Séance du 25 juin 1999
M. le président. Par amendement n° 133, M. Charasse propose d'insérer, après l'article 25, un article additionnel ainsi rédigé :
« Il est inséré, après l'article 26 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, un article additionnel ainsi rédigé :
« Art. ... - La publication des noms, images et qualité des magistrats de l'ordre judiciaire, administratif et financier ayant en charge l'instruction d'une affaire est passible d'un an d'emprisonnement et de 500 000 F d'amende. Cette disposition s'applique aux publications ou émissions étrangères vendues ou diffusées en France.
« Les magistrats qui ont facilité la divulgation des informations en cause ou qui y ont participé sont passibles des mêmes peines. »
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. Pour éviter les tentations du vedettariat et sans doute bien des fuites, il me paraît sage de proposer d'adopter une disposition qui interdise désormais la publication des noms, images et qualité des magistrats qui sont chargés de l'instruction d'une affaire.
MM. Jean Chérioux et René-Georges Laurin. Très bien !
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Charles Jolibois, rapporteur. Cela serait très difficile à imposer. Aussi, la commission émet un avis défavorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je suis sensible, je dois le dire, au problème de la médiatisation excessive des juges et de la justice.
Les juges exercent leur fonction au nom du peuple français. Leur personnalité doit disparaître derrière l'exercice de cette fonction. L'intérêt n'a à se porter ni sur leur vie privée, ni sur leurs opinions politiques ou philosophiques. Cela est essentiel, me semble-t-il, pour la sérénité de la justice et le bien de nos concitoyens.
Par ailleurs, cette personnalisation peut parfois transformer le cours de la procédure dans un débat personnalisé qui oppose les uns et les autres, et qui ne me paraît pas de bon aloi.
Cependant, je ne pense pas que l'on puisse admettre l'amendement de M. Charasse, car il est si large qu'il interdirait à la presse de faire son travail d'information dans des conditions normales. Il est essentiel, dans un pays démocratique, que les citoyens puissent être informés librement, éventuellement sur l'identité des magistrats. Il est utile, par exemple, de savoir que tel juge ayant déjà instruit telle affaire est maintenant chargé d'une nouvelle affaire de nature voisine.
C'est la raison pour laquelle je demande à M. Charasse de bien vouloir retirer son amendement qui a une portée excessive, tout en affirmant que la réflexion doit se poursuivre pour envisager des solutions permettant effectivement d'éviter la médiatisation excessive.
M. le président. Monsieur Charasse, l'amendement n° 133 est-il maintenu ?
M. Michel Charasse. J'ai écouté Mme le garde des sceaux. S'il ne s'agit pas d'un enterrement - mais je lui fais confiance parce qu'elle a déjà pris des engagements qu'elle a tenus à mon égard - je retire mon amendement.
M. le président. L'amendement n° 133 est retiré.
Par amendement n° 134, MM. Charasse et Dreyfus-Schmidt proposent d'insérer, après l'article 25, un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - L'article 31 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse est abrogé :
« II. - Il est inséré, après le premier alinéa de l'article 32 de la même loi, un alinéa ainsi rédigé :
« Les peines sont portées à un an et 300 000 F lorsque la diffamation est commise, à raison de leurs fonctions ou de leur qualité, envers un ou plusieurs membres du ministère, un ou plusieurs membres de l'une ou l'autre Chambre, un fonctionnaire public, un dépositaire ou agent de l'autorité publique, un ministre de l'un des cultes salariés par l'Etat, un citoyen chargé d'un service ou d'un mandat public, temporaire ou permanent, un juré ou un témoin, à raison de sa déposition. »
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. Il s'agit de la loi de 1881 sur la liberté de la presse, qui, dans le contexte de l'époque, comme dirait M. Larché, a introduit un double régime selon que les citoyens sont des citoyens ordinaires - mais ce n'est pas péjoratif - ou des personnes protégées, c'est-à-dire membres du Gouvernement, président de la République, membres du Parlement, élus locaux, etc. Il s'agit donc de dispositions qui figurent aux articles 31 et 32 de la loi de 1881.
Le problème est très simple : la jurisprudence a grandement compliqué les choses et la distinction est souvent très difficile à faire. Lorsque vous êtes une personne protégée, c'est-à-dire lorsque vous êtes responsable public, élu, notamment et que vous engagez une action au titre de la loi de 1881, par exemple en diffamation, on commence toujours par rechercher si vous avez été diffamé comme personne protégée ou comme simple citoyen. Et comme vous ne pouvez déposer plainte en vous fondant à la fois sur l'article 31 et sur l'article 32, généralement le tribunal, qui n'aime pas condamner la presse, dit : vous vous êtes fondé sur l'article 31, or il fallait vous appuyer sur l'article 32, ou inversement, et ce après avoir reconnu, dans la première partie du jugement, que la plainte est parfaitement fondée et qu'il y a bien diffamation.
Aussi, je propose de supprimer l'article 31, de tout mettre dans le même article et de prévoir simplement une disposition aggravante lorsqu'il s'agit des personnes dites protégées.
M. Jean Chérioux. Très bien !
M. Michel Charasse. D'ailleurs, je ne suis pas opposé à ce qu'on supprime cette notion de personne protégée.
Dans ce cas, le tribunal ne pourra pas trouver à se défausser pour éviter de rendre justice à quelqu'un qui exerce une responsabilité publique et qui a été gravement diffamé.
M. Raymond Courrière. Très bien !
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Charles Jolibois, rapporteur. Je dois à la vérité de reconnaître que la commission n'avait pas perçu l'utilité de cette disposition. Cependant, si tous les membres de la commission avaient été présents dans cet hémicycle, voilà quelques instants, vous les auriez convaincus, monsieur Charasse. Aussi, je me permets, en présence du président de la commission des lois, de transformer l'avis défavorable, qui n'était d'ailleurs pas très assuré, en une position de sagesse.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je formulerai deux observations.
D'abord, cette modification de la loi sur la liberté de la presse, convenons-en, est sans lien direct avec le projet de loi. Ensuite, sur le fond, elle ne présente aucun intérêt car elle ne change rien.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Si !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Même s'il s'agit d'un seul article, la diffamation contre une personne publique reste différente de celle qui concerne une personne privée puisque les peines sont plus élevées. Donc, une erreur de qualification rend toujours les poursuites nulles.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 134.
M. Michel Charasse. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. Je dirai à Mme le garde des sceaux que, pour avoir vécu plusieurs fois ces difficultés, je ne fais pas la même interprétation.
La rédaction de mon amendement fait que, dans tous les cas, il y a au moins condamnation au titre de la personne ordinaire, et si le tribunal considère qu'en plus il y a eu diffamation ou attaque au titre de la personne protégée, il aggravera la peine. En effet : mon amendement dispose : « Les peines sont portées à... »
Par conséquent, je dis amicalement à Mme Guigou - et je la prie de m'en excuser - que son argumentation ne tient pas compte tenu de la rédaction que je propose et qu'elle avait peut-être mal regardée.
M. Raymond Courrière. Très bien !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. L'argumentation ne tient pas parce que, en matière de loi sur la presse et de diffamation, il faut, à peine de nullité, viser les articles applicables...
M. Michel Charasse. Voilà !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. ... et le fait qu'aujourd'hui il y ait deux articles permet aux tribunaux, selon les cas, de dire qu'il fallait viser le premier ou le deuxième.
J'ai connu une jurisprudence aux termes de laquelle un maquisard, en 1943, était détenteur d'une parcelle de la souveraineté nationale. Cela avait évidemment pour objet de faire plaisir au demandeur à qui on ne voulait pas faire perdre le procès.
Mais la réalité de la difficulté existe, non pas parce qu'il y a des peines différentes, mais parce qu'il existe deux articles différents et que, je le répète, on est obligé de viser, dans la citation, l'article applicable.
Tel est l'intérêt de cet amendement.
MM. Raymond Courrière et Jean Chérioux. Très bien !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 134, repoussé par le Gouvernement et pour lequel la commission s'en remet à la sagesse du Sénat.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 25.
Par amendement n° 135, M. Charasse propose d'insérer, après l'article 25, un article additionnel ainsi rédigé :
« L'article 32 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse est complété in fine par trois alinéas ainsi rédigés :
« Les dommages et intérêts sont calculés en pourcentage des recettes de la publication qui a publié l'article diffamatoire et ne peuvent être constitués par le franc symbolique.
« Pour les services de communication audiovisuelle et de radiodiffusion sonore, ayant retransmis les propos diffamatoires, les dommages et intérêts sont calculés compte tenu des recettes commerciales enregistrées par le service sans pouvoir être constituées par le franc symbolique.
« Pour les services de communication audiovisuelle et de radiodiffusion sonore ne collectant pas de ressources commerciales, les dommages et intérêts sont calculés en fonction du budget annuel du service. »
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. J'aurais souhaité que l'on réfléchisse aux modalités de calcul des indemnités en matière de procès de presse. Toutefois, compte tenu de l'heure et de mon souci de ne pas ouvrir un débat sur un sujet compliqué sur lequel je me réserve de revenir ultérieurement, je retire cet amendement.
M. Hubert Haenel. Quelle sagesse !
M. le président. L'amendement n° 135 est retiré.
Je suis maintenant saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 136, M. Charasse propose d'insérer, après l'article 25, un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - L'article 65 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse est ainsi rédigé :
« Art. 65. - L'action publique et l'action civile résultant des infractions prévues par la présente loi se prescriront après trois ans révolus. »
« II. - Dans l'article 65-1 de la même loi, le mot : "mois" est remplacé (deux fois) par le mot : "ans". »
Par amendement n° 245, M. Dreyfus-Schmidt et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent d'insérer, après l'article 25, un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - L'article 65 de la loi du 29 juilllet 1881 sur la liberté de la presse est ainsi rédigé :
« Art. 65. - L'action publique et l'action civile résultant des infractions prévues par la présente loi se prescriront après un an révolu. »
« II. - Dans l'article 65-1 de la même loi, le mot : "mois" est remplacé par le mot : "an". »
La parole est M. Charasse, pour présenter l'amendement n° 136.
M. Michel Charasse. Je propose simplement que la prescription en matière de presse soit de trois ans, c'est-à-dire le délai de droit commun. Le délai de trois mois se révèle en effet trop court dans de très nombreux cas, en particulier pour des personnes qui sont absentes du territoire, qui sont à l'étranger. De plus en plus de Français sont à l'étranger, ne rentrent pas tous les jours et ils peuvent découvrir tardivement qu'ils ont été mis en cause.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt, pour défendre l'amendement n° 245.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Cet amendement, comme le précédent que vient d'exposer M. Michel Charasse, tend évidemment à protéger les victimes, je veux dire les victimes de diffamation, qui, aujourd'hui, se heurtent souvent à cette prescription de trois mois. Celle-ci oblige à agir dans les trois mois, mais, de plus, à veiller à ce qu'un acte interruptif intervienne tous les trois mois, à défaut de quoi le procès tombe à l'eau ; c'est évidemment une chausse-trape.
Nous proposons de porter le délai à un an. Il y a des contraventions dans la loi sur la presse et le délai de trois ans proposé par M. Charasse est donc, nous semble-t-il, trop long, quand on sait que le délai de prescription d'une simple contravention de droit commun est d'un an. Aussi, je considère que, pour commencer, il serait bon de fixer le délai de prescription à un an. C'est l'objet de l'amendement n° 245 que les membres du groupe socialiste et apparentés et moi-même avons déposé et dont je suis le premier signataire.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s 136 et 245 ?
M. Charles Jolibois, rapporteur. Plus on avance, plus on se demande s'il ne sera pas nécessaire, un jour, d'actualiser la loi de 1881.
S'agissant de modifier le délai de prescription, la commission a émis un avis défavorable. En effet, la règle selon laquelle, en matière de presse, les prescriptions sont courtes est tout de même un point très important. Aussi, il ne convient pas de la modifier aujourd'hui.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur ces deux amendements ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Le Gouvernement émet un avis défavorable sur ces deux amendements.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 136.
M. Robert Badinter. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter. En matière de presse, on ne peut pas dissocier la courte prescription du fait que l'on doit rapporter la preuve préétablie selon des exigences très précises et dans un délai très bref. C'est la raison pour laquelle on souhaite que le procès soit lié, sinon vidé, dans un délai de trois mois parce que, si le temps s'écoule, la preuve de la vérité des faits diffamatoires pourra ne pas être conservée par l'auteur de la publication. Il faut donc maintenir le délai de trois mois.
M. Michel Charasse. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. Pardonnez-moi de ne pas être tout à fait d'accord avec M. Robert Badinter. En effet, le délai de trois mois, c'est pour engager l'action. Or, le procès ne se déroule jamais dans un délai de trois mois. (M. le rapporteur s'exclame.) Il est interruptif de prescription. Mais si, par la suite, on ne renouvelle pas régulièrement un certain nombre de formalités, l'affaire tombe. Par conséquent, je maintiens mon amendement.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 136, repoussé par la commission et par le Gouvernement.
(Après une épreuve à main levée déclarée douteuse par le bureau, le Sénat, par assis et levé, adopte l'amendement.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 25, et l'amendement n° 245 n'a plus d'objet.
TITRE II
DISPOSITIONS RENFORÇANT
LES DROITS DES VICTIMES
Chapitre Ier
Dispositions réprimant l'atteinte
à la dignité d'une victime d'une infraction pénale
Article 26