Séance du 29 avril 1999






SOMMAIRE


PRÉSIDENCE DE M. GÉRARD LARCHER

1. Procès-verbal (p. 0 ).

2. Dépôt du rapport d'une commission d'enquête (p. 1 ).

3. Renforcement et simplification de la coopération intercommunale. - Suite de la discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence (p. 2 ).
M. le président.

Suspension et reprise de la séance (p. 3 )

Article additionnel avant l'article 52 (p. 4 )

Amendement n° 381 de M. Bret. - MM. Thierry Foucaud, Michel Mercier, rapporteur pour avis de la commission des finances ; Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. - Rejet.

Article 52 (p. 5 )

MM. Jean-Pierre Fourcade, Thierry Foucaud.
Amendement n° 189 de M. Michel Mercier, rapporteur pour avis. - MM. le rapporteur pour avis, le ministre, Philippe Marini. - Adoption.
Amendement n° 166 de M. Fréville. - MM. Yves Fréville, le rapporteur pour avis, le ministre. - Retrait.
Amendement n° 163 de M. Fréville. - MM. Yves Fréville, le rapporteur pour avis, le ministre. - Retrait.
Amendements identiques n°s 190 de M. Michel Mercier, rapporteur pour avis, et 382 de M. Bret ; amendements n°s 164 et 165 de M. Fréville. - MM. le rapporteur pour avis, Thierry Foucaud, le ministre. - Retrait des amendements n°s 164 et 165 ; adoption des amendements n°s 190 et 382.
Adoption de l'article modifié.

Article additionnel après l'article 52 (p. 6 )

Amendement n° 173 de M. Fréville. - Retrait.

Article 53. - Adoption (p. 7 )

Article 54 (p. 8 )

Amendement n° 191 de M. Michel Mercier, rapporteur pour avis. - Adoption.
Amendement n° 530 du Gouvernement. - MM. le ministre, le rapporteur pour avis. - Adoption.
Amendements n°s 192 et 193 de M. Michel Mercier, rapporteur pour avis. - MM. le rapporteur pour avis, le ministre. - Adoption des deux amendements.
Adoption de l'article modifié.

Article 55. - Adoption (p. 9 )

Article 56 (p. 10 )

Amendements n°s 401 de M. Bourdin, 194 à 196 de M. Michel Mercier, rapporteur pour avis ; 465, 462 rectifié de M. Fréville, 531 du Gouvernement et 262 rectifié à 264 de M. François. - MM. Joël Bourdin, le rapporteur pour avis, Yves Fréville, le ministre, Philippe François. - Retrait des amendements n°s 401 et 465 ; adoption des amendements n°s 194 à 196, 466 rectifié, 531 et 262 rectifié à 264.
Adoption de l'article modifié.

Article additionnel après l'article 56 (p. 11 )

Amendement n° 299 rectifié bis de M. Fréville. - MM. Yves Fréville, le rapporteur pour avis, le ministre. - Adoption de l'amendement insérant un article additionnel.

Article 56 bis (p. 12 )

Amendement n° 575 du Gouvernement. - Adoption.
Adoption de l'article modifié.

Article 57 (p. 13 )

M. Jean-Pierre Fourcade, Mme Marie-Claude Beaudeau.
Amendements n°s 265 rectifié bis à 268 rectifié bis de M. Braye, 197 et 198 de M. Michel Mercier, rapporteur pour avis. - MM. Dominique Braye, le rapporteur pour avis, Jacques Larché, président de la commission des lois, le ministre Jean-Claude Peyronnet, Paul Girod, Daniel Hoeffel, rapporteur de la commission des lois ; Yves Fréville, Jean-Patrick Courtois, Jean-Pierre Fourcade, Mme Marie-Claude Beaudeau.

Suspension et reprise de la séance (p. 14 )

MM. Dominique Braye, le rapporteur pour avis, le ministre. - Retrait des amendements n°s 265 rectifié bis et 268 rectifié bis ; adoption des amendements n°s 197, 266 rectifié bis et 198, l'amendement n° 267 rectifié bis devenant sans objet.
Adoption de l'article 57 modifié.

Suspension et reprise de la séance (p. 15 )

PRÉSIDENCE DE M. CHRISTIAN PONCELET

4. Questions d'actualité au Gouvernement sur la situation au Kosovo (p. 16 ).
M. le président.
MM. Henri Weber, Serge Vinçon, Yvon Collin, Ivan Renar, Jean Arthuis, Michel Pelchat, Philippe Adnot.
M. Lionel Jospin, Premier ministre.

Suspension et reprise de la séance (p. 17 )

5. Rappel au règlement (p. 18 ).
M. Henri de Raincourt, Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice.

6. Cour pénale internationale. - Adoption d'un projet de loi constitutionnelle (p. 19 ).
Discussion générale : Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice.

PRÉSIDENCE DE M. GÉRARD LARCHER

MM. Robert Badinter, rapporteur de la commission des lois ; Jacques Larché, président de la commission des lois ; Georges Othily, Patrice Gélard, Michel Duffour, Guy Allouche, Jean-Jacques Hyest, André Dulait.
Mme le garde des sceaux.
Clôture de la discussion générale.

Article unique (p. 20 )

M. Emmanuel Hamel.
Adoption, par scrutin public, de l'article unique du projet de loi constitutionnelle.

7. Convention sur la lutte contre la corruption d'agents publics étrangers. - Adoption d'un projet de loi (p. 21 ).
Discussion générale : Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice ; M. Christian de La Malène, rapporteur de la commission des affaires étrangères.
Clôture de la discussion générale.
Adoption de l'article unique du projet de loi.

8. Conventions relatives à la protection des intérêts financiers des communautés européennes. - Adoption de cinq projets de loi (p. 22 ).
Discussion générale : Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice ; M. Christian de La Malène, rapporteur de la commission des affaires étrangères ; Mme Danielle Bidart-Reydet.
Clôture de la discussion générale.
Adoption des articles uniques des cinq projets de loi.

9. Modification de l'ordre du jour (p. 23 ).

10. Dépôt d'une proposition de loi (p. 24 ).

11. Dépôt d'un rapport (p. 25 ).

12. Dépôt d'un rapport d'information (p. 26 ).

13. Ordre du jour (p. 27 ).



COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. GÉRARD LARCHER
vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

1

PROCÈS-VERBAL

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

2

DÉPÔT DU RAPPORT
D'UNE COMMISSION D'ENQUÊTE

M. le président. M. le président a reçu de MM. Francis Grignon, Jean-Claude Carle et André Vallet un rapport fait au nom de la commission d'enquête sur la situation et la gestion des personnels des écoles et des établissements d'enseignement du second degré ainsi que de ceux des services centraux et extérieurs des ministères de l'éducation nationale et de l'agriculture, pour l'enseignement agricole, créée en vertu d'une résolution adoptée par le Sénat le 5 novembre 1998.
Ce dépôt a été publié au Journal officiel - édition des Lois et décrets d'aujourd'hui, jeudi 29 avril 1999. Cette publication constitue, conformément au paragraphe III du chapitre V de l'instruction générale du bureau, le point de départ du délai de six jours nets pendant lequel la demande de constitution du Sénat en comité secret peut être formulée.
Ce rapport sera imprimé sous le n° 328 et distribué, sauf si le Sénat, constitué en comité secret, décide, par un vote spécial, de ne pas autoriser la publication de tout ou partie du rapport.

3

RENFORCEMENT ET SIMPLIFICATION
DE LA COOPÉRATION INTERCOMMUNALE

Suite de la discussion d'un projet de loi
déclaré d'urgence

M. le président. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi (n° 220, 1998-1999), adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale. [Rapport n° 281 et avis n° 283 (1998-1999).]
La commission des lois m'a fait savoir qu'elle avait besoin d'une dizaine de minutes pour examiner les amendements, je vais donc suspendre la séance pour lui permettre d'achever ses travaux.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à neuf heures trente-cinq, est reprise à neuf heures quarante-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.
Dans la suite de la discussion des articles, nous en sommes parvenus à l'amendement n° 381 tendant à insérer un article additionnel avant l'article 52.

Article additionnel avant l'article 52



M. le président.
Par amendement n° 381, MM. Bret, Foucaud et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent d'insérer, avant l'article 52, un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - L'article 1636 B sexies du code général des impôts est ainsi rédigé :
« Art. 1636 B sexies. - Sous réserve des dispositions des articles 1636 B septies et 1636 B decies , les conseils régionaux autres que celui de la région d'Ile-de-France, les conseils généraux, les conseils municipaux et les instances délibérantes des organismes de coopération intercommunale dotés d'une fiscalité propre votent chaque année les taux des taxes foncières, de la taxe d'habitation et de la taxe professionnelle. »
« II. - Dans le I de l'article 1636 B septies du même code, les mots : "deux fois et demie" sont remplacés par les mots : "deux fois".
« III. - Dans le IV du même article, les mots : "deux fois" sont remplacés par les mots : "deux fois et demie".
« IV. - Les droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts sont relevés à due concurrence. »
La parole est à M. Foucaud.
M. Thierry Foucaud. Cet amendement tendant à insérer un article additionnel avant l'article 52 du projet de loi reprend l'une des propositions les plus anciennes de notre groupe en matière de fiscalité locale, à savoir celle de la libre fixation des taux d'imposition pour les assemblées délibérantes des collectivités locales.
Cette disposition est contenue dans une proposition de loi déjà ancienne que notre groupe a déposée et dont le rapporteur pour avis avait, en son temps, été nommé rapporteur par la commission des finances.
Elle vise, dans les faits, à donner un sens, en matière de décision fiscale, au principe de libre administration des collectivités territoriales.
Il nous apparaît nécessaire que, dans le cadre suffisamment précis offert par l'article 1636 B septies du code général des impôts, toute liberté puisse être laissée aux collectivités locales et à leurs structures de coopération intercommunales pour déterminer les taux d'imposition appliqués aux quatre taxes locales.
M. le président. Quel est l'avis de la commission des finances ?
M. Michel Mercier, rapporteur pour avis de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. L'amendement que vient de soutenir M. Foucaud tend à organiser une déliaison totale des taux des impôts locaux entre eux, à restreindre les possibilités d'augmenter les taxes qui pèsent sur les ménages et à élargir les possibilités d'augmentation de la taxe professionnelle.
Il n'est pas besoin d'explication supplémentaire pour justifier l'avis défavorable de la commission.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Monsieur Foucaud, le dispositif que vous proposez ferait courir un risque non négligeable. En effet, si l'écart des taux entre communes s'accroît, les entreprises opéreront des délocalisatisations vers les communes où les taux de taxe professionnelle sont les plus stables. Les ménages devront alors faire face à la hausse de la pression fiscale.
Le Gouvernement est donc défavorable à cet amendement.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 381, repoussé par la commission des finances et par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Article 52



M. le président.
« Art. 52. _ L'article 1636 B decies du code général des impôts est ainsi rédigé :
« Art. 1636 B decies . _ I. _ Les communes membres d'une communauté ou d'un syndicat d'agglomération nouvelle mentionnés à l'article 1609 nonies B ou d'un établissement public de coopération intercommunale soumis aux dispositions de l'article 1609 nonies C votent les taux des taxes foncières et de la taxe d'habitation, conformément aux dispositions applicables aux communes.
« II. _ La communauté ou le syndicat d'agglomération nouvelle visés à l'article 1609 nonies B ou les établissements publics de coopération intercommunale visés soit au I de l'article 1609 nonies C, soit au II de l'article 1609 quinquies C votent le taux de la taxe professionnelle dans les limites définies au b du 1, ainsi qu'aux 2 et 3 du I de l'article 1636 B sexies et à l'article 1636 B septies .
« Toutefois, l'obligation de diminuer le taux de taxe professionnelle dans une proportion au moins égale, soit à la diminution du taux de la taxe d'habitation ou à celle du taux moyen pondéré de la taxe d'habitation et des taxes foncières, soit à la plus importante de ces diminutions lorsque ces deux taux sont en baisse, prévue au b du 1 du I de l'article 1636 B sexies, ne s'applique pas.
« Pour l'application du b du I, ainsi que des 2 et 3 du I de l'article 1636 B sexies :
« 1° Le taux de la taxe d'habitation est égal au taux moyen de cette taxe constaté dans l'ensemble des communes membres de l'établissement public de coopération intercommunale ;
« 2° Le taux moyen pondéré de la taxe d'habitation et des taxes foncières est égal à la somme des taux moyens constatés pour chacune de ces taxes dans l'ensemble des communes membres de l'établissement public de coopération intercommunale pondérés par l'importance relative des bases de ces trois taxes pour l'année visée au 3° ; toutefois, pour l'application du 3 du I de l'article 1636 B sexies, pour le calcul des taux moyens pondérés constatés pour chacune de ces taxes, il n'est pas tenu compte des taux inférieurs aux trois quarts du taux moyen pondéré des communes membres du groupement constaté pour chaque taxe l'année précédente ;
« 3° La variation des taux définis aux 1° et 2° est celle constatée l'année précédant celle au titre de laquelle l'établissement public de coopération intercommunale vote son taux de taxe professionnelle ou celui applicable dans la zone d'activités économiques.
« III. _ Pour l'application du 3 du I de l'article 1636 B sexies, le taux de taxe professionnelle à prendre en compte correspond au taux moyen national constaté pour cette taxe l'année précédente pour les communes et leurs établissements publics de coopération intercommunale.
« IV. _ Les établissements publics de coopération intercommunale visés au I de l'article 1609 nonies C votent le taux de taxe professionnelle dans les limites définies au b du 1, ainsi qu'aux 2 et 3 du I de l'article 1636 B sexies et à l'article 1636 B septies .
« Pour l'application du b du 1 ainsi que des 2 et 3 du I de l'article 1636 B sexies précité :
« 1° Le taux de la taxe d'habitation est égal au taux moyen pondéré de cette taxe constaté dans l'ensemble des communes membres ; pour le calcul de ce taux, il est tenu compte du produit perçu par l'établissement public de coopération intercommunale ;
« 2° Le taux moyen pondéré de la taxe d'habitation et des taxes foncières est égal à la somme des taux moyens constatés pour chacune de ces taxes dans l'ensemble des communes membres pondérés par l'importance relative des bases de ces trois taxes pour l'année ; pour le calcul de ce taux, il est tenu compte des produits perçus par l'établissement public de coopération intercommunale. »
Sur l'article, la parole est à M. Fourcade.
M. Jean-Pierre Fourcade. Monsieur le ministre, mes collègues du groupe du RDSE, notamment M. Pelletier, m'ont chargé de vous interroger sur vos intentions concernant la déliaison des quatre taux des impôts locaux.
C'est un sujet dont on parle beaucoup dans les assemblées de maires.
En effet, le mécanisme rigide qui prévaut pour la détermination des taux des quatre taxes constitue évidemment une atteinte à l'autonomie des collectivités locales. Lorsque les collectivités de base se lanceront dans la création de groupements, l'addition des mécanismes de taux rigides au niveau du groupement et des mécanismes de taux rigides au niveau de chaque collectivité posera un certain nombre de problèmes.
Le Gouvernement envisage-t-il à terme, une fois que l'expérience aura commencé à se concrétiser sur le terrain, de modifier le régime de l'article 1636 B sexies du code général des impôts de manière à donner un peu plus de souplesse soit au niveau des communes de base, soit au niveau du groupement ? Il s'agit non pas de faire porter l'ensemble de l'effort sur la taxe professionnelle, mais d'instituer un système de tunnel fixant un minimum et un maximum.
Les assemblées locales disposeraient ainsi d'un peu plus d'autonomie pour mieux maîtriser leur politique fiscale et l'accorder à ce qui se passe effectivement sur le terrain.
Je vous remercie par avance de votre réponse, monsieur le ministre.
M. le président. Sur l'article, la parole est à M. Foucaud.
M. Thierry Foucaud. Je me devais, moi aussi, d'intervenir au nom de mon groupe sur cet article 52 portant sur une question qui nous est posée depuis de longues années et dont nous venons de rappeler les termes dans notre amendement n° 381 : celle de l'encadrement de la liberté de fixation des taux des impôts directs locaux par les assemblées délibérantes des collectivités territoriales.
Cette question semble, avec cet article du projet de loi, devoir trouver une nouvelle réponse.
Le débat que nous venons d'avoir sur l'amendement n° 381 illustre la position de fond que nous avons depuis longtemps et que la commission des finances partage quant au constat : le principe de libre administration des collectivités territoriales, principe fondamental et préliminaire du code général des collectivités territoriales, souffre en effet des dispositions par trop restrictives des articles 1636 B sexies et 1633 B septies du code général des impôts.
La déliaison des taux pose en fait deux séries de questions.
Première série de questions : cette déliaison tend à rendre aux collectivités locales, et plus précisément à leurs groupements, une faculté de fixation des taux de la taxe professionnelle qui est leur ressource essentielle. On ne peut d'ailleurs que regretter que cette faculté ne soit pas généralisée.
En effet, si les établissements publics de coopération intercommunale sont les seuls à bénéficier de cette possibilité nouvelle de fixation des taux, cela constitue une incitation complémentaire au développement des structures intercommunales.
On peut comprendre le processus à partir du caractère exclusif des ressources des nouveaux EPCI, mais cela nous amènera à nous interroger sur la portée de la fiscalité mixte, et cela caractérise encore plus profondément la nature de ce projet de loi : il s'agit de proposer le second volet de la réforme de la taxe professionnelle engagée dans le cadre de la loi de finances.
La seconde série de questions soulevées par l'article 52 est assez pertinemment relevée par la commission des finances.
Il s'agit d'un problème que nous connaissons : qui doit participer au financement de l'intercommunalité et, de façon plus générale, au financement des collectivités territoriales ?
Sensible à certains arguments, notamment à ceux des responsables des chambres consulaires, qui mènent campagne depuis le début de la discussion de ce projet de loi contre la déliaison à la hausse, la commission des finances du Sénat nous propose, pour sa part, de limiter celle-ci.
Pour autant, rien ne nous semble justifier aujourd'hui une telle orientation.
C'est ainsi que l'intéressante publication que sont les « notes bleues » du ministère de l'économie et des finances nous indique que les taux de la taxe d'habitation et des taxes foncières ont crû de façon plus importante que les taux de la taxe professionnelle. Par exemple, le taux de la taxe sur le foncier bâti a augmenté de cinq points supplémentaires en cinq ans.
Quand on examine ensuite le problème de la contribution réelle des contribuables, on observe que, si le mouvement général de hausse des produits est de 6 %, il est de 8,6 % pour le foncier bâti et de 4,8 % seulement pour la taxe professionnelle.
La réalité est claire : il n'y a pas objectivement de croissance spectaculaire de la taxe professionnelle, d'autant que la part de la taxe acquittée en définitive par l'Etat est en progression constante - le plafonnement valeur ajoutée est passé de 18,6 milliards de francs en 1993 à 37 milliards de francs en 1997. Il y a donc lieu de s'interroger plutôt sur un processus de mise à contribution effective des entreprises au financement des collectivités territoriales, mais j'y reviendrai plus tard.
Nous ne voterons donc pas les amendements proposés par la commission des finances à l'article 52, tout en constatant que cet article ne fait qu'apporter des réponses partielles et donc imparfaites au problème de la liberté fiscale des collectivités territoriales.
M. le président. Par amendement n° 189, M. Michel Mercier, au nom de la commission des finances, propose de compléter le deuxième alinéa du II du texte présenté par l'article 52 pour l'article 1636 B decies du code général des impôts par une phrase ainsi rédigée : « Lorsque l'établissement public de coopération intercommunale fait application de cette disposition au titre d'une année, la variation à la hausse du taux de taxe d'habitation ou du taux moyen pondéré de la taxe d'habitation et des taxes foncières à prendre en compte pour la détermination du taux de taxe professionnelle conformément au deuxième alinéa du b du 1 du I de l'article 1636 B sexies est réduite de moitié pendant les trois années suivantes. »
La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Michel Mercier, rapporteur pour avis. Cet amendement est relatif aux règles à établir en matière de liaison des taux des quatre impôts locaux.
La liaison stricte a toujours été perçue comme infantilisante par les élus locaux. En effet, elle leur enlève toute responsabilité dans le système.
Elle repose sur l'idée saugrenue que les élus locaux seraient hostiles à l'entreprise et qu'ils seraient prêts à taxer celle-ci pour décharger les ménages. On se demande bien, aujourd'hui, quels élus pourraient avoir une telle position !
En outre, avec le mécanisme de taxe professionnelle unique, la règle de liaison des taux confine parfois à l'absurde, puisque le taux de taxe professionnelle n'est pas voté par la même structure que les taux des trois autres taxes directes locales.
Pour garantir les ressources du groupement, il faut donc que la taxe professionnelle ne baisse pas, même si les communes membres décident de baisser les taux des trois autres taxes des ménages, pour des raisons qui sont propres aux communes.
Il faut donc organiser ce que l'on appelle techniquement et de façon un peu triviale la « déliaison à la baisse ». Cette déliaison est nécessaire, mais il ne faudrait pas que, par les effets pervers de bribes de liaison demeurant dans notre système fiscal, les communes puissent, grâce à la déliaison à la baisse, faire du « yoyo fiscal » en baissant fortement, une année, les taux de leurs taxes locales directes, sans pour autant baisser la taxe professionnelle. L'année suivante, elles pourraient remonter les taux de leurs taxes sur les ménages un peu moins fortement que la baisse de l'année précédente, ce qui entraînerait automatiquement une hausse de la taxe professionnelle sans augmentation des prélèvements sur les ménages.
L'amendement n° 189 vise à éliminer cette possibilité ; il rétablit pleinement, en matière de vote des taux, la responsabilité des élus locaux.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. M. Mercier proposant de rétablir le texte initial du Gouvernement, je ne peux qu'être favorable à son amendement.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 189.
M. Philippe Marini. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Marini.
M. Philippe Marini. Je me réjouis de l'avis favorable donné par le Gouvernement ; cela montre, sur un sujet extrêmement précis et expérimental concernant la conduite des collectivités territoriales, l'utilité des travaux menés au sein de la Haute Assemblée, notamment par la commission des finances. Ici, monsieur le ministre, vous n'avez pas de sacrifice à faire à certains éléments de votre majorité plurielle, ce qui vous permet d'approcher les choses de manière plus raisonnable, plus équilibrée, comme nous le préconisons ! (Protestations sur les travées socialistes.)
M. le rapporteur pour avis a très justement fait valoir que la déliaison à la baisse permettant d'alléger la charge des ménages et des propriétaires individuels peut se traduire l'année suivante, si l'on n'utilise pas le mécanisme amortisseur qu'il préconise, par une revalorisation proportionnelle de tous les taux avec, par conséquent, une pression fiscale sensiblement alourdie sur les entreprises, entraînant des effets pervers pour le tissu économique et pour l'emploi.
Je pense que, tout en respectant pleinement la liberté de gestion des collectivités territoriales, l'amendement qu'il propose permettrait d'éliminer les effets pervers qui pourraient apparaître, peut-être, en certains endroits.
Cet amendement me semble donc aller tout à fait dans le bon sens ; je souhaite qu'il soit très largement voté.
M. Jean-Pierre Fourcade. Très bien !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 189, accepté par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Par amendement n° 166, M. Fréville et les membres du groupe de l'Union centriste proposent, dans l'avant-dernier alinéa (2°) du II du texte présenté par l'article 52 pour l'article 1636 B decies du code général des impôts, après les mots : « année visée au 3° », de supprimer la fin de la phrase.
La parole est à M. Fréville.
M. Yves Fréville. Il s'agit d'un dispositif qui a été inventé à l'Assemblée nationale pour permettre à un certain nombre de communautés d'agglomération ou d'EPCI de profiter de la majoration de 5 % exceptionnelle du taux de la taxe professionnelle. Pour que ce mécanisme puisse jouer, l'Assemblée nationale a souhaité que, dans le calcul des taux moyens pondérés, il ne soit pas tenu compte des taux inférieurs aux trois quarts du taux moyen pondéré des communes membres. En remontant le taux moyen de cette façon, on permettrait à certains groupements de bénéficier de cette majoration exceptionnelle.
Si l'application de cette disposition était limitée à la première année, celle-ci serait peut-être acceptable. Mais j'ai un doute quant au caractère glissant du mécanisme.
En effet, si l'on élimine, la pemière année, un certain nombre de communes du calcul du taux moyen pondéré du groupement - car c'est très précisément à cette motion qu'il est fait référence dans le texte tel qu'il nous vient de l'Assemblée nationale - on va faire remonter ce taux moyen et on va donc pouvoir majorer à nouveau le taux de la taxe professionnelle.
Le taux moyen du groupement ayant augmenté, l'année suivante, de nouvelles communes pourront être éliminées, et ainsi de suite, ce qui permettra de bénéficier à plusieurs reprises de cette possibilité de majoration exceptionnelle.
Je ne maintiendrai cet amendement que si l'on m'assure que ce mécanisme glissant n'existe pas et que le taux moyen du groupement est toujours calculé sans élimination des communes qui ont des taux inférieurs aux trois quarts du taux moyen pondéré.
M. le président. Quel est l'avis de la commission des finances ?
M. Michel Mercier, rapporteur pour avis. Il faut d'abord préciser qu'il n'y a pas suppression de la liaison des taux à la hausse. Nous venons de la supprimer à la baisse mais, à la hausse, il y a simplement la possibilité d'une majoration exceptionnelle encadrée. Le Gouvernement avait entrouvert cette faculté, qui a été très légèrement élargie par l'Assemblée nationale.
Quoi qu'il en soit, le calcul est refait chaque année : il n'y a pas de mécanisme glissant. C'est en tout cas ainsi que nous lisons le texte. Si le Gouvernement confirme que notre lecture est la bonne, nous serons pleinement satisfaits par le retrait de l'amendement de M. Fréville.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Je dirai à M. Fréville que, s'il était bon d'introduire un très modeste assouplissement pour des communes qui sont socialement très « chargées » et qui ne peuvent absolument pas agir sur le taux de la taxe professionnelle en raison du taux déjà très élevé des impôts sur les ménages, comme le disait M. Michel Mercier, il ne faut pas « infantiliser » les responsables et les élus locaux : il convient de leur donner quelques marges de souplesse et de leur faire confiance.
M. le président. Monsieur Fréville, l'amendement n° 166 est-il maintenu ?
M. Yves Fréville. Je vais le retirer, monsieur le président, sans être pour autant convaincu.
Il est indiqué dans le texte qu'il n'est pas tenu compte des taux inférieurs aux trois quarts du taux moyen pondéré des communes membres du groupement constaté pour chaque taxe l'année précédente. Si, chaque année, certaines communes sont éliminées, le taux moyen s'élèvera et les communes pourront bénéficier à plusieurs reprises de cette majoration qui sera non plus exceptionnelle mais renouvellée d'année en année.
Je crois que l'interprétation du rapporteur pour avis de la commission des finances est juste ; cependant, elle ne me paraît pas correspondre à la lettre du texte qui nous vient de l'Assemblée nationale.
Cette remarque étant faite, je retire l'amendement.
M. le président. L'amendement n° 166 est retiré.
Par amendement n° 163, M. Fréville et les membres du groupe de l'Union centriste proposent, dans le dernier aliéna (3°) du II du texte présenté par l'article 52 pour l'article 1636 B decies du code général des impôts, de supprimer les mots : « précédant celle ».
La parole est à M. Fréville.
M. Yves Fréville. Cet amendement vise à résoudre un problème que j'ai observé dans mon département, lequel compte tout de même douze communautés de communes appliquant la taxe professionnelle unique.
Ce problème, c'est celui du décalage d'une année existant entre le vote des taux d'imposition sur les ménages par les communes et celui de la taxe professionnelle par l'EPCI. Ce décalage est très gênant parce que, si l'on veut, par exemple, augmenter le taux de la taxe professionnelle - je ne dis pas que c'est souhaitable ! - il faut que les communes aient prédéterminé un an auparavant l'augmentation des taux des impôts-ménages.
En outre, le contexte économique peut varier considérablement d'une année sur l'autre.
En tout état de cause, l'intégration des résultats du recensement dans les calculs de la DGF modifiera certainement les données.
Dès lors qu'il existe une certaine coordination entre les différents élus des communes et l'EPCI, il me paraîtrait beaucoup plus simple de supprimer ce délai d'un an et de faire en sorte que l'EPCI vote le taux de la taxe professionnelle quinze jours après le vote des taux des impôts-ménages. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle cet amendement est complété par un autre amendement qui vise à accorder un délai de quinze jours supplémentaires à l'EPCI pour voter son taux de taxe professionnelle.
On éviterait ainsi de façon très simple le décalage d'un an et toutes les difficultés qui sont apparues au cours des années récentes du fait de ce décalage. Cette proposition me paraît de bons sens.
M. le président. Quel est l'avis de la commission des finances ?
M. Michel Mercier, rapporteur pour avis. La question que soulève notre collègue M. Fréville est une vraie question.
D'abord, cet amendement montre bien que le groupement est dans une situation de relative dépendance à l'égard des communes membres pour voter son budget. Cet aspect peut être satisfaisant d'un certain point de vue : il marque la permanence de la commune. Toutefois, dès lors que l'on veut ériger la taxe professionnelle en impôt unique de l'intercommunalité, il devient gênant, voire très gênant.
Sur le fond, ensuite, je crois que M. Fréville a tout à fait raison, et je serais prêt à donner un avis favorable sur son amendement. Je crois cependant qu'il nous faut envisager les aspects pratiques. C'est pourquoi, avant de formuler un avis définitif, je souhaiterais entendre le Gouvernement pour savoir si, grâce aux techniques modernes, notamment l'informatique, il ne serait pas possible de faire en sorte que soit communiqué au groupement le vote émis par les communes membres du groupement quinze jours auparavant.
M. le président. Quel est donc l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Je réponds à M. Mercier en même temps qu'à M. Fréville : ce serait très compliqué et très contraignant puisque les communes, d'une part, et l'EPCI, d'autre part, devraient avoir nécessairement des calendriers différents pour le vote de leurs budgets et de leurs taux respectifs. En particulier, une date limite devrait être imposée aux communes, un délai précis étant ensuite imparti à l'EPCI pour voter son budget.
Le mieux est l'ennemi du bien. Cet exercice compliquerait inutilement la procédure budgétaire en nécessitant un phasage de celle-ci, qui rendrait finalement très difficile le contrôle de la légalité des taux. Ce délai d'un an, qui n'est tout de même pas excessif, permet d'y voir clair tout en évitant d'enfermer les élus locaux dans des contraintes de calendrier dont ils souhaitent très souvent s'échapper.
Le Gouvernement est, par conséquent, défavorable à l'amendement n° 163.
M. le président. Quel est, maintenant, l'avis de la commission des finances ?
M. Michel Mercier, rapporteur pour avis. Sur ce sujet très technique, le Gouvernement nous avoue qu'il n'est pas en mesure de faire fonctionner plus rapidement l'administration, et je le regrette vivement.
M. Jean-Pierre Chevènement, ministère de l'intérieur. C'est plutôt aux élus que nous ne voulons pas demander de travailler plus rapidement.
M. Michel Mercier, rapporteur pour avis. Non, les élus ont fait leur travail ! Ils attendent que l'administration leur transmette les décisions que, à un autre niveau, ils ont déjà prises : les communes ont voté leur budget, elles l'ont transmis et, en tant que membres du groupement, elles attendent qu'on le leur retransmette.
Si le Gouvernement nous dit que c'est impossible, je ne peux qu'inviter notre collègue Yves Fréville à retirer son amendement. Nous constatons que la « démarche qualité », le souci de la performance ou la réforme de l'Etat restent d'actualité !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Les communes ont jusqu'au 30 mars pour voter leur budget. Si elles le votent le vendredi 28 au soir, comment réglez-vous cette difficulté ? Pour ma part, je n'ai pas la solution ! Je vous l'ai dit : le mieux est l'ennemi du bien. Il faut quand même laisser une certaine souplesse !
Je crois à la réforme de l'Etat...
M. Philippe Marini. Elle avance !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur... mais elle ne nous oblige pas à prendre des dispositions inapplicables.
M. le président. Monsieur Fréville, l'amendement est-il maintenu ?
M. Yves Fréville. Naturellement, je ne vais pas essayer de faire voter un tel amendement qui ne serait pas accepté par le Gouvernement, maître de l'administration. Mais il me paraît à la fois souhaitable et possible, monsieur le ministre, de faire étudier ce vrai problème par vos services et de trouver les moyens de le résoudre.
Si l'on décidait tout simplement que, dans le cas des ECPI à taxe professionnelle unique, il faut avancer de quinze jours le vote du budget pour les communes, ou le retarder de quinze jours pour les EPCI, on parviendrait nécessairement à une solution, j'en suis convaincu.
Bien entendu, je retire mon amendement, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 163 est retiré.
Je suis maintenant saisi de quatre amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Les deux premiers sont identiques.
L'amendement n° 190 est présenté par M. Michel Mercier, au nom de la commission des finances.
L'amendement n° 382 est déposé par MM. Bret, Foucaud et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
Tous deux tendent à supprimer le IV du texte proposé par l'article 52 pour l'article 1636 B decies du code général des impôts.
Par amendement n° 164, M. Fréville et les membres du groupe de l'Union centriste proposent, dans l'avant-dernier alinéa (1°) du IV du texte présenté par cet article pour l'article 1636 B decies du code général des impôts, de remplacer les mots : « produit perçu » par les mots : « taux voté la même année ».
Par amendement n° 165, M. Fréville et les membres du groupe de l'Union centriste proposent, dans le dernier alinéa (2°) du IV du texte présenté par l'article 52 pour l'article 1636 B decies du code général des impôts, de remplacer les mots : « produits perçus » par les mots : « taux votés la même année ».
La parole est à M. le rapporteur pour avis, pour défendre l'amendement n° 190.
M. Michel Mercier, rapporteur pour avis. Nos avons organisé la déliaison des taux. Cependant, il ne faut pas que, lorsqu'un groupement a décidé de recourir à la fiscalité mixte, il puisse, du fait de cette décision, augmenter hors de proportion le taux de l'impôt. Il ne faut pas que le recours à la fiscalité mixte ait des effets inflationnistes par le biais de la taxe professionnelle.
Tel est le sens de cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Foucaud, pour défendre l'amendement n° 382.
M. Thierry Foucaud. Le paragraphe IV du présent article est la conséquence logique, en termes d'encadrement des évolutions opérées sur les taux d'imposition, de la faculté de mettre en place une fiscalité mixte pour les impôts normalement dus par les ménages.
Nous ne sommes pas partisans de tels dispositifs, dont la conséquence nécessaire sera l'accroissement de la pression fiscale pesant sur les redevables de la taxe d'habitation et des taxes foncières. Des études récentes, dont la presse s'est fait largement l'écho, ont prouvé que cette pression fiscale avait augmenté de manière plus importante que celle qui frappe les entreprises au travers de la taxe professionnelle.
Suivant en cela la logique de nos positions, nous vous proposons de supprimer cet élément de l'article 52, d'autant que nous avons, à travers un amendement portant article additionnel avant l'article 52, marqué notre inclination pour un autre mode d'encadrement et de fixation des taux d'imposition.
M. le président. La parole est à M. Fréville pour présenter les amendements n°s 164 et 165.
M. Yves Fréville. Je les retire, monsieur le président.
M. le président. Les amendements n°s 164 et 165 sont retirés.
Quel est l'avis de la commission des finances sur l'amendement n° 382 ?
M. Michel Mercier, rapporteur pour avis. Comme vient de le rappeler M. Foucaud, cet amendement participe à la mise en oeuvre d'un principe auquel les membres de son groupe sont attachés, à savoir le refus de la fiscalité mixte.
Dans la mesure où, avec le Gouvernement et l'Assemblée nationale, la commission des finances accepte le principe de la fiscalité mixte, elle ne peut approuver la démarche qui a conduit au dépôt de cet amendement.
Au demeurant, dans la forme, l'amendement n° 190 de la commission doit donner satisfaction à M. Foucaud, tout en reposant sur d'autres bases.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements identiques n°s 190 et 382 ?
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Favorable.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix les amendements identiques n°s 190 et 382, acceptés par le Gouvernement.

(Ces amendements sont adoptés.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 52, modifié.

(L'article 52 est adopté.)

Article additionnel après l'article 52



M. le président.
Par amendement n° 173, M. Fréville et les membres du groupe de l'Union centriste proposent d'insérer, après l'article 52, un article additionnel ainsi rédigé :
« L'article 1639 A du code général des impôts est complété, in fine, par un alinéa ainsi rédigé :
« Les dates limites visées ci-dessus sont reportées de quinze jours pour les établissements publics de coopération intercommunale votant leurs taux suivant les dispositions de l'article 1636 B decies . »
La parole est à M. Fréville.
M. Yves Fréville. Je retire cet amendement, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 173 est retiré.

Article 53



M. le président.
« Art. 53. _ L'article 1639 A ter du code général des impôts est ainsi modifié :
« 1° Le II est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Les établissements publics de coopération intercommunale faisant application du régime prévu au II de l'article 1609 quinquies C qui optent pour le régime prévu à l'article 1609 nonies C ou deviennent soumis à ce régime doivent, dans le cas où des délibérations différentes étaient appliquées hors de la zone d'activités économiques et dans la zone d'activités économiques, antérieurement à la décision les plaçant sous le régime de l'article 1609 nonies C, prendre une délibération précisant les délibérations applicables sur l'ensemble de leur territoire. Cette délibération doit retenir le régime appliqué soit dans la zone d'activités économiques, soit hors de la zone d'activités économiques. Elle doit être prise lors de la décision de l'établissement public de coopération intercommunale le plaçant sous le régime de l'article 1609 nonies C ; à défaut, les délibérations en vigueur hors de la zone d'activités sont applicables. » ;
« 2° Le III est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsqu'un établissement public de coopération intercommunale, faisant application du régime prévu au II de l'article 1609 quinquies C, opte pour le régime prévu à l'article 1609 nonies C ou devient soumis à ce régime :
« _ les exonérations applicables antérieurement à la modification du régime hors de la zone d'activités économiques en exécution des délibérations des conseils des communes membres ou de l'établissement public de coopération intercommunale sont applicables dans les conditions prévues au premier alinéa ;
« _ les exonérations applicables antérieurement à la modification du régime dans la zone d'activités économiques sont maintenues pour la quotité et la durée initialement prévues. Les dispositions du premier alinéa sont maintenues lorsqu'elles étaient appliquées antérieurement à la modification du régime fiscal de l'établissement public de coopération intercommunale. » - (Adopté.)

Article 54



M. le président.
« Art. 54. _ I. _ Le II bis de l'article 1411 du code général des impôts est ainsi modifié :
« 1° Au premier alinéa, les mots : ", les communautés urbaines et les districts, les organes délibérants de ces collectivités et groupements" sont remplacés par les mots : "et les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre, les organes délibérants de ces collectivités et établissements publics" ;
« 2° Au deuxième alinéa, les mots : ", de la communauté urbaine ou du district" sont remplacés par les mots : "ou de l'établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre".
« II. _ Le deuxième alinéa du II de l'article 1518 du code général des impôts est ainsi modifié :
« 1° Dans la première phrase, les mots : "de leurs groupements (communautés urbaines ou districts)" sont remplacés par les mots : "des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre" ;
« 2° A la deuxième phrase, les mots : "des communautés urbaines et des districts" sont remplacés par les mots : "des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre".
« III. _ Au deuxième alinéa de l'article 1609 quater du code général des impôts, les mots : "des syndicats de communes ou des districts" sont remplacés par les mots : "ou des établissements publics de coopération intercommunale".
« IV. _ Au premier alinéa de l'article 1609 nonies D du code général des impôts, les mots : "communautés de villes" sont remplacés par les mots : "communautés d'agglomération".
« V. _ A l'article 1636 B sexies du code général des impôts, les mots : "groupement" et "groupement de communes" sont remplacés par les mots : "établissement public de coopération intercommunale" et les mots : "groupements" et "groupements de communes" sont remplacés par les mots : "établissements publics de coopération intercommunale."
« VI. _ L'article 1636 B nonies du code général des impôts est ainsi modifié :
« 1° Le début de cet article est ainsi rédigé : "Dans les communautés urbaines et, jusqu'à l'expiration d'un délai de six mois après le renouvellement général des conseils municipaux, à compter de la date de publication de la loi n° du relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale, dans les districts à fiscalité propre... (le reste sans changement) ." ;
« 2° A la fin de la première phrase, les mots : "le groupement" sont remplacés par les mots : "l'établissement public de coopération intercommunale".
« VII. _ L'article 1638 quater du code général des impôts est ainsi modifié :
« 1° Dans le premier alinéa du I, après les mots : "En cas de rattachement", sont insérés les mots : "volontaire ou suite à une transformation dans les conditions prévues à l'article L. 5211-41-1 du code général des collectivités territoriales" ;
« 2° Le mot : "groupement" est remplacé par les mots : "établissement public de coopération intercommunale" et le mot : "groupements" est remplacé par les mots : "établissements publics de coopération intercommunale" ;
« 3° Le dernier alinéa du a du I est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Le conseil de l'établissement public de coopération intercommunale peut, par une délibération adoptée à la majorité des deux tiers de ses membres, modifier la durée de la période de réduction des écarts de taux résultant des dispositions visées ci-dessus, sans que cette durée puisse excéder douze ans. » ;
« 4° Après le III, sont insérés deux paragraphes ainsi rédigés :
« IV. _ En cas de rattachement volontaire ou suite à une transformation dans les conditions prévues à l'article L. 5211-41-1 du code général des collectivités territoriales d'une commune à un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité additionnelle, l'assemblée délibérante vote les taux de taxe d'habitation, de foncier bâti, de foncier non bâti et de taxe professionnelle dans les conditions prévues à l'article 1636 B sexies .
« V. _ Dans le délai de trois ans à compter de la publication de la loi n° du relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale, ou lors du renouvellement selon la procédure prévue aux articles L. 5215-40-1 et L. 5216-10 du code général des collectivités territoriales, les dispositions du I, du II et du III du présent article sont également applicables aux communes faisant l'objet d'un rattachement à une communauté urbaine ou à une communauté d'agglomération dont le périmètre est étendu en application des articles précités. »
« VIII. _ Au deuxième alinéa du I et au III de l'article 1639 A ter du code général des impôts, les mots : "d'une communauté de villes" et "de la communauté de villes" sont remplacés par les mots : "d'un établissement public de coopération intercommunale soumis aux dispositions fiscales prévues à l'article 1609 nonies C".
« IX. _ A l'article 1648 A du code général des impôts, le mot : "groupement" et les mots : "groupement de communes" sont remplacés par les mots : "établissement public de coopération intercommunale" ; le mot : "groupements" et les mots : "groupements de communes" sont remplacés par les mots : "établissements publics de coopération intercommunale". »
Par amendement n° 191, M. Michel Mercier, au nom de la commission des finances, propose de rédiger ainsi le III de cet article :
« III. - Au deuxième alinéa de l'article 1609 quater du code général des impôts, les mots : "de syndicats de communes ou de districts" sont remplacés par les mots : "et d'établissements publics de coopération intercommunale". »
La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Michel Mercier, rapporteur pour avis. Il s'agit d'un amendement de nature purement rédactionnelle.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Favorable.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 191, accepté par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Par amendement n° 530, le Gouvernement propose, dans le 1° du VI de l'article 54, de remplacer les mots : « d'un délai de six mois » par les mots : « du délai d'un an ».
La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. L'Assemblée nationale a porté à un an après le renouvellement des conseils municipaux le délai de transformation des districts. Il est donc nécessaire d'harmoniser les dispositions fiscales.
M. le président. Quel est l'avis de la commission des finances ?
M. Michel Mercier, rapporteur pour avis. Favorable.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 530, accepté par la commission des finances.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Je suis maintenant saisi de deux amendements présentés par M. Michel Mercier, au nom de la commission des finances.
L'amendement n° 192 tend à supprimer le deuxième alinéa (1°) du VII de l'article 54.
L'amendement n° 193 vise, dans le deuxième alinéa du 4° du VII de l'article 54, à supprimer les mots : « volontaire ou suite à une transformation dans les conditions prévues à l'article L. 5211-41-1 du code général des collectivités territoriales ».
La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Michel Mercier, rapporteur pour avis. L'amendement n° 192 a pour objet de tirer les conséquences de la décision prise par la Haute Assemblée de supprimer, à l'invitation de la commission des lois, les possibilités d'extensions dérogatoires du périmètre des groupements.
Cette explication vaut également pour l'amendement n° 193.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 192 et 193 ?
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Logique avec la position que j'ai déjà exprimée, je m'en remets à la sagesse du Sénat sur ces deux amendements.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 192, pour lequel le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 193, pour lequel le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 54, modifié.

(L'article 54 est adopté.)

Article 55



M. le président.
« Art. 55. _ I. _ Dans la sous-section 1 "Dispositions générales" de la section 6 "Dispositions financières" du chapitre 1er du titre II du livre II du code général des collectivités territoriales, l'article L. 5211-27 est renuméroté L. 5211-21 et est ainsi modifié :
« 1° Dans le premier alinéa, la référence : "L. 5211-30" est remplacée par la référence : "L. 5211-24" et les mots : ", sauf si l'une des communes s'y oppose" sont supprimés ;
« 2° Les deuxième et quatrième alinéas sont supprimés.
« II. _ Aux articles L. 3333-1 et L. 5722-6 du code général des collectivités territoriales, la référence à l'article L. 5211-27 est remplacée par la référence à l'article L. 5211-21.
« III. _ Au c de l'article 1609 nonies D du code général des impôts, la référence : "L. 5211-27" est remplacée par la référence : "L. 5211-21." ». - Adopté.)

Section 2

Fonds départementaux de péréquation
de la taxe professionnelle

Article 56



M. le président.
« Art. 56. _ L'article 1648 A du code général des impôts est ainsi modifié :
« 1° Le I ter est ainsi rédigé :
« I ter. _ 1. Lorsque, dans un établissement public de coopération intercommunale ayant opté pour le régime fiscal prévu au II de l'article 1609 quinquies C, les bases d'imposition d'un établissement implanté dans la zone d'activités économiques, rapportées au nombre d'habitants de la commune sur le territoire de laquelle est situé l'établissement, excèdent deux fois la moyenne nationale des bases communales de taxe professionnelle par habitant, il est perçu directement un prélèvement de taxe professionnelle du groupement au profit du fonds départemental de péréquation de la taxe professionnelle.
« Ce prélèvement est égal au montant des bases excédentaires de l'établissement pondérées par le taux de taxe professionnelle perçue par le groupement sur la zone d'activités économiques.
« 2. a) Lorsque, dans un établissement public de coopération intercommunale soumis de plein droit ou après option au régime fiscal prévu à l'article 1609 nonies C, les bases d'imposition d'un établissement rapportées au nombre d'habitants de la commune sur le territoire de laquelle est situé cet établissement excèdent deux fois la moyenne nationale des bases communales de taxe professionnelle par habitant, il est perçu directement un prélèvement de taxe professionnelle du groupement au profit du fonds départemental de péréquation de la taxe professionnelle. Pour les établissements créés avant le 1er janvier 1976, à l'exception de ceux produisant de l'énergie ou traitant des combustibles, l'assiette du prélèvement est limitée de manière que le groupement conserve, sur le territoire de la commune sur lequel est implanté l'établissement, au moins 80 % du montant divisé par 0,960 des bases de taxe professionnelle qui étaient imposables en 1979 au profit de cette commune. Pour les établissements publics de coopération intercommunale résultant de la transformation d'un groupement de communes mentionné au troisième alinéa du I, l'assiette du prélèvement, au profit du fonds, sur les bases du groupement qui se substitue à une commune qui bénéficiait des dispositions du troisième alinéa du I, est diminuée, à compter de la date de la transformation, du montant de la réduction de bases qui était accordée à cette commune l'année précédant la perception de la taxe professionnelle en application du régime fiscal prévu à l'article 1609 nonies C par l'établissement public de coopération intercommunale issu de la transformation.
« Ce prélèvement est égal au montant des bases excédentaires de l'établissement pondérées par le taux de taxe professionnelle perçue par le groupement.
« b) A compter de la date de publication de la loi n° du relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale, les établissements publics de coopération intercommunale, soumis de plein droit ou après option au régime fiscal prévu au 1° du I de l'article 1609 nonies C ne font plus l'objet d'un prélèvement direct de taxe professionnelle au profit du fonds départemental de péréquation de la taxe professionnelle dans les conditions prévues au présent article.
« Toutefois, verront leurs ressources fiscales diminuées chaque année d'un prélèvement égal au produit de l'écrêtement intervenu l'année précédant l'application de l'alinéa précédent :
« _ les établissements publics de coopération intercommunale soumis au régime du 1° du I de l'article 1609 nonies C et qui faisaient l'objet l'année précédente d'un écrêtement au profit du fonds départemental de péréquation de la taxe professionnelle au titre du 1, du a ou du I quater ;
« _ les établissements publics de coopération intercommunale soumis au régime du 1° du I de l'article 1609 nonies C et sur le territoire desquels une ou plusieurs communes membres faisaient l'objet l'année de sa constitution ou de son option pour le régime précité d'un écrêtement au profit du fonds départemental de péréquation de la taxe professionnelle au titre du I.
« Les prélèvements prévus au b sont versés aux fonds départementaux de péréquation de la taxe professionnelle. Les montants de ces prélèvements peuvent être augmentés dans la limite de l'accroissement d'une année sur l'autre des taux et des bases de l'établissement qui faisaient l'objet d'un écrêtement avant la transformation de l'établissement public de coopération intercommunale en communauté urbaine ou en communauté d'agglomération, sous réserve de délibérations concordantes entre l'établissement public de coopération intercommunale concerné et le conseil général du département d'implantation de l'établissement ou, le cas échéant, entre l'établissement public de coopération intercommunale concerné et la commission interdépartementale visée au II.
« En cas de cessation d'activité de l'établissement ayant donné lieu à écrêtement ou lorsque le montant du produit de taxe professionnelle correspondant à l'établissement devient inférieur au montant du prélèvement, tel qu'il a été fixé pour la première année d'application, le prélèvement est supprimé.
« Lorsque le montant du produit de taxe professionnelle correspondant à l'établissement diminue par rapport à celui de l'année d'adoption du régime du 1° du I de l'article 1609 nonies C mais qu'il reste supérieur au montant du prélèvement, tel qu'il a été fixé pour la première année d'application, le montant du prélèvement est réduit dans la même proportion.
« Pour l'application des deux alinéas précédents, le montant du produit de taxe professionnelle correspondant à l'établissement est égal pour l'année considérée au produit des bases de taxe professionnelle de l'établissement par le taux voté l'année précédente par l'établissement public de coopération intercommunale. » ;
« 2° Le I quater est ainsi rédigé :
« I quater . _ Pour les communautés de communes, lorsque les bases d'imposition d'un établissement rapportées au nombre d'habitants de la commune sur le territoire de laquelle est situé l'établissement excèdent deux fois la moyenne nationale des bases de taxe professionnelle par habitant, il est perçu directement un prélèvement au profit du fonds départemental de péréquation de la taxe professionnelle égal au produit du montant des bases excédentaires par le taux de taxe professionnelle de la communauté de communes.
« Pour les districts créés après la date de promulgation de la loi n° 92-125 du 6 février 1992 d'orientation relative à l'administration territoriale de la République, lorsque les bases d'imposition d'un établissement rapportées au nombre d'habitants de la commune sur le territoire de laquelle est situé l'établissement excèdent deux fois la moyenne nationale des bases de taxe professionnelle par habitant, il est perçu directement un prélèvement au profit du fonds départemental de péréquation de la taxe professionnelle égal au produit du montant des bases excédentaires par le taux de taxe professionnelle du district. Ces dispositions s'appliquent jusqu'à l'expiration d'un délai de six mois après le renouvellement général des conseils municipaux suivant la date de publication de la loi n° du précitée.
« Pour les districts créés avant la date de promulgation de la loi n° 92-125 du 6 février 1992 précitée et jusqu'à l'expiration d'un délai de six mois après le renouvellement général des conseils municipaux suivant la date de publication de la loi n° du précitée, le prélèvement mentionné au deuxième alinéa est égal au produit du montant des bases excédentaires par la différence, lorsqu'elle est positive, entre le taux voté par le district l'année considérée et le taux voté en 1998.
« Pour les communautés de communes issues de districts créés avant la date de promulgation de la loi n° 92-125 du 6 février 1992 précitée et à compter de l'expiration d'un délai de six mois après le renouvellement général des conseils municipaux suivant la date de publication de la loi n° du précitée, le troisième alinéa reste applicable. » ;
« 3° Le deuxième alinéa du 2° du IV bis est ainsi rédigé :
« A compter du 1er janvier 1999, le prélèvement au profit de l'établissement public de coopération intercommunale dont les bases ont été écrêtées ou qui a subi un prélèvement au titre du troisième alinéa du b du 2 du I ter est fixé à 30 % au moins et 60 % au plus du montant de l'écrêtement. » ;
« 4° Le I quinquies est ainsi rédigé :
« I quinquies . _ La moyenne des bases de taxe professionnelle par habitant à retenir pour l'application en Corse des I, 1 et 2 ( a ) du I ter et I quater est multipliée par 0,75. » ;
« 5° Dans le troisième alinéa du II, après les mots : "écrêtement des bases communales", sont insérés les mots : "ou le prélèvement prévu au b du 2 du I ter " et, après les mots : "du montant de l'écrêtement", sont insérés les mots : "ou du prélèvement prévu au quatrième alinéa du b du 2 du I ter " ;
« 6° Le IV bis est ainsi modifié :
« a) Dans le premier alinéa du 1°, après les mots : "alimentée par", sont insérés les mots : "le prélèvement prévu au b du 2 du I ter ou", après les mots : "dont les bases ont été écrêtées", sont insérés les mots : "ou qui a subi un prélèvement au titre du troisième alinéa du b du 2 du I ter " et, après les mots : "du montant de l'écrêtement", sont insérés les mots : "ou du prélèvement" ;
« b) Dans la première phrase du premier alinéa du 2°, après les mots : "du fonds alimenté", sont insérés les mots : "par le prélèvement prévu au b du 2 du I ter ou" et, après les mots : "ont été écrêtées", sont insérés les mots : "ou qui a subi un prélèvement au titre du troisième alinéa du b du 2 du I ter " ;
« c) Au début du troisième alinéa du 2°, après les mots : "le cas où l'écrêtement", sont insérés les mots : "ou le prélèvement prévu au b du 2 du I ter " et cet alinéa est complété par les mots : "ou le prélèvement prévu au troisième alinéa du b du 2 du I ter ". »
Sur cet article, je suis saisi de dix amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 401, M. Bourdin et les membres du groupe des Républicains et Indépendants proposent de supprimer cet article.
Les deux amendements suivants sont présentés par M. Michel Mercier, au nom de la commission des finances.
L'amendement n° 194, vise à insérer, après le premier alinéa de l'article 56, un nouvel alinéa ainsi rédigé :
« 1° A. - Après le troisième alinéa du I de l'article 1648 A du code général des impôts, il est inséré un nouvel alinéa ainsi rédigé :
« La réduction appliquée aux bases des communes bénéficiant des dispositions de l'alinéa précédent est maintenue en cas de transformation, à compter de la date de publication de la loi n° du relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale, du groupement auquel elles appartiennent en établissement public de coopération intercommunale à fiscalité additionnelle. Son montant est réduit de 10 % par an à compter de la date de la transformation. »
L'amendement n° 195 a pour objet, dans la dernière phrase du cinquième alinéa 2 a de l'article 56, après les mots : « au troisième alinéa du I », d'insérer les mots : « , postérieure à la date de publication de la loi n° du relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale ».
Par l'amendement n° 465, M. Fréville propose de rédiger ainsi la fin de la seconde phrase du septième alinéa du 2 du texte présenté par le 1° de l'article 56 pour le I ter de l'article 1648 A du code général des impôts : « ... département d'implantation de l'établissement sur proposition, le cas échéant, de la commission interdépartementale visée au II ».
Par amendement n° 196, M. Michel Mercier, au nom de la commission des finances, propose, à la fin de la seconde phrase du onzième alinéa de l'article 56, de remplacer les mots : « la commission interdépartementale visée au II » par les mots : « les conseils généraux des départements concernés. »
Par l'amendement n° 466, M. Fréville propose de rédiger comme suit l'antépénultième alinéa du 2 du texte présenté par le 1° de l'article 56 pour le I ter de l'article 1648 A du code général des impôts :
« En cas de cessation d'activité de l'établissement ayant donné lieu à écrêtement, le prélèvement est supprimé. Lorsque le montant du produit de la taxe professionnelle correspondant à l'établissement devient inférieur au montant du prélèvement tel qu'il a été fixé pour la première année d'application, le prélèvement est réduit d'un montant assurant à l'établissement un produit de taxe professionnelle après prélèvement égal à celui dont il bénéficiait la première année d'application. »
Par amendement n° 531, le Gouvernement propose, dans la seconde phrase du troisième alinéa et dans les quatrième et cinquième alinéas du 2° de l'article 56, de remplacer les mots : « d'un délai de six mois » par les mots : « du délai d'un an ».
Par amendement n° 262 rectifié, MM. François, Courtois, Braye, Cornu, Dufaut, Eckenspieller, Esneu, Fournier, Lassourd, Oudin, Vasselle, Doublet et les membres du groupe du Rassemblement pour la République proposent, dans le second alinéa du 3° de l'article 56, de remplacer le millésime : « 1999 » par le millésime : « 2000 ».
Les deux derniers amendements sont présentés par M. François.
L'amendement n° 263 tend à compléter le second alinéa du 3° de l'article 56 par les mots : « , pour les groupements créés après le 31 décembre 1992 ».
L'amendement n° 264 a pour objet d'insérer, après le deuxième alinéa a) du 6° de l'article 56, cinq alinéas ainsi rédigés :
« ...) Après le premier alinéa du 1°, sont insérés quatre alinéas ainsi rédigés :
« A compter de l'entrée en vigueur de la loi n° du relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale, le conseil général ou, le cas échéant, la commission interdépartementale visée au II prélève, par priorité, au profit des groupements issus d'un établissement public de coopération intercommunale faisant application des dispositions du II de l'article 1609 quinquies C, un montant égal à celui prélevé l'année précédant l'application du régime fiscal prévu au I de l'article 1609 nonies C.
« Ce montant peut être augmenté dans la limite de l'accroissement d'une année sur l'autre du produit de l'établissement qui faisait l'objet d'un écrêtement avant l'application du régime fiscal prévu au I de l'article 1609 nonies C, sous réserve de délibérations concordantes entre l'établissement public de coopération intercommunale concerné et le conseil général du département d'implantation de l'établissement ou, le cas échéant, entre l'établissement public de coopération intercommunale concerné et la commission interdépartementale.
« En cas de cessation d'activité de l'établissement ayant donné lieu à écrêtement ou si les bases d'imposition de cet établissement n'excédent plus le seuil fixé au I de l'article 1648 A, le prélèvement au profit de l'établissement public de coopération intercommunale est supprimé.
« Lorsque le montant du produit de taxe professionnelle correspondant à l'établissement diminue par rapport à celui de l'année d'adoption du régime fiscal du I de l'article 1609 nonies C, le montant du prélèvement au profit de l'établissement public de coopération intercommunale est réduit dans la même proportion. »
La parole est à M. Bourdin, pour présenter l'amendement n° 401.
M. Joël Bourdin. L'article 56 est important. Le fonctionnement des fonds départementaux de péréquation de la taxe professionnelle est de plus en plus complexe, parfois ambigu, qu'il s'agisse de leurs ressources ou des affectations auxquelles ils doivent procéder. La vocation de ces fonds, qui est d'organiser la péréquation, est sans cesse contrariée.
Ainsi, des groupements n'avaient pour objet que d'éviter l'écrêtement. De même, des scissions d'entreprises ont été opérées afin d'éviter des prélèvements. Il est donc nécessaire de s'interroger sur ce point, et c'est d'ailleurs l'engagement qu'a pris le Gouvernement en prévoyant dans la loi de finances pour 1999 le dépôt d'un rapport sur ce sujet.
Comme l'article 56 crée des complications supplémentaires, le groupe des Républicains et Indépendants s'est demandé s'il n'était pas possible d'attendre la publication de ce rapport pour « nettoyer », en quelque sorte, le système de la péréquation. C'est pourquoi nous proposons la suppression de l'article 56.
Je profite d'ailleurs de l'occasion qui m'est donnée pour dire, devant M. le président du Comité des finances locales, qui s'est réuni en février dernier, que cette question doit nous amener également à réfléchir sur la complexité du fonctionnement des fonds nationaux de péréquation : c'est Beaubourg, mais en moins beau ! (Sourires.)
M. Philippe Marini. C'est une question de goût !
M. Joël Bourdin. Il est donc nécessaire de s'attaquer à ces problèmes.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis, pour présenter les amendements n°s 194 et 195.
M. Michel Mercier, rapporteur pour avis. Par l'amendement n° 194, la commission des finances propose de parfaire un système qui a été ébauché par l'Assemblée nationale et qui reprend d'ailleurs une disposition figurant dans le texte que M. Perben avait envisagé de présenter au Parlement.
Cet amendement a donc pour objet de faciliter la transformation de syndicats de communes en groupements à fiscalité propre. En effet, de nombreux syndicats ne peuvent pas se transformer car, si l'un de leurs membres bénéficie, pour le calcul de son écrêtement au profit du fonds départemental de péréquation de la taxe professionnelle d'une réduction de base d'un montant équivalent à celui de sa contribution au syndicat, il perdrait cet avantage en cas de transformation.
L'Assemblée nationale a adopté un amendement pour résoudre le problème en cas de transformation du groupement en communauté de communes à taxe professionnelle unique ; par l'amendement n° 194, nous proposons de résoudre le problème en cas de transformation du groupement en communauté de communes à fiscalité additionnelle.
Quant à l'amendement n° 195, il tend à apporter une précision. Il modifie l'amendement adopté par l'Assemblée nationale relatif à la transformation de syndicat en groupement à taxe professionnelle unique. Il précise que cette disposition ne s'applique qu'aux transformations postérieures à l'entrée en vigueur du présent projet de loi.
M. le président. La parole est à M. Fréville, pour défendre l'amendement n° 465.
M. Yves Fréville. L'article 56 est très important. En effet, il prévoit essentiellement la suppression des fonds départementaux dans les communautés d'agglomération et dans les communautés urbaines qui adoptent la taxe professionnelle unique.
Ce débat est récurrent ; il était déjà apparu en 1992, en 1993 puis en 1996. En 1993, si mes souvenirs sont exacts, un rapport du Gouvernement avait fait le point sur le sujet.
L'importance du sujet se traduit dans les chiffres : les fonds départementaux représentent environ 3 milliards de francs, les dix principaux étant évalués, à eux seuls, à près de 1 milliard de francs.
Actuellement, un seul fonds est directement concerné par le projet de loi, celui du département d'Ille-et-Vilaine puisqu'il est le seul à être situé dans un district ayant opté pour la taxe professionnelle unique.
En fait, deux logiques se sont opposées au cours de ces très longues discussions qui se sont étalées sur quatre ans.
La première était une logique de péréquation : dans le cas d'un établissement dit « exceptionnel » ayant, par exemple, 10 000 salariés répartis dans un bassin d'emplois recouvrant 400 communes - dans mon département, il s'étend sur la Loire-Atlantique, les Côtes-d'Armor et le Morbihan - il est tout à fait logique d'opérer une péréquation de la taxe professionnelle exceptionnelle entre toutes les communes.
En sens inverse, la seconde logique consistait à dire que, dans la mesure où existe maintenant la taxe professionnelle unique, il est normal que l'écrêtement soit non plus calculé sur la base de la population de la commune d'implantation, mais en fonction de la population de l'agglomération tout entière.
Telles étaient les deux logiques en présence et il était bien naturel d'hésiter entre les deux.
Au fur et à mesure de l'apparition de ce problème et lors de la discussion à l'Assemblée nationale, on a compris qu'il n'était pas possible d'accepter une logique plutôt qu'une autre et qu'il fallait au fond trouver une sorte de compromis. L'Assemblée nationale en a trouvé un pour les fonds départementaux à taxe professionnelle unique. Il consiste à dire que les districts ou les communautés d'agglomération à taxe professionnelle unique continueront à verser aux fonds départementaux ce qu'ils versaient avant la promulgation de la loi dont nous débattons aujourd'hui.
Quant au partage des ressources supplémentaires, des discussions pourraient se nouer entre la commission interdépartementale ou le conseil général qui gère le fonds départemental, d'une part, et l'organisme intercommunal, d'autre part. Laisser les acteurs négocier, lorsque cela est possible, est une solution tout à fait conforme à l'esprit de la décentralisation.
Il est donc souhaitable de maintenir en l'état la proposition de l'Assemblée nationale concernant les fonds situés dans les communautés d'agglomération et les communautés urbaines à taxe professionnelle unique.
Reste un point de détail qui est l'objet de mon amendement. Dans la mesure où une négociation va s'engager, sous quelle forme celle-ci doit-elle avoir lieu, lorsque plusieurs départements sont concernés ?
La solution proposée par l'Assemblée nationale et tendant à instaurer une discussion entre la commission interdépartementale, au sein de laquelle siègent sept représentants de chaque conseil général, et l'organisme délibérant du district me satisfaisait. Il m'a été dit qu'il était juridiquement impossible de la mettre en oeuvre. Je souhaiterais en avoir la confirmation. Si l'on m'indiquait qu'elle est applicable juridiquement, je retirerais mon amendement.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis, pour présenter l'amendement n° 196.
M. Michel Mercier, rapporteur pour avis. Cet amendement, de nature essentiellement rédactionnelle, précise que, dans un fonds départemental de péréquation de la taxe professionnelle qui s'occupe, en quelque sorte, des écrêtements concernant plusieurs départements, le montant du prélèvement doit être modifié non pas par la commission interdépartementale, car elle n'est pas juridiquement habilitée à signer les conventions, mais par l'ensemble des conseils généraux concernés.
M. le président. La parole est à M. Fréville, pour défendre l'amendement n° 466.
M. Yves Fréville. Il s'agit de déterminer le prélèvement qui sera versé par l'EPCI à taxe professionnelle unique au fonds départemental en cas de réduction du produit de la taxe professionnelle.
Estimant que le projet de loi contient une disposition illogique, j'ai essayé de trouver une solution. Il me paraissait en effet anormal qu'une simple réduction des bases de la taxe professionnelle de l'établissement écrêté puisse conduire à la suppression de tout reversement de l'EPCI au fonds départemental.
M. le président. La parole est à M. le ministre, pour présenter l'amendement n° 531.
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Cet amendement tend à porter de six mois à un an le délai de transformation des groupements existants.
M. le président. La parole est à M. François, pour défendre les amendements n°s 262 rectifié, 263 et 264.
M. Philippe François. S'agissant de l'amendement n° 262 rectifié, il convient de reporter au 1er janvier 2000 la date à compter de laquelle s'effectue le prélèvement au profit de l'EPCI dont les bases ont été écrêtées, selon les proportions fixées par le projet de loi, à savoir 30 % au moins et 60 % au plus du montant de l'écrêtement. La date du 1er janvier 1999 adoptée par l'Assemblée nationale aurait un caractère rétroactif particulièrement pénalisant.
La date de promulgation de la présente loi sera nécessairement postérieure à la date limite d'adoption des budgets des EPCI, fixée au 31 mars. Il convient donc de reporter la date au début de l'an prochain.
Quant à l'amendement n° 263, l'article 56 tend notamment à simplifier le régime des prélèvements prioritaires figurant à l'article 1648 A du code général des impôts, en ne différenciant plus les groupements à fiscalité additionnelle selon qu'ils ont été créés avant ou après le 31 décembre 1992.
Par cet amendement nous proposons que l'unification du prélèvement, dans une fourchette comprise entre 30 % au moins et 60 % au plus, ne s'applique qu'aux groupements créés postérieurement à la promulgation de la loi ATR, le 31 décembre 1992.
A défaut, nombre de districts préexistants, et appelés à se transformer en communautés de communes en vertu de l'article 34 du présent projet de loi, subiraient un grave préjudice financier, alors qu'ils ont été précurseurs dans le domaine de l'intercommunalité de projet et d'intégration fiscale à l'échelon intercommunal. Un cas que je connais bien remonte déjà à vingt-cinq ans.
J'en viens à l'amendement n° 264. L'écrêtement précédemment pratiqué est remplacé dans l'article 56 par un prélèvement opéré sur la base de l'écrêtement pratiqué l'année précédant le passage du groupement au régime de la TPU sur option ou par obligation légale. Cet amendement prévoit que les groupements antérieurement soumis au régime de la TPZ, la taxe professionnelle de zone, qui optent pour la TPU continuent de percevoir un reversement prioritaire des fonds départementaux de péréquation de la taxe professionnelle, pour un montant égal à celui qu'ils ont perçu l'année précédant l'application du régime de la TPU. Il prévoit de surcroît, pour les années suivantes, l'évolution du montant de ce prélèvement proportionnellement aux ressources des fonds départementaux sur les établissements concernés.
En l'absence de cette mesure, les groupements pénalisés sur le plan financier n'adopteraient pas le régime de la TPU, laquelle constitue pourtant l'un des objectifs prioritaires du présent projet de loi.
M. le président. Quel est l'avis de la commission des finances sur les amendements n°s 401, 465, 466, 531, 262 rectifié, 263 et 264 ?
M. Michel Mercier, rapporteur pour avis. S'agissant de l'amendement n° 401, force est de reconnaître que l'analyse de M. Bourdin est pertinente. Un rapport sur la réforme des fonds départementaux de la taxe professionnelle doit être déposé par le Gouvernement d'ici à l'automne. Effectuer une restructuration de ces fonds avant de savoir ce que sera la réforme elle-même peut sembler aberrant. Cependant, il faut entendre l'article 56 du projet de loi comme un ensemble de dispositions qui visent temporairement et avant l'application de la réforme à permettre l'adoption de la taxe professionnelle unique tout en maintenant le statu quo pour les fonds départementaux. Aussi, la commission des finances ne peut qu'inviter M. Bourdin à retirer cet amendement, sachant qu'il obtiendra probablement satisfaction dans le projet de loi de finances pour l'an 2000.
En ce qui concerne l'amendement n° 465, j'ai déjà répondu à M. Fréville en présentant l'amendement n° 196. Nous visons le même objet. L'amendement n° 196 respecte chaque département. Aussi, j'invite M. Fréville à se rallier à cette position afin de permettre au fonds départemental de l'Ille-et-Vilaine de bien fonctionner.
Quant à l'amendement n° 466, nous ne pouvonsqu'émettre un avis favorable, sous réserve d'une simple modification rédactionnelle. Il convient en effet de remplacer le mot : « établissement » par le mot « entreprise » lorsqu'il s'agit d'une entreprise et, quand on vise l'établissement, de préciser qu'il s'agit d'un établissement public de coopération intercommunale.
La commission des finances est favorable à l'amendement n° 531.
Elle est également favorable à l'amendement n° 262 rectifié, qui tend à ne pas modifier les prévisions de recettes en fonction desquelles ont été réalisés les budgets communaux pour 1999.
L'amendement n° 263 participe de l'esprit même de l'article 56, à savoir permettre le choix de la taxe professionnelle unique sans bouleverser quoi que ce soit jusqu'à l'intervention de la réforme des fonds départementaux. La commission émet donc un avis favorable.
L'amendement n° 264 est un amendement d'appel. Le projet de loi gèle le montant du prélèvement des groupements lorsqu'ils se transforment en communautés d'agglomération ou en communautés urbaines à taxe professionnelle unique. En revanche, le texte n'est pas clair s'agissant du retour des fonds vers les groupements écrêtés. Or les taux de retour sont compris entre 20 % et 30 % pour les groupements à taxe professionnelle unique et entre 30 % et 60 %, voire entre les deux tiers et les trois quarts, pour les groupements à fiscalité additionnelle.
Cet amendement vise, selon nous, à geler le taux de retour en cas de transformation d'un groupement à fiscalité additionnelle en groupement à taxe professionnelle unique. Nous souhaitons connaître l'interprétation de ce texte par le Gouvernement. En fonction de cela, soit M. François aura déjà satisfaction, soit nous lui donnerons satisfaction.
M. le président. Monsieur Fréville, acceptez-vous de rectifier votre amendement n° 466 dans le sens proposé par M. le rapporteur pour avis ?
M. Yves Fréville. Je comprends bien la position de M. le rapporteur pour avis. En l'occurrence, le mot « établissement » a deux sens : il peut s'agir d'un établissement public de coopération intercommunale ou d'un établissement exceptionnel. J'avais repris le texte du Gouvernement. Cependant, si M. le rapporteur pour avis en est d'accord, je préférerais la formulation suivante : « En cas de cessation d'activité de l'établissement exceptionnel ayant donné lieu à écrêtement, le prélèvement est supprimé. Lorsque le montant du produit de la taxe professionnelle correspondant à l'établissement exceptionnel devient inférieur au montant du prélèvement tel qu'il a été fixé pour la première année d'application, le prélèvement est réduit d'un montant assurant à l'établissement public de coopération intercommunale... ». (M. le rapporteur pour avis fait un signe d'assentiment.)
M. le président. Je suis donc saisi d'un amendement n° 466 rectifié, présenté par M. Fréville, et tendant à rédiger comme suit l'antépénultième alinéa du 2 du texte proposé par le 1° de l'article 56 pour le I ter de l'article 1648 A du code général des impôts :
« En cas de cessation d'activité de l'établissement exceptionnel ayant donné lieu à écrêtement, le prélèvement est supprimé. Lorsque le montant du produit de la taxe professionnelle correspondant à l'établissement exceptionnel devient inférieur au montant du prélèvement tel qu'il a été fixé pour la première année d'application, le prélèvement est réduit d'un montant assurant à l'établissement public de coopération intercommunale un produit de taxe professionnelle après prélèvement égal à celui dont il bénéficiait la première année d'application. »
Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 401, 194, 195, 465, 196, 466 rectifié, 262 rectifié, 263 et 264 ?
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. En ce qui concerne l'amendement n° 401, je rappellerai à M. Bourdin que les modifications prévues à l'article 56 ne constituent qu'une mesure conservatoire pour les communautés d'agglomération et les communautés urbaines, afin qu'elles ne soient pas pénalisées en termes d'écrêtement lors de leur passage à la taxe professionnelle d'agglomération. Il s'agit donc d'un dispositif transitoire qui permet de ne pas bouleverser le système. Sous réserve de cette explication, je demande à M. Bourdin de bien vouloir retirer cet amendement.
Le Gouvernement émet un avis favorable sur l'amendement n° 194. Cette disposition est en effet complémentaire de celle qui a été adoptée par l'Assemblée nationale pour traiter les mêmes cas, mais elle concerne la transformation des SIVOM en EPCI à taxe professionnelle unique.
Le Gouvernement émet également un avis favorable sur l'amendement n° 195, qui est un amendement de précision.
S'agissant de l'amendement n° 465, je comprends votre souci, monsieur Fréville, mais je préfère l'amendement n° 196 de la commission des finances. En effet, sa rédaction vise les conseils généraux des départements concernés, ce qui constitue une meilleure solution au problème posé par le texte adopté par l'Assemblée nationale, car ainsi tous les conseils généraux seront signataires de la convention, et pas seulement, comme vous le proposez, monsieur Fréville, le conseil général du siège d'implantation de l'établissement écrêté. Aussi, je vous demande, monsieur le sénateur, de retirer votre amendement au profit de l'amendement n° 196.
En ce qui concerne l'amendement n° 466 rectifié, je rappellerai que le texte actuel vise à préserver les groupements qui ont la responsabilité de structurer les agglomérations autour d'un projet économique global, donc à ne pas les pénaliser en termes d'écrêtement alors que la taxe professionnelle constitue leur seule ressource fiscale. Aussi, j'émets un avis défavorable.
Quant à l'amendement n° 262 rectifié, c'est un amendement de précision. Il vise à fixer la date d'entrée en vigueur du prélèvement au 1er janvier 2000, afin d'éviter une application rétroactive. J'émets un avis favorable.
Je suis plutôt défavorable à l'amendement n° 263. En effet, la mesure d'unification pour tous les groupements à fiscalité additionnelle, adoptée par l'Assemblée nationale, s'inscrit dans la cohérence du projet de loi en simplifiant les règles applicables en matière d'intercommunalité.
En ce qui concerne l'amendement n° 264, j'émets un avis défavorable. En effet, la mesure générale que prévoit M. François risquerait de déséquilibrer l'alimentation et la répartition des fonds départementaux de péréquation de la taxe professionnelle dans les zones rurales.
M. le président. Quel est maintenant l'avis de la commission des finances sur l'amendement n° 264 ?
M. Michel Mercier, rapporteur pour avis. Si j'ai bien compris, monsieur le ministre, l'amendement n° 264 vise, selon vous, à supprimer les ressources des fonds départementaux. En fait, tel n'est pas le cas. Il s'agit simplement de geler la situation actuelle jusqu'à la réforme qui interviendra lorsque le Gouvernement le souhaitera. C'est ainsi, en tout cas, que je comprends l'amendement présenté par M. François, à savoir geler la situation existante, et non pas réduire les apports aux fonds départementaux, ni d'ailleurs les retours. Il y a peut-être une incompréhension.
Cet amendement participe de l'esprit de l'article 56 : on gèle la situation et il y aura une réforme lorsque vous nous présenterez le texte adéquat. En attendant, j'émets un avis favorable.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 401.
M. Joël Bourdin. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Bourdin.
M. Joël Bourdin. Monsieur le ministre, je ne suis pas têtu. De surcroît, je suis membre de la commission des finances et il n'est pas dans mon tempérament de désobéir au rapporteur de ladite commission. Je vais donc retirer cet amendement.
Il n'en demeure pas moins qu'il subsiste un problème de fond. En effet, de loi en loi, de texte en texte, on constate que les groupements à fiscalité propre sont amenés à contribuer dans une moindre mesure au fonds ; en tous cas, il en sera ainsi dans l'avenir. On constate également qu'ils bénéficient de plus en plus du fonds. Aussi, je m'interroge depuis sur certains temps sur l'utilité des fonds pour nos communes rurales. N'oublions pas que, ici, nombre d'entre nous représentent des départements ruraux ; or, j'observe que les fonds départementaux destinés à nos communes rurales répartissent des ressources de plus en plus réduites.
J'espère donc que, après que le rapport aura été déposé et que nous aurons obtenu des indications par département, par catégorie de collectivités locales ou d'établissements publics, on remettra tout cela en ordre. En effet, il ne faut pas perdre de vue notre objectif, qui est d'assurer une péréquation tout à fait équitable. Or je crains que les amendements qui seront immanquablement adoptés ne fassent la part belle à certains départements eu égard à leurs structures et à leur mode d'organisation et ne compliquent en revanche le fonctionnement d'autres départements.
Cela étant, je retire mon amendement.
M. le président. L'amendement n° 401 est retiré.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 194, accepté par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 195, accepté par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Monsieur Fréville, l'amendement n° 465 est-il maintenu ?
M. Yves Fréville. Je vais retirer cet amendement, mais je suis pas certain que ce soit la bonne solution. Je préférerais que ni le texte que j'ai soutenu ni le texte de la commission des finances ne soient retenus.
En revanche, la rédaction de l'Assemblée nationale, qui donnait compétence à la commission interdépartementale, me paraissait préférable, et ce pour une raison très simple : la commission interdépartementale est constituée de sept représentants de chaque conseil général à égalité. Puisqu'il y a négociation avec l'EPCI, il était plus simple, à mon avis, que ce soit la commission interdépartementale qui négocie. C'est pourquoi le texte de l'Assemblée nationale me semblait préférable à la fois à mon amendement, que je retire, et à l'amendement de la commission des finances.
M. le président. L'amendement n° 465 est retiré.

Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 196, accepté par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 466 rectifié.
M. Yves Fréville. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Fréville.
M. Yves Fréville. Je n'ai pas compris la position du Gouvernement. J'ai très bien entendu M. le ministre nous dire - d'ailleurs, je partage tout à fait sa position - qu'il ne faut pas que l'EPCI perde de l'argent lorsqu'il y a baisse du produit de la taxe professionnelle du fait d'une diminution des bases.
Mais autant je suis d'accord pour dire que l'EPCI ne doit pas perdre de l'argent, autant je ne suis pas d'accord pour dire qu'il doit en gagner dans cette hypothèse. Or le texte du Gouvernement, tel qu'il est rédigé, le laisserait penser. L'exemple que j'ai pris tout à l'heure montre bien que, en cas de baisse forte de la taxe professionnelle, le prélèvement disparaît au profit du fonds départemental de péréquation de la taxe professionnelle et que l'EPCI voit au contraire ses ressources augmenter considérablement.
Je serais tout à fait prêt à retirer mon amendement si le Gouvernement me disait que mon interprétation est erronée.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 466 rectifié, accepté par la commission des finances et repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 531, accepté par la commission des finances.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 262 rectifié, accepté par la commission des finances et par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 263.
M. Philippe François. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. François.
M. Philippe François. Je pense que l'avis « plutôt défavorable » de M. le ministre n'était pas un avis vraiment défavorable ! Par conséquent, on peut presque le considérer comme favorable ! (Sourires.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 263, accepté par la commission des finances et repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 264.
M. Philippe François. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. François.
M. Philippe François. Je crois avoir saisi, après la très remarquable explication de M. le rapporteur pour avis, que M. le ministre était relativement hésitant (Sourires.) . M. Mercier a même fait remarquer que l'interprétation du Gouvernement sur cet amendement n'était peut-être pas la bonne. Par conséquent, j'insiste pour que le Sénat adopte cet amendement.
M. Yves Fréville. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Fréville.
M. Yves Fréville. Je comprends très bien la proposition de M. François, mais je souhaiterais avoir une précision.
L'amendement n° 264 fait référence aux établissements qui font application des dispositions du II de l'article 1609 quinquies C, c'est-à-dire des établissements qui passeraient du régime de la taxe professionnelle de zone à celui de la taxe professionnelle unique.
S'il s'agit de se rapprocher de ce que l'Assemblée nationale a donné aux établissements qui sont déjà en TPU et qui conserveraient, en passant en communautés d'agglomération, le régime de la TPU, j'y serai naturellement favorable ; mais je serais heureux de savoir si telle est bien l'interprétation que l'on doit donner à ce texte.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 264, accepté par la commission des finances et repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 56, modifié.

(L'article 56 est adopté.)

Article additionnel après l'article 56



M. le président.
Par amendement n° 299, M. Fréville propose d'insérer, après l'article 56, un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - Le deuxième alinéa du I de l'article 1648 A du code général des impôts est complété par les mots suivants : "ou après déduction de l'équivalent en bases du prélèvement versé au fonds départemental de taxe professionnelle au titre du deuxième alinéa du 2 b) du I ter (nouveau). Pour un groupement, la valeur nette des bases de taxe professionnelle est réduite du montant de l'écrêtement corrigé, le cas échéant, du taux du prélèvement reçu au titre du 1° du IV bis ou du deuxième alinéa (nouveau) du 2° du IV bis ". »
« II. - La dotation globale de fonctionnement est majorée à due concurrence.
« La perte de recettes pour l'Etat est compensée à due concurrence par le relèvement des droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts. »
La parole est à M. Fréville.
M. Yves Fréville. Cet amendement assez important vise le calcul du potentiel fiscal des EPCI à TPU qui ne sont plus soumis à l'écrêtement au profit du fonds départemental de péréquation de la taxe professionnelle mais qui continueront à être obligés de verser à ce fonds un prélèvement égal à celui qui existait avant leur passage en communauté d'agglomération.
Ces établissements, lorsqu'ils étaient placés sous le régime de l'écrêtement, voyaient leur potentiel fiscal réduit d'autant. Il est donc tout à fait logique, à mon avis, que, même s'ils ne sont plus placés sous le régime de l'écrêtement, leur potentiel fiscal soit réduit à hauteur du prélèvement qu'ils vont verser au fonds départemental de péréquation de la taxe professionnelle. Telle est la première partie de l'amendement, qui vise le versement du prélèvement et qui me paraît essentielle pour les EPCI.
J'en viens à la seconde partie de l'amendement. Il serait logique, lorsque les établissements reçoivent du fonds départemental de péréquation de la taxe professionnelle un droit de retour qui, dans le cas des établissements placés sous le régime de la taxe professionnelle unique, s'élève de 20 % à 40 % du montant du fonds et, dans le cas des établissements placés en taxe professionnelle de zone, s'élève de 30 % à 60 % ou à 75 %, compte tenu des amendements que nous venons de voter, que leur potentiel fiscal soit majoré des sommes très importantes reçues.
M. le président. Quel est l'avis de la commission des finances ?
M. Michel Mercier, rapporteur pour avis. La commission des finances partage l'avis de M. Fréville. Cet amendement est excellent, et il sera probablement parfait dès lors que M. Fréville aura accepté de le rectifier : compte tenu des positions prises précédemment par la Haute Assemblée, cet amendement, pour avoir un avenir juridique certain, devrait être corrigé par la suppression des mots suivants : « Pour un groupement, la valeur nette des bases de taxe professionnelle est réduite du montant de l'écrêtement corrigé, le cas échéant, du taux du prélèvement reçu au titre du 1° du IV bis ou du deuxième alinéa (nouveau) du 2° du IV bis ». La suppression de cette disposition un peu absconse permettrait d'obtenir un amendement parfait !
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Le Gouvernement est favorable à la première correction envisagée par M. Fréville. S'agissant de la seconde, il se rallie à la position de la commission des finances, telle que M. Mercier vient de la développer.
M. le président. Monsieur Fréville, que pensez-vous de la suggestion de M. le rapporteur pour avis ?
M. Yves Fréville. Je remercie la commission des finances et le Gouvernement d'être d'accord avec la première phrase de mon amendement, qui vise le cas où l'EPCI verse un prélèvement au profit du fonds départemental de la taxe professionnelle.
On me suggère de supprimer la seconde phrase. Monsieur le rapporteur pour avis, il s'agit non pas d'un problème formel mais d'un problème de fond. Depuis un certain amendement Briane, qui a été voté dans les années quatre-vingt-dix, on a supprimé le fait que les collectivités qui perçoivent des sommes du fonds départemental de la taxe professionnelle voient leur potentiel fiscal augmenté. Au fond, la proposition de M. le rapporteur pour avis, à laquelle se rallie le Gouvernement, consiste à continuer à appliquer cette règle, à savoir que tous les organismes, tous les établissements qui perçoivent les ressources des fonds départementaux de péréquation de la taxe professionnelle, lesquelles ressources sont particulièrement importantes dans le cas des retours de 20 % à 40 % ou de 30 % à 60 % ou à 75 % que je citais tout à l'heure, ne verraient pas leur potentiel fiscal augmenté.
Ne voulant pas les pénaliser à mon tour, je réponds positivement à la suggestion de M. le rapporteur pour avis, qui est malgré tout - je dois le dire - inéquitable, et je rectifie mon amendement.
M. le président. Je suis donc saisi d'un amendement n° 299 rectifié, présenté par M. Fréville, et tendant, après l'article 56, à insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - Le deuxième alinéa du I de l'article 1648 A du code général des impôts est complété par les mots suivants : "ou après déduction de l'équivalent en bases du prélèvement versé au fonds départemental de taxe professionnelle au titre du deuxième alinéa du 2 b) du I ter (nouveau)".
« II. - La dotation globale de fonctionnement est majorée à due concurrence.
« La perte de recettes pour l'Etat est compensée à due concurrence par le relèvement des droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts. »
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 299 rectifié.
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Le Gouvernement lève le gage qui n'est pas nécessaire puisque nous travaillons dans une enveloppe fermée.
Monsieur Fréville, la réflexion se poursuivra ; vous en serez tenu informé et nous ne manquerons bien sûr pas de prendre vos conseils.
M. le président. Il s'agit donc de l'amendement n° 299 rectifié bis .
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 299 rectifié bis , accepté par la commission des finances et par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 56.

Article 56 bis



M. le président.
« Art. 56 bis . _ I. _ L'avant-dernier alinéa du IV de l'article 1648 B bis du code général des impôts est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Cette attribution est portée à douze fois l'attribution nationale moyenne par habitant lorsque les communes concernées sont membres d'un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre. »
« II. _ Les pertes éventuelles de recette pour les collectivités locales sont compensées par l'institution à due concurrence d'une taxe additionnelle sur les droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts. »
Par amendement n° 575, le Gouvernement propose de supprimer le II de cet article.
La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Il s'agit simplement de lever un gage prévu pour cet article.
M. le président. Quel est l'avis de la commission des finances ?
M. Michel Mercier, rapporteur pour avis. Favorable.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 575, accepté par la commission des finances.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 56 bis, ainsi modifié.

(L'article 56 bis est adopté.)

Section 3

Fonds de solidarité des communes
de la région d'Ile-de-France

Article 57



M. le président.
« Art. 57. _ L'article L. 2531-13 du code général des collectivités territoriales est ainsi modifié :
« 1° Au premier alinéa, les mots : "par un prélèvement sur les ressources fiscales des communes de la région d'Ile-de-France" sont remplacés par les mots : "par des prélèvements sur les ressources fiscales des communes et des établissements publics de coopération intercommunale de la région d'Ile-de-France" ;
« 2° Au deuxième alinéa, les mots : "sont soumises au prélèvement" sont remplacés par les mots : "I. _ Sont soumises à un premier prélèvement".
« Au neuvième et au onzième alinéa, les mots : "présent article" sont remplacés par les mots : "présent paragraphe" ;
« 3° Après le dernier alinéa, il est ajouté trois paragraphes ainsi rédigés :
« II. _ 1° Sont soumises à un deuxième prélèvement les communes de la région d'Ile-de-France dont les bases totales d'imposition à la taxe professionnelle divisées par le nombre d'habitants excèdent 3,5 fois la moyenne des bases de taxe professionnelle par habitant constatée au niveau national.
« Pour les communes dont le revenu moyen par habitant est supérieur ou égal à 90 % du revenu moyen par habitant des communes de la région d'Ile-de-France, ce prélèvement est égal au produit du taux en vigueur dans la commune par 75 % des bases dépassant le seuil précité.
« Pour les communes dont le revenu moyen par habitant est inférieur à 90 % du revenu moyen par habitant des communes de la région d'Ile-de-France, ce prélèvement est égal au produit du taux en vigueur dans la commune par 75 % des bases dépassant le seuil précité, sans toutefois que son montant puisse excéder celui du prélèvement prévu au I.
« 2° Sont soumis à un prélèvement les établissements publics de coopération intercommunale de la région d'Ile-de-France ayant opté pour les dispositions du II de l'article l609 quinquies C du code général des impôts, dont les bases totales d'imposition à la taxe professionnelle divisées par le nombre d'habitants excèdent 3,5 fois la moyenne des bases de taxe professionnelle par habitant constatée au niveau national. Ce prélèvement est égal au produit du taux de taxe professionnelle de zone en vigueur dans l'établissement public de coopération intercommunale par 75 % des bases dépassant le seuil précité.
« 3° Lorsque la commune ou l'établissement public de coopération intercommunale concernés font également l'objet d'un prélèvement au titre du I de l'article 1648 A du code général des impôts, le prélèvement visé aux 1° et 2° ci-dessus est minoré du montant du prélèvement de l'année précédente au profit du fonds départemental de péréquation de la taxe professionnelle. »



« Le prélèvement opéré en application des 1° et 2° ne peut excéder 10 % du montant des dépenses réelles de fonctionnement de la commune ou de l'établissement public de coopération intercommunale constatées dans le compte administratif afférent au pénultième exercice.
« Le prélèvement fait l'objet d'un plafonnement, à 20 % la première année, à 40 % la deuxième année, à 60 % la troisième année et à 80 % la quatrième année d'application de la loi n° du relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale.
« III. _ Pour l'application du II :
« _ la population à prendre en compte est arrêtée dans les conditions prévues à l'article R. 114-1 du code des communes ;
« _ les bases totales d'imposition retenues sont les bases nettes de taxe professionnelle après exonérations, mais avant écrêtement au profit du fonds départemental de péréquation de la taxe professionnelle ;
« _ le revenu à prendre en compte est le dernier revenu imposable connu.
« IV. _ Un décret en Conseil d'Etat fixe les conditions d'application du présent article. »
Sur l'article, la parole est à M. Fourcade.
M. Jean-Pierre Fourcade. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'article 57 se présente un peu comme une anomalie dans le projet de loi que nous examinons.
En effet, il est bizarre, si l'on veut qu'un certain nombre de communes importantes s'engagent dans la voie de l'intercommunalité, notamment pour créer des communautés d'agglomération, de prévoir une surtaxation de leur capacité qui n'est évidemment pas de nature à les inciter à entrer dans des mécanismes collectifs !
Il existe en Ile-de-France, depuis 1991, un fonds de solidarité qui est alimenté par des communes considérées comme riches et qui est distribué à des communes connaissant des problèmes particuliers et considérées comme pauvres. En 1998, ce fonds de solidarité a ainsi transféré 711 millions de francs. Soixante-quinze communes franciliennes, dont la ville de Paris, ont contribué à la collecte. La répartition a bénéficié à cent trente communes. C'est donc un mécanisme régional de solidarité qui taxe, sur l'ensemble des quatre impôts locaux, les collectivités dont le potentiel fiscal est le double de celui de la moyenne régionale, et j'insiste sur le mot « régionale ».
L'article 57 prévoit de créer un second prélèvement, qui serait limité à la taxe professionnelle pour les collectivités qui ont des bases élevées de taxe professionnelle par habitant.
Alors que nous discutons depuis plusieurs jours - et que nous allons continuer à discuter pendant plusieurs jours - d'une intercommunalité de projet, au profit de laquelle nous essayons de mobiliser des moyens financiers pour réaliser un certain nombre d'objectifs, on nous propose là un système automatique dans lequel on prélève aux uns pour redistribuer aux autres sans qu'il y ait le moindre projet, la moindre approche commune des objectifs.
Monsieur le président, mes chers collègues, si ce débat se déroulait selon une procédure normale, c'est-à-dire si plusieurs lectures avaient été prévues, j'aurais déposé un amendement de suppression de cet article. Mais, dans la mesure où le Gouvernement a choisi de déclarer l'urgence, nous allons immédiatement nous retrouver en commission mixte paritaire. C'est la raison pour laquelle je ne suis pas favorable à un amendement de suppression complète du dispositif.
Je n'y suis pas favorable pour une autre raison : je comprends parfaitement les problèmes de solidarité intercommunale et de péréquation et je ne peux m'opposer, pour des raisons morales et éthiques, à la majoration des ressources du Fonds de solidarité des communes de la région d'Ile-de-France, compte tenu de la très grande diversité de la situation de ces communes.
En revanche, l'article tel qu'il nous est proposé me paraît présenter quatre caractéristiques inacceptables.
Premièrement, les critères d'application de ce second prélèvement sont des critères nationaux, alors que tout le mécanisme du Fonds de solidarité des communes de la région d'Ile-de-France repose sur des critères concernant uniquement les communes de cette région. Je souhaite donc que, pour ce prélèvement, la moyenne des bases de taxe professionnelle par habitant de la région d'Ile-de-France soit préférée à un critère national. En effet, chacun le sait, la moyenne des bases de taxe professionnelle par habitant de l'ensemble des communes d'Ile-de-France est nettement plus élevée que la moyenne nationale.
Deuxièmement, l'article 57 intègre dans les bases retenues pour le prélèvement le produit affecté au fonds départemental de péréquation. Cela me paraît quelque peu anormal car, lorsqu'une commune comportera un établissement exceptionnel - c'est le cas de la commune que j'ai l'honneur d'administrer, puisqu'elle abrite le siège de Renault - on établira le prélèvement annuel non pas sur les bases réelles qui restent à la disposition de la commune, mais sur les bases qui intègrent le produit affecté au fonds départemental de péréquation. Il s'agit là d'une double imposition qui n'est pas très normale et qu'il conviendrait de supprimer.
Troisièmement, les chiffres auxquels parvient le Gouvernement sont certainement trop élevés, et l'addition du prélèvement actuel et du prélèvement nouveau se traduirait par des sommes importantes. Permettez-moi, mes chers collègues, de citer les chiffres qui concernent la commune que j'administre : en 1999, elle recevra une DGF de 106 millions de francs, c'est-à-dire un peu plus de 1 000 francs par habitant - c'est l'une des DGF les plus faibles de France, et c'est bien normal, car la DGF est un élément de péréquation - tandis que la contribution initiale du fonds de solidarité s'élèvera à 43 millions de francs ; quant à la contribution supplémentaire qui serait demandée au travers de l'article 57, elle oscillerait entre 55 et 66 millions de francs. Dès lors, si l'on ajoute les deux prélèvements, la DGF risque de disparaître. Cela me paraît trop élevé et, en dépit de l'amendement que le Gouvernement a bien voulu accepter à l'Assemblée nationale, qui prévoit un étalement sur cinq ans de cette nouvelle contribution, le fait, pour une commune, d'être privée totalement de sa DGF dans une hypothèse de cette nature n'est pas raisonnable.
Enfin, quatrièmement, ce dispositif, comme le précédent, est occulte, il n'apparaît pas sur les avertissements fiscaux et les contribuables ne savent pas que l'argent qu'ils versent à la commune n'est que partiellement affecté à cette collectivité.
A l'heure actuelle, la première contribution au fonds de solidarité est plafonnée à 5 % du total des dépenses de fonctionnement de la commune, et le second prélèvement qui nous est proposé serait plafonné à 10 %. Cela signifie que 15 % du total des dépenses de fonctionnement - j'incite les maires à réfléchir sur ce pourcentage - seraient ainsi soustraits à la visibilité de l'ensemble des citoyens. C'est la raison pour laquelle ce prélèvement devrait être accompagné, me semble-t-il, d'une explication sur les feuilles d'impôt, afin que les contribuables sachent exactement vers quelle collectivité vont leurs versements.
Après une lecture attentive des débats de l'Assemblée nationale, après une longue réflexion et compte tenu de la procédure adoptée par le Gouvernement, puisque nous allons directement aller en commission mixte paritaire, j'ai pris la décision de me rallier aux deux amendements de la commission des finances, présentés par M. Mercier.
Le premier institue un système de plafonnement un peu moins désavantageux pour les collectivités que celui qui figure dans le texte du Gouvernement.
Le second oblige le Gouvernement à faire figurer ce prélèvement sur les avis d'imposition. Cela me paraît un moindre mal ! Je ne refuse pas la péréquation, qui fait déjà partie des mécanismes actuels et qui s'applique, notamment, en matière de DGF. C'est ainsi que la commune que j'administre reçoit une DGF égale à la moitié de celle de Rouen, par exemple, ou d'autres grandes villes, qui perçoivent plus de 2 000 francs par habitant.
Je ne suis pas hostile à l'augmentation du fonds de solidarité. Toutefois, pour pouvoir diriger correctement une collectivité, programmer son développement et organiser son avenir, je souhaite que l'on évite les prélèvements trop brutaux.
C'est la raison pour laquelle, compte tenu de la décision prise par l'Assemblée nationale d'étaler ce nouveau prélèvement sur cinq ans - 20 % la première année, 40 % la deuxième, etc. - et compte tenu des positions modérées adoptées par la commission des finances, je me rallierai aux amendements n°s 197 et 198.
M. le président. Sur l'article, la parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau. L'article 57 traite de la question, assez spécifique, du devenir du Fonds de solidarité des communes de la région d'Ile-de-France, région qui, de notre point de vue, présente deux spécificités. D'une part, par comparaison avec les autres régions du pays, elle compte peu d'établissements publics de coopération intercommunale. D'autre part, elle capitalise une part importante du produit des quatre principaux impôts locaux, notamment de la taxe professionnelle.
La mise en place du fonds de solidarité a correspondu, en son temps, à un constat : celui de la très inégale répartition des potentiels fiscaux et de la non moins inégale répartition des difficultés sociales et économiques des habitants de la région d'Ile-de-France.
C'est ainsi que, si l'on analyse les éléments chiffrés les plus récents en matière économique et sociale, on constate que la pauvreté et la précarité ont tendance à toucher aujourd'hui - et nous ne sommes pas les seuls à le dire, puisque ces éléments figurent dans le document stratégique du préfet de région pour le futur plan - quelques arrondissements parisiens situés à l'est, et même au centre de la capitale.
Que l'on ne s'y trompe donc pas : il ne suffit pas de solliciter une forme de solidarité plus ou moins forcée entre collectivités locales pour résoudre la question des inégalités sociales et économiques de la région d'Ile-de-France, inégalités qui sont d'ailleurs encore plus criantes dans cette région qu'elles peuvent l'être dans les autres régions métropolitaines.
Cela ne nous interdit pas de penser que des dispositifs de solidarité pourraient voir le jour dans d'autres régions du pays où s'accroissent également ces inégalités, quand bien même la pression foncière et les discriminations n'y ont pourtant pas la même importance qu'en région parisienne.
Avec l'article 57, on nous invite clairement à sauvegarder les capacités du fonds de solidarité en mettant à contribution les groupements de coopération intercommunale, notamment ceux qui accueillent des établissements exceptionnels ou un grand nombre d'entreprises.
Il s'agit ici d'éviter la mise en place de ce que j'appellerai une intercommunalité d'aubaine. Nous sommes donc clairement opposés à l'amendement de suppression de l'article déposé par nos collègues du groupe du RPR. A ce propos, j'ai à l'esprit un exemple précis, celui d'un établissement public de coopération intercommunale de mon département situé aux abords de l'aéroport Charles-de-Gaulle, établissement dont la caractéristique essentielle est de maintenir dans le périmètre du groupement une grande partie des recettes fiscales liées à l'existence de la zone aéroportuaire de Roissy - Charles-de-Gaulle.
Nous sommes également opposés aux amendements de repli présentés par les mêmes auteurs et qui visent à créer une prime à l'intercommunalité, prime qui n'a quand même pas grand-chose à voir avec la pertinence de l'action des groupements et la notion d'opportunité financière.
Nous pourrions être un peu moins sévères s'agissant des amendements tendant à spécifier aux contribuables locaux le montant de leur imposition découlant de la pratique du prélèvement. Cependant, il y aurait beaucoup à dire en cette matière, et peut-être gagnerait-on à indiquer aussi aux habitants de nos communes les montants que les entreprises implantées dans nos localités n'acquittent pas au titre de la taxe professionnelle en vertu des dispositions correctrices de l'impôt actuellement en vigueur. Mais je suis persuadée que certains élus s'en chargeront, et je dirai même qu'ils ne s'en priveront pas.
Enfin, on peut s'interroger sur l'amendement de la commission des finances relatif au niveau du prélèvement opéré, et qui modifie le montant des ressources effectivement mobilisées pour alimenter le fonds de solidarité. Si cet amendement est adopté, la mise en place des nouvelles conditions de financement du fonds, et donc l'application du dispositif dans sa pleine efficacité, risquent d'être retardées.
Sur le fond, il nous semble donc, monsieur le ministre, qu'il serait préférable de garantir l'attribution des aides du fonds de solidarité au travers d'un engagement précis de l'Etat.
Voilà, monsieur le président, ce que je tenais à dire sur cet article, et cela vaut explication de vote sur les amendements qui l'affectent.
M. le président. Sur l'article 57, je suis saisi de six amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 265 rectifié bis, MM. Braye, Courtois, Demuynck, François, Lanier, Larcher, Doublet et les membres du groupe du Rassemblement pour la République proposent de supprimer l'article 57.
Par amendement n° 197, M. Michel Mercier, au nom de la commission des finances, propose d'insérer, après le huitième alinéa de l'article 57, un alinéa rédigé comme suit :
« Pour les communes dont les bases totales d'imposition à la taxe professionnelle divisées par le nombre d'habitant sont inférieures à 3,5 fois la moyenne des bases de taxe professionnelle par habitant de la région d'Ile-de-France, le montant du prélèvement visé au premier alinéa du II ne peut excéder celui du prélèvement prévu au I. »
Par amendement n° 266 rectifié bis, MM. Braye, Courtois, Demuynck, François, Lanier, Larcher, Doublet et les membres du groupe du Rassemblement pour la République proposent d'insérer, après de douzième alinéa de l'article 57, un alinéa ainsi rédigé :
« Le prélèvement opéré en application des 1° et 2° n'est pas applicable aux communes membres d'un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre. »
Par amendement n° 267 rectifié bis, MM. Braye, Courtois, Demuynck, François, Lanier, Larcher, Doublet et les membres du groupe du Rassemblement pour la République proposent d'insérer, après le douzième alinéa de l'article 57, un alinéa ainsi rédigé :
« Le prélèvement opéré en application des 1° et 2° est diminué de 50 % pour les communes membres d'un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre. »
Par amendement n° 268 rectifié bis, MM. Braye, Courtois, Demuynck, François, Lanier, Larcher, Doublet et les membres du groupe du Rassemblement pour la République proposent d'insérer, avant le dernier paragraphe de l'article 57, un paragraphe nouveau ainsi rédigé :
« ... - Les prélèvements visés au présent article font l'objet d'une présentation spécifique sur les avis d'imposition adressés aux contribuables. »
Par amendement n° 198, M. Michel Mercier, au nom de la commission des finances, propose :
A. - De compléter in fine l'article 57 par un paragraphe ainsi rédigé :
« II. - Après l'article 1659 A du code général des impôts, il est inséré un article ainsi rédigé :
« Art. 1659 B. - Les avis d'imposition des contribuables des communes soumises aux prélèvements prévus à l'article L. 2531-13 du code général des collectivités territoriales mentionnent le montant de la contribution de leur commune au Fonds de solidarité des communes de la région d'Ile-de-France. »
B. - En conséquence, de faire précéder le début de cet article de la mention : « I. ».
La parole est à M. Braye, pour présenter l'amendement n° 265 rectifié bis.
M. Dominique Braye. Le présent amendement a pour objet de supprimer l'article 57, qui institue un nouveau prélèvement en faveur du FSCRIF, le Fonds de solidarité des communes de la région d'Ile-de-France, applicable aux communes et groupements à taxe professionnelle de zone dont les bases totales d'imposition à la taxe professionnelle excédent 3,5 fois la moyenne nationale des bases de taxe professionnelle par habitant constatée au niveau national.
Monsieur le ministre, j'avais déjà eu l'occasion d'évoquer mon opposition à ce prélèvement supplémentaire lors de la discussion générale. Je ne suis absolument pas opposé, que cela soit bien clair, au principe d'une nécessaire solidarité et d'une péréquation des ressources entre les communes les plus favorisées et les communes les moins favorisées, bien que ces disparités aient été souvent engendrées à l'origine par des décisions étatiques et non par une mauvaise gestion des collectivités locales elles-mêmes.
L'intervention de M. Fourcade m'a, certes, quelque peu ébranlé, mais j'attends, sur ce point, naturellement, les explications de MM. les rapporteurs et de M. le ministre.
On doit toutefois se poser la question : pourquoi cette mesure fiscale frappe-t-elle encore une fois, après l'instauration de la taxe sur les bureaux et locaux de stockage, uniquement la région d'Ile-de-France, alors qu'aucun dispositif similaire n'est prévu pour le reste du territoire national ? Que des disparités fortes existent au sein des collectivités locales de l'Ile-de-France et qu'il faille les corriger, nul ne songe à le nier. Mais de telles disparités n'existent-elles pas tout autant, sinon parfois plus, dans d'autres régions françaises ?
Je ne vois franchement pas au nom de quel principe la loi devrait pénaliser fiscalement certaines communes et certains groupements sous le seul prétexte qu'ils appartiennent à la région d'Ile-de-France, alors que l'on n'applique pas le même régime au reste du territoire quand il existe des disparités aussi importantes.
Par ailleurs, comme à M. Fourcade, il me semble pour le moins curieux, puisque la mesure doit concerner la seule région d'Ile-de-France, de proposer, pour déterminer les communes et groupements redevables de ce nouveau prélèvement, un critère fondé sur une comparaison avec le niveau national.
Est-il normal et équitable de soumettre au même régime toutes les communes visées par ce nouveau prélèvement, sans tenir aucun compte des situations particulières, notamment celle de certaines communes qui ont choisi une véritable et coûteuse solidarité locale, que ce soit par le biais de l'intercommunalité ou même, je le rappelle, par celui de l'abandon de certains produits de leur fiscalité ; parfois très importante, à des communes voisines en difficulté ?
En outre, je doute que la pénalisation fiscale systématique des villes ou groupements ayant réussi leur développement économique soit une bonne idée. La meilleure façon d'aider les communes les plus défavorisées me semble plutôt être de les faire bénéficier d'exonérations fiscales ou de puissants systèmes d'incitation financière et fiscale à l'implantation de nouvelles entreprises.
Enfin, je me permettrai, monsieur le ministre, d'émettre de sérieuses réserves sur la conformité de ce dispositif fiscal au principe de libre administration des collectivités locales.
Mes chers collègues, ce dispositif, qui a été élaboré - il faut le dire - sans la moindre concertation avec les élus locaux d'Ile-de-France, me semble injuste et infondé. Etant donné que certains groupements de communes seront visés par cet alourdissement de la fiscalité, je ne vois pas non plus en quoi cette mesure trouverait sa place dans un texte législatif censé favoriser le développement de l'intercommunalité ! Comme l'a dit M. Fourcade, cette mesure va à l'encontre du but visé, qui est le développement de l'intercommunalité en Ile-de-France.
Pour toutes ces raisons, je vous invite, mes chers collègues, à adopter cet amendement de suppression de l'article 57.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis, pour défendre l'amendement n° 197.
M. Michel Mercier, rapporteur pour avis. L'article 57, les précédents orateurs viennent de le rappeler, prévoit en quelque sorte la création d'une seconde part de prélèvement pour le fonds de solidarité de la région d'Ile-de-France.
Dans sa rédaction initiale, le projet de loi prévoyait qu'il était acquitté par les communes dont les bases de taxe professionnelle sont supérieures à trois fois et demie la moyenne nationale. A l'Assemblée nationale, les députés, en première lecture, ont introduit un amendement prenant en compte le revenu par habitant par rapport au revenu moyen de la région.
Il est en effet plus pertinent, s'agissant d'une sorte de péréquation financière que le Gouvernement souhaite organiser au niveau de la région d'Ile-de-France, de retenir des critères régionaux.
Notre amendement a donc pour premier objet d'introduire un nouveau critère régional, qui est l'écart de base de taxe professionnelle par rapport à la moyenne régionale.
Il tend également, comme l'a fait l'Assemblée nationale, à plafonner le montant du nouveau prélèvement, mais au niveau du premier prélèvement opéré au profit du fonds de solidarité de la région d'Ile-de-France.
M. le président. La parole est à M. Braye, pour présenter les amendements n°s 266 rectifié bis , 267 rectifié bis et 268 rectifié bis .
M. Dominique Braye. L'amendement n° 266 rectifié bis procède, naturellement, du même esprit que l'amendement de suppression de l'article.
Je l'ai dit à l'instant, l'une des raisons de mon opposition à ce dispositif fiscal est que celui-ci ne fait aucune distinction entre les communes qui sont membres d'un EPCI à fiscalité propre et celles qui ne le sont pas.
Quitte à instituer un nouveau prélèvement, il serait judicieux, dans ce projet qui vise, je le rappelle, au renforcement de la coopération intercommunale, d'en exonérer les communes qui sont membres d'un EPCI à fiscalité propre et qui, de ce fait, participent donc déjà à la solidarité par l'intermédiaire d'une péréquation intercommunale. Ce serait une mesure fiscalement incitative en faveur de l'intégration intercommunale et une forme de justice envers les communes qui ont fait l'effort de cette intégration.
Mes chers collègues, il nous faut rester cohérents avec l'objectif de ce projet de loi. A cet égard, l'exonération fiscale ciblée que je propose complèterait utilement le dispositif global d'incitation au développement de l'intercommunalité à fiscalité propre.
L'amendement n° 267 rectifié bis participe toujours du même esprit. Puisque le nouveau prélèvement risque d'être finalement adopté, il convient au moins d'en limiter le poids pour les communes membres d'un EPCI. C'est l'objet de cet amendement, qui tend à réduire de moitié le montant d'un éventuel nouveau prélèvement pour les communes membres d'un EPCI à fiscalité propre.
C'est vraiment le moins que nous puissions faire en faveur de ces communes membres d'un EPCI. A vrai dire, c'est même nettement insuffisant, car c'est, en fait, l'exonération totale qui s'impose. Mais, vous l'avez compris, c'est là l'amendement de repli ultime, l'amendement du dernier combat, pour ne pas dire du désespoir.
Quant à l'amendement n° 268 rectifié bis , il prévoit, conformément au souci qu'a exprimé M. Fourcade, que tout prélèvement qui n'est pas du ressort ou du fait des élus locaux doit être signalé comme tel aux contribuables. Il faut absolument que les contribuables d'une commune sachent qu'un tel prélèvement est le fait non pas des élus locaux mais bien du législateur et que son produit ira vers d'autres communes.
Cela répond au souci de la transparence de l'intercommunalité, qui est aussi, avec sa simplification, l'objet du présent projet. Il faut que les contribuables puissent être informés du devenir de leurs impôts.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis, pour défendre l'amendement n° 198 et pour donner l'avis de la commission des finances sur les amendements n°s 265 rectifié bis , 266 rectifié bis , 267 rectifié bis et 268 rectifié bis .
M. Michel Mercier, rapporteur pour avis. Notre amendement participe du même esprit que celui que vient de défendre M. Braye : compte tenu du poids de ce prélèvement au bénéfice du fonds de solidarité de la région d'Ile-de-France, il convient d'informer correctement les contribuables.
L'amendement n° 265 rectifié bis , qui tend à la suppression de l'article, a reçu un avis favorable de la commission des lois. Pour ce qui est des autres amendements, sur lesquels nous n'avons pas eu à nous prononcer, nous ne pouvons donc qu'émettre un avis défavorable.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Nous sommes là dans un débat qui est lourd de signification.
Ce qui me frappe, c'est de voir que l'on fait de la fiscalité comme si l'on fait de la voltige, sans se rendre compte que, derrière cette fiscalité, et quelles que soient les formes de l'impôt, il y a l'activité économique, le progrès, l'utilisation des ressources.
De manière générale - je reconnais que le Gouvernement actuel est en train d'essayer de corriger le tir, non sans avoir toutefois continué en instituant une nouvelle taxe sur les bureaux - l'Ile-de-France a été matraquée par toute une série de prélèvements.
Il en résulte que la ressource globale de cette région, qui doit être comparée non pas aux autres régions françaises mais aux entités de dimension comparable à l'échelon international, s'est trouvée très largement diminuée.
M. Raymond Courrière. Elle reçoit de l'Etat plus que les autres régions !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Nous en connaissons parfaitement les conséquences, non pas simplement pour la région d'Ile-de-France mais aussi pour l'ensemble de l'économie française.
Nous sommes là en présence d'une technique de prélèvement qui devient intellectuellement incompatible avec l'intercommunalité, qui est précisément faite pour mettre en commun des ressources devant permettre, dans un ensemble comprenant éventuellement des communes défavorisées et des communes plus favorisées, de mener un certain nombre d'actions communes.
En l'espèce, on ne tire pas toutes les conséquences intellectuelles et économiques de ce que l'on est en train de faire.
En fait, nous n'avons jamais véritablement accepté l'idée de décentralisation. En effet - veuillez me pardonner de le répéter - la décentralisation repose essentiellement sur la notion d'inégalité et sur celle d'activités autonomes, que certains sont capables de faire, d'autres non, mais dont, finalement, tous profitent.
Que se passera-t-il quand l'intercommunalité sera devenue une réalité ? L'ensemble des ressources seront considérables ! Imaginez la ressource que représentera la taxe professionnelle unique pour une collectivité de plus de 50 000 habitants ! Son produit servira nécessairement à financer un certain nombre d'actions communes qui auront précisément pour effet de corriger des inégalités. Si l'on ne veut pas, par le biais de cette taxe professionnelle unique, corriger les inégalités, ce n'est pas la peine de l'instituer !
Nous constatons qu'en Ile-de-France - M. Jean-Pierre Fourcade a donné les chiffres - les sommes prélevées sont déjà considérables, surtout si l'on ajoute à ce qui se fait au niveau des communes ce qui se fait également au niveau des départements.
Ainsi, je viens d'apprendre avec une extrême surprise qu'en raison de je ne sais quel coefficient de logement social on me supprimait pratiquement 50 millions de francs de ressources, soit l'équivalent du financement d'un collège, alors que j'ai, moi aussi, des collèges à construire. Un tel mécanisme ne repose pas sur des bases saines.
Personnellement, j'ai beaucoup insisté - je ne sais quelle décision prendra notre assemblée - pour que soit adopté l'amendement de suppression de l'article, tout en rappelant que nous ne menions là qu'un débat préparatoire.
En effet, la commission mixte paritaire risque de durer aussi longtemps que nos débats (Sourires), tant nos positions sont éloignées de celles de l'Assemblée nationale. Il ne sera pas commode de parvenir à un accord.
Nous avons déjà retenu la journée du 3 juin, de neuf heures à dix-huit heures, voire dix-neuf heures. Nous prendrons en effet tout le temps nécessaire.
Peut-être certains aménagements seront-ils possibles, mais je voudrais - je serai suivi ou non - que, dans la logique de l'amendement proposé par nos collègues MM. Braye, Courtois, François, Lanier, Larcher et Doublet, nous prenions une position de principe indiquant que la région d'Ile-de-France n'est pas prête, de manière abrupte, comme nous le propose l'Assemblée nationale, à supporter un nouveau type de prélèvement intégré à cette région, lequel n'existe nulle part ailleurs. Je me demande pourquoi ce prélèvement serait institué alors que, autour de Toulouse, de Bordeaux, de Rennes ou d'autres villes encore, un tel mécanisme serait peut-être nécessaire.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 265 rectifié bis, 197, 266 rectifié bis, 267 rectifié bis, 268 rectifié bis et 198 ?
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Je formulerai tout d'abord quelques considérations générales.
Il n'est pas fondé de dire qu'il y a contradiction entre la péréquation et l'intercommunalité, comme vient de l'indiquer M. Jacques Larché. Je sais que le département de Seine-et-Marne a subi, cette année, un mécanisme d'écrêtement très particulier. C'est une considération d'importance, mais qui est somme toute conjoncturelle.
Chacun comprend bien que la région d'Ile-de-France a une certaine spécificité : elle concentre plus du quart des bases de taxe professionnelle du pays ; elle se prête moins bien que d'autres régions à l'exercice de l'intercommunalité, bien que, naturellement, elle s'y prête également. Mais sa principale spécificité tient au fait qu'il s'agit d'une agglomération à plusieurs couronnes, qui s'est constituée autour de la ville capitale. Il suffit de regarder une carte des régions avec leur moyenne de revenus pour voir qu'il y a en France - c'est l'effet de notre histoire - une région beaucoup plus riche que les autres.
Cela ne signifie pas que la région d'Ile-de-France n'a pas ses problèmes. Le principal d'entre eux, c'est le dualisme social, c'est-à-dire l'écart qui va croissant entre un certain nombre de communes très riches et d'autres dont le revenu par habitant est considérablement plus faible, sans parler, bien sûr, de leurs bases de taxe professionnelle.
M. Braye a dit tout à l'heure que nous n'avions pas procédé à une concertation. Cela n'est pas exact. Un débat a été engagé avec les parlementaires et avec le Comité des finances locales, présidé par M. Fourcade. Nous ne sommes pas partis de rien.
J'ajoute que le Gouvernement a introduit un certain nombre d'assouplissements dans son texte à l'Assemblée nationale, notamment l'étalement de la mesure sur cinq ans.
Qui peut contester le bien-fondé d'une disposition qui vise à créer un second prélèvement, c'est vrai, sur un nombre restreint de communes, mais dont les bases de taxe professionnelle sont supérieures de trois fois et demie à la moyenne des bases de taxe professionnelle par habitant à l'échelon national ?
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Me permettez-vous de vous interrompre, monsieur le ministre ?
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Je vous en prie.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois, avec l'autorisation de M. le ministre.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Monsieur le ministre, nous nous orientons vers un système dans lequel il n'y aura plus de taxe professionnelle communale. (M. le ministre fait un signe dubitatif.) Mais oui, bien sûr, puisqu'on va vers un système dans lequel il y aura une taxe professionnelle unique pour l'agglomération.
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Certes, mais très progressivement, monsieur Larché !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Peut-être, mais quel sera le niveau de la taxe professionnelle unique ?
Dans ces communes dites très riches, si l'on tient compte des taux qui peut-être iront à la baisse dans un certain nombre de cas, quelle sera la moyenne du taux de la taxe professionnelle ? On ne peut pas raisonner en nous appuyant sur un système de prélèvement - la taxe professionnelle communale - que nous sommes en train d'abandonner.
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur le ministre.
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Je vais répondre à votre argument, la réponse est dans le texte dont nous débattons : dès lors qu'un groupement à taxe professionnelle unique sera constitué, il sera exempté du prélèvement au titre du FSCRIF.
M. Dominique Braye. Pas les communes !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Les communes, bien entendu ! Chacun conçoit bien que l'on ne peut pas passer du jour au lendemain au régime de la taxe professionnelle unique dans la région parisienne, a fortiori dans tout le pays. La transition sera progressive et elle s'étalera sur dix ou quinze ans, voire sur une génération.
La réponse, je le répète, figure dans le texte. Les groupements à taxe professionnelle unique n'auront plus à contribuer au FSCRIF.
M. Michel Mercier, rapporteur pour avis. Les communes membres en seront-elles exemptées ?
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Exactement !
Ce dispositif est raisonnable. Permettez-moi de rappeler une fois de plus dans quel état d'esprit je participe à cette discussion. Nous élaborons un texte qui, à certains égards, je le crois, sera fondateur de l'intercommunalité, en tout cas autant que le texte de 1992, dont il simplifie les dispositions. Il prévoit des mécanismes susceptibles de doper les progrès de l'intercommunalité grâce aux incitations puissantes qui ont été mises en oeuvre et, qui je le pense, seront renforcées au fil du temps.
Je mène cette discussion dans un esprit de dialogue et d'ouverture parce que j'ai le sentiment que, si nous arrivons à adopter un texte sur lequel un assentiment assez général aura pu être réuni, il passera mieux dans la réalité. Je reste donc ouvert à toutes les propositions au Sénat comme à l'Assemblée nationale dès lors que n'est pas détruite l'architecture du texte, dès lors que l'on ne va pas vers des dispositions tellement souples qu'elles videraient le texte de sa substance et qu'en réalité on ne ferait que favoriser une intercommunalité d'aubaine. Autrement dit, à la limite, il y aurait ceux qui s'intéresseraient à la dotation mais qui ne prendraient aucun engagement quant à la mise en commun de la taxe professionnelle ou quant aux compétences qui seraient en quelque sorte intégrées.
M. Raymond Courrière. Ceux qui le veulent !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Par conséquent, sur l'amendement n° 265 rectifié de M. Braye, évidemment, j'émets un avis défavorable puisqu'il vise à supprimer l'article.
S'agissant de l'amendement n° 197, qui vise à plafonner la seconde contribution au montant du premier prélèvement, je n'y suis pas favorable. Le texte adopté par l'Assemblée nationale concerne les communes dont le niveau de revenu par habitant est inférieur de 90 % à la moyenne régionale, soit un rapport de un à deux.
Je suis prêt à faire un pas en avant, dès lors qu'il n'entraînerait pas une perte de recettes trop considérable pour le FSCRIF. Je peux donc me rendre aux arguments de M. Fourcade, dont j'apprécie le rôle qu'il joue à la tête du Comité des finances locales, lequel s'intéresse à la cohérence de l'ensemble de notre système, très complexe, trop complexe.
En tout état de cause, on peut aller jusqu'à envisager un plafonnement, à hauteur non pas du montant du premier prélèvement, mais de 1,1 fois ce montant. Naturellement, un certain nombre de calculs ont été faits, indiquant qu'il en résulterait une perte de 16 millions de francs. Pour un prélèvement global qui est de 269 millions de francs, cela ferait passer le prélèvement, en l'état actuel de nos simulations, à 253 millions de francs. Cela reste raisonnable et je suis donc prêt à accepter un plafonnement à hauteur de 1,1 fois le montant du premier prélèvement.
M'adressant maintenant à M. Jacques Larché, je voudrais souligner qu'il vaut mieux qu'un débat s'engage sur ce sujet entre le Sénat et le Gouvernement. En effet, on peut évidemment tout supprimer à l'occasion de l'examen d'un projet de loi.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Ce n'est pas du tout ce que nous avons fait jusqu'à présent !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Cela permettrait d'abréger la discussion, mais sans la faire progresser. Les débats de la commission mixte paritaire s'en trouveraient peut-être un peu allongés, mais je crois qu'il vaut mieux que nous fassions tous preuve de cet esprit de dialogue constructif que j'essaie de manifester.
Sous réserve de cette rectification, j'accepterai l'amendement n° 197 de la commission des finances.
M. Braye, par son amendement n° 267 rectifié bis , veut étendre l'exonération non pas seulement aux EPCI à taxe professionnelle unique mais à tous les EPCI, dès lors qu'ils ont simplement une fiscalité propre. C'est trop, et l'on risquerait de tarir les ressources du fonds si on le suivait. Je n'y suis donc pas favorable.
L'amendement n° 268 rectifié bis , également présenté par M. Braye, tend à faire apparaître sur les avis d'imposition les prélèvements au titre du FSCRIF. Cela rejoint l'amendement n° 198 de M. le rapporteur pour avis. Je ne peux pas y être favorable. D'abord, ce serait très compliqué et l'on n'arriverait pas à une identification satisfaisante par contribuable. En outre, cette information complète des contribuables, pour être juste, impliquerait que l'on puisse indiquer également l'ensemble des mécanismes de solidarité déjà existants entre les collectivités lcoales, ainsi que les dotations de l'Etat. Je suis donc défavorable aussi bien à l'amendement n° 268 rectifié bis qu'à l'amendement n° 198.
M. le président. Monsieur le rapporteur pour avis, M. le ministre vient d'indiquer qu'il pourrait être favorable à l'amendement n° 197 si vous le rectifiez. Quelles sont vos intentions à cet égard ?
M. Michel Mercier, rapporteur pour avis. Mais a-t-il seulement un avenir ? (Sourires.) Le Sénat doit d'abord se prononcer sur l'amendement n° 265 rectifié bis. Nous verrons bien après !
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 265 rectifié bis.
M. Jean-Claude Peyronnet. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Peyronnet.
M. Jean-Claude Peyronnet. J'ai bien entendu tout ce que l'on a pu dire à propos de l'article 57 concernant la région parisienne et son positionnement dans l'ensemble français. Pour ma part, je pense que cet article est modéré.
Actuellement, se développe un peu partout dans la presse, sur l'initiative de je ne sais quel groupe de pression, une argumentation visant à démontrer que la région parisienne est pauvre, qu'elle a été « matraquée »...
M. Jean Chérioux. Par vous !
M. Jean-Claude Peyronnet. ... - c'est le mot que vous avez utilisé et réutilisé, monsieur Larché - et que le seuil de l'intolérable a été franchi.
Cette campagne ne me semble pas justifiée. Je suis à peu près persuadé que les chiffres que l'on avance en matière de prélèvements, de richesse par habitant, de part dans le produit intérieur sont faux ! Ils ne prennent pas en compte des éléments majeurs.
Quel est le coût d'une autoroute en Ile-de-France ?... On continue pourtant à en construire, alors que nous avons beaucoup de difficultés pour en faire en province. (M. Braye proteste.)
En plus, elles sont gratuites ! (Mme Beaudeau s'exclame vivement.)
Mais si, madame Beaudeau, en grande partie ! (Mme Beaudeau s'exclame de nouveau.)
M. le président. M. Peyronnet a seul la parole !
M. Jean-Claude Peyronnet. Plus précisément, quel est le coût des transports en Ile-de-France pour la collectivité nationale ? Car ce ne sont pas uniquement les collectivités locales de cette région qui financent ces transports ; la collectivité nationale participe.
Quel est par ailleurs pour la sécurité sociale, pour la société, le coût qui résulte des longs temps de transport : troubles de la santé, fatigue, absentéisme plus élevé qu'en province ?
J'ai appris par la presse hier que le Gouvernement se préoccupait de revaloriser les traitements des hauts fonctionnaires parce que, touchant à Paris des primes plus élevées, ils refusent d'aller en province. Il est vrai qu'à Paris le coût de la vie est exorbitant.
Je veux bien donner acte du fait que le « matraquage » avait un objectif d'aménagement du territoire : éviter une concentration trop grande des habitants, des activités et de la richesse à Paris et en région parisienne.
M. Raymond Courrière. Cela a été un échec !
M. Jean-Claude Peyronnet. C'est un échec patent. Nous ne pouvons qu'en prendre acte. Malgré tout, nous sommes un certain nombre sur ces travées à souhaiter vivement que soit mis en place un surprélèvement, une surtaxation correspondant à une richesse de fait.
Je comprends toutefois que cela augmente les difficultés de gestion de certaines collectivités, monsieur Fourcade. J'ai pourtant bien noté la modération de vos propos : vous ne rejetez pas, sur le principe, le fait qu'il puisse y avoir une péréquation.
J'attends la rectification statistique qui viendra dans un an, deux ans, trois ans. Je suis persuadé que la région parisienne a, pour la collectivité nationale, pour ses habitants, un coût exorbitant, et que l'aménagement du territoire, au sens où on l'entendait autrefois, c'est-à-dire dicté par le souci de rééquilibrer l'activité à travers notre territoire, est mort, ce qui est une mauvaise chose. (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Paul Girod. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Paul Girod.
M. Paul Girod. Nous sommes dans une situation complexe, parce que plusieurs débats se déroulent en même temps : le débat région parisienne-province, le débat interne à la région parisienne, le débat sur une taxe professionnelle sur laquelle on fait reposer toute une série de dispositifs alors que, dans le même temps, on vide cette taxe d'un tiers de son contenu.
Tout cela est un peu compliqué, c'est le moins que l'on puisse dire ; quant au débat sur l'article 57 et sur l'amendement de suppression de l'article, il n'est guère plus simple.
J'étais, en 1991, à la place de M. Mercier. Je rapportais au fond - c'était plus facile - un texte financier prévoyant un prélèvement sur la région d'Ile-de-France.
Nous venons d'entendre la présentation par la commission des finances saisie pour avis d'un amendement qui est le sien. Mais nous n'avons jamais eu l'opinion de la commission saisie au fond sur l'ensemble des amendements portant sur l'article 57. (M. Hoeffel, rapporteur, proteste.)
Le président de la commission des lois s'est exprimé, mais pas le rapporteur ! Je n'ai pas entendu M. Hoeffel s'exprimer ni sur cet amendement n° 265 rectifié bis , ni sur les autres d'ailleurs. Par conséquent, nous sommes dans une situation juridiquement, techniquement complexe.
A titre personnel, je crois que voter l'amendement de suppression serait une erreur de fond pour le Sénat et les thèses qu'il défend dans cette affaire. Tout à l'heure M. Fourcade l'a très bien expliqué en disant : attention ! Nous sommes dans un débat d'urgence.
C'était également le cas en 1991. Or partir d'une situation de rejet sur un tel sujet n'est probablement pas la meilleure base de départ pour arriver à faire passer les arguments du Sénat.
Quels sont ces arguments du Sénat, plus précisément, ceux de la commission des finances du Sénat ?
Tout d'abord, il convient de ne pas fixer de référence à des critères nationaux pour déterminer des solidarités internes à la région parisienne. La commission des finances a raison sur ce point.
Mais, pour l'instant, pour la détermination du seuil de basculement, ce sont encore les critères nationaux qui figurent dans le texte de l'Assemblée nationale ; et cela m'étonnerait que l'Assemblée nationale lâche sur ce point, surtout en l'absence d'un texte du Sénat prévoyant des critères régionaux dans le système de déclenchement de la contribution des collectivités de la région parisienne. Priver la commission mixte paritaire de cet argument-là serait une erreur.
De la même manière, je ne crois pas qu'il soit prudent, compte tenu de l'évolution des choses, entre l'ensemble de la France et la région parisienne, de démarrer sur la négation du fait que les distorsions internes à la région parisienne ne se sont pas atténuées depuis quelques années.
C'est la raison pour laquelle, en 1991, lorsqu'un texte venant de l'Assemblée nationale, qui était maximaliste, inacceptable, pour les communes de la région parisienne, je le comprenais fort bien, est arrivé sur le bureau du Sénat, je suis allé voir les élus de la région parisienne et je leur ai dit : « Je ne peux pas soutenir en conscience devant la commission des finances puis, éventuellement, devant le Sénat, une suppression pure et simple du fonds de solidarité de la région d'Ile-de-France. Mettons-nous ensemble d'accord sur un mécanisme infiniment moins effroyable que celui qui est prévu par l'Assemblée nationale et essayons de le faire adopter. » C'est ce qui s'est passé.
Je ne crois donc pas que nier le problème soit la meilleure solution pour que des arguments de raison puissent être opposés à des arguments maximalistes qui ont été défendus par le Gouvernement et par l'Assemblée nationale.
Je ne voterai pas l'amendement de suppression. Je souhaite que ce soit l'amendement de la commission des finances qui vienne en discussion et que l'on puisse l'adopter pour disposer, en commission mixte paritaire, d'une base de discussion.
M. Daniel Hoeffel, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Daniel Hoeffel, rapporteur. Sans revenir sur le problème de fond qu'a évoqué à l'instant notre collègue M. Paul Girod, je me dois de préciser un point de procédure.
D'abord, sur un plan général, je rappelle que tous les amendements sans exception, qu'ils soient de nature institutionnelle ou financière, ont été examinés par la commission des lois...
M. Paul Girod. Cela, je le sais !
M. Daniel Hoeffel, rapporteur. ... les amendements de nature fiscale et financière ayant par ailleurs été également examinés par la commission des finances.
En début d'examen en séance publique de la partie financière de ce texte, j'ai précisé que le rapporteur pour avis de la commission des finances présenterait les amendements, ce qui ne veut pas dire que la commission des lois ne les ait pas examinés.
M. Paul Girod. Certes !
M. Daniel Hoeffel, rapporteur. En ce qui concerne l'article 57 plus particulièrement, la commission des lois a déclaré que, dès lors que l'amendement n° 265 rectifié bis devait être adopté en séance plénière, les autres amendements seraient évidemment sans objet.
Je souhaite qu'en aucun cas il ne soit retenu de cette discussion que la commission des lois n'a pas fait son devoir ; elle a en effet examiné tous les amendements, sans exception.
Je pense que tel n'était d'ailleurs pas l'esprit de l'intervention de M. Paul Girod.
M. Paul Girod. D'autant moins que j'ai participé à la discussion et que je n'ai jamais dit cela !
M. Daniel Hoeffel, rapporteur. Alors, nous sommes d'accord !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Je voudrais que les choses soient claires.
Il ne s'agit pas de supprimer la péréquation. Nous en sommes, en effet, déjà à un prélèvement de 700 millions de francs, ce qui n'est tout de même pas négligeable, d'autant qu'il est calculé en fonction de critères hasardeux.
Nous sommes en train de succomber sous le poids d'une fiscalité qui, de tous côtés, écrase les collectivités locales, directement ou indirectement.
Puisqu'on a évoqué les expériences personnelles, je peux dire, par exemple, m'exprimant sous le contrôle d'un de mes collègues de Seine-et-Marne, que l'« intelligente » taxe sur les bureaux a fait disparaître du département de Seine-et-Marne trois projets d'entreprises de logistique qui sont parties s'installer ailleurs.
M. Raymond Courrière. Elles ne seront pas plus mal !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Peut-être ! Mais ce n'est pas l'avis des Seine-et-Marnais.
M. Raymond Courrière. Concentrer toutes les activités au même endroit, ce n'est pas bien !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Bien sûr que non ! Mais ce n'est pas non plus obligatoirement l'avis des habitants d'un autre département méditerranéen que le vôtre !
En l'occurrence, il s'agit non pas...
M. Raymond Courrière. C'est le système du toujours plus !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. ... de refuser la péréquation, mais d'instituer un nouveau prélèvement, qui représente 50 % du prélèvement actuel.
Ce mécanisme me paraît révélateur de l'insuffisance de notre réflexion par rapport aux incidences économiques - qui peuvent être extrêmement préoccupantes - des dispositions fiscales que nous votons.
M. Yves Fréville. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Fréville.
M. Yves Fréville. Comme en commission des lois, je ne voterai pas l'amendement de notre collègue M. Braye pour trois raisons. Et je précise d'emblée que, d'une façon générale, j'adhère tout à fait au raisonnement de MM. Girod et Fourcade.
La première raison est qu'il s'agit d'une péréquation interne à la région parisienne, laquelle a toujours connu des régimes spécifiques de péréquation. Le mécanisme de péréquation de la taxe locale est même le premier mécanisme à avoir été créé. Avant 1968, il existait un mécanisme national auquel s'est superposé un mécanisme spécifique à la région parisienne, qu'on n'appelait pas encore Ile-de-France...
La deuxième raison est non pas juridique mais économique. En province, nous avons un écrêtement des établissements exceptionnels - il ne s'agit pas, il est vrai, des communes - dès lors que les bases sont supérieures à deux fois et demie la moyenne nationale. Or, ce système de péréquation, qui existe en province, n'existe pratiquement pas dans la région parisienne, parce qu'il s'agit de grandes communes.
J'ai déjà donné l'exemple de la Seine-Maritime, où 300 millions de francs proviennent du fonds départemental de péréquation. Dans l'Ille-et-Vilaine, il s'agit de 150 millions de francs. Et je ne vois pas ce qu'il y aurait d'anormal, étant donné que les structures démographiques et les structures économiques sont différentes selon les communes, à ce qu'il y ait une péréquation de 700 millions de francs, voire de 1 milliard de francs, dans la région parisienne.
Il est toutefois délicat d'adapter ces mécanismes qui fonctionnent en province à une région qui, comme le soulignait M. le président de la commission des lois, a une très grande spécificité.
Ce deuxième argument me paraît très fort.
La troisième raison tient au fait que si le bât blesse en région parisienne, c'est peut-être non pas à propos des mécanismes d'alimentation, sur lesquels je suis d'accord, mais à propos des mécanismes d'utilisation du fonds.
Ne devrions-nous pas faire porter notre réflexion sur la façon dont ces ressources - 700 millions de francs - portées à 1 milliard de francs sont réparties entre les communes ?
Si je poursuis ma comparaison avec les fonds départementaux de péréquation, nous constatons que, en province, nous parvenons très bien à nous mettre d'accord sur des mécanismes de péréquation. Plus que sur les mécanismes d'alimentation donc, même s'ils me paraissent sans aucun doute devoir être améliorés, c'est sur les mécanismes d'utilisation qu'il faudrait faire porter l'effort.
Les propositions de la commission des finances me paraissent tout à fait dignes d'intérêt, mais la péréquation mérite, en Ile-de-France comme en province, d'être développée.
M. Dominique Braye. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Braye.
M. Dominique Braye. J'ai entendu les arguments qui ont été développés par nos différents collègues et j'avoue avoir été quelque peu troublé par ce qui a été dit. Mais mon collègue Jean-Patrick Courtois va vous faire une demande, monsieur le président.
M. Jean-Patrick Courtois. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Courtois.
M. Jean-Patrick Courtois. J'ai écouté les interventions des deux rapporteurs, de M. le ministre et, surtout, de M. Fourcade. Il s'agit d'un problème spécifique à la région d'Ile-de-France et il n'est nullement question d'instaurer une cotisation supplémentaire sur l'Ile-de-France au profit de la province.
Afin d'arrêter une position commune sur la façon de régler ce problème dans l'intérêt général, je souhaite, monsieur le président, une suspension de séance de quelques instants.
M. le président. Avant d'accéder à votre demande, monsieur Courtois, nous allons d'abord en terminer avec les explications de vote sur cet amendement n° 265 rectifié bis .
M. Jean-Pierre Fourcade. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Fourcade.
M. Jean-Pierre Fourcade. Je regrette que la discussion se réduise à un débat Paris - province ; ce n'est pas l'objet de cette mesure. Il s'agit d'un problème interne à l'Ile-de-France et, comme vient de le dire M. Courtois, il faut garder à l'esprit cette dimension.
Je tiens à formuler deux observations.
Si le Gouvernement avait accepté de ne pas utiliser la procédure d'urgence pour ce texte, il est évident que l'amendement de suppression de M. Braye permettait d'examiner le problème et de connaître la réaction de la Haute assemblée. Mais compte tenu de la procédure d'urgence, il ne me paraît pas judicieux, comme l'a dit Paul Girod, d'arriver en commission mixte paritaire sans un texte adopté par le Sénat sur l'article 57. C'est la raison pour laquelle je suis opposé à l'amendement de M. Braye, et je me rallie à la position de la commission des finances qui me paraît raisonnable.
La commission des finances a déposé deux amendements.
M. le ministre a fait une petite proposition de compromis sur le premier. Nous en discuterons tout à l'heure si l'amendement de M. Braye n'est pas adopté ; il est inutile d'en parler avant.
S'agissant du second, je voudrais insister sur le problème de l'opacité du prélèvement.
Tous les maires des trente, quarante ou cinquante collectivités concernées auraient préféré que la péréquation se fasse sur la DGF plutôt que sur la fiscalité. En effet, la péréquation sur la DGF est normale, parfaitement claire et tient compte des capacités contributives. En revanche, un prélèvement occulte sur des ressources fiscales encaissées par une commune n'est pas convenable. C'est la raison pour laquelle, à tout le moins, je soutiendrai le second amendement de la commission des finances - comme celui de M. Braye d'ailleurs, puisque c'est un amendement commun - qui prévoit que les contribuables doivent être informés de ce prélèvement.
Mais j'insiste sur le fait que, à partir du moment où le choix effectué est clair, c'est une opération interne aux communes d'Ile-de-France.
En outre, il s'agit d'une augmentation du fonds de solidarité. Je reprends l'argumentation excellente de M. Fréville : le problème du fonds de solidarité réside moins dans son alimentation que dans son utilisation, et l'aspect automatique de l'utilisation de ce fonds est certainement une question sur laquelle il faudra revenir.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau. J'ai indiqué, en intervenant sur l'article 57, les raisons pour lesquelles nous sommes contre l'amendement de nos collègues du RPR. Si je prends à nouveau la parole en cet instant, c'est parce qu'il s'agit d'une question interne à l'Ile-de-France et que je ne vois donc pas pourquoi nos collègues socialistes veulent opposer une région à une autre.
La question posée est celle de l'utilisation du FSCRIF, utilisation sur laquelle je reviendrai en défendant l'amendement n° 383 rectifié visant à introduire un article additionnel après l'article 57.
Je voudrais dire à nos collègues socialistes qu'il serait dangereux de considérer l'amendement de M. Braye comme un amendement modéré. Je le qualifierai, moi, de scandaleux !
Je le répète, il ne faut absolument pas opposer les régions entre elles, d'autant que leurs élus ici présents se heurtent aux mêmes problèmes, qu'il s'agisse d'emploi, de logement, de transports...
Il serait également dangereux d'instaurer un péage sur les autoroutes de la région d'Ile-de-France.
Depuis des années, nous sommes un grand nombre d'élus à lutter contre des infrastructures qui pourraient être soumises à péage et qui, de ce fait, imposeraient aux automobilistes qui circulent matin et soir en région d'Ile-de-France pour se rendre à leur travail d'acquitter un péage.
Je vous rappelle qu'après les élections en Ile-de-France une nouvelle majorité s'est créée et s'est opposée, pendant la campagne électorale, à l'instauration de péage sur les autoroutes. Je pense qu'il serait par conséquent dangereux que nous nous aventurions sur ce terrain.
M. le président. Nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures cinq, est reprise à douze heures vingt.)

M. le président. La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion du projet de loi relatif au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 265 rectifié bis.
M. Dominique Braye. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Braye.
M. Dominique Braye. Je voudrais revenir sur les motivations qui m'ont poussé à déposer cet amendement.
Je répète que je ne suis pas du tout opposé à la péréquation entre communes riches et communes pauvres d'Ile-de-France. En revanche, cette péréquation a été décidée après une concertation plus que limitée - puisque l'on nous a dit que concertation il y avait eu - avec les élus intéressés.
Par ailleurs, si l'on doit mettre en place une péréquation ou des mécanismes de solidarité, je crois que cela doit se faire à l'échelon de l'ensemble de notre pays et non pas à celui de l'Ile-de-France. Ce sont les disparités constatées à l'échelon de l'ensemble du territoire qu'il nous faut essayer de gommer.
Après la suspension de séance et la concertation qu'elle a permise, je voudrais dire après, comme M. Fourcade, combien je regrette que l'urgence ait été déclarée sur ce texte car, si tel n'avait pas été le cas, nous aurions pu trouver à ce problème une bien meilleure solution que celle que nous allons adopter. Il n'empêche qu'il nous faut maintenant adopter la moins mauvaise solution. Par conséquent, je retire l'amendement n° 265 rectifié bis et me rallie à l'amendement n° 197 de la commission des finances.
M. le président. L'amendement n° 265 rectifié bis est retiré.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 197.
M. Michel Mercier, rapporteur pour avis. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Michel Mercier, rapporteur pour avis. Pour répondre à la question que vous m'aviez posée tout à l'heure, monsieur le président, j'indique que je n'entends pas modifier la rédaction de cet amendement n° 197.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 197, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Quel est l'avis de la commission des finances sur l'amendement n° 266 rectifié bis ?
M. Michel Mercier, rapporteur pour avis. L'amendement n° 266 rectifié bis prévoit que le prélèvement opéré n'est pas applicable aux communes membres d'un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre. Je crois pouvoir dire à M. Braye que cet amendement est satisfait par le texte même du projet de loi puisque, dès lors que les bases ne sont plus communales mais intercommunales, la possibilité d'opérer un prélèvement sur ces communes qui sont membres d'un groupement à taxe professionnelle unique n'existe plus.
Si le Gouvernement avait une lecture de cet amendement différente, je serais en revanche, à titre personnel et au nom de la commission des finances - je pense pouvoir dire également au nom de la commission des lois quoi qu'elle ne se soit pas prononcée -, favorable à l'amendement de M. Braye.
Je souhaite donc entendre le Gouvernement pour que, dans ce domaine très technique, les choix soient bien clairs et que nous sachions parfaitement sur quoi nous allons nous prononcer.
M. Dominique Braye. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Braye.
M. Dominique Braye. Je voudrais dire à M. le rapporteur pour avis que mon amendement va plus loin que ce qu'il énonce en ce qu'il exempte les communes de tous les EPCI à fiscalité propre et pas seulement celles des EPCI à taxe professionnelle unique.
M. le ministre a dit tout à l'heure que la multiplication des prélèvements n'allaient pas à l'encontre du développement de la coopération intercommunale. Je m'inscris en faux contre cette assertion. Cela va manifestement à l'encontre du développement de l'intercommunalité. Je le vis dans la structure que je préside, où l'esprit de solidarité est excessivement vivant mais où, comme ailleurs, la solidarité a ses limites.
Pour l'instant, au sein de cette structure, une petite commune de 2 600 habitants verse 1,4 million de francs au titre du premier prélèvement. Si le texte qui nous vient de l'Assemblée nationale était adopté, elle paierait sept fois et demie plus, c'est-à-dire plus de dix millions de francs. Vous imaginez bien que cette commune, qui est déjà le principal pourvoyeur de recettes de notre établissement de coopération intercommunale, n'en peut plus !
La solidarité, oui, mais avec certaines limites ! J'ai donc déposé cet amendement afin que les communes qui jouent déjà très fortement la solidarité au sein d'un territoire puissent être exemptées de ce deuxième prélèvement.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Il n'y a pas de « oui, mais... », monsieur Braye, comme aurait dit le général de Gaulle ! « La solidarité, oui, mais... », non ! S'il y a mutualisation volontaire à travers la TPU, il n'y a plus de prélèvement péréquateur, mais il faut la TPU, parce que créer un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre ne suffit pas. Je suis donc favorable à l'exemption des communes qui auront créé un établissement public de coopération intercommunale à taxe professionnelle unique, mais on ne peut pas aller au-delà, vous le comprendrez aisément.
M. Michel Mercier, rapporteur pour avis. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Michel Mercier, rapporteur pour avis. Je maintiens la position dont j'ai tracé l'esquisse tout à l'heure.
Monsieur le ministre, la justification de la création de la deuxième part du fonds de solidarité des communes d'Ile-de-France en recettes - vous l'avez vous-même indiqué - se trouve dans le développement modéré ou trop modéré de la coopération intercommunale en Ile-de-France.
On peut vous suivre sur ce raisonnement mais, dès lors qu'un pas est déjà fait, c'est-à-dire qu'un groupement accepte d'avoir une fiscalité propre, il faut l'encourager. Je suis donc favorable à la démarche de M. Braye.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 266 rectifié bis , accepté par la commission des finances et repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'amendement n° 267 rectifié bis n'a plus d'objet.
Quel est l'avis de la commission des finances sur l'amendement n° 268 rectifié bis ?
M. Michel Mercier, rapporteur pour avis. La commission a déposé un amendement très voisin, qu'elle a le tort de juger meilleur que celui de M. Braye.
M. le président. Monsieur Braye, maintenez-vous votre amendement ?
M. Dominique Braye. Puisque je suis l'auteur de cet amendement, il est nécessairement moins bien rédigé que celui de la commission ; je le retire donc au profit de ce dernier.
M. le président. L'amendement n° 268 rectifié bis est retiré.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 198, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 57, modifié.

(L'article 57 est adopté.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures trente, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Christian Poncelet.)

PRÉSIDENCE DE M. CHRISTIAN PONCELET

M. le président. La séance est reprise.

4

QUESTIONS D'ACTUALITÉ
AU GOUVERNEMENT
SUR LA SITUATION AU KOSOVO

M. le président. L'ordre du jour appelle les questions d'actualité au Gouvernement.
La conférence des présidents a décidé, sur mon initiative, de consacrer cette partie de la séance aux événements graves qui se déroulent dans les Balkans.
Monsieur le Premier ministre, lors de notre séance exceptionnelle du jeudi 15 avril, vous nous avez fourni des informations sur les efforts militaires, humanitaires et diplomatiques de la France au Kosovo.
Une nouvelle fois, vous avez bien voulu venir devant le Sénat pour faire le point sur les plus récents développements de cette crise. Ainsi, vous répondez au voeu exprimé à l'unanimité par le Sénat, qui souhaite être informé sur l'évolution des événements dans cette région.
Au nom de tous nos collègues, je tiens à vous en remercier.
Je rappelle que les modalités de cette séance exceptionnelle de questions sont celles que nous avions appliquées lors de la séance du 15 avril dernier : chaque auteur de questions dispose d'un temps de parole de cinq minutes au maximum ; M. le Premier ministre répondra ensuite à l'ensemble des orateurs.
La parole est à M. Weber, pour le groupe socialiste. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Henri Weber. Monsieur le Premier ministre, je voudrais tout d'abord vous dire, moi aussi, notre satisfaction de vous retrouver au Sénat pour faire le point, une nouvelle fois, sur l'évolution de la situation en Yougoslavie et sur les réponses que notre pays doit y apporter. Le débat est légitime et nécessaire. Il est aussi utile à la compréhension, et donc à l'efficacité de l'action engagée.
Nous approuvons la ligne de conduite que votre gouvernement et le Président de la République ont définie face à la crise du Kosovo.
Votre gouvernement a eu raison de s'opposer à la politique d'épuration ethnique de Slobodan Milosevic, d'abord par l'action diplomatique, puis par la force armée, lorsqu'il est apparu que toutes les ressources de la négociation étaient épuisées.
Il fallait donc un coup d'arrêt à l'ultranationalisme xénophobe, raciste, belliciste qui ensanglante la Yougoslavie depuis dix ans, et cela, il fallait le faire pour des raisons non seulement morales, mais aussi politiques. Il y a d'autres Milosevic qui sommeillent et qui attendent leur heure, à qui il faut montrer que l'exploitation des passions nationalistes pour conquérir et conserver le pouvoir ne paie plus.
Votre gouvernement a eu raison de n'épargner aucun effort pour réintroduire la Russie dans le jeu diplomatique et l'encourager à tenir le rôle très actif qui est aujourd'hui le sien. Il n'y aura pas de retour à une paix juste et durable dans la région sans le concours de la Russie. Les partisans d'une intervention terrestre en Yougoslavie devraient davantage tenir compte de cette réalité.
Votre gouvernement a eu raison, conjointement avec le Président de la République, de faire reconnaître la primauté de l'ONU dans le règlement de la crise. C'est l'ONU, et non l'OTAN, qui représente la communauté des nations. C'est en elle que réside la seule source de légitimité.
Votre gouvernement a eu raison d'expliquer aux Français qu'il n'y a pas de guerre éclair possible quand on se soucie d'épargner au maximum la population civile. Même si, par l'obstination de Milosevic, la guerre est plus longue que beaucoup ne l'avaient prévu, il faudra persévérer, avec ténacité et détermination, jusqu'à ce que le gouvernement serbe accepte les cinq conditions formulées par M. Kofi Annan.
Slobodan Milosevic espérait diviser les pays de l'Union européenne, dresser leur opinion publique contre l'intervention militaire, entraîner la Russie à ses côtés. Sur ces trois points, il a échoué. La Serbie de Milosevic est isolée. Elle est privée de toute perspective, hormis celle de devoir tenir envers et contre tout ; mais pendant combien de temps ?
Le temps, précisément, travaille désormais contre le dictateur de Belgrade. Plus nombreux qu'on ne le croit sont les dirigeants serbes qui se rendent compte aujourd'hui que leur pays est engagé dans un bras de fer sans espoir et qu'il n'y a d'autre issue que de revenir à la table de négociation.
Monsieur le Premier ministre, vous vous rendez samedi prochain en Albanie et en Macédoine. Quelle aide pouvons-nous apporter à ces pays, ainsi qu'au Monténégro, qui ploient aujourd'hui sous un flux incessant de déportés ?
La déstabilisation de ces pays est sans doute, désormais, le dernier atout de Milosevic. Que pouvons-nous faire pour les conforter ?
Qu'entendez-vous proposer, plus largement, puisque le conflit est appelé à durer, pour assurer aux 800 000 Kosovars qui souhaitent rester sur place des conditions d'hébergement et d'existence décentes ?
Que comptez-vous faire, enfin, pour venir en aide aux déportés de l'intérieur, ces populations errantes, soumises aux exactions des milices serbes et menacées par la famine ?
Ce conflit a montré à tous combien il est nécessaire de doter enfin l'Europe d'une défense et d'une diplomatie communes. Selon quelles modalités ? Un débat approfondi, au Parlement, sur ces questions serait, me semble-t-il, le bienvenu.
Monsieur le Premier ministre, nous savons qu'il n'y a pas de guerre propre mais nous croyons qu'il y a des guerres justes et que celle que nous menons aujourd'hui avec nos alliés, en Yougoslavie est clairement de celles-là.
C'est une guerre des démocraties contre le nationalisme ethnique,...
M. Emmanuel Hamel. Très bien !
M. Henri Weber. ... ce nationalisme d'exclusion, fondé sur la haine des autres plutôt que sur l'amour des siens, et qui s'annonce comme l'un des grands fléaux du siècle prochain.
Dans ce combat, monsieur le Premier ministre, soyez assuré de notre soutien total. (Applaudissements sur les travées socialistes. - MM. Hamel et Machet applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Vinçon, pour le groupe du RPR. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.).
M. Serge Vinçon. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, vous me permettrez de renouveler solennellement notre soutien à tous nos soldats, nos marins et nos aviateurs engagés au Kosovo.
Nous savons combien leur mission, qu'elle soit militaire ou humanitaire, est difficile, pénible, éprouvante, d'une durée incertaine, mais nous savons aussi qu'ils s'en acquittent tous avec beaucoup de courage et de dignité.
Parce que notre engagement est celui de la défense et de la protection des droits de l'homme et de notre conception de la démocratie, c'est l'honneur de la France que d'être présente au Kosovo.
L'élan de générosité que l'on a vu se développer en France montre bien que les Français ont compris à quel point il y avait là un cause juste, qui devait être défendue.
Aussi, nous devons poursuivre notre stratégie militaire et diplomatique à l'encontre du gouvernement de la République fédérale de Yougoslavie, afin que notre détermination aboutisse à l'acceptation totale et sans condition par le président Milosevic des cinq points de l'accord de paix proposés par l'OTAN. En effet, nul ne peut accepter les exactions perpétrées à l'instigation d'un chef d'Etat survivant d'une époque révolue ni la tragédie humaine qui en résulte.
De cette crise au Kosovo, nous devons tirer des enseignements.
Nous pouvons nous féliciter de la solidarité des quinze pays de l'Union, qui laisse augurer leur volonté de mettre en oeuvre, de fait, une véritable politique de défense, laquelle impliquerait un renseignement, une communication, une chaîne de commandement, une force d'action ainsi que la constitution d'une entité autonome, fût-elle membre à part entière de l'OTAN.
Le Président de la République l'a bien précisé : « Il est indispensable que l'Union européenne joue tout son rôle dans le règlement politique d'une crise qui se déroule à nos portes. Pour la première fois, l'Union européenne est prête à assumer ses responsabilités dans le règlement d'une crise majeure. On a trop reproché à l'Europe sa faiblesse dans ce domaine pour ne pas saluer cette détermination nouvelle. »
D'autre part, la France ne peut que se féliciter des résultats du sommet de l'OTAN, qui déclinent la définition d'un nouveau concept stratégique, faisant référence, comme le souhaitait notre pays, au respect des prérogatives de l'ONU et, plus précisément, du Conseil de sécurité.
Cette évolution positive, nous la devons au Président de la République et à la diplomatie française.
Alors que beaucoup se posaient la question du rôle et de la pérennité de l'OTAN, celle-ci a su, au sommet de Washington, se donner un « cadre de fonctionnement » qui l'aidera à affronter les défis du nouveau siècle.
Nos préoccupations, monsieur le Premier ministre, s'articulent en trois volets.
Sur le plan diplomatique, selon les renseignements dont vous disposez, quelles sont les chances de réussite des missions de M. Tchernomyrdine, au nom de l'indispensable Russie, pour tenter une conciliation entre l'OTAN et Milosevic et arriver à un accord de paix ?
Par ailleurs, quel est le degré d'avancement des propositions françaises quant à un règlement du conflit sous l'égide de l'Union européenne avec le déploiement sur place d'une force de l'ONU ?
Sur le plan politique, que devons-nous penser du limogeage de M. Draskivic ? Quelle crédibilité peut-on lui accorder et dans quelle mesure celui-ci peut-il encore influer sur l'opinion du peuple serbe ?
Les observateurs commentent l'embargo pétrolier qui a été décidé. Comment pensez-vous que l'on puisse l'appliquer de la façon la plus efficace sans mettre en difficulté les gouvernements voisins ?
A ce sujet, n'est-il pas urgent de mettre en oeuvre un plan de construction et de soutien à l'Albanie et à la Macédoine, ce dernier pays étant particulièrement éprouvé par l'arrivée massive des réfugiés ? Un tel plan est indispensable pour éviter l'implosion de la Macédoine.
Sur le plan militaire, enfin, nous savons que les Etats-Unis viennent de rappeler 33 000 réservistes. Cette décision américaine pourrait-elle influencer ou inspirer les autres pays engagés dans le conflit du Kosovo et est-elle le signe d'une évolution du type de notre intervention ? (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Collin. (Applaudissements sur les travées du RDSE.)
M. Yvon Collin. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, après plus d'un mois de frappes aériennes, l'issue du conflit au Kosovo apparaît, hélas ! toujours incertaine. Milosevic démontre à l'évidence une capacité de résistance que les forces de l'OTAN ont peut-être sous-estimée.
La stratégie du « tout aérien » ne constitue pas pour autant un échec même si elle inscrit la crise dans la durée. Un grand nombre de points stratégiques ont été détruits avec des dégâts collatéraux, certes regrettables, mais finalement inévitables par rapport aux 5 000 frappes effectuées dans le cadre des 11 000 sorties d'avions.
Par ailleurs, sur le plan de la politique interne à la Serbie, le limogeage du vice-premier ministre, Vuk Draskovic, apporte peut-être les premiers signes de fracture du régime de Milosevic. Certes, si la prudence s'impose - tant la manipulation est une arme souvent utilisée par les idéologies extrémistes - cette nouvelle porte néanmoins un coup à la cohésion du nationalisme serbe. Elle laisse même entrevoir une possibilité d'opposition interne face à l'entêtement de Milosevic.
En manipulant l'information, ce dernier avait réussi à l'évidence à faire taire les divergences. Or, il serait erroné de croire que l'opposition n'existe plus. Ces deux dernières années, elle avait été d'ailleurs particulièrement active, jusqu'à pouvoir mettre Milosevic en difficulté, à tel point qu'on peut d'ailleurs se demander si celui-ci n'a pas justement saisi la cause nationale du Kosovo pour fédérer les Serbes. Entraînée malgré elle dans l'aventure nationale-ethnique, l'opposition est peut-être aujourd'hui - on peut le souhaiter - en phase de réveil.
En attendant, l'incertitude qui entoure cette information nous interdit de compter sur l'éclatement du régime.
La stratégie à poursuivre demeure donc la même. Après la réunion de Washington, l'Alliance a décidé de continuer et même d'intensifier la campagne de bombardements aériens sur la Yougoslavie. L'éventualité d'une action au sol qui suscite, à juste titre sans doute, beaucoup de commentaires semble être actuellement écartée. Bill Clinton l'a répété. Vous-même, monsieur le Premier ministre, l'avez rappelé ici même voilà quinze jours et plus récemment de concert avec le Président de la République.
Je voudrais d'ailleurs souligner combien le consensus qui règne sur ce sujet dans notre pays nous apporte un immense crédit sur le plan international. Comme vous le savez, monsieur le Premier ministre, la cohabitation connaît, par définition, des moments difficiles, mais il est rassurant de constater que, lorsqu'il s'agit des intérêts supérieurs de la France, le Premier ministre et le Président de la République savent parler d'une même voix. Ce fait mérite d'autant plus d'être souligné que ce n'est pas toujours le cas dans les autres pays de l'Alliance.
Je voudrais maintenant préciser ma question. Depuis quelques jours, la Russie est davantage entrée dans le jeu diplomatique. Je m'en réjouis pour ma part et je crois, mes chers collègues, que cette orientation doit à l'évidence être approfondie. Il faut le dire, le choix d'écarter pour le moment l'hypothèse d'une intervention au sol est motivé non seulement par la peur d'un risque d'enlisement sur le terrain, mais aussi par le fait que l'Alliance peut difficilement prévoir la réaction de la Russie en cas d'engagement terrestre.
Qu'on le veuille ou non, la Russie est donc un partenaire incontournable. Elle exerce une influence particulière dans la région et auprès de Belgrade, même si les premières démarches effectuées par M. Primakov, et plus récemment encore par M. Tchernomyrdine, ont donné peu de résultats.
Par ailleurs, négliger la Russie pourrait raviver la solidarité slave et orthodoxe et alimenter un panslavisme propice à l'exacerbation des forces nationalistes et populistes à Moscou. Les élections de 1995 à la Douma et le premier tour de l'élection présidentielle de 1996 avaient déjà mis en évidence le retour en force des nationalistes.
La Russie connaîtra dans les prochains mois deux scrutins essentiels. La gestion de la crise du Kosovo pourrait donner matière aux campagnes législatives et présidentielles russes.
Nous nous battons actuellement, monsieur le Premier ministre, pour la stabilité des Balkans. Dans une perspective plus large et plus lointaine, nous devons également oeuvrer dans la mesure du possible pour que soient favorisés les tenants des valeurs démocratiques en Russie. Cette fois-ci, c'est une question de stabilité mondiale.
Monsieur le Premier ministre, je souhaiterais avoir votre avis sur la signification que vous donnez au limogeage de Vuk Draskovic et connaître les premiers résultats des initiatives engagées avec la diplomatie russe ces derniers jours.
Je souhaite également exprimer, à mon tour, ma solidarité et mon soutien au Gouvernement et avoir une pensée affectueuse pour tous nos compatriotes engagés dans ce conflit. (Applaudissements sur les travées du RDSE et sur les travées socialistes ainsi que sur certaines travées du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Renar, au nom du groupe communiste républicain et citoyen.
M. Ivan Renar. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, la guerre s'est installée en Europe. Nous voici entrés dans la sixième semaine du conflit qui oppose l'Alliance atlantique et la République fédérale de Yougoslavie.
Je tiens d'entrée à souligner que j'ai lu avec le plus vif intérêt les propos que vous avez tenus l'autre jour à l'Assemblée nationale, monsieur le Premier ministre, et que j'ai noté un encouragement, des points d'appui forts pour tous ceux, dont vous êtes, qui recherchent un retour à la paix, à une paix durable dans cette région des Balkans ravagée par l'histoire, par les guerres.
Le martyre du Kosovo est insupportable. La violence et la terreur subies par les Kosovars ne semblent plus avoir de limite. Je le dis et je le répète pour que les choses soient claires : Milosevic et les ultranationalistes qui l'entourent portent la responsabilité de cette tragédie et de cette barbarie.
M. Emmanuel Hamel. C'est bien de le dire !
M. Ivan Renar. Dès les premières heures des bombardements, nous avons posé la question : « Et maintenant, après ces premiers bombardements, comment retrouver le chemin qui mène à la paix ? » Nous ajoutions : « Loin de soulager les souffrances de la population, loin d'empêcher l'armée yougoslave de pousser la répression au Kosovo, les bombardements de l'OTAN vont aggraver la situation. »
Un mois plus tard, les événements apportent une dramatique justification à cette analyse.
Notre solidarité va à ces hommes, à ces femmes, à ces enfants, victimes des exactions abominables de l'épuration ethnique ; elle va à tous les peuples de la région, aux victimes des bombardements ; elle va à ces démocrates qui résistent à Milosevic et s'opposent à la barbarie nationaliste.
Dans le même temps, il nous faut créer les conditions du retour chez elles de ces centaines de milliers de familles aujourd'hui poussées à l'exode.
Il nous faut également empêcher l'embrasement de la région et tout faire pour enrayer l'engrenage de la guerre.
Ma première question, monsieur le Premier ministre, porte sur l'aide humanitaire indispensable aux réfugiés comme aux populations des pays limitrophes. Des millions de nos concitoyens se sont mobilisés. Quels moyens supplémentaires l'Etat compte-t-il dégager pour renforcer les dispositifs mis en place par les collectivités territoriales et les associations humanitaires et pour faire face aux milliers de demandes d'accueil encore en attente ?
Ma deuxième question, monsieur le Premier ministre, porte sur l'essentiel.
La difficulté à apprécier l'efficacité ou l'inefficacité des frappes aériennes a fait ressortir les plans d'interventions terrestres, les tentations du va-tout de certains alliés, la fuite en avant devenant une réponse tragique au sentiment d'impuissance et d'échec devant une opération si mal engagée et mettant en cause le leadership américain. (Murmures sur les travées du RPR.)
C'est pourquoi, monsieur le Premier ministre, vous comprendrez que nous apprécions positivement, comme la majorité de notre peuple, le refus de l'exécutif de voir la France s'engager dans des opérations terrestres.
Il faut agir vite et fort pour avancer vers une solution politique.
Nous approuvons les propos de M. Kofi Annan, qui a souligné hier qu'« une solution durable au Kosovo ne pourra être gagnée sur le champ de bataille ».
Chacun pressent que chaque jour d'enlisement nous entraîne au bord du précipice, c'est-à-dire vers la tentation de l'offensive terrestre. Il faut mettre en avant d'autres solutions que le sang et les larmes.
Comment la France entend-elle, dans les heures et les jours qui viennent, faire avancer l'idée du vote d'un plan de paix par le Conseil de sécurité de l'ONU ? Vous avez indiqué à l'Assemblée nationale votre souci d'amener la Russie à cette démarche.
Où en sommes-nous des contacts, de la prise en compte des propositions de la Russie qui a été mise sur la touche par la décision de l'OTAN de frapper en dehors de tout cadre légal ?
Comment appréciez-vous, enfin, les premières fissures provenant de la Serbie ? Serez-vous prêt à saisir la moindre chance qui puisse permettre à la paix de triompher ?
La France et l'Europe ont un rôle décisif dans le devenir de cette crise.
Vous savez, monsieur le Premier ministre, et je tiens à vous le réaffirmer aujourd'hui, au nom du groupe communiste républicain et citoyen, que tout acte, tout geste, tout effort aussi minime soit-il des autorités françaises, susceptible d'avancer vers une solution politique, recueillera notre soutien plein et entier.
Un sénateur de l'Union centriste. On attend !
M. Ivan Renar. Je me souviens d'une époque où je participais à des colloques sur le thème « guerre juste-guerre injuste ». Je préfère désormais parler, comme notre ami Walter Veltroni, de « paix juste ».
Quelles seraient, selon vous, monsieur le Premier ministre, les conditions d'une paix juste ?
En ces temps de barbarie ordinaire, où l'on a parfois l'impression de tâter l'avenir avec une canne blanche, les peuples attendent beaucoup de la France, et, effectivement, beaucoup dépend de notre pays et des Français, pour redonner une chance à la paix, une paix juste et durable. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées socialistes et du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Arthuis, au nom de l'Union centriste. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jean Arthuis. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, la participation des forces françaises aux opérations en Yougoslavie se poursuit. Je tiens à saluer de nouveau la détermination et le courage des militaires qui s'y trouvent engagés. Les missions de ravitaillement, de reconnaissance et de frappe au sol que conduit l'armée de l'air française depuis plus d'un mois témoignent de la volonté de notre pays de participer à l'action de l'OTAN afin de contraindre le régime de Belgrade à reprendre les négociations.
Parallèlement, environ deux cents rotations aériennes à vocation humanitaire ont permis de soulager, en partie, par ce pont aérien incessant, la détresse des populations réfugiées dans les pays voisins de la République fédérale de Yougoslavie. Enfin, les premières troupes françaises de la force de sécurité ont commencé à s'installer en Albanie.
A ces opérations menées sous l'autorité du Président de la République par votre gouvernement, monsieur le Premier ministre, le groupe de l'Union centriste réitère son soutien sans réserve, tant il est vrai qu'il s'agit, au plus vite, de donner une solution diplomatique et politique à cette crise dramatique qui meurtrit le Kosovo.
C'est la solution que nous attendons, mais c'est également la solution qui, au-delà des frappes aériennes, doit associer la Russie à travers un rôle de médiation, de négociation et de recherche de mesures concrètes qui ramèneront la paix dans cette région des Balkans.
La Russie, par l'autorité morale qu'elle exerce sur les opinions balkaniques, est sans doute à même de débloquer bien des situations. A cet égard, pouvez-vous nous éclairer, monsieur le Premier ministre, sur le contenu de la mission du secrétaire général des Nations unies, M. Kofi Annan, qui est aujourd'hui à Moscou ?
Mais il est une autre question : quelles sont les conséquences d'un éventuel embargo pétrolier, et donc d'un bouclage de l'Adriatique, sur l'implication de la Russie ? Nul n'ignore que Moscou a d'ores et déjà fait savoir qu'il ne reconnaîtrait pas les contraintes liées à cet éventuel blocus. Par ailleurs, la Grèce ne paraît pas non plus favorable à cet embargo.
Les pays membres de l'OTAN engagés dans ces opérations, et plus encore les pays d'Europe, souhaitent parvenir à une paix durable, impliquant l'indispensable rétablissement des Kosovars sur leur territoire et dans leurs droits. C'est la condition du retour de la stabilité dans l'ensemble des Balkans.
Au carrefour du Proche-Orient, de l'Europe centrale et de l'Europe méditerranéenne, la péninsule balkanique n'a que trop souffert de crises politiques et de véritables déchirements régionaux aux conséquences funestes.
Après avoir souligné le rôle de la Russie dans la recherche de la voie diplomatique et politique, j'aborderai la place que pourraient prendre dans ce dispositif les pays voisins de la Serbie, en particulier la Bulgarie et la Roumanie.
Monsieur le Premier ministre, estimez-vous - c'est ma troisième question - que ces pays pourraient être impliqués dans ce processus de recherche de paix ?
La stabilisation politique doit s'accompagner d'une reconstruction des économies et d'une redécouverte de la croissance dans les pays des Balkans éprouvés par une véritable régression sociale et économique. Les témoignages des réfugiés kosovars - ils sont désormais plus d'un million - qui nous parviennent chaque jour soulignent avec violence la nécessité d'assurer une assistance humanitaire efficace, complète et durable. Ils nous appellent aussi, au-delà de la générosité des peuples d'Europe et de l'aide financière des pays de l'Union européenne, à bâtir un soutien sans faille au développement des Balkans.
Nous vous serions reconnaissants, monsieur le Premier ministre, de confirmer au Sénat la cohérence et l'ampleur des moyens que vous entendez, avec nos partenaires européens, consacrer à cette cause. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Pelchat, au nom du groupe des Républicains et Indépendants.
M. Michel Pelchat. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, voilà quelques jours, à Washington, les dix-neuf membres de l'OTAN ont à nouveau confirmé leur détermination.
Le groupe des Républicains et Indépendants soutient lui aussi avec détermination cette intervention, qu'il juge toujours légitime, mais, je tiens à le rappeler, il a également souligné dès le début les limites de ces frappes aériennes.
Les événements lui donnent d'ailleurs raison et montrent que les avions, et même demain les hélicoptères, ne peuvent, à eux seuls déloger l'armée et les milices de Belgrade ni, hélas ! mettre fin à l'épuration ethnique.
Aujourd'hui, certains se raccrochent encore à l'espoir que Slobodan Milosevic pourrait fléchir. Je souhaiterais d'ailleurs savoir comment le Gouvernement interprète l'optimisme affiché par Moscou, ainsi que les récentes déclarations des responsables yougoslaves. Et que devons-nous penser du limogeage du vice-Premier ministre Draskovic ?
Si le régime de Belgrade ne cède pas, nous serons obligés de nous poser à nouveau la question d'une intervention terrestre, malgré tous les risques que celle-ci comporte.
Au-delà de ces risques, une telle intervention ne sera pas envisageable sans l'accord du Parlement, contrairement à ce qui s'est fait lors du déclenchement des frappes aériennes. Le groupe des Républicains et Indépendants a pris acte de l'engagement pris sur ce point par M. le Premier ministre devant l'Assemblée nationale.
La campagne aérienne, qui dure maintenant depuis un mois, qualifiée au départ de simple « crise », est désormais reconnue pour ce qu'elle est : une vraie guerre, même si elle n'est pas déclarée.
Sur le plan diplomatique, l'ONU et la Russie ont pu paraître un temps isolées. La situation s'est depuis largement améliorée sous l'impulsion de l'Union européenne et, surtout, de la France. Nous nous en félicitons.
Sur le plan humanitaire, les gouvernements ont semblé, au début, dépassés par l'ampleur de l'exode des réfugiés du Kosovo.
Après quelques jours de confusion, des moyens considérables ont été engagés pour faire face à l'arrivée de dizaines de milliers puis de centaines de milliers de personnes.
A cet égard, le groupe des Républicains et Indépendants tient, une fois de plus, à saluer la grande générosité de nos compatriotes.
Mais nous considérons également qu'il faut tirer les conséquences de la décision de l'OTAN de ne continuer que les frappes aériennes sans intervention terrestre. C'est une stratégie qui ne peut en effet réussir que sur la durée.
Aussi, à moins d'un événement heureux, la guerre va durer encore des semaines, voire des mois.
Or cela change profondément la nature de l'aide humanitaire qu'il faut prévoir. Elle doit désormais s'inscrire dans la durée, et non plus seulement dans l'urgence.
De nouveaux réfugiés arriveront en Albanie, en Macédoine et au Monténégro, par milliers. Pas plus que ceux qui y sont déjà, ils ne rentreront chez eux avant longtemps. Il faut donc prévoir des hébergements de longue durée pour remplacer les camps provisoires improvisés dans l'urgence.
De nouveaux besoins vont également apparaître dans le domaine médical. Il faut donc aussi prévoir des hôpitaux de campagne et des infrastructures sanitaires.
Enfin, il faut prendre au sérieux les problèmes économiques posés aux pays riverains par l'arrivée massive de ces réfugiés.
Ces pays sont déjà très fragiles et nous devons veiller à ce que M. Milosevic n'entraîne pas toute cette région, sinon dans la guerre, du moins dans la ruine.
Le Gouvernement peut-il nous préciser quelles sont les mesures prises pour anticiper ces nouvelles dimensions humanitaire et économique ? Je pense en particulier au rôle confié à l'Union européenne et à la Banque mondiale pour coordonner l'aide aux pays voisins du Kosovo.
Au-delà de ces aspects économiques et financiers, je souhaite saluer l'action admirable des organisations humanitaires et de nos militaires, qui viennent en aide aux réfugiés et acheminent sur place du matériel, dans des conditions souvent très difficiles.
Je veux aussi, avec vous tous, rendre hommage à ces héros anonymes du Kosovo, civils innocents, exécutés ou assassinés par les milices de Belgrade, simplement pour avoir voulu sauver leur maison, empêcher un viol ou protéger leur famille.
C'est pour eux, et non seulement pour la liberté et les droits de l'homme, que nous n'avons pas le droit d'abandonner, que nous n'avons pas le droit de perdre cette guerre. C'est pour eux, surtout, que nous devons rester déterminés jusqu'à ce que le Kosovo dispose d'un statut d'autonomie qui reconnaisse les droits et garantisse la sécurité de tous ses habitants. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Adnot, au nom de la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe.
M. Philippe Adnot. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, les Français, dans une très large majorité, soutiennent l'action que le Gouvernement, sous l'autorité du Président de la République, a engagée au Kosovo dans le cadre de l'OTAN.
Comment pourrait-il en être autrement, alors que des informations alarmantes nous sont communiquées sur les exactions commises par les milices et que déferlent sous nos yeux les images désolantes des réfugiés kosovars ?
La question qui se pose aujourd'hui est la manière dont nous allons terminer ce conflit. On nous dit que celui-ci risque d'être long, qu'il n'est pas question de toucher à l'intégrité du territoire serbe et l'on a un peu le sentiment que l'objectif est de vouloir revenir, sous couvert international, au statut antérieur.
Je ne crois pas qu'avant un certain temps il nous soit possible de faire cohabiter sans risques des peuples qui se sont affrontés avec une telle violence. L'expérience nous montre que les régimes qui succèdent à ceux qui sont combattus ne sont pas toujours meilleurs ; l'exemple des Talibans est, à cet égard, édifiant.
Ne pensez-vous pas qu'il soit nécessaire, afin de mettre rapidement un terme au conflit qui pourrait devenir une véritable catastrophe pour les deux peuples, d'envisager une partition du Kosovo, les Kosovars disposant ainsi d'une vraie indépendance, les Serbes conservant, quant à eux, le berceau de leur nation, mais acceptant de perdre une partie de leur territoire ?
Je sais que cette proposition n'est pas à l'ordre du jour, qu'elle est taboue et que son application ne serait certainement pas facile à mettre en oeuvre.
Mais, a contrario , sauf à vouloir rayer de la carte la totalité de la Serbie, je ne crois pas que le dispositif actuel soit en mesure de mettre un terme à une guerre qui fait souffrir des centaines de milliers d'innocents.
Monsieur le Premier ministre, vous avez, ainsi que M. le Président de la République, notre soutien, mais il me paraît urgent, si nous ne voulons pas que l'irréparable continue de s'accomplir, que la France sache prendre des initiatives, même dérangeantes, pour accélérer le processus de paix. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Lionel Jospin, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le Président de la République, depuis le début de cette crise, a eu l'occasion de s'adresser à plusieurs reprises au pays. Comme chef du Gouvernement et dans la responsabilité qui est la mienne, j'ai eu davantage la mission de m'exprimer devant la représentation nationale, devant le Parlement.
Le ministre des affaires étrangères et le ministre de la défense ont été assidus à vos commissions pour répondre à vos questions. Moi-même, à plusieurs reprises, accompagné du chef d'état-major des armées, j'ai été amené à donner aux présidents des groupes et aux présidents de la commission de la défense nationale et de la commission des affaires étrangères à l'Assemblée nationale et de votre commission commune au Sénat toutes indications qui étaient demandées.
Depuis que je suis intervenu, le 15 avril dernier, devant votre assemblée, nos buts dans ce conflit n'ont pas varié ; notre détermination dans la conduite des frappes reste entière ; nous continuons naturellement à faire face aux conséquences humanitaires de ce conflit dramatique ; mais nous préparons l'issue diplomatique qui devra clore ce drame nouveau dans les Balkans, en même temps que, nous projetant dans l'avenir, nous devons poursuivre notre réflexion sur le rôle que l'Union européenne devra davantage jouer en matière de politique extérieure et, sans doute aussi, de défense.
Oui, nos buts dans ce conflit n'ont pas varié.
Lors du sommet de Washington, les chefs d'Etat et de gouvernement ont adopté, le 23 avril dernier, une déclaration sur le Kosovo qui réaffirme la détermination de l'Alliance à l'emporter, face au défi lancé à nos valeurs fondatrices que sont la démocratie, les droits de l'homme et la primauté du droit.
Je vous l'avais indiqué le 15 avril - et c'est une opinion partagée par tous - du fait de l'obstination de M. Milosevic à refuser un compromis qui paraissait pourtant à portée de main, il est apparu, hélas ! clairement, après de long mois d'efforts, à Rambouillet, puis à Paris, que le processus diplomatique était dans l'impasse.
La volonté du gouvernement serbe de régler par la force le conflit au Kosovo, le début des exactions dans cette région de la République fédérale de Yougoslavie, les mouvements de population qui s'amorçaient, la détermination à mettre en oeuvre en tout état de cause la politique d'épuration ethnique et de déportation au travers de plans qui étaient programmés nous ont conduits à penser que, si nous ne voulions pas être condamnés à l'impuissance, il nous restait une seule voie : engager des opérations militaires avec nos alliés pour changer le cours des choses.
Avons-nous provoqué des malheurs plus importants que ceux que nous voulions éviter ? Sincèrement, je ne le crois pas, et soyez sûr que le responsable politique et l'homme que je suis se pose cette question presque tous les jours.
D'abord, quelles qu'aient été ces frappes, rien ne pouvait justifier le fait que M. Milosevic déporte ses propres citoyens, puisque les Kosovars étaient des citoyens de la République fédérale de Yougoslavie.
M. Michel Pelchat. Eh oui !
M. Lionel Jospin, Premier ministre. La responsabilité de ces déportations appartient entièrement au régime serbe, notamment à M. Milosevic.
Comme je l'ai dit voilà un instant, tout montre que, si les démocraties occidentales avaient indiqué clairement qu'elles prenaient leur part de l'échec diplomatique et qu'elles n'envisageaient pas d'agir par la pression, puis par la menace, enfin par l'engagement des frappes - frappes qui peuvent s'arrêter aussitôt que M. Milosevic témoignera d'une volonté d'aller vers une solution politique - ce mouvement de déportation - j'en suis convaincu parce que nous en avons fait l'expérience historique auparavant, par exemple en Bosnie - se serait produit, mais sans que le régime serbe ait au moins quelque part à en payer le prix.
Aujourd'hui, nous agissons pour que cesse la campagne de répression et d'épuration ethnique déclenchée par les autorités serbes au Kosovo, pour que les forces militaires et paramilitaires, les milices, quittent la province où elles commettent leurs exactions, pour que la population albanophone dispose d'un statut d'autonomie reconnaissant la plénitude de ses droits et garantissant la sécurité de tous les habitants. Nous nous battons pour le retour des Kosovars au Kosovo, et il faudra pour cela un cadre politique dont les accords de Rambouillet ont été la matrice ; et il faudra une force de sécurité internationale déployée sous garantie militaire, dans les conditions qui sont celles de cette région, pour permettre le retour des réfugiés.
Il s'agit là des cinq conditions posées par le groupe de contact, l'OTAN, l'Union européenne, mais aussi le secrétaire général des Nations unies pour un arrêt des frappes, qui peut se produire à tout moment si cette volonté est exprimée par l'autre partie et si le processus est engagé.
C'est pourquoi, tant que ce mouvement ne s'opère pas, tant que cette manifestation de la recherche d'une issue raisonnable et humaine à ce conflit n'est pas concrétisée, notre détermination d'agir reste entière.
Appliquée avec ténacité, la stratégie des frappes aériennes produira, avec le temps, ses effets.
On a évoqué, à cette occasion, les rapports entre la France et l'OTAN.
Dans le conflit du Kosovo, je le répète, la France occupe toute sa place : celle d'un membre respecté de l'Alliance. Elle n'a pas été « entraînée » dans les opérations militaires menées par l'OTAN ; elle en a partagé la décision avec ses alliés, après en avoir évalué les risques et considéré qu'il n'y avait plus d'alternative possible. Elle est associée à la conduite des frappes aériennes et son avis est suivi lorsqu'elle s'oppose à une opération, comme c'est le cas, j'imagine, pour les autres partenaires de l'Alliance. Par exemple, tout récemment, c'est en toute connaissance de cause qu'il a été décidé que les forces alliées mènent des attaques contre les forces militaires au Monténégro, et notamment sur l'aérodrome militaire de Podgorica.
En effet, vous le savez, nous avons le souci de veiller à l'équilibre au Monténégro ; nous voulons préserver cette province. Nous suggérons donc - et nous avons en conséquence marqué des oppositions à des frappes - une stratégie d'« encagement » du Monténégro, - c'est le terme employé par les militaires - de façon que, pour éviter, par exemple, le transport de produits pétroliers, on frappe en Serbie plutôt qu'au Monténégro même, parce qu'il y a là une situation d'instabilité possible à laquelle nous devons veiller.
Mais lorsque, sur un aérodrome militaire, est concentrée une partie de ce qui reste de la force aérienne du régime serbe et que ce dernier veut s'en servir, nous sommes obligés d'intervenir. Voilà comment sont pesées presque chaque jour les décisions qui doivent être prises par le chef d'état-major des armées dans son contact avec les autorités de l'OTAN, mais tout cela, sous le contrôle politique direct du Président de la République et du Premier ministre que je suis avec, naturellement, les avis du ministre de la défense et du ministre des affaires étrangères.
En ce qui concerne le cadre institutionnel de l'engagement français, sur lequel M. Pelchat m'a interrogé, j'ai déjà indiqué devant l'Assemblée nationale, avant-hier, que l'article 35 de la Constitution visant la déclaration de guerre autorisée par le Parlement, c'est-à-dire par l'Assemblée nationale et le Sénat, n'était pas applicable. C'est donc dans un autre cadre institutionnel - mais d'autres articles le permettent - que nous devrions vous consulter. Je veux le redire ici : aucun changement majeur dans la stratégie suivie jusqu'à présent - et ce changement, je ne le veux pas, je ne le crois ni nécessaire ni vraisemblable - aucun changement majeur, disais-je, ne pourrait se concevoir sans que vous soyez amenés à vous exprimer par un vote formel.
C'est là - je le rappelle, car cette question a été évoquée tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat - une question de principe, une question régissant les rapports entre le pouvoir exécutif - le Gouvernement en tout cas - et le Parlement.
Cela ne veut naturellement pas dire que, sur le fond, ma position soit différente de celle que j'ai exprimée clairement à l'Assemblée nationale.
Les frappes, à mon sens, produiront dans la durée tous leurs effets. Certes, les frappes n'ont pas empêché que se poursuive une épuration ethnique programmée de longue date et engagée au lendemain de Rambouillet avec la militarisation du Kosovo. Mais ni une intervention terrestre à haut risque ni le renoncement à toute action laissant libre cours aux activités criminelles du régime serbe et de ses milices n'auraient été en tout état de cause en mesure de l'interdire.
Au moins l'intervention de l'Alliance a-t-elle bouleversé l'inégal rapport de forces entre Serbes et Kosovars, entre troupes militaires et paramilitaires surarmées d'un côté, populations civiles sans défense ou groupements faiblement armés de l'autre côté, non pas aujourd'hui, pour le moment, au Kosovo même - et les populations, nous le savons, en paient le prix - mais pour déterminer l'issue du conflit qui a été engagé.
L'Alliance atteint progressivement ses objectifs militaires : désormais, les avions alliés dominent le ciel yougoslave. Les forces serbes au Kosovo ont perdu leur mobilité. Leur logistique est largement affaiblie. Les instruments de la propagande serbe sont défaillants et seront frappés à nouveau. La cohésion de l'outil de guerre serbe décline jour après jour. Les renforts aériens que les alliés vont déployer dans les tout prochains jours contribueront à accélérer le déclin de la force serbe. Il y aura bientôt plus de 1 000 avions alliés sur le théâtre des opérations offrant vingt-quatre heures sur vingt-quatre la capacité de conduire aussi bien des attaques d'objectifs stratégiques que d'objectifs militaires ponctuels et policiers au Kosovo.
Enfin, les premières lézardes apparaissent sur la façade d'un régime serbe qui jusqu'ici faisait bloc. M. Collin, avec d'autres, m'a interrogé à cet égard.
Que puis-je dire ? Quand le vice-Premier ministre d'un régime présenté comme un bloc, un opposant certes au parcours diversifié mais qui s'était rallié au pouvoir de M. Milosevic, doit être limogé après des déclarations aussi sévères que celles qu'il a prononcées, et quoi qu'on pense de sa personnalité, c'est indiscutablement un signe.
Mais il nous faut, pour interpréter ce signe, être prudents et attentifs.
Prudents, parce que nous connaissons la nature autoritaire de ce régime, la complexité de ses structures de pouvoir, l'idéologie d'une partie de l'élite du pays. Les événements de ces derniers jours le démontrent, où il faut déchiffrer ce qui reste opaque. Il faut donc, surtout, que les actes viennent au secours des paroles, d'où qu'elles viennent, c'est-à-dire que les autorités serbes s'engagent à respecter les cinq conditions fixées par la Communauté internationale.
Nous restons en même temps attentifs, parce que nous espérons que, malgré la propagande, des Serbes restent lucides, parce que nous n'avons pas oublié ces importantes manifestations organisées par le peuple de Belgrade. Certes, ces dernières portaient sur d'autres objets, à savoir les rapports de pouvoir, les élections truquées, la question de la démocratie, et, à la limite, les mêmes hommes ou femmes qui s'étaient engagés dans ces combats peuvent, surtout quand leurs leaders changent de camp, être enfiévrés par les idées du nationalisme ; ces deux mouvements ne peuvent donc pas s'identifier absolument dans le temps. Mais nous espérons que les Serbes pourront se convaincre, par tous les moyens malaisés de pression sur leurs autorités qui sont les leurs, que le respect des conditions posées par l'Alliance atlantique donnerait le signal de la fin des frappes.
Il est donc très important de continuer à parler au peuple serbe ; nous savons qu'il nous entend par différentes voies, et c'est pourquoi aussi il était important de limiter la puissance d'une propagande scandaleuse. Nous savons bien que, par de multiples canaux, les Serbes entendent aussi et voient peut-être un peu ce qui se passe au Kosovo, qu'ils entendent ce que nous avons à leur dire. Oui, il faut leur redire que nous ne nous battons pas contre le peuple serbe et que nous sommes prêts à bâtir avec lui, s'il en fait ce choix clairement, dans une Europe démocratique et aussi dans les Balkans avec les autres peuples, un nouvel avenir, un avenir différent de l'impasse tragique, humiliante, déshonorante aussi dans laquelle l'enferme son dictateur.
MM. Emmanuel Hamel et Michel Pelchat. Très bien !
M. Lionel Jospin, Premier ministre. Oui, l'efficacité de la stratégie arrêtée ne pourra s'apprécier qu'avec le temps. Il faut donc faire preuve de ténacité, de nerf, de courage aussi, parce que tant de choses provoquent en même temps chez nous l'émotion, la peine et le désarroi que nous pourrions parfois être tentés d'arrêter pour que tout cela cesse. Or nous savons très bien, étant donné notre adversaire, que nous, nous nous arrêterions, que nous, nous subirions une défaite, mais que lui ne s'arrêterait pas. Nous n'avons jamais jusqu'ici reçu de sa part le signe, qui viendra peut-être, forcé par les circonstances, qu'il pourrait raisonner autrement.
Une intervention terrestre n'est donc pas à l'ordre du jour. Cette position, l'ensemble des membres de l'Alliance atlantique l'ont exprimée au sommet qui vient de se tenir à Washington. Les scénarios qui postulent l'échec des frappes aériennes et envisagent une offensive terrestre au Kosovo sont lourds, selon moi, de trop de risques. Passer d'une logique de coercition, presque de sanction, si l'on peut dire, d'une campagne aérienne à un engagement militaire au sol, c'est accepter le principe d'affrontements meurtriers pour les populations et pour nos soldats. C'est entrer dans la logique d'une guerre totale.
En tout état de cause - je vous l'ai dit et je le confirme - aucune décision ne pourrait être prise sans que vous soyez formellement consultés.
En revanche, il a été décidé, au sommet de Washington, d'étudier un embargo pétrolier. M. Vinçon, notamment, m'a interrogé à ce propos.
L'OTAN, c'est vrai, en étudie les modalités juridiques et pratiques. Le Gouvernement français déterminera quant à lui sa position sur ce point en fonction de la teneur des propositions alliées. Nos experts en sont aujourd'hui saisis. Nous garderons à l'esprit le souci de préserver les intérêts, en particulier économiques, du Monténégro.
La France reste attentive, y compris dans ces circonstances exceptionnelles, au respect du droit maritime international et maintient sa préférence pour des solutions fondées sur le volontariat, ce qui correspond d'ailleurs à la démarche des quinze pays de l'Union.
A cet égard, je crois utile de rappeler que le droit international n'autorise en haute mer les navires de guerre qu'à pratiquer la reconnaissance, opération qui consiste à s'assurer à distance de l'identité et de la nationalité d'un navire marchand.
Il existe en outre un « droit de visite », qui consiste à vérifier cette nationalité, la nature de la cargaison et sa destination, par l'examen soit des documents - c'est « l'enquête de pavillon » - soit de la cargaison - cela peut être une perquisition. Mais ce droit ne peut être exercé que dans un nombre restreint de cas : dissimulations de nationalités, pirateries, actes illégitimes de violence ou émissions de radio non autorisées. Nous ne nous trouvons, semble-t-il, dans aucun de ces cas précisément énumérés par le droit de la mer.
Une question qui vous a naturellement tous préoccupés et qui est au premier rang des priorités de la France est la façon dont nous faisons face aux problèmes humanitaires. MM. Weber et Pelchat nous ont interrogés à cet égard.
Plus de 700 000 personnes ont fui le Kosovo depuis un an, et l'on compte aujourd'hui environ 367 000 réfugiés en Albanie, 142 000 en Macédoine et 63 000 au Monténégro. Au Kosovo même, plusieurs centaines de milliers de personnes déplacées survivent dans des conditions extrêmement précaires.
Dès le début de l'exode, la France a mis en place un dispositif d'aide humanitaire qui la met au premier rang. Outre notre contribution à l'effort de l'Union européenne, soit 265 millions de francs, l'Etat a débloqué 300 millions de francs pour porter secours aux réfugiés. Ce sont largement plus de 500 millions de francs que la France consacre à cet effort.
En Macédoine et en Albanie, la France met à disposition des personnels militaires, déploie les centaines de spécialistes de la cellule d'urgence, de la sécurité civile et du SAMU. Elle assure la gestion de plusieurs camps de réfugiés. Elle achemine sur place, depuis son territoire, des milliers de tonnes de fret humanitaire, nourriture, médicaments, tentes, produits de première nécessité.
En Macédoine, prenant le relais de nos soldats, l'action humanitaire française gère maintenant, avec des organisations non gouvernementales, le camp de Stenkovec, où séjournent plus de 11 000 personnes.
En Albanie, la France assure, au sein de l'opération « Abri allié », la protection de la zone sud du pays. Des unités d'intervention de la sécurité civile, des élements de notre corps du génie travaillent sur place. Notre pays administre là aussi plusieurs camps. Des médecins français assurent la couverture épidémiologique du pays et s'apprêtent à réhabiliter un hôpital à Tirana.
Nous apporterons une aide directe au familles albanaises ou macédoniennes qui accueillent des réfugiés, selon des modalités actuellement à l'étude. Dans le même esprit, nous accorderons une aide économique et financière aux pays les plus touchés. La France a déjà obtenu du Fonds monétaire international un moratoire sur les dettes de la Macédoine et de l'Albanie. La Banque mondiale prépare, avec l'Union européenne, un programme pour la reconstruction de ces deux pays. Avec ses partenaires de l'Union, la France prendra ses responsabilités pour apporter aux voisins du Kosovo l'aide que réclament leurs économies, durement touchées par le conflit.
En réponse aux questions qui ont été posées à cet égard, j'indique qu'avec nos partenaires nous sommes prêts à aller beaucoup plus loin pour aider économiquement cette région des Balkans à l'issue du conflit.
Nous le savons tous, la population française s'est mobilisée elle-même dans un élan exceptionnel. Nous tenons le compte de l'aide qui est offerte, rassemblée et triée, souvent par des bénévoles : plus de 20 000 tonnes d'aide seront acheminées sur place par les moyens de l'Etat, avec l'aide de plus en plus manifeste des collectivités locales ; plus de 10 000 familles se sont portées volontaires pour accueillir des réfugiés. A ce jour, nous avons organisé, dans le respect du droit international et des compétences du HCR, l'accueil d'environ 1 800 personnes dans des centres d'hébergement collectif. Nous poursuivrons cet effort de solidarité. Une partie de ces réfugiés rejoindront des familles françaises, et ce librement. Le jour venu, nous les aiderons à retrouver leurs foyers au Kosovo.
Demain, vous le savez peut-être, je me rendrai en Albanie, puis en Macédoine. Ce sera l'occasion pour moi de prendre la mesure de la situation très difficile à laquelle ces deux pays sont confrontés et d'exprimer aux réfugiés comme aux autorités politiques la solidarité de la France. Je mettrai ce déplacement à profit pour évoquer avec les autorités macédoniennes et albanaises nos vues sur l'évolution du conflit au Kosovo. Je recueillerai leur appréciation sur les perspectives de l'issue politique que nous devons rechercher ensemble. Je veux surtout témoigner de la solidité et du caractère durable de notre engagement au côté des pays voisins du Kosovo, que le gouvernement de M. Milosevic espère sans doute déstabiliser. Plus précisément, nous approfondirons, avec nos interlocuteurs, les discussions engagées sur la meilleure façon de venir en aide, sur les plans économique et financier, à ces pays.
Dès maintenant, et cependant que se poursuit le processus des frappes, nous préparons l'issue diplomatique de ce conflit. Cela a d'ailleurs constitué la démarche constante de la France et de sa diplomatie, mise en oeuvre par M. Hubert Védrine.
Les frappes ne sont pas pour moi, je l'ai dit, une impasse militaire. Les frappes ne sont pas non plus la première étape d'un engrenage ou d'une fuite en avant, elles ne sont qu'un moyen auquel il nous a fallu nous résoudre pour nous frayer un chemin vers la paix. Ce chemin passe nécessairement par l'Organisation des Nations unies. M. Collin, en particulier, a insisté sur ce point.
De même que M. Kofi Annan recherche, avec nos alliés occidentaux et par des contacts avec les Russes, dans le même esprit que nous, à dégager les voies d'une issue politique, de même nous pensons que nous devons, pour réussir dans cette voie, avoir la Russie à nos côtés. Notre démarche doit donc être progressive et prendre en compte le point de vue de ce pays indispensable au règlement politique de la crise, de ce partenaire majeur d'un avenir de paix et de stabilité sur notre continent.
Nous espérons que M. Tchernomyrdine - M. Vinçon s'est interrogé à cet égard - pourra jouer un rôle utile dans les négociations. Dans les discussions que nous aurons avec lui, nous n'accepterons de transiger ni sur les principes qui sont les nôtres ni sur les fins que nous poursuivons - le retour des réfugiés, l'autonomie du Kosovo, le caractère pluriel, pluraliste et démocratique de la vie sociale et politique dans ce pays, le retrait des forces armées et des forces de répression serbes - mais nous devrons à chaque instant être ouverts aux modalités qui permettent de poursuivre ces fins et de les atteindre.
De ce point de vue, nous devrons, notamment sur la composition de la force, être extrêmement attentifs au point de vue des Russes, ainsi qu'à ce que les autorités et le peuple serbes peuvent accepter dans cette affaire.
Lorsque sera venu le temps, pour le Conseil de sécurité, d'adopter, sous chapitre VII, une résolution, celle-ci devra, de l'avis de la France, prévoir les conditions du déploiement au sol d'une force de sécurisation internationale. Sa composition et son mandat retiendront particulièrement notre attention. Quant à la puissance déployée, quant à l'unicité nécessaire de sa chaîne de commandement, quant à l'efficacité des règles d'engagement qui doivent être les siennes, la configuration de cette force doit être définie avec précision. Elle ne peut pas, à l'évidence, être une simple force civile, sur le modèle de l'ancienne « Mission des vérificateurs au Kosovo ».
M. Philippe François. Très bien !
M. Lionel Jospin, Premier ministre. Ce ne peut pas être non plus une force de l'OTAN stricto sensu, cela ne permettrait pas de déboucher sur un accord politique. C'est pourquoi il est important que la Russie soit associée à la préparation, à la mise en oeuvre et à la garantie de l'accord politique à venir.
M. Philippe François. Tout à fait !
M. Lionel Jospin, Premier ministre. Quant au futur statut du Kosovo, sur lequel s'est interrogé, par exemple, M. Adnot, nous restons, à ce stade, sur l'orientation adoptée à Rambouillet : un Kosovo autonome, dont j'ai indiqué les caractéristiques pluralistes et démocratiques, peut-être sous administration provisoire au nom des Nations unies ; à cet égard, l'Union européenne a fait état de sa disponibilité. Nous n'envisageons pas, pour l'instant, une partition, mais nous verrons où nous conduira ce conflit...
Le dernier point que je voudrais aborder, mesdames, messieurs les sénateurs, concerne le rôle que doit jouer, à court comme à long terme, l'Union européenne.
Le conflit du Kosovo met en lumière le besoin que nous avons d'une défense européenne. Il renforce la conviction chez nos partenaires que nous devons nous doter d'une véritable politique étrangère et de sécurité commune, y compris d'une défense européenne. Dans la recherche d'une solution négociée pour le Kosovo comme dans l'intervention militaire, les Quinze élaborent et tiennent un langage commun. Nous nous appuierons sur cette solidarité dans le conflit et dans la recherche de la paix pour relancer le projet d'une défense commune.
L'Union doit être capable de prendre, dans un cadre intergouvernemental, des décisions en matière de défense et de gestion de crise. Cela suppose qu'elle se dote, sans redondance et en relation avec l'OTAN, de moyens propres pour évaluer les situations, pour planifier de façon autonome des moyens, pour disposer librement de capacités d'action.
Mais, parce que les Quinze sont de vieilles nations qui ont leurs traditions militaires, parce que certaines sont des puissances nucléaires et que d'autres sont neutres, parce qu'elles ont des conceptions stratégiques particulières et des liens très divers avec les Etats-Unis, nous savons bien que ce mouvement sera progressif. C'est la démarche que nous avons retenue avec le Président de la République à Saint-Malo.
A plus court terme, l'Union européenne prendra toute sa part de la solution politique de cette crise. La France, avec ses partenaires, est prête à jouer un rôle essentiel dans la reconstruction du Kosovo. L'Union européenne, le 14 avril, s'est déclarée disponible pour prendre la responsabilité d'une administration provisoire du Kosovo, si du moins le Conseil de sécurité en décide ainsi.
Concernant nos relations avec les pays voisins du Kosovo - M. Arthuis m'a notamment interrogé sur ce point - le Conseil des ministres de l'Union a, le 26 avril, décidé d'envisager le resserrement de nos liens avec la Macédoine et l'Albanie. La Commission européenne doit explorer la voie d'accords d'association. Nous nous réjouissons de ce résultat, auquel le France a contribué. Compte tenu de l'écart de développement qui subsiste, de la nécessité de préserver l'économie de ces pays d'une concurrence trop vive et de la grande diversité culturelle et sociale des pays européens, l'association constitue, à mes yeux, une meilleure option que l'accélération, peut-être un peu irréfléchie, de l'élargissement de l'Union.
Y a-t-il une place pour la Serbie ? Nous ne voulons pas enfermer le peuple serbe, je l'ai dit, dans l'impasse du nationalisme et de la violence, dans laquelle, malheureusement, il s'est laissé entraîner depuis dix ans. Le but de notre intervention est bien de ramener la Serbie « en Europe », c'est-à-dire d'aider les Serbes à ouvrir les yeux sur les exactions qui sont commises, en leur nom, contre leurs concitoyens yougoslaves, c'est-à-dire de favoriser dans ce pays le développement d'une véritable démocratie, respectueuse des droits des minorités, c'est-à-dire, bien sûr, le jour venu, de consentir les efforts nécessaires à la reconstruction de l'ensemble des pays des Balkans.
Cette Europe prospère, démocratique, celle qui est la nôtre, elle est offerte à tous. N'avons-nous pas nous-mêmes, au sein de cette Union, des partenaires qui furent longtemps des adversaires que nous avons combattus à travers les siècles et avec qui nous avons su nous réconcilier et nouer des amitiés durables ? Nous avons un modèle à proposer, une démarche historique à offrir.
Pour que le règlement de cette crise dans les Balkans soit lui aussi durable, le tribunal pénal international devra être en mesure de sanctionner les agissements de tous les criminels de guerre. La France a pleinement l'intention de le seconder dans cette tâche. Mme Louise Arbour sera d'ailleurs reçue la semaine prochaine à Paris, et nous veillerons à ce que les informations, les observations et les témoignages nécessaires au travail du tribunal lui soient fournis. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
Le tribunal pénal international a pour mission de poursuivre, d'inculper puis de châtier les criminels de guerre. Les gouvernements de l'Alliance, eux, ont pour objectif de chercher une solution politique à la crise du Kosovo. Le moment venu, nous le savons bien, ces deux démarches seront appelées à se rejoindre.
Cette Europe prospère, démocratique, dans laquelle nous souhaitons un jour accueillir tous les membres de la famille européenne, est aussi, en effet, une Europe du droit, dans laquelle aucun crime ne restera impuni.
Oui, comme l'a dit M. Renar, ce sont bien les conditions d'une paix juste que nous recherchons dans la crise du Kosovo à travers, aujourd'hui encore, la poursuite déterminée des frappes, pour faire céder un homme et un régime qui, jusqu'ici, n'ont bougé que devant la force et non devant la lumière de la raison.
Mais, en même temps, il nous faut garder une attention constante aux chances de la négociation quand elles s'offrent, et qu'il faut savoir saisir en ne faisant pas preuve de lourdeur d'esprit ou d'hésitation dans les démarches, sans perdre de vue les fins qui sont les nôtres : le retour des réfugiés, l'autonomie d'un Kosovo pluriel, une Serbie acceptant enfin une conception citoyenne et non pas ethnique de la nation, refusant les fièvres du nationalisme pour n'éprouver que de la fierté nationale, comme il est légitime pour chaque peuple, pour chaque pays, et acceptant de cohabiter dans la paix avec ses voisins.
Mesdames, messieurs les sénateurs, soyez sûrs que la France saisira toutes les chances de paix. (Applaudissements.)
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d'actualité au Gouvernement sur la situation au Kosovo.
Avant d'aborder le point suivant de l'ordre du jour, le Sénat va interrompre ses travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures quinze, est reprise à seize heures trente.)

M. le président. La séance est reprise.

5



RAPPEL AU RÈGLEMENT

M. Henri de Raincourt. Je demande la parole pour un rappel au règlement.
M. le président. La parole est à M. de Raincourt.
M. Henri de Raincourt. Monsieur le président, mes chers collègues, ce rappel au règlement s'impose, au moment où, après la mise en cause de l'Etat dans un incendie criminel en Corse, les pouvoirs publics semblent s'enliser.
Il y a un an, M. Chevènement jurait que tout serait mis en oeuvre pour arrêter les assassins du préfet Claude Erignac. Aujourd'hui, ce sont les gendarmes qui sont incarcérés !
Face à une situation aussi grave, le Premier ministre a utilisé les ressorts de la sémantique en invitant à ne pas confondre une affaire d'Etat avec une affaire de l'Etat.
M. Claude Estier. Il a eu raison !
M. Henri de Raincourt. La représentation nationale ne saurait se satisfaire, monsieur Estier, de ce genre de pirouette !
Le Gouvernement peut bien engager une enquête et promettre des sanctions, les faits sont là.
Soit le groupe de pelotons de sécurité, unité d'élite constituée sur décision du Gouvernement et sous contrôle direct du préfet, a opéré sur ordre et, dans cette hypothèse, qui a donné l'ordre, qui couvre, où est la vérité ?
Soit les gendarmes ont agi seuls, et comme le dossier de la Corse est géré en direct par le Premier ministre, cela signifierait alors que le chef du Gouvernement, responsable de l'administration et de la défense, n'est pas au courant de l'activité de services placés sous sa responsabilité. Nous avons peine à le croire, alors que, selon un quotidien du soir, la hiérarchie de la gendarmerie nationale aurait été informée deux jours après que les faits se sont produits.
On aura beau tourner les explications dans tous les sens - et le ministre de l'intérieur s'y est essayé hier soir - dans un cas comme dans l'autre, la réalité s'impose : où est l'Etat ? Où est le droit ?
Quel que soit le résultat de l'enquête, le mal est déjà fait : l'autorité de l'Etat est, une nouvelle fois, affectée par une escapade nocturne peu glorieuse.
Il ne s'agit pas du tout de polémique politicienne (M. Claude Estier s'exclame) , comme j'ai entendu certains le déclarer, mais de l'utilisation de pratiques louches au nom du rétablissement de l'Etat de droit. Comme méthode c'est condamnable ; comme comportement c'est coupable.
Dans cet esprit, il faut tirer les leçons des événements, car sont en cause non seulement l'autorité politique du Gouvernement sur l'appareil d'Etat, mais également le fonctionnement de l'Etat lui-même sur tout le territoire national.
Dans cette affaire, il faut se garder de faire de la Corse et des gendarmes des boucs émissaires presque parfaits. Les uns sont nos compatriotes ; nous les aimons. Les autres sont les serviteurs zélés de la République ; nous les respectons.
La représentation nationale, ici les sénateurs, sont en droit de demander que toute la lumière soit faite rapidement et que les responsabilités des uns et des autres puissent être établies. Il en va, me semble-t-il, de l'intérêt supérieur de la nation. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Monsieur le sénateur, je vous rassure : le Gouvernement fera en sorte que toute la lumière soit faite sur cette déplorable affaire, et M. le Premier ministre a d'ailleurs indiqué hier de la façon la plus nette à l'Assemblée nationale que plusieurs dispositions étaient prises en ce sens.
Bien entendu, la justice a été saisie immédiatement, dès qu'il est apparu que cette affaire pourrait - nous sommes obligés d'employer le conditionnel, naturellement - impliquer des gendarmes. Elle l'a été d'ailleurs dès lors que l'incendie paraissait être de nature criminelle.
Non seulement le Gouvernement n'a mis aucune entrave, mais il a apporté, par ses services administratifs, son entier concours à la justice. En effet, vous avez pu noter que les services de la gendarmerie ont immédiatement prêté leur concours au procureur en charge de l'enquête, au procureur général et maintenant au juge d'instruction.
Je redis ici qu'il ne peut pas être question que la moindre entrave soit apportée à l'enquête judiciaire ; au contraire, depuis le début, tout est mis en oeuvre pour que l'ensemble des services de l'Etat apportent à la justice tout leur concours.
Je rends d'ailleurs hommage à la gendarmerie. En effet, au plan local, au niveau de la brigade territoriale, lorsqu'il n'existait pas encore de soupçons pesant sur des gendarmes, ou deux jours plus tard, le jeudi, au niveau de la section régionale de recherche de Corse, puis au plan national à partir de vendredi dernier lorsqu'il a semblé que les craintes et les risques d'implication de gendarmes se précisaient, la gendarmerie a immédiatement apporté son concours à la justice.
Le Gouvernement a diligenté deux enquêtes administratives qui, bien entendu, sans empiéter sur l'enquête pénale, auront pour objectif, d'une part, de faire la lumière sur le fonctionnement des services de l'Etat et, d'autre part, de réexaminer, comme l'a indiqué M. le Premier ministre, le fonctionnement du groupe de pelotons de sécurité.
Lorsque les responsabilités auront été établies, quelle que soit la qualité des personnes qui auraient ou qui auront été mises en cause dans cette affaire, il va de soi que toutes les sanctions administratives ou disciplinaires seront prises, sans préjuger des peines que pourra prononcer la justice.
Cela dit, il faut veiller au respect de toutes les règles de la procédure pénale. Même si, aujourd'hui, quatre gendarmes sont mis en examen et placés en détention provisoire, ils sont toujours présumés innocents. Tant que les faits n'auront pas été établis par la justice, ils ont droit évidemment, comme chacun d'entre nous, à la présomption d'innocence.
Dans cette affaire, il est évidemment de l'intérêt de notre pays que nous ne remettions pas en cause la politique de retour à l'Etat de droit qui a été engagée par ce gouvernement avec le soutien de M. le Président de la République. Autant il faut condamner sans faiblesse et sans hésitation les dérapages en l'occurrence très graves, si ils sont confirmés, autant il faut faire en sorte de ne pas prêter le flan à des insinuations, à des polémiques qui fragiliseraient le retour à l'Etat de droit en Corse, car nous savons que d'énormes intérêts sont en jeu pour faire en sorte que nous abandonnions cette politique.
Voilà ce à quoi je voulais vous rendre sensible. Permettez-moi de vous dire pour terminer - mais telle n'a pas été votre attitude - que je trouve que, quelquefois, la tonalité de certaines interventions pourrait laisser douter de la véritable volonté que l'on aurait de restaurer l'Etat de droit en Corse. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen. - M. Jean-Jacques Hyest applaudit également.)

6

COUR PÉNALE INTERNATIONALE

Adoption d'un projet de loi constitutionnelle

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi constitutionnelle (n° 302, 1998-1999), adopté par l'Assemblée nationale, insérant au titre VI de la Constitution un article 53-2 et relatif à la Cour pénale internationale. [Rapport n° 318 (1998-1999)].
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, alors que les signataires du statut de Rome ont écrit, dans le préambule de celui-ci, qu'ils avaient « à l'esprit qu'au cours de ce siècle, des millions d'enfants, de femmes et d'hommes ont été victimes d'atrocités qui défient l'imagination et heurtent profondément la conscience humaine », ce n'est pas seulement à l'esprit, hélas ! que nous avons ces crimes, mais sous nos yeux, aujourd'hui même, au Kosovo.
Vous venez d'entendre le Premier ministre affirmer que le tribunal pénal international devra être en mesure de sanctionner les agissements de tous les criminels de guerre. Nous avons en effet indiqué à Mme Harbour, procureur auprès du tribunal pénal de La Haye, qui doit se rendre à Paris la semaine prochaine, que nous ferions tout ce qui est en notre pouvoir afin de lui permettre de réunir, dans les formes requises, les témoignages des réfugiés accueillis sur notre sol qui lui seront nécessaires pour commencer à bâtir ses dossiers.
Dans le statut de Rome, les signataires ont indiqué qu'ils étaient conscients du fait que tous les peuples sont unis par des liens étroits et que leurs cultures forment un patrimoine commun. Que resterait-il de cette conscience si la communauté internationale ne se donnait pas les moyens pratiques et juridiques de mettre effectivement un terme à tout projet de destruction de la diversité humaine ?
Quand les mêmes signataires du statut de Rome rappelaient qu'ils étaient déterminés, dans l'intérêt des générations présentes et futures, à créer une Cour pénale internationale permanente et indépendante, reliée au système des Nations unies, ayant compétence à l'égard des crimes les plus graves qui touchent l'ensemble de la communauté internationale, n'est-ce pas qu'ils savaient que des actes comme le génocide des Arméniens de 1915 pourraient se reproduire ; que des échanges de populations comme ceux qui eurent lieu entre la Grèce et la Turquie après la guerre de 1923 pourraient se reproduire ; que se reproduiraient également les exodes de la Seconde Guerre mondiale ; que les millions de personnes déplacées des guerres de Bosnie, de Croatie et de Serbie pourraient se trouver de nouveau sur les routes ?
A cet égard, le projet de cour pénale internationale, qui aura compétence pour juger les crimes les plus graves qui se commettront à l'avenir, fait preuve d'un pessimisme probablement lucide. Mais il montre aussi combien nous nous sommes éloignés de l'idéal des Lumières, qui pariaient que, avec le progrès des sciences et des arts, viendrait le progrès éthique, moral et politique.
Pourtant, de façon peut-être parodoxale, les signataires de la convention de Rome ont montré aussi, semble-t-il, un singulier optimisme. En effet, ce qu'ils ont également affirmé, c'est que les crimes les plus graves qui touchent l'ensemble de la communauté internationale ne sauraient rester impunis et que leur répression doit être effectivement assurée par des mesures prises dans le cadre national lorsque c'est possible et par le renforcement de la coopération internationale lorsque cela ne l'est pas.
Vous connaissez tous les prémices de la Cour pénale internationale. C'est la volonté de ne pas laisser impunis les grands criminels nazis et japonais qui allait conduire à la mise en place des tribunaux militaires internationaux de Nuremberg, par l'accord de Londres du 8 août 1945, et de Tokyo, par une proclamation du commandant en chef MacArthur, le 19 janvier 1946.
Le projet de création d'une cour criminelle internationale permanente, envisagé dès 1948, à l'article 10 de la convention sur la prévention et la répression du crime de génocide, n'a pas pu voir le jour pour des raisons historiques et politiques liées à la confrontation des blocs.
Mais c'est à l'instigation de la France, et particulièrement de Robert Badinter, que le comité de juristes français, comprenant notamment Pierre Truche et le professeur Pellet, est parvenu à faire adopter par le Conseil de sécurité la création, en 1993, du tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie, qui avait alors pour mission de « juger les personnes présumées responsables de violations graves du droit humanitaire international commises depuis 1991 ».
Le tribunal pour le Rwanda, quant à lui, sera institué l'année suivante.
Il s'agissait, je le souligne, après des années d'effort, d'un événement considérable parce que, pour la première fois depuis Nuremberg et Tokyo, les auteurs de crimes internationaux allaient être jugés par des juridictions vraiment internationales qui appliqueraient, non le droit de tel ou de tel Etat, mais des règles définies internationalement.
Depuis 1948, année de la Déclaration universelle des droits de l'homme et de la convention sur le génocide, le droit humanitaire international n'avait cessé de se développer, d'abord avec les quatre conventions de la Croix-Rouge de 1949, auxquelles se sont ajoutés les deux protocoles de 1977 et, plus récemment, en 1984, par l'adoption de la convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements inhumains ou dégradants.
Avec la signature, à Rome, de la convention portant statut de la Cour pénale internationale, la communauté internationale franchit un nouveau pas dans l'affirmation d'un droit international sanctionné par une juridiction internationale permanente qui aura une compétence universelle.
En ce sens, elle va bien au-delà de la création de juridictions ad hoc auxquelles certains membres des Nations unies pourraient opposer leur veto si leurs intérêts étaient menacés. Surtout, comme l'écrit avec pertinence M. le rapporteur, « seule une juridiction permanente et dotée de compétences nécessaires peut constituer un facteur de dissuasion à l'encontre de ceux qui seraient enclins à commettre des crimes contre l'humanité ou des crimes de guerre ».
Voilà pour l'importance du texte dont nous allons, par la révision de la Constitution, je l'espère, permettre d'autoriser la ratification.
Quel est le statut de la Cour, sa compétence, et quelle procédure est prévue ?
La définition de la compétence de la Cour pénale internationale est un point essentiel du statut. Elle est d'abord ratione materiae , c'est-à-dire en fonction du genre de crime.
A l'heure actuelle, quatre crimes et quatre seulement, entrent dans la catégorie des crimes les plus graves parmi les plus graves pour lesquels la Cour sera compétente : génocide, crimes contre l'humanité, crimes de guerre et crimes d'agression.
Le génocide est défini à l'article 6 du statut comme un acte commis dans l'intention de détruire un groupe national ethnique, racial ou religieux qu'il s'agisse de meurtre, d'atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale, ou de soumission intentionnelle à des conditions d'existence telles qu'elles entraînent la destruction et, enfin, de mesures visant à entraver les naissances ou à transférer des enfants d'un groupe à un autre.
Le crime contre l'humanité est défini par l'article 7 et mentionne un grand nombre d'actes dans la mesure où ils sont commis dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique contre une population civile, et en connaissance de cette attaque bien entendu.
Le crime d'agression pour lequel la Cour n'a qu'une compétence virtuelle du fait que les négociateurs n'ont pas pu se mettre d'accord sera défini par un avenant qui sera a adopté lors d'une autre conférence.
Les crimes de guerre entrent également dans la compétence de la Cour, mais ils seront soumis à un régime spécial du fait de l'article 124. En effet, cet article permet à un Etat partie de décliner la compétence de la Cour, pendant sept ans, pour les crimes de guerre qui seraient commis soit sur son territoire, soit par ses ressortissants.
Il est donc possible de ne pas mettre en oeuvre les dispositions de l'article 12 du statut relatif à la compétence obligatoire de la Cour. C'est cette disposition transitoire, adoptée sur l'initiative de la France, qui a permis un accord général sur le statut de la Cour.
La définition des crimes de guerre au sens du statut est distincte de celles des crimes contre l'humanité ou du génocide en ce sens qu'elle peut recouvrir des actes isolés. Des plaintes sans fondement, teintés d'arrière-pensées politiques et dont le seul objet serait d'embarrasser publiquement le pays concerné, pourraient donc plus aisément être dirigées contre les personnels de pays qui, comme le nôtre, sont engagés fréquemment sur des théâtres extérieurs, notamment dans le cadre d'opérations de maintien de la paix.
Enfin, pour terminer sur ce sujet - provisoirement en tout cas, car nous y reviendrons certainement dans la discussion - j'ajoute que le fait que la France ait annoncé qu'elle ferait jouer l'article 124 n'est évidemment pas une manière de permettre à nos militaires de commettre des crimes de guerre, pour la bonne et simple raison que, si des personnels français devaient commettre de tels crimes, ils seraient de toute façon traduits devant les tribunaux français, puisque la Cour pénale internationale a seulement une compétence complémentaire.
S'agissant de la procédure qui sera suivie devant la Cour pénale internationale, je rappelle en premier lieu que la création de cette cour n'a pas pour objectif de décharger les Etats de leurs responsabilités. La convention de Rome a nécessairement une valeur préventive et incitative à laquelle le principe de « complémentarité » donne toute sa force.
La juridiction internationale ne se substituera pas aux systèmes nationaux de justice pénale ; elle viendra les suppléer lorsqu'ils n'auront pas pu, ou pas voulu, connaître eux-mêmes des crimes relevant de la compétence de la Cour, qui apparaît donc comme un système de sauvegarde, une garantie collective, contre l'impunité des auteurs des crimes les plus graves.
Cependant, et parallèlement à cette responsabilité première qui est celle des systèmes nationaux de justice pénale, notre responsabilité est aussi de permettre au droit international d'avoir les moyens de pallier, dans certaines hypothèses, les insuffisances des Etats défaillants ou des Etats malveillants. Pour ce faire, il faut que les procédures applicables devant la Cour pénale internationale soient à la fois efficaces, respectueuses des droits de l'homme et représentatives de la diversité des cultures juridiques dans le monde.
S'agissant de l'efficacité, tout d'abord, je souligne que la saisine de la Cour pourra être faite aisément, soit par un Etat partie, soit par le Conseil de sécurité, soit par le procureur lui-même qui, destinataire d'une plainte formée par une ou plusieurs victimes, pourra ouvrir une enquête après en avoir obtenu l'autorisation auprès de la chambre préliminaire, organe juridictionnel composé de trois juges de la Cour.
Pour remplir sa mission, le procureur pourra compter sur la coopération des Etats parties, qui seront tenus de répondre à ses demandes d'assistance et de lui remettre les personnes contre lesquelles des charges suffisantes auront été réunies.
Pour ce qui est du respect des droits de la défense, toutes les garanties procédurales inhérentes au procès pénal reconnues par les conventions internationales relatives à la protection des droits de l'homme figurent dans le statut de la Cour pénale internationale. Je ne les énumérerai pas, car les signataires du statut n'en ont oublié aucune, comme l'a d'ailleurs confirmé le Conseil constitutionnel dans la décision dont nous reparlerons dans un instant.
S'agissant enfin du respect du nécessaire équilibre entre les différentes cultures juridiques du monde, le trait principal et nouveau de la procédure suivie devant la Cour pénale internationale est, en effet, son caractère mixte.
A dominante accusatoire, inspirée par conséquent, du système anglo-saxon, elle laisse cependant une place non négligeable à l'intervention des juges, en particulier dans la phase préalable au procès. Si le procureur est le personnage principal de la mise en état du procès pénal, la chambre préliminaire occupe elle aussi, à ce stade, une place de premier plan, puisqu'elle est chargée d'assurer une sorte de contrôle juridictionnel de l'activité du procureur. Cette initiative, là encore, est extrêmement importante pour la défense de notre culture juridique.
C'est, à mon sens, tout à l'honneur de la France d'avoir proposé et obtenu la création de cette chambre préliminaire, qui permet de rééquilibrer la phase préalable au procès et d'éviter que des personnes ne soient mises en accusation sans que le caractère sérieux des charges réunies à leur encontre ait pu être vérifié par un organe juridictionnel.
Je soulignerai maintenant la place faite aux victimes devant la Cour, car la plus grande innovation du statut de la Cour pénale internationale est de leur reconnaître certains droits.
Oubliées jusqu'à présent par la justice pénale internationale, elles obtiennent enfin, dans ce statut, la place qui leur revient. Les dispositions relatives à l'accès des victimes à la procédure internationale et à la réparation de leur préjudice sont encore modestes, mais elles permettent de placer l'individu au coeur de la justice internationale.
Ainsi, le droit international, qui est plus traditionnellement le droit des Etats souverains, ouvre ses portes à de nouveaux sujets de droit.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le fait que 120 Etats se soient accordés pour définir avec précision le génocide, les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre, pour dire qu'ils étaient imprescriptibles et affirmer que la Cour avait une compétence obligatoire, est un événement fondamental de la société internationale contemporaine.
Mais je ne voudrais pas, spécialement devant votre assemblée qui a constamment le souci de réfléchir à la portée des décisions qui sont prises, dissimuler que cet événement pose également des questions très complexes.
En effet, il va d'abord falloir que cette justice internationale puisse déterminer un équilibre entre la souveraineté des Etats et les limitations à cette souveraineté.
Dès lors que les Etats sont en cause - et ils le sont au premier chef lorsque nous parlons des crimes contre l'humanité, des crimes de génocide, des crimes de guerre ou d'agression - il y a toujours eu de très forts obstacles de nature politique, mais aussi juridique, qui se sont opposés à toute possibilité de juger au plan international les personnes par l'intermédiaire desquelles cet Etat a agi. C'est d'ailleurs la raison principale pour laquelle il a fallu tant de temps pour aboutir à une justice pénale internationale. L'Etat est toujours venu s'interposer entre le droit international et les personnes privées.
Pour mettre fin à l'impunité des agents de l'Etat, du plus petit au plus grand, sans que la qualité officielle de l'un ou de l'autre puisse s'y opposer, il fallait qu'on puisse atteindre, au-delà de l'Etat, la personne privée auteur d'un crime défini internationalement. Alors que l'Etat constituait un écran opaque entre les victimes et le droit international, « le voile étatique » pourra se déchirer dans les conditions que j'ai décrites et atteindre, au-delà de l'Etat, la personne physique auteur du crime et la sanctionner.
Tout système juridique qui permet cela comporte nécessairement une limitation de la souveraineté des Etats, même s'ils déclarent y consentir en vue de l'organisation et de la défense de la paix, comme le proclame le XVe alinéa du préambule de la Constitution de 1946. Ces limitations sont nécessaires à l'édification d'un ordre juridique international qui peut contribuer à la défense d'un certain nombre de principes fondamentaux de protection des droits de l'homme sur lesquels repose la société internationale. Mais tout le problème est évidemment de trouver un équilibre entre la souveraineté des Etats et l'édification d'un ordre juridique qui transcende ces souverainetés.
Je prendrai deux exemples de ce délicat équilibre.
Je citerai d'abord la décision des lords anglais relative au général Pinochet, qui est à cet égard exemplaire puisqu'en l'espèce le droit international appréhende une personne privée en refusant la protection ratione materiae ou ratione personae que lui assurait le manteau étatique de ses anciennes fonctions.
Un tel événement est de nature à transformer le droit international en mettant fin à l'immunité des personnes agissant ou ayant agi au nom de l'Etat. Dans quelque lieu qu'ils se trouvent et à quelque moment que ce soit, les plus grands criminels n'auront désormais aucun abri sûr.
C'est évidemment une des ambitions que réalise le statut de Rome puisque, sur saisine du Conseil de sécurité, la Cour pourrait être compétente pour juger le ressortissant d'un Etat non-partie d'un crime commis sur le territoire d'un autre Etat également non partie.
Mais je voudrais également attirer l'attention sur la transformation du droit international que l'on observe dans le cas du général Pinochet, parce que les actes juridiques des juges nationaux ou internationaux ont des répercussions en termes diplomatique et politique. Et, pour éviter ces répercussions, qui peut dire qu'un Etat ne préférerait pas parfois expulser un criminel de guerre de son territoire plutôt que de le juger ?
J'en viens au deuxième exemple : la combinaison des articles 17 du statut relatif au principe de complémentarité et 20 relatif au principe non bis in idem rend très improbable que la Cour puisse déclarer recevable une affaire qui aurait déjà été jugée.
En cela, le statut de la Cour est respectueux des ordres juridiques nationaux. Cependant, ce même article 20 autorise la Cour à se saisir d'une affaire déjà jugée si la procédure avait pour objet de soustraire une personne à sa responsabilité pénale.
Cette disposition est entièrement légitime car la gravité, la cruauté et l'inhumanité de certains crimes n'autorisent en aucun cas qu'ils puissent faire l'objet d'un oubli. Elle répond à l'idée qu'il ne peut y avoir de paix sans justice, de réconciliation sans vérité et que, par conséquent, la raison d'Etat ne peut jamais l'emporter sur l'Etat de droit.
Mais qui peut dire que, dans tous les cas, partout et toujours, il conviendrait de sanctionner ? L'Afrique du Sud a exploré une autre voie en mettant en oeuvre, par exemple, la commission « vérité de réconciliation » prévue par la Constitution intérimaire de 1993.
Sur le plan des rapports entre la paix et la justice, le statut de la Cour réalise un délicat compromis entre les exigences de l'une qui pourrait commander l'oubli et celles de l'autre qui pourrait commander la vérité.
A cet égard, l'article 16 du statut, qui octroie au Conseil de sécurité des Nations unies la faculté de demander à la Cour de surseoir aux enquêtes ou aux poursuites engagées, a suscité de nombreuses critiques au motif qu'il est peu souhaitable qu'une instance politique et interétatique ait à intervenir dans le fonctionnement d'une juridiction. Mais je crois cette disposition nécessaire.
Dans la mesure où cette demande du Conseil de sécurité se situe dans le cadre du chapitre VII de la Charte des Nations unies, c'est-à-dire dans le contexte d'une menace contre la paix, on peut comprendre qu'il y ait un intérêt essentiel à ne pas judiciariser entièrement la vie politique internationale et à faire toute sa place à la politique et à la diplomatie.
De la même façon, s'agissant du crime d'agression, la France a défendu une position qui tend à préserver les prérogatives du Conseil de sécurité, premier responsable, en vertu de la Charte, pour déterminer l'existence d'un acte d'agression.
Telles sont les quelques questions qui me paraissent importantes et sur lesquelles, naturellement, la Cour pénale internationale devra, par sa pratique, instaurer un équilibre avec le Conseil de sécurité des Nations unies. Tel qu'il a été négocié, le statut donne effectivement toutes ses chances à la réalisation de ces équilibres. C'est la raison pour laquelle le Gouvernement est déterminé à ratifier dès que possible la convention de Rome.
Nous avons signé la convention le lendemain de son adoption, et nous aimerions que tous les pays qui ont voté en faveur de ce texte - ils étaient cent vingt - fassent de même très rapidement.
La ratification de ce traité, qui marquera l'attachement de la France aux valeurs fondamentales que la Cour pénale internationale contribuera à défendre, nécessite au préalable que notre Constitution soit modifiée, tant il est vrai que le statut de Rome change certaines données traditionnelles du droit français.
Je reviens donc maintenant aux raisons qui font qu'une révision constitutionnelle s'impose.
Je rappelle que le Conseil constitutionnel a été saisi conjointement par le Président de la République et le Premier ministre de la question de savoir si l'autorisation de ratifier le traité dont je viens d'exposer les grandes lignes devait être précédée d'une révision de la Constitution.
Pour répondre à cette question, le Conseil constitutionnel a confronté le traité à trois séries de normes d'égale valeur constitutionnelle : d'abord, les dispositions mêmes de la Constitution de 1958 ; ensuite, les principes de rang constitutionnel en matière de droit pénal et de procédure pénale ; enfin, le respect des conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale.
Par décision du 22 janvier 1999, le Conseil a estimé que le traité qui lui était soumis était conforme, à l'exception de certaines de ses stipulations. Avant de détailler les points qui ont fait l'objet de déclarations d'inconstitutionnalité, je voudrais faire quelques remarques.
Ma première remarque tient au fait que certaines stipulations ne posent pas de problèmes constitutionnels.
Je crois important d'appeler votre attention sur le fait que les déclarations de non-conformité à la Constitution ne traduisent aucune espèce de réserve de la part de la haute juridiction à l'encontre du traité signé à Rome le 18 juillet dernier.
En effet, le Conseil constitutionnel a tenu à réaffirmer que le respect de la souveraineté nationale ne fait pas obstacle au fait que, sur le fondement du préambule de la Constitution de 1946, la France peut conclure des engagements internationaux en vue de favoriser la paix et la sécurité du monde et d'assurer le respect des principes généraux du droit public international.
Aucune disposition de notre loi fondamentale ne s'oppose à ce que la France puisse signer et ratifier un traité qui prévoit en particulier la création d'une juridiction internationale permanente destinée à protéger les droits fondamentaux de la personne humaine, en sanctionnant les atteintes les plus graves qui leur seraient portées.
Une telle prise de position montre bien que notre pays est ouvert au droit international, comme le confirme le fait que le préambule de la Constitution de 1946 énonce que la République, fidèle à ses traditions, se conforme aux règles du droit international.
Celles-ci ne portent pas atteinte en elles-mêmes à la souveraineté nationale, d'autant moins que le quinzième alinéa du même préambule dit clairement que, « sous réserve de réciprocité, la France consent aux limitations de souveraineté nécessaires à l'organisation et à la défense de la paix ». Or tel est bien le but de l'institution de la Cour pénale internationale.
A cet égard, je considère que la décision du Conseil constitutionnel est extrêmement importante quand elle affirme que, eu égard à l'objet de la convention de Rome, la clause de réciprocité n'a pas lieu de s'appliquer.
En effet, le fait que les autres Etats parties ne respecteraient pas les obligations qui leur incombent ne saurait être un motif pour exonérer la France des siennes, pour ne pas sanctionner les crimes les plus odieux.
Si la haute juridiction marque ainsi l'adhésion de la France au système du droit international, en revanche, elle a souligné - comme elle l'avait déjà fait dans ses décisions sur les traités européens - que, si les engagements internationaux de la France contiennent une clause contraire à la Constitution, il faut en effet procéder à une révision constitutionnelle avant de les ratifier.
Qu'en est-il en l'espèce ? Comme le relève la décision du Conseil constitutionnel, le traité portant statut de la Cour pénale internationale est incompatible avec la Constitution sur trois points.
Ma deuxième remarque porte sur les stipulations incompatibles avec la Constitution.
Il y a une incompatibilité entre le statut de Rome et les dispositions constitutionnelles qui posent des règles spéciales de fond ou de compétence en matière de responsabilité pénale du Président de la République, des membres du Gouvernement ou du Parlement, dans la mesure où, comme je l'ai déjà fait remarquer, le statut de Rome ne prévoit pas de régime spécial ou d'immunité particulière pour ces personnes exerçant des fonctions législatives ou exécutives.
Comme la Cour peut, au titre de l'article 27 du statut, exercer sa compétence auprès de toute personne investie de fonctions officielles, il est incompatible avec les régimes particuliers de responsabilité institués par les articles 26, 68 et 68-1 de la Constitution.
Le Conseil constitutionnel a estimé que, malgré le principe de subsidiarité et de complémentarité, le transfert de compétence résultant de la convention au profit du juge international dans les cas d'intervention d'une loi d'amnistie ou d'application des règles nationales de prescriptions portait atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté.
Dans le cas particulier de la France, une personne de nationalité française ne pourrait être poursuivie devant la Cour pénale internationale à ce titre et ne pourrait être condamnée que dans des circonstances tout à fait extraordinaires. Il faudrait que les faits soient prescrits, qu'ils soient couverts par l'amnistie ou que la justice française ait renoncé à poursuivre des crimes graves.
Toutefois, en premier lieu, certains des crimes pour lesquels la Cour est compétente sont également imprescriptibles en droit français. C'est le cas du génocide et des autres crimes contre l'humanité.
En deuxième lieu, les lois d'amnistie françaises excluent généralement les faits d'une extrême gravité.
Enfin, en troisième lieu, il y a lieu d'écarter évidemment l'hypothèse dans laquelle le système judiciaire français renoncerait à poursuivre ou juger les auteurs de crimes graves, à moins d'imaginer que notre pays cesse d'être un Etat de droit.
Par conséquent, si l'hypothèse dans laquelle s'est placé le Conseil constitutionnel est largement théorique et constitue le corollaire du contrôle abstrait et a priori qu'il exerce, il faut partir de l'idée qu'il n'y a pas d'atteinte réelle et sérieuse à la souveraineté du système judiciaire français. Si, comme je le pense, la justice française exerce normalement ses compétences, elle poursuivra évidemment les auteurs des crimes d'une extrême gravité.
Enfin, bien que les pouvoirs que le procureur de la Cour pénale internationale tient de l'article 99 soient exclusifs de tout recours à la contrainte, le Conseil constitutionnel a jugé qu'il pouvait également être porté atteinte aux conditions essentielles de l'exercice de la souveraineté nationale. Il a jugé que la possibilité donnée au procureur de recueillir directement sur le territoire de l'Etat des dépositions de témoins et d'inspecter des sites ou des lieux publics était trop vague au regard de la règle qui veut que les autorités judiciaires françaises soient seules compétentes pour accomplir les actes demandés par une autorité étrangère au titre de l'entraide judiciaire.
Ma troisième remarque porte sur les conséquences de cette décision.
Le Président de la République et le Gouvernement ont estimé que les obstacles de nature constitutionnelle, au demeurant très limités, devaient être surmontés afin que le Parlement puisse autoriser la ratification du statut de la Cour pénale internationale et que le Président de la République puisse déposer les instruments de ratification.
C'est la raison pour laquelle il vous est proposé de compléter le titre VI de la Constitution relatif aux traités et accords internationaux par un article 53-2 nouveau, disposant que la République peut reconnaître la juridiction de la Cour pénale internationale dans les conditions prévues par le traité signé le 18 juillet 1998. Ainsi, par une formule générale qui permet de répondre à l'ensemble des motifs d'inconstitutionnalité relevés par le Conseil constitutionnel, le Parlement pourra autoriser la ratification du statut de la Cour pénale internationale.
Mesdames, messieurs les sénateurs, par cette révision constitutionnelle, que l'Assemblée nationale a déjà adoptée le 6 avril dernier à l'unanimité moins une abstention, la France démontre qu'elle est déterminée à faire aboutir la mise en place de la Cour pénale internationale permanente et qu'elle fera tout ce qui est en son pouvoir - je tiens à le souligner - pour que soixante Etats au moins ratifient la convention de Rome.
Cela ne sera pas facile. Il nous faudra, pour y parvenir, déployer des talents de persuasion envers des Etats qui nous sont liés.
Parce qu'il remet en cause la nature humaine et les fondements mêmes de la communauté internationale, le crime contre l'humanité doit être poursuivi et sanctionné.
Parce qu'il dépasse les frontières, le crime contre l'humanité mérite une réponse forte et coordonnée des systèmes nationaux et internationaux de justice pénale.
A Rome, l'été dernier, après tant d'années d'attentes et d'espoirs déçus, nous avons franchi le cap du possible et du probable pour entrer dans une phase moins théorique et illusoire, où l'on s'efforcera enfin de concevoir et d'appliquer différemment la place de la justice pénale internationale dans la résolution des conflits les plus graves. Nous sommes ainsi passés de la conception et de l'expérimentation à la construction.
Vous pouvez compter sur moi et sur le ministère dont j'assume aujourd'hui la charge pour participer activement à cette construction. (Applaudissements sur les travées socialistes, sur celles du groupe communiste républicain et citoyen ainsi que sur les travées de l'Union centriste et du RDSE).
(M. Gérard Larcher remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. GÉRARD LARCHER
vice-président

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Robert Badinter, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la ministre, vous avez rappelé à juste titre que ce projet de loi constitue, dans l'histoire de la justice internationale et de la lutte pour le châtiment des grands criminels contre l'humanité, un moment essentiel, et je sais que, dans cette entreprise, nous pouvons compter sur vous ; vous en avez déjà donné les preuves. C'est donc avec une particulière satisfaction, je ne le dissimule pas, que j'assume ce rapport.
Je me souviens d'ailleurs - c'est une continuité - qu'ici même, voilà trois ans - c'était un autre garde des sceaux, votre prédécesseur - je rapportais déjà, au nom de la commission des lois, sur les modifications nécessaires à apporter à notre législation pour la mettre en conformité avec les exigences nées de la création du tribunal pénal international pour le Rwanda.
A cette occasion, au nom de la commission unanime, j'avais fait savoir à votre prédécesseur que nous souhaitions que la France contribue, autant qu'elle le pourrait, à la naissance de la Cour pénale internationale, seule juridiction permanente susceptible d'assurer la répression des criminels contre l'humanité.
Nous sommes à la fin du siècle, on se plaît à le rappeler très souvent. Hier, à la commission des lois, je ne résistais pas à la mélancolie de dire que le siècle avait commencé, pour les juristes, à La Haye, avec une conférence sur la résolution de tous les conflits par la conciliation et l'arbitrage. Nos lointains prédécesseurs vivaient ainsi dans une vision irénique d'un droit régnant sur les relations internationales.
Ce siècle que nous achevons, aura finalement été souillé par les crimes contre l'humanité les plus sanglants, depuis le génocide arménien, le génocide rwandais, jusqu'aux événements qui se déroulent presque sous nos yeux au Kosovo.
Le crime contre l'humanité sous toutes ses formes a déshonoré ce siècle, et je suis malheureusement convaincu que, pour les générations à venir, Auschwitz en restera le terrible symbole.
Au moins, à la fin du siècle, assistons-nous à ce progrès judiciaire, décisif à mon sens, que représente la naissance d'une Cour pénale internationale.
En quoi cela constitue-t-il un progrès ? D'abord, par rapport aux juridictions antérieures qui ont vu le jour, par rapport à Nuremberg ou à Tokyo, parce que ce n'est pas la justice des vainqueurs qui s'exerce sur les vaincus, même si elle leur reconnaissait toutes les garanties du droit. Ensuite, par rapport au tribunaux ad hoc pour la Yougoslavie et le Rwanda, parce qu'il s'agit d'une institution permanente, qui, à ce titre, détient un pouvoir de dissuasion, qu'une juridiction créée après les crimes, avec un objet limité, dans un cas, pour une durée limitée, ne peut évidemment détenir.
Comme vous l'avez rappelé, madame le garde des sceaux, la Cour pénale internationale a fait l'objet de ce traité qui porte son statut, lequel a été voté l'année dernière à Rome, après bien des difficultés, par cent vingt pays, ce qui est énorme, sept pays seulement, non des moindres malheureusement, votant contre et vingt s'abstenant.
Nous en sommes aujourd'hui au premier stade. Nous savons, en effet, que cette révision constitutionnelle ne prend son sens que par rapport à la ratification de ce traité.
Elle est nécessaire, mais, vous avez eu raison de le rappeler, madame le garde des sceaux, au coeur de la problématique, il y a évidemment l'analyse de la portée des dispositions du traité.
Sur la Cour pénale internationale, vous avez dit l'essentiel ; je me bornerai donc à rappeler certains points qui me paraissent particulièrement importants.
S'agissant de l'organisation, indiscutablement, c'est la chambre préliminaire qui doit retenir notre attention, dans la mesure où elle améliore, par rapport au tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie, les procédures d'enquête.
S'agissant de la compétence sous toutes ses formes, et d'abord de la compétence matérielle, vous l'avez rappelé, la Cour est compétente pour les crimes les plus importants. Ainsi, le génocide, le crime contre l'humanité ou le crime de guerre sont définis et précisés. J'ai d'ailleurs relevé que, dans l'article 7 du traité, une disposition s'applique directement à ce qui se passe en ce moment même au Kosovo, puisque sont visés « la déportation ou le transfert forcé de populations ». Ainsi donc, la déportation ou le transfert massif de populations civiles réalisés par la force et dans le cadre d'un plan systématique, constituent, il n'est pas indifférent de le rappeler à cette minute, un crime contre l'humanité.
Pour le crime d'agression, que vous avez heureusement qualifié de « virtuel », je m'interroge : le verrons-nous jamais sortir de sa virtualité ? On nous en parle depuis si longtemps... Je le dis clairement, au nom de la commission, nous ne considérons pas que ce soit le plus important pour l'avenir. Ce qui compte, c'est le châtiment des criminels, et non la prise en compte des responsabilités des Etats dans une sorte de forum international. Mais les trois grands crimes que j'ai évoqués suffisent pour fonder la compétence matérielle.
Je rappelle, car c'est également important, que cette compétence sera mise en oeuvre, que les crimes soient commis dans le cadre d'un conflit international ou dans le cadre d'un Etat au cours d'un conflit interne, comme c'est le cas en ce moment.
Cette compétence ne prendra évidemment corps qu'à dater du moment où la Cour aura été créée, c'est-à-dire lorsque les ratifications nécessaires seront intervenues. Raison de plus, dirais-je, avec l'éminent rapporteur de la commission des affaires étrangères, pour ne pas perdre de temps et pour donner l'exemple !
M. André Dulait. Très bien !
M. Robert Badinter, rapporteur. En ce qui concerne les compétences ratione personae et ratione loci de la Cour, comme aurait dit notre éminent collègue Jean Foyer, c'est-à-dire compétence personnelle et compétence territoriale, elles s'appliquent quand l'auteur présumé du crime est un national d'un des Etats parties ou lorsque les crimes ont été commis sur le territoire d'un des Etats parties.
Cela ne suffit pas, hélas ! à créer une compétence universelle, mais cela marque aussi que c'est à la mesure des ratifications que le champ de compétence territoriale s'étendra. Il est donc d'autant plus important - comme vous l'avez souligné, invoquant à cet égard le concours actif du Gouvernement, ce dont nous nous réjouissons - que nous suscitions le plus grand nombre de ratifications possible dans le délai le plus bref possible.
Au-delà de ces compétences certaines, deux autres, que je qualifierai d'éventuelles, sont prévues dans le traité. L'une est très importante, l'autre s'explique par certaines circonstances de fait.
Je commence par la dernière, qui s'exerce dans le cas où un Etat non partie au traité demande que des crimes qui ont été commis sur son territoire soient jugés par la Cour pénale internationale. On pense à certains malheureux Etats ravagés par des génocides et qui n'ont pas de système judiciaire leur permettant de procéder par eux-mêmes au jugement des crimes contre l'humanité dont ils ont été les victimes.
Quant à la première compétence, d'importance majeure, elle est déclenchée par une résolution du Conseil de sécurité dans le cadre du chapitre VII de la charte des Nations unies. Je pense que nous verrons sa mise en oeuvre dans les circonstances les plus importantes. Je souligne qu'en l'occurrence la compétence est enfin universelle.
Comme vous l'avez rappelé, madame, trois modes de saisine sont prévus : par l'Etat partie ; par le Conseil de sécurité des Nations unies agissant dans le cadre du chapitre VII de la charte ; enfin par le procureur.
Indiscutablement, le procureur sera le moteur le plus important de cette juridiction. Il sera totalement indépendant et sa fonction sera considérable. Il est vrai que ses initiatives seront contrôlées par une chambre préliminaire composée de magistrats du siège. Ainsi, l'exercice de l'action et de l'enquête par le procureur sera entouré de toutes les garanties nécessaires.
Comme l'a d'ailleurs souligné le Conseil constitutionnel, les autres règles de procédure sont conformes à toutes les exigences requises pour le déroulement d'un procès équitable.
Ce qui, à mon sens, dans cette procédure, constitue en effet une innovation - je le rappelle avec plaisir au regard des efforts déployés par la délégation française à Rome - c'est l'instauration de la chambre préliminaire. Vous avez bien fait, madame le garde des sceaux, d'indiquer que l'on assistait là à la naissance d'une sorte de procédure mixte qui emprunte beaucoup au système accusatoire anglo-saxon - après tout, à l'audience, c'est ainsi chez nous depuis lontemps - et qui, par ailleurs, introduit cette chambre et ce contrôle des initiatives de la partie poursuivante, si importants à nos yeux.
Je rappelle que c'est à la suite de ce qui, à cet égard, avait été relevé au sein du tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie et presque à la demande des magistrats de cette institution que l'on a créé cette chambre préliminaire. Cela est très important pour l'avenir, car je crois que naîtra ainsi, notamment au sein de l'Union européenne, un modèle commun de procédure pénale répondant à toutes les exigences du procès équitable.
En ce qui concerne les peines, je ne peux pas passer sous silence le fait que, à Rome, on ait considéré que le châtiment des pires criminels, des criminels contre l'humanité, devait être une peine de réclusion criminelle à perpétuité. Cent vingt Etats ont voté cette disposition ; au regard de l'abolition de la peine de mort, cela méritait d'être souligné.
En ce qui concerne les victimes, c'est en effet grâce à la France que l'on a pu introduire des dispositions qui n'étaient pas indispensables au regard de la conception générale du procès pénal et de la conception anglo-saxonne notamment. Je n'ai pas besoin de rappeler que, s'agissant de crime contre l'humanité, le nombre si élevé de victimes interdit, on le conçoit, le type d'intervention que nous connaissons et qui convient s'agissant de victimes individuelles. Peut-on imaginer ce qu'auraient été les constitutions de parties civiles au procès de Nuremberg ! C'est l'humanité tout entière qui, véritablement, était concernée.
Ces dispositions ne prennent, à mon sens, toute leur portée qu'au regard de deux considérations.
La première a trait aux Etats eux-mêmes. Ce qui est construit dans ce nouvel espace judiciaire, ce n'est pas une institution des Nations unies, c'est une institution liée à l'ONU mais qui est l'expression de la souveraineté des Etats se traduisant dans le cadre d'un traité.
Par conséquent, lorsqu'on regarde de près ce traité, on se rend compte, comme il est indiqué d'ailleurs excellemment dans le rapport de la commission des affaires étrangères, que nous sommes en présence d'un système, sinon de subsidiarité, en tout cas de complémentarité. Autrement dit, il revient aux Etats eux-mêmes de châtier les criminels contre l'humanité qui sont leurs ressortissants. C'est seulement s'ils ne peuvent le faire, s'ils ne veulent pas le faire ou, pis encore, s'ils essaient, par un simulacre de justice, de dérober les responsables à la sanction, que la Cour pénale internationale interviendra.
A cette obligation de châtiment s'ajoute l'obligation de coopération, sans laquelle la lutte pour le châtiment des criminels contre l'humanité ne pourra pas véritablement s'engager.
Il convient donc d'insister sur le rôle premier des Etats dans cette entreprise de lutte contre l'impunité et sur le respect de leur souveraineté essentielle qui en découle.
S'agissant du Conseil de sécurité, vous avez évoqué les réserves qu'avait suscitées la clause du traité aux termes de laquelle le Conseil de sécurité peut, par une résolution, demander pendant douze mois la suspension des poursuites. Il est évident que, dans la pratique, cette hypothèse se réalisera très peu souvent. Je rappelle que la France est membre permanent du Conseil de sécurité. Par conséquent, la résolution en question devra être prise avec notre accord et celui de tous les membres permanents du Conseil. Nous resterons donc maîtres de la continuité des poursuites. Finalement, cette clause qui a suscité une telle émotion ne me paraît pas devoir être, dans la pratique, autre chose qu'une possibilité qui, dans certains cas pourra se révéler d'une certaine utilité.
Voilà pour les rapports avec les Etats. Je ne reviendrai pas sur ce qui a été évoqué à propos de l'article 124 sur ce point. La discussion relative à la faculté laissée aux Etats de ne pas souscrire à la disposition concernant les crimes de guerre s'inscrit davantage dans le cadre du débat de ratification que dans celui de la révision constitutionnelle.
S'agissant de la révision constitutionnelle proprement dite, bien évidement, nous nous en félicitons. Le Président de la République et le Premier ministre ont saisi conjointement le Conseil constitutionnel, qui a rendu une décision, longue, marquant à quel point la procédure suivie répondait à toutes les exigences qui s'imposent à nous en matière de droit pénal et de procédure pénale.
Il a relevé trois chefs de contrariété du traité à la Constitution. Tout le monde s'y attendait s'agissant, en particulier des régimes spéciaux en matière de procédure pénale et même d'immunité pénale aussi bien pour le Président de la République que pour les membres du Gouvernement et pour les parlementaires.
Il était évident que si l'on n'admettait pas la possibilité de poursuivre tel ou tel responsable au plus haut niveau - là encore, nous ne pouvons que penser à ce qui se passe actuellement dans les Balkans - le traité aurait perdu toute portée et la Cour toute efficacité.
Mais il est évident aussi que cela impliquait une révision constitutionnelle. C'est à celle-ci que nous procédons.
En ce qui concerne l'amnistie, vous avez dit, madame la ministre, ce qu'il fallait en dire. Peut-on songer une seconde à amnistier le crime contre l'humanité ? Peut-on songer une seconde à amnistier le génocide ? Je n'insiste pas !
En ce qui concerne la prescription, le génocide et le crime contre l'humanité sont déjà imprescriptibles. Nous en serons quittes pour modifier notre code pénal, en fonction des infractions visées dans le traité.
Une inconstitutionnalité s'est ajoutée, celle qui est relative aux pouvoirs du procureur indépendant, qui ne reçoit aucune instruction d'aucun Etat. Il peut éventuellement, en cas d'urgence - on perçoit très bien l'intérêt de cette faculté - se transporter dans l'un des Etats parties et demander à entendre un témoin. Si ce dernier ne souhaite pas être entendu, il ne l'est pas. Le procureur peut aussi visiter des sites et procéder à certaines constatations matérielles. Là non plus, aucune voie d'exécution forcée n'est prévue.
Le Conseil constitutionnel a considéré qu'il y avait une atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté. Dès lors, il convenait de réviser la Constitution également sur ce point.
La voie choisie par le Président de la République et par le Gouvernement est la bonne. Il est évident que nous n'allions pas reprendre chacun des articles ou éventuellement procéder à des ajouts, notamment en ce qui concerne les pouvoirs du procureur.
La seule façon convenable et rapide de procéder consistait, comme pour les traités d'Amsterdam et de Maastricht, à recourir à un article unique.
La formulation retenue m'a laissé un instant perplexe : le terme « juridiction » a un sens précis en droit international public. Peut-être aurait-on dû se contenter de la compétence. Mais nous n'allons pas faire preuve d'un perfectionnisme de la langue juridique qui risquerait, en l'occurrence, d'être considéré comme excessif.
Il s'agit donc simplement de décider que la République reconnaît la juridiction de la Cour pénale internationale dans son état, et sous réserve, bien entendu, de ratification du traité. Cela implique que, en cas de révision du traité, il appartiendra aux plus hautes instances de l'Etat ou aux parlementaires de saisir à nouveau le Conseil constitutionnel. Nous verrons ce qu'il en adviendra.
Telle est l'économie de cette révision constitutionnelle.
Je l'ai dit, la commission des lois, unanime, approuve entièrement ce projet de révision, dont j'ai souligné l'importance.
Oui, c'est un progrès considérable. Je sais bien que cela ne répond pas à toutes les attentes des organisations. Je sais bien qu'on aurait rêvé d'une cour qui aurait joui de la compétence universelle. Je sais bien que l'article 124 a été beaucoup critiqué, y compris par moi-même. Il demeure que, par rapport à ce que l'on souhaite depuis si longtemps, à savoir qu'il soit mis un terme à l'impunité des criminels contre l'humanité, c'est bien une avancée que nous devons saluer et à laquelle nous devons nous rallier.
Cela étant, cette avancée ne deviendra effective que si elle rallie le concours des Etats. Sur ce point, nous devons tous, en particulier les gouvernements de toutes les puissances, tirer la leçon de ce qui s'est passé à propos du tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie.
Si les puissances intéressées avaient fait preuve de toute la fermeté et peut-être même de toute l'audace requises pour arrêter des criminels contre l'humanité identifiés et localisés - je pense en particulier à Karadzic et à Mladic, lequel est de retour sur le théâtre de ses sinistres exploits et à nouveau « opérationnel » en ce sens qu'il continue de commettre des crimes contre l'humanité - ceux qui sont aujourd'hui à l'oeuvre au Kosovo auraient su que c'était leur sort personnel qui était en jeu, que, tôt ou tard, ils auraient été amenés à devoir rendre des comptes devant la justice internationale, avant de se retrouver là où ils doivent finir, c'est-à-dire dans un établissement pénitentiaire, probablement à La Haye.
Cette dissuasion-là est une dissuasion personnelle d'une force considérable : la crainte pour votre destin même, quand on vous demande de commettre des crimes contre l'humanité, c'est tout autre chose que des frappes sur des objectifs militaires, industriels ou politiques. C'est leur propre avenir même que ces criminels savent en jeu au moment où ils se rendent coupables de leurs exactions.
Je le dis, c'est de cette fermeté dans l'action que dépend l'avenir de la Cour pénale internationale puisque, sans les Etats, elle sera désarmée. Pour le reste, je fais confiance à ceux qui auront à mettre en oeuvre les pouvoirs qui lui sont reconnus.
Nous savons qu'il y a une loi classique qui s'applique à toute juridiction. Elle va jusqu'à la limite de ses pouvoirs. Il en ira de même pour la Cour pénale internationale.
S'agissant de la mission de ceux qui auront à la faire fonctionner, c'est assurément une des plus grandes qui se puisse concevoir parce que, vous l'avez rappelé, madame la ministre, il n'y a pas de paix possible sans justice et, pour les victimes, il n'y a pas d'apaisement possible sans justice.
Pour la conscience collective, mais particulièrement pour les victimes, à la fin de ce siècle, il n'y a rien de plus intolérable que de penser que les auteurs de ces crimes pourraient couler une vieillesse paisible, entourés des leurs, de l'affection de leurs proches, de l'amitié de leurs voisins, alors que les victimes, elles, resteraient seules avec leur malheur. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, je n'avais pas, primitivement, l'intention d'intervenir dans ce débat mais, à ne pas le faire, j'aurais eu l'impression de manquer à un devoir, celui-ci consistant d'abord pour moi à remercier notre rapporteur de l'excellence du travail qu'il a accompli, au nom de notre commission, en présentant de manière extrêmement éclairante un dossier singulièrement difficile. Pour des raisons que nous comprenons, il est d'ailleurs allé au-delà de la stricte sécheresse juridique, en évoquant la signification profonde de ce texte.
Il n'est pas anodin, mes chers collègues, que ce débat s'engage alors que le siècle s'achève, un siècle qui s'est ouvert sur des espoirs de paix et de progrès.
Le hasard a voulu que, feuilletant l'autre jour un vieux journal, je retrouve la trace de cette chanson naïve que l'on avait fait composer pour le banquet de clôture de l'Exposition universelle de 1900 : des paroles au caractère un peu pompier, certes, mais chaleureuses, témoignant d'un profond espoir dans la paix. On sait ce qu'il en a été !
Peut-être l'époque que nous venons de vivre s'inscrira-t-elle parmi les plus noires de l'histoire de l'humanité. Mais, malgré les heures sombres qui ponctuent cette histoire, demeure chez tous les hommes cette volonté de parvenir à un état de paix juste et durable, c'est-à-dire à ce qui doit être pour tous, selon la définition éternelle de saint Augustin, « la sécurité dans l'ordre ».
Si l'on transpose les rapports entre les groupes sociaux et les individus aux relations entre les nations, on constate que l'ordre international, comme l'ordre social, ne peut être respecté qu'à une triple condition : il faut qu'il existe une loi - ou un code - un juge et une force.
La loi, voilà longtemps que l'on s'efforce de l'établir, parce qu'on sait qu'elle est nécessaire et parce qu'elle coïncide avec une aspiration profondément ancrée dans le coeur des hommes. Hélas ! elle a été souvent violée, et ces violations ont été trop souvent accomplies dans la plus totale des impunités.
Des juges ont aussi été mis en place. Car on oublie qu'une première tentative a vu le jour au lendemain de la Première Guerre mondiale. Tentative vite abandonnée parce que cette guerre, dont on découvre maintenant qu'elle a été tragiquement inutile, a été malgré tout une guerre classique : lors d'un conflit qui mettait en présence des forces armées obéissant tout de même à une sorte de code, l'horreur aura été finalement « acceptable ».
Le procès de Nuremberg, sans doute inévitable, sans doute nécessaire, n'a pas été à l'abri de critiques strictement juridiques ; j'en discutais avec notre rapporteur. Certes, les droits des coupables ont été respectés, mais il a fallu poser, à la demande du procureur soviétique, le principe selon lequel l'excuse de la réciprocité ne serait jamais admise.
Que peut-on espérer de cette cour que l'on veut mettre en place, après celle que l'on vient de créer, à compétences matérielles réduites ?
Sa création implique pour nous de modifier, une fois de plus, notre Constitution. Je me permets de dire au passage qu'il faudra bien trouver un moyen qui nous permette d'aborder de manière globale les modifications de notre loi fondamentale rendues nécessaires par les accords internationaux, de plus en plus nombreux, auxquels la France entend légitimement souscrire.
Au-delà de la pertinence de son action, cette cour a pour moi une valeur d'avertissement : faire savoir à l'avance que, dans une guerre ouverte ou dans un conflit armé qui ne reçoit pas cette qualification juridique précise, tout n'est pas possible. Et cet avertissement vaut également pour tous les manquements à un ordre défini qui se produiraient à l'intérieur des frontières d'une nation. C'est peut-être là la signification la plus importante de ce que nous sommes en train d'accomplir.
S'agissant du conflit du Kosovo, permettez-moi de vous faire part d'une remarque, selon moi intelligente, d'un auteur de politique fiction. Supposez, disait-il en substance, que Hitler, démocratiquement élu, ait observé, en 1933 ou en 1935, un respect absolu de l'ordre international et déclaré que, tout en respectant le traité de Versailles, il était souverain chez lui et entendait simplement expulser les Allemands d'origine juive ou, le cas échéant, les massacrer ; nous n'aurions rien pu faire. Or, si nous avons agi, c'est parce que Hitler a eu, permettez-moi de le dire, l'imprudence de se livrer à une aventure internationale au terme de laquelle il a été possible de le sanctionner, lui et les siens.
L'exercice par un Etat de sa souveraineté nationale - et ce point me paraît fondamental - est désormais encadré de deux façons : le droit est rappelé et, compte tenu de l'existence d'un juge, la menace de la sanction plane.
Reste le troisième pilier auquel je faisais allusion, c'est-à-dire celui de la force nécessaire. Pour que le juge soit saisi, pour que, le cas échéant, la loi soit respectée, il faudra bien, sous une forme quelconque, doter la souveraineté internationale de la force nécessaire.
Le xxe siècle n'aura pas été cette époque de paix et de progrès que l'on espérait. Peut-être le xxie siècle le sera-t-il, grâce à ce que nous sommes en train d'accomplir.
Nous avons cru, au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, que la paix était acquise. Ce que l'Afrique a vécu, l'existence d'Etats criminels dont on a découvert les crimes après leur effondrement ou leur disparition, et contre lesquels nous n'avons rien pu faire, et les événements qui se déroulent en Europe montrent, s'il en était besoin, au-delà des intentions juridiques, la difficulté de la tâche qui reste à accomplir.
La reconnaissance d'une loi, l'existence d'un juge et peut-être un jour la force nécessaire dont sera dotée la souveraineté internationale permettront, enfin, de voir se réaliser le voeu de saint-Augustin : la paix, c'est-à-dire la sécurité dans l'ordre. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste et du RPR, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 45 minutes ;
Groupe socialiste, 38 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 29 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 18 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 16 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Othily.
M. Georges Othily. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, notre débat de ce jour devrait théoriquement se limiter à l'examen des aspects constitutionnels liés à la vraisemblable ratification du traité de Rome du 17 juillet 1998 portant création d'une Cour pénale internationale.
Nous savons en effet que certains aspects de cet engagement, contracté par les délégués de cent vingt pays, ne sont pas conformes à notre loi fondamentale et imposent donc sa révision.
Cela dit, il m'est difficile de ne pas anticiper sur l'objet même du traité, et ce pour une raison bien simple : ou bien cet accord doit être approuvé, et la révision constitutionnelle s'impose ; ou bien, à l'inverse, cet engagement ne recueille pas notre adhésion, et ce projet de loi constitutionnelle devient inopportun.
Je souhaite, dès à présent, faire savoir à la Haute Assemblée ainsi qu'au Gouvernement que mon propos s'inscrira dans le cadre du premier terme de cette alternative : celui de la nécessaire ratification du traité de Rome et de la révision concomitante de la Constitution.
La justice pénale est, malgré de nombreuses tentatives, quasiment absente de l'ordre international. Les rares percées du droit pénal au sein de l'histoire contemporaine mondiale sont consécutives aux tragédies de la Seconde Guerre mondiale avec les procès de Nuremberg et de Tokyo ou, plus récemment, aux guerres de Bosnie et du Rwanda, avec la constitution de tribunaux ad hoc.
Ce mode opératoire, ponctuel et imposant, dans chaque cas, la réunion des acteurs internationaux, n'est pas réellement satisfaisant, car il s'inscrit dans le cadre d'une justice non pas pérenne, mais seulement occasionnelle.
Les juridictions internationales d'espèce constituent certes une avancée substantielle, mais elles présentent toutefois l'inconvénient d'intervenir a posteriori, c'est-à-dire après la commission des crimes qu'elles sont amenées à juger, ce qui ôte tout caractère dissuasif à l'action pénale.
La création d'une Cour pénale internationale témoigne donc de la volonté, exprimée par plus de cent vingt nations, de ne plus jamais laisser impunis les crimes les plus graves.
Une actualité brûlante nous rappelle d'ailleurs quotidiennement que, sur notre continent, à quelques kilomètres seulement de nos frontières, la barbarie est toujours de ce monde.
Si maigre soit la consolation que pourrait, à l'heure actuelle, nous apporter l'existence d'une telle Cour pénale internationale qui, bien évidemment, n'aurait pas le pouvoir de mettre fin aux massacres orchestrés, je ressens néanmoins une profonde satisfaction.
En effet, la création de cette juridiction hautement supérieure est un message fort que les nations signataires adressent, pour la première fois, aux malheureuses victimes d'agissements inqualifiables.
Désormais, nous pouvons leur dire que leurs souffrances ne resteront plus impunies et qu'aucune exception de nationalité, de territorialité ou de temporalité n'empêchera la justice des hommes de passer.
Paradoxalement, cet aboutissement, qui ne peut que nous réjouir, symbolise aussi une renonciation a priori, dans la mesure où cet engagement consacre avec fatalité l'existence, présente ou à venir, de situations analogues à celle que nous connaissons, par exemple, au Kosovo.
En clair, cela signifie qu'au même instant la saisine de la future Cour pénale internationale entérinera l'échec de la prévention diplomatique et des dispositifs de négociation en faveur d'un retour à la paix.
Mon enthousiasme s'émousse quelque peu à la lecture de la liste des pays signataires de ce traité de Rome ou, plus exactement, à l'énoncé du nom des Etats ayant refusé de souscrire à cet engagement presque unanime, parmi lesquels figurent, notamment, les Etats-Unis, la Chine, l'Inde et Israël.
Que le Président de la République et le Gouvernement n'interprètent pas mes propos comme une critique - il s'agit plutôt de l'expression d'un désarroi - mais je n'arrive pas à admettre, même si je le comprends, que nos échanges avec Pékin se limitent à la vente d'Airbus.
Je sais que les plus hautes autorités de notre pays ont à coeur d'attirer systématiquement l'attention des dirigeants chinois sur la question du respect des droits de l'homme. Pourtant, nous devons, hélas ! constater que ces efforts n'ont toujours pas porté leurs fruits.
Cela étant, et même si je le déplore, le refus chinois s'inscrit, si j'ose dire, dans une tradition à laquelle nous sommes malheureusement habitués. C'est pourquoi le refus américain me semble presque plus gênant.
Après les guerres du Golfe et de Bosnie, la crise du Kosovo nous donne un nouvel exemple de la mainmise américaine sur l'ordre planétaire.
Il s'agit d'un véritable paradoxe que je ne parviens pas à saisir : l'action militaire menée en ex-Yougoslavie ne pouvait être mise en place sans l'aval des Etats-Unis ; parallèlement, l'action diplomatique menée dans le cadre de la Cour pénale internationale n'a pu, quant à elle, être mise en place avec l'aval de ce pays.
Je ne comprends pas l'attitude réservée qu'adoptent les Etats-Unis lorsqu'il est question des droits de l'homme. Pourquoi cet Etat, pourtant imprégné de valeurs qui ne nous sont pas étrangères, ne parvient-il pas à participer aux objectifs que nous cherchons à atteindre ?
Pourquoi, par exemple, ce grand pays, pourtant si attaché à la notion d'humanisme, persiste-t-il à appliquer la peine capitale alors que la plupart des démocraties modernes ont adhéré au protocole additionnel à la Convention internationale des droits de l'homme qui interdit ce châtiment ?
Mes chers collègues, si j'ai choisi d'évoquer le cas de la Chine et des Etats-Unis, c'est pour une raison fort simple qui tient aux modes de saisine de la future Cour pénale internationale.
Le traité prévoit, en effet, que cette juridiction fonctionnera dans le cadre d'une étroite coopération entre les Etats parties et l'Organisation des Nations unies.
C'est ainsi que la Cour pénale internationale pourra être saisie par un signataire du texte ou par le Conseil de sécurité des Nations unies. Or, dans cette dernière hypothèse, chacun songe évidemment au fait que sont membres permanents du Conseil de sécurité, et disposent à ce titre d'un droit de veto, la Chine et les Etats-Unis.
En résumé, cela signifie que ces deux pays, qui ont pourtant choisi de demeurer en dehors du traité de Rome, parviendront néanmoins à encadrer l'application d'un texte auquel ils sont étrangers : ainsi, une seule de leurs voix aura plus d'écho que celles des cent vingt signataires de la convention.
Ayant fait part de mon étonnement à propos de ces situations, je souhaite, à présent, vous faire connaître mes réels motifs de satisfaction quant à la présence à Rome de nombreux Etats dont je ne peux que saluer le courage de la démarche.
Je pense, en effet, et vous le comprendrez très bien, à ces nombreux pays d'Afrique, d'Asie ou d'Amérique latine qui, malgré une faible expérience de la démocratie, ont néanmoins choisi d'adhérer à cet engagement commun.
Je me réjouis de relever que certains d'entre eux, dont l'histoire récente atteste pourtant de profondes hésitations quant au choix de leur régime politique, ont cependant décidé d'agir à nos côtés en faveur d'une reconnaissance internationale des droits de l'homme. En raison des liens particuliers qui nous lient à ces Etats, la France ne peut que se féliciter de la qualité d'une telle démarche.
En l'état des discussions, nous sommes amenés à nous prononcer sur un projet de loi constitutionnelle qui, en réalité, ne pose guère de difficultés, le Conseil constitutionnel ayant fait savoir que l'esprit du traité de Rome n'était pas incompatible avec celui de notre loi fondamentale.
La rédaction qui nous est proposée par le Gouvernement, outre les aspects pratiques qu'elle revêt, dans la mesure où elle permet d'éviter des réponses ponctuelles aux objections du Conseil constitutionnel qui auraient pu être difficiles à exprimer, traduit à mon sens, la volonté d'adhérer sans réserve à la Cour pénale internationale dont l'existence sera désormais consacrée par notre Constitution.
Mes chers collègues, il est de notre devoir de soutenir la création de cette juridiction indispensable et d'apporter ainsi une nouvelle pierre à l'élaboration du droit fondamental international.
Dût sa modestie en souffrir, je souhaite à cette occasion remercier notre excellent rapporteur de la qualité de son travail et de la précision des explications qu'il nous a apportées.
Mes pensées vont aussi vers ceux sans lesquels un tel édifice n'aurait certainement jamais vu le jour et qui, grâce à leur détermination, sont parvenus à faire comprendre aux nations qu'il était essentiel d'abandonner une parcelle de leur souveraineté interne, et ce dans l'intérêt commun. Je veux parler de François Mitterrand et de M. Boutros Boutros-Ghali.
S'inscrivant pleinement dans cette détermination, le groupe du Rassemblement démocratique et social européen, unanime, apportera son soutien à ce projet de loi constitutionnelle. (Applaudissements sur les travées du RDSE et sur les travées socialistes, ainsi que de l'Union centriste, du RPR et sur certaines travées des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, nous avons pris l'habitude de ratifier un certain nombre de traités en deux temps : le premier consiste à modifier la Constitution, le second à autoriser, par une loi, la ratification. Il en résulte des débats décousus et incomplets. En l'occurrence, nous avons en effet abordé à la fois la forme, la révision de la Constitution, et le fond, c'est-à-dire le contenu même du traité. Les magistraux exposés de Mme le garde des sceaux et de M. le rapporteur sur le contenu du traité étaient bien sûr nécessaires pour nous éclairer et pour justifier, dans une certaine mesure, l'intérêt de la révision constitutionnelle. C'est sur ce premier point que je voudrais tout d'abord m'arrêter.
En matière de révision constitutionnelle, nous avons pris de très mauvaises habitudes. Qu'il s'agisse du traité de Maastricht, du traité de Schengen, du traité d'Amsterdam et, maintenant, du traité de Rome, nous sommes amenés, à chaque fois, à réviser la Constitution. Comme il s'agit de traités évolutifs, chaque fois que nous les modifierons, que nous y ajouterons quelque chose, nous devrons sans doute, après décision du Conseil constitutionnel, procéder à une nouvelle révision constitutionnelle.
M. Emmanuel Hamel. Et bientôt il n'y aura plus de France !
M. Guy Allouche. Mais non, monsieur Hamel !
M. Patrice Gélard. A ce rythme, notre Constitution risque de contenir plus de références aux traités qu'au reste.
Madame le garde des sceaux, il est peut-être temps d'abandonner notre conception du droit international issue du xixe siècle et d'envisager d'autres formules en matière de ratification des traités. A cet égard, je vous suggère de confier à la commission des lois du Sénat le soin de réfléchir à la possibilité de faire figurer dans un article unique de la Constitution les dispositions permettant de ratifier les traités qui comportent délégation de compétence.
Cette formulation, à laquelle je n'ai pas encore suffisamment réfléchi, pourrait être la suivante : « Les traités qui impliquent délégation de souveraineté ne peuvent être ratifiés que par référendum ou au moyen d'une loi organique. » C'est une possibilité ; il en est certainement d'autres. Nos débats y gagneraient en clarté et les choses seraient plus simples.
En effet, la rédaction à laquelle la commission des lois s'est ralliée, sur proposition de M. le rapporteur, est la suivante : « La République peut reconnaître la juridiction de la Cour pénale internationale dans les conditions prévues par le traité signé le 18 juillet 1998. » Cette formulation n'est pas satisfaisante.
Mettons-nous dans la situation de chacun de nos concitoyens : il a bien entendu sur sa table de nuit la Constitution, qu'il relit régulièrement (sourires), mais il n'aura pas le texte du traité du 18 juillet 1998. Il ne saura pas ce qu'il y a dedans ; il devra faire une gymnastique intellectuelle pour se renseigner et en connaître le contenu.
M. Emmanuel Hamel. Il ne dormira plus !
M. Patrice Gélard. Il y a là un vrai problème de démocratisation de notre droit, et cela me permet d'en venir au deuxième point de mon intervention.
La lecture du traité de Rome est assez rocailleuse, c'est le moins que l'on puisse dire. Le texte français est rédigé dans une langue bizarre ; mais les textes russe ou anglais ne sont pas mieux lotis. Il s'agit en effet d'une sorte de franglais dans lequel les mots n'ont pas l'acception habituelle qui est la leur dans la langue française. Peut-être est-ce le résultat de la fatigue des négociateurs ou de l'insuffisance de la connaissance de l'autre langue par nos rédacteurs ? Je suis assez surpris par la médiocrité actuelle de la rédaction des textes internationaux, qu'il s'agisse du traité de Rome ou des traités européens rédigés dans une même langue. C'est une sorte de volapuk. Nous ne faisons plus attention à la qualité de la rédaction des traités. A cet égard, il faut réaliser un effort capital.
Le droit n'est compréhensible que lorsqu'il est clair, quand il est bien écrit, quand il ne laisse pas la place à des interprétations. Or on ne peut, hélas ! pas dire que le traité de Rome soit une merveille du genre.
De plus, les imperfections du texte ont une conséquence et une cause : notre contamination, à l'échelon des juridictions internationales, par la pratique de la Common law, selon laquelle les juges continuent de se réserver un pouvoir d'appréciation et se satisfont de textes flous. Cette dérive est d'abord apparue au sein des décisions de la Cour européenne des droits de l'homme, puis de la Cour de Luxembourg. Je crains qu'elle ne soit aussi le fait du tribunal pénal international.
A partir du moment où l'on est dans le domaine international, les choses doivent être claires pour être comprises de la même façon par tous. Or la façon dont est rédigé le traité, dont sont définis le génocide, le crime contre l'humanité, les crimes de guerre n'est pas, au regard de notre tradition juridique pénale, très satisfaisante.
Ce traité est une première étape, à partir de laquelle il sera sans doute souhaitable d'adopter un code pénal international et un code de procédure pénale international, à condition que nos diplomates fassent des efforts de rédaction en revenant à une langue juridique, et non en utilisant une langue que je qualifierai de langue mixte, où se mêlent le langage diplomatique, les termes juridiques, et les formulations de convivialité.
Cette deuxième remarque me paraît avoir son importance.
J'en viens au troisième point de mon intervention, empiétant sur le débat qui aura lieu lors de l'examen du projet de loi visant à autoriser la ratification du traité. Compte tenu des excellents exposés liminaires du Gouvernement et de la commission, je me contenterai de formuler quelques remarques.
D'abord, les dictateurs ne pourront plus faire de voyages internationaux dans les années à venir. (Marques d'approbation sur plusieurs travées.) Tel ou tel homme d'Etat non fréquentable ne pourra pas se rendre en visite d'Etat ou à une conférence internationale sans prendre le risque d'être immédiatement arrêté sur réquisition du procureur ou du Conseil de sécurité des Nations unies.
Nos chefs d'Etat y perdront peut-être en termes de tourisme, mais la moralité internationale y gagnera. En revanche, il faudra protéger nos chefs d'Etat de toutes poursuites arbitraires. Je me demande dans quelle mesure il ne faudra pas établir une convention sur le statut des chefs d'Etat, pour leur éviter des poursuites abusives dans les années à venir.
Plusieurs orateurs ont mentionné les crimes de guerre ou les génocides qui sont commis à l'heure actuelle au Kosovo. Dans un conflit, il y a toujours deux versions. Il ne faudrait pas, comme cela a été parfois le cas, qu'il y ait un seul coupable. Mais il ne faudrait pas que, chaque fois qu'interviennent des éléments de guerre, de violence, de génocide ou autre, les deux parties se retrouvent systématiquement devant le tribunal, parce qu'il y aura eu des victimes de part et d'autre.
Je m'interroge ensuite sur la façon dont seront ressenties les opérations de maintien de l'ordre, par exemple, dans un pays où se produiront des troubles dus à une minorité quelconque qui formulera telle ou telle revendication. Il ne s'agit là que de simples interrogations. Je m'en remets naturellement à la sagesse des Etats, du Conseil de sécurité, et, ultérieurement, à la sagesse des juges. Je me demande tout de même si toutes les conséquences du traité ont été examinées par les négociateurs.
Arrivé à ce stade, je ne peux que saluer le travail remarquable accompli par les négociateurs français. Sans eux, il est vraisemblable que cette expérience n'aurait pas pu aboutir. Sans eux, ce grand pas en avant dans quelque chose de tout à fait nouveau n'aurait probablement pas pu être fait.
Ce traité, ce n'est pas une pierre de plus au dispositif de protection des droits de l'homme et du citoyen ; ce n'est pas une meilleure protection apportée aux victimes de tous les crimes abominables que notre siècle et les siècles précédents ont connus ; c'est une véritable révolution ; c'est un bouleversement qui appelle une modification en profondeur du comportement des Etats et de leurs responsables.
Je l'ai dit tout à l'heure : désormais, aucun dictateur ne se sentira nulle part à l'aise. En raison de la non-rétroactivité des dispositions du traité, certains dictateurs ne seront pas concernés par le dispositif. Mais à l'avenir, aucun dictateur ne connaîtra un moment de repos, aucun dictateur ne pourra se sentir tranquille. A cette occasion, nous passerons du droit international des Etats à un autre droit international, dans lequel l'Etat ne sera plus totalement souverain.
Telles sont les quelques remarques que je voulais formuler.
Cela étant dit, je tiens à préciser que, à une très large majorité, les membres du groupe du RPR voteront ce projet de loi constitutionnelle. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, ainsi que sur plusieurs travées de l'Union centriste.)
M. Emmanuel Hamel. Vos réserves étaient très fortes et elles nous interpellent violemment !
M. le président. La parole est à M. Duffour.
M. Michel Duffour. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, alors que les célébrations du cinquantième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'homme sont encore si proches, les événements terribles de l'ex-Yougoslavie démontrent, une nouvelle fois, que le fossé est large entre les espoirs, les mots et la réalité.
Nous allons entamer l'ultime ligne droite d'un siècle bien sanglant.
L'émotion, l'horreur nous assaillent à la vision des centaines de milliers de personnes déportées du Kosovo. La peur de la guerre, que l'on croyait révolue dans notre Europe, rejaillit.
Cette proximité de l'indicible ne doit d'ailleurs pas nous faire oublier tous ces autres lieux où le crime, la violence dominent, et ils sont, hélas ! nombreux.
C'est dans ce contexte que nous sommes amenés à débattre de l'instauration du tribunal pénal international ou du moins, dans un premier temps, de l'adaptation de notre Constitution pour permettre sa création.
Nous devons avoir une vision globale de l'objectif d'une justice internationale.
Même si c'est dans la douleur, l'aspiration des peuples à la paix, l'émergence de valeurs démocratiques font peu à peu leur chemin. Les violations cyniques des droits fondamentaux de la personne humaine deviennent progressivement plus intolérables à des millions de gens. Ce sentiment est général, et les explosions de cruauté et de haine n'effacent pas cette tendance : rien ne permet de désespérer des peuples, même si leurs dirigeants donnent souvent la nausée.
Mes propos sont-ils un peu trop utopiques ?
Il est clair que le Cambodge, l'Afghanistan, la Sierra Leone, l'Afrique australe, la Bosnie hier, le Kosovo aujourd'hui, nous rappellent que la barbarie n'est pas éradiquée. Mais le monde devient un village, tout s'y entremêle, et les dérives criminelles de dirigeants, factions ou clans seront tôt ou tard jugées par leurs propres peuples.
La Cour pénale internationale apporte une ébauche de réponse à ces préoccupations. Son instauration est donc très positive.
Les impatiences sont grandes, notamment chez les organisations non gouvernementales, et elles se sont largement exprimées à Rome, l'été dernier. La lenteur des procédures mises en mouvement irrite. L'horreur des situations rend ces attitudes compréhensibles.
Il faut cependant rappeler que l'instauration d'une telle juridiction internationale relève d'un long processus. Déjà, au début du siècle, l'idée germait. C'est avec l'écroulement de l'URSS et la multiplication de conflits locaux, théâtres d'atrocités et de violence inouïes, qu'un pas décisif a été franchi pour la création d'une Cour pénale internationale.
Le processus est donc long et l'adhésion d'une grande majorité d'Etats n'est pas, à ce jour, acquise.
Il s'agit d'un point crucial, selon nous. Comment envisager une juridiction internationale si elle n'est reconnue que par une minorité d'Etats ?
Les organisations non gouvernementales jouent un rôle de premier plan. Loin de moi l'idée de vouloir réduire leur place : elles sont sur les terrains d'affrontements ; elles mobilisent des compétences ; elles suscitent les dévouements. Il est donc très utile qu'elles soient considérées comme des intermédiaires actifs entre la Cour et les Etats parties. Leur intervention et leur responsabilité ne se substituent pas pour autant à celle des Etats. Je suis sensible à l'argumentation développée par certains juristes, tel par exemple, à M. Serge Sur.
Où en sommes-nous aujourd'hui ?
Certes, cent vingt Etats ont voté pour la création de la Cour pénale internationale. Mais déjà sept Etats ont voté contre - et pas des moindres comme le disait M. le rapporteur - et vingt et un Etats se sont abstenus.
Pour ce qui est des deux étapes suivantes nécessaires, la route est loin d'être dégagée.
L'attitude des Etats-Unis pèse négativement. Son refus incompréhensible, puisqu'il reviendrait à la justice américaine de juger ses soldats ou ses citoyens, ne peut que pousser des Etats à faire preuve de peu d'empressement de leur côté.
Rappelons que, pour parvenir à la mise en place de la Cour pénale internationale, il faut recueillir soixante ratifications. Nous pensons que beaucoup d'efforts sont à faire - vous l'avez dit, madame la ministre - pour convaincre suffisamment d'Etats de ratifier ce texte dans un délai raisonnable. La déception serait trop grande si, durant des années et des années, la Cour pénale internationale restait à l'état de projet.
M. le rapporteur a dit à juste raison que la Cour aurait un grand rôle préventif. Je ne veux pas reprendre le scénario du pire. Mais songeons, face à un drame surgissant sur notre planète en l'an 2005, que l'on soit encore à regretter que la Cour n'ait pas vu le jour...
C'est dans cet environnement, au-delà des insatisfactions compréhensibles et justifiées ici et là, que l'action du gouvernement de la France doit être appréciée. Notre pays, on le sait, a été longtemps réticent.
Nous savons que la motivation de l'attitude de la France s'est fondée pour une part sur la volonté de protéger nos militaires en action sur des territoires extérieurs de toute contestation éventuelle de leurs actions. Nous reviendrons probablement sur ce point lors de l'examen des articles de la loi au moment de la ratification du traité. Mais cette attitude était bien peu confiante pour l'avenir. Pourquoi faire douter des observateurs de notre volonté profonde de vivre désormais avec les réalités nouvelles, alors que c'est bel et bien notre intention ?
L'exigence d'une Cour pénale internationale s'est renforcée avec l'expérience des tribunaux internationaux, constitués ces dernières années.
Le tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie et le tribunal international pour le Rwanda ont marqué une avancée significative en matière de juridiction internationale.
Je tiens cependant à faire une remarque sur l'un et l'autre.
S'agissant du tribunal relatif au Rwanda, ce sont les manques de moyens criants qui me viennent à l'esprit. Si mes informations sont exactes, trente personnes, dont dix-neuf détachées par les seuls Pays-Bas, sont à la disposition de cette juridiction. Face à l'ampleur et à la complexité des faits à examiner, ces moyens apparaissent tout de même quelque peu dérisoires.
Pour ce qui est du tribunal relatif à l'ex-Yougoslavie, mon interrogation est plus fondamentale. Ce tribunal n'a-t-il pas été un peu le reflet d'un recul de la solution politique ? Le recours ô combien nécessaire à la justice ne pallie-t-il pas l'absence de règlement politique durable d'une situation ?
Autant la justice consolide la paix en créant les conditions de la réconciliation, autant la justice internationale doit compléter les solutions politiques et non s'y substituer. Je crois que c'est en termes clairs que le Premier ministre nous a rappelé cette nécessité, cet après-midi, dans la réponse qu'il a apportée aux orateurs sur le drame du Kosovo.
La définition des crimes relevant de la compétence de la Cour pénale internationale a été l'objet de négociations serrées afin de permettre l'acceptation du statut pour le plus grand nombre.
Quatre séries de crimes seront concernées. Je n'évoquerai à cet égard que les crimes d'agression, qui ne sont actuellement pas définis et qui feront l'objet d'une prochaine négociation.
Cette question est de première importance quant à la répartition des rôles entre Conseil de sécurité et Cour pénale internationale. Qui définira à l'avenir les situations d'agression : le Conseil de sécurité ou la Cour pénale internationale ? Vous avez répondu à cette interrogation, madame la ministre.
Mais cette question est importante, car, à mon sens, elle permettra, une fois résolue, de clarifier vraiment la place de la Cour pénale internationale dans l'ordre institutionnel et, surtout, de créer les conditions d'un ordre international plus juste et, si possible, plus consensuel.
Enfin, la dernière série de critiques ou réserves présentées par les détracteurs de la Cour pénale internationale porte sur la remise en cause de notre souveraineté.
Une lecture superficielle aurait pu le faire penser, mais les garde-fous instaurés sont précis et ne permettent pas de telles interprétations. La compétence de la Cour pénale internationale est subsidiaire à celle des juridictions nationales.
Les questions liées à l'amnistie sont importantes. Elles mettent en lumière la nécessité d'une étroite collaboration entre l'action de l'ONU et la Cour pénale internationale. Quand faudra-t-il décider de poursuivre ou non, au risque de déstabiliser une fragile réconciliation nationale ?
La situation de l'Afrique du Sud a été évoquée. C'est à mon avis un bon cas d'école. Nous considérons, comme M. le rapporteur, que l'émoi suscité par la possibilité accordée au Conseil de sécurité de surseoir à la procédure n'est guère justifié.
J'ai évoqué l'ONU. Je souhaite, avant de conclure, m'arrêter quelque peu sur le sujet.
L'ONU a été beaucoup critiquée. Les Etats-Unis pour leur part, on le sait, supportent difficilement que leur statut d'hyperpuissance soit éventuellement contesté par la société des Etats.
Le rôle de l'ONU depuis 1945 a pourtant été déterminant pour l'élaboration et la généralisation de nouveaux concepts démocratiques. L'organisation a été porteuse, durant des décennies, des droits fondamentaux, des droits des peuples.
Ce fut - qui peut le nier ? - le lieu privilégié du dialogue entre Etats, de l'expression de l'ensemble des nations, quelle que soit leur importance.
Une réforme de l'ONU est sans nul doute nécessaire pour aider à faire respecter le droit international. Cette réforme doit, à notre sens, permettre une réflexion sur le retour au premier plan de l'assemblée générale. La force de l'ONU, c'est sa représentativité de la société internationale dans son ensemble.
Sans détourner notre débat - telle n'est pas mon intention - comment ne pas faire le lien entre l'attitude adoptée à l'égard de la constitution de la Cour pénale internationale et le rejet du cadre légal de règlement des conflits que constitue l'ONU ?
Si l'OTAN devait, demain, jouer le rôle que lui assigne la Maison-Blanche - ce n'est pas, je le sais, le point de vue de notre gouvernement - quel serait le poids de la future Cour pénale, alors que le principal pays du monde ne serait pas un de ses Etats parties constitutifs ?
Nous approuvons, dans ce climat, la volonté des autorités françaises d'engager la création de la juridiction internationale sur une base permettant de rassembler largement.
Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen voteront donc le projet de révision de la Constitution, avec la ferme conviction que, pour accompagner efficacement ce combat contre les crimes les plus graves et pour assurer la sécurité internationale et sa représentation, l'ONU doit être confortée. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE. - M. le président de la commission et M. le rapporteur applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, « conscient que tous les peuples sont unis par des liens étroits et que leurs cultures forment un patrimoine commun, ayant à l'esprit qu'au cours de ce siècle, des millions d'enfants, de femmes et d'hommes ont été victimes d'atrocités qui défient l'imagination et heurtent profondément la conscience humaine... ».
Ces quelques lignes extraites du préambule du traité de Rome du 18 juillet 1998 instituant la Cour pénale internationale marquent l'ambition d'un progrès collectif fondamental dans la lutte contre l'impunité et la sanction des violations des droits de l'homme.
La conférence diplomatique des plénipotentiaires des Nations unies, réunie du 15 juin au 17 juillet 1998, a parachevé la tâche historique qu'est la création d'une « cour criminelle internationale » efficace, opérationnelle et indépendante. Elle le sera vraiment si elle s'en donne les moyens et si les Etats signataires coopèrent naturellement pour qu'il en soit ainsi. Le degré de coopération sera garant de son efficacité.
Cette décision est l'un des pas les plus importants accompli dans la défense des droits de l'homme depuis l'adoption de la Déclaration universelle des droits de l'homme, il y a un demi-siècle.
Plus de cinquante après le procès de Nuremberg, les génocides, les exécutions massives d'opposants politiques, les purifications et nettoyages ethniques, les crimes contre l'humanité continuent de servir d'instrument politique dans de nombreuses régions du globe. Il y avait absolument nécessité de renforcer le système de la justice pénale internationale.
Cinquante ans après la signature de la Convention internationale contre le génocide, qui voulait éviter que ne se reproduise plus jamais ce que le régime nazi venait de faire subir au monde, la société internationale se dote d'un instrument supposé sanctionner, mais aussi prévenir les crimes qui, par leurs exceptionnelles gravité et monstruosité, heurtent la conscience universelle.
Avec la fin de la « guerre froide », qui avait en quelque sorte « congelé » la création de cette Cour pénale internationale, le temps est enfin venu pour les auteurs de génocides, de crimes contre l'humanité, de crimes de guerres, de tomber sous le coup de sanctions pénales exemplaires, sanctions qui ne seront jamais à la hauteur des crimes commis. M. Kofi Annan ne disait-il pas - et comment ne pas l'approuver ? - le 18 juillet 1998, à Rome, que la création de cette Cour pénale internationale est « un cadeau de l'espérance pour les générations futures » ?
Ce siècle qui s'achève n'a pourtant pas manqué d'atrocités partout dans le monde.
« Plus jamais ça » ! Lequel d'entre nous n'a-t-il cru en ce cri de douleur et d'espoir lancé après l'holocauste ! Pourtant, un demi-siècle après la Shoah, les mots de purification et de nettoyage ethniques font à nouveau partie, depuis l'offensive serbe en Croatie et en Bosnie, de notre vocabulaire quotidien. Des crimes contre l'humanité ont de nouveau été commis au coeur de l'Europe, au nom d'idéologies aussi implacables que meurtrières. La tragédie du Kosovo n'est pas non plus la première dans l'ex-Yougoslavie.
L'actualité donne à notre débat un éclairage cru et tout particulier. Il est rarissime que l'actualité internationale colle de si près à un débat parlementaire ! Qui osera dire encore - comme ce fut le cas il y a soixante ans - « qu'il ne savait pas » ? Seuls ceux qui sont traditionnellement favorables à ne rien faire, ou à laisser faire, qui acceptent de contempler les atrocités de notre monde avec cynisme, peuvent s'en réjouir. Aux sceptiques, aux réfractaires, disons simplement : « Regardez et écoutez ». Le drame du Kosovo nous renvoie aux heures les plus noires de notre histoire contemporaine.
Il a fallu attendre le lendemain de la Première Guerre mondiale pour que naisse l'idée d'une juridiction chargée de sanctionner pénalement les crimes de guerre. L'ampleur des massacres, le génocide arménien, les destructions considérables et, déjà, l'exigence de l'opinion publique, dont la pression sera de plus en plus forte, ont favorisé la prise de conscience des dirigeants des puissances alliées.
A la tragédie de la Première Guerre mondiale, la Seconde Guerre mondiale a ajouté l'horreur absolue de l'holocauste. De nombreux criminels de guerre ont été jugés par les tribunaux internationaux de Nuremberg et de Tokyo. Pour la première fois, ces tribunaux ont défini précisément les crimes contre l'humanité. L'instauration d'une justice pénale internationale s'est orientée délibérément vers la répression, à l'échelle internationale, des crimes les plus graves. Hélas ! cela n'a pas empêché la seconde partie de ce siècle de renouer avec la barbarie. L'institution des tribunaux ad hoc pour juger les crimes dans l'ex-Yougoslavie et au Rwanda a favorisé une nouvelle prise de conscience politique pour aller vers la création d'une Cour pénale internationale.
Mes chers collègues, osons dire que c'est le début d'une « justice sans frontière ».
Cette Cour pénale internationale sera mieux à même de mener comme il couvient la lutte contre l'impunité et pour la répression des grands responsables de crimes contre l'humanité. Elle mettra fin, je l'espère, « à l'exercice criminel de la souveraineté de l'Etat ». On mesurera, alors, que les criminels contre l'humanité sont poursuivis au nom de la communauté internationale tout entière, et que c'est elle qui demande justice. Cela répond à l'exigence première des droits de l'homme, à leur universalité, à leur indivisibilité, car ils sont ceux des êtres humains sur toute la terre. Et les criminels contre l'humanité, parce qu'ils outragent, à travers la personne des victimes, l'humanité tout entière, doivent être poursuivis au premier chef, au nom de la communauté internationale. Ils sauront ainsi qu'ils auront à rendre compte de leurs actes ignobles.
Le temps d'élever un nouveau rempart contre l'immunité et l'impunité est enfin venu. Les temps judiciaires à venir ne seront plus, et ne devront plus être cléments aux bourreaux et aux dictateurs, qui deviendront des justiciables à vie, c'est-à-dire à tout moment, à tout âge, en tout pays, ou presque, puisque le criminel d'un Etat non partie au traité qui se réfugie dans son pays pourra encore échapper à des poursuites tant qu'il ne le quitte pas. Il sera donc prisonnier chez lui. L'époque qui s'ouvre n'oubliera jamais ses propres tourmenteurs.
La Cour pénale internationale ne sera pas un supertribunal mondial qui pourrait se substituer à la justice nationale ou se saisir de ses affaires à sa convenance. La justice nationale continue d'avoir la priorité. la Cour pénale internationale ne sera compétente que lorsque les tribunaux nationaux n'existent pas, ne sont pas capables ou refusent de poursuivre ces crimes.
Projet ambitieux, la création de la Cour pénale internationale concrétise des droits universels. Elle permet de dépasser, sans pour autant l'ignorer, le droit des Etats. Confrontés à la question de l'étendue de leurs pouvoirs, les Etats signataires ont accepté de mettre en jeu ce qui définit une partie de leur souveraineté. C'était une condition indispensable, car le respect absolu de la souveraineté des Etats ne doit plus permettre de préserver l'impunité des auteurs de crimes contre l'humanité. Nous savons que la sécurité internationale et les droits de l'homme sont intrinsèquement liés, parce qu'ils associent la souveraineté, la liberté et la sécurité des Etats à celles des hommes qui les peuplent.
Pourrai-je ajouter que c'est encore une façon d'exercer sa pleine souveraineté que d'accepter de se soumettre à la compétence d'une telle juridiction, l'Etat ne renonçant jamais à sa souveraineté ?
La compétence de la Cour pénale internationale est limitée aux crimes les plus graves qui touchent l'ensemble de la communauté internationale. Pour un pays comme la France, nous pouvons dire qu'il n'y a pas d'atteinte réelle et sérieuse à la souveraineté du système judiciaire français si, comme on le pense, la justice française exerce normalement ses compétences en poursuivant les auteurs de crimes d'une extrême gravité.
« Beaucoup d'Etats auraient aimé une cour investie de pouvoirs encore plus importants, mais cela ne doit pas nous pousser à minimiser l'avancée capitale qui a été réalisée », disait M. Kofi Annan.
La création de la Cour pénale internationale soulève, en effet, de nombreuses interrogations, qui peuvent se résumer dans les propos de Mme Louise Arbour, procureur près le tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie, selon laquelle il ne faudrait pas que cette nouvelle institution se trouve moins bien armée que les deux tribunaux ad hoc.
Le point le plus violemment critiqué est la possibilité donnée à chaque Etat signataire de se soustraire pendant sept ans, jusqu'à la révision du texte, aux obligations du traité pour l'une des quatre catégories de crimes concernées : les crimes de guerre.
La France, qui réclamait cette faculté de dérogation, a largement fait les frais des critiques des représentants des organisations non gouvernementales.
Madame la ministre, j'ai bien compris le sens de votre déclaration à l'Assemblée nationale : « Si des personnels français civils ou militaires devaient commettre des crimes de guerre, ils seraient de toute façon traduits devant les tribunaux français. L'article 124 n'y changerait rien, puisque la Cour pénale internationale est complémentaire des tribunaux nationaux. »
Reconnaissons cependant que cette disposition ne fait que repousser l'examen d'un point important : la sanction des violations du droit international humanitaire par les membres des forces de maintien de la paix.
Certes, nous sommes au stade de la modification constitutionnelle, et il est fort probable que nous ayons à revenir sur ce point lors du débat de ratification.
L'autonomie de la Cour pénale internationale fut l'un des grands débats lors des négociations opposant les tenants d'une totale indépendance de la justice à ceux qui défendaient les prérogatives du politique, au premier rang desquels les membres permanents du Conseil de sécurité, dont la France.
L'article 16 du statut de la Cour octroie au Conseil de sécurité, dans les limites d'un équilibre raisonnablement défini entre ses attributions et celles de la Cour pénale internationale, la faculté de demander à la Cour de surseoir pendant douze mois renouvelables aux enquêtes ou aux poursuites qu'elle a engagées.
Cette disposition est pour le moins discutable et cette interférence est même choquante, puisqu'elle revient à accorder au Conseil de sécurité la possibilité d'empêcher quasi indéfiniment toute poursuite contre des personnes soupçonnées de crimes relevant de la compétence de la Cour.
Je reconnais cependant que la portée pratique de l'article 16 du statut doit être relativisée.
En effet, le Conseil de sécurité peut dès à présent agir pour que la Cour pénale internationale n'engage pas de poursuites, compte tenu des prérogatives que lui reconnaît le chapitre VII de la Charte des Nations unies.
En second lieu, ainsi que le précise M. Mario Bettati, professeur à l'université Paris II, qui a été auditionné par la commission des affaires étrangères, l'intervention du Conseil est plutôt favorable à la Cour : « Il suffira qu'une seule voix d'un membre permanent soit hostile à une résolution destinée à suspendre les poursuites, et le procureur pourra continuer à travailler tranquillement. »
Madame la ministre. il est regrettable que cette disposition d'application incertaine figure dans le statut car, en donnant l'impression que l'on pourrait s'orienter vers une « jurisprudence à la carte », c'est l'indépendance de la Cour et, par voie de conséquence, la fonction judiciaire même qui sont en cause.
Les autres limites de l'indépendance du procureur concernent les poursuites abusives fondées sur des arrière-pensées politiques.
Les deux Etats qui interviennent le plus à l'étranger, les Etats-Unis et la France, ont tenu à se protéger, mais pour des raisons différentes. Certes, les Etats-Unis n'ont pas signé le traité de Rome. Mais la France a demandé et obtenu la mise en place d'une chambre préliminaire de juges chargée de trancher en cas de contestation de la légitimité des poursuites. Cet aspect relève davantage de la tradition judiciaire des pays latins que de la tradition anglo-saxonne ; il s'agit d'éviter certaines dérives, tant accusatoires que médiatiques.
M. Emmanuel Hamel. Vous reconnaissez qu'il peut y avoir des dérives !
M. Guy Allouche. Autre question de nature dialectique, bien que le choix du principe de non-rétroactivité s'explique à la fois par des considérations pratiques mais aussi en raison du fait que la création de la Cour pénale internationale n'a pas pour objet la restitution de la mémoire, comment concilier le principe de l'imprescriptibilité des crimes actuels et celui de la non-rétroactivité ?
La création de la Cour pénale internationale résulte d'un accord interétatique très large. Sept pays s'y sont opposés, dont les Etats-Unis, pourtant favorables à la mise en place des tribunaux pénaux internationaux. Ce pays ami donne surtout l'impression de vouloir utiliser ces instances plus pour des raisons politiques que pour la défense d'un idéal de justice.
Nous connaissons la conception très stricte des Etats-Unis en matière de souveraineté. Ils souhaitent éviter, autant qu'il est possible, que des ressortissants américains relèvent de juridictions autres qu'américaines. Nous ne pouvons que regretter que ce grand pays, cette grande démocratie, s'exonère de la justice universelle.
La France a progressivement cherché, par ses propositions, à réunir le plus grand nombre de signataires. Le travail de la représentation française dans la préparation du projet de création de la Cour pénale internationale doit être salué. Notre pays a joué un rôle actif lors des travaux du comité préparatoire des Nations unies chargé d'étudier les questions relatives à l'établissement de cette nouvelle instance, en présentant un projet complet de statut dont les délégations étrangères ont reconnu la qualité.
Réjouissons-nous également que la France ait signé le traité dès le lendemain de l'adoption de la convention.
A ce stade de mon propos, mes chers collègues, je veux m'adresser à M. le président de la commission des lois pour lui dire que je tiens personnellement à le remercier d'avoir une nouvelle fois proposé à notre collègue Robert Badinter de rapporter ce projet de loi. Vous l'aviez déjà fait précédemment, M. Badinter l'a rappelé, avec un texte présenté par M. Toubon sur le Rwanda, et vous avez eu raison d'assurer cette continuité en laissant à notre collègue le soin de présenter au nom de la commission des lois - et, par voie de conséquence, au nom du Sénat tout entier - ce rapport sur la création de la Cour pénale internationale.
Monsieur le rapporteur, cher ami Robert Badinter, vous féliciter pour la qualité de votre rapport serait certes juste, mais, à mes yeux, ce serait un peu court.
Je me fais un devoir, et surtout un plaisir, de rappeler encore, car on ne le dira jamais assez, quelle énergie et quels efforts considérables vous déployez - et avec quelle constance, avec quelle farouche détermination ! - au service du droit, de la justice universelle et du respect de la dignité humaine.
Votre action vous honore, certes. Mais, en cet instant, elle honore aussi le Sénat tout entier et le Parlement français, car nous pouvons nous sentir fiers de vous compter parmi nous.
Nul doute que nombreux sont ceux qui retiennent déjà et que plus nombreux encore seront ceux qui retiendront que toute votre action, depuis de très nombreuses années, s'inscrit dans le droit fil de l'action menée par d'éminentes personnalités françaises, et notamment, pour n'en citer qu'une, par le regretté René Cassin.
Moins de six mois après cette signature, le Président de la République française et le Premier ministre ont saisi conjointement le Conseil constitutionnel de la question de la compatibilité des dispositions du traité avec la Constitution. Dans sa décision du 22 janvier dernier, le juge constitutionnel a considéré que l'autorisation de ratifier le traité exigeait une révision préalable de la Constitution.
Le projet de loi constitutionnelle qui nous est soumis ne répond pas point par point aux décisions du Conseil ; il tend à inscrire dans la Constitution une formule générale dont le choix mérite d'être approuvé.
En effet, afin de couvrir tous les cas d'inconstitutionnalité, il est apparu préférable d'utiliser une formule plus large, et de faire référence à la reconnaissance de la juridiction de la Cour pénale internationale. Le nouvel article inséré dans la Constitution permet la ratification du traité de Rome et l'adhésion de la France aux principes de paix et de justice défendus par la Cour pénale internationale.
Madame la ministre, mes chers collègues, le groupe socialiste du Sénat votera avec honneur et enthousiasme ce projet de loi constitutionnelle. La France peut s'enorgueillir d'être l'un des premiers pays à s'engager dans une procédure qui la conduira à adhérer à un statut qu'elle a largement contribué à élaborer. Seul le Sénégal nous a précédés dans la ratification du traité.
Cette volonté de la France, et de ses plus hautes instances, d'élargir le champ de la justice universelle renforce sa position de leader en termes de défense des droits de l'homme et des libertés sur la scène internationale. En cela, la France demeure fidèle à son idéal et à ses valeurs.
La Cour pénale internationale va dans le sens de l'histoire, et l'idée de créer une forme de menace permanente sur les criminels contre l'humanité est fondamentalement liée à une idée de progrès.
Malgré ses imperfections, ou grâce à elles, le statut de la Cour pénale internationale permettra de mettre en oeuvre le célèbre précepte de Pascal, selon lequel il faut « mettre ensemble la justice et la force, et pour cela, faire que ce qui est juste soit fort et que ce qui est fort soit juste ». (Applaudissements sur les travées socialistes, sur celles du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Soucieux de laisser la parole à mon excellent collègue André Dulait, auteur d'un remarquable rapport - M. Badinter l'a relevé - sur le statut de la Cour pénale internationale, je serai bref.
La révision constitutionnelle est, à l'évidence, nécessaire. Elle ne pose pas de problème. La décision du Conseil constitutionnel est surtout importante en ce qu'elle indique qu'il n'y a pas réciprocité dans le cas qui nous occupe, les autres considérantes visant les conditions nécessaires pour pouvoir ratifier le statut de la Cour pénale internationale.
Les traités internationaux sont, bien entendu, toujours le fruit de compromis : compromis entre un certain nombre d'Etats, mais aussi compromis linguistiques.
Nous attachons beaucoup d'importance à la langue, une langue que, pour notre part, nous ne savons pas toujours très bien défendre, d'ailleurs. Mais c'est ainsi !
Or, en l'espèce, je constate que, globalement, le droit français - c'est notamment vrai pour la chambre préliminaire - a profondément marqué le statut de la Cour pénale internationale. Il convient de s'en réjouir.
Bien entendu, nombre de points de droit sont évoqués dans ce statut de la Cour.
Tout le monde rêve d'une justice telle que tous les Caïn de la terre - Caïn fut le premier à commettre un crime contre l'humanité ! - ne puissent trouver de repos nulle part. Souhaitons qu'un jour cela puisse devenir une réalité ! (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Dulait.
M. André Dulait. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, j'ai eu effectivement l'opportunité de présenter récemment, au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, qui sera naturellement saisie le moment venu - cela a été longuement évoqué - du projet de loi autorisant la ratification de la convention de Rome portant création de la Cour pénale internationale, un rapport d'information visant à approfondir certains aspects de son statut.
En effet, la justice pénale internationale n'est pas sans conséquences sur le fonctionnement de la société internationale. Quelle incidence la Cour pénale internationale aura-t-elle sur les rapports entre justice pénale et paix, entre justice pénale et souveraineté ? Quelles incidences auta-t-elle, enfin, sur certaines questions militaires ?
Les crimes qui relèveront de la compétence de la Cour sont le plus souvent commis dans des situations de conflits, internationaux ou non. Ils peuvent également être perpétrés dans le cadre de régimes autoritaires exerçant à l'égard de leurs opposants une répression massive, violente et systématique.
La Cour pénale internationale aura donc un rôle dissuasif ; elle interviendra également pour accompagner des processus de pacification intérieurs ou internationaux La Cour pénale internationale devra donc tenter, tout d'abord, de concilier justice pénale et paix, ce qui ne va pas toujours de soi.
Ainsi les deux tribunaux pénaux ad hoc actuellement en exercice sont-ils étroitement associés à un processus de pacification, qu'il soit international - Dayton pour l'ex-Yougoslavie - ou national - pour le Rwanda. Ils ont cependant été tous deux créés par une résolution du Conseil de sécurité des Nation unies, et donc après une appréciation politique de sa part, même si les droits de la défense ont pu être respectés dans une très large moyenne. C'est d'ailleurs là une de leurs principales limites. On a pu dire qu'ils symbolisaient ainsi une justice sélective, dans la mesure où ce qui a été décidé pour le Rwanda ou l'ex-Yougoslavie ne l'a pas été - ou pas encore - pour le Cambodge, le Congo démocratique et tant d'autres théâtres de conflits où ont été commis des crimes particulièrement odieux.
Tel ne sera pas le risque encouru par la Cour pénale intenationale. Sa compétence aura une vocation universelle, et elle aura surtout un caractère permanent.
La justice pénale internationale peut-elle, par ailleurs, conforter ou, au contraire, fragiliser la paix, en particulier dans des situations de conflit intérieur ? Les démarches de réconciliation nationale conduites par certains pays comme le Salvador ou, surtout, l'Afrique du Sud seront-elles encore possibles dans l'avenir ?
Dans ce débat, certains considèrent légitimement que le retour à la démocratie impose que toute la lumière soit faite sur les agissements d'une dictature, afin d'éviter l'impunité et de respecter les victimes. D'un autre côté, les amnisties pour de tels agissements sont parfois le prix à payer pour un retour à la démocratie. L'exemple de l'Afrique du Sud est, à cet égard, tout à fait significatif.
Pour préserver ces démarches de réconciliation, le statut de la Cour pénale internationale n'oblige pas le procureur à ouvrir automatiquement une enquête dès qu'il est saisi d'une plainte. Une disposition lui donne la possibilité, dans certains cas, de renoncer à enquêter s'il estime qu'une telle action irait à l'encontre des intérêts de la justice et des victimes. Même s'il n'allait pas de soi de confier ainsi à un juge, dont la mission s'inscrit dans une logique strictement judiciaire, la responsabilité de porter une appréciation politique, cette disposition n'en constitue pas moins, à mon sens, une garantie importante.
Dans la même logique, le statut prévoit aussi la possibilité pour le Conseil de sécurité, prioritairement en charge de la paix et de la sécurité internationale, d'exiger de la Cour qu'elle suspende, pour une durée de douze mois renouvelable, une enquête qui risquerait de fragiliser un effort de paix. Cette disposition a été parfois contestée, mais je crois qu'il s'agit d'une mesure réaliste et utile.
On peut rappeler que, en sens inverse, lorsque le Conseil de sécurité saisit la Cour, celle-ci a une compétence plus large que dans les deux autres modes de saisine : elle peut ainsi intervenir même si l'Etat en cause n'est pas partie au statut, quelle que soit la nationalité du suspect, quel que soit l'Etat sur le territoire duquel le crime a été commis, le Conseil agissant alors en vertu du chapitre VII de la Charte.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, cet équilibre entre les prérogatives de la Cour, d'une part, et celles du Conseil de sécurité, d'autre part, peut apparaître sastisfaisant. Au cours de la négociation, plusieurs délégations avaient plaidé pour une totale indépendance entre la Cour pénale internationale et le Conseil de sécurité. Je crois que cette indépendance aurait abouti in fine à diminuer la crédibilité de la Cour elle-même.
Le rapport entre la justice pénale internationale et la souveraineté des Etats constitue un autre aspect important du statut. La Cour pénale internationale ne sera pas sans incidence - c'est l'objet même de notre débat - sur la souveraineté des Etats. Ainsi, la règle de compétence de la Cour lui permettrait-elle d'ouvrir une enquête sur une personne ressortissante d'un Etat non partie accusée de crimes relevant de sa compétence, pour peu que l'Etat où a été perpétré le crime soit partie à la convention de Rome. C'est la cause principale, on le sait, du refus des Etats-Unis de souscrire au projet.
La Cour pourrait également se saisir d'une affaire alors même que le crime commis aurait fait l'objet d'une amnistie dans le pays de son auteur, ou que ce pays aurait prescrit le crime commis par cette personne. C'est l'un des points relevés par le Conseil constitutionnel et qui fait l'objet de la réforme que nous examinons aujourd'hui.
Enfin, la saisine de la Cour par le Conseil de sécurité, déjà évoquée, quelle que soit alors la nationalité de l'auteur du crime ou l'Etat sur le territoire duquel il a été commis, a été considérée par certains Etats - c'est le cas de l'Inde - comme une atteinte à leur souveraineté et a entraîné leur refus final.
La Cour requiert donc des Etats parties qu'ils acceptent certaines limitations de souveraineté. Toutefois, en adhérant à la convention de Rome, ils ont exprimé leur libre consentement à des concessions, somme toute limitées, et qui s'inscrivent, il faut le rappeler, dans le cadre de la complémentarité entre la Cour pénale internationale et les juridictions nationales.
Les Etats parties auront par ailleurs l'obligation de coopérer avec la Cour dans l'exercice de sa mission. En effet, pas plus que les tribunaux spéciaux, la Cour pénale internationale ne disposera en propre de l'appareil judiciaire ou policier nécessaire à la conduite d'une enquête, à l'audition de témoins, au ressemblement de preuves ou à l'arrestation de personnes soupçonnées de crimes. Sans le concours des Etats, la Cour pénale internationale serait paralysée et impuissante.
Les possibilités de réaction de la Cour face à la réticence d'un Etat à coopérer avec elle semblent cependant peu contraignantes.
Si la Cour se heurte au refus d'un Etat de coopérer, elle peut ainsi faire « remonter » la question à l'assemblée des Etats parties au statut, qui en prend acte. Il est à craindre que les conséquences concrètes de cette procédure ne soient guère incitatives.
Il en irait différemment si le refus de coopérer intervenait dans le cadre d'une saisine par le Conseil de sécurité. Dans cette hypothèse, le constat de carence remonterait au Conseil de sécurité, qui pourrait alors prendre des mesures coercitives dans le cadre du chapitre VII de la Charte - ce sera, sans doute, la procédure la plus efficace.
Un troisième point important concerne les rapports entre la Cour pénale internationale et certaines questions liées au domaine militaire.
Nous avons tous à l'esprit les critiques portées contre des responsables militaires de l'ONU lors de récents événements tragiques survenus en ex-Yougoslavie. Pendant la négociation, certaines délégations voulaient initialement inscrire dans le statut, pour ce qui concerne les crimes de guerre, la notion de responsabilité pénale pour « omission », « non-assistance à personne en danger », voire « négligence ». Une telle disposition aurait eu, je crois, des conséquences négatives : ces forces sont en effet contraintes, de par leurs règles d'engagement, et on peut le regretter, de ne recourir à la force qu'en cas de légitime défense. Finalement, le statut ne prévoit, opportunément, de responsabilité pénale que si l'intention de commettre le crime est avérée.
Vient, ensuite, la clause de l'article 124, très contestée, de limitation temporaire de la compétence de la Cour en ce qui concerne les crimes de guerre. Cette disposition, dont la France a déjà indiqué qu'elle y aurait recours, prévoit que, par déclaration spéciale, des Etats pourront, pendant une durée de sept ans, ne pas accepter la compétence de la cour pour les crimes de guerre les concernant.
Ce dispositif est en effet très critiqué. Qu'en est-il ? Ses détracteurs considèrent que des garanties suffisantes figurent au statut, garanties qui permettront d'éviter des plaintes abusives. Le Gouvernement reconnaît que ces garanties existent - principe de complémentarité, rôle de la chambre préliminaire, notamment - mais il est légitimement soucieux de bénéficier d'un délai lui permettant d'en apprécier le bon fonctionnement. De fait, les dommages politiques et mêmes militaires qui pourraient résulter, pour une mission de maintien de la paix, de plaintes dénuées de fondement judiciaire réel, fondées sur des arrière-pensées politiques et relayées pendant des semaines par les médias, pourraient être considérables, voire irréparables.
Une dernière préoccupation pouvait concerner, enfin, le rôle des forces multinationales dans l'arrestation de criminels, lorsqu'une telle force est déployée sur un territoire donné, lors d'une opération de maintien de la paix. En excluant le procès « par contumace », le statut ne laisse d'ailleurs de choix qu'entre l'arrestation et l'impunité, cette dernière n'étant pas acceptable. Or l'expérience de la SFOR démontre que les militaires sont parfois réticents, en cas de défaillance de l'Etat, qui devrait y procéder, à effectuer eux-mêmes l'arrestation, souvent délicate, de telles personnes. Ce genre d'opérations peut en effet gravement dégénérer. L'avènement de la Cour pénale internationale aurait pu conduire, dans le cadre de l'obligation de coopérer, à ce que ce type de mission de police soit désormais explicitement et systématiquement prévue pour les forces relevant de l'ONU. Cela n'aurait rendu que plus complexe tant la possibilité de leur déploiement sur le territoire d'un Etat donné que leur mission de pacification.
En réalité, en prévoyant, sur ce point, la possibilité d'accords spécifiques entre la Cour pénale internationale et les organisations intergouvernementales compétentes, le statut s'en remet aux mandats des forces qui seront définis, comme à l'heure actuelle, par le Conseil de sécurité. C'est donc dans ce cadre d'appréciation politique et militaire qu'il reviendra aux Etats de prendre leurs responsabilités sur ces missions délicates.
Au total, je crois que le statut de cette Cour pénale internationale repose sur un équilibre satisfaisant entre la nécessaire efficacité d'une justice pénale internationale et le respect, tout aussi nécessaire, de la souveraineté des Etats qui fonde la société internationale.
La longue négociation de la convention de Rome a été l'occasion de voir se confirmer le rôle de premier plan tenu par les organisations non gouvernementales dans l'élaboration de ce texte important. Elles auront par ailleurs un rôle actif dans le fonctionnement même de la Cour par les informations qu'elles pourront transmettre au procureur.
Il était en effet légitime que ces organisations, dont certaines d'entre elles ont acquis sur le terrain, parfois au prix de grandes difficultés, une expérience et une légitimité reconnues, soient associées à la définition de normes destinées à promouvoir et à protéger le droit international humanitaire. Après la convention d'Ottawa proscrivant l'usage des mines anti-personnel, la convention créant la Cour pénale internationale illustre ce rôle d'« aiguillon de la diplomatie » qu'elles jouent désormais sur la scène internationale.
Certains jugent ce développement avec réserves, considérant qu'étant, par nature, dépourvues de légitimité politique, contrairement aux gouvernements qui engagent des Etats, ces organisations s'efforceraient de promouvoir les dispositions tendant à placer ceux-ci « sous contrôle ».
Il s'agit là d'une donnée nouvelle de la vie internationale à laquelle gouvernements et parlements doivent être attentifs.
La Cour pénale internationale aura un effet dissuasif. Si, malgré tout, ce qui est hélas ! à redouter, des crimes aussi graves que ceux qui relèvent de la compétence de la Cour sont commis, chacun saura, du criminel à la victime, que l'impunité ne sera plus aussi facile qu'auparavant.
Beaucoup reste encore à négocier pour que la Cour fonctionne dans de bonnes conditions, mais notre pays a contribué positivement à ce que l'on aboutisse à un texte qui ne soit pas déséquilibré au détriment des intérêts des Etats et des principes qui régissent la société internationale.
Telles sont, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, les remarques que je souhaitais formuler. La suite dépend de notre volonté. Aujourd'hui, nous allons nous prononcer sur le projet de loi constitutionnelle, ensuite nous pourrons ratifier la convention. Alors il nous faudra entreprendre une démarche de conviction de lobbying afin de convaincre les grands pays qui ne nous ont pas encore suivis d'adhérer à ce texte.
Ainsi, la France, fidèle à son image de 1789, inscrira l'année 1999 dans les grandes dates de son histoire. (Applaudissements.)
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Monsieur le président, je veux tout d'abord remercier les différents orateurs qui sont intervenus, et me féliciter une fois de plus de la qualité du travail accompli par le Sénat, et en premier lieu - cela a été souligné à juste titre - par le rapporteur de la commission des lois, M. Badinter, et du soin avec lequel la commission des lois - son président en a porté témoignage - a examiné ce texte dans tous ses détails et dans toutes ses implications.
Je remercie à nouveau tous les orateurs qui, sur toutes ces travées, ont exprimé une opinion très favorable à ce texte. Mais le chemin à parcourir est encore long avant que cette Cour puisse effectivement voir le jour. (Applaudissements sur les travées socialistes, sur celles du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE.).
M. le président. Personne ne demande la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l'article unique.

« Article unique. - Il est inséré, au titre VI de la Constitution, un article 53-2 ainsi rédigé :
« Art. 53-2. - La République peut reconnaître la juridiction de la Cour pénale internationale dans les conditions prévues par le traité signé le 18 juillet 1998. »

Vote sur l'ensemble

M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi, je donne la parole à M. Hamel pour explication de vote.
M. Emmanuel Hamel. J'ai profondément admiré l'éloquence, et plus encore que l'admirable éloquence, l'inspiration de Mme le garde des sceaux, de même que j'ai continué, comme je le fais déjà depuis longtemps, à éprouver un sentiment d'admiration pour notre éminent collègue M. Badinter.
Je n'en suis que plus malheureux de dire que je ne peux pas voter ce texte, car j'ai été très marqué par les réserves exprimées par notre collègue Patrice Gélard, comme j'ai été également interpellé par les interrogations rapportées par notre collègue Guy Allouche.
Je partage vos convictions démocratiques. Je partage votre espoir d'un troisième millénaire qui serait celui non plus de la haine et de la guerre, mais de la paix et du respect des droits de l'homme, non seulement chez nous, en France, mais dans le monde entier. Toutefois, je crains que, dans son application, cette convention n'aboutisse parfois, selon les modalités de fonctionnement qui ont été prévues pour cette Cour pénale internationale, à des injustices, à des dénis de justice, de telle sorte que je ne veux pas, à l'avance, m'en rendre solidaire en votant ce projet de loi constitutionnelle.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article unique du projet de loi constitutionnelle.
Je rappelle que, en application de l'article 59 du règlement, le scrutin public est de droit.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.

(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 90 : :

Nombre de votants 312
Nombre de suffrages exprimés 312
Majorité absolue des suffrages 157
Pour l'adoption 309
Contre 3

Le Sénat a adopté. (Applaudissements.) 7

CONVENTION SUR LA LUTTE
CONTRE LA CORRUPTION
D'AGENTS PUBLICS ÉTRANGERS

Adoption d'un projet de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 172, 1998-1999) autorisant la ratification de la convention sur la lutte contre la corruption d'agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales, faite à Paris le 17 décembre 1997 [Rapport n° 305 (1998-1999).]
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, au nom du Gouvernement, j'ai l'honneur de soumettre aujourd'hui au vote de votre assemblée un projet de loi destiné à autoriser la ratification de la convention sur la lutte contre la corruption d'agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales, que j'ai signée avec M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, à l'occasion de la conférence de signature organisée à Paris, à l'OCDE, le 17 décembre 1997.
Cette convention a pour objet de permettre aux pays membres de l'organisation de coopération et de développement économiques d'agir de façon coordonnée pour l'adoption de lois nationales d'incrimination de la corruption d'agents publics étrangers.
Elle a été négociée dans le cadre du comité de l'investissement international et des entreprises multinationales pour la mise en oeuvre d'une recommandation adoptée le 27 mai 1997 par le Conseil des ministres de l'OCDE.
Pour parvenir à cet engagement de lutte coordonnée des Etats contre la corruption, la convention contient une définition de la notion d'agent public - à la différence des instruments élaborés par l'Union européenne, que le Gouvernement présentera tout à l'heure, textes qui renvoient au droit national de chaque Etat membre - et développe des éléments d'incrimination limités à la corruption active, que les Etats membres s'engagent à couvrir dans leurs lois nationales.
La différence avec les textes élaborés par l'Union européenne, qui retiennent tant la corruption active que la corruption passive, s'explique par le caractère universel de la convention OCDE. Les textes de l'Union européenne ne visent que les fonctionnaires nationaux des Etats membres ; le texte de l'OCDE s'applique à tous les fonctionnaires, quel que soit leur pays d'appartenance.
C'est la raison pour laquelle l'incrimination de la corruption n'est envisagée par l'OCDE que du côté du corrupteur - c'est-à-dire de la corruption active - l'OCDE laissant aux Etats dont il relève - notamment ceux qui ne sont pas membres de l'organisation - la responsabilité de sanctionner et de juger le fonctionnaire corrompu.
Surtout, une procédure d'évaluation du respect de l'engagement des Etats membres est organisée dans le cadre du suivi de la recommandation adoptée par les ministres de l'OCDE en 1997.
S'agissant du contenu, les Etats parties à la convention s'engagent, de même que dans le cadre de l'Union européenne, à prévoir des sanctions pénales applicables efficaces, proportionnées et dissuasives incluant des peines privatives de liberté, ainsi qu'à permettre une entraide judiciaire effective et l'extradition. Le blanchiment des infractions de corruption d'agent public étranger est visé par la convention, au même titre que celui qui concerne les infractions de corruption d'agent public national.
La convention énonçant que les mêmes règles de compétence des Etats membres applicables à la corruption des agents publics nationaux s'appliquent à la corruption des agents publics étrangers, la France n'est pas obligée, à la différence des instruments de l'Union européenne que nous allons examiner dans un instant, d'effectuer une déclaration précisant la mise en oeuvre des dispositions de l'article 113-8 du code pénal.
Il est à noter également que la convention peut servir de base légale à l'entraide judiciaire ou à l'extradition lorsque les Etats parties à la convention ne sont liés par aucun autre traité bilatéral ou multilatéral en la matière.
Des modalités particulières d'entrée en vigueur de la convention sont énoncées par le texte pour garantir l'entrée en vigueur simultanée entre les principaux pays exportateurs. Compte tenu des dépôts de ratification déjà enregistrés auprès du secrétariat général de l'OCDE - Etats-Unis, Allemagne, Japon, Royaume-Uni, Canada, Corée, Norvège, Finlande, Grèce, Hongrie, Islande et Bulgarie - la convention est entrée en vigueur le 15 février dernier.
S'agissant de la France, la convention entrera en vigueur le soixantième jour suivant la date du dépôt de son instrument de ratification. Au plan interne, il convient de relever que, de même que pour les instruments négociés dans le cadre de l'Union européenne se rapportant à la corruption, l'absence actuelle dans notre code pénal de dispositions couvrant la corruption active d'agents publics étrangers nécessite l'adoption d'une loi d'adaptation, pour en assurer l'incrimination et conférer la compétence nécessaire aux juridictions françaises.
Telles sont, monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, les principales observations qu'appelle la convention sur la lutte contre la corruption d'agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales, faite à Paris le 17 décembre 1997, et que le Gouvernement a l'honneur de soumettre à votre approbation.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Christian de La Malène, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a examiné avec une attention toute particulière - et ce n'est pas une clause de style - cette convention sur la lutte contre la corruption d'agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales signée par les vingt-neuf pays de l'OCDE, ainsi que par l'Argentine, le Brésil, la Bulgarie, le Chili et la République slovaque.
Le thème de la corruption connaît un écho grandissant au sein des organisations internationales, qui dénoncent ses effets sur l'équilibre politique et le développement économique de nombreux pays et tentent de promouvoir ce que l'on appelle la « bonne gouvernance ».
La convention élaborée dans le cadre de l'OCDE témoigne d'un angle de vue quelque peu différent, à savoir un objectif de transparence de la concurrence commerciale internationale. Elle s'inscrit donc dans un contexte bien particulier : celui de la réglementation de la compétition internationale pour la conquête des marchés à l'exportation. C'est dire son importance pour notre pays, quatrième exportateur mondial, dont près du quart du produit intérieur brut dépend du commerce extérieur.
Destinée à sanctionner les actes de corruption à l'égard d'agents publics étrangers, elle a vocation à s'appliquer prioritairement aux domaines du commerce international, où la décision politique est prépondérante : travaux publics, énergie, communications, aéronautique, armement, autant de domaines dans lesquels nos industriels ont fait la preuve de leur performance.
Je ne reviendrai pas sur le dispositif de la convention, analysé dans mon rapport écrit. Il est au demeurant extrêmement simple, puisqu'il s'agit, pour les Etats signataires, de s'engager à créer dans leur droit pénal une incrimination de la corruption d'agents publics étrangers dans les transactions internationales assortie de sanctions effectives, proportionnées et dissuasives, comme vous l'avez dit, madame le garde des sceaux.
J'insisterai surtout sur les réflexions, les observations, voire les réserves de la commission face à ce texte. En effet, si l'objectif de moralisation de la convention ne peut qu'entraîner l'adhésion générale, son application soulève en revanche des problèmes complexes et suscite des inquiétudes que nous ne pouvons passer sous silence et sur lesquelles nous souhaitons alerter le Gouvernement, car c'est lui, en définitive, qui portera la responsabilité de la mise en oeuvre de ce texte.
Tout d'abord, à l'évidence, ce texte ne saurait faire disparaître les phénomènes de corruption, car il n'est signé que par trente-quatre pays et ne concerne pas tous les autres, qui, eux aussi, participent au commerce international. Il n'agit que sur « l'offre » susceptible d'émaner d'entreprises exportatrices et reste sans effet sur ceux qui décident de l'attribution du marché et qui sont, le plus souvent, les véritables initiateurs et les bénéficiaires de la corruption.
On touche ici du doigt une première limite et une faiblesse importante de la convention. Face à des pays qui ont pour ainsi dire élevé la corruption au rang de droit d'accès à leur marché et qui ne modifieront pas du jour au lendemain leur comportement, les entreprises des pays signataires pourraient se retrouver placées « entre le marteau et l'enclume », compte tenu du renforcement des législations pénales dans leurs Etats respectifs.
Notre première crainte est que, pour échapper à ce dilemme, apparaisse ce que l'on pourrait appeler une « zone grise », dans laquelle pourraient subsister des formes moins visibles, plus complexes et plus sophistiquées de corruption utilisant par exemple des sociétés écrans et les paradis fiscaux. Bien entendu, seules les très grosses sociétés seraient en mesure d'utiliser de tels procédés, mais il y aurait là un véritable contournement de la convention.
L'impact réel de la convention dépendra des mesures de transposition prises par chaque Etat signataire et de la plus ou moins grande fermeté avec laquelle elles seront appliquées.
Les Etats-Unis possèdent depuis 1977 une législation réprimant la corruption d'agents publics étrangers par des citoyens ou des entreprises américaines en vue de l'obtention d'un marché. Dans mon rapport écrit, j'ai précisé les principales caractéristiques de cette législation, qui est directement à l'origine de la convention qui nous occupe aujourd'hui, les Etats-Unis souhaitant que des règles comparables s'imposent aux autres pays exportateurs.
On a souvent souligné que les industriels américains se considéraient pénalisés face à leurs concurrents, affranchis de toute menace de sanction pénale, mais on a également souvent relevé que cette législation, pourtant sévère dans son principe, avait donné lieu à très peu d'applications concrètes - on peut discuter les chiffres - : une vingtaine de dossiers examinés en vingt ans...
M. Emmanuel Hamel. Un par an !
M. Christian de La Malène, rapporteur. ... cinq poursuites engagées et des sanctions prises, dont la plus sévère se limitait à une année d'emprisonnement avec sursis.
La France, pour sa part, a préparé un projet de loi de transposition modifiant le code pénal et le code de procédure pénale et relatif à la corruption, déposé au mois de janvier au Sénat.
Ce projet introduit dans le code pénal l'incrimination de corruption d'agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales, assortie d'une peine de dix ans d'emprisonnement et d'un million de francs d'amende. Il prévoit des peines complémentaires pour les personnes physiques et un régime de responsabilité des personnes morales. Ce régime de sanctions pénales envisagé par la France est particulièrement rigoureux, plus sévère même que celui de la plupart de nos partenaires.
Le projet de loi comporte deux dispositions qui me paraissent particulièrement importantes.
D'une part, il dispose que les poursuites ne pourront être exercées qu'à la seule requête du ministère public, ce qui signifie que le dépôt d'une plainte avec constitution de partie civile ne suffira pas à mettre en mouvement l'action publique.
D'autre part, le dispositif pénal ne s'appliquera qu'aux contrats conclus après l'entrée en vigueur de la loi et ne couvrira donc pas l'exécution d'engagement pris dans les limites de contrats antérieurs à cette promulgation.
Au travers de ce qui existe déjà aux Etats-Unis, c'est-à-dire une législation complète mais peu appliquée, et de ce qui est envisagé pour la France, nous voyons qu'en réalité chaque Etat signataire disposera d'une certaine marge d'appréciation pour la transposition de la convention. Or l'objectif recherché, à savoir une concurrence loyale dans un environnement assaini, ne peut valablement être atteint que si la convention est appliquée de manière similaire par l'ensemble des parties.
Telle est la justification du principe d'équivalence sur lequel repose toute la crédibilité de cette convention. En effet, que le régime des sanctions diffère, que l'interprétation des textes soit souple ici et rigide ailleurs ou que la propension des parquets des différents pays à poursuivre soit par trop disparate, la convention créera d'inacceptables distorsions de concurrence au lieu de les réduire.
C'est sur ce point que réside notre plus forte inquiétude, car il y a un risque réel de distorsion dans la transposition de la convention par les différents pays. On constate déjà une certaine variété dans le régime des sanctions pénales. Les pénalités encourues par les personnes morales ne sont pas partout du même ordre.
Ce risque de distorsion réside surtout dans la mise en oeuvre des actions pénales qui obéissent, selon les pays, à des règles et des traditions juridiques différentes.
Je ne citerai que le cas des Etats-Unis, où le monopole des poursuites en matière de corruption appartient au département de la justice sous l'autorité de l'attorney general. Encore ce dernier doit-il convaincre un « grand jury », en lui apportant les éléments de preuve dont il dispose, avant d'être autorisé à engager les poursuites, l'ensemble de cette procédure ne donnant lieu, par ailleurs, à aucune publicité. C'est dire qu'un filtrage sévère, dans lequel le pouvoir discrétionnaire de l'attorney general qui apprécie l'opportunité des poursuites joue un rôle prépondérant, s'applique avant toute mise en oeuvre de l'action publique. Qui plus est, l'entreprise qui serait mise en cause a toujours la possibilité d'éviter un procès, nous le savons, en pratiquant une transaction pénale, c'est-à-dire en plaidant coupable sur un délit de moindre importance.
Qu'en sera-t-il en France ?
Certes, le projet de loi déposé au Sénat exclut l'automaticité des poursuites liée au dépôt de plainte avec constitution de partie civile. Le monopole des poursuites appartiendra au ministère public mais, en l'occurrence, chacun des cent quatre-vingt un procureurs sera juge de l'opportunité des poursuites. Une circulaire de politique pénale de la Chancellerie suffira-t-elle à uniformiser les pratiques des parquets ?
Il paraît clair que, dans les trente-quatre pays signataires, la propension des parquets à poursuivre prendra une intensité variable, d'autant que les faits incriminés auront été commis dans un pays tiers, c'est-à-dire que le préjudice porté à l'ordre public national ne sera pas évident.
La seule réponse apportée par la convention à la question fondamentale du respect du principe d'équivalence réside dans la mise en place d'un groupe de travail chargé du suivi de l'application du texte. Ce groupe, composé de représentants de tous les pays signataires, aura pour mission de surveiller les pratiques nationales et l'on espère qu'il saura déceler et dénoncer les éventuelles distorsions dans l'application de la convention. Je pense, pour ma part, qu'il n'y a pas lieu de placer des espoirs exagérés dans un tel mécanisme.
J'en arrive aux conclusions de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées sur une convention qui, vous l'aurez compris, ne saurait susciter une adhésion sans réserves, malgré ses bonnes intentions.
Ces réserves sont nombreuses et découlent du risque, trop important à nos yeux, d'application déséquilibrée de cette convention. Pour autant, elles ne nous sont pas parues de nature à remettre en cause sa ratification.
La commission souscrit, bien entendu, à l'objectif de la convention, à savoir lutter contre une corruption qui, outre ses méfaits dans les pays qui la pratiquent, entretient dans le commerce international un manque de transparence dont nos entreprises exportatrices se passeraient bien. Au demeurant, nos principaux partenaires, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, l'Allemagne, le Japon ou le Canada l'ont déjà ratifiée.
La commission a donc émis un avis favorable à l'adoption du projet de loi, mais elle a assorti cet avis de quatre observations, qui sont autant de demandes à l'adresse du Gouvernement, afin qu'il fasse preuve d'une vigilance particulière dans la mise en oeuvre de cette convention. Il y va de nos industries exportatrices et, au-delà, de l'emploi.
La première observation adressée au Gouvernement vise à lui demander de militer, dans les différentes enceintes internationales, pour une extension géographique des dispositions de la convention, par exemple à tous les pays de l'organisation mondiale du commerce. C'est un objectif que pourraient utilement se fixer les pays de l'OCDE afin de généraliser à l'ensemble du commerce international les règles qu'ils ont imposées à leurs exportateurs.
La deuxième observation concerne la transposition de la convention dans le droit pénal français. Cette transposition doit à notre sens être stricte, c'est-à-dire pleinement conforme à la convention, tout en ayant le souci de respecter le principe d'équivalence, qui suppose une mise en oeuvre similaire de la convention dans tous les pays signataires. Il faudra pour cela s'en tenir à la définition des actes de corruption donnée par la convention et veiller à établir un régime de sanctions pénales comparable à celui de nos partenaires. Il faudra également veiller à ce que l'engagement des poursuites soit réservé au ministère public, ce qui est le minimum exigé chez nos partenaires. Il nous semble que ces conditions sont satisfaites par le projet de loi déposé au Sénat. Encore faut-il que l'équilibre réalisé par ce projet de loi soit préservé.
La troisième observation tient à la date d'entrée en vigueur de la convention. Il nous semble qu'il serait néfaste, d'un point de vue de sécurité juridique, que la convention entre en vigueur avant la loi interne, car il y aurait alors une période d'incertitude sur le plan juridique. Il serait donc sage d'attendre l'adoption du projet de loi interne pour déposer les instruments de ratification de la convention. Ainsi, une seule et même date serait retenue pour l'entrée en vigueur de la convention et celle de la loi interne. Le Gouvernement peut-il nous donner des assurances en ce sens ?
Enfin, la quatrième observation s'adresse également au Gouvernement pour lui demander d'accorder une vigilance spéciale à la procédure de suivi de l'application de la convention, seul moyen dont nous disposerons pour nous assurer que cette application sera uniforme dans l'ensemble des pays concernés. Pour cela, il faudra envoyer au groupe de travail chargé du suivi des représentants parfaitement conscients et mobilisés sur les enjeux de cette convention pour nos entreprises exportatrices.
C'est en insistant fortement sur ces observations, qui, elle l'espère, seront entendues par le Gouvernement, que la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées vous propose, mes chers collègues, d'adopter le présent projet de loi. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l'article unique.
« Article unique . - Est autorisée la ratification de la convention sur la lutte contre la corruption d'agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales, faite à Paris le 17 décembre 1997, et dont le texte est annexé à la présente loi. »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.

(Le projet de loi est adopté.)

8

CONVENTIONS RELATIVES
À LA PROTECTION DES INTÉRÊTS FINANCIERS
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Adoption de cinq projets de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion :
- du projet de loi (n° 173, 1998-1999) autorisant la ratification de la convention établie sur la base de l'article K 3 du traité sur l'Union européenne relative à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes, faite à Bruxelles le 26 juillet 1995. [Rapport n° 304 (1998-1999).]
- du projet de loi (n° 174, 1998-1999) autorisant la ratification du protocole établi sur la base de l'article K 3 du traité sur l'Union européenne à la convention relative à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes, fait à Dublin le 27 septembre 1996. [Rapport n° 304 (1998-1999).]
- du projet de loi (n° 175, 1998-1999) autorisant la ratification du protocole établi sur la base de l'article K 3 du traité sur l'Union européenne concernant l'interprétation, à titre préjudiciel, par la cour de justice des Communautés européennes de la convention relative à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes, fait à Bruxelles le 29 novembre 1996. [Rapport n° 304 (1998-1999).]
- du projet de loi (n° 177, 1998-1999) autorisant la ratification de la convention établie sur la base de l'article K 3, paragraphe 2, point c, du traité sur l'Union européenne relative à la lutte contre la corruption impliquant des fonctionnaires des Communautés européennes ou des fonctionnaires des Etats membres de l'Union européenne, faite à Bruxelles le 26 mai 1997. [Rapport n° 304 (1998-1999).]
- du projet de loi (n° 176, 1998-1999) autorisant la ratification du deuxième protocole établi sur la base de l'article K 3 du traité sur l'Union européenne à la convention relative à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes, fait à Bruxelles le 19 juin 1997. [Rapport n° 304 (1998-1999).]
La conférence des présidents a décidé que ces cinq projets de loi feraient l'objet d'une discussion générale commune.
Dans la discussion générale commune, la parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai l'honneur de soumettre aujourd'hui à votre assemblée cinq projets de loi qui sont destinés à autoriser, d'abord, la ratification de la convention relative à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes, convention qui a été signée à Bruxelles le 26 juillet 1995, communément appelée « convention fraude », et les trois protocoles qui s'y rattachent, d'autre part, la convention relative à la corruption impliquant des fonctionnaires des Communautés européennes ou des fonctionnaires des Etats membres de l'Union européenne, signée à Bruxelles le 26 mai 1997, communément appelée « convention corruption » de l'Union européenne.
Le Gouvernement a choisi de présenter ensemble à votre examen ces cinq textes, d'abord parce qu'ils se trouvent liés par les thèmes concernés : la fraude et la corruption ; ensuite parce qu'ils nécessitent une adaptation législative interne pour laquelle un projet de loi se trouve également soumis au Parlement.
Je rappelle que le Conseil européen d'Amsterdam, en juin 1997, a insisté sur l'importance de faire ratifier l'ensemble de ces instruments.
C'est d'ailleurs, me dit-on, parce que ces instruments constituent un ensemble que la ratification de la convention relative à la protection des intérêts financiers des Communautés, signée à Bruxelles le 26 juillet 1995, ne vous a pas été présentée plus tôt. On aurait néanmoins pu avancer !...
M. Michel Charasse. C'est le Quai d'Orsay ! (Sourires.)
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. La convention du 26 juillet 1995 sur la fraude, outre l'incrimination des faits de fraude portant atteinte aux intérêts financiers des Communautés, impose aux Etats membres l'obligation de prévoir des sanctions pénales effectives, proportionnées et dissuasives pour tous les cas de fraude portant sur un montant supérieur à 4 000 euros.
Elle exige également des Etats membres de prévoir des peines de privation de liberté pouvant entraîner l'extradition au moins dans les cas graves de fraude portant sur un montant supérieur à 50 000 euros.
Le premier protocole, signé en septembre 1996, vise, quant à lui, à définir des incriminations de corruption, passive ou active, liée à la fraude affectant les recettes et les dépenses communautaires.
Son champ d'application concerne les fonctionnaires nationaux des Etats membres - la définition de la notion de fonctionnaire national est renvoyée au droit interne de chaque Etat membre concerné - et les fonctionnaires communautaires.
Le protocole fait obligation aux Etats membres, pour les faits de corruption, de prévoir des sanctions pénales effectives, proportionnées et dissuasives incluant, au moins dans les cas graves, des peines privatives de liberté pouvant entraîner l'extradition.
S'agissant de la compétence, les deux conventions « fraude » et « corruption » prévoient l'application du principe aut dedere, aut judicare - « ou extrader, ou juger » - qui impose aux Etats membres d'établir leur compétence pour des faits de fraude commis à l'étranger s'ils n'extradent pas l'auteur de ces faits qui se trouve sur leur territoire.
Au plan interne, la France dispose, d'ores et déjà, des incriminations nécessaires pour la mise en oeuvre de la convention relative à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes.
Cependant, l'incrimination de la corruption, active ou passive, d'agents publics étrangers ou internationaux ne figure pas dans les dispositions de notre code pénal. C'est pourquoi une loi d'adaptation est nécessaire pour assurer l'incrimination des infractions de corruption, active ou passive, prévue par le protocole du 27 septembre 1996 et la convention « corruption » du 26 mai 1997 et pour conférer la compétence nécessaire aux juridictions françaises.
Il convient encore de souligner que les différents protocoles ne pourront entrer en vigueur que lorsque la convention du 26 juillet 1995 à laquelle ils se rattachent sera elle-même entrée en vigueur.
Telles sont, monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, les principales dispositions, d'une part, de la convention relative à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes, faite à Bruxelles le 26 juillet 1995, et de ses protocoles et, d'autre part, de la convention relative à la lutte contre la corruption impliquant des fonctionnaires des Communautés européennes ou des fonctionnaires des Etats membres de l'Union européenne, faite à Bruxelles le 26 mai 1997.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Christian de La Malène, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, la fraude affectant le budget communautaire est régulièrement signalée comme une faiblesse préoccupante de la construction européenne. J'ai tenté, dans mon rapport écrit, d'en analyser rapidement les formes, l'évolution et l'impact.
J'ai cité les montants en jeu, soit au moins 1,4 milliard d'euros en 1997. Ce chiffre représente les seules infractions décelées et il doit donc être considéré comme un minimum.
J'ai également décrit les principales formes de fraudes, en soulignant leur caractère largement transnational, et le rôle que jouent, en cette matière, les filières criminelles internationales.
Profitant pleinement des facilités offertes par la libre circulation des personnes et des marchandises dans le marché intérieur, ces filières savent parfaitement jouer des disparités de législation entre Etats membres et surtout du cloisonnement des organisations de la police et de la justice des différents Etats.
La lutte contre la fraude implique donc une vaste panoplie de mesures dans des secteurs aussi variés que les procédures réglementaires, le contrôle budgétaire et financier, la coopération douanière, fiscale, policière ou judiciaire ou encore le contrôle du fonctionnement interne de la Commission, plus que jamais à l'ordre du jour.
Elle suppose une prise de conscience de multiples acteurs, à savoir chacun des Etats membres mais aussi le Conseil européen, la Commission, le Parlement européen dans le cadre de sa mission de contrôle budgétaire, la Cour des comptes et la Cour de justice des Communautés européennes. Chacune de ces entités tente de prendre en compte, dans le cadre de ses compétences et avec des degrés d'efficacité divers, la lutte contre la fraude au budget communautaire.
Je constate simplement que, pour diverses raisons, la responsabilité essentielle de la lutte contre la fraude incombe aux Etats membres. Par leurs administrations fiscales et douanières, ils sont les plus aptes à déceler les fraudes. C'est sur eux que repose l'enclenchement des poursuites. Enfin, en vertu des traités, la lutte contre la fraude, dans ses aspects judiciaires, est englobée dans les questions de justice et d'affaires intérieures, dans le « troisième pilier ».
C'est donc le cadre intergouvernemental qui a été privilégié par les traités pour les questions concernant la lutte contre la fraude de dimension internationale, la coopération judiciaire en matière pénale et la coopération douanière et policière.
Les conventions et protocoles dont nous sommes saisis sont le fruit de cette coopération intergouvernementale et traitent d'un aspect particulier, mais néanmoins essentiel, de la lutte contre la fraude au budget communautaire, à savoir la protection juridique - et, en l'occurrence, pénale - des intérêts financiers des Communautés européennes.
En d'autres termes, il s'agit ici de s'assurer que les quinze pays de l'Union adopteront une même définition des comportements frauduleux au préjudice des Communautés européennes, prévoiront, dans leur droit pénal, l'incrimination de ces comportements et appliqueront des sanctions d'une même sévérité.
En effet, le degré variable avec lequel ces trois éléments sont pris en compte dans les quinze pays membres nuit aujourd'hui à l'efficacité de la lutte contre la fraude.
Ces textes répondent donc à un objectif commun : réaliser une certaine harmonisation des droits pénaux des Etats membres et garantir une coordination des procédures pénales, de manière à renforcer l'efficacité des enquêtes, des poursuites ainsi que de la répression des fraudes au budget communautaire et de la corruption.
En ratifiant ces textes, les Etats membres vont s'engager à introduire, dans leur droit pénal, plusieurs incriminations, à savoir la fraude portant atteinte aux intérêts financiers des Communautés européennes, la corruption passive ou active d'un fonctionnaire national et d'un fonctionnaire communautaire, le blanchiment de capitaux des produits de la fraude et de la corruption.
Ils s'engagent à prévoir des sanctions effectives, proportionnées et dissuasives à l'encontre de ces comportements.
Ils s'accordent sur plusieurs principes de coopération et d'entraide pénale.
J'ajoute, enfin, que, pour entrer dans les faits, le dispositif des deux conventions et des trois protocoles nécessitera des mesures législatives nationales. Tel est l'objet du projet de loi modifiant le code pénal et le code de procédure pénale qui a été déposé au Sénat par le Gouvernement.
Ainsi que je l'indiquais, ces cinq textes ont pour objet de traiter un aspect limité et néanmoins important de la lutte contre la fraude. Celle-ci passe par bien d'autres actions, telles que l'amélioration du fonctionnement des administrations nationales et communautaires chargées de la lutte contre la fraude, la coopération policière et judiciaire, le renforcement de l'efficacité des organes de contrôle et l'indispensable réforme du fonctionnement interne de la Commission.
M. Emmanuel Hamel. Indispensable.
M. Christian de La Malène, rapporteur. Les textes qui nous sont proposés contribueront à aplanir des difficultés que les filières criminelles organisées ont su exploiter et ils permettront de réaliser des avancées significatives dans le difficile combat contre la fraude.
Il est donc utile que la France les ratifie et c'est pourquoi la commission des affaires étrangères vous invite, mes chers collègues, à donner un avis favorable à ces cinq projets de loi.
M. le président. La parole est à Mme Bidard-Reydet.
Mme Danielle Bidard-Reydet. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, les présents projets de loi qui visent à autoriser la signature par notre pays de conventions relatives à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes sont d'une très grande actualité.
La démission de la Commission européenne, la sévérité de la presse à l'égard de certains de ses responsables, la notoriété de certains de ses membres mis en cause ont illustré, s'il en était besoin, les limites d'une Commission où l'absence de transparence et de contrôles effectifs des citoyens des Etats membres permet, voire engendre un certain nombre de dysfonctionnements.
M. Emmanuel Hamel. Très bien !
Mme Danielle Bidard-Reydet. La « transparence absolue » évoquée par le président Prodi n'est-elle pas, à elle seule, l'aveu d'une profonde remise en cause des institutions européennes, notamment de la Commission de Bruxelles ?
Le fonctionnement complexe de l'Union et la confusion des pouvoirs ajoutent au désarroi de nos concitoyens face à une construction européenne détachée des réalités nationales. Du détachement à la corruption, il y a un pas que certains n'ont pas manqué de franchir.
Il convient, à cet égard, de répondre à l'inquiétude des opinions publiques à l'égard des larges pouvoirs de la Commission.
Au moment où émerge dans notre pays et dans l'ensemble des sphères de la société une exigence légitime de transparence et de démocratie participative, la construction actuelle de l'Europe repose sur des pouvoirs non élus à la puissance presque discrétionnaire. C'est vrai de la Commission, mais aussi de la Banque centrale européenne.
La soumission aux seules lois du marché et aux seules contraintes internationales d'ordre économique dessaisit la classe politique dans son ensemble des pouvoirs qui lui sont conférés par le suffrage universel.
Les dogmes libéraux du « moins d'Etat » sont, au fond, pleinement responsables des dérives qui se font jour ici ou là et qui rejaillissent très souvent, trop souvent, sur l'ensemble de la classe politique de nos pays.
Il nous faut donc prendre la mesure de ces dérives et redonner à l'Europe les possibilités d'une construction réellement démocratique.
Aux procédures de contrôles externes proposées par les conventions et les protocoles qui nous sont soumis, il conviendrait d'adjoindre, dès à présent, un renforcement plus grand des procédures de contrôles internes des budgets des Communautés.
Comme l'indique notre rapporteur, la lutte contre la fraude au budget communautaire « apparaît donc comme un objectif à la fois prioritaire et difficile à atteindre. Elle implique la mise en oeuvre d'une vaste panoplie d'actions nationales, communautaires et interétatiques ».
Elle implique également, selon nous, un renforcement des prérogatives du pouvoir politique au sein de l'Europe.
De fait, la lutte contre la fraude et la protection des intérêts financiers des Communautés européennes visent à permettre une harmonisation de l'ensemble des législations pénales des Etats membres afin d'améliorer l'efficacité des dispositifs ainsi mis en place.
Le domaine pénal étant de la seule compétence des Etats membres, compétence exclusive à laquelle nous sommes attachés, c'est donc par la voie des conventions internationales qu'il est possible de prétendre à une harmonisation des législations, afin de garantir au mieux les intérêts des Communautés.
Ainsi, sous la présidence allemande, ont été définis les principes retenus pour la protection juridique des intérêts financiers des Communautés dans les cas de corruption, de blanchiment et de responsabilité des personnes morales.
Sous la présidence française, un accord politique est intervenu sur le contenu de la convention relative à la protection des intérêts financiers des Communautés.
La présidence espagnole a permis la négociation d'un premier protocole relatif à la corruption.
Un deuxième protocole fut négocié sous la présidence italienne pour ce qui concerne les aspects liés au blanchiment et à la responsabilité des personnes morales et un élargissement fut proposé visant à inclure dans ces dispositifs l'ensemble des faits de corruption susceptibles d'impliquer des fonctionnaires communautaires.
La convention du 26 juillet 1995 et les protocoles qui s'y rattachent constituent le fondement des règles juridiques à adopter au sein de notre droit pénal international.
Cette convention définit, dans son article 1er, la fraude portant atteinte aux intérêts financiers des Communautés en matière tant de dépenses que de recettes communautaires et pose le principe de sanctions pénales effectives, proportionnées et dissuasives en prévoyant, dans les cas de faute grave, des peines privatives de liberté pouvant entraîner l'extradition.
Cette convention prévoit, en outre, que chaque Etat membre doit établir sa compétence pour les fraudes commises sur son territoire.
Elle précise également les règles d'extradition qui imposent aux Etats membres de prévoir leur compétence pour des faits de fraude commis à l'étranger.
Le premier protocole élargit la protection des intérêts face à des agissements autres que la fraude, notamment les actes de corruption commis par des fonctionnaires ou envers eux.
Le deuxième protocole demande aux Etats membres de faire figurer dans leur législation pénale le blanchiment de capitaux issus du produit de la fraude et de la corruption et prévoit d'instituer à ce titre une responsabilité des personnes morales.
Le protocole du 29 novembre, quant à lui, donne compétence au titre du préjudice à la Cour de justice des Communautés européennes pour l'interprétation des conventions et protocoles qui nous sont soumis aujourd'hui.
Cette compétence de la Cour de justice des Communautés doit être interprétée au sens strict pour ce qui concerne notre pays, puisque la France a souhaité que seules les juridictions suprêmes puissent demander à la Cour de justice européenne de statuer à titre préjudiciel. La Cour de justice des Communautés rend des arrêts sans appel.
Pour ce qui nous concerne, nous sommes extrêmement attachés à la compétence exclusive des Etats en matière pénale. Il s'agit, selon nous, d'une garantie essentielle pour les droits fondamentaux de chacun.
Le Parlement européen doit obtenir les prérogatives d'un véritable Parlement et exercer un réel contrôle sur la Commission et les Parlements nationaux doivent être plus associés qu'ils ne le sont aujourd'hui à la conduite des affaires de l'Europe, notamment en matière de corruption. Les fraudes et la corruption ne sont-elles pas des symptômes de la faiblesse de la volonté politique ?
L'ensemble de ces questions, on le voit, déborde largement les protocoles et conventions dont nous sommes appelés à autoriser la ratification. Au vu de cet ensemble de réflexions et malgré certaines réserves, que vous avez bien comprises, le groupe communiste républicain et citoyen est favorable à tout pas en avant dans la lutte contre la corruption. Il votera donc cet ensemble de projets de loi.
M. Christian de La Malène, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Christian de La Malène, rapporteur. Mme Bidard-Reydet a repris, en les amplifiant, un certain nombre de remarques que j'avais faites dans mon rapport.
M. Emmanuel Hamel. De réserves !
M. Christian de La Malène, rapporteur. Mais elle ne s'est pas dressée contre ces remarques. Elle a proposé quelques réformes qui vont bien au-delà, naturellement, des conventions.
Je voudrais lui faire remarquer qu'il existe deux moyens de progresser dans le domaine qui nous préoccupe aujourd'hui : d'une part, la méthode conventionnelle, qui consiste à rapprocher les codes pénaux et les procédures, et, d'autre part, la méthode institutionnelle. Je suis partisan de la méthode conventionnelle et, si j'ai bien compris, Mme Bidard-Reydet devrait l'être également. Elle s'y est ralliée puisque, se répondant à elle-même, elle a dit qu'elle voterait ces projets de loi.
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale commune ?...
La discussion générale commune est close.

PROJET DE LOI N° 173

M. le président. Nous passons à la discussion de l'article unique du projet de loi n° 173.
« Article unique. - Est autorisée la ratification de la convention établie sur la base de l'article K. 3 du traité sur l'Union européenne relative à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes, faite à Bruxelles le 26 juillet 1995, et dont le texte est annexé à la présente loi. »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.

(Le projet de loi est adopté.)

PROJET DE LOI N° 174

M. le président. Nous passons à la discussion de l'article unique du projet de loi n° 174.
« Article unique. - Est autorisée la ratification du protocole établi sur la base de l'article K. 3 du traité sur l'Union européenne à la convention relative à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes, fait à Dublin le 27 septembre 1996, et dont le texte est annexé à la présente loi. »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.

(Le projet de loi est adopté.)

PROJET DE LOI N° 175

M. le président. Nous passerons à la discussion de l'article unique du projet de loi n° 175.
« Article unique. - Est autorisée la ratification du protocole établi sur la base de l'article K. 3 du traité sur l'Union européenne concernant l'interprétation, à titre préjudiciel, par la Cour de justice des Communautés européennes de la Convention relative à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes, fait à Bruxelles le 29 novembre 1996, et dont le texte est annexé à la présente loi. »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.

(Le projet de loi est adopté.)

PROJET DE LOI N° 177

M. le président. Nous passons à la discussion de l'article unique du projet de loi n° 177.
« Article unique. - Est autorisée la ratification de la convention établie sur la base de l'article K. 3, paragraphe 2, point c, du traité sur l'Union européenne relative à la lutte contre la corruption impliquant des fonctionnaires des Communautés européennes ou des fonctionnaires des Etats membres de l'Union européenne, faite à Bruxelles le 26 mai 1997, et dont le texte est annexé à la présente loi. »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.

(Le projet de loi est adopté.)

PROJET DE LOI N° 176

M. le président. Nous passons à la discussion de l'article unique du projet de loi n° 176.
« Article unique. - Est autorisée la ratification du deuxième protocole établi sur la base de l'article K. 3 du traité sur l'Union européenne à la convention relative à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes, fait à Bruxelles le 19 juin 1997, et dont le texte est annexé à la présente loi. »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.

(Le projet de loi est adopté.)

9

MODIFICATION DE L'ORDRE DU JOUR

M. le président. Le Gouvernement, en accord avec la commission des lois, propose que la séance du mardi 4 mai se poursuive éventuellement le soir.
Il n'y a pas d'opposition ?...
Il en est ainsi décidé.
En conséquence, l'ordre du jour est fixé comme suit :
A dix heures, à seize heures et, éventuellement, le soir : suite de la discussion du projet de loi sur la coopération intercommunale.

10

DÉPÔT D'UNE PROPOSITION DE LOI

M. le président. J'ai reçu de MM. Michel Charzat, Bertrand Delanoë, Mme Danièle Pourtaud, MM. Claude Estier, Jean-Noël Guérini, Franck Sérusclat et les membres du groupe socialiste et apparenté, une proposition de loi relative à l'organisation administrative de Paris, Marseille et Lyon.
La proposition de loi sera imprimée sous le n° 331, distribuée et renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

11

DÉPÔT D'UN RAPPORT

M. le président. J'ai reçu un rapport déposé par M. Alain Lambert, président de l'Office parlementaire d'évaluation des politiques publiques, sur le rôle des flux financiers entre les collectivités publiques et les entreprises en matière d'emploi, établi par M. Gérard Bapt, député, au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des politiques publiques.
Le rapport sera imprimé sous le n° 329 et distribué.

12

DÉPÔT D'UN RAPPORT D'INFORMATION

M. le président. J'ai reçu de M. Yann Gaillard un rapport d'information, fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation, sur les aspects fiscaux et budgétaires d'une politique de relance du marché de l'art en France.
Le rapport d'information sera imprimé sous le n° 330 et distribué.

13

ORDRE DU JOUR

M. le président. Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 4 mai 1999, à dix heures, à seize heures et, éventuellement, le soir :
Suite de la discussion du projet de loi (n° 220, 1998-1999), adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale.
Rapport (n° 281, 1998-1999) de M. Daniel Hoeffel, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Avis (n° 283, 1998-1999) de M. Michel Mercier, fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation.
Aucun amendement à ce projet de loi n'est plus recevable.

Délai limite pour les inscriptions de parole
et pour le dépôt des amendements

Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif à l'épargne et à la sécurité financière (n° 273, 1998-1999) :
Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mardi 4 mai 1999, à dix-sept heures ;
Délai limite pour le dépôt des amendements : lundi 3 mai 1999, à seize heures.
Personne ne demande la parole ?...
La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures cinq.)

Le Directeur
du service du compte rendu intégral,
DOMINIQUE PLANCHON





NOMINATIONS DE RAPPORTEURS
COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES

M. Louis de Broissia a été nommé rapporteur pour avis du projet de loi n° 291 (1998-1999) renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes, adopté par l'Assemblée nationale, dont la commission des lois est saisie au fond.
M. Ivan Renar a été nommé rapporteur de la proposition de loi n° 288 (1998-1999) de M. Ivan Renar et des membres du groupe communiste républicain et citoyen portant création d'établissements publics à caractère culturel.

COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES ET DU PLAN

M. Francis Grignon a été nommé rapporteur de la proposition de loi n° 254 (1998-1999) de M. Jean-Pierre Raffarin et plusieurs de ses collègues tendant à favoriser la création et le développement des entreprises sur les territoires.

COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES,
DE LA DÉFENSE ET DES FORCES ARMÉES

M. André Boyer a été nommé rapporteur du projet de loi n° 307 (1998-1999) autorisant la ratification de la convention relative à l'adhésion de la République d'Autriche, de la République de Finlande et du Royaume de Suède à la convention concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, ainsi qu'au protocole concernant son interprétation par la Cour de justice, avec les adaptations y apportées par la convention relative à l'adhésion du Royaume de Danemark, de l'Irlande et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, par la convention relative à l'adhésion de la République hellénique et par la convention relative à l'adhésion du Royaume d'Espagne et de la République portugaise.
M. André Boyer a été nommé rapporteur du projet de loi n° 308 (1998-1999) autorisant la ratification de la convention relative à l'adhésion de la République d'Autriche, de la République de Finlande et du Royaume de Suède à la convention sur la loi applicable aux obligations contractuelles, ouverte à la signature à Rome le 19 juin 1980, ainsi qu'aux premier et deuxième protocoles concernant son interprétation par la Cour de justice, faite à Bruxelles le 29 novembre 1996.
M. Hubert Durand-Chastel a été nommé rapporteur du projet de loi n° 314 (1998-1999) autorisant l'approbation de l'avenant n° 5 à la convention du 28 février 1952 entre la France et la Principauté de Monaco sur la sécurité sociale.
M. Paul Masson a été nommé rapporteur du projet de loi n° 315 (1998-1999) autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Conseil fédéral suisse relatif à la réadmission des personnes en situation irrégulière, signé à Berne le 28 octobre 1998, dont la commission est saisie au fond.

ORGANISME EXTRAPARLEMENTAIRE

FONDS D'INVESTISSEMENT ET DE DÉVELOPPEMENTÉCONOMIQUE ET SOCIAL DES TERRITOIRES D'OUTRE-MER (FIDESTOM)
En application de l'article 7 du décret n° 92-758 du 4 août 1992, M. le président du Sénat a désigné, le 28 avril 1999, M. Simon Loueckhote en qualité de membre titulaire du comité directeur du Fonds d'investissement et de développement économique et social des territoires d'outre-mer (FIDESTOM).



Le Directeur du service du compte rendu intégral, DOMINIQUE PLANCHON QUESTIONS ORALES REMISES À LA PRÉSIDENCE DU SÉNAT (Application des articles 76 à 78 du réglement)


Réactualisation de la liste des produits inscrits
au tarif interministériel des prestations sociales

528. - 29 avril 1999. - M. Dominique Leclerc attire l'attention de M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie sur l'urgente nécessité de réactualiser la liste des produits inscrits au TIPS. Cette actualisation devrait se faire, à l'heure où la gratuité des soins va être offerte aux personnes dont les ressources sont inférieures à un certain niveau, non plus à partir des critères qui jusqu'à présent ont prévalu mais en fonction des besoins existants et s'accompagner d'une définition précise des produits - médicaments, dispositifs médicaux, soins, etc. - qui figurent ou seront appelés à figurer sur ce tarif. Il lui semble indispensable que s'ajoute à cette action une harmonisation des taux de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) répertoriés au sein du TIPS, et ceci quel que soit le chapitre dans lequel ils sont inscrits. Il lui demande en conséquence de bien vouloir lui faire savoir si le Gouvernement envisage de prendre de telles mesures.

Suppression du pool des risques aggravés en Corse

529. - 29 avril 1999. - M. Paul Natali appelle l'attention de M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie sur les problèmes d'assurance en Corse. En 1988, afin de maintenir une bonne couverture des risques face aux nombreux attentats enregistrés en Corse, les compagnies d'assurances se sont regroupées sous forme d'un « pool des risques aggravés ». Aujourd'hui, considérant le recul du nombre d'attentats en Corse, l'assemblée plénière des sociétés d'assurance-dommages vient de décider la suppression de ce groupement à compter du 1er juillet 2000. Or il est évident que les risques sont encore avérés. C'est pourquoi il lui demande quelles mesures pourraient être prises pour trouver une solution satisfaisante et juste, tant pour les assurés que pour les compagnies d'assurances.

Redéploiement des dépenses de défense en faveur
de la recherche, des études et du développement

530. - 29 avril 1999. - M. Pierre Laffitte demande à M. le ministre de la défense s'il ne serait pas indispensable de redéployer une part des dépenses du ministère en faveur de la recherche, des études et du développement. Le volume de celles-ci a fortement diminué depuis quelques années, alors que l'expérience prouve que c'est le contraire qu'il conviendrait de faire, pour deux groupes de raisons. C'est désormais la technologie et la logistique qui constituent les points essentiels sur le plan militaire comme les récents conflits le démontrent. Par ailleurs, les usages civils et les moyens civils, notamment dans le secteur des technologies d'information et de communication, sont de plus en plus sophistiqués et souvent de même nature que les technologies militaires. Cela a conduit le Department of Defense aux USA à développer de plus en plus des recherches duales et même à financer des déploiements mondiaux de systèmes satellitaires tels que le GPS, qui constitue désormais un monopole stratégique mondial préoccupant. Quelques milliards de plus pour la recherche satellitaire auraient des effets induits pour les applications des satellites aux usages civils considérables en même temps qu'un renforcement de la position française et européenne dans un domaine crucial pour la défense.

Allégement des charges sociales sur les bas salaires

531. - 29 avril 1999. - M. Gérard Braun appelle l'attention de M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie sur la question des allégements de charges sociales sur les bas salaires. Il lui rappelle que nombre d'entreprises françaises provenant d'horizons industriels divers ont en commun une importante capacité de main-d'oeuvre peu qualifiée et de travailleurs manuels. Ces entreprises connaissent aujourd'hui de graves difficultés, liées essentiellement à un contexte économique extrêmement contraignant, et se heurtent à un double obstacle : d'une part, à la compétitivité croissante et à la concurrence parfois très agressive de pays émergents qui envahissent et perturbent le marché européen, notamment en matière de prix et de marges ; d'autre part, à un encadrement national pénalisant : le manque de compétitivité de nos entreprises, dans la course à la conquête des marchés, s'explique en grande partie par l'arrivée à son terme du plan Borotra et par l'absence de résultats (positifs) du « pari risqué » des 35 heures. Il lui précise qu'en matière d'aide aux entreprises, monsieur le président du Sénat, alors président de la commission des finances du Sénat, avait déposé une proposition de loi tendant à alléger les charges sur les bas salaires afin de retenir et de développer l'emploi, proposition de loi votée en première lecture au Sénat le 29 juin 1998 et en instance depuis cette date à l'Assemblée nationale. Ainsi, compte tenu de la situation critique de certains pans de l'industrie française employant une main-d'oeuvre nombreuse, qui subissent durement les contraintes imposées par la concurrence et qui ne pourront y faire face sans une aide appropriée, il lui demande s'il a l'intention de reprendre ce texte et de l'inscrire prochainement à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale.



ANNEXE AU PROCÈS-VERBAL
de la séance du jeudi 29 avril 1999


SCRUTIN (n° 90)



sur l'article unique constituant l'ensemble du projet de loi constitutionnelle, adopté par l'Assemblée nationale, insérant au titre VI de la Constitution un article 53-2 et relatif à la Cour pénale internationale.

Nombre de votants : 311
Nombre de suffrages exprimés : 311
Pour : 308
Contre : 3

Le Sénat a adopté.

ANALYSE DU SCRUTIN


GROUPE COMMUNISTE RÉPUBLICAIN ET CITOYEN (16) :
Pour : 16.

GROUPE DU RASSEMBLEMENT DÉMOCRATIQUE ET SOCIAL EUROPÉEN (22) :

Pour : 18.
N'ont pas pris part au vote : 4. _ MM. François Abadie, Jean-Michel Baylet, André Boyer et Yvon Collin.

GROUPE DU RASSEMBLEMENT POUR LA RÉPUBLIQUE (99) :

Pour : 92.
Contre : 3. _ MM. Emmanuel Hamel, Christian de La Malène et Charles Pasqua.
N'ont pas pris part au vote : 4. _ M. Christian Poncelet, président du Sénat, et M. Gérard Larcher, qui présidait la séance, MM. Michel Caldaguès et Yann Gaillard.

GROUPE SOCIALISTE (78) :

Pour : 78.

GROUPE DE L'UNION CENTRISTE (52) :

Pour : 52.

GROUPE DES RÉPUBLICAINS ET INDÉPENDANTS (47) :

Pour : 47.

SÉNATEURS NE FIGURANT SUR LA LISTE D'AUCUN GROUPE (7) :

Pour : 5.
N'ont pas pris part au vote : 2. _ MM. Gérard Delfau et Bernard Seillier.

Ont voté pour


Nicolas About
Philippe Adnot
Guy Allouche
Louis Althapé
Jean-Paul Amoudry
Pierre André
Bernard Angels
Philippe Arnaud
Jean Arthuis
Henri d'Attilio
Bertrand Auban
François Autain
Robert Badinter
Denis Badré
José Balarello
René Ballayer
Janine Bardou
Michel Barnier
Bernard Barraux
Jean-Paul Bataille
Jacques Baudot
Marie-Claude Beaudeau
Jean-Luc Bécart
Michel Bécot
Jean-Pierre Bel
Jacques Bellanger
Claude Belot
Georges Berchet
Maryse Bergé-Lavigne
Jean Bernadaux
Jean Bernard
Daniel Bernardet
Roger Besse
Jean Besson
Pierre Biarnès
Danielle Bidard-Reydet
Jacques Bimbenet
Jean Bizet
Paul Blanc
Maurice Blin
Annick Bocandé
André Bohl
Christian Bonnet
Marcel Bony
James Bordas
Didier Borotra
Nicole Borvo
Joël Bourdin
Jean Boyer
Louis Boyer
Yolande Boyer
Jean-Guy Branger
Gérard Braun
Dominique Braye
Robert Bret
Paulette Brisepierre
Louis de Broissia
Guy-Pierre Cabanel
Robert Calmejane
Jean-Pierre Cantegrit
Jean-Claude Carle
Jean-Louis Carrère
Auguste Cazalet
Bernard Cazeau
Charles Ceccaldi-Raynaud
Monique Cerisier-ben Guiga
Gérard César
Gilbert Chabroux
Michel Charasse
Marcel Charmant
Michel Charzat
Jacques Chaumont
Jean Chérioux
Marcel-Pierre Cleach
Jean Clouet
Gérard Cornu
Charles-Henri de Cossé-Brissac
Raymond Courrière
Roland Courteau
Jean-Patrick Courtois
Charles de Cuttoli
Xavier Darcos
Philippe Darniche
Marcel Debarge
Désiré Debavelaere
Luc Dejoie
Robert Del Picchia
Jean Delaneau
Bertrand Delanoë
Jean-Paul Delevoye
Jacques Delong
Jean-Pierre Demerliat
Fernand Demilly
Christian Demuynck
Marcel Deneux
Gérard Deriot
Dinah Derycke
Charles Descours
Rodolphe Désiré
Marie-Madeleine Dieulangard
André Diligent
Claude Domeizel
Jacques Dominati
Michel Doublet
Michel Dreyfus-Schmidt
Alain Dufaut
Michel Duffour
Xavier Dugoin
André Dulait
Ambroise Dupont
Jean-Léonce Dupont
Hubert Durand-Chastel
Josette Durrieu
Bernard Dussaut
Daniel Eckenspieller
Jean-Paul Emin
Jean-Paul Emorine
Michel Esneu
Claude Estier
Hubert Falco
Léon Fatous
Pierre Fauchon
Jean Faure
André Ferrand
Guy Fischer
Hilaire Flandre
Gaston Flosse
Thierry Foucaud
Jean-Pierre Fourcade
Bernard Fournier
Alfred Foy
Serge Franchis
Philippe François
Jean François-Poncet
Yves Fréville
René Garrec
Jean-Claude Gaudin
Philippe de Gaulle
Patrice Gélard
Alain Gérard
François Gerbaud
Charles Ginésy
Francis Giraud
Paul Girod
Serge Godard
Daniel Goulet
Alain Gournac
Adrien Gouteyron
Francis Grignon
Louis Grillot
Georges Gruillot
Jean-Noël Guérini
Hubert Haenel
Claude Haut
Anne Heinis
Marcel Henry
Pierre Hérisson
Rémi Herment
Roger Hesling
Daniel Hoeffel
Jean Huchon
Jean-Paul Hugot
Roland Huguet
Jean-François Humbert
Claude Huriet
Roger Husson
Jean-Jacques Hyest
Pierre Jarlier
Pierre Jeambrun
Charles Jolibois
Bernard Joly
André Jourdain
Alain Journet
Alain Joyandet
Philippe Labeyrie
Jean-Philippe Lachenaud
Pierre Laffitte
Serge Lagauche
Roger Lagorsse
Alain Lambert
Lucien Lanier
Jacques Larché
Dominique Larifla
Patrick Lassourd
Robert Laufoaulu
Edmond Lauret
René-Georges Laurin
Henri Le Breton
Gérard Le Cam
Jean-François Le Grand
Louis Le Pensec
Dominique Leclerc
Pierre Lefebvre
Jacques Legendre
André Lejeune
Guy Lemaire
Serge Lepeltier
Marcel Lesbros
Claude Lise
Paul Loridant
Jean-Louis Lorrain
Simon Loueckhote
Roland du Luart
Hélène Luc
Jacques Machet
Philippe Madrelle
Jacques Mahéas
Kléber Malécot
André Maman
François Marc
Philippe Marini
René Marquès
Pierre Martin
Marc Massion
Paul Masson
Serge Mathieu
Pierre Mauroy
Jean-Luc Mélenchon
Louis Mercier
Michel Mercier
Lucette Michaux-Chevry
Gérard Miquel
Jean-Luc Miraux
Louis Moinard
René Monory
Aymeri de Montesquiou
Michel Moreigne
Georges Mouly
Bernard Murat
Philippe Nachbar
Paul Natali
Lucien Neuwirth
Philippe Nogrix
Nelly Olin
Paul d'Ornano
Joseph Ostermann
Georges Othily
Jacques Oudin
Jean-Marc Pastor
Lylian Payet
Michel Pelchat
Jacques Pelletier
Guy Penne
Jean Pépin
Daniel Percheron
Jacques Peyrat
Alain Peyrefitte
Jean-Claude Peyronnet
Jean-François Picheral
Xavier Pintat
Bernard Piras
Jean-Pierre Plancade
Bernard Plasait
Jean-Marie Poirier
Guy Poirieux
Ladislas Poniatowski
André Pourny
Danièle Pourtaud
Gisèle Printz
Jean Puech
Jean-Pierre Raffarin
Henri de Raincourt
Jack Ralite
Paul Raoult
Jean-Marie Rausch
Ivan Renar
Victor Reux
Charles Revet
Henri Revol
Henri de Richemont
Philippe Richert
Roger Rinchet
Yves Rispat
Jean-Jacques Robert
Louis-Ferdinand de Rocca Serra
Josselin de Rohan
Gérard Roujas
André Rouvière
Michel Rufin
Claude Saunier
Jean-Pierre Schosteck
Michel Sergent
Franck Sérusclat
René-Pierre Signé
Raymond Soucaret
Michel Souplet
Louis Souvet
Simon Sutour
Martial Taugourdeau
Odette Terrade
Michel Teston
Henri Torre
René Trégouët
Pierre-Yvon Tremel
François Trucy
Alex Türk
Maurice Ulrich
Jacques Valade
André Vallet

Alain Vasselle
Albert Vecten
Paul Vergès
André Vezinhet
Marcel Vidal
Xavier de Villepin
Serge Vinçon
Guy Vissac
Henri Weber

Ont voté contre


MM. Emmanuel Hamel, Christian de La Malène et Charles Pasqua.

N'ont pas pris part au vote


MM. François Abadie, Jean-Michel Baylet, André Boyer, Michel Caldaguès, Yvon Collin, Gérard Delfau, Yann Gaillard et Bernard Seillier.

N'ont pas pris part au vote


MM. Christian Poncelet, président du Sénat, et Gérard Larcher, qui présidait la séance.


Les nombres annoncés en séance avaient été de :
Nombre de votants : 312
Nombre de suffrages exprimés : 312
Majorité absolue des suffrages exprimés : 157
Pour l'adoption : 309
Contre : 3

Mais, après vérification, ces nombres ont été rectifiés conformément à la liste ci-dessus.