Séance du 11 mai 1999
M. le président. La parole est à M. Bizet, auteur de la question n° 510, adressée à M. le ministre de l'agriculture et de la pêche.
M. Jean Bizet. Monsieur le ministre, je voudrais attirer votre attention sur les informations faisant état de la présence de listeria dans différents fromages au lait cru de grand renom, notamment une prestigieuse marque de camembert de Normandie.
En effet, la presse s'est largement fait l'écho d'une présence de listeria en deçà de la tolérance administrative définie par l'Organisation mondiale de la santé et le Conseil supérieur d'hygiène publique de France. Il semble excessif de créer une telle psychose auprès des consommateurs sur ce qui n'est qu'une contamination sporadique, alors que la France ne comptabilise que 2,5 cas de listériose par million d'habitants, et cela tous produits alimentaires confondus.
J'insiste sur le fait que les producteurs et les entreprises ont accompli des efforts considérables pour assurer le maximum de sécurité. Malgré cela, il est impossible de prétendre annuler totalement tout risque bactériologique avec du lait cru. Toutefois, l'application des normes zéro pathogènes sans aucun discernement et la répercussion médiatique à laquelle nous avons assisté condamneraient à très court terme l'ensemble des produits au lait cru. Je m'interroge donc sur le manque de cohérence entre les ministères de la santé et de l'agriculture.
Je crains que de telles campagnes médiatiques, outre qu'elles ternissent l'image de marque de produits ancestraux et des régions qui les produisent, ne finissent par conduire les consommateurs vers des produits totalement aseptisés qu'ils ne désirent pas vraiment. De plus, une telle situation met fortement en péril l'ensemble des emplois de la filière. En Normandie, les entreprises fabriquant des appellations d'origine contrôlées au lait cru emploient plus de 600 personnes et collectent le lait d'environ 1 500 producteurs, fruit de cent trente années d'expérience et de tradition.
Sans vouloir remettre en cause la sécurité alimentaire des consommateurs, qui est absolument essentielle, je vous demande, monsieur le ministre, si vous n'envisagez pas une évolution de la réglementation actuelle, notamment au regard de la diffusion des informations, afin qu'elles soient mieux encadrées et qu'on évite de porter inutilement le discrédit sur les entreprises de transformation.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche. Monsieur le sénateur, vous posez une question qui est d'une brûlante actualité, puisqu'elle a défrayé la chronique ces dernières semaines. Mais il faut replacer cette actualité dans un contexte plus large, car la maîtrise de la qualité sanitaire des denrées n'a cessé de s'améliorer régulièrement depuis une quinzaine d'années sous l'impulsion concertée des services vétérinaires du ministère de l'agriculture, et des producteurs qui font beaucoup d'efforts dans ce sens.
C'est particulièrement vrai pour la filière des fromages au lait cru, qui a fait l'objet d'une attention très soutenue des pouvoirs publics et des producteurs. Ces efforts pour obtenir une maîtrise toujours plus grande des risques de contamination doivent être poursuivis sans relâche.
Les autocontrôles effectués par les entreprises et les contrôles réguliers des services officiels, notamment du ministère de l'agriculture, permettent de mettre en évidence les éventuels incidents de fabrication et de procéder au retrait des produits concernés, souvent même avant leur distribution.
S'agissant des normes en matière de contamination par la listeria, il n'existe, et c'est important, qu'une norme communautaire pour les fromages au stade de la production. Cette norme, que les services vétérinaires font appliquer depuis 1994, impose l'absence de contamination avant la mise en distribution. Toutefois, et c'est là où il faut savoir raison garder, nous consommons tous les jours certaines denrées susceptibles d'être porteuses non seulement de listeria - je pense au saumon fumé et au poisson fumé en général, à de nombreuses charcuteries, à des légumes ou à des viandes hachées - mais aussi d'autres germes potentiellement pathogènes, qui, en faible quantité, sont sans conséquence pour le consommateur.
Il est important d'expliquer à ce dernier que le risque zéro n'existe pas et que nous consommons tous les jours des denrées porteuses de listeria sans risque pour notre santé.
Au stade de la commercialisation, les services officiels se réfèrent à un avis du Conseil supérieur d'hygiène publique de France, qui tolère un seuil de cent germes par gramme pour les différentes denrées pour lesquelles il est difficile de garantir l'absence de listeria. Il est donc bien procédé à une distinction entre la production et la distribution.
Cela dit, pour en revenir à votre question, monsieur le sénateur, il faut savoir que le Gouvernement a la responsabilité et donc le devoir d'alerter le consommateur dès lors qu'existe un risque potentiel. Les pouvoirs publics ont en effet le devoir d'assurer une protection sanitaire du consommateur. Des morts sont à déplorer à cause de la listériose. Un seul mort est un mort de trop.
Cependant, il faut en même temps savoir raison garder. Je l'indiquais voilà un instant : le risque zéro n'existe pas, sauf à ne plus consommer que des aliments stérilisés !
En matière de communication, il faut trouver un équilibre entre la légitime protection du consommateur et un éventuel réflexe sécuritaire, une sorte de psychose, avec les conséquences que nous connaissons pour les entreprises et pour l'emploi, conséquences dont vous nous avez parlé en citant un exemple précis en Normandie que je connais bien.
Pour éviter de multiplier les alertes, le premier moyen consiste à sécuriser toujours plus les filières sensibles au risque de contamination en développant encore les procédures de maîtrise sanitaire tout au long du processus de production et de distribution.
Le deuxième moyen tend à informer les consommateurs d'une façon plus ciblée. Comme je l'ai dit tout à l'heure, nous mangeons tous des listérias, chaque jour, sans risque, sauf pour certaines catégories de personnes, telles que les femmes enceintes, les immunodéprimés, les personnes très âgées. Or, ces personnes n'ont pas conscience de ce danger et ne sont pas informées.
Pis, des enquêtes réalisées auprès de médecins montrent que de 70 % à 80 % de ceux qui soignent les personnes précitées ne connaissent pas les risques qu'elles encourent.
Il est étonnant que, dans notre pays - et je m'en entretenais avec M. le secrétaire d'Etat à la santé voilà peu de temps -, on ne recommande pas aux médecins de conseiller aux femmes enceintes de faire attention à leur consommation de fromage au lait cru pendant quelques mois.
Nous devons multiplier l'information des personnes à risque de façon à éviter d'éventuelles psychoses.
Enfin, troisième moyen, il faut que la gestion des alertes et la communication qui s'impose fassent l'objet de procédures conjointes entre les différentes administrations en fonction des différents niveaux de risques observés.
Il est frappant de voir que lorsque, au nom de la sécurité alimentaire, les services décident qu'il faut retirer de la distribution tel ou tel lot de tel fromage vendu à tel endroit et qui présente des risques, même s'il est dit, en même temps, que tous les autres sont sans risque et peuvent être consommés, l'opinion ne retient que le risque, et les ventes des fromages concernés s'effondrent, avec les conséquences économiques que vous avez raison de souligner.
Ainsi, afin de mieux gérer ces alertes, le ministère de l'agriculture travaille en concertation avec les secrétariats d'Etat chargés de la santé et de la consommation.
J'ai personnellement demandé à M. le Premier ministre, au cours des dernières semaines, qu'un arbitrage intervienne assez vite sur la base de nos réflexions pour que nous puissions assurer une meilleure gestion et peut-être ne pas prendre des marteaux piqueurs pour écraser des mouches, si vous me permettez d'employer cette expression.
En conclusion, monsieur le sénateur, je dirai qu'il est de notre devoir de concilier à la fois la protection des consommateurs, le risque sanitaire, et le refus de la psychose, voire la préservation d'un modèle de consommation que je qualifierai de culturel. Dans cette recherche, entre ces deux termes qui peuvent paraître contradictoires, mais qu'il nous faut concilier, il existe, soyez rassuré sur ce point, une parfaite cohérence de vues entre les services du ministère de l'agriculture, les services vétérinaires en particulier, et les secrétariats d'Etat à la santé et à la consommation.
Il faut relever d'ailleurs une nouveauté dans la paysage juridique : la création, voulue par le Parlement, de l'agence de sécurité sanitaire des aliments qui vient d'être mise en place voilà quelques jours, et qui aura un rôle d'étude, de conseil et de proposition auprès des pouvoirs publics, ce qui nous sera sûrement très utile dans les années qui viennent.
M. Jean Bizet. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Bizet.
M. Jean Bizet. Monsieur le ministre, je vous donne acte de vos propos, qui me réjouissent parce que je constate que nous avons à peu près la même approche du problème, sur la recherche d'une plus grande qualité, notamment.
J'ai noté avec intérêt votre souci d'informer davantage les populations à risque, les immuno-déprimés, les personnes âgées ou les personnes enceintes.
Cela étant, vous ne serez pas surpris que, à l'occasion de la nouvelle lecture du projet de loi d'orientation agricole devant notre assemblée, je dépose aux articles 259-1 et 259-2 du code rural quelques amendements concernant les frais induits par les mesures de contrôle. Je souhaiterais qu'ils ne soient pas mis à la seule charge de l'entreprise lorsque les produits concernés ne sont pas reconnus impropres à la consommation.
Je souhaiterais également que puissent être mises en place des procédures d'indemnisation en réparation d'un dommage subi par l'industriel. Ainsi, dans le cas auquel je faisais référence dans ma question, il y a eu préjudice.
Enfin, je souhaiterais que vos services soient très vigilants lors de l'élaboration du codex alimentarius qui aura pour charge d'harmoniser les règles sanitaires sur le plan européen. S'il était par trop draconien, cela aurait des effets considérables pour nos futures négociations dans le cadre de l'OMC. Nous risquerions, vous le savez bien, monsieur le ministre, de perdre des parts de marché dans la filière de la transformation laitière.
Vous le savez mieux que quiconque, la France est le pays des 365 fromages ; je souhaite qu'elle le demeure.
SITUATION DU CENTRE PÉNITENTIAIRE DE PLOEMEUR