporteur spécial, je ne suis pas opposé à l'existence d'une
ligne budgétaire spéciale « sépultures-nécropoles », mais cela relève des
négociations que je dois mener avec les techniciens du budget. Pour ma part, je
suis tout à fait partisan de lignes budgétaires simples, qui permettent de
savoir immédiatement à quoi sont affectés les crédits.
Vous avez ensuite évoqué la question de l'appareillage. Avec les associations
concernées par le handicap, nous examinons la possibilité de nous insérer dans
les pôles de « gestion handicap » qui vont être constitués dans chaque
département. Des expériences ont déjà été menées dans quatre départements.
Elles vont se poursuivre dans le courant de l'an 2000 et au cours des années
suivantes et seront étendues à quinze départements.
Les associations et les fonctionnaires concernés ont le souci de ne pas être
exclus de ce dispositif, de façon que notre capacité et le savoir-faire que
nous avons accumulés au cours de l'histoire trouvent leur pleine expression et
soient intégrés dans la politique du handicap. Voilà encore un dossier qu'il
nous faudra traiter rapidement !
S'agissant des crédits de solidarité, chacun s'est plu à considérer qu'il
fallait peut-être réfléchir à une autre affectation compte tenu de l'avancée en
âge d'un certain nombre de ressortissants. J'ai noté avec intérêt que ce que
j'ai suggéré depuis quelques mois a fait son chemin. Je suis tout à fait
d'accord pour que nous examinions, ensemble, le meilleur moyen de récupérer les
sommes qui seront ainsi dégagées pour les affecter à une autre destination de
solidarité.
Lorsque je dis que je suis favorable à toute étude et à tout examen, cela ne
signifie pas que la mesure interviendra, car il y a toujours une différence
entre ce que l'on souhaite et ce qui peut être réalisé : c'est l'objet des
abritrages budgétaires d'opérer des choix dans l'intérêt général !
Quant à la décristallisation, c'est un échec personnel que j'enregistre. Je ne
peux pas en dire plus. Je me suis bagarré tout au long de l'année pour faire
avancer ce dossier, sans résultat.
J'avais cru comprendre que le déplacement de M. le Premier ministre au Maroc
permettrait que cette question soit abordée. Or, elle n'a pas été inscrite sue
la liste des sujets qui devaient faire l'objet de discussions. Aucune des deux
parties n'a souhaité l'évoquer. Nous en restons donc au même point.
Je pensais présenter, ce matin, une proposition au Sénat. Je ne le ferai pas,
parce que, finalement, le ministre de la défense et moi-même avons décidé
d'examiner le dossier ensemble.
Cette affaire de décristallisation comporte, en effet, deux volets : l'un
concerne les anciens militaires professionnels et l'autre les personnes
relevant du code des pensions militaires d'invalidité ou de la retraite du
combattant. M. Alain Richard et moi-même sommes donc convenus de présenter une
proposition globale qui, bien entendu, aura des incidences financières.
M. Michel Pelchat.
Il convient aussi de prendre en considération les ressortissants de nos
anciens comptoirs qui sont nés français.
M. Jean-Pierre Masseret,
secrétaire d'Etat.
Tout à fait ! A cet égard, la France a une obligation
morale, qui s'apprécie cependant, comme je l'ai dit maintes fois, au regard
d'une comparaison de pouvoir d'achat.
Une avancée importante a été faite en faveur des grands invalides. Je m'étais
engagé à ce qu'elle intervienne dans le projet de budget pour 2000.
J'enregistre que, pour nombre d'entre vous, cette avancée est trop faible.
J'admets tout à fait cet argument. J'aurais préféré moi-même aller plus loin,
mais l'important était d'initier le règlement de ce contentieux dans le projet
de budget pour 2000. La suite viendra très naturellement dans le prochain,
voire les deux prochains projets de budget ; l'objectif est d'avancer le plus
vite possible.
Il a été largement question de l'ARPE. Les décisions que vous avez votées l'an
dernier n'ont pas été exécutées, essentiellement pour deux raisons. D'une part,
nous avons légiféré dans un domaine contractuel et hors de la compétence du
Parlement ; à cet égard, je donne acte à M. Jacques Baudot. D'autre part, est
intervenue, en cours d'année, une modification du règlement de l'ARPE visant à
faire supporter à l'employeur une charge de 20 %, alors que, dans le système
précédent, aucune charge financière n'était prévue. S'est alors posé un
véritable problème financier.
Mais tout est arrangé maintenant. La mesure va s'appliquer pour 2000. Tout le
monde a signé : M. Sautter, le président de l'UNEDIC, son secrétaire, le
directeur général, le secrétaire d'Etat à la défense chargé des anciens
combattants...
Je vous présenterai donc un amendement visant à fermer le dossier puisque l'on
ne sait pas si l'ARPE sera reconduite l'an prochain, même si c'est
vraisemblable, ni dans quelles conditions financières. Nous appliquerons ainsi
la mesure votée pour 1999, en évitant de nous enfermer dans un dispositif dont
nous n'avions pas la maîtrise. En cas de besoin, en fonction de ce qui sera
contractualisé, nous aviserons.
J'en viens au Titre de reconnaissance de la nation. Nombre d'entre vous
souhaitent que le droit à l'obtention de ce titre remonte jusqu'au 2 juillet
1964. Je pensais, dans un premier temps, remonter jusqu'au mois de février.
Puis, M. Rochebloine, député, qui suit l'évolution du monde combattant à
l'Assemblée nationale, m'a fait remarquer qu'il connaissait quelqu'un qui avait
été blessé au-delà de cette date, ce qui a un peu déstabilisé mon
argumentation. J'ai pris la décision d'ouvrir une étude sur ce dossier de façon
à déterminer comment nous pourrions avancer. J'aurai les résultats de cette
étude en janvier 2000.
MM. Chabroux et Courrière, entre autres, ont avancé que la mesure envisagée ne
coûtait pas cher.
En fait, mesdames, messieurs les sénateurs, mes services et moi-même nous
sommes trompés dans nos calculs. Cette mesure recouvre deux aspects, et l'un
d'eux nous a échappé.
D'un côté, l'attribution du Titre de reconnaissance de la nation ouvre droit à
la retraite mutualiste, avec les bonifications qui en découlent concernant la
déduction fiscale, et ce n'est pas le plus cher.
D'un autre côté, le Titre de reconnaissance de la nation ouvre droit au fonds
de solidarité et aux diverses mesures sociales qui sont attachées à cette
qualité. Là, on franchit le seuil de 100 millions de francs, ce qui rend
effectivement plus complexe la mise en oeuvre de la mesure.
Nous avons donc des excuses à vous présenter sur ce point. Mais nous sommes
des hommes et des femmes comme les autres, il nous arrive de nous tromper, de
ne pas être suffisamment précis ou rigoureux.
J'en arrive à l'attribution de la retraite du combattant avant l'âge de
soixante-cinq ans, qui constitue un sujet de préoccupation tant pour votre
assemblée que pour les associations du monde combattant, qui en font d'ailleurs
un axe central de leurs revendications.
Selon nos calculs, que j'espère justes, cette fois, satisfaire à la demande
entraînerait un surcoût de 2,675 milliards de francs.
Si l'on abaissait brutalement l'âge ouvrant droit au bénéfice de la retraite
de soixante-cinq à soixante ans, le surcoût - je parle de surcoût car, de toute
façon, ces sommes seront dues un jour puisque les bénéficiaires arriveront
forcément à l'âge de soixante-cinq ans...
M. Michel Pelchat.
Attendez cinq ans pour prendre la mesure, cela coûtera moins cher !
M. Jean-Pierre Masseret,
secrétaire d'Etat.
Il ne faut pas penser ainsi ! Cette mesure coûtera
2,675 milliards de francs de plus, c'est tout. Ou bien on trouve cette somme ou
bien on ne la trouve pas, c'est aussi simple que cela, monsieur Pelchat.
Vous comme moi sommes confrontés à des situations d'arbitrage. L'ancienne
majorité en sait quelque chose, notamment dans le domaine du monde combattant
!
Pour ma part, comme je l'ai fait savoir à l'Assemblée nationale et aux
représentants du monde combattant, je ne suis pas opposé à l'adoption de
mesures partielles concernant les anciens combattants qui se trouveraient le
plus en difficulté sur le plan social.
Pour certains d'entre eux, il ne serait pas absurde d'envisager une
anticipation du versement de la retraite du combattant.
En tout cas, je tiens une étude sur le sujet à la disposition des
parlementaires, comme à celle du monde combattant. Si l'on s'est trompé, on le
saura rapidement ; mais je ne pense pas que ce soit le cas.
J'en viens à la carte du combattant. Le fameux accord de 1996, monsieur
Ostermann, a sans doute été débattu devant les représentants du monde
combattant, mais le ministre de l'époque, dans une lettre que j'ai montrée lors
d'un autre débat - je ne critique d'ailleurs pas du tout la position de mon
prédécesseur - s'est opposé à la mise en oeuvre de ce que ses représentants
avaient pu mettre au point avec les représentants du monde combattant.
Ce serait donc me faire un mauvais procès que de me reprocher de ne pas
appliquer un prétendu accord qui, objectivement, n'a pas eu lieu.
En tout cas, il n'a pas été mené à son terme par les autorités politiques
compétentes de l'époque et, pour ma part, je ne me sens absolument pas lié par
lui, d'autant que je considère que la carte d'ancien combattant ne doit pas
être délivrée pour une durée inférieure à douze mois de présence en Afrique du
Nord. Telle est ma position. Je la maintiendrai tant que j'occuperai la
responsabilité qui m'a été confiée.
En revanche, la question des rappelés me pose un problème, je l'ai dit. Si
l'on imagine ensemble un système de points, je serai alors d'accord pour
examiner une mesure qui donnerait satisfaction sans porter atteinte au principe
d'exposition aux risques d'une durée de douze mois. En effet, si la mesure
afférente aux rappelés amène une revendication générale en faveur de
l'abaissement du seuil de douze mois, j'aurai alors le sentiment d'avoir été
trompé sur ce dossier. Si vous avez des propositions à faire, je les recevrai
avec plaisir.
J'ai bien entendu les différentes interventions sur les psychotraumatismes.
Mesdames, messieurs les sénateurs, puisque vous critiquez tous la circulaire de
1992, qui serait restrictive, je vous propose de supprimer cette dernière et
d'en revenir au décret. Voilà qui devrait vous satisfaire !
Le dossier des veuves est un de ceux que je souhaite mettre à plat l'an
prochain, avec ceux du TRN et de la gestion des sommes libérées par l'évolution
démographique au regard du fonds de solidarité.
Y aura-t-il des concrétisations budgétaires en 2001 ? Aujourd'hui, je n'en
sais rien ! Et l'expérience dans le poste m'appelle à beaucoup de prudence à
cet égard.
M. Guy Fischer.
Des concrétisations, il en faudra !
M. Raymond Courrière.
Il en faudrait !
M. Jean-Pierre Masseret,
secrétaire d'Etat.
Oui.
Le dossier du
Reichsarbeitsdienst
et du
Kriegshilfdienst
constitue le deuxième échec, pour l'instant, que j'enregistre.
Quand je fais le bilan entre la colonne des échecs et la colonne des succès,
aujourd'hui les succès dépassent à peine les échecs. Lorsque la colonne des
échecs sera légèrement plus long que la colonne des succès, je tirerai ma
révérence pour aller faire autre chose, cela va de soi, car je n'ai pas de
temps à perdre dans ce genre de situation où, personnellement, je ne me
retrouve pas.
Il n'y a donc pas, pour l'instant, de mesure concernant le RAD. Mais, en
vérité, j'enregistre tout de même une part de succès.
Tout le monde s'est plu à reconnaître que l'Entente franco-allemande avait
décidé de... Mais si l'Entente franco-allemande a décidé de..., c'est bien
parce que je l'ai contrainte à décider ainsi, en changeant de président et en
obligeant la parité administrative à voter comme je le souhaitais.
M. André Maman.
Très bien !
M. Jean-Pierre Masseret,
secrétaire d'Etat.
C'est tout de même une première étape. Il faut
maintenant en franchir une seconde, consistant à obtenir quelques crédits afin
d'amorcer concrètement la pompe.
Cela étant, l'échec, je suis le premier à le regretter, d'autant plus que la
quasi-totalité des intéressés résident dans ma région, en Alsace-Moselle. Vous
voyez dans quelle situation personnelle je peux me trouver par rapport à cette
question !
Des propositions ont été formulées sur le rapport constant. Nous allons
organiser une réunion sur cette question. Je crois que nous pouvons aboutir à
une meilleure lisibilité du rapport constant. En effet, la critique formulée
porte sur la lisibilité des mécanismes statistiques qui permettent de
revaloriser le rapport constant. J'ai donc fait une proposition, qui est à
prendre ou à laisser : ou bien on maintient le système actuel, ou bien on
adopte ma proposition. Mais il n'y aura pas de situation intermédiaire. Ce
n'est pas la peine de compliquer un système que l'on veut, par ailleurs, rendre
plus simple !
S'agissant de la carte de combattant volontaire de la Résistance, les choses
se présentent plutôt bien puisqu'il n'y a plus de forclusion. Tous les dossiers
remontent à la commission nationale, qui est composée de gens particulièrement
compétents en la matière. Cela nécessite des études, des discussions, des
réflexions, des échanges, mais tous les dossiers sont soumis à cette
commission.
La question des harkis ne se pose pas en termes de reconnaissance matérielle
puisqu'ils bénéficient exactement des mêmes droits que les soldats : ils
relèvent pareillement du code des pensions militaires d'invalidité.
La question des harkis, elle se pose aujourd'hui sous deux aspects : la
mémoire, d'une part, et le sort de leurs enfants et petits-enfants, d'autre
part.
Ce dernier aspect relève d'une politique générale de la nation et des
collectivités territoriales. Le secrétaire d'Etat à la défense n'a pas les
moyens de répondre à ces questions d'intégration sociale, d'insertion dans le
travail ou de protection sociale.
S'agissant de la mémoire, j'ai fait une proposition, qui a d'ailleurs été
reprise par Mme Aubry dans une réponse qu'elle a faite récemment à une question
d'actualité à l'Assemblée nationale. Je l'ai exposée aux différentes
associations. Il est évident que le mémorial national AFN intégrera d'abord les
harkis ; c'est la moindre des choses ! J'ai suggéré que des plaques reprenant
l'article 1er de la loi de 1994 soient apposées sur des sites qui restent à
définir avec les personnes concernées et les représentants du monde des harkis.
Cela peut être fait en l'an 2000 ; cela ne soulève aucune difficulté de
principe.
Chacun connaît ma position au sujet de la campagne double. Prochainement, se
tiendra une réunion de travail avec les représentants des fonctionnaires. Je
soumettrai ensuite les résultats de cette discussion aux représentants des
fonctionnaires concernés. Je souhaite d'ailleurs associer les rapporteurs du
budget des anciens combattants de l'Assemblée nationale et du Sénat à cette
concertation. Nous verrons s'il est nécessaire de faire une autre
proposition.
En tout cas, contrairement à ce qu'on dit ici et là, les fonctionnaires
anciens combattants de la Première Guerre mondiale et de la Seconde Guerre
mondiale n'ont pas tous bénéficié de la campagne double. Le code des pensions
détermine les cas où ils peuvent en bénéficier. Cela signifie que certains
anciens combattants fonctionnaires bénéficient de la campagne double et
d'autres non.
J'ajoute, pour ma part, un argument qui est un peu particulier, je veux bien
le reconnaître : le fonctionnaire qui a dix-huit mois de présence en AFN est
comptabilisé pour trente-six mois, alors que le soldat qui relève du secteur
privé ne se voit valider que dix-huit mois pour dix-huit mois. En vertu de cet
argument, je ne suis pas particulièrement enclin à changer de position, mais je
suis prêt à dialoguer avec les personnes concernées. Peut-être me
convaincront-elles que mes arguments ne sont pas pertinents.
La date commémorative de la fin de la guerre d'Algérie a été évoquée. Une
proposition qui émane du Sénat tend à retenir le 18 octobre, date de
promulgation de la loi reconnaissant l'état de guerre en Algérie.
Je ne suis pas sûr que ce choix soit très heureux.
Un débat existe : certains veulent le 19 mars, d'autres le 16 octobre. En
matière de commémoration, une date qui ne fait pas l'unanimité ne peut pas être
retenue. On ne peut pas diviser les Français sur un tel sujet. Or, le 18
octobre est évidemment proche du 16 octobre. Je crains que le choix de cette
date n'entraîne une confusion et n'engendre plus de difficultés qu'il n'en
résoudra.
Il nous faudra, selon moi, beaucoup de patience. Vous ne serez plus au Sénat -
et moi non plus ! - quand cette question sera tranchée !
(Sourires.)
Elle le sera par d'autres que nous.
Mais cela ne nous empêche pas d'accomplir ce devoir de mémoire et de le faire
le 19 mars, le 16 octobre, le 18 octobre, ou en toute autre occasion qu'il
plaira au monde combattant de saisir, dans nos départements, dans nos communes,
pour bien marquer qu'il s'agit de notre histoire, que la guerre d'Algérie a
bien eu lieu et que les soldats qui l'ont faite étaient, comme tous les autres,
des soldats de la France, qu'ils ont simplement répondu à l'appel de la nation.
Le travail de mémoire, ce n'est rien d'autre que cela !
Vous avez pu noter que bien des revendications n'étaient pas satisfaites dans
le budget pour 2000. Je le reconnais. Mais je crois que, les uns et les autres,
nous n'avons pas à rougir de ce qu'a fait notre pays en direction du monde
combattant, et cela depuis des années.
Bien sûr, des contentieux restent ouverts, et il est probable que certains le
demeureront. Mais, globalement, la France a su témoigner une reconnaissance
matérielle et morale à ses anciens combattants.
En cette fin de siècle, nous avons une réelle obligation au regard du travail
de mémoire autour de l'histoire combattante de la France, afin que les jeunes
générations n'oublient pas, qu'elles aient des repères de valeurs consacrées
par l'engagement au service de la nation. Cela constitue aussi pour nous une
obligation, qui dépasse l'obligation matérielle, même si celle-ci ne doit pas
être mise de côté, même si elle doit être respectée et honorée chaque fois que
c'est possible.
Il reste que, vis-à-vis des futurs citoyens, le devoir de mémoire, une mémoire
centrée sur la mise en oeuvre des valeurs fondamentales de la République,
constitue, pour chacune et chacun d'entre nous, une exigence dans l'exercice de
nos responsabilités nationales.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
Nous allons procéder à l'examen et au vote des crédits concernant le ministère
des anciens combattants et figurant à l'état B.
ÉTAT B
M. le président.
« Titre III :
moins
921 463 573 francs. »
M. Jacques Baudot,
rapporteur spécial.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteurspécial.
M. Jacques Baudot,
rapporteur spécial.
Monsieur le secrétaire d'Etat, vous nous dites que
vous allez nous donner 10 millions de francs de plus, mais ce n'est qu'une
déclaration d'intention. Vous l'avez reconnu vous-même, cela ne se traduit pas
par un amendement en bonne et due forme. Dès lors, nous ne pouvons pas modifier
notre avis.
Nous ne pouvons que vous faire confiance, d'autant que, si j'ai bien compris,
vous donneriez votre démission si cet engagement ne recevait pas sa
concrétisation.
M. Jean-Pierre Masseret,
secrétaire d'Etat.
Tout à fait !
M. Jacques Baudot,
rapporteur spécial.
J'en ai pris bonne note.
Vous nous avez indiqué de quelle manière ces 10 millions de francs allaient
être répartis. Mais je considère que cette affectation potentielle ne répond
pas aux critiques qui ont été formulées tout à l'heure. Nous vous avons posé
beaucoup de questions, en particulier sur le dégel des pensions et sur la
décristallisation. Or, vous n'y répondez pas.
En tout état de cause, qu'est-ce que 10 millions de francs dans un budget de
25 milliards de francs ? C'est 0,04 % ! C'est un petit cadeau ! Bien sûr, un
tiens vaut mieux que deux tu l'auras, mais, je vous le dis sans ambages, ce
n'est pas de nature à satisfaire vraiment le Sénat.
Nous avons eu un bon débat, mais je dois avouer que, dans ce débat, il y a eu
une politisation qui ne m'a pas beaucoup plu. En effet, deux de nos collègues,
M. Chabroux et M. Courrière, ont dit que la cristallisation s'était produite à
un moment où la gauche n'était pas au pouvoir.
MM. Gilbert Chabroux et Raymond Courrière.
Parce que c'est vrai !
M. Jacques Baudot,
rapporteur spécial.
Par ailleurs, je considère comme inadmissible qu'on
parle du MEDEF à propos de l'ARPE !
J'aurais pu, moi - mais je ne l'ai pas fait - souligner que c'est à cause du
retard pris par Mme Aubry pour apposer sa signature que nous avons dû attendre
près d'une année !
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste,
du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Il est vain de faire de la politique sur le dos du monde combattant, parce que
celui-ci est aussi bien de droite que de gauche. Renonçons donc à ce genre
d'arguments ! Pour ma part, je n'y ai pas recouru et je ne le ferai pas.
(Applaudissements sur les mêmes travées.)
M. Jean-Pierre Masseret,
secrétaire d'Etat.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Jean-Pierre Masseret,
secrétaire d'Etat.
Monsieur Baudot, je ne pense pas que le Sénat récuse
la proposition que j'ai faite ce matin, portant sur 10 millions de francs de
crédits supplémentaires sur déploiement du budget général. Sinon, je repars
avec mes 10 millions !
M. Gilbert Chabroux.
Nous avons un bon secrétaire d'Etat, qu'il reste !
M. Jean-Pierre Masseret,
secrétaire d'Etat.
Comment seront affectés ces 10 millions de francs ?
Il y a d'abord 4 millions de francs pour renforcer les travaux de proximité
nécessaires au nouvel élan de l'ONAC. Ce n'est qu'une petite fraction de ce qui
sera mis en oeuvre dans les deux ou trois ans à venir.
Il y a ensuite un million de francs, qui sera versé au Bleuet de France. Nous
disposons là d'un outil de mémoire qu'il nous faut valoriser vis-à-vis de
toutes les composantes de la nation.
Par ailleurs, 4 millions de francs seront affectés aux fondations qui ont un
travail de mémoire à mener au moment du passage au xxie siècle.
Enfin, un million de francs sont destinés à soutenir les initiatives des
collectivités territoriales, dont je ressens, presque chaque semaine, la
volonté de s'engager dans une politique de mémoire sous deux aspects : d'une
part, la mémoire en tant qu'instrument pédagogique de transmission de valeurs,
d'autre part, la mémoire en tant que vecteur d'activités touristiques générant
du chiffre d'affaires. J'essaie donc de dégager des crédits supplémentaires
pour aider toute initiative de ce type.
Quant à la décristallisation, elle relève en effet de la responsabilité du
pays dans son ensemble. Cela dit, honnêtement, monsieur Baudot, les dernières
mesures de forclusion datent de 1995. Ce qui ne veut d'ailleurs pas dire que
nous puissions, les uns ou les autres, nous exonérer de toute responsabilité.
Il reste que telle est bien la vérité historique.
M. Raymond Courrière.
La vérité fâche, parfois ! Elle fâche monsieur Baudot !
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?..
Je mets aux voix les crédits figurant au titre III.
M. Guy Fischer.
Le groupe communiste républicain et citoyen s'abstient.
(Ces crédits ne sont pas adoptés.)
M. le président.
« Titre IV :
moins
365 020 280 francs. »
La parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer.
Cette année, le budget des anciens combattants pour 2000 intervient dans un
contexte particulier : l'unanime reconnaissance par le Parlement de la réalité
de l'état de guerre en Algérie, hommage rendu, enfin, à la dernière génération
du feu.
Que le principe en soit noble, nous en sommes tous d'accord - et je veux, une
fois encore, remercier M. le secrétaire d'Etat de sa contribution irremplaçable
à cette reconnaissance - mais ne devrait-il pas être assorti des mesures qui
semblent en découler logiquement ?
Au terme du débat parlementaire, nous enregistrons 121 millions de francs de
mesures nouvelles, dont dix millions de francs annoncés ce jour.
Les promesses du Gouvernement, suivies de cet hommage rendu à la vérité de
l'histoire, font que l'attente n'a jamais été aussi forte.
Que dire de l'ensemble du projet de budget, notamment de ce titre IV ? Qu'il
est trop timide, malgré des efforts qu'il convient de saluer, et, surtout,
qu'il reste sourd à des demandes anciennes autant que légitimes.
Je souhaite, en l'instant, m'exprimer tout particulièrement en faveur des
anciens combattants d'Afrique du Nord. Certes, il faut reconnaître, monsieur le
secrétaire d'Etat, que vous avez répondu, même si ce n'est que partiellement, à
certaines de leurs demandes.
Ainsi, nous nous félicitons que la durée minimale de service en Afrique du
Nord soit abaissée de quinze à douze mois pour l'obtention de la carte du
combattant.
Par ailleurs, à la suite des discussions à l'Assemblée nationale, il
semblerait que le Gouvernement soit favorable, d'une part, à l'extension aux
anciens prisonniers français du FLN des conditions d'indemnisation des maladies
ou infirmités résultant d'une captivité prolongée dans un camp à régime sévère
et, d'autre part, à la réalisation d'une étude, d'un montant de 300 000 francs,
en vue de la construction du mémorial de la guerre d'Algérie.
Cela étant, de nombreux contentieux demeurent encore une fois en suspens. Afin
d'abréger mon propos, je ne citerai ici que les plus douloureux.
S'agissant de la carte du combattant, l'abaissement de quinze à douze mois de
la durée de présence en Algérie est loin de régler le contentieux. En effet, si
le Gouvernement reprenait à son compte l'accord survenu le 22 octobre 1996,
tendant à attribuer quinze points pour le Titre de reconnaissance de la nation,
sept points pour la médaille commémorative et quatre points par trimestre de
présence en AFN, le problème de l'attribution de la carte du combattant aux
rappelés et à ceux qui prirent part aux combats du Maroc et de la Tunisie
serait définitivement réglé.
Ne conviendrait-il pas également de prolonger jusqu'au 1er mars 1963, voire
jusqu'au 1er juillet 1964, la date des services ouvrant droit au Titre de
reconnaissance de la nation ?
Vous venez de faire référence à la campagne double, monsieur le secrétaire
d'Etat. Connaissant votre réticence, voire votre franche opposition, en ce qui
concerne cette mesure en faveur des anciens combattants fonctionnaires ou
assimilés, je me félicite que vous ayez tout de même consenti à la mise en
place d'une commission
ad hoc.
Je vous réaffirme combien la
reconnaissance de l'état de guerre en Algérie vient donner corps à cette
revendication, au nom de l'égalité des droits entre générations du feu.
Je profite de ma présence à cette tribune pour évoquer un problème particulier
qui a fait couler beaucoup d'encre.
Comme vous le savez, une revendication ancienne porte sur le reclassement
indiciaire des fonctionnaires ayant servi en Afrique du Nord. En effet, le
gouvernement de M. Balladur a modifié la composition des commissions de
reclassement, en écartant les représentants du monde combattant, ce qui a
abouti à des rejets de plus en plus nombreux.
Le 27 avril dernier, j'en avais appelé à M. le ministre de la fonction
publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation, soulignant combien
la France s'honorerait à abroger le décret n° 94-993 du 16 novembre 1994.
Malgré une fin de non-recevoir, je persiste à penser qu'il est désolant de
laisser des septuagénaires s'épuiser en recours devant les tribunaux
administratifs, d'autant que, la plupart du temps, ceux-ci donnent raison aux
anciens fonctionnaires qui ont porté leur affaire devant eux.
Enfin, tout en sachant que je fais ici un voeu pieux, je rappelle la
revendication du monde combattant de voir versée une retraite du combattant
dûment revalorisée aux titulaires de la carte du combattant à l'âge de soixante
ans, et non plus de soixante-cinq ans. A ce jour, seules six classes d'âge
seraient encore susceptibles d'en bénéficier. Il est donc urgent de mener une
réflexion dans ce sens.
Vous voudrez bien m'excuser, monsieur le président, monsieur le secrétaire
d'Etat, mes chers collègues, d'avoir été un peu long. Cependant, la meilleure
des transparences n'a-t-elle pas parfois un prix ? Et puis, j'ai moins de
scrupules en songeant que, l'an dernier, à pareille époque, nous discutions ce
budget fort tard dans la nuit.
Monsieur le secrétaire d'Etat, je souhaite vraiment que tous ces débats
puissent déboucher sur une solution cette année.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix les crédits figurant au titre IV.
M. Guy Fischer.
A l'exception de Mme Beaudeau, qui vote contre, le groupe communiste
républicain et citoyen s'abstient.
(Ces crédits ne sont pas adoptés.)
M. le président.
J'appelle en discussion les articles 65, 66, 66
bis
et 66
ter,
qui sont rattachés pour leur examen aux crédits des anciens combattants,
ainsi que, en accord avec la commission des finances, les amendements n°s II-1,
II-72, II-60, II-84 et II-69, qui tendent à insérer des articles additionnels
après l'article 66.
Article 65
M. le président.
« Art. 65. - Dans le dernier alinéa de l'article L. 253
bis
du code des
pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, les mots :
"quinze mois" sont remplacés par les mots : "douze mois". »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 65.
(L'article 65 est adopté.)
Article 66
M. le président.
« Art. 66. - Au dernier alinéa de l'article L. 321-9 du code de la mutualité,
l'indice "100" est remplacé par l'indice "105". »
Par amendement n° II-70, M. Fischer, Mme Borvo et les membres du groupe
communiste républicain et citoyen proposent :
A. - A la fin de cet article, de remplacer l'indice « 105 » par l'indice « 110
».
B. - Pour compenser la perte de recettes résultant du A ci-dessus, de
compléter cet article par un paragraphe additionnel ainsi rédigé :
« ... - La perte de ressources résultant de l'accroissement au-delà de 105 de
l'indice de majoration par l'Etat des rentes mutualistes est compensée par le
relèvement à due concurrence des droits perçus en application des articles 575
A et 575 B du code général des impôts. »
C. - En conséquence, de faire précéder cet article de la mention : « I. -
».
La parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer.
J'enfonce le clou, comme je l'avais fait, l'an passé, par une série
d'amendements.
Je dirai simplement que le rattrapage de la retraite mutualiste s'effectue à
un rythme encore trop lent pour permettre d'atteindre l'indice 130 d'ici à
2002. Nous attendons donc un geste significatif du Gouvernement.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Jacques Baudot,
rapporteur spécial.
Je souhaite entendre l'avis du Gouvernement avant de
me prononcer. Si le Gouvernement émet un avis favorable, naturellement,
j'émettrai avec grand plaisir un avis identique.
M. le président.
Quel est donc l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Pierre Masseret,
secrétaire d'Etat.
Malheureusement, on connaît ma réponse : elle est
négative. Je ne vais pas reprendre toutes les explications que je fournis sur
ce sujet depuis pas mal de semaines.
S'agissant de la rente mutualiste, le dispositif a été amélioré à partir de
1997. C'est un mécanisme qui est apprécié, aujourd'hui.
M. Guy Fischer.
C'est vrai !
M. Jean-Pierre Masseret,
secrétaire d'Etat.
Il évolue comme le rapport constant et nous
l'améliorons encore au travers des décisions budgétaires que nous prenons.
L'indice de référence s'élève à 105 points dans le projet de loi de finances
pour 2000, alors que, l'an dernier, on nous avait dit qu'il ne dépasserait
jamais 100 points. L'an prochain, il devrait atteindre 110 points.
Cela étant dit, j'invoque l'article 40 de la Constitution, monsieur le
président, comme je l'invoquerai d'ailleurs à l'encontre de tous les
amendements, à l'exception, bien évidemment, de l'amendement du
Gouvernement.
M. le président.
Monsieur le rapporteur spécial, l'article 40 de la Constitution est-il
applicable ?
M. Jacques Baudot,
rapporteur spécial.
Il l'est, monsieur le président.
M. le président.
En conséquence, l'amendement n° II-70 n'est pas recevable.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 66.
(L'article 66 est adopté.)
Articles additionnels après l'article 66
M. le président.
Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion
commune.
Par amendement n° II-1, M. Lesbros, au nom de la commission des affaires
sociales, propose d'insérer, après l'article 66, un article additionnel ainsi
rédigé :
« I. - L'article 71 de la loi n° 59-1454 du 26 décembre 1959 portant loi de
finances pour 1960 est complété par un paragraphe ainsi rédigé :
« IV. - Par dérogation aux paragraphes précédents, sont recevables les
demandes d'attribution, de révision et de réversion de pension d'invalidité ou
d'ayant cause et les demandes de retraite du combattant déposées en 2000 au
titre du code des pensions militaires d'invalidité et victimes de guerre. »
« II. - L'article 170 de l'ordonnance n° 58-1374 du 30 décembre 1958 portant
loi de finances pour 1959 est complété par un paragraphe ainsi rédigé :
« VI. - Par dérogation aux paragraphes précédents, sont recevables les
demandes d'attribution, de révision et de réversion de pension d'invalidité ou
d'ayant cause et les demandes de retraite du combattant déposées en 2000 au
titre du code des pensions militaires d'invalidité et victimes de guerre. »
« III. - La valeur du point d'indice "cristallisé" applicable à la pension
d'invalidité et à la retraite du combattant est réévaluée de 20 % en Algérie,
au Maroc, en Tunisie, au Cambodge, au Laos et au Vietnam. »
Par amendement n° II-72, M. Fischer, Mme Borvo et les membres du groupe
communiste républicain et citoyen proposent d'insérer, après l'article 66, un
article additionnel ainsi rédigé :
« I. - La valeur du point d'indice "cristallisé" applicable à la pension
d'invalidité et à la retraite du combattant est réévaluée de 20 % en Algérie,
en Tunisie, au Maroc, au Cambodge, au Laos et au Viêtnam.
« II. - Les droits perçus en application des articles 575 A et 575 B du code
général des impôts sont relevés à due concurrence des pertes et des recettes
résultant du I ci-dessus. »
La parole est à M. le rapporteur pour avis, pour défendre l'amendement n°
II-1.
M. Marcel Lesbros,
rapporteur pour avis.
Cet amendement concerne le problème de la
cristallisation des pensions militaires d'invalidité et des retraites du
combattant, dont on a parlé toute la matinée. Tout le monde s'accorde en effet
à reconnaître qu'il convient de régler ce problème.
Je ne souhaite pas que l'on invoque brutalement l'article 40 à l'encontre de
cet amendement, qui prévoit, je le rappelle, les dispositions suivantes : « La
valeur du point d'indice "cristallisé" applicable à la pension d'invalidité et
à la retraite du combattant est réévaluée de 20 % en Algérie, au Maroc, en
Tunisie, au Cambodge, au Laos et au Viêtnam. »
Il s'agit uniquement d'« amorcer la pompe » et de faire en sort que vous
fassiez mieux l'année prochaine, monsieur le secrétaire d'Etat comme vous le
ferez chaque année.
M. le président.
La parole est à M. Fischer, pour défendre l'amendement n° II-72.
M. Guy Fischer.
A la lecture de cet amendement, vous aurez compris que, comme pour le
précédent, il s'agit d'un amendement d'appel.
Nous avons déjà eu la réponse de M. le secrétaire d'Etat, elle ne nous
surprendra donc pas.
Nous souhaitons, nous aussi, qu'au cours des prochains exercices budgétaires
des réponses puissent être apportées à cet égard, tout en sachant que le
ministère de la défense est également concerné.
M. Jean-Pierre Masseret,
secrétaire d'Etat.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Jean-Pierre Masseret,
secrétaire d'Etat.
Sans aucune brutalité, je vais indiquer les raisons
pour lesquelles, comme je l'ai dit, j'invoque l'article 40.
Tout d'abord, sur le fond, chacun s'accorde, ici et dans le monde combattant,
à dire combien il serait utile que la France examine cette question sous
l'angle de ses responsabilités morales, de son devoir moral. Chacun soucrit à
cette idée.
Mon devoir est donc maintenant de faire des propositions qui soient
compatibles avec les réalités budgétaires.
L'approche en termes de pouvoir d'achat me paraît mériter l'attention, car la
réparation s'exprime aussi en ces termes. Toutefois, comme je vous l'ai indiqué
tout à l'heure à la tribune, il faut essayer de conduire une politique globale.
C'est la raison pour laquelle je n'ai pas annoncé à votre Haute Assemblée,
comme j'en avais exprimé l'intention à un moment donné, la levée de la mesure
de forclusion concernant la retraite du combattant, qui est en vigueur depuis
1995.
A la suite de discussions très légitimes au sein du Gouvernement, il est
apparu qu'il fallait plutôt avoir une approche globale de ce dossier.
Par conséquent, ne disposant pas aujourd'hui des moyens budgétaires me
permettant de répondre, même partiellement, aux demandes de MM. Lesbros et
Fischer, monsieur le président, j'invoque également l'article 40 de la
Constitution sur ces deux amendements.
M. le président.
Monsieur le rapporteur spécial, l'article 40 de la Constitution est-il
applicable ?
M. Jacques Baudot,
rapporteur spécial.
Je souhaitais entendre les explications du
Gouvernement. C'est chose faite !
L'article 40 est applicable, monsieur le président.
M. le président.
En conséquence, les amendements n°s II-1 et II-72 ne sont pas recevables.
Je suis saisi de deux amendements identiques.
Le premier, n° II-60, est présenté par Mme Printz, MM. Hesling, Estier,
Chabroux, Courrière et les membres du groupe socialiste et apparentés.
Le second, n° II-84, est déposé par MM. Hoeffel, Richert, Grignon et les
membres du groupe de l'Union centriste.
Tous deux tendent à insérer, après l'article 66, un article additionnel ainsi
rédigé :
« I. - L'Etat s'engage à indemniser les Alsaciens-Mosellans incorporés de
force dans les organisations para-militaires du régime nazi.
« II. - La taxe sur les tabacs est augmentée à due concurrence. »
La parole est à Mme Printz, pour défendre l'amendement n° II-60.
Mme Gisèle Printz.
Cet amendement concerne l'indemnisation des Alsaciens et des Mosellans
incorporés de force dans les organisations paramilitaires du régime nazi.
M. le secrétaire d'Etat nous a fait savoir qu'il ne serait pas possible
d'obtenir une indemnisation, ce que je regrette vivement. Je sais bien que
cette décision n'est pas de son fait puisque les crédits font défaut. Mais
j'aimerais bien que cette question soit réexaminée l'année prochaine.
J'attends donc que M. le secrétaire d'Etat me donne des explications
complémentaires.
M. le président.
La parole est à M. Herment, pour défendre l'amendement n° II-84.
M. Rémi Herment.
Il s'agit de la même demande, monsieur le président.
Mes collègues signataires de cet amendement préconisaient, pour leur part,
l'instauration d'une taxe sur les tabacs pour régler le problème de l'article
40 invoqué par M. le secrétaire d'Etat.
(Sourires.)
M. Jean-Pierre Masseret,
secrétaire d'Etat.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Jean-Pierre Masseret,
secrétaire d'Etat.
Je comprends bien le sentiment qui anime les élus
d'Alsace et de Moselle s'agissant de cette question qui les concerne très
directement. Mais, actuellement, je ne dispose pas des moyens budgétaires
nécessaires.
Il me reste à faire preuve de beaucoup de pugnacité dans les semaines ou les
mois à venir pour savoir comment il est possible, malgré tout, d'engager la
procédure d'indemnisation des personnes incorporées de force dans le
Reichsarbeitsdienst
et le
Kriegshilfsdienst,
notamment de ces
jeunes femmes qui ont été contraintes de porter un uniforme, parfois la croix
gammée, et donc de connaître les difficultés que l'on peut imaginer et dont la
presse se fait l'écho encore aujourd'hui. Ainsi, Madame Printz, le dernier
numéro de
Marie-Claire,
celui du mois de décembre, consacre plusieurs
pages à la situation de ces femmes pendant cette période.
Je regrette vivement de ne pouvoir vous donner satisfaction. Je vous exonère
de toute responsabilité au regard du
Journal officiel
s'agissant de
cette question. Chacun a fait le maximum, et tous les élus, tous les
parlementaires, tous les groupes se sont engagés sur cette question. Pour moi,
je le répète, c'est un échec. Ou bien je baisse les bras ou bien j'essaie
encore d'avancer : je vais m'efforcer encore d'avancer.
Toutefois, n'ayant pas les moyens budgétaires d'engager la mise en oeuvre
d'une bonne réponse, j'invoque l'article 40 sur ces deux amendements.
M. le président.
L'article 40 de la Constitution est-il applicable, monsieur le rapporteur
spécial ?
M. Jacques Baudot,
rapporteur spécial.
Il l'est, monsieur le président.
M. le président.
En conséquence, les amendements n°s II-60 et II-84 ne sont pas recevables.
Par amendement n° II-69, le Gouvernement propose d'insérer, après l'article
66, un article additionnel ainsi rédigé :
« Dans le quatrième alinéa du I de l'article 2 de la loi n° 96-126 du 21
février 1996 portant création d'un fonds paritaire d'intervention en faveur de
l'emploi, après les mots : "postérieurement au 1er janvier 1999" sont ajoutés
les mots : "et avant le 1er janvier 2000". »
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Jean-Pierre Masseret,
secrétaire d'Etat.
Au-delà des sensibilités politiques qui s'expriment
dans cet hémicycle, je souhaite que cet amendement soit adopté, car il
conditionne l'application de la disposition que vous avez acceptée l'an dernier
et qui permet d'accorder le bénéfice de l'ARPE aux anciens combattants qui se
sont vu refuser l'application de cette mesure en 1999.
Je vous demande, sans engagement idéologique ou politique, tout simplement
sous l'angle pratique, de nous permettre de donner satisfaction à un certain
nombre de demandes. Aussi, je souhaite que cet amendement soit adopté à
l'unanimité par le Sénat.
M. Raymond Courrière.
Très bien !
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Jacques Baudot,
rapporteur spécial.
Monsieur le secrétaire d'Etat, je ne reviendrai pas
sur les critiques que j'ai formulées l'année dernière à l'encontre de vos
services, qui avaient sans doute quelque peu confondu vitesse et précipitation,
ce qui explique que nous soyons dans une telle situation cette année.
Cela étant dit, je ne peux qu'émettre un avis favorable sur cet amendement,
car on ne peut faire autrement.
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° II-69, accepté par la commission.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet
de loi de finances, après l'article 66.
Article 66
bis
M. le président.
« Art. 66
bis. -
L'article L. 114
bis
du code des pensions
militaires d'invalidité et des victimes de la guerre est complété par un alinéa
ainsi rédigé :
Le 1er janvier 2000, les pensions d'invalidité visées au premier alinéa du
présent article sont revalorisées de 1,5 % dans la limite des émoluments qui
résultent de l'application de la valeur du point de l'ensemble des autres
pensions militaires d'invalidité. »
Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion
commune.
Par amendement n° II-71 rectifié, M. Fischer, Mme Borvo et les membres du
groupe communiste républicain et citoyen proposent de rédiger comme suit cet
article :
« I. - L'article L. 114
bis
du code des pensions militaires
d'invalidité et des victimes de guerre est abrogé.
« II. - La valeur du point d'indice des pensions auxquelles ont été appliquées
les dispositions de l'article 120 II de la loi de finances n° 90-1168 du 29
décembre 1990 est rétablie au niveau auquel elle aurait été fixée en l'absence
de ces dispositions.
« III. - Les droits perçus en application des articles 575 A et 575 B du code
général des impôts sont relevés à due concurrence des pertes et des recettes
résultant des I et II ci-dessus. »
Par amendement n° II-36, M. Cléach propose de rédiger comme suit le texte
présenté par l'article 66
bis
pour compléter l'article L. 114
bis
du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre
:
« Le 1er janvier 2000, les pensions d'invalidité visées au premier alinéa du
présent article sont revalorisées dans la limite des émoluments qui résultent
de l'application de la valeur du point de l'ensemble des autres pensions
d'invalidité, de manière à compenser intégralement l'absence de revalorisation
intervenue entre le 1er janvier 1991 et le 31 décembre 1994 en application du
premier alinéa. »
La parole est à M. Fischer, pour défendre l'amendement n° II-71 rectifié.
M. Guy Fischer.
Il s'agit, là encore, d'un amendement d'appel. Le dossier des grands invalides
de guerre est très douloureux. Il est vivement défendu par l'ensemble des
associations d'anciens combattants.
Dans un premier temps, monsieur le secrétaire d'Etat, vous aviez envisagé de
résoudre le problème en trois années, voire quatre. Tout à l'heure, vous avez
évoqué la possibilité de le résoudre définitivement entre 2001 et 2002.
En l'occurrence, nous lançons un appel pour que ce dossier soit définitivement
réglé dans le projet de loi de finances pour 2001.
M. le président.
La parole est à M. Cléach, pour défendre l'amendement n° II-36.
M. Marcel-Pierre Cléach.
Puisque M. le secrétaire d'Etat a indiqué tout à l'heure, comme je l'avais
pressenti, qu'il invoquerait l'article 40, je ne développerai pas plus avant
cet amendement, qui va exactement dans le sens des propos que vient de tenir M.
Fischer et de ce que j'ai dit tout à l'heure sur la revalorisation des pensions
des grands invalides à la suite du « gel ».
Il s'agit d'un problème essentiel, d'un problème moral ; le Gouvernement doit
s'attacher à le résoudre très rapidement.
M. Jean-Pierre Masseret,
secrétaire d'Etat.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Jean-Pierre Masseret,
secrétaire d'Etat.
J'ai rappelé tout à l'heure l'engagement que j'avais
pris l'an dernier, à savoir faire en sorte que ce dossier, sinon prioritaire,
en tout cas très important, fasse l'objet du débat sur le projet de loi de
finances pour 2000.
Nous n'avançons peut-être pas aussi vite que vous le souhaiteriez, et
probablement pas aussi rapidement que le souhaitent les invalides eux-mêmes. Je
le comprends bien. L'important, c'est qu'une avancée ait été réalisée dans le
budget pour 2000, avancée qui nécessairement prolongée dès 2001.
Franchement, si cette question peut être définitivement réglée, l'an prochain
d'un bloc, je le proposerai lors des arbitrages budgétaires du Gouvernement. Ce
matin, je ne peux aller au-delà de ce qui a été voté par l'Assemblée nationale
dans le projet de loi de finances.
Par conséquent, comme je l'ai annoncé, j'invoque l'article 40 sur ces deux
amendements.
M. le président.
L'article 40 de la Constitution est-il applicable, monsieur le rapporteur
spécial ?
M. Jacques Baudot,
rapporteur spécial.
En l'occurrence, le Gouvernement ne confond pas
vitesse et précipitation. J'espère que cette question sera résolue l'année
prochaine. Je suis tout à fait d'accord avec ce qui a été proposé par M. le
secrétaire d'Etat.
Cela étant dit, s'agissant de ces deux amendements, l'article 40 est
applicable.
M. le président.
En conséquence, les amendements n°s II-71 rectifié et II-36 ne sont pas
recevables.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 66
bis.
(L'article 66
bis
est adopté.)
Article 66
ter
M. le président.
« Art. 66
ter. -
Les pensions des sous-lieutenants admis à la retraite
avant le 1er janvier 1976 peuvent être révisées sur la base des émoluments du
grade de major en tenant compte de l'ancienneté de service détenue par les
intéressés à la date de la radiation des cadres.
« La pension des intéressés et celle de leurs ayants cause sont révisées avec
effet au 1er janvier 2000. » -
(Adopté.)
Nous avons achevé l'examen des dispositions du projet de loi de finances
concernant les anciens combattants.
Mes chers collègues, je veux tous vous remercier de la haute tenue de ce
débat. Je remercie également le Gouvernement de son apport à ce débat toujours
douloureux et si important pour la cohésion de la nation.
Nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze
heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures cinquante, est reprise à quinze
heures.)
M. le président. La séance est reprise.
3
DÉPÔT D'UN RAPPORT DU GOUVERNEMENT
M. le président.
M. le président a reçu de M. le Premier ministre, en application de l'article
83 de la loi de finances pour 1995, le rapport décrivant les opérations
bénéficiant de la garantie de l'Etat au titre des exercices 1997-1999.
Acte est donné du dépôt de ce rapport.
4
LOI DE FINANCES POUR 2000
Suite de la discussion d'un projet de loi
M. le président.
Nous reprenons la discussion du projet de loi de finances pour 2000, adopté
par l'Assemblée nationale.
Culture
M. le président.
Le Sénat va examiner les dispositions du projet de loi concernant la
culture.
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Yann Gaillard,
rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et
des comptes économiques de la nation.
Monsieur le président, madame la
ministre, mes chers collègues, le projet de budget du ministère de la culture
pour 2000 paraît, à première vue, flatteur.
En termes de dépenses ordinaires et de crédits de paiement afférents aux
autorisations de programme, il croît en effet deux fois plus vite que celui de
l'Etat, soit de 2,09 %, contre 0,9 %.
Avec 329 millions de francs supplémentaires, il atteint 16,039 milliards de
francs : nous voilà donc tout près, avec 0,98 % du budget de l'Etat, contre
0,95 % en 1998 et 0,97 % en 1999, de ce mythique « 1 % de la culture ».
Français, encore un effort, si vous voulez être républicains,... donc
cultivés, pourrait-on dire en prolongeant la formule célèbre d'un écrivain
maudit passé de l'enfer de la Bibliothèque nationale au paradis de celle de la
Pléiade.
(Sourires.)
Les autorisations de programme, en peu d'années, augmentent, pour leur part,
de 4,64 % pour atteindre 3,702 milliards de francs. Cette évolution correspond
à un léger tassement des crédits de paiement, qui diminuent de 0,08 % pour
s'établir à 3,556 milliards de francs dans le projet de loi de finances pour
2000, contre 3,559 milliards de francs l'an dernier.
Notons aussi la volatilité des autorisations de programme : elles ont augmenté
de 20 % en 1998, diminué de 4,91 % en 1999 et elles progresseront de nouveau de
4,64 % en 2000. Mais ne chipotons pas. La majorité sénatoriale n'a pas la
religion de la dépense budgétaire.
Elle a cru néanmoins pouvoir se réjouir, s'agissant de la culture, qui ne
saurait la laisser indifférente, du fait que la marche en avant ait repris et
que, en 1999, ce budget n'ait pas eu à subir, en cours d'année, de régulation,
contrairement à ce qui s'était passé en 1997 et en 1998.
Hélas ! au moment même où j'écrivais ces lignes, j'ai eu la surprise, madame
la ministre, de découvrir que l'arrêté annexé au projet de loi de finances
rectificative annule pratiquement 70 millions de francs de crédits.
Certes, les ouvertures nettes s'élèvent à près de 323 millions de francs, mais
elles correspondent aux dépenses relatives à la célébration de l'an 2000 - qui
sont, par nature, interministérielles - et à la rénovation, qui était urgente,
des bibliothèques municipales.
Pour autant fallait-il gager ces dépenses à raison d'annulations de crédits de
21 millions de francs sur le chapitre 43-92 relatif aux achats d'oeuvres d'art
et de 48,43 millions de francs sur le chapitre 56-20 concernant le patrimoine
monumental ?
J'aimerais, madame la ministre, que vous puissiez justifier ces annulations,
qui portent sur des secteurs sensibles auxquels le Sénat attache une importance
toute particulière.
Les priorités affichées n'appellent pas non plus de critiques de principe,
même si le patrimoine, qui avait été bien traité en 1998 et en 1999, n'apparaît
pas au premier plan.
Ces priorités sont au nombre de trois.
La première va aux dépenses d'intervention du titre IV, qui bénéficient de 172
millions de francs sur les 369 millions de francs supplémentaires prévus, avec
deux mesures phares : la poursuite de l'effort en faveur du spectacle vivant -
les 80 millions de francs de cette année s'ajoutent aux 110 millions de francs
de mesures nouvelles qui marquent le budget de 1999 - et la démocratisation
culturelle, avec notamment l'extension de la gratuité d'accès pour les jeunes
dans les monuments historiques et sa généralisation le premier dimanche de
chaque mois dans tous les musées.
La deuxième priorité, qui ne peut que recueillir l'approbation de la Haute
Assemblée, porte sur le rééquilibrage entre Paris et les régions. Les
subventions à la réalisation d'équipements culturels locaux passent ainsi, en
autorisations de programme, de 379 millions de francs à 490 millions de francs.
Ce budget prévoit donc, pour les équipements culturels en régions, 540 millions
de francs, soit un montant du même ordre de grandeur que celui qui est prévu
pour Paris, à savoir 563 millions de francs. Cette évolution est favorisée,
comme nous allons le voir, par l'achèvement des grands chantiers de l'ère
post-mitterrandienne.
La troisième priorité concerne les créations d'emplois, qui sont, cette année,
au nombre de deux cent quatre-vingt-quinze, contre deux en 1999 et vingt-sept
en 1998. Sur ce total, deux cent soixante-trois sont consacrées à la résorption
de ces fameux emplois précaires qui ont été à l'origine des grèves dans les
monuments historiques et les musées l'été dernier, au grand dam des touristes
et des finances de la RMN, la Réunion des musées nationaux, qui a perdu 16
millions de francs, dont la moitié pour le seul Louvre. Il est aussi prévu deux
cent six postes pour la surveillance dans les musées et à la Bibliothèque
nationale de France.
Tout va-t-il désormais pour le mieux dans le meilleur des mondes culturels ?
Le budget du ministère de la culture permettra-t-il, à l'avenir, de faire face
aux charges nées des grandes opérations lancées dans les années quatre-vingt ou
quatre-vingt-dix et de continuer à aider la création vivante ? Ce serait
évidemment miraculeux.
Aussi accepterez-vous sans doute, madame la ministre, que je formule
maintenant quelques observations critiques, ou dubitatives, qui font partie de
la mission d'un rapporteur spécial.
Dans cet exposé introductif, je me contenterai de traiter trois points, chacun
d'eux étant relatif à l'une de vos trois priorités. Ceux de nos collègues qui
auront eu la curiosité de parcourir le rapport écrit en auront trouvé quelques
autres qui ne sont pas moins dignes d'intérêt et qui feront l'objet
d'investigations approfondies l'année prochaine ou la suivante.
J'attendrai de même les débats sur les textes à venir sur les fouilles
archéologiques ou la protection des trésors nationaux, depuis longtemps
annoncés et dont nous réclamons impatiemment le dépôt, pour vous faire part des
observations de la commission des finances si, comme je l'espère, celle-ci se
saisit pour avis.
En ce débat budgétaire, je me contenterai donc de formuler trois
observations.
Ma première observation a trait à la priorité donnée aux spectacles vivants,
donc aux subventions correspondantes. Il faudrait, à mon sens, mettre en place
des outils plus performants de suivi de la dépense, sans quoi, on risque de
tomber dans un travers bien connu, c'est-à-dire la persistance d'une prospère
clientèle d'abonnés aux subventions publiques, semblables à ces colonies de
procaryotes qui prolifèrent auprès des sources de chaleur, au fond des mers.
On attend toujours le décret harmonisant la présentation des comptes des
théâtres nationaux et créant des conseils d'administration délibérants. On
souhaiterait des tableaux de bord homogènes pour suivre l'exécution budgétaire.
Certes, des progrès ont été accomplis, et votre direction unifiée de la
musique, de la danse, du théâtre et des spectacles s'y emploie. Néanmoins, dans
les grands établissements culturels, dont les dépenses de fonctionnement, je le
rappelle, s'échelonnent de 90 millions de francs pour le Conservatoire national
supérieur de musique et de danse de Paris à 871 millions de francs pour
l'Opéra, on tarde encore à mettre en place une comptabilité analytique digne de
ce nom.
La déconcentration des crédits est souhaitable, et elle s'accélère. En 1999,
elle a porté sur près de 45 % de la dépense, hors charges en personnel,
dotations décentralisées et dotations des établissements publics, contre 30 %
en 1997. Encore faudrait-il pouvoir suivre l'utilisation de ces crédits, et la
refonte de vos logiciels « Ensemble » en régions et « SIAD » à l'administration
centrale en un nouvel outil appelé « Quadrille » ne sera pas terminée en
2000.
Ma deuxième observation concerne le processus de résorption de l'emploi
précaire, qui porte sur 450 agents cette année. D'ici à cinq ans, c'est la
situation de 2 000 salariés qui devra être régularisée. Gigantesque effort,
pour un ministère grand par la pensée, modeste par les moyens ! Mais c'est ce
décalage entre celle-là et ceux-ci qui crée une menace perpétuelle de
débordements. Est-on sûr que l'on ne recrutera pas subrepticement, pour
répondre à l'urgence, par commodité décentralisée, de nouveaux vacataires ?
Votre directeur de l'administration générale, dont je ne mets pas en doute la
compétence et l'obstination, affirme s'y employer. Sera-t-il suivi ? Il y a
encore trop d'emplois précaires dans vos services et dans vos établissements,
ce qui nuit au moral des personnels, comme j'ai pu le constater lors de la
récente réunion du conseil d'orientation du Centre Georges-Pompidou - très
habilement présidé par notre collègue M. Vidal - dont je salue au passage la
magnifique rénovation en voie d'achèvement.
Au-delà même des problèmes statutaires, c'est le décalage entre les ambitions
monumentales et la pauvreté fonctionnelle qui est la plaie de votre ministère.
Certes, ces ambitions ne sont pas le fait du seul ministre de la culture,
chacun le sait. Mais à quoi bon multiplier les opérations de prestige si
l'intendance ne suit pas ? Le Grand Louvre est redevenu le premier musée du
monde, dont la splendeur fait honneur à la France. Hélas ! faute de gardiens,
il faut fermer des salles par rotation, ce qui n'empêche pas les vols, et vous
en serez réduite, par manque de caisses ou de moyens d'accès, à créer six
emplois d'animateur ou animatrice de files d'attente en l'an 2000. Surréaliste
et charmante dénomination !
J'en viens à ma troisième observation, qui confirme sur le plan des
investissements ce qui vient d'être dit sur le plan du fonctionnement.
Le rééquilibrage entre Paris et la province, qui nous réjouit, est dû pour une
grande part, l'enveloppe des grands équipements étant constante, à l'achèvement
des opérations parisiennes - musée Guimet, théâtre de l'Odéon, Centre
Georges-Pompidou, Grand Louvre - mais aussi à des retards de programmation,
voire à des bavures, comme celle du Grand Palais. La baisse des crédits
affectés à cette opération casse-tête, qui vise sans doute à se donner le temps
de la réflexion, a permis de donner une impulsion à certains projets régionaux.
La dimension de ceux-ci est au surplus modeste, sauf dans le cas du Cargo de
Grenoble et du centre fantôme de la mémoire contemporaine à Reims. Au fait,
madame la ministre, ce fantôme rémois s'évanouira-t-il définitivement ?
A tant faire, vous auriez pu profiter de l'occasion pour vous montrer plus
généreuse pour le patrimoine rural non protégé, dont les crédits restent fixés
à 35 millions de francs, ou pour l'entretien du patrimoine monumental, dont le
budget, en stagnation pour les monuments n'appartenant pas à l'Etat,
n'augmente, pour ceux qui relèvent de celui-ci, que de 3 millions de francs
pour 150 millions de francs de dépenses : une fois encore, on préfère investir
plutôt qu'entretenir, guérir plutôt que prévenir. Nous imitons ces Persans du
xviie siècle, dont le voyageur Jean-Baptiste Tavernier écrivait qu'ils « aiment
mieux faire un bâtiment nouveau que d'en relever un vieux qu'ils laissent
tomber en ruine faute de quelques réparations de peu d'importance ».
Et s'il ne s'agissait que d'entretien défaillant ! J'ai visité récemment
certains chantiers avec M. Scanvic, directeur de l'administration générale, et
M. Moreno, directeur de l'EPMOTC, l'établissement public chargé de la maîtrise
d'ouvrage des travaux culturels. Instructive visite !
Première étape, l'immeuble dit des Bons-Enfants, qui doit accueillir les
services de votre ministère, actuellement dispersés sur dix-neuf sites, qui
coûtent à l'Etat 30 millions de francs de loyers par an.
Cet ancien entrepôt des grands magasins du Louvre a été abandonné en 1989 par
le ministère des finances, qui y a dépensé 160 millions de francs en pure
perte. De 1989 à 1994, rien ne s'est passé, sinon une mise aux enchères
publiques infructueuse. En février 1994, il est affecté au ministère de la
culture, et le choix de l'architecte intervient en 1995. Le chantier est confié
à l'EPMOTC en janvier 1998. Douze ascenseurs dorment dans des caisses depuis
des années, l'édifice n'est habité que par les pigeons, et 350 millions de
francs en autorisations de programme ont été affectés à cette opération.
Il est peu probable, compte tenu des délais de passation des marchés, que les
travaux commencent avant 2002. Quant à l'emménagement du ministère, il est
prévu pour 2003. Bien entendu, deux départements ministériels et plusieurs
gouvernements ont participé à ce gâchis : voilà 18 000 mètres carrés au coeur
de Paris laissés à l'abandon depuis près d'une décennie !
Deuxième étape de cette tournée, le Grand Palais, fermé depuis la chute d'un
boulon en 1994. Il tend en effet à « piquer du nez » vers la Seine et à se
disloquer.
En autorisations de programme, le financement de la première phase de
consolidation de la nef et de l'aile sud est inscrit dans les documents
budgétaires pour 400 millions de francs. Le coût de la réalisation de la
seconde phase est évalué à 384 millions de francs, et une nouvelle autorisation
de programme de 30 millions de francs a été prévue dans ce projet de loi de
finances.
Le coût de cette opération lourde a de grandes chances de déraper, en raison
notamment de certains contentieux qui ont donné lieu à la nomination d'un
médiateur. Mais, surtout, rien n'est prévu quant à l'utilisation future de cet
équipement, que presque tous ses occupants ont déserté. Voilà 140 000 mètres
carrés culturels, dont 18 000 pour la seule nef, auxquels il faudrait ajouter
les 17 000 mètres carrés du Palais de la découverte, situés dans un endroit
combien prestigieux, et dont l'avenir n'est pas déterminé ! La Foire
internationale de l'art contemporain se tient désormais porte de Versailles et
s'y trouve bien. Même les galeries nationales du Grand Palais, qui fonctionnent
encore dans l'aile nord, pourraient déménager.
Poursuivant ma tournée, je me suis rendu au Palais de Tokyo, inauguré pour
l'exposition de 1937 par Léon Blum et qui a abrité le Musée national d'art
moderne jusqu'en 1976. Ce palais aurait dû accueillir le musée et l'école du
cinéma, mais vous avez décidé leur transfert à Bercy, dans l'immeuble de
l'American Center. Ainsi, 30 millions de francs de crédits d'études pour la
création du Musée du cinéma ont donc été dépensés en pure perte.
Actuellement, vous songez à affecter un plateau de 3 000 mètres carrés à la
réalisation d'un centre d'exposition de la jeune création française, ou plutôt
de la jeune création en France. Un tel lieu manque cruellement à Paris, comme
en témoigne le rapport n° 330 de la commission des finances du Sénat sur le
marché de l'art. Vous avez prévu 17 millions de francs d'autorisations de
programme et 2 millions de francs de crédits de paiement à cet effet.
Restent donc sans affectation prévisible 30 000 mètres carrés au Palais de
Tokyo, dont 20 000 seraient pourtant facilement utilisables.
On pourrait continuer l'énumération :
quid
du MAAO, le Musée des arts
africains et océaniens, qui va être vidé de ses collections au profit du futur
Musée des arts et civilisations voulu par le Président de la République et qui
sera situé quai Branly ? Ce magnifique souvenir de l'exposition coloniale de
1931 et du maréchal Lyautey, qu'en ferez-vous ? Ce sont donc des centaines de
mètres carrés qui vont encore se trouver à l'abandon.
Au total, plus de 100 000 mètres carrés de lieux culturels font actuellement
l'objet de travaux engagés par l'EPMOTC. Il faudrait y ajouter les quelque 140
000 mètres carrés du Grand Palais, et ce sans tenir compte des surfaces à
réaménager du MAAO et du Musée de l'homme.
Cette tendance à ouvrir sans cesse des lieux nouveaux et à délaisser les
anciens n'est pas propre aux arts plastiques. La musique aussi aime à se
disperser. Pour m'en tenir à la capitale, et sans revenir sur la multiplicité
des salles lyriques, je dirai que la musique symphonique succombe à son tour à
ce vertige : nous avons un orchestre sans toit, l'Orchestre de Paris, depuis la
vente de la salle Pleyel, et plusieurs projets concurrents de salles de
concert, sans garantie quant au taux de remplissage.
Je ne voudrais pas terminer cet exposé introductif à notre débat sans ajouter
à mes trois points un codicille, que je ne développerai pas, car tout le monde
sait bien de quoi il s'agit.
Madame la ministre, où en est-on avec la Bibliothèque nationale de France ?
Cet établissement, le dernier des grands travaux du président Mitterrand,
va-t-il enfin, et dans quel délai, répondre aux espoirs ? La « galère
informatique » va-t-elle bientôt se terminer ? Pouvez-vous, au surplus, nous
expliquer dans quelles conditions la société Cap Gemini a quitté cette galère,
et si elle a été pénalisée ?
En conclusion, le rapporteur que je suis porte sur ce projet de budget un
jugement nuancé. Au cours des entretiens et des visites que j'ai pu faire, j'ai
cru déceler chez les responsables du ministère et des organismes qui en
dépendent une volonté affirmée de rompre avec la tentation de la facilité et du
spectaculaire. Nous devons aussi tenir compte des rigidités structurelles et
psychologiques auxquelles vous devez faire face. La commission des finances,
sur mon rapport, a donc donné un avis favorable à l'adoption de ce budget... au
bénéfice du doute !
(Sourires. - Applaudissements sur les travées RPR, des
Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines
travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Nachbar, rapporteur pour avis.
M. Philippe Nachbar,
rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles.
Monsieur
le président, madame la ministre, mes chers colègues, le projet de budget du
ministère de la culture peut s'apprécier de deux manières, selon que l'on
examine son évolution globale ou la manière dont il répond aux missions qui lui
sont dévolues depuis l'origine, en France. J'examinerai donc tour à tour ces
deux aspects - l'évolution globale, d'une part, la démocratisation de la
culture à travers votre budget, d'autre part - afin d'apporter à notre
assemblée l'éclairage le plus complet possible sur ce projet de budget.
S'agissant tout d'abord de l'évolution globale, le budget de la culture
s'élèvera, pour l'an 2000, à 16,39 milliards de francs, soit une hausse de 2,1
% par rapport à la loi de finances de 1999.
Globalement, le chiffre est satisfaisant puisque le budget de l'Etat
n'augmente lui-même que de 0,9 %. Une ombre, un soupçon d'inquiétude
apparaissent néanmoins, madame la ministre, dans la mesure où, si j'ose dire,
vous avez trop bien fait les années précédentes pour que nous ne soyons pas
sensibles, cette année, à la décélération de la progression de vos crédits :
2,1 %, contre 3,8 % en 1998 et 3,5 % en 1999. Il faut souhaiter, eu égard à
l'importance que revêt pour la Haute Assemblée la culture dans notre pays, que
cette décélération ne se poursuivra pas l'année prochaine.
J'ai noté que cette évolution se fait à structure budgétaire constante, ce qui
est une excellente chose : c'est un point que j'avais d'ailleurs déjà souligné
l'an dernier. Les compétences de votre ministère sont désormais stabilisées et,
de surcroît, les grands travaux sont pour l'essentiel achevés en
investissements - naturellement, nous reviendrons tout à l'heure sur leur coût
de fontionnement - ce qui vous confère une marge de manoeuvre accrue, d'autant
que vous avez su préserver des convoitises d'autres administrations l'enveloppe
budgétaire qui vous est dévolue. Il convient de souligner l'exploit d'un
ministère qui parvient à conserver son budget alors même que les aléas de ses
fonctions ont beaucoup évolué.
Il importe de noter également le caractère satisfaisant des conditions
d'exécution de la loi de finances : les reports de crédits ont été modestes et
les annulations symboliques, avec 67 millions de francs seulement.
Nous avions souligné à plusieurs reprises devant la Haute Assemblée à quel
point les opérations consistant, en cours d'année, à faire de ce budget une
variable d'ajustement enlevaient toute efficacité au contrôle parlementaire
exercé lors du vote de la loi de finances. Il n'en a rien été en 1999, comme
d'ailleurs - je tiens à le rappeler - l'année précédente.
En résumé, ce budget représentera 0,98 % du budget de l'Etat, contre 0,97 %
l'année dernière. Je ne suis pas de ceux qui cèdent au fétichisme du 1 %
culturel, seuil symbolique réclamé voilà plus de trente ans par Jean Vilar. En
effet, d'une part, l'Etat affecte hors ce budget, à peu près la même somme à
l'action culturelle à travers d'autres ministères et, d'autre part - il
convient ici plus qu'ailleurs de le souligner avec force - les collectivités
locales consacrent chaque année, pour autant qu'on puisse le savoir, à peu près
autant de crédits que l'Etat à travers l'ensemble de ses ministères pour
soutenir la diffusion culturelle en France, soit 37 milliards de francs. Il
était, à mes yeux, important de le dire ici au Sénat, et je reviendrai tout à
l'heure sur ce point, notamment à propos du patrimoine.
Si l'on détaille l'évolution des différents chapitres, on constate que la
progression du budget pour l'an 2000 profitera plus aux dépenses ordinaires
qu'aux dépenses en capital, alors que, l'année dernière, la progression était à
peu près équivalente pour les unes et les autres.
Les dépenses ordinaires augmentent de 2,73 % ; il s'agit, je le rappelle, du
titre III - « Moyens des services » - et du titre IV - « Dépenses
d'intervention publique » - qui s'élèveront à 12,482 milliards de francs. Les
dépenses en capital, en revanche, restent quasiment identiques, avec 3,556
milliards de francs ; contre 3,559 milliards de francs.
L'évolution des dépenses ordinaires reflète, en fait, une double action du
ministère qui ne peut que recueillir l'accord de la Haute Assemblée.
Il s'agit, tout d'abord, de la résorption de l'emploi précaire, que le titre
III et les crédits importants qu'il prévoit vont permettre, à la fois par la
création et la transformation de postes. Le nombre excessif d'emplois
précaires, notamment dans les musées et à la Bibliothèque nationale de France,
avait eu de graves conséquences sur le fonctionnement de ces institutions,
comme nous l'avions constaté l'année dernière. Il était donc essentiel, en
termes à la fois de progrès social et d'efficacité dans l'accueil du public,
que cette politique soit enfin dotée des moyens qu'elle méritait. C'est le cas
dans le budget de cette année, ce qui explique la hausse des dépenses du titre
III.
Par ailleurs, les subventions de fonctionnement aux établissements publics,
figurant au titre IV, progressent de 2,1 % si l'on enlève de l'augmentation les
crédits nécessaires à la résorption des emplois précaires. Un effort
significatif est consenti en faveur du spectacle vivant - plus 4,3 % - et de la
création artistique, avec une augmentation de 5 % en faveur du Centre national
des arts plastiques, ce qui est symbolique et important tout à la fois.
Une inquiétude se fait jour néanmoins pour l'avenir, avec la montée en
puissance du coût des grandes institutions. Je ne citerai à cet égard que le
seul exemple de la Bibliothèque nationale de France, que j'ai particulièrement
développé dans mon rapport écrit, à la suite de la visite effectuée dans cette
institution par la commission des affaires culturelles et de la longue et
fructueuse discussion que les membres de cette dernière ont eue avec le
président et la direction.
La subvention versée par le ministère de la culture à la Bibliothèque
nationale de France s'élève à 620 millions de francs, en progression de 3 %,
somme à laquelle il convient d'ajouter 300 millions de francs qui, destinés aux
dépenses de personnel, sont imputés sur votre budget et sur celui de
l'éducation nationale ; le total s'élève donc à 920 millions de francs, sans
compter l'investissement ; c'est évidemment une somme tout à fait considérable
qui, année après année, va peser sur l'évolution du ministère.
En ce qui concerne le titre IV, les crédits d'intervention sont importants,
car ils reflètent les orientations de votre politique culturelle. Ils
progressent de 2,58 %. Un certain nombre de mesures nouvelles permettent
d'apprécier les priorités que vous avez données à votre budget et qui ont
recueilli l'assentiment de la commission des affaires culturelles : le
spectacle vivant, un plan social pour les bourses accordées aux élèves des
écoles d'architecture, la diffusion du patrimoine à travers la gratuité, et les
enseignements artistiques.
Les dépenses en capital, en revanche, reflètent un double mouvement.
Tout d'abord, leur progression est quasiment inexistante, compte tenu de leur
stagnation d'une année sur l'autre, bien qu'il faille opérer une distinction
entre les autorisations de programme et les crédits de paiement. Globalement,
ces crédits n'augmentent pas, mais, comme je l'ai expliqué, c'est au profit des
dépenses ordinaires, ce qui, en soi, n'est pas critiquable.
Par ailleurs, une évolution plus positive, du moins pour la majorité de notre
assemblée, concerne la poursuite du rééquilibrage en faveur de la province.
Très schématiquement, 51 % des crédits sont destinés à Paris et 49 % à la
province. Cela signifie qu'un certain nombre de grands équipements de province
pourront être aidés. L'arrêt des grands travaux parisiens a facilité cette
évolution. Elle permettra néanmoins de financer les équipements culturels en
province et d'augmenter les subventions aux monuments historiques n'appartenant
pas à l'Etat. L'augmentation de plus de 25 % est tout à fait appréciable.
La finalité de votre projet de budget, madame la ministre, est la
démocratisation de la culture. Ce souhait a rencontré, depuis quelques années,
l'assentiment de la Haute Assemblée.
Les décisions prises à travers ce projet de budget permettent tout d'abord de
renforcer l'accès de tous à la culture, qui, depuis Malraux, est le critère, la
pierre de touche de ce budget : « Rendre accessibles les oeuvres capitales de
l'humanité, et d'abord de la France, au plus grand nombre possible de Français
», disait-il.
Jusqu'à présent, le spectacle vivant était privilégié. Pour 2000, trois autres
domaines font l'objet d'un effort soutenu, mais à certains égards insuffisant :
le patrimoine, les musées et les enseignements artistiques.
L'élargissement de l'accès au patrimoine est évidemment l'un des axes d'une
politique de démocratisation.
Le succès des journées du patrimoine a montré combien nos concitoyens étaient
attachés à la visite du patrimoine de leur ville, de leur province, de leur
pays. Ce projet de budget prévoit l'extension de la gratuité d'accès aux
monuments gérés par la Caisse nationale des monuments historiques, dont le coût
- c'est assez rare pour être souligné - sera compensé intégralement. L'Etat
n'essaie pas de faire de la trésorerie sur le coût de ses institutions, ce qui
est méritoire. Une somme de 15 millions de francs a été affectée à cette
opération tout à fait intéressante.
En revanche, l'effort de conservation du patrimoine semble se relâcher. Si,
comme je l'ai indiqué à l'instant, les dotations pour le patrimoine historique
n'appartenant pas à l'Etat augmentent dans des proportions tout à fait
substantielles - 24,9 % - une faiblesse importante se fait cependant jour dans
ce projet de budget, avec l'insuffisance criante des crédits affectés au
patrimoine rural non protégé.
La France possède un patrimoine tout à fait exceptionnel que nos concitoyens
aiment visiter et à la remise en valeur duquel les communes et les départements
consacrent, année après année, des crédits croissants. Malheureusement, la
somme prévue au projet de budget pour 2000 n'est que de 34,5 milliards de
francs, soit, en moyenne, 1,5 million de francs par région. Ce n'est pas même
le coût de la rénovation d'une église ! Il serait par conséquent essentiel,
madame la ministre, que, année après année - on ne peut bien évidemment pas
rattraper le retard sur un seul exercice - les crédits affectés au patrimoine
rural non protégé puissent être soutenus par l'Etat comme ils le sont par les
départements et par les régions.
J'en viens au deuxième axe en matière de démocratisation, à savoir le
renforcement de la diffusion culturelle qu'assurent les musées ; la
fréquentation de ces derniers a augmenté considérablement, progressant, de 1997
à 1998, de 7,1 % dans les musées nationaux, de 11 % au musée d'Orsay et de 10,7
% au Louvre.
En 1998, les entrées gratuites dans les musées nationaux ont représenté un peu
plus de quatre millions de visiteurs supplémentaires. C'est essentiel.
De même, madame la ministre, vous avez prévu un rééquilibrage important des
crédits en faveur des musées de province, ce dont il convient de se féliciter.
Les collectivités locales font, là encore, un effort qui méritait d'être
soutenu.
C'est d'autant plus important que nous connaissons les limites financières et
juridiques de la politique d'enrichissement des collections. Compte tenu du
marché de l'art aujourd'hui, ce n'est pas le budget de l'Etat qui permettra de
mener une politique d'acquisition ambitieuse. Peut-être faudra-t-il - mais ce
sera sans doute l'objet d'un prochain rapport - étudier d'autres manières de
financer les acquisitions dans les musées français.
Le troisième et dernier axe essentiel en matière de démocratisation est le
développement des enseignements artistiques : ce budget prévoit une progression
globale de 6,7 % des crédits qui y sont affectés, avec des opérations tout à
fait intéressantes telles que le programme de musique à l'école ou le programme
de généralisation des ateliers d'expression artistique dans les lycées.
La commission des affaires culturelles a estimé que, malgré les retards
accumulés depuis de nombreuses années et les insuffisances, un effort tout à
fait soutenu existait sur les trois axes que constituent l'élargissement de
l'accès au patrimoine, le renforcement du rôle de diffusion culturelle des
musées et le développement des enseignements artistiques.
C'est donc en raison tant de l'évolution globale du budget de la culture que
des axes que je viens de détailler en matière de démocratisation que la
commission des affaires culturelles a émis un avis favorable quant à l'adoption
des crédits de la culture pour 2000.
(Applaudissements sur les travées des
Républicains et Indépendants et du RPR, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Vidal, rapporteur pour avis.
M. Marcel Vidal,
rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles, pour le cinéma
et le théâtre dramatique.
Madame la ministre, monsieur le président, mes
chers collègues, avant d'aborder l'analyse comptable des crédits du cinéma,
j'évoquerai en quelques mots la situation économique de ce secteur, situation
qu'il faut qualifier de contrastée. En effet, en dépit de certaines évolutions
très positives, des signes de faiblesse demeurent.
Avec 170 millions d'entrées en 1998, soit 14 % de plus que l'année précédente,
le redressement de la fréquentation est confirmé. Les salles multiplexes ont
joué un rôle déterminant dans cette évolution ; elles représentent 12 %
seulement de l'offre cinématographique, mais 22 % de la fréquentation. On a
assisté, cette année, à une intensification du développement de ce nouveau type
de salles. Faut-il s'inquiéter de ce phénomène ? Les conclusions du rapport que
vous avez confié au conseiller d'Etat M. Francis Delon seront sans doute
éclairantes, madame la ministre. Après les appréciations que j'ai pu recueillir
à l'occasion des auditions auxquelles j'ai procédé à l'occasion de la
préparation de mon rapport, il m'apparaît désormais que les salles multiplexes
sont devenues un « mal nécessaire ».
Cependant, il apparaît également - et cela rejoint ma conviction - que la
transposition des règles de l'urbanisme commercial à l'exploitation
cinématographique constitue une solution peu adaptée.
Des améliorations devront sans doute être apportées au dispositif adopté en
1996. En dépit de la circulaire que vous avez adressée aux préfets, madame la
ministre, les préoccupations d'aménagement du territoire sont insuffisamment
prises en compte par les commissions départementales d'équipement
cinématographique, les CDEC. Ne pourrait-on pas envisager de délivrer les
autorisations sous réserve, pour les exploitants, de respecter un cahier des
charges ? Il me semblerait souhaitable d'envisager de substituer aux
commissions départementales des commissions au niveau régional. Enfin, pour
mieux tenir compte de la spécificité de ces équipements, il serait, à mon avis,
opportun de renforcer en leur sein la représentation des professionnels du
cinéma, mais aussi des services déconcentrés du ministère de la culture. En
tout état de cause, compte tenu du rythme de dépôt des dossiers en CDEC, les
modifications législatives doivent intervenir très rapidement.
La production cinématographique, quant à elle, enregistre des évolutions
encourageantes, avec 183 films produits en 1998 ; de tels chiffres n'avaient
pas été atteints depuis 1980.
Je noterai également l'important renouvellement de la création nationale, qui
constitue une assurance de sa diversité.
Toutefois, le recul des parts de marché du cinéma français jette une ombre sur
le dynamisme de la production nationale : 24 % en 1998, contre 34 % en 1997. Ce
chiffre ne peut pas laisser indifférent. C'est en effet l'efficacité même du
soutien public qui risque d'être mise en cause si cette évolution se
poursuit.
Les aides versées à l'industrie cinématographique ont pour objet de garantir
le pluralisme de la création, mais aussi l'existence d'une production
dynamique.
Ces deux objectifs sont, en pratique, étroitement liés. En effet, faute
d'oeuvres nationales appréciées du public, il y a fort à craindre que les
quotas et les obligations de financement imposés aux chaînes de télévision
soient, à terme, remis en cause.
L'analyse des causes du recul du cinéma français est engagée. Elle ne manquera
pas de susciter des polémiques, mais elle apparaît nécessaire, alors que le
Gouvernement s'est engagé dans la défense de la diversité culturelle.
Si nous avons réussi à faire admettre à nos partenaires de l'Union européenne,
dans le cadre de la préparation de la conférence de Seattle, le maintien du
principe de l'exception culturelle, nous devrons rester vigilants dans les
années à venir.
Nous devrons notamment être vigilants à l'égard des Etats-Unis, car, en dépit
d'une absence d'accord lors de la conférence de Seattle, des négociations
commerciales multilatérales reprendront, et alors les Américains n'hésiteront
pas à contourner les positions européennes, notamment sur la question du
commerce électronique.
Le devoir de vigilance s'imposera également à l'égard des Etats européens, que
nous devons continuer à convaincre du bien-fondé d'une intervention publique en
faveur de l'industrie audiovisuelle et, plus largement, de la création.
Les termes du mandat donné à la Commission par le Conseil le 26 octobre
dernier constituent un acquis incontestable. Cependant, il faut, je crois,
aller plus loin.
A cet égard, les débats auxquels donneront lieu l'élaboration du plan Média
III ou la révision de la directive Télévision sans frontière seront autant
d'occasions pour faire prévaloir notre conception de la diversité
culturelle.
J'en viens maintenant aux données comptables.
Le budget du cinéma s'établit, en 2000, à 1 686,2 millions de francs, en
augmentation de 2,7 % par rapport à 1999.
Cette progression provient essentiellement de l'augmentation de 4,1 % des
crédits de la section « cinéma » du compte de soutien - 1 400 millions de
francs - tandis que les dotations budgétaires du ministère de la culture -
287,1 millions de francs - enregistrent, pour leur part, une très légère
diminution.
L'augmentation des crédits de la section « cinéma » du compte de soutien
permet de renforcer l'aide automatique au secteur de la distribution, notamment
aux entreprises indépendantes.
L'objectif est d'assurer une meilleure diffusion des films français. Cet
effort financier devra, pour porter ses fruits, être accompagné de mesures
complémentaires destinées à limiter les effets de la concentration qui affecte
ce secteur.
En ce qui concerne les crédits du CNC, le Centre national de la
cinématographie, les crédits d'intervention augmentent de 4,8 %, pour s'établir
à 219 millions de francs.
Les interventions financées sur ces crédits sont essentielles. Je rappelle
qu'elles constituent le coeur de la politique de soutien au cinéma conduite par
le ministère, dans la mesure où les crédits du compte de soutien s'apparentent
à un mécanisme de redistribution des résultats financiers dégagés par ce
secteur.
Elles passent par le soutien accordé par le CNC aux associations. J'évoquerai
ainsi la contribution de l'association française du festival international du
film au rayonnement international du cinéma français, ou encore, dans un autre
domaine, l'aide apportée par l'association pour le développement régional du
cinéma à l'équipement cinématographique des villes moyennes et des
bourgs-centres.
Les crédits consacrés aux actions conduites en partenariat avec les
collectivités locales apparaissent indispensables pour renforcer l'action
culturelle, notamment à l'égard des jeunes, mais aussi pour accroître le
soutien à l'industrie du cinéma et accroître son implantation en région.
Je ne puis qu'inciter le Gouvernement à intensifier sa politique en ce
domaine.
Les collectivités locales accordent au cinéma une place croissante dans leur
politique culturelle et sont très attentives aux évolutions qui affectent ce
secteur, comme en témoigne, par exemple, l'activité de l'association Ville et
cinéma, dont notre ancien collègue, Jacques Carat, alors sénateur-maire de
Cachan, a été l'un des piliers.
Des modifications législatives sont sans doute à envisager pour lever les
contraintes juridiques qui limitent les initiatives locales. Cependant, toutes
les régions ne fournissent pas encore un effort comparable et un engagement
plus net de l'Etat permettrait sans doute de créer un effet d'entraînement.
En ce qui concerne les crédits d'investissement, nous nous félicitons de la
réalisation - longtemps repoussée - du projet de Maison du cinéma : 102
millions de francs d'autorisations de programme sont inscrits à ce titre dans
le projet de budget. Permettez-moi de vous interroger sur le coût de
fonctionnement estimé de cette nouvelle institution et sur son statut
juridique.
J'en viens maintenant aux crédits du théâtre.
En 2000, l'augmentation de 4,33 % des crédits consacrés au spectacle vivant
profitera, pour une part, à la politique du théâtre et permettra de poursuivre
la nécessaire remise à niveau des aides de l'Etat aux structures théâtrales qui
avait été engagée en 1999. L'ensemble des structures du théâtre public
devraient en bénéficier.
Les subventions de fonctionnement versées aux théâtres nationaux progressent
de 6,4 % afin, notamment, de compenser la perte de recettes qui résulte de
l'instauration d'un tarif unique le jeudi.
Le réseau de la décentralisation dramatique voit ses moyens renforcés. En ce
domaine, l'effort budgétaire s'accompagne d'une volonté de clarifier les
modalités d'intervention de l'Etat afin de tirer les conséquences de la
déconcentration. L'objectif est louable, mais il y a incontestablement des
progrès à accomplir.
Les dépenses d'investissement consacrées au théâtre passent, en 2000, de 153
millions de francs à 193 millions de francs. Cette progression, conjuguée à
l'achèvement du centre de costumes de scène à Moulins, permet de conforter la
politique d'équipement conduite par les collectivités territoriales. Ce
rééquilibrage territorial me paraît être le gage d'une politique bien comprise
de démocratisation des pratiques culturelles.
Cependant, la progression des crédits du théâtre ne lève pas toutes les
incertitudes qui pèsent sur l'équilibre financier des structures théâtrales,
notamment celles qui sont liées à l'application du nouveau statut fiscal des
associations.
En dépit des assouplissements bienvenus apportés par le projet de loi de
finances, un alourdissement des charges pesant sur les associations théâtrales
qui, pour l'essentiel, seront considérées comme des associations à but
lucratif, n'est pas à exclure. Les conséquences de ces nouvelles règles sont
encore mal appréciées, essentiellement faute d'une connaissance statistique de
la « géographie » de ce secteur.
Il serait sans doute utile, à terme, de remédier à cette lacune, dans le souci
d'assurer un meilleur suivi des dépenses déconcentrées.
En conclusion, je soulignerai que la progression des dépenses prévue par le
projet de budget s'accompagne incontestablement de la volonté d'accroître
l'efficacité du soutien public au cinéma et au théâtre dramatique. Compte tenu
de ce constat, les membres de la commission des affaires culturelles ont décidé
de donner un avis favorable à l'adoption des crédits du cinéma et du théâtre
dramatique.
(Applaudissements.)
M. Raymond Courrière.
Très bien !
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 30 minutes ;
Groupe socialiste, 26 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 15 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 15 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 13 minutes.
La parole est à M. Ralite.
M. Jack Ralite.
Voici le troisième budget que vous nous présentez, madame la ministre, et
notre rôle essentiel est d'en analyser les aspects quantitatif et qualitatif.
Je vais donc le faire à partir du document budgétaire et de mon expérience de
la vie culturelle.
D'emblée, les circonstances me dictent cependant de parler surtout de la
culture et de l'Organisation mondiale du commerce, l'OMC, au travers de la
réunion de Seattle, où j'étais - vous aussi, madame la ministre, et je le
souligne pour vous en féliciter : vous étiez le seul ministre de la culture
présent parmi les 135 pays participants, et vous n'y étiez pas en
spectatrice.
Je dirai, tout d'abord, quelques mots sur votre budget.
Il progresse plus, par rapport à l'an passé, que la majorité des autres
budgets ; il commence à régler la question si vive des personnels de votre
administration, encore jeune et confrontée à la précarisation ; il équilibre
Paris et la province ; il continue concrètement de travailler à la rencontre de
la culture avec le plus grand nombre - l'expérience du théâtre du peuple de
Bussang est une source de pensée pour ce faire - et il ne néglige pas la grande
tâche de l'Etat, qui consiste à faire toujours mieux pour soutenir l'audace de
la création dans son pluralisme, ce qui implique, premièrement, aide à la
production - je crois qu'il faut faire plus, notamment pour ce qui naît -
deuxièmement, maîtrise de la diffusion - il faut imaginer plus, sinon,
l'homogénéisation des programmes avance inexorablement et l'Europe, pour faire
un saut de frontière, continuera à cohabiter plus qu'à échanger - et,
troisièmement, travail dans le monde - il faut consacrer plus vers le Sud, vers
l'Est, sans oublier les Etats-Unis, le pays le plus ultralibéralement
autoprotégé.
Je veux aussi me questionner tout haut.
Qu'en est-il de l'intermittence ? Il avait été question que l'Etat favorise la
reprise des négociations à ce propos. Pouvez-vous nous dire où en est le
dossier ?
Qu'en est-il des établissements publics culturels ? Le projet dont mon
collègue M. Ivan Renar est le promoteur a obtenu votre aval. Pourtant, cela ne
débouche pas.
Qu'en est-il de la régulation des multiplexes, qui prolifèrent grâce à des
décisions commerçantes et tièdes où le cinéma nouveau a, dans le meilleur des
cas, une niche bloquant son saisissement ?
Qu'en est-il de la librairie théâtrale de la rue Bonaparte, où un privé met en
cause sa pérennité de foyer d'histoire et de culture théâtrale ? Nous faisons
actuellement la quête, mais c'est insuffisant.
Qu'en est-il de la grande salle de musique jumelée à la cité du même nom à
Paris ?
Qu'en est-il des contrats de plan Etat-région ? Vous avez apporté, avec le
Gouvernement, 2,539 milliards de francs, soit un milliard de plus que dans le
budget précédent. Quelles indications avez-vous données ?
Qu'en est-il de l'enseignement artistique à l'école ? Un pas est fait dans ce
budget avec une complicité nouvelle de l'éducation nationale. Mais le «
lire-écrire-compter » de l'école du xixe siècle n'est pas encore enrichi au
niveau souhaitable. Tous les enfants, à égalité de dignité, doivent pouvoir
rencontrer les artistes. Et, si je parle cinéma, le nouveau «
lire-écrire-compter » doit surtout éveiller les regards.
Qu'en est-il des droits de la propriété intellectuelle des artistes
interprètes de la musique et de la danse ? Lundi 13 décembre, un colloque de la
société de perception et de distribution des droits des artistes-interprètes de
la musique et de la danse, la SPEDIDAM, va combattre l'offensive contre le
droit à rémunération équitable par l'industrie du disque, qui, sur le plan
européen, réclame le libéralisme sans rivage.
Qu'en est-il, enfin, de cette convention collective de l'audiovisuel, voulue
par le ministère du travail et qui, si elle a pour but de protéger les nouveaux
arrivants, notamment dans les petites chaînes câblées, met en cause les acquis
des techniciens intermittents de la fiction audiovisuelle ?
Je ne souhaite pas aller au-delà de ce questionnement responsable et d'avenir
que je sais recevable par vous, madame la ministre, vous qui connaissez le
terrain et êtes acharnée, quand une idée vous prend la main, à la faire
aboutir.
Précisément, j'en arrive à l'OMC, qui, à Seattle, n'a pas connu un échec,
comme il est trop souvent dit, mais s'est trouvée confrontée à une obligation
de conversion. Sans doute, parmi les négociateurs officiels, y avait-il
suffisamment de contradictions lourdes, notamment la contradiction Nord-Sud,
pour que la ville américaine de Boeing et de Microsoft ne soit pas l'Eden d'un
enlacement du monde par les seuls grands intérêts financiers. Mais,
précisément, il y avait, pour la première fois dans l'histoire moderne, un
négociateur extérieur qui réclamait autre chose, autrement, et respectueux de
l'autre.
J'ai vécu Seattle avec plusieurs collègues de toutes sensibilités de notre
assemblée, qu'avait invités si justement le Gouvernement.
La mondialisation incontournable a commencé à conquérir là sa dimension
populaire. Au passage du siècle s'est produit un hiatus constructif dans
l'histoire. La rue a dit à l'enceinte : « Vous ne pouvez rien de bien sans
nous. » Après Seattle, rien n'est plus tout à fait comme avant, à condition de
continuer d'être des « je » actifs, soucieux du pluriel.
C'est dans ces conditions que vous êtes venue avec ces deux expressions
jumelées qui vous sont chères : « diversité culturelle, c'est l'objectif ;
exception culturelle, c'est le moyen. »
Vous nous l'avez répété à nous, parlementaires, vous l'avez redit au conseil
général de l'OMC, vous l'avez expliqué dans une conférence de presse fort
suivie internationalement.
Il était convenu que la culture était hors débat, mais plusieurs délégations,
par souci respectable mais dangereux, voulaient une mention relative à la
culture. Eh bien ! votre rigueur et l'accompagnement courageusement calme de
François Huwart ont tenu l'engagement : la culture est restée hors ce débat
avorté du
round
du Millénaire.
Satisfaction, assurément, et, pourtant, chacun le sait, cela ne fait pas le
compte. Nous l'avons confirmé hier, mais ce souvenir de l'avenir implique de
construire demain ; et des initiatives sont à prendre par la France, qui a de
l'influence à condition qu'elle s'en serve.
Je pense que l'Europe balbutie encore sur la culture. Elle est en deçà d'un
SMIC face aux défis.
Pour me limiter au programme « Média », même qualifié « Média plus », c'est un
perpétuel « Média moins ». Un tournant radical est à prendre, que l'Agenda 2000
n'autorise pas.
Dans six mois, la France va présider l'Europe. Je sais que vous vous y
préparez. Je vous propose de le faire avec d'autres : organisez, madame la
ministre, un colloque sur le thème : « Voilà ce que propose la France pour la
culture en Europe », et faites-le dès ce printemps 2000.
L'Europe, culturellement, n'a qu'un budget de 0,05 %. Face à cela, osez,
entourée de beaucoup de complicités dynamiques, appuyer la revendication de 1 %
du PIB. La culture pluraliste et créative en Europe, n'ignorant pas les
nouvelles technologies, n'aura de réponse valable qu'une fois ce seuil
atteint.
Les Américains, à la fin des guerres de 1914 et de 1945, ont délibéré
gouvernementalement, par exemple, sur le cinéma. L'Europe doit cesser d'être
traînante, ruminante, inaboutie, insignifiante, à l'arrêt, dans le domaine de
l'esprit et de la création. Elle doit agir sans oublier - les accords de Lomé
devraient y contribuer - le Sud.
Mais il n'y a pas que l'Europe, il y a le monde et, au moment de Seattle, du
Pacifique nous est parvenu de Mme Tjibaou et de M. Paul Vergès l'appel de
Nouméa qui dit au monde que l'Océanie plurielle ne veut pas mourir.
Ensemble sauvons, mieux, déplissons notre pluralité, notre mêlée.
Je vous prie, madame la ministre, d'être mon « passeur » auprès de M. Lionel
Jospin de ce que j'ai évoqué ici même le 23 novembre : il y a eu un « Rio de
l'environnement ».
Eh bien je rêve d'un « Paris de la culture et des arts » qui serait un
élancement, s'il se tenait fin 2000 début 2001, sans modèle, mais avec un coeur
capable d'accueillir toutes les tendresses. La France serait à la hauteur de
son histoire et de son possible avenir, qui a pour partenaire d'abord les
femmes et les hommes et, parmi eux, les artistes, ensuite les dernières
technologies. Il y a beaucoup à réfléchir sur leur rôle dans le nouage entre la
création et les êtres du quotidien.
Des artistes déjà loin de notre aujourd'hui, je pense à Valéry et à Péguy, des
essayistes aussi loin, je pense à Walter Benjamin, ont lancé des pistes. A nous
de continuer ce travail de skieurs au fond du puits.
Vous avez d'ailleurs des atouts. Je vous ai vu animer, après l'avoir
construite, la rencontre à l'UNESCO de cinquante-huit ministres de la culture
qui ont ratifié la diversité culturelle. Il faut maintenant que l'UNESCO fasse
un plan de travail traitant de l'alphabet des questions culturelles qui, un
jour, auront à être articulées avec l'OMC.
Madame la ministre, votre ministère a quarante ans. Des livres d'essayistes
sont publiés à ce propos : le
Cinquième Pouvoir
de Claude Mollard ou
le Gouvernement de la culture
de Maryvonne de Saint-Pulgent ; des livres
de Clio aussi,
la Politique culturelle, genèse d'une catégorie
d'interventions publiques
de l'historien-sociologue Vincent Dubois ; une
Bibliographie de l'histoire des politiques culturelles
de Philippe
Poirier.
C'est tout ce matériau qui permet d'avoir - je cite Gracq - « une référence
décrochée de la durée qui projette vers l'avant et amalgame au présent les
images du passé, au lieu de tirer l'esprit en arrière ».
Vous savez bien que se confrontent aujourd'hui la pensée d'Antonin Artaud,
protestant contre « l'idée séparée que l'on se fait de la culture, comme s'il y
avait la culture d'un côté et la vie de l'autre » et celle de Flaubert appelant
« à cultiver le bourgeois » plutôt qu'à faire du peuple l'ambition des
entreprises de prosélytisme culturel.
Ne sommes-nous pas dans une période où tout, de la rue de Seattle à Internet,
et sans mythification, travaille à un élan de reconstruction du sujet ? C'est
Vito Acconci qui s'interroge : « Pourquoi le musée n'a pas de fenêtre ? » ;
c'est Patrick Cahuzac qui crée aux « Métafort d'Aubervilliers » une revue
littéraire sur Internet « Inventaires-inventions », qui se donne pour but
d'être « un lien de recensement et de création, un lien de questionnement où
l'écriture, loin d'être fermée sur elle-même, apparaîtra comme une voie d'accès
au corps de notre monde ». Tout cela nous concerne beaucoup.
A l'inverse, beaucoup trop de spécialistes doublés de comptables de la culture
voudraient nous enfermer dans des célébrations, ces friponneries idéales où
viennent se costumer les « identités vacantes ». Allons, nous ne sommes pas des
touristes sillonnant en car un site protégé ! Nous sommes avec ces artistes qui
ont nom Vertov, Bunuel, Germaine Dulac, Fernand Léger, Stan Brakghage, Jean-Luc
Godard, Orson Welles, Mikaël Snow, Paul Sharits, Chantal Ackerman, Jonas Mekas,
Guy Debord, Jean Eustache, Ingmar Bergman, Vito Acconci, Jacques Tati,
Marguerite Duras, Chris Marker, Robert Bresson, Johan Van der Keuken,
Eija-Lïïsa Ahtila ou encore Sadie Benning. J'emprunte cette liste que je fais
mienne à un livre « roboratif » de Jean-Charles Masséra,
Amour, gloire et
CAC 40.
Ces artistes ont, à un moment donné, abandonné les figures imposées
- héritées - pour se tourner vers la constitution de sujets en phase avec
l'histoire en cours.
Madame la ministre, je ferai tenir à la présidence du Sénat mon souhait que se
constitue un intergroupe parlementaire associant le Sénat et l'Assemblée
nationale ainsi que l'assemblée européenne sur l'OMC, mais vous pouvez vous
préfigurer tout cela dans le domaine dont vous avez la responsabilité.
L'exception culturelle, outil de diversité culturelle, que d'aucuns
identifient avec archaïsme, protection Maginot, et que j'approche moi - mais je
pense que nous nous rejoignons - comme la naissance conquise de la directive
Télé sans frontière à Seattle, en passant par le GATT, l'AMI, NTM et
l'anticonvergence de Birmingham, comme la naissance conquise d'un nouvel espace
public de dimension internationale où la liberté de penser n'est pas limitée
par la liberté du commerce.
Le concept d'agriculture multifonctionnelle va dans le même sens, comme la
construction d'un espace sportif libéré de la tutelle autoritaire de l'argent,
comme la revendication de l'intégrité du vivant.
Sans doute tout cela doit encore progresser et ne pas être remis en cause par
la discussion des services, laquelle continue dans la foulée des accords de
Marrakech. Attention au commerce électronique, qui peut servir de contournement
!
Fellini disait : « La révolte est toujours féconde. Seule la révolte porte en
elle la nécessité organique de l'expression. Au contraire, l'approbation amène
l'indifférence. On s'endort. »
A Seattle, artistes et citoyens étaient éveillés, et je sais, madame le
ministre, que vous ne dormez pas.
(Mme le ministre sourit. - Applaudissements sur les travées du groupe
communiste républicain et citoyen et sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Joly.
M. Bernard Joly.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, après avoir
salué le talent oratoire de l'orateur précédent, je n'aurai pas l'outrecuidance
de paraphraser les propos de nos excellents rapporteurs, qui viennent de nous
présenter les crédits du ministère de la culture.
Aussi, dans un premier temps, je centrerai mon intervention sur les
difficultés du développement culturel dans un département rural, bien loin de
Seattle, bien sûr.
(Mme le ministre sourit.)
La lecture publique y accuse un retard important, si l'on compare sa
situation à la moyenne nationale. Le nombre d'usagers des bibliothèques s'élève
en effet à 11,3 % de la population des communes desservies par la BDP, contre
17,1 % sur le plan national.
Certes, l'impact modeste de la BDP peut s'expliquer par l'existence d'un
réseau associatif parallèle. Mais la véritable raison est l'insuffisante
structuration du réseau rural, qui comprend très peu de vraies bibliothèques.
On ne propose à la population que des micro-services médiocrement pourvus, peu
ouverts et disposant rarement d'un personnel qualifié.
Seule une solide politique d'aide aux communes pourrait apporter l'impulsion
nécessaire à la lecture publique en zone rurale. Les municipalités doivent
disposer de réels équipements, attractifs, largement ouverts, et offrir au
public l'usage des nouvelles technologies de l'information et de la
communication.
Or les communes désireuses d'aménager une bibliothèque sont peu soutenues.
Ainsi, en 1998, le conseil général a investi 2,90 francs par habitant dans la
lecture, ce qui est relativement peu.
La situation en milieu rural est également préoccupante en matière de
développement culturel : plusieurs musées n'offrent pas les conditions
satisfaisantes d'accueil pour le public ni pour la conservation des
collections.
C'est le cas d'un écomusée qui présente d'importantes collections d'objets de
la région ayant trait à l'ensemble de la vie rurale et, notamment, à la
distillation des eaux-de-vie de fruits. Malheureusement, depuis quelques
années, ce musée, installé dans une ancienne distillerie, subit une stagnation
de sa fréquentation, principalement en raison du manque de confort et de
modernité des infrastructures.
On peut également citer un musée qui présente des collections d'archéologie,
de dentelles et des oeuvres de Jules Adler. Depuis le départ du conservateur,
en 1988, les collections sont présentées et conservées de manière
déplorable.
Quant à un musée consacré à l'exaltation du terroir et présentant les modes de
vie dans les villages, il est une mémoire collective vivante. Or, une visite de
la direction régionale des affaires culturelles et de l'inspection générale des
musées, en 1993, a mis en exergue des problèmes de sécurité, de conservation
des objets et des lacunes dans les inventaires et la documentation.
Les départements ruraux possèdent un potentiel et des atouts touristiques
indéniables du fait de leur patrimoine archéologique, historique et rural
particulièrement abondant. Il est de notre devoir de le sauvegarder, de le
promouvoir et de le transmettre.
Je souhaiterais, enfin, signaler le problème de la diffusion du spectacle
vivant, qui se trouve handicapée par l'obsolescence des lieux d'acccueil et par
l'absence d'équipes professionnelles. Je pense notamment à un théâtre, classé
monument historique, mais qui est actuellement fermé pour des raisons de
sécurité.
Néanmoins, dans ce domaine, les départements ruraux font preuve d'initiatives
intéressantes qui participent largement à la richesse de notre patrimoine.
J'ai en mémoire un théâtre dont la programmation est particulièrement
innovante, une compagnie nationale d'art lyrique reconnue au niveau national,
ou encore le festival des cinémas d'Asie, dont la qualité professionnelle est
appréciée de la profession.
Ces différentes initiatives ne peuvent pas, à elles seules, promouvoir le
développement culturel en milieu rural. Depuis bien longtemps, la
décentralisation culturelle est effective. Toutefois, je voulais vous
convaincre que l'aide de l'Etat reste un des paramètres incontournables.
Pourquoi ne pourrait-elle pas prendre la forme de conventions entre l'Etat et
les départements ?
Permettez-moi maintenant, à l'occasion de l'examen de ce budget pour l'an
2000, de faire état de mes vives préoccupations en ce qui concerne la politique
de l'architecture. Celles-ci se focalisent sur trois sujets : le premier
concerne la mise en oeuvre de la loi de 1997 relative au recours contre les
décisions des architectes des Bâtiments de France, les ABF ; la deuxième est
relative aux ZPPAUP, les zones de protection du patrimoine architectural urbain
et paysager, et la dernière à la situation des conseils d'architecture,
d'urbanisme et de l'environnement.
Madame la ministre, je souhaiterais connaître les raisons pour lesquelles il a
fallu deux ans au Gouvernement auquel vous appartenez pour publier les décrets
relatifs à l'application de la loi n° 99-78 du 5 février 1999 concernant la
commission régionale du patrimoine et des sites et l'instruction de certaines
autorisations de travaux.
Adoptée sur l'initiative du Parlement, cette loi est d'une importance capitale
pour les élus, auxquels elle permet de demander l'appel des décisions et des
avis émis par les architectes des Bâtiments de France. Vous noterez, au
passage, que nous sommes tous convaincus de l'importance du rôle des
architectes des Bâtiments de France, mais il était plus qu'urgent d'ouvrir aux
communes une voie de recours contre leurs décisions.
A ce propos, je vous rappelle que les services départementaux de
l'architecture et du patrimoine se sont engagés depuis trois semaines dans un
mouvement de revendication lié à la faiblesse de leurs moyens de fonctionnement
et aux difficultés qu'ils rencontrent dans l'accomplissement quotidien de leurs
missions. Ce mouvement a pris la forme d'un renvoi des dossiers de permis de
construire et de permis de démolir au ministère ; aujourd'hui la moitié des
services suivent cette action.
Une telle pratique pénalise fortement les pétitionnaires privés ou publics et
risque, à court terme, de leur poser d'importants problèmes liés à
l'allongement des délais d'instruction.
Que comptez-vous faire, madame la ministre, pour permettre à ces services un
fonctionnement décent et pour ne pas pénaliser les autorisations d'urbanisme à
un moment de reprise économique ? Les architectes des Bâtiments de France sont
des hommes et des femmes responsables. Il ne s'agit en aucun cas d'un mouvement
d'humeur.
Pourquoi, madame la ministre, n'avez-vous pas prévu d'accroître le nombre des
représentants des collectivités locales dans les commissions régionales du
patrimoine et des sites chargées de proposer une décision au préfet saisi de
l'appel d'un avis de l'architecte des Bâtiments de France ?
J'observe que ces commissions, qui se substituent aux commissions régionales
du patrimoine historique, archéologique et ethnologique, les COREPHAE, ont
néanmoins une composition très voisine de celle de leurs devancières. Que
n'avez-vous, madame la ministre, saisi l'occasion qui vous était offerte de
renforcer le nombre des élus locaux dans ces commissions !
J'en viens à la question des ZPPAUP. Celles-ci sont destinées à définir des
périmètres de protection de façon souple et adaptée. La création de ces zones
est, de l'avis unanime, préférable à l'application de la loi sur le périmètre
de visibilité applicable aux abords des édifices classés.
Le Gouvernement auquel vous appartenez s'emploie à introduire de la
durabilité, si je puis reprendre à mon compte ce néologisme, dans tous les
aspects de l'action publique. Hélas ! que ne consacrez-vous plus de crédits à
la réalisation de ZPPAUP !
J'observe que l'accroissement des crédits consacrés à la qualité
architecturale et aux études urbaines, qui passent de près de 17 millions de
francs en 1999 à un peu plus de 20 millions de francs, pour l'ensemble du
territoire, demeure largement insuffisant pour faire face aux besoins ressentis
par les collectivités locales !
Mais ces préoccupations ne sont rien à côté de celles qui sont ressenties par
tous les élus qui apprécient l'action que mènent les conseils d'architecture,
d'urbanisme et de l'environnement, les CAVE.
Depuis trois ans, plusieurs de mes collègues sénateurs et moi-même, de toutes
convictions politiques, intervenons régulièrement pour souligner les problèmes
rencontrés par ces associations dont l'action, en matière d'architecture,
d'urbanisme et de conseil aux collectivités locales, est irremplaçable. Aucune
des questions que nous vous avons soumises, à d'innombrables reprises, n'a
trouvé de réponse.
En matière financière, tout d'abord, je vous ai, madame la ministre, écrit la
lettre que voici
(l'Orateur montre une lettre au ministre),
par laquelle je vous
demandais les mesures que vous entendiez prendre pour le CAUE de mon
département. Elle est restée sans réponse depuis le 26 août dernier ! Ma
préoccupation ne se limite d'ailleurs nullement à ce département.
Ainsi, j'ai vainement cherché, dans le document budgétaire établi par vos
services, le montant de la subvention destinée à la rétribution des vacations
effectuées par les architectes consultants. Ceux-ci délivrent un conseil de
façon gratuite et sont consultés de plus en plus souvent par les personnes ou
les petites communes désireuses d'obtenir une aide en amont de tout permis de
construire ou de toute déclaration de travaux.
J'observe, en outre, que la question de la légalité des conventions conclues
par certaines collectivités locales avec les CAUE, à titre onéreux, est enfin
tranchée depuis huit jours. Il subsistait une divergence d'interprétation de la
notion de gratuité, qui figure dans la loi sur l'architecture de 1977 fixant le
régime applicable aux CAUE.
En la matière, l'Etat semble en contradiction avec lui-même, puisque les
trésoriers-payeurs généraux appliquaient la loi précitée selon leur bon
plaisir.
Une autre question non résolue tient à l'évolution du mode de financement des
CAUE. Ceux-ci attendent la convention type agréée par le ministère des finances
pour signer éventuellement des contrats avec les collectivités locales.
De l'avis général, le montant de la taxe prélevée par les départements reste
insuffisant pour satisfaire les besoins des CAUE. En outre, dans certains
départements, le montant recouvré ne correspond pas au montant liquidé, faute
de procédures de mise en recouvrement efficaces. Toutes ces questions restent,
pour nous, sans réponse.
Or, voilà un an, vos services nous avaient assurés que ces questions seraient
résolues par le vote de la loi relative à l'architecture actuellement en
préparation. Où en est ce texte ? Quand nous sera-t-il soumis ?
Madame la ministre, le transfert de l'architecture au ministère de la culture
avait, voilà quatre ans, suscité de grands espoirs. Aujourd'hui, il nous faut
constater, non sans amertume, qu'aux grandes espérances ont succédé les
ambitions anéanties, les illusions perdues et les promesses non tenues.
M. le président.
La parole est à Mme Pourtaud.
Mme Danièle Pourtaud.
« Un jour viendra où le laboureur pourra être aussi un artiste, sinon pour
exprimer, du moins pour sentir le beau », écrivait George Sand.
Depuis votre arrivée rue de Valois, madame la ministre, vous avez fait de la
démocratisation de l'accès à la culture votre préoccupation majeure. Votre
budget pour 2000 traduit pleinement « votre ambition politique d'une culture
mieux partagée, dans la pluralité de ses expressions, par l'ensemble de nos
concitoyens », selon vos propres termes.
Après quatre ans d'immobilisme et de régression, entre 1993 et 1997, où le
ministère de la culture avait été amputé de 20 % de ses financements, votre
budget, madame la ministre, est en augmentation pour la troisième année
consécutive. Il progresse de 2,1 % par rapport à l'an dernier, soit deux fois
plus que la hausse des dépenses de l'Etat prévue pour l'an 2000. La culture est
bien l'une des priorités de ce gouvernement, qu'il s'agisse de préserver notre
héritage culturel, de soutenir nos créateurs et, surtout, d'élargir le cercle
des publics.
Cela ne date pas d'hier, les pratiques culturelles sont loin d'être
accessibles au plus grand nombre. Depuis plus de vingt-cinq ans, toutes les
analyses du département des études et de la prospective du ministère de la
culture convergent dans le même sens. Elles révèlent que la composition
sociologique du public n'évolue quasiment pas, même si la fréquentation des
lieux culturels est en légère augmentation.
Alors que seulement un Français sur trois est entré au moins une fois dans un
musée en 1997, contre un sur quatre en 1973, le profil des visiteurs reste peu
diversifié. Ainsi, 33 % des ouvriers, 21 % des employés, 25 % des « laboureurs
»
(Sourires),
n'ont jamais visité un musée au cours de leur vie. Quant
au public du théâtre, il est composé à 65 % de cadres supérieurs et
d'étudiants. En fait, il apparaît que ceux qui vont déjà au théâtre et au musée
y sont allés un peu plus dans les dernières années, sans que les publics
s'élargissent vraiment.
Les freins à la démocratisation de la culture sont bien connus. Les grandes
orientations de ce budget y apportent des solutions.
Premier frein : l'accès aux oeuvres de l'esprit requiert un solide bagage
éducatif et culturel. Pour celui qui se sent dépourvu de connaissances ou de
références, le théâtre, le musée ou le monument historique est considéré, au
mieux, comme une « institution éducative », au pire, comme le lieu d'une «
culture élitiste », qui se dérobe nécessairement à lui.
L'accès véritable à l'oeuvre d'art, source de tous les plaisirs, nécessite une
formation de la sensibilité dès le plus jeune âge et tout au long de la vie.
Vous l'avez bien compris, madame la ministre, et nous ne pouvons que saluer
les 17 millions de francs supplémentaires émanant de la délégation au
développement et à l'aménagement du territoire qui seront consacrés à
l'enseignement artistique à l'école, en étroite collaboration avec le ministère
de l'éducation nationale.
Je vous rappelle, mes chers collègues, que seulement 3 % des publics scolaires
bénéficient actuellement d'un enseignement artistique ! Néanmoins, si nous
souhaitons inscrire une telle action dans la durée, je crois qu'il faudra
renforcer, à l'avenir, les crédits d'investissement de cette délégation, qui
sont en baisse de 33 % cette année !
Pourrez-vous par ailleurs, madame la ministre, nous préciser les mesures que
vous comptez prendre pour soutenir les pratiques amateurs ? Il n'est pas normal
que, dans une ville comme Paris, de jeunes compagnies non professionnelles ou
des ateliers de théâtre aient autant de difficultés pour trouver des lieux de
répétition et des salles où se produire.
Le deuxième frein est économique.
Il est certain que le coût élevé des places ou des droits d'entrées ne
facilite pas l'accès des familles les plus modestes à la culture. C'est
pourquoi nous ne pouvons que saluer la politique tarifaire que vous engagez
cette année.
L'entrée sera libre pour tous dans les cent monuments nationaux et dans les
trente-trois musées nationaux le premier dimanche de chaque mois. Les moins de
dix-huit ans bénéficieront en plus d'une entrée gratuite tous les jours de
l'année dans les cent monuments nationaux. Chaque jeudi, la place de théâtre
sera fixée à 50 francs dans les cinq théâtres nationaux : la Comédie-Française,
l'Odéon, la Colline, Chaillot et le Théâtre national de Strasbourg.
A ceux qui douteraient de l'opportunité d'une telle politique, j'opposerai
l'expérience réussie du premier dimanche gratuit au Louvre. Les enquêtes ont
montré que la fréquentation a augmenté de 70 % et que les ouvriers, les
employés, les cadres moyens sont trois fois mieux représentés ce jour-là. Par
ailleurs, 44 % des visiteurs nationaux ont déclaré qu'ils ne seraient pas venus
sans la gratuité.
Le dernier frein est la distance géographique.
Il faut rapprocher la culture de tous les citoyens ! Jean Vilar le constatait
dès 1970 : « La culture, ce n'est pas seulement le Louvre et l'Opéra, le
Panthéon ou la Bibliothèque nationale, l'architecture ou la direction des
lettres. C'est d'abord, le long, le délicat, le studieux recensement des
besoins culturels de chacun et aussi bien celui du paysan des villages perdus
que celui de l'ouvrier des villes. »
Plus un établissement est éloigné du lieu d'habitation, moins un public peu
coutumier des sorties culturelles fera l'effort de s'y rendre.
Les pionniers de la décentralisation culturelle considéraient que, puisque les
citoyens ne vont pas d'eux-mêmes à l'art, c'est à l'art d'aller à leur
rencontre. Jean Vilar, Louis Jouvet, Jacques Copeau, Jean Dasté, et bien
d'autres parcouraient les routes de France en direction de tous les publics.
Une nouvelle étape sera donc franchie en l'an 2000 dans le rééquilibrage des
activités culturelles entre Paris et la province. C'est ainsi que 563 millions
de francs seront consacrés à la sauvegarde et à la construction des lieux
culturels de la capitale, contre 540 millions de francs à la province.
Par ailleurs, les subventions en région augmenteront de 25 %, notamment pour
la restauration des monuments historiques appartenant, pour l'essentiel, aux
collectivités locales. Tout cela est nécessaire. Néanmoins, en tant que
sénatrice de Paris, je ne peux pas oublier les chantiers parisiens, pour
lesquels l'Etat devra d'autant plus intervenir que la Ville de Paris s'en
désintéresse.
Cette année, les budgets que les collectivités locales consacreront à la
culture dépasseront nettement ce que l'Etat investit. Cette saine émulation ne
trouve malheureusement pas d'écho dans la plus grande ville de France !
Les travaux Garnier, au Palais de Chaillot et au Grand Palais sont en bonne
voie d'achèvement, mais des incertitudes - c'est un euphémisme ! - pèsent sur
la destination de ce dernier bâtiment.
Par ailleurs, la situation est particulièrement alarmante pour l'Orchestre de
Paris, qui ne dispose toujours pas d'un lieu à la mesure de son talent. Certes,
la salle Pleyel sera bientôt classée, mais les mélomanes savent bien que son
acoustique n'est pas des meilleures. Aucune ligne budgétaire n'est prévue pour
la réalisation d'un auditorium de 2 000 places à la Cité de la musique. Quand
verra-t-on, madame la ministre, la construction d'une véritable salle de
concert à Paris ?
Quant à la Gaîté lyrique, il n'est pas certain que la mairie de Paris saura
faire le meilleur usage de cette somptueuse salle, laissée à l'abandon depuis
dix ans. Peut-on envisager la création d'un lieu multiculturel, une sorte de
Maison de la culture du troisième millénaire ? J'ai reçu des comédiens qui
seraient prêts à se lancer dans cette aventure. Vous nous direz peut-être,
madame la ministre, si vous êtes prête à étudier ces propositions.
Je ne peux clore ce chapitre sans évoquer la multiplication des salles
multiplexes. Sur les 206 nouvelles salles ouvertes en 1998, 124, c'est-à-dire
60 % sont des multiplexes. Ce phénomène menace la survie des salles
indépendantes, des cinémas d'art et d'essai, qui savent encore prendre des
risques ; surtout, il amplifie la domination du cinéma américain en salle.
Il me semble, à l'unisson de M. le rapporteur, Marcel Vidal, que les
commissions départementales ne sont pas forcément le bon échelon de décision
pour assurer le meilleur équipement culturel du territoire. Par ailleurs, on
pourrait peut-être envisager d'imposer des obligations de programmation
d'oeuvres françaises et européennes lors de la délivrance des autorisations.
Vous venez, madame la ministre, de confier une mission sur ce sujet. Peut-être
pourrez-vous nous préciser ce que vous en attendez.
Au-delà des équipements, madame la ministre, votre ambition de démocratisation
de la culture s'appuie sur une gestion plus saine et plus transparente du
service public. Un certain nombre de problèmes, en suspens depuis plusieurs
années, sont en bonne voie d'être résolus. Vous avez obtenu la création de 295
postes, en l'an 2000, pour résorber l'emploi précaire contre seulement deux
postes en 1999. Ils permettront sans doute d'améliorer l'accueil dans les
musées et à la Bibliothèque nationale de France.
Votre charte des missions de service public pour le spectacle vivant est en
application cette année. Elle permettra à l'Etat de mieux contrôler les
institutions et les compagnies qui reçoivent des subventions publiques. En
effet, leur responsabilité n'est pas seulement artistique et citoyenne, elle
est aussi financière.
J'ai toujours défendu le projet artistique de Stanislas Nordey au théâtre
Gérard-Philipe : des places de spectacle à 50 francs, une programmation très
riche en oeuvres contemporaines, un festival de compagnies tout au long de
l'année. Je reste convaincue que son théâtre citoyen et populaire est
emblématique d'une politique de démocratisation de la culture.
En revanche, je ne crois pas que l'Etat puisse cautionner un déficit de près
de 10 millions de francs en l'espace de seulement deux ans ! Je ne crois pas
non plus qu'il faille en déduire que le ministère de la culture sous-estime
totalement les moyens de sa politique et que la démocratisation n'est qu'un
idéal hors de portée !
Je pense, au contraire, qu'il faut définitivement mettre un terme à ces
pratiques qui consistent à dépasser systématiquement le budget établi en
concertation avec l'Etat et les collectivités territoriales. On en connaît trop
les effets : les acteurs publics se retrouvent, quelques mois plus tard, pris
en otage ! Oui, l'art est inestimable et les artistes « se situent rarement du
côté raisonnable et comptable de l'Etat », comme l'a déclaré récemment
Jean-Pierre Vincent. Mais n'oublions pas que ce qui est accordé à l'un est
toujours retiré à l'autre !
Il est très important d'augmenter régulièrement les crédits d'intervention
comme vous le faites ; ils sont le coeur même de l'action du ministère en
faveur des artistes et des créateurs. Entre 1998 et 2000, ils auront progressé
de 13,1 % et les deux tiers de ces crédits seront déconcentrés.
Comme l'an dernier, le spectacle vivant bénéficie d'une priorité, avec 80
millions de francs de mesures nouvelles. Je souhaite vivement que cette manne
soit répartie le plus équitablement possible.
L'action engagée en faveur des arts de la rue, du cirque ou des musiques
actuelles sera poursuivie, avec 20 millions de francs de mesures nouvelles.
La danse, discipline longtemps négligée par rapport au théâtre et à la
musique, sera mieux prise en compte cette année.
Il faut aussi veiller à donner une chance à toutes les formes d'initiatives
dans notre pays. Je salue, au passage votre réforme du financement des
compagnies dramatiques. La généralisation de l'aide au projet permettra sans
doute de soutenir un plus grand nombre de créations. En 1999, 1500 compagnies
de théâtre se sont déclarées professionnelles et 624 ont été soutenues par le
ministère.
Leur situation, vous le savez, est souvent difficile. La plupart doivent faire
appel à de nombreux coproducteurs pour réunir l'argent nécessaire à une
création. Dans les années soixante-dix, des directeurs de compagnie comme
Jean-Pierre Vincent ou Georges Lavaudant savaient qu'ils auraient à terme des
moyens accrus et la possibilité d'entrer dans l'institution. Il semble que cela
ne soit plus le cas actuellement.
Si nous voulons toujours créer des oeuvres d'aujourd'hui destinées à un public
d'aujourd'hui, il est certainement nécessaire d'augmenter durablement les
crédits d'intervention, mais également de favoriser le renouvellement des
talents à la tête des institutions. Vous avez peut-être commencé à explorer
quelques pistes, madame la ministre.
Ce budget va permettre d'inscrire durablement dans le paysage culturel
français de nouvelles pratiques.
Des solutions concrètes sont mises en oeuvre pour toucher cette frange de
Français désignée souvent comme le « non-public » et qui demeure totalement
démunie par rapport à toutes les formes d'art.
Enfin le ministère de la culture se dote de règles écrites qui permettront de
clarifier les relations entre l'Etat et tous les acteurs culturels afin de
mieux soutenir la création sous toutes ses formes et de se tenir à l'écoute des
aspirations en perpétuelle mutation de nos publics.
La culture est redevenue une priorité de l'action gouvernementale.
Le groupe socialiste, madame la ministre, votera avec plaisir ce budget.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Maman.
M. André Maman.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en 2000, le
budget du ministère de la culture, que le Sénat est appelé à examiner
aujourd'hui, s'élèvera à 16,39 milliards de francs. Il augmente donc, par
rapport aux crédits inscrits dans la loi de finances initiale pour 1999, de 329
millions de francs, soit de 2,1 %, hors réserve parlementaire, et de 369
millions de francs, soit de 2,4 %, si l'on tient compte de celle-ci. Nos
excellents rapporteurs l'ont déjà mentionné, mais je tenais à le rappeler.
Cette progression est supérieure à l'évolution générale du budget de l'Etat,
même si l'objectif de 1 % annoncé par le Premier ministre dans son discours
d'investiture n'est toujours pas atteint. Il nous faut tout de même reconnaître
que l'évolution des crédits de 1997 à 2000 est assez substantielle puisque,
avec un peu plus de 1,5 milliard de francs, elle représente environ 10,5 %.
Le budget met l'accent sur les crédits d'intervention, tout en prévoyant un
accroissement sensible des crédits de fonctionnement afin de résoudre le
problème des emplois précaires.
Le projet de budget sur lequel nous sommes appelés à nous prononcer est assez
contrasté. En effet, s'il comporte indéniablement un certain nombre de points
positifs, il reste néanmoins marqué par un certain nombre de zones d'ombre qui
auraient pu être évitées.
Au titre de l'investissement, j'estime que les efforts sont louables. Je
souscris à vos choix de priorités, madame la ministre. En effet, la
démocratisation culturelle est importante, voire vitale.
Mais, à mon sens, tout commence à l'école. Si les laboureurs ou les ouvriers
ne fréquentent pas les musées, c'est parce qu'ils n'y ont pas été invités quand
ils étaient jeunes. C'est à ce niveau que le travail n'est pas assez bien fait.
On veut mettre la charrue avant les boeufs.
Il est nécessaire - j'y reviens - d'élargir les lieux d'accès de la culture.
Les mesures prises répondent à cet objectif.
Par ailleurs, sur le plan de la déconcentration, vous faites, là encore,
oeuvre utile. Les interventions déconcentrées du titre IV progressent de 5,7 %.
Au total, les crédits relatifs à la réalisation d'équipements culturels dans
les régions feront désormais jeu égal avec ceux qui sont consacrés aux
équipements culturels nationaux. J'espère que cette tendance se confirmera dans
les années à venir, car certaines grandes métropoles régionales demeurent
encore sous-équipées, et les petites et moyennes villes ont trop longtemps été
négligées.
Quant au monde rural, il faut souligner qu'il est totalement ignoré,...
M. Louis de Broissia.
C'est vrai !
M. André Maman.
... alors qu'il souhaiterait de plus en plus bénéficier d'une véritable
politique culturelle.
J'espère, madame la ministre, que vous n'oublierez pas, en concertation avec
M. le ministre des affaires étrangères, les nombreuses associations culturelles
françaises de l'étranger, qui effectuent, dans des circonstances souvent
difficiles, un travail remarquable de défense et de promotion de la culture
française.
M. Jean Chérioux.
Très bien !
M. André Maman.
Ce sont les meilleurs agents de la francophonie, les sénateurs des Français
établis hors de France ne cessent de le rappeler. Au total, 1 800 000 de
Français sont installés à l'étranger. C'est l'arme la plus utile dont nous
disposions. A Seattle, dans cet enfer de Dante, vit une magnifique communauté
française, avec deux petites écoles françaises et une représentation de
l'Alliance française. Si l'on pensait à eux de temps en temps, nous en serions
très satisfaits.
En ce qui concerne la gestion des personnels, votre projet de budget, madame
la ministre, témoigne de votre volonté de traiter du problème des emplois
précaires. Ces derniers représentent près de 10 % des personnels du ministère.
Il faut dire que la situation n'était plus tenable. Les fermetures des musées
nationaux pour cause de grève ont largement porté atteinte à l'image de la
France auprès des touristes étrangers. La direction des musées de France a
estimé à 16 millions de francs le coût de ces grèves.
Au rang des satisfactions, je soulignerai encore que le projet de budget pour
2000 prévoit une création nette de cent emplois et assure le transfert de cent
quatre-vingt-quinze emplois de personnels non titulaires du budget du ministère
sur celui des établissements publics dans lesquels ils étaient effectivement
employés. Au total, ce sont deux cent quatre-vingt-quinze emplois nouveaux qui
seront dégagés pour les effectifs propres du ministère, alors que les
établissements publics bénéficieront, eux, de soixante-dix-neuf créations de
postes. Il s'agit là d'une orientation favorable qui demandera à être
consolidée dans les prochains budgets puisqu'en 2000 seuls 20 % des emplois
précaires bénéficieront d'une consolidation. La résorption sera bien longue
!
J'en termine avec les satisfecit. Vous avez pris conscience du retard de notre
pays dans le domaine de l'enseignement artistique.
Vous augmentez donc de 53 millions de francs les crédits d'intervention du
titre IV consacrés à ces enseignements. Ces crédits supplémentaires doivent
permettre d'améliorer les conditions de vie et de travail des étudiants, de
renforcer la qualité des enseignements spécialisés, l'architecture notamment,
sans oublier les étudiants français résidant à l'étranger.
Car c'est toujours le même problème : on a tendance à oublier, au-delà des
départements et des territoires d'outre-mer, le troisième cercle que
représentent les Français à l'étranger. Ce prolongement des actions devrait
être naturel, et je compte sur vous, madame la ministre, pour que cette prise
de conscience ne se limite pas au seul exercice budgétaire de cette année ! Il
vous faudra pérenniser cet effort.
J'attire maintenant votre attention sur les ombres et les regrettables
impasses de votre budget.
Les crédits destinés au patrimoine évoluent dans des proportions bien
modestes. Je regrette aussi que la Fondation du patrimoine, mise en place par
votre prédécesseur, ne soit pas prolongée. Elle permettrait pourtant de
valoriser des monuments souvent tenus à l'écart du budget de l'Etat.
Là encore, il ne faudrait pas oublier les monuments français qui se trouvent
dans les pays étrangers où se sont installées des communautés françaises et
dans les pays où la France a été longtemps présente. Je pense, par exemple,
parmi les comptoirs français de l'Inde, à Pondichéry ; aux établissements et
aux installations vinicoles des huguenots en Afrique du Sud, près du Cap ; au
magnifique ensemble du fort de Louisbourg, en Nouvelle-Ecosse, au Canada ; aux
établissements alsaciens et lorrains en Algérie, avec les cigognes, les toits
alsaciens qui sont si touchants ; aux comptoirs établis par les explorateurs au
Canada et dans le Midwest jusqu'à la Louisiane, en passant par l'Ohio et le
Mississippi ; je pense, enfin, à l'île Maurice.
Par ailleurs, les crédits d'entretien des monuments classés ne bénéficient que
de maigres augmentations. Je vous rappelle que les estimations font état d'un
besoin de 20 millions à 30 millions de francs supplémentaires pour assurer le
maintien en l'état des bâtiments. Votre budget, madame la ministre, en prévoit
dix fois moins.
Sans doute, le budget pharaonique de la Bibliothèque nationale de France, dont
on a déjà parlé, trois fois supérieur à celui du Louvre, pour des résultats que
l'on peut vraiment juger comme ubuesques, vous a empêchée d'abonder ces crédits
indispensables à toute politique culturelle digne de ce nom. Nous le regrettons
d'autant plus que le fonctionnement de la BNF ne semble toujours pas
satisfaisant, malgré les efforts consentis.
Une autre de mes inquiétudes concerne les crédits d'acquisition. Comme en
1999, ils sont vraiment sacrifiés en 2000. La plupart des directions voient les
crédits qui leur ont été alloués maintenus au niveau de 1999, voire de 1998. La
dotation de la délégation aux arts plastiques est même réduite de plus d'un
million de francs. Celle de la direction des Musées de France demeure
insuffisante, même si elle a été accrue de près de 8 millions de francs ces
trois dernières années. Mais comment pourra-t-elle faire face aux besoins
d'enrichissement des collections déjà existantes et à la nécessité de
constituer celles du nouveau musée des arts et civilisations et celles de la
Maison du cinéma ?
Au total, le budget de la direction des Musées de France diminue de 7,52 %,
les dépenses ordinaires baissent de 2,19 % et les autorisations de programme
s'effondrent de 17,72 %. L'explication de cette chute réside naturellement dans
la diminution des dépenses liées aux grands travaux. Mais n'aurait-t-on pas pu
affecter ces sommes à d'autres opérations de la direction des Musées de France
?
A propos de l'art lyrique, j'évoquerai la grave crise que traverse
l'Opéra-Comique. Privée de budget artistique, sans orchestre permanent, sans
atelier de décors et de costumes, la salle Favart se heurte à une réalité
économique, qui est de produire de l'opéra sans subventions, et à une réalité
artistique, puisque son répertoire est présenté dans quatre autres salles
parisiennes. La subvention allouée par le ministère de la culture est largement
insuffisante pour maintenir l'Opéra-Comique en état de marche. Comment la
prochaine saison pourra-t-elle débuter dans ce contexte, alors que la salle
nécessite d'importants travaux de sécurité ?
Votre responsabilité, madame la ministre, est engagée dans ce dossier. Il vous
faudrait débloquer 12 millions de francs pour apurer le déficit, faire passer
la subvention de 28 millions à 43 millions de francs, et procéder à 100
millions de francs de travaux. Voilà une facture bien lourde ! Mais la question
est bien simple : voulez-vous, oui ou non, sauver la salle Favart ?
Permettez-moi aussi de vous faire part d'autres inquiétudes. Le Grand Palais
est fermé depuis six ans. Sa restauration n'a toujours pas dépassé le stade des
études. Espérons que les 30 millions de francs en autorisations de programme
prévus dans le budget pour 2000 seront correctement utilisés !
Ensuite, le Palais de Tokyo, qui devait accueillir le musée et l'école du
cinéma, verra s'installer un centre de la jeune création française. Les
tergiversations sur ce dossier ont déjà coûté 30 millions de francs !
Madame la ministre, j'attends que vous nous apportiez des précisions sur vos
intentions.
Malgré ces critiques, auxquelles je vous sais très attentive, j'estime que
votre budget témoigne d'un effort de rigueur. C'est pourquoi mes collègues du
groupe de l'Union centriste et moi-même le voterons.
M. le président.
La parole est à M. de Broissia.
M. Louis de Broissia.
Madame la ministre, vous présentez au Parlement un budget que vous qualifiez
de prioritaire dans l'ensemble du projet de loi de finances pour 2000. Nous
sommes, je crois, tous, convaincus de l'importance des crédits alloués à la
culture.
Ainsi, comme l'ont dit mes collègues avant moi, en particulier MM. les
rapporteurs, ce budget représentera, pour 2000, 0,98 % des charges nettes de
l'Etat, contre 0,967 % en 1999. Je n'ai pas le fétichisme du 1 %. Il atteindra
16 milliards de francs, avec une progression de 369 millions de francs,
c'est-à-dire qu'il connaîtra une hausse non négligeable de 2,1 % par rapport à
l'année dernière.
Reconnaissons-le objectivement : ces chiffres sont satisfaisants et les axes
directeurs de votre budget permettront, pour une part, la démocratisation de la
culture. Permettez-moi donc de me réjouir, dans un premier temps, de certaines
de ces orientations qui vont dans le bon sens, c'est-à-dire dans le sens de
l'élargissement, que nous souhaitons tous, et de l'amélioration de l'accès à la
culture, notamment pour les jeunes.
Certains oublis ne manquent pas de m'inquiéter et, avec moi, bon nombre de mes
collègues. J'en parlerai dans un second temps.
J'aborderai, tout d'abord, les mesures globalement positives de ce budget.
Je voudrais, après d'autres, souligner l'extension de la gratuité du dimanche
à l'ensemble des musées nationaux, la gratuité pour les monuments historiques
pour les jeunes de douze à dix-huit ans, la mise en place d'un tarif unique, le
jeudi, de cinquante francs dans les cinq théâtres nationaux, l'alignement du
régime des bourses des étudiants des écoles d'art et des écoles d'architecture
sur celui de l'éducation nationale, etc.
De même, vous développez - c'est un point qui me semble positif sur le plan
budgétaire - les enseignements artistiques. Vous mettez l'accent sur le soutien
à la création et vous accordez 80 millions de francs supplémentaires au
spectacle vivant.
Néanmoins, nous nous interrogeons, madame la ministre : si le passage à la
société de l'information - et la culture, l'art, passera, passe, par la société
de l'information, par le multimédia - si ce passage, disais-je, reste encore
extrêmement décevant, la poursuite, en 2000, du programme d'accès à Internet,
avec les 130 centres culture-multimédia, ne peut être que saluée, mais le
maintien de ce programme était un minimum.
On peut constater que les subventions d'investissement à des maîtres d'ouvrage
locaux pour la rénovation ou la construction d'équipements culturels locaux
seront augmentées, avec une priorité, que je salue, accordée aux archives
départementales et municipales, aux musées classés et contrôlés, aux
équipements de spectacle.
Voilà donc bien des points positifs. Mais les efforts affichés par votre
budget sont-ils tous aussi satisfaisants qu'ils le paraissent ? J'en doute.
Votre budget mérite également d'être abordé sous l'angle des interrogations ;
c'est le rôle de la majorité sénatoriale, c'est le rôle d'un élu représentant
l'opposition nationale.
L'enthousiasme me fait donc un peu défaut ; vous allez comprendre pourquoi.
L'an dernier, lors de l'examen des crédits consacrés à la culture, je vous
avais interrogé, madame la ministre - je n'étais pas le seul - sur le problème
de la précarité des emplois relevant de votre ministère. Nous avions reçu, à
l'époque, les représentants des personnels, qui nous avaient fait part avec
vivacité du malaise existant : résorption insuffisante des vacations,
sous-effectif chronique, bref, lâchage du Gouvernement ; il avait bien fallu
défendre l'intérêt national.
Depuis, des grèves sont intervenues - il faut le rappeler - en fin d'année
1998, au printemps 1999. Ces manifestations se sont terminées - espérons-le,
définitivement - avec l'adoption d'un protocole qui inscrit la solution du
conflit dans un plan pluriannuel. Comme l'a dit en substance l'excellent
rapporteur M. Gaillard, d'ici à cinq ans, la situation de près de 2 000
salariés sera régularisée, tandis que 500 vacataires au contrat de travail de
moins de dix mois verront ces contrats renouvelés.
Mme la ministre - ce chiffre a déjà été évoqué par d'autres - si votre budget
prévoit la création de 295 emplois et si vous dites vouloir lutter contre la
précarité, nous souhaiterions cependant avoir des garanties. Quant à la
résorption effective de ces postes précaires, nous attendons que des mesures
soient prises et que vous nous en précisiez la teneur. Un encadrement rigoureux
de l'embauche des vacataires doit être mis en place. Permettez-moi de dire que
la presse le souligne aujourd'hui : « Emplois précaires, l'Etat négrier ! ». Je
l'ai lu dans le train en venant de chez moi. Telle est ma première
interrogation.
Ma deuxième interrogation porte sur l'importance que revêtent les crédits
consacrés au patrimoine. A cet égard, je ne serai pas non plus le premier à
vous interroger, mais je me permettrai d'insister et d'enfoncer le clou.
La diminution des crédits d'investissement du patrimoine consacrés aux
opérations sur les palais nationaux, l'achèvement de certains grands travaux,
en particulier parisiens, vont permettre le soutien à la réalisation
d'équipements culturels dans les régions et ce que vous appelez le renforcement
du maillage du territoire et des zones urbaines en équipements de qualité.
Sur ce sujet, permettez-moi de vous interroger sur l'affectation de ces
crédits et sur leur durée.
Permettez-moi également de mettre en évidence la très faible part des crédits
consacrés à la restauration du patrimoine, même si la diminution des sommes
allouées aux monuments appartenant à l'Etat va permettre, heureusement, le
renforcement des concours à l'investissement pour la restauration des nombreux
monuments appartenant à des collectivités locales.
La volonté officiellement marquée - mais quel est le ministre qui ne l'a pas
revendiquée ? Et j'en ai connu quelques-uns ! - d'engager un certain
rééquilibrage Paris-province et le caractère volontariste que vous prétendez
insuffler à cet effort ne sont pas tout à fait crédibles.
En effet, ce qui peut sembler être un effort accru de votre part - ce
rééquilibrage tant attendu - n'est dû, en fait, qu'à ce que M. le rapporteur
Gaillard appelle, fort justement, « un jeu de bascule ».
Cet effort de votre ministère est avant tout permis par un mécanisme, sûrement
astucieux, de vases communicants qui arrange la lecture du budget.
Mais jusqu'à quand ? Pour combien de temps ? Permettez-moi de vous poser ces
questions.
De même, le renforcement des concours à l'investissement pour la restauration
des monuments n'appartenant pas à l'Etat sera-t-il durable ?
Vous le savez, madame la ministre, la charge des coûts que représentent pour
les collectivités locales la préservation, la restauration, la protection du
patrimoine local est considérable.
Nous sommes tous ici attachés, comme nos concitoyens, bien sûr, aux
cathédrales, mais aussi aux églises, aux lavoirs, aux édifices historiques qui
s'élèvent dans nos régions, nos départements, nos communes.
Les collectivités locales, dont le Sénat assure en tout premier lieu la
représentation, ont souvent du mal à budgétiser ces dépenses. Je le répète,
mais d'autres l'ont dit avant moi, notamment M. Maman, votre budget en ce qui
concerne le patrimoine rural est insatisfaisant.
Enfin, ma troisième et dernière question porte sur la question des fouilles
archéologiques préventives.
Je vous ai déjà interrogé à plusieurs reprises sur cette question, notamment
lors de votre audition par la commission des affaires culturelles.
Permettez-moi de vous dire, madame la ministre, que vos réponses ne m'ont pas
encore totalement convaincu. Je ne demande pourtant qu'à l'être.
Les fouilles préventives qui doivent être effectuées avant certains travaux
d'urbanisme engendrent, par l'ampleur du chantier mis en place, des problèmes
non seulement en termes de délais mais également, surtout et de plus en plus,
en termes de coûts pour les collectivités locales qui en ont la charge.
Il serait intéressant de connaître précisément et la part consacrée à ces
chantiers par les collectivités et la part engagée par l'Etat. Cette dernière
est, nous devons en convenir, beaucoup trop modeste. Comptez-vous y remédier
?
Je m'interroge d'ailleurs - et je l'ai dit en commission - sur l'absence de
consultation publique qui prévaut dans le cadre des marchés publics en ce qui
concerne les fouilles archéologiques préventives. J'espère que vous
m'éclairerez sur cet aspect des fouilles.
Pour conclure, monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues,
je dirai que le groupe du RPR du Sénat manifeste son attachement à une
véritable politique nationale culturelle. Mais une politique nationale concerne
60 millions de Français et non pas 1 million ou 10 millions, je dis bien 60
millions, c'est-à-dire les habitants des 36 000 communes, des 102 départements
et assimilés et des 22 régions.
Puisse la discussion budgétaire qui est engagée nous convaincre d'adopter
votre budget madame la ministre !
(Applaudissements sur les travées du RPR
et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Vidal.
M. Marcel Vidal.
Madame la ministre, le budget que vous présentez devant le Sénat traduit un
engagement essentiel en faveur de la culture, avec la claire ambition qu'elle
soit mieux partagée par l'ensemble des citoyens, mais également mieux répartie
sur l'ensemble du territoire national.
L'augmentation de 2,1 % par rapport à la loi de finances pour 1999, soit deux
fois plus que la progression moyenne des dépenses de l'Etat, lui confère un «
label » de budget prioritaire.
Ainsi, vous proposez d'atteindre, d'ici à la fin de cette législature,
l'objectif de 1 % posé par le Premier ministre dans sa déclaration de politique
générale.
Nous nous en félicitons, en gardant à l'esprit les mesures fortes qui
accompagnent l'exposé de votre budget, notamment la politique tarifaire visant
à favoriser l'accès aux théâtres, musées et monuments, ainsi que l'effort
constructif que vous poursuivez en matière de déconcentration des crédits dans
les régions.
Madame la ministre, j'appellerai votre attention sur trois sujets d'actualité
dans nos collectivités locales : la valorisation du patrimoine, la restauration
des oeuvres d'art et, enfin, le développement de la musique et de la facture
d'orgue.
Avec 11,5 millions de visiteurs en 1999 comme en 1998, le succès d'affluence
que connaissent les Journées du patrimoine témoigne de l'intérêt accru du grand
public pour les sites et les monuments historiques, pour ces lieux de mémoire
qui sont le reflet de nos identités régionales et nationales, comme notre
collègue Philippe Nachbar l'a dit dans son excellent rapport.
Ces manifestations conduisent à se familiariser davantage avec l'architecture,
avec l'histoire de l'art et, surtout, avec l'histoire de sa région.
A plus long terme, la question posée aux collectivités territoriales est très
simple : comment faire pour que les richesses dont disposent nos villes, nos
communes puissent avoir un effet multiplicateur sur le plan économique ?
Une première réponse est de consolider la connaissance de ce patrimoine, grâce
au travail préalable et indispensable de l'inventaire, réalisé en concertation
avec les services des DRAC, directions régionales des affaires culturelles,
dont il faut accroître les effectifs et améliorer les moyens d'intervention.
La seconde réponse consiste à engager des crédits pour la restauration de plus
nombreux bâtiments, qu'ils soient déjà classés monuments historiques, inscrits
à l'inventaire supplémentaire ou encore non protégés.
Enfin, la mise en place d'itinéraires de découvertes, de cycles de conférences
et d'animations est un moyen intelligent pour réhausser le niveau des
prestations offertes au public en matière de confort, d'accueil et de
visite.
Un exceptionnel héritage patrimonial constitue, pour la France, un atout
considérable sur la carte du tourisme en Europe.
Je citerai un chiffre extrait d'une étude publiée en 1998 par votre ministère
: sur les 65 millions de touristes ayant visité notre pays, il est significatif
que 20 % déclarent s'intéresser en priorité pendant leur séjour à l'éventail
extraordinaire de nos richesses patrimoniales.
Ce débat budgétaire doit nous donner l'occasion, madame la ministre, de
rappeler les dispositions prises en faveur de l'entretien et de la valorisation
du patrimoine.
La baisse des crédits pour les « grandes opérations » permettra, en effet,
d'augmenter l'enveloppe destinée aux restaurations de monuments historiques
appartenant notamment aux collectivités locales.
Cette enveloppe enregistre une hausse de 59,6 millions de francs, soit une
progression de 24 % par rapport à l'exercice précédent.
En outre, 11 millions de francs de mesures nouvelles en autorisations de
programme bénéficieront à la relance des procédures concertées avec les
collectivités locales, telles que la mise en oeuvre des zones de protection du
patrimoine architectural, urbain et paysager, la détermination des secteurs
sauvegardés et la réalisation d'études pour la mise en valeur des espaces
publics.
A cet égard, les conservateurs du patrimoine sont aujourd'hui unanimes pour
demander l'intégration des données du bâti ancien dans les politiques
d'urbanisme.
A ce titre, on ne peut que souligner le rôle positif joué par les CAUE ; cela
a été dit, qui sont un relais territorial majeur pour engager des réflexions
innovantes, tout particulièrement en milieu rural.
J'observe cependant, madame la ministre, que les architectes des Bâtiments de
France sont encore en nombre insuffisant pour suivre avec toute l'attention
nécessaire les campagnes de réhabilitation engagées ici et là.
Pour l'essentiel, une nouvelle étape devrait être franchie et susciter
progressivement chez les acteurs locaux une véritable culture patrimoniale si
la pratique des conventions passées entre villes et départements s'étendait,
demain, de façon significative à l'échelon des communautés de communes, les
districts étant appelés à disparaître compte tenu de l'évolution de la loi en
la matière.
Nous sommes convaincus que le volet culturel est une chance unique pour les
projets de pays qui seront constitués dans le cadre de la future loi
d'aménagement du territoire.
Madame la ministre, vous avez, de même, entrepris la réforme, très
intéressante, de la gestion des subventions et de la programmation des
restaurations, dont les directions régionales des affaires culturelles auront
désormais la responsabilité.
Autre innovation : la création des fonds régionaux d'aide à la restauration,
les FRAR, qui s'ajouteront aux crédits déconcentrés et seront financés à parité
par l'Etat et les collectivités.
Là encore, évitons les saupoudrages et encourageons le développement des pôles
d'excellence en mesure d'irriguer les bassins d'emplois locaux.
Dans cette perspective, la direction du patrimoine estime que, pour un million
de francs investis dans une campagne de restauration, trois emplois sont
créés.
Avant de conclure, j'indiquerai que la facture d'orgue mérite également d'être
soutenue, dans le respect de ses compétences artisanales et dans la recherche
de débouchés au-delà même de nos frontières.
Cette profession, qui relève de l'aménagement « musical » du territoire,
notamment dans nos régions et nos départements, mérite notre total soutien.
Cette démarche est aussi importante sur le plan culturel que sur le plan
économique.
Nous nous félicitons du renforcement des crédits dégagés par votre ministère
en direction des écoles nationales et des conservatoires régionaux de musique,
en émettant le souhait que la musique d'orgue ne soit pas oubliée, mais bien au
contraire encouragée et mise à l'honneur dans l'année où nous célébrons le
centenaire du grand facteur d'orgue du xixe siècle Cavaillé-Coll.
Cette actualité n'est pas celle d'une élite citadine, car nombreux sont les
concerts et festivals d'orgue qui se déroulent dans les arrière-pays.
Un effort en faveur des orgues s'impose vraiment. Je signale, par exemple, que
plusieurs villes importantes n'ont pas d'orgue dans leur cathédrale : c'est le
cas, entre autres villes, de Grenoble et Saint-Dié. Quant à l'orgue de la
cathédrale de Lyon, sa qualité n'est pas à la hauteur de cette capitale des
nations européennes.
Il reste donc encore beaucoup à faire pour dynamiser et entretenir la pratique
de cet art. Nous y reviendrons ultérieurement, non seulement en commission des
affaires culturelles, mais aussi au sein du groupe de travail relatif aux
métiers d'art.
En définitive, madame la ministre, votre budget définit une approche à la fois
généreuse et cohérente de la politique culturelle. Nous le voterons avec autant
de fermeté que d'enthousiasme.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à Mme le ministre.
Mme Catherine Trautmann,
ministre de la culture et de la communication.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais tout d'abord exprimer mes
remerciements aux rapporteurs, qui ont analysé avec vigilance et exigence, à la
lumière des exercices précédents, les propositions que je leur ai soumises.
Ils ont noté la cohérence de l'ensemble et relevé les progrès réalisés par
rapport aux années passées ; leurs conclusions m'ont paru tout à fait
encourageantes.
En effet, le projet de budget que j'ai l'honneur de vous présenter aujourd'hui
permet de déceler ce qui a été entrepris depuis mon arrivée dans ce ministère,
c'est-à-dire depuis le milieu de l'année 1997, à savoir le redressement des
finances, la clarification du budget, la réalisation de certains transferts qui
permettent de faire une priorité du rééquilibrage entre Paris et les régions,
la majoration des budgets les plus faibles, le soutien au spectacle vivant, la
mise en oeuvre d'options fondamentales comme la démocratisation et le
développement de l'éducation artistique, de façon à toucher le plus grand
nombre de Français.
Ce projet de budget pour 2000, après les budgets de 1998 et de 1999, permet de
situer l'étape à laquelle nous sommes parvenus et de constater que ce que
j'avais annoncé est aujourd'hui concrètement engagé.
Cette année encore, conformément à l'engagement pris par M. le Premier
ministre dans sa déclaration de politique générale d'un budget de la culture
destiné à représenter 1 % du budget de l'Etat, un caractère prioritaire a été
reconnu au budget de la culture.
C'est ainsi que, dans le présent projet de loi de finances, le budget de la
culture augmente de 329 millions de francs, soit une progression de 2,1 % par
rapport à la loi de finances initiale pour 1999, ce qui correspond à un rythme
plus de deux fois supérieur à la prévision d'évolution des prix à la
consommation, qui constitue la norme de progression des dépenses de l'Etat pour
2000, à savoir 0,9 %.
De projet de loi de finances à projet de loi de finances, comparaison qui
donne une mesure plus exacte de l'évolution des moyens dont est doté mon
département ministériel, le budget de la culture augmente de 369 millions de
francs, soit 2,4 %, par rapport à 1999.
En 2000, le budget de la culture représentera ainsi 0,968 % des charges nettes
de l'Etat, ou encore 0,98 % de ces mêmes charges selon la structure de 1998 du
budget général de l'Etat. Il atteindra 1 % au cours de cette législature, comme
cela a été annoncé.
Mais, au-delà de ces chiffres globaux, c'est sur la traduction budgétaire de
la politique culturelle que je conduis que je souhaite m'exprimer devant vous,
tout en répondant à vos interrogations.
Le projet de budget de la culture pour 2000 comporte trois avancées majeures :
un soutien mieux affirmé à la création artistique sous toutes ses formes ; une
meilleure distribution de l'offre culturelle sur l'ensemble du territoire ; un
élargissement de l'accès aux lieux de culture.
Il va tout d'abord permettre la mise en oeuvre des mesures tarifaires
destinées à élargir l'accès aux lieux de culture, mesures que j'ai annoncées en
juin dernier lors d'une communication en conseil des ministres sur la
démocratisation des pratiques culturelles.
Il s'agit de l'extension à l'ensemble des musées nationaux de la gratuité
d'accès le premier dimanche de chaque mois - elle était jusque-là limitée au
seul musée du Louvre - de l'extension aux jeunes de douze à dix-huit ans de la
gratuité d'accès aux monuments nationaux, de l'application aux monuments
nationaux, depuis le 1er octobre dernier, de la gratuité d'accès le premier
dimanche de chaque mois, d'octobre à avril compris, et enfin du tarif unique à
50 francs le jeudi dans les cinq théâtres nationaux.
Je n'ai certes pas la naïveté de croire que ces mesures tarifaires se
suffisent à elles-mêmes. Pour être pleinement efficaces, elles devront
s'accompagner d'actions de sollicitation des publics, tout particulièrement des
publics de proximité, qui ont trop souvent été négligés alors qu'ils
constituent une cible prioritaire de la démocratisation culturelle, et cela en
application de la charte des missions de service public. Les établissements
publics du ministère de la culture et de la communication doivent faire preuve
de volontarisme à cet égard. Il devront se montrer plus actifs, et j'y
veillerai.
La question tarifaire méritait d'être posée. D'ores et déjà, j'observe que les
premiers dimanches gratuits dans les monuments nationaux ont conduit à des
résultats très favorables.
Le projet de budget de la culture pour 2000 va, par ailleurs, permettre un
renforcement de l'action du ministère de la culture et de la communication dans
le domaine des enseignements, qu'il s'agisse des enseignements à vocation
professionnelle - je pense ici à ce qui est prévu pour les écoles
d'architecture, en particulier, mais aussi pour nos écoles d'art,
conservatoires, etc. - ou des enseignements destinés à favoriser une ouverture
culturelle, notamment de la part des jeunes.
Comment pourrait-on oublier que le développement des pratiques artistiques est
le fondement de toute politique de démocratisation des pratiques culturelles
?
Ainsi, en 2000, des mesures fortes seront mises en oeuvre dans le domaine des
enseignements.
J'évoquerai, en premier lieu, l'alignement du régime des bourses des étudiants
des écoles d'art et des écoles d'architecture sur celui de l'éducation
nationale. Il me paraît indispensable qu'il n'y ait pas de différence entre les
étudiants des universités et les étudiants de nos écoles qui forment à des
diplômes supérieurs.
Je mentionnerai, en deuxième lieu, la mise en place d'ateliers de pratiques
artistiques dans les lycées, en partenariat avec l'éducation nationale, en
ayant pour objectif une généralisation en 2001.
Enfin, en troisième lieu, je rappellerai qu'il est procédé à un renforcement
sélectif des concours de l'Etat aux écoles nationales et municipales d'arts
plastiques et aux écoles nationales et conservatoires régionaux de musique, en
fonction de leurs projets pédagogiques.
Au total, les crédits d'intervention consacrés aux enseignements sont en
augmentation de 6,9 %, soit 53 millions de francs.
C'est une étape importante. Nous souhaitons que cet effort porte ses fruits,
et nous tenons à voir notre partenariat avec l'éducation nationale se
développer de façon solide. Dans cette perspective, il importe que nous tirions
les conséquences des premières initiatives qui ont été lancées, par exemple le
programme « Musique à l'école ».
J'ai également souhaité que puissent être organisées, dans nos écoles comme
dans l'éducation nationale, des formations permettant de favoriser
l'intervention de professionnels de la culture. En effet, cela suppose que les
enseignants soient formés et puissent vraiment tirer parti de cet enseignement
artistique dans le cursus scolaire de leurs élèves. D'un autre côté, il s'agit
aussi de former les professionnels de la culture à intervenir en classe. Ayant
interrogé un grand nombre de personnes qui ont fait le choix de consacrer une
partie de leur temps à l'enseignement artistique à l'école, j'ai pu mesurer
combien il était important, pour ces personnes, de disposer d'un certain nombre
d'éléments pédagogiques, car il n'est pas toujours facile de se retrouver
devant une classe.
Nous en sommes donc, dans ce domaine, à une étape déterminante, celle de la
fondation. Le budget pour 2001 et les budgets suivants nous permettront de
généraliser progressivement ce dispositif, de manière qu'il puisse toucher
toute la population jeune.
Outre les bourses, les moyens consacrés à l'enseignement de l'architecture
seront de nouveau accrus en 2000. Les subventions de fonctionnement aux écoles
d'architecture bénéficient d'une mesure nouvelle. L'augmentation de la dotation
consacrée aux investissements dans les écoles d'architecture, portée de 55
millions de francs en 1999 à 120 millions de francs en 2000, permettra
d'engager les travaux nécessaires à la mise en oeuvre de la nouvelle carte de
l'enseignement de l'architecture en Ile-de-France, ainsi que la réalisation
d'opérations importantes dans les régions.
La priorité donnée au titre IV dans l'élaboration du projet de loi de finances
pour 2000, qui se traduit par 172 mesures nouvelles, conduit, comme en 1999, à
reconnaître un caractère prioritaire au spectacle vivant, qui se verra
attribuer 80 millions de francs de mesures nouvelles, enseignements compris,
après 110 millions de francs en 1999.
L'augmentation des moyens consacrés au spectacle vivant permettra notamment
d'accompagner la réforme de l'aide aux compagnies dramatiques, de mieux
soutenir les compagnies chorégraphiques et de favoriser l'essor des esthétiques
nouvelles - musiques actuelles, cirque, arts de la rue - toujours dans le souci
de prendre en compte l'intégralité des disciplines du spectacle vivant.
En 2000, un haut niveau d'exigence sera maintenu à l'égard des structures
subventionnées.
Je précise, à l'intention de M. le rapporteur spécial, que le suivi des
crédits du titre IV, notamment les crédits déconcentrés, est opéré par un
logiciel dénommé « Ensemble » ; en 2001, un nouvel outil, qui va s'appeler «
Quadrille », dont j'ai décidé le principe dès mon arrivée, sera opérationnel.
Il permettra d'aller plus loin dans l'analyse des situations financières des
structures subventionnées et de poursuivre l'amélioration de l'information du
Parlement quant à l'utilisation des crédits.
A mes yeux, il est indispensable que l'Etat soit à la fois respectueux de sa
parole et juste dans l'attribution des moyens. Je remercie d'ailleurs Mme
Pourtaud d'avoir si remarquablement dit combien il est important de gérer
l'argent public à la fois correctement et de façon équitable.
Les outils que je viens d'évoquer nous permettront d'agir très
efficacement.
Je voudrais maintenant aborder la question des droits des artistes
interprètes, qu'a soulevée M. Ralite.
Mon cabinet et mes services seront présents au colloque de la SPEDIDAM qu'il a
évoqué.
Je ne saurais envisager de remettre en cause les droits des musiciens. Je
crois seulement utile de poser clairement le problème de la limite entre la
radiodiffusion et la distribution. Vous conviendrez que, dans l'univers
numérique, cette frontière est fluctuante et qu'il vaut mieux en parler et
savoir résoudre les questions qui nous ont été posées. C'est pourquoi, depuis
plusieurs mois, nous nous consacrons à des rencontres et à l'examen des
dispositions qui peuvent être prises.
Mon souci est bien de rester guidée par la volonté ferme de protéger les
filières musicale et cinématographique.
En ce qui concerne un point d'actualité sensible pour les professionnels de la
culture, à savoir celui du régime des intermittents du spectacle, le
Gouvernement est attaché à préserver la pérennité d'un dispositif d'assurance
chômage spécifique au spectacle vivant et enregistré au sein du régime de
solidarité interprofessionnelle géré par l'UNEDIC. Il est aussi soucieux de
respecter la liberté de négociation des confédérations professionnelles et
syndicales.
Les modalités d'application du régime conventionnel d'assurance chômage sont
précisées par des accords conclus pour une durée déterminée - trois ans - sur
le plan national et interprofessionnel. C'est dans ce cadre juridique que les
partenaires sociaux ont signé le 20 janvier dernier un accord relatif à la
reconduction jusqu'au 31 décembre des annexes 8 et 10 propres aux intermittents
du spectacle.
Pour la première fois, ces annexes reprennent certaines dispositions qui ont
été négociées par les partenaires sociaux des secteurs professionnels du
spectacle vivant et enregistré, en ce qui concerne le champ d'application et le
mode de calcul de l'allocation journalière des ouvriers, techniciens et
réalisateurs du cinéma et de l'audiovisuel relevant de l'annexe 8.
Je reste, évidemment, très vigilante sur ce dossier sensible et
particulièrement attentive aux négociations en cours. C'est un point que nous
avons évoqué cette semaine même avec le conseil national des professionnels du
spectacle.
Nous en sommes bien conscients, la reconduction du régime d'assurance chômage
est nécessaire pour permettre la permanence de l'activité d'un certain nombre
de professionnels et de structures. Le Gouvernement souhaite en tout cas que
les discussions en cours aboutissent positivement.
Dans ce dialogue, la position du MEDEF reste celle qui présente, en quelque
sorte, le plus de risque. Je n'ai pas perçu, chez les autres partenaires, des
réserves quant à la volonté de poursuivre le dialogue. Par ailleurs, il
n'existe pas de changement dans l'attention que nous portons, ma collègue
Martine Aubry et moi-même, à ce dossier et dans notre désir de le voir
aboutir.
Si le domaine du spectacle vivant est fortement soutenu dans le projet de
budget pour 2000, les autres secteurs d'intervention du ministère de la culture
et de la communication, notamment patrimoniaux, ne sont pas négligés.
C'est ainsi que les grandes expositions en régions et la restauration des
oeuvres appartenant aux musées classés et contrôlés seront mieux soutenues. La
réorientation des interventions du fonds du patrimoine vers un soutien accru
aux acquisitions des musées classés et contrôlés sera poursuivie.
Un soutien spécifique, sur crédits déconcentrés notamment, sera mis en oeuvre
pour les actions de conservation et de diffusion des langues régionales et
minoritaires, qui constituent un élément important de notre patrimoine
culturel. La transformation de la délégation générale à la langue française en
délégation générale des langues de France marquera, je l'espère, symboliquement
et matériellement cette reconnaissance.
Chaque fois que cela sera possible, le champ des conventions de villes et pays
d'art et d'histoire sera étendu au patrimoine du xxe siècle.
Enfin, les conventions ville-lecture seront développées afin de favoriser un
usage accru du livre par les publics qui en sont éloignés.
Le projet de budget de la culture pour 2000 marque également une priorité
affirmée en faveur d'un renforcement du soutien apporté par l'Etat à la
réalisation d'équipements culturels dans les régions.
Ainsi, il comporte une nouvelle augmentation des concours de l'Etat à la
réalisation d'équipements culturels locaux - il s'agit du chapitre 66-91 - dont
la dotation atteindra 490 millions de francs, contre 397 millions de francs
cette année, soit une progression de 23,4 %.
Cet effort profitera notamment aux archives, aux équipements du spectacle
vivant, aux musées classés et contrôlés, et aux équipements culturels de
proximité. Il intervient dans un contexte parfaitement sain : les retards de
mandatement de subventions d'investissement aux collectivités locales dont
j'avais hérités, à savoir 300 millions de francs, sont aujourd'hui totalement
comblés.
Depuis mon entrée en fonctions rue de Valois, le montant des subventions
d'investissement à la réalisation d'équipements culturels locaux a doublé : 490
millions de francs figurent dans le projet de loi de finances pour 2000, contre
234 millions de francs dans la loi de finances initiale de 1997.
La progression continue des subventions d'investissement à la réalisation
d'équipements culturels dans les régions et la maîtrise du nombre et du coût
unitaire des nouveaux équipements culturels nationaux à Paris vont conduire, en
2000, à une véritable rupture dans la destination des investissements du
ministère de la culture et de la communication.
En 2000, les crédits destinés à la réalisation d'équipements culturels dans
les régions feront jeu égal - ou quasiment, à 1 % près - avec ceux qui sont
consacrés aux équipements culturels nationaux à Paris. En 1997, ce rapport
était de trois à un en faveur de Paris.
Ce nouvel équilibre, qui concourt à une meilleure distribution de l'offre
culturelle sur l'ensemble du territoire, n'a pas un caractère conjoncturel. Si
la possibilité m'en est donnée, je souhaite le faire évoluer dans un sens
encore plus favorable aux équipements culturels décentralisés.
Par ailleurs, M. le Premier ministre a accédé à ma demande d'une ouverture
exceptionnelle de 96 millions de francs de crédits dans le projet de loi de
finances rectificative pour 1999, afin de mieux soutenir les investissements
des communes dans le domaine des bibliothèques municipales, au-delà, bien
évidemment, de la dotation prévue, en 2000, au titre de la dotation générale de
décentralisation.
Je tiens à préciser à l'intention de M. Gaillard, rapporteur spécial, qui m'a
interrogée sur ce sujet, que les crédits destinés aux opérations de l'an 2000,
c'est-à-dire 185,7 millions de francs, représentent une ouverture nette au
titre de l'annuité 2000 consacrée aux manifestations qui seront organisées.
Même si certaines d'entre elles concernent, bien sûr, le ministère de la
culture, il n'y a pas eu de ponction sur les dépenses courantes de notre
département ministériel.
Certes, nous avons la responsabilité du suivi de ces opérations au nom de
l'ensemble des ministères, mais les crédits de notre ministère n'en pâtissent
pas, ainsi que M. le Premier ministre l'avait décidé.
Les 96 millions de francs auxquels j'ai fait allusion précédemment constituent
donc bien une ouverture brute en autorisations de programme et en crédits de
paiement au titre de l'investissement dans les bibliothèques municipales.
Les 50 millions de francs, figurant au titre IV, gelés par le ministère de
l'économie et des finances dans le cadre du contrat de gestion sur l'exécution
budgétaire de 1999 étaient condamnés. De fait, ils ont été préservés et
redéployés pour cet investissement jugé prioritaire dans les bibliothèques
municipales. Par ailleurs, 46 millions de francs en autorisations de programme
et en crédits de paiement ont été prélevés sur les crédits prévus pour les
grandes opérations, mais les moyens de droit commun de la direction de
l'architecture et du patrimoine ne sont pas touchés. En réalité, toutes ces
sommes ont été prises sur les ouvertures de crédits au titre des grandes
opérations, lesquelles avaient pris de l'avance par rapport au calendrier des
travaux.
Gouverner, c'est faire des choix ! J'ai préféré que les sommes non mobilisées
dans l'exercice 2000 soient affectées en priorité à la lecture publique. J'ai
donc proposé ce redéploiement. Puisque des crédits étaient gelés, plutôt que de
les supprimer, nous les avons utilisés.
Par conséquent, nous nous en sommes bien sortis et, pour la première fois
depuis 1997, le budget de la culture ne contribue pas au financement des
dépenses interministérielles en cours d'exécution budgétaire. Nous avons trouvé
là une nouvelle façon de manifester cette priorité accordée à la culture.
Je reviendrai maintenant sur les interventions concernant l'effort à accomplir
pour la restauration et l'entretien du patrimoine.
Si, prise globalement, l'enveloppe « patrimoine », c'est-à-dire les titres V
et VI, augmente dans une proportion limitée - 11 millions de francs, soit 0,7 %
- les crédits hors opérations portant sur des palais nationaux - le Grand
Palais, Versailles, le Palais de Chaillot et le Palais Garnier - enregistrent
une forte progression : 108 millions de francs, soit 7,7 %.
Je ne peux m'empêcher d'observer que cette progression est très supérieure à
celle à laquelle aurait conduit l'application du coefficient d'actualisation
prévu par la loi de programme de 1994, qui se serait élevé à 2,9 %.
On a évoqué l'érosion de ces crédits. Je rappellerai que les lois de finances
initiales de 1996 et de 1997, avec, respectivement, 1,663 milliard de francs et
1,174 milliard de francs, avaient enregistré une baisse, par rapport aux
objectifs, de 29,3 %. Les crédits de 1998 s'élevaient à 1,646 milliard de
francs. Dans le projet de loi de finances initiale pour 2000, ils s'établissent
à 1,701 milliard de francs. Les crédits augmentent donc, de 1997 à 1998, de
40,2 % et nous nous situons largement au-delà de la loi de finances initiale de
1996.
Au vu de ces chiffres, les critiques qui ont été exprimées ici ne sont donc
pas fondées. En effet, je crois pouvoir montrer qu'il y a non seulement une
restauration de ces crédits, mais aussi une forte mobilisation qui permet de
répondre à un rythme plus soutenu aux décisions qui sont prises en matière
d'entretien et de restauration du patrimoine.
L'augmentation des crédits du patrimoine, hors opérations portant sur des
palais nationaux, profitera tout particulièrement aux secteurs sauvegardés et
aux espaces protégés : plus 11 millions de francs, soit 31,4 %. La ville est
notre premier bien culturel. Je souhaite affirmer la responsabilité
particulière de mon département ministériel dans l'amélioration de la qualité
du patrimoine urbain.
Cette augmentation concernera aussi les subventions d'investissement pour la
restauration de monuments historiques - plus 59,6 millions de francs, soit 24,9
% - pour lesquelles s'est manifestée une forte demande de la part de nos
partenaires locaux.
Ce faisant, je n'oublie pas les travaux indispensables à mener sur certains
grands édifices publics. Les crédits ouverts dans les deux précédentes lois de
finances pour la restauration du Grand Palais vont commencer à être employés en
2000, les difficultés d'application du contrat de maîtrise d'oeuvre étant
aujourd'hui entièrement surmontées.
En outre, nous amorçons, dans le projet de loi de finances pour 2000, un
changement de dimension de l'effort consacré par l'Etat à la réhabilitation de
Versailles. Beaucoup reste à faire pour améliorer les conditions de sécurité
des personnes - je pense à celles qui y travaillent et aux visiteurs - et des
biens, pour moderniser les réseaux et pour prévoir des conditions d'accueil des
visiteurs dignes de ce lieu prestigieux. J'aurai prochainement l'occasion de
m'exprimer sur ce sujet dans une communication au conseil des ministres.
En ce qui concerne le Grand Palais, les crédits se sont élevés à 150 millions
de francs en 1998, 217 millions de francs en 1999 et 30 millions de francs en
2000, soit près de 400 millions de francs au total. Les travaux de
consolidation des fondations et des structures du Grand Palais ont donc été
financés au travers de ces crédits.
Je précise, par ailleurs, qu'il n'y a pas de contentieux, et ce grâce à
l'intervention d'un médiateur : l'avenant n° 2 du marché de maîtrise d'oeuvre a
été signé. C'est la raison pour laquelle nous sommes maintenant, en quelque
sorte, sortis des ennuis. J'annoncerai la future destination du Grand Palais
d'ici à la fin du premier semestre 2000.
S'agissant des autres points concernant les grands bâtiments, pour les «
Bons-Enfants », depuis la prise de fonctions du Gouvernement, ce dossier est de
nouveau à l'ordre du jour. Il était plus ou moins enlisé, voire enterré, et
j'ai eu beaucoup de peine à le ressortir.
La décision favorable à mon ministère a été prise au printemps 1998. Le marché
de maîtrise d'oeuvre a été signé en octobre dernier. Le retard provenait du
fait que le concours avait été lancé par mon prédécesseur, sans accord
interministériel, d'où les discussions difficiles qui ont eu lieu.
Le maître d'oeuvre est maintenant au travail ; le permis de construire sera
demandé au mois de mars prochain ; les travaux commenceront à la moitié de
l'année 2001. Le déménagement des services du ministère pourrait donc avoir
lieu dix-huit mois plus tard, s'il n'y a pas de retard dans les travaux, soit
au début de l'année 2003.
Ainsi, en cessant d'avoir un bâtiment inemployé et dont il faut assurer la
sécurité chaque année avec des moyens relativement élevés, nous aurons
également pris en compte le souci d'une bonne gestion de la dépense
publique.
En ce qui concerne l'auditorium, je mène de front deux actions.
La première consiste à aider les orchestres accueillis salle Pleyel - je fais
allusion non seulement à l'Orchestre de Paris, mais aussi à l'orchestre de
Radio France, à Colonne et à Padeloup - à travailler dans de bonnes conditions,
malgré une nouvelle direction qui a parfois des réactions imprévisibles.
La seconde action vise à poser les jalons d'une nouvelle salle symphonique
légitimement implantée à La Villette et attendue de longue date.
Deux rapports devront m'être remis au printemps 2000 : l'un sur le coût et la
faisabilité technique du projet, qui approfondira les conclusions rendues par
une première mission ; l'autre sur les montages financiers envisagés. Je
prendrai donc ma décision en connaissance de cause.
Je suis soucieuse, en effet, de ne pas dégrader de nouveau la répartition des
crédits du ministère entre Paris et les régions, sachant que je suis conduite à
intégrer, dans les crédits du ministère, le financement du projet de musée des
arts premiers, que l'on appelle aujourd'hui le musée des arts et des
civilisations.
J'ai également été interrogée sur l'Opéra-Comique. Je m'emploie, en liaison
avec l'actuelle et la future direction, à réduire l'important déficit
enregistré. Il s'élève encore à plus de 5 millions de francs à la fin de cette
année. Cela peut impliquer une activité ralentie au premier semestre de 2000,
afin de permettre un nouveau départ sous la responsabilité de Jérôme Savary dès
octobre 2000. Quant aux travaux indispensables, ils seront lancés au cours de
l'été 2001.
S'agissant de la salle Pleyel, un travail a été engagé pour que des décisions
soient prises en ce qui concerne les mesures de protection.
Pour ce qui est du bâtiment de la Gaîté lyrique, pour l'instant, je n'ai pas
de projet qui en permettrait l'usage au niveau de l'Etat. Toutefois, comme vous
l'avez souligné, madame Pourtaud, la Ville de Paris doit aussi prendre en
charge les équipements qui lui reviennent. Il convient d'agir dans les plus
brefs délais, qu'il s'agisse de la transformation du Palais de Chaillot ou de
la réouverture du Palais de Tokyo. Le bâtiment est fermé depuis des années !
Même s'il n'est pas entièrement occupé, du moins sera-t-il chauffé et gardé si
nous l'ouvrons au public. Cela permettra de soutenir les jeunes créateurs. Mais
que l'on ne demande pas à l'Etat de se substituer de manière systématique à la
Ville de Paris, alors que cette pratique n'a pas cours dans les régions, qui
font face, plus ou moins bien, à leurs responsabilités.
Il faut une règle, et cette règle doit valoir pour tous, y compris pour
l'Etat, qui doit faire face à ses propres responsabilités et être irréprochable
envers ses partenaires, les collectivités locales. Malheureusement, il ne peut
pas répondre à toutes les sollicitations. Néanmoins, le devenir du bâtiment
nous intéresse forcément.
M. Joly m'a interrogée sur les services départementaux de l'architecture et du
patrimoine.
Le précédent gouvernement, celui de M. Juppé, a transféré les services
départementaux de l'architecture au ministère de la culture. Toutefois, cette
opération n'a pas été accompagnée du transfert des moyens correspondants, ni en
effectifs, ni en crédits de fonctionnement, ce qui a posé quelques
problèmes.
Depuis mon arrivée rue de Valois, les moyens de fonctionnement des SDAP ont
augmenté de 28,6 %. Les moyens informatiques ont été triplés. Les moyens en
personnels, avec 750 agents au début de 1999, ont crû de 5 % sur la seule année
1999, car j'ai considéré que ces services départementaux étaient prioritaires.
Et tout cela alors que, par ailleurs, les moyens de fonctionnement, vous le
savez bien, n'augmentent pas vraiment dans nos administrations. Il s'agit donc
bien de décisions qui sont lourdes de conséquences.
En ce qui concerne les conseils d'architecture, d'urbanisme et de
l'environnement, le dispositif prévu par la loi du 3 janvier 1977 - je le dis
ici tout à fait solennellement - a démontré son efficacité. Ce dispositif
obligatoire n'est cependant pas homogène sur notre territoire, puisque treize
départements ne l'ont pas mis en place. Cependant, la loi ne prévoit pas les
conséquences d'une telle abstention.
C'est dans le cadre de la réflexion sur la profession d'architecte que la
mission d'assistance architecturale et de conseil aux collectivités des CAUE
est actuellement analysée. A l'occasion de la refonte générale de la loi de
1977, on envisagera une révision de la section relative aux CAUE.
D'ores et déjà, j'ai mis en place un partenariat avec la fédération des CAUE
au plan national et au plan local, par le biais des DRAC, pour conforter le
rôle de médiation et de conseil complémentaire, rôle distinct de la maîtrise
d'oeuvre assurée par ces structures.
Grâce à l'augmentation des subventions d'investissement pour la réalisation
d'équipements culturels en région et pour la restauration de monuments
historiques n'appartenant pas à l'Etat, le département ministériel de la
culture sera, je crois, mieux à même de répondre aux demandes de ses
partenaires, notamment dans le cadre des nouveaux contrats de plan
Etat-région.
Je tiens à rappeler les chiffres : avec une enveloppe de 2,5 milliards de
francs, en hausse de 73 % par rapport à la précédente génération, la culture
s'est vu, là aussi, reconnaître le caractère d'un domaine privilégié
d'intervention de l'Etat sur le territoire, en partenariat avec les régions.
Evidemment, on peut considérer que les sommes consacrées au patrimoine rural
non protégé, soit 35 millions de francs, ne sont pas encore suffisantes. Mais
je rappelle que, pour ce qui concerne toute une partie du patrimoine, j'ai
débloqué les crédits pour la création de la Fondation du patrimoine, fondation
de droit privé qui doit précisément prendre en charge une nouvelle forme de
financement. Cette fondation s'est mise en place telle que prévue.
Nous avons aussi réglé la question de l'agrément fiscal pour les travaux
labellisés par la fondation. Il reste à convaincre les partenaires privés. Or,
ce qui, pour nous, semblait pouvoir aboutir assez facilement dans la
perspective de cette fondation, s'avère beaucoup plus difficile que prévu.
J'en viens à la situation de l'archéologie préventive. La faiblesse de sa base
légale a entraîné une crise. J'avais décidé de régler définitivement la
question. Sur la base du rapport qui m'a été remis en juin 1998, j'ai présenté
au conseil des ministres du 5 mai 1999 un projet de loi qui se fonde sur
certains principes. Ainsi, l'archéologie est une science composante à part
entière de la recherche archéologique ; elle doit intervenir au moindre coût,
le plus rapidement possible et de façon égale sur tout le territoire.
J'ai donc proposé la création d'un établissement public administratif, qui
fonctionnera grâce au produit d'une redevance acquittée par les aménageurs, en
associant le plus largement possible les scientifiques - universités, Centre
national de la recherche scientifique, archéologues des collectivités - et les
partenaires associatifs, bien évidemment. Les modalités seront précisées dans
les décrets d'application actuellement à l'étude et soumis à la
concertation.
M. Vidal a évoqué la Maison du cinéma. La réalisation du bâtiment de Franck O.
Gehry, pour un montant de 154 millions de francs, permettra une répartition
nouvelle des espaces en réunissant la cinémathèque, le musée et la bibliothèque
du film, la BIFI, dans des espaces publics d'accueil et de convivialité. Les
travaux devraient commencer en 2000 et s'achever dans le courant de 2001. Les
services du ministère sont en train de déterminer le coût de fonctionnement de
cette future Maison du cinéma mais, bien évidemment, par rapport au Palais de
Tokyo, l'ordre de grandeur est nettement inférieur.
Enfin, s'agissant des multiplexes, autres équipements culturels, j'attends les
conclusions de M. Delon pour envisager les modifications de la procédure
actuelle d'autorisation des équipements. Les pistes qui ont été évoquées à
cette tribune sont intéressantes, et nous aurons l'occasion d'en reparler lors
de la remise du rapport de M. Delon, à la fin du mois de janvier.
Parallèlement, le CNC soumet les grands circuits à des engagements précis de
programmation. Nous sommes en train d'en discuter avec les responsables de la
distribution. Il est donc possible au CNC de peser sur l'offre
cinématographique mise à la disposition du public.
Le projet de budget de la culture pour 2000 comporte également des avancées
très sensibles dans le domaine de l'emploi. Mesdames, messieurs les sénateurs,
vous avez bien voulu le souligner.
Les 295 créations d'emplois - 100 par création nette et 195 par transfert
d'agents contractuels de l'Etat affectés dans des établissements publics vers
ces établissements - constituent une avancée sans commune mesure avec l'année
en cours. En outre, 79 emplois vont être créés dans le budget des
établissements publics.
Les créations d'emplois obtenues en 2000 vont permettre d'engager une étape
décisive dans la résorption de l'emploi précaire au ministère et dans ses
établissements.
L'emploi précaire, qui est occupé par ceux que l'on désigne communément sous
le terme, souvent impropre, de « vacataires », s'est généralisé pour pallier
l'insuffisance en emplois statutaires de l'Etat. Ce besoin a été évidemment
accru par la création et l'ouverture de nouveaux établissements. Certes, les
efforts de financement avaient été prévus en investissement, mais le ministère
n'avait pas été doté en postes, et ce pour des raisons que l'on connaît.
J'estime avoir aujourd'hui réuni les deux conditions nécessaires à une
réduction déterminée de l'emploi précaire.
La résorption de l'emploi précaire n'intervient pas à nombre d'emplois
budgétaires constant, sur des emplois budgétaires vacants ; elle repose sur des
créations d'emplois au budget du ministère et de ses établissements publics. La
titularisation de vacataires n'entraînera donc pas une réduction du volume
global des moyens humains disponibles, ce qui ne manquerait pas d'affecter
l'étendue et les amplitudes horaires des services ouverts au public,
préoccupation que vous avez exprimée.
J'ai la ferme volonté de réduire l'emploi précaire de manière définitive et de
prévenir sa reconstitution.
C'est l'objet de la circulaire que j'ai signée le 15 octobre dernier, qui
interdit le recours à de nouveaux vacataires pour couvrir les besoins
permanents à temps complet du service public de la culture. Cet engagement
était au coeur du protocole d'accord de fin de grève négocié avec les
organisations syndicales.
En outre, ainsi que le prévoit le projet de loi de finances pour 2000, les
budgets de vacation du ministère et de ses établissements publics diminueront,
afin de prendre en compte les titularisations qui interviendront sur les
emplois nouvellement créés.
Ainsi, la remise en ordre de marche du ministère de la culture et de la
communication permet, aujourd'hui, l'affirmation d'une nouvelle dynamique vers
l'extérieur, qui s'exprime dans plusieurs directions.
Il s'agit, tout d'abord, d'une démarche d'offre culturelle en direction des
publics. Les lieux de culture - musées et monuments historiques - doivent
regagner le public qui les a délaissés et en gagner de nouveaux.
Il s'agit, ensuite, d'une offre de partenariat en direction des autres
collectivités publiques et des acteurs culturels, qui s'exprime notamment à
travers la charte du spectacle vivant, les chartes des enseignements des
disciplines du spectacle vivant et des arts plastiques, en cours de
préparation, ou le cofinancement d'investissements structurants au plan
régional ou local.
Je signale l'installation récente, auprès de mes services, du conseil des
collectivités territoriales, représentant donc tous nos élus, avec lequel nous
allons travailler en étroite collaboration.
Il s'agit, encore, d'une présence affirmée sur de grands enjeux collectifs de
notre temps, avec la préservation des sites naturels - je pense à la mise en
valeur de la baie du Mont Saint-Michel - la requalification d'espaces urbains
ou de sites anciens, la recherche d'un équilibre sur le territoire entre les
sites intéressants ou l'extension du Mémorial du martyr juif.
Il s'agit, enfin, de la recherche systématique de décloisonnements entre les
disciplines artistiques, les champs de recherche et de savoir, oppositions
souvent stériles. Qu'il s'agisse du centre de la jeune création ou de la cité
de l'architecture et du patrimoine, pour ne citer que quelques projets qui vont
rassembler chercheurs et conservateurs publics, le dialogue sera donc
permanent.
Je remercie le Sénat d'avoir souligné l'intérêt de l'ouverture des espaces
cultures multimédias. Ces développements sont extrêmement intéressants.
Au-delà, et dans le cadre de la mise en place de la société de l'information,
nous avons lancé la numérisation de l'ensemble du patrimoine des collections,
qu'il s'agisse de livres ou d'oeuvres de toutes sortes, y compris relevant du
patrimoine audiovisuel.
En ce qui concerne la BNF, qui joue un rôle majeur dans le paysage des
établissements publics de l'Etat, tout le monde a en mémoire les difficultés
rencontrées à l'occasion de l'ouverture des salles de lecture, en particulier
pour la communication des documents.
Le système informatique fourni par Cap Gemini ne donnait pas satisfaction.
Lorsqu'il a été demandé à Cap Gemini d'apporter toutes les corrections
nécessaires, nos interlocuteurs n'ont cessé de repousser le calendrier, pour
des interventions qui étaient pourtant indispensables. De plus, l'entreprise
n'a pas hésité à faire une demande de complément financier important pour
terminer son travail. Malgré une mise en demeure qui a été adressée par la BNF
en mai 1999, aucune amélioration n'a été constatée ; il a donc été décidé de
résilier le contrat, avec mon accord et celui de Dominique Strauss-Kahn, le 22
juillet dernier.
Actuellement, c'est le service informatique de la BNF qui assure la
maintenance de l'informatique et améliore les fonctionnalités du système.
J'ajoute que l'établissement fonctionne désormais dans de biens meilleures
conditions, aussi bien pour les usagers que pour le personnel.
Dans ce ministère, mon rôle est de rassembler. La culture est un bien commun
dont les différentes expressions et composantes méritent d'être soutenues et
encouragées plutôt que d'être opposées.
La politique culturelle ne saurait se résumer à l'alternative, que je crois
fausse et stérile, entre soutien à la création et conservation du
patrimoine.
Gardons-nous d'un patrimoine qui se résumerait à une suite de lieux qui ne
parleraient pas à nos contemporains ! Attention à une création dépourvue de
public !
M. Ralite a évoqué la conférence de Seattle. Ce fut pour moi l'occasion de
rencontrer la représentation parlementaire nationale dans ses différentes
composantes ; j'en ai tiré un très grand bénéfice.
Je voudrais dire ici combien je me réjouis de préparer la présidence française
de l'Union. Notre action pourra se développer selon deux orientations.
Il s'agira, d'abord, de maintenir notre objectif pour que soit reconnu comme
un droit universel le droit de chacun des citoyens du monde à s'exprimer dans
sa culture.
Nous devons prouver que notre vision européenne vaut aussi pour les pays en
voie de développement. Aussi me suis-je engagée à ce que nous préparions, avec
le Maroc et d'autres pays en voie de développement, le débat sur le commerce
électronique, afin que le commerce ne se substitue pas à la liberté
d'expression et de création même si, bien sûr, le commerce est un échange et
permet aussi de faire circuler l'information.
Il s'agira, ensuite, pour nous, de garder, sur cette nouvelle planète qu'est
Internet, la possibilité de défendre aussi une exception culturelle. Invitée
l'année dernière à Genève par l'
Internet Society
, j'ai indiqué qu'au
fond, si l'on voulait qu'Internet reste fidèle à lui-même, il fallait aussi
qu'on le considère comme une exception culturelle, car c'est d'abord un enjeu
et un moyen de communication entre les hommes.
Voilà ce que nous continuerons de défendre en défendant aussi nos propres
positions, notamment notre industrie du cinéma et nos exportations de
programmes audiovisuels.
Mais nous pouvons lier les deux, et c'est d'ailleurs ce qui me paraît
constituer la force de la position française. Je crois que c'est le sentiment
de tous ici. C'est du moins ainsi que j'interprète les appréciations que vous
avez portées sur ce budget : vous vouliez me donner de la force en montrant que
le Parlement tenait à s'exprimer uni.
(Applaudissements sur les travées
socialistes ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen. - M. André Maman applaudit également.)
M. le président.
Nous allons procéder à l'examen et au vote des crédits concernant la culture
et figurant aux états B et C.
ÉTAT B
M. le président.
« Titre III : 173 840 935 francs. »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix les crédits figurant au titre III.
(Ces crédits sont adoptés.)
M. le président.
« Titre IV : 169 595 432 francs. »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix les crédits figurant au titre IV.
(Ces crédits sont adoptés.)
ÉTAT C
M. le président.
« Titre V. - Autorisations de programme : 2 024 100 000 francs ;
« Crédits de paiement : 515 633 000 francs. »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix les crédits figurant au titre V.
(Ces crédits sont adoptés.)
M. le président.
« Titre VI. - Autorisations de programme : 1 681 470 000 francs ;
« Crédits de paiement : 900 645 000 francs. »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix les crédits figurant au titre VI.
(Ces crédits sont adoptés.)
M. le président.
Nous avons achevé l'examen des dispositions du projet de loi de finances
concernant la culture.
Communication
M. le président.
Le Sénat va examiner les dispositions du projet de loi concernant les crédits
relatifs à la communication : crédits du Conseil supérieur de l'audiovisuel,
d'aides à la presse et à l'audiovisuel inscrits aux services généraux du
Premier ministre.
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Claude Belot,
rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et
des comptes économiques de la nation.
Monsieur le président, madame le
ministre, mes chers collègues, voilà un instant, je voyais un ministre de la
culture heureux, avec un budget voté par tout le monde, avec des frontières
bien délimitées. La culture est un sujet qui, manifestement, ne pose pas de
problème, même si, bien loin d'ici, sur la côte ouest des Etats-Unis, on en
discute. En l'occurrence, faire savoir ce qui est français n'est pas trop
compliqué.
Il en est de même de la presse. Depuis que je suis chargé de rapporter ce
budget, j'ai rencontré les responsables de la presse. Tous m'ont dit : certes,
il s'agit d'une usine à gaz très compliquée, car, au fil du temps, chacun a
apporté sa pierre et personne n'a rien retiré, mais, surtout, n'y touchez pas !
(Sourires.)
Alors, respectons l'histoire et les dispositifs très
complexes. D'ailleurs, cela ne porte pas sur des sommes considérables.
Permettez-moi cependant de formuler quelques observations.
D'abord, la loi de finances de 1998 a instauré un fonds de modernisation de la
presse, qui, en deux ans, a rapporté 300 millions de francs. C'est beaucoup
moins que ce qu'on attendait, mais ces 300 millions de francs ne s'en «
entassent » pas moins ; ils ne sont pas dépensés, car on ne sait pas exactement
ce qu'il faut en faire ! En effet, un désaccord oppose les responsables de
presse et les techniciens qui sont sous votre autorité, madame le ministre.
Nous avons le sentiment que la situation ne se débloque guère.
Dans ces conditions, de deux choses l'une : ou bien on trouve une solution qui
a l'accord de toutes les parties et qui constitue une véritable modernisation -
c'est-à-dire une solution qui n'impose pas des solutions techniques déjà
dépassées - ou bien on supprime cette taxation qui, pour l'instant, n'a d'autre
effet que d'assurer un meilleur état de ses finances à la nation, ou tout au
moins à sa trésorerie.
Pendant longtemps, en France - il faudra bien résoudre cette question, qui est
une des scories de l'histoire - on a vécu en faisant travailler les services
publics et les entreprises publiques. Ainsi, la SNCF et la poste transportaient
la presse. Or, le statut de ces entreprises a changé. Elles ont maintenant une
obligation d'équilibre de leurs comptes, mais on ne transfère jamais les sommes
nécessaires pour assurer une juste rémunération du service.
Cette année, vous avez trouvé une solution. En effet, vous transférez une
partie de la charge au SERNAM, le Service national des messageries. Or, vous le
savez, ce service est en si mauvaise posture qu'il faudra le recapitaliser et
changer complètement son statut vraisemblablement d'ici à très peu de temps.
C'est d'ailleurs ce que m'a dit M. Gallois voilà quelques jours. La situation
actuelle ne peut perdurer. Alors, de grâce, n'aggravez pas une situation qui
est déjà désastreuse.
Enfin, il est un problème qui me semble très important, c'est celui de
l'Agence France-presse.
Vous avez désigné un nouveau responsable. Il a l'ambition de changer la façon
dont se porte le regard de la France sur le monde, car c'est cela l'Agence
France-presse ! Il s'agit en effet d'informer en temps réel l'ensemble des
médias, des moyens de connaissance du monde entier. Sur le plan de la
technicité, c'est une superbe entreprise. Mais elle n'a cessé de perdre des
parts de marché au fil des ans. Voilà vingt ans, l'Agence France-presse jouait
dans la même cour que Reuter Associated Press. Or, aujourd'hui, son chiffre
d'affaires représente vingt fois moins que celui de ses concurrents.
Si l'on n'y prend garde, l'Agence France-presse disparaîtra purement et
simplement - ce serait bien dommage ! - car elle n'aura plus la crédibilité ni
les moyens d'informer convenablement dans tous les domaines, y compris dans le
domaine économique. Aussi, madame le ministre, il faut traiter ce dossier très
rapidement, car le temps presse.
D'ailleurs, sans vouloir gêner le moins du monde l'entreprise, j'ai
l'intention d'aller faire, comme les textes m'y autorisent, un contrôle sur
pièces et sur place afin de comprendre pourquoi un plan de modernisation qui me
semblait intéressant n'a pas suscité plus d'enthousiasme. Les personnels
doivent se rendre compte qu'il en va de l'existence même de l'entreprise.
J'en viens à l'audiovisuel. Malheureux audiovisuel, car c'est un domaine où
les frontières ne sont plus celles de l'Hexagone. Dans de nombreux lieux, en
Europe la plus proche, là où la culture de la France est la plus présente, en
particulier dans l'Europe du Sud, la voix de la France s'est tue. Il est
impossible de capter les radios françaises. On m'explique qu'il y a à cela des
raisons techniques. Aujourd'hui, on émet effectivement de plus en plus en
modulation de fréquence, les autres modes d'émission ayant disparu ou étant
résiduels.
On ne peut donc plus capter les radios françaises. Lorsqu'on le dit aux
responsables, ils répondent qu'il suffit de se connecter à leur site sur
Internet, comme si les Français qui vont en Espagne ou en Italie emmenaient ce
qu'il faut pour se connecter à Internet ! C'est une certaine façon d'être à
l'avant-garde, mais c'est aussi être en dehors du monde réel.
Radio France internationale, qui a ses zones d'action, fait un très bon
travail, mais avec très peu de moyens.
S'agissant de la télévision, la situation est inquiétante. En effet, c'est la
première fois dans l'histoire de l'image que l'on assiste simultanément à tant
d'évolutions technologiques. C'est désormais sur la place publique.
Aujourd'hui, tous les grands journaux consacrent de nombreuses pages à
l'évolution des médias. Ils ont raison, parce que cela intéresse le public,
parce que nous sommes concernés et qu'informer est leur métier. Dans les
médias, cela bouge tous les jours. Or, on constate que l'initiative
n'appartient plus au secteur public.
Depuis six mois, j'ai l'honneur de présider un groupe de travail de la
commission des finances. Nous avons procédé à de très nombreuses auditions et
voulu voir ce qui se passait ici et dans le reste du monde. Certes, nous ne
sommes pas allés partout, mais nous avons tout de même voyagé un peu. Nous
l'avons constaté, il y a aujourd'hui un certain nombre de certitudes. Je vous
l'accorde, le monde bouge très vite.
Ainsi, les archives de tous ceux qui étudiaient l'évolution de la télévision
en 1995 et 1996 révèlent que, à l'époque, le doute subsistait encore sur
l'avènement du numérique. Or, aujourd'hui, il est partout, sauf précisément à
la télévision et à la radio publiques.
Dans ce groupe de travail, j'ai eu le sentiment - c'est une bonne chose, car
il s'agit d'un sujet qui peut nous rassembler - que nous étions porteurs d'une
des grandes civilisations du monde, d'une civilisation qui s'est toujours
illustrée dans la création artistique, et vous le savez bien, madame le
ministre, compte tenu des responsabilités qui sont les vôtres.
Nous souhaitons un audiovisuel public fort, parce qu'il ne faut pas laisser le
marché arbitrer. Dans les conclusions que nous rendrons bientôt, ce sera
précisément un des points majeurs, peut-être le plus important, le reste étant
de l'intendance.
Nous refusons, comme c'est le cas en Grande-Bretagne, d'être soumis au jeu de
personnes qui nous manipulent, nous informent, nous désinforment, nous montrent
ce qu'elles ont envie de nous montrer parce que cela leur rapporte le plus
d'argent possible. Ce n'est pas l'objectif que cherche à atteindre le Sénat.
Les sénateurs, quelles que soient les travées sur lesquelles ils siègent, ont
le sens de l'intérêt national. Or, celui-ci nous commande d'avoir un
audiovisuel public fort.
Cela signifie que la révolution numérique doit être vécue. Le président de
Radio France, Jean-Marie Cavada, m'a dit qu'il n'avait pas les moyens
financiers pour renouveler son parc de machines et que l'on ne retrouve plus de
pièces détachées. Or tous ses collègues des radios privées disposent, eux, des
moyens pour travailler autrement. De même, les journalistes de France 3
couvrent parfois les événements locaux avec des caméras lourdes, très chères et
anciennes. Or, au Québec, la télévision locale de Baie-Saint-Paul émet deux
heures par jour avec un budget annuel de 1,3 million de francs, somme dérisoire
compte tenu de l'enjeu. Elle est équipée d'une caméra numérique japonaise
coûtant 8 000 francs. Voilà la réalité !
Qu'on le veuille ou non, le numérique va s'imposer partout et il faut donc
s'adapter.
A ce propos, nous pourrions parler sans fin du problème des « tuyaux ». Pour
vous éclairer sur ce sujet, madame le ministre, vous avez demandé l'élaboration
de rapports, qui sont d'ailleurs de qualité.
Aujourd'hui, la diffusion hertzienne est partout battue en brèche. Deux
événements importants sont à noter à cet égard.
Tout d'abord, l'an dernier, à peu près à la même date, je vous avais indiqué
que 1,5 million de personnes en France recevaient des « bouquets » de
télévisions par satellite ; au moment où nous parlons, ce chiffre a
pratiquement doublé.
En outre, on constate une nouvelle jeunesse du câble. Voilà un an, le câble
était un peu considéré comme le « La Villette » de l'audiovisuel. Or,
aujourd'hui, on s'aperçoit que les câblo-opérateurs, essentiellement américains
- et le CSA a attiré votre attention sur ce point - sont en train d'acheter au
prix de l'or ce qui, hier, ne valait pratiquement rien.
En effet, l'enjeu est fantastique, puisqu'il s'agit de la propriété de la «
boucle » locale, alors que l'on sait que la convergence se met en place. Ainsi,
de grandes sociétés mondiales préparent le raccordement, sur le même téléviseur
et par l'intermédiaire d'un même câble, au réseau téléphonique, à Internet et
aux chaînes de télévision. La convergence est donc bien en voie de réalisation,
non pas pour le quatrième millénaire, mais pour les premiers mois du troisième
millénaire, et l'on sait que celui qui est maître des « tuyaux » est maître du
jeu.
En Amérique, aujourd'hui, les câblo-opérateurs se font payer pour diffuser les
images. Ce n'est donc pas un organisme public qui fixera les prix. Quand on
voudra être diffusé par tel câble ou par tel satellite, il faudra payer sa
place. Tel est le système qui se mettra en place, d'où la bataille qui fait
rage entre les câblo-opérateurs. Les réseaux qui se payaient 1 000 francs la
prise il y a un an s'achètent désormais au prix de 6 500 francs par foyer
raccordé.
En un an, le monde a été bouleversé. L'accélération fait sentir ses effets
depuis un an, depuis que je me suis adressé à vous ici même au Sénat, voilà
quelques mois seulement. L'évolution est très rapide, et l'on sait qu'elle va
s'accentuer.
A ce propos, je ne suis pas de ceux qui croient que l'avenir de la France se
joue à la corbeille, mais on est bien obligé d'observer ce qui s'y passe :
l'accroissement fabuleux de la capitalisation boursière du secteur de
l'audiovisuel depuis un an - on sait que la Bourse anticipe toujours les
évolutions - signifie que les marchés financiers ont confiance dans l'avenir de
ces nouveaux « tuyaux », dans leur succès et dans leur rentabilité futurs.
C'est une affaire que vous vous contentez d'observer, madame le ministre,
parce que vous n'avez pas les moyens de faire grand-chose d'autre. Vous
disposez d'une certaine marge de manoeuvre, notamment par le biais du Conseil
supérieur de l'audiovisuel - et c'est tant mieux - mais le délit de réception
n'existe pas en droit français. C'est ainsi, et il faut être conscient des
réalités.
Les sociétés françaises sont bien présentes dans la diffusion satellitaire,
mais le câble est en train de nous échapper ; or, celui qui en aura la maîtrise
l'utilisera comme il l'entend, pour diffuser images et sons. Je ne suis pas
technicien, la physique n'est pas mon fort, mais je lis et j'écoute ceux qui
savent, et ceux-ci affirment que la compression numérique progressera encore,
permettant d'intensifier le flux des données transitant par le câble.
En outre, les seuls satellites actuels, par exemple Astra et Eutelstat,
peuvent transmettre 2 000 chaînes simultanément. Cette capacité de diffusion
sans cesse croissante impose la mise en place d'une offre nouvelle de
programmes, et la télévision publique ne sera plus qu'une télévision
résiduelle, ce qui est, madame le ministre, inacceptable.
Actuellement, la majorité de nos compatriotes se contentent encore de la
télévision hertzienne analogique et de ses six canaux, mais ce n'est plus la
situation qui prévaut dans la plupart des grands pays du monde. Préparons-nous
donc à des changements rapides, car les hommes d'affaires sont dynamiques et
disposent de moyens importants. Très vite, les câblo-opérateurs se
constitueront une véritable clientèle, et vous n'y pourrez rien, madame le
ministre. Ils auront le droit d'émettre, et vous aurez beau invoquer les
quotas, il faudra bien alimenter en programmes des centaines de chaînes.
En fait, le problème des « tuyaux » est aujourd'hui en voie de se résoudre de
lui-même. Nous en viendrons au numérique hertzien, même si le «
switch
off
», c'est-à-dire l'arrêt de la diffusion analogique en France, n'est pas
programmé, ce qui affaiblit notre industrie de la télévision, car ses
responsables ignorent ce qui se passera dans les années à venir. Cependant, il
faudra bien que l'on produise en grande quantité des images de qualité pour
alimenter tous les « tuyaux ».
Tels sont les enjeux actuels.
Vous me rétorquerez que, pour faire face à cette situation, il faut des
moyens, et que vous n'en avez pas. Pourtant, la redevance audiovisuelle est une
recette « dynamique », grâce à l'adoption, voilà quatre ans, d'un amendement
sénatorial qui prévoyait le croisement des fichiers de la taxe d'habitation et
de ceux de la redevance. Cette mesure a permis de dynamiser la recette, qui
s'élève cette année à 13 milliards de francs, contre 12 milliards de francs
l'année dernière.
Mais ce succès a attiré l'attention des fonctionnaires de Bercy. Pour avoir
été ici même pendant neuf ans rapporteur du budget des charges communes, je
connais leur mode de raisonnement : ils récupèrent les surcroîts de recettes de
l'année précédente ! Vous ne devez pas l'accepter, madame le ministre ! Certes,
il est ardu de résister à l'administration de Bercy, mais il faut que vous
obteniez qu'une recette affectée soit utilisée comme elle doit l'être, et sans
attendre l'exercice budgétaire n + 1, n + 2 ou n + 10. C'est important, et un
amendement sera examiné tout à l'heure, visant à vous aider dans ce combat.
Par ailleurs, vous avez décidé de réduire le temps alloué à la publicité sur
les chaînes publiques.
C'est un choix, mais, outre qu'il entraîne une baisse des recettes
correspondantes, j'observe autour de moi que les jeunes aiment bien la
publicité, alors que ma mère l'apprécie moins ; je ne suis donc pas certain que
vous vous situiez à l'avant-garde !
Cela étant, vous connaissez la vérité : les recettes publicitaires baissaient
de toute façon, et de manière significative, tout simplement parce que
l'audimat indiquait un recul de l'audience des chaînes publiques. C'est ce que
me disent les responsables de la régie de publicité, dont je suis l'un des
clients en tant que responsable d'une collectivité locale, et même un
partenaire pour la réalisation, dans mon département, de l'émission de jeux
télévisés
Fort Boyard
.
Cela ne me fait pas plaisir, mais vous êtes obligé de compenser ce manque à
gagner par des crédits venant du budget général. Vous avez ainsi obtenu un peu
mieux que la compensation pour la redevance non perçue ; il est vrai, madame le
ministre, que cela représente 1,5 milliard de francs, soit beaucoup plus
qu'auparavant - je ne le nie pas - mais, en regard, l'enjeu est immense.
Parallèlement, le passage aux 35 heures - je ne discuterai pas aujourd'hui de
son opportunité, tel n'est pas le sujet - aura un coût, qu'il faudra également
financer. Votre budget se trouve dans la même situation que la mer à La
Rochelle, qui est bue par le sable et dont le niveau ne monte pas !
(Sourires.)
Nous devons traiter cette question en profondeur, avec de
vrais moyens !
Face à ce constat, la redevance a le mérite d'exister. Puisque nous nous
trouvons aujourd'hui devant un enjeu national majeur - les Français sont
capables de le comprendre, et je suis sûr que le Sénat en est tout à fait
conscient - pourquoi ne pas faire comme les Anglais ? En Grande-Bretagne, la
redevance est beaucoup plus élevée. Il n'est certes pas très populaire
d'augmenter le prix du tabac ou le montant de la redevance, mais au diable
l'impopularité ! Les peuples forts et les gouvernements responsables osent une
telle mesure ! Pour ma part, je défendrai cette proposition, tellement je suis
convaincu de l'importance du sujet.
Il faudra y venir un jour, sinon d'autres arbitreront. Sur TPS, sur Canalsat
et ailleurs, la télévision française aura alors simplement la même place que
toutes les autres télévisions du monde, que l'on nous propose déjà gratuitement
! Personnellement, je ne souhaite pas du tout une telle évolution, madame le
ministre, et le Sénat non plus.
Dès lors, s'il y a une révolution culturelle à faire, eh bien essayons d'y
réfléchir ensemble, si vous le voulez bien. Pour l'instant, nous avons le
sentiment que vous nous présentez un budget de reconduction, comme ce fut le
cas en 1938 : la loi de finances de 1939 avait alors été votée en reconduction
de la loi de finances de 1937. Mais certains événements sont survenus...
Il s'agit là d'un enjeu national majeur, je le répète. Je ne dirai pas que la
patrie est en danger, mais la culture française l'est à coup sûr, au moins sa
diffusion dans le monde. Adopter ma suggestion est le seul moyen de changer
complètement de « braquet », pour faire en sorte que les Français soient un
peuple fort, fort de ce qu'il est capable de produire, fort de son esprit de
rébellion qui s'est manifesté en certaines heures de notre histoire.
C'est aussi un problème existentiel. Dans l'ensemble des problèmes qui se
posent aujourd'hui à notre pays, il est sans doute l'un des plus importants. Je
me suis permis d'attirer votre attention sur lui, mais vous saviez déjà, bien
sûr, tout ce que je viens de dire ! Vous ne pouvez que le savoir, au poste qui
est le vôtre, et cela ne doit pas être drôle de ne pas avoir de prise sur les
événements !
M. le président.
Monsieur le rapporteur, votre temps de parole est épuisé. Je suis contraint de
vous demander de conclure.
M. Claude Belot,
rapporteur spécial.
J'y viens, monsieur le président, veuillez
m'excuser.
J'indiquerai simplement que, si la commission a émis un avis favorable à
l'adoption de l'article 51 et de l'article 55 sous réserve de l'amendement
qu'elle propose, elle n'a pas cru pouvoir préconiser, contrairement à l'année
dernière, l'adoption du budget de la communication audiovisuelle, parce qu'il
n'offre pas au secteur public les moyens adaptés à la gravité de la situation
actuelle.
(Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. le président.
La parole est à M. Hugot, rapporteur pour avis.
M. Jean-Paul Hugot,
rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles, pour la
communication audiovisuelle.
Monsieur le président, madame la ministre,
mes chers collègues, il y a deux façons complémentaires d'aborder l'examen du
projet de budget de l'audiovisuel public pour 2000 : considérer les chiffres
bruts, ou bien - M. le rapporteur spécial l'a fait de façon très opportune -
les mettre en perspective.
En commentant les chiffres bruts devant la commission des affaires
culturelles, vous nous aviez invités en quelque sorte, madame la ministre, à ne
pas négliger la mise en perspective. L'exercice budgétaire 2000 serait, nous
disiez-vous, « la première étape de la mise en oeuvre des engagements pris par
le Gouvernement en vue de redonner au secteur public de l'audiovisuel toute sa
légitimité et d'assurer son développement ».
Ayant trouvé dans les chiffres du projet de budget des motifs de satisfaction,
j'ai suivi votre conseil, mais la mise en perspective m'a apporté quelques
raisons d'inquiétude.
Il y a, dans votre projet de budget, des choses très positives en ce qui
concerne tant l'évolution globale des ressources que l'évolution de la
structure de financement des organismes.
Ainsi, les crédits de l'audiovisuel public augmenteront globalement de 9,8 %
en 2000 par rapport à la loi de finances initiale de 1999. Cette augmentation,
la plus forte enregistrée depuis 1996, traduit le caractère effectivement
prioritaire de l'audiovisuel public dans un projet de budget général dont la
croissance est alignée sur la hausse prévisionnelle de 0,9 % des prix à la
consommation.
Les dotations de France 2 et de France 3 progressent, quant à elles, de façon
accentuée : 7,6 % pour France 2 et 5,8 % pour France 3, contre 3,7 % pour la
Sept-Arte et 3,1 % pour La Cinquième, ce qui confirme le rôle prééminent déjà
reconnu, en 1999, aux chaînes généralistes du secteur public.
Pour autant, soyons clairs, la Sept-Arte et La Cinquième ne sont pas
sacrifiées, puisque le taux de progression de leurs dotations est assez
nettement supérieur à celui de 1999.
Bien entendu, tous les organismes publics ne sont pas logés à l'enseigne du «
bonus » budgétaire. L'INA, l'Institut national de l'audiovisuel, voit ainsi sa
dotation gelée au niveau de 1999, RFO, la société de radiodiffusion et de
télévision pour l'outre-mer, voit la sienne augmenter de 3 % et, enfin, le
budget de Radio France progressera, en 2000, de 2,2 %, pour atteindre 2,877
milliards de francs.
Par ailleurs, le projet de loi de finances pour 2000 engage la mutation de la
structure de financement de l'audiovisuel public. Les ressources publiques
représenteront, en 2000, 74 % du total des recettes, contre 69,4 % en 1999, les
ressources de publicité et de parrainage passant, quant à elles, de 26 % à 21,9
%.
Cette évolution est rendue possible par l'augmentation sensible du produit de
la redevance et par la très importante augmentation des crédits budgétaires de
remboursement des exonérations de redevance.
En ce qui concerne la redevance, le taux d'augmentation du tarif sera, comme
en 1999, égal à celui de l'inflation prévisionnelle, soit 0,9 %.
Quant aux crédits budgétaires, ils sont en très large augmentation et seront
désormais affectés, afin de les mettre à l'abri de la régulation budgétaire, au
compte d'emploi de la redevance audiovisuelle. J'approuve tout à fait cette
intention.
Il faut aussi retenir que l'augmentation de 1,499 milliard de francs des
ressources publiques du secteur audiovisuel est supérieure à la baisse des
ressources propres des organismes, qui est estimée à 616 millions de francs,
dont 572,7 millions de francs de baisse des recettes publicitaires de France 2
et de France 3.
Je note enfin, sans m'y attarder, que ces évolutions se retrouvent dans les
projets de budget de France 2 et de France 3.
Tout cela est globalement satisfaisant, bien que fragile, certes, puisque
l'avenir ne confirmera pas forcément le pari sous-jacent que vous faites,
madame la ministre, sur la pérennité des recettes budgétaires. Mais nous
n'allons pas juger le projet de budget d'après les choix des futurs
gouvernements. Notons simplement aujourd'hui que le Gouvernement a réalisé pour
l'audiovisuel public un effort estimable, et passons, comme je l'indiquais, à
la mise en perspective.
La mise en perspective ne nécessite pas la construction d'hypothèses sur les
choix politiques et financiers de l'avenir. Je me contenterai de tirer les
leçons du proche passé.
Que faut-il constater à cet égard ? Tout simplement que les prévisions du
projet de budget pour 2000 sont largement bâties sur le sable, celui des
déficits cumulés des exercices passés, celui de la crise des ressources
publicitaires, celui de l'inquiétante crise de l'audience : tout ce qui pèse et
pèsera sur le financement de l'indispensable entrée de l'audiovisuel public
dans l'ère numérique et dans la société de l'information.
Je ne donnerai qu'un seul chiffre pour illustrer la crise des ressources
publicitaires du secteur public : au premier semestre 1999, la part d'audience
des écrans publicitaires diffusés par France Télévision a diminué de 11 % à 12
% par rapport aux six premiers mois de l'année précédente ; par rapport à 1996,
la chute est de 24 % sur France 2 et de 17 % sur France 3.
Cette situation, qui prolonge celle de 1998, provoque peut-être la
satisfaction des partisans les plus virulents de la diminution à marche forcée
des ressources propres des chaînes publiques. Manifestement, le marché précède
leurs désirs. J'y vois plutôt, avec regret, la conséquence d'une fragilité
d'image et d'une fragilité financière qui m'inquiètent.
La situation financière globale des chaînes publiques est, en fait, assez
profondément dégradée. Selon certaines informations, France Télévision pourrait
enregistrer, en 1999, un déficit budgétaire avoisinant 200 millions de
francs.
Toutes les informations dont nous disposons sur la situation budgétaire de
France 2 et de France 3 conduisent à un diagnostic de précarité : un cycle de
déficits semble se profiler, cycle que l'infléchissement autoritaire de la
structure des ressources prévu par votre projet de loi accentuera
nécessairement si les ministres de la culture n'obtiennent pas, année après
année, auprès du Premier ministre et du ministre des finances, les crédits
budgétaires nécessaires à l'apurement des comptes et au financement de la
diversification.
Par ailleurs, le projet de budget pour 2000 n'ouvre guère de véritables
perspectives en matière de mesures nouvelles et ne peut donc être présenté
comme le point de départ de l'ère nouvelle que vous nous promettez, madame la
ministre, de manière optimiste.
Reprenons le raisonnement où je l'avais interrompu. Lors de votre audition par
la commission des affaires culturelles, vous avez parlé de traiter le problème
du déficit budgétaire de France 2 et de France 3 en 1999 dans le cadre de la
loi de finances rectificative afin, disiez-vous, « de ne pas empiéter sur les
marges de financement supplémentaires que le budget de 2000 accorde aux chaînes
». Vous estimiez par ailleurs cette marge de développement à quelque 300
millions de francs.
Si le déficit s'élève à plus de 200 millions de francs, comme on le dit, si la
loi de finances rectificative répond imparfaitement à vos espoirs - j'ai bien
noté l'énergie que le Gouvernement a été obligé de déployer à ce sujet à
l'Assemblée nationale, et tout n'est pas encore dit - ou même si la loi de
finances rectificative répond à vos espoirs, le reliquat disponible sera bien
modeste et le développement des chaînes durement oblitéré à un moment crucial
de leur devenir.
« Voilà qui est joliment dit, mais que proposez-vous, vous-même ? », m'ont
demandé quelques collègues de la commission, quand j'ai présenté mon projet
d'avis budgétaire.
Il ne m'appartient naturellement pas de refaire les budgets de l'audiovisuel
public, mon collègue Claude Belot et la commission des finances étant mieux
placés que moi à cet égard et y travaillant avec beaucoup d'ardeur. Mais la
commission des affaires culturelles a bien voulu me nommer rapporteur du projet
de loi sur la communication audiovisuelle, et, dans le cadre de cette mission,
je tente de dessiner des perspectives d'avenir pour l'audiovisuel public,
j'élabore des propositions, que je soumettrai à la commission à la fin de ce
mois. Je pense, en particulier, au numérique terrestre, qui constitue, pour les
chaînes publiques, la meilleure - peut-être l'unique - voie d'accès au monde du
multimédia et à la société de l'information. C'est dire l'importance de cet
enjeu pour le service public. Nous aurons l'occasion d'en débattre très
prochainement dans cette enceinte, madame la ministre, comme nous discuterons
de stratégies de développement, de principes de financement et de perspectives
de croissance.
La commission des affaires culturelles du Sénat a la volonté de favoriser le
développement du service public de l'audiovisuel, comme vous-même, bien
entendu, madame la ministre. Mais nous n'avons trouvé dans le projet de budget
qu'une amorce incertaine de ce que nous souhaitons, vous et nous, pour
l'audiovisuel public. Alors, pour manifester un engagement fort en faveur de
son développement, au moment de rendez-vous économiques et législatifs
cruciaux, la commission des affaires culturelles a décidé de s'en remettre à la
sagesse du Sénat sur l'adoption ou le rejet des crédits de la communication
audiovisuelle pour 2000.
(Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. le président.
La parole est à M. de Broissia, rapporteur pour avis.
M. Louis de Broissia,
rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles, pour la presse
écrite.
Monsieur le président, madame la ministre, dans mon rapport de
l'année dernière, je décrivais le projet de budget des aides à la presse écrite
comme une « honnête reconstitution ». Les crédits augmentaient en effet, à
cette époque, de 2,6 %, après avoir baissé de 1 % l'année précédente. A partir
de cette constatation, je préconisais une consolidation pour l'an 2000.
Je crois pouvoir constater cette consolidation dans le projet de budget pour
2000. Celui-ci vise en effet à une augmentation de 3,2 % des aides directes,
alors que les dépenses de l'Etat progresseront globalement au rythme de
l'inflation prévisionnelle, c'est-à-dire de 0,9 %. Le montant total des aides
directes s'établira donc, en 2000, à 260,8 millions de francs.
Les aides à la presse revêtent un caractère prioritaire, ce dont nous nous
réjouissons. Je ne note, par ailleurs, rien de nouveau dans l'évolution
relative des différents fonds. Tout cela s'inscrit dans une logique globale de
recentrage des aides au profit de la presse d'information générale, que la
commission des affaires culturelles a approuvée à plusieurs reprises.
Il faut dorénavant ajouter aux aides directes traditionnelles le compte
d'affectation spéciale du fonds de modernisation des quotidiens et assimilés,
dont je voudrais dire quelques mots.
Ce fonds a été créé par la loi de finances de 1998. Il a été mis en place en
1999 avec un crédit de 150 millions de francs, non consommé l'année dernière.
Les recettes sont estimées, en l'an 2000, à 200 millions de francs, auxquels
s'ajoutera le report des 150 millions de francs non consommés en 1999.
Ces montants - c'est un sujet important pour nous - restent très éloignés des
estimations de recettes avancées lorsque la taxe sur la publicité hors médias
fut créée pour financer le fonds de modernisation. Le chiffre de 300 millions
de francs avait alors été évoqué.
Cet écart est d'autant plus criant que le taux de la taxe est de 1 % et que le
chiffre d'affaires estimé de la publicité hors médias a été de plus de 50
milliards de francs en 1998.
J'ai interrogé le service juridique et technique de l'information sur les
raisons de cette situation. Il m'a été répondu que la base taxable théorique
pouvait se situer autour de 35 milliards de francs à 40 milliards de francs,
qu'il fallait, en outre, opérer des déductions, dont le montant est difficile à
identifier, pour évaluer la base effectivement taxable. Il m'a aussi été
indiqué, madame la ministre, que vous aviez demandé au ministre chargé du
budget d'analyser les conditions de la perception de la taxe en 1999 et
d'envisager les améliorations souhaitables. Tout cela suggère une certaine
difficulté des comptables d'entreprise, et aussi certainement des services
fiscaux - ils ont considéré qu'ils avaient d'autres priorités que la perception
de cette taxe - à identifier les dépenses susceptibles d'entrer dans l'assiette
de la taxe. Mais nous sommes là pour vérifier l'exécution du budget !
Il est certain, en revanche, que la presse a, de son côté, préparé ses
demandes de subventions avec espoir et sans doute beaucoup d'illusions. Je ne
dispose pas du montant des demandes. On sait simplement que le niveau des
concours proposés par le comité de gestion du fonds a été revu à la baisse afin
de laisser à chacun sa chance. On entre donc manifestement dans une logique de
saupoudrage. C'est regrettable, car tel n'était pas le souhait des
parlementaires qui ont voté en faveur de ce fonds. J'espère avoir votre démenti
sur cette perspective, madame la ministre.
Je ne rappellerai pas dans le détail l'évolution des différents fonds.
J'indique seulement, pour illustrer le sens des nécessaires recentrages en
cours, que l'aide aux quotidiens nationaux à faibles ressources publicitaires
augmentera de 33 % en 2000, après avoir progressé de 5,3 % en 1999, pour
s'établir à 26,6 millions de francs, ce qui représente quelque 10 % du montant
total des aides directes.
Je précise aussi que l'aide au portage des quotidiens augmentera de 2 %, après
avoir progressé de 10 % en 1999, et atteindra un montant de 50,5 millions de
francs en 2000.
Madame la ministre, le développement de cette dotation traduit la priorité que
le Gouvernement accorde à juste titre à cette forme de distribution. Cette
priorité, qui remonte à l'adoption du plan de réforme des aides à la presse
d'avril 1995 - un autre gouvernement était alors au pouvoir - répond à la
conviction, partagée par les éditeurs, que le portage constitue un des axes
principaux des stratégies de développement de la presse. En d'autres termes,
l'écrit papier doit être disponible à domicile comme l'écran.
L'allusion au plan de 1995 m'incite à un retour très sommaire sur l'évolution
récente des aides à la presse. Ce plan m'apparaît en effet rétrospectivement
comme le point de départ d'une redistribution des cartes que chaque nouvel
exercice budgétaire confirme depuis, et dans la logique duquel il me semble que
vous inscrivez vous-même votre action, madame la ministre. Je tiens à
l'indiquer, car vous aimez vous situer par rapport au proche passé et vous y
faites parfois allusion. Mais il faut se réjouir de la continuité de l'action
gouvernementale.
Je voudrais faire un très bref rappel de cette évolution. S'agissant des aides
indirectes, les accords Galmot de 1996 et de 1997 entre l'Etat, la presse et La
Poste ont apporté des modifications très significatives à la fois en matière de
tarifs postaux et de réglementation du transport des publications par La
Poste.
S'agissant des aides directes, la politique conduite depuis quelques années
met l'accent sur l'aide à la modernisation des entreprises de presse, sur
l'aide à leur développement par la réduction de certains de leurs coûts, ainsi
que sur la nécessité d'aider particulièrement la presse quotidienne et
assimilée.
Les onze fonds d'aide directe existants ont été soit créés depuis moins de
cinq ans - c'est le cas pour six d'entre eux - soit, dans le même délai,
fortement modifiés dans leurs conditions de fonctionnement.
Quelles conclusions tirer de l'analyse de nos interventions en matière d'aides
directes et d'aides indirectes ? J'en vois deux.
On ne peut reprocher à l'Etat une abstention coupable. Il agit, il va
globalement dans le bon sens et il souhaite rectifier le sens de son action.
Mais les initiatives qu'il a prises suscitent souvent des réserves, qui sont
parfois plus que de détail. Je voudrais en citer une à cet égard.
Le fonds d'aide à l'investissement dans le multimédia, créé en 1997, qui
répondait à la nécessité de voir la presse écrite investir dans le multimédia,
a permis de modifier les fonds d'aide à la transmission par fac-similé.
A cet égard, la presse quotidienne régionale, pour laquelle l'allégement des
charges téléphoniques constituait un sérieux appoint, ne perçoit plus rien.
Pourtant, elle utilise beaucoup les transmissions numériques, cette
numérisation que nous évoquons chaque année lors de l'examen du budget de la
communication. Ce procédé représente une part importante des charges
d'exploitation et je crois qu'il faudrait réfléchir à la possibilité d'alléger
ces coûts.
Sans entrer dans le détail de l'évolution des aides, je m'interroge néanmoins
sur leur bilan. La presse s'est-elle améliorée de façon significative ? C'est
peut-être le cas globalement, mais cette amélioration est due plus à ses
recettes publiques qu'à son lectorat. En effet, le principal problème de la
presse, madame la ministre, mes chers collègues, est, en dernière analyse,
celui du vieillissement et de la raréfaction de son lectorat. Dans ces
conditions - et je souhaite vivement que nous revenions sur ce point demain, à
l'occasion de l'examen du budget de l'éducation nationale - il faut éduquer la
jeunesse scolaire à la lecture en général, et à celle de la presse en
particulier.
Il existe déjà des initiatives et des efforts ont été faits, dans ce sens,
mais sans doute faudrait-il mieux les coordonner. On peut penser, ainsi, à un
mécanisme du type fonds de concours, mais il nous faudra y réfléchir. Il s'agit
en tout cas d'un chantier que j'ai proposé à la commission des affaires
culturelles et je souhaite que le ministère de l'éducation nationale nous
relaie sur ce point.
J'avais également proposé, l'an dernier, une réorientation budgétaire allant
dans le sens de la pluriannualité, car cela me paraît nécessaire pour sécuriser
les efforts de modernisation qu'engage la presse avec l'aide de l'Etat.
M. le rapporteur spécial a beaucoup insisté sur ces perspectives. Au moment où
le Gouvernement reconnaît au profit de l'audiovisuel public la nécessité pour
l'entreprise moderne de communication de disposer de repères pluriannuels sur
l'engagement financier de l'Etat, il serait nécessaire de réfléchir à
l'élaboration d'instruments juridiques permettant à la presse de planifier les
concours qu'elle peut attendre de la puissance publique en moyenne période.
Madame la ministre, je terminerai en disant un mot de l'Agence France-Presse,
ce qui ne vous surprendra sans doute pas.
J'ai été sensible à ce qu'a dit M. le rapporteur spécial à ce sujet.
Toutefois, entre le moment où nous nous sommes rencontrés à la commission des
affaires culturelles et le dépôt du plan qui porte le nom du président de
l'entreprise, il s'est produit une évolution qui nous inquiète : il y a eu une
initiative dynamique et, selon toute apparence, pertinente et féconde, pour
adapter ce bel et unique instrument aux besoins nouveaux. Or, cette initiative
semble à présent enterrée. Chacun sait pourtant que, dans la communication, ne
pas avancer, cela signifie aujourd'hui nécessairement régresser.
A trop reporter la décision de rassembler les moyens financiers lourds
nécessaires au développement de la seule agence de presse dont la France
dispose, sa situation se fragilisera vite.
Il est clair que le surplace ne peut être payant dans un monde devenu « une
grande tribu médiatique » où des initiatives concurrentes de l'AFP peuvent être
prises chaque jour en Amérique, en Asie et en Europe.
Vous vous attendiez sans doute, madame la ministre, à être interrogée au Sénat
sur la position et sur les intentions de l'Etat propriétaire et de l'Etat
garant de l'intérêt général, du pluralisme des sources d'information et du
rayonnement de la francophonie. J'attends votre réponse avec d'autant plus
d'intérêt que la presse a récemment fait état de « la stratégie Trautmann »
pour l'AFP.
(Mme la ministre sourit.)
J'espère que nous serons éclairés, ce soir, sur
cette stratégie.
Au terme de ce survol - sans doute un peu trop long - il me reste à indiquer
au Sénat que la commission des affaires culturelles a émis un avis favorable
sur les crédits consacrés à l'aide à la presse pour 2000.
(Applaudissements.)
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 18 minutes ;
Groupe socialiste, 16 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 20 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 14 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 11 minutes.
La parole est à Mme Pourtaud.
Mme Danièle Pourtaud.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, « la
communication n'est pas la perversion de la démocratie, elle en est plutôt la
condition de fonctionnement ». Je partage profondément cette affirmation de
Dominique Wolton, mais j'y ajouterai un adjectif essentiel : la communication «
pluraliste », et c'est bien cela que doit garantir l'Etat.
Préserver le pluralisme de la presse et renforcer le service public de
l'audiovisuel dans un univers de plus en plus concurrentiel sont, me
semble-t-il, les lignes directrices de votre budget.
S'agissant du budget des chaînes publiques, je dirai, madame la ministre, à
l'inverse du slogan publicitaire bien connu : « Nous l'avons rêvé, vous l'avez
fait ! ».
Depuis des années, les parlementaires socialistes s'inquiétaient de la part
grandissante des recettes publicitaires à la télévision et, parallèlement, du
désengagement de l'Etat. Après deux années de restauration du secteur public,
en 1998 et en 1999, vous avez qualifié à juste titre le présent budget d'«
excellent ». C'est, en fait, un véritable budget de rupture puisqu'il anticipe
la réforme du financement du secteur public, que nous examinerons à partir du
18 janvier prochain au Sénat.
Au coeur de cette réforme, vous avez inscrit la volonté de restaurer le
secteur public dans sa légitimité et dans ses moyens. Cela passe par une moins
grande dépendance des chaînes publiques à l'égard des recettes publicitaires,
mais aussi par un accroissement global des moyens des chaînes publiques.
Dès 2000, le volume horaire de publicité sur les chaînes publiques passera de
12 minutes à 10 minutes, puis de 10 minutes à 8 minutes en 2001.
Les crédits des entreprises de l'audiovisuel public connaîtront une
progression sans précédent de 883 millions de francs, contre déjà 473,2
millions de francs supplémentaires en 1999, soit une hausse de 4,8 %. Ils
atteindront ainsi, pour la première fois, 19,3 milliards de francs. Mais,
surtout, les ressources publiques représenteront 74 % des moyens, contre 69,4 %
en 1999.
Pour la télévision, qui en est la principale bénéficiaire, il s'agit presque
d'une révolution : pour France 2, la publicité et le parrainage sont ramenés à
40,1 % des ressources de la chaîne, alors qu'ils représentaient 51 % dans le
budget de 1997, dernier budget présenté par le gouvernement que soutenait la
majorité de cette assemblée ; pour France 3, cette part est de 27,8 %, contre
32 % en 1997.
Il est clair que, si nous défendons la baisse des recettes publicitaires, ce
n'est pas par idéologie ou publiphobie, mais parce qu'il s'agit
fondamentalement de la nature même du service public.
Les téléspectateurs ne supportent plus les tunnels publicitaires. Or, la durée
de la publicité sur France 2 et France 3 entre dix-neuf heures et vingt-deux
heures, tranche horaire qui assure plus de 60 % des recettes publicitaires de
France Télévision, a augmenté de plus de 65 % en cinq ans. Sur France 3, en
particulier, ce sont 95 % des recettes publicitaires qui sont réalisées dans la
tranche dix-huit heures trente - Soir 3.
Mais, surtout, comme je l'avais largement démontré l'année dernière, la
publicité pèse beaucoup trop sur l'élaboration des grilles de programmes. Votre
réforme, madame la ministre, permettra donc de libérer les chaînes publiques de
l'emprise grandissante des annonceurs. Cela devrait permettre à France
Télévision de prendre davantage de risques, de programmer plus de fictions
françaises ou européennes, d'émissions culturelles et d'information ou de
documentaires à des heures de grande écoute.
J'ajoute que, pour cette première année de mise en oeuvre anticipée de cette
loi tant attendue, vous avez tenu vos promesses : faire progresser les
ressources des chaînes publiques au-delà de la simple compensation des baisses
de recettes publicitaires. Cette mesure est assurée par le remboursement des
exonérations de redevance, qui rapportent cette année 881,5 millions de francs,
contre 122,5 millions de francs en 1999. Des moyens supplémentaires seront
ainsi octroyés aux chaînes publiques. Les chiffres sont éloquents : plus 404,7
millions de francs pour France 2 et plus 307,2 millions de francs pour France
3. Ces moyens devraient être utilisés pour enrichir les programmes, et
principalement augmenter les investissements dans la fiction et les programmes
pour les jeunes.
Les deux chaînes de France Télévision sont, en effet, confrontées à une
érosion de leur audience préoccupante. France 2 a perdu cinq points en cinq
ans, passant de 27,7 % de parts de marché en 1994 à 22,2 % en 1999 ; quant à
France 3, après avoir bien progressé jusqu'en 1996, avec 18,1 % de parts de
marché, elle est redescendue à 16,2 % en 1999.
S'il est normal et irréversible que les chaînes généralistes voient leur
audience s'éroder, il est indispensable pour le groupe public de conquérir de
nouveaux publics par le développement de nouvelles offres ; or, ce
développement est aujourd'hui en panne.
Par ailleurs, quelques sujets d'inquiétude persistent que vous pourrez
peut-être dissiper, madame la ministre.
Première question : les chaînes publiques termineront l'année 1999 avec un
déficit, évalué au minimum à 200 millions de francs pour France Télévision. Il
me semblerait utile de prévoir, pour ne pas oblitérer l'avenir, de combler au
moins partiellement ce déficit par une affectation des excédents de redevance
de 1999, dont le montant exact n'est pas encore connu, mais qui, semble-t-il,
devrait atteindre 400 millions de francs.
Deuxième question : les budgets de France 2, France 3, la Sept-Arte et La
Cinquième progresseront respectivement de 7,6 %, 5,3 %, 3,7 % et 3,1 % en 2000.
Mais le chiffre d'affaires de leurs concurrents privés augmentera autant, sinon
davantage - la moyenne actuelle est entre 6 % et 10 % - puisque, outre la
croissance du marché publicitaire, ces chaînes profiteront de la limitation des
espaces publicitaires sur les chaînes publiques.
Vous connaissez, madame la ministre, ma préoccupation - je l'ai souvent
exprimée dans cet hémicycle - en matière de rééquilibrage des moyens au sein de
notre paysage audiovisuel entre le secteur public et le secteur privé. Il
semble que nous n'en prenons malheureusement pas encore le chemin. A titre
d'exemple, en 1998, le chiffre d'affaires cumulé des trois chaînes hertziennes
privées était de 19 milliards de francs, et celui des trois chaînes publiques
de 12,6 milliards de francs.
Nous devrions, me semble-t-il, envisager de donner au secteur public un ballon
d'oxygène en amenant progressivement la redevance à un niveau comparable à
celui de nos principaux voisins. En Grande-Bretagne, elle atteindra 1 000
francs et, en Allemagne, 1 200 francs, contre 751 francs en France. Cela a une
conséquence immédiate sur les budgets des chaînes publiques : par exemple, les
ressources des télévisions allemandes publiques étaient, en 1996, de l'ordre du
double de celles des télévisions françaises.
Troisième question : dans l'hypothèse où nous adopterions un plan d'ouverture
du numérique hertzien en janvier prochain, avez-vous prévu, madame la ministre,
de donner au secteur public les moyens de tenir sa place dans ce nouvel univers
?
Quatrième et dernière question : pourriez-vous nous donner quelques précisions
sur le plan de passage aux 35 heures à France Télévision et sur les moyens
financiers dégagés ?
Je vais clore ce chapitre de mon intervention par une note optimiste : je veux
parler de nos exportations de programmes, en croissance de 35 % en 1998, et
l'année 1999 ne devrait pas être décevante à cet égard. Avec les coproductions,
elles ont représenté 1,8 milliard de francs, et ce sont désormais presque 20 %
des ressources du secteur qui proviennent de l'exportation. C'est nouveau, et
prometteur !
J'évoquerai tout à l'heure plus en détail les problèmes du budget de Radio
France, dans le cadre d'un amendement que j'ai déposé avec le président du
groupe socialiste du Sénat, M. Claude Estier.
Certes, les crédits de Radio France pour 2000 enregistrent une progression de
63 millions de francs par rapport à l'an dernier, soit une hausse de 2,2 %.
Mais cette entreprise se trouve actuellement dans l'impossibilité de mettre en
oeuvre la plan de développement pour lequel son président a été élu.
Je dirai maintenant quelques mots du budget de la presse, qui progresse de 3,2
%.
Dans notre société de plus en plus tournée vers l'image - qui, chacun le sait,
cherche à susciter l'émotion - il nous paraît essentiel de continuer à défendre
l'écrit, qui permet le recul nécessaire à l'analyse et à la réflexion.
Ce qui caractérise le projet de budget pour 2000 des aides à la presse, c'est
un meilleur ciblage. Il s'agit d'abord de mieux soutenir la presse
d'information générale, représentative des différentes sensibilités d'opinion
dans notre pays. Il s'agit aussi de favoriser la modernisation des entreprises
de presse, dont le savoir-faire constitue un potentiel formidable pour la
France dans la société de l'information. L'accent est mis, en particulier, sur
l'aide au portage et sur le développement des services multimédia.
Des problèmes subsistent dans le secteur de la distribution. Peut-être
pourrez-vous nous dire ce que vous entendez faire pour rendre ce secteur plus
concurrentiel et plus transparent.
Mais il n'est pas possible de parler des aides à la presse sans parler de la
situation de l'Agence France-presse.
Je tiens à dire à quel point la crise traversée par cette entreprise est
préoccupante. On pourrait la qualifier de vitale puisqu'il s'agit non seulement
de son développement mais sans doute de son existence même. Nous sommes très
attachés à cette agence, qui est maintenant la seule agence d'information dans
notre pays et la seule grande agence mondiale non anglo-saxonne.
Certes, l'AFP est la troisième agence mondiale, mais son rayonnement est
incomparable avec celui de l'agence Reuterr ou celui d'Associated Press.
De plus, elle joue un rôle irremplaçable aussi bien pour la presse française
que pour la présence française et francophone dans le monde. Elle est présente
dans 165 pays et elle communique en six langues, grâce à 2 000 salariés.
Aujourd'hui, l'AFP doit pouvoir s'adapter à la révolution du numérique ou elle
disparaîtra. « Il n'y a pas de futur sans Internet pour un groupe comme le
nôtre », disait avant-hier, dans une interview, l'un des dirigeants de Reuter.
L'agence française a donc absolument besoin d'un plan de développement qui soit
financé. Elle ne pourra le faire seule.
Son nouveau président, M. Eric Giuily, avait élaboré un plan qui nécessitait
un investissement de 800 millions de francs. Ce plan impliquait un changement
du statut de l'AFP et prévoyait le passage en société avec création d'un
capital et ouverture de ce capital à des opérateurs publics et privés. Il a été
violemment contesté par le personnel, et il a été retiré.
Le Gouvernement vient d'accepter de donner à l'AFP 90 millions de francs
supplémentaires sur deux ans par un abandon de créances. Cela permettra
peut-être d'amorcer le développement en 2000. Nous ne pourrons, bien entendu,
en rester là.
Je tiens d'ores et déjà à préciser que, pour permettre à l'AFP de devenir une
grande agence mondiale multimédia, il nous faudra mettre en oeuvre un vrai plan
de développement, et non pas un plan fait avec des « bouts de ficelle ». Le
rôle de l'AFP, qui remplit une véritable mission de service public, justifie
une forte implication de l'Etat.
Si, néanmoins, l'obstacle de l'annualité budgétaire et l'importance des sommes
en jeu nécessitent un changement de statut et le recours à des partenaires
extérieurs, il me semble important que quatre conditions soient prises en
compte.
Premièrement, la principale richesse de l'AFP, c'està-dire son personnel, doit
être au coeur de ce plan.
Deuxièmement, le changement de statut devra être présenté, avant toute mise en
oeuvre, au Parlement.
Troisièmement, on doit rechercher plutôt des partenaires publics, comme France
Télécom ou la Caisse des dépôts, pour compléter un tour de table dans lequel
les entreprises de presse privées garderont, bien entendu, leur place.
Quatrièmement, ce plan de développement doit être élaboré en concertation
avec le personnel.
Je souhaite que, dans un avenir proche, nous puissions trouver des solutions.
Les parlementaires socialistes sont prêts à y contribuer.
Je conclurai donc en appelant le Sénat à approuver l'augmentation du budget
appréciable de l'audiovisuel public et des aides à la presse.
Quant au groupe socialiste, c'est avec enthousiasme, madame la ministre, qu'il
votera ce budget.
(Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Maman.
M. André Maman.
Madame la ministre, votre budget est avant tout un budget d'anticipation de la
future réforme du secteur public.
En progression de 4,8 %, il atteint 19,3 milliards de francs. Les ressources
publiques, c'est-à-dire la redevance et les dotations budgétaires, augmentent
de 11,7 % par rapport à 1999. De cette façon, vous allez théoriquement pouvoir
compenser la baisse des ressources publicitaires imposée aux chaînes publiques
à partir du 1er janvier prochain.
France Télévision est, cette année, la grande bénéficiaire de la manne
publique : les ressources de France 2 augmentent de 7,6 %, celles de France 3
de 5,3 %. Les autres chaînes du secteur public voient leurs dotations augmenter
dans des proportions légèrement inférieures.
Ce budget affiche donc des priorités claires : renforcer les moyens du service
public et assurer les conditions de la réussite de la réforme.
Cela se traduit par une rupture dans la structure du financement de
l'audiovisuel : en 2000, la part du financement public passera à 74 %, contre
69,4 % en 1999.
L'augmentation des crédits publics résulte, pour moitié, de la hausse du
rendement de la redevance et, pour moitié, de l'augmentation des crédits
budgétaires. Ces derniers passeront de 122 millions de francs en 1999 à 900
millions de francs, pour compenser les exonérations de redevance et les pertes
de recettes publicitaires.
En réalité, si votre budget traduit vos engagements et vos promesses, il
laisse cependant planer un certain nombre d'incertitudes.
Tout d'abord, le coût de la réforme de l'audiovisuel public n'est pas
totalement cerné. Par ailleurs, rien n'apparaît sur le passage aux 35 heures à
France Télévision. Rien n'apparaît non plus sur le projet numérique de la
chaîne. Pourtant, ces questions auront un coût important et nécessiteront un
financement public.
La récente grève dans l'audiovisuel public aura largement profité aux chaînes
privées. En effet, les journaux d'information de TF1 ont enregistré des
audiences records, avec près de 14 millions de téléspectateurs, contre 5
millions pour ceux de France 2.
Le budget pour 2000 ne permet pas aux entreprises publiques de l'audiovisuel
de faire face à la mise en place des 35 heures.
Concernant le numérique hertzien, comment France Télévision pourra-t-elle
relever un tel défi sans crédits ? Ce dossier essentiel sera au coeur du projet
de loi que nous examinerons au mois de janvier.
Déjà, les marchés financiers anticipent cette révolution dont l'ampleur sera
sans commune mesure avec celle de la bande FM dans les années quatre-vingts.
Les trois chaînes privées ont vu leur cours en bourse exploser ces derniers
jours.
La France est en retard par rapport à ses voisins européens : elle sera le
dernier pays à se doter d'un cadre législatif nécessaire pour mettre en oeuvre
le numérique terrestre.
Chacun sait cependant que ce mode de diffusion va entraîner d'importants
bouleversements économiques, avec le renouvellement, à terme, de 36 millions de
terminaux.
On peut également se demander quelles instances géreront le spectre des
fréquences et l'attribution des autorisations.
Par ailleurs, comment sera financée cette révolution digitale ? Les sommes à
engager sont considérables, comme l'ont indiqué les rapporteurs.
L'exemple britannique est intéressant, à ce titre. La BBC, qui diffuse déjà
gratuitement et en numérique la quasi-totalité de ses productions sur ses
différents réseaux, se fixe comme objectif de prendre la tête de cette
révolution et d'étendre le taux de pénétration du nouveau système, qui est
d'environ 10 % actuellement, jusqu'à 90 % ou 95 % de la population d'ici à six
ans. Cela lui permettra de revendre aux sociétés de communication intéressées
et à l'Etat l'espace analogique ainsi libéré pour la somme de 50 milliards à 60
milliards de francs. Il s'agit d'un montant astronomique dont il nous faut
prendre conscience.
Pour relever ce défi, la BBC aura besoin de 2 milliards de francs
supplémentaires à partir de l'an prochain, de 5 milliards de francs en 2003 et
de 7,3 milliards de francs en 2006. Déjà, les groupes privés, au rang desquels
on compte le groupe Murdoch, crient à la concurrence déloyale. Il appartient
maintenant au gouvernement de Tony Blair de trancher et d'accorder ou non une
rallonge budgétaire à la BBC, rallonge qui pourrait être financée par une
redevance sur le numérique.
En France, la situation n'est pas aussi avancée et, aujourd'hui, nous n'avons
que quelques certitudes sur vos intentions, madame la ministre.
D'abord, il semble acquis que l'offre sera gratuite. Ensuite, les ressources
hertziennes du numérique terrestre ne devraient pas être attribuées par blocs
aux opérateurs. Le CSA et le Gouvernement sont plutôt favorables à ce que ces
derniers se regroupent par affinités dans des « mini-bouquets ».
Mais, comme l'a indiqué notre excellent rapporteur, M. Claude Belot, le pari
numérique de France Télévision n'est pas financé.
De plus, l'explosion du nombre des chaînes engendrera une demande croissante
de programmes. Afin d'éviter un déferlement des productions américaines, que
nous redoutons tous à juste titre, il est indispensable de développer les aides
en faveur des productions françaises et européennes. Les quotas, vous le savez
bien, ne sont qu'une protection illusoire et temporaire.
L'exemple canadien démontre que la seule solution est de favoriser
l'apparition d'une forte industrie de programmes audiovisuels adaptés aux
standards internationaux. Nous en sommes encore loin.
Entre 1996 et 1998, la production de fictions françaises est passée de 700
heures à 550 heures. La fiction nationale ne représente en France que 47 % de
la fiction diffusée aux heures de grande écoute, alors que la proportion est de
70 % en Allemagne et de 89 % en Grande-Bretagne.
Il est temps de mettre en oeuvre des mécanismes d'encouragement. Nous
attendons, madame la ministre, que vous apportiez des précisions sur vos
intentions.
Incontestablement, le dossier du numérique hertzien s'annonce comme l'élément
central du prochain débat sur votre projet de loi. A cela viendra s'ajouter le
problème de la fusion de La Cinquième et d'Arte, qui pourrait, en raison d'un
différend avec l'Allemagne, ne plus faire partie de la future holding.
Enfin, j'évoquerai rapidement la situation de l'audiovisuel extérieur. Je dois
dire qu'elle s'améliore très nettement, comme je peux le constater lors de mes
nombreux déplacements à l'étranger.
Concernant Radio France internationale, il apparaît que les difficultés
financières tiennent, pour une grande part, aux restrictions budgétaires qui
lui ont été imposées ces dernières années. Cette année encore, les concours
publics ont accusé une diminution. Pourtant, RFI est un vecteur important de la
présence de la France dans le monde. Il est dommage de négliger cette radio.
En revanche, je me réjouis que la France ait consenti un effort à l'égard de
TV 5. La chaîne pourra ainsi mettre en oeuvre son projet d'entreprise et mettre
à niveau sa grille de programmes.
Nous savons tous que TV 5 a enregistré un échec aux Etats-Unis. Son président,
M. Jean Stock, a même parlé de fiasco. Nous espérons qu'une solution pourra
être trouvée. Il n'y a pas de raison qu'un grand pays comme les Etats-Unis ne
soit pas couvert par TV 5.
L'ensemble de ces remarques montrent, madame la ministre, que ce budget
comporte beaucoup d'incertitudes : incertitudes sur la pérennité des crédits
consacrés à la réforme du secteur public, incertitudes sur le financement des
35 heures, incertitudes enfin, sur le financement du numérique hertzien.
Ce budget comporte aussi des carences, notamment en ce qui concerne les
crédits alloués à Radio France.
Dans le domaine de la presse écrite, il néglige la nécessité de ventiler
différemment les aides entre presse nationale et presse régionale, et il
oublie, alors que c'est indispensable, d'apporter des aides aux nouveaux moyens
de transmission.
En somme, ce budget n'est que l'instrument financier de la réforme de
l'audiovisuel en cours d'examen par le Parlement, de cette réforme de
circonstance qui ne prend pas en compte les mutations du paysage
audiovisuel.
Pour toutes ces raisons, mes collègues de l'Union centriste et moi-même ne
pourrons pas le voter.
M. le président.
La parole est à M. de Broissia.
M. Louis de Broissia.
Je suis très heureux de monter de nouveau à la tribune pour m'exprimer sur le
budget de la communication audiovisuelle, cette fois au nom du groupe du
Rassemblement pour la République.
A travers ce budget, madame la ministre, vous essayez de mettre en oeuvre une
réforme dont notre assemblée aura à débattre dès la rentrée 2000.
Nous avons été heureux de vous recevoir récemment en commission des affaires
culturelles. Nous savons désormais que nous aurons beaucoup à faire sur le
texte voté par l'Assemblée nationale.
Le budget de la communication se caractérise par une forte progression des
ressources publiques, qui permet de compenser la réduction des recettes
publicitaires à la suite de la diminution de la durée de la publicité sur
France Télévision, et ce grâce à la hausse du produit de la redevance.
Le secteur public de l'audiovisuel - je passerai rapidement sur les chiffres,
car ils ont déjà été cités par mes collègues, quelle que soit la formation
politique à laquelle ils appartiennent - connaît une augmentation
différenciée.
Si les dotations du secteur public de l'audiovisuel, c'est-à-dire de France 2
et de France 3, de la Sept-Arte et de La Cinquième, connaissent une
augmentation assez sensible, la dotation de Radio France ne progresse que de
2,2 %, celle de Radio France internationale est gelée, celle de l'INA est
reconduite et celle de RFO augmente de 3 %. L'engagement de l'Etat est donc
significatif dans l'audiovisuel public, mais plus encore dans le pôle de
l'audiovisuel.
Cependant, et je ne suis pas le premier orateur à le souligner - c'est
décidément une ritournelle ce soir, madame le ministre - ce que vous présentez
comme un budget d'anticipation et de développement de la première phase de la
réforme audiovisuelle m'apparaît davantage comme un budget de soutien et de
rattrapage. Nous avons eu l'occasion de le souligner tous ensemble, non
seulement les parlementaires, mais aussi les salariés du secteur public, qui se
sont interrogés, voilà peu, en faisant une grève qui m'a d'autant plus étonné,
madame le ministre, qu'elle n'a frappé personne puisque les téléspectateurs ont
pu « zapper ».
Je rejoins tout à fait les conclusions assez alarmistes de M. le rapporteur
spécial : on est en train d'installer en France un paysage audiovisuel où il
est possible de se passer de la télévision publique, un paysage dont les
bouleversements importants - vous le savez bien, mes collègues ont insisté sur
ce point avant moi - avantagent aujourd'hui plus le secteur privé que le
secteur public. Car, même si vous ne le souhaitez pas, la situation que nous
observons est bien celle-là !
Se pose par conséquent - cela a d'ailleurs été relevé à quatre reprises avant
moi - la question du décalage de ce budget face aux enjeux et aux changements
qui attendent l'audiovisuel, en particulier le développement du numérique. Je
me permets d'insister : pour l'audiovisuel public et pour l'audiovisuel
français en général, les perspectives du numérique sont extraordinairement
importantes.
Il faut, d'abord, développer une offre de chaînes répondant aux attentes et
aux demandes des téléspectateurs, avec des programmes devenant du sur-mesure en
quelque sorte. Je rejoins ce qu'a dit M. Maman tout à l'heure : le numérique
est aujourd'hui une nécessité pour l'ensemble des médias, pour l'audiovisuel en
particulier.
Il faut, ensuite, développer une télévision de proximité. Certes, j'enfonce
des portes ouvertes en disant cela, mais, à l'heure de la communication
mondiale, même si l'on ne parle pas à son voisin, on veut savoir ce qui se
passe à sa porte !
Il faut, enfin, développer une télévision de services, c'est-à-dire une
télévision interactive. Madame la ministre, votre budget ne permettra pas
d'accéder à ce nouveau mode de diffusion.
Je n'insisterai pas sur l'exemple de Radio France, dont la situation est
particulièrement délicate.
Les moyens financiers de votre budget seront peut-être corrigés par un
amendement que nous proposeront M. Belot et Mme Pourtaud. En tout cas, il va de
soi que nous serions heureux de vous entendre à ce sujet.
Le numérique a un coût, un coût énorme ; M. Maman l'a indiqué. Nous pensons
très sérieusement que ce ne sont ni quelques amendements ni même un rapport
d'étape réalisé par un conseiller d'Etat ou par un conseiller économique et
social, aussi sympathique soit-il, qui permettront d'améliorer, au mois de
janvier, un budget que nous aurions voté de façon précipitée.
D'autres sujets ont encore retenu l'attention du groupe du Rassemblement pour
la République.
Nous nous interrogeons légitimement sur la situation de la Sept-Arte par
rapport au holding France Télévision. Il est normal que la Haute Assemblée
obtienne des réponses à ce sujet. Nous avons en effet appris par la presse que
le projet de loi relatif à l'audiovisuel qui nous sera prochainement soumis et
dont nous débattrons, si j'ai bien compris, la semaine prochaine en commission
des affaires culturelles ne respecte pas le traité franco-allemand. Pensez-vous
que nous puissions concilier cette intégration avec l'obligation de respecter
la spécificité de ces chaînes ?
Enfin, rien n'est prévu pour le passage aux 35 heures ; l'audiovisuel public
est inquiet. Ma question est simple : les répercussions de l'application de la
diminution du temps de travail ont-elles été chiffrées pour chaque organisme du
secteur de l'audiovisuel public ? Nous attendons, bien entendu, des
réponses.
Les interrogations du groupe du Rassemblement pour la République sont
importantes, madame le ministre. Voter votre budget reviendrait, par
conséquent, à vous donner carte blanche, ce qui serait, à mon avis, une
mauvaise habitude que nous prendrions. Les parlementaires de notre groupe
voteront donc contre les crédits de la communication audiovisuelle.
M. le président.
La parole est à M. Renar.
M. Ivan Renar.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le secteur de
la communication est un secteur extrêmement mouvant et qui connaît, depuis
quelques années, de nombreuses mutations.
De l'ouverture de l'audiovisuel à la concurrence, déjà bien ancienne, à
l'émergence des nouvelles technologies, qui ont multiplié de manière
phénoménale les canaux et les réseaux de transmission, la frontière n'est plus
si nette aujourd'hui entre communication audiovisuelle, télécommunication et
informatique.
Dans ce contexte de profondes transformations ébauché très synthétiquement,
nul ne niera que l'audiovisuel public se trouve investi de missions
particulières, que le projet de loi sur l'audiovisuel réaffirme.
Quand on regarde le budget de l'audiovisuel public, on voit bien que
l'augmentation de 4,8 %, soit 883 millions de francs, va dans le sens des
orientations affirmées par le projet de loi sur l'audiovisuel que nous allons
examiner très prochainement.
Cette hausse devrait permettre, comme nous le demandons, un rééquilibrage des
ressources de nos chaînes publiques. La part des recettes publicitaires dans le
budget des chaînes devrait être ramenée à 40 % pour France 2 et à 27 % pour
France 3.
Nous nous félicitons également, madame la ministre, du respect des engagements
pris en matière de remboursement des exonérations de redevance pour parvenir, à
l'horizon 2001, à un remboursement intégral.
Cette progression des crédits de l'audiovisuel dans notre pays ne doit pas
nous faire perdre de vue que la part que notre pays consacre à sa télévision
reste bien inférieure à la part consacrée à ces mêmes missions par les pays
voisins, la Grande-Bretagne et l'Allemagne notamment.
En outre, l'évolution du secteur et la multiplication de l'offre de programmes
rendent plus que jamais nécessaire d'anticiper la réflexion sur une éventuelle
réforme de notre redevance.
Au-delà des chiffres eux-mêmes, et sans vouloir ouvrir dès maintenant le débat
de l'audiovisuel, je pense qu'il y a matière pour notre représentation
nationale à participer plus activement à la définition des missions du service
public de l'audiovisuel.
Nous ne pensons pas pour notre part, que les missions du CSA soient
incompatibles avec une réflexion plus générale du Parlement sur les axes d'une
politique nationale de l'audiovisuel.
Nous attendons beaucoup, madame la ministre, des contrats d'objectifs et de
moyens, qui permettront, nous l'espérons, un recentrage des orientations des
missions des chaînes publiques.
France 2 comme France 3 voient leur audience s'éroder. L'identité de France 2,
à trop vouloir ressembler à ses concurrentes, se dilue ; le rôle de France 3 en
région est à renforcer et à amplifier.
Des pans entiers des missions de service public ne sont pas satisfaits ; je
pense notamment à la sous-représentation de la culture et de la création
artistique sur nos chaînes publiques.
La place de la musique, la place du théâtre, celle du cinéma et de la critique
cinématographique sont autant d'éléments à reconquérir par nos chaînes
généralistes.
A la multiplication des canaux, il convient de répondre par une capacité
renforcée de production audiovisuelle.
Certes, notre pays peut s'enorgueillir d'avoir su préserver une bonne part de
sa production cinématographique ; on connaît le rôle déterminant de la
puissance publique dans cette action, via les différentes modalités de
soutien.
Mais la télévision publique ne doit-elle pas montrer l'exemple ?
L'offre de programme se développe aujourd'hui, encore qu'elle n'échappe pas à
un certain « formatage », au détriment des droits les plus essentiels de ceux
qui la réalisent. Je pense aux techniciens, artistes et créateurs de
l'audiovisuel.
L'intermittence du spectacle est devenue un mode de gestion au sein de
l'audiovisuel et, dans un contexte où la concurrence est féroce, les salariés
en bout de chaîne sont ceux sur lesquels la pression s'exerce le plus
fortement.
L'Etat se doit de respecter ses engagements et de tout mettre en oeuvre pour
voir appliquer dans les meilleurs délais des garanties collectives pour les
salariés de l'audiovisuel. Le quasi non-droit qui règne actuellement est
inacceptable et, comme nous le savons, l'audiovisuel public ne montre pas
l'exemple.
Le développement de l'industrie des programmes passe par des règles partagées
et consenties par tous, des producteurs de programmes aux diffuseurs et aux
salariés.
Les aides publiques pour la mise en oeuvre de la réduction du temps de travail
ne sont pas versées aux entreprises publiques. Il va sans dire qu'une telle
façon de faire met en situation inégale les chaînes publiques et les chaînes
concurrentes. Nous pensons qu'il y a lieu de revenir sur de telles
dispositions, qui fragilisent le secteur public.
Aux côtés de la télévision, il y a un instrument dont le coût n'est pas
comparable, mais qui a tout l'agrément de nos compatriotes ; je pense à la
radio.
Le cadre budgétaire fixé par le projet de loi de finances pour 2000
permettra-t-il à Radio France de s'engager dans les chantiers de la
modernisation que sont la numérisation de l'entreprise, le réseau des radios
locales et le développement de l'Internet, quand les mesures nouvelles
suffisent à peine à couvrir l'évolution des dépenses ordinaires, telles que
l'augmentation des tarifs de l'AFP ?
Alors que la progression des ressources de l'audiovisuel a été de 124,8 % de
1986 à 1999, la progression des ressources de Radio France s'est située aux
alentours de 52 %.
Le développement des radios locales du groupe, qui ne couvrent que 60 % du
territoire, est en panne depuis dix ans.
Autant dire que les investissements et la recherche de nouveaux produits
nécessaires au développement de Radio France pourraient prendre, cette année
encore, du retard.
J'en viens à présent aux questions de la presse et, plus précisément, à celle
qui est relative au devenir de l'AFP.
La mobilisation des personnels et la sagesse des uns et des autres auront
permis de surseoir au plan proposé par la direction de l'agence. Pour autant,
et j'ai longuement insisté sur cette question à l'occasion de chaque saisine de
notre commission, on ne peut se satisfaire du
statu quo.
L'enjeu de la modernisation de l'Agence France-Presse reste posé, comme reste
posée la question d'un éventuel changement de statut de l'agence. Le Parlement
doit pouvoir accomplir sa mission dans ce domaine.
Nous pensons, pour notre part, qu'il y va du devenir et de la place de
l'entreprise et de ses salariés - salariés qui sont un atout et non un handicap
- et, au-delà, de l'outil d'information incomparable que constitue l'AFP.
Peut-être pourrez-vous, madame la ministre, nous apporter quelques
éclaircissements sur cette position.
Le budget de la communication réalise un effort important en matière d'aides à
la presse. Ainsi, on va vers un doublement des aides à la presse à faibles
ressources publicitaires. C'est une bonne chose, mais je ne peux cacher ma
grande inquiétude pour l'avenir de la presse écrite dans notre pays.
Celle-ci est traversée, comme l'ensemble du secteur de la communication, par
de profondes restructurations. Elu, vous le savez, de la région Nord -
Pas-de-Calais, je citerai, vous le comprendrez, le cas du journal
Nord-Eclair,
menacé par des restructurations, et le rachat par le groupe
Hersant de l'autre titre régional,
La Voix du Nord.
Nous assistons à de vastes parties de Monopoly qui sacrifient l'emploi -
300 emplois sont menacés à
Nord-Eclair -
précarisant les journalistes et
les salariés de la presse et menaçant les statuts. Mais elles conduisent aussi
à un véritable appauvrissement démocratique, à la constitution d'une presse
aseptisée, ce qui explique, en partie, la chute du lectorat.
Dans ce contexte de bras de fer entre géants de la communication, quelle place
pour la presse d'opinion - si tant est que les journaux des grands groupes
soient « sans opinion » ? Prévert disait déjà : « Quand la vérité n'est pas
libre, la liberté n'est pas vraie. »
Aussi, je considère - comme vous, madame la ministre - que la presse écrite
n'est pas une simple marchandise, qu'elle est constitutive de notre démocratie
et de notre liberté.
Les mesures prises dans ce budget en matière d'aides à la presse vont dans le
bon sens, je le disais. Mais cela est-il suffisant face aux enjeux financiers
des restructurations, suffisant également face à l'enjeu de l'existence d'une
presse libre et démocratique dans le pays ? On voit bien qu'il n'y a pas,
derrière tout cela, qu'une question financière.
Le Nord - Pas-de-Calais, fort de 4 millions d'habitants, risque, demain, de ne
plus compter qu'un seul quotidien régional d'information. Il y en avait quatre
voilà encore quelques années. Cet appauvrissement démocratique ne justifie-t-il
pas, madame la ministre, que soit engagée une vaste réflexion sur l'avenir de
la presse écrite ? Comme le disait si bien Camus : « La liberté dans le désert
n'est pas la liberté ! »
On peut déplorer que la taxe sur le hors-média n'abonde pas à la hauteur du
marché publicitaire en plein développement le fonds de modernisation de la
presse. Différents correctifs et un effort accru des services en charge de la
collecte de ces fonds devraient permettre un meilleur abondement.
Nous savons pouvoir compter sur vous, madame la ministre, pour tenir vos
engagements, et nous connaissons votre détermination à développer l'ensemble
des services publics de la communication.
Pour autant, et cette opinion est de plus en plus largement partagée, y
compris dans notre assemblée, l'audiovisuel appelle de nouvelles formes de
financement et un financement renforcé. Il y a là, nous le pensons, un
véritable enjeu de civilisation et de culture, et il nous faut faire vite.
Moins que dans la multiplication des chaînes et des services de l'audiovisuel,
l'enjeu de développement se situe dans notre capacité à fournir des contenus :
contenus nouveaux sur le terrain de l'information - on voit, dès lors, la
position essentielle de l'Agence France-Presse -, contenus nouveaux également
pour la création, l'Institut national de l'audiovisuel, la Société française de
production ou France Télévision, pour ne citer qu'eux, devant tenir un rôle
essentiel.
En outre, chacun sait que la création artistique, la création audiovisuelle,
l'industrie des programmes sont génératrices d'emplois.
L'heure n'est plus au simple constat du déséquilibre entre les industries de
programmes française et européenne et l'industrie d'outre-Atlantique.
Le formatage des oeuvres audiovisuelles, la mercantilisation des idées et de
l'imaginaire : voilà les priorités des sociétés de marché, beaucoup plus que le
pluralisme, nous le savons bien !
OEuvrer au développement d'une industrie de programmes, donner à l'audiovisuel
public les moyens d'un rayonnement qui le place en situation privilégiée au
sein du paysage audiovisuel est - mon ami Jack Ralite ne m'en voudra pas de le
citer - « un besoin essentiel, un droit universel, le signe d'un rapport social
entre une société et son imaginaire ».
Au lieu de quoi, le fonds européen de développement de la communication reste
à un niveau ridiculement faible. Loin d'être pilotée par les pouvoirs publics,
la télévision est soumise aux diktats des sociétés privées qui, par le jeu de
l'audimat et de la loi du marché, imposent leur conception de la création et du
pluralisme.
Je voudrais, avant de conclure, évoquer le développement de l'Internet dans
notre pays.
Le développement de l'Internet se fonde, à l'origine, sur l'échange des
savoirs et des connaissances. C'est un espace ouvert, libre, interactif, où
chacun participe selon ses moyens à l'enrichissement du contenu du réseau.
Dans le même temps, l'Internet rend possible le commerce et son développement
sous des formes nouvelles.
Nous pensons, pour notre part, que le commerce ne doit pas prendre le pas sur
l'ouverture et l'interactivité de ce support. A cet égard, l'action des
pouvoirs publics est déterminante pour établir des règles du jeu qui permettent
à chacun une utilisation de ce réseau.
Si des efforts ont été réalisés pour rendre le coût des connexions plus
abordable, nous savons que celui-ci reste un frein dans bien des cas.
Quelles sont aujourd'hui les possibilités de développement de cet outil, étant
entendu que le ministère de la culture et de la communication a un rôle
déterminant à jouer ?
Nous prenons acte, madame la ministre, de votre engagement en faveur de la
communication et de l'audiovisuel. Vous avez, dans la limite des possibilités,
donné des signes forts de votre volonté de promouvoir et de moderniser notre
audiovisuel public, conformément aux engagements de M. le Premier ministre.
Peut-être me suis-je exprimé longuement sur la politique des contenus
audiovisuels. Mais ces questions nous paraissent à ce point essentielles que
nous souhaiterions les voir aborder très vite avec l'ensemble des acteurs
politiques et économiques de notre pays.
Nous soutenons, madame la ministre, le projet de budget qui nous est soumis,
en formant le voeu que vous-même et l'ensemble de notre majorité plurielle
s'emparent du débat qui vient de s'ébaucher.
(Applaudissements sur les
travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées
socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Pelchat.
M. Michel Pelchat.
En nous présentant, madame le ministre, un budget de la communication
audiovisuelle en progression de 4,8 %, soit 883 millions de francs
d'augmentation des crédits, vous tenez les engagements que vous avez pris dans
le cadre du projet de loi portant réforme de l'audiovisuel, adopté en première
lecture par l'Assemblée nationale. Cela ne peut que me réjouir.
Mais, en analysant plus avant ce budget, ma satisfaction première est quelque
peu amoindrie.
Vous me permettrez donc, madame le ministre, de vous faire part de mes regrets
devant les lacunes de ce budget par rapport à l'essence même de votre projet de
loi sur l'audiovisuel.
En effet, alors que vous nous annoncez depuis des mois une nécessaire prise en
compte du numérique hertzien, à propos duquel nous attendons un rapport qui
doit être remis de manière imminente, votre budget pour l'année 2000 n'aborde
pas ce sujet. Les enjeux de la révolution numérique sont pourtant
considérables, et le secteur audiovisuel public ne saurait les négliger !
Je disais dans ce même hémicycle, à l'occasion de la discussion des deux
précédents budgets de la communication, d'une part, que j'avais pu mesurer
l'importance du numérique hertzien, qui touche maintenant l'ensemble des
secteurs de transmission, et, d'autre part, combien notre pays était en retard
par rapport à ses voisins dans l'exploitation de ce mode de diffusion. Je
citais alors le cas du Royaume-Uni, qui se lançait dans la télévision numérique
hertzienne avec CTI, filiale de TDF, choisie par la BBC comme diffuseur !
Eh bien, ce retard continue de s'accroître, de mois en mois, de jour en jour,
madame le ministre !
Et je ne parle pas du DAB, cette technologie française, également développée
par TDF et décidément trop négligée par les pouvoirs publics !
Je vous rappelle que, là aussi, nous en sommes, dans notre pays, encore et
toujours, au stade expérimental, en vertu de la loi Fillon de 1996, que j'ai
d'ailleurs fait amender en avril dernier afin que les expérimentations puissent
être poursuivies.
Quant au système de financement de l'audiovisuel public, je n'ai pas trouvé
dans votre projet de budget les modifications importantes que nous aurions pu
escompter.
Si je me réjouis de la diminution de la part des recettes publicitaires dans
le financement des chaînes publiques et de la compensation que vous opérez par
le remboursement de l'exonération, je ne saurais dire qu'elles constituent une
révolution financière dans le secteur public de l'audiovisuel, d'autant que la
réduction du temps de publicité y est, selon moi, insuffisante.
Certes, le remboursement des exonérations de redevance que vous annoncez est
une bonne mesure. Vous savez cependant comme moi qu'elle est sujette aux aléas
budgétaires. En la matière, seul le ministère du budget a un pouvoir de
décision, et l'annualité budgétaire est un impératif qui s'impose à tous dans
notre République.
Qu'avez-vous prévu, madame le ministre, pour que le système de rembourseement
des redevances soit pérenne dans les années futures ? Comme vous le savez, et
comme je le dis depuis des mois, voire des années, des modifications profondes
doivent être décidées pour renforcer et pérenniser le financement propre du
secteur public de l'audiovisuel.
Au-delà de la création d'un système pérenne de remboursement des exonérations
de redevance, qu'il reste à imaginer et à mettre en place, il convient de
prendre acte de la totale obsolescence du système actuel de la redevance.
Ma proposition, vous la connaissez, mais peut-être n'est-il pas totalement
inutile que je la formule une nouvelle fois. Elles se fonde sur l'évolution
technologique et consiste à simplifier l'assiette de la redevance en retenant
comme fait générateur, non plus le binôme « poste de télévision » et « point de
réception », mais simplement le « point de réception ». Celui-ci étant un point
de communication potentiel - quel que soit le mode de communication - toute
personne sera redevable de la redevance, que je propose d'ailleurs de dénommer
: « redevance de communication ».
De plus, en vertu du principe : « pas de taxe sur une taxe », je propose que
la redevance ne soit plus soumise à la taxe CNC et que soit augmenté, à due
concurrence, le taux de cette taxation pour toutes les recettes publicitaires,
qu'elles soient publiques ou privées, à l'exclusion des recettes provenant des
abonnements, qui ne bénéficieront pas, elles, d'un transfert du fait de la
diminution du temps de publicité sur les chaînes publiques.
Vous avez vous-même annoncé à plusieurs reprises, et encore tout récemment,
que le système de la redevance devait être réformé. Prenez-vous l'engagement,
madame le ministre, que cette réforme verra le jour dans le courant de l'année
2000 ? Sans doute aurons-nous l'occasion d'en débattre lors de la discussion de
votre projet de loi sur l'audiovisuel, qui devrait intervenir dans les tout
premiers jours de l'année 2000.
J'ajoute que l'avenir, à l'intérieur de l'Hexagone, de notre service public de
l'audiovisuel - et même de l'audiovisuel français pris dans sa globalité - ne
saurait être abordé hors du contexte de la compétition internationale.
Une étude du CSA a récemment montré que notre secteur public de l'audiovisuel
était structurellement sous-financé et que notre redevance était très
insuffisante par rapport à ce qu'on observe chez nos voisins. En 1998, par
exemple, quand la redevance rapportait 10 milliards de francs en France, elle
en rapportait 20 au Royaume-Uni et 30 en Allemagne. Depuis, l'écart s'est
encore probablement creusé.
Nous devons notamment prendre en considération la faible santé de notre
industrie de programmes. Ainsi, il est inquiétant que la production de fictions
nationales connaisse, par rapport à nos concurrents, les mêmes proportions de
déséquilibre que la redevance : en 1998, alors que la production de fictions
était de 700 heures en France, elle était de 1 000 heures au Royaume-Uni et de
1 700 heures en Allemagne.
Quant à la radio, madame le ministre, elle continue d'être maltraitée, elle
aussi. Savez-vous que, depuis dix ans, la part de Radio France dans le
financement de l'audiovisuel public n'a cessé de décroître, laissant accréditer
l'idée d'un désintérêt pour la radio publique, alors que la radio est le média
le plus populaire en France, et de loin, comme à l'étranger d'ailleurs.
C'est pourquoi, dans la perspective de la nécessaire modernisation de Radio
France, qui suppose, vous le savez, la numérisation de l'entreprise, le
développement des radios locales et le développement d'Internet, je tiens à
dire, d'ores et déjà, que je voterai l'excellent amendement déposé par M. le
rapporteur spécial et tendant à répartir les excédents de redevance dégagés en
1998 en accordant 60 millions de francs de mesures nouvelles au bénéfice de
Radio France.
Pour finir, madame le ministre, je rappellerai simplement que, à l'heure où la
télévison privée connaît un essor très important en Europe, en particulier en
France, par la diffusion satellitaire, il est primordial d'assurer la présence
d' un secteur public de l'audiovisuel uni, fort et phare dans le paysage
audiovisuel français, par le maintien d'un financement public affecté, qui est
le meilleur garant de sa stabilité et de sa pérennité.
Aussi longtemps que le problème du financement ne sera pas réglé, nous
pourrons tout craindre pour l'avenir du secteur public de l'audiovisuel.
Aujourd'hui, celui-ci demeure un vaste chantier : il doit s'adapter à un
paysage concurrentiel en profonde mutation, tant en France qu'à l'échelle
internationale. La France prend de plus en plus de retard, madame le ministre !
Nous devons le combler, et le combler vite !
Dans les toutes prochaines semaines, la discussion au Sénat de votre projet de
loi sur l'audiovisuel nous donnera l'occasion d'essayer de définir clairement
la place de l'audiovisuel public. C'est ce que j'attends depuis fort longtemps
et j'espère aujourd'hui plus que jamais voir cette attente enfin satisfaite.
Je sais combien l'audiovisuel est un domaine complexe, madame le ministre, et
je n'oublie pas que votre budget, en dépit des très nombreuses critiques qu'il
suscite, est tout de même encourageant. C'est pourquoi, pour ma part, malgré
ses insuffisances, je le voterai.
(M. Gérard Larcher remplace M. Paul Girod au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. GÉRARD LARCHER
vice-président
M. le président.
La parole est à Mme le ministre.
Mme Catherine Trautmann,
ministre de la culture et de la communication.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, avant de répondre aux rapporteurs ainsi
qu'aux différents intervenants, je voudrais d'abord exprimer ma reconnaissance
à tous ceux qui ont pris le temps d'examiner ce budget, d'y apporter des
commentaires, tantôt critiques, tantôt encourageants. Cela dit, dans
l'ensemble, il m'est apparu que ce budget n'avait pas donné lieu à des
jugements trop sévères.
Ce budget marque en effet plusieurs avancées dans la mise en oeuvre des
orientations que le Gouvernement a tracées dans ce secteur essentiel pour notre
vie démocratique que constituent la presse et l'audiovisuel.
D'une part, il va permettre de mieux soutenir le pluralisme de l'information
écrite et la nécessaire modernisation de la diffusion des titres comme de
l'outil de production des entreprises de presse.
D'autre part, il engage la réforme du financement du secteur public
audiovisuel, en réduisant la dépendance des chaînes publiques de télévision à
l'égard de la publicité, en clarifiant l'objet des crédits budgétaires affectés
au financement du secteur public audiovisuel et en renforçant les moyens dont
sont dotées la télévison et la radio publiques, en matière de programmes
notamment.
Les aides directes à la presse continuent de bénéficier d'une priorité au sein
du budget de l'Etat. Je remercie M. le rapporteur d'avoir souligné l'effort
important de l'Etat en la matière et je partage sa préoccupation quant au
devenir de la presse et à la baisse du lectorat.
Avec une progression de 3,2 %, contre 2,6 % en 1999, les aides directes à la
presse augmentent plus sensiblement en 2000 que la norme d'évolution des
dépenses de l'Etat.
Dans un contexte difficile pour certains titres, le Gouvernement entend
favoriser le maintien d'une offre pluraliste en matière de presse d'information
générale, tant au niveau local que sur un plan national, représentative des
sensibilités d'opinion de notre pays. Il entend, en même temps, soutenir
l'indispensable modernisation des entreprises de presse. Ce projet de budget
pour 2000 concourt à ces deux objectifs.
Comme ceux des deux précédents exercices dont j'ai assuré la préparation, le
présent budget prévoit une augmentation des aides directes aux quotidiens
nationaux à faibles ressources publicitaires, aux quotidiens de province à
faibles ressources en matière de petites annonces et à la presse hebdomadaire
régionale.
En outre, il renforce le soutien accordé à la diffusion de la presse française
à l'étranger.
Il n'omet pas d'accroître l'aide au développement du portage, qui, par la
conquête de nouveaux lecteurs, constitue une dimension essentielle de la
modernisation des entreprises de presse.
Il confirme, par ailleurs, l'inscription au budget général de l'Etat d'une
dotation consacrée aux projets des entreprises de presse dans le domaine du
multimédia.
L'évolution de la dotation correspondant aux abonnements de l'Etat à l'Agence
France-Presse, en hausse de 1,2 %, permettra, quant à elle, de soutenir la
réorganisation de l'agence et son adaptation à son nouveau contexte
concurrentiel.
Le marché mondial de l'information est aujourd'hui bouleversé par le
développement de l'offre multimédia. Forte de son savoir-faire et de son réseau
mondial, l'AFP doit, afin de ne pas être distancée, engager une politique
ambitieuse de modernisation et d'investissement.
C'est au regard de cet objectif que des partenariats, professionnels et
financiers, apparaissent aujourd'hui nécessaires. Le Parlement débattra, le
moment venu, des adaptations des statuts de l'agence que pourrait requérir la
réalisation de cet objectif.
Mais il est indispensable que soit d'abord élaboré un plan de développement.
Aujourd'hui, les conditions du développement de l'AFP me semblent réunies. Il
s'agit d'une première étape. En effet, le Gouvernement a décidé de renoncer à
une créance de 45 millions de francs correspondant à la moitié du principal
d'un prêt participatif qui avait été accordé à l'AFP dans le passé. L'Assemblée
nationale a adopté un amendement présenté à cet effet par le Gouvernement lors
de la discussion du projet de loi de finances rectificative de 1999. Bien
entendu, l'autre moitié suivra.
Au-delà de l'augmentation de la dotation de 1,2 % liée aux abonnements de
l'Etat à l'AFP, au travers de la proposition gouvernementale et de la décision
du Parlement, l'Etat fait une avancée significative : un plan de développement
pourra faire l'objet d'une concertation avec les personnels, avec les
partenaires de l'agence, avec la presse, qui est représentée au conseil
d'administration, et avec l'Etat. Nous exprimons là, en cette fin d'année 1999,
un signe de confiance. Les décisions à venir ne pourront pas concerner
uniquement les ressources de l'Etat.
L'AFP est, certes, une entreprise d'un type particulier, mais c'est une
entreprise de droit privé. Elle exerce cependant des missions importantes de
service public et nous devons impérativement lui garantir son indépendance, sa
crédibilité et son envergure internationale.
Bien évidemment, ainsi que plusieurs intervenants l'ont dit à cette tribune,
il n'est pas question, pour le Gouvernement, d'envisager des modifications en
faisant l'impasse sur l'avis du Parlement. Je l'ai d'ailleurs indiqué en
répondant à une question à l'Assemblée nationale. Il s'agit d'une cause
nationale et nous devons le prendre en compte.
Je me réjouis que cette préoccupation ait été exprimée sur l'ensemble des
travées. Pour l'heure, il convient que les grandes lignes directrices du plan
de développement de l'AFP fassent l'objet d'une discussion. Nous verrons
ensuite quelles conclusions il convient d'en tirer. S'il y a modification du
statut, à ce moment-là, le débat devra nécessairement être porté devant le
Parlement.
Au sein des aides directes à la presse, l'aide au transport par la SNCF
continue de peser d'un poids particulier ; elle suscite aussi une
insatisfaction croissante. Nous serons prochainement amenés à ouvrir une
réflexion de fond sur l'évolution de ce dispositif, au-delà des adaptations des
taux de prise en charge par l'Etat qu'impose, à court terme, la réalité des
flux transportés.
La situation du fonds de modernisation de la presse a été évoquée par
plusieurs orateurs à cette tribune. Le produit de la taxe sur la publicité
affecté au fonds n'est, en effet, pas à la hauteur des espoirs qu'avait
suscités sa création. Les causes de cette situation doivent être éclaircies.
J'ai saisi en ce sens mon collègue Christian Sautter.
Toutefois, le niveau des recettes du fonds ne doit pas occulter d'autres
constats qui, eux, sont positifs.
En premier lieu, le fonds a suscité un intérêt marqué de la part des
entreprises de presse, et cela est très encourageant.
En second lieu, les subventions dont l'attribution m'a été proposée par le
comité d'orientation du fonds, à l'issue de sa première séance, viennent d'être
notifiées à leurs bénéficiaires. Sur l'ensemble de l'année 1999, le comité
d'orientation du fonds aura proposé l'attribution de près de 300 millions de
francs. Cela représente deux cent cinquante projets concernant aussi bien des
quotidiens que des agences.
En dépit de moyens inférieurs à ceux qui étaient attendus, le fonds joue un
rôle tout à fait significatif d'effet de levier pour la modernisation des
entreprises de presse, et c'est là un acquis positif.
Néanmoins, ce fonds de modernisation de la presse doit conserver son rôle
d'aide aux projets. Il n'est pas question qu'il soit transformé en une sorte
d'aide proportionnelle banalisée. Il faut absolument que cet effet de levier
soit continuellement affirmé et réaffirmé.
Par conséquent, je suis heureuse que nous ayons pu franchir cette première
étape et que ce fonds ait été maintenu en l'état. J'espère qu'avec les mesures
qui pourront être prises après examen des conditions de collecte des fonds nous
aurons également la possibilité d'en augmenter l'enveloppe budgétaire.
J'en viens au budget du secteur public audiovisuel pour 2000. Le budget de la
radio et de la télévision publiques pour 2000 que je soumets à votre
approbation est un budget qui réaffirme la légitimité du service public et
prévoir les moyens nécessaires au développement des missions de l'ensemble de
ses composantes.
Je vous rappelle, mesdames, messieurs les sénateurs, que ma première tâche
avait consisté, dans le cadre du budget de 1998, à réparer les conséquences
d'une loi de finances de 1997, que j'avais qualifiée à l'époque, de « télécide
» : abattement de près de 600 millions de francs des ressources publiques ;
explosion de la durée de la publicité ; stagnation du budget de France 2
impliquant une réduction des moyens consacrés aux programmes ; coupes claires -
moins 120 millions de francs - dans les budgets de programme de la Sept-Arte et
de La Cinquième, ainsi vouées à pratiquer rediffusion sur rediffusion pour «
meubler » l'antenne du cinquième canal.
On ne sort pas si vite, mesdames, messieurs les sénateurs, de telles
difficultés. Toutes les chaînes ont été profondément touchées et
fragilisées.
Il faut donc procéder par étapes, avec le plus d'ambition et le plus de moyens
possible. Mais il faut également agir avec lucidité et exiger que ces
entreprises fassent l'objet d'une gestion rigoureuse. En effet, si nous
relevons ensemble que des moyens leur sont nécessaires, il nous faut aussi
faire en sorte que ces moyens soient correctement employés. En tout cas, nous
ne devons pas demander des moyens supplémentaires qui ne seraient pas
réellement utiles, notamment à la modernisation et à la transformation de ces
entreprises.
Le budget de 1999 comportait une première phase de développement, notamment
pour France 3. Mais cette embellie budgétaire n'avait pas permis de remédier au
constat d'un relatif sous-financement du secteur public audiovisuel de notre
pays par rapport à ses principaux homologues européens.
En prévoyant une augmentation de 883 millions de francs, soit 4,8 %, du budget
des entreprises audiovisuelles publiques, le projet de loi de finances pour
2000 traduit la volonté du Gouvernement de procurer au secteur public
audiovisuel les moyens de se moderniser, d'améliorer la qualité de ses
programmes et de s'adresser à l'ensemble de nos concitoyens. Par son ampleur,
cette augmentation du budget du secteur public audiovisuel en 2000 marque une
rupture par rapport aux tendances récentes. Cette rupture est particulièrement
sensible pour France 2 et France 3, dont les budgets augmentent respectivement
de 7,6 % et de 5,3 %.
France 2 est ainsi dotée des moyens nécessaires à l'exercice de sa mission de
grande chaîne de référence du service public tournée vers un public diversifié.
France 3, quant à elle, est confortée dans ses missions de chaîne généraliste
et de télévision de proximité, segment où une concurrence accrue doit la
conduire à se renforcer, à se renouveler et à montrer une plus grande capacité
d'innovation.
En ce qui concerne les déficits enregistrés par France 2 et France 3 - je
réponds là à M. Belot, rapporteur spécial, et à M. Hugot, rapporteur pour avis
-, le collectif budgétaire de 1999 prévoit l'attribution d'un complément de
redevance de 95 millions de francs, dont 35 millions de francs pour France 2 et
60 millions de francs pour France 3, au titre des moins-values de recettes
publicitaires en 1999. Une incertitude demeure sur la réalisation des recettes
publicitaires en fin d'année ; il est possible - nous l'espérons ! - qu'une
amélioration se produise au cours du mois de décembre.
Pour une part, les déficits annoncés pour France 2 et France 3 correspondent à
des dépassements de charges. Le Gouvernement n'estime pas souhaitable, par
principe, d'accompagner le dépassement des budgets annuels par des ressources
publiques supplémentaires : ce ne serait pas un comportement tout à fait
responsable. En revanche, nous accompagnons ce dépassement, bien sûr, lorsque
les difficultés constatées sont liées, je dirais objectivement à une situation
problématique.
Les déficits de 1999 n'impliquent pas obligatoirement, je tiens à le dire, des
déficits en 2000. Les moins-values de recettes publicitaires en 2000 ont fait
l'objet d'une évaluation sérieuse et il est permis d'espérer que l'audience se
redressera grâce à un effort d'innovation et à un renouvellement de la
programmation.
J'espère, d'ailleurs, que la baisse du temps de publicité - la réduction des «
tunnels » - aura un effet attractif et qu'elle favorisera le retour vers les
chaînes publiques des téléspectateurs qui ont pu parfois être tentés de les
quitter.
Je me refuse donc, à ce stade, à envisager un déficit de France 2 et de France
3 en 2000. En effet, on ne peut pas se contenter de dire que les recettes ne
sont pas aussi importantes que ce qui était prévu. Il faut prendre le taureau
par les cornes et raisonner en termes de programmes : c'est ce qu'attendent les
uns et les autres ; cela a été dit à cette tribune, je n'y reviens pas.
Si France 2 et France 3 voient leurs budgets augmenter fortement, l'évolution
du budget du secteur public audiovisuel pour 2000 tient compte du rôle tenu par
les autres entreprises de notre paysage audiovisuel. C'est ainsi que les moyens
de Radio France augmentent, dans le projet de loi de finances pour 2000, dans
une proportion comparable à celle qu'avaient prévue les deux précédents
budgets, dont j'ai assuré la préparation.
Le plan de numérisation de l'outil de production bénéficie d'une mesure
nouvelle de 63 millions de francs, dans le projet de loi de finances pour 2000.
Mais il faut y ajouter le détail de la loi de finances rectificative pour 1999,
c'est-à-dire 15 millions de francs, ainsi que les concours supplémentaires de
40 millions de francs adoptés par l'Assemblée nationale, ce qui représente, au
total, 55 millions de francs supplémentaires. En définitive, si cela était
confirmé, le budget de Radio France connaîtrait une augmentation, en mesures
nouvelles, de 118 millions de francs. Cela correspondrait à l'objectif de
progression qui a été inscrit dans l'un des amendements soumis à votre
approbation. En tout état de cause, en ce qui concerne Radio France, les moyens
supplémentaires seront largement suffisants pour la prise en compte des
stations locales.
Radio France ne connaît pas une augmentation du coût de ses programmes, comme
c'est le cas pour la télévision, s'agissant du sport. L'effort accompli en sa
faveur est donc significatif.
En entendant certains pronostics, on a l'impression que nous sommes dans une
situation désastreuse en ce qui concerne la numérisation. Or, tel n'est pas le
cas. L'équipement numérique est déjà fourni en partie. Les télévisions sont
notamment dotées de caméras numériques. Comme je le disais lors du débat
précédent sur le budget de la culture, nous avons également engagé la
numérisation des archives. Par conséquent, nous avons une démarche très
volontariste, dont il convient de mesurer l'ampleur au moment où l'on parle du
passage au numérique hertzien.
Nous aurons bientôt l'occasion d'assister à l'inauguration d'un nouveau studio
numérique à Radio France. On ne peut pas dire que nous soyons vraiment
distancés par nos concurrents européens ; une réflexion a été menée à cet
égard. Simplement - et je souhaite que nous continuions d'agir ainsi - nous
passons le cap lorsque nous sommes prêts ! Nous cherchons à faire en sorte que
les moyens attribués dans ce domaine soient le plus efficace possible.
Le budget de Radio France internationale, RFI, augmentera de 2,8 % en 2000 par
rapport aux moyens dont a effectivement été dotée la radio internationale cette
année. De nouveaux développements pourront ainsi être engagés afin de renforcer
la présence de la France à l'étranger, par une diffusion élargie de ses
programmes.
Au-delà de ce projet de loi de finances pour 2000, l'extension du réseau en
modulation de fréquence des programmes de RFI, dont la qualité est reconnue,
dans de grandes ville européennes et mondiales, devra être poursuivie. A cet
égard, là aussi, vos collègues députés ont souhaité qu'un effort supplémentaire
soit consenti dans le cadre de la loi de finances rectificative de fin
d'année.
Les ressources publiques consacrées à RFO enregistrent, elles aussi, une
augmentation importante, destinée à permettre un indispensable retour à
l'équilibre d'exploitation, fortement malmené depuis deux ans.
J'espère que nous y parviendrons prochainement en conjuguant rigueur dans la
gestion interne de RFO et maintien d'une offre radiophonique et télévisuelle
publique diversifiée dans l'ensemble des départements et territoires
d'outre-mer.
En attribuant, dans la discussion du projet de loi de finances rectificative
de fin d'année 1999, un complément de redevance de 10 millions de francs,
l'Assemblée nationale a marqué l'attention qu'elle porte au rétablissement
financier de RFO. C'est un appui financier supplémentaire.
Je voudrais souligner, par ailleurs, la bonne progression du budget de La
Cinquième et d'Arte.
La Cinquième et le groupement européen d'intérêt économique Arte sont ainsi
confortés dans l'exercice de leurs missions de chaîne éducative, d'une part, et
de chaîne culturelle franco-allemande à ouverture européenne, d'autre part.
Sans exclure toute innovation, il importe que la nature de la programmation de
La Cinquième et d'Arte demeure conforme à celle de leurs missions. Je veux dire
ici mon attachement au respect de ces missions et à leur pérennité.
Pour ce qui est d'Arte par rapport au projet de la loi sur l'audiovisuel, j'ai
proposé au président d'Arte de constituer un groupe de travail afin d'examiner
les questions qui ont été posées par nos partenaires allemands. Cependant, je
tiens d'ores et déjà à rappeler que, d'une part, le projet de loi de réforme de
l'audiovisuel public a été soumis au Conseil d'Etat et que, d'autre part, le
Sénat, en adoptant le texte déposé par mon prédécesseur, avait déjà voté la
fusion de La Cinquième et d'Arte. S'il y avait eu une contradiction aussi nette
avec le traité, cela aurait suscité des questions depuis longtemps.
Certes, nous pouvons répondre de façon plus claire encore aux préoccupations
de nos interlocuteurs ; néanmoins, nous devons assurer non seulement le respect
du traité mais aussi l'évolution de notre audiovisuel public, ainsi que la
pérennité des moyens de La Cinquième et d'Arte, et ce dans les mêmes
proportions, aux termes du traité, proportions sur lesquelles le Gouvernement
et le Parlement s'engagent.
A partir de là, les questions ne devraient pas être posées dans des termes qui
empêchent le projet de loi de garder en quelque sorte son intégrité pour ce qui
est de la construction du groupe de télévision publique.
Dans le projet de loi de finances pour 2000, la stabilité du budget de
l'Institut national de l'audiovisuel recouvre d'importants redéploiements
internes tournés vers la modernisation de ses conditions d'activité. C'est
ainsi qu'il est prévu d'accroître la part du budget consacrée à la numérisation
de la chaîne d'exploitation des archives. Situé au coeur des missions
patrimoniales de l'INA, le plan de sauvegarde et de restauration des archives
est donc pris en compte.
Les députés ont souhaité voter des moyens supplémentaires, mais certains ici
se plaignent de ce que le budget de l'INA soit constant. A quoi je réponds que
l'on ne peut pas en même temps vouloir faire preuve de rigueur dans la gestion
et satisfaire à toutes les demandes de mesures nouvelles, qu'au demeurant
l'entreprise ne formule même pas !
Je tiens d'ailleurs à saluer les dirigeants de ces entreprises, qui font
eux-mêmes, avec leurs équipes de direction et leurs personnels, des efforts de
gestion. Si l'on obtient des résultats, mesdames, messieurs les sénateurs, il
faut s'en féliciter. Ce qui sera apporté en plus sera bel et bon. Mais il n'y
avait pas de volonté de priver l'INA de ses moyens de fonctionnement, puisque
nous nous en sommes tenus strictement à ce qui avait été proposé par
l'entreprise elle-même.
Budget de développement du service public, le budget 2000 est également, et de
manière indissociable, le premier budget de mise en oeuvre de la réforme
audiovisuelle. Je vous présenterai prochainement le texte qui la sous-tend.
Le projet de loi de finances pour 2000 pose les premières fondations de cette
réforme. Il engage ainsi une réduction importante de la durée de la publicité
sur les antennes de France 2 et France 3, renforce les moyens du service public
dans son ensemble et assure un indispensable rééquilibrage de sa structure de
financement dans un sens plus conforme à des missions de service public
réaffirmées.
Redevance et crédits budgétaires destinés à rembourser les exonérations de
redevance confondus, la progression des ressources publiques s'élève à 1,5
milliard de francs dans le projet de loi de finances pour 2000 et à 1,6
milliard de francs une fois prises en compte les attributions complémentaires
de redevance prévues par le projet de loi de finances rectificative pour
1999.
Plusieurs questions ont été posées à propos des exonérations de redevance.
Quelles assurances aurons-nous, à terme, du remboursement total des
exonérations de redevance ? Je crois que, tant qu'il s'agira de notre
gouvernement, les choses seront claires ; nous montrons déjà par ce budget 2000
que nous respectons notre parole, et je remercie ceux qui ont bien voulu le
souligner. Bien sûr, le budget de l'audiovisuel public reste soumis au principe
de l'annualité budgétaire. Cependant, j'ai proposé d'inscrire dans la loi le
principe du remboursement intégral des exonérations de redevance. Cette
disposition a été votée lors de la discussion en première lecture à l'Assemblée
nationale. J'espère que la Haute Assemblée la votera également, car c'est en
effet, en quelque sorte, un gage de pérennité.
Ces exonérations de redevance seront, je le rappelle, versées au compte
d'emploi de la redevance, ce qui, d'une part, les garantira contre les
régulations en cours d'année et, d'autre part, évidemment, les intègre dans
l'assiette de la taxe pour le compte de soutien à la production.
Les exonérations de redevance ne seront donc pas moins assurées que la
redevance elle-même, également votée chaque année en loi de finances. Ce qu'une
loi aura permis ne pourra être remis en cause que par une loi, sauf décisions
qui contreviendraient à la volonté du Parlement.
Certains ont évoqué la perspective ou la nécessité d'une augmentation de la
redevance.
Il est absolument indispensable de conserver une ressource qui permet de
financer dans de bonnes conditions la radiodiffusion publique. En France, en
effet, la redevance est moins élevée qu'elle ne l'est chez nos voisins, mais je
n'ai pas souhaité proposer une augmentation supérieure au taux d'inflation
parce que je souhaite procéder en deux temps.
Dans un premier temps, il s'agit de diminuer la publicité et d'obtenir la
compensation des exonérations, afin de permettre aux téléspectateurs de
bénéficier de programmes de meilleure qualité, dégagés de la contrainte de
rentabilité commerciale. Dans un deuxième temps, la compensation complète des
exonérations de redevance permettra de financer les programmes.
Les ressources supplémentaires s'élèvent à un milliard de francs au total pour
l'ensemble des chaînes et de leurs activités, ce qui est beaucoup, puisque, de
toute façon, la diminution de la publicité sur les deux années 2000 et 2001 est
intégralement compensée. Nous verrons alors comment peut évoluer la
redevance.
En tout état de cause, le Gouvernement souhaitera examiner l'ensemble des
prélèvements et leur impact sur les redevables français, en particulier sur les
familles, au regard de critères non seulement sociaux mais aussi
économiques.
Pour l'heure, je me réjouis que les conditions de la perception,
singulièrement la forte motivation des services de collecte de la redevance
mais aussi le croisement des données, nous permettent une évolution très
positive des ressources publiques.
Avant même que le projet de loi ne soit débattu par votre assemblée, nous
avons voulu montrer qu'il reposait déjà sur un socle financier, gage d'une
volonté d'assurer tout à la fois la stabilité, la solidité, la pérennité de
l'audiovisuel public et son retour à une identité forte tout en intégrant le
passage au numérique hertzien.
Mais le secteur public a-t-il les moyens de passer au numérique hertzien ?
Comme vous, je pense que nous ne devons pas prendre de retard en la matière.
Nous devons répondre à un certain nombre de questions de nature juridique et
technologique, notamment en ce qui concerne les modalités de répartition des
fréquences.
Nous avons rédigé un Livre blanc. Les réponses qu'il a suscitées sont
examinées par un groupe de travail présidé par M. Hadas-Lebel, qui remettra son
rapport au début du mois de janvier. Ce document viendra alimenter la réflexion
que j'ai déjà engagée aussi bien avec les entreprises privées et publiques
qu'avec les différents services des ministères concernés. Nous tenterons de
répondre du mieux possible au regard tant du cadre communautaire que de l'enjeu
économique, car nous souhaitons être assurés de la capacité des entreprises à
faire l'effort d'investissement pour passer au numérique terrestre. Nous le
ferons dans des délais attractifs pour l'ensemble des téléspectateurs
concernés.
Si je regarde comment les choses se passent à l'échelon européen, je ne suis
pas du tout pessimiste, et je pense que nous aurions tort de soutenir que nous
sommes en retard. Simplement, nous avons une autre méthode. Contrairement à
d'autres, en effet, nous n'avons pas avancé par étapes successives ; nous avons
fait le choix d'une démarche beaucoup plus large, peut-être beaucoup plus
significative.
Forts de ce principe de prudence et de l'analyse de l'ensemble de ces
conditions de réussite, nous pourrons, je l'espère, faire un grand bond en
avant.
J'ajouterai quelques mots concernant le développement d'Internet, qui a été
évoqué par M. Renar.
Le large développement d'Internet appelle un régime de large liberté qui doit
cependant assurer la sécurité nécessaire à tous, c'est-à-dire aussi bien la
sécurité des transactions que le respect de la propriété littéraire et la
protection des droits de la personne. Les principes fondateurs du droit
d'auteur et du droit de la presse conservent toute leur validité.
Le Gouvernement a soutenu l'amendement déposé par M. Patrick Bloche lors de la
première lecture à l'Assemblée nationale du projet de loi portant réforme de
l'audiovisuel public, amendement prévoyant la suppression du régime déclaratif
pour les services Internet. Une simple identification des éditeurs paraît, en
effet, suffisante en ce domaine. Cet amendement précise également les
conditions de responsabilité des intermédiaires techniques. Le Sénat aura
l'occasion de débattre dans quelques jours de ces dispositions.
Au-delà de ces aspects juridiques, le ministère de la culture et de la
communication se préoccupe, bien entendu, du développement des contenus en
ligne. Le développement des services sur Internet et des chaînes publiques
comme la numérisation des grands fonds culturels et patrimoniaux - musées et
bibliothèques - font partie, vous le savez, de mes priorités.
S'agissant du financement des 35 heures, Mme Pourtaud a souhaité savoir sur
quels crédits ce plan serait financé.
Le Gouvernement a veillé, dans le dialogue avec les présidents qui a conduit à
la détermination des mandats, à tenir compte des capacités financières de
chaque entreprise. Au cas par cas, en fonction des besoins de chacune, des
financements publics complémentaires ont été prévus. C'est bien évidemment le
cas pour France Télévision.
Je peux ainsi rassurer tous ceux qui se préoccupent de cette question. Les
chaînes publiques ne seront pas pénalisées par rapport aux entreprises privées.
Bien au contraire, le passage aux 35 heures, en permettant aux salariés de
bénéficier de plus de temps libre tout en offrant aux sociétés une meilleure
capacité d'organiser efficacement le travail, renforcera les entreprises
audiovisuelles publiques et leur permettra d'offrir un meilleur service aux
auditeurs et aux téléspectateurs. C'est ce qu'ils attendent, c'est ce qu'on
leur doit si nous voulons qu'ils soient fidèles. Cela fait partie de l'ensemble
des questions qui sont aujourd'hui posées. Le budget du secteur public
audiovisuel est un budget d'expansion. Le budget pour 2000 fait donc un sort à
la crainte d'une paupérisation, terme qui a été évoqué à propos de la réduction
ou du risque de réduction de la publicité. Je crois que le choix politique fort
est perceptible dans ce budget 2000. Les engagements sont respectés.
Mesdames, messieurs les sénateurs, avec le remboursement intégral des
exonérations, j'attends, bien sûr, au moment de l'élaboration et de la
discussion des contrats d'objectifs et de moyens, de voir aussi, en regard des
efforts financiers apportés, une ambition exprimée dans l'ensemble des
entreprises publiques, car c'est aussi leurs dirigeants, leurs personnels qui
portent le devenir de ces entreprises. Le cadre législatif et les moyens
financiers doivent motiver dirigeants et personnels pour relever ce défi qui
leur est lancé.
Ainsi, je partage le souci de développer une création audiovisuelle et
cinématographique de qualité. Nous en avons en effet besoin, et plusieurs
d'entre vous, notamment M. Belot, ont évoqué ce point. Ce sont les contenus qui
sont attendus dès lors qu'il y a multiplication de canaux et de possibilités.
Nous prenons déjà en compte dans ce budget ce besoin de production
audiovisuelle nouveau.
En ce qui concerne les développements et l'effet sur la création, comme le
développement à travers le numérique hertzien, je ne prolongerai pas mes
réponses puisque nous aurons l'occasion d'en débattre très prochainement.
En conclusion, j'ai eu le sentiment de ne pas présenter ce budget et de le
défendre dans les mêmes conditions que je l'ai présenté et défendu lors des
exercices précédents. Précédemment, j'ai eu le sentiment de devoir rattraper,
et largement. Je sais que ce rattrapage n'est pas encore complètement acquis.
Cependant le présent budget est une étape fondamentale dans la réaffirmation
des fondements de la légitimité du service public - je tenais à le faire et je
le dis ici - au moment où pouvait être remise en question l'exception
culturelle dans les négociations internationales.
Si j'ai pu obtenir du Premier ministre des moyens aussi importants, c'est,
bien sûr, pour pouvoir traduire l'ambition dont je parlais. Mais s'ils vous
sont présentés avec ce niveau et cette répartition, c'est bien aussi parce
qu'il y a un message politique extrêmement fort. Celui-ci ne peut passer que si
des résultats sont obtenus en ce qui concerne les programmes et l'audience. Ce
sera le rendez-vous de cette année, lorsque les téléspectateurs verront, je
l'espère, une nouvelle couleur à la télévision de service public et entendront
ce que Radio France a toujours défendu, à savoir la différence.
Cela ne signifie pas que nous n'ayons pas, dans l'ensemble de notre pays, de
quoi être fiers de la qualité de ce qui est proposé aux auditeurs et aux
téléspectateurs. Nous devons simplement continuer de garantir - cela a été dit
à cette tribune avant moi - la qualité des productions audiovisuelles à la
radio et à la télévision si nous voulons réussir le passage au numérique de
terre et en même temps être de fieffés concurrents face à tous ceux qui tentent
de pénétrer que ce soit par les ondes, par les « tuyaux », par les oreilles ou
par les yeux de nos téléspectateurs ou auditeurs.
(Applaudissements sur les
travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et
citoyen. - MM. Michel Pelchat et André Maman applaudissent également.)
M. le président.
Nous allons maintenant examiner les articles 55 et 55
bis
et les lignes
39 et 40 de l'Etat E annexé à l'article 51.
Article 55
M. le président.
« Art. 55. - Est approuvée, pour l'exercice 2000, la répartition suivante des
recettes hors taxe sur la valeur ajoutée du compte d'emploi de la taxe
parafiscale affectée aux organismes du secteur public de la radiodiffusion
sonore et de télévision :
« Institut national de l'audiovisuel | 415,5 |
« France 2 | 3 382,0 |
« France 3 | 4 086,9 |
« Société nationale de radiodiffusion et de télévision d'outre-mer | 1 178,8 |
« Radio France | 2 659,5 |
« Radio France internationale | 285,4 |
« Société européenne de programmes et de télévision : la Sept-Arte | 1 068,2 |
« Société de télévision du savoir, de la formation et de l'emploi : La Cinquième |
793,7 |
« Total | 13 870,0 |
« Est approuvé, pour l'exercice 2000, le produit attendu des recettes des
sociétés du secteur public de la communication audiovisuelle provenant de la
publicité de marques, pour un montant total de 3 966,8 millions de francs hors
taxes. »
Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion
commune.
Par amendement n° II-5, M. Belot, au nom de la commission des finances,
propose de rédiger ainsi le tableau de répartition des recettes :
« Institut national de l'audiovisuel | 425,5 |
« France 2 | 3 382,0 |
« France 3 | 4 086,9 |
« Société nationale de radiodiffusion et de télévision d'outre-mer | 1 213,8 |
« Radio France | 2 719,5 |
« Radio France internationale | 295,4 |
« Société européenne de programmes et de télévision : la Sept-Arte | 1 078,2 |
« Société de télévision du savoir, de la formation et de l'emploi : La Cinquième |
806,5 |
« Total |
14 007,8 » |
Par amendement n° II-83, Mme Pourtaud et M. Estier proposent de rédiger ainsi
le tableau de répartition des recettes figurant à l'article 55 :
« Institut national de l'audiovisuel | 425,5 |
« France 2 | 3 382,0 |
« France 3 | 4 086,9 |
« Société nationale de radiodiffusion et de télévision d'outre-mer | 1 178,8 |
« Radio France | 2 759,5 |
« Radio France internationale | 285,4 |
« Société européenne de programmes et de télévision : la Sept-Arte | 1 086,0 |
« Société de télévision du savoir, de la formation et de l'emploi : La Cinquième |
803,7 |
« Total |
14 007,8 » |
La parole est à M. le rapporteur spécial, pour défendre l'amendement n°
II-5.
M. Claude Belot,
rapporteur spécial.
La commission des finances a souhaité aider Mme le
ministre en rappelant que le principe de l'annualité budgétaire est la règle
d'airain des lois de finances.
Cette redevance affectée doit servir à son objet, et dans l'année ! C'est un
système qui fonctionne parfaitement, comme j'ai pu m'en rendre compte en me
déplaçant à Rennes. En effet, il fonctionne par douzièmes, comme les impôts de
la ville de Rambouillet.
M. le président.
Ils sont légers !
(Sourires.)
M. Adrien Gouteyron,
président de la commission des affaires culturelles.
Cet exemple a été
donné pour que vous puissiez le dire, monsieur le président !
(Nouveaux
sourires.)
M. Claude Belot,
rapporteur spécial.
Donc, le système fonctionne par douzièmes et on verse
le produit de la redevance.
Or, comme cette redevance est dynamique, grâce à la décision que nous avons
prise ici - je l'ai rappelée tout à l'heure - et qui permet de croiser les
fichiers de taxe d'habitation et de la redevance, Bercy garde en grande partie
les produits de la croissance. Ainsi, des excédents de 1998, à hauteur de 276
millions de francs, n'ont pas encore été affectés.
On pourrait dire que, à la fin de l'an dernier, on ne connaissait pas les
résultats de 1998 avec suffisamment de précision. Mais à la fin de 1999, on
connaît les comptes de 1998 ! Or, on ne réaffecte que la moitié des excédents
!
L'Assemblée nationale, à juste raison, s'est indignée de cette situation. Le
Gouvernement, et cela nous a beaucoup surpris, n'a pas voulu entendre ses
arguments.
L'amendement de MM. Le Guen et Mathus, que la commission des finances du Sénat
a décidé de reprendre, avait été adopté à la quasi-unanimité au Palais-Bourbon.
Lors d'une seconde délibération, le Gouvernement a réussi à éliminer ce qui
constituait, à ses yeux, des erreurs, et notamment cet amendement, qu'il ne
souhaitait pas retenir.
Pour sa part, la commission des finances du Sénat ne pense pas que cet
amendement soit une erreur. Aussi, elle persévère dans la recherche de la
vérité et de ce que je crois être l'intérêt de l'audiovisuel, car nous avons
bien conscience de l'importance du sujet.
Nous avons donc déposé un amendement, et j'ai d'ailleurs constaté que Mme
Pourtaud a présenté un amendement de même philosophie : il s'agit d'obliger
l'Etat à donner ce qu'il doit puisqu'il l'a perçu, sans attendre la
Saint-Glinglin. Nos deux amendement diffèrent légèrement sur l'affectation
prévue par l'article 55.
Par cet amendement, nous avons voulu afficher un principe. En effet,
s'agissant de l'affectation, nous ne pouvons pas réellement déterminer les
besoins de tel ou tel. Mais, à partir du moment où nous sommes d'accord avec
Mme Pourtaud sur le principe de la réaffectation totale - je dis bien « totale
» ! - des excédents de 1998, je serais prêt a rectifier l'amendement de la
commission des finances pour la rejoindre.
Toutefois, je vous précise, madame le ministre, que la commission des finances
présentera un amendement lors de l'examen du collectif - je ne sais pas ce que
fera alors Mme Pourtaud ! - aux termes duquel c'est la totalité du solde connu
qui devra être affectée.
Cette année, il y a eu des excédents tout à fait significatifs. Nous sommes
aujourd'hui dans la situation où le maire d'une commune ne percevrait pas la
totalité du produit de la taxe d'habitation et de la taxe professionnelle perçu
par les services fiscaux au nom de sa commune. Il faut que cela cesse !
L'Assemblée nationale l'avait dit, le Sénat le dit à son tour. Nous verrons
comment tout cela se terminera.
En l'occurrence, il s'agit de vous simplifier la vie, madame le ministre, et
de faire savoir aux services de Bercy que vous n'êtes pas seule à penser cela,
que c'est aussi l'avis du Parlement de la République française.
M. André Maman.
Très bien !
M. le président.
La parole est à Mme Pourtaud, pour défendre l'amendement n° II-83.
Mme Danièle Pourtaud.
Cet amendement vise à répartir, comme vient de le dire M. le rapporteur
spécial, l'intégralité des excédents de redevance de l'exercice 1998. Sur un
total d'excédents de 276,3 millions de francs, le projet de loi de finances
pour 2000, que nous examinons, ne répartit que 138,5 millions de francs. Il
reste donc 137,8 millions de francs.
J'ai bien noté que, dans la loi de finances rectificative pour 1999, ce solde
de 137,8 millions de francs faisait l'objet, à l'article 10, d'une répartition
entre les sociétés de l'audiovisuel public, mais la répartition de ces crédits
ne nous a pas semblé totalement satisfaisante et, de toute façon, elle concerne
l'exercice 1999.
En effet, nous souhaitons que Radio France reçoive les moyens de mener
effectivement à terme les objectifs qui lui sont fixés. C'est pourquoi nous
souhaitons que cette société bénéficie, pour l'exercice 2000, de 100 millions
de francs supplémentaires.
Certes, les crédits de Radio France pour 2000 sont en progression puisqu'ils
croissent, comme vous l'avez dit voici un instant, madame la ministre, de 63
millions de francs par rapport à l'an dernier, soit une hausse de 2,2 %, mais
cette entreprise est actuellement dans l'impossibilité d'appliquer le plan de
développement pour lequel son président a été élu.
Plusieurs objectifs doivent en effet être mis en oeuvre dès l'année prochaine,
parmi lesquels deux me paraissent essentiels.
Il s'agit d'abord, comme pour les chaînes publiques, du passage au numérique.
Vous l'avez dit, il est amorcé, mais il nécessite un important investissement
technique et la formation du personnel. Par ailleurs, Radio France a pris un
retard important par rapport à ce qu'ont déjà fait ses concurrents du secteur
privé.
Le second objectif qui me semble essentiel, c'est le développement du réseau
de radios locales. Vous savez comme moi, madame la ministre, que le plan de
développement des radios locales de Radio France a été stoppé depuis onze ans.
Aujourd'hui, les implantations de Radio France ne couvrent que quarante-trois
départements. L'intérêt des Français pour les programmes locaux rend
difficilement acceptable, au regard du pluralisme, que le secteur public soit
absent de près de la moitié des départements.
Enfin, comme pour la télévision, avec la multiplication des chaînes
thématiques sur le câble ou le satellite, les auditeurs aspirent de plus en
plus à des offres de programmes fortement spécialisées : la radio de la mer, la
radio du sport, etc. L'émergence de tels projets est actuellement compromise
faute de moyens financiers suffisants.
Pour amorcer la réalisation de ces développements, Radio France a chiffré
l'apport budgétaire supplémentaire nécessaire à 200 millions de francs. Notre
amendement ne me semble donc pas excessif, puisqu'il ne lui octroie que la
moitié de l'enveloppe nécessaire et complète avantageusement l'effort consenti
par le Gouvernement dans le projet de loi de finances.
Pour toutes ces raisons, je demande au Sénat de bien vouloir adopter cet
amendement qui, s'il est voté, permettra également de dégager quelques moyens
supplémentaires : 10 millions de francs pour l'INA, 17,8 millions de francs
pour la Sept-Arte et 10 millions de francs pour La Cinquième.
Je tiens à préciser que le fait que nous ne proposions pas d'attribution
complémentaire pour France 2 et France 3 n'est pas une marque de désintérêt, au
contraire ! Nous considérons, comme je l'ai dit tout à l'heure et ainsi que
vient de le rappeler M. Belot, qu'il faudra combler le déficit des chaînes
publiques - on nous annonce 200 millions de francs - dès le projet de loi de
finances rectificative avec les excédents de redevance 1999. Ces excédents sont
anticipés aujourd'hui à hauteur de 400 millions de francs. Cela sera, nous
semble-t-il, plus à la mesure du problème.
Si notre amendement n'était pas adopté, je souhaiterais, madame la ministre,
que vous nous disiez quelle solution vous envisagez pour ne pas entraver
l'avenir de Radio France.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission sur l'amendement n° II-83 ?
M. Claude Belot,
rapporteur spécial.
L'amendement présenté par Mme Pourtaud et
l'amendement de la commission des finances répondent à la même philosophie. Je
le répète : je ne suis pas en mesure de dire s'il faut plus à tel ou tel
organisme. Ce que je sais, c'est qu'il faut beaucoup et pour tout le monde.
Aussi, comme je l'ai laissé entendre tout à l'heure, monsieur le président, je
rectifie l'amendement n° II-5 de la commission des finances afin qu'il soit
conforme à celui qu'a présenté Mme Pourtaud. Ainsi, le Sénat se prononcera sur
deux amendements identiques.
M. le président.
Je suis donc saisi d'un amendement n° II-5 rectifié, présenté par M. Belot, au
nom de la commission des finances, et tendant à rédiger ainsi le tableau de
répartition des recettes figurant à l'article 55 :
« Institut national de l'audiovisuel | 425,5 |
« France 2 | 3 382,0 |
« France 3 | 4 086,9 |
« Société nationale de radiodiffusion et de télévision d'outre-mer | 1 178,8 |
« Radio France | 2 759,5 |
« Radio France internationale | 285,4 |
« Société européenne de programmes et de télévision : la Sept-Arte | 1 086,0 |
« Société de télévision du savoir, de la formation et de l'emploi : La Cinquième |
803,7 |
« Total |
14 007,8 » |
Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements identiques n°s II-5
rectifié et II-83 ?
Mme Catherine Trautmann,
ministre de la culture et de la communication.
Par souci de précision,
j'indique que, à la suite des décisions prises jusqu'à présent, les excédents
de 1998 sont entièrement répartis. Aucune cassette de reliquats n'a été
constituée ! La disposition qui vient d'être votée à l'Assemblée nationale est
une anticipation sur les excédents de 1999, dont on ne connaît pas encore, bien
évidemment, le chiffre définitif.
Je rappelle que les excédents de collecte de redevance perçus au titre de 1998
sont rattachés, pour la partie qui n'a pas été affectée au projet de loi de
finances pour 2000, au projet de loi de finances rectificative pour 1999. Ce
rattachement est indispensable pour permettre notamment la compensation des
moins-values des recettes publicitaires de France 2 et de France 3 en 1999.
Cette préoccupation a d'ailleurs été exprimée par plusieurs orateurs.
Lors de la discussion du projet de loi de finances rectificative à l'Assemblée
nationale, le Gouvernement a accepté un amendement tendant à prélever 70
millions de francs sur les excédents de collecte de redevance perçus au titre
de 1999, avant la constatation définitive de ces derniers.
Ce complément de redevance est notamment attribué à Radio France, afin de
concourir au développement de stations locales et d'accélérer la mise en oeuvre
du plan de numérisation.
Le Gouvernement entend en rester là, et il ne peut donc être favorable aux
amendements n°s II-5 rectifié et II-83.
Je tiens à rappeler que le montant total des mesures nouvelles en faveur de
Radio France s'élève à 118 millions de francs : 63 millions de francs de
mesures nouvelles nettes, auxquels s'ajoutent 15 millions de francs proposés
par le Gouvernement dans le projet de loi de finances rectificative et 40
millions de francs résultant de l'adoption d'un amendement à l'Assemblée
nationale.
Dans ces conditions, les demandes formulées par Radio France me semblent
largement prises en compte.
Ainsi que je l'ai indiqué tout à l'heure, on observe une progression constante
des moyens nouveaux attribués à Radio France dans chaque loi de finances. Or,
Radio France n'a pas les mêmes difficultés que d'autres entreprises
audiovisuelles et ne supporte pas d'augmentation de coût de programmes.
Je conclurai en vous remerciant, mesdames, messieurs les sénateurs, de votre
souci d'appuyer la ministre de la culture dans ses discussions avec le grand
Bercy.
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix les amendements identiques n°s II-5 rectifié et II-83,
repoussés par le Gouvernement.
(Les amendements sont adoptés.)
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 55, ainsi modifié.
(L'article 55 est adopté.)
Article 55
bis
M. le président.
« Art. 55
bis
. - Le Gouvernement déposera sur le bureau des assemblées,
avant le 30 juin 2000, un rapport sur la redevance des appareils récepteurs de
télévision, actuellement réglementée par le décret n° 92-304 du 30 mars 1992,
notamment dans ses aspects relatifs à l'assiette, au recouvrement, au contrôle
et aux exonérations. »
M. Claude Belot,
rapporteur spécial.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Claude Belot,
rapporteur spécial.
La commission des finances s'étonne quelque peu de
l'adoption, à l'Assemblée nationale, d'un amendement qui pourrait aboutir au
dessaisissement du Parlement d'une de ses responsabilités.
Mais l'intention est sans doute bonne et, de toute manière, cela ne nous
empêchera pas d'exercer notre contrôle, comme il est de notre devoir, comme il
est dans nos attributions et conformément au souhait de M. le président du
Sénat. Je ne vois donc pas d'inconvénient à l'adoption de cet article.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'article 55
bis
.
(L'article 55
bis
est adopté.)
Ligne 39 de l'état E
M. le président.
J'appelle la ligne 39 de l'état E concernant la redevance pour droit d'usage
des appareils récepteurs de télévision.
LIGNES
|
||||
---|---|---|---|---|
1999 |
2000 |
|||
|
|
DESCRIPTION |
PRODUIT
1998-1999 |
ÉVALUATION
1999-2000 |
. | . |
Culture et communication |
||
44 | 39 |
Nature de la taxe : - redevance pour droit d'usage des appareils récepteurs de télévision. |
12 996 400 000 | 13 602 189 600 |
. | . |
Organismes bénéficiaires ou objet : - compte spécial du Trésor institué par l'article 33 de la loi de finances pour 1975. |
. | . |
. | . |
Taux et assiette : - redevance perçue annuellement en 2000 : - 479 F pour les appareils récepteurs « noir et blanc » ; - 751 F pour les appareils récepteurs « couleur ». |
. | . |
. | . |
Textes : - décret n° 92-304 du 30 mars 1992 modifié ; - décret n° 94-1088 du 15 décembre 1994 ; - décret n° 95-1333 du 29 décembre 1995. |
. |
M. Claude Belot, rapporteur spécial. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Claude Belot, rapporteur spécial. La commission des finances émet un avis favorable sur la ligne 39, comme d'ailleurs sur la ligne 40.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix la ligne 39 de l'état E.
(La ligne 39 de l'état E est adoptée.)
Ligne 40 de l'état E
M. le président.
J'appelle la ligne 40 de l'état E concernant la taxe sur la publicité
radiodiffusée et télévisée.
LIGNES
|
||||
---|---|---|---|---|
1999 |
2000 |
|||
|
|
DESCRIPTION |
PRODUIT
1998-1999 |
ÉVALUATION
1999-2000 |
. | . |
Culture et communication |
||
45 | 40 |
Nature de la taxe : - taxe sur la publicité radio-diffusée et télévisée. |
109 200 000 | 110 200 000 |
. | . |
Organismes bénéficiaires ou objet : - fonds de soutien à l'expression radiophonique locale. |
. | . |
. | . |
Taux et assiette : - taxe assise sur le produit des activités des régies publicitaires. |
. | . |
. | . |
Textes : - décret n° 92-1063 du 30 septembre 1992 ; - décret n° 94-1222 du 30 décembre 1994 ; - décret n° 97-1263 du 29 décembre 1997 ; - arrêté du 23 juillet 1998. |
. |
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix la ligne 40 de l'état E.
(La ligne 40 de l'état E est adoptée.)
M. le président. Le vote sur l'ensemble de l'article 51 est réservé.
Je rappelle que les autres crédits inscrits à la ligne « Services généraux du Premier ministre » ont été examinés le jeudi 2 décembre.
Nous allons procéder à l'examen et au vote des crédits figurant aux états B et C et concernant les services du Premier ministre : I. - Services généraux.
ÉTAT B
services du premier ministre
I. -
Services généraux
M. le président.
« Titre III : 170 938 589 francs. »
M. Claude Belot,
rapporteur spécial.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Claude Belot,
rapporteur spécial.
A l'article 38, sur les titres III et IV, ainsi qu'à
l'article 39, sur le titre V, la commission des finances a émis un avis
défavorable, s'agissant d'un vote portant sur l'ensemble des crédits des
services généraux du Premier ministre et pas seulement sur la communication
audiovisuelle.
Je regrette de terminer sur une fausse note un débat que nous avons essayé
d'animer. Mais il aurait été à mon avis préférable, madame le ministre,
d'adopter une présentation différente, en positionnant mieux certains crédits.
Cela aurait sans doute changé les choses.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix les crédits figurant au titre III.
(Ces crédits ne sont pas adoptés.)
M. le président.
« Titre IV : 797 520 000 francs. »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix les crédits figurant au titre IV.
(Ces crédits ne sont pas adoptés.)
ÉTAT C
services du premier ministre
I. -
Services généraux
M. le président.
« Titre V. - Autorisations de programme : 246 000 000 francs ;
« Crédits de paiement : 194 630 000 francs. »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix les crédits figurant au titre V.
(Ces crédits ne sont pas adoptés.)
M. le président.
Nous avons achevé l'examen des dispositions du projet de loi de finances
concernant la communication.
5
DÉPÔT D'UNE PROPOSITION DE LOI
M. le président.
J'ai reçu de MM. André Rouvière, Guy Allouche, Jean Besson, Roland Courteau,
Marcel Debarge, Jean-Pierre Demerliat, Mme Dinah Derycke, M. Rodolphe Désiré,
Mme Marie-Madeleine Dieulangard, MM. Claude Domeizel, Roger Hesling, Alain
Journet, Jean-Luc Mélenchon, Serge Lagauche, Jean-François Picheral, Bernard
Piras, Mme Danièle Pourtaud, MM. Roger Rinchet, Claude Saunier, Simon Sutour et
André Vezinhet, une proposition de loi tendant à étendre aux communes
comprenant de 2 500 habitants à 3 500 habitants le régime électoral applicable
aux communes de 3 500 habitants et plus, en vertu de la loi n° 82-974 du 19
novembre 1982 modifiant le code électoral et le code des communes et relative à
l'élection des conseillers municipaux.
La proposition de loi sera imprimée sous le n° 128, distribuée et renvoyée à
la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage
universel, du règlement et d'administration générale, sous réserve de la
constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues
par le règlement.
6
ORDRE DU JOUR
M. le président.
Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment
fixée au dimanche 12 décembre 1999, à quinze heures :
Suite de la discussion du projet de loi de finances pour 2000, adopté par
l'Assemblée nationale (n°s 88 et 89, 1999-2000).
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances, du
contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation.
Deuxième partie. - Moyens des services et dispositions spéciales :
Education nationale, recherche et technologie :
I. - Enseignement scolaire :
M. Jacques-Richard Delong, rapporteur spécial (rapport n° 89, annexe n° 15)
;
M. Jean Bernadaux, rapporteur pour avis de la commission des affaires
culturelles (avis n° 90, tome IV) ;
Mme Hélène Luc, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles
(enseignement technique, avis n° 90, tome VI).
Délai limite pour les inscriptions de parole
dans les discussions précédant l'examen
des crédits de chaque ministère
Le délai limite pour les inscriptions de parole dans les discussions précédant
l'examen des crédits de chaque ministère est fixé à la veille du jour prévu
pour la discussion, à dix-sept heures.
Délai limite pour le dépôt des amendements aux crédits
budgétaires pour le projet de loi de finances pour 2000
Le délai limite pour le dépôt des amendements aux divers crédits budgétaires
et articles rattachés du projet de loi de finances pour 2000 est fixé à la
veille du jour prévu pour la discussion, à dix-sept heures.
Délai limite pour les inscriptions de parole
et pour le dépôt des amendements
Projet de loi, adopté avec modifications par l'Assemblée nationale en nouvelle
lecture, relatif à la réduction négociée du temps de travail (n° 115,
1999-2000) :
Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale :
mardi 14 décembre 1999, à dix-sept heures.
Délai limite pour le dépôt des amendements : mardi 14 décembre 1999, à
dix-sept heures.
Conclusions de la commission des lois sur la proposition de loi de M. Jean
Faure visant à permettre aux communes d'exiger des intéressés le remboursement
des frais de secours qu'elles ont engagés à l'occasion d'accidents consécutifs
à la pratique d'une activité sportive et de loisir (n° 31, 1999-2000) :
Délai limite pour le dépôt des amendements : mercredi 15 décembre 1999, à
dix-sept heures.
Eventuellement, conclusions de la commission des lois sur la proposition de
loi de M. Nicolas About tendant à renforcer le dispositif pénal à l'encontre
des associations ou groupements à caractère sectaire qui constituent, par leurs
agissements délictueux, un trouble à l'ordre public ou un péril majeur pour la
personne humaine ou la sûreté de l'Etat (n° 79, 1998-1999) :
Délai limite pour le dépôt des amendements : mercredi 15 décembre 1999, à
dix-sept heures.
Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, modifiant les
conditions d'acquisition de la nationalité française par les militaires
étrangers servant dans l'armée française (n° 104, 1999-2000) :
Délai limite pour le dépôt des amendements : mercredi 15 décembre 1999, à
dix-sept heures.
Conclusions de la commission des affaires sociales (n° 118, 1999-2000) sur
:
- la proposition de loi de M. Jean Chérioux et de plusieurs de ses collègues
tendant à favoriser le développement de l'actionnariat salarié (n° 52,
1999-2000) ;
- la proposition de loi de M. Jean Arthuis et des membres du groupe de l'Union
centriste relative au développement du partenariat social (n° 87, 1999-2000)
:
Délai limite pour le dépôt des amendements : mercredi 15 décembre 1999, à
dix-sept heures.
Personne ne demande la parole ?...
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt heures dix.)
Le Directeur
du service du compte rendu intégral,
DOMINIQUE PLANCHON
ERRATUM
Au compte rendu intégral de la séance du 1er décembre 1999
LOI DE FINANCES POUR 2000
Page 6664, 2e colonne, dans le texte des amendements n°s I-56 et I-157 :
1° Rédiger ainsi le texte du second alinéa du B :
« La perte de recettes résultant pour l'Etat de la majoration de l'abondement
de la dotation globale de fonctionnement destiné à stabiliser en 2000 le
montant de la dotation de solidarité urbaine et de la dotation de solidarité
rurale est compensée par une majoration à due concurrence des droits prévus aux
articles 575 et 575 A du code général des impôts. »
2° Compléter par un C ainsi rédigé :
« C. - En conséquence, faire précéder le début de cet article de la mention :
I. »