Séance du 19 octobre 1999
M. le président. « Art. 3 bis A. - Le livre VI de la première partie du même code est complété par un titre III ainsi rédigé :
« TITRE III
« SAISISSABILITÉ DES INDEMNITÉS
DE FONCTION DES ÉLUS LOCAUX
«
Art. L. 1631
. - Les indemnités de fonction perçues par les élus
locaux en application des articles L. 2123-20, L. 2511-33, L. 3123-15, L.
4135-15, L. 4422-18, L. 4432-6, L. 5211-7, L. 5215-17 et L. 5216-13 du présent
code ainsi que les indemnités votées par le conseil d'administration du service
départemental d'incendie et de secours pour l'exercice effectif des fonctions
de président et de vice-président ne sont saisissables que pour la partie qui
excède la fraction représentative des frais d'emploi, telle que définie à
l'article 204-0
bis
du code général des impôts. »
Sur l'article, la parole est à M. Lassourd.
M. Patrick Lassourd.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, cet
article 3
bis
A est le seul à traiter du statut des élus, mais il le
fait vraiment de façon insignifiante et par le biais unique des indemnités.
Il est clair qu'à l'heure d'une véritable « professionnalisation » du
politique une limitation du cumul des mandats s'impose, notamment, pour
rajeunir et élargir le champ des élus.
Nous sommes nombreux sur ces bancs à le penser et le dire haut et fort : une
telle loi sur le cumul ne peut devenir effective et cohérente sans la mise au
point préalable d'un véritable et très précis statut de l'élu.
Les deux projets de loi qui nous sont présentés aujourd'hui s'emploient, pour
l'essentiel, à fixer des incompatibilités, à émietter les fonctions, à établir
des normes pour les responsabilités, à doser les seuils, bref à surencadrer les
mandats.
Les arguments vertueux de renouvellement de la classe politique et
d'efficacité du travail de l'élu que le Gouvernement avance ne nous trompent
pas sur les considérations électorales et les stratégies des partis auxquelles
ces projets de loi obéissent. Ces considérations sont bien éloignées des
attentes réelles de nos concitoyens et des besoins de ceux qui les
représentent, car la politique est avant tout affaire de passion, d'engagement,
de dévouement.
Le premier devoir de l'Etat serait donc de donner à ces hommes et à ces femmes
qui choisissent avec courage et conviction le service de leurs concitoyens un
véritable statut, qui est un préalable à toute loi concernant le cumul des
mandats. C'est là une urgente nécessité.
Dans les textes sur le cumul que nous examinons aujourd'hui, le statut de
l'élu n'est abordé que sous le seul aspect de la rémunération, laquelle, bien
entendu, serait à la charge de la collectivité locale. Or, la réflexion doit
être globale et concerner aussi et surtout le problème de la compatibilité de
la profession de l'élu avec son mandat.
Je rappelle que 50 % des Français vivent dans des communes de moins de 9 000
habitants. Les maires de ces communes, face à une complexité et à une densité
croissantes de leurs tâches, sont bien souvent confrontés à des dilemmes pour
concilier leur vie professionnelle avec leurs responsabilités électives.
Le choix peut les mener à la cessation pure et simple de leur activité ! J'en
parle en connaissance de cause, ayant moi-même dû faire ce choix, bien avant
d'être élu au Sénat.
Certes, la loi du 3 février 1992 avait jeté les bases d'un statut de l'élu en
encadrant les conditions d'exercice des mandats locaux, tout en assurant une
meilleure protection des élus en matière de rémunérations, de retraites, de
moyens, d'information, de formation, et de facilités horaires. Les grandes
dispositions de la loi visaient à donner un cadre légal au travail de l'élu. A
la fois normatif et protecteur, ce texte, qui constituait un premier pas,
demeure toutefois une ébauche bien insuffisante.
Un véritable statut prendrait ce problème à bras-le-corps, en mettant un terme
à l'extraordinaire injustice qui règne entre les élus qui appartiennent à la
société civile et ceux qui appartiennent à la société administrative.
Si les fonctionnaires colonisent autant la vie publique, c'est parce qu'ils
sont assurés de retrouver leur poste dès la fin de leur mandat. Ce choix de la
politique « sans risques » pervertit la vie politique française et pénalise,
voire décourage, des actifs qui pourraient faire profiter la collectivité de
leur expérience.
A ce titre, je peux citer l'exemple de l'Ille-et-Vilaine où, sur 26
conseillers généraux de gauche, 22 sont issus de la fonction publique ! Il faut
donc favoriser un reclassement professionnel de tous les élus, quelle que soit
la profession qu'ils exercent, et en finir avec les privilèges dévolus à la
seule fonction publique.
M. Dominique Braye.
Absolument !
M. Patrick Lassourd.
Voilà, à mon sens, une vraie solution pour renouveler significativement notre
classe politique. Cette solution serait bien plus efficace que des limitations
de cumul !
Et qu'on ne vienne pas me dire que ma remarque émane d'une assemblée
rétrograde ! Elle vient d'une assemblée réaliste, très proche du terrain !
Dans vos propres rangs, monsieur le secrétaire d'Etat, Laurent Fabius
affirmait récemment, aux Assises des petites villes de France, tout
l'attachement qu'il portait à l'élaboration nécessaire d'un « vrai statut de
l'élu, clé d'une modernisation véritable de notre vie politique ». Il en va,
disait-il, « de la santé de notre démocratie » !
En désaccord avec la précipitation du Premier ministre à faire voter les
normes irréalistes et paralysantes de la loi sur le cumul, le président de
l'Assemblée nationale fait tout simplement le constat du bon sens, celui que
nous vivons au quotidien dans nos mairies, nos structures intercommunales, nos
assemblées départementales ou régionales.
Encadrons les hommes avant d'encadrer les fonctions ! Définissons leurs droits
et obligations, avant d'établir une longue et arbitraire liste
d'incompatibilités ! C'est une question de pure logique.
M. Fabius ne dit pas autre chose lorsqu'il plaide pour « un statut qui fixe
les conditions non seulement indemnitaires, mais également professionnelles et
sociales ». Il a souligné la nécessité d'étudier le sort de ces « petits » élus
locaux, chevilles ouvrières de nos 37 000 communes, dont la tâche est si
difficile.
Sait-on, par exemple, qu'il n'est pas rare qu'après trois mandats le maire
d'une commune de moins de 500 habitants touche une pension de seulement 200
francs par an ?
L'élaboration d'un statut de l'élu va de pair avec une réforme des retraites
et de la couverture sociale.
Mais il faut également réfléchir à la responsabilité pénale des élus, trop
souvent et trop vite mise en cause.
M. Dominique Braye.
C'est vrai !
M. Patrick Lassourd.
On doit aussi nuancer les règles en fonction du mandat local ou national, du
poids économique et des disparités régionales. Un élu de Lozère n'aura pas les
mêmes problèmes qu'un élu d'Ile-de-France.
M. Jean-Jacques Hyest.
On ne sait jamais !
M. Patrick Lassourd.
C'est seulement à ce prix que l'on pourra « moraliser » et diversifier,
au-delà de la fonction publique, le personnel politique de notre pays.
Ce statut que nous appelons de nos voeux devra enfin accorder toute la place
qui leur revient aux femmes, en facilitant la conciliation de leur mandat avec
leur vie familiale.
Vous le voyez, monsieur le secrétaire d'Etat, mon propos n'est pas partisan,
puisqu'il est partagé par nombre de vos alliés politiques.
Comme on le constate, le statut de l'élu est le préalable à toute
réglementation d'incompatibilités, à toute loi sur le cumul, car il privilégie
la réflexion de fond aux lois de circonstance ! Quoi qu'en dise M. Allouche, ce
statut conditionnera la confiance des électeurs et l'efficacité des élus.
De plus, ce statut doit s'accompagner d'une décentralisation plus poussée.
La confiance : voilà ce qui manque cruellement à notre vie politique et que ce
statut de l'élu pourrait restaurer. Force est de constater une crédibilité
ébranlée par des scandales médiatisés à outrance, un enthousiasme déçu par des
promesses non tenues.
Du coup, on note une certaine désaffection pour la politique : 2 000 maires
élus en 1995 ont démissionné et, dans les communes de moins de 20 000
habitants, 40 % des maires ne souhaitent pas se représenter en 2001. Quant à la
responsabilité pénale, elle préoccupe 100 % des maires actuels.
L'image de l'homme débordé collectionnant les mandats, qui a tant desservi
l'image de l'élu auprès de la population, a vécu. On sait que beaucoup d'élus
sacrifient leur vie professionnelle et nombre de leurs projets pour servir leur
région. Encore faut-il leur laisser ce lien charnel avec le territoire qu'ils
incarnent.
Un homme, un mandat, c'est irréaliste. Un élu, deux mandats, l'un national et
l'autre local exécutif, voilà le bon sens, et cela a été dit tout à l'heure.
Mais ce lien doit être renforcé par un statut de l'élu qui mette à la
disposition de celui-ci des instruments juridiques et financiers adaptés à ses
responsabilités.
Plaçons les hommes avant les normes, le statut avant la loi sur le cumul.
Pour finir, j'ajouterai qu'à mes yeux la meilleure garantie contre le cumul
excessif reste le suffrage universel. La politique s'incarne d'abord dans les
hommes et les idées qu'ils véhiculent. Il faut donc à tout prix s'attacher à
leur donner des droits et leur fixer des devoirs, afin de préserver une
politique de « proximité », à l'écoute et au service de l'électeur.
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. le président.
Par amendement n° 8 rectifié, M. Larché, au nom de la commission, propose de
rédiger comme suit l'article 3
bis
A :
« Le livre VI de la première partie du même code est complété par un titre II
ainsi rédigé :
« TITRE II
« SAISISSABILITÉ
DES INDEMNITÉS DE FONCTION
DES ÉLUS LOCAUX
«
Art. L. 1618. -
Les indemnités de fonction perçues par les élus
locaux en application des articles L. 2123-20, L. 2511-33, L. 3123-15, L.
4135-15, L. 4422-18, L. 4432-6, L. 5211-7, L. 5215-17 et L. 5216-13 du présent
code ne sont saisissables que pour la partie qui excède la fraction
représentative des frais d'emploi, telle que définie à l'article 204-0
bis
du code général des impôts. »
Cet amendement est assorti d'un sous-amendement n° 52, présenté par M.
Hoeffel, et tendant :
I. - A compléter
in fine
le texte proposé par l'amendement n° 8
rectifié par un alinéa ainsi rédigé :
«
Art. L. ...
- Les indemnités visées aux articles L. 2123-20 à L.
2123-24, L. 2511-33 à L. 2511-35, L. 3123-15 à L. 3123-19, L. 4135-15 à L.
4135-19, L. 5211-12, L. 5215-16, L. 5215-17, L. 5216-4, L. 5216-4-1 et L.
5216-13 du présent code n'ont pas le caractère d'un salaire, d'un traitement ou
d'une rémunération quelconque et ne sont pas prises en compte, ni pour
l'attribution des prestations sociales de toutes natures, notamment celles
relevant du code de la sécurité sociale ou du code de la famille et de l'aide
sociale, ni pour l'attribution de l'allocation instituée par la loi n° 88-1088
du 1er décembre 1988 relative au revenu minimum d'insertion. Ces indemnités ne
sont pas assujetties aux cotisations de sécurité sociale, sous réserve des
dispositions prévues aux articles L. 2123-29 à L. 3123-24 et L. 4135-24 du même
code. »
« II. - En conséquence, au début de l'intitulé proposé par cet amendement pour
le titre II du livre VI de la première partie du code général des collectivités
territoriales, à supprimer les mots : "saisissabilité des". »
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 8 rectifié.
M. Jacques Larché,
rapporteur.
Je suis frappé de la pertinence du propos que vient de tenir
notre collègue M. Lassourd. Il est vrai qu'il y a là un problème de fond qui
n'est pas réglé et qu'il faudra bien aborder un jour si tant est que, lorsque
nous prendrons l'initiative de le régler dans des conditions satisfaisantes, le
Gouvernement ne nous opposera pas l'article 40, car c'est une arme dont il
pourrait être tenté de se servir !
Pour ce qui est de l'amendement n° 8 rectifié, il a pour objet de préciser le
caractère de ce qui est saisissable ou non des indemnités de fonction des élus
locaux.
Nous affirmons que les indemnités de fonction comportent désormais une partie
insaisissable qui correspondrait à la partie non imposable de l'indemnité.
M. le président.
Dois-je comprendre que vous intégrez à votre amendement le sous-amendement n°
52, monsieur le rapporteur ?
M. Jacques Larché,
rapporteur.
Tout à fait, monsieur le président.
M. le président.
Je suis donc saisi d'un amendement n° 8 rectifié
bis,
présenté par M.
Larché, au nom de la commission des lois et tendant à rédiger comme suit
l'article 3
bis
A :
« Le livre VI de la première partie du même code est complété par un titre II
ainsi rédigé :
« TITRE II
« INDEMNITÉS DE FONCTION
DES ÉLUS LOCAUX
«
Art. L. 1618. -
Les indemnités de fonction perçues par les élus
locaux en application des articles L. 2123-20, L. 2511-33, L. 3123-15, L.
4135-15, L. 4422-18, L. 4432-6, L. 5211-7, L. 5215-17 et L. 5216-13 du présent
code ne sont saisissables que pour la partie qui excède la fraction
représentative des frais d'emploi, telle que définie à l'article 204-0
bis
du code général des impôts. »
«
Art. L. 1619. -
Les indemnités visées aux articles L. 2123-20 à L.
2123-24, L. 2511-33 à L. 2511-35, L. 3123-15 à L. 3123-19, L. 4135-15 à L.
4135-19, L. 5211-12, L. 5215-16, L. 5215-17, L. 5216-4, L. 5216-4-1 et L.
5216-13 du présent code n'ont pas le caractère d'un salaire, d'un traitement ou
d'une rémunération quelconque et ne sont pas prises en compte, ni pour
l'attribution des prestations sociales de toutes natures, notamment celles
relevant du code de la sécurité sociale ou du code de la famille et de l'aide
sociale, ni pour l'attribution de l'allocation instituée par la loi n° 88-1088
du 1er décembre 1988 relative au revenu minimum d'insertion. Ces indemnités ne
sont pas assujetties aux cotisations de sécurité sociale, sous réserve des
dispositions prévues aux articles L. 2123-29 à L. 3123-24 et L. 4135-24 du même
code. »
Veuillez poursuivre, monsieur le rapporteur.
M. Jacques Larché,
rapporteur.
L'amendement n° 8 rectifié
bis
intègre le
sous-amendement n° 52 dont la commission a débattu et qui me paraît utile.
Le problème est d'ailleurs partiellement réglé sur le plan juridique par un
arrêt de la Cour de cassation. Mais cet arrêt n'a pas fait suffisamment école
et il existe des décisions divergentes.
Il convient donc de prévoir qu'il n'est pas tenu compte de l'indemnité perçue
par un maire ou par un élu local pour le calcul des montants qui lui donnent ou
lui refusent le droit à certaines prestations sociales.
Il s'agit de régler des cas limites et tout à fait regrettables. Des maires
chômeurs perçoivent le RMI - heureusement, ils ne sont pas trop nombreux dans
ce cas - et l'on pourrait leur refuser ce revenu en leur opposant l'indemnité
qu'ils perçoivent en tant qu'élus locaux.
Cela me semble tout à fait injuste. C'est pourquoi la commission des lois
propose cet amendement.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jack Queyranne,
secrétaire d'Etat.
La disposition dont nous discutons a été adoptée en
deuxième lecture par l'Assemblée nationale, malgré l'avis défavorable du
Gouvernement. Le Gouvernement estime en effet que cette question ne doit pas
trouver sa place dans le présent projet de loi et qu'elle renvoie à un débat de
fond sur la nature même des indemnités de fonction des élus par rapport à la
notion de salaire.
Le Gouvernement propose un examen de cette question avec le garde des sceaux,
un examen particulier et approfondi dans un cadre adapté. Il est donc
défavorable à l'amendement n° 8 rectifié
bis.
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 8 rectifié
bis,
repoussé par le
Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, l'article 3
bis
A est ainsi rédigé.
Article 3 bis