Séance du 11 mai 1999
PACTE CIVIL DE SOLIDARITÉ
Discussion d'une proposition de loi en deuxième lecture
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture de la proposition de
loi (n° 310, 1998-1999), adoptée avec modifications par l'Assemblée nationale
en deuxième lecture, relative au pacte civil de solidarité. [Rapport n° 335
(1998-1999).]
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux, ministre de la justice.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi relative au pacte
civil de solidarité revient aujourd'hui en deuxième lecture devant votre
assemblée. Cet important débat de société qui s'est ouvert en octobre dernier,
sur une initiative de députés avec le soutien du Gouvernement, touche à son
terme. Par cette nouvelle loi, le Parlement permettra à des millions de
Français qui ne veulent ou ne peuvent se marier de sortir de l'insécurité
juridique dans laquelle ils sont contraints de rester.
Beaucoup d'arguments ont déjà été échangés ; je ne les reprendrai pas tous,
car chacun a pu se forger une opinion et les différentes positions sont
connues. Il me semble pourtant utile de rappeler les principes qui m'ont guidée
dans les débats.
Le PACS concerne le couple, il ne concerne pas la famille. Il est un contrat,
il n'est pas une institution. Il offre des droits en matière sociale et sur des
aspects de la vie courante, - tels que le logement, les congés ou les mutations
professionnelles -, mais il confère aussi des devoirs de solidarité. Je suis
profondément convaincue que la société a intérêt à encourager de nouvelles
solidarités, car l'isolement est l'un des maux qui la mine.
La commission des lois du Sénat fait une analyse différente, comme c'est bien
entendu son droit, et propose d'adopter une question préalable, considérant
qu'il n'y a pas lieu de débattre du texte. Je le regrette, car je pense que le
travail accompli depuis le dépôt de la proposition de loi, tant par l'Assemblée
nationale que par le Sénat, aurait pu être poursuivi et méritait mieux que ce
coup d'arrêt à la discussion.
Quelles que soient en effet les divergences d'opinion, on ne peut pas, devant
une question d'une telle importance, qui concerne près de cinq millions de
personnes dans leur vie quotidienne, refuser la confrontation des idées.
C'est le rôle même, me semble-t-il, de la représentation nationale que de
débattre, à plus forte raison quand il s'agit d'une question de société comme
celle-là. C'est d'ailleurs la démarche que vous aviez adoptée en première
lecture.
Certes, vous aviez modifié le texte adopté par l'Assemblée nationale le 9
décembre 1998 de façon radicale. Vous aviez supprimé purement et simplement
toutes les dispositions relatives au pacte civil de solidarité. D'une part,
vous lui aviez substitué une définition du concubinage en tant que situation de
fait, d'autre part, vous aviez organisé la possibilité, pour les concubins, de
passer un contrat pour régler leurs relations et organiser leur vie commune.
Le Gouvernement n'a pas accepté une telle substitution, mais il a néanmoins
engagé la discussion.
L'Assemblée nationale, comme vous le savez, en adoptant la proposition de loi
en seconde lecture le 7 avril dernier, a fait sienne votre démarche qui
consistait à prendre en considération l'ensemble des situations vécues par les
couples non mariés et, par une définition du concubinage, à lever les
discriminations dont sont victimes les concubins homosexuels. Tel est bien mon
objectif depuis le début de cette discussion.
Je comprends d'autant moins la motion adoptée par la commission des lois du
Sénat consistant à opposer la question préalable que les motifs avancés ne me
paraissent pas convaincants,...
Mme Hélène Luc.
Et pas courageux !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
... et cela pour deux raisons. D'abord, l'idée que le
pacte civil de solidarité porterait atteinte au mariage et à la famille est une
fausse querelle. Il y a déjà été répondu amplement en première lecture.
Ensuite, un certain nombre d'observations pertinentes du Sénat sur les
difficultés juridiques et pratiques du texte ont été prises en compte par
l'Assemblée nationale lors de la deuxième lecture.
Je voudrais revenir sur ces deux aspects et, en premier lieu, sur les
prétendues atteintes que le pacte civil de solidarité porterait au mariage et à
la famille.
Je me suis exprimée très longuement à ce sujet en première lecture, non pas
parce que cet argument me paraît fondé, mais parce qu'il est avancé comme un
véritable leitmotiv par les adversaires du pacte civil de solidarité.
Je veux redire au Sénat que la création du pacte civil de solidarité n'a
jamais eu pour objet ni pour effet de porter une atteinte quelconque au
mariage, qui, comme le souligne la commission des lois, est une institution de
référence pour près de vingt-cinq millions de nos concitoyens.
Contrairement à ce qu'affirme la commission, il y a place, entre la pure
situation de fait que constitue le concubinage et l'institution du mariage,
pour un cadre juridique intermédiaire de vie en commun.
J'en veux pour seule preuve les documents de travail du service de la
législation comparée du Sénat qui établissent que en Belgique, au Danemark, en
Espagne, en Finlande, en Islande, en Norvège, aux Pays-Bas, au Portugal et en
Suède, les parlements ont tous été saisis de projets qui admettent d'autres
formes d'union légale que le mariage. Pourquoi notre droit positif serait-il le
seul à ne pas pouvoir faire une place à une construction juridique nouvelle du
couple ?
Le mariage et le pacte civil de solidarité ne s'adressent pas aux mêmes
personnes parce qu'ils procèdent d'une démarche profondément différente : ceux
qui signeront un pacte seront guidés par un choix de vie personnelle qui leur
fait écarter le mariage ou qui ne leur permet pas d'y accéder.
Il est tout aussi inexact de continuer à prétendre que le pacte civil de
solidarité aurait pour effet de dissuader les candidats au mariage en raison
des avantages qu'il procure et de l'absence d'obligations corrélatives.
Je rappellerai une fois encore que les obligations du pacte civil de
solidarité, même si elles sont plus limitées que celles du mariage, sont
pourtant bien réelles et que ses avantages ne sont pas comparables, et de loin,
à ceux qui sont procurés par le mariage.
Quant à l'atteinte à la famille, je crois véritablement qu'on ne peut pas
prétendre sérieusement qu'il y ait un risque à cet égard. Il n'y a aucun
recoupement possible entre les dispositions du pacte civil de solidarité et les
règles organisant le droit familial. Les règles relatives à l'autorité
parentale, à la filiation, à l'adoption, à la procréation médicalement assistée
ne sont en aucune manière affectées par l'existence d'un pacte civil de
solidarité.
Vous dites qu'il n'est pas opportun de discuter la proposition de loi relative
au PACS au moment où un groupe de travail est chargé, à la chancellerie, de
proposer une réforme du droit à la famille.
C'est précisément parce que le PACS est neutre à l'égard de la famille et
qu'il n'a rien à voir avec celle-ci, qu'il ne concerne que les liens que deux
adultes ont décidé de nouer, que le pacte civil de solidarité ne peut trouver
sa place dans une réflexion sur une réforme du droit de la famille et que le
Gouvernement a tenu à ce qu'il en soit ainsi.
Pour fonder sa question préalable, la commission des lois du Sénat avance en
second lieu que les difficultés posées par le texte sont telles qu'il serait
inapplicable. Franchement, une telle exagération nuit à la démonstration.
La solidarité pour les actes de la vie courante, le régime de l'indivision,
pour ne prendre que deux exemples, sont des mécanismes juridiques d'ores et
déjà couramment appliqués.
Il est certain que tout texte est perfectible. D'ailleurs, l'Assemblée
nationale, en rétablissant les dispositions du pacte civil de solidarité, les a
assorties d'aménagements techniques qui n'ont pas trouvé grâce aux yeux de la
commission des lois du Sénat bien qu'ils s'inspirent, pour certains, des
observations faites dans cette assemblée. Pourtant, ceux-ci me paraissent
constituer un progrès significatif, notamment en ce qui concerne la nature du
pacte, ses modalités de déclaration et de conclusion, le régime des biens des
partenaires et l'attribution préférentielle.
La proposition de loi précise désormais explicitement que le pacte civil de
solidarité est un contrat. Il fallait beaucoup d'aveuglement - ou de mauvaise
foi - pour en douter ; mais puisque certains parmi vous s'interrogeaient sur la
nature juridique du pacte civil de solidarité, les voilà désormais rassurés sur
ce point et sur le système juridique auquel les juges auront à se référer en
cas de difficultés d'application.
Le texte prévoit aussi que la conclusion d'un PACS sera interdite à un majeur
placé sous régime de la tutelle, ce qui, là encore, répond à une préoccupation
que vous aviez manifestée en première lecture.
Par ailleurs, une distinction a été opérée entre la déclaration du pacte civil
de solidarité, enregistrée par le greffier, et la convention conclue entre les
signataires du pacte civil de solidarité, visée par le greffier et remise à
chacun d'entre eux. Ce nouveau mécanisme facilitera, pour les partenaires, la
preuve du pacte conclu ainsi que la possibilité de modifier ultérieurement la
convention.
Ensuite, le texte adopté par l'Assemblée nationale, le 7 avril dernier,
clarifie l'obligation de résidence commune pour les signataires du pacte civil
de solidarité. La solidarité des dettes à laquelle sont tenus les partenaires
d'un pacte civil de solidarité a, en conséquence, été étendue aux dépenses
liées au logement.
Quant au régime de l'attribution préférentielle de l'article 832 du code civil
qui a fait l'objet de vives critiques, il est désormais écarté pour les
exploitations agricoles, domaine dans lequel il se révèle, en effet,
problématique.
Enfin, dans un souci de protection des partenaires, les dispositions sur les
conséquences de la rupture du pacte civil de solidarité ont été modifiées pour
faire clairement apparaître la possibilité, pour le juge, d'allouer des
dommages et intérêts, conformément au droit commun de la responsabilité
civile.
Ces différentes modifications montrent amplement que l'Assemblée nationale ne
s'est pas inscrite, contrairement à ce qu'affirme la commission des lois du
Sénat, dans une démarche d'exercice solitaire du pouvoir législatif. Elle a
enrichi le texte initial alors qu'aujourd'hui vous refusez le principe même de
sa discussion.
L'Assemblée nationale n'a certes pas retenu la solution alternative que vous
aviez votée en première lecture.
M. Patrice Gélard,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
C'est
dommage !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Mais l'absence de cohérence globale du dispositif
proposé rendait impossible toute adhésion.
M. Jean Chérioux.
Votre présentation est manichéenne !
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis de la commission des finances, du contrôle budgétaire et
des comptes économiques de la nation.
C'est vous qui le dites !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Oui, non seulement je le dis, mais je l'affirme et je
le crois.
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis.
Vous avez tort !
M. Jean Chérioux.
Ce n'est pas la vérité pour autant !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Alors que le texte que vous aviez voté reconnaissait
clairement la diversité des modes de vie en commun en dehors du mariage, aucune
conséquence n'en était tirée quant à l'application d'un statut fiscal
privilégié.
De même, alors que vous refusiez cette forme de solidarité particulière que
constitue le pacte civil de solidarité, vous adoptiez des dispositions offrant
des avantages fiscaux à des personnes que n'unissent aucun lien affectif ni
même une communauté de vie.
Enfin, alors que vous condamniez le pacte civil de solidarité au nom de la
défense du mariage, vous permettiez à des concubins d'adopter contractuellement
un quasi-régime matrimonial.
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis.
C'est une caricature !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Cela montre, en réalité, qu'il n'y a pas de solution
alternative satisfaisante au pacte civil de solidarité.
Le débat est bien circonscrit : il s'agit soit d'adhérer au mécanisme du pacte
civil de solidarité...
M. Gérard Cornu.
C'est cela le dialogue !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
... avec des améliorations toujours possibles, soit de
le refuser...
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis.
C'est ce que nous allons faire !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
... en faisant fi ainsi de l'attente de millions de nos
concitoyens.
C'est au nom de ceux-ci que je vous demande, mesdames, messieurs les
sénateurs, de rejeter la question préalable et de poursuivre l'examen de la
proposition de loi créant le pacte civil de solidarité.
(Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
(Applaudissements sur les travées du RPR,
des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Patrice Gélard,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Monsieur le
président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, la proposition de
loi relative au pacte civil de solidarité nous revient aujourd'hui dans la
rédaction que l'Assemblée nationale a jugé bon d'adopter. Dès lors, il convient
de rappeler la nouvelle conception du pacte civil de solidarité tel qu'il
résulte de ses travaux.
Tout d'abord, l'Assemblée nationale a intégralement rétabli le pacte civil de
solidarité tel qu'elle l'avait conçu lors de la première lecture. Ensuite, elle
a supprimé la totalité des articles additionnels votés par le Sénat. Enfin,
elle a pris partiellement en compte un certain nombre de critiques émanant du
Sénat. Mais elle a aussi introduit des dispositions qui dénaturent encore
davantage ce texte, qui, dès le départ, nous avait paru non amendable et
inapplicable.
A l'article 1er, l'Assemblée nationale a rétabli le PACS.
A l'article 2 et à l'article 4, elle a rétabli l'imposition commune en ce qui
concerne l'impôt sur le revenu, d'une part, et l'impôt de solidarité sur la
fortune, d'autre part.
A l'article 4
bis,
elle a rétabli la qualité d'ayant-droit du
partenaire d'un PACS pour la sécurité sociale.
A l'article 5, elle a rétabli la possibilité de congés communs.
A l'article 5
bis,
les partenaires d'un PACS ne continueront plus de
toucher l'allocation de soutien familial. Il en est de même, à l'article 5
ter,
pour l'allocation veuvage.
A l'article 6, l'Assemblée nationale a rétabli l'attribution d'un titre de
séjour en France pour un étranger qui serait partenaire d'un Français dans un
pacte civil de solidarité.
L'article 9 prévoit la continuation du bail en cas de décès de l'un des deux
partenaires.
L'article 11, enfin, renvoie, pour l'application du pacte civil de solidarité,
à un certain nombre de décrets d'application.
En d'autres termes, l'Assemblée nationale a agi exactement comme si le Sénat
n'avait rien fait.
Elle a par ailleurs supprimé la totalité des articles additionnels adoptés par
le Sénat. Je serai très bref sur ce point, qui concerne surtout le volet
fiscal. Je laisserai en effet à M. Marini, rapporteur pour avis, le soin de
présenter ses remarques.
Néanmoins, indépendamment des articles 2
bis,
2
ter,
3
bis,
4
bis
A, 4
bis
B, qui mettaient en place toute une série de
dispositions fiscales reposant sur la solidarité, nous constatons que
l'Assemblée nationale a supprimé l'article 1 A, qui consacrait la liberté de la
vie personnelle, l'article 1 B, qui définissait le mariage, et l'article 1 C,
qui donnait la définition du concubinage, il est vrai pour en donner une
autre.
J'en viens maintenant aux diverses modifications apportées en deuxième lecture
au texte que l'Assemblée nationale avait adopté en première lecture. Elle a
tenu compte, dans une certaine mesure, de notre approche en prévoyant de faire
désormais figurer dans le code civil une définition du concubinage. Il s'agit,
selon l'Assemblée nationale, d'une union de fait caractérisée par une vie
commune présentant un caractère de stabilité et de continuité entre deux
personnes, de sexe différent ou de même sexe, qui vivent en couple.
Cette définition, beaucoup plus complexe que celle que nous avions proposée,
est surprenante à biens des égards. Elle l'est, d'abord, si l'on tient compte
des observations pertinentes de Mme le ministre lors du débat au Sénat, selon
laquelle la première définition que nous avions envisagée - nous l'avions
corrigée après - risquait de permettre de reconnaître les mariés concubins.
Je suis donc désolé de constater que l'Assemblée nationale autorise les mariés
concubins. Il y aura les concubins et les mariés concubins !
M. Yves Fréville.
C'est la polygamie !
M. Patrice Gélard,
rapporteur.
Dans les faits, chacun le sait, des hommes mariés vivent en
union libre avec d'autres personnes. Désormais, avec le texte de l'Assemblée
nationale, il sera possible d'être marié et concubin.
Mais il y a plus grave !
Chacun sait que, lorsque deux concubins décident de se voir reconnaître un
certain nombre de droits, ils vont à la mairie ou devant le juge demander un
certificat de concubinage. Ce ne sera plus possible puisque la définition du
concubinage est fondée sur deux éléments très précis, qui sont la continuité et
la stabilité. On ne pourra donc pas être reconnu comme concubin s'il n'y a pas
de continuité ni de stabilité du couple.
Je souligne au passage que les contractants d'un pacte civil de solidarité ne
seront pas astreints, eux, à la stabilité et à la continuité. C'est tout à fait
paradoxal : le PACS n'oblige ni à la continuité ni à la stabilité, alors que le
concubinage en fait obligation !
Mais poussons plus loin la logique.
Le système proposé par le Sénat, qui était un système clair, prévoyait le
concubinage - je reconnais que la définition qu'il en donnait était peut-être
insuffisante et qu'on aurait pu l'améliorer et il pouvait y avoir un contrat.
Mais le texte que nous a transmis l'Assemblée nationale et qui, demain,
deviendra la loi prévoit qu'il y aura l'union libre, les concubins, les
concubins mariés, les concubins pacsés, les pacsés et les mariés. Il y aura au
moins six régimes juridiques différents...
M. Alain Gournac.
C'est tout !
M. Patrice Gélard,
rapporteur.
... avec, cette fois, la possibilité d'avoir en même temps le
statut de concubin et de marié, de concubin et de pacsé. Je crois que l'on
atteint là le sommet de l'aberration juridique !
M. Jean Chérioux.
De l'incohérence !
M. Patrice Gélard,
rapporteur.
Lorsqu'on va dans cette direction, on donne une définition du
concubinage, qui est celle de la Cour de cassation quand il y a des litiges
extrêmement graves entre concubins qui se séparent.
Je sais bien que nos collègues du groupe socialiste du Sénat ont tenté
d'améliorer le texte voté par l'Assemblée nationale en proposant une autre
définition, qui est d'ailleurs meilleure.Mais ce n'est pas la bonne voie.
Une définition trop rigide, trop stricte du concubinage va engendrer une
nouvelle catégorie qui n'existait pas dans notre esprit, celle des concubins
non déclarés. Certains se cacheront en effet pour échapper à l'embrigadement
que représente cette définition extrêmement stricte que l'Assemblée nationale a
choisie.
Un sénateur du RPR.
C'est le cas de le dire !
M. Patrice Gélard,
rapporteur.
L'Assemblée nationale a également modifié quelque peu son
texte initial en prévoyant que le PACS est un contrat. Mais pourquoi dès lors
ne pas avoir intégré le PACS dans la partie du code civil portant sur les
contrats ?
M. Jean Chérioux.
Exactement !
M. Patrice Gélard,
rapporteur.
Il y a là une aberration.
C'est un contrat d'une nature un peu spéciale, un contrat qui déroge au droit
général des contrats, en matière de capacité à contracter et de
dénonciation.
Voilà qui est étonnant ! Pourquoi ne pas permettre aux mineurs émancipés, qui
ont le droit de contracter, de signer un pacte civil de solidarité ? Pourquoi
exclure de ce droit les majeurs sous tutelle alors qu'ils ont le droit de se
marier ? On pourrait multiplier les exemples à l'infini !
Pourquoi l'Assemblée nationale a-t-elle exclu du PACS certaines catégories,
notamment les frères et les soeurs ? De même, pourquoi retenir pour le PACS les
interdictions s'appliquant à la capacité de contracter un mariage en limitant
le droit de signer un pacte civil de solidarité à ceux qui ne sont pas alliés
ou apparentés jusqu'au troisième degré ? Cela n'a pas de raison d'être.
Si c'est un contrat, il faut lui appliquer les règles générales de capacité
contractuelle et non pas des règles spécifiques.
Le texte qui nous vient de l'Assemblée nationale comporte évidemment d'autres
éléments, notamment dans le souci d'améliorer le système de l'inscription au
greffe, dont le caractère aberrant avait été dénoncé. On l'améliore, certes,
mais en obligeant les partenaires à déposer deux exemplaires du contrat qui
sera visé par le greffier.
Ce dernier se contentera d'ailleurs d'apposer un tampon et sa signature sans
vérifier le contenu du contrat.
A quel moment aura lieu la vérification de ce contrat qui va être enregistré
et qui donnera naissance, en fait, à un état civil
bis
?
Ne nous leurrons pas ! Puisque l'on n'a pas voulu faire enregistrer les PACS
par les services de l'état civil - le lien étroit que nous avions établi entre
le mariage et le PACS aurait été évident - on a établi auprès du greffe un état
civil
bis
.
Mais on a prévu une complication supplémentaire : chaque fois qu'une
modification interviendra, il faudra retourner devant le greffier, qui visera à
nouveau le contrat et apposera un tampon sur les deux exemplaires du
contrat.
Fort bien ! Mais, en réalité, il n'est procédé à aucune vérification quant à
la licéité du contrat.
Certes, on va tout de même exiger que le greffier vérifie la capacité à
contracter des partenaires. Mais c'est tout, et le contrat pourra prévoir
n'importe quoi !
De surcroît, dès lors que le greffier a visé les textes, le PACS devient
immédiatement opposable aux tiers. Mais comment les tiers seront-ils avisés de
l'existence d'un PACS ? A quel moment aura-t-il été procédé à la publicité
auprès des tiers ? Personne ne le saura. Tout dépendra de la bonne volonté des
partenaires du pacte.
Bien sûr, il y a la nécessité de la résidence commune. Mais j'aimerais bien
savoir exactement quelle sera la portée de cette obligation, puisque le
rapporteur de l'Assemblée nationale a dit et répété que résidence commune ne
signifiait pas cohabitation. On pourra donc avoir une résidence commune et
habiter chacun chez soi !
(Exclamations sur les travées du RPR.)
M. Jean Chérioux.
C'est la garçonnière officielle !
M. Patrice Gélard,
rapporteur.
Il n'y a donc pas d'obligation de cohabiter, il y a
simplement obligation de déclarer un domicile commun, comme on déclare le siège
social d'une société.
Bien entendu, l'article 515-4 du code civil étend la solidarité pour dettes
aux dépenses relatives au logement commun, ce qui augmente, une fois de plus,
les possibilités de fraude, voire de travail non rémunéré.
Après tout, pourquoi ne pas signer un PACS pour avoir chez soi quelqu'un qui
fasse la cuisine, le ménage et le reste, puisqu'il ne sera pas nécessaire, à
partir de ce moment-là, de payer de salaire ou de charges sociales ?
(Rires
sur les travées du RPR. - Protestations sur les travées socialistes.)
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis.
Ce n'est pas un risque théorique !
M. Henri de Raincourt.
C'est une bonne idée !
M. Jean Chérioux.
L'URSSAF y perd !
M. Patrice Gélard,
rapporteur.
La fraude peut être répandue à partir de ces définitions.
Elle sera importante, il faut s'y attendre.
Bien sûr, on a amélioré - nous avions été suffisamment convaincants ! - les
dispositions de l'article 515-5 du code civil concernant l'indivision.
Désormais, l'indivision sera simplement présumée, et on propose des régimes
différents pour les meubles meublants, qui, à défaut de stipulation contraire
contenue dans le PACS, seraient soumis à l'indivision, et les autres biens dont
le régime découlera de l'acte d'acquisition précisant s'ils ont été achetés en
commun ou non.
Je note, au passage, que ces dispositions sur l'indivision sont prises en
parfaite violation avec le droit commun, qui précise que nul n'est tenu de
rester dans l'indivision.
M. Jean Chérioux.
Absolument !
M. Patrice Gélard,
rapporteur.
En ce qui concerne le PACS, la règle ne s'applique plus ! On
déroge donc au droit des contrats. C'est un contrat vraiment spécial qui
n'obéit à aucune des règles contractuelles habituelles de notre droit
français.
S'agissant de l'indivision, on est en train de créer, ni plus ni moins, des
statuts de propriété directement assimilables à certains contrats de
mariage.
On nous avait dit, au cours du débat devant le Sénat, qu'en réalité nous
allions proposer un système qui rappellerait les contrats de mariage. C'est ce
que fait l'Assemblée nationale, sans tenir compte de ce que nous avions dit
précédemment.
Bien entendu, l'article 515-6 du code civil prend en considération, là encore,
nos propositions sur les attributions préférentielles. On a exclu les
exploitations agricoles de cette possibilité. Pourquoi ne pas avoir exclu les
fonds de commerce ? Je me le demande encore.
L'attribution préférentielle n'avait vraiment de raison d'être que pour le
logement, mais elle ne se justifie pas, me semble-t-il, pour le reste, surtout
si l'un des deux partenaires a des enfants, qui exigeront, eux-aussi,
l'attribution préférentielle.
Nous en venons à ce fameux article 515-8 du code civil, selon lequel le juge
tranche les conséquences patrimoniales de la rupture, sans préjudice de la
réparation du dommage pouvant donner lieu à des dommages et intérêts. En
d'autres termes, on va instaurer, pour la rupture du PACS, une procédure
comparable à celle du divorce. Non, ce n'est pas possible ! On nous a dit que
le PACS était un contrat qui pouvait être dénoncé unilatéralement à tout
moment, avec un préavis de trois mois, c'est vrai, sauf quand on se marie.
Maintenant, on va aller devant le juge, qui examinera systématiquement la
réparation du dommage et, éventuellement, les dommages et intérêts. Pourquoi
d'ailleurs ne pas préciser la possibilité d'une pension à vie au cas où il y
aurait rupture abusive ?
On entre dans le divorce, ni plus ni moins !
Bien sûr, quelques améliorations méritent d'être soulignées.
Pourquoi établir un délai de carence en cas de succession ? Cette disposition
a été supprimée. On nous dit que cela ne touche pas la famille. Mais faut-il
rappeler que, dorénavant, le partenaire d'un PACS, en matière de succession,
profitera d'un abattement fiscal supérieur à celui des enfants légitimes, et
que le bénéficiaire du capital décès, en l'absence d'un conjoint issu d'un
mariage, sera le partenaire du PACS, et non pas les enfants ?
M. Jean Chérioux.
C'est incroyable !
M. Patrice Gélard,
rapporteur.
C'est un texte, nous l'avons dit non amendable, mal préparé,
mal ficelé, source de multiples difficultés juridiques et même pratiques.
Prenons un exemple tout simple. Ce qui va inciter les gens à signer demain un
pacte civil de solidarité, ce sont les avantages fiscaux prévus par le texte
adopté par l'Assemblée nationale. Mais quelle fragilité pour ces avantages
fiscaux ! N'importe quelle loi de finances pourra les supprimer d'un trait de
plume, d'une année sur l'autre. Il n'existe aucune sécurité en la matière ! En
conséquence, nous nous trouvons face à un marché de dupes en quelque sorte ! Je
vous l'ai dit dès la première lecture, la protection des partenaires est
illusoire et, en réalité, le plus faible sera toujours la victime.
On trouve dans le texte les lourdeurs et les inconséquences d'un état civil
bis
ainsi qu'une multiplication encore aggravée des risques de
fraude.
En fait, le vrai problème, c'est que nous ne pouvons pas nous entendre, car
nous ne parlons pas la même langue, madame le ministre !
Mme Dinah Derycke.
C'est vrai !
M. Patrice Gélard,
rapporteur.
Celle de l'Assemblée nationale et celle que vous avez
développée consistent à dire une fois pour toutes que le PACS est nécessaire et
qu'il ne sera pas tenu compte de tout ce que nous raconterons.
Nous avons essayé une autre politique. Nous avons tenté de démontrer que le
PACS ne tient pas la route et nous en sommes toujours convaincus. Nous sommes
également convaincus que toutes les associations d'homosexuels sont contre le
PACS. Ils veulent autre chose ; ils nous l'ont dit. Ils l'acceptent faute de
mieux. Après tout, pourquoi refuser un sucre d'orge quand on vous le donne ?
Mais le vrai problème n'est pas là. Personne ne veut de ce texte. Par volonté
politique, la majorité de l'Assemblée nationale, suivie par le Gouvernement,
veut l'imposer. On ne joue pas à ce jeu. Quand on ne parle pas la même langue,
on laisse tomber.
Laisser tomber, cela ne veut pas dire renoncer à nos prérogatives de
parlementaire et de législateur. Cela veut dire qu'on ne peut pas jouer le jeu
que l'on veut nous imposer, que l'on ne peut pas accepter la démarche que l'on
veut nous imposer.
Nous aurions été prêts à revoir ce texte si le Gouvernement et l'Assemblée
nationale avaient fait un effort. Or, vous nous l'avez dit, madame le ministre,
le Gouvernement n'en fera pas, car il veut le PACS.
Vous le voulez, nous nous n'en voulons pas ; les choses sont claires. Nous
refusons un texte qui va conduire à plus de difficultés et qui ne résoudra
réellement aucun des problèmes de société que vous aviez mis en lumière lors de
votre intervention. C'est la raison pour laquelle je défendrai tout à l'heure
la question préalable.
(Bravo ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants et de l'Union centriste.)
7