Séance du 5 octobre 1999
SERVICE PUBLIC DE L'ÉLECTRICITÉ
Suite de la discussion
d'un projet de loi déclaré d'urgence
M. le président.
Nous reprenons la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée
nationale après déclaration d'urgence, relatif à la modernisation et au
développement du service public de l'électricité.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Bohl.
M. André Bohl.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le
projet de loi portant transposition de la directive « électricité » arrive
enfin devant le Sénat. Je ne peux que féliciter M. le rapporteur de l'énorme
travail d'analyse et de proposition qu'il a su faire. Je veux également rendre
hommage à mes collègues qui, en l'espace de quarante-huit heures, un samedi et
un dimanche, ont pu apprécier la lecture de 450 pages de texte.
M. Jacques Valade.
Très bien !
M. André Bohl.
Monsieur le secrétaire d'Etat, je vous rends également hommage, car ce texte
fait suite à un projet de directive, à une directive, à un Livre blanc. Vous
l'avez soumis à toutes les associations concernées et vos services ont prêté
une grande attention aux remarques qu'elles ont formulées.
Cette transposition est difficile. Il faut en effet comprendre, assimiler,
traduire en une loi une évolution importante du service public de
l'électricité, car, désormais - et tout débat politique est vain à ce sujet -
le marché de l'électricité est européen.
Mais si l'électricité s'ouvre à la concurrence, elle n'est pas un produit
comme les autres.
M. Christian Pierret,
secrétaire d'Etat.
Absolument !
M. André Bohl.
L'électricité ne se stocke pas. Elle n'est pas identifiable. Sa production,
son transport et sa distribution posent un colossal problème technique exigeant
une forte capitalisation.
Aux traditionnels production, transport, distribution, s'ajoute désormais la
fourniture. Cette innovation a des conséquences considérables sur le plan des
garanties juridiques, techniques et économiques. Elle a également des
conséquences formidables pour EDF, qui n'est pas une entreprise intégrée en
matière de fourniture, et uniquement en cette matière.
La garantie juridique de la fourniture de l'électricité reposait sur des
principes découlant de la loi de nationalisation du gaz et de l'électricité et
sur la loi du 15 juin 1906 relative aux distributions de l'énergie. Le projet
de loi que nous examinons maintient la responsabilité des autorités
organisatrices : l'Etat, les communes ou leurs regroupements.
Du fait de la séparation des opérations liées à la desserte en électricité, en
séparant la fourniture, le transport, la distribution, en libérant la
production et le négoce, il est introduit une notion nouvelle, la gestion de
réseau, dont les collectivités doivent garantir l'existence.
La sécurité technique était fondée sur une intégration nationale pour le
transport, une unicité territoriale pour la distribution selon des règles
établies par des textes permettant l'interconnexion des réseaux, car
l'électricité doit être injectée dans le réseau selon des normes strictes.
La sécurité économique était assurée par des mécanismes de garantie, de
péréquation ou de solidarité. La garantie était l'exclusivité de la desserte
territoriale soit directement par les régies, soit par voie de concession. La
contrepartie en était la charge du développement en zone urbaine. La
péréquation prenait plusieurs formes ; le FACE, le fonds de péréquation pour
les distorsions de la distribution permettait l'électrification des zones
rurales. La solidarité était incluse soit dans la tarification administrée,
soit dans les conventions départementales ou nationales au bénéfice des
démunis, dont il ne faudrait pas oublier l'existence.
La transposition modifie la situation présente.
La sécurité juridique des communes et de l'Etat est-elle assurée ? On peut
s'interroger sur la difficulté créée par l'existence de deux catégories de
clientèles - « éligibles » et « non éligibles » - dont les droits et
obligations sont interdépendants.
Comment peut-on financer le développement de ces réseaux si, d'une part, les
clients éligibles peuvent échapper à la contrainte de liaison physique en
construisant des lignes directes et si, d'autre part, les clients non éligibles
captifs sont alimentés par ce même réseau ? Cette obligation de permanence du
service public découle des obligations du code de l'urbanisme et des lois de
1906 et de 1946. Si les tarifs de péage ne sont pas bien calculés, les
non-éligibles feront, de fait, les frais de réductions de prix accordées aux
éligibles.
La sécurité technique est indispensable dans un domaine où la responsabilité
pénale de l'opérateur et de la puissance organisatrice peut être recherchée.
Dans un domaine où les échanges entre réseaux seront plus intenses que
précédemment, ce risque n'est pas à négliger.
La sécurité économique des opérateurs, notamment des opérateurs de
distribution, reste essentielle. Depuis l'ouverture effective du marché
européen de l'électricité, on constate une réticence croissante pour la
production d'électricité. Les difficultés en Allemagne illustrent de manière
caricaturale l'impossibilité de réaliser de nouvelles unités de production de
masse devant satisfaire les besoins, la volonté étant, de plus, de déconnecter
du réseau les unités produisant à base nucléaire. Je vous en donne acte
volontiers, monsieur le secrétaire d'Etat, ce n'est absolument pas votre ligne
de conduite.
Les péages des lignes de transport sont soit négociés, soit administrés. Dans
ce dernier cas, le niveau des tarifs devra tenir compte et du développement et
de l'interconnexion, sinon la concurrence se traduirait soit par une majoration
des tarifs des non-éligilibles, soit par une étatisation des réseaux à
l'identique des voiries ou autres réseaux communaux ou nationaux.
Cette sécurité économique est encore plus nécessaire en matière de
distribution. La loi de nationalisation a préservé la fonction originelle des
communes dans la distribution d'électricité soit en tant que concédant, soit en
distribution directe, par leur régie - les sociétés d'économie mixte, les SEM -
et les sociétés d'intérêt collectif agricole pour l'électrification, les SICAE.
Les communes et syndicats exerçant directement en régie la desserte en énergie
ont été maintenus. Ces entreprises dites « de l'article 23 » ou entreprises non
nationalisées constituent des laboratoires intéressants. Celles qui,
imprudentes, n'ont pas réinvesti dans leurs réseaux ou dans les évolutions
technologiques ont disparu.
Celles qui restent sont confrontées à un nouveau dilemme : leur clientèle est
appelée à se réduire, mais leur obligation de service public de desserte
territoriale est confirmée. Or, les faits vont plus vite que la législation et
l'éligibilité ouverte se limitant à un site est déjà dépassée. Les groupements
économiques font leurs achats pour l'ensemble de leurs sites. Par ailleurs, des
plaques industrielles se dotent de moyens de production pour un ensemble de
clients potentiellement éligibles et réduisent d'autant la marge de négoce des
régies et autres opérateurs locaux.
Cette situation met bien évidemment en cause l'opérateur, mais aussi la
collectivité support. Aussi serai-je amené à demander quelques précisions
concernant ces situations périlleuses qui risquent de compromettre la sérénité
des débats futurs sur l'évolution du marché européen de l'énergie : par
exemple, qu'en sera-t-il de la réciprocité inscrite dans certains textes de
transposition d'autres pays, point auquel M. le rapporteur a fait allusion tout
à l'heure ?
Mon propos a été centré sur les problèmes posés aux collectivités, notamment
territoriales, et je préciserai ma pensée lors de la discussion des
articles.
Avant de conclure, je présenterai quelques observations concernant les autres
parties du texte.
Ce texte prévoit un organisme de régulation, ce qui me paraît une bonne chose
; mais il crée nombre de services de contrôle. Il serait sage que la desserte
en électricité, qui est un problème technique et économique, reste l'objet
essentiel des débats de tous ces organes de contrôle.
Il convient de constater que, s'agissant de la matière énergétique qu'est
l'électricité, les mouvements spéculatifs n'ont pas eu de répercussion notable
sur des tarifs qui sont certes administrés, mais qui répartissent la charge de
façon égale entre les intervenants. La cohésion sociale n'a pas eu à souffrir
de cette situation et la confiance de la population en la technicité des
électriciens a été constante.
C'est pourquoi il me semble nécessaire à la fois d'aménager le statut
d'Electricité de France et de maintenir la trame du cadre social des industries
électriques et gazières.
Souvent, les textes approuvés paritairement et transposés par simples notes
administratives aux entreprises non nationalisées, que je qualifie de « régies
» pour être plus simple, n'ont pas de caractère légal. L'introduction du statut
dans le code du travail en permettra la transparence et la validation
législative.
Monsieur le secrétaire d'Etat, je souhaite pour ma part que ce débat soit
fructueux. Il est délicat, mais il peut aboutir à une meilleure politique
économique, fondée sur une meilleure compétitivité, tout en sauvegardant la
cohésion sociale, et ce en vue d'un développement équilibré du territoire.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
(M. Jean-Claude Gaudin remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la
présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. JEAN-CLAUDE GAUDIN
vice-président
M. le président.
La parole est à M. Poniatowski.
M. Ladislas Poniatowski.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
nous sommes aujourd'hui saisis d'un projet de loi relatif à la modernisation et
au développement du service public de l'électricité.
Je souhaite m'arrêter quelques instants sur ce titre, emblématique parce
qu'ambigu, et même doublement ambigu.
Premièrement, ce titre ne fait nullement état de l'objet véritable du projet
de loi, à savoir la transposition en droit français de la directive
communautaire du 19 décembre 1996. Or, comme nous le verrons, le projet de loi,
dans son état actuel, ne propose qu'une transposition
a minima
de cette
directive, ce que je regrette.
Deuxièmement, le titre de ce texte se veut prometteur : la modernisation et le
développement du service public de l'électricité. Mais, du fait même d'une
transposition frileuse de la directive, nous pouvons légitimement nous
interroger pour savoir si les dispositions prévues répondent aux ambitions
affichées ou s'il n'y a pas un simple effet d'annonce qui serait, finalement,
préjudiciable à la modernisation de tout ce secteur économique.
Dans nos débats, nous devons donc veiller à deux points fondamentaux.
D'une part, nous devons traduire de manière étendue dans notre droit les
dispositions européennes. Nous le pouvons puisque la directive laisse le choix
entre plusieurs modalités pour atteindre son but de libéralisation du marché de
l'électricité.
D'autre part, nous devons veiller à garantir l'avenir de l'entreprise
performante qu'est EDF. EDF est, effectivement, l'une des plus grandes
entreprises mondiales d'électricité, et se caractérise par des tarifs
compétitifs, par l'excellence de ses agents et par une réelle qualité de ses
services.
Dans un premier temps, permettez-moi, mes chers collègues, de saisir
l'occasion qui m'est donnée de rappeler les quatre principes auxquels notre
groupe est particulièrement attaché : l'ouverture du marché, la nécessité de
transposer la directive, l'obligation pour EDF de jouer le jeu de cette
directive et de poursuivre ses efforts pour rester compétitif, et, enfin, la
défense du consommateur et de l'aménagement du territoire.
Tout d'abord, au regard de ce texte, l'ouverture du marché demeure malgré tout
très limitée, monsieur le secrétaire d'Etat, puisqu'elle est réservée dans un
premier temps à quelque quatre cents clients éligibles, essentiellement de gros
industriels, représentant 26 % de la consommation.
La majorité des clients, notamment les PME-PMI et les particuliers, ne
bénéficieront donc pas de cette libéralisation et de la baisse des tarifs qui
devrait logiquement en découler, contrairement à ce qui se passera dans
certains pays voisins. Certes, c'est un premier pas non négligeable lorsque
l'on sait ce que représente la consommation d'électricité pour des secteurs
comme la sidérurgie, la chimie ou l'automobile. Mais le Gouvernement aurait pu
dès maintenant envisager une mise en concurrence plus large, et tout au moins
préparer les étapes suivantes de l'ouverture du marché.
Tel ne semble pas être le cas, et la France fait malheureusement figure de «
mauvais élève » de la classe tant elle a tardé à transposer la directive
européenne. Elle est, en effet, avec la Belgique - je mets à part l'Irlande et
la Grèce qui, comme l'a rappelé M. le rapporteur, ont obtenu un délai
supplémentaire - l'un des derniers pays à entamer ce processus de
transposition.
La directive européenne sur l'électricité a certes une longue histoire sur
laquelle je ne m'étendrai pas, sauf pour savoir gré au précédent gouvernement
d'avoir sorti les négociations de l'ornière pour aboutir au texte adopté le 19
décembre 1996.
Comme pour toute directive, un délai de transcription a été fixé au 19 février
1999, et le présent texte a été déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale
en décembre 1998.
Que s'est-il donc passé depuis juin 1997 ? Une large concertation, nous
dit-on. Admettons l'argument.
Seulement, maintenant, compte tenu du temps imparti à la discussion
parlementaire, la France entame sa procédure de transcription hors délai. De
plus, l'urgence ayant été déclarée, le Parlement ne pourra se livrer à un débat
approfondi, ce que mériterait cependant un texte d'une telle importance.
Il s'agit là, en outre, d'une situation risquée puisque n'importe quel
intervenant du secteur peut se prévaloir de la directive et saisir les
tribunaux, qui se chargeront alors de dire le droit en l'absence d'un texte
législatif définitif.
L'attitude du gouvernement français est donc difficilement compréhensible, car
la transposition de la directive est non seulement obligatoire - nous venons de
le voir - mais encore nécessaire afin de permettre l'intégration d'EDF dans un
paysage économique nouveau, désormais mondial et - nombre d'intervenants l'ont
rappelé - hautement concurrentiel.
L'histoire, en effet, ne se prête pas à la répétition et appelle, au
contraire, l'adaptation constante. La période de l'après-guerre est
définitivement révolue et, aujourd'hui, la plupart de nos partenaires se sont
résolument engagés sur la voie de la libéralisation.
A cet égard, les chiffres sont éloquents, et il nous faut en tenir compte :
l'Allemagne, la Grande-Bretagne, la Finlande et la Suède ont ainsi ouvert leur
marché à 100 % ; par ailleurs, l'annonce récente du projet de fusion entre les
groupes allemands Veba et Viag en fera des concurrents redoutables ; en outre,
dans les pays de l'Europe du Nord comme la Finlande ou la Suède, il existe déjà
une bourse de l'électricité ; enfin, en Grande-Bretagne, même les particuliers
peuvent faire jouer la concurrence.
Dans ces conditions, comment la France peut-elle continuer à se distinguer de
ses partenaires si elle veut véritablement moderniser et développer son service
public de l'électricité et continuer de permettre à EDF de jouer un rôle
international de premier plan ?
En effet, EDF est déjà la première entreprise d'électricité au monde en termes
de production et de volume ; elle intervient largement à l'international, dans
l'optique d'une démarche concurrentielle comparable à celle d'une entreprise
privée conquérant de nouveaux marchés. Ainsi, en un an, le groupe EDF a doublé
ses engagements financiers à l'étranger : ceux-ci sont passés de 13,5 milliards
de francs, en 1997, à 28 milliards de francs en 1998, et EDF prévoit de doubler
à nouveau prochainement ses investissements à l'extérieur de notre pays. A cet
égard, l'entreprise, présente dans une dizaine de pays européens, en Afrique,
en Asie et en Amérique latine, intervient comme producteur, distributeur et
prestataire d'ingénierie pour plus de 15 millions de clients dans le monde.
Dans ces conditions, je regrette, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous
n'ayez pas profité de ce texte pour ouvrir le capital d'EDF, car cette
ouverture aurait facilité des prises de participation à l'international et
permis ainsi de conforter le rôle mondial d'EDF. Vous pouviez le faire !
Dans un marché sans frontières, l'harmonisation des seuils d'ouverture paraît
inéluctable : pourquoi, alors, ne pas résolument l'anticiper, au lieu de la
limiter, comme le fait le texte qui nous est soumis, et ce au détriment
in
fine
d'EDF ? Notre législation devrait aller plus clairement et plus
fermement vers une libéralisation plus complète du marché, même si elle doit
réformer - en douceur, cela va de soi - les structures d'EDF. Il ressortit en
effet à une concurrence loyale qu'une entreprise internationale accepte d'être
soumise à la concurrence sur son propre territoire ; pour cela, il faut non
seulement encourager EDF à s'adapter, mais aussi ne pas décourager les nouveaux
opérateurs.
A ce titre, je souhaiterais revenir sur un point qui a été âprement discuté
par nos collègues députés, à savoir la question du statut des agents d'EDF.
Nous comprenons l'attachement de ces agents à leurs conditions salariales et
sociales, et nous ne pensons pas que ces dernières soient un obstacle à la
modernisation de l'entreprise.
Enfin, le groupe des Républicains et Indépendants, auquel j'appartiens, entend
que tout consommateur soit traité de la même manière et qu'il n'y ait pas
rupture d'égalité entre celui de la ville et celui de la campagne. Nous avons
aujourd'hui l'impression que toutes les faveurs vont à la ville. Je citerai à
cet égard quelques textes récents sur l'intercommunalité, sur la révision de la
loi Pasqua, sur l'aménagement du territoire, ainsi qu'un texte à venir sur le
mode d'élection des représentants de la Haute Assemblée. Il ne faudrait pas,
monsieur le secrétaire d'Etat, que le présent texte allonge cette liste
d'inégalités.
Notre objectif doit donc être de donner à EDF tous les moyens de rester une
entreprise compétitive, poursuivant le développement de ses savoir-faire et la
valorisation de son riche potentiel humain et technique.
Malheureusement, sur plusieurs points, le texte qui nous est soumis ne permet
pas d'atteindre ces buts.
Premièrement, EDF conserve son monopole du transport de l'électricité par le
biais du GRT, le service gestionnaire du réseau public de transport, auquel
presque tous les orateurs précédents ont fait allusion. Or, il n'y a pas de
réelle libéralisation du marché de l'électricité sans indépendance du GRT.
Je me permettrai d'insister sur l'article 13 tel qu'il nous est soumis, car il
montre bien, dans cette affaire, que le Gouvernement reste au milieu du gué
sans formuler de choix clairs et s'en tient à une transposition minimale de la
directive. Cette dernière, dans son article 7, alinéa 6, prévoit que, si le
réseau de transport n'est pas indépendant des activités de production et de
distribution, le GRT doit « être indépendant, au moins sur le plan de la
gestion, des autres activités non liées aux réseaux de transport ».
Monsieur le secrétaire d'Etat, vous vous contentez de cette demi-mesure, sous
couvert certes du texte européen, alors qu'il aurait fallu aller plus loin et
garantir une véritable indépendance du GRT, en prévoyant, par exemple, sa
filialisation. Je suis persuadé que nous en débattrons largement dans quelques
heures.
C'est pourquoi, à titre personnel, je défendrai un amendement visant à
garantir une plus grande indépendante du GRT.
En attendant, les dispositions de l'article 13 sont loin d'emporter notre
approbation.
Tout d'abord, la rédaction de son deuxième alinéa est floue : qu'est ce qu'une
indépendance sur le plan de la gestion ? Comment seront concrètement séparés
les services ? Comment circulera l'information ?
Par ailleurs, le directeur du GRT sera nommé sur proposition du président
d'EDF : est-ce là un gage d'indépendance ? La réponse est d'évidence
négative.
Enfin, à ce jour, nous ne connaissons pas les conditions de mise en place du «
budget propre » du GRT. Je souhaite que vous nous apportiez quelques
éclaircissements sur ce point, monsieur le secrétaire d'Etat.
Deuxièmement, il faut que l'organisme chargé de fixer les tarifs soit
parfaitement et totalement indépendant et que l'organe de régulation ait les
pleins pouvoirs et ne soit pas une filiale déguisée d'EDF. Sur ce point, les
amendements que proposera M. le rapporteur me semblent aller dans le bon
sens.
Troisièmement, il nous faut veiller à un statut harmonisé pour tous les
opérateurs afin de respecter une concurrence loyale. C'est pourquoi
j'apporterai mon soutien aux amendements défendus par M. le rapporteur,
notamment aux articles 9, 47 et 48.
Quatrièmement, il me semble utile de prévoir que l'observatoire de
diversification puisse émettre un avis en cas de rachat de petites entreprises.
Je défendrai plus tard un amendement à ce propos.
Enfin, nous devons nous assurer du maintien de la qualité du service public.
Dans cette perspective, il nous paraît légitime que l'Etat tienne son rôle
d'impulsion et de régulation en gardant tous ses pouvoirs sur la définition de
la stratégie énergétique du pays, c'est-à-dire sur la programmation
pluriannuelle des investissements de production, en toute équité entre les
différents opérateurs. Le contre-exemple que nous devons garder à l'esprit est
la privatisation du téléphone en Grande-Bretagne qui a abouti, certes, à une
baisse des prix, mais aussi, malheureusement, à une baisse parallèle de la
qualité.
Je conclurai, mes chers collègues, en rappelant qu'EDF se trouve à un moment
déterminant de son histoire. Ses succès, jusqu'à présent, ne peuvent que
susciter l'admiration et les encouragements. Je souhaite donc que le présent
texte ne constitue pas un découragement à son développement.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Valade.
M. Jacques Valade.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le
projet de loi de modernisation et de développement du service public de
l'électricité est enfin inscrit à l'ordre du jour de notre Haute Assemblée.
Le Gouvernement, on vient de le rappeler, avait déclaré l'urgence pour ce
texte ; mais, après son adoption en première lecture par l'Assemblée nationale
le 2 mars, ce n'est qu'aujourd'hui, le 5 octobre, que le Sénat voit ce texte
fondamental inscrit à son ordre du jour. Sept mois se sont écoulés ! Ce
gouvernement a une notion très relative de l'urgence ! Mais je sais, monsieur
le secrétaire d'Etat, que vous partagez, dans une certaine mesure, cette
analyse, et que vous avez fait en sorte de restreindre ce délai. Mais sept
mois, c'est long !
Au-delà de cette péripétie, monsieur le secrétaire d'Etat, la démarche est
très tardive et trop timorée.
Très tardive car, dans ce domaine essentiel pour l'avenir de la France, vous
avez pris un retard important que ni l'application de la procédure d'urgence ni
l'obtention d'un vote positif et définitif du Parlement ne réussiront à
combler. Ainsi, l'application de la directive européenne du 19 décembre 1996 a
largement dépassé l'échéance du 19 février 1999 imposée par Bruxelles, mettant
notre pays dans une situation difficile face à l'Union européenne ainsi que nos
entreprises, en particulier EDF, vis-à-vis de la concurrence.
Votre démarche est trop timorée également, car vous vous êtes contenté de
proposer un dispositif qui inscrit dans le droit français tout ce que vous ne
pouviez refuser d'y inscrire, sauf à vous mettre en infraction avec les règles
établies par l'Union européenne.
Force est de constater - et nous le déplorons - que ce sentiment est largement
partagé par nos partenaires européens. Le 11 mai dernier, notamment, nos
collègues européens en charge de l'énergie se sont livrés à une très vivre
critique sur l'ouverture du marché que vous proposez à la France.
Alors que l'Allemagne, la Grande-Bretagne, la Suède et la Finlande ont d'ores
et déjà ouvert leur marché à hauteur de 100 %, alors que le Danemark, la
Belgique et les Pays-Bas ont, quant à eux, ouvert leur marché à hauteur
respectivement de 90 %, 50 % et 32 %, l'Europe vous reproche et, de ce fait,
reproche à la France une ouverture
a minima,
à l'opposé ou trop éloignée
de l'esprit de la directive.
Une ouverture à hauteur de 25 % seulement des clauses trop restrictives pour
les nouveaux entrants, notamment pour la durée des contrats, un opérateur
public ultra-protégé sur son marché, ou encore la lenteur de nos procédures
parlementaires compliquées par les débats idéologiques interminables auxquels
vous ne pouviez échapper à l'Assemblée nationale, voilà autant de critiques de
la part de nos partenaires européens.
Votre homologue britannique est même allé jusqu'à vous adresser, au mois de
juillet dernier, une lettre qualifiée de comminatoire par le fameux et très
sérieux quotidien
Financial Times,
d'une teneur peu amicale et vous
menaçant, d'une part, de rétorsion si le secteur français de l'énergie n'était
pas libéralisé dans les trois mois et, d'autre part, de ne pas respecter le
principe de réciprocité si la France n'appliquait pas les règles établies par
la directive.
Cette menace de la Grande-Bretagne a d'ailleurs été relayée, au début du mois
de septembre dernier, par des plaintes de la part de compagnies d'électricité
britanniques mais aussi espagnoles et autrichiennes qui se seraient émues
auprès de Bruxelles de ne pouvoir entrer sur le marché français alors qu'EDF
s'est déjà implantée en Grande-Bretagne avec l'acquisition de London
Electricity puis de South West Electricity. L'expansion - sans doute
souhaitable - de notre géant historique préoccupe également notre partenaire
allemand.
En fait, monsieur le secrétaire d'Etat, on vous reproche visiblement de
contribuer au développement et à l'expansion d'EDF sur les marchés extérieurs
et, dans le même temps, de protéger l'opérateur public sur son marché premier,
c'est-à-dire le marché français, par des manoeuvres retardatrices au regard des
règles européennes.
Ces critiques, ces menaces et ces plaintes sont-elles fondées, monsieur le
secrétaire d'Etat ? Qu'en est-il exactement ? Surtout, cette attitude est-elle
réellement nécessaire ?
J'entends ici et là - et cet après-midi encore - l'apologie d'EDF. Mais qui
conteste la capacité de notre entreprise publique dans l'instant et dans
l'avenir ? Ses performances sont suffisantes pour lui permettre d'affronter en
toute sérénité la concurrence nationale et internationale ! Il faut rappeler
que la directive du 19 décembre 1996 s'inscrit dans la logique de l'achèvement
du marché unique qui, à l'origine, était prévu pour 1992.
De ce fait, la France a affirmé la volonté - notre volonté - d'étendre à
l'électricité les trois principes de base du régime économique défini par le
traité sur l'Union européenne : la liberté d'établissement des producteurs, la
libre circulation des marchandises, des services et des capitaux dans un espace
européen sans frontières intérieures, la liberté pour les producteurs et les
consommateurs de bénéficier des avantages d'une concurrence libre, saine et
équilibrée.
Cette finalité, à l'élaboration de laquelle la France a largement contribué,
est recherchée par la définition de règles qui s'appliquent à tous les acteurs
de manière transparence, non discriminatoire et en fonction de critères
objectifs.
Quelques principes de base ont été énoncés par l'Union européenne : un
gestionnaire de réseaux de transport chargé de gérer le flux d'énergie en
tenant compte des échanges avec d'autres réseaux interconnectés, et un
gestionnaire du réseau indépendant des autres activités de production et de
distribution ; une autorité indépendante des parties qui régule et contrôle en
toute transparence le marché ; enfin, la séparation des activités de
production, de transport et de distribution.
Je tiens à souligner que les négociations sur la rédaction de ces règles sont
restées bloquées pendant plusieurs années - quelques orateurs l'ont rappelé -
du fait de l'insistance légitime et essentielle de la France, et je tiens ici à
rendre un hommage particulier à Franck Borotra, qui s'est attaché à ce que
cette politique de libéralisation ne remette pas en cause le principe
particulier de service public auquel nous sommes tous très attachés,...
M. Henri Weber.
Très bien !
M. Jacques Valade.
... à savoir le respect d'un service public minimum afin de préserver
l'aménagement et le développement du territoire et de permettre l'accès pour
tous à l'électricité par le biais, notamment, d'une péréquation des tarifs et
une obligation de desserte, principes qui ont été évoqués voilà un instant.
Cependant, ces règles établies par l'Union européenne qui adaptent le marché
de l'électricité aux évolutions technologique et économique que nous vivons
aujourd'hui sont-elles conformes avec l'organisation de notre système
électrique actuel et, plus largement, avec notre politique énergétique ?
D'aucuns, surtout chez nos partenaires européens, défendent l'idée que l'on
pourrait s'affranchir de toute politique énergétique nationale dans la mesure
où l'ouverture croissante du secteur à la concurrence et la montée en puissance
de l'Europe en ce domaine la rendrait désormais inutile.
Pour ma part, conformément aux principes qui ont guidé les choix du général de
Gaulle lors de la création d'Electricité de France et de la mise en place de la
filière nucléaire française, je ne souscris pas à une telle démarche et
j'estime que l'on ne peut faire confiance aux seules forces du marché...
M. Henri Weber.
Très bien !
M. Jacques Valade.
... ou s'en remettre à la seule politique européenne pour ce qui concerne un
secteur aussi fondamental et stratégique que l'énergie.
M. Pierre Lefebvre.
C'est bien vrai !
Mme Hélène Luc.
Il faut continuer !
M. Jacques Valade.
Nous n'avons jamais varié !
Certes, on peut considérer qu'à de nouvelles donnes, à de nouvelles
contraintes correspondent de nouveaux objectifs, tant en termes
environnementaux qu'économiques et sociaux. Mais, pour autant, l'enjeu central
reste le même : il faut toujours permettre aux entreprises, mais aussi à
l'ensemble des citoyens, d'accéder à l'énergie la plus sûre et la plus
compétitive possible.
Par conséquent, monsieur le secrétaire d'Etat, les impératifs d'hier,
c'est-à-dire l'indépendance énergétique de notre pays et son excellence
technologique, demeurent et doivent demeurer.
Les fondements de notre politique énergétique expliquent sa réussite. La
France ne saurait renoncer aux principes qui ont inspiré cette politique et aux
succès qu'elle a remportés dans ce domaine.
L'ouverture à la concurrence est une réalité mondiale. Loin de condamner une
politique énergétique à l'échelon national, cette libéralisation la rend au
moins aussi nécessaire.
D'ailleurs, le cadre négocié et proposé par l'Union européenne permet à la
France de répondre simultanément aux exigences énergétiques du court et du long
terme.
Cela passe par la diversification des approvisionnements et, tout d'abord,
compte tenu de nos ressources naturelles, par le maintien de notre excellence
et de notre avance technologiques en matière nucléaire.
L'industrie nucléaire constitue l'un des fers de lance de notre industrie,
dont les enjeux sont de niveau mondial.
Il n'est pas raisonnable de remettre en cause une telle source d'énergie qui
produit près de 80 % de notre électricité, qui est à la fois sûre, compétitive
et qui doit être considérée comme respectant les impératifs de l'écologie. Le
recours à l'énergie nucléaire permet, en effet, de réduire les émissions de gaz
à effet de serre de quelque 700 millions de tonnes par an en Europe. Son rôle
est essentiel, tant au plan économique qu'en termes d'emplois.
Dire cela n'est pas céder, comme on l'entend trop souvent, à l'action d'un
lobby industriel, c'est avoir foi dans la maîtrise de l'énergie, de toutes les
énergies, par l'homme.
Il faut, par conséquent, développer sans relâche toutes les énergies dites
renouvelables et poursuivre l'exploitation de l'énergie nucléaire en
s'entourant de toutes les sûretés nécessaires.
A-t-on supprimé les vols aériens du fait de telle ou telle imperfection ou de
tel ou tel accident d'avion ? A-t-on fermé toutes les unités de production
chimique après Seveso ?
A cet égard, monsieur le secrétaire d'Etat, il faut une fois encore évoquer la
décision d'arrêt et de démantèlement du surgénérateur Superphénix, décision
politique plutôt verte que rose ou rouge et que le Sénat a largement analysée
et commentée dans le cadre de la commission d'enquête sur l'énergie que j'ai eu
l'honneur de présider. Nous regrettons toujours cette décision, dommageable aux
intérêts de la France et de ses industriels.
Les charges financières que génère votre décision, monsieur le secrétaire
d'Etat, n'incombent plus ni à EDF ni aux opérateurs entrant sur le marché,
comme vous l'aviez prévu initialement. Ce n'est que justice, car c'est bien à
l'Etat seul d'assumer la responsabilité d'une telle décision.
D'une façon plus générale, je vous demande, monsieur le secrétaire d'Etat,
s'agissant de la préparation du nucléaire du futur, de veiller dès maintenant à
assurer la continuité et la pérennité de cette filière.
Dans cette perspective, il est essentiel de poursuivre les réflexions et les
recherches et de prendre à temps les décisions nécessaires en tenant compte du
calendrier de mise en oeuvre des nouvelles technologies. Je pense tout
particulièrement ici au REP 2000, prochain standard des centrales nucléaires
d'EDF, destiné à succéder à l'actuel palier N 4 et qui devrait être équipé de
l'îlot nucléaire franco-allemand EPR. C'est d'ailleurs probablement autour de
cette période que les réacteurs hybrides pourraient trouver tout leur
intérêt.
Enfin, il faut poursuivre activement les programmes de recherche engagés dans
le cadre européen dans le domaine de la fusion nucléaire.
Mais, si le renforcement de la source d'énergie d'origine nucléaire est
impérativement nécessaire, il ne constitue pas une démarche suffisante. Il est
indispensable d'adapter notre politique énergétique à la situation que nous
vivons.
Nos comportements doivent s'améliorer dans le sens d'une gestion plus
rationnelle des combustibles fossiles par une politique de maîtrise et
d'économie de l'énergie, d'une définition d'une politique de transport moins
énergivore et respectant davantage l'environnement et d'une prise en compte
plus globale et plus responsable du développement local.
La décentralisation favorise la recherche de la meilleure utilisation des
énergies primaires et permet de susciter des opportunités, tant par la mise en
oeuvre de nouvelles technologies que par le développement des énergies
renouvelables.
Il importe donc, d'une part, de confirmer et de renforcer les compétences des
collectivités locales et les missions de service public qui leur incombent dans
le domaine énergétique et, d'autre part, d'inciter le regroupement des petites
et moyennes entreprises, actrices de ce développement local et créatrices
d'emplois.
Enfin, les technologies nouvelles doivent être développées. Parmi celles-ci,
la cogénération, technique de production combinée d'énergie thermique et
d'électricité, doit être systématiquement encouragée.
La cogénération est conçue pour valoriser et redistribuer l'énergie et permet
d'optimiser tant les coûts d'installation que les rendements énergétiques.
La France a donc les moyens de répondre aux enjeux auxquels elle est
confrontée et de s'adapter aux nécessaires évolutions technologiques du marché
électrique.
Je crains cependant que votre approche, monsieur le secrétaire d'Etat, ne
freine la France dans cet élan.
Comme vient de le souligner M. Poniatowski, le projet de loi que vous nous
soumettez risque de placer la France à la traîne dans le dernier wagon du train
dont la destination est la libéralisation du secteur de l'électricité.
Alors que ce projet de loi devrait, d'une part, assurer la pérennité et le
développement de la superbe entreprise qu'est EDF à la fois sur le plan
intérieur et extérieur, et, d'autre part, permettre que les uns et les autres
puissent être en situation d'affronter la concurrence, vous nous proposez, en
effet, un texte en trompe-l'oeil. Peu avare de précisions sur les multiples
détails de l'organisation du service public, ce qui est louable, il ne permet
pas, et c'est regrettable, d'utiliser au mieux les perspectives offertes par le
nouveau système imposé par la directive européenne.
Or, la mise en oeuvre de l'ouverture du marché énergétique n'est possible que
dans la transparence et sur la base de dispositions inattaquables, sous peine
de déclencher des contentieux à bien des égards dommageables, que ce soit pour
EDF ou pour les opérateurs entrants.
Deux éléments de la nouvelle organisation sont stratégiques : le gestionnaire
du réseau de transport, d'une part, et la commission de régulation de
l'électricité, d'autre part.
L'indépendance du gestionnaire du réseau de transport est indispensable et ne
peut être totalement assurée que par une séparation claire et nette de
l'opérateur historique.
L'article 7 de la directive précise d'ailleurs « qu'à moins que le réseau de
transport ne soit déjà indépendant des activités de production et de
distribution » - ce qui n'est pas le cas pour la France - « le gestionnaire du
réseau doit être indépendant, au moins sur le plan de la gestion, des autres
activités non liées au réseau de transport ».
La séparation physique et comptable étant en cours d'achèvement, je ne crois
pas qu'il faille aujourd'hui décider définitivement de la structure juridique
du gestionnaire du réseau de transport, monsieur le secrétaire d'Etat.
Etablissement public autonome, filiale, que sais-je encore ? Il me paraît
prématuré de statuer dès aujourd'hui. Des exemples nombreux de fonctionnement
de gestionnaires de réseaux chez nos partenaires européens confortent cette
position et nous prouvent que décider aujourd'hui sur cette question serait
bien imprudent.
Je vous propose, par conséquent, une attitude vigilante et pragmatique. La
sagesse doit l'emporter sur les débats idéologiques et d'un autre temps. C'est
la raison pour laquelle je suggère, monsieur le secrétaire d'Etat, que, à
l'issue d'une période d'une année à compter de la promulgation de cette loi et
sur la base d'un rapport établi par la commission de régulation de
l'électricité, vous déposiez un projet de loi définissant la régime juridique
du gestionnaire du réseau de transport. Croyez bien que nous serons très
attentifs à l'avis que vous formulerez sur cette disposition, monsieur le
secrétaire d'Etat.
Cette période d'une année pendant laquelle la constitution et la mise en
oeuvre de cet organe seront confiées à EDF nous permettra, ainsi qu'à tous les
acteurs concernés, d'avoir par rapport aux évolutions du marché une idée plus
précise, plus affinée et plus objective de la structure juridique adéquate,
efficace et transparente pour tout le monde.
S'agissant du rôle et des compétences de la commission de régulation de
l'électricité, je suis, monsieur le secrétaire d'Etat, nettement plus
intransigeant.
L'indépendance que vous proposez pour le régulateur repose essentiellement sur
deux points : premièrement, l'autonomie et l'inamovibilité des membres de cette
instance dotée de crédits d'études comparables à ceux d'EDF ; deuxièmement, la
capacité d'expertise que lui confèrent ses services propres.
Or, la directive européenne précise bien que cette autorité est indépendante
des parties pour régler les litiges relatifs aux contrats, aux négociations et
aux refus d'accès et d'achat.
La commission de régulation de l'électricité est donc un véritable juge de
paix, à l'image de l'Autorité de régulation des télécommunications. C'est la
raison pour laquelle le projet de loi doit attribuer au régulateur des blocs de
compétence autonomes et précis, différents du pouvoir réglementaire de l'Etat
et s'articuler avec les compétences des instances juridictionnelles,
administratives et civiles existantes, tout en précisant quels sont les liens
de procédures entre elles, notamment en ce qui concerne les délais de saisine
et de réponse.
Monsieur le secrétaire d'Etat, faisons en sorte que cette autorité puisse
jouer pleinement son rôle de régulateur, en toute indépendance et sans
discrimination.
Par ailleurs, je m'interroge également sur les dispositions du projet de loi
qui étendent le statut des agents d'EDF aux nouveaux entrants. Nous aurons sans
doute l'occasion d'en parler à propos des amendements qui ont été déposés à ce
sujet.
Monsieur le secrétaire d'Etat, je ne m'attarderai pas plus longuement sur les
nombreux autres points du dispositif que vous proposez, notre rapporteur, M.
Henri Revol, l'ayant excellement fait. J'en profite pour rendre un hommage
particulièrement appuyé à la qualité du travail qu'il a conduit avec la même
ardeur que lorsque, voilà quelques mois, il fut le rapporteur de la commission
d'enquête.
Par ailleurs, nous aurons l'occasion de revenir sur ces points lors de
l'examen des amendements qui ont été déposés.
Toutefois, je ne peux m'empêcher d'évoquer la multiplication des contraintes
sur les nouveaux entrants, notamment l'inégalité de traitement entre les
clients éligibles et l'opérateur public. De même, le seuil d'éligibilité est -
on l'a dit - bien trop bas : c'est oublier que les véritables clients sont les
entreprises, les collectivités locales et les usagers. Ces contraintes sont
autant de freins à une ouverture loyale, équilibrée et efficace du marché de
l'électricité.
Il en est de même pour le négoce de l'électricité, aujourd'hui désigné par le
vocable de
trading
. Cet aspect a déjà été évoqué. Nous souhaitons
naturellement que cette possibilité de commerce soit offerte aux entreprises
françaises.
Aucun pays interconnecté ne peut s'isoler durablement de ce mouvement. En
effet, des marchés multiples et plus complexes permettront à chacun de
minimiser le coût de l'énergie utile dont il a réellement besoin. On l'observe
déjà sous une forme plus ou moins avancée au Royaume-Uni, en Scandinavie, en
Allemagne, en Espagne, ou encore aux Pays-Bas, mais aussi dans un nombre
grandissant de pays non européens.
La fonction de
trading
est donc nécessairement appelée à se développer.
L'ignorer, c'est dresser un obstacle artificiel au développement d'un marché
concurrentiel, objectif essentiel de la construction européenne. A cet égard,
les restrictions que vous proposez d'instaurer, monsieur le secrétaire d'Etat,
à l'encontre des activités d'achat et de revente, qui seraient réservées aux
seuls producteurs dans la limite d'un seuil de production annuel, constituent
clairement une barrière à l'entrée des nouveaux entrants, ce qui serait un cas
unique dans l'Union européenne.
Cette disposition est d'ailleurs surprenante et paradoxale au regard de
l'actualité concernant EDF, qui s'est alliée avec Louis Dreyfus dans le négoce
de l'électricité ; cela a été évoqué au début de la séance.
Ainsi, la tutelle de l'opérateur public, c'est-à-dire vous, monsieur le
secrétaire d'Etat, autorise EDF à pratiquer le négoce de l'électricité et, dans
le même temps, l'interdit pour les nouveaux entrants en France. Il s'agit là
d'un paradoxe qui mérite quelques explications.
Pour conclure, monsieur le secrétaire d'Etat, je vous confirme que toutes mes
remarques ont pour seul objectif d'affirmer la volonté forte de donner à la
France les moyens de répondre pleinement aux enjeux technologiques et
économiques auxquels elle est confrontée.
La directive européenne vise à introduire la concurrence dans l'industrie
électrique partout où elle est souhaitable et possible.
La France s'est engagée avec ses partenaires européens à construire un marché
unique régi par la concurrence. Il faut qu'elle tienne ses engagements.
C'est la raison pour laquelle, au nom du groupe du Rassemblement pour la
République, je m'efforcerai, tout au long de l'examen de ce projet de loi,
d'adopter une attitude de responsabilité et de propositions. Nous jouerons
certes le rôle d'opposant qui est le nôtre, mais exclusivement préoccupés de
l'intérêt des usagers, des collectivités, des entreprises et de notre pays tout
en étant soucieux de respecter les règles européennes que nous avons
adoptées.
Monsieur le secrétaire d'Etat, que ce débat soit l'occasion pour vous de faire
taire les critiques, les menaces et les plaintes, car l'intérêt partisan doit
s'effacer devant l'intérêt de la France.
(Très bien ! et applaudissements
sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union
centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Lefebvre.
M. Pierre Lefebvre.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
plus de sept mois après l'Assemblée nationale, le Sénat est à son tour amené à
examiner en première lecture le projet de loi dit « de modernisation et de
développement du service public de l'électricité » portant transposition dans
notre droit national de la directive européenne datée du 19 décembre 1996 «
concernant des règles communes pour le marché intérieur de l'électricité ».
A la simple évocation de ces deux intitulés, il y a de quoi rester perplexe,
tant les concepts mis en avant sont éloignés entre eux, j'irai jusqu'à dire
antagoniques.
Monsieur le secrétaire d'Etat, le titre prometteur et ambitieux qu'affiche le
texte que vous nous présentez aujourd'hui ne peut dissimuler à lui seul la
mécanique du libéralisme que met en oeuvre cette directive.
Ne nous voilons pas la face, ce projet de loi, malgré les correctifs que l'on
pourra y apporter par ailleurs - ils sont et seront encore nécessaires - reste
foncièrement imprégné de l'idéologie libérale et mercantiliste qui anime la
construction européenne depuis trop longtemps.
Il est regrettable - je le dis sans détour - que ce soit un gouvernement de
gauche qui porte la responsabilité de retranscrire une directive libérale
négociée et votée en d'autres temps par un gouvernement de droite désavoué par
les Français.
Je le regrette d'autant plus que l'ensemble des forces politiques qui
constituent actuellement la majorité plurielle s'étaient dressées avec
virulence pour exiger la renégociation d'une directive qui, à présent, s'impose
à nous malgré nous.
Mon ami André Lajoinie disait avec raison, à l'Assemblée nationale, qu'il
s'agissait d'un « déni de démocratie ». Le mot est fort, mais il est juste !
Pour autant, le Gouvernement avait la possibilité - comme nous n'avons cessé
de le demander - d'engager une renégociation de la directive « électricité » à
l'échelon communautaire. Nous maintenons quant à nous, aujourd'hui, cette
exigence ! De toute évidence, les spécificités de notre organisation électrique
nationale, de par sa structuration à la fois intégrée et dense, pouvaient être
prises en compte pour démontrer la nocivité des plans de Bruxelles.
Cette option a, hélas ! été rejetée. Dès lors, l'alternative se résumait au
vote d'un projet de loi qui soit le moins mauvais possible ou à l'application
brutale et dévastatrice de la directive.
A l'issue des travaux de l'Assemblée nationale, je dirai que ce texte, bien
qu'il comporte quelques aspects favorables au service public, est caractérisé
par le respect strict des dispositions libérales de ladite directive.
Les députés communistes ont eu le souci, par le dépôt d'une série
d'amendements, d'infléchir, autant que faire se pouvait, les aspects les plus
néfastes de cette libéralisation.
Le texte qu'il nous revient d'examiner après son passage à l'Assemblée
nationale représente, à mes yeux, ainsi que pour l'ensemble des parlementaires
communistes et de leurs partenaires, une base à partir de laquelle il doit être
possible d'avancer, mais en aucun cas de régresser, comme nous pressent de le
faire certains lobbies patronaux.
La reconnaissance d'un droit à l'électricité pour tous et l'instauration d'une
tranche sociale de consommation pour les familles modestes constituent un
progrès que nul ne conteste. Je ne peux, cependant, m'empêcher de m'interroger
: pourquoi avoir attendu cinquante ans et, précisément, l'occasion d'un débat
qui porte sur la libéralisation de l'électricité, pour satisfaire enfin à une
ancienne revendication des salariés et des usagers du service public ?
Malgré cela - j'insiste - je conteste l'idée, présente dans l'exposé des
motifs du texte comme dans le discours que vous avez tenu à l'Assemblée
nationale, monsieur le secrétaire d'Etat, selon laquelle il y aurait une
continuité, voire une filiation, entre la loi de nationalisation et ce projet
de loi de transposition.
J'y vois plutôt une rupture, pis encore une revanche historique des intérêts
privés capitalistes sur une loi que ceux-ci n'ont jamais supportée parce
qu'elle répondait à l'intérêt général : la loi de nationalisation de
l'électricité et du gaz du 8 avril 1946.
Monsieur le secrétaire d'Etat, permettez-moi de citer à mon tour l'un de vos
illustres prédécesseurs. Je veux parler de Marcel Paul, ministre de la
production industrielle et père de la loi de nationalisation.
Devant l'Assemblée constituante, le 27 mars 1946, il rappelait avec force le
principe fondateur de cette loi en ces termes : « Faire en sorte que les
intérêts privés n'aient pas la possibilité de s'opposer aux intérêts du pays...
leur idée générale, leur conception était non pas d'équiper le pays pour
l'avenir, de procéder à des investissements à très longue échéance, mais de
faire des opérations rentables dans l'immédiat, sans considération des intérêts
d'avenir de la France. »
Il concluait son intervention de la sorte : « Voter la nationalisation, c'est
respecter la volonté du pays ; c'est travailler pour son avenir, pour sa
prospérité et pour son indépendance. » Comme ces mots sont encore d'actualité
!
Mme Hélène Luc.
Très bien !
M. Pierre Lefebvre.
En quoi, la concurrence pourrait-elle mieux garantir, demain, le développement
et l'indépendance de notre pays que ne l'a fait, durant un demi-siècle, le
monopole public ?
Faut-il croire que le service public, après s'être épanoui dans le cadre du
monopole public, aurait besoin d'un nouvel horizon sans doute plus conforme aux
règles du capitalisme moderne ?
Surtout, peut-on admettre que l'électricité devienne une marchandise ordinaire
soumise aux aléas du marché, alors que ce bien représente, pour des milliards
d'individus, un élément indispensable à la vie ?
Ce qui est essentiel à la vie ne peut et ne doit pas être une source de profit
!
Certes, l'électricité a un coût. Mais celui-ci ne saurait être l'objet de
discrimination entre les personnes selon leur solvabilité, leur situation
sociale ou leur position géographique.
Je doute que la transformation du citoyen-usager en un simple consommateur à
la recherche incessante du prix le plus bas constitue véritablement un progrès
de civilisation.
L'attachement des Français au service public de l'électricité, leur
satisfaction manifestée à l'égard d'EDF, de son personnel reconnu pour ses
compétences, sa disponibilité et son professionnalisme, me conduisent, en
vérité, à penser que cette libéralisation répond bien davantage à des intérêts
particuliers qu'à l'intérêt général.
En outre, chacun le sait, EDF rapporte davantage qu'elle ne coûte à l'Etat,
lequel n'a pas effectué d'apports nouveaux en capital depuis 1982.
A l'heure où il est sans cesse question d'encadrement budgétaire, vous
reconnaîtrez avec moi, mes chers collègues, qu'en l'occurrence l'Etat a tout
intérêt à garder la maîtrise d'une entreprise qui réalise plus de six milliards
de francs de bénéfices chaque année.
Seuls quelques puissants groupes industriels ont réellement intérêt à cette
ouverture à la concurrence.
La directive est incontestablement une étape décisive, mais non nécessairement
l'aboutissement vers l'objectif de la déréglementation.
Ainsi, quinze ans après, nous subissons encore les relents nauséabonds de la
vague ultralibérale qui a balayé notre pays et le monde occidental au cours des
années quatre-vingt.
Cependant, je ne désespère pas de voir bientôt - et plus tôt qu'on ne le croit
- les Etats se raviser dans leur frénésie libéralisatrice, si j'en juge par
l'échec et les dangers que recèlent les expériences en cours. Si les libéraux
arguent souvent des insuffisances et des pesanteurs du secteur public pour
justifier sa libéralisation et sa privatisation - ce discours est entendu à
satiété au sein de cet hémicycle - en revanche, on ne les entend que très
rarement s'interroger sur les effets pervers de la concurrence.
Mes chers collègues, jugeons sur pièce ! Prenons pour exemple la
Grande-Bretagne, pays qui a libéralisé son secteur électrique dès 1989 et dont
le mode de fonctionnement était proche du système français, selon les termes du
rapport de la commission d'enquête du Sénat sur la politique énergétique de la
France.
Selon ce rapport, les gains de productivité ont davantage profité aux
actionnaires privés qu'aux consommateurs ; la baisse des prix est inégale, la
sécurité d'approvisionnement n'est plus complètement assurée et les effectifs
ont subi une réduction drastique. Ce constat, monsieur le rapporteur, vous ne
pourrez le contester, puisque vous en êtes l'auteur.
La libéralisation anglaise est à ce point un échec que l'actuel gouvernement
Blair organise ce qui peut être interprété comme un retour de l'Etat dans le
secteur électrique.
Ce phénomène n'est d'ailleurs pas spécifique à la Grande-Bretagne, puisque,
partout où l'ouverture à la concurrence est la plus prononcée, le secteur s'est
rapidement fragmenté et, de plus en plus, les Etats ont tendance à vouloir
concentrer et élargir les activités de leurs opérateurs nationaux.
Face à la profonde restructuration des industries électriques et gazières, qui
est d'ores et déjà à l'oeuvre avec des opérations de concentration à l'échelle
européenne et internationale, et l'émergence d'oligopoles, voire de véritables
monopoles privés, il y aura nécessité d'imposer un retour en force de la
puissance publique pour encadrer, contrôler et réguler le secteur énergétique,
mais aussi pour engager les investissements lourds.
Dans cette perspective, notre pays a tout intérêt à maintenir un puissant pôle
public électrique et gazier pour éviter les désagréments prévisibles que
connaîtront - et que connaissent déjà - certains pays qui se vantent
aujourd'hui d'avoir ouvert leurs marchés au-delà des exigences de la
directive.
D'ailleurs, certaines voix critiques commencent à se faire entendre hors de
nos frontières.
Dans un entretien accordé au journal
Libération
, le 11 mai dernier, le
président du principal syndicat allemand des services publics, Herbert Mai,
faisait le constat suivant : « En Allemagne, la libéralisation a entraîné 40
000 suppressions d'emploi en deux ans, et 40 000 autres pourraient suivre. Dans
toute l'Europe, 250 000 emplois sont menacés sur un total d'un million ! » Il
observait déjà que « quelques grands groupes vont bientôt dominer le marché :
ils peuvent offrir du courant moins cher en l'achetant par exemple dix centimes
le kilowattheure en Ukraine, ou dans d'autres pays pratiquant le
dumping
social et écologique, alors que le coût de production atteint jusqu'à trente
centimes en Allemagne ».
Ces jours-ci, des milliers d'employés municipaux d'électricité outre-Rhin
manifestaient pour demander un soutien de l'Etat face à la guerre des prix que
se livrent entre eux les grands groupes électriciens. Seraient-ils les premiers
déçus d'une ouverture qui ne fait que débuter ?
Christian Brunier, député socialiste de Genève, expliquait récemment que la
baisse des prix est actuellement payée par les salariés et se fait au détriment
de la sécurité et de l'environnement.
Ainsi, en Norvège, le gouvernement vient de prendre des mesures d'urgence pour
pallier la dégradation du niveau de sécurité, devenu critique, des
installations.
A Auckland, cité présentée comme le fleuron de la dérégulation du marché
électrique, une panne a privé la ville de courant pendant plus de deux mois au
printemps 1998 : les entreprises comptaient au plus juste pour satisfaire les
actionnaires ; elles ont donc eu beaucoup de mal à réparer trois lignes à haute
tension défectueuses.
En réalité, la seule et unique promesse affichée par les partisans de la libre
concurrence serait la baisse des prix.
Dès lors, comment parler d'économies d'énergie ou encore de gestion
raisonnable et économe des ressources énergétiques de la planète ? Chacun le
sait, l'épuisement progressif des ressources disponibles, la nécessité de
recourir à des techniques d'exploitation plus élaborées et plus coûteuses, la
croissance exponentielle de la consommation énergétique des pays émergents sont
autant de facteurs qui pousseront à la hausse le niveau des prix et des
tarifs.
Favoriser la concurrence aujourd'hui, c'est refuser d'anticiper sur l'avenir
et, plus dangereux, c'est attiser, nous semble-t-il, les tensions entre les
producteurs, entre les Etats et entre les peuples.
Justifier la concurrence par la seule baisse des prix est un leurre. Là où la
libéralisation est déjà bien engagée, les prix, après quelques années de chute,
ont tendance à repartir à la hausse, notamment pour les petits consommateurs.
Les clients dits éligibles réussissent, quant à eux, à tirer leur épingle du
jeu grâce à la pression qu'ils sont en mesure d'exercer sur le niveau des cours
négociés au jour le jour.
En contrepartie, les multinationales accélèrent le pillage des ressources de
notre planète, alors que le consommateur voit progressivement sa facture
augmenter pour une fourniture de qualité moindre.
D'aucuns diront ici qu'il n'y a pas d'inquiétude à avoir s'agissant d'EDF qui
dispose de suffisamment d'atouts solides pour affronter avec succès la
concurrence. Nul ne le contestera !
Faut-il cependant rappeler que la performance économique, technologique,
humaine et financière de l'opérateur national est le résultat de sa position de
monopole public qui a prévalu depuis la Libération ? Elle est aussi le fruit
d'une culture du dialogue social et de la cogestion que certains voudraient,
ici, mettre en pièces.
A court terme, EDF gagnera vraisemblablement des parts de marché à
l'extérieur, mais, à plus long terme - lorsqu'on évoque les questions
d'énergie, c'est sur une période longue qu'il faut raisonner -, quelles
garanties avons-nous qu'EDF sera à même d'assurer ses missions de service
public et, dans le même temps, de mener la guerre des marchés et des prix ?
La commission des affaires économiques s'apprête à proposer un certain nombre
de modifications de ce texte. Ses propositions visent à assouplir les
conditions de la concurrence et remettent en cause les garde-fous mis en place
par les députés. C'est l'occasion, pour certains de nos collègues, de
s'attaquer au statut du personnel d'EDF, ainsi qu'à son régime de retraite.
La contribution des autoproducteurs au financement des missions de service
public est supprimée ; la tranche sociale, au lieu d'être un moyen de prévenir
les situations de précarité, deviendrait un simple substitut au dispositif «
anti-coupure d'électricité » ; l'autonomie du gestionnaire des réseaux publics
de transport est étendue avec la perspective d'une filialisation, ce qui aurait
pour effet de préparer le démantèlement de l'entreprise EDF ; les prérogatives
de l'autorité de régulation sont élargies, au risque de transformer le ministre
de tutelle en simple exécutant de propositions qu'il ne peut contester ;
l'instauration d'une durée minimale des contrats de fourniture entre
producteurs et clients éligibles est remise en cause, au mépris de l'idée de
planification à long terme du secteur. De même, la commission propose la
création d'une « bourse de l'électricité » pour le plus grand bénéfice des
traders
de l'électricité et des spéculateurs de tout poil.
Il est bien évident que notre groupe, qui reste hostile à la philosophie de ce
projet de loi, ne pourra suivre la majorité sénatoriale dans sa volonté de
préparer et d'accélérer les prochaines étapes de la libéralisation.
Un texte qui jouerait habilement sur de subtils équilibres entre de meilleures
garanties en faveur du service public de l'électricité, d'une part, et une
accélération de la libéralisation, d'autre part, serait contraire aux
engagements pris à l'Assemblée nationale entre les députés de la majorité et le
Gouvernement.
Aussi, nous souhaitons que les députés puissent se saisir au cours de la
navette des propositions que notre groupe défendra pour apporter les précisions
utiles à la cohérence du texte.
En tout état de cause, il ne saurait être question, pour nous, de revenir, de
près ou de loin, sur les acquis du projet de loi dans sa rédaction actuelle.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Delfau.
M. Gérard Delfau.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
dans les années trente, les compagnies d'électricité qui formaient à l'époque
un oligopole de quelques trusts privés furent accusées, à juste titre, de
pratiquer des tarifs trop élevés, de ne pas suffisamment investir et de ne pas
desservir les zones peu denses. De la concurrence initiale entre les
entreprises électriques privées a ainsi émergé l'idée d'un contrôle et d'une
régulation publics.
La nationalisation décidée en 1946 et débouchant sur la création d'EDF est
apparue dans ce contexte d'autant plus justifiée que la reconstruction
d'après-guerre nécessitait de très gros investissements de longue durée de vie
et qu'il s'agissait d'une industrie très capitalistique avec une programmation
à long terme.
Les principes du service public se sont alors traduits en actes, avec
l'obligation de continuité, de fourniture, d'égalité de traitement des usagers
et de péréquation nationale des tarifs.
Ce rappel des années trente n'est pas inutile au moment où le seul argument
avancé par les thuriféraires du marché - et donc, pour partie, par la majorité
sénatoriale - consiste à mettre en avant la nécessité de casser le monopole
d'EDF afin, dit-on, de mieux servir et à moindre coût le consommateur. Et si,
au final, mes chers collègues, d'ici à quelques années, la déréglementation
aboutissait, à l'inverse, au renchérissement du prix du kilowattheure pour les
particuliers et à l'affaiblissement des normes de sécurité ?
Avec l'accident de Tokaimura, au Japon, l'actualité nous offre un exemple
saisissant du risque nucléaire lié à l'irresponsabilité d'un producteur quand
le profit devient la seule règle.
Plus près de nous, la Grande-Bretagne illustre jusqu'à la caricature la
faillite de certaines privatisations d'entreprises publiques : elles n'ont
enrichi que les actionnaires et les hauts dirigeants ; elles ont renchéri le
coût de la prestation sans améliorer le service, au contraire.
Il fallait faire cet utile rappel avant que débute la discussion relative à la
transposition de la directive européenne, afin que l'idéologie ne masque pas
les vrais enjeux et les conflits d'intérêts.
Justement, dans le passé, même si tous les pays européens n'ont pas, en
matière énergétique, des ressources équivalentes, ni le même type
d'organisation, tous ont été amenés à reconnaître que les enjeux énergétiques
ne pouvaient relever du seul droit commun de la concurrence, qu'ils devaient
découler aussi de principes et de règles qui correspondent, pour l'essentiel,
au registre de ce que nous appelons les missions de service public.
Il est vrai que, plus récemment, ces modes nationaux de définition et
d'organisation se sont heurtés aux logiques dominantes d'intégration européenne
et de création d'un marché unique dans chaque secteur.
Adoptée après huit années de discussion - ce délai est en soi significatif -
la directive européenne de 1996 sur le « marché intérieur de l'électricité »
déréglemente pour partie le secteur électrique en introduisant progressivement
la concurrence. Les plus gros consommateurs pourront désormais s'adresser au
producteur de leur choix, qu'il soit français ou européen, et cette part de
marché, qui est de 25 % en 1999, doit passer à 33 % en 2003.
La directive comporte également, cela va de soi, une clause de « réciprocité »
qui interdit à un acteur national de profiter de l'ouverture européenne tout en
restant protégé sur son territoire.
Il faut reconnaître que la directive européenne fait courir de réels dangers
au service public de l'électricité, en valorisant le court terme, en favorisant
les gros consommateurs et, surtout, les groupes industriels et financiers qui
veulent « écrémer » le marché.
Ne faire confiance qu'à la logique de la concurrence ne permet, en effet, de
prendre en compte ni la sécurité d'approvisionnement, ni le long terme, ni la
rareté des ressources énergétiques, ni le sort des générations futures, ni la
protection de l'environnement.
Si l'on allait jusqu'au bout de cette voie, on continuerait à gaspiller
l'énergie, compte tenu du faible coût actuel du gaz, au lieu de conduire une
politique énergétique d'économies et de maîtrise, de mettre en oeuvre le
principe de précaution, de diversifier les modes de production, de promouvoir
les énergies renouvelables et la gestion des déchets. Sur ce sujet comme sur
bien d'autres, l'opinion publique française est en retrait, et le Gouvernement
le sait bien.
En même temps qu'elle libéralise - j'essaie d'avoir une lecture très objective
du texte -, la directive reconnaît cependant aux Etats qui le veulent la
possibilité d'édicter des missions de service public, de faire financer les
obligations de celui-ci par tous les opérateurs, de mettre en place une
politique énergétique à long terme, notamment.
L'article 3 précise ainsi que « les Etats membres peuvent imposer aux
entreprises du secteur de l'électricité des obligations de service public dans
l'intérêt économique général, qui peuvent porter sur la sécurité, y compris la
sécurité d'approvisionnement, la régularité, la qualité et le prix de la
fourniture, ainsi que la protection de l'environnement. Ces obligations doivent
être clairement définies, transparentes, non discriminatoires et contrôlables ;
celles-ci, ainsi que leurs révisions éventuelles, sont publiées et communiquées
sans tarder à la Commission par les Etats membres. Comme moyen pour réaliser
les obligations de service public précitées, les Etats membres qui le
souhaitent peuvent mettre en oeuvre une planification à long terme. » On voit
dès lors que les réserves, du fait sans doute non seulement des efforts du
Gouvernement français mais aussi des opinions publiques, ont été, pour partie
en tout cas, prises en compte dans la directive. Toutefois, ces éléments que je
viens de citer ne sont en rien des obligations ; il s'agit seulement de
possibilités laissées aux Etats membres.
Le rapport de la Commission européenne sur l'état de la libéralisation des
marchés de l'énergie du 4 mai 1999 souligne cependant que tous les Etats
membres réglementent de manière convergente les activités des compagnies
d'électricité en matière de protection des consommateurs - obligation de
connexion et de fourniture, tarifs - de protection de l'environnement -
promotion des énergies renouvelables, internationalisation des coûts externes -
de sécurité des approvisionnements, etc.
Ce rapport ajoute que, dans ces domaines, « les objectifs et approches des
Etats sont de plus en plus similaires ». Ce mouvement général est en soi
significatif, même si, bien sûr, les bonnes intentions devront être confrontées
aux dures réalités de la course au profit.
En tout cas, cet état d'esprit européen justifie, si besoin était, la prudence
du gouvernement français.
Dans le même temps, la Commission souligne que beaucoup reste à faire pour
achever la mise en place d'un véritable marché intérieur de l'énergie :
développement des capacités d'interconnexion, rapprochement des tarifs pour les
particuliers selon le principe d'équité...
A ce sujet, je note qu'EDF ne sera pas mal placée, puisque le consommateur
parisien paie 40 % de moins sa facture d'électricité que l'habitant de
Düsseldorf. Encore faut-il que la prochaine étape d'une ouverture à la
concurrence, si elle doit arriver, se fasse après harmonisation des conditions
sociales des salariés. L'intégration européenne est à ce prix.
Tel est le chantier, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'avec le gouvernement
français vous avez trouvé quand vous avez été porté aux responsabilités à la
suite, notamment, du mouvement social de fin 1995-début 1996, qui avait été
déclenché, il faut s'en souvenir, pour défendre les services publics.
C'est dire si le dossier était délicat, et je ne serai pas de ceux qui vous
reprocheront d'avoir procédé avec circonspection et sans omettre aucune étape
de la nécessaire concertation : Livre blanc, consultation du Conseil économique
et social, des partenaires sociaux, des diverses institutions.
Le résultat est là : un texte équilibré qui répond aux exigences de la
Commission tout en préservant les chances de l'opérateur public et en
confortant le statut de ses salariés. Je vous le dis, monsieur le secrétaire
d'Etat, vous avez bien travaillé.
Je ne vais pas reprendre l'ensemble des dispositions et des articles qui ont
pour vocation de prolonger et d'actualiser la loi de 1946 en insérant notre
politique énergétique dans le contexte européen. Redoutable quadrature du
cercle, j'en conviens !
(Sourires sur les travées de l'Union centriste.)
Mais, mes chers
collègues, vous que je vois sourire, ne fait-on pas toujours la politique du
possible et non pas forcément celle que l'on a rêvée, la politique idéale ?
C'est très exactement à ce niveau du débat et dans ce contexte que nous devons
apprécier ce texte.
Je retiendrai brièvement quelques lignes de force.
Ce projet de loi réaffirme d'abord les missions de service public de l'énergie
et fait d'EDF l'opérateur et le garant de cette fonction.
Je vois, bien sûr, l'objection qui peut poindre : ouvrir la concurrence pour
les quelque 400 clients éligibles ne va-t-il pas entraîner un déséquilibre et,
par contre-coup, de secousse en secousse, faire glisser EDF sur la voie de la
privatisation ? Je ne le crois pas. Je fais confiance aux pouvoirs publics,
mais aussi aux agents et à la direction pour que soit infirmée l'assertion
selon laquelle le monopole serait la condition d'un service public
performant.
L'entreprise publique a les moyens de résister, mieux ; elle a les moyens de
se développer. Elle doit trouver sur les marchés étrangers la possibilité
d'affirmer sa spécificité qui est liée à notre civilisation. Elle a d'ailleurs
déjà obtenu quelques succès retentissants, en Angleterre notamment.
Pour mieux affirmer le caractère social de cette politique - deuxième
dimension que j'ai voulu souligner - le texte de loi voté à l'Assemblée
nationale consacre l'existence d'un droit de tous à l'électricité, produit de
première nécessité. C'est une innovation dont la mise en oeuvre ne sera pas
facile, ni dans le financement, ni surtout dans la définition des ayants droit.
Mais il faut saluer cette avancée, tout comme la confirmation de la péréquation
géographique des tarifs et le financement du surcoût des missions de service
public assumées par EDF au moyen d'une participation des opérateurs privés.
Reste, et c'est peut-être le point le plus controversé, la commission de
régulation de l'électricité.
N'éprouvant aucune sympathie particulière pour l'ART, l'Autorité de régulation
des télécommunications, je suis
a priori
bien disposé à l'égard de cette
instance de régulation. L'avenir nous dira si la formule choisie est la plus
opérationnelle.
Subsiste enfin un point qui fait problème dans l'opinion publique depuis très
longtemps : l'absence de transparence, dans un premier temps, et, en tout cas,
de dialogue démocratique, dans un deuxième temps, sur les grands choix
énergétiques de la nation.
Ce fut la règle pendant une trentaine d'années. Mais, depuis 1997, un progrès
certain a été accompli dans ce domaine et quelques dispositions de votre projet
de loi, monsieur le secrétaire d'Etat, conforteront cette timide avancée.
Encore faudra-t-il faire vivre ces structures de concertation, et l'on sait
bien que ce n'est pas le plus facile.
Les radicaux de gauche voteront sans état d'âme ce projet de loi dans la
mesure où il représente le meilleur compromis possible dans le contexte actuel.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Besson.
M. Jean Besson.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
l'intitulé même du projet de loi exprime avec force la volonté du Gouvernement
d'inscrire notre future organisation électrique dans le cadre d'une conception
renouvelée du service public. Je me réjouis pleinement de cette approche visant
à conforter un dispositif qui nous apporte chaque jour la preuve de son
efficacité, de sa compétitivité et de sa solidarité, et à créer les conditions
de sa réussite face aux défis du futur.
A cet égard, permettez-moi d'exprimer ma conviction que notre entreprise
publique, premier électricien au monde, dispose de tous les atouts pour
s'imposer comme l'un des énergéticiens les plus performants et pour conquérir
de belles parts de marché.
Dans cette intervention, je centrerai mon propos sur l'autre composante de
l'électricité, à savoir la distribution publique, qui se trouve au coeur même
du service public, dans la définition fonctionnelle du terme, puisqu'il s'agit
de garantir l'acheminement d'une électricité de qualité à tout consommateur en
tout point du territoire, comme dans sa définition organique puisque la
législation de 1906, comme celle de 1946, a confié la responsabilité de cette
compétence aux communes, qui confient ensuite la gestion des réseaux à un
prestataire - EDF dans 95 % des cas - sous le régime juridique de la
concession.
Ainsi, les communes et leurs groupements sont les propriétaires des réseaux de
distribution. Cela représente 1 260 000 kilomètres, soit 93 % de la longueur
totale des réseaux électriques français.
Le plus souvent, ces compétences sont exercées par des syndicats
départementaux qui, avec discrétion et efficacité, sont des pionniers de la
coopération intercommunale.
Les élus locaux peuvent donc revendiquer à juste titre leur part de
reconnaissance dans la réussite du slogan « même prix et même électricité pour
tous ». Ils confèrent ainsi une assise démocratique à un système très
centralisé.
Le texte approuvé en Conseil des ministres était déjà globalement satisfaisant
pour nos collectivités. L'Assemblée nationale a apporté un certain nombre de
retouches qui faciliteront l'application de cette future loi. Je pense que nous
pouvons ajouter encore quelques améliorations, sans, bien sûr, dénaturer le
texte adopté par l'Assemblée nationale.
Je distinguerai successivement deux grandes fonctions dans le rôle des
collectivités territoriales.
La première concerne l'exercice du pouvoir concédant.
C'est la loi du 15 janvier 1906 qui a instauré le pouvoir concédant des
communes et fait de la concession le principal mode de gestion de ce service
public.
Dans le droit-fil de la décentralisation, et sous l'impulsion des syndicats
départementaux d'électricité agissant collectivement sous l'égide de la
Fédération nationale des collectivités concédantes et des régies, le pouvoir
concédant a connu, dès le début des années quatre-vingt-dix, un véritable
renouveau avec la publication d'un nouveau modèle de cahier des charges.
Au moment de la prévisible accentuation de la logique industrielle et
commerciale d'EDF, il est important que la loi codifie, sans cependant les
figer, les avancées de la négociation contractuelle : c'est une exigence de
démocratie à l'égard des citoyens-consommateurs, dont les collectivités sont
les représentants institutionnels, c'est un devoir de transparence inhérent à
la gestion déléguée d'un service public. A ce titre, il est indispensable de
garantir aux collectivités un accès suffisant aux informations nécessaires à
l'exercice d'un véritable contrôle, dans le respect, bien sûr, des règles de la
confidentialité et du secret commercial.
Dans cette nouvelle logique, les collectivités territoriales, garantes du
service public pour tous, ont vocation à représenter les clients non éligibles.
De même, elles détiennent désormais une compétence reconnue qui leur confère la
capacité de siéger dans des instances comme l'observatoire national et les
observatoires régionaux du service public de l'électricité, dans les organismes
contribuant à la définition de la politique de l'énergie et dans les
commissions départementales de modernisation et d'organisation des services
publics, où - c'est une suggestion - il pourrait s'avérer opportun de créer une
sous-commission « énergie ».
La seconde grande fonction des collectivités locales est la maîtrise d'ouvrage
des travaux d'électricité en zone rurale.
Pour leur permettre l'exercice de cette prérogative, a été créé, en 1936, le
Fonds d'amortissement des charges d'électrification, le FACE, instrument de
péréquation du financement des investissements entre les zones urbaines et les
zones rurales.
En 1998, le montant du programme FACE s'est élevé à 3 milliards de francs, 60
% de cette somme provenant de la contribution des distributeurs et 40 % de la
participation des collectivités territoriales. En outre, sur leurs fonds
propres, les collectivités ont réalisé 2 milliards de francs supplémentaires de
travaux.
Le FACE est donc un levier puissant et efficace de mobilisation des
cofinancements publics et d'activation de la commande publique. C'est aussi et
surtout la force de frappe du service public. Il représente le prix à payer
pour garantir l'égalité d'accès et de prix de la fourniture. A ce titre, il
s'inscrit d'ailleurs pleinement dans le sens des dispositions instituant le
futur fonds du service public de production d'électricité.
Vous connaissez, monsieur le secrétaire d'Etat, notre attachement et celui de
l'ensemble des représentants des communes rurales à cet instrument financier
exemplaire de cohésion et de solidarité entre territoires. Vous avez déjà
dissipé les craintes que nous avions exprimées à la lecture des avant-projets.
Peut-être souhaiterez-vous nous apporter en séance des assurances
supplémentaires.
Je tiens à souligner la nécessité de maintenir durablement la gestion et les
mécanismes de financement du FACE. Malgré les efforts accomplis, les besoins
sont encore très importants. Comme vous le savez, monsieur le secrétaire
d'Etat, vos services, avec ceux du ministère de l'agriculture et de la pêche,
ont évalué à 30 milliards de francs l'ensemble des travaux à réaliser à court
terme pour porter les réseaux ruraux à un niveau convenable.
Il reste encore beaucoup à faire pour fiabiliser nos réseaux. Avec mon
collègue Michel Teston, président du conseil général de l'Ardèche, ici présent,
je n'en veux pour preuve que ces 55 000 familles de la Drôme et de l'Ardèche
privées d'électricité pendant une semaine cet hiver.
Il convient également de signaler l'accroissement des contraintes d'insertion
des ouvrages dans l'environnement et les exigences de qualité liées à la
multiplication des appareils électroniques.
Avant de conclure, je souhaiterais évoquer un point plus particulier sur
lequel mon attention a récemment été appelée dans mon département ; je veux
parler de la redevance d'occupation du domaine public.
En application de la réglementation en vigueur, EDF verse actuellement aux
communes une redevance annuelle qui se situe - elle n'a pas été augmentée
depuis 1956 - entre 5 francs et 200 francs selon le nombre d'habitants. Ces
montants nous apparaissent tout à fait dérisoires !
A la faveur de ce débat, je souhaite vivement, monsieur le secrétaire d'Etat,
que vous preniez l'engagement d'une revalorisation très significative du
montant de cette taxe ; je préfère même employer l'expression « fixation d'un
nouveau taux », en juste proportion des sujétions que représente aujourd'hui
l'occupation du domaine public.
Je conclurai en soulignant le bon équilibre du texte adopté par l'Assemblée
nationale, équilibre entre le respect des principes essentiels du service
public et la nécessaire modernisation. Les intérêts des collectivités
territoriales me paraîssent bien garantis, même si nous pouvons y apporter
encore quelques points de perfectionnement. Nous devons reconnaître, monsieur
le secrétaire d'Etat, votre capacité d'écoute et votre volonté de prendre en
compte au mieux les souhaits de chacun dans la mesure, bien sûr, où ils ne
contredisent pas la logique de votre texte.
A propos de souhaits, j'en formule un dernier : que les clients non éligibles,
que les citoyens consommateurs de nos petits villages ou des quartiers
défavorisés des villes bénéficient eux aussi, au même titre que les grosses
entreprises, de la modernisation, des baisses de tarifs induites par les gains
de productivité et de la meilleure qualité d'accueil. Pour le concessionnaire
du service public de l'électricité, tout client est, par définition, quelqu'un
d'important ; il doit le devenir encore plus !
En revanche, monsieur le rapporteur, je formule les mêmes réserves que mon ami
Henri Weber sur les propositions du Sénat. Je considère en effet que la
perspective de filialiser dans un an le gestionnaire du réseau de transport est
inacceptable.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Michel Mercier.
M. Michel Mercier.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la
lecture du projet de loi relatif à la modernisation et au développement du
service public de l'électricité provoque des sentiments contrastés.
L'étonnement, d'abord, de voir que, sous ce titre quelque peu général, se
cache en fait une réalité bien précise, à savoir la transposition en droit
français de la directive européenne sur le marché intérieur de
l'électricité.
Mais, plus que cet étonnement, elle provoque le surprise quand on constate que
le Gouvernement, qui est pourtant aux affaires depuis plus de deux ans et à qui
la Constitution donne une entière maîtrise de notre ordre du jour, a laissé
s'accumuler un tel retard pour transposer cette directive, alors que cette
transposition, qui aurait dû intervenir avant le 19 février 1999, aura de la
peine à être réalisée avant le 19 février 2000 !
Il ne s'agit pas de notre part d'un fétichisme particulier à l'égard du
respect des textes européens. Mais nous pensons que, par cette attitude
dilatoire, le Gouvernement met dans une position de faiblesse à la fois EDF et
tous les acteurs du secteur électrique. Cet état de non-droit est dangereux.
Elle provoque, enfin, cette lecture, la stupéfaction de voir que le
Gouvernement, désireux de rattraper ce retard, a demandé l'urgence pour ce
projet. Il n'y aura donc, sur un texte aussi important, qu'une seule
délibération de nos assemblées, alors qu'il s'est tout de même écoulé sept mois
entre le moment où l'Assemblée nationale a été saisie et le moment où ce texte
vient devant le Sénat. Ce projet, je crois, méritait un peu mieux.
Au-delà de ces considérations, nous sommes bien conscients, monsieur le
secrétaire d'Etat, qu'il s'agit d'un texte à la fois important et délicat.
Il est important puisque, comme cela a été le cas en matière de
télécommunications, le paysage économique et industriel dans le secteur de
l'électricité a été dominé dans notre pays, depuis des décennies, par un
opérateur historique, EDF, véritable bras séculier de l'Etat depuis 1946.
Tous les orateurs qui m'ont précédé à cette tribune ont souligné quelle a été
la qualité du rôle joué par EDF. Je voudrais, à mon tour, dire que non
seulement par la valeur de ses agents, de ses dirigeants, mais aussi grâce à la
volonté politique des gouvernements qui se sont succédé à la tête de notre
pays, cet opérateur a su, en matière nucléaire notamment, forger avec constance
et permanence, et au-delà des clivages et alternances, un outil remarquable et
performant.
Ce texte est délicat en raison que l'évolution que doit aborder désormais EDF
et qui consiste à faire passer cet établissement de la culture du monopole à
celle de la concurrence, tout en assouplissant ses missions de service
public.
Nous savons que EDF s'y prépare activement, tant en France que dans ses
développements à l'étranger, et nous ne pouvons que nous en réjouir. C'est une
évolution délicate, et l'on peut comprendre que le Gouvernement ait pris
certaines précautions et ait agi avec une certaine prudence, au risque,
toutefois, de paraître quelque peu timoré sur un certain nombre de points dans
son projet de transposition.
Je ne relèverai que deux de ces points sur lesquels le Gouvernement nous
paraît trop frileux et trop en retrait par rapport à ce qu'il a lui-même
parfois annoncé.
Tout d'abord, il est permis de s'étonner que le Gouvernement ait retenu une
formule qui place au sein d'Electricité de France le service gestionnaire du
réseau public de transport.
Les concurrents d'EDF - car il faut bien regarder les choses en face : EDF
aura désormais des concurrents - devront confier à un service d'EDF la mission
de transporter leur électricité, et donc les caractéristiques principales de
leurs contrats commerciaux. Certes, le Gouvernement a pris certaines
précautions ; certes, l'Assemblée nationale, notre commission et notre
rapporteur y ont veillé. Mais est-il bien raisonnable de s'en remettre au code
pénal et à ses foudres pour éviter les risques d'indiscrétion ?
Vous voulez réprimer la communication faite sciemment des informations de
nature à porter atteinte aux règles de concurrence libre, loyale et non
discriminatoire. N'y a-t-il pas lieu de craindre, avec le système mis en place,
davantage encore les indiscrétions faites inconsciemment ?
Monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez vous-même parlé, dans votre discours
liminaire, de l'indépendance du réseau de transport et de l'indépendance totale
du GRT. C'est en effet un vrai problème. Mais n'était-il pas plus raisonnable
pour le Gouvernement de suivre les recommandations de M. Dumont, député de la
Meuse, qui appartient à la majorité soutenant ce gouvernement et à qui le
Premier ministre a assigné la mission d'étudier ces questions ? Cet honorable
parlementaire préconise de séparer en un établissement public distinct la
fonction transport de la fonction infrastructure et production. C'est la
sagesse même ! Ainsi, il y aurait deux établissements, le caractère public
étant parfaitement affirmé et la nécessité d'assurer une concurrence loyale
étant respectée. Est-il trop tard pour que la sagesse l'emporte ou faudra-t-il
pour cela attendre la première modification de la loi Pierret ?
J'en viens au second point sur lequel nous devons, je crois, nous
interroger.
Nous comprenons bien, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous deviez
satisfaire à un certain nombre d'exigences. Toute action gouvernementale a ses
contingences et il faut bien finir par trouver les voix qui construisent une
majorité.
Mais vous savez bien qu'il va y avoir un véritable marché de l'électricité. Le
négoce de l'énergie électrique est une réalité de notre monde d'aujourd'hui, et
vouloir la nier n'est pas forcément l'attitude la plus responsable.
Comment avez-vous pu accepter - nous ne comprenons pas bien les raisons - que
l'article 12 du projet soit supprimé par l'Assemblée nationale ? Que devient la
liberté du commerce et de l'industrie si les producteurs d'électricité ne
peuvent pas conclure librement, s'agissant de la durée et de l'importance
quantitative, des contrats d'approvisionnement avec des producteurs et des
fournisseurs autorisés installés sur le territoire d'un Etat membre de l'Union
européenne ?
Ne pensez-vous pas que de telles dispositions vont favoriser l'éclosion et le
développement des marchés de l'énergie au-delà des frontières nationales ?
Est-ce pour cette raison que notre opérateur national, EDF, a décidé de baser
à Londres la filiale qu'il crée avec un groupe privé spécialisé dans le
commerce de l'électricité ? Il me semblerait préférable, dans l'intérêt de
notre pays, que le marché de l'électricité s'établisse à Paris plutôt qu'à
Londres.
Il en va de même pour le secteur alpin - la Suisse et l'Italie sont des
clients extrêmement importants de notre opérateur ; j'aimerais mieux que ce
marché, qui se développe, s'établisse à Lyon plutôt qu'à Zurich ou à Turin !
Ne serait-il pas raisonnable, monsieur le secrétaire d'Etat, de rétablir
purement et simplement l'article 12 du projet de loi, comme le propose, sous
une forme améliorée, notre rapporteur ? Dans le cas contraire, l'éventuelle
censure du Conseil constitutionnel pourrait nous rappeler que les atteintes à
la liberté du commerce et de l'industrie doivent être mesurées et la Cour de
justice des Communautés européennes pourrait nous rappeler au respect des
règles de la libre concurrence !
Dans ce domaine, nous ne souhaitons nullement faire de l'ultralibéralisme ;
nous souhaitons simplement qu'il soit tenu compte des réalités.
Sur ces deux points, le texte adopté par l'Assemblée nationale, parce qu'il
s'éloigne de votre projet, manque de réalisme et comporte de réels dangers. La
Haute Assemblée serait donc sage de revenir au texte initial que vous aviez
vous-même présenté.
Nous savons, monsieur le secrétaire d'Etat, que ce projet est d'un maniement
délicat tant il touche à un fonds culturel dans notre pays.
Après ces considérations d'ordre général, je voudrais maintenant, si vous me
le permettez, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, aller au-delà
et m'intéresser un instant à la Compagnie nationale du Rhône, la CNR. Dans
cette enceinte, nous sommes plusieurs à représenter des collectivités
riveraines du Rhône et actionnaires de la CNR.
Je rappelle, puisqu'on a beaucoup parlé du premier producteur d'électricité,
que la CNR, si elle est certes très loin derrière EDF, est tout de même le
deuxième producteur d'électricité français. Il est par conséquent normal que
nous nous préoccupions un peu de son devenir, notre souhait avant que tout soit
fait pour qu'elle puisse garder ce rang.
Nous savons bien que, d'une façon générale, on considère l'électricité comme
une chose trop sérieuse pour être confiée à une compagnie dans laquelle les
collectivités locales ont une participation importante ! Néanmoins, il semble
normal que le responsable d'une de ces collectivités précise la position de ces
dernières.
Sachez, monsieur le secrétaire d'Etat, que nous nous réjouissons de voir le
Gouvernement reconnaître à la CNR son rôle de producteur indépendant et de
plein exercice.
Je tiens à vous rendre hommage pour l'avoir fait de façon extrêmement
explicite. Nous nous réjouissons, par exemple, qu'à ce titre la CNR soit
expressément citée, notamment à l'article 25 du texte qui nous est soumis ;
beaucoup de choses vont sans dire, mais elles vont mieux encore en étant dites
!
Sachez aussi que nous sommes parfaitement conscients que des évolutions
statutaires s'imposent pour permettre à la CNR de jouer pleinement son rôle de
concessionnaire de l'Etat plongé dans le secteur concurrentiel.
Nous sommes prêts à soutenir cette évolution, même si elle a pour effet de
faire baisser notre part dans le capital de la compagnie, car le Rhône fait
partie de notre territoire et nous entendons, nous, collectivités rhodaniennes,
rester présentes pour qu'il ne puisse être porté atteinte aux intérêts majeurs
d'une collectivité riveraine du Rhône, et ce de la frontière suisse à la mer,
pour reprendre la formule d'Edouard Herriot.
Nous savons que nos collectivités, pas plus que l'Etat, n'ont vocation à
diriger une société comme la CNR. Nous sommes donc favorables aux évolutions
qui permettront à celle-ci de se transformer en une entreprise publique,
concessionnaire de l'Etat, chargée de missions de service public, mais capable
de jouer pleinement son rôle dans le secteur concurrentiel.
Sachez, monsieur le secrétaire d'Etat, que nous ne confondons pas nos regrets
légitimes, fondés sur la décision prise par le Gouvernement d'abandonner la
liaison fluviale à grand gabarit entre le Rhin et le Rhône, avec notre position
sur la CNR et son avenir.
Nous voyons la CNR non pas comme un instrument à notre service, mais comme un
partenaire capable de prendre en considération, parmi d'autres impératifs, les
intérêts des collectivités riveraines du Rhône.
Je crois qu'aujourd'hui une majorité se dégage pour faire évoluer
raisonnablement les statuts de la Compagnie nationale du Rhône, et je suis
persuadé que, si le Gouvernement déposait un projet de loi confirmant la
Compagnie nationale du Rhône dans les missions que lui confie la loi de 1921,
la maintenant dans le secteur public sans exclure les évolutions de capital par
« respiration », comme l'a dit l'un de vos collègues du Gouvernement - il est
également l'un des tuteurs de la CNR, puisque chargé de la navigation sur le
Rhône - ou encore permettant d'adopter la formule de société à directoire ou à
conseil de surveillance, qui nous paraît bien adaptée, nous serions tout prêts
à aider le Gouvernement dans la voie de cette réforme.
Telles sont, monsieur le président - je vous prie d'excuser la longueur
excessive de mon propos - les quelques observations que je souhaitais faire sur
le présent projet de loi.
(Applaudissements sur les travées de l'Union
centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à Mme Bardou.
Mme Janine Bardou.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
avant d'intervenir sur le projet de loi lui-même, je voudrais rendre hommage à
notre rapporteur, qui a fait un travail tout à fait remarquable sur un sujet
très sensible et d'une grande complexité.
D'une certaine manière, le projet de loi qui nous est soumis relève en effet
du paradoxe.
D'une part, il a pour objet de transposer une directive européenne d'ouverture
à la concurrence et ayant donc pour conséquence la diminution du champ du
service public.
Mais, d'autre part, il contient dans son titre les mots « développement du
service public », ce qui paraît, à première vue, incompatible avec ce qui
précède, autrement dit incompatible avec le transfert au domaine de la
concurrence d'une partie du service public.
En fait, cette opposition n'est qu'apparente. Certes, on réduira l'étendue du
service public puisque, pour la fourniture aux consommateurs éligibles, le rôle
de la puissance publique diminuera fortement. Mais, en même temps, justement
pour éviter les excès possibles du futur marché de l'électricité, le projet
renforce le rôle de l'Etat et des collectivités locales dans le périmètre
résiduel du service public, qui comprend essentiellement les activités
d'acheminement et la fourniture aux consommateurs non éligibles.
Un des problèmes à résoudre est donc de savoir quel sera le degré du
renforcement du rôle de la sphère publique. L'objectif est que le service
public fasse contrepoids aux éventuelles conséquences néfastes de la
concurrence, tout en permettant à celle-ci de s'exercer normalement, dans
l'intérêt même des consommateurs.
C'est cet équilibre des pouvoirs respectifs de la sphère publique et du marché
qui guidera mon propos.
J'évoquerai ainsi cinq enjeux, auxquels il serait souhaitable que le projet de
loi réponde mieux qu'il ne le fait actuellement ou sur lesquels il conviendrait
que le Gouvernement apporte des précisions ou des assurances.
Le premier enjeu concerne la solidarité entre les territoires.
Je souhaite tout d'abord dire que, fort heureusement, le fonds d'amortissement
des charges d'électrification, le FACE, dont on a déjà parlé, n'est pas
modifié.
Il a été créé en 1936 pour équilibrer la logique du marché dans ses effets
négatifs sur le service public. Il a été maintenu en 1946 lors de la
nationalisation des entreprises électriques. En effet, un but industriel et
commercial ayant été assigné à EDF, il était indispensable de laisser aux
collectivités publiques - Etat et collectivité concédantes, avec l'aide du FACE
- la responsabilité du développement des réseaux ruraux, puisque ces travaux ne
pouvaient pas être rentables pour EDF.
Permettez-moi d'insister sur le fait que l'actuel projet de loi, dans aucune
de ses dispositions, ne porte atteinte au FACE, dont l'utilité ne fera
d'ailleurs que progresser avec le développement des activités économiques
modernes.
Celles-ci nécessitent que tous les réseaux, y compris ceux qui sont situés
dans les zones rurales, soient aptes à livrer de l'électricité dans des
conditions de qualité accrue.
Mais, dans un contexte où les acteurs du marché préféreront, à l'évidence, que
les fonds destinés à l'électricité soient affectés à des investissements plus
rentables pour eux que la desserte des zones rurales françaises, il convient
d'être très attentif à ce que le FACE ne soit pas affaibli d'une manière ou
d'une autre.
C'est ainsi que toute frontière floue entre le FACE et le fonds de péréquation
de l'électricité, qui pourrait être envisagée par certains, nuirait à la clarté
du dispositif et favoriserait des dérives contraires à l'intérêt général.
Le deuxième enjeu porte sur l'environnement.
Alors que tout le monde s'accorde à dire que les énergies renouvelables et la
maîtrise de la demande d'électricité sont à développer, on constate que le
Gouvernement procède, certes, à leur promotion, mais prend, dans le même temps,
des mesures qui leur sont défavorables. C'est cette politique que je voudrais
évoquer en quelques mots.
De nombreuses collectivités locales, principalement les grands syndicats
d'électricité et de gaz, ont mis en oeuvre, ces dernières années, d'importants
programmes d'alimentation en électricité de sites isolés grâce à des
dispositifs photovoltaïques, éoliens ou hydroélectriques.
Bien sûr, cela ne remplacera ni l'énergie nucléaire ni la production
d'électricité par le gaz. Mais les sources locales et renouvelables méritent,
elles aussi, d'être développées de manière maîtrisée, même si, seules, elles ne
sont évidemment pas à la dimension des besoins énergétiques totaux de notre
pays.
Il en est de même des économies d'énergie ou, plus généralement, de la
maîtrise de la demande. De nombreuses collectivités locales sont prêtes à
intervenir. Mais leurs élus responsables sont actuellement freinés par une
grande insécurité juridique quand ils passent commande de travaux ou de
prestations en la matière. Fort heureusement, l'article 17 du projet qui nous
est soumis résout en partie ce problème.
J'aimerais toutefois avoir des assurances sur la mise en oeuvre rapide de
cette disposition par la parution, sans délai excessif, du décret prévu.
Un autre problème subsiste : les collectivités ne peuvent pas récupérer la
TVA, ce qui crée une disparité inexplicable avec les travaux classiques, pour
lesquels la TVA est récupérable.
Il semblerait souhaitable que le Gouvernement mette en cohérence ses pratiques
fiscales avec ses orientations énergétiques, orientations traduites dans le
projet de loi que nous examinons aujourd'hui.
Le troisième enjeu est celui de la transparence.
Tout le monde le sait, le marché ne fonctionnera bien que si la transparence
s'instaure réellement.
Il en sera de même pour le service public : la transparence à l'égard des
autorités de contrôle sera indispensable pour éviter que les consommateurs
captifs ne paient pour les consommateurs éligibles. Il appartiendra donc à
l'Etat et aux collectivités concédantes d'exercer, à des échelons
complémentaires, la régulation du service public.
La régulation du marché sera, quant à elle, du ressort de la future commission
de régulation, dont la mission portera sur le jeu libre, loyal et non
discriminatoire du marché, c'est-à-dire des activités commerciales qui ne
feront plus partie du monopole.
Je voudrais souligner que, pour que soit réellement contrôlée l'exécution des
missions de service public du secteur électrique, il conviendra que les
opérateurs concernés, en premier lieu EDF, fassent preuve de la transparence
voulue à l'égard des ministères et des collectivités concédantes.
Pour entrer plus avant dans le détail, je souhaite insister sur un aspect
essentiel de la directive, et donc du projet de loi : l'infrastructure sera
désormais séparée de la vente du produit. Autrement dit, le métier se scindera
en deux volets.
La première partie du métier d'EDF correspondra aux activités liées aux
réseaux, pour lesquelles cette entreprise restera en situation de monopole. Il
faudra que l'exécution de cette mission s'équilibre en recettes et en dépenses.
Heureusement, l'avenir du tarif unique national sera conforté par l'existence
du FACE, qui atténue les disparités d'une collectivité à l'autre en matière de
coûts d'investissement.
Cette péréquation des coûts sera, en outre, perfectionnée, si nous adoptons le
texte qui nous est proposé, grâce au fonds de péréquation de l'électricité,
dont la compétence porte sur le fonctionnement.
L'autre partie du métier actuel d'EDF comprendra la fourniture d'électricité,
c'est-à-dire, en quelque sorte, la production et la vente d'électrons.
Cette partie sera progressivement soumise à la concurrence. Il sera donc
essentiel que les entreprises telles que EDF ne puissent, en aucune manière,
financer cette activité concurrentielle avec des économies qu'elles feraient
sur des activités en monopole. Je ne voudrais pas, par exemple, que la
promotion du chauffage électrique à Paris ou l'achat d'entreprises à l'étranger
soit subventionné par des économies réalisées par le renvoi aux calendes
grecques d'indispensables renouvellements d'ouvrages électriques ruraux.
Il est donc essentiel qu'une étanchéité comptable crédible existe entre ces
deux activités. Il faudra, par conséquent, que l'Etat, à l'échelon national, et
les collectivités concédantes, à l'échelon local, contrôlent véritablement
l'absence de subventions croisées.
J'aimerais, monsieur le secrétaire d'Etat, avoir des assurances sur ce point
fondamental, en ce qui concerne notamment les moyens dont l'Etat et les
collectivités concédantes disposeront pour ce faire.
Le quatrième enjeu, lié à la transparence, est celui de la démocratisation.
Pour que la distribution d'électricité reste véritablement un service public,
il est nécessaire d'en accentuer le caractère démocratique, c'est-à-dire de
renforcer le rôle des responsables élus par les citoyens.
Notre pays a connu pendant les années quatre-vingt-dix un très utile renouveau
des attributions des collectivités concédantes.
Après avoir renégocié leurs contrats de concession avec EDF, ces dernières
sont maintenant nombreuses à représenter localement, de manière effective,
l'intérêt général, à côté de la logique industrielle et commerciale d'EDF.
Ce renouveau n'est toutefois pas entièrement satisfaisant en ce sens qu'il
existe encore quelques départements dans lesquels les collectivités concédantes
sont trop morcelées pour être efficientes.
Il serait du rôle de l'Etat de mieux inciter les communes à se regrouper dans
le domaine de l'électricité.
Telle est ma conviction : la démocratie n'est possible que lorsque les élus
locaux disposent de réels moyens pour exercer les missions qui sont les
leurs.
Enfin, le dernier enjeu concerne les ressources financières des collectivités
locales.
Il porte sur la redevance d'occupation des domaines publics communaux ou
départementaux par les lignes électriques, sujet évoqué par notre collègue Jean
Besson.
La plupart des communes ne reçoivent, de la part d'EDF, que 5 francs par an
pour la totalité du réseau électrique, et ce tarif est resté inchangé depuis
1956.
Si l'existence de cette redevance n'était pas justifiée, ce que je ne crois
pas, personnellement, il faudrait la supprimer. Mais, dans le cas contraire, il
convient de ne pas la laisser à ce niveau ridiculement bas. Nous aimerions
connaître les intentions du Gouvernement sur le relèvement de cette
redevance.
Tels sont les principaux enjeux de ce projet de loi sur lesquels je désirais
intervenir et pour lesquels je souhaiterais, monsieur le secrétaire d'Etat, que
vous nous précisiez les orientations que vous entendez adopter.
L'ouverture à la concurrence va entraîner des mutations profondes, mutations
nécessaires, qui risquent d'engendrer certaines inégalités, avec des
répercussions en termes d'aménagement du territoire. Il nous revient donc, pour
assurer la réussite de cette ouverture à la concurrence, de faire en sorte que
tout risque soit écarté.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Murat.
M. Bernard Murat.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
nous sommes aujourd'hui appelés à transposer la directive européenne de 1996
relative au marché intérieur de l'électricité. Cette directive résulte, je vous
le rappelle, du fait que, pour la Commission européenne, un grand marché
intérieur est impensable sans un marché intégré de l'énergie.
Dans une civilisation industrielle, l'électricité est un produit de toute
première nécessité aussi bien pour les usagers domestiques que pour les
entreprises.
L'énergie est une composante essentielle des prix industriels. Dans certaines
branches comme la chimie, les plastiques et l'aluminium, elle représente
jusqu'à 60 % des coûts de production ! Or, selon la Commission européenne, les
prix de l'électricité sont, en moyenne, de 40 % plus élevés en Europe qu'aux
Etats-Unis : 16,5 centimes outre-Atlantique, contre 25 centimes en Europe ! De
plus, à l'intérieur même de l'Europe, ils varient considérablement d'un pays à
l'autre.
Aussi ce projet de loi constitue-t-il un enjeu essentiel pour notre économie,
non seulement à court terme mais aussi et surtout à long terme. En effet, la
libéralisation du marché de l'électricité devrait permettre aux industriels
français d'engranger des parts de compétitivité sur les pays tiers.
Par ailleurs très attaché à l'approche développée par le général de Gaulle,
j'estime que l'expansion économique doit garder pour objectif de favoriser le
progrès social, ce dernier devant permettre l'élévation constante et
systématique du niveau de vie de l'ensemble de la population.
Si je suis favorable au désengagement de l'Etat au sein des entreprises, je
considère donc que ce désengagement ne doit en aucune façon prohiber toute
intervention de l'Etat tendant à réguler le marché.
C'est pourquoi je regretterais que les effets de cette libéralisation ne
soient pas acceptables sur un plan « sociétal ». En d'autres termes,
l'électricité étant à mes yeux un produit de première nécessité pour les
usagers domestiques, cette déréglementation ne doit pas remettre en cause le
respect des missions de service public qui sont actuellement dévolues à
Electricité de France : obligation de desserte, continuité du service, égalité
de traitement des usagers, sauvegarde de l'environnement, développement de la
recherche et des savoir-faire.
Par conséquent, mes chers collègues, une régulation extérieure du marché est
nécessaire pour au moins trois raisons.
En premier lieu, comme le prix de revient des fournitures dépend, dans une
large mesure, de la localisation du point de livraison, la loi du marché
aboutirait, si aucun correctif n'était appliqué, à de fortes inégalités.
En deuxième lieu, même si la concurrence existe au niveau de la production et
des fournitures, la plupart des consommateurs finaux restent néanmoins
prisonniers d'un réseau de transport et de distribution. Il faut donc protéger
leurs intérêts, d'autant que les entreprises électriques pourraient être
tentées de récupérer sur les clients captifs le coût des avantages qu'elles ont
consentis aux clients éligibles.
En troisième lieu, la concurrence risque d'être faussée par des abus de
position dominante, au détriment, notamment, des consommateurs et des
collectivités locales.
C'est pourquoi la création de la commission de régulation de l'électricité
m'apparaît comme un préalable indispensable à toute libéralisation du marché,
cette commission devant veiller à ce que l'accès au réseau soit accordé de
manière non discriminatoire, transparente et conforme aux règles de loyauté de
la concurrence.
De la même manière, j'estime qu'une intervention sur la réglementation des
tarifs, la détermination des seuils d'éligibilité ou de la programmation
pluriannuelle des investissements est également nécessaire.
Toutefois, monsieur le secrétaire d'Etat, je déplore le peu d'indépendance que
le Gouvernement accorde à la commission de régulation et la trop faible étendue
des pouvoirs qu'il lui laisse.
De même, je regrette le manque d'autonomie du gestionnaire du réseau ainsi que
les obstacles posés par la majorité plurielle pour décourager l'exercice de la
concurrence.
A ce propos, je tiens à rendre hommage à notre collègue Henri Revol. En effet,
ses propositions nous permettront, notamment, d'accroître l'efficacité des
autorités de régulation, de renforcer l'autonomie et l'impartialité du
gestionnaire du réseau de transport par rapport à tous les agents du marché et
de contribuer à un aménagement du territoire plus équilibré.
Ainsi, par une régulation extérieure, indépendante et renforcée du marché de
l'électricité, nous serons en présence non d'un Etat dictateur ou d'un Etat
spectateur, mais d'un Etat acteur du progrès social.
Ces considérations sur le rôle économique et social de l'Etat m'amènent à
m'interroger sur son action au sein de la Communauté européenne.
De la confrontation entre le service public et le droit communautaire, tout ou
presque a été dit : pour les uns, affrontement sans issue ou démembrement ;
pour les autres, rencontre promise à un avenir paisible grâce aux évolutions
qu'impose à chacun leur coexistence.
En réalité, l'érosion que subissent les services publics au contact du droit
communautaire n'est qu'un symptome. L'Europe communautaire a moins mis en cause
le service public que l'action publique dans son ensemble, c'est-à-dire toutes
les formes ou tous les procédés à travers lesquels l'Etat ou les collectivités
publiques sont supposés modeler les rapports entre l'homme et l'économie.
Quand des institutions publiques ou des entreprises investies de prérogatives
de puissance publique sont invitées à réviser leurs relations avec d'autres, ce
sont les services qu'elles assurent qui peuvent en être affectés.
Quand, au nom de la liberté des prestations de services ou de la liberté de
circulation des marchandises, des réglementations nationales sont frappées de
paralysie, c'est encore une autre dimension de l'action publique qui peut être
partiellement affectée.
Ainsi, les diverses composantes de l'action publique évoluent sous l'influence
de la construction communautaire.
Certes, l'action de l'Etat et des collectivités territoriales a été préservée
de diverses manières. Certes, à l'emprise des règles communautaires
correspondant aux exigences du marché des limites ont été apportées. Mais il
nous appartient maintenant d'assurer de nouvelles assises à l'action publique.
Elle pourrait, par exemple, se vouer à garantir l'exercice des droits
fondamentaux de la personne.
Ainsi, comme le soulignait le professeur Antoine Lyon-Caen, les acteurs
publics ne seront pas seulement habilités à façonner les béquilles d'un marché
défaillant, ils ne seront pas seulement les tuteurs des consommateurs et de
leurs besoins : ils auront la charge de mettre en oeuvre des droits.
Le général de Gaulle, d'ailleurs, avait déjà anticipé sur cette dérive en
demandant de toujours placer l'homme au centre du projet.
Pour en revenir à la situation juridique actuelle du secteur de l'Electricité,
on peut être tenté de croire que tout ce qui est électrique dans notre pays
relève d'Electricité de France. Le cadre juridique y est, en réalité, plus
complexe et la compétence des collectivités locales plus étendue, bien que
faiblement exercée.
Depuis la loi de nationalisation du 8 avril 1946, la production, le transport,
la distribution ainsi que l'exportation et l'importation de l'électricité en
France sont assurés par EDF. Toutefois, ce monopole n'est que partiel.
En effet, d'une part, il existe des exceptions à ce monopole, qui concernent
essentiellement les entreprises de production et de distribution d'électricité
placées sous le contrôle de capitaux publics ou de coopératives au moment de la
nationalisation.
D'autre part, je note que les collectivités locales, essentiellement les
communes, restent toujours propriétaires de leurs réseaux à moyenne et basse
tension, ce qui représentent 90 % de la longueur des réseaux électriques en
France.
Actuellement, en matière d'électricité, la principale compétence des
collectivités locales s'exerce sur le développement des réseaux ruraux. En
effet, en milieu urbain, la maîtrise d'ouvrage des réseaux appartient à EDF.
Les collectivités sont maîtres d'ouvrage des réseaux, notamment pour leur
renforcement et leur extension.
C'est donc dans les travaux, plus que dans la gestion, qu'elles exercent un
certain pouvoir. Le fonds d'amortissement des charges d'électrification,
financé largement par les usagers urbains, permet de subventionner ces travaux
de manière importante.
Comme le rappelait mon ami Philippe Marini lors d'un colloque organisé au
Sénat en juin dernier, ce projet de loi consolide le rôle des collectivités
locales en tant que concessionnaires du service public de distribution. De
même, il assouplit les conditions de production d'électricité par les
collectivités locales. Cela devait être souligné.
Toutefois, monsieur le secrétaire d'Etat, certaines difficultés ne sont
toujours pas levées.
Ainsi, en prenant le seuil minimal requis par la directive comme plafond, le
Gouvernement écarte les collectivités locales du mouvement de baisse des prix
dont bénéficieront les clients éligibles. Quand on connaît tous les efforts
faits par les élus locaux pour diminuer la pression fiscale sur leurs
concitoyens, il est regrettable de ne pas leur ouvrir cette possibilité. En
tant qu'élu local, je ne peux me résigner à leur exclusion de l'éligibilité.
Comme le rappelle Tocqueville, « la vie politique locale n'est autre chose que
la liberté ». Monsieur le secrétaire d'Etat, en faisant le choix de fermer la
voie de la libéralisation de l'électricité aux collectivités locales, l'actuel
gouvernement porte atteinte à l'accomplissement de la décentralisation, et je
crains que votre projet de loi ne soit considéré par Bruxelles comme non
conforme à la directive de 1996.
C'est pourquoi je vous demande instamment, monsieur le secrétaire d'Etat, de
prévoir, dans le décret d'application relatif au seuil d'ouverture du marché,
un système dérogatoire permettant aux collectivités territoriales, quelle que
soit leur consommation d'énergie, de bénéficier de la libéralisation du marché
de l'eléctrivité afin qu'elles puissent à leur tour en faire bénéficier les
contribuables français.
(Applaudissement sur les travées du RPR, des
Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Pastor.
M. Jean-Marc Pastor.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'état, mes chers collègues, mon
intervention s'inscrit dans le prolongement des propos tenus par mes collègues
Henri Weber et Jean Besson.
Le texte que nous examinons aujourd'hui était, nous le savons tous, soumis à
une date butoir puisque le 19 février 1999, en application d'une directive
européenne du 19 décembre 1996, le marché de l'électricité s'est ouvert à la
concurrence.
Il s'agit d'une concurrence non pas débridée mais, ainsi que l'a souhaité le
Gouvernement, progressive et encadrée, en fonction de seuils de consommation,
et réservée aux seuls gros consommateurs, qui pourront choisir librement leurs
fournisseurs.
Certaines entreprises s'approvisionnent déjà auprès d'autres vendeurs, comme
Usinor, à Dunkerque, ou Shell, à Fos.
Ainsi, même en l'absence d'une transposition dans notre droit, les principales
dispositions de la directive sont entrées en vigueur dès le 19 février 1999.
Faute de ce projet de loi, cela aurait pu présenter un risque, notamment pour
la protection de notre service public.
Cette directive, nous l'avions, il est vrai, vivement combattue parce qu'elle
s'inscrivait dans une logique très libérale. Toutefois, elle n'a jamais suscité
de notre part une opposition de principe. En vérité, nous souhaitions qu'un
certain nombre de points qui nous tenaient à coeur soient satisfaits, comme la
prise en compte du long terme, l'indépendance énergétique ou l'harmonisation
des règles sociales, écologiques et de sécurité.
La directive a donc fait en son temps - chacun s'en souvient - l'objet de
longs débats et de négociations. Il en est de même du projet de loi qui en
découle.
Celui-ci est d'une importance majeure puisqu'il touche à l'un des fondements
mêmes de notre République, à savoir le service public, en l'occurrence le
service public de l'électricité, organisé jusqu'ici par un dispositif
législatif de 1946.
Il s'agit de continuer à garantir l'accomplissement des missions de service
public à la française tout en ouvrant progressivement le marché de
l'électricité, dans les limites et selon le rythme imposés par la fameuse
directive.
Pour la majorité des Français, le service public de l'électricité, c'est EDF,
une entreprise à laquelle ils sont, à juste titre, très attachés. Cette
entreprise publique a, certes, de nombreux attouts pour relever le défi qui
s'ouvre devant elle, et ce projet de loi, en précisant ses missions, lui
confère tous les moyens d'affronter la concurrence tout en préservant le
service public.
Pour autant, le secteur public de l'électricité, ce n'est pas seulement EDF,
principalement en ce qui concerne la distribution de l'électricité.
D'autres acteurs concourent à cette composante du service public ; je veux
parler, bien sûr, des collectivités locales, par le biais des régies ou des
syndicats départementaux d'électrification, qui ont la responsabilité de
l'organisation de la distribution de l'électricité.
Propriétaires du réseau de distribution, les collectivités locales disposent
d'un patrimoine très important. Pour le Tarn, par exemple, elles sont
propriétaires, notamment, de 7000 kilomètres de lignes « moyenne tension », de
7 000 kilomètres de réseau « basse tension », de 7 000 transformateurs et de
plus de 150 000 branchements. C'est pourquoi il me semble important de ne pas
les oublier dans ce débat, de ne pas occulter le rôle qu'elles ont joué
jusqu'ici et de confirmer le rôle qui devra être le leur à l'avenir dans la
nouvelle configuration.
Quelle est la mission d'un syndicat départemental ? Autorité concédante du
réseau public d'électricité par délégation des communes membres - mon collègue
Jean Besson l'a rappelé, d'autres aussi - il travaille obligatoirement en
étroite collaboration avec EDF, seul concessionnaire, à l'exception des
collectivités qui exploitent en régie. Depuis 1993, ce partenariat s'est
renforcé et est illustré par de nouveaux droits et obligations pour chacune des
parties au contrat. Ainsi, les syndicats départementaux ont désormais un droit
et une obligation de contrôle sur la bonne exécution du contrat de concession
lui-même.
A cet égard, il me paraît utile que le contrôle exercé par les collectivités
concédantes ne soit pas remis en cause, et même qu'il soit renforcé, ce que
prévoit ce projet de loi.
Les deux parties peuvent également réaliser des investissements communs en
matière d'environnement, notamment : je fais ici allusion à l'enfouissement des
lignes, par exemple.
Mais, surtout, EDF, ne l'oublions pas, doit verser aux syndicats une redevance
de concession leur permettant de concourir aux investissements qu'ils
supportent au titre des missions de service public.
Cette redevance constitue donc l'une des principales recettes dont disposent
les syndicats pour assumer leurs missions sur le réseau en zone urbaine,
l'autre partie étant constituée par les crédits du fonds d'amortissement des
charges d'électrification, le FACE, destiné à financer les travaux
d'électrification en zone rurale.
Le FACE est alimenté annuellement selon un taux fixé en loi de finances. Le
projet de loi que vous nous soumettez aujourd'hui ne remet pas en cause
l'existence du FACE. Cependant, parce que son alimentation constitue un enjeu
majeur, nous souhaiterions, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'elle soit
maintenue dans ses montants. En effet, le FACE est alimenté par un prélèvement
d'environ 2 % sur les recettes des distributeurs d'électricité - EDF ou les
régies, jusqu'à présent.
C'est pourquoi nous souhaiterions savoir si les opérateurs qui, demain,
concurrenceront EDF sur le marché lors de l'abaissement des seuils, seront eux
aussi assujettis au FACE. Il est impératif de maintenir le financement de ce
fonds, je le redis, car il y a encore sur notre territoire, principalement dans
les zones rurales, des besoins importants en matière de renforcement de réseaux
mais également en matière de dissimulation, pour améliorer l'environnement de
nos zones rurales.
Par ailleurs, il ne saurait exister de confusion entre cet instrument, qui
sert donc à financer les investissements sur le réseau dans les conditions que
j'ai évoquées, et le fonds de préréquation des charges de service public, fonds
qui, créé par ce projet de loi - c'est une bonne chose - sera alimenté par les
nouveaux opérateurs, mais, lui, pour assurer le fonctionnement du réseau
électrique. Je souhaiterais, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous nous
donniez aujourd'hui quelques précisions sur ces questions.
En conclusion, le projet de loi que vous nous soumettez est un texte sage,
raisonné et équilibré, n'en déplaise à certains que j'ai entendus ici et là.
L'ouverture maîtrisée, largement maîtrisée, et progressive du secteur
électrique était nécessaire : vous avez fait ce choix, et nous nous en
réjouissons. L'entreprise EDF n'est en rien démantelée - c'est important - et
elle continuera à être le premier électricien européen. Pour la première fois
dans un texte de loi sont définis le service public de l'électricité et le
droit à l'électricité pour tous, droit fondamental dans notre société. Le
service public est conforté, rénové et amélioré.
Lors de la discussion des articles, nous vous proposerons, monsieur le
secrétaire d'Etat, quelques amendements tendant, me semble-t-il, à améliorer
encore le texte et à conforter tout à la fois la démocratie et la protection du
service public comme de ses agents face à une nouvelle situation, une situation
de concurrence.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Emmanuel Hamel.
La sagesse du Tarn !
(Sourires.)
M. le président.
La parole est à M. Hérisson.
M. Pierre Hérisson.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
avant d'expliquer ma position sur le présent projet de loi, je veux exprimer
ici notre mécontentement quant à la précipitation avec laquelle nous devons
examiner un aussi vaste et important sujet. Nous avons en effet dû lire quatre
cent cinquante pages de rapport en quarante-huit heures !
L'Assemblée nationale a voté le texte au mois de mars dernier. Pourquoi avoir
attendu près de huit mois pour le soumettre au Sénat ? En quoi la procédure
d'urgence est-elle justifiée ? Une lettre adressée par M. le ministre des
relations avec le Parlement au président du Sénat indique que le vote définitif
du texte est envisagé pour la deuxième quinzaine de janvier 2000. Nous avions
cru comprendre que la réforme était urgente. Peut-être pourrez-vous, monsieur
le secrétaire d'Etat, nous expliquer les réelles motivations du Gouvernement
!
Ma première remarque porte sur le retard pris dans la transposition de la
directive. Incontestablement, il nuit aux acteurs français du secteur, qu'il
s'agisse des producteurs, et tout spécialement d'EDF, ou des grands
consommateurs.
En effet, ce retard gêne leur positionnement immédiat dans un marché européen
en pleine évolution. Les mesures transitoires prises en matière d'ouverture des
réseaux limitent, certes, les risques contentieux, mais il n'en demeure pas
moins que, si la procédure législative ne parvient pas à son terme rapidement,
c'est-à-dire avant la fin de l'année, des mois précieux auront été perdus à un
moment crucial pour le secteur électrique français.
M. Henri Weber.
C'est la faute à Juppé !
(Rires sur les travées socialistes.)
M. Pierre Hérisson.
A cet égard, je rappelle que le procesus de libéralisation du marché
électrique a connu une formidable accélération dans les pays européens, à
l'exception de la France. Nous ne pouvons donc que constater le décalage
inquiétant qui se creuse entre notre situation et celle de nos voisins et
partenaires européens.
Le retard de notre pays aura des conséquences dramatiques dans la course à la
compétitivité.
Dans un contexte de mondialisation, les entreprises tentent d'adapter leurs
coûts à des prix qui deviennent une donnée, et l'énergie fait de plus en plus
partie de ces coûts. La problématique est donc bien énergétique et non pas
seulement électrique.
Par ailleurs, la France est dans une situation d'insécurité juridique depuis
le 19 février dernier. Aujourd'hui, les transactions effectuées dans le secteur
énergétique se déroulent dans un vide juridique complet. Les contrats sont-ils
signés sous l'empire de la loi de 1946, d'une directive non transposée ou d'un
projet de loi appelé à être modifié ? Le temps économique ne correspond pas au
temps politique ou législatif. Quotidiennement, cette situation est
préjudiciable à tous les acteurs du secteur. Elle est porteuse de risques : les
investissements qui se décident en ce moment seront plutôt réalisés hors de
France. Nous paierons cher ce double retard, économique et juridique.
Vous avez choisi, monsieur le secrétaire d'Etat, de procéder à une bien
timide transposition de la directive. Compte tenu du nombre très faible de
clients éligibles, parler d'ouverture à la concurrence constitue presque un
abus de langage. Nos partenaires européens ont, quant à eux, décidé d'aller
beaucoup plus loin. Ainsi, en Allemagne, au Royaume-Uni, en Finlande et en
Suède, tous les consommateurs sont appelés à devenir clients éligibles dès
1999.
En outre, vous nous présentez un texte totalement déconnecté de la réalité
industrielle, un texte traduisant uniquement la volonté de sauvegarder la
gauche plurielle et de préserver la paix syndicale. Toute votre stratégie vise
à empêcher le secteur de se moderniser, de s'adapter à un marché européen en
pleine mutation et qui fonctionne en temps réel.
Une bonne loi est une loi qui maintient un certain équilibre. Or, le texte
dont nous discutons aujourd'hui est fondamentalement déséquilibré. Il offre
trop de protection aux acteurs qui sont déjà protégés, lesquels vont se sentir
de plus en plus prisonniers. Par ailleurs, il ne donne pas assez de liberté au
marché, ainsi qu'aux intervenants publics ou privés, qui doivent faire face, le
plus rapidement possible, à de nouveaux défis.
Je suis convaincu qu'il est indispensable d'assurer une certaine fluidité au
marché de l'électricité, sous peine de retarder les évolutions. A ce titre, la
limitation de la pratique du
trading
me paraît l'un des points les plus
contestables du projet de loi. J'aurai l'occasion d'y revenir lors de la
discussion des articles. Cette mesure me paraît tout simplement contraire au
principe d'égalité des chances entre concurrents. Elle introduit en réalité une
profonde asymétrie de concurrence au profit de l'opérateur historique compte
tenu de l'importance de sa production.
En outre, la libéralisation nécessite l'indépendance du gestionnaire du
réseau. Alors que vous avez prévu de confier la gestion du réseau de transport
à l'opérateur public, le Conseil de la concurrence, dans son avis d'avril 1998,
estimait que seule, en l'état du marché français, l'organisation autour d'un
établissement distinct d'EDF serait de nature à assurer une concurrence non
faussée. Selon nous, la meilleure garantie d'indépendance du GRT passe par sa
filialisation. Pour permettre l'accès du réseau aux opérateurs privés, il est
essentiel de dissocier les trois fonctions d'EDF : production, transport et
distribution. La filialisation de l'activité transport est la seule manière
d'assurer l'indépendance du gestionnaire. Dans ces conditions, l'intégrité de
l'entreprise, de même que le statut du personnel, ne sera pas remise en cause,
dans la mesure où 100 % du capital restera sous son contrôle.
A ce propos, la transformation de l'établissement public EDF en société
anonyme à capitaux publics pourrait être envisagée.
M. Gérard Delfau.
Mais c'est bien sûr !
M. Pierre Hérisson.
Cette structure juridique aurait pour avantage de lui permettre de contracter
des alliances industrielles, notamment internationales, et de créer plus
facilement des filiales.
Quant à la commission de régulation de l'électricité, il paraît tout à fait
primordial qu'elle soit indépendante et impartiale. Le régulateur doit être,
selon nous, le garant de l'équilibre du système. Ainsi, la présence du
commissaire du Gouvernement au sein de la CRE pose un grave problème, comme le
soulève le rapporteur de la commission des affaires économiques. Comme lui,
nous souhaitons que soit créée une autorité de régulation indépendante à la
fois des opérateurs et de l'administration, mais liée à l'Etat. A cet égard,
l'exemple de l'Autorité de régulation des télécommunications doit utilement
guider notre travail.
Par ailleurs, au-delà de cette condition d'indépendance, le régulateur doit
faire preuve de plusieurs qualités. Il doit d'abord être puissant, vu
l'importance du marché qu'il est chargé de réguler. Il doit ensuite être
flexible afin de suivre les évolutions d'un marché en permanente mutation.
Enfin, il doit faire preuve de cohérence.
En matière sociale, mes collègues du groupe de l'Union centriste et moi-même
avons souhaité prendre deux initiatives. La première concerne l'extension aux
nouveaux entrants du statut des personnels des industries électriques et
gazières. Cette disposition nous apparaît tout à fait contraire au droit
communautaire et au principe constitutionnel d'égalité devant la loi. Le fait
d'imposer ce statut aux opérateurs privés risque, en outre, de représenter pour
eux un surcoût estimé à 40 %, d'après les chiffres fournis par EDF. Cela
donnera un avantage considérable aux entreprises étrangères, qui ne seront pas
soumises à l'obligation d'appliquer le statut, et ne manquera pas d'encourager
les délocalisations. C'est la raison pour laquelle nous proposerons, lors de
l'examen des articles, la suppression de cette disposition.
En outre, il apparaît indispensable d'améliorer la transparence de la gestion
du régime de retraite des agents d'EDF. La Cour des comptes...
M. Emmanuel Hamel.
Noble institution !
M. Pierre Hérisson.
... a déjà appelé à plusieurs reprises l'attention des dirigeants de certaines
entreprises publiques, notamment d'EDF, sur l'urgence qu'il y a à mentionner,
de manière précise et complète, les engagements de retraites de leur personnel.
Une entreprise comme EDF devra faire face à des charges futures très élevées
qu'il convient d'évaluer et de prendre en considération dans les états
comptables et financiers. A ce jour, elle présente des informations
parcellaires sur ces questions, en parfaite contradiction avec les règles du
code de commerce.
Avant de conclure mon propos, j'insiste sur l'importance qu'il y a à faciliter
l'exercice des missions dévolues aux collectivités locales responsables du
service public de la distribution. Il me semble juste d'aligner les procédures
d'autorisation des installations de production des collectivités territoriales
sur le droit commun. Il m'apparaît également souhaitable de revoir les
modalités de rétribution de ces collectivités par leur concessionnaire pour
l'occupation du domaine public. Comme l'a souligné M. le rapporteur, le prix
des redevances n'a pas été révisé depuis plus de quarante ans. Il est temps de
le faire.
L'industrie électrique française a devant elle des opportunités que le
Gouvernement ne cesse de différer, opportunités offertes à EDF, aux clients
éligibles et aux non-éligibles. Ces derniers, particulièrement les petites et
moyennes entreprises, n'ont pas encore réalisé l'importance des changements en
cours, car, monsieur le secrétaire d'Etat, vous ne les avez pas suffisamment
sensibilisés. Pendant ce temps-là, leurs concurrents européens expérimentent
déjà de nombreuses manières de négocier l'électricité.
Il aurait fallu transposer la directive « électricité » avec lucidité et
réalisme. Vous avez choisi, monsieur le secrétaire d'Etat, pour des raisons
politiques, la prudence. En imaginant que notre pays pourra se contenter de
quelques modestes aménagements, vous avez sous-estimé la réalité de la
concurrence mondiale, actuelle et à venir.
Il s'agit d'un grand rendez-vous manqué au détriment de l'opérateur public et,
en définitive, de l'intérêt national. Ces propos valent également pour la
future transposition de la directive concernant le marché intérieur du gaz
naturel. Mais il s'agit là d'un autre débat !
Enfin, monsieur le secrétaire d'Etat, pour éviter les redites, j'indique que
je souscris totalement à l'intervention de notre collègue Michel Mercier
concernant la Compagnie nationale du Rhône.
(Applaudissements sur les
travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Gérard Larcher.
M. Gérard Larcher.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nos
services publics industriels et commerciaux, forgés à la Libération, ont
puissamment contribué, dans leur organisation actuelle, au développement de
notre pays au cours du dernier demi-siècle.
Mais, aujourd'hui, un de nos défis politiques majeurs réside bien dans
l'adaptation de ces services publics à la nouvelle donne que constituent la
construction européenne et la globalisation de l'économie.
Ce constat est évident, et je sais qu'il est partagé ici par nombre d'entre
nous, au-delà des lignes de clivage de nos engagements respectifs.
Pourtant, quand il s'agit d'avancer dans la voie de cette adaptation, toutes
les crispations conservatrices se réveillent. Et plutôt que de procéder aux
changements nécessaires en temps utile, c'est-à-dire au moment où il est encore
possible d'en diluer certains effets qui peuvent paraître amers dans la durée,
on préfère les différer, quitte à accroître par là même la pénibilité des
efforts qu'il est et sera inéluctable de faire.
A l'inverse, lorsqu'on décide de dire la vérité, de poser concrètement les
problèmes, d'avancer résolument en réformant sans brutalité mais avec clarté et
fermeté, on s'aperçoit alors que, finalement, tous y gagnent.
M. Dominique Braye.
Très bien !
M. Gérard Larcher.
Le gouvernement de M. Alain Juppé et notamment son ministre des postes et des
télécommunications, M. François Fillon, ont fait preuve d'une telle
détermination en 1996, en effaçant le monopole de France Télécom sur la
téléphonie entre points fixes et en changeant le statut de notre opérateur
public.
M. Henri Weber.
Après Quilès !
M. Gérard Larcher.
Souvenons-nous de ce que l'on entendait à l'époque ! Souvenons-nous de la
défense du service public à la française, qui dissimulait en fait, pour
beaucoup, reconnaissons-le aujourd'hui, une crispation sur le
statu quo,
voire de nouvelles formes de corporatisme.
(Exclamations sur les travées
socialistes.)
Mais la réforme a été engagée, votée par le Parlement et apppliquée par les
gouvernements successifs. On peut commencer aujourd'hui à en établir un
prébilan.
On s'aperçoit que tous, même ceux qui la craignaient, y ont, en définitive,
gagné.
Les salariés de France Télécom ? Leur statut a été préservé, ils sont devenus
actionnaires de leur entreprise et ils continuent à appartenir à un grand
opérateur de taille mondiale auquel l'avenir doit demeurer ouvert s'il sait
continuer à s'adapter à une donne qui ne cesse d'évoluer. Alors qu'il était le
quatrième opérateur mondial, il occupe aujourd'hui le onzième rang ; c'est une
réalité à laquelle nous ne pourrons pas échapper, au-delà même de cet
hémicycle.
Les consommateurs ? Leurs factures ont globalement diminué et ceux qui
téléphonent beaucoup et loin y ont gagné. Pour autant, nos concitoyens les plus
modestes n'ont pas été pénalisés.
(M. Gérard Delfau s'exclame.)
Bien au
contraire, ils peuvent bénéficier de tarifs d'abonnement à prix réduit et la
loi - celle qui a été adoptée par le Parlement en 1996, d'ailleurs sur
l'initiative du Sénat - interdit de leur couper « le fil de la vie ». En outre,
les prestations qui sont proposées aux consommateurs se sont élargies et
diversifiées : le nombre des personnes qui ont accès à la téléphonie mobile a
été multiplié quasiment par dix en trois ans. Pourtant, chère madame Bardou, il
y a encore de nombreux territoires à desservir, et vous vous y employez.
M. Emmanuel Hamel.
Quel beau territoire que la Lozère !
M. Gérard Larcher.
Les entreprises ? Elles ont bénéficié à plein des modulations et des baisses
de tarif, ce qui leur a permis d'alléger leurs charges et, par là, d'améliorer
leur compétitivité, en évitant de recourir, par des procédures de
call back,
à des entreprises extérieures. Leurs clients en ont bénéficié et, avec eux,
l'ensemble de notre économie.
L'Etat ? La vente des actions de France Télécom lui a apporté des recettes qui
lui ont d'ailleurs permis de satisfaire aux conditions du traité de Maastricht
et d'abonder ses finances.
Les Français ? Ils sont devenus actionnaires d'un des fleurons de notre
économie et, de plus, ils ont réalisé l'une des plus belles opérations
boursières de la décennie écoulée.
Notre opérateur France Télécom ? S'il a vu s'éroder - je l'évoquais - une part
de son marché de la téléphonie fixe, il s'est fortement développé dans la
téléphonie mobile ainsi que dans l'accès à Internet. Il affiche de brillants
résultats et il est toujours dans la course dans un secteur où les nouvelles
technologies impulsent des mutations radicales, ainsi que les nouvelles
organisations des entreprises. C'est un sujet sur lequel il faudrait
revenir.
Notre économie ? Elle a bénéficié de plus de dix milliards de francs
d'investissements venant des opérateurs concurrents de France Télécom et des
milliers de créations d'emploi qu'ils ont suscités.
Je ne m'appesantirai pas sur ce sujet, car ce qui importe, c'est d'avoir bien
présent à l'esprit qu'en ce domaine c'est la réforme, et non l'immobilisme, qui
est gage de succès.
Je remarquerai simplement que la réforme des télécommunications a eu lieu
voilà plus de trois ans et qu'elle ne suscite guère aujourd'hui que des
réflexions sur son approfondissement. S'il fallait la faire seulement
aujourd'hui, les marges de manoeuvre qui existaient voilà trois ans encore
seraient considérablement réduites et cela imposerait sans doute des mesures
plus douloureuses et moins garantes de succès.
Or, que constate-t-on en analysant le présent projet de loi sur le service
public de l'électricité,...
M. Henri Weber.
Enfin !
M. Gérard Larcher.
... si ce n'est qu'il est plus inspiré par la crainte du changement que par
l'ambition du mouvement ?
Il a, certes, le mérite d'exister et d'entrouvrir la porte. Il marque un
premier pas et, bien sûr, il ne faut jamais mépriser les premiers pas. Mais
l'évolution qu'il prévoit est bien timide. Je sais que, sur ce dossier, les
acrobaties auxquelles est contrainte une majorité plurielle ne peuvent être
gage ni de lucidité ni de cohérence !
A cet égard, la frilosité dont fait preuve le Gouvernement pour transposer la
directive sur l'électricité en droit français ne peut qu'inquiéter ceux qui
pensent que l'avenir ne se construit pas dans les casemates de la ligne
Maginot.
Le Gouvernement fait-il donc si peu confiance à nos électriciens que, sous
prétexte de les défendre - et il faut les défendre - il les cantonne sur leur
pré carré national ?
M. Henri Weber.
Sûrement pas !
M. Gérard Larcher.
Alors que leur avenir, c'est le monde, il leur propose la rente illusoire du
protectionnisme.
Avec Electricité de France, nous avons la chance de disposer d'un grand et bel
outil industriel, fort de ses 130 000 agents et du succès de sa technologie,
notamment dans le domaine nucléaire ; M. le rapporteur et M. Valade l'ont
parfaitement exprimé. Or, le projet de loi ne semble pas se donner les moyens
de valoriser cet atout.
Déjà, les atermoiements de la majorité gouvernementale et le retard pris pour
transposer la directive ont beaucoup nui à notre opérateur public. Déjà,
d'autres sont beaucoup plus avancés que nous dans la voie de la réforme.
Pourtant, le texte qui nous est soumis, en surprotégeant notre opérateur,
risque d'entraver son développement international.
(Exclamations sur les
travées socialistes.)
M. Dominique Braye.
C'est évident !
M. Gérard Larcher.
Mes chers collèges, vous le savez, c'est parce que je suis attaché au service
public et aux missions qui lui incombent au service de nos concitoyens et de
nos entreprises que je souhaite le voir se moderniser, s'adapter aux évolutions
du monde qui l'entoure et se développer chez nos partenaires européens et
ailleurs. Premier électricien européen, en termes de chiffre d'affaires,
Electricité de France a les moyens et les compétences pour conquérir plus
encore des parts de marché à l'étranger. Cela lui sera d'autant plus nécessaire
que, sous l'effet de l'aiguillon concurrentiel inévitable, cette entreprise
perdra quelques parts de marché en France.
Or, Electricité de France risque de payer cher la frilosité et ce retard.
Déjà, la Commission européenne semble menacer de s'opposer à toute nouvelle
implantation de notre opérateur en Europe et nos voisins brandissent la clause
de réciprocité.
M. Henri Weber.
On tremble !
M. Gérard Larcher.
A cet égard, il convient de se réferer à London Electricity et à la
Grande-Bretagne.
Le Gouvernement a choisi d'ouvrir
a minima
- c'était son droit - le
marché de l'électricité à la concurrence, avec un seuil de 26 % dans un premier
temps, alors que le degré moyen d'ouverture - cela a été rappelé à de
nombreuses reprises aujourd'hui - chez nos partenaires européens est d'ores et
déjà de 60 %.
Pour ma part, je ne suis pas hostile à une adaptation progressive et sereine
aux règles de la concurrence. Ce peut parfois être le meilleur moyen d'amorcer
le mouvement. Cette évolution par étapes résulte d'ailleurs d'une volonté
partagée par nos gouvernements successifs. Cependant, encore faut-il ne pas
biaiser le jeu et garantir l'effectivité de cette concurrence partielle. Or, le
projet de loi, fruit de compromis politiques laborieusement négociés, sacrifie
la réalité aux apparences. Il n'organise en fait qu'une apparence de
concurrence ! Si je ne craignais pas de pasticher une formule publicitaire déjà
ancienne, je dirais que ce que le Gouvernement organise, c'est une concurrence
Canada dry !
Cela ressemble à de la concurrence, mais, en fait, cela
n'en est pas !
Loin d'être exhaustif, je ne ferai que citer quelques points.
Tout d'abord, le gestionnaire du réseau de transport reste dans le giron
d'EDF. De ce fait, ses décisions risquent d'être contestées, voire déférées au
juge.
M. Henri Weber.
On verra bien !
M. Gérard Larcher.
La commission de régulation est insuffisamment indépendante et ses missions
sont incomplètes.
L'interdiction du négoce d'électricité est aux antipodes de la lucidité
économique et conduit tout droit à une certaine forme de schizophrénie : pas de
négoce en France pendant que EDF crée une filiale de négoce à Londres !
L'encadrement des relations contractuelles entre fournisseurs et clients
éligibles méconnaît l'essence même d'un contrat.
L'obligation pour l'ensemble des entreprises du secteur d'appliquer le statut
des personnels des industries électriques et gazières entraîne un surcoût
important par rapport au secteur privé. N'est-il d'ailleurs pas légitime de se
demander jusqu'à quel point cette obligation pourra être mise en oeuvre tant
elle paraît être exposée aux foudres du droit européen ?
Enfin, la réflexion du Gouvernement sur l'avenir du secteur électrique manque
de souffle, la règle étant : « nier plutôt que fâcher ! ».
Le problème de l'avenir des retraites des électriciens me paraît
singulièrement oublié. Le montant de leur pension représentera pourtant dans
vingt ans 100 % de la masse salariale d'EDF ! Voilà une réalité qu'il faut
regarder en face, comme nous l'avons fait pour France Télécom, monsieur le
secrétaire d'Etat, et comme nous devrons le faire pour La Poste.
Je souhaite, monsieur le secrétaire d'Etat, que l'ouverture à la concurrence
du secteur électrique soit, certes, progressive, mais effective et clairement
programmée, avec des règles du jeu loyales et strictement définies.
M. Henri Weber.
C'est le cas ! Vous êtes donc comblé !
M. Gérard Larcher.
Il y va de l'intérêt de tous.
Nul n'appelle de ses voeux un bouleversement radical du droit existant qui
causerait des tétanies sociales inutiles. Mais le Sénat ne saurait se
satisfaire d'un texte qui se contente d'enclencher le mouvement sans éclairer
la suite du chemin. Quand on commence à traverser un gué, il faut savoir où
l'on va si l'on ne veut pas être emporté par le courant ou être amené à
renoncer au passage par crainte de la hauteur des flots !
M. Henri Weber.
Cela dépend de ce qu'il y a sur l'autre rive !
M. Gérard Larcher.
Je fais confiance à M. le rapporteur pour tracer cette voie qui est à même de
recueillir l'assentiment du Sénat, et je tiens à saluer le travail considérable
et constructif qu'il a déjà accompli pour nous permettre d'élaborer un bon
projet de loi, c'est-à-dire un texte clair et plus facilement applicable.
J'en profite pour rendre hommage à la vaste réflexion que MM. Jacques Valade
et Henri Revol ont menée l'an dernier, dans le cadre de la commission
d'enquête, sur l'avenir de la politique énergétique française. Leur rapport
contribue à éclairer nos débats.
M. Henri Weber.
Ça, c'est vrai !
M. Gérard Larcher.
J'achèverai mon propos sur une considération d'ordre général, qui demeure
toutefois dans le droit-fil de ce que je viens de dire.
Voilà cinquante-cinq ans, à travers le Conseil national de la Résistance, la
France s'est lancée dans un défi monumental. Elle a décidé la construction de
nouvelles institutions économiques et sociales afin d'étouffer les ferments de
décadence qui l'avaient amenée, un certain 17 juin 1940, là où elle était.
C'était le bord de l'abîme et la suite des quarante premières années de ce
siècle.
Dans leur organisation actuelle, nos services publics en réseaux sont nés de
cette vaste ambition.
M. Gérard Delfau.
Il faut s'en souvenir !
M. Gérard Larcher.
Les trente années de croissance glorieuse qui ont suivi cette refonte de nos
instruments d'économie publique ont amplement démontré la pertinence des choix
alors effectués.
Aujourd'hui, cependant, la vigueur du modèle a décliné, cher Gérard Delfau. La
question de son adaptation à la nouvelle donne économique, à la globalisation
se pose. Ce système n'a-t-il pas été impuissant à endiguer la montée du
chômage, quand d'autres pays en connaissaient moins ?
Alors, ne serait-il pas temps de dépasser certaines querelles ou propos
stériles pour réfléchir à de nouvelles innovations structurelles qui seraient à
même de moderniser nos services publics, dans la fidélité aux principes de la
République ?
Voilà aussi l'enjeu de la réforme de nos services publics !
(Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
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