Séance du 7 octobre 1999
M. le président. « Art. 44. - Electricité de France tient, dans sa comptabilité interne, des comptes séparés pour, d'une part, le service des prestations d'invalidité, vieillesse et décès définies au statut national du personnel des industries électriques et gazières ainsi que le service des prestations accessoires, et d'autre part, la compensation, entre les employeurs dont le personnel relève du statut, des charges supportées au titre des maladies, maternités, accidents du travail et maladies professionnelles, des avantages familiaux et des avantages à titre militaire tels que prévus audit statut.
« Un décret en Conseil d'Etat fixe les modalités d'application du présent article et organise notamment les conditions du contrôle utile à l'application des dispositions prévues à l'alinéa précédent. »
Par amendement n° 236 rectifié, MM. Arthuis, Hérisson et les membres du groupe de l'Union centriste proposent de compléter le premier alinéa de l'article 44 par deux phrases ainsi rédigées : « Par ailleurs, Electricité de France fait apparaître dans sa comptabilité une ligne spécifique mentionnant les provisions pour charge de retraite de son personnel. Cette ligne comporte la constatation en valeur actuelle des droits acquis par les agents et les retraités au 31 décembre 1998, et chaque année, les dotations des exercices ouverts à compter de cette date. »
La parole est à M. Hérisson.
M. Pierre Hérisson. Cet amendement vise à améliorer la transparence de la gestion du régime de retraite des agents d'EDF. La Cour des comptes a déjà appelé à plusieurs reprises l'attention des dirigeants de certaines entreprises publiques, dont EDF, sur l'urgence de mentionner, de façon précise et complète, les engagements de retraites de leur personnel.
Une entreprise comme EDF devra, en effet, faire face à des charges futures élevées qu'il convient d'évaluer et de prendre en compte dans les états comptables et financiers.
A ce jour, les entreprises concernées présentent des informations parcellaires sur ces questions, en contradiction avec les règles du code du commerce.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Henri Revol, rapporteur. Cet amendement pose une vraie et importante question, cruciale pour l'avenir de l'entreprise : celle de la crédibilité du régime actuel des retraites des agents des IEG, comme d'ailleurs de celle de la grande majorité des régimes spéciaux.
Alors qu'en 1949 le régime des IEG comptait près de quatre actifs pour un retraité, cette proportion n'est plus que de 1,7. De surcroît, compte tenu des recrutements importants effectués dans les années quatre-vingt et de l'âge moyen actuel - quarante et un ans et demi - les perspectives démographiques de ce régime sont très alarmantes. Après 2020, le rapport démographique actifs-retraités sera même inférieur à 1. A cette date, on sait que la masse totale des retraites à distribuer annuellement avoisinera 25 milliards de francs.
Comment l'entreprise pourrait-elle résister à un tel choc ?
Monsieur le secrétaire d'Etat, le silence assourdissant du projet de loi sur cette question est-il une preuve de responsabilité politique et un gage d'avenir pour les personnels de l'entreprise ?
Je rappelle que, lors de l'ouverture à la concurrence des télécommunications en 1996, la question des retraites de France Télécom avait été réglée par un gouvernement auquel appartenait M. Arthuis ; qu'il lui en soit ici rendu hommage !
M. Emmanuel Hamel. Il le mérite.
M. Henri Revol, rapporteur. Pour autant, faut-il obliger EDF à provisionner les charges de retraites prévisibles ?
En bonne orthodoxie comptable, pourquoi pas ; mais on peut s'inquiéter des conséquences financières qui en résulteront pour l'entreprise : d'après une première estimation, la provision correspondant à la valeur actuelle des charges de retraite prévisibles s'imputerait sur la situation nette à concurrence de 180 milliards à 260 milliards de francs. Je rappelle que le résultat annuel est de l'ordre de 6 milliards de francs.
Ensuite, pourquoi EDF serait seule concernée ? Effectivement Quid de La Poste, de la SNCF, Quid de l'Etat ? Est-ce au moment où l'entreprise va subir le choc concurrentiel qu'il faut lui imposer une telle obligation ? Les entreprises du secteur privé, qui bénéficient de cotisations de retraites à caractère libératoire, ne sont pas tenues pour responsables de l'avenir de la branche vieillesse du régime général !
Finalement, la commission après un long débat, a émis un avis défavorable sur l'amendement n° 236 rectifié. Elle souhaite néanmoins qu'il vous donne l'occasion, monsieur le secrétaire d'Etat, de vous exprimer sur l'avenir des retraites au sein d'EDF et, dans un cadre plus général, sur celui de l'ensemble des régimes.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Mesdames, messieurs les sénateurs, à chaque projet de loi sa finalité. Le présent projet a pour objet de modifier, de moderniser et de conforter le service public dans un sens social. Il s'agit de permettre à l'entreprise EDF d'avoir une dimension internationale et d'être présente sur tous les marchés. Il ne s'agit pas de régler, au détour d'un seul article du projet de loi, l'immense question des retraites.
Je demande donc au Sénat de rejeter cet amendement.
EDF et GDF, en effet, assurent aujourd'hui le financement des charges de retraite de leurs personnels sans que les charges futures soit provisionnées. Les deux entreprises appliquent en cela les règles du code du commerce, qui n'obligent pas les entreprises à provisionner les engagements de retraite même lorsqu'il s'agit d'un régime à prestations définies, c'est-à-dire d'un régime dont la charge pour l'employeur ne dépend pas d'une cotisation libératoire.
Seules les sociétés cotées ont une obligation de fait de provisionnement imposée par les marchés. Il serait paradoxal d'imposer à ces deux entreprises publiques, établissements publics industriels et commerciaux, des règles de provisionnement qui ne s'imposent pas aux entreprises privées, sauf à penser que le Gouvernement veut les privatiser, ce qui n'est pas le cas, je le répète. Au demeurant, un provisionnement des engagements de retraite déséquilibrerait profondément les comptes des établissements EDF et GDF.
Pour ces deux raisons, il me semble préférable d'améliorer l'information figurant dans l'annexe aux comptes de ces entreprises plutôt que de leur imposer une obligation de provisionnement.
La question du règlement futur du financement de ces charges de retraite doit être reliée à la réflexion d'ensemble dont M. le Premier ministre a récemment parlé à Strasbourg et que le Gouvernement entreprendra sur les régimes de retraite, notamment sur les régimes particuliers, afin de présenter le plus vite possible, dans les délais compatibles avec l'occurrence des graves problèmes qui ont été mentionnés, une solution viable pour EDF, pour GDF et pour l'ensemble des systèmes de retraite de France.
M. Emmanuel Hamel. Ne tardez pas, monsieur le secrétaire d'Etat !
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 236 rectifié.
Mme Nicole Borvo. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo. Si le débat sur les retraites en général est ouvert dans le pays, il n'a pas encore eu lieu au Parlement. Il s'y déroulera, bien entendu, et nous parlerons alors sans doute de 2020 autrement que de la façon dont je viens d'en entendre parler, c'est-à-dire comme si rien d'autre n'avait bougé que le nombre de retraités prévu en 2020.
Monsieur Hérisson, cet amendement est significatif de la conception que vous avez de l'organisation sociale dans notre pays, conception selon laquelle les acquis des salariés constituent d'abord un coût pour l'entreprise, sans que soient évalués, par ailleurs, les effets que de tels acquis peuvent représenter, en termes d'implication du personnel dans l'entreprise et de dévouement de celui-ci en faveur du développement du service public. C'est sur ce point qu'il faudrait s'interroger avant de vouloir se débarrasser du régime de retraites.
Vous vous limitez à une approche comptable de la vie de l'entreprise en ignorant la dimension sociale et culturelle, qui contribue tout autant que la valeur financière de l'entreprise EDF à son essor et son succès, tant sur le territoire national qu'à l'extérieur.
Je comprends que vous ne puissiez supporter l'idée que le régime de retraite des électriciens et gaziers, qui garantit un niveau de retraite à la valeur de l'image de l'opérateur national et de son personnel, gagné au cours du demi-siècle écoulé, aille à l'encontre de vos projets de fonds de pensions, qui reposent sur une mise en compétition des salariés au sein d'une même entreprise, alors que précisément le statut des IEG a su construire un modèle de réussite et de cohésion sociale. Cette dimension doit être prise en compte quand on veut parler de l'avenir des retraites !
Tout à l'heure, vous avez parlé de privilège. Je suppose que c'est dans cet esprit que vous parlez des retraites. C'est ainsi que vous entendez diviser les salariés entre ceux qui ont un statut et les autres.
Sous prétexte de transparence, que vous ne réclamez d'ailleurs que pour les entreprises publiques, vous entendez jeter la suspicion sur le personnel d'EDF et mettre en accusation le service public de l'électricité.
Je pense que le Sénat ne sortirait pas grandi, aux yeux de l'opinion, si cet amendement venait à être adopté ce soir.
Je remercie M. le secrétaire d'Etat d'en souhaiter le retrait mais il serait bon que les sénateurs réfléchissent avant de formuler de telles propositions.
M. Pierre Hérisson. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Hérisson.
M. Pierre Hérisson. J'aimerais que l'on évite les amalgames.
Nous débattons ajourd'hui d'un texte qui vise à transcrire une directive relative à l'ouverture à la concurrence.
Certains ont évoqué ce qui s'est passé pour France Télécom ; d'autres, M. le rapporteur en particulier, évoquent l'élargissement de la mesure proposée à la SNCF, à La Poste et à d'autres entreprises publiques.
Le problème ne se présente pas tout à fait de cette manière.
Aujourd'hui, nous sommes en train d'ouvrir à la concurrence une entreprise qui, jusqu'à ce jour, était en situation de monopole. Nous ne pouvons donc pas raisonner à partir d'entreprises qui vont, elles, rester en situation de monopole. Ne prenons pas comme exemple la SNCF ou La Poste ; le problème se posera pour elles lorsque le marché s'ouvrira à la concurrence dans ces secteurs-là.
M. le secrétaire d'Etat a fait une ouverture à laquelle je serais assez tenté de souscrire, ce qui me permettrait de retirer mon amendement. Il propose que soit inscrite d'une manière claire dans les annexes aux comptes de l'entreprise la provision nécessaire au paiement des retraites à défaut de faire entrer EDF dans le droit commun des entreprises qui sont sur le marché concurrentiel ou qui sont inscrites au registre du commerce, c'est-à-dire d'acquitter des cotisations à caractère libératoire. Cela permettrait de placer cette entreprise dans les mêmes conditions que les autres.
Il est vrai que les entreprises privées n'ont pas l'obligation de provisionner dès lors qu'elles se sont acquittées de leur prélèvement libératoire. Mais voilà une entreprise que l'on envoie sur un marché concurrentiel, la faisant en quelque sorte entrer dans le droit commun et l'on invoque à son sujet, par comparaison, le cas de la SNCF, qui est très différent : on ne lui demande pas d'acquitter un prélèvement libératoire, mais on ne lui demande pas, non plus, de constituer des provisions pour l'avenir.
Le prélèvement libératoire, même s'il ne règle pas dans sa globalité le problème de la pérennité de la caisse des retraites - nous devrons avoir une discussion globale sur le sujet -, permettrait d'inscrire avec la sincérité qui s'impose la provision nécessaire au paiement des retraites des agents d'EDF.
Sous le bénéfice de l'engagement selon lequel figurera dans les annexes, d'une manière tout à fait claire et sincère, la provision nécessaire, je retire mon amendement.
M. le président. L'amendement n° 236 rectifié est retiré.
Je vais mettre aux voix l'article 44.
M. Jacques Bellanger. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Bellanger.
M. Jacques Bellanger. Nous allons voter l'article 44 puisqu'il nous est finalement soumis tel qu'il nous a été transmis par l'Assemblée nationale, mais nous ne l'aurions certainement pas voté si la proposition de nos collègues de l'Union centriste avait été adoptée. Nous aurions d'ailleurs réservé le même sort à l'article 43 si celui-ci avait dû subir les modifications proposées par le même groupe.
En effet, ces propositions du groupe de l'Union centriste étaient, à nos yeux, totalement inacceptables : d'une part, elles remettaient en question ce que nous considérons comme une convention collective de branche et, d'autre part, elles introduisaient une distorsion de concurrence.
En fait, à travers ces propositions, le but essentiel était de s'attaquer à des statuts favorables non seulement au personnel mais aussi au bon fonctionnement du service public. Or tout ce qui peut aller dans ce sens est, pour nous, absolument inacceptable.
En ce qui concerne les retraites, contrairement à ce qui a été dit, seules les sociétés cotés en bourse doivent provisionner leurs charges. Pourquoi, alors, faire d'EDF une société à part et ne pas proposer que toutes les retraites fassent l'objet, demain, d'une provision pour charges ? Si c'est cela, chers collègues, que vous avez en tête, je vous souhaite bien du plaisir ! Je me demande d'ailleurs pourquoi cela n'a pas été entrepris sous des gouvernements précédents !
En vérité, je le crois, derrière tout cela, il y a l'intention de donner, un jour ou l'autre, à des acteurs du privé accès au capital d'EDF. Eh bien, chacun doit savoir que nous nous opposerions résolument à la moindre avancée qui serait réalisée dans ce sens !
M. André Bohl. Je demande la parole pour explication de vote.
M. président. La parole est à M. Bohl.
M. André Bohl. Je voudrais simplement rappeler que l'article 44 prévoit un décret en Conseil d'Etat : celui-ci pourra répondre à certaines des préoccupations qui ont été exprimées et qui, contrairement à ce que croit notre collègue Bellanger, ne sont nullement le fruit de fantasmagories politiques. Elles sont inspirées par le rapport des commissaires aux comptes d'EDF, qu'on peut lire à la page 102 des documents sociaux du rapport de gestion d'EDF pour 1998 et où il est demandé que l'on se préoccupe du problème des pensions.
Ce problème est d'ailleurs pris en compte par Gaz de France, qui participe également aux retraites IEG. Gaz de France a constitué des provisions précisément pour faire face à cette difficulté : vous pouvez vous référer aux pages 20 et 21 des comptes consolidés de Gaz de France pour 1998.
M. Pierre Hérisson. Très bien !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'article 44.
(L'article 44 est adopté.)
M. le président. Mes chers collègues, à ce stade du débat, je me dois de faire une mise au point.
Sur ce projet de loi dont l'extrême importance n'échappe à personne, il nous reste quarante-trois amendements à examiner. Il n'est évidemment pas question de ne pas laisser le Sénat débattre de manière approfondie, mais je crois devoir appeler les uns et les autres à la concision, de manière à nous éviter, si possible, de siéger cette nuit.
TITRE IX
DISPOSITIONS DIVERSES OU TRANSITOIRES
Article 45