Séance du 26 octobre 1999







M. le président. Par amendement n° 37, M. Fauchon, au nom de la commission, propose d'insérer, après l'article 10, un article additionnel ainsi rédigé :
« Les enquêtes administratives relatives au comportement d'un officier ou d'un agent de police judiciaire dans l'exercice d'une mission de police judiciaire associent l'inspection générale des services judiciaires au service d'enquête compétent dans des conditions déterminées par décret en Conseil d'Etat. Elles peuvent être ordonnées par le ministre de la justice et sont alors dirigées par un magistrat. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. La proposition que nous allons étudier émane de notre collègue M. Haenel, qui connaît fort bien ces questions. Il l'avait d'ailleurs fait adopter, sous une forme un peu différente, dans le texte relatif à la présomption d'innocence.
Il s'agissait de créer une inspection générale de la police judiciaire qui aurait été placée sous l'autorité du ministre de la justice.
Il ne nous paraît guère réaliste de créer un nouveau service. Ceux qui existent sont déjà nombreux. De surcroît, nous risquerions de nous voir opposer un article de la Constitution qui interdit toute dépense nouvelle.
Au surplus, cette mesure serait mal comprise.
M. Haenel pense avec nous qu'il faut envisager un autre système, mais procédant de la même idée. Ce système comporte deux propositions.
Premièrement, il faut associer systématiquement l'inspection générale des services judiciaires au service d'enquête compétent en cas d'enquête administrative lorsqu'une telle enquête est relative au comportement d'un officier ou d'un agent de police judiciaire dans l'exercice d'une mission de police judiciaire. Par conséquent, en cas d'enquête administrative concernant un agent de police judiciaire dans l'exercice d'une mission de police judiciaire, on associera des inspecteurs du service de police compétent et des inspecteurs des services judiciaires.
Par ailleurs, notre amendement tend à faire en sorte que de telles inspections puissent avoir lieu à la demande du garde des sceaux, ce qui n'est pas le cas actuellement.
Il nous semble que cette possibilité d'inspection, que M. Bret avait l'air de traiter comme une mesure un peu secondaire tout à l'heure, constituerait un progrès sensible et appréciable. Je me réfère aux exemples que, lui comme d'autres, ont cités pour estimer que la possibilité de diligenter de telles enquêtes, sur l'initiative du garde des sceaux, est tout de même à mettre au nombre des moyens dont nous disposerons pour améliorer le « positionnement » de la justice par rapport à la police.
C'est dans cet esprit que nous vous proposons d'adopter cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je suis favorable à l'essentiel de cet amendement, qui correspond aux engagements que j'ai pris et annoncés, au nom du Gouvernement, dans ma communication au conseil des ministres du 29 octobre 1997. Voilà ce que j'indiquais à l'époque : « Afin de renforcer le contrôle de la police judiciaire, les enquêtes administratives relatives au comportement d'un officier de police judiciaire dans l'exécution d'une mission de police judiciaire associeront l'inspection générale des services judiciaires au service d'enquête compétent. »
La participation de l'inspection générale des services judiciaires, avec les services d'inspection de la police nationale ou de la gendarmerie nationale, aux enquêtes administratives concernant l'activité des officiers ou agents de police judiciaire contribue en effet à renforcer le souci de transparence et de responsabilité de la police judiciaire.
Je ne suis, en revanche, pas favorable, et ce pour plusieurs raisons, aux précisions figurant dans la dernière phrase de cet amendement, selon laquelle ces inspections pourront être ordonnées par le ministre de la justice et seront alors dirigées par un magistrat.
Dans cette dernière phrase, les précisions apportées soulèvent deux types de difficultés.
D'abord, elles posent des difficultés au regard de la nature des services d'inspection de la police nationale et de la gendarmerie nationale, qui dépendent respectivement du ministère de l'intérieur et du ministère de la défense. On voit donc difficilement comment ces services pourraient être saisis, même conjointement avec l'inspection des services judiciaires, par le seul ministre de la justice.
Par ailleurs, je pense que, selon les situations, le choix de la personne devant diriger l'enquête, magistrat ou non-magistrat, doit être laissé ouvert, la possibilité d'une direction bicéphale devant d'ailleurs être envisagée.
Par conséquent, je souhaite que cet amendement soit rectifié par suppression de la dernière phrase, ce qui me permettrait, alors, d'y être totalement favorable.
A défaut, si vous ne supprimiez pas cette dernière phrase, monsieur le rapporteur, je souhaiterais que le Sénat procède à un vote par division, le Gouvernement donnant un avis favorable à la première phrase de l'amendement jusqu'aux mots « service d'enquête compétent » - la référence au décret n'est, selon moi, pas nécessaire - et un avis défavorable à la seconde phrase de l'amendement.
M. le président. Monsieur le rapporteur, que pensez-vous des propositions de Mme le garde des sceaux ?
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Malheureusement, elles ne me convainquent pas, monsieur le président.
Il nous paraît normal - nous avons bien délibéré sur ce point - et tout à fait convenable que de telles enquêtes administratives - qui portent, je le répète, uniquement sur des activités de police dans des missions de police judiciaire - puissent être ordonnées par le ministre de la justice, concurremment avec le ministre de l'intérieur, lequel n'est donc pas dépossédé de ses pouvoirs.
Il est bon pour vous, madame - je vous demande de m'excuser si nous sommes plus royalistes que la reine, mais cela peut arriver ! - que vous puissiez ordonner ces enquêtes, et il serait excellent qu'elles soient alors dirigées par un magistrat.
M. le président. Nous allons procéder au vote par division sur l'amendement n° 37.
Je vais mettre aux voix la première partie de cet amendement.
M. Michel Charasse. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. Monsieur le président, je m'exprimerai sur l'ensemble de l'amendement, ce qui m'évitera d'intervenir ultérieurement sur ce sujet.
Je souhaite poser une question qui déterminera mon vote. J'ai bien compris les intentions de la commission et de M. Haenel, comme j'ai bien compris ce qu'a dit Mme le garde des sceaux. Cependant, que se passera-t-il si un juge est saisi du comportement de l'officier de police judiciaire concerné ?
Selon moi, il faudrait sans doute préciser qu'il ne peut pas y avoir d'enquête administrative parallèle à une instruction judiciaire. C'est la raison pour laquelle j'aurais tendance à suggérer que l'on complète le texte en précisant : « Les enquêtes administratives engagées en l'absence de poursuites judiciaires et relatives au comportement d'un officier... ». En effet, on n'imagine pas, au regard de la séparation des pouvoirs, qu'il puisse y avoir simultanément des poursuites judiciaires et une enquête administrative.
Quant à la dernière phrase, dont Mme le garde des sceaux souhaite la suppression, je pense qu'en réalité les statuts des agents ou officiers de police judiciaire concernés sont du domaine réglementaire. Donc, l'autorité qui a compétence pour engager des enquêtes administratives sur des fonctionnaires relevant de statuts différents ne peut être que l'autorité qui est le chef de service ou qui dirige le service, c'est-à-dire au fond, en remontant au sommet, pour ainsi dire, le ministre de la défense pour la gendarmerie, le ministre de l'intérieur pour la police, etc.
C'est la raison pour laquelle je suis favorable à la suppression de cette phrase, car cela relève du domaine réglementaire.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Depuis très longtemps, je suis, dans cette enceinte, le porte-parole du groupe socialiste pour demander que la police judiciaire dépende du garde des sceaux.
Notre collègue M. Hamel se souvient certainement avoir remplacé un soir M. Haenel pour présenter des amendements qui allaient dans ce sens.
M. Emmanuel Hamel. C'est un honneur insigne de le remplacer !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Or, il avait dû - à notre regret et au sien - les retirer à la demande du garde des sceaux ; s'agissait-il de M. Toubon ou de M. Méhaignerie ? J'avoue ne pas m'en souvenir.
Quoi qu'il en soit, chaque fois qu'il était proposé de progresser dans cette voie, la majorité sénatoriale s'y opposait. Aujourd'hui, elle s'y engage, et nous nous en félicitons, comme nous l'avons dit au cours de la discussion générale.
Cette séparation va d'ailleurs dans le sens des engagements pris par Lionel Jospin. En effet, dans sa déclaration de politique générale, il avait indiqué : « Je m'engage également à prendre des mesures permettant aux autorités judiciaires d'exercer effectivement le contrôle et l'évaluation de l'activité des services chargés de la police judiciaire. »
On sait bien que, parmi les membres de la police judiciaire, il en est qui accomplissent exclusivement des tâches de police judiciaire. Aucune raison n'empêche qu'ils soient, eux au moins, placés directement sous le contrôle de la justice. Puis, il y a ceux qui ont d'autres tâches. Le travail des uns comme des autres est organisé par leurs supérieurs, qui ne sont pas des magistrats, qui dépendent non pas du ministère de la justice mais du ministère de l'intérieur. Le travail de police judiciaire avance donc plus ou moins vite.
Nous nous souvenons tous de conférences de presse de ministres de l'intérieur, souvenirs lointains ou récents,...
M. Jean-Jacques Hyest. ... et même d'un Président de la République ! M. Michel Dreyfus-Schmidt. ... où le ministre donnait les résultats des enquêtes...
M. Jean-Jacques Hyest. Les Irlandais de Vincennes !
M. Michel Charasse. C'était l'époque où l'on terrorisait les terroristes !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. ... avant même que la Chancellerie ou les procureurs les connaissent. Je me souviens, en ce qui concerne l'affaire de Broglie, de faits qui avaient été élucidés...
Les exemples sont nombreux, et on pourrait en citer, je le répète, de plus récents.
C'est cela que notre groupe veut éviter. Nous n'en sommes pas encore là. Nous progressons grâce au texte proposé par le garde des sceaux et que la majorité sénatoriale - elle a bien fait - va accepter, mais grâce aussi à l'amendement de la commission, dont j'ai dit, au nom du groupe socialiste, dans la discussion générale, que nous l'acceptions.
Et voilà qu'on nous propose un vote par division !
Je dois dire, tout d'abord, que le décret en Conseil d'Etat est nécessaire pour savoir comment cela fonctionnera, qui décidera, quels ministères seront concernés. Le décret serait d'autant plus nécessaire, madame le garde des sceaux, si vous supprimez la dernière phrase, pour savoir qui va présider puisque, selon vous, ce ne serait pas forcément un magistrat.
Pour ma part, il ne me gêne pas que l'enquête puisse être ordonnée par le ministre de la justice. Il n'est pas dit : « seulementpar le ministre de la justice », il est dit : « par le ministre de la justice ». Le règlement pourrait apporter toute précision. Personnellement, même cela ne me choquerait pas que cela ne puisse être que par le ministre de la justice.
De même, monsieur le rapporteur, - j'attire votre attention sur ce point - je ne vois pas pourquoi vous indiquez qu'elles peuvent être ordonnées par le ministre de la justice et sont alors » - cela prouve bien qu'elles peuvent être ordonnées par d'autres que par le ministre de la justice ! - « dirigées par un magistrat. ».
J'aurais préféré que vous disiez : « Elles peuvent être ordonnées par le ministre de la justice. Elles sont dirigées par un magistrat. » Dès lors, dans tous les cas, un magistrat présiderait la mission associant l'inspection générale des services judiciaires et le service d'enquête compétent.
Nous sommes quelque peu gênés, car nous avions annoncé que nous voterions cet amendement. Si vous vouliez le modifier en mettant un point après « le ministre de la justice », les mots : cette rédaction aurait, et de beaucoup, notre préférence.
Pour le reste, pourquoi Mme le garde des sceaux ne veut-elle pas que les enquêtes administratives puissent être ordonnées par le ministre de la justice, alors que le texte lui-même, par cet « alors » dont je demande la suppression, démontre bien qu'elles peuvent l'être par d'autres ? A cet égard, le décret en Conseil d'Etat donnerait des éclaircissements aux uns et aux autres.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je souhaite revenir très brièvement sur la question du décret en Conseil d'Etat.
Selon moi, le texte se suffit à lui-même. Il prévoit, en effet, que : « Les enquêtes administratives relatives au comportement d'un officier ou d'un agent de police judiciaire dans l'exercice d'une mission de police judiciaire associent l'inspection générale des services judiciaires au service d'enquête compétent. » Il s'agit d'un principe, qui va de soi. Si l'on précise : « dans des conditions déterminées par décret en Conseil d'Etat », cela risque de soulever de nombreuses difficultés, qui compliqueront la mise en oeuvre de cette disposition. Au regard de notre objectif commun, il n'est pas nécessaire de préciser « dans des conditions déterminées par décret », qu'il s'agisse ou non d'un décret en Conseil d'Etat.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. S'agissant de la mention du décret, nous avons été animés par un souci diplomatique. Toutefois, compte tenu de l'avis fondé de Mme le garde des sceaux, nous supprimons les mots : « dans des conditions déterminées par décret en Conseil d'Etat ».
M. le président. Je suis donc saisi d'un amendement n° 37 rectifié, présenté par M. Fauchon, au nom de la commission, et tendant à insérer, après l'article 10, un article additionnel ainsi rédigé :
« Les enquêtes administratives relatives au comportement d'un officier ou d'un agent de police judiciaire dans l'exercice d'une mission de police judiciaire associent l'inspection générale des services judiciaires au service d'enquête compétent. Elles peuvent être ordonnées par le ministre de la justice et sont alors dirigées par un magistrat. »
Je rappelle que, à la demande de Mme le garde des sceaux, nous allons procéder à un vote par division sur cet amendement.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix la première phrase de l'amendement n° 37 rectifié, acceptée par le Gouvernement.

(Ce texte est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix la seconde phrase, repoussée par le Gouvernement.

(Ce texte est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble de l'amendement n° 37 rectifié.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 10.

Chapitre IV

Dispositions diverses

Article 11