Séance du 5 octobre 1999
SERVICE PUBLIC DE L'ÉLECTRICITÉ
Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 243, 1998-1999),
adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif à la
modernisation et au développement du service public de l'électricité [Rapport
n° 502 (1998-1999).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Pierret,
secrétaire d'Etat à l'industrie.
Monsieur le président, mesdames,
messieurs les sénateurs, c'est conscient des enjeux qui sont attachés à cette
importante réforme - enjeux politiques, car il s'agit d'une réforme d'une
grande portée, enjeux sociaux, car elle concerne des dizaines de milliers de
salariés, et enjeux économiques, en raison des répercussions de ce texte sur le
secteur français de l'énergie, de l'électricité en particulier - que je vous
présente, au nom du Gouvernement, le projet de loi relatif à la modernisation
et au développement du service public de l'électricité.
L'examen de ce texte par l'Assemblée nationale au mois de février dernier a
montré qu'un large consensus existait sur l'attachement au service public et la
nécessité d'une politique énergétique nationale. C'est en me plaçant dans la
perspective ainsi tracée que je vais exposer l'esprit du projet de loi qui vous
est aujourd'hui soumis.
Une telle présentation sera d'autant plus facile que le temps passé - jugé
trop long par certains - entre la lecture de l'Assemblée et celle du Sénat aura
permis une évolution des esprits, propice à un débat positif pour tous les
opérateurs comme pour les clients.
Le secteur électrique français est aujourd'hui à une charnière de son
histoire. Le Parlement est saisi, je l'indiquais en commençant mon propos,
d'une importante réforme et il est crucial pour l'avenir du secteur électrique
français que cette réforme soit réalisée dans de bonnes conditions et,
désormais, dans les meilleurs délais.
Ce projet de loi contribue à rendre le système électrique plus compétitif,
bien qu'il le soit déjà largement en France, par l'introduction maîtrisée de
certains éléments concurrentiels.
Il constitue ainsi le moyen de transposer en droit français la directive
européenne sur le marché intérieur de l'électricité adoptée en 1996. A cet
égard, la transposition s'impose, de manière à respecter les engagements
internationaux de la France et à éviter que des contentieux liés à une absence
de transposition de la directive ne conduisent, sur des décisions de tribunaux,
à une application directe de la directive sans protection du service public.
Cette directive s'impose donc à nous. Il faut d'ailleurs lui rendre une
justice : à la suite des efforts de mon prédécesseur, Franck Borotra, et en
application du « principe de subsidiarité », la directive laisse de très larges
marges de manoeuvre aux Etats membres. Le travail du Parlement peut faire en
sorte que l'exercice nécessaire de transposition soit finalement l'occasion de
vrais progrès. Et je vous propose, au nom du Gouvernement, de vrais progrès.
A cet égard, je rappelle que l'échéance pour la transposition de la directive
était fixée au 19 février 1999 par la directive elle-même. Dans le principe, la
loi et les décrets d'application essentiels auraient dû être publiés à cette
date. Cela n'a malheureusement pas été le cas. Le Gouvernement a estimé, à son
entrée en fonction, qu'une réforme d'une telle ampleur et d'une telle portée ne
pouvait être élaborée « à la va-vite », qu'elle nécessitait une concertation
approfondie. Nous avons donc mené pendant près de dix-huit mois cette
concertation approfondie avec l'ensemble des institutions, des personnes, des
organismes intéressés par l'évolution du système électrique français.
Le Gouvernement a ainsi sollicité, sur la base d'un Livre blanc largement
diffusé, l'avis de nombreuses instances nationales, comme le Conseil économique
et social ainsi que le Conseil supérieur de l'électricité et du gaz et le
Conseil de la concurrence.
Pour passer le cap d'une période transitoire pendant laquelle la directive est
entrée en vigueur, sans que les textes de transpositions soient tous publiés -
je tiens à indiquer cela de la manière la plus claire et la plus formelle au
Sénat - EDF a mis en place, avec mon accord, un système temporaire d'accès
négocié des tiers aux réseaux. Ce cadre juridique transitoire est fragile,
certes, et suscite des critiques visibles et grandissantes de la part de
plusieurs autres Etats membres, en particulier du Royaume-Uni et de l'Allemagne
- à cet égard, j'ai une lettre de mon collègue britannique et j'ai reçu mon
collègue allemand - pays dans lesquels EDF joue un rôle par ailleurs
croissant.
C'est pourquoi il est crucial pour l'avenir du secteur électrique français et
du service public de l'électricité, mais aussi pour la crédibilité de la
France, que la réforme soit maintenant menée dans les meilleures conditions et
dans les meilleurs délais. C'est l'unique raison - vous la comprenez
certainement - pour laquelle le Gouvernement a déclaré l'urgence pour ce
texte.
L'examen en première lecture par l'Assemblée nationale a fait évoluer le
projet initial du Gouvernement de façon sensible tout en conservant, je crois,
son esprit.
Il revient maintenant au Sénat, dans un esprit que je sais d'avance
constructif, comme la Haute Assemblée l'a toujours démontré sur des textes
difficiles - et celui-ci l'est passablement.
M. le président.
Je vous remercie, monsieur le secrétaire d'Etat, de ces compliments dont nous
prenons acte.
M. Christian Pierret,
secrétaire d'Etat.
...tels que « l'après-mine », qui a été voté à
l'unanimité par la Haute Assemblée, il revient donc maintenant au Sénat,
disais-je, d'apporter les améliorations nécessaires au texte que je propose.
Au travers du projet de loi, le Gouvernement a souhaité que soient prises en
compte les aspirations de notre pays en matière de cohésion sociale,
d'aménagement du territoire, de développement industriel et de politique
énergétique de long terme.
Tout d'abord, le projet de loi a pour ambition de dessiner un service public
de l'électricité conforté, qui allie équité, solidarité et dynamisme.
Pour la première fois, le projet de loi définit le contenu du service public
de l'électricité, il précise les différentes missions de service public, les
catégories de clients auxquelles elles s'adressent et les opérateurs qui en ont
la charge.
La première mission du service public de l'électricité a trait au
développement équilibré des capacités de production d'électricité. Les
obligations imposées aux opérateurs doivent permettre d'atteindre les objectifs
de la politique énergétique nationale, qui trouveront leur traduction concrète
dans une programmation pluriannuelle des investissements de production.
La deuxième mission du service public de l'électricité concerne le
développement et l'exploitation des réseaux, qui sont au coeur du
fonctionnement du système électrique et doivent donc être au service de tous
les utilisateurs, sans exception et sans biais.
La troisième mission concerne la fourniture d'électricité. Elle vise tout
d'abord la fourniture pour les clients non éligibles, dans des conditions
égales sur l'ensemble du territoire national. Parallèlement, le service public
doit concourir à la cohésion sociale ; il intègre à présent un dispositif
renforcé en vue d'assurer un droit à l'énergie, progrès sensible de ce texte
voulu par l'Assemblée nationale sur l'initiative de sa majorité ;
l'instauration d'une tarification de « produit de première nécessité », le
renforcement du mécanisme d'aide et les dispositions en matière de prévention
des coupures aux personnes en situation de précarité en sont l'illustration
tangible et forte. Ce texte a beaucoup évolué dans ce sens à l'Assemblée
nationale.
Enfin, le Gouvernement attache la plus grande importance, aux côtés d'EDF, à
ce que la présence en zone rurale, d'une part, et dans les quartiers en
difficulté, d'autre part, soit consolidée, et je sais que la Haute Assemblée y
sera très sensible.
Il ne suffit pas de dire ce qu'est le service public et qui en a la charge. Il
faut encore en prévoir le financement, lorsque celui-ci n'est pas assuré de
façon naturelle et équitable par les recettes. Le projet de loi met donc en
place des mécanismes de financement permettant de répartir équitablement les
charges résultant des missions de service public entre les opérateurs du
secteur.
Conjointement avec mon collègue Dominique Strauss-Kahn, ministre de
l'économie, des finances et de l'industrie, j'ai confié une mission à M. Jean
Syrota, afin de préciser les méthodes d'évaluation de ces charges en vue de
garantir un bon accomplissement des missions de service public et d'éviter les
distorsions de concurrence entre les opérateurs. Les réflexions ainsi menées
éclaireront l'élaboration des décrets nécessaires et faciliteront le futur
travail de la commission de régulation de l'électricité, sur laquelle je
reviendrai dans un instant.
Le projet de loi organise une ouverture progressive du marché de l'électricité
à la concurrence pour renforcer la compétitivité de notre économie.
Les règles françaises conduiront à l'éligibilité des grands consommateurs
finals d'électricité, notamment les principaux établissements industriels.
Je serai très ferme sur un point : l'introduction d'éléments de concurrence,
loin de s'accompagner d'un recul du service public, doit bien au contraire
s'accompagner d'obligations de service public claires. Cette introduction doit
permettre de progresser vers une meilleure satisfaction des aspirations des
consommateurs en stimulant littéralement les opérateurs dans la recherche d'un
meilleur service au meilleur coût.
A cet égard, les pouvoirs publics seront bien évidemment attentifs à ce que
les clients non éligibles, qui demeureront, par construction, clients d'EDF et
des distributeurs non nationalisés, bénéficient eux aussi des progrès dans la
qualité et le prix des services qui leur seront offerts. Le projet de loi
prévoit la mise en oeuvre d'outils de régulation garantissant l'absence de «
subventions croisées » au détriment des clients non éligibles. La récente
baisse des tarifs, qui a été décidée par M. Strauss-Kahn et moi-même le 1er mai
dernier et qui s'insère dans un mouvement tendanciel profond, illustre
d'ailleurs cette action en faveur des clients non éligibles.
Le projet de loi met en place des outils concrets qui permettront de mettre en
oeuvre une politique nationale de l'énergie recueillant l'assentiment le plus
large, en donnant le rôle qui doit être le sien - le premier - au Parlement.
L'énergie n'est pas un bien de consommation comme les autres, ce n'est pas un
bien banal. Elle fait l'objet, compte tenu des enjeux qui y sont attachés,
d'une politique publique forte, la politique énergétique, à laquelle notre pays
est très attaché et qui relève naturellement du Gouvernement sous le contrôle
du Parlement ; j'ai eu l'occasion de le préciser lors d'une déclaration à
l'Assemblée nationale, le 21 janvier dernier, au nom du Gouvernement.
L'un des objets fondamentaux du projet de loi est de permettre au Gouvernement
et au Parlement de conserver la faculté de mettre en oeuvre cette politique
énergétique nationale au travers de l'application des grandes orientations de
la directive européenne.
La programmation pluriannuelle des investissements, par exemple, constituera
la traduction concrète de la politique énergétique nationale dans le domaine de
l'électricité. Elle permettra de garantir la sécurité d'approvisionnement de
notre pays, la protection de l'environnement et la compétitivité de la
fourniture au travers d'un développement équilibré et bien conçu en amont des
capacités de production, faisant la part qui lui est due à chaque source
primaire d'énergie. En un mot, elle assurera un équilibre judicieux entre
toutes les sources de production d'énergie.
Loin de constituer un carcan administratif, cette programmation pluriannuelle
des investissements a vocation à permettre d'orienter de façon souple mais
efficace l'évolution du parc de production national. Elle sera élaborée et
révisée périodiquement sous l'autorité du ministre chargé de l'énergie et fera
l'objet d'un rapport au Parlement.
Le projet de loi vise, enfin, à consolider et à renforcer le rôle des
collectivités locales dans le secteur électrique. Je sais que le Sénat sera
sensible à cet aspect des choses.
Le projet de loi réaffirme pour les collectivités locales leur qualité
d'autorité concédante de la distribution ainsi que leur mission de contrôle des
missions de service public concédées. C'est un point très important.
Le texte précise et élargit la possibilité pour les collectivités locales
d'intervenir en matière de maîtrise de la demande d'électricité et de
production décentralisée, notamment à partir d'énergies renouvelables ou de
déchets. Elles pourront bénéficier de « l'obligation d'achat » pour
l'électricité produite à partir de ce type de productions. La possibilité
d'intervenir en matière de maîtrise de la demande d'électricité, notamment chez
les particuliers, recevra un fondement législatif clair et sans ambiguïté.
En outre, les collectivités locales se voient garantir un droit d'accès aux
réseaux pour approvisionner, à partir de leurs éventuelles installations de
production, les services publics dont elles ont la charge. Il y a là, vous
pouvez le constater, une très nette évolution dans la capacité des
collectivités à prendre en charge par elles-mêmes cet aspect de leur politique
locale.
Enfin, les distributeurs non nationalisés pourront intervenir vis-à-vis des
clients éligibles, sous les conditions propres à assurer la loyauté de la
concurrence. « L'éligibilité partielle » qui est donnée aux distributeurs non
nationalisés leur permettra de lutter à armes égales avec les autres
fournisseurs vis-à-vis des clients éligibles.
Dans le cadre ainsi tracé, le Gouvernement a entendu jouer pleinement le jeu
de la concurrence équitable, tout en donnant à l'opérateur public EDF les
moyens d'un développement international, nécessaire à cette grande entreprise
publique.
Il est essentiel, tout d'abord, que les utilisateurs des réseaux publics de
transport et de distribution de l'électricité, qui sont au coeur du système
électrique, puissent avoir accès au réseau dans des conditions transparentes et
non discriminatoires, en payant une juste rémunération du service rendu.
Or, l'un des facteurs de réussite d'EDF est qu'il s'agit d'une entreprise
intégrée de production, de transport et de distribution. Ce facteur de réussite
ne doit pas être remis en cause alors que la directive n'oblige pas à séparer
juridiquement le gestionnaire du réseau de transport. Le Gouvernement a décidé
de confier à EDF la gestion unique du réseau de transport tout en lui demandant
- je crois que c'est l'esprit qui a guidé la rédaction de certains amendements
de la commission - d'assurer une stricte séparation - qui peut certainement
être améliorée - de ces activités en son sein.
Corrélativement - ce sujet est lui aussi crucial - le projet de loi doit
permettre de mettre en place de fortes garanties, nécessaires à une
indépendance suffisante du gestionnaire du réseau de transport au sein d'EDF. Y
contribuent la séparation comptable de la fonction transport, l'indépendance de
gestion des moyens mis à la disposition du GRT, le gestionnaire du réseau de
transport, le mode de nomination de son directeur, l'obligation de
confidentialité des informations commercialement sensibles. Ces quelques
aspects parmi d'autres sont destinés à assurer de manière très claire et
transparente l'indépendance totale du GRT. Ces garanties ont été précisées et
même renforcées par l'Assemblée nationale. Elles constituent d'ores et déjà
l'un des dispositifs les plus complets de l'Union européenne dans ce
domaine.
Par ailleurs, dans le même esprit de clarté et de transparence, le groupe
d'expertise de haut niveau présidé par M. Paul Champsaur a mené une réflexion
sur les principes de tarification du transport. M. Champsaur m'a récemment
remis un rapport d'étape sur ce sujet. J'ai souhaité que ce rapport connaisse
une large diffusion afin d'alimenter le débat sur la future organisation
électrique.
Le projet de loi met en place les conditions nécessaires pour garantir
l'avenir industriel d'EDF tout en veillant à l'exercice d'une concurrence
loyale.
Comme je l'ai déjà dit, EDF a été, est et restera une entreprise publique
intégrée : entreprise, publique, intégrée, chaque mot compte ! Elle le restera
en vertu d'un principe de bonne gestion, suivant lequel on ne change pas une
formule qui gagne ! Elle restera, dans ce cadre, le plus grand électricien au
monde.
M. Henri Weber.
Très bien !
M. Christian Pierret,
secrétaire d'Etat.
L'objet légal d'EDF, c'est-à-dire son domaine autorisé
d'intervention en tant qu'établissement public, est notablement accru à l'égard
des clients éligibles pour lui permettre d'affronter la concurrence à armes
égales.
La demande industrielle inclut en effet aujourd'hui des prestations qui
constituent le complément technique ou commercial de la fourniture
d'électricité. Les concurrents d'EDF pourront offrir ces prestations aux
clients éligibles alors que EDF, en vertu de son objet légal, ne le peut pas
encore aujourd'hui.
Il y aurait rupture de l'égalité entre les différents opérateurs au détriment
de l'opérateur historique français.
Pour les clients non éligibles sur le territoire national, pour lesquels EDF
conservera un monopole de fourniture, l'interdiction faite à cette dernière par
la loi de 1946 d'intervenir à l'aval du compteur sera maintenue, garantissant
ainsi le respect du métier des professions concernées du secteur concurrentiel.
Toutefois, afin de répondre aux objectifs de politique énergétique et
environnementale, EDF pourra mener des actions destinées à promouvoir la
maîtrise de la demande d'électricité.
Enfin, EDF devra respecter des modalités des activités complémentaires à la
fourniture d'électricité, modalités de nature à garantir une concurrence
loyale. Le projet de loi prévoit notamment une obligation de filialisation de
ces activités complémentaires.
Une régulation transparente et efficace aura pour objet d'assurer le bon
fonctionnement du secteur électrique, notamment par la coexistence harmonieuse
du service public et de la concurrence au bénéfice de tous les
consommateurs.
Il reviendra au Gouvernement - c'est un axe politique - sous le contrôle du
Parlement - c'est un autre axe essentiel - de définir et d'appliquer les choix
de politique énergétique, notamment en ce qui concerne la programmation
pluriannuelle des investissements, l'autorisation d'installations de production
et de lancement d'appels d'offres.
De même, le Gouvernement devra préciser les missions de service public,
réglementer les tarifs, veiller à la réglementation technique de l'électricité
et, de manière générale, faire en sorte que le secteur électrique puisse
fonctionner au mieux, en fonction des attentes économiques, sociales et
politiques, notamment en fonction des attentes des plus défavorisés des
consommateurs.
Il reste que certaines tâches, sans être essentielles au regard des missions
propres de l'Etat et des collectivités locales, sont importantes pour le bon
fonctionnement de la concurrence. Le projet de loi choisit de confier à une
commission de régulation de l'électricité indépendante, formée d'un collège de
six membres, des responsabilités importantes pour le fonctionnement loyal des
aspects concurrentiels du système électrique, notamment en ce qui concerne
l'accès aux réseaux.
Les mesures proposées sont, en un mot, équilibrées. Il faut que notre pays
saisisse l'opportunité de moderniser et de conforter le service public de
l'électricité, de dynamiser l'ensemble du secteur électrique par une plus
grande ouverture et d'assurer au secteur électrique français, et en particulier
à l'établissement public EDF, une place économique prépondérante digne de son
avance technologique, digne de ses succès passés, au sein du marché européen de
l'électricité.
Je sais, mesdames, messieurs les sénateurs, pouvoir faire confiance à la Haute
Assemblée pour qu'ait lieu un débat ouvert et constructif, dans le respect de
l'intérêt national. J'ai pu, à cet égard, me féliciter de la volonté de
dialogue - même si existent entre nous quelques différences, voire des
différences importantes - du rapporteur, M. Revol, comme d'un certain nombre
d'orateurs de tous les groupes que j'ai eu l'occasion de rencontrer avant cette
discussion. Je pense qu'une fois de plus nous pourrons faire ensemble du très
bon travail législatif.
(Applaudissements sur les travées du groupe
socialiste, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et
citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
(Applaudissements sur les travées des
Républicains et Indépendants.)
M. Henri Revol,
rapporteur de la commission des affaires économiques et du Plan.
« Il
est probable que nous allons voir prochainement abordée la question de la
distribution de l'énergie par l'électricité. Ce sera là certainement un des
grands événements de notre siècle qui constituera une véritable révolution
sociale. » C'est en ces termes, monsieur le président, monsieur le secrétaire
d'Etat, mes chers collègues, qu'un publiciste soulignait, voilà à peine plus de
cent ans, l'importance prévisible du développement de l'électricité. Ses
espoirs n'ont pas été déçus, même si l'électricité n'est utilisée partout en
France pour des usages domestiques que depuis à peine quatre-vingts ans. Elle
est largement distribuée sur toute l'étendue de notre territoire : notre pays
est entré ainsi dans la « société de consommation électrique ».
Loin d'être purement technique, le sujet qui nous occupe aujourd'hui constitue
donc un enjeu politique, économique et social, puisqu'il intéresse aussi bien
la compétitivité de nos entreprises que la vie quotidienne des Français.
La directive n° 96-92 a posé les bases d'une ouverture progressive du marché
de l'électricité. Mais, bien qu'elle soit juridiquement entrée en vigueur le 19
février 1997, cette directive nécessite, pour s'appliquer pleinement dans notre
pays, d'importantes mesures de transposition.
Tel est l'objet du projet de loi aujourd'hui soumis à l'examen du Sénat.
Sa discussion marquera un tournant déterminant dans l'histoire du secteur
électrique français puisqu'il sera, avec la loi du 8 avril 1946 portant
nationalisation de l'électricité et du gaz, le principal texte applicable à
l'électricité adopté au xxe siècle.
Evoquée dans le programme du Conseil national de la Résistance, annoncée par
le général de Gaulle devantl'Assemblée nationale constituante, la
nationalisation de l'électricité a institué un monopole qui a permis la
reconstruction de l'économie française d'après-guerre et contribué à l'essor
des Trente Glorieuses.
Mme Hélène Luc.
Ça, c'est vrai !
M. Henri Revol,
rapporteur.
Il est légitime de lui donner acte de ses réussites.
Cependant, ce système, dans sa forme originelle, n'est plus adapté aux
réalités de l'économie contemporaine, marquée par la constitution du grand
marché intérieur européen et par l'accroissement de la concurrence.
L'adoption de la directive de libéralisation marque le début d'un processus
progressif qui est précisément destiné à renforcer la compétitivité de
l'industrie européenne en abaissant - à qualité et fiabilité constantes -
significativement le coût de l'énergie.
Je résumerai le contenu de la directive en disant que celle-ci tend à assurer
un accès non discriminatoire au réseau, afin de faire jouer la concurrence
entre les fournisseurs d'électricité. Conformément au principe de subsidiarité,
elle laisse aux Etats la faculté de choisir, dans le cadre qu'elle détermine,
les moyens de parvenir aux objectifs qu'elle fixe.
N'aurait-il pas été souhaitable que la France respecte le calendrier auquel
elle s'était engagée ? Je le crois !
Le projet de loi qui nous est transmis par l'Assemblée nationale répond-il à
ces objectifs ? Hélas, non !
Telles sont les deux premières questions que je souhaite aborder devant le
Sénat, avant de lui présenter les principales propositions de la commission des
affaires économiques.
Commençons par le calendrier.
La directive n° 96-92 prévoit que les clients consommant plus de 40
gigawattheures - c'est-à-dire de gros clients, par exemple une verrerie ou un
producteur d'aluminium - sont éligibles à la concurrence à compter du 1er
février 1999.
N'est-il pas particulièrement regrettable que le Gouvernement ait déclaré
l'urgence sur ce texte à des fins purement procédurales, pour attester
vis-à-vis de Bruxelles de son empressement à accomplir la transposition, alors
même que la procédure parlementaire traîne en longueur depuis le dépôt du
projet de loi à l'Assemblée nationale en décembre 1998 ? Par cette manoeuvre,
si le mot m'est permis, monsieur le secrétaire d'Etat, le Gouvernement auquel
vous appartenez me semble avoir porté gravement préjudice aux droits du
législateur, et je tiens à élever une vigoureuse protestation au nom de la
commission des affaires économiques.
M. Charles Revet.
Très bien !
M. Jean-Louis Carrère.
Pourtant, en la matière, vous êtes des experts !
M. Henri Revol,
rapporteur.
J'observe, en outre, que nos partenaires critiquent
violemment la lenteur de la transposition en France et menacent de saisir les
instances européennes compétentes. Notre pays ne saurait-il tenir sa parole
?
Au demeurant, tous les industriels que nous avons rencontrés souhaitent qu'un
texte soit adopté dès que possible. Ils souffrent en effet gravement du manque
de visibilité qui résulte du caractère transitoire de la présente période et
des incertitudes qu'ils subissent, tout comme EDF, d'ailleurs, qui est entravé
dans son développement international à cause de la clause de réciprocité
contenue dans la directive.
Le contenu du projet de loi appelle, quant à lui, quelques observations et de
nombreuses critiques.
Vous souhaitez procéder, monsieur le secrétaire d'Etat, à une transposition
a minima.
Soit ! Mais encore faudrait-il que votre projet soit conforme
à l'esprit de la norme européenne. Tel n'est malheureusement pas le cas puisque
le texte transmis au Sénat comporte tout un dispositif de mesures propres à
entraver les échanges d'électricité, dans un esprit malthusien totalement
contraire à l'esprit de la directive.
Comment justifier l'interdiction du négoce d'électricité ? Comment expliquer
la limitation corrélative de la faculté d'acheter pour revendre du courant aux
seuls producteurs, en proportion d'une fraction de leur production ? Cette
dernière mesure revient à instituer un monopole au profit d'EDF, ce qui est
d'autant plus aberrant que l'opérateur historique ne revendique nullement cette
armure de carton-pâte et qu'il s'est d'ores et déjà empressé de créer à Londres
une filiale de négoce !
Comment soutenir, en droit, la faculté donnée à EDF de dénoncer les contrats
en cours, qu'il s'agisse de contrats de vente ou de contrats d'achat de courant
? D'aucuns voient, à juste titre, dans ces mesures des armes possibles de
représailles, destinées à lutter contre l'ouverture du marché et susceptibles
de donner lieu à des abus de position dominante.
Toutes ces mesures maladroites, conçues pour préserver la situation acquise
d'EDF, sont chimériques à l'heure de la libéralisation.
Au surplus, des mesures anti-économiques figurent dans ce texte. Je ne
citerai, à titre d'exemple, que l'institution d'une taxation des
autoproducteurs d'électricité pour le courant qu'ils consomment, alors même
qu'ils n'empruntent pas le réseau public de transport !
M. Ladislas Poniatowski.
Tout à fait !
M. Henri Revol,
rapporteur.
Cette disposition n'est-elle pas absurde dans la mesure où
ces industriels concourent précisément, en produisant du courant pour
eux-mêmes, à éviter des coûts d'investissement à EDF ?
En outre, l'indépendance de la régulation est notablement insuffisante.
Comment la commission de régulation de l'électricité, la CRE, serait-elle
indépendante, alors qu'elle est flanquée d'un commissaire du Gouvernement -
pouvant d'ailleurs être simultanément commissaire du Gouvernement auprès d'EDF
- qui peut maîtriser son ordre du jour ? Aurait-on voulu mettre la CRE sous
tutelle ?
Enfin, le projet de loi laisse une place bien trop large au pouvoir
réglementaire en ne prévoyant pas moins de vingt-cinq décrets d'application,
dont la moitié portera sur des matières essentielles.
M. Charles Revet.
Comme toujours !
M. Henri Revol,
rapporteur.
Je déplore d'ailleurs, monsieur le secrétaire d'Etat, que le
Gouvernement n'ait, malgré mes demandes réitérées, pas été en mesure de
m'adresser les projets de décret en question. Pouvez-vous me dire dans quel
délai vous envisagez de les publier ?
Au total, par les imprécisions qu'il recèle et les contradictions dont il est
truffé, le projet de loi est susceptible de faire naître un nombre important de
contentieux préjudiciables aux investisseurs, qui ont avant tout besoin d'un
cadre juridique clair, précis et stable. Ces procès feront sans nul doute, en
revanche, le miel et la fortune des cabinets d'avocats !
La commission des affaires économiques a souhaité modifier ce texte afin
d'organiser une réelle ouverture du marché et d'assurer la pérennité d'un
service public mieux défini.
Contrairement à ce qu'affirment les partisans d'une logique surannée, la
libéralisation du marché de l'électricité sera bénéfique à la compétitivité de
l'économie française.
C'est pourquoi il convient, en premier lieu, de constituer un vrai marché de
l'électricité, afin que les prix reflètent les coûts et que l'offre permette de
satisfaire une demande aux caractéristiques toujours plus diversifiées.
Dans ce contexte, il est impératif de rétablir le droit d'acheter de
l'électricité pour revente. Le Gouvernement prendrait une grave responsabilité
en encourageant la fuite du négoce hors de France, ce qui priverait notre pays
d'une source importante de valeur ajoutée. Pourquoi ne pourrait-on avoir en
France une bourse de l'électricité alors qu'on en voit fleurir sur toutes les
places européennes ?
Il est également souhaitable de supprimer les obstacles à la fluidité du
marché, à commencer par le cadre contractuel de trois ans, dont tous les
observateurs s'accordent à souligner le caractère arbitraire.
L'égalité des opérateurs doit être parfaitement assurée sur le marché. C'est
pourquoi il convient d'interdire tout risque d'abus de position dominante qui
résulterait de la dénonciation par EDF d'un contrat de vente ou d'un contrat
d'achat d'électricité.
Il est également nécessaire d'accroître la transparence des modalités d'octroi
des autorisations de créer des installations de production et de mise en oeuvre
des appels d'offre, tous les producteurs d'électricité devant être soumis à des
procédures aussi brèves que possible.
La commission proposera, à ce titre, toute une batterie d'amendements tendant
à garantir les droits des entreprises et des citoyens face à l'administration,
à raccourcir les délais de jugement et à assurer le caractère contradictoire
des procédures juridictionnelles.
Il va de soi que, dans notre esprit, la taxation des autoproducteurs doit être
supprimée.
La commission de régulation de l'électricité doit, pour sa part, être
totalement indépendante du Gouvernement. Dès lors que Electricité de France est
soumis à la tutelle de l'Etat, la puissance publique ne peut rester en position
de juge et partie. C'est pourquoi nous souhaitons dégager la commission de
régulation de tout risque de mise sous tutelle en clarifiant les fonctions du
commissaire du Gouvernement placé auprès d'elle et en faisant du ministre la
seule autorité compétente pour faire part à cette commission des orientations
de la politique énergétique.
Le rôle de la commission de régulation doit également être renforcé. C'est
pourquoi nous vous proposerons d'accroître ses pouvoirs, ainsi que les moyens
matériels et juridiques dont elle dispose. Nous souhaiterions savoir, monsieur
le secrétaire d'Etat, quels seront les moyens budgétaires et humains dont sera
dotée la commission de régulation.
S'agissant du gestionnaire du réseau public de transport, la commission des
affaires économiques estime que, pendant une période transitoire d'un an,
nécessaire à la maturation du marché, le GRT - tel est le sigle retenu - peut
demeurer matériellement intégré à l'opérateur historique. Une séparation
juridique immédiate entre le GRT et EDF nous paraît effectivement présenter des
difficultés. C'est pourquoi la commission souhaite avant tout assurer la
parfaite impartialité du GRT lorsqu'il donne, ou donnera, accès au réseau.
Il convient toutefois d'envisager dès à présent une nouvelle étape en
prévoyant que le statut juridique du service autonome gestionnaire du réseau
public de transport pourra être modifié compte tenu des conclusions d'un
rapport que la commission de régulation émettra dans un an au plus tard. La
commission de régulation pourra, de la sorte, comme le suggère un amendement de
Valade, approuvé par la commission, faire le point par rapport à nos principaux
partenaires européens, notamment ceux chez qui le GRT est constitué sous forme
de filiale.
La commission des affaires économiques a également souhaité pérenniser le
service public en en assurant le financement. En effet, le renforcement des
mécanismes de marché n'est nullement incompatible avec l'action de la puissance
publique, qu'elle s'exprime à l'échelon national, grâce au ministre qui doit
élaborer la programmation pluriannuelle des investissements, ou à l'échelon
local, par l'irremplaçable action des collectivités locales.
Le Sénat a, dans le passé, pleinement soutenu les gouvernements successifs qui
ont exigé, au cours de l'élaboration de la directive - laquelle, je le
rappelle, a duré neuf ans ! - que celle-ci prévoie la faculté de fixer des
obligations de service public. Il importe cependant de distinguer entre les
prestations de service public et les modalités de leur organisation.
Nous entendons garantir la pérennité du service public, notamment sur le plan
territorial. C'est pourquoi nous avons souhaité renforcer la participation des
représentants des collectivités locales aux observatoires des services
publics.
La péréquation tarifaire est un élément indispensable à la préservation du
service public. Elle a une dimension politique puisqu'elle traduit l'unité et
la solidarité territoriale de notre pays. Nous sommes résolus, en conséquence,
à tout faire pour la préserver.
La commission des affaires économiques est non moins soucieuse d'assurer
l'avenir de l'opérateur historique. Conformément aux recommandations de la
commission d'enquête sur l'avenir de la politique énergétique de la France,
présidée par notre collègue Jacques Valade, nous approuvons l'élargissement
raisonné du principe de spécialité d'EDF. Il serait irréaliste de prétendre
assurer l'égalité des opérateurs en « corsetant » l'opérateur historique. Il
est cependant nécessaire que l'observatoire de la diversification joue
pleinement son rôle, sans toutefois ligoter EDF.
La préservation de l'équilibre financier d'EDF passe aussi par une correction
du dispositif d'aide aux plus démunis adopté par l'Assemblée nationale. La
création d'une « tranche sociale » est de nature à coûter 4 milliards de francs
par an à EDF. C'est pourquoi nous souhaitons recentrer ce mécanisme en
renvoyant au dispositif d'ores et déjà prévu par la loi du 1er décembre 1988
relative au revenu minimum d'insertion. D'un point de vue plus général, la
commission juge souhaitable de renforcer les mécanismes de compensation à EDF
des charges publiques, ainsi que le coût des contrats d'achat signés avant
l'entrée en vigueur de la directive.
J'ai évoqué devant vous les principales questions qui sont traitées - bien ou
mal - dans le projet de loi. Mais il est une question majeure aussi, qui, elle,
n'y figure malheureusement pas. Je veux parler de l'avenir des retraites des
agents d'Electricité de France. Si les informations dont je dispose sont
exactes, le rapport entre les actifs et les inactifs pourrait atteindre un pour
un en 2020. Que compte faire le Gouvernement pour affronter cette réalité, car
la question qu'elle soulève se posera dans des termes - le mot n'est pas trop
fort - dramatiques ?
En 1996, le gouvernement auquel participaient MM. Fillon et Arthuis avait
parachevé l'ouverture du marché des télécommunications, entamée dix ans plus
tôt, en réglant la question des retraites des agents de France Télécom. Comment
la même question sera-t-elle réglée pour les agents d'EDF ?
C'est sur cette interrogation solennelle que je conclurai mon propos, en
soulignant combien, sur ce point, le Gouvernement assumerait une lourde
responsabilité, monsieur le secrétaire d'Etat, en restant dans l'expectative.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR
et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 45 minutes ;
Groupe socialiste, 38 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 29 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 27 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 18 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 16 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Weber.
M. Henri Weber.
Monsieur le secrétaire d'Etat, le projet de loi que vous soumettez aujourd'hui
à notre discussion a été qualifié par notre rapporteur, notre excellent
collègue Henri Revol, dont je veux saluer ici le remarquable travail, de «
transposition
a minima
» de la directive européenne sur l'électricité.
Je le qualifierai plutôt, pour ma part, de transposition équilibrée et
prudente, et je crois que, en matière d'ouverture à la concurrence du secteur
de l'énergie électrique, la prudence et la recherche de l'équilibre constituent
deux vertus majeures plutôt que des défauts.
En 1989, lorsque la vogue ultralibérale venue d'outre-Manche et
d'outre-Atlantique batttait son plein, la Commission de Bruxelles, invoquant
l'article 90, alinéa 3, du traité de Rome, a tenté d'édicter une directive sur
le secteur de l'électricité et du gaz prévoyant la liberté totale d'accès au
réseau pour tout opérateur à compter du 1er janvier 1996.
Le Conseil des ministres de la Communauté européenne était alors fermement
opposé à cette orientation, qui impliquait à court terme le démantèlement du
service public de l'énergie.
La directive de 1996, qu'il s'agit aujourd'hui de transposer en droit
français, est heureusement d'une tout autre nature.
Elle préconise une ouverture maîtrisée et progressive du marché de
l'électricité. Elle respecte le principe de subsidiarité. Chaque Etat est tenu
d'atteindre les objectifs prescrits selon les modalités qui lui conviennent,
conformément à son histoire et à ses traditions.
Aujourd'hui, l'ultralibéralisme est un peu passé de mode. On assiste à un
début de prise de conscience des dangers qu'une dérégulation excessive et
précipitée fait courir à nos sociétés.
C'est le cas pour la banque et la finance, domaines dans lesquels notre
gouvernement mène un combat courageux et de moins en moins solitaire pour le
renforcement des règles prudentielles et des instances internationales de
régulation.
C'est le cas dans les transports ferroviaires, aériens et même routiers.
D'ailleurs les chauffeurs de poids lourds manifestent aujourd'hui même pour une
meilleure réglementation de leur temps de travail.
C'est le cas aussi dans le secteur de l'électricité, car on constate, en
Grande-Bretagne comme aux Etats-Unis, que l'ouverture excessive à la
concurrence se solde souvent par une baisse de la qualité et de la fiabilité du
service rendu au consommateur : ici, on déplore un mauvais entretien des
infrastructures, ailleurs des fluctuations déstabilisantes des prix.
Vous avez tous en mémoire, mes chers collègues, les événements survenus, en
juin 1998, dans le Middle West, où, à la suite d'une canicule particulièrement
sévère, le prix du mégawatt est passé en quelques jours de 40 dollars à 7 000
dollars, contraignant les constructeurs d'automobiles à suspendre leur
production !
La prudence et le souci de l'équilibre que traduit votre projet de loi,
monsieur le secrétaire d'Etat, tel que l'a amendé et voté l'Assemblée
nationale, sont donc, n'en déplaise à la majorité du Sénat, tout à fait
bienvenus.
EDF est à la fois une très grande entreprise industrielle et le principal
opérateur, et de loin, du service public de l'électricité.
Votre projet de loi tient compte de cette double nature. Il tend, d'une part,
à assurer l'avenir d'EDF en tant que grande entreprise industrielle et de
services dans une économie mondialisée et, d'autre part, à garantir que cet
opérateur historique assumera les missions de service public que la nation lui
a confiées aussi bien et même mieux encore qu'il ne l'a fait depuis 1946.
L'avenir d'EDF comme entreprise de pointe du secteur de l'énergie n'est pas le
retranchement dans un bastion national, à l'abri des protections que lui donne
le statut de monopole. L'avenir d'EDF comme entreprise réside dans son
adaptation à la demande, qui est de plus en plus une demande de services
diversifiés et sophistiqués, et dans son expansion internationale.
EDF n'est pas ce monstre bureaucratique et inefficient que décrivent certains.
C'est une entreprise douée d'une extraordinaire capacité d'innovation et de
mobilisation. Du plan hydraulique des années cinquante au programme
d'équipement nucléaire des années soixante-dix, elle a maintes fois donné la
mesure de son savoir-faire. Son image est excellente et son expertise est
universellement appréciée dans un monde où les mégalopoles poussent comme des
champignons et où les besoins en énergie et en équipement électriques sont
illimités.
Nous faisons pleinement confiance à EDF pour faire face à la concurrence sur
son marché domestique. Nous sommes convaincus aussi qu'elle peut et qu'elle
doit devenir une grande entreprise internationale, développant ses activités
sur les cinq continents. Pourquoi abandonnerions-nous ce rôle et cette place
aux électriciens américains, allemands ou scandinaves ? Qui peut croire que
l'avenir d'EDF est de rester une entreprise franco-française confinée à
l'hexagone, alors que ses concurrents vont changer de dimension ?
Ce développement à l'international est déjà bien engagé : EDF est active au
Brésil, au Mexique, en Argentine, en Grande-Bretagne, au Portugal, en Espagne,
en Suisse, en Italie, en Autriche, en Suède ainsi que dans plusieurs pays
d'Europe de l'Est, d'Afrique et d'Asie, dont la Chine.
Mais qui peut croire que nous pourrons développer ainsi notre activité à
l'étranger tout en fermant notre propre marché de l'électricité à toute
concurrence ? Déjà, les contentieux et les menaces de rétorsion se
multiplient.
Nous devons ouvrir partiellement et progressivement notre marché de
l'électricité à la concurrence, mes chers collègues, non pas seulement pour
honorer la signature de la France, engagée le 19 décembre 1996, pas seulement,
ni même principalement, parce que la concurrence permet de baisser les prix de
l'énergie et d'améliorer sa qualité. Il ressort d'ailleurs de votre rapport,
monsieur Revol, que les prix de l'électricité en France restent parmi les plus
bas d'Europe et qu'ils sont, en tout état de cause, plus bas que ceux qui ont
cours en Allemagne, en Italie ou en Grande-Bretagne. J'ai bien dit en
Grande-Bretagne, pays dans lequel, je le souligne, la concurrence totale et la
privatisation n'empêchent pas, dix ans après l'
Electricity Act
de 1989,
la pratique de prix supérieurs aux nôtres. Non, nous devons ouvrir notre marché
de l'électricité à la concurrence, fondamentalement, parce qu'il s'agit là d'un
de nos secteurs d'excellence et que nous ne pouvons pas espérer nous développer
à l'étranger si nous n'autorisons pas, sous certaines conditions, les
entreprises étrangères qui le souhaitent à venir s'implanter chez nous.
En même temps qu'il prend en compte l'avenir de l'entreprise, votre projet de
loi, monsieur le secrétaire d'Etat, veille à préserver et même à renforcer les
missions de service public d'EDF. Il réaffirme la nécessité d'une politique
publique forte dans le domaine de l'électricité.
Le ministre en charge de l'énergie aura la responsabilité d'établir une
programmation pluriannuelle des investissements de production. Il aura
compétence pour fixer les tarifs réglementés, délivrer les autorisations
d'exploitation et de production, arrêter le montant des charges liées au bon
accomplissement des missions de service public.
EDF, vous l'avez rappelé avec force, demeure une entreprise publique intégrée.
Le statut des personnels est préservé et pourra être étendu, par la négociation
collective, aux personnels des nouveaux entrants.
Les grands principes du service public sont actualisés et de nouvelles
préoccupations sont prises en compte, et d'abord des préoccupations sociales,
avec la garantie du maintien d'une fourniture minimale d'électricité aux
personnes en difficulté, en application de l'article 36 de la loi d'orientation
relative à la lutte contre les exclusions. Une tarification sociale sera
instaurée en fonction des besoins et des revenus des personnes concernées.
Ce projet de loi manifeste également une préoccupation pour la défense de
l'environnement et l'aménagement du territoire, avec les mesures
d'encouragement à la production décentralisée, laissant plus d'espace aux
initiatives locales, ainsi que la volonté de favoriser la diversification des
sources d'énergie primaire et des techniques de production, en particulier la
cogénération.
Monsieur le secrétaire d'Etat, la majorité sénatoriale vous reproche de n'être
pas allé assez loin. Plusieurs des amendements qu'elle a déposés ne me choquent
pas. Certains contribuent même à améliorer votre texte. D'autres me semblent,
au contraire, en contradiction avec la démarche prudente et équilibrée qui est
la vôtre.
S'agissant du gestionnaire du réseau de transport, le GRT, je note, monsieur
le rapporteur, que, contrairement à certains de vos amis - et j'ai lu votre
rapport attentivement - vous ne proposez pas la grande séparation organique
d'avec EDF... en tout cas, pas dans votre rapport. « L'éclatement de
l'opérateur historique, écrivez-vous, aurait un coût économique et social
exorbitant par rapport à l'intérêt d'un tel système. Vouloir imposer d'emblée,
poursuivez-vous, un mode d'organisation qui ne correspond pas à la maturité du
marché en dépit des spécificités nationales et de l'histoire pourrait s'avérer
tout à fait contreproductif. »
Je ne peux que saluer votre pragmatisme et souscrire à vos propos. Mais, dès
lors, pourquoi prévoir, dans une rédaction d'ailleurs très floue, ce que vous
appelez « une évolution ultérieure du GRT », en clair une filialisation au bout
d'un an ? Il y a là une contradiction entre ce que démontre votre rapport et ce
que vous proposez, au nom de la commission, à titre d'amendement. Pourquoi
cette proposition, alors que la directive européenne ne l'impose pas et que
vous aviez vous-même recommandé de préserver le caractère intégré d'EDF ?
Le projet de loi qui nous est présenté offre toutes les garanties -
statutaires, administratives, judiciaires - de l'autonomie et de l'impartialité
du GRT par rapport à EDF et à tous les opérateurs. J'y reviendrai plus
longuement, si besoin est, dans la discussion des articles.
En ce qui concerne la commission de régulation de l'électricité, ou CRE, je ne
comprends pas, monsieur le rapporteur, comment vous pouvez parler «
d'indépendance de façade ». Cette autorité administrative de régulation,
composée de six membres irrévocables, a été dotée de services et de moyens
budgétaires propres. Elle dispose d'importants pouvoirs de proposition et de
sanction. Elle aura les moyens de contrôler l'accès aux réseaux de transport et
de distribution et de garantir l'absence de toute forme de discrimination.
Je ne comprends pas bien non plus votre fixation à l'égard du commissaire du
Gouvernement placé auprès de la CRE. Son rôle est d'assurer la coordination
entre les deux autorités qui sont en charge du secteur, la CRE et le ministre
chargé de l'industrie, ce qui me semble nécessaire.
Pour ce qui est de l'achat pour revente, je ne crois pas, monsieur le
rapporteur, que son encadrement soit, comme vous l'écrivez, « totalement
contraire à la directive ». Le
trading
est certes une activité
aujourd'hui nécessaire pour beaucoup d'entreprises. Il leur permet de s'adapter
aux demandes de leurs clients et leur offre la possibilité d'étendre leurs
activités internationales. Mais je ne crois pas que sa libération totale
produirait l'effet miraculeux que vous décrivez.
Une telle mesure entrerait directement en contradiction avec notre souci de
construire une politique énergétique durable et cohérente, notamment par le
biais de la programmation pluriannuelle des investissements. Elle risquerait
également d'entraîner des variations de prix aussi imprévisibles que néfastes.
Enfin, affirmer comme vous le faites, monsieur le rapporteur, que
l'interdiction du
trading
pour les fournisseurs reviendra à accorder à
EDF un monopole de fait, c'est oublier que, si EDF assure aujourd'hui 95 % de
la production française, 34 % de la consommation nationale sera ouverte à la
concurrence dès 2003.
C'est pourquoi je considère avec vous, monsieur le secrétaire d'Etat, que le
négoce d'électricité doit être encadré : autorisation ministérielle et seuil de
production me semblent donc être des garanties salutaires.
Vous avez déclaré qu'un seuil de 20 % vous semblait raisonnable. Ma seule
interrogation à ce sujet porte sur la base à partir de laquelle ce taux sera
calculé : s'agira-t-il de l'ensemble de la production européenne ou bien, comme
le sous-entend M. le rapporteur, de la seule production nationale, ce qui, il
est vrai, modifierait sensiblement la donne ?
J'en viens à la question des autoproducteurs, que M. le rapporteur a amplement
abordée. La commission propose de les exonérer de toute contribution au fonds
de service public de la production d'électricité. Cette proposition ne me
paraît pas acceptable. Tous les acteurs de l'électricité doivent contribuer au
financement des surcoûts liés à l'accomplissement des missions de service
public, y compris les autoproducteurs. L'Assemblée nationale a assoupli le
dispositif en renvoyant à un décret le seuil à partir duquel ils seront
redevables de cette contribution. Il faut s'en tenir là.
Vous dénoncez également, monsieur le rapporteur, la durée des contrats. Les
députés ont souhaité encadrer davantage l'ouverture du marché de l'électricité,
en imposant une durée minimale de trois ans aux contrats de fourniture
d'électricité, en vue de concilier la liberté contractuelle avec les exigences
d'une politique énergétique de long terme. Il est vrai que cette disposition
risque d'être contraire à la directive européenne. Mais votre proposition
visant à supprimer purement et simplement ce délai me semble trop radicale.
Pour notre part, nous préférons la solution du Gouvernement, qui consiste à
maintenir cette durée tout en réaffirmant le principe de mutabilité, qui permet
de réviser ou de résilier un contrat. C'est une solution équilibrée.
Enfin, je dirai un dernier mot sur l'instauration du tarif social. Une bonne
partie de la droite la refuse, au motif que cette question relèverait
exclusivement de l'action sociale et que son coût serait trop élevé. M. le
rapporteur retient ce dernier grief qui, à nos yeux, n'est pas recevable : EDF,
au titre de son obligation de service public, ne peut se détourner de ses
missions sociales, notamment de l'objectif de cohésion sociale, dont ce tarif
est un élément essentiel. En revanche, l'argument sur le risque de saupoudrage,
donc d'inefficacité, nous semble plus pertinent. Vous proposez de faire
bénéficier de ces tarifs les seules personnes visées par la loi contre les
exclusions, soit environ 450 000 personnes. N'est-ce pas trop restrictif ?
Peut-être vaudrait-il mieux donner plus de latitude au pouvoir réglementaire,
en vue de permettre un ciblage plus fin des publics à viser ?
Je n'aborderai pas les questions concernant la distribution d'électricité et
le pouvoir concédant des communes, deux points que mes collègues et amis Jean
Besson et Jean-Marc Pastor vont amplement traiter.
Monsieur le secrétaire d'Etat, votre projet de loi illustre bien ce que nous,
partisans de l'économie mixte ou, comme on dit aujourd'hui, d'une économie de
marché régulée par le droit, la loi et les contrats, savions déjà : un certain
degré d'ouverture à la concurrence n'est pas contradictoire avec l'existence de
services publics puissants et dynamiques ; il peut même être utile à leur
rénovation et à leur essor.
Nous voterons donc votre texte prudent et équilibré sauf, évidemment, si la
majorité sénatoriale le dénature par des amendements inacceptables. Dans ce
cas, à notre grand regret, monsieur le secrétaire d'Etat, nous serons
contraints de voter contre.
(Applaudissements sur les travées
socialistes.)
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