Séance du 26 octobre 1999
M. le président. « Art. 12. _ La présente loi est applicable dans les territoires d'outre-mer, en Nouvelle-Calédonie et dans la collectivité territoriale de Mayotte. »
Par amendement n° 44, M. Fauchon, au nom de la commission, propose de rédiger comme suit cet article :
« La présente loi est applicable en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française, dans les îles Wallis-et-Futuna et dans la collectivité territoriale de Mayotte. »
Cet amendement est assorti d'un sous-amendement n° 75, déposé par M. Gélard et tendant, dans le texte présenté par l'amendement n° 44 pour l'article 12, après les mots : « La présente loi », à insérer les mots : « entrera en vigueur après promulgation d'une loi organique modifiant l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature et ».
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 44.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Après le vote du projet de loi constitutionnelle qui est en cours de discussion, je rappelle que la Polynésie française ne sera plus un territoire d'outre-mer. Il faut le prévoir dès maintenant, et il convient donc de procéder à une énumération des territoires dans lesquels s'appliquera la loi d'ordre. Cet amendement est rédactionnel.
M. le président. La parole est à M. Gélard, pour défendre le sous-amendement n° 75.
M. Patrice Gélard. Après avoir discuté avec quelques collègues qui ont, au cours de ce débat, joué un rôle capital, il m'a semblé que le texte que nous allons bientôt voter n'aura de sens que si la réforme du statut des magistrats intervient, en d'autres termes que si la loi organique est adoptée.
En effet, le nouveau statut des procureurs imposera une redéfinition des règles de liaison hiérarchique entre les procureurs, et la nouvelle institution que nous avons créée doit aussi être prise en compte pour définir le rôle que jouera le procureur général de la République par rapport aux autres procureurs.
C'est la raison pour laquelle je propose, par le sous-amendement n° 75, d'indiquer que le texte de loi que nous allons adopter ce soir ne sera applicable que lorsque la loi organique aura été modifiée.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur le sous-amendement n° 75 ?
M. Pierre Fauchon, rapporteur. La commission n'a malheureusement pas pu étudier ce sous-amendement, qui vient d'ailleurs un peu bizarrement en discussion en même temps qu'un amendement relatif notamment à la Nouvelle-Calédonie. Mais pourquoi pas !
A titre personnel, je comprends très bien, intellectuellement, la démarche de notre collègue, mais surtout eu égard au texte initial du Gouvernement. Etant donné les modifications que nous venons de voter, qui visent notamment à maintenir les responsabilités du Gouvernement dans le domaine essentiel de la sécurité de l'Etat et du terrorisme et à créer une autorité tendant à assurer une coordination d'ensemble de l'action des magistrats du parquet dans les autres domaines, il me semble, en effet, que nous n'avons pas les mêmes précautions à prendre par rapport au texte futur.
C'est pourquoi j'estime que ce sous-amendement trouverait mieux sa place lors de la deuxième lecture, si nous n'avons pas, alors, obtenu la prise en considération, par l'Assemblée nationale, des idées cependant si fondées, à mon sens que nous avons fait prévaloir dans cette enceinte.
Cela dit, encore une fois, la commission n'a pas de position officielle sur ce sous-amendement.
M. le président. Monsieur Gélard, avez-vous compris ce que suggérait M. le rapporteur ?
M. Patrice Gélard. Monsieur le président, je crois avoir compris : en d'autres termes, M. le rapporteur me demande de retirer mon sous-amendement,...
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Et de le garder au frais !
M. Patrice Gélard. ... et de le garder en réserve pour la deuxième lecture.
Cela étant, je ne partage pas les certitudes de M. le rapporteur en ce qui concerne le fonctionnement des procureurs dans le cadre défini par le texte, mais, pour lui faire plaisir, et si mes collègues en sont d'accord, je suis prêt à mettre temporairement mon sous-amendement au réfrigérateur ! (Sourires.)
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. J'ai bien envie de reprendre ce sous-amendement, parce que je considère que l'idée de M. Gélard est importante.
En effet, nous allons - veuillez m'excusez d'employer cette expression - « lâcher dans la nature » des procureurs qui, désormais, ne seront plus nommés autrement que selon la procédure du Conseil supérieur de la magistrature. Or, la loi organique que nous attendons devra traiter de la responsabilité et de la mise en cause de cette responsabilité.
Certes, on nous annonce des intentions qui nous paraissent très positives, mais nous savons bien, à l'heure actuelle, que les quelques cas de mise en cause de responsabilité le sont pour des défaillances personnelles. Il faudra résoudre un problème extraordinairement difficile : faire le partage entre ce qui sera le fait du juge et ce qui sera la conséquence du jugement. C'est là qu'il faudra faire intervenir une technique de responsabilité que nous n'avons pas encore inventée, et je trouve donc l'idée avancée par notre collègue M. Patrice Gélard intéressante.
Sans doute notre rapporteur a-t-il raison de dire que nous avons peut-être, dans ce texte, diminué quelques-uns des risques, mais rien ne nous dit que nos propositions seront retenues.
En tout cas, je voudrais, pour ma part, qu'une idée indicative importante soit donnée : nous attachons au problème même de la responsabilité des magistrats une importance fondamentale.
Nous sommes tout à fait d'accord pour réorganiser les liens entre le parquet et la Chancellerie ; nous avons fait des pas relativement importants dans le sens qui était proposé par le Gouvernement. Mais demeure quand même une novation considérable : la rupture du lien.
Les magistrats seront ce que l'on souhaite qu'ils soient, c'est-à-dire autonomes, indépendants, mais il y a une limite, qui est tout de même celle du pouvoir judiciaire, et cette limite, c'est la mise en cause de la responsabilité, qui, peut-être, permettra qu'elle ne soit pas franchie.
Je reprends donc à mon compte le sous-amendement de M. Gélard.
M. le président. Il s'agit donc du sous-amendement n° 75 rectifié, déposé par M. Jacques Larché, président de la commission des lois.
Quel est l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 44 et sur le sous-amendement n° 75 rectifié ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Si je suis favorable à l'amendement n° 44, je suis, en revanche, hostile au sous-amendement n° 75 rectifié, déposé puis retiré par M. Gélard et repris par M. le président de la commission, comme je l'ai été à un amendement similaire à l'Assemblée nationale qui avait d'ailleurs été retiré à la suite de mes observations.
M. Michel Charasse. De vos efforts !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je vais vous exposer les raisons de mon opposition en espérant vous convaincre, comme j'ai convaincu l'Assemblée nationale.
Je dirai d'abord que le renforcement indispensable de la responsabilité des magistrats ne s'opère pas seulement dans les textes constitutionnels et organiques. Plusieurs textes que vous avez examinés contiennent déjà des dispositions en ce sens. Tel est le cas du présent projet de loi, qui réaffirme le principe de la hiérarchie du parquet et, qui instaure un recours contre les classements sans suite ; tel est également le cas du projet de loi sur la présomption d'innocence, qui instaure un deuxième juge pour décider du placement en détention provisoire, qui crée des délais pour l'instruction et les enquêtes préliminaires et qui accroît les droits de la défense tout au long de la procédure.
De plus, je confirme mes engagements de mener à bien l'étude de l'adaptation éventuelle du régime de la responsabilité de l'Etat en cas de dysfonctionnement...
M. Michel Charasse. Eventuelle !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. ... - certes, rien n'est jamais acquis en ce bas monde - et celle de la responsabilité personnelle des magistrats.
Mes services étudient les conséquences financières, statutaires et pratiques d'un passage de la faute lourde à la faute simple. Le récent colloque de l'Ecole nationale de la magistrature a d'ailleurs posé clairement les termes de ce débat. Je crois ce sujet d'actualité puisque, de 1993 à 1998, les contentieux engagés sur le fondement de la faute lourde sont passés de neuf à soixante-huit.
Ma pratique, je le souligne aussi, intègre déjà une mise en jeu plus fréquente de la responsabilité. Ma volonté n'est pas seulement affirmée, elle peut d'ores et déjà se vérifier dans les faits ; c'est l'augmentation de 50 % des effectifs de l'inspection générale des services judiciaires ; elle atteindra quasiment les 100 %, si vous votez le projet de budget que j'aurai bientôt l'honneur de défendre devant vous. Ainsi, nous aurons quasiment doublé les effectifs de cette inspection en deux ans.
J'ai également effectué quinze saisines du Conseil supérieur de la magistrature en un an. Je vous en ai donné quelques exemples lors de la discussion générale ; ils montrent que ce n'est pas simplement pour des défaillances tenant à la vie personnellle, mais également pour des défaillances professionnelles que j'ai saisi le Conseil supérieur de la magistrature. Ces exemples montrent, s'il en était besoin, que ma pratique traduit concrètement mes engagements.
De surcroît, le renforcement de la formation initiale et continue à l'Ecole nationale de la magistrature sur la responsabilité et la déontologie est déjà bien engagé. M. Haenel n'est pas là.
M. Emmanuel Hamel. Il est présent par l'esprit ! (Sourires.)
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Nous en parlions au moment du quarantième anniversaire de cette école, voilà peu de temps.
Nous avons déjà eu l'occasion d'évoquer ce sujet à diverses reprises, notamment à l'occasion des débats sur le projet de loi constitutionnelle relatif au Conseil supérieur de la magistrature. Ce texte, adopté dans les mêmes termes par l'Assemblée nationale et le Sénat le 10 novembre 1998, peut donc être présenté au Congrès pour être définitivement intégré à la Constitution. Mais il est vrai que le Gouvernement n'a pas compétence pour convoquer le Congrès !
Dès que la réforme constitutionnelle sera adoptée, je présenterai au Parlement des lois organiques - auxquelles vous avez fait allusion - achevant le processus de rénovation de la magistrature. Ces dispositions concerneront le fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature et le statut de la magistrature. Je vous ai indiqué au début de la discussion que, d'ici à quelques semaines, ces textes seront finalisés et pourront vous être communiqués.
Je voudrais cependant rappeler brièvement les dispositions du projet de loi constitutionnelle et des projets de lois organiques sur la responsabilité.
La révision constitutionnelle, je le rappelle, prévoit une modification de la composition du Conseil supérieur de la magistrature, qui ne sera plus désormais composé majoritairement de magistrats. Les modifications organiques qui suivront prévoiront, notamment en matière de responsabilité, de nouvelles procédures disciplinaires publiques pour les magistrats du parquet devant le Conseil supérieur de la magistrature et ouvriront aux chefs de cour la possibilité de saisir cette instance directement, alors que cette saisine appartient aujourd'hui au seul garde des sceaux. De plus, les justiciables pourront saisir directement une commission de leur plainte à l'encontre des magistrats.
Vous le voyez, monsieur Larché, nous partageons la même préoccupation de fond, qui est de coupler plus grande autonomie et responsabilité, et ma réforme, dans son ensemble, prévoit bien un renforcement de la responsabilité des magistrats.
Même si nous nous rejoignons sur le fond, je ne puis être favorable à votre sous-amendement, car il introduit une incertitude quant à l'entrée en vigueur d'une loi qui est attendue par les professionnels de la justice et aussi, je le crois, par l'opinion.
J'espère que, compte tenu de ces indications, vous pourrez sinon retirer - je ne me fais guère d'illusions - votre sous-amendement, du moins, peut-être, modifier votre jugement. C'est, en tout cas, ce que je souhaite.
M. le président. Je vais mettre aux voix le sous-amendement n° 75 rectifié.
M. Michel Charasse. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. Je comprends les motivations de notre collègue M. Gélard, relayé par M. le président Jacques Larché, et je veux bien croire Mme le garde des sceaux quant à sa volonté de renforcer la responsabilité civile, pénale et disciplinaire des magistrats de l'ordre judiciaire.
Mais, madame le garde des sceaux, nous restons les uns et les autres largement sur notre faim, quant au contenu sinon forcément réel, du moins approché des textes actuellement en préparation. Je dois vous dire que nous n'aurions pas ce débat au Sénat si le Gouvernement avait un peu plus ouvert ses cartons, sans prendre forcément des engagements fermes. De même, l'incertitude ne pèserait pas sur le vote de nombre de collègues dans un Congrès, demain, si cette question avait été clarifiée.
Par conséquent, je comprends, bien entendu, la démarche de nos collègues, surtout lorsque, malgré ce que vous nous dites et que je connais, malgré les efforts que vous avez faits pour reprendre en main sur le plan disciplinaire un certain nombre de choses, nous voyons se dérouler sous nos yeux des phénomènes assez étonnants qui, apparemment, n'entraînent aucune réaction de la part de la Chancellerie.
Il y a huit, dix, quinze jours, le célèbre juge Bruguière, pour qui on s'est dérangé pour créer un poste spécial de vice-président de tribunal de grande instance à Paris, tout en le laissant à une instruction à laquelle il restera cramponné jusqu'à la fin de ses jours, à la suite d'une erreur de procédure - évidemment, on ne peut pas être en même temps au four et au moulin, on ne peut pas être dans la presse, donner des interviews, se faire photographier, etc., et suivre ses dossiers ! - le juge Bruguière, dis-je, a été obligé de libérer un assassin iranien qui a du sang sur les mains, et qui est vite reparti en Iran. On ne le rattrapera plus jamais !
Alors, moi, je vous interroge, madame le garde des sceaux - vous n'êtes pas obligée de répondre maintenant ; vous n'êtes obligée à rien - et je vous dis que je suis de ceux qui attendent des poursuites disciplinaires parce que c'est aussi disciplinaire. Si l'on n'est pas capable, dans ce cas-là, de poursuivre un magistrat qui commet une faute aussi grave, qui croira que, demain, il y aura dans des textes qui renforceront la discipline autre chose que des « queues de pâquerettes » et que, pour des choses vraiment sérieuses touchant à la déontologie, au travail, à la compétence, au sérieux, il y aura véritablement des poursuites disciplinaires, sans parler du pénal et du civil ?
C'est la raison pour laquelle je dois dire que je suis très perplexe sur ce sous-amendement, car j'en comprends parfaitement les motivations.
M. Emmanuel Hamel. Très bien ! Quel courage !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Celui qui a repris le sous-amendement que M. Gélard a retiré a vraiment la mémoire courte ! En effet, depuis dix-neuf ans que je siège dans cette maison, je ne l'ai jamais vu faire quelque proposition que ce soit pour responsabiliser les magistrats ou pour les mettre en cause.
Nous nous souvenons même qu'il y a peu c'était presque le contraire, lorsqu'il voulait que les procureurs généraux continuent d'être nommés en conseil des ministres. Et il nous propose maintenant que la nomination d'un procureur général de la Répubique revienne au Président de la République.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Je ne l'avais pas obtenu !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il faudrait tout de même arrêter de jouer au chat et à la souris !
Le Gouvernement de M. Lionel Jospin et Mme le garde des sceaux ont eu le mérite de mettre au point une réforme d'ensemble de la politique pénale. Depuis le début, il a été dit, voire convenu, que, dans le prolongement de ce que M. le Président de la République avait lui-même demandé à la commission Truche, deux textes - l'un sur la présomption d'innocence, l'autre sur l'action publique - seraient présentés après l'adoption par les deux chambres du Parlement du projet de loi relatif au Conseil supérieur de la magistrature.
Tout le monde sait qu'un accord était intervenu selon lequel, après qu'une lecture eu lieu devant chacune des deux assemblées des textes sur l'action publique et sur la présomption d'innocence, le Président de la République convoquerait le Congrès à Versailles.
M. Jean-Jacques Hyest. Cela n'a jamais été convenu !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il est tout à fait évident qu'il ne sera possible de statuer sur la responsabilité des magistrats qu'après que le Congrès aura adopté le projet de la loi relatif au Conseil supérieur de la magistrature. Et après, vous nous demanderez de surseoir jusqu'au vote de telle ou telle loi !
Mme le garde des sceaux s'est engagée la semaine dernière à vous communiquer le contenu de ses projets de loi organique sur la magistrature. C'est ce que vous lui demandiez. Elle était d'autant moins obligée de le faire que les gouvernements qui se sont succédé depuis des années s'en sont abstenus.
M. Jean-Jacques Hyest. Il faut attendre le vote du texte sur le Conseil supérieur de la magistrature !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Oui, bien sûr, je l'ai dit !
Et voici que vous entendez maintenant, par une astuce subalterne, réduire à néant les efforts qui ont été faits à l'Assemblée nationale et ici ! (Protestations sur les travées de l'Union centriste et du RPR.)
Franchement, ce n'est pas sérieux ! Prenez vos responsabilités ! Faites ce que vous voulez ! Vous n'arriverez pas à paralyser la réforme en cours !
M. Jean-Jacques Hyest. Vous n'avez pas davantage de succès à l'Assemblée nationale, dominée par une majorité de gauche !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix le sous-amendement n° 75 rectifié, repoussé par le Gouvernement.
(Le sous-amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix, ainsi modifié, l'amendement n° 44.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 12, ainsi modifié.
(L'article 12 est adopté.)
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