Séance du 5 mai 1999
PRÉSIDENCE DE M. GUY ALLOUCHE
vice-président
M. le président.
La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée
nationale après déclaration d'urgence, relatif à l'épargne et à la sécurité
financière.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Delfau.
M. Gérard Delfau.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de
loi sur l'épargne et la sécurité financière a des objectifs ambitieux.
Il réforme le statut des caisses d'épargne, qui font partie de la vie
quotidienne des Français. Il renforce les moyens de contrôle et de surveillance
sur les établissements de crédit, les sociétés d'assurances et les entreprises
d'investissement, action salutaire pour éviter de nouveaux sinistres. Enfin, il
modifie le régime des obligations foncières, ouvrant ainsi la voie à des
financements de prêts mieux sécurisés et il donne, par là, une nouvelle chance
au Crédit foncier.
Sur les grandes orientations de votre texte, monsieur le ministre, je vous
dirai d'entrée de jeu mon accord. Vos arbitrages ont fait preuve de prudence
pour ne pas ruiner l'acquis d'une longue et riche histoire, je pense à celle
des caisses d'épargne, tout en permettant l'évolution nécessaire. De plus, le
débat à l'Assemblée nationale a permis d'heureuses adjonctions ou précisions
qui confirment leur vocation à rester dans le champ de l'utilité sociale.
S'agissant du livret A, vous vous refusez à juste titre à sa banalisation sans
cesse réclamée par les banques. Vous maintenez ainsi à la fois une ressource
pour le logement social et un instrument de socialisation et d'intégration pour
la partie la moins fortunée de la population.
C'est une attitude courageuse, même si cela ne règle pas au fond l'accès de
tous aux services financiers de base que, justement, les banques ont cessé
d'assurer. C'est un sujet sur lequel nous reviendrons, car la loi d'orientation
relative à la lutte contre les exclusions n'apporte pas de solution.
Restent tout de même une inquiétude forte et quelques interrogations.
L'inquiétude porte sur la capacité des caisses d'épargne à « absorber » dans
le délai imparti, quatre ans, le choc du changement de statut et du fardeau
financier que représentent les diverses dispositions du texte de loi. Plus
particulièrement, outre la ponction directe prévue par la loi de finances pour
1999, la rémunération du capital social s'ajoutant à l'obligation de consacrer
le tiers des résultats à des actions d'intérêt général risque de compromettre
l'avenir du nouvel organisme.
Monsieur le ministre, vous faites prendre un risque à cet établissement,
jusqu'ici adossé à de confortables réserves, qui, soudain, devra faire face à
des sorties considérables, d'autant que demeure le redoutable problème du
financement des retraites.
Sur ce point central, la position du Gouvernement doit évoluer et le Parlement
a le devoir de proposer un rééquilibrage. Deux façons permettent d'y parvenir :
soit en doublant la durée de la période transitoire, soit en diminuant d'un
tiers le capital social, ce qui serait la mesure la plus logique eu égard à la
modification intervenue à l'Assemblée nationale. On peut aussi songer à un
mixte des deux.
J'exclus en tout cas, pour ma part, le
statu quo
pour une autre raison
d'ailleurs : une fragilisation de l'assise financière des caisses d'épargne
aurait une conséquence inéluctable, la rétraction rapide du réseau par
regroupement des caisses locales au détriment des zones rurales et des
quartiers urbains les plus sensibles.
Jusqu'ici, les caisses d'épargne sont implantées là où vivent les Français.
Elles assument, par leur présence, une mission de cohésion sociale et
d'aménagement du territoire à laquelle les élus locaux et les personnels sont
attachés. Je craindrais le pire si cette dimension-là n'était pas intégrée au
calcul de rentabilité du futur organisme. Sur ce point, aussi, nous avons
besoin d'être rassurés.
La vente des parts sociales induit un autre risque, celui d'une sélection par
l'argent, en contradiction avec la philosophie d'un établissement voué, pour
partie, à l'intérêt général et doté d'un statut coopératif. La bonne solution
serait de distribuer une part sociale à chaque déposant, et les arguments
juridiques avancés contre cette solution par vos services ne me convainquent
pas. A défaut, pourtant, il convient de prévoir un dispositif qui permette
d'ouvrir le capital aux revenus modestes en leur proposant une part sociale à
faible coût.
Derrière ce débat, apparemment technique, se cache tout le problème de
l'adéquation des orientations de l'article 1er avec les moyens que le texte met
en oeuvre.
Autre préoccupation : quel sera le statut du dividende social face à l'impôt ?
Les caisses d'épargne subiront-elles un double prélèvement ? Il est important
que le Gouvernement clarifie cette question et rassure les salariés de
l'entreprise.
Reste, enfin, un point délicat : la représentation des personnels à la
commission paritaire par le biais de leurs organisations syndicales. Le texte
de loi affaiblit la position des syndicats majoritaires au profit
d'organisations, certes légitimes, mais moins bien implantées. Le conflit en
cours à la SNCF plaiderait, au contraire, monsieur le ministre, pour le
maintien du
statu quo
. Nous écouterons avec intérêt vos explications.
Faute de temps, je n'ai pas abordé en détail les deux autres chapitres de cet
important projet de loi. Je me contenterai de dire mes craintes sur la
faiblesse de l'encadrement des prêts cautionnés par rapport au système
hypothécaire. Selon mes informations, les sinistres recommencent à croître très
vite dans ce secteur. Nous devrons donc en reparler.
Enfin, je veux saisir l'occasion pour me féliciter du nouveau cours engagé par
vous-même sur le dossier du Crédit foncier. Je lis avec quelque jubilation
l'appréciation positive portée par notre rapporteur sur cet établissement, dont
les missions d'intérêt général demeurent au coeur de la culture de ses
salariés.
Nous abordons à présent la dernière phase de règlement de ce dossier avec,
cette fois, des chances réelles de succès. Encore faut-il que cet établissement
mixte demeure dans le champ du pôle semi-public financier. Les caisses
d'épargne peuvent lui donner cette opportunité. J'y suis pour ma part très
favorable, compte tenu que La Poste a été écartée, l'an passé, sans que Bercy
ne fournisse la moindre explication, ce qui était - je le note au passage -
inacceptable.
Au total, monsieur le ministre, il s'agit d'un texte intéressant, novateur
sous certains aspects, utile pour conforter l'ensemble du système financier
français. Le débat au sein de la Haute Assemblée devrait l'améliorer encore,
notamment sur la question cruciale de l'équilibre financier durant la période
transitoire. Sous cette réserve, je voterai avec plaisir l'ensemble de votre
projet de loi.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Loridant.
M. Paul Loridant.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de
loi relatif à l'épargne et à la sécurité financière vise à réformer
profondément le cadre juridique des caisses d'épargne et de prévoyance, à
assurer une meilleure protection des épargnants et à développer les produits
hypothécaires en France.
Voilà un programme bien ambitieux pour un seul projet de loi. A elle seule, la
modification du statut des caisses d'épargne aurait pu justifier un projet de
loi spécifique tant les enjeux de cette réforme sont importants.
Sur cet aspect du dossier, ma collègue Marie-Claude Beaudeau exprimera la
position du groupe communiste républicain et citoyen.
Nous comprenons les objectifs du Gouvernement, qui cherche un point
d'équilibre entre la nécessité de faire évoluer les caisses d'épargne pour les
aider à affronter la concurrence sévère dans le domaine bancaire et l'exigence
du maintien de ses spécificités.
Le statut coopératif ne nous paraît pas en soi une évolution dangereuse pour
l'avenir des caisses d'épargne. Au contraire, sur certains aspects, il
comporterait même des avantages. Je pense notamment à la possibilité, grâce à
la direction unifiée, de définir et de mettre en oeuvre une véritable stratégie
de groupe pour assurer le développement à moyen et à long terme.
Néanmoins, il nous semble indispensable que ces évolutions ne se réalisent pas
au détriment des missions d'intérêt général que remplissent les caisses
d'épargne. Cela implique, selon nous, que les épargnants, les salariés et les
partenaires, au premier rang desquels figurent les collectivités territoriales,
soient pleinement associés au fonctionnement des caisses d'épargne et à la
définition des missions d'intérêt général. A mon sens, cela est possible à la
condition que ce passage au statut coopératif se fasse progressivement, dans le
dialogue.
Comme le dira ma collègue Marie-Claude Beaudeau, nous nourrissons quelques
craintes sur la poursuite des missions d'intérêt général.
Certes, pour la première fois de leur histoire, ces missions sont reconnues et
définies par la loi et le travail d'amendement des députés de la majorité
plurielle a contribué à les étoffer. Cependant, à nos yeux, le projet de loi ne
donne pas suffisamment aux caisses d'épargne les moyens financiers ou
politiques d'appliquer ces principes.
Or, s'il est exact de dire qu'en termes de rendement les caisses d'épargne ne
figurent pas parmi les premières entreprises agissant dans ce secteur, elles
occupent dans le champ social, notamment avec La Poste et les comptes courants
postaux, une place de premier ordre.
M. Gérard Delfau.
Très bien !
M. Paul Loridant.
Je pense en particulier aux ménages en situation de surendettement et aux 2,5
millions de personnes privées de chèques, mais aussi à tous les RMIstes et aux
personnes au revenu modeste victimes de fait de l'exclusion bancaire, au nom
des impératifs de rentabilité. Ces personnes ont néanmoins besoin d'un compte
bancaire ne serait-ce que pour percevoir les allocations.
M. Gérard Delfau.
Très bien !
M. Paul Loridant.
J'ajoute, et sur ce point nous proposerons un amendement, qu'il faut veiller à
ce que la réforme ne s'accompagne pas d'un recul social pour les salariés des
caisses d'épargne. Je pense, en particulier, au fonctionnement de la commission
paritaire nationale, à la place des syndicats représentatifs, ainsi qu'au
problème des retraites.
J'en viens à la seconde partie du projet de loi, qui mérite, à mon sens, une
attention au moins aussi importante, si ce n'est plus, que la réforme des
caisses d'épargne.
Les dispositions, vous l'avez dit, monsieur le ministre, sont certes
techniques et un peu austères mais elles visent un objectif important : assurer
la protection des épargnants et lutter contre l'insécurité financière, dans le
cadre d'une harmonisation européenne toujours prégnante.
Il est vrai que l'exacerbation de la logique libérale, la recherche du profit
immédiat ou la primauté exclusive donnée au rendement sur fonds propres ont
largement contribué à l'insécurité financière, jusqu'à faire plonger, en 1998,
40 % de la planète dans la récession. Parmi ces pays en crise se trouvent ceux
qui, hier encore, étaient cités en exemple par les thuriféraires du libéralisme
pour la performance de leur système financier et la flexibilité de leur
main-d'oeuvre.
L'intervention de l'Etat, hier vouée aux gémonies, est saluée partout,
notamment au Japon, où le Gouvernement va consacrer plus de 3 000 milliards de
francs pour nationaliser ou renflouer les banques menacées par les revers de
fortunes considérables de certains fonds spéculatifs auxquels elles avaient
imprudemment consenti des prêts.
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Mais il s'en passerait très bien !
M. Paul Loridant.
Sur ce sujet, comment ne pas relever l'originalité de la position du
rapporteur, qui qualifie le dispositif de sécurisation d'« incomplet » ?
Serait-ce à dire que les libéraux souhaitent une intervention plus vigoureuse
de l'Etat pour imposer aux marchés financiers des règles du jeu plus strictes
?
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Mais les vrais libéraux l'ont toujours dit !
M. Paul Loridant.
Pour critiquer depuis longtemps la déstabilisation de l'économie « réelle »
par la logique financière, je ne peux que me réjouir de l'instauration de
moyens d'action pour les autorités de contrôle du secteur financier, de la mise
en place de dispositifs innovants de garantie des épargnants et des assurés,
enfin de la clarification et de l'amélioration des procédures de redressement
des entreprises financières.
En ce qui concerne la mise en place d'un véritable marché des obligations
foncières, j'aimerais faire quelques remarques.
C'est un volet important de ce projet de loi car il crée un produit nouveau
touchant au financement de l'immobilier et des collectivités territoriales.
Si je comprends la démarche du Gouvernement, qui répond à des impératifs
d'harmonisation en vue de garantir et de développer la compétitivité de la
place financière de Paris, encore faut-il que cette harmonisation européenne se
traduise, pour les consommateurs et pour les salariés exerçant dans le secteur,
par des avantages ou une amélioration de leur statut.
Pour être compétitives par rapport aux
Phandbriefe
allemands, les
obligations foncières françaises, gérées par des filiales spécialisées
d'établissements exerçant des activités dans le secteur immobilier ou par des
collectivités locales, seront assorties d'un super privilège dérogatoire à la
législation sur les procédures collectives et sur le privilège du Trésor
public.
En clair, cela signifie qu'en cas de défaillance ou de faillite, les
créanciers de ces sociétés de crédit foncier seront remboursés avant le fisc
et, plus grave encore, avant les salariés. Il s'agit là d'une brèche importante
et dangereuse ouverte dans notre législation.
A quel niveau et au profit de qui doit s'effectuer l'harmonisation européenne
? Quel est le pays de référence ? Quelles sont les dispositions de référence ?
Ces questions méritent d'être posées. M. le rapporteur ne nous propose-t-il
pas, toujours en s'appuyant sur la nécessité de garantir la compétitivité de la
place de Paris, de remettre en cause les dispositions de la loi Scrivener,
auxquelles pourtant nous sommes très attachés, nous saurons le redire à
l'occasion du débat.
Monsieur le ministre, sachez que s'il approuve l'orientation générale du
texte, le groupe communiste républicain et citoyen souhaite néanmoins que son
examen nous donne l'occasion d'ouvrir un dialogue fructueux entre vous-même et
les différents partis de la majorité plurielle.
En tout cas, le groupe communiste républicain et citoyen se déterminera pour
le vote final en fonction des amendements de la majorité sénatoriale et de la
rédaction finale du projet de loi.
(Applaudissements sur les travées du
groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées
socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Carrère.
M. Jean-Louis Carrère.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, on ne
réussit pas une réforme des caisses d'épargne si l'on ne prend pas
scrupuleusement en compte les aspirations légitimes des déposants et si, dans
le même temps, on ne se préoccupe pas des revendications tout aussi légitimes
des salariés.
Considérant qu'elles ne peuvent pas être complètement satisfaites dans cet
hémicycle, voire dans la loi, je n'accorderai pas une large part dans mon
intervention aux revendications des salariés. Je me contenterai de rappeler à
M. le ministre et à mes collègues les deux préoccupations essentielles qui les
assaillent : il s'agit, d'une part, du règlement de la caisse générale de
retraite, d'autre part, de la question lancinante de l'organisation du travail
au sein du groupe des caisses d'épargne et de la réduction du temps de travail,
sujet à l'ordre du jour dans nombre de grands groupes en ce moment.
Monsieur le ministre, je voudrais, au nom du groupe socialiste, intervenir
plus spécifiquement - vous l'avez bien compris - sur la partie de votre projet
de loi qui est relative à la réforme des caisses d'épargne.
Dès la création de la première caisse d'épargne, la Caisse d'épargne de Paris,
par Benjamin Delessert en 1818, et dès la première loi les concernant, en 1835,
toujours sur initiative de Benjamin Delessert, les caisses d'épargne ont acquis
leurs traits caractéristiques : ce sont des établissements privés d'utilité
publique ; les collectivités locales participent à leur gestion ; leur objectif
est social, à travers le développement de l'épargne populaire.
Leur développement et leur transformation en groupe bancaire à vocation
généraliste durant ces trente dernières années, évolution qui s'est accélérée
avec la loi du 1er juillet 1983, puis la loi du 10 juillet 1991, n'ont en rien
modifié ces caractéristiques, notamment la vocation sociale et la place à part
des caisses d'épargne dans le paysage économique et bancaire.
Elles sont ainsi devenues le grand réseau bancaire de l'économie sociale.
Elles représentent en effet, aujourd'hui, le premier interlocuteur financier
des Français, avec 40 millions de comptes gérés. Elles sont le deuxième
établissement financier pour le réseau, avec 5 000 agences et des encours de
dépôts et de placements supérieurs à 1 500 milliards de francs. Enfin, leurs
résultats financiers sont très corrects.
Dès lors, on peut se demander pourquoi revenir une nouvelle fois sur la
question de leur statut.
En une décennie, l'économie et particulièrement l'économie financière se sont
profondément modifiées. On appelle cela - vous le rappeliez ce matin, monsieur
le ministre - la « globalisation financière ». Cela a eu notamment pour
conséquence une modification rapide de l'environnement concurrentiel en Europe,
maintenant en France, ainsi qu'une profonde transformation du métier
bancaire.
Dans ce contexte, les caisses d'épargne doivent s'adapter et terminer leur
transformation pour demeurer ce grand réseau bancaire différent à vocation
sociale auquel les Français sont très attachés.
Elles doivent, en particulier, clarifier leur définition juridique et leurs
missions d'intérêt général, ne serait-ce que pour éviter qu'un jour un
gouvernement de tendance libérale ne veuille en faire un réseau bancaire
comparable aux autres, ce qui serait la négation même de leur histoire et de
leur vocation.
Elles doivent également pouvoir nouer des partenariats, afin de ne pas
demeurer isolées face aux nouveaux mastodontes financiers et mieux définir
leurs rapports avec leur partenaire privilégié qu'est la Caisse des dépôts et
consignations.
Elles doivent enfin renforcer leur rentabilité et réduire leur coefficient
d'exploitation - même si ce n'est pas leur credo absolu - pour ne pas voir leur
place s'éroder progressivement et maintenir ainsi leur rang dans ce secteur
bancaire devenu très concurrentiel.
Cependant, cette réforme nécessaire ne doit pas remettre en cause les
spécificités des caisses d'épargne et leur place originale dans le paysage
financier français. Elle doit, au contraire, les conserver et les renforcer.
Cela est tout à fait fondamental pour nous.
C'est pourquoi nous aurions refusé et nous combattrons toute tentative de
banalisation des caisses d'épargne. Je rappellerai les déclarations faites par
M. Arthuis, lorsqu'il était ministre de l'économie et des finances,...
M. Gérard Delfau.
Eh oui !
M. Jean-Louis Carrère.
... sur sa volonté de « donner aux Caisses d'épargne un statut qui leur
permette de devenir une entreprise bancaire comparable aux autres
établissements ».
M. Philippe Marini,
rapporteur.
C'est ce que nous sommes en train de faire !
M. Jean-Louis Carrère.
Peut-être n'avons-nous pas la même interprétation... Si vous m'écoutiez un peu
plus, vous verriez que nos interprétations divergent.
Cette volonté de banalisation me paraît malheureusement être celle de la
majorité de la commission des finances. Je ne peux donc que constater nos
divergences et regretter que, comme il y a cent vingt ans, en 1878, sur un
projet de loi créant la Caisse nationale d'épargne, la majorité conservatrice
du Sénat s'oppose au développement des caisses d'épargne.
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Oh !
M. Jean-Louis Carrère.
Si, au début du xixe siècle, notre pays a eu besoin d'établissements
financiers dont la finalité n'était pas le profit, pensez-vous que cela ne soit
plus nécessaire aujourd'hui, notamment pour concourir à réduire la fracture
sociale ? Contrairement à ce que j'ai pu entendre ici ou là, les caisses
d'épargne sont donc non pas une curiosité à l'heure de la mondialisation, mais
une nécessité. Les banques privées sont lancées dans une course au gigantisme,
sont essentiellement préoccupées par la gestion de grands portefeuilles,
l'ingénierie financière, les activités de marché, et n'ont plus les yeux de
Chimène que pour un taux de rentabilité de l'ordre de 15 %.
M. Michel Sergent.
Très bien !
M. Jean-Louis Carrère.
Dans ce contexte, qui s'intéressera encore aux petits comptes, aux petites
entreprises locales, au secteur social, au développement de l'épargne des
couches populaires ?
M. Gérard Delfau.
Très bien !
M. Jean-Louis Carrère.
Qui diffusera un capital risque de proximité et solvabilisera des demandes de
financement qui ne trouveront pas intérêt auprès de banques uniquement
préoccupées de rentabilité à court terme ?
La diversité des objectifs et des statuts est donc toujours une bonne chose
pour le financement d'une économie qui ne peut être résumée à ce casino mondial
dont nous voyons jour après jour les effets dévastateurs.
Quel serait l'intérêt d'une uniformisation des statuts et quel serait
l'intérêt pour notre économie d'une banalisation des caisses d'épargne ? Cette
nécessité de statuts diversifiés est d'ailleurs bien comprise par nos
concitoyens. Un sondage réalisé voilà quelques années a montré que les Français
considéraient que les caisses d'épargne avaient un rôle particulier à jouer
dans le paysage bancaire français avec une mission d'intérêt général. Le slogan
de l'Ecureuil : « Faire de la banque autrement » est donc bien compris et
pertinent aux yeux de ses clients.
L'adaptation du statut doit donc au contraire s'effectuer, selon nous, dans la
tradition et la vocation des caisses d'épargne, résumées par quatre grands
principes approuvés à l'unanimité en 1983 par le Parlement : le caractère non
lucratif ; la promotion et la collecte de l'épargne, le développement de la
prévoyance en vue de la satisfaction des besoins familiaux et collectifs ;
l'utilisation des ressources au profit de l'économie sociale et locale, en
liaison avec les collectivités territoriales ; enfin, la primauté du rôle des
caisses d'épargne dans le financement du logement social et dans l'aménagement
du territoire.
La réforme des statuts doit même renforcer cette vocation spécifique des
caisses d'épargne dans l'aménagement du territoire, le développement économique
local, en partenariat avec les collectivités territoriales et le soutien aux
catégories les moins aisées de la population.
La réforme doit également permettre aux déposants de mieux participer au
contrôle de leur caisse, dans l'esprit de la tradition mutualiste française.
C'est également l'occasion de préciser la nature et les composantes du réseau
afin de renforcer la cohérence des actions, même si le réseau doit rester
décentralisé.
Monsieur le ministre, il nous semble que la réforme que vous nous proposez, au
nom du Gouvernement, doit permettre de réaliser cette nécessaire adaptation
dans le respect des spécificités des caisses d'épargne et de leur vocation
historique. C'est pourquoi nous la soutenons.
En effet, le projet de loi affirme et étend les missions d'intérêt général des
caisses d'épargne, maintient leur caractère propre, qui veut que le profit ne
soit pas leur objectif exclusif, en en faisant une banque coopérative, et
renforce la cohérence et la gestion des caisses.
Le premier élément fondamental du texte touche au statut des caisses
d'épargne, qui sera désormais celui d'une banque coopérative. A l'encontre
d'une société commerciale classique, dont l'objet premier est la réalisation de
profits, elles conservent bien leur caractère propre et voient ainsi leur
positionnement historique spécifique renforcé. Ce choix de la coopération ouvre
également la voie à une plus grande participation des déposants.
Mais cela ne serait pas suffisant pour sauvegarder leur spécificité.
Ce statut coopératif est donc complété par une reconnaissance explicite des
missions d'intérêt général assumées par les caisses d'épargne : c'est le
deuxième élément fondamental du projet de loi.
Parmi ces missions, le texte énumère la participation à la mise en oeuvre des
principes de solidarité et de lutte contre les exclusions, la promotion et la
collecte de l'épargne, le développement de la prévoyance, la contribution à la
protection de l'épargne populaire et au financement du logement soacial. Notons
qu'il « sanctuarise » le livret A en l'incluant dans les missions d'intérêt
général des caisses.
La banalisation du livret A, souhaitée par M. le rapporteur et M. le président
de la commission des finances, serait dangereuse pour le réseau. Elle
aboutirait à une remise en question du financement du logement social et
supprimerait l'instrument financier privilégié des ménages à faibles
revenus.
Les principes posés en 1983 sont donc repris, explicités et renforcés par le
projet de loi.
Enfin, troisième étage du dispositif d'affirmation et de développement de la
spécificité des caisses d'épargne, une partie des résultats sera affectée au
financement de projets d'économie locale et sociale, ainsi que - c'est un ajout
de l'Assemblée nationale - au financement de projets contribuant à la
protection de l'environnement et au développement durable du territoire.
Gageons d'ailleurs que, dans cette affaire, seront respectées toutes les
aspirations locales qui sont compatibles avec l'aménagement du territoire et
l'environnement, notamment certaines pratiques ancestrales dans lesquelles je
me reconnais et qui ont cours dans cette région du sud de la France où j'ai
l'honneur et le plaisir de vivre.
M. Denis Badré.
La cynégétique !
M. Jean-Louis Carrère.
Vous l'avez tous compris, je veux en effet parler de pratiques populaires
comme la chasse !
(Sourires.)
L'affectation au financement de ces projets ne pourra être inférieure au
tiers des sommes disponibles après la mise en réserve. Cet élément complète les
missions d'intérêt général et confirme la vocation locale et sociale des
caisses d'épargne ; nous proposerons d'ailleurs que cette affectation soit
prévue dès l'article 1er.
Au-delà de ces éléments fondamentaux, le projet de loi permet également de
renforcer la cohérence et l'efficacité de la gestion des caisses d'épargne.
Les caisses d'épargne, jusqu'ici seulement « chapeautées » par un groupement
d'intérêt économique, le Centre national des caisses d'épargne et de
prévoyance, ou CENCEP, et par une caisse centrale des caisses d'épargne, auront
désormais un véritable chef de réseau : la Caisse nationale des caisses
d'épargne et de prévoyance, société anonyme à directoire et conseil de
surveillance.
La cohérence du réseau en sera
de facto
renforcée, d'autant que la
Caisse nationale disposera de larges prérogatives pour fédérer et contrôler le
réseau : les caisses d'épargne y seront affiliées, de même que tout
établissement contrôlé par les caisses d'épargne ou nécessaire au bon
fonctionnement du réseau. Le directoire nommera d'ailleurs un censeur dans
chaque caisse ou établissement affilié.
Le capital de la Caisse nationale sera détenu au moins à 60 % par les caisses
d'épargne. La Caisse des dépôts et consignations, partenaire naturel et
historique des caisses d'épargne, sera appelée à en détenir un peu plus de 30
%, le niveau exact de sa participation devant être défini par un pacte
d'actionnaire. Monsieur le ministre, pourriez-vous nous apporter des
éclaircissements sur le rôle de cet actionnaire minoritaire, sur sa présence
dans l'avenir, et nous indiquer à qui ira ou pourrait aller le reste du capital
?
La Caisse nationale sera dirigée par un directoire et un conseil de
surveillance qui comprendra des membres élus par les salariés. D'où cette
deuxième série d'interrogations : comment seront répartis les sièges ? Quatre
pour la Caisse des dépôts et consignations, deux pour les salariés, deux pour
les conseils d'orientation et de surveillance, quatre présidents de directoire
? De plus, que veut dire « élus par les salariés » ? La procédure risque d'être
lourde si 42 000 agents sont appelés à voter !
La représentation des sociétaires sera assurée par une association, la «
fédération nationale », qui aura également pour rôle de coordonner les actions
du réseau, de contribuer à la définition des orientations sociales, de veiller
au respect des règles déontologiques et de définir les orientations des projets
d'économie locale et sociale.
Il est impératif que, à côté de la Caisse nationale, que l'on peut considérer
comme l'exécutif du réseau, cette fédération nationale soit composée en
majorité de présidents ou de représentants des COS.
L'élément le plus spécifique du nouveau statut concerne les groupements locaux
d'épargne, qui font également l'objet d'une formidable divergence avec la
majorité de la commission. Ces sociétés coopératives à capital variable
détiendront les parts sociales des caisses. On peut légitimement s'interroger
sur l'intérêt de cet échelon intermédiaire. Peuvent être sociétaires les
particuliers ayant effectué des opérations de banque dans une caisse d'épargne,
ce qui représente aujourd'hui 28 millions de personnes pour la France entière,
les salariés, les collectivités territoriales, ainsi que toute personne
physique ou morale qui entend contribuer par des apports financiers à la
réalisation des objectifs des caisses d'épargne.
Il fallait assurer l'existence d'un lien étroit et permanent entre la caisse
d'épargne et ses nombreux propriétaires, tout en permettant à chaque sociétaire
de s'exprimer à un niveau pertinent en termes de proximité et de prise en
compte de son expression.
M. Philippe Marini,
rapporteur.
C'est ce que nous proposons !
M. Jean-Louis Carrère.
Cette construction, du fait de la spécificité des caisses d'épargne, se
comprend donc. Et quand on vit à l'intérieur du réseau, on le comprend d'autant
mieux.
Un problème doit cependant être soulevé : il est étrange que le projet donne
un pouvoir régalien aux directoires des caisses d'épargne en matière de
création et d'implantation des groupements locaux d'épargne, ainsi que dans la
désignation de leurs administrateurs. Pardonnez-moi, mais, pour un républicain
comme moi, la légitimité vient de l'élection.
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Eh oui !
M. Jean-Louis Carrère.
Il faut donc que les COS soient au moins consultés sur l'organisation des
groupements locaux d'épargne, ou même qu'ils y soient associés.
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Il vaudrait mieux supprimer les groupements locaux d'épargne
!
M. Jean-Louis Carrère.
A défaut, nous connaîtrions les errements de directoires désignés par les COS,
lesquels directoires, par la suite, créeraient et organiseraient les GLE.
Enfin, les modes de négociation collectives des caisses d'épargne sont adaptés
: ils se rapprochent du droit commun de la négociation sociale, même si
certaines spécificités sont maintenues. Monsieur le ministre, entre le droit
actuel et le droit commun, nous aurions préféré que la balance penche plutôt en
faveur du premier. En effet, à condition que le droit actuel soit toiletté, il
nous apparaît comme offrant une procédure intéressante de négociation d'accords
collectifs.
Cela étant, nos principales interrogations concernent la periode de
transition.
Le capital initial des caisses sera égal à la somme des dotations statutaires
de chaque caisse arrêtée au 31 décembre 1997, soit 18,8 milliards de francs. Il
sera composé de parts sociales et de certificats coopératifs d'investissement,
en pratique environ 13 milliards de francs de parts sociales et 5,8 milliards
de francs de certificats coopératifs.
Monsieur le ministre, nous ne sommes pas totalemetn rassurés sur la contrainte
que va faire peser un tel montant à placer sur une aussi courte période.
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Tout à fait d'accord !
M. Jean-Louis Carrère.
Je ne vous demanderai pas de doubler cette période ; cela donnerait à penser
que le groupe des caisses d'épargne ne serait pas capable, en quatre ans, de
placer ses parts sociales ; cela voudrait dire aussi que, collectivement, nous
aurions fait une erreur d'appréciation. Dès lors, un doublement de la période
serait inadaptée à l'enjeu.
Toutefois, modifier ce délai à la marge, en le portant de quatre ans à cinq
ans, et réduire la masse demandée pourraient nous permettre d'envisager la
réforme avec plus de sérénité.
M. Gérard Delfau.
Très bien !
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Cela va dans le bon sens !
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Tout cela progresse !
M. Joël Bourdin.
Bravo !
M. Jean-Louis Carrère.
Enfin, monsieur le ministre, ainsi que je le disais au début de mon propos,
votre réforme va dans le bon sens eu égard aux attentes des déposants, eu égard
aussi à la configuration du paysage financier français et européen.
J'insiste, au nom du groupe socialiste, sur la nécessité absolue de faire en
sorte que cette réforme puisse être prise à bras-le-corps par les salariés,
dont nous aurons le plus grand besoin pour la mener à son terme.
Vous l'avez bien compris, monsieur le ministre, au-delà de ses interrogations,
le groupe socialiste approuve les objectifs et les modalités essentielles de
cette réforme, qui vise à permettre au réseau des caisses d'épargne de
consolider sa place de grand réseau bancaire à vocation locale et sociale.
Nous vous soutiendrons, en particulier, contre ceux qui veulent supprimer la
vocation sociale spécifique des caisses d'épargne en les réduisant à un groupe
bancaire comme les autres.
(Applaudissements sur les travées socialistes. -
MM. Delfau et Loridant applaudissent également.)
M. le président.
La parole est à M. Badré.
M. Denis Badré.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon propos
sera centré sur la première partie du projet de loi, qui concerne la réforme
des caisses d'épargne. Mon excellent collègue et ami Marcel Deneux consacrera
tout à l'heure l'essentiel de son intervention à l'autre volet du dispositif,
relatif à la sécurité financière.
A l'instar de la plupart des caisses d'épargne européennes - c'est à dessein
que je démarre sur cette référence, qui me paraît s'imposer dans ce débat -,
les caisses d'épargne françaises constituent un acteur de premier plan dans le
paysage financier : en termes de fonds propres, comme le constate le très clair
rapport Douyère, elles figurent au second rang des banques françaises avec plus
de 65 milliards de francs.
Sur un plan plus qualitatif, le réseau se caractérise par une forte assise
locale - il constitue le deuxième parc d'agences en France - et par des tarifs
bancaires très compétitifs. En effet, selon une récente enquête réalisée par la
Confédération de la consommation, deux des trois banques les moins chères de
France seraient des caisses d'épargne. Au-delà d'un succès incontestable, il
s'agit également d'une institution en perpétuelle évolution depuis sa création,
au début du xixe siècle.
La préservation du rôle très particulier et irremplaçable que jouent les
caisses d'épargne recueille incontestablement un large consensus, qui efface
les clivages politiques ou idéologiques classiques. Mais ce consensus ne doit
pas nous faire oublier l'impérative nécessité pour le réseau de s'adapter, ce
qui est vrai dans l'ensemble des secteurs marchands, mais en particulier dans
le secteur financier et bancaire, actuellement en profonde mutation.
Ce qui est en cause, c'est l'avenir des caisses et de leurs personnels mais ce
sont aussi les intérêts des épargnants et de l'ensemble de leurs partenaires,
au rang desquels figurent évidemment les collectivités locales, chères à la
Haute Assemblée.
S'adapter aux réalités du monde moderne tout en restant fidèles à la vocation
forte et originale des caisses d'épargne, à savoir la collecte de l'épargne
populaire et le financement du logement social, tel est le défi auquel sont
durablement confrontés les responsables du réseau.
A cet égard, la création du Marché unique européen en 1993 et la mise en place
de l'euro le 1er janvier dernier ont accéléré le processus en cours. Cette
indispensable évolution, entamée dans les années soixante, a tout d'abord
permis d'élargir les services et les produits offerts : l'épargne-logement dès
1965, les comptes de chèques en 1978, l'accès aux marchés internationaux grâce
à la loi du 1er juillet 1983.
La réforme de 1983 constituait, par ailleurs, une première étape dans
l'évolution du statut des caisses, devenues alors établissements bancaires à
but non lucratif.
La loi de 1991 devait permettre l'indispensable restructuration du réseau,
menée dans un climat de dialogue social très constructif que nous devons tous
saluer.
A présent, le caractère de concurrence ouverte du marché financier et bancaire
révèle certaines fragilités qui pourraient mettre, à terme, en danger la
pérennité de l'institution. Il restait à franchir un nouveau cap avec,
notamment, la reconnaissance du caractère lucratif et la constitution d'un
véritable sociétariat.
Le projet de loi dont nous sommes saisis va dans ce sens - M. Lambert l'a
souligné avec le talent que nous lui connaissons - et il est effectivement
attendu avec impatience à la fois par les instances dirigeantes du réseau et,
apparemment, par une majorité des salariés, conscients des nouvelles
contraintes économiques qui pèsent sur leur entreprise.
Les membres du groupe de l'Union centriste et moi-même avons eu l'occasion de
rencontrer les différents interlocuteurs, dont l'adhésion est évidemment
indispensable à la réussite de la nouvelle réforme.
Cette adhésion semble assez largement comprise à l'intérieur des caisses. La
qualité de la concertation engagée par l'actuel gouvernement et par son
prédécesseur semble appréciée, et de bon augure.
La commission des finances, qui suit ce dossier de façon très approfondie
depuis de nombreuses années, a fait du bon travail. MM. Lambert et Marini se
sont eux-mêmes très directement impliqués dans cet exercice.
Sur toutes les dispositions qui posent encore problème, sur toutes les
imperfections qui subsistent dans le texte qui nous arrive de l'Assemblée
nationale, il nous faut trouver des solutions acceptables. Il vous
appartiendra, monsieur le ministre, de nous faire connaître vos réactions sur
les différentes mesures que nous avons proposé d'introduire, mais j'ai le
sentiment qu'un accord d'ensemble devrait être possible.
La majorité sénatoriale souscrit à la philosophie globale du dispositif : le
statut coopératif constitue bien, dans le contexte actuel, une bonne réponse
aux problèmes des caisses d'épargne, à condition de ne pas imposer au réseau
des contraintes ou des lourdeurs qui seraient exorbitantes par rapport à une
loi de 1947 qui a fait ses preuves. Mais il est certain, par ailleurs, que les
changements très rapides que connaît aujourd'hui le monde bancaire pourraient
imposer dans un avenir proche de nouvelles évolutions ; j'y reviendrai. M.
Lambert nous invitait d'ailleurs à être très audacieux et à engager une
réflexion prospective.
A l'heure actuelle, le statut coopératif semble bien adapté par rapport aux
besoins et aux spécificités des caisses d'épargne. Les difficultés du réseau
proviennent avant tout d'une insuffisante rentabilité des fonds propres dans un
contexte de concurrence accrue au niveau européen ainsi que de coûs de gestion
trop élevés. Ainsi, de 1994 à 1997, les frais de gestion ont progressé plus
vite que le produit national brut, ce qui dénote, en particulier, une maîtrise
insuffisante de certaines dépenses de fonctionnement. Mais, surtout, comme le
note également M. Douyère dans son rapport, la rentabilité des caisses
n'atteint pas celle des principaux établissements de crédit français, elle-même
déjà relativement faible par rapport à celle de leurs concurrents européens.
Rappelons que la rentabilité moyenne des banques mutualistes est de 6 %, alors
que celle des caisses avoisine 3 %.
L'émergence d'un vaste sociétariat s'appuyant sur des millions de «
clients-sociétaires », ambition du projet de loi, est à présent une nécessité.
Devenu banque à part entière, le réseau des caisses d'épargne pourra accorder
des prêts aux entreprises faisant publiquement appel à l'épargne et jouer ainsi
pleinement son rôle dans le développement économique et social, tout en
préservant ses attributions traditionnelles. Cela va évidemment dans le bon
sens, nul ne le contestera.
A ce propos, la réforme s'inspire directement de l'organisation d'une très
grande banque coopérative que j'ai personnellement connue de près alors que je
travaillais dans le secteur de l'agriculture : le Crédit agricole.
Mon collègue et ami Marcel Deneux parlera sans doute avec beaucoup plus
d'éloquence de ce grand établissement bancaire, mais permettez-moi de m'arrêter
sur cet exemple pour voir dans quelle mesure nous pouvons tirer des
enseignements des succès et des difficultés rencontrés par le Crédit
agricole.
Banque de proximité avec ses cinq mille sept cents agences, très
décentralisée, offrant à ses clients des services de grande qualité à un coût
réduit, le Crédit agricole est devenu une référence dans le secteur de
l'économie sociale.
Il est bon que cette référence ait largement guidé la réflexion des promoteurs
du projet de loi qui nous est soumis aujourd'hui, car elle est riche
d'enseignements.
(Exclamations sur les travées socialistes.)
Symbole de rigueur financière, resté assez en dehors des spéculations
immobilières des années quatre-vingt, le Crédit agricole avait déjà des points
communs avec le réseau des caisses d'épargne, à une différence près : son
statut de société lui a permis de renforcer encore ses positions au sein d'un
monde financier européen en pleine restructuration. Ce mouvement se poursuit.
Le crédit agricole figure ainsi parmi les cinq premiers groupes bancaires en
Europe. Il est à présent candidat à la reprise de 10 % du capital du Crédit
Lyonnais et envisage des alliances avec quelques grands groupes d'assurance
européens. C'est à une telle latitude stratégique qu'aspirent désormais
l'ensemble des responsables du réseau des caisses d'épargne.
M. Jean-Louis Carrère.
Et voilà !
M. Denis Badré.
La mise en place d'un actionnariat initial ne suffit pas : il faut qu'il
puisse s'élargir et donc que les caisses d'épargne soient en mesure d'offrir à
leurs sociétaires des conditions de rémunération suffisamment attractives. Là
réside l'une des faiblesses de ce projet de loi. Il faudra la corriger. En ce
sens, l'obligation pour les caisses d'épargne d'affecter une partie de leur
résultat distribuable au financement de projets d'intérêt général est
bienvenue, mais elle pose un vrai problème.
De telles contraintes financières inspirées par des motifs qui relèvent aussi
de choix non financiers risquent fort, en effet, d'avoir un effet dissuasif à
l'égard d'éventuels investisseurs. Cette mesure paraît d'ailleurs irréaliste,
huit caisses sur trente-quatre étant actuellement déficitaires.
Et pour celles qui pourront - et devront alors - respecter cette obligation,
la question se posera de savoir qui appréciera le caractère d'intérêt général
des projets soumis. C'est une vraie question. Faute d'y répondre
intelligemment, c'est l'image du réseau qui risque elle-même d'être
compromise.
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Tout à fait !
M. Denis Badré.
Il serait donc bien préférable de laisser à chaque caisse une plus grande
liberté dans l'utilisation de ses résultats, cela, bien sûr, dans l'intérêt du
réseau lui-même mais aussi dans celui de ses clients, de ses partenaires et
même des promoteurs de projets d'intérêt général, car les projets retenus
pourront alors bénéficier d'un soutien financièrement plus significatif et,
très généralement, d'un appui nettement plus résolu, engagé et personnalisé.
Alléger les contraintes financières pesant sur le réseau est également l'objet
des principaux amendements présentés par la commission des finances du Sénat.
Ils sont inspirés par un double souci de souplesse et d'efficacité. Le groupe
de l'Union centriste les votera, qu'il s'agisse de l'allongement du délai
accordé aux caisses pour placer leurs parts sociales dans le public ou du
remplacement des groupes locaux d'épargne par des sections locales d'épargne,
bien plus adaptées à l'animation du sociétariat. Je n'y reviens pas, sinon pour
dire que la référence au Crédit agricole est encore très intéressante. Monsieur
le ministre, il faut en tirer tous les enseignements.
Pour nous, priorité doit être donnée au renforcement et à l'amélioration de la
rentabilité des caisses, faute de quoi la réforme resterait inachevée, sinon
tout à fait vaine.
M. Jean-Louis Carrère.
Pour vous, il n'y a que le Crédit agricole !
M. Denis Badré.
Elle pourrait même avoir des effets pervers sur un réseau qu'elle entend
défendre.
Cela dit, même amendée, cette réforme ne peut être une fin en soi. Comme M. le
président de la commission l'a souligné, elle n'est qu'une étape importante
dans la modernisation inéluctable de l'une des structures financières les plus
anciennes et les plus enracinées dans notre pays. Dans la perspective de
futures alliances européennes, d'autres modifications de nature statutaire
seront certainement nécessaires.
Nous devrons rester très attentifs, en particulier, à l'évolution du statut
des caisses d'épargne de nos partenaires de l'Union européenne. Ainsi, les
caisses allemandes, qui représentent à elles seules près de 60 % du volume
d'affaires des caisses en Europe, devraient faire prochainement l'objet d'une
importante réforme, qu'il faudra suivre de près.
Si le réseau espagnol comporte beaucoup de similitudes avec le nôtre, les
caisses italiennes, depuis le début des années quatre-vingt-dix, ont été
scindées en deux entités distinctes avec des fondations, d'une part, des
établissements bancaires sociétés anonymes, d'autre part, ce qui leur confère
un incontestable dynamisme et pourrait aussi stimuler notre réflexion pour
l'avenir. Les rapprochements engagés avec ces différentes institutions doivent
être poursuivis et approfondis. Alors que l'Europe poursuit fortement sa
construction, il semble vraiment essentiel à l'Européen déterminé que je suis,
que les rapprochements entre ces entreprises soient facilités.
De façon plus générale, le monde bancaire en Europe connaît actuellement
d'importantes restructurations, dont la France est restée trop longtemps à
l'écart. Face aux géants américains ou japonais, des groupes bancaires
transnationaux sont en voie de constitution. Dans notre pays, les grandes
manoeuvres ne font que commencer ; les caisses d'épargne ne peuvent
l'ignorer.
En conclusion, la réforme proposée va dans la bonne direction. Sous réserve de
quelques améliorations, fondamentales sur certains points, elle permettra aux
caisses d'épargne d'améliorer leur compétitivité et d'affronter dans de
meilleures conditions la concurrence sur le marché européen.
Monsieur le président, mes chers collègues, le groupe de l'Union centriste
votera les amendements de la commission des finances et présentera quelques
propositions complémentaires, les uns et les autres étant destinés à renforcer
la cohérence du texte ou à gommer ce que nous considérons comme les faiblesses
d'un projet de loi globalement positif.
Notre objectif, au cours de ce débat, est bien de mettre les caisses d'épargne
sur un pied d'égalité avec les banques coopératives puisqu'il leur permettra de
poursuivre solidement et clairement l'effort engagé dans le sens d'une
diversification de leurs activités, et notamment, bien sûr, de mieux exercer
leur rôle de prêteur en faveur du secteur public local.
(Applaudissements
sur les travées de l'Union centriste. - M. le président de la commission et M.
le rapporteur applaudissent également.)
M. le président.
La parole est à M. Bourdin.
M. Joël Bourdin.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la ville,
dans l'imaginaire du Français, c'est évidemment une mairie, une église, une
place, un marché et aussi, pas trop loin de là, la caisse d'épargne.
M. Jean-Louis Carrère.
Et le Crédit agricole !
M. Joël Bourdin.
En effet, dans tous les gros bourgs et les villes existe, depuis presque deux
siècles dans certains cas, la caisse d'épargne, lieu souvent bien matérialisé
et bien visible que chacun peut localiser avec certitude tant il fait partie du
contexte local, voire du patrimoine de la commune. Il est vrai que nombreux
sont les Français qui le fréquentent, comme déposants, détenteurs de livrets ou
emprunteurs, puisqu'un peu plus de vingt-cinq millions d'entre eux y détiennent
un livret ou un compte.
C'est dire que toute réforme des caisses d'épargne rencontre un large écho
dans la population et doit être entreprise avec circonspection et prudence,
dans un esprit consensuel.
Issues d'une histoire longue et toute dédiée à la promotion de l'épargne
populaire et de son affectation sociale dans un cadre local, les caisses
d'épargne se sont toujours tenues à l'écart des mouvements frénétiques de la
spéculation immobilière, boursière et internationale à laquelle ont succombé de
nombreuses institutions financières autrement plus dotées en capital et en
conseils d'administration dorés sur tranche.
Les caisses d'épargne, c'est l'histoire édifiante d'un Petit Poucet qui s'est
bien gardé de gâcher ses noisettes, pour faire son chemin parmi des ogres de
papier. Imprudents et bravaches, ces ogres ont perdu leurs bottes de sept
lieues et supplient maintenant le Petit Poucet d'aller moins vite en lui
imposant des semelles de plomb !
(Sourires.)
M. Gérard Delfau.
Très bien !
M. Joël Bourdin.
Car c'est un peu de cela qu'il s'agit !
Monsieur le ministre, les caisses d'épargne n'ont pas peur de la réforme :
depuis cent quatre-vingts ans, elles ont été de réforme en réforme, souvent en
les sollicitant elles-mêmes. Celle que vous prônez, telle qu'elle a été
transmise par l'Assemblée nationale dans ses grands traits, les caisses
d'épargne l'aient souhaitée, en accord avec les principales propositions
formulées par M. Lambert, au nom de la commission des finances du Sénat. Mais
il n'est pas convenable d'assortir la mutation juridique programmée de
conditions qui risquent de contraindre les caisses d'épargne, en restreignant
pour l'avenir les moyens dont elles ont besoin pour assurer leur modernisation
et leur croissance.
Evoquer l'histoire des caisses d'épargne est un réel plaisir, car, sous
l'impulsion de quelques personnalités généreuses, elle est jalonnée par la
réalisation de quelques utopies sociales, et marquée par l'émergence et le
développement de l'épargne individuelle populaire. Car, ne l'oublions jamais -
c'est un trait qui demeure - les caisses d'épargne ne drainent, depuis leur
création, que de la petite épargne chèrement acquise, distraite d'un petit
salaire, d'une petite retraite ou d'une petite pension.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Tout à fait !
M. Joël Bourdin.
C'était cela, à l'origine, et c'est encore vrai aujourd'hui. Les caisses
d'épargne ont popularisé l'acte d'épargne auprès de populations dont le niveau
de revenu justifiait pourtant une totale affectation à la consommation. De
même, elles ont joué un rôle indéniable, bien que méconnu, dans la formation
progressive de l'épargne française, dont on sait qu'elle est le moteur et la
condition de l'investissement.
Depuis sa création, la caisse d'épargne s'affirme comme une institution
remplissant une fonction économique fondamentale au sein de la société ! En
1818, l'idée révolutionnaire de collecter l'épargne des catégories sociales
exposées aux aléas financiers va susciter une relation nouvelle à l'argent,
fondée sur son bon usage, tout en contribuant au bien public.
En effet, les pères fondateurs, Benjamin Delessert et François La
Rochefoucauld-Liancourt, en créant la première caisse d'épargne à Paris, ont eu
une démarche fortement imprégnée de motivations d'ordre à la fois social et
pédagogique.
Dans une période de forte incertitude pour une large frange de la population,
il s'agissait d'enseigner les bienfaits de la bonne utilisation de l'argent
conservé à l'aide de l'épargne.
A partir de 1837, s'enclenche un processus de réformes diverses - les plus
récentes sont celles de 1983 et de 1990 - qui vont donner aux caisses d'épargne
leur physionomie actuelle.
Aujourd'hui, il convient de souligner combien les efforts mis en oeuvre par le
réseau des caisses d'épargne, sur le plan tant de l'évolution de l'organisation
que du point de vue commercial, sont prometteurs.
Huit ans après la première réforme, le pari a été tenu et le développement du
groupe Caisse d'épargne a été spectaculaire.
En quelques années, la reconfiguration du réseau a eu lieu.
Sur le plan international, le groupe participe au capital de plusieurs
filiales et vient d'acquérir, voilà quelques mois, en décembre 1998, 6 % du
capital de la caisse d'épargne de Gênes.
Dans le domaine de la diversification des activités d'épargne et de crédit, le
pari est réussi. Aujourd'hui, le groupe Caisse d'épargne est le deuxième
établissement financier français par le total des dépôts et placements
gérés.
Le réseau de vente de proximité a été profondément rénové.
Par ailleurs, le grand développement des activités et des métiers du groupe a
nécessité un redéploiement des effectifs vers les fonctions commerciales. Il a
également mobilisé des moyens importants en termes de formation et de gestion
des carrières. En effet, trois quarts des salariés sont désormais formés aux
nouvelles techniques de vente.
Les équilibres financiers ont été maîtrisés. Par la poursuite d'une politique
prudente dans ce domaine - je rappelle qu'elles n'ont jamais été mêlées aux
spéculations immobilières - les caisses d'épargne ont obtenu, dans un
environnement difficile, des résultats financiers réguliers et positifs. La
progression des fonds propres a permis de conforter la solidité financière du
groupe, qui est attestée par une bonne notation de ses émissions.
Du point de vue social, afin de résoudre le déficit structurel de la CGR,
Caisse spécifique gestionnaire du régime de retraites des salariés, le CENCEP a
engagé une concertation interne. Il a notamment proposé son adhésion à l'AGIRC,
l'Association générale des institutions de retraite des cadres, et à l'ARRCO,
l'Association des régimes de retraites complémentaires, la mise en place d'un
régime complémentaire, ainsi qu'un régime de maintien de droits pour les
cotisations versées dans le passé par les salariés actuellement présents dans
le groupe. En 1997 et en 1998, le CENCEP a constitué d'importantes provisions
afin d'étaler dans le temps la gestion du passif social de la CGR.
M. Jean-Louis Carrère.
Surtout les caisses !
M. Joël Bourdin.
Alors qu'il connaît une évolution sans précédent, le groupe Caisse d'épargne a
sans cesse affirmé sa place et son rôle original dans le secteur bancaire
français et européen. Le défi de la diversification a été relevé, et le choix
de la proximité s'avère correspondre aux attentes des clients. Les caisses
d'épargne ont ainsi démontré leur capacité à s'adapter aux fortes évolutions du
contexte bancaire. Nous devons être fiers de ces évolutions, car elles
témoignent d'un véritable dynamisme du réseau des caisses d'épargne, lequel a
su évoluer avec son temps, avec l'appui consensuel du législateur. Cela nous
sort de la routine de la pensée unique, qui tendrait, si nous n'étions pas
vigilants, à confiner les formes juridiques à la seule société anonyme dominée
par les fonds de pension étrangers.
(Très bien ! et applaudissements sur les
travées socialistes. - M. Gérard Delfau applaudit également.)
Mais si la réforme est bienvenue, il demeure que, dans sa rédaction actuelle,
le texte qui nous est soumis fait peser sur l'avenir des caisses d'épargne des
contraintes et des incertitudes qui pourraient, si elles n'étaient pas allégées
ou annulées, entraver la marche de celles-ci vers la diversification et la
croissance.
M. le rapporteur de la commission des finances, avec son talent et son brio
habituels, a évoqué les lourdeurs encombrant le texte qui est soumis à notre
examen. Je ne m'appesantirai pas sur l'ensemble de celles-ci, car nous y
reviendrons lors de l'examen des articles. Je me permettrai en cet instant de
revenir sur trois d'entre elles. Elles concernent la fixation du niveau du
capital global des caisses d'épargne - article 21 - les contraintes de
l'affectation des résultats - article 6 - et l'absence de dispositif permettant
la réalisation d'opérations de partenariat et d'alliance.
M. Philippe Marini a excellemment évoqué le niveau du capital initial avec des
arguments qui conviennent. Il est en effet surprenant qu'aucune réflexion
économique et financière n'ait réellement précédé l'affirmation de la nécessité
d'arrêter le niveau du capital global des caisses d'épargne à 18,8 milliards de
francs. Même si le texte qui nous parvient de l'Assemblée nationale se réfère
au « montant des dotations statutaires de chacune des caisses » en semblant
donner une justification juridique à cette proposition, il ne faut pas être
dupe ! Les dotations statutaires constituées par les caisses d'épargne sont
dues au hasard, à des arbitrages le plus souvent locaux, de nature plus
comptable que juridique.
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Effectivement !
M. Joël Bourdin.
Elles ne peuvent pas, de bonne foi, être assimilées au capital social des
sociétés commerciales. A la vérité, le chiffre auquel on passerait en
appliquant l'actuel article 21 est purement arbitraire,...
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Absolument !
M. Joël Bourdin.
... et je ne vous étonnerai pas, monsieur le ministre, en vous rappelant que
nous sommes ici en face d'un problème d'optimum à réaliser, lequel tient
compte, notamment, de la capacité des caisses d'épargne à rémunérer par
affectation de leurs résultats une telle masse de capital, mais aussi des
contraintes supportées par ailleurs par les réseaux concurrents de forme
mutualiste. Est-il vraiment raisonnable de passer d'un système sans contrainte
de distribution, qui, selon les concurrents, favoriserait les caisses
d'épargne, à un système de distribution excessive, qui ne favoriserait que
leurs concurrents ? Certainement pas !
Au terme de mes propres calculs, j'étais parvenu à un optimum de capital situé
entre 13 et 14 milliards de francs. Le rapporteur, M. Philippe Marini, parvient
à une fourchette légèrement élargie et différente. Mais comme j'ai bien le
sentiment que la science financière n'est pas une science exacte, je lui laisse
le bénéfice du doute et voterai l'amendement qu'il a préparé à cet effet avec
la commission des finances.
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Merci !
M. Joël Bourdin.
Sous le prétexte qu'il faut mettre tous les concurrents financiers dans des
conditions identiques, il ne serait pas normal de faire peser sur les caisses
d'épargne une contrainte qui les affaiblirait et entraverait leur essor.
Quant aux dispositions adoptées par l'Assemblée nationale et relatives aux
règles d'affectation nouvelles qui seraient imposées aux caisses d'épargne,
elles ne font guère honneur à la représentation nationale puisqu'elles visent à
organiser la dilapidation des résultats des caisses d'épargne.
En effet, dans son état actuel, le texte est conçu comme si le premier
objectif des caisses d'épargne était de participer à fonds perdus au
financement des projets d'économie locale et sociale. Une priorité dans
l'affectation des résultats disponibles est accordée à la distribution de
moyens favorisant l'économie locale sur la rémunération des détenteurs de
parts. C'est un véritable attrape-nigauds ! Comment peut-on imaginer qu'un tel
dispositif permetra de trouver suffisamment de souscripteurs pour les parts
sociales qui seront mises sur le marché ?
Les caisses d'épargne ont un but social, que ses fondateurs lui ont assigné,
qu'elles honorent et ont tenu à affirmer en créant la Fondation contre
l'exclusion et en s'imposant l'obligation d'un dividende social égal à 10 % de
leur résultat net. Aucun texte ne l'imposait, mais chaque caisse d'épargne,
sans contrainte, par la seule affirmation d'une volonté sociale, consacre
chaque année 10 % de son résultat net en faveur de la culture, du sport, de la
lutte contre la précarité et l'exclusion. C'est un honneur qu'elles se sont
imposé et qui n'a pas d'équivalent chez leurs concurrents. Alors que les
caisses d'épargne ont été exemplaires, on comprend mal que l'on veuille les
pénaliser en leur imposant une obligation minimale, mal pesée, qui risquerait,
par sa lourdeur, de les mettre en mauvaise position.
Oui, les caisses d'épargne ont, à l'évidence, un but social. C'est leur
gloire, leur passé et leur avenir. Mais elles sont modestes et fragiles. Il
faut se garder de les considérer comme les supplétifs des CCAS, les centres
communaux d'action sociale, ou des organismes divers dépendant de l'Etat et des
collectivités qui ont pour mission directe d'agir dans le domaine social.
A la lecture du compte rendu, publié au
Journal officiel,
des débats
de l'Assemblée nationale sur ce sujet, j'ai eu l'impression que certains
députés découvraient un trésor et essayaient de se l'approprier pour des
actions diverses. Il n'y a pas de trésor ! Nous sommes en face d'un
établissement financier en situation de concurrence, qui doit tout à la fois
s'imposer par rapport à ses concurrents, rémunérer convenablement ses porteurs
de parts et assurer un bon niveau d'investissement pour développer ses
activités.
Le texte initial du Gouvernement, tout en rappelant la nécessité, pour les
caisses d'épargne, de participer aux actions d'intérêt social et local, ne
fixait pas auxdites caisses ni aux conseils d'orientation et de surveillance de
minimum à leur financement. Cette disposition me semble raisonnable. Elle a été
reprise d'une certaine manière par la commission des finances. Bien évidemment,
je la voterai.
Enfin, en son état actuel, le projet de loi qui nous est soumis ne permet pas
aux caisses d'épargne de se lancer, par une procédure simple, dans des
opérations de partenariat et d'alliance. En effet, obliger un partenaire
éventuel à adhérer à un groupement local d'épargne pour participer au capital
d'une caisse d'épargne...
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Est surréaliste !
M. Joël Bourdin.
... n'est pas de nature à faciliter des démarches qui exigent, le plus
souvent, la confidentialité.
Pour faciliter les participations croisées, les alliances, qui semblent dans
la nature des choses à l'heure actuelle, il faut trouver le moyen d'associer, à
de bons niveaux, des partenaires investisseurs sans pour cela passer par
l'usine à gaz des groupements locaux d'épargne.
M. Joseph Ostermann.
Très bien !
M. Joël Bourdin.
La proposition de la commission des finances consistant à supprimer l'article
relatif aux groupements locaux d'épargne me donne bien sûr satisfaction, car
ainsi on peut réaliser ce qui est souhaitable et qui semble moderne...
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Très bien !
M. Joël Bourdin.
Monsieur le ministre, c'est avec beaucoup d'optimisme que j'aborde la
discussion d'un texte qui, dans ses grandes lignes, était attendu, souhaité par
les caisses d'épargne et suggéré par la commission des finances du Sénat. Tel
qu'il nous parvient, il est perfectible et le groupe des Républicains et
Indépendants s'attachera, en suivant sur l'essentiel les propositions de la
commission des finances, à le parfaire.
Anticipant toutefois sur la commission mixte paritaire qui se tiendra dans les
semaines à venir, je me permets d'ajouter que, sur un sujet aussi sensible, qui
concerne tout le monde, les nombreux usagers des caisses d'épargne, leur
personnel, leurs dirigeants, les collectivités locales, il serait dangereux de
ne pas aboutir à une rédaction consensuelle. Vos prédécesseurs, en 1983 et en
1991, sont parvenus à des réformes réussies car ils n'ont eu de cesse de
réaliser un accord entre les deux assemblées. Je souhaite bien évidemment que
vous soyez sur la même ligne. Je ne doute pas, d'ailleurs, que vous en ayez
l'intention. En effet, notre objectif est de promouvoir non pas une nouvelle
forme d'utopie sociale, mais simplement une nouvelle phase de développement
pour les caisses d'épargne.
(Applaudissements sur les travées des
Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste. - M. Pierre
Laffitte applaudit également.)
M. le président.
La parole est à M. Laffitte.
M. Pierre Laffitte.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne suis
pas membre de la commission des finances de cette assemblée,...
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Quel malheur pour elle !
M. Pierre Laffitte.
... mais, depuis plus de trente ans, je me passionne pour le développement
économique local et la création d'emplois à partir de matière grise et
d'innovation. Cela ne m'a pas empêché, notamment, de me préoccuper activement,
avec la commission des affaires culturelles et le groupe de travail Innovation
et entreprises, de la création d'un nouveau marché inspiré du NASDAQ, des
problèmes financiers à incidence sociale et de la création d'emplois, notamment
dans le domaine des fonds communs de placement de l'innovation. Aussi - cela ne
surprendra sans doute personne dans cet hémicycle - je m'exprimerai notamment
sur les interactions entre le projet de loi que nous examinons et la
participation active des caisses d'épargne dans la promotion et le financement
d'innovations.
Européen convaincu et connaissant assez bien l'autre partie du moteur de
l'Europe, que constitue notre voisin d'outre-Rhin, j'interviendrai, ensuite, en
faveur d'un rapprochement de nos caisses d'épargne avec les Sparkassen et
Landesbanken allemands qui fonctionnent selon les mêmes principes et les mêmes
finalités sociales, institutions qui sont ancrées au coeur de tous les
Allemands. Il y a là pour l'avenir, d'une part, de l'Europe et, d'autre part,
de nos caisses d'épargne une possibilité d'alliance fondamentale.
Enfin, j'insisterai sur l'intérêt de porter une attention particulière à la
formation du personnel. Il ne suffit pas, en effet, de modifier la loi ; il
faut que le personnel puisse acquérir des connaissances nouvelles, en
particulier dans le domaine des nouvelles technologies qui sont désormais
indispensables et qui connaissent, dans les domaines financiers et économiques,
un développement explosif puisque, sans elles, une institution financière est
condamnée à la récession.
Le premier point de mon intervention sera donc consacré aux caisses d'épargne
et au financement de projets d'économie locale et sociale.
Les caisses d'épargne proposent déjà, selon les cas, des financements, des
crédits à court et à moyen termes et des prestations liées à l'activité des
entreprises. La question essentielle que je me pose est la suivante : compte
tenu de leur insertion locale très forte, dont le principe est essentiel,
comment peuvent-elles participer au financement en fonds propres des petites et
moyennes entreprises, en particulier de celles qui se créent ? En France, les
fonds propres de ces entreprises sont globalement trop faibles et, par voie de
conséquence, leur taille est très limitée.
Or, dans notre pays, les très petites entreprises sont majoritaires. Elles
éprouvent souvent des difficultés à disposer d'un capital-développement.
En effet, aujourd'hui, les sociétés, les institutions financières qui
investissent quelque 7 milliards de francs par an pour les domaines de
capital-risque sont en majorité attirées beaucoup plus par le financement de
sociétés déjà matures que par la création ou le stade initial, qui
n'intéressent que 20 % d'entre elles. Ce sont là des chiffres très faibles
qu'il faut absolument développer.
Dans son exposé des motifs, le Gouvernement insiste sur le renforcement des
missions d'intérêt général et des principes de solidarité. Il y a là, dans ce
domaine, une mission d'intérêt général et une nécessité de solidarité, car le
développement de l'emploi - chacun le sait désormais et le répète - est une
priorité absolue mais passe essentiellement par le développement des petites ou
très petites entreprises, voire de l'artisanat.
C'est là qu'un réseau, tel celui des caisses d'épargne, peut avoir une action
influente, compte tenu de son implantation très générale.
Tout récemment, le Sénat a adopté le projet de loi sur l'innovation et la
recherche qui était présenté par le ministre chargé de l'enseignement supérieur
et de la recherche et dont j'étais rapporteur. Je me réjouis de la qualité des
débats que nous avons eus à cette occasion, et j'espère que la navette nous
permettra encore d'améliorer le texte.
L'innovation a constitué une opération importante en 1998. Des opérations déjà
engagées par les gouvernements précédents ont été poursuivies. Les colloques
sur l'innovation, dans les régions et les assises nationales, à la Villette,
ont précisé l'importance de l'innovation en matière de compétitivité
économique.
La création d'entreprises à forte capacité de croissance - on le voit dans les
pays les plus concernés par les technologies innovantes - constitue le moyen
efficace et sûr de créer la majorité des emplois directs et engendre la plupart
des emplois indirects. C'est le cas aux Etats-Unis, où plus de la moitié des
emplois directs créés proviennent de cette source. Avec les emplois indirects
créés, cela compense largement les emplois détruits par la modernisation
économique et la mondialisation.
En Europe, où plus de 400 000 emplois viennent d'être créés à partir des
seules nouvelles technologies de l'information et de la communication, d'après
le
Bulletin sur l'emploi et le fonds social européen,
de mars 1999, 450
000 autres sont attendus. Il y a lieu de s'en réjouir, modestement toutefois,
parce que nous aurions pu probablement en créer le double, si les structures
financières avaient été mieux adaptées.
Vous voyez donc, monsieur le ministre, mes chers collègues, que le lien entre
les structures financières et la création d'emplois, notamment dans les
nouvelles technologies, est essentiel et très direct.
A cet égard, je me réjouis tout particulièrement de ce que le projet de loi
sur la modification, l'extension des pouvoirs du réseau des caisses d'épargne
vienne à point. Le Sénat le souhaitait depuis longtemps. Je n'ai d'ailleurs pas
le sentiment, je dois l'avouer, que de très grandes différences d'appréciation
existent quant au bien-fondé de ce qui nous est proposé par le Gouvernement. Le
président et le rapporteur de la commission des finances ont tous les deux
indiqué que ce projet de loi allait dans le bon sens. Des différences
d'interprétation sont apparues sur lesquelles notre ami Jean-Louis Carrère a
beaucoup insisté.
Mais, à l'écouter, je n'ai pas eu le sentiment qu'il s'agissait d'une
opposition frontale. J'ai en effet constaté des éléments très convergents, ce
dont je me réjouis tout particulièrement.
Nous aurions pu faire beaucoup mieux, en matière de création d'emplois en
particulier si les fonds de pension étaient au même niveau que dans les pays
anglo-saxons.
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Très bien !
M. Pierre Laffitte.
S'agissant du problème des fonds de pension, nous savons tous que la présence
massive de fonds de pension, notamment américains, est à la fois un bienfait et
un danger pour l'économie européenne : c'est un danger, car ces fonds de
pension sont volatils - ce n'est pas le président d'Alcatel qui me contredirait
sur ce point - et c'est un bienfait, car ils nous sont indispensables dans la
mesure où nous n'en avons pas et où le financement à partir des autres moyens
est insuffisant.
L'article 24 du projet de loi prévoit la création progressive d'un fonds de
réserve à un niveau modeste. J'ai constaté que le président et le rapporteur de
la commission des finances considéraient que les sommes envisagées n'étaient
peut-être pas à la hauteur de l'objectif.
En revanche, l'affectation d'une faible partie de ces fonds de pension à des
investissements dans des fonds communs de placement dans l'innovation, les
FCPI, dans des incubateurs, ou dans des fonds d'amorçage me paraîtrait de
nature à augmenter singulièrement l'effort de l'Etat qui, si je ne m'abuse, est
de l'ordre d'une centaine de millions de francs. C'est mieux que rien, mais
c'est nettement insuffisant. Il faudra y ajouter les fonds privés qui,
certainement, sont prêts à s'y investir sous réserve que, par exemple, cela
puisse entrer dans la nouvelle définition des FCPI.
Sur ce point, je pense que le projet de loi sur l'innovation devra être
légèrement amélioré pour que cela soit techniquement possible. Comme je l'ai
dit à vos collaborateurs, monsieur le ministre, il faudrait déposer un
amendement à cet égard soit à l'Assemblée nationale, soit ici même, lors de
l'examen de ce texte en nouvelle lecture.
Mais le problème est ouvert s'agissant des sociétés de gestion de ces
incubateurs ou des fonds d'amorçage, qui seraient certainement très heureuses
d'avoir les caisses d'épargne dans leur capital. Je crois qu'il y va de
l'intérêt des caisses d'épargne, car cela garantit pour l'avenir des clients en
faisant naître une forme d'amitié avec les sociétés innovantes ainsi créées.
J'insisterai sur un deuxième point qui me paraît essentiel : l'exemple
allemand de financement des PME par les caisses d'épargne. Ces dernières, qui
représentent 19 % du chiffre d'affaires du système financier allemand,
bénéficient d'un statut public désormais ancré dans le système fédéral. Elles
servent de relais aux collectivités locales et assurent les activités
classiques de banques d'affaires ; elles bénéficient d'un fonds de garantie des
dépôts et d'une garantie directement apportée par les collectivités publiques.
Elles savent s'adapter à l'exacerbation de la concurrence en poursuivant une
politique de coopération, voire, dans certains cas, de fusion avec les
Landesbanken
.
Il n'existe pas, en France, de système fédéral.
Nous n'avons pas encore évoqué dans cette enceinte, s'agissant de ce débat,
les sociétés de développement régional.
Bien entendu, nous avons, en France, la Caisse des dépôts et consignations,
qui vaut largement un certain nombre de
Landesbanken
allemandes. Mais,
d'une certaine façon, n'irions-nous pas vers une forme de régionalisation de
certaines institutions bancaires avec le développement des régions en Europe -
je n'irai pas jusqu'à parler de « régions européennes » ou d'« Europe des
régions » ?
Le problème qui se pose est sans aucun doute de prévoir l'avenir dans ce
domaine. En tant que président de l'Association franco-allemande pour la
science et la technologie, je connais un certain nombre de personnalités
allemandes, je connais assez bien le fonctionnement des régions allemandes et
des chambres de commerce et d'industrie, qui ont probablement une influence
plus grande dans la dynamique des affaires qu'en France. Il y a beaucoup à
apprendre de ces institutions allemandes.
Je suggère donc que ce système financier allemand, proche, convivial, voire
amical - en tout cas, il est perçu comme tel par les particuliers et par les
petites entreprises - puisse conduire à l'instauration, par exemple, de stages
réciproques, d'envois d'experts. L'objectif est que les gens se connaissent
mieux : on ne peut être véritablement partenaires que si l'on se connaît bien.
Il y a là, à mes yeux, une opération importante pour que les deux moteurs de
l'Europe puissent se développer sur ce problème des situations
correspondantes.
Enfin, troisièmement, j'ai évoqué le problème complexe de l'apprentissage des
nouvelles technologies.
On pourrait également, me semble-t-il, assigner aux caisses d'épargne un rôle
un peu moteur sur les missions nouvelles qui sont liées à l'irruption du
commerce électronique, des banques sur Internet, etc.
Il est souvent plus facile, en matière de culture d'entreprise, de sauter
certaines étapes, notamment en matière de modernité. On sait que les Chinois,
par exemple, ont déjà sauté un certain nombre d'étapes pour les disques et sont
en train d'en sauter d'autres, notamment en matière de téléphone et d'usage des
réseaux de téléphone mobile.
Il est important qu'une formation et une incitation constantes puissent être
assurées. La population française, y compris les épargnants populaires, en
particulier les plus jeunes, pratique de plus en plus Internet et y constate
les nouvelles stratégies en matière financière, en matière de banque directe et
de commerce électronique. Il suffit de « surfer » un peu pour voir que cela se
développe.
Pour ma part, je souhaite que les caisses d'épargne puissent participer à ce
mouvement et que soit accompli un effort de formation des personnels dans ce
domaine. Je le fais déjà avec succès dans le cadre de la fondation
Sophia-Antipolis avec les postiers, lesquels ne sont pas connus pour être à la
pointe de la modernité : eh bien ! c'est la base des postiers qui a été la plus
dynamique en la matière, alors que, souvent, la hiérarchie était un peu
réticente.
M. Gérard Delfau.
Eh oui !
M. Pierre Laffitte.
Le même phénomène peut se développer dans les caisses d'épargne. Il y a là une
direction qui permettrait de progresser rapidement. En effet, nous sommes tous
très conscients de l'importance du caractère social que les caisses d'épargne
représentent.
Mais nous sommes tous très conscients du fait que ce caractère social ne
suffit pas à assurer une pérennité. Les Allemands connaissent exactement le
même problème : ils constatent une certaine diminution de l'attractivité des
caisses tout simplement parce que les gens sont plus mobiles qu'auparavant. Ils
ne sont plus toujours au même endroit. Ils changent un peu de localisation. En
France, ceux qui viennent à Paris ont alors moins de contacts directs avec la
caisse d'épargne que dans les villages évoqués par notre collègue Joël
Bourdin.
Certes, un danger de récession existe. Il est d'ailleurs partout. Si l'on ne
progresse pas, on régresse. Il faut donc que nous ayons toutes les cordes à
notre arc pour que les caisses d'épargne progressent.
Intervenir dans le capital-risque de proximité, dans les incubateurs et les
fonds communs de placement dans l'innovation, relever le défi des nouvelles
technologies et assurer une liaison forte avec les équivalents européens, et
notamment allemands, tels sont les trois thèmes, qui me paraissent importants,
monsieur le ministre.
(Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union
centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines
travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Calmejane.
M. Robert Calmejane.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de
loi qui nous est soumis a, certes, le mérite de vouloir aller dans le bon sens,
mais il a aussi le défaut regrettable de faire compliqué là où il eût été bon
de faire simple et d'être dépourvue de toute approche économique.
Les intentions du Gouvernement, sur la base du rapport Douyère, étaient de
donner enfin un statut aux caisses d'épargne, leur permettant ainsi d'agir avec
plus d'efficacité dans l'environnement bancaire.
C'est l'objet de la première partie du présent texte, sur laquelle je vais
vous livrer quelques-unes de mes réflexions, autorisé que je pense l'être par
l'attachement que j'ai porté depuis toujours à ces établissements d'épargne
populaire, partenaires privilégiés des collectivités locales, et par
l'expérience que j'ai acquise durant près de dix ans comme membre du conseil
d'orientation et de surveillance de la caisse d'épargne « Ile-de-France Paris
».
L'adaptation unanimement souhaitée des caisses, amorcée timidement par les
lois de 1983 et de 1991, ainsi que du système coopératif fondé sur la loi de
1947 justifie pleinement la démarche législative qui nous réunit aujourd'hui.
Toutefois, une longue tradition de tutelle de l'Etat sur le réseau chargé de
collecter les fonds déposés sur les livrets A dans le cadre d'un monopole a
perverti la réflexion des auteurs de la réforme.
Il eût été simple, en effet, que les caisses vendent elles-mêmes leurs parts
sociales, établissant un lien direct et dynamique entre les sociétaires et
l'institution, la création d'assemblées locales parachevant la convivialité
souhaitable.
Pourquoi ne pas faire confiance au bon sens des membres du réseau, employés et
clients, plutôt qu'à une construction intellectuelle complexe, véritable usine
à gaz, violant au demeurant les termes de la loi de 1947 ? On prétend dans le
même temps bâtir un statut coopératif et on crée une singulière excroissance
étrangère aux principes du droit. Les groupements locaux d'épargne, les GLE, ne
sont que des coquilles vides sans existence concrète. Ils seront chargés, après
avoir acheté le capital des caisses au moyen de prêts sans intérêts consentis
par celles-ci, de vendre ledit capital sous forme de parts de GLE, qui ne
seront en aucune façon des parts de caisse d'épargne.
Les GLE seront les seuls sociétaires des caisses régionales, les clients
sociétaires de base n'auront aucune véritable voix au chapitre dans les
assemblées générales des caisses, qui ne seront composées que de GLE. Quant aux
représentants des élus locaux et des salariés, répartis en collèges distincts
en parfaite contradiction avec le droit coopératif, ils seront appelés à siéger
uniquement au conseil des caisses régionales, sans pouvoir participer aux
assemblées générales.
Ces groupements locaux d'épargne verront leur droit de vote en assemblée
déterminé en fonction du nombre de parts sociales possédées dans la limite de
30 %, ce qui, là encore, est une hérésie par rapport au droit coopératif. La
répartition des dividendes créera une inégalité de fait entre sociétaires
puisque, bien qu'étant clients de la même caisse régionale, ils ne dépendront
pas forcément du même GLE et, en conséquence, ne percevront pas la même
rémunération selon ce que chaque GLE décidera de mettre en réserve.
Est-ce ainsi que l'on va susciter parmi les clients l'attirance pour acheter
des parts, et surtout les intéresser au développement de l'entreprise, sur
l'activité de laquelle ils n'auront aucune prise directe ni même une véritable
information ? C'est un grave manquement aux critères qui définissent la
gouvernance d'entreprise, et plus simplement à la participation démocratique
des sociétaires à la vie de leur coopérative.
Il est un autre élément qui mérite interrogation : les GLE étant des personnes
morales intermédiaires, existe-t-il un risque de double imposition fiscale
entre ceux-ci et les caisses ?
La mise sur le marché dans ces conditions des parts sociales des GLE se révèle
particulièrement aléatoire, d'autant que la clientèle voudra connaître la
garantie de rentabilité assurée à son investissement par rapport au taux de
rémunération du livret A. Or, au manque de transparence que je viens de
déplorer, s'ajoutent les contraintes que la surenchère de votre majorité à
l'Assemblée nationale vous a conduit, monsieur le ministre, à accepter.
En effet, en partant de la collecte de l'épargne populaire affectée au
logement social, qui caractérise les caisses d'épargne, voilà que l'on veut en
faire des banques du coeur, en les rendant actrices de la lutte contre
l'exclusion ! Comment peut-on croire que la rentabilité des caisses se
développera si l'on en fait institutionnellement un refuge pour les comptes
débiteurs ? Le problème, sur le plan social, doit être abordé afin que soient
garantis les droits de chacun en matière bancaire, quel que soit le niveau de
solvabilité.
Mais est-ce à une banque, même coopérative, dont les sociétaires ont acquis
des parts dans l'espoir de faire fructifier un capital souvent modeste, de
jouer ce rôle ?
M. Gérard Delfau.
C'est à qui ?
M. Robert Calmejane.
Pour faire bonne mesure, on introduit dans la définition des actions d'intérêt
général que les caisses auront mission de mener une contribution à la qualité
de l'environnement. C'est le fourre-tout idéal pour toutes les vieilles
rengaines démagogiques d'une gauche plurielle qui n'a jamais su prendre en
compte les réalités économiques.
(Exclamations sur les travées
socialistes.)
M. Claude Estier.
Cela vous va bien !
M. Robert Calmejane.
Il ne peut entrer dans le métier des caisses d'épargne de financer des projets
d'infrastructures à fonds perdus.
Etablir, de plus, un seuil plancher pour ce dividende social présente un
risque majeur pour l'équilibre financier des caisses. Comment, en effet,
prélever un tiers des sommes disponibles après la mise en réserve sans diminuer
dangereusement la capacité d'augmentation des fonds propres des caisses, les
mettant ainsi en situation d'infériorité par rapport aux autres réseaux
bancaires ? De plus, toute augmentation de ces financements se fera au
détriment de l'intérêt versé aux sociétaires.
On mesure là l'absence totale d'analyse économique sous-tendant ce projet de
loi : à ne pas oser avouer que l'on devient sociétaire pour gagner de l'argent,
on va dissuader les épargnants, rendus perplexes par les charges qui pèsent sur
le résultat de l'entreprise et qui réduisent le versement d'intérêt à une
portion congrue des produits de l'activité déployée, de se porter acquéreurs de
parts.
Dans ces conditions, fixer à 18,8 milliards de francs le montant cumulé du
capital initial des caisses d'épargne à placer en quatre ans est une gageure
hors de portée. Par ailleurs, à supposer que ce chiffre soit atteint, la charge
de la rémunération serait alors très supérieure à celles de la concurrence,
aboutissant à un taux de distribution totale du résultat, dividende social
compris, de l'ordre de 60 %.
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Deux assertions
contradictoires à deux phrases d'intervalle !
M. Robert Calmejane.
La sagesse impose de limiter à 14 milliards de francs le capital ainsi placé
sur le marché, comme le proposait d'ailleurs initialement le rapporteur du
projet de loi à l'Assemblée nationale.
Un délai de placement de six à huit ans me paraîtrait également plus
raisonnable. Pourquoi tant de précipitation et d'impréparation dans
l'élaboration d'éléments fondamentaux pour l'avenir des caisses ? Doit-on en
conclure - et ce serait une bien mauvaise logique - que le seul avantage
recherché est d'abonder le plus possible, et le plus rapidement possible, le
fonds de solidarité vieillesse ? Vous avez déjà prélevé aux caisses d'épargne,
dans la loi de finances pour 1999, 5 milliards de francs qui sont allés
alimenter le budget général de l'Etat.
La fin ne justifie pas les moyens et, en l'occurrence, on met en péril
l'avenir des caisses d'épargne au mépris des intérêts de leurs futurs
sociétaires pour tenter, en vain vraisemblablement, de régler un problème d'un
autre ordre et dont l'ampleur justifie plus que de tels expédients.
Le dernier point sur lequel je voudrais attirer votre attention est la
nécessité d'ouvrir le capital des caisses d'épargne aux investisseurs
institutionnels, tels que des caisses d'épargne européennes ou d'autres réseaux
bancaires : la loi de 1947 le prévoit explicitement dans son article 3
bis.
Il apparaît donc anormal, eu égard au cadre coopératif dans lequel le
Gouvernement prétend placer désormais les caisses d'épargne, de réserver aux
GLE la détention des parts. La seule émission de certificats coopératifs
d'investissement ne donnant pas de droit de vote ne suffira pas à susciter de
tels rapprochements. Dans l'espace bancaire européen, les caisses d'épargne ne
peuvent se trouver limitées dans leur développement et doivent avoir les moyens
de leur compétitivité.
En conclusion, je voudrais souligner l'impératif d'intérêt général que doit
respecter le statut des caisses d'épargne, héritières d'une tradition
bicentenaire, dont tout le personnel et les instances dirigeantes sont décidés
à entrer dans le xxie siècle avec détermination. Mais nous devons leur donner
les moyens de leur avenir. C'est le sens à donner à l'intense mobilisation des
personnels et à l'attention particulière des clients, face au cadre juridique
du développement des caisses d'épargne.
Je tiens à saluer le remarquable travail réalisé par la commission des
finances, par son président, M. Alain Lambert, et par son rapporteur, M.
Philippe Marini, qui ont su prendre la mesure de l'enjeu et répondre, par les
amendements qu'ils proposent, à l'attente de tous ceux qui sont désireux de
constituer un pôle coopératif dynamique autour des caisses d'épargne.
M. Jean-Louis Carrère.
Et un coup de violon !
M. Robert Calmejane.
Je voudrais terminer mon propos en reprenant le trait d'humour de notre
collègue Yves Deniaud à l'Assemblée nationale : « Laissez assez de noisettes à
l'écureuil pour qu'il vive longtemps et en bonne santé ! »
(Applaudissements
sur les travées du RPR. - M. le président de la commission des finances
applaudit également.)
M. le président.
La parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Monsieur le ministre, vous avez évoqué ce matin, au début de votre
intervention, la nécessité pour notre pays d'adapter ses circuits financiers à
la mondialisation.
A ce propos, que nous suggère l'actualité ?
En premier lieu, les bénéfices des plus importantes entreprises françaises ont
augmenté, en 1998, de plus de 30 %. Les firmes se lancent dans des grandes
opérations de fusions et d'acquisitions, sans décider les investissements
nécessaires pour développer l'emploi. L'argent-profit est utilisé de façon
conquérante pour de nouveaux profits.
En second lieu, le CAC 40 a atteint un niveau encore jamais égalé, confirmant
spéculation, fructification des profits financiers. La France est donc riche
d'argent improductif.
Je m'en tiendrai à ce premier constat : l'argent disponible n'est pas employé
pour l'emploi. Les OPA, contre-OPA, alliances, fusions se substituent aux
objectifs d'emplois. Plus les profits augmentent, moins les emplois se créent.
Pis, les licenciements se poursuivent.
Mon second constat est que l'argent de l'épargne est devenu trop stérile.
Fruit de l'épargne des familles, cet argent sommeille. La tendance à l'utiliser
pour le progrès social et l'emploi n'existe pas. En revanche, existe celle de
tranférer cet argent dans le domaine de la spéculation.
C'est le danger qui menace les caisses d'épargne de se voir ponctionner, dans
un premier temps, de 18,8 milliards de francs qui ne seront utilisés ni pour
l'investissement ni pour l'emploi.
Nous reviendrons sur votre initiative tendant à verser ce capital au fonds de
retraite créé lors de l'adoption du projet de loi de financement de la sécurité
sociale pour 1999.
M. Marini se félicite par ailleurs des évolutions proposées et que vous
caractérisez de modernisation, monsieur le ministre. Nous, nous nous en
inquiétons !
Les caisses d'épargne existent depuis 1818. Elles ont résisté aux régimes, aux
Républiques développant la philosophie de l'épargne à rémunération modeste mais
susceptible de jouer un rôle d'intérêt général, avec un réseau de 600 agences.
Mais elles ont aussi connu des évolutions préoccupantes, des adaptations aux
méthodes des banques commerciales spéculant sur les marchés, sélectionnant la
clientèle en écartant la plus défavorisée, fermant des agences et imposant une
logique financière.
La réforme proposée, avec l'aggravation des mesures prévues par la majorité de
la commission des finances, présente des dangers tels qu'ils nous conduiront,
c'est évident maintenant, à émettre à un vote négatif, résolument négatif,
dirai-je même.
Nous nous posons des questions simples, monsieur le ministre.
Votre projet, qui supprime le caractère à but non lucratif des caisses
d'épargne, leur laisse-t-il les moyens de leur développement, d'un
investissement social ?
Le projet s'accompagne-t-il d'une politique de progrès social en faveur de
l'emploi ?
Les réponses à ces questions suscitent de la part des salariés, vous le savez,
beaucoup d'interrogations, d'inquiétudes, de critiques parfois sévères.
L'audition par notre commission des finances de l'intersyndicale des caisses
d'épargne en a porté témoignage.
Les élus s'inquiètent également de la fermeture de certaines agences,
notamment en milieu rural et dans les quartiers sensibles, de la suppression
d'emplois et aussi de la remise en cause de la spécificité, des qualités
propres des réseaux des caisses d'épargne.
Le débat mené il y a maintenant près de deux mois à l'Assemblée nationale a
permis, de ce point de vue, de lever un certain nombre d'équivoques : ont
notamment été inscrites dans la loi les missions d'intérêt général des
établissements du réseau, de même que la spécificité de ses ressources.
On peut aussi noter qu'il a été décidé de donner un relief particulier à
l'action des caisses d'épargne au travers de la mise en oeuvre du principe du «
dividende social », qui constituera, dans les faits, une sorte de retour vers
la collectivité, au bénéfice de celle-ci, du produit de l'activité du
réseau.
Pour autant, monsieur le ministre, il nous semble important que les choses
soient encore modifiées et améliorées. C'est le sens d'une part significative
des amendements que nous avons déposés, même si nous serons sans doute éloignés
de la position défendue par notre rapporteur et qui consiste à ouvrir un peu
plus les portes à une banalisation du réseau des caisses d'épargne, ce qui
demeure sa position idéologique de fond.
Il existe en effet dans notre pays, non seulement autour des caisses d'épargne
mais aussi au travers d'un certain nombre de placements de caractère
défiscalisé - épargne logement, LEP, livret-jeune notamment - un important
stock financier qui échappe, d'une certaine façon, à la simple application des
règles du marché.
Observons d'ailleurs, à ce titre, que cette originalité a, en particulier, un
volet fiscal, mais qu'elle est aussi liée pleinement à la question des emplois
adossés sur les ressources collectées.
Cela vaut, évidemment, de manière essentielle pour le livret A, dont l'usage
exclusif au bénéfice du logement social est la manifestation évidente.
De fait, nous ne partageons pas une analyse un peu à courte vue qui consiste
à prôner une réduction du niveau de rémunération de ces livrets et placements
divers et qui est - c'est du moins ce que nous ressentons - animée par
plusieurs motivations.
Sur le fond, les sommes collectées au travers de ces divers placements
attisent évidemment toutes les convoitises, notamment celles des établissements
de crédit « banalisés », toujours à la recherche de ressources au moindre coût
dans la perspective de montages financiers toujours plus discutables et qui ne
font pas, c'est le moins que l'on puisse dire, la part belle à l'emploi.
Par ailleurs, on est amené à penser que ce qui peut intéresser aussi les
tenants de cette position, c'est de conquérir des parts de marché à moindre
risque sur une clientèle - celle des caisses d'épargne - dont la solvabilité
est assez nettement avérée.
On ne peut ici oublier que les utilisateurs des fonds du livret A sont des
organismes bailleurs sociaux et que les principaux clients des caisses
d'épargne sont des collectivités locales que des obligations juridiques tout à
fait impérieuses mettent en demeure de répondre aux engagements financiers
qu'elles souscrivent.
La décollecte sur les livrets défiscalisés est donc non pas uniquement un
outil d'abaissement général du coût du crédit - encore qu'il convienne de
souligner que les caisses d'épargne, de par la nature de leur clientèle,
prêtent sur le long terme et non sur le court terme - mais bien plutôt une arme
de conquête de nouvelles parts de marché, de nouvelles marges de manoeuvres
financières et de profits injustes, car réalisés au détriment des besoins de
logement du plus grand nombre.
Cela nous amène à considérer désormais la question assez fondamentale,
soulevée dans le débat de l'Assemblée nationale, de la constitution, autour de
la Caisse des dépôts et consignations, d'un véritable pôle financier public.
Nous aurons l'occasion, au cours de l'examen des amendements, de préciser les
objectifs que doit se fixer ce pôle, en réponse aux mastodontes financiers
regroupant les établissements à vocation internationale.
Nous estimons que ce pôle doit servir à rendre prioritairement à
l'intervention publique en matière financière toute sa portée et toute son
efficacité.
Epargne et crédit sont à mettre au service de l'emploi et de la formation.
Cela implique, en particulier, que l'ensemble des organismes publics ou
investis d'une mission d'intérêt public ou d'intérêt général soient mis en
situation de travailler ensemble, sur la base de finalités précises et
d'objectifs généraux qu'ils seront à même de définir au travers de leurs
synergies et de leurs stratégies propres ou respectives.
Faut-il inscrire ces principes dans ce projet de loi, monsieur le ministre
?
En clair, ce texte est-il le plus indiqué pour débattre de la constitution de
ce pôle financier public, au moment où l'on traite du problème du statut des
caisses d'épargne et de la sécurité financière ?
Nous pensons, pour notre part, que, à défaut d'être conclu ici, pour des
raisons assez évidentes de rapport de forces politiques et de considérations
idéologiques, ce débat doit être ouvert et que chacun doit être amené à se
positionner en fonction de son approche de la question.
Nous formulerons donc dans le débat sur les articles un certain nombre de
propositions précises qui appellent naturellement la contradiction et la
réflexion de chacun sur le sujet.
Evidemment, nous serons amenés à nous opposer à un grand nombre d'amendements
de la majorité de la commission des finances.
Après Paul Loridant, qui s'est exprimé sur la seconde partie concernant le
renforcement de la sécurité financière, voilà, monsieur le président, monsieur
le ministre, mes chers collègues, ce que je voulais dire au nom du groupe
communiste républicain et citoyen.
(Applaudissements sur les travées du
groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Sergent.
M. Michel Sergent.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon collègue
et ami Jean-Louis Carrère s'étant exprimé au nom de mon groupe sur le volet
concernant les caisses d'épargne en des termes que je fais miens, je souhaite
intervenir, pour ma part, sur les deux autres volets que comprend ce projet de
loi, et tout d'abord sur celui qui porte sur le renforcement de la sécurité
financière.
Les mesures proposées constituent, à elles seules, une véritable loi-cadre
pour la consolidation du secteur financier.
Depuis près de vingt ans, le monde financier est dans une phase à la fois de
mutation et de déréglementation. En renforçant la sécurité financière, par une
prévention, un contrôle et une meilleure gestion des faillites financières, le
Gouvernement améliore la protection tant des opérateurs que des épargnants, ce
qui est une excellente chose.
Cette volonté était attendue. Je rappelle que les structures de notre système
financier n'ont pas sensiblement évolué au cours des années quatre-vingt-dix.
La nécessité d'une telle réforme se trouve d'ailleurs renforcée, aujourd'hui,
par les mutations qu'impose l'avènement de l'euro sur les marchés financiers,
ainsi que par les restructurations financières qui se multiplient à l'heure
actuelle.
C'est pourquoi l'ensemble de cette réforme ne pourra que renforcer la
crédibilité de la place de Paris. Le texte a d'ailleurs déjà reçu une large
approbation de la part des professionnels concernés, ce qui n'est pas
étonnant.
Une refonte des mécanismees de sécurité de place est ainsi engagée avec la
création d'un fonds unique de garantie des dépôts bancaires et, pour la
première fois dans la zone euro, avec la mise en place d'un dispositif
permettant de garantir les droits des assurés en cas de défaillance d'une
entreprise.
Chacun se souvient ici du cas d'Europavie. Il fallait tout mettre en oeuvre
pour qu'une telle faillite ne se reproduise plus. Le Gouvernement l'a fait.
Nous l'en félicitons et nous nous en réjouissons.
Je ne reviendrai pas sur le détail des mécanismes mis en place. Je souhaite
seulement appeler votre attention, monsieur le ministre, sur un certain nombre
de points qui nous paraissent importants, et en premier lieu la nécessaire
indépendance des structures mises en place.
Un collège des autorités de contrôle des entreprises du secteur financier est
créé. Ce collège doit faciliter l'échange d'informations entre les autorités de
contrôle et la coordination de leur action, et c'est une bonne chose.
Mais j'attire votre attention sur un objectif qu'il m'aurait semblé nécessaire
de fixer également, celui consistant à donner à ce collège, comme d'ailleurs à
l'ensemble des autorités de contrôle, - mais c'est là l'objet d'une réforme à
part entière - les moyens d'une véritable indépendance.
Il me semble que ces moyens n'existent pas totalement dans ce texte. Il ne me
paraît pas sain, en particulier, que siège à une place qui ne pourra qu'être
décisive, étant donné le poids qu'il représente, le gouverneur de la Banque de
France. Doit-on, au sein de telles instances, opérer un mélange des genres ?
Les personnes qui font la réglementation ne doivent pas être celles qui
effectuent le contrôle de cette réglementation. Il me semble utile que ces
remarques viennent enrichir la réflexion du Gouvernement dans ce domaine.
En matière de fonds de garantie, l'Assemblée nationale a contribué à améliorer
le texte, notamment sur le versement des cotisations, en permettant de les
relier aux risques objectifs que chaque adhérent fait courir au fonds ; ce
point peut être qualifié d'essentiel.
Nous déposerons nous-mêmes des amendements sur ce fonds de garantie pour les
assurés, sur les cotisations des adhérents pour des raisons de sécurité, comme
sur la distinction qu'il nous semble utile d'opérer entre contrats d'assurance,
selon leur nature, pour des raisons de justice.
Dans notre esprit, il convient de tout mettre en oeuvre pour qu'à l'avenir les
droits des assurés puissent être préservés.
Il y a beaucoup d'entreprises d'assurance-vie en France, aujourd'hui. Il faut
faire attention que certaines d'entre elles, afin de rester concurrentielles,
ne proposent pas des garanties excessives risquant de mettre à mal leur
solvabilité future, et donc la sécurité de leurs clients.
Pour cela, le fonds de garantie ne doit pas inciter certains assureurs à
s'affranchir de toute règle de prudence, sous prétexte de concurrence
internationale et de l'existence d'un fonds pour, le cas échéant, protéger les
assurés.
De même, il faut faire en sorte que ce fonds ne permette pas des interférences
du monde de l'assurance vis-à-vis de la commission de contrôle, qui doit rester
parfaitement indépendante et en capacité de mettre en oeuvre toutes ses
missions de surveillance et d'interpellation des entreprises qu'elle
contrôle.
Je souhaite maintenant revenir sur le dispositif prévu en matière de
surveillance des établissements de crédit.
Un article essentiel, supprimé par l'Assemblée nationale, mais dont vous avez,
monsieur le ministre, annoncé qu'il réapparaîtrait sous une autre forme au
Sénat, mérite d'être examiné de près ; je veux parler de l'article 37, qui
modifie la loi du 10 septembre 1947 portant statut de la coopération.
Je veux croire que cette disposition qui, en particulier, aménageait les
modalités de fixation de l'intérêt servi aux parts sociales des coopératives
avait été mal comprise.
Néanmoins, je souhaite que le Gouvernement s'attache encore à lever toute
interrogation : le dispositif proposé ne doit pas, dans ses modalités comme
dans ses objectifs, imposer, de près ou de loin, au secteur mutualiste une
autre logique que la sienne.
Les nouvelles règles proposées en effet, ont pu apparaître aux intéressés
comme étant contraires au fonctionnement coopératif lui-même.
Les banques coopératives ne sont pas des sociétés de capitaux qui rémunèrent
au maximum leurs associés. Je rappelle que leur objet est de rechercher non pas
obligatoirement un profit financier, mais également des avantages sociaux ou
économiques, comme cela a déjà été dit.
Il serait donc malvenu de revenir sur le principe même de cette
sous-rémunération des parts sociales, même si cette pratique est considérée
comme un avantage concurrentiel anormal par les banques commerciales.
Nous avons toujours eu un attachement profond pour le secteur coopératif :
d'une part, bien sûr, en raison de son histoire comme de sa finalité ici
rappelée, mais, d'autre part, pour des raisons que je qualifierai
d'économiques.
N'oublions pas, en effet, que ce secteur est « non-OPEable ». Cette donnée est
loin d'être négligeable quand on la rapporte à la situation que connaît le
monde financier à l'heure actuelle. C'est pourquoi, pour la stabilité et
l'indépendance du système bancaire français, dans le contexte actuel des
fusions multiples, il importe de conforter et non pas de fragiliser ce
secteur.
Je ne peux oublier non plus que ces établissements se voient bien souvent
confier des missions d'intérêt général par la puissance publique.
Ce secteur ne peut et ne doit donc pas être traité à parité avec le réseau
concurrentiel des banques de l'Association française des banques, l'AFB.
J'en viens maintenant au troisième volet de ce projet de loi, celui qui porte
sur la création du marché des obligations foncières et sur la réforme des
sociétés de crédit foncier.
Cette réforme va dans le bon sens. Elle permettra un vrai développement des
mécanismes de refinancement des prêts à l'immobilier ainsi qu'aux collectivités
locales.
Elle doit permettre également de donner au Crédit foncier de France des atouts
supplémentaires pour réussir la procédure d'adossement, actuellement en
cours.
Je me félicite ici de l'orientation prise par le Gouvernement. Le temps n'est
pas si loin où un autre gouvernement avait choisi une autre voie : vendre le
Crédit foncier à une valeur quasiment symbolique, pour ne pas dire une valeur
de casse. Ces temps sont révolus, et tout le monde ne peut que s'en réjouir.
Il convient toutefois de parachever l'exercice afin de donner au Crédit
foncier les véritables moyens de redémarrer dans de bonnes conditions.
On pourra me rétorquer que l'on ne légifère pas pour un seul établissement.
C'est juste mais, en l'occurrence, il ne faut pas oublier que, lorsque le
législateur, abrogeant ses statuts, fixe de nouvelles règles du jeu, il est
normal qu'il aille jusqu'au bout et qu'il se préoccupe également du devenir de
l'établissement.
S'agissant du Crédit foncier - mes remarques s'appliquent également au Crédit
foncier d'Alsace-Lorraine - il est évident que sa tâche, qui consistera à
basculer l'essentiel de son actif dans une filiale
ad hoc
, comme il lui
est demandé, sera une tâche infiniment plus délicate que celle de toutes les
autres banques qui souhaiteront intégrer ce nouveau marché.
C'est pour cette raison et parce que se profile la procédure d'adossement, sur
laquelle je reviendrai plus tard, qu'il est impérieux de prévoir un dispositif
qui, dans son ensemble, ne vienne pas fragiliser de manière induite, et loin
s'en faut, cet établissement.
De ce point de vue, j'avoue m'interroger sur les modalités techniques qui ont
été choisies pour l'article 62.
Cet article précise que les prêts éligibles doivent être garantis soit par une
hypothèque, soit par un cautionnement. Cette dernière garantie n'est pas
usuelle pour le Crédit foncier de France, dont les prêts sont garantis par une
hypothèque. Je note que les prêts cautionnés dans le cadre du dispositif
d'obligation foncière n'existent pas non plus en Allemagne.
On comprend bien l'idée poursuivie par le Gouvernement en permettant aux prêts
cautionnés d'être éligibles à ce marché : il s'agit de lui donner les moyens de
son plein essor. Il est important que, sur le marché des obligations foncières,
notre pays puisse enfin rivaliser avec l'Allemagne.
Néanmoins, dès lors que des règles de quotité sont prévues dans le cadre de
l'hypothèque, il n'y a, à notre sens, aucune raison pour qu'il n'en soit pas de
même pour la caution.
Il nous semble fondamental, lorsqu'un marché est ouvert à la concurrence, que
celle-ci puisse jouer sans distorsion d'aucune sorte. Or, en l'espèce, cela ne
nous paraît pas être le cas. Un prêt offert sans quotité est plus attrayant
pour l'emprunteur qu'un prêt avec quotité. Même si les deux prêts en cause ne
sont pas de nature identique, il n'y a aucune raison pour qu'ils ne soient pas
traités sur un pied d'égalité, sauf à vouloir avantager certains plutôt que
d'autres, ce qui, j'en suis sûr, n'est pas dans les intentions du Gouvernement.
Je souhaite donc que l'on puisse également améliorer le texte sur ce point.
Nous nous interrogeons aussi sur l'article 65, qui instaure un privilège pour
le porteur d'obligation foncière. Nous en comprenons bien la nécessité, mais
chacun comprendra que nous ne puissions envisager ce principe sans être sûrs
qu'il n'y ait aucune ambiguïté. En effet, ce privilège prenant rang devant
celui du Trésor, et surtout devant les droits des salariés, il est important de
s'assurer que les modalités techniques prévues n'impliquent aucune perte de
droits fondamentaux pour les salariés.
Les amendements que nous avons déposés sont de nature à lever toute ambiguïté.
J'espère qu'ils seront adoptés.
Au demeurant, et sur le fond, les nouvelles filiales créées par le texte ne
sont que de simples véhicules financiers. En l'espèce, s'agissant du Crédit
foncier, les 2 300 salariés resteront dans la maison mère, avec des droits de
super-privilège parfaitement intacts.
Il conviendra à l'avenir qu'aucun personnel ne soit jamais affecté à aucune de
ces filiales
ad hoc,
et ce pour toutes les sociétés de crédit foncier
qui seront créés.
De même, pourrait-on trouver un dispositif pour permettre, en cas de procédure
collective, une continuité, jusqu'à son terme, du contrat de gestion passé
entre la société de crédit foncier et l'établissement de crédit foncier et
l'établissement de crédit.
De manière générale, se pose la question des rapports futurs entre la société
mère et sa filiale.
Pour le Crédit foncier de France, cette question est d'importance. En effet,
seront transférés à la filiale les obligations et les actifs correspondants,
c'est-à-dire l'essentiel de ses activités, alors que le personnel restera dans
la structure mère, avec un actif appauvri. On voit bien alors quel type de
risques peut nourrir l'inquiétude du personnel.
Dans la procédure actuelle d'adossement, il est fondamental que le futur
cahier des charges impose au repreneur de reprendre à la fois la société fille
et la société mère.
Si cette règle n'était pas établie, on voit bien quelle pourrait être
l'attitude dévastatrice pour le devenir de cet établissement et de son
personnel, du repreneur.
De même, il est essentiel que le cahier des charges prévoit que le Crédit
foncier continuera à être un établissement bancaire, à statut d'institution
financière spécialisée.
Par ailleurs, il est important d'obtenir confirmation que le basculement prévu
par la réforme s'effectuera bien en toute neutralité fiscale.
Ces dernières questions ne relèvent pas de la loi, j'en conviens, mais
j'aimerais, monsieur le ministre, que vous nous apportiez des précisions,
lesquelles, on le comprend bien, sont aussi importantes, pour l'avenir du
Crédit foncier, que les mesures législatives que nous allons voter.
Monsieur le ministre, vous l'avez bien compris, les interrogations évoquées
par Jean-Louis Carrère et par moi-même ayant reçu réponse, nous voterons ce
texte important, pour autant, bien sûr, qu'il ne soit pas profondément modifié,
voire dénaturé par la majorité sénatoriale !
(Applaudissements sur les
travées socialistes. - M. Paul Loridant applaudit également.)
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Voyons ! Nous améliorons, nous ne dénaturons pas !
M. le président.
La parole est à M. Deneux.
M. Marcel Deneux.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de
loi qui nous est présenté aujourd'hui répond à deux exigences particulièrement
urgentes : réformer les caisses d'épargne afin d'assurer la pérennité de leur
mission et les adapter à un marché ouvert, de plus en plus concurrentiel ; la
seconde priorité est le renforcement de la sécurité financière du secteur
bancaire et financier.
S'agissant de la réforme des caisses d'épargne, permettez-moi de me réjouir
que ce soit la forme coopérative qui ait été retenue, ce qui constitue la
reconnaissance de la modernité et du caractère démocratique de ce statut.
Lorsque cette réforme sera terminée, monsieur le ministre, ce sont plus de 65
% du PNB bancaire qui seront générés par le secteur coopératif en France,
...
M. Jean-Louis Carrère.
Pas générés, gérés !
M. Marcel Deneux.
... la France rejoignant en cela les autres grands pays européens.
Mais je regrette, et j'en suis préoccupé, les atteintes à la loi coopérative
que comporte le projet de loi, même si je comprends les difficultés qu'il y a à
faire évoluer une institution aussi complexe que les caisses d'épargne.
Je souhaite donc revenir sur deux aspects particulièrement importants du
projet de loi car ils conditionnent la capacité d'investissement et le degré de
démocratie du futur réseau. Il s'agit des charges financières imposées au
groupe Caisses d'épargne et de l'organisation des structures de base.
Je n'insisterai pas sur les incohérences du projet de loi tel qu'il a été
amendé par une composante de la majorité à l'Assemblée nationale. Le texte
prévoit effectivement une série de mesures financières contraignantes que je
considère incompatibles avec les objectifs de développement du groupe affichés
par le Gouvernement. Le président de la commission des finances, M. Alain
Lambert, le rapporteur, M. Philippe Marini, et mon collègue de l'Union
centriste M. Denis Badré ont très clairement dénoncé ces ambiguïtés tout à
l'heure.
Comment, en effet, imaginer que les caisses d'épargne devenues banques
coopératives, ce qui est une bonne chose en soi, puissent participer à « la
lutte contre l'exclusion bancaire et financière de tous les acteurs de la vie
locale, sociale et environnementale » ? Ce sera effectivement difficile avec ce
texte et les conditions que vous leur préparez.
On ne peut pas à la fois souhaiter que le réseau de l'Ecureuil entre dans le
système concurrentiel tout en lui imposant ainsi des fonctions nouvelles et des
charges qui dépassent totalement le cadre du statut coopératif. En somme, le
grand tort du projet gouvernemental est, comme l'on dit vulgairement, de « trop
charger la barque », que ce soit pour le délai accordé aux caisses pour placer
leurs parts sociales dans le public - quatre ans seulement - ou pour la cadence
et le montant des reversements au fonds de mutualisation.
A contrario,
la plupart des amendements de la commission des finances
sont inspirés par un souci d'efficacité de bon aloi. La priorité est donnée au
renforcement des fonds propres, conformément aux souhaits des dirigeants des
caisses ainsi, semble-t-il, que par la majorité du personnel. Je pense aussi à
l'amendement de la commission rendant possible l'émission de bons de
souscription de certificats coopératifs d'investissement, ce qui pourrait
effectivement faciliter la souscription au capital.
Quant au problème des structures de base, il constitue également un des
aspects les plus fondamentaux de la réforme : le statut des banques
coopératives de réseau, que je connais bien, comporte de telles structures,
éléments indispensables à l'expression des sociétaires. On peut néanmoins
s'interroger sur l'opportunité des fameux groupements locaux d'épargne, qui
seraient chargés de placer les parts sociales des caisses. Un tel système
risque en effet de créer à terme des problèmes.
Je partage l'avis de la commission : les caisses d'épargne devraient pouvoir
vendre directement leurs parts sociales, sans passer par des groupements «
parasites ». A défaut, on pourrait en effet assister à des oppositions entre
entités au sein du même groupe, ce qui n'est pas dans l'intention de la
réforme. Pourtant, le risque existe.
Par ailleurs, restons-en au droit coopératif : la loi de 1947 qui reste la
charte, bien que modifiée, prévoit la possibilité pour les sociétés
coopératives de créer des sections locales d'épargne chargées de la
représentation des sociétaires. Cette solution a le mérite d'être facile à
mettre en oeuvre : elle avait d'ailleurs, à l'origine, la préférence des
initiateurs du projet de loi. C'est un système qui a fait largement ses preuves
en France et dans tous les pays d'Europe du Nord. Monsieur le ministre,
pourquoi faire compliqué là où l'on pouvait faire simple ?
Telles sont mes quelques remarques concernant la réforme des caisses d'épargne
sur laquelle je suivrai, avec mon groupe, l'avis de la commission des finances
du Sénat.
Monsieur le ministre, la structure que vous proposez n'est bonne ni pour la
démocratie ni pour les possibilités d'expression des sociétaires.
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Très bien !
M. Marcel Deneux.
S'agissant de la deuxième partie du projet de loi, la sécurité financière,
permettez-moi, tout d'abord, d'émettre des réserves sur la méthode employée à
l'occasion de l'examen d'un texte, par ailleurs très attendu dans les milieux
professionnels.
Voilà un projet de loi qui comporte une petite centaine d'articles et dont un
tiers environ concerne la sécurité financière et les systèmes de garantie, pas
moins ! Dans ce texte, sont concernés des secteurs aussi divers que les banques
membres de l'AFB, les établissements bancaires coopératifs et mutualistes, les
compagnies d'assurances, les mutuelles et sociétés d'investissement. Or il faut
regretter que certaines dispositions, par exemple l'article 37 du projet de loi
initial relatif à la mise en réserve des banques coopératives, et l'article 47
sur les fonds de garantie des dépôts, n'aient pas fait l'objet d'une réelle
concertation avec les responsables concernés.
L'article 37, supprimé par l'Assemblée nationale, ouvrait la possibilité de
déplafonner l'intérêt versé aux parts sociales. A l'heure actuelle, seules les
banques membres de l'AFB fixent librement la rémunération servie aux
actionnaires, alors que celle qui est versée aux détenteurs de parts sociales
est plafonnée. Le projet de déplafonnement a provoqué une véritable levée de
boucliers de la part des « coopérateurs » et je les comprends. Nous avons
l'impression que cette proposition n'est qu'une mesure tendant à régler un
problème ponctuel, celui de permettre aux caisses d'épargne de placer auprès
des coopérateurs éventuels le capital social avec une bonne rémunération.
Cette disposition révèle en effet une certaine méconnaissance de l'esprit et
de l'organisation des sociétés coopératives, secteur que je connais bien
personnellement et auxquels les Français restent très attachés. N'oublions pas
que ce secteur a su allier, notamment dans le secteur bancaire, rigueur et
efficacité.
Or, l'un des principes fondamentaux du système coopératif est la mise en
commun de moyens qui constituent un bien communautaire impartageable : cela
implique, à la différence des sociétés par actions, d'une part la mise en
réserve d'une grande partie des résultats en faveur du développement de
l'entreprise et, d'autre part, le versement d'une rémunération limitée aux
sociétaires.
En outre, le déplafonnement des intérêts est contradictoire avec l'objet
général du projet de loi, qui est la sécurité financière des établissements de
crédit. Il offre en effet la faculté de distribuer une part plus grande du
résultat net, contrariant d'autant la constitution des fonds propres
nécessaires pour la sécurité.
A titre personnel, je préférerais que l'on en reste pour le moment au statut
de 1947, modernisé en 1992.
Je note néanmoins que la nouvelle version de l'article 37 proposée par la
commission des finances est plus protectrice des légitimes intérêts des banques
coopératives, mais qu'elle peut encore être améliorée.
Il est toujours possible en effet, à partir du moment où le principe du
plafonnement est respecté - comme vous l'avez admis, me semble-t-il, monsieur
le ministre - de discuter du mode de fixation du plafond déjà modifié à
plusieurs reprises, à condition que soit prise en compte l'idée selon laquelle
le capital souscrit par les coopérateurs doit être rémunéré dans des conditions
analogues à celles des placements à moyen et à long terme auxquels il
s'assimile, et ce dans des limites qui laissent toute sa signification au
plafonnement et à la mise en réserve des résultats pour renforcer la solidité
et la capacité de développement de la coopérative. Quant à l'article 47, il
suscite d'autres inquiétudes : la création d'un fonds de garantie unique
devrait avoir pour conséquence de faire payer deux fois les banques
fonctionnant en réseau, au niveau des organes centraux et des banques locales,
conformément aux dispositions de la loi bancaire en vigueur aujourd'hui.
Certes, on ne peut que souscrire à l'objectif intrinsèque de cette loi, qui
vise à renforcer la sécurité des déposants et, donc, la crédibilité de la place
financière de Paris.
Cependant, il apparaît que seul le système applicable aux banques commerciales
pose actuellement un problème : les exemples récents ne manquent pas où l'Etat
a dû intervenir afin d'assurer une indemnisation à hauteur du plafond légal,
soit 400 000 francs.
A ma connaissance, il n'en est pas de même pour les groupes mutualistes et les
banques à réseau, qui, depuis quinze ans, chaque fois que c'était nécessaire,
ont assumé toutes leurs responsabilités.
L'existence d'un système de garantie unique peut se justifier par la
multiplication des fusions et des partenariats entre banques coopératives et
banques commmeciales. Mais il n'est pas normal de réserver un traitement
uniforme à toutes les banques alors que leurs situations respectives sont
différentes. C'est particulièrement le cas en matière de calcul des cotisations
et du crédit d'impôt y afférent.
Nonobstant le risque de double paiement pour les banques fonctionnant en
réseau - problème sur lequel j'aimerais entendre M. le ministre - il
conviendrait que le montant des cotisations au fonds de garantie reflète le
risque rééel propre à chaque établissement.
Nos collègues députés ont souhaité que la formule de répartition des
cotisations annuelles « reflète les risques objectifs que l'adhérent fait
courir au fonds ». Voilà un principe que j'approuve entièrement. Quant aux
modalités précises de calcul des cotisations, elles seraient définies par
décret. Dès maintenant, à la faveur de ces débats, je souhaiterais connaître
les intentions du Gouvernement à ce sujet.
Parmi les critères retenus, j'estime que devraient figurer, outre le montant
des dépôts garantis, l'importance des fonds propres et des engagements, de même
que l'existence ou non d'un dispositif de solidarité interne garantissant la
liquidité et la solvabilité au sein des réseaux à organe central.
Concernant le crédit d'impôt égal à 25 % des versements au fonds de garantie,
l'établissement cotisant ne sera en mesure d'utiliser la totalité de son crédit
d'impôt que si le montant de ce dernier est inférieur à celui de la
contribution des institutions financières qu'il acquitte.
Ce dispositif est à l'origine d'une autre inégalité aux dépens des
établissements à organe central. En effet, les organes centraux sont amenés à
acquitter la majeure partie de la cotisation de leur groupe, les crédits
garantis étant centralisés en tout ou partie.
Dans le cas du Crédit agricole, la centralisation est de l'ordre de 80 %. A
l'inverse, la contribution des institutions financières est payée
essentiellement dans les réseaux à organe central par les établissements
affiliés, à hauteur de 94 % au Crédit agricole.
Dans la pratique, le crédit d'impôt affecté à l'organe central risque donc
d'être sensiblement supérieur à la contribution des institutions financières
dont il est redevable.
Les banques à réseau craignent donc de subir une perte fiscale non négligeable
par rapport au droit commun. Cette perte est estimée par les professionnels à
l'équivalent d'un surplus de cotisation de l'ordre de 20 %.
Par ailleurs, l'importante contribution des établissements bancaires qui
auront participé à la montée en puissance du dispositif de garantie durant les
premières années doit être prise en compte dans les conditions d'adhésion
d'éventuels nouveaux membres.
Dans le texte voté à l'Assemblée nationale, il n'est pas indiqué que le cas
spécifique des nouveaux membres sera traité par le règlement d'application du
comité de la réglementation bancaire et financière. Cela est susceptible de
créer une injustice entre les différents adhérents et une distorsion de
concurrence au profit des nouveaux entrants dans le secteur. Un de mes
amendements au projet de loi vise à combler cette lacune.
D'un point de vue plus général, est-il vraiment opportun de superposer les
charges liées à l'approvisionnement du fonds unique à celles qui correspondent
à la contribution des institutions financières. Cette dernière taxe,
rappelons-le, n'existe nulle part ailleurs en Europe, ce qui constitue un
nouveau handicap pour nos établissements financiers face à la concurrence
internationale.
Alors que les banques françaises sont actuellement engagées dans un profond
processus de restructuration, conséquence de l'ouverture du marché au niveau
européen et de l'introduction de l'euro, il me paraîtrait de bonne politique de
réfléchir à une suppression progressive de la contribution des institutions
financières.
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Parfait !
M. Marcel Deneux.
Enfin, l'Assemblée nationale a adopté un article 53
bis
nouveau, qui
prévoit d'élargir les compétences de l'Association française des établissements
de crédit et des entreprises d'investissement au dialogue social.
Véritable cavalier, cette disposition n'a fait l'objet d'aucune concertation
avec l'association concernée : la commission des finances propose de la
supprimer et rejoint ainsi l'avis des membres de l'AFACEI qui se sont prononcés
récemment en assemblée générale en faveur du retrait de l'amendement.
Nonobstant ces observations, un peu sévères parfois, la deuxième partie du
projet comporte également des mesures fort opportunes, je tiens à le souligner
; je pense à la coordination des autorités de contrôle existantes qui
facilitera l'échange d'informations et la surveillance des établissements
financiers.
Le renforcement des prérogatives de la commission bancaire se révèle également
nécessaire ; l'histoire récente l'a, hélas ! démontré.
S'agissant du titre consacré aux sociétés de crédit foncier, le projet de loi
va aussi dans le bon sens en créant à Paris un vrai marché des obligations
foncières. Ainsi les établissements français pourront-ils enfin se positionner
dans ce secteur par rapport à leurs concurrents européens, en particulier leurs
concurrents allemands. Il était temps de le faire.
En conclusion, le groupe de l'Union centriste votera l'ensemble du projet de
loi tel qu'il sera modifié par le Sénat.
Avec ce vote, la Haute Assemblée aura apporté sa pierre à une réforme majeure
dans l'histoire de nos institutions financières.
Le mérite en revient en premier lieu, et je tiens à le féliciter encore, au
président de la commission des finances et à notre rapporteur, ainsi qu'à
l'ensemble de la commission des finances. Je veux les féliciter pour leur
travail intelligent et approfondi.
(Applaudissements sur les travées de
l'Union centriste, des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. Jean-Louis Carrère.
Les violons !
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Je demande la
parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre, qui doit avoir des éléments de réponse à
apporter aux intervenants.
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Les réponses que
je vais apporter aux orateurs n'épuiseront heureusement pas le débat, sinon
cela viderait de tout intérêt les longues heures que nous allons passer encore
ensemble sur les différents articles. Néanmoins, je vais essayer d'être complet
pour vous en faire bénéficier, monsieur le président, au cas où vous ne
pourriez assister à la suite des débats.
M. le président.
Je me ferai un plaisir d'être là, monsieur le ministre !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Je vous remercie,
monsieur le président.
Je ferai d'abord une remarque d'ensemble. J'ai apprécié les observations des
différents orateurs. Certaines ont été plus laudatives que d'autres ; certaines
ont été plus critiques que d'autres. C'est bien normal.
Je constate, comme il est bien normal aussi, que certains des points que
plusieurs d'entre vous ont évoqués ne me sont pas totalement inconnus. J'ai en
effet reçu de la part des différents corps constitués qui s'intéressent à ce
sujet les mêmes documents que ceux dont vous disposez. Comme c'est normal dans
une démocratie comme la nôtre, les
lobbies
de toutes sortes - puisque
c'est ainsi qu'il faut les appeler - ont joué leur rôle, permettant aux uns et
aux autres de bénéficier des mêmes documents. Je ne suis donc pas surpris d'en
retrouver trace dans les différentes interventions.
Monsieur le rapporteur général, vous avez appelé à plus d'audace ; je vous
reconnais bien là.
(Sourires.)
Je crois cependant que, s'agissant de ce projet de loi, l'audace, c'est de
vous le présenter
(Nouveaux sourires)
et de vouloir aller jusqu'au bout
d'une réforme dont beaucoup d'entre vous ont souligné qu'elle était attendue
depuis longtemps.
Si j'ai souligné dans mon intervention liminaire la qualité, le nombre et
l'ancienneté des travaux que le Sénat avait pu faire sur ce sujet, c'était
certes pour rendre hommage au Sénat dans son ensemble et aux rédacteurs de ces
travaux en particulier, mais aussi pour faire remarquer, en creux, que,
disposant de tous ces rapports depuis longtemps, le précédent gouvernement
aurait certainement eu le temps de mener à bien la réforme, s'il en avait eu
l'audace !
(Sourires.)
Les thèmes abordés ne sont pas nouveaux. Vous y avez beaucoup contribué,
depuis très longtemps. A défaut d'être très étonné, du moins suis-je légèrement
surpris que vous n'ayez pas mis à profit les longues périodes pendant
lesquelles la majorité du Sénat coïncidait avec celle de l'Assemblée
nationale...
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Si courtes !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
... si courtes,
dites-vous, monsieur le rapporteur - c'est un point de vue - en tout cas
suffisamment longues, pour mener à bien la réforme que vous avez si bien
nourrie de tous les arguments que je n'arrive pas à comprendre pourquoi ce
n'est qu'en 1983, en 1991 et en 1999, c'est-à-dire quand une majorité de gauche
est au pouvoir, pour que l'on s'intéresse vraiment aux caisses d'épargne, à
croire que les caisses d'épargne n'intéressent finalement pas les partis
conservateurs de ce pays.
(M. Carrère applaudit.)
M. Michel Sergent.
Tout à fait !
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Parce qu'il y a alternance à
toutes les élections !
(M. le rapporteur approuve.)
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Voilà ! Il y a
des alternances à toutes les élections, et cela permet au statut des caisses
d'épargne d'avancer.
En tout cas, reconnaissez avec moi que, s'il est facile de dire que, lorsqu'on
bouge, on ne bouge pas assez - c'est un reproche qui a été fait par plusieurs
orateurs - il m'est plus facile encore de faire remarquer - et vous me
pardonnerez cette facétie avant d'aborder les questions plus techniques - que
critiquer le mouvement quand il existe ne vous excuse pas d'avoir échappé à ce
mouvement quand vous pouviez le mettre en oeuvre.
L'intervention de M. le rapporteur, comme celle, d'ailleurs, de M. le
président de la commission, ont été à ce point riches qu'elles ont couvert
pratiquement tous les sujets que les autres orateurs ont évoqués par la suite.
J'aurais scrupule à répondre à tous les points au travers des deux
interventions principales et à ne pas répondre aux autres. Je vais donc, dans
une certaine mesure, répartir en quelque sorte mes réponses. Je pense que ni M.
Marini ni M. Lambert ne m'en voudront.
Commençons par le livret A. Monsieur Marini, vous nous proposez une indexation
législative du livret A. Certes, cela a un rapport puissant avec notre texte,
mais pas un rapport immédiat. Vous savez que ce n'est pas la position du
Gouvernement. Il y a donc là peu de débat, il y a une position différente.
Nous pensons que le livret A doit garder sa spécificité. C'est d'ailleurs un
thème qui sera évoqué par beaucoup d'entre vous au travers de la question de sa
banalisation ; mais je l'évoque là au travers du taux, qui est celui de la
rémunération.
Nous pensons que le livret A doit garder sa spécificité, donc son caractère
spécifique attaché à un réseau et à un mode de définition du taux de
rémunération qui doit être laissé au Gouvernement.
Vous le savez, nous avons créé une commission, dite des taux réglementés, qui
est appelée à donner son avis. Elle l'a d'ailleurs fait il y a quelques
semaines.
Mais le Gouvernement est libre, en fonction d'autres impératifs que ceux qui
sont uniquement financiers, de choisir la politique qui leur semble la
meilleure.
Nous n'aurions d'ailleurs pas intérêt collectivement à enserrer tous les
gouvernements à venir et qui se succéderont - car, M. Lambert l'a rappelé, il y
a des alternances - dans un cadre à ce point contraignant que, finalement, il
n'y aurait plus aucune maîtrise, l'automaticité de l'indexation se substituant
aux choix politiques.
Pour autant, il fallait un encadrement. C'est le rôle du comité des taux
réglementés. C'est, je crois, un bon équilibre mais je conçois qu'il puisse y
avoir, sur ce point, des divergences entre nous.
Vous avez évoqué un point très important, monsieur le rapporteur, relatif à
l'affectation souhaitée par le Gouvernement des 18,5 milliards de francs de
capital des caisses - un montant sur lequel je reviendrai dans un instant - à
un fonds de retraite.
Je ne peux pas dire que je sois convaincu par votre argumentation. En somme,
vous nous dites que ce problème des retraites n'est pas encore totalement
élucidé et qu'il n'a pas été entièrement traité par le Gouvernement, ce qui est
exact. Dans ces conditions, semblez-vous dire, il ne faut rien faire tant qu'on
ne sait pas exactement où l'on va sur l'ensemble. Et cela, ce n'est pas exact
car, avec un tel raisonnement, qui est typiquement français et bien cartésien
mais peut-être insuffisant, il faudrait avoir totalement résolu le problème sur
le papier pour commencer à prendre des décisions concrètes.
Nous savons de toute façon que, quelles que soient les décisions prises, le
système de retraite par répartition dans notre pays a besoin d'argent. Il est
tout à fait légitime que le capital issu de la transformation des caisses
d'épargne en coopératives serve un objectif de solidarité nationale. Quel
objectif plus grand de solidarité nationale peut-on trouver que le système de
retraite par répartition ? Mettons-y les 18,8 milliards de francs. Cela ne
résout pas le problème des retraites, cela va sans dire, mais c'est mieux que
de ne pas les y mettre.
Je ne peux pas accepter un raisonnement qui consiste à dire que c'est soit
trop petit, soit trop grand. C'est certes trop peu, mais c'est un petit bout du
chemin. On en fera d'autres avec d'autres ressources, d'autres excédents qui
peuvent apparaître dans les comptes sociaux. Et, petit à petit, nous aboutirons
à un fonds qui atteindra, je le crois, plusieurs centaines de milliards de
francs.
Ce fonds ne résoudra pas non plus à lui seul le problème des retraites, car il
y a une démographie difficile ; mais il y contribuera le jour venu.
Il n'est que temps de commencer, et je ne peux croire un instant - je ne vous
ferai pas cette injure - que c'est justement parce que nous commençons que vous
vous trouvez gênés que près de 20 milliards de francs soient affectés aux
retraites.
Ce n'est certainement pas votre raisonnement, monsieur Marini. De ce fait,
vous devez reconnaître que ces quelque 20 milliards de francs sont les
bienvenus pour une affectation d'intérêt général.
La question et la suivante : pourquoi 18,8 milliards de francs ? Vous êtes le
premier, et beaucoup d'autres vous ont suivi dans cette voie, à avoir souligné
l'idée que l'on ne voyait pas très bien pourquoi mettre 18,8 milliards de
francs et non 14 milliards de francs. Si ce n'est vous, monsieur le rapporteur,
d'autres ont évoqué des chiffres tournant autour de 13 milliards, 14 milliards
ou 15 milliards de francs.
Vous avez raison, mais vous avez également tort. Vous avez raison, car les
18,8 milliards de francs ne résultent pas d'une appréciation totalement
rigoureuse. D'ailleurs qui serait capable de définir avec une rigueur
arithmétique le capital social que doivent avoir les caisses d'épargne ? Ce
chiffre correspond à la somme des dotations qui revient au capital actuel des
caisses.
Cela a-t-il un sens ? Il est vrai que la somme des dotations aurait pu être
trois fois trop forte ou trois fois trop faible. Ce montant est-il à peu près
au niveau qui convient ? C'est en tout cas le sentiment du Gouvernement,
puisque le ratio capital sur fonds propres, si nous retenons le chiffre de 18,8
milliards de francs pour le capital des caisses d'épargne, sera de 35 %, alors
qu'il est de 37 % pour les Banques populaires et de 41 % pour le Crédit mutuel.
Notre proposition semble raisonnable. Mais, bien sûr, vous m'objecterez que
l'on pourrait en rester à 14 milliards de francs. Cependant, il me semble que
vous n'avez pas plus d'arguments pour justifier ce chiffre que je n'en aurais
pour justifier celui de 18,8 milliards de francs. Vous en avez même plutôt
moins, car le chiffre de 18,8 milliards de francs correspond au moins à la
somme des dotations actuelles.
Si nous avions à notre disposition un instrument qui nous permette
véritablement de fixer avec exactitude le montant du capital nécessaire, nous
nous y rallierions tous, car il n'y aurait aucune raison de ne pas le faire.
Mais nous ne disposons pas d'un tel instrument.
A défaut, on peut établir une comparaison avec les réseaux similaires, et j'ai
cité à cet égard les Banques populaires et le Crédit mutuel. Certes,
ressemblance n'est pas identité.
On pourrait donc estimer que le capital nécessaire est plutôt de 18 milliards
de francs, de 19 milliards de francs ou de 17 milliards de francs, mais le
chiffre de 18,8 milliards de francs représente justement le capital existant.
Par conséquent, pourquoi s'écarter de ce chiffre ? Cela ne serait pas vraiment
logique, même si je reconnais, encore une fois, que la rigueur mathématique
n'impose pas le chiffre de 18,8 milliards de francs.
Je pense que s'il y a peu de raisons de retenir ce montant, il y en a encore
moins de retenir celui de 18,5, de 18 ou de 17,5 milliards de francs. Optons
donc pour le chiffre de 18,8 milliards de francs, car il correspond au moins à
la situation actuelle.
Peut-être craignez-vous en fait que le réseau n'ait bien du mal à placer ces
18,8 milliards de francs de parts ? C'est possible, je conçois que l'on puisse
nourrir cette crainte. Cependant, dans ce cas, si c'est bien cela qui fonde
votre raisonnement, si vous pensez que le réseau peut placer 13 ou 14 milliards
de francs, mais pas 18,8 milliards de francs, et qu'il vaut mieux fixer un
capital moins important - peut-être est-ce le cas, monsieur le rapporteur
-...
M. Philippe Marini,
rapporteur.
C'est une crainte parmi d'autres !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Alors je puis
vous rassurer tout de suite. Selon le choix du Gouvernement, les 18,8 milliards
de francs se décomposent en 13 milliards de francs à collecter par le réseau,
le reste étant placé sous la forme de certificats d'investissement auprès
d'institutionnels. On retrouve donc votre chiffre puisque, au bout du compte,
ce seront 13 milliards de francs qui devront être placés par le réseau. Cela
correspond - c'est même un peu inférieur - aux 14 milliards de francs que
nombre d'entre vous ont proposé.
En conséquence, si votre crainte est la capacité de placement du réseau, alors
nous vous avons entendus. En effet, je pense que le réseau aurait eu du mal à
placer auprès des épargnants 18,8 milliards de francs. C'est pourquoi il n'aura
à en placer que 13 milliards de francs.
Nous sommes donc d'accord sur les chiffres. Nous avons prévu que le reste
proviendra d'une autre source. Il n'y a donc plus de difficultés entre nous sur
ce sujet.
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Il faudra quand même rémunérer davantage !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
M. le rapporteur
me dit qu'il faudra rémunérer davantage. Dans ce cas, sa crainte n'est plus que
le réseau des caisses d'épargne ne parvienne pas à placer ces 18,8 milliards de
francs ; je viens d'y répondre. Sa crainte semble être qu'il ne soit pas
capable de les rémunérer.
Qu'il me soit permis, sans ironie, d'être surpris que le grand libéral qu'est
le sénateur Philippe Marini ne cherche pas une rentabilité suffisante et
s'inquiète de ce que le réseau des caisses d'épargne ait trop de rentabilité à
fournir ! En règle générale, monsieur le rapporteur, vous nous avez habitués à
raisonner dans l'autre sens.
D'ailleurs, aujourd'hui encore, vous-même comme nombre d'intervenants de la
majorité sénatoriale, ont développé le thème de l'insuffisante banalisation du
réseau des caisses d'épargne. Il faudrait aller plus loin vers la banque
traditionnelle.
Or les ratios de rentabilité de la banque traditionnelle aujourd'hui sont bien
plus élevés que ce qui va être nécessaire aux caisses d'épargne, dans la
situation qui découlera de ce texte de loi, pour rémunérer ces 18,8 milliards
de francs.
Soyons donc cohérents jusqu'au bout ! Ou bien vous souhaitez une plus grande
banalisation - et vous l'avez dit - et vous souhaitez donc une rentabilité du
réseau bien plus grande encore que celle qui est demandée par le texte de loi.
C'est cohérent, c'est votre droit, même si ce n'est pas ma position. Mais, dans
ce cas, vous ne pouvez dire, à un autre moment du débat, qu'il est impossible
de rémunérer les 18,8 milliards de francs dans les conditions fixées par le
projet. Il faut qu'entre le début et la fin des interventions il y ait quand
même un minimum de cohérence !
Le choix du Gouvernement a été de dire « non » à la banalisation. Ce n'est pas
une banque comme les autres ; le dividende social et d'autres éléments sur
lesquels je reviendrai ultérieurement trouvent leur justification dans le fait
que ce n'est pas un circuit financier, ce n'est pas un établissement financier
comme les autres. Dans ces conditions, il ne doit pas être assujetti à une
rentabilité qui peut être aussi forte que celle que les banques commerciales
doivent assumer devant leurs actionnaires.
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Il ne pourra pas rémunérer 18,8 milliards de francs !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Pour autant, cela
ne signifie pas qu'il ne pourra pas rémunérer 18,8 milliards de francs.
Monsieur le rapporteur, je ne comprends pas votre raisonnement. Rémunérer 18,8
milliards de francs n'est impossible que si l'on veut imposer au réseau les
mêmes taux de rendement que ceux du réseau commercial. Dans le cas contraire,
vous pouvez rémunérer 18,8 milliards de francs, mais à un taux de rendement
plus faible.
Par conséquent, la vraie question est la suivante : voulez-vous imposer au
réseau des caisses d'épargne un taux de rémunération ou un taux de rendement
aussi dur que celui du réseau commercial ? Si c'est « oui », c'est votre droit,
mais ne venez pas dire que c'est nous qui imposons des contraintes. Si c'est «
non », nous sommes d'accord : avec les résultats obtenus, nous pourrons
rémunérer les 18,8 milliards de francs, mais à un taux de rendement plus faible
que les banques commerciales.
Personnellement cela me satisfait, car je ne veux pas imposer au réseau des
caisses d'épargne des contraintes qu'il ne pourrait pas satisfaire.
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Ce n'est pas ce que les souscripteurs en penseront.
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Pour les
souscripteurs, monsieur le rapporteur, nous verrons.
La dernière grande critique importante que fait M. le rapporteur et qui mérite
beaucoup de réflexion porte sur la mise en place des groupements locaux
d'épargne, les GLE, auxquels je vois beaucoup de qualité et un défaut
principal, qui est le sigle relativement malheureux. Bref, puisque ce sont des
GLE, appelons-les des GLE !
Les GLE, dites-vous, sont inutiles. Nombre d'entre vous ont évoqué « l'usine à
gaz », ce qui n'est pas obligatoirement une critique en soi. Dans nombre de
secteurs, notamment le secteur gazier, les usines à gaz ne posent pas problème.
Pourquoi en poseraient-elles dans le nôtre ?
A cela, vous répondez que nous n'avons pas besoin de cet échelon et que vous
n'avez entendu dans les auditions que des critiques contre les groupements
locaux d'épargne. Vous formulez donc deux remarques : premièrement, nous n'en
avons pas besoin ; deuxièmement, ils ne suscitent que des critiques.
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Sauf au ministère des finances !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Certes, sauf dans
ce mauvais ministère qui ne cherche que le malheur de l'ensemble des Français
!
S'agissant de la première remarque, selon laquelle nous n'en aurions pas
besoin, je crois, au contraire, que nous en avons besoin pour animer le
sociétariat et pour accélérer la mutualisation. Cela est tellement vrai
s'agissant du sociétariat que, dans votre rapport écrit, monsieur le
rapporteur, vous précisez qu'il faut non pas créer des groupements locaux
d'épargne, mais organiser des sections locales d'épargne. Très bien !
Quelle est la différence entre les deux ? Le groupement local d'épargne a la
personnalité juridique, alors que la section ne l'a pas. Je reconnais bien
volontiers que c'est un peu plus compliqué, mais reconnaissez aussi que cela ne
change pas fondamentalement les choses. Il faut bien une structure pour animer
le sociétariat, vous le reconnaissez donc vous-même. Vous la faites plus simple
que la mienne, j'en suis d'accord !
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Alors acceptez notre proposition, monsieur le ministre !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Vous la faites
plus simple parce qu'elle n'a pas la personnalité juridique, mais
objectivement, vous ne pouvez pas vous passer d'une structure.
M. Philippe Marini,
rapporteur.
C'est vrai !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Il en faut une.
Vous l'appelez « section locale d'épargne ». La seule différence donc est
qu'elle n'a pas la personnalité juridique.
Pourquoi ne pas choisir votre voie, accepter cette structure - que nous
appellerons section locale d'épargne ou autre - qui sera suffisante pour animer
le secrétariat ? Puisqu'il n'y a pas besoin de la personnalité juridique, il
est inutile de compliquer la situation à plaisir !
Mais, dans ces conditions, vous ne remplissez pas obligatoirement les autres
fonctions dont nous avons besoin, notamment l'accélération de la mutualisation,
et pendant ce temps indéfini nous ne saurons pas à qui appartient une part du
capital.
Ce n'est pas un problème très important, me direz-vous. Vous aurez peut-être
raison. Mais la contrainte que je propose, la création des GLE avec
personnalité juridique, n'est pas non plus un problème insurmontable. L'usine à
gaz, c'est d'avoir une structure et de devoir la faire vivre, mais ce n'est pas
le fait qu'elle ait ou non la personnalité juridique !
Au total, je ne vois pas trop d'inconvénients au système qui a été choisi.
Mais ni vous, monsieur le rapporteur, ni moi ne sommes totalement experts en ce
domaine, encore que vous l'êtes plus que moi. Nous sommes des apprentis face
aux professionnels de ce sujet. C'est tout de même vers ceux-là qu'il faut se
tourner pour savoir ce qu'il en est.
On sait que, dans un débat de cette nature, je le disais au début de mon
propos, il existe des groupes de pression. Certains sont pour, d'autres sont
contre en fonction de leur intérêt propre. Raison de plus pour se tourner vers
les professionnels qui ont pour mission de défendre l'intérêt du réseau des
caisses d'épargne dans son ensemble. Qui est mieux placé pour cela que le
président du directoire des caisses d'épargne qui vient d'être nommé pour ses
compétences et son sens de l'intérêt général à la reconnaissance de tous ?
Au cours de l'audition à laquelle vous avez procédé, qu'a répondu le président
du directoire, M. Milhaud, à la question que vous lui posiez concernant
l'utilité des GLE ? Je cite le compte rendu de la commission : « Toujours en
réponse à M. Philippe Marini, qui se demandait si les groupements locaux
d'épargne étaient vraiment indispensables, le président du CENCEP a indiqué que
les caisses d'épargne devaient disposer d'un capital fixe si elles voulaient
être en mesure d'émettre des certificats coopératifs d'investissement ce qui
nécessitait un échelon intermédiaire de placement des parts sociales. Il a par
ailleurs estimé que les GLE constituaient une structure nécessaire d'animation
du sociétariat. » En conséquence, il y a au moins une personne auditionnée qui
n'a pas dit du mal des GLE : c'est celle qui, sur ce sujet, est la plus
compétente puisqu'il s'agit du président du directoire des caisses d'épargne
!
M. Philippe Marini,
rapporteur.
C'est sans doute pour ne pas vous faire de peine, monsieur
le ministre ! J'en suis même sûr !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Devant une
institution aussi éminente que la Haute Assemblée, je ne pense pas que M.
Milhaud ait dit autre chose que ce qu'il pensait.
Dans ces conditions, puisque la personne en charge de la vie et du
développement du réseau, choisie pour ses compétences, reconnue par ses pairs,
issue du milieu des caisses d'épargne puisqu'elle y a fait sa carrière -M.
Milhaud était encore récemment président des caisses d'épargne de Provence -
Alpes - Côte d'Azur -...
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Il faudra donc suivre toutes ses recommandations !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
... nous dit
qu'elle y voit un intérêt - et l'argumentation que je reprenais tout à l'heure,
je le dis avec modestie, ne fait que se calquer sur la sienne -, je ne vois pas
pourquoi nous y renoncerions et pourquoi vous ne vous y rallieriez pas.
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Parce qu'il nous a tenus des propos différents à d'autres
moments !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Vous accusez M.
Milhaud d'être lunatique,...
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Non, pas du tout !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
... mais je n'en
vois trace dans le compte rendu de la commission.
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Pas ce jour-là !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Monsieur le
président de la commission des finances, vous, vous voulez banaliser. C'est un
choix qui est légitime. Je ne le partage pas, mais je le comprends. On peut
penser que cette histoire des caisses d'épargne date de deux siècles maintenant
et qu'il s'agit d'une antienne que nous avons assez entendue. Vous voulez donc
transformer ce réseau en une banque comme les autres.
Ce n'est pas le choix du Gouvernement. Dès lors, les critiques que vous
formulez sont cohérentes, mais vous comprendrez que je ne puisse pas les
reprendre.
C'est là que vous entrez dans la contradiction que j'évoquais tout à l'heure,
en réponse à M. Marini. Vous soutenez que, dans le projet de loi, les
contraintes sont trop nombreuses. Mais si l'on banalisait totalement, comme
vous le souhaitez, les contraintes sur le réseau seraient beaucoup plus fortes,
notamment la contrainte de rentabilité.
Selon vous - j'ai pris note de vos propos à la volée - nous lançons les
caisses d'épargne dans le grand bain, ligotées avec un ensemble de bouées. Des
gueuses de plomb !
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Des GLE de plomb !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Dans le même
temps, vous soutenez qu'il faut banaliser le livret A, alors que le monopole du
livret A constitue à l'évidence un avantage pour le réseau des caisses
d'épargne, et même leur arme principale !
Vous nous avez habitués à une cohérence du discours et à une rigueur de la
pensée qui ne m'autorisent pas à imaginer que vous ne percevez pas la
contradiction entre ces deux points !
Le livret A est utile pour les caisses d'épargne, et certes pour les
épargnants - mais c'est un autre débat - car ce réseau est encore fragile. Il
doit donc pouvoir bénéficier d'un atout, qui est le livret A. Ne le lui
retirons pas et ne considérons pas qu'en le lui laissant on lui lie les mains.
C'est le contraire : on lui facilite une concurrence qui va se développer - on
peut le regretter ou s'en féliciter - avec l'ensemble des autres réseaux
bancaires.
Monsieur Lambert, vous avez souhaité savoir qui déterminera la stratégie du
groupe. Cela me paraît extrêmement simple : le groupe est prévu avec une
structure de conseil de surveillance et de directoire. Le conseil de
surveillance, qui regroupera les actionnaires, aura à déterminer la stratégie
du groupe. Les actionnaires seront la Caisse des dépôts et consignations pour
une part, les caisses régionales pour une autre... Cela fonctionnera
normalement, comme doit fonctionner un ensemble de cette nature. Je ne vois
pas, pour ma part, de difficulté majeure dans ce domaine.
S'agissant des taux administrés, je n'y reviens pas.
Vous m'avez également interrogé sur l'avenir du Crédit foncier, qui est un
point très important, en disant que vous vous offusquiez - mais vous le disiez
avec un sourire - de lire certaines choses dans la presse dont le Sénat n'a pas
été informé. Etant trop averti pour accorder un quelconque crédit à ce qu'on
peut lire dans la presse, j'ai donc plaisir à informer le Sénat directement.
La restructuration du Crédit foncier s'achève dans de bonnes conditions. La
recapitalisation s'élève à 1,8 milliard de francs, ainsi que j'ai déjà eu
l'occasion de le dire au Sénat. Les obligations foncières prévues dans le texte
dont nous discutons aujourd'hui sécuriseront ce bilan. Dans le même mouvement,
les relations avec l'Etat ont été assez largement simplifiées.
Je crois donc que ce travail de remodelage du Crédit foncier était utile, et
c'est sans doute parce qu'on ne l'avait pas fait l'année dernière que la
tentative de poursuite de l'opération lancée par le précédent gouvernement a
fini par échouer, au mois d'août dernier.
Comme vous le savez, on a repris les cartes, on a retraité le problème.
L'opération est maintenant terminée, et nous pouvons entrer dans la deuxième
phase.
Le comité central d'entreprise va être consulté. Des rapports étroits se sont
noués entre mon ministère, la direction du Crédit foncier et les structures
syndicales à propos de l'organisation qui peut être donnée à cet
établissement.
A la mi-mai, c'est-à-dire dans quelques jours, une nouvelle procédure
d'adossement sera lancée. Si tout se passe correctement, elle devrait pouvoir
aboutir fin août ou fin septembre, disons à la fin de l'été. Ce sera
évidemment, comme il le faut, une procédure ouverte, non discriminatoire,
transparente, mais pour aboutir à un adossement du crédit foncier rénové,
c'est-à-dire recapitalisé, simplifié, renforcé.
Si j'ai bien lu les coupures de presse auxquelles vous semblez vous référer et
qui émanaient du même directeur ou du président du directoire des caisses
d'épargne, de nombreuses structures sont intéressées par le Crédit foncier. Je
ne désespère donc pas, au contraire, que nous trouvions une solution française
qui nous permette de redonner au Crédit foncier un avenir dans la stabilité.
M. Ostermann nous a dit que la prévision des 18,8 milliards de francs était
irréaliste ; il propose 14 milliards de francs. Ayant déjà évoqué cette
question, je n'y reviens pas.
Pourquoi 14 milliards de francs ? Je ne sais pas. C'est son choix. Mais,
monsieur le sénateur, c'est justement la somme de 13 milliards de francs que le
Gouvernement a retenue pour être placée auprès des épargnants. Je suis sûr que
là nous allons trouver un accord.
Le point suivant sur lequel vous avez insisté, monsieur le sénateur, point
important que je n'ai pas encore évoqué, a trait à la part minimale du résultat
qui doit être consacrée au dividende social.
Le texte issu de l'Assemblée nationale prévoit qu'un tiers au minimum du
résultat doit être affecté au dividende social. Qu'est-ce que le dividende
social ? Ce sont des projets locaux ou des projets sociaux.
Vous me corrigerez si je me trompe : si vous êtes inquiets, c'est parce que,
implicitement, vous craignez une rentabilité insuffisante de ces projets
locaux. En effet, si vous avez à l'esprit qu'ils auront une forte rentabilité,
aucun problème particulier ne peut se poser. Mais si vous pensez qu'ils auront
une rentabilité insuffisante, alors cessez de discuter du développement de
l'épargne de proximité pour financer certains projets qui ne trouvent pas à se
développer avec le système bancaire traditionnel !
Je m'étonne qu'une assemblée comme la vôtre, qui est, plus que d'autres,
soucieuse du sort des collectivités locales et proche des réalités du terrain,
puisse se préoccuper moins qu'une autre - je pense à l'Assemblée nationale - de
l'épargne de proximité et du financement des opérations locales.
Pour ma part, je crois que les sujets d'intérêts locaux ont une forte
rentabilité et que le système financier actuel ne les prend pas assez en
compte. Je crois aussi que ce fameux dividende social, dont vous semblez mettre
en doute la rentabilité, sera bel et bien rentable, car les investissements
qu'il faut financer et qui sont rentables sont bien à réaliser maintenant dans
les régions, dans les communes.
Dans ces conditions, pourquoi devrions-nous éprouver des craintes face à ce
dividende social ?
M. Philippe Marini,
rapporteur.
C'est un acte de foi !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
C'est
effectivement un acte de foi ; pour ma part, j'ai foi en la décentralisation,
en l'activité des communes, et je me refuse à croire qu'il en soit autrement de
la part des sénateurs.
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Si vous nous prenez par les sentiments !
(Sourires.)
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
En tout cas, ce
choix rejoint celui que j'évoquais tout à l'heure, qui consiste à savoir si on
veut ou non banaliser les caisses d'épargne. Si on veut les banaliser, qu'il
soit clair que telle n'est pas l'option retenue par le Gouvernement.
Si on ne veut pas les banaliser, comment se traduit ce choix ? Je l'ai dit :
du côté des ressources, par le monopole du livret A ; du côté des emplois, par
un certain nombre d'emplois d'intérêt général qui ne sont pas obligatoirement
ceux que fait n'importe quelle banque.
Monsieur le sénateur, vous avez aussi évoqué le livret A, je n'y reviens pas ;
le sujet est clair, je crois.
Vous avez évoqué un point très important : la situation de l'Alsace -
Moselle.
Ce sujet a été longuement débattu à l'Assemblée nationale. Je vois bien
pourquoi les caisses d'épargne d'Alsace, qui ont, historiquement, un statut
particulier, veulent le conserver. C'est légitime. Mais je vois aussi la
contradiction qu'il y a à prôner la banalisation et à vouloir conserver les
petits avantages locaux que l'histoire a pu générer.
M. Joseph Ostermann.
Mais non !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Ce qu'il ne faut
pas, c'est que la réforme nuise aux caisses d'épargne alsaciennes, j'en suis
d'accord. La proposition du Gouvernement vise à neutraliser le fait qu'elles
soient soumises au statut commun.
La perte qui pourrait en résulter sera compensée franc pour franc, notamment
grâce au passage du taux de 0,7 % à 1,2 %. Au bout du compte, le statut des
caisses d'épargne sera le même sur tout le territoire, sans que les Alsaciens
et les Mosellans y perdent financièrement. Je crois, honnêtement, que c'est une
manière de procéder satisfaisante.
Je sais que vous avez déposé des amendements sur ce point ; je serai obligé de
demander au Sénat de les repousser. Je ne sais s'il me suivra ou non. En tout
cas, il n'y a aucune raison de vouloir perpétuer un statut spécifique contraire
à toutes les règles de l'homogénéité et de la concurrence. Je le répète, les
conséquences de l'harmonisation pour l'Alsace et la Moselle, seront compensées
franc pour franc, mais il convient que le statut des caisses d'épargne soit
harmonisé sur l'ensemble du territoire.
Monsieur le sénateur, vous êtes le premier orateur à être intervenu sur
l'article 37.
Cet article a été visiblement très mal rédigé par le Gouvernement, je le
confesse, si bien qu'à l'Assemblée nationale des éclaircissements nombreux ont
dû être donnés. La bonne foi du Gouvernement n'est pas en cause, mais l'article
était tellement mal rédigé que des inquiétudes n'ont pu être dissipées.
Le Gouvernement a donc décidé d'en proposer la suppression en attendant qu'ici
même, au Sénat, ou en commission mixte paritaire, un texte conforme au souhait
du Gouvernement et recueillant l'accord des deux assemblées soit rétabli. C'est
le but que nous visions avec la première rédaction.
Trop compliquée, peut-être incomplète, elle a suscité de l'émoi dans
l'ensemble du monde mutualiste. Visiblement, le Gouvernement n'a pas su la
mettre en forme correctement.
Au demeurant, s'il réussissait toujours à mettre parfaitement en forme ses
intentions, le rôle des assemblées parlementaires s'en trouverait diminué. Je
suis donc ravi que cette mauvaise rédaction nous donne l'occasion de souligner
l'apport parlementaire.
(Sourires.)
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Continuez donc à mal rédiger !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Je remercie M.
Delfau de son approbation générale.
Il s'inquiète, lui aussi, de l'importance du capital et craint qu'il ne soit
difficile à placer. Il nous suggère de diminuer cette somme d'un tiers. On en
revient ainsi aux 13 milliards, voire 14 milliards de francs.
Je tiens une fois encore à vous rassurer, mesdames, messieurs : ce sont bien
13 milliards ou 14 milliards de francs que le réseau devra placer. Cela ne
posera pas de difficulté. Lorsqu'on interroge le réseau - à cet égard vos
sources d'information sont justes - il confirme qu'il sera possible en quatre
ans - à un an près - de placer 13 milliards de francs. C'est la raison pour
laquelle nous avons retenu ce chiffre.
Quand on parle d'un capital de 18,8 milliards de francs, on comprend les 5
milliards de francs qui devront être placés en CCI, ce qui est autre chose.
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Non, ce n'est pas autre chose.
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Si, car ce ne
sont pas les épargnants qui devront les financer. Il s'agit donc d'un autre
réseau de placement faisant appel à d'autres modalités de placement.
Lorsque l'on dit que le réseau ne pourra pas placer plus de x milliards de
francs auprès des épargnants, on pense bien à ce qui va être proposé aux
guichets. Autre chose est le placement institutionnel des 5 milliards de francs
de CCI, qui ne donneront pas lieu aux mêmes procédures de vente.
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Ils manqueront quand il faudra augmenter les fonds
propres.
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Nous verrons bien
! Ne soyez pas un oiseau de mauvais augure ! Puisque vous affirmez souhaiter la
réussite de cette réforme, ne dites pas en permanence qu'il manquera ceci ou
cela.
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Nous voulons qu'elle réussisse.
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Je sais que vous
vous réjouirez avec nous quand la réforme aura réussi.
L'autre point qu'a abordé le premier M. Delfau et qui est très important
concerne la part sociale de chaque épargnant.
C'était, je l'avoue, une bonne idée de dire que, puisque l'institution n'avait
pas de propriétaire jusqu'à maintenant, c'était la nation tout entière qui
l'était et que chaque Français pouvait avoir au moins une part, quitte à donner
des parts supplémentaires à ceux qui apportaient des concours financiers.
J'ai été très séduit par cette proposition lorsqu'elle a été émise. Elle se
heurte cependant à un certain nombre d'arguments juridiques. Vous avez dit,
monsieur le sénateur, que vous n'étiez pas convaincu par ces arguments
juridiques. C'est une bataille de juristes.
Quels sont ces arguments juridiques ? Il y en a deux principaux.
La proposition concrète qui était formulée consistait à donner une part à
chaque détenteur d'un livret de caisse d'épargne.
Le problème réside dans la violation que cela implique du principe d'égalité
inscrit dans la Constitution. En effet, ceux qui ne détiennent pas de livret de
caisse d'épargne n'auraient pas cette part. Par conséquent, entre deux
Français, dont l'un aurait un livret de caisse d'épargne et l'autre non
l'égalité serait été rompue. On peut débattre de cela sans fin. Mais je ne peux
pas garantir que le Conseil constitutionnel, qui a parfois pris des positions
que l'on a trouvé sévères, au nom même du principe d'égalité, en matière
fiscale par exemple, n'aurait pas la même attitude sur la question qui nous
occupe aujourd'hui.
Un autre argument qui met en cause la responsabilité du Gouvernement, peut
être invoqué. En effet, celui-ci est garant des deniers publics, et il ne peut
pas aliéner sans contrepartie un bien qui appartient à la nation, ou alors cela
signifie que celui-ci n'a aucune valeur. Par conséquent, le Gouvernement
pourrait faire l'objet de critiques s'il remettait gratuitement à un autre
propriétaire, en l'occurrence à un titulaire de livret A, une part, fût-elle
minime, du patrimoine national. Cela pose donc un problème de responsabilité
propre du Gouvernement, si bien qu'une autre solution doit être envisagée.
Si l'on veut effectivement permettre à tous ceux qui le souhaitent de devenir
coopérateurs au sein de cette coopérative que seront les caisses d'épargne, et
si l'on ne veut pas que l'importance du montant à débourser soit dissuasif pour
les familles et les individus à revenu modeste, il faut fixer, cela est
légalement possible, à un montant extrêmement faible, à savoir quelques
dizaines de francs, le prix de la première part.
Alors, chacun pourra - car si l'on détient un livret de caisse d'épargne,
celui-ci n'est pas complètement vide - consacrer dix, vingt, trente ou quarante
francs - je ne sais pas quel sera le montant retenu, cela reste à déterminer -
à l'achat de la première part. Tous ceux qui le souhaitent pourront ainsi, dans
l'esprit qui a été évoqué, devenir coopérateurs, sans que nous encourions de
risques juridiques. Je crois que c'est la voie que nous devons emprunter, et
nous allons étudier comment nous pouvons mettre en oeuvre cette solution. Cela
permettra peut-être à des millions de Français ou d'épargnants présents sur
notre territoire de devenir coopérateurs, sans qu'aucun problème juridique ni
financier ne se pose.
Monsieur Loridant, vous vous inquiétez du fonctionnement démocratique de
l'ensemble de la structure qui sera mise en place, si les deux assemblées
l'acceptent, au lendemain de l'adoption du présent projet de loi.
Croyez-le bien, votre souci est partagé par le Gouvernement, et plusieurs
dispositions, que l'on peut sans doute encore améliorer, visent précisément à
assurer ce fonctionnement démocratique.
D'abord, il y aura deux collèges, l'un pour les collectivités locales, l'autre
pour les salariés, ce qui est un moyen de permettre, au sein des conseils,
l'expression de voix différentes.
Ensuite, le rôle même des fameux groupements locaux d'épargne est évidemment
un élément de fonctionnement démocratique, que l'Assemblée nationale a
d'ailleurs renforcé en précisant les missions d'intérêt général que ces
groupements doivent contribuer à développer dans l'animation du sociétariat.
Peut-on aller plus loin ? Pour ma part, j'y suis disposé, mais je ne crois pas
que le nombre des représentants de telle ou telle catégorie ait une réelle
incidence. Peut-être trouverons-nous d'autres dispositifs propres à assurer
mieux encore le fonctionnement démocratique de l'ensemble. En tout cas, tout ce
qui peut aller dans ce sens est évidemment bienvenu.
Le problème du droit social est un peu plus complexe, car nous avons à
concilier, chacun l'a bien compris, le mouvement lié à la modernisation de la
structure des caisses d'épargne et leurs spécificités, qui doivent être
préservées.
Malheureusement, à cet égard, ne rien changer à la situation actuelle
reviendrait à entériner une situation où le dialogue social n'est pas, c'est le
moins qu'on puisse en dire, extrêmement animé.
En effet, dans le réseau des caisses d'épargne, pas un seul accord n'a été
conclu depuis six ans, notamment parce que les modalités de fonctionnement de
la concertation sont bloquées par les règles de pourcentage que vous
connaissez.
Faudrait-il, à l'inverse, banaliser totalement ? Nous répondons non, pour les
raisons symétriques de celles que j'exposais précédemment.
Nous avons donc essayé de trouver une solution intermédiaire, telle qu'il soit
possible de relancer une mécanique de dialogue social sans aboutir pour autant
à une banalisation totale. Bien entendu, on peut discuter du curseur, mais je
ne crois pas que nous puissions en rester à la situation actuelle, qui n'a pas
permis, au cours des années passées, au dialogue social de se nouer et
d'aboutir à la signature d'accords.
Je souhaite un dialogue très fructueux dans les caisses d'épargne. Il faut
donc essayer de lever les obstacles qui, nous le constatons, l'ont quelque peu
empêché.
Le dernier point de votre intervention que je voudrais évoquer, monsieur
Loridant, concerne les sociétés de crédit foncier.
Le superprivilège des obligations foncières est un des principes de la
sécurisation des titres. Il est donc très difficile de ne pas le mettre en
oeuvre, vous le savez comme moi. Cela pose un problème, dites-vous, parce que
ce superprivilège fera passer ces créanciers avant les salariés. Certes, mais
les filiales en question sont des filiales outils : il n'y a pas de personnel
dans les sociétés de crédit foncier. Dès lors, ce superprivilège ne peut porter
atteinte aux droits du personnel et le fait que, parmi les différents
créanciers financiers, ceux qui relèvent des obligations foncières passent
avant d'autres devient, reconnaissez-le, beaucoup moins gênant.
En fait, il n'y a rien là de véritablement anormal : que des sociétés de
crédit foncier privilégient plus les obligations foncières que d'autre créances
qu'elles peuvent détenir n'est pas tellement choquant. C'est leur raison d'être
!
Ce qui serait choquant, ce serait que, par là même, elles passent devant les
droits des salariés. Mais, dans la mesure où il s'agit de sociétés outils, sans
personnel, ce risque n'existe pas. Je tenais à vous rassurer sur ce point.
Si cela n'est pas suffisamment clair dans le texte, peut-être convient-il de
le préciser. Vous avez déposé, avec M. Sergent, un amendement dans ce sens.
Nous en débattrons le moment venu. Je suis cependant d'accord pour le préciser
si c'est nécessaire.
M. Paul Loridant.
Nous en reparlerons !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
M. Carrère, qui
est un grand connaisseur de ces questions en raison de ses fonctions
particulières dans le réseau des caisses d'épargne...
M. Jean-Louis Carrère.
Et un grand connaisseur de la chasse !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
De la chasse
aussi, et je dirai plus tard quelques mots des palombes !
(Sourires.)
... M. Carrère, donc, a d'emblée souligné le problème de la caisse de
retraite. Il est exact que c'est une grande préoccupation des salariés. Là
aussi, il faut que les choses soient claires et simples. Personne ne cherche à
inquiéter pour le plaisir !
Une négociation est en cours entre les partenaires sociaux du réseau pour voir
comment le montant nécessaire à la garantie des retraites à verser en fonction
des droits acquis des salariés peut effectivement être dégagé. Il peut l'être
et il le sera.
Le seul rôle des pouvoirs publics dans cette affaire est de veiller à ce que
les droits acquis par les salariés soient conservés. Les modalités pratiques
seront établies par les partenaires sociaux et les milliards nécessaires pour
garantir ces droits, car il s'agit bien de milliards de francs, seront mis de
côté. Cela est possible aujourd'hui, chacun le sait, grâce aux montants
disponibles dans les réserves des caisses d'épargne.
Le problème des retraites des salariés des caisses d'épargne, qui est
effectivement important, sera donc réglé, et ces salariés peuvent être
pleinement rassurés, s'ils ne l'étaient déjà.
J'ai apprécié, monsieur Carrère, votre remarque selon laquelle les caisses
d'épargne sont, à l'heure de la mondialisation, non une curiosité mais une
nécessité. Je suis absolument d'accord. J'ajouterai seulement cette précision :
les caisses sont une nécessité parce qu'elles apportent une manière de faire de
la banque autrement. Encore faut-il que cette manière de faire de la banque
autrement leur permettre de vivre et de se développer.
C'est donc, là encore, un équilibre qu'il faut trouver entre le
statu
quo,
qui ne permettrait pas ce développement, et la banalisation, qui ne
permettrait pas de continuer à faire de la banque autrement. Bien entendu,
nulle création humaine n'étant exempte de faiblesses, la solution que nous vous
proposons pour assurer cet équilibre est sans doute susceptible
d'améliorations.
Vous m'interrogez par ailleurs sur le rôle de la Caisse des dépôts et
consignations. Vous savez qu'un protocole d'accord est en cours d'élaboration.
L'objectif est celui d'un partenariat « mutuellement avantageux ». Cela
signifie en clair que ce partenariat ne doit jouer ni totalement au bénéfice de
la Caisse des dépôts, ni totalement au bénéfice des caisses d'épargne : chacun
doit y trouver un avantage.
Cela peut passer par l'entrée de la Caisse des dépôts et consignations dans le
capital de la Caisse nationale des caisses d'épargne, pour une part qui sera
comprise entre 30 % et 35 % du capital. Symétriquement, cela peut passer par
l'entrée des caisses d'épargne dans le capital de filiales de la Caisse des
dépôts et consignations.
Ainsi, des liens se noueront qui doivent, bien entendu, avoir un sens,
c'est-à-dire déboucher sur un gain en termes d'efficacité. Il ne doit pas
s'agir de participations, pour le plaisir. Sur des métiers spécifiques, sur des
activités spécifiques, des liens doivent se tisser, et se traduire par des
participations croisées. Mais les entités concernées doivent être placées sur
un pied d'égalité, car il est clair que la Caisse des dépôts et consignations
n'a pas à prendre le pas sur les caisses d'épargne.
A propos des 18,8 milliards de francs, vous avez évoqué l'idée d'allonger la
durée de placement pour la porter de quatre à cinq ans. Faut-il une année de
plus ? Nous débattrons de cette question lorsque cette disposition viendra en
discussion.
Vous m'avez enfin interrogé sur la répartition des sièges au sein du conseil
de surveillance. Cette question relève des statuts. Elle est encadrée par la
loi de 1966 qui prévoit entre trois et vingt-quatre membres au prorata des
actionnaires. De toute façon, quatre sièges au plus seront attribués aux
salariés. Ce sont, en tout cas, les futurs statuts qui définiront la
répartition. Nous voyons donc comment la répartition va s'opérer mais je ne
peux évidemment dire maintenant ce qu'elle sera précisément.
J'en viens à la chasse à la palombe. J'ai un instant cru comprendre que vous
vouliez orienter le dividende social, notamment, vers le développement de la
chasse à la palombe, compte tenu de son intérêt local dans les Landes. Je ne
suis pas certain de pouvoir vous suivre sur cette voie, mais vous vous en
doutiez !
M. Jean-Louis Carrère.
Il suffirait de ne pas l'interdire !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Certes, mais
cette question ne relève plus du texte sur les caisses d'épargne.
Monsieur Badré, vous avez tenu à souligner la qualité de la concertation qui a
été engagée, ce dont j'ai été, d'emblée, enclin à me réjouir. Cependant,
comprenant ensuite que vous visiez surtout la concertation engagée par le
précédent gouvernement, j'ai été moins ravi. Constatant finalement que vous
associiez le gouvernement actuel à cet hommage, j'ai retrouvé le sourire qui
m'est coutumier quand j'ai le plaisir de vous écouter !
(Sourires.)
L'affectation d'une part du résultat à des projets locaux ou sociaux ne vous
convient guère. Je ne reviens pas sur ce que j'ai dit à ce sujet.
Vous indiquez, à l'appui de votre position, que certaines caisses d'épargne
sont déficitaires. C'est vrai : il y en a effectivement qui sont déficitaires.
Mais, tant qu'elles le seront, le problème ne se posera pas pour elles puisque,
de toute façon, il n'y aura pas de résultat à partager. Cela étant, j'espère
que ces caisses d'épargne déficitaires redeviendront des caisses bénéficiaires
le plus vite possible.
S'agissant des caisses d'épargne qui sont déjà bénéficiaires, y a-t-il un
inconvénient majeur à ce qu'une part de leur résultat soit affectée au
dividende social ? J'ai déjà répondu par la négative ; ou alors, cela n'a pas
de sens de parler d'épargne de proximité, de rentabilité des projets locaux.
Mais il y a un autre argument.
Vous redoutez que les alliances que nous voulons voir la Caisse nationale
nouer ne se concluent difficilement du fait de la faible rentabilité induite
par le dividende social.
Bien sûr, le Gouvernement n'a pas à décréter qui seront les partenaires de ces
alliances, mais nous imaginons celles-ci conclues surtout avec les autres
réseaux de caisses d'épargne européens. Or ces réseaux ont des activités tout à
fait analogues et fonctionnent selon des principes qui, même s'ils ne reposent
pas sur les mêmes bases juridiques, vont dans le même sens. Tous ces réseaux,
s'ils n'ont pas un « dividende social », affectent une part de leur résultat à
des projets locaux ou sociaux.
C'est précisément pour cette raison que leur collaboration, par-delà les
frontières, est souhaitable et possible. Nous aurons ainsi créé, à terme, un
grand réseau de l'économie sociale européenne, regroupant des caisses d'épargne
de pays différents, qui ne sont pas exactement identiques mais qui ont toutes
les mêmes objectifs, se résumant à l'intérêt général.
Dès lors, monsieur Badré, votre crainte de voir le dividende social empêcher
les alliances n'est, de mon point de vue, pas fondée, sauf si l'on cherche une
alliance entre les caisses d'épargne et je ne sais quelle banque commerciale.
Mais tel n'est pas l'objectif.
Si l'objectif est bien de consolider, de façon transnationale, les liens avec
d'autres réseaux de caisses d'épargne, il n'y a pas de raison de craindre
l'existence du dividende social.
Je vous remercie, en tout cas, monsieur le sénateur, d'avoir conclu en
indiquant que ce projet était globalement positif. Cela m'a rappelé d'autres
époques mais j'espère que, sur ce sujet-là, la vérité sera au rendez-vous.
(Sourires.)
M. Bourdin a fait une intervention particulièrement intéressante, ce qui n'est
guère surprenant de la part du représentant du Sénat au CENCEP, le Centre
national des caisses d'épargne et de prévoyance, et qui est en outre président
du COS de Haute-Normandie.
Je ne reviens pas sur le thème des 18,8 milliards de francs. Je pense que les
précisions que je vous ai fournies devraient avoir levé les inquiétudes qui ont
été exprimées sur ce chiffre.
Vous avez également beaucoup insisté, monsieur Bourdin, sur le thème du
dividende social.
Votre fine connaissance du réseau vous conduira certainement à être d'accord
avec moi. Nous ne pouvons pas dire que le réseau des caisses d'épargne doit
conserver une motivation, une raison d'être autour de l'intérêt général sans
traduire cela, d'une manière ou d'une autre, dans l'affectation de ses
résultats.
Peut-être la méthode proposée par le Gouvernement n'est-elle pas la meilleure.
Mais je crois que nous ne pouvons pas déroger au principe qui consiste à donner
aux caisses d'épargne une mission différente de celle d'un autre réseau ; ou
alors toute la thématique sur l'intérêt général et la spécificité tombe à l'eau
!
Vous savez mieux que quiconque dans cette assemblée que cette conception de
l'intérêt général est, pour l'ensemble du réseau, pour les dirigeants, pour les
salariés comme pour les épargnants qui viennent déposer leur épargne sur les
livrets de caisse d'épargne, une motivation particulièrement forte. Si l'on
veut donner un sens, un contenu aux missions d'intérêt général du réseau de
caisses d'épargne, il faut que, d'une manière ou d'une autre, cette affectation
soit possible.
Cela va-t-il nuire à la sécurité financière ? Je ne le crois pas, puisqu'un
tiers au maximum est mis en réserve. Donc, pas d'inquiétude sur la sécurité
financière. D'ailleurs, le ratio de solvabilité de 11 % à la fin du processus
est confortable. Atteignons ce ratio-là, nous serons alors sensiblement
au-dessus de la moyenne des établissements de crédit français aujourd'hui et
nous aurons rempli notre contrat, qui est de rendre ce réseau concurrentiel,
apte à se développer, capable d'un avenir ouvert, tout en lui conservant une
spécificité.
Si l'on suivait une autre voie, dont je conçois qu'elle est tentante à
certains égards, je craindrais beaucoup, que, petit à petit, malgré la bonne
volonté de chacun et malgré les discours qui pourraient être prononcés à cette
tribune comme dans d'autres enceintes, cette mission d'intérêt général n'en
vienne à disparaître faute d'avoir été imposée par la loi. Nombreux seraient
alors ceux qui pourraient légitimement nous faire observer, dans cinq ans ou
dans dix ans, qu'au bout du compte notre réforme des caisses d'épargne n'aurait
abouti qu'à faire de ce réseau un réseau comme les autres. Cette banalisation
n'aurait pas nécessairement un caractère dramatique, mais ce serait tout de
même dommage. En effet, nous disposons d'un système fortement spécifique qui,
non seulement trouve ses racines dans notre histoire, mais encore satisfait une
demande à laquelle aucun autre réseau ne répond. Il me paraît donc nécessaire
de le conserver le mieux possible, en le conciliant avec les contraintes qui
nous sont imposées.
Disant cela, j'ai bien conscience de donner le sentiment de vous proposer un
compromis mi-chèvre, mi-chou. Il n'en est rien, simplement nous plaçons le
curseur au bon endroit - mais nous pouvons en discuter - pour éviter une
banalisation qui n'apporterait rien. A quoi servirait-il de doter notre pays
d'un réseau bancaire banalisé de plus, lui qui en compte déjà tant ? En
revanche, conserver les spécificités des caisses d'épargne en les rendant
capables d'aller de l'avant, c'est un apport décisif.
Je me tourne maintenant vers M. Laffitte, pour qui le dividende social doit
être un élément du développement local. Je partage naturellement son sentiment,
à condition qu'il n'y ait pas de confusion entre les opérations commerciales et
le dividende social, sauf à faire relever du dividende social des opérations
qui seraient, en fait, des opérations normales. Il n'y aurait pas de cohérence,
car ce sont, bien sûr, des concepts différents. Cela étant, par le biais
d'affectations particulières, on peut effectivement soutenir le dynamisme
local, et tel est bien l'objectif.
Ensuite, vous avez dit des choses très justes sur les nouvelles technologies,
dont le lien avec le texte est apparu à tous. Vous avez notamment suggéré que
l'on profite de la rénovation du réseau pour franchir un pas de plus. C'est
ainsi que je l'ai compris. Il est vrai que, chaque fois que l'on réforme
suffisamment une institution, plutôt que de la mettre simplement à niveau, on
peut se demander si ce n'est pas l'occasion d'aller un cran plus loin.
S'agissant de l'Internet et des nouvelles technologies en général, dont vous
êtes un expert reconnu, on voit bien que la réforme peut être l'occasion pour
le réseau de prendre de l'avance dans ce domaine. De ce point de vue, votre
intervention, qui ne trouvera pas obligatoirement de traduction législative,
apporte un contenu nouveau à la rénovation du réseau. Je vous suis donc très
reconnaissant de ces remarques, comme de celles que vous avez faites à propos
de la comparaison avec les caisses d'épargne allemandes, que j'ai moi-même
évoquées tout à l'heure d'un mot. Il y a, dans les exemples étrangers, une
source d'inspiration évidente.
M. Calmejane est absent, mais je souhaite lui apporter une réponse que ses
collègues lui transmettront.
M. le président.
Il lira votre réponse dans le
Journal officiel,
monsieur le ministre !
(Sourires.)
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Sur les
groupements locaux d'épargne, M. Calmejane semblait s'inquiéter du fait que les
sociétaires d'une même caisse régionale puissent avoir une rémunération
différente, et il avait raison. Ce serait tout à fait anormal, et ce n'est
d'ailleurs pas ce qui se passera. Les sociétaires d'une même caisse régionale
jouiront de la même rémunération, qui sera décidée à l'échelon de la caisse
régionale et mise en oeuvre à l'échelon des groupements locaux. Mais le
problème soulevé est réel, et la réponse est dans le texte. Gardons-nous en
effet d'établir des différences de rendement entre les porteurs de parts d'une
même caisse régionale.
Je souhaite également le rassurer : il n'y aura pas de double imposition
fiscale, bien entendu.
M. Calmejane s'est livré à quelques digressions sur les missions d'intérêt
général qu'il voudrait ne pas voir maintenues. Je ne sais pas si cela
correspond à l'opinion de l'ensemble du Sénat. Je n'en ai pas eu l'impression,
car nombre d'entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, souhaitent au
contraire préserver ces missions d'intérêt général. Cela a conduit M. Calmejane
à quelques « dérapages » sur la gauche plurielle, qui n'aurait jamais su
prendre en compte les réalités économiques, ou sur l'absence totale d'analyse
économique qui sous-tendrait ce projet de loi. Tout cela fait partie d'une
rhétorique que je ne voudrais pas commenter trop longtemps, sinon pour dire,
tout de même, que cette accusation, si elle est amusante, est un peu risquée de
la part d'un sénateur qui a soutenu le gouvernement précédent, dont il ne m'est
pas apparu, à en juger aux critiques nationales et internationales dont il a
fait l'objet, que sa conduite de la politique économique ait été mieux
appréciée que la nôtre !
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Vous globalisez, monsieur le ministre ! Vous faites un large
amalgame !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Oui, j'amalgame.
Je retire donc ce que je viens de dire, étant néanmoins assuré que M. le
sénateur pourra retrouver mon propos dans le
Journal officiel !
(Sourires.)
Madame Beaudeau, je voudrais vous apporter des précisions sur trois points.
Vous avez dit que les 18,8 milliards de francs seraient ponctionnés sur les
caisses d'épargne et ne seraient pas utilisés à d'autres fins comme
l'investissement ou le soutien de la croissance. Non, les 18,8 milliards de
francs résultent de l'épargne apportée par les coopérateurs.
Donc, la réforme est neutre pour les caisses d'épargne. Ces 18,8 milliards de
francs ne sont pas pris aux caisses d'épargne au détriment d'autres actions. Ce
sont 18,8 milliards de francs que les coopérateurs, par leur épargne, ou les
institutionnels, par les certificats d'investissement, vont appporter. De ce
point de vue, c'est une mobilisation de l'épargne nationale. Tout le débat est
bien sûr ensuite de savoir ce que l'on fait de cette somme. Mais cette
mobilisation de l'épargne nationale ne nuit en rien aux caisses d'épargne. Je
voulais vous rassurer sur ce point.
M. Philippe Marini,
rapporteur.
C'est une façon de voir les choses !
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
C'est votre argent, madame
Beaudeau !
(Sourires.)
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Monsieur le
président de la commission, au bout du compte, tout ce qui existe dans ce pays
vient de l'argent de ceux qui y habitent, et c'est bien normal !
J'en viens au livret A. Vous êtes opposée, madame le sénateur, à la baisse du
taux. Ce n'est pas l'objet de notre débat, mais je partage votre sentiment. Le
taux de rémunération de l'épargne populaire doit être suffisant, la notion de «
taux suffisamment rémunérateur » devant s'apprécier au vu du niveau de
l'inflation et des autres taux. Donc, sur le principe, je suis d'accord avec
vous. Cependant, j'ai noté, par exemple, que mon collègue chargé de
l'équipement, des transports et du logement avait le souci de faire en sorte
que le financement du logement social se fasse à un taux faible, ce qui pouvait
parfois le conduire à souhaiter un taux de rémunération peu élevé... C'est
d'ailleurs ainsi qu'il a justifié la baisse du taux intervenue au mois de juin
dernier. Mais ce sont des contradictions qui nous sont communes à tous : d'un
côté, on veut rémunérer l'épargnant le plus possible, d'un autre côté, on veut
financer le logement social au moindre coût. Entre vous, madame Beaudeau, et
mon collègue ministre de l'équipement, des transports et du logement, je ne
sais qui choisir !
(Sourires.)
De toute façon, la question ne se pose
pas ici. Nous aurons l'occasion d'y revenir.
Enfin, sur le pôle public, je vous rejoins tout à fait. Ce débat important a
d'ailleurs traversé toute la discussion à l'Assemblée nationale et, même si ce
n'est pas le texte adéquat, comme vous l'avez dit, pour régler le problème,
c'est peut-être l'occasion d'en parler.
Je crois qu'il est très important en effet que la réflexion du Gouvernement et
de la majorité qui le soutient sur le pôle public progresse. Ce pôle public,
dont j'ai dit un mot dans mon propos liminaire, comporte plusieurs éléments
dont il faut voir comment ils peuvent se concilier pour que le pays dispose à
la fois d'un organe central très puissant, comme la Caisse des dépôts et
consignations, d'un réseau très populaire, comme celui des caisses d'épargne,
et de structures spécialisées, comme la BDPME ou la CNP. Je suis tout à fait
sur votre ligne, mais ce n'est pas l'objet du présent texte. Nous aurons sans
doute l'occasion de poursuivre ce débat dans d'autres circonstances.
M. Sergent, avant-dernier intervenant, a évoqué la sécurité financière et les
obligations foncières.
Monsieur Sergent, vous ne voulez donc pas du Gouverneur de la Banque de France
dans le collège. Ne nous y trompons pas : le président du comité de la
réglementation bancaire, c'est le ministre, ce n'est pas le Gouverneur. Il n'y
a donc pas de confusion des rôles.
En revanche, le Gouverneur est président de la commission bancaire et, en tant
que tel, il est membre de droit du collège comme les présidents de toutes les
autres structures représentées au sein de ce collège. Il n'y a donc pas à
redouter de confusion « contrôlé-contrôleur » dans la mesure où le comité de la
réglementation bancaire n'est pas présidé par le Gouverneur de la Banque de
France.
Je crois donc qu'il n'y a pas de difficulté à mettre en oeuvre la procédure
telle qu'elle a été prévue. Si vous en voyez une qui m'échappe pour le moment,
nous y reviendrons au cours de la discussion des articles, mais je ne vois pas,
pour ma part, de problème majeur.
Par ailleurs, vous souhaitez, monsieur le sénateur, que soit opérée une
distinction dans l'indemnisation des assurés, selon qu'il s'agit de contrats
d'épargne pure ou de contrats de prévoyance, et vous avez déposé des
amendements dans ce sens. Nous approfondirons donc cette question lors de
l'examen de vos propositions, mais je pense qu'il est en effet souhaitable
d'introduire cette distinction, qui n'était pas prévue initialement. Je me
rallierai donc assez volontiers à votre position quand nous en arriverons aux
dispositions concernées.
S'agissant de l'article 37, j'ai reconnu que le Gouvernement avait été
maladroit. La concertation avec les mutualistes est en cours, et je pense que
nous trouverons une solution qui satisfera tout le monde.
En ce qui concerne les obligations foncières, vous souhaitez renforcer la
sécurité associée aux prêts cautionnés. Là encore, vous avez déposé des
amendements
ad hoc,
et nous en débattrons lorsqu'ils viendront en
discussion.
Je crois que votre position est assez fondée, mais faut-il procéder exactement
comme vous le préconisez ? Nous verrons bien, mais cela fait partie, en tout
état de cause, des améliorations techniques tout à fait bienvenues que l'on
peut apporter à ce texte.
Enfin, vous vous interrogez, monsieur Sergent, sur la pérennité du lien entre
le Crédit foncier et sa filiale. De ce point de vue, le cahier des charges est
clair : la pérennité de ce lien est l'une des conditions qu'il pose. Il n'y a
donc pas d'ambiguïté ici. Certes, tout le monde n'a peut-être pas encore lu ce
cahier des charges, et c'est bien normal, mais tel est bien l'objectif du
Gouvernement. Nous nous rejoignons donc sur cette question.
M. Deneux, quant à lui, trouve que l'on charge à l'excès la barque
financièrement. C'est une manière de faire se rejoindre le problème du capital
des caisses d'épargne, fixé à 18,8 milliards de francs, et celui du dividende
social. Je n'insisterai pas davantage, il en a déjà été beaucoup question.
M. Deneux est revenu aussi sur les groupements locaux d'épargne. Tout a été
dit sur ce point également, je n'y reviens pas.
S'agissant de la sécurité financière, M. Deneux reprend un argumentaire
tendant à démontrer que les établissements ne doivent pas être mis sous le même
« chapeau ».
Je crois au contraire qu'il faut tendre vers une « maison commune » des
banques, qui ont la même mission - financer l'économie nationale - et que nous
ne rapprocherons jamais assez leur fonctionnement de ce point de vue.
Dans ces conditions, il est souhaitable de n'avoir qu'une seule institution
qui organise la garantie. Pour autant, cela signifie-t-il qu'on ne doive pas
tenir compte des caractéristiques des établissements ? Non, bien sûr, on doit
tenir compte des fonds propres, des dépôts, bref, de tout ce qui fonde la
situation financière de l'établissement pour évaluer sa contribution au fonds
de garantie. Il y a bien une différenciation selon les caractéristiques
financières de l'établissement ou, autre manière de le dire, selon le risque
qu'il présente. Voilà de quoi vous rassurer, monsieur Deneux.
Vous avez par ailleurs regretté qu'il n'y ait pas eu une concertation
suffisante sur la sécurité financière. Honnêtement, la concertation avec les
professionnels a été très large. D'ailleurs, il y a un quasi-consensus de place
sur le fonds de garantie, sur les obligations foncières et sur le renforcement
des autorités de contrôle. Je ne vois pas beaucoup de divergences. Il peut y en
avoir ponctuellement, tel ou tel type d'établissement préférant une solution
différente, mais, globalement, au terme d'une grande concertation, nous sommes
parvenus à un résultat qui, je crois, est accepté par tous.
Vous avez évoqué ensuite la contribution des institutions financières - ce
n'est pas le sujet, mais c'est évidemment l'occasion de l'aborder - dont vous
demandez la suppression progressive. Certes. Tout le monde est toujours
d'accord pour qu'il y ait moins d'impôts. Le problème, c'est que la
contribution des institutions financières apporte de l'argent au budget de
l'Etat et que la suppression de celle-ci suppose que l'on ait trouvé des
ressources équivalentes pour la compenser.
C'est bien sûr le rôle de l'opposition, majoritaire au Sénat, de faire de
telles suggestions. Votre proposition consistant à supprimer progressivement la
contribution des institutions financières serait plus convaincante si les
gouvernements précédents avaient commencé. Mais ils ne l'ont pas fait ! Cela ne
veut pas dire que nous ne devions pas le faire, mais en tout cas nous ne le
ferons pas à l'occasion de l'examen de ce texte. Nous attendrons d'avoir trouvé
les ressources nécessaires à la compensation de cette contribution pour
commencer à envisager le fait d'en débarrasser les banques françaises.
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Par conséquent, vous acceptez cet objectif, monsieur le
ministre ?
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Je le dis
volontiers devant le Sénat, comme je le dis volontiers devant tous les Français
: avec ce Gouvernement, vous avez le premier gouvernement qui a vraiment
l'intention d'essayer de faire en sorte que les impôts des Français baissent.
(Sourires et exclamations sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Ils ne s'en sont pas vraiment
rendu compte !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Vous me demandez,
monsieur le rapporteur, si j'accepte cet objectif. Je vous réponds : oui.
(Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)
Je suis heureux de
l'enthousiasme que mes propos déclenchent sur les travées du Sénat.
Le précédent gouvernement s'était engagé dans cette voie en voulant supprimer
une part de l'impôt sur le revenu, mais, par malheur, il avait oublié de
prévoir comment il allait financer cette mesure et il s'était donc retrouvé, à
la mi-1997, avec un budget dit infaisable, au point que cela a déclenché de
tels événements politiques que j'ai aujourd'hui la chance de pouvoir m'exprimer
devant vous. Contrairement à ce gouvernement, qui supprimait les impôts avant
de savoir comment il les financerait, le gouvernement auquel j'appartiens fait,
c'est tout bête, exactement l'inverse : il commence par chercher à savoir par
quoi il va remplacer, et à ce moment-là il décide de supprimer les impôts. Vous
le verrez, c'est moins spectaculaire, mais plus pérenne.
(Applaudissements
sur les travées socialistes.)
M. Philippe Marini,
rapporteur.
C'est surtout grâce à une bonne conjoncture mondiale !
Supprimerez-vous la surtaxe de l'impôt sur les sociétés ? Nous attendrons la
réponse !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Je suis ravi de
l'ensemble des questions dont vous assaillez le Gouvernement. Cela montre
combien la politique qu'il conduit suscite d'intérêt chez vous. Cependant, je
ne laisserai pas déborder ce débat, déjà trop long de ma faute, sur toutes les
questions de la politique économique. Vous m'autoriserez donc à en rester au
dernier point abordé par M. Deneux, à savoir la possibilité ouverte par un
amendement adopté à l'Assemblée nationale de transporter la négociation sociale
de l'AFB vers l'échelon supérieur qu'est l'AFECEI, l'Association française des
établissements de crédit et des entreprises d'investissement. A la tribune, M.
Deneux a dit - mais peut-être ai-je mal entendu, auquel cas je m'en excuse à
l'avance auprès de lui - qu'il s'agissait d'un cavalier car cette disposition
n'avait donné lieu à aucune concertation. Il n'y a pas de lien ! Ce n'est pas
un cavalier parce que cette disposition n'aurait donné lieu à aucune
concertation. Il est vrai qu'elle n'a pas donné lieu à beaucoup de
concertation, mais c'est l'essence même d'un amendement. Quand il n'émane pas
du Gouvernement, on ne peut pas reprocher à celui-ci de ne pas avoir mené une
concertation sur ce point.
Est-ce un cavalier ? Je ne le pense pas. C'est un élément important. Il permet
non pas de retirer la négociation au niveau de l'AFB, mais de lui donner une
possibilité nouvelle au niveau de l'Association française des établissements de
crédit et des entreprises d'investissement. C'est là, me semble-t-il, un
enrichissement de notre système et donc une plus grande sécurité, au sens
large, du système financier. Si, en fin de compte, les deux assemblées décident
de conserver cette disposition, nous aurons, en fait, amélioré le
fonctionnement du système financier et, par là même, nous l'aurons rendu plus
sûr.
Je conclus, en vous priant de m'excuser d'avoir été si long et de n'avoir sans
doute répondu qu'imparfaitement à toutes les remarques que vous avez eu la
bonté de formuler.
Comme nombre d'entre vous l'ont rappelé, ce projet de loi est en gestation
depuis très longtemps. S'il n'a pas été présenté plus tôt, c'est sans doute
parce que c'est bien compliqué de réformer les caisses d'épargne. Au vu des
difficultés que je rencontre moi-même, je comprends les hésitations de mes
prédécesseurs. Peut-être ont-ils été plus sages que moi et ont-ils, avec
raison, mis le dossier sous le tapis ? Peut-être fallait-il simplement que la
concertation puisse se dérouler pendant une période suffisante ?
En tout cas, nous sommes parvenus au point où, enfin, cette réforme des
caisses d'épargne peut se mettre en oeuvre. Peut-être faudra-t-il - certains
ont évoqué ce point - modifier encore quelque chose dans cinq, dix ou vingt
ans. Mais c'est la réalité de la vie. En effet, rien n'est jamais définitif.
Aujourd'hui, les caisses d'épargne ont besoin de cette réforme. L'esprit de
celle-ci est simple : il faut bouger. Il ne faut pas bouger en banalisant les
caisses d'épargne et en en faisant un réseau de plus, un réseau comme les
autres. Il faut donc sortir du
statu quo
et ne pas les banaliser. Entre
les deux, le Gouvernement vous propose une voie. Il est prêt, évidemment, sur
tel ou tel point, à la faire évoluer, en fonction des remarques, souvent
fondées, que les uns et les autres pourront faire. Cependant, toute remarque
qui viserait à revenir au
statu quo
ne pourrait qu'être rejetée par le
Gouvernement, car nous voulons bouger, il faut bouger pour les caisses
d'épargne elles-mêmes. Toute démarche qui aurait pour objet de banaliser ne
pourra qu'être rejetée, car ce n'est pas la ligne que le Gouvernement entend
choisir ; ce serait un gigantesque gâchis de banaliser ce réseau, d'en faire un
réseau de plus, comme les autres, alors qu'il a une spécificité si forte.
J'invite donc le Sénat, s'il veut faire oeuvre utile, à collaborer avec le
Gouvernement pour améliorer ce projet de loi. Je lui demande de ne pas faire de
propositions qui seraient si éloignées, soit par
statu quo,
soit par
banalisation, du texte que je vous présente que, finalement, elles ne
pourraient pas être retenues. Ce serait en effet une satisfaction bien modeste
pour une assemblée aussi haute que la vôtre d'adopter à un moment donné des
amendements tout en sachant qu'ils ne pourront pas être introduits dans le
texte définitif. Je préférerais, m'inscrivant dans une tradition de
collaboration avec le Sénat dont je me réjouis, que nous limitions les
amendements à ceux qui peuvent être pris en compte, afin d'améliorer ensemble
un texte dont notre système financier a bien besoin.
(Applaudissements sur
les travées socialistes. - M. Gérard Delfau applaudit également.)
M. le président.
Nous passons à la discussion des articles.
PREMIÈRE PARTIE
DE LA RÉFORME DES CAISSES D'ÉPARGNE
Division et articles additionnels avant le titre Ier