Séance du 25 juin 1999
M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi, je donne la parole à Mme Terrade, pour explication de vote.
Mme Odette Terrade. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, au terme de ce débat très enrichissant, beaucoup de thèmes ont été abordés, y compris des thèmes auxquels le présent projet de loi ne faisait pas expressément référence.
Les échanges qui ont eu lieu ont permis à chacun de donner son opinion et au Gouvernement de nous faire connaître sa position sur tel ou tel sujet.
C'est ainsi que, s'agissant de la responsabilité pénale des élus locaux, dont il n'était pas question dans le présent texte, nous avons eu un débat fort intéressant, comme chaque fois sur ce sujet, et nous avons appris - et pris bonne note - que Mme la garde des sceaux mettait une commission en place dès le 21 juin afin d'examiner cette délicate question.
C'est donc avec un intérêt et une attention tout particuliers que nous examinerons les éléments fournis par ce groupe de travail.
Pour notre part, si nous sommes conscients de l'inquiétude que suscite le risque pénal dans la gestion locale chez la plupart des élus, nous estimons en revanche que ce n'est pas au détour de tel ou tel texte, par voie d'amendement, que ce problème se réglera.
Ne donnons pas le sentiment à nos concitoyens que les élus, voire les fonctionnaires, seraient au-dessus des lois.
Donnons au contraire un véritable statut aux élus, accordons-leur les moyens de mener véritablement à bien, en toute sécurité, les fonctions et les missions qui leur ont été confiées.
En ce qui concerne l'appel des arrêts des cours d'assises, là aussi, faisons preuve de patience et de réflexion !
Ne légiférons pas dans la précipitation, sans étudier de façon plus approfondie les tenants et les aboutissants de la problématique, légitime, qui nous est posée !
La chancellerie envisage une telle réforme, qui reste pour l'heure subordonnée à l'octroi de moyens importants, indispensables à sa mise en oeuvre.
Pour ce qui est des dispositions du texte qui nous revenaient de l'Assemblée nationale, le Sénat y a apporté des modifications. Certaines nous agréent, d'autres moins. Dans tous les cas, le débat est ouvert entre le Sénat et l'Assemblée nationale.
Bien sûr, nous regrettons que nos amendements aient été repoussés, surtout celui qui était relatif à la collégialité des magistrats pour décider un placement en détention provisoire ou le prolonger. Ils exigent des moyens importants qui, pour le moment, ne sont pas mobilisés.
C'est ainsi que le principe du juge unique, quelle que soit la dénomination qui sera finalement retenue, a été maintenu en matière de détention provisoire.
Au-delà, il reste à espérer que les dispositions tendant à encadrer les conditions de placement en détention provisoire et à en limiter la durée auront des effets bénéfiques au regard non seulement de la présomption d'innocence, que le projet de loi vise à renforcer, mais aussi de la surpopulation carcérale.
Quant à la liberté de la presse et à la présomption d'innocence, j'estime que si ces deux principes fondamentaux sont difficilement conciliables, tant leurs objectifs sont contradictoires, il ne faut pas pour autant admettre que l'un puisse empiéter sur l'autre. Le projet de loi, ainsi d'ailleurs qu'un amendement de M. Jolibois, nous faisaient courir ce risque.
Il faut rester dans le cadre protecteur de la loi de 1881, car les journalistes ne sont pas, le cas échéant, des délinquants ordinaires, renforcer le droit de réponse et accorder une plus grande place au non-lieu, à la relaxe ou à l'acquittement dans les journaux.
Enfin, il ne faut pas confondre le journalisme d'information et d'investigation et la presse à scandale.
Pour conclure, ce que nous devons retenir de ce texte, de façon positive, c'est que l'avocat sera désormais présent dès la première heure de la garde à vue, que le rôle des juges d'instruction est repensé, même si le débat n'est pas clos en la matière, que les mises en détention provisoire devraient être moins courantes, que les droits des victimes seront renforcés, enfin que la durée des procédures devrait être raccourcie.
Même si nous pensons que ce projet de loi peut encore être amélioré lors des futures navettes, nous émettons, d'ores et déjà, un vote favorable, que nous espérons pouvoir renouveler lors des lectures à venir.
MM. Michel Dreyfus-Schmidt et Hubert Haenel. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Haenel.
M. Hubert Haenel. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur les amendements nombreux, divers et souvent significatifs que nous avons adoptés, et que vient d'ailleurs d'évoquer à l'instant Mme Terrade.
Le Sénat, c'est vrai, a pris son temps, ou plutôt le temps qu'il fallait, disons le plus souvent - en tout cas ces dernières heures - le temps nécessaire, indispensable même, pour aborder au fond et à fond la difficile question de la protection de la présomption d'innoncence et celle, tout aussi complexe, des droits des victimes.
Le temps permet souvent le mûrissement d'un problème difficile qui éclaire le sujet et permet de dégager les bonnes solutions. Il permet également la distillation pour extraire d'un débat l'essence, la substantifique moelle, ce que souvent nous avons fait à partir d'un travail de fond et de forme de grande qualité effectué par la commission des lois et plus particulièrement par son rapporteur, notre collègue Charles Jolibois. Qu'il en soit remercié et félicité.
Oui, nous avons débattu, délibéré, décidé, le plus souvent, dois-je le souligner, hors de toute approche partisane ou politicienne, cheminant parfois à vos côtés, madame le garde des sceaux.
Il est dommage que nos concitoyens n'aient pas pu assister à ces débats : ils auraient sans doute été intéressés et peut-être même réconciliés avec le Parlement en général et le Sénat en particulier, le Sénat qui, sur les sujets de société, démontre chaque fois sa compétence et sa hauteur de vue. Mais n'est-ce pas là sa raison d'être et son honneur ?
Les exégètes qui se pencheront sur ce texte pourront mettre en évidence les majorités d'idées qui se sont très souvent dégagées à l'occasion de l'examen de la plupart des amendements « lourds » que nous avons adoptés.
Le texte que nous allons voter dans quelques minutes va permettre, je l'espère en tout cas, à l'Assemblée nationale d'ouvrir des débats sur des questions qui ont peut-être trop vite été écartées. Osons croire qu'à l'Assemblée nationale comme ici des femmes et des hommes de bonne volonté se retrouveront et nous rejoindront pour qu'un grand pas soit franchi dans le domaine de la présomption d'innocence. Trop souvent, sur telle ou telle question, on nous objecte qu'il y a lieu de renvoyer à des discussions interministérielles, à des études plus approfondies, que sais-je encore ?
Trop souvent, ce n'est pas le bon moment. Ce n'est même jamais le bon moment. Montrons, mes chers collègues, affirmons, affichons que sur ce sujet nous savons ce que nous voulons et que nous sommes déterminés. C'est le bon moment d'assumer pleinement nos fonctions de législateur, donc de faire la loi, c'est-à-dire de voter ce texte profondément amendé.
M. le président. La parole est à M. Fauchon.
M. Pierre Fauchon. Madame la garde des sceaux, mon groupe se réjouit à son tour du bon travail qui vient d'être accompli sur ce texte complexe, qui comporte évidemment un grand nombre de dispositions diverses. La navette permettra peut-être encore de nouvelles approches...
M. Hubert Haenel. Bien sûr !
M. Pierre Fauchon. ... ou, en tout cas, des approches plus précises, et seul l'avenir nous dira quelles dispositions sont véritablement utiles. Il est difficile d'être prophète dans ce domaine !
Nous relevons cependant d'ores et déjà trois dispositions d'importance et de conséquence.
La première est due à votre initiative, madame la garde des sceaux. Il est vrai que nous l'avons accueillie avec un certain scepticisme, mais nous voulons jouer la carte de la confiance et penser que, de cette mesure, qui, en tout cas, ne peut pas avoir d'effets négatifs, résultera une meilleure appréciation par le juge de la nécessité d'ordonner ou non la détention provisoire.
La seconde avancée à laquelle nous faisons, sans hésiter, une très grande confiance, c'est celle qui vise à soumettre les affaires les plus difficiles à la collégialité de la chambre d'accusation par le biais d'une procédure d'appel suspensif : la décision de détention, au sens fort du terme, ne sera prise que dans ce cadre dans les cas plus difficiles.
Enfin, le système de l'appel tournant, que nous devons à l'initiative de M. le rapporteur, est en lui-même une avancée extrêmement importante.
Nous remercions Mme la garde des sceaux de nous avoir invités à cette réflexion et à prendre ces mesures. Nous remercions aussi très vivement la commission du travail qui a été fait, son président, son rapporteur bien sûr et ses collaborateurs. Elle a fait preuve à la fois de compétence et d'une grande conscience professionnelle dans l'examen de chaque article, mais aussi d'une capacité d'imagination et d'innovation à laquelle je tiens à rendre hommage.
Quelqu'un a cru pouvoir écrire que le Sénat avait pris son temps. Le Sénat n'a pas pris son temps, le Sénat a donné son temps, il a donné généreusement son temps, le temps des uns et des autres, pour faire en sorte que cette loi soit la meilleure possible. Il peut s'en féliciter. Il serait souhaitable que cet exemple donné par le Sénat soit mieux connu et mieux reconnu.
MM. Hubert Haenel et Michel Dreyfus-Schmidt. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Clouet.
M. Jean Clouet. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, avec un peu de narcissisme, ce qui n'exclut aucune objectivité, le groupe des Républicains et Indépendants félicite M. le président et M. le rapporteur de la commission. Il votera donc ce texte, à l'exception de M. Christian Bonnet, qui a demandé que l'on prenne acte de son abstention.
M. le président. La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, nous voici arrivés au terme d'un long parcours.
Je commencerai par exprimer mes félicitations au premier auteur du projet de loi, c'est-à-dire à Mme le garde des sceaux, car c'est à elle que devons le texte sur lequel nous avons travaillé et c'est à son caractère, à son talent que nous devons d'avoir progressé aussi favorablement au long de ces débats.
Je remercierai ensuite, au nom du groupe socialiste, M. le rapporteur de la commission des lois, qui a donné de son temps, pour son excellent travail, mais aussi les membres de la commission des lois, en particulier ceux qui se sont consacrés, sans désemparer pendant quelques jours, à tenter d'améliorer le texte qui venait de l'Assemblée nationale. Merci enfin à tous les intervenants pour leurs initiatives et l'énergie qu'ils ont mis dans la défense de leurs amendements.
Au terme de ce parcours, en dehors de ces satisfactions qui peuvent revêtir un caractère d'autosatisfaction et qu'il ne faut pas prolonger, je ferai part de mon sentiment.
Ce texte est tout à fait positif s'agissant de la situation du justiciable, présumé innocent infiniment plus dans les textes que dans la pratique judiciaire. La mesure la plus importante à mon sens sera certainement celle de la présence de l'avocat et du renforcement des droits de la défense.
La présence de l'avocat au début de la garde à vue est en effet une avancée sensible, remarquable même, dirai-je, au regard de la tradition juridique qui est la nôtre.
Autre avancée sensible : la présence de l'avocat auprès du témoin assisté. Je crois que le travail fait par la commission sur ce point est extrêmement précieux.
L'institution de la condition de témoin assisté, de celui qui se trouve impliqué dans une affaire sans qu'on ait réuni contre lui des indices graves et concordants et qui a droit à l'assistance d'un avocat et à la connaissance du dossier, bien mise en pratique, constituera indiscutablement un grand progrès pour les justiciables.
J'espère ainsi que la distinction réalisée entre la condition de témoin, assisté ou non, et la condition de mis en examen fera disparaître la confusion détestable opérée par l'opinion publique.
Ce sont là des progrès importants.
S'agissant de la détention provisoire, comment ne pas noter que nous en sommes à la dixième réforme. En dix-huit ans, tous les gardes des sceaux se sont évertués, avec le concours des excellents services de la chancellerie, à essayer de trouver le remède à ce qui constitue une difficulté structurelle au sein de notre procédure pénale.
Dès le départ, nous vous avons dit que nous soutiendrions votre initiative, madame le garde des sceaux. Elle engagera le magistrat instructeur à s'interroger plus profondément face au choix si important consistant à demander ou non la détention provisoire.
A cela s'ajouterai la possibilité d'audience contradictoire et d'appel rapide devant la chambre d'accusation.
Si cet ensemble de garanties, une fois définitivement mises au point au cours de la navette, ne remédient pas à la situation actuelle, c'est qu'alors il nous faudra songer à ce qui me paraît d'ailleurs s'esquisser à travers toute l'évolution récente de la procédure pénale, notamment dans différents Etats de droit, il nous faudra songer, dis-je, à nous orienter vers un autre système.
D'une certaine manière, madame le garde des sceaux, je pense que le projet que nous voterons, et que nous voterons chaleureusement pour ce qui concerne les membres du groupe socialiste, est comme une dernière chance donnée à un système dont nous sommes les lointains héritiers.
Je vous l'ai dit : bien des réformes ont eu lieu ; des progrès ont pu être constatés, mais jamais nous n'avons obtenu le résultat que nous attendons tous depuis longtemps. Je souhaite que cette fois-ci, avec ce système de garanties successives que nous avons mis au point, le problème clé de la détention provisoire, plus généralement tous les problèmes liés à l'instruction préparatoire, se trouvent enfin réglés dans le sens que nous espérons.
Nous verrons dans deux ans ce qu'il en est. Je le dis avec une conviction absolue : c'est, en quelque sorte, notre dernière entreprise pour faire fonctionner nos institutions judiciaires en matière d'instruction et de détention provisoire au regard des exigences qui sont maintenant celles de toute l'Europe, contrôlées par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme.
Il est un dossier sur lequel je ne reviendrai pas sinon pour me féliciter de l'heureuse initiative prise en ce qui concerne le double degré de juridiction en matière criminelle.
Toutes ces dispositions seront reprises, améliorées, peaufinées au cours de la navette, qui sera assurément fructueuse.
Grâce à l'effort de tous et de chacun, grâce à vous, madame le garde des sceaux, à votre conviction et à votre caractère, nous devrions parvenir à élaborer un ensemble de dispositions qui satisferont à l'objectif que vous vous êtes fixé : améliorer la protection de la présomption d'innocence. Ce ne sera pas un mince service que vous aurez rendu à nos concitoyens. (M. Dreyfus-Schmidt applaudit.)
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Nous voici arrivés au terme de ce débat. Si nous y sommes parvenus dans des délais qui ont été finalement raisonnables, c'est en grande partie grâce à la diligence de nos présidents de séance qui ont su imposer à nos travaux, le moment venu, le rythme nécessaire.
Bien entendu, nous avons très longuement débattu de la présomption d'innocence, qui n'est pas une idée neuve au Sénat. Voilà longtemps que des études d'une extrême qualité ont été menées sur ce sujet. Nous en retrouvons d'ailleurs une trace importante - et j'en donne acte à Mme le garde des sceaux - dans le projet de loi qui nous a été présenté.
Que dire de nos débats ?
Je note, tout d'abord, qu'il est nécessaire que le Gouvernement s'en tienne aux procédures parlementaires normales. L'Assemblée nationale, d'une part, et le Sénat, d'autre part, ont bien travaillé. La navette sera d'une très grande utilité. Ainsi, la commission mixte paritaire, lorsqu'elle se réunira, ne sera pas confrontée aux difficultés quasi insurmontables qu'elle rencontre parfois lorsqu'elle intervient après une seule lecture dans l'une et l'autre des assemblées.
La procédure qui a été suivie est tout à fait normale. Elle a certes demandé du temps, mais nous n'avons pas à le regretter, car ce projet de loi devait être examiné dans le détail et amélioré.
Dans le texte qui résulte de nos travaux, il y a, pour certains - pourquoi ne pas le dire - des motifs d'inquiétude. Mais nous avons accepté la présence de l'avocat au cours de la garde à vue. Il faudra bien voir comment ce dispositif fonctionnera.
Par ailleurs, nous avons perçu une certaine timidité que nous n'avons pas pu surmonter dans les circonstances actuelles. En effet, comme nous l'avons indiqué, substituer à la décision d'un homme seul celle d'un autre homme seul en matière de détention provisoire constitue sans doute un progrès mais il n'est certainement pas définitif et suffisant. L'amendement, dont notre ami M. Pierre Fauchon a pris l'initiative, a d'ailleurs corrigé de manière extrêmement pertinente l'un des aspects de ce texte qui devait l'être.
Une idée-force est apparue : il s'agit de la volonté que nous avons de créer, en matière criminelle, une procédure d'appel ou, plus exactement, une procédure de recours.
Madame le garde des sceaux, nous savons que la question est délicate. Elle nécessite sans doute une mise au point. Mais quelle que soit l'excellence des travaux de vos services qui vous aideront considérablement dans cette mise au point, je vous demande de mettre à profit la navette pour nous apporter les compléments nécessaires afin de nous permettre de prendre les décisions définitives. C'est possible et souhaitable.
Enfin, qu'il me soit permis de le dire, je ne sais pas s'il y a lieu de regretter que le public n'ait pas assisté à nos débats. Il aurait ainsi pu se rendre compte de leur qualité, mais aussi des conditions dans lesquelles ils se déroulent. J'ignore l'impression qu'il en aurait tirée.
Personnellement, je garde un très grand souvenir d'une certaine séance de commission où nous avions commencé nos travaux à neuf heures pour les terminer à dix-neuf heures. Il s'agissait simplement d'une étape dans nos travaux. Nous étions - pourquoi ne pas le dire ? - six ou sept, qui avions la volonté de progresser et de trouver des solutions dans un climat que nous avions su créer.
Dans cette recherche extrêmement féconde du point de vue intellectuel et d'une très grande qualité juridique, notre rapporteur, nous le savons tous, aura joué un rôle d'une extrême utilité, dont nous pouvons le remercier. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi.
(Le projet de loi est adopté.)
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