Séance du 8 avril 1999
M. le président. Par amendement n° 476 rectifié, MM. Vasselle, Delong et Flandre proposent d'insérer, après l'article 22, un article additionnel ainsi rédigé :
« L'article L. 46 du code électoral est ainsi rédigé :
« Art. L. 46 . - Les fonctions de militaire de carrière ou assimilé, en activité de service ou servant au-delà de la durée légale, l'appartenance à la fonction publique de l'Etat, à la fonction publique hospitalière ou à la fonction publique territoriale, dans l'une quelconque des dispositions prévues au chapitre V de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984, au chapitre V de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 et au chapitre IV de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986, sont incompatibles avec les mandats qui font l'objet du livre Ier. »
La parole est à M. Vasselle.
M. Alain Vasselle. Je précise d'emblée que cet amendement n'a pas vocation à être inséré dans le projet de loi. Il s'agit, en effet, d'un cavalier. Il a un aspect volontairement provocateur et tend essentiellement à essayer de faire évoluer le statut de l'élu.
En ne permettant pas spécifiquement aux fonctionnaires de cumuler leur activité professionnelle et une fonction élective, cet amendement vise à étendre des dispositions qui existent déjà, de manière générale, pour tous les agents de la fonction publique. Cette position est bien entendu partagée sur toutes les travées de cette assemblée, et plus encore sur celles de l'Assemblée nationale, où 40 % des députés sont issus de la fonction publique !
Mais est-il normal, mes chers collègues, qu'il soit plus facile pour un agent de la fonction publique que pour un membre d'une profession libérale, un commerçant, un artisan, voire un salarié d'une entreprise d'exercer une fonction élective ? Il faudra bien, monsieur le ministre, que le Gouvernement prenne, un jour ou l'autre, l'initiative de s'attaquer au statut de l'élu.
Lorsqu'un fonctionnaire cesse son activité professionnelle pour exercer une fonction élective, la collectivité procède à un recrutement. C'est donc elle qui supporte le coût du remplacement. En revanche, lorsqu'il s'agit d'un membre d'une profession libérale, d'un commerçant, d'un artisan, d'un agriculteur ou d'un salarié d'une entreprise, ce coût est assumé par cette dernière, ou par lui-même, et non par la collectivité.
Il faudrait donc, en la matière, s'inspirer des dispositions qui ont été retenues pour les sapeurs-pompiers volontaires pour qu'un jour ou l'autre nous parvenions à améliorer la situation.
Cet amendement n'a pas d'autre objectif que de rassurer, si besoin était, M. le rapporteur, la commission des lois et M. le ministre.
Bien entendu, si je constatais que la situation n'évoluait pas, que l'inertie perdure, je serais amené à prendre d'autres initiatives.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Daniel Hoeffel, rapporteur. Cet avis tient en trois points.
Premièrement, il faut inlassablement rappeler, comme l'a fait M. Vasselle, l'urgence de définir un statut de l'élu. Deuxièmement, il est effectivement beaucoup plus facile aujourd'hui d'accéder à une fonction élective pour un agent de la fonction publique ou un retraité que pour ceux qui exercent des responsabilités dans d'autres secteurs professionnels.
Troisièmement, enfin, M. Vasselle a lui-même reconnu le caractère provocateur de son amendement. En proposant d'étendre l'incompatibilité aux conseillers généraux et aux députés, M. Vasselle souhaitait sans doute lancer un appel à M. le ministre, comme à tous ses prédécesseurs et à tous ses successeurs, s'agissant d'un sujet qui recueille au sein de la Haute Assemblée un très large écho.
MM. Dominique Braye et Alain Vasselle. Très bien ! M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Je ne peux que partager l'avis de la commission.
L'amendement n° 476 rectifié pose certes le problème du statut de l'élu, sur lequel nous devons travailler ; mais il tend aussi à créer une incompatibilité générale entre l'exercice de toute fonction publique et d'un mandat local quel qu'il soit. Je ne vois pas pourquoi un agent hospitalier, par exemple, ne pourrait pas siéger au sein d'un conseil régional ou d'un conseil général. Une conception aussi large des incompatibilités est à la limite - et je pèse mes mots - anticonstitutionnelle.
Il serait donc sage, monsieur Vasselle, de retirer cet amendement, que je considère également comme un texte d'appel.
M. Alain Vasselle. Que faites-vous du statut de l'élu, monsieur le ministre ?
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 476 rectifié.
M. Dominique Braye. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Braye.
M. Dominique Braye. Je veux simplement apporter ma petite pierre à ce débat.
Nous sommes tous d'accord, quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégeons, pour reconnaître que notre pays et notre société ont manifestement bien du mal à adopter les réformes nécessaires. Or, cette difficulté résulte manifestement en grande partie du milieu d'où sont issus les élus, notamment ceux des deux assemblées parlementaires. Je ne l'apprendrai d'ailleurs pas à notre collègue M. Christian Bonnet, dont le successeur temporairement et rapidement désigné à la mairie de Carnac a opportunément souligné la nécessité d'adapter la composition des assemblées à la réalité sociologique de notre pays si nous voulons effectivement être aptes à engager les changements nécessaires.
Nous demandons tout simplement qu'il soit mis un terme à la discrimination très positive en faveur des fonctionnaires, qui explique qu'ils aient confisqué la quasi-totalité des fonctions électives.
En effet, il est à la fois beaucoup plus facile pour eux d'exercer leur mandat et de faire face aux aléas des fonctions électives puisqu'ils peuvent revenir dans leur corps d'origine quand les électeurs ne veulent plus d'eux. Il faudra bien faire quelque chose pour remédier à cette situation.
M. Robert Bret. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret. La mise en place d'un véritable statut de l'élu local, au demeurant parfaitement souhaitable, monsieur Vasselle, doit-elle aller de pair avec l'affirmation d'une sorte de sous-citoyenneté, dont seraient pourvues, si l'on peut dire, ceux qui ont eu l'idée de faire carrière dans la fonction publique ?
Vous nous invitez, en effet, à exclure de l'exercice de fonctions électives locales près de cinq millions de nos compatriotes.
Résumons-nous : poser la question du statut de l'élu local en commençant par créer cette exclusive est tout de même, vous le reconnaîtrez, quelque peu cavalier.
Je ne crois pas, et j'en suis désolé pour vous et pour son auteur, que cet amendement ait tout à fait sa place dans ce texte. On se perd d'ailleurs en conjectures sur les motivations profondes qui le sous-tendent.
Faut-il empêcher un sain exercice du débat démocratique auquel les fonctionnaires, en tant que citoyens et indépendamment de leurs activités professionnelles, ont le droit de participer ?
Rien en tout cas ne nous paraît justifier cet amendement n° 476.
Nous sommes au moins d'accord sur un point avec notre collègue M. Alain Vasselle : il faut un véritable statut de l'élu local, eu égard à la complexité croissante des conditions d'exercice du mandat local et des mandats en général.
Cela pourrait, par exemple, passer par un examen des propositions de loi qui ont été déposées sur ce sujet, notamment de celles qu'a déposées le groupe communiste républicain et citoyen.
Cela passe aussi, au demeurant, par l'ouverture de plus grandes facilités et une meilleure disponibilité pour les salariés en général, notamment ceux du secteur privé, qui sont davantage confrontés à des difficultés dans l'accomplissement d'un mandat local.
En tout état de cause, si cet amendement n'est pas retiré, nous voterons contre.
M. le président. Monsieur Vasselle, l'amendement est-il maintenu ?
M. Alain Vasselle. Tout le monde a bien compris - je l'ai d'ailleurs dit en préambule - que cet amendement n'avait pas pour objet d'être inséré dans le présent projet de loi ; il s'agit d'un cavalier. Son unique objet était de poser le problème du statut de l'élu, d'instaurer une véritable égalité des chances en permettant à tous les citoyens français, hommes et femmes, d'accéder à une fonction élective, quelle que soit leur activité professionnelle. Or, force est de constater qu'aujourd'hui la composition des assemblées ne reflète pas cette égalité des chances.
Toutefois, je constate que le Gouvernement est prêt à s'engager à prendre des initiatives en la matière. J'ai d'ailleurs cru comprendre, monsieur le ministre, que vous aviez fait des déclarations en ce sens lorsque nous avions examiné le projet de loi relatif à la limitation du cumul des mandats. Vous aviez alors souhaité déconnecter ce texte du projet de loi relatif au statut de l'élu. Je le regrette d'ailleurs, parce qu'il aurait mieux valu, à mon sens, traiter des deux dispositifs en même temps. Nous aurions ainsi pu parvenir à une solution consensuelle sur l'évolution des dispositions législatives concernant les élus.
Cela dit, monsieur le président, je retire cet amendement, en espérant que je n'aurai pas à le déposer de nouveau prochainement, si j'étais amené à constater que rien n'a changé.
M. le président. L'amendement n° 476 rectifié est retiré.
M. le ministre devant se rendre aux obsèques du préfet Alain Bidou, nous allons interrompre nos travaux.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures dix, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Guy Allouche.)