Séance du 3 février 1999






NOUVELLE-CALÉDONIE

Discussion d'un projet de loi organique
et d'un projet de loi déclarés d'urgence

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi organique (n° 146, 1998-1999), adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, relatif à la Nouvelle-Calédonie et du projet de loi (n° 145, 1998-1999), adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, relatif à la Nouvelle-Calédonie. [Rapport n° 180 (1998-1999).]
La conférence des présidents a décidé que ces deux projets de loi feraient l'objet d'une discussion générale commune.
Dans la discussion générale commune, la parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, après la signature de l'accord de Nouméa, le 5 mai 1998, votre assemblée s'est déjà exprimée le 30 juin dernier sur l'avenir de la Nouvelle-Calédonie. A une très large majorité - 287 voix pour, 10 contre - elle s'est prononcée en faveur du projet de réforme constitutionnelle qui lui était proposé par le Gouvernement.
Le Parlement, réuni en Congrès à Versailles le 6 juillet, a adopté cette réforme constitutionnelle à plus de 96 % des suffrages exprimés.
En application de l'article 76 nouveau de la Constitution, les populations de la Nouvelle-Calédonie se sont exprimées par référendum le 8 novembre. Les électeurs calédoniens ont approuvé l'accord de Nouméa avec près de 72 % des suffrages exprimés et une participation sans précédent de 74 %. Dans les trente-trois communes, le « oui » était majoritaire.
A l'évidence, le consensus initialement réalisé entre les deux principales forces politiques de Nouvelle-Calédonie, avec le concours de l'Etat, a été compris, accepté par la représentation nationale et a suscité une adhésion sans ambiguïté des électeurs calédoniens.
Pour l'application de l'accord de Nouméa, un avant-projet de loi a été élaboré en concertation avec les partenaires calédoniens le RPCR et le FNLKS - puis soumis au congrès du territoire, qui, le 12 novembre, a émis un avis favorable.
Il s'agissait alors d'un texte unique regroupant l'ensemble des dispositions relatives à la Nouvelle-Calédonie. L'examen en Conseil d'Etat a conduit à distinguer : d'une part, un projet de loi organique, de deux cent vingt articles, qui concerne les matières visées par l'article 77 nouveau de la Constitution ; d'autre part, un projet de loi ordinaire, de vingt-trois articles, pour les autres dispositions.
La répartition entre ces deux textes est l'expression de l'équilibre entre, d'une part, le respect de la hiérarchie des normes de notre droit public et, d'autre part, le souhait émis par les partenaires calédoniens d'inclure dans la loi organique le maximum de dispositions, afin de disposer d'un texte de référence stable et complet.
La loi référendaire de 1998, issue des accords de Matignon, a été largement reprise, en particulier pour le fonctionnement des institutions que sont le congrès et les assemblées de province. Des aménagements ont toutefois été apportés pour assurer l'application de l'accord de Nouméa ou permettre un meilleur fonctionnement. Enfin, puisque la Nouvelle-Calédonie ne relève plus de l'article 74 de la Constitution, plusieurs procédures spécifiques aux territoires d'outre-mer, notamment la procédure de consultation législative, doivent être rappelées.
L'ensemble de ces éléments explique le volume des textes qui vous sont soumis.
Ces textes, examinés par l'Assemblée nationale lors de sa séance du 21 décembre 1998, ont fait l'objet d'un large consensus et ont été adoptés après avoir été amendés sur plusieurs points, le plus souvent avec l'avis favorable du Gouvernement.
Les principales forces politiques et sociales de la Nouvelle-Calédonie ont exprimé leur satisfaction à l'issue de cette première étape du débat parlementaire en soulignant la volonté de respecter les termes de l'accord de Nouméa.
L'ensemble de ces textes constitue donc un nouveau statut pour la Nouvelle-Calédonie, qui doit remédier à une instabilité institutionnelle et politique dont ce territoire a trop longtemps souffert. Votre rapporteur, M. Jean-Jacques Hyest, dont je salue le travail, évoque à ce sujet la période 1946-1988 sous le titre « plus de quarante ans de fluctuations statutaires ». Ce statut a vocation à couvrir la période de vingt ans prévue par l'accord de Nouméa jusqu'à la consultation sur l'accession à la pleine souveraineté. L'irréversibilité des transferts de compétences préserve de tout retour en arrière.
Plusieurs éléments sont novateurs.
Le premier a trait à la pleine reconnaissance de l'identité kanak, qui conduit, pour la première fois dans le droit français, à préciser le statut civil coutumier ainsi que ses rapports avec le statut civil de droit commun, sur une base d'égale dignité.
La reconnaissance du statut civil coutumier est conçue dans une perspective nouvelle par rapport à l'article 75 de la Constitution qui définit les personnes de statut personnel comme celles qui n'y ont pas renoncé. Il faut d'ailleurs voir dans ce statut coutumier une réminiscence de ce que l'on appelait autrefois le « statut indigène ».
Le projet de loi organique se place dans une perspective positive : il prévoit les conditions dans lesquelles les Kanaks, qui n'en bénéficieraient pas, peuvent obtenir le statut civil coutumier. Le retour à ce statut sera donc désormais possible sous le contrôle du juge.
Les terres coutumières, dont on connaît l'importance dans la culture et l'organisation sociale kanak, sont définies et leur statut précisé.
La représentation de la coutume est étendue avec la création d'un sénat coutumier et des conseils coutumiers. Leurs compétences ont un caractère consultatif mais obligatoire dans plusieurs domaines qui touchent à l'identité kanak, tels que les signes identitaires, le statut civil coutumier, le régime des terres coutumières et des palabres coutumiers, les modalités d'élection au sénat coutumier et aux conseils coutumiers. En cas de désaccord sur les projets ou propositions de loi du pays qui sont soumis au sénat coutumier, le pouvoir politique, c'est-à-dire le congrès, statue définitivement.
Par sa représentation au conseil économique et social, aux conseils d'administration d'établissements publics et au conseil consultatif des mines, le sénat coutumier participera à l'activité institutionnelle, économique et sociale de la Nouvelle-Calédonie.
Ainsi, la loi consacre des droits spécifiques au peuple kanak, peuple originel de ce territoire.
Le deuxième élément novateur, c'est la définition des nouvelles compétences de la Nouvelle-Calédonie. Elle se traduit par d'importants transferts de l'Etat, à l'exception des pouvoirs régaliens que sont la justice, l'ordre public, la défense, la monnaie, le crédit et le change.
La compétence locale de droit commun reste dévolue aux provinces en application du principe posé par les accords de Matignon et par la loi référendaire de 1988. En conséquence, l'Etat et la Nouvelle-Calédonie disposeront des compétences d'attribution énumérées par la loi organique.
Les compétences que l'Etat transfère sont définies en application de l'accord de Nouméa. Des transferts de compétences interviendront à compter du 1er janvier 2000 : l'intégralité du droit du travail, la compétence minière, le statut civil coutumier, le commerce extérieur, les communications extérieures en matière de desserte maritime et aérienne et des postes et télécommunications, l'exploitation de la zone économique exclusive, etc. D'autres le seront en fonction du choix du congrès, au cours de la période allant de 2004 à 2014, notamment l'enseignement du second degré, le droit civil et le droit commercial, et la sécurité civile.
Les établissements publics d'Etat, qu'il s'agisse de l'ADRAF, l'Agence de développement rural et d'aménagement foncier, de l'ADCK, l'Agence de développement de la culture kanak, de l'IFPA, l'Institut pour la formation des personnels administratifs, du CDP, le centre de documentation pédagogique, et de l'OPT, l'Office des postes et télécommunications, seront également transférés, à la demande du congrès.
Certaines compétences feront l'objet d'un dialogue entre l'Etat et la Nouvelle-Calédonie ou seront exercées en association : les relations internationales et régionales, la réglementation relative à l'entrée et au séjour des étrangers, l'audiovisuel, la desserte aérienne internationale, l'enseignement supérieur. La recherche scientifique demeure de la compétence de l'Etat à la suite d'un amendement qui a été adopté par l'Assemblée nationale.
En matière minière, le transfert de la compétence à la Nouvelle-Calédonie est assorti d'une intervention de l'Etat pour avis, les décisions définitives appartenant aux institutions calédoniennes.
Telle est donc la répartition des compétences. Le dispositif proposé peut paraître complexe. Il est le résultat de l'accord des partenaires calédoniens sur un équilibre entre la volonté de conduire leurs propres affaires, le respect des compétences des institutions provinciales, les contraintes économiques et la nécessité de s'inscrire dans une perspective d'aménagement durable.
Le projet de loi organique donne aussi compétence au congrès en matière d'accès à l'emploi au bénéfice des citoyens de Nouvelle-Calédonie et des personnes justifiant d'une certaine durée de résidence. Ces règles doivent préciser la durée et les modalités de ces mesures, qui ne pourront pas porter atteinte aux avantages individuels et collectifs. Le dispositif mis en place pourra s'accompagner d'une révision du traité de l'Union européenne sur les modalités d'association avec les pays et territoires d'outre-mer. Le processus fait l'objet d'un examen préliminaire ; il permettra de redéfinir les liens entre la Nouvelle-Calédonie et l'Europe.
Il y aura, dans cette évolution de transferts de compétences, la progressivité souhaitée par le congrès, puisque c'est lui qui contribuera à en définir le calendrier.
Les transferts de compétences seront irréversibles et l'Etat compensera intégralement les charges correspondant à l'exercice des compétences nouvelles. La compensation financière, avec la création de dotations globales de compensation, s'accompagnera de transferts immobiliers et de mouvements de fonctionnaires. En fait, les mécanismes retenus s'inspirent largement de ceux qui ont été pratiqués en métropole lors de la décentralisation.
L'Etat, vous le voyez, ne se désintéresse pas de la Nouvelle-Calédonie : il l'accompagne dans son développement.
Progressivité, irréversibilité et compensation des charges sont prévues par l'accord de Nouméa et mis en oeuvre dans le projet de loi organique.
La troisième nouveauté porte sur la mise en place de nouvelles institutions aux pouvoirs étendus.
Je ne reviendrai pas sur celles que j'ai déjà évoquées et que sont le sénat coutumier et les conseils coutumiers.
Le dispositif retenu pour les autres institutions de la Nouvelle-Calédonie s'inspire des principes d'un régime d'assemblée qui répond à la volonté des partenaires calédoniens. Il reprend également nombre de règles qui sont en vigueur en métropole. Chacun des éléments est déjà bien connu mais l'ensemble ainsi constitué est singulier et original. Je vais le décrire rapidement.
Le Congrès demeure, comme c'est le cas depuis 1988, la réunion des membres des trois provinces de la Nouvelle-Calédonie : la province Nord, la province Sud et la province des îles Loyauté. Il est néanmoins prévu, ce qui est une innovation, de procéder à l'élection de membres supplémentaires dans chaque assemblée de province qui, eux, ne seront pas membres du congrès, afin de permettre une meilleure répartition des tâches au sein des assemblées. Cet ensemble de mesures s'inspire du dispositif Paris - Lyon - Marseille, s'agissant du mode d'élection.
L'exercice du droit de vote aux élections aux assemblées de province suppose une condition de résidence de dix ans et l'inscription sur le tableau annexe qui a été arrêté à la fin de l'année 1998. C'est cet exercice particulier du droit de vote qui crée la citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie. L'innovation est importante ; la seule autre référence qui est faite à cette notion de citoyenneté a trait à l'accès à l'emploi.
Le projet de loi organique introduit une nouvelle norme juridique : « les lois du pays ». Elles sont votées par le congrès à la majorité absolue et ont valeur législative. Leur champ sera limité à des domaines essentiels de l'activité normative du congrès, notamment la fiscalité, le droit civil, l'accès à l'emploi, la réglementation minière, le statut civil coutumier, les signes identitaires.
Les projets et propositions de loi du pays seront soumis avant leur adoption à l'avis du Conseil d'Etat si vous suivez l'amendement voté par l'Assemblée nationale, afin d'assurer à ces textes qui ont valeur législative la meilleure expertise juridique possible.
Ces lois du pays seront susceptibles préalablement à leur promulgation d'être soumises à une seconde lecture, puis au contrôle du Conseil constitutionnel selon une procédure de saisine réservée à des autorités déterminées : le haut-commissaire, le président du Gouvernement, le président du congrès ou d'une assemblée de province ou dix-huit membres du congrès.
L'exécutif, qui, je le rappelle, est assuré depuis 1988 en Nouvelle-Calédonie par le haut-commissaire, est transféré à un gouvernement qui comprendra de cinq à onze membres et qui sera élu par le congrès au scrutin de liste à la représentation proportionnelle. Il sera responsable devant lui. Il préparera et exécutera les décisions du congrès. Il s'agit donc d'un exécutif collégial qui gérera solidairement les affaires relevant de sa compétence. Issu, en raison de l'application du principe de la proportionnelle, de tendances politiques différentes, il pourra charger chacun de ses membres d'animer et de contrôler un secteur de l'administration de la Nouvelle-Calédonie.
Le haut-commissaire, représentant de l'Etat, assiste de plein droit aux réunions du Gouvernement et est entendu lorsqu'il le demande. Il n'a pas voix délibérative. Il peut toutefois demander une seconde délibération d'un arrêté du Gouvernement. Cette présence et ce rôle du représentant de l'Etat ont été souhaités par tous les partenaires calédoniens et sont expressément prévus par l'accord de Nouméa. La neutralité et l'expérience du haut-commissaire seront précieuses pour aider le Gouvernement, dans la diversité de sa composition, à élaborer ses décisions.
Le président du Gouvernement dirige l'administration de la Nouvelle-Calédonie. Il est ordonnateur des recettes et des dépenses de la Nouvelle-Calédonie et peut déléguer, sur autorisation du congrès à la majorité des trois cinquièmes de ses membres, certaines de ses attributions aux membres du Gouvernement.
La responsabilité du Gouvernement peut être mise en cause par le congrès par le vote d'une motion de censure signée par un cinquième au moins de ses membres qui, si elle est adoptée, met fin aux fonctions du Gouvernement.
Si la Nouvelle-Calédonie est renforcée politiquement par l'extension de ses compétences et le transfert de l'exécutif, les provinces se trouvent confortées dans leur statut de collectivité territoriale de la République disposant de la compétence de droit commun. Créées par la loi référendaire de 1988, elles ont prouvé qu'elles étaient en mesure d'assumer leurs compétences, de participer au rééquilibrage voulu par les accords de Matignon et d'apporter aux populations la satisfaction de leurs besoins.
L'expérience de ces dix années a révélé qu'il était nécessaire de simplifier le dispositif financier qui leur assure une dotation obligatoire en provenance du budget de la Nouvelle-Calédonie. Par ailleurs, est mise en place à la demande des partenaires locaux une procédure de censure du président de l'assemblée de province, au moment du débat budgétaire, par le vote à une majorité qualifiée d'un projet alternatif à celui qui est présenté par l'exécutif.
Le dispositif électoral pour les élections aux assemblées de province, et donc au congrès, reprend la loi référendaire de 1988 complétée par trois points de l'accord de Nouméa.
La définition d'un corps électoral spécial a fait l'objet de longues discussions entre les partenaires calédoniens. Aux termes de l'article 177, peuvent participer à l'élection des assemblées de province notamment les personnes qui ont au moins dix ans de résidence en Nouvelle-Calédonie et qui sont inscrites au tableau annexe arrêté en 1998 parce qu'elles n'avaient pas encore atteint cette durée de résidence lorsque ce tableau annexe a été établi. Au fur et à mesure que ces personnes inscrites sur ce tableau annexe justifieront de dix ans de résidence, elles pourront voter à l'élection aux assemblées de province.
L'article 178 prévoit l'établissement d'une liste électorale spéciale pour cette élection. Cette liste électorale est dressée à partir de la liste électorale générale et d'un tableau annexe qui mentionne tous les électeurs non admis à participer au scrutin et qui sera établi chaque année par les commissions administratives spéciales.
La troisième disposition prévue par l'accord de Nouméa est destinée à faciliter le fonctionnement des assemblées locales, en évitant les conséquences d'une dispersion des suffrages. Le seuil à atteindre pour participer à la répartition des sièges à la proportionnelle est fixé à 5 % des électeurs inscrits. Cette disposition devrait prévenir l'émiettement de la représentation politique.
Les prochaines élections aux assemblées de province et au congrès auront lieu avant le 1er août 1999, comme le prévoit l'article 219 du projet de loi qui vous est soumis. L'objectif est que les nouvelles institutions soient en place dans les meilleures délais, si possible au mois de mai 1999, dès lors que la date de publication de la loi permettra de dresser la liste des électeurs et d'organiser les élections.
Le conseil économique et social est maintenu dans une composition élargie. Sa fonction consultative est affirmée.
Les communes demeurent des collectivités territoriales de la République relevant de l'Etat au moins jusqu'en 2009. Ultérieurement, le congrès pourra solliciter une modification de la loi organique. Les communes bénéficieront d'un aménagement de leurs compétences, ainsi que du dispositif financier qui les alimente, notamment en provenance du budget du territoire. Outre le fonds intercommunal de péréquation pour le fonctionnement des communes et le fonds intercommunal de péréquation pour l'équipement des communes, la loi organique prévoit la création d'un fonds intercommunal pour le développement de l'intérieur et des îles.
J'en viens au quatrième élément novateur : la consultation sur l'accession à la pleine souveraineté sera organisée à une date fixée, au cours du mandat du congrès qui commencera en 2014, par délibération du congrès ou, à défaut, au terme de ce mandat en 2019 par l'Etat. Elle portera sur le transfert à la Nouvelle-Calédonie des compétences régaliennes. Les modalités d'organisation de cette consultation sont fixées avec précision par le projet de loi organique.
L'accord de Nouméa rend possible trois consultations successives pour franchir cette étape ultime. Le projet de loi organique précise que, avant la troisième consultation qui devient éventuelle, le comité des signataires responsable du suivi de l'accord de Nouméa devra se réunir. Ce choix résulte de la discussion entre les partenaires calédoniens.
Par ailleurs, l'accord de Nouméa a requis une durée de résidence de vingt ans pour appartenir au corps électoral appelé à se prononcer lors de cette consultation.
L'Etat s'est engagé à accompagner la Nouvelle-Calédonie dans sa démarche d'émancipation et de développement économique.
C'est ainsi que le titre VIII du projet de loi organique définit le rééquilibrage et le développement économique, social et culturel. Il prévoit notamment la conclusion de contrats pluriannuels de développement entre l'Etat, d'une part, la Nouvelle-Calédonie et les provinces, d'autre part, et le contrôle des outils de développement. Un accord particulier pour le développement culturel est également prévu. Il traitera notamment du patrimoine culturel kanak et de l'avenir du centre culturel Jean-Marie-Tjibaou, que nous avons inauguré le 4 mai 1998. Les langues kanak sont reconnues comme langues d'enseignement et de culture.
J'en viens, pour terminer, au projet de loi relatif à la Nouvelle-Calédonie. Il fixe les dispositions législatives d'application de l'accord de Nouméa qui ne relèvent pas de la loi organique mais la complètent.
Ainsi, les missions et les attributions du haut-commissaire sont déterminées ; le cadre de l'action de l'Etat pour le rééquilibrage et le développement économique et social de la Nouvelle-Calédonie est fixé ; le régime applicable aux comptes et aux comptables et les règles concernant les communes sont précisés ; enfin, les règles en matière électorale sont précisées et adaptées.
Voilà donc rapidement résumés ces deux textes, adoptés par l'Assemblée nationale et soumis à la Haute Assemblée. Avec leur adoption, la Nouvelle-Calédonie cessera d'être le territoire d'outre-mer de la Nouvelle-Calédonie, au sens du titre XII et de l'article 74 de la Constitution, pour devenir la Nouvelle-Calédonie, au sens du titre XIII nouveau et de l'article 77 nouveau de la Constitution. Ces textes établissent des rapports renouvelés entre l'Etat et la Nouvelle-Calédonie.
La République accompagnera cette démarche d'émancipation politique avec le souci de favoriser le rééquilibrage et le développement de la Nouvelle-Calédonie au bénéfice de tous ses habitants.
Comme s'y est engagé le Premier ministre lors de la réunion du Parlement en Congrès, à Versailles, le Gouvernement a veillé, par les projets de loi qui vous sont soumis en exécution de la réforme constitutionnelle, à appliquer l'accord de Nouméa totalement et loyalement, dans sa lettre et dans son esprit.
L'Assemblée nationale a apporté des précisions et des améliorations au texte du Gouvernement, qui avait été préparé dans un esprit de consensus. Elle l'a finalement adopté à l'unanimité.
Je ne doute pas que les débats au Sénat seront marqués de ce même état d'esprit. Déjà, les travaux de la commission des lois ont permis de formuler sur de nombreux points des propositions d'amélioration du texte, propositions dont nous aurons à discuter lors de l'examen des articles. Je crois ainsi que députés et sénateurs pourront parvenir, lors de la commission mixte paritaire, à trouver un point d'équilibre entre les exigences formulées légitimement sur le plan juridique tant par l'Assemblée nationale que par le Sénat, ce qui permettra d'ouvrir pour la Nouvelle-Calédonie une période de paix, de développement et de communauté de destin.
La République a accepté de modifier sa Constitution pour rendre juridiquement et politiquement possible l'avenir que les partenaires calédoniens et le Gouvernement ont imaginé ensemble. Les Calédoniens seront désormais comptables du système institutionnel original et subtil qu'ils se sont choisi. Le Gouvernement les aidera à le faire vivre.
Au nom du Gouvernement de la République, je voudrais conclure en exprimant tous les voeux que nous formons pour la Nouvelle-Calédonie, pour ses élus, pour son futur gouvernement, afin que cette période nouvelle se déroule dans une atmosphère de sérénité et au travers de relations qui, au sein de la République française, honoreront notre pays et lui permettront de rayonner dans le Pacifique. (Applaudissements.)
(M. Jacques Valade remplace M. Paul Girod au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. JACQUES VALADE
vice-président

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le 6 juillet 1998, le Congrès, réuni à Versailles, adoptait à une très large majorité la révision constitutionnelle rétablissant dans la Constitution un titre XIII intitulé « Dispositions transitoires relatives à la Nouvelle-Calédonie » et comprenant deux articles, les articles 76 et 77.
Notre assemblée avait d'ailleurs approuvé également ces dispositions à une très large majorité, et je ne saurais oublier, au moment où je prends sa suite, de rendre hommage à notre rapporteur d'alors, M. Jean-Marie Girault, qui a consacré tant d'années aux départements et territoires d'outre-mer, notamment à la Nouvelle-Calédonie.
L'article 76 avait pour objet de permettre l'organisation d'un référendum tendant à l'approbation des dispositions de l'accord de Nouméa signé le 5 mai 1998 par un corps électoral restreint défini par référence à l'article 2 de la loi référendaire du 9 novembre 1998.
Ainsi que vous l'avez dit, monsieur le secrétaire d'Etat, la consultation, à la satisfaction générale, je crois, a connu un taux de participation de 74 % et le « oui » l'a emporté à 72 %. En outre, toutes les communes de Nouvelle-Calédonie se sont prononcées favorablement, ce qui est bien révélateur de l'accord politique intervenu entre les forces politiques en présence.
Quant à l'article 77, qui a motivé notre débat d'aujourd'hui, il autorisait le législateur à adopter des dispositions statutaires résultant de l'accord de Nouméa signé le 5 mai 1998 et dérogeant à des principes à valeur constitutionnelle.
Pendant ces quarante dernières années, la Nouvelle-Calédonie a connu des dispositifs statutaires très divers. Si l'on peut compter sept statuts, j'irai, pour ma part, compte tenu des sous-statuts, jusqu'à huit, ce qui fait quand même beaucoup ! Certains ont duré moins de six mois, le statut résultant des accords de Matignon a duré dix ans. Espérons que le présent statut durera vingt ans !
Au gré des situations et des difficultés, des mesures de décentralisation, d'autonomie relative, puis de recentralisation sont intervenues, avec les effets que l'on a connus et qui ont, bien sûr, atteint leur paroxysme lors des événements ayant suscité une réflexion de la part de tous les partenaires pour aboutir aux accords de Matignon.
La loi référendaire du 9 novembre 1988 prévoyait des dispositions statutaires et préparatoires à l'autodétermination. Je ferai observer, monsieur le secrétaire d'Etat, que le fait d'adopter par référendum des dispositions statutaires n'est peut-être pas la méthode la meilleure, dans la mesure où il n'y a alors pas de discussion. C'est ainsi qu'un certain nombre de lacunes du statut de 1988 résultent du fait qu'il n'y a pas eu de débat parlementaire. Or je crois que, sur des sujets aussi importants, mieux vaut - même en urgence, monsieur le président de la commission ! - un bon débat parlementaire ; c'est quelquefois nécessaire et parfois suffisant, en tout cas en ce qui concerne ce texte.
Le scrutin d'autodétermination prévu par l'article 2 du statut de 1988 n'a pas été organisé parce que les partenaires - M. Lafleur le premier - avaient signalé, dès 1991, qu'il valait mieux éviter ce référendum couperet.
Je n'évoquerai pas toutes les difficultés relatives au préalable minier, aux discussions commencées en 1993 puis interrompues, sans parler des discussions qui ont abouti aux accords de Nouméa. Je n'évoquerai pas non plus les divergences d'interprétation et d'orientation entre le RPCR et le FLNKS ; néanmoins, les accords de Nouméa ont pu être signés, et nous avons donc enclenché le processus de réforme du statut de la Nouvelle-Calédonie. En effet, l'accord de Nouméa définit, pour les quinze à vingt prochaines années, l'organisation politique de la Nouvelle-Calédonie et les modalités de son émancipation.
Je rappelle que, parce que nous avons créé un titre particulier de la Constitution, la Nouvelle-Calédonie constitue bien une collectivité sui generis .
M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat. Absolument !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Elle ne peut plus être considérée ni comme collectivité territoriale ni comme territoire d'outre-mer ; d'ailleurs, ses compétences et son organisation statutaire font que c'est une collectivité sui generis.
Oserais-je dire - mais ce serait choquer certains - que, en fait, toutes choses égales bien entendu, nous réinventons le fédéralisme, avec des compétences propres à la Nouvelle-Calédonie, avec des lois du pays, législation déléguée dans un certain nombre de domaines ? On reconnaît donc à la fois l'existence de spécificités et le droit des Calédoniens à régler un certain nombre de problèmes.
Mais, en même temps, la République continue à exercer ce que vous avez appelé ses prérogatives régaliennes, monsieur le secrétaire d'Etat. C'est, à mon avis, un peu cela qui a été fait dans le cadre du statut, même si on ne le dit pas et même si, parfois, à certaines tribunes, le terme « fédéral » est mal apprécié.
M. Guy Allouche. Situation exceptionnelle !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. A situation exceptionnelle, solution exceptionnelle !
Bien entendu, dès lors qu'une législation déléguée est accordée avec les lois du pays, il faut prévoir des contrôles : ce sera le contrôle du Conseil constitutionnel, exercé a posteriori et, en amont, sur les projets et propositions de loi du pays, le contrôle du Conseil d'Etat, juridiction qui paraît la mieux placée pour exercer cette responsabilité.
La grande originalité du statut, hormis l'organisation politique, tient aussi à la reconnaissance d'une citoyenneté calédonienne. Il s'ensuit la restriction du corps électoral pour les élections au congrès et aux assemblées de province, ainsi que pour les consultations sur l'accession à la pleine souveraineté à l'issue de la période transitoire. J'ajoute que ce statut est susceptible de fonder l'adoption de mesures restreignant l'accès à l'emploi local.
A ce sujet, monsieur le secrétaire d'Etat, je rappellerai après vous que le régime d'association entre, d'une part, les pays et territoires d'outre-mer et, d'autre part, les institutions européennes devra être revu. Les négociations qui sont en cours, je crois, doivent aboutir pour éviter des polémiques qui, même si elles sont suscitées par des articles universitaires, inquiètent les Calédoniens. Il faut veiller à ne pas créer de problèmes là où, à mon avis, il n'y en a pas vraiment.
Par ailleurs, il est un autre élément important : quel que soit l'avenir que décideront les Calédoniens, le transfert des compétences sera irréversible. Bien sûr, le statut fait une large place à l'identité kanak avec le statut civil coutumier, les terres coutumières et, bien entendu, la création d'un sénat coutumier.
Je ne rappellerai pas les caractéristiques principales du projet de loi organique, car M. le secrétaire d'Etat l'a déjà fait. Ce texte vise à instituer un cadre institutionnel novateur : un gouvernement collégial, ce qui est une originalité, mais pas une totale innovation, s'agissant de la Nouvelle-Calédonie ; un congrès, quasi-parlement, émanant des provinces ; des assemblées de province, constituées non pas seulement des membres du congrès, ce qui est une nouveauté par rapport aux statuts antérieurs ; enfin, des lois du pays et des compétences élargies et irréversibles. Le mode de scrutin pour les provinces et le congrès instaure, pour éviter la dispersion des suffrages, un seuil de 5 % des électeurs inscrits pour participer à la répartition des sièges. Voilà qui pourrait nous donner des idées pour d'autres institutions, monsieur le président de la commission des lois... (Sourires.) Enfin, le projet de loi organique prévoit un sénat coutumier et tout ce qui concerne, bien sûr, le statut civil coutumier.
Saisis du texte voté par l'Assemblée nationale, qui y a introduit un certain nombre de modifications, puisque plus de 140 amendements ont été adoptés, la plupart du temps avec l'accord du Gouvernement, nous nous sommes interrogés sur la méthode à suivre.
La commission des lois du Sénat a tout d'abord souhaité, comme le Gouvernement, appliquer en termes juridiques l'accord politique du 5 mai 1998, c'est-à-dire tout l'accord de Nouméa et rien que l'accord de Nouméa. Elle a donc éliminé toutes les dispositions « parasites » - le terme n'est peut-être pas très approprié, mais un certain nombre de dispositions peuvent être qualifiées de la sorte - qui n'avaient aucun rapport avec cet accord et qui n'étaient pas rendues nécessaires par son application.
Nous avons bien évidemment souhaité maintenir toutes les dispositions qui s'inscrivaient dans la continuité du statut de 1988.
Nous avons modifié sur le fond un certain nombre de dispositions de ce statut, afin de respecter la lettre et l'esprit de l'accord de Nouméa.
Enfin, nous avons tenté d'assurer la cohérence du dispositif en nous inspirant, dans toute la mesure du possible, des règles d'organisation et de fonctionnement soit des assemblées parlementaires - je songe, par exemple, aux commissions d'enquête : puisque le congrès a des responsabilités, nous avons estimé que nous pouvions lui donner ce pouvoir - soit, la plupart des temps, des collectivités territoriales telles qu'elles résultent du code général des collectivités territoriales.
Nous avons également souhaité, comme l'avait déjà fait en partie l'Assemblée nationale, appliquer tous les textes sur la transparence financière. Ce point nous paraît très important pour toutes les collectivités locales quelles qu'elles soient et, bien entendu, à partir du moment où l'on confie à une collectivité des responsabilités plus importantes, c'est une nécessité de la démocratie.
C'est ainsi que 263 amendements, dont 150 de nature rédactionnelle, dans la mesure où ils tendent à clarifier la rédaction du texte, à corriger des erreurs matérielles ou à instaurer une coordination, ont été adoptés par la commission des lois. S'y ajoutent quelques amendements déposés par le Gouvernement ou par certains de nos collègues. Une cinquantaine d'amendements visent à corriger des incohérences de fond ou à combler des lacunes du dispositif. Une soixantaine enfin correspondent à des ajouts ou à des modifications de fond.
Je dois avouer qu'il subsiste peu de désaccords avec l'Assemblée nationale, même si, outre les dispositions « parasites », toutes celles qui traitent de la justice en Nouvelle-Calédonie, de la procédure de renvoi dans le domaine budgétaire, ainsi que les dispositions qui ne figurent pas dans l'accord de Nouméa et, enfin, la disposition ayant trait au rapport annuel de la chambre territoriale des comptes de Nouvelle-Calédonie, ne nous paraissaient pas indispensables ; nous y reviendrons lors de l'examen des articles.
En revanche, nous approuvons certaines dispositions introduites par L'Assemblée nationale, telles celles qui favorisent la transparence et la rationalisation du fonctionnement des institutions calédoniennes, ou celles qui sont relatives à la substitution du Conseil d'Etat au tribunal administratif dans la procédure préalable d'avis sur les projets ou les propositions de loi du pays.
Nous avons par ailleurs maintenu la suppression de cet article bizarre - je veux parler de l'article 22 de la loi ordinaire - qui concerne le billet de retour et qui ne me paraît pas, compte tenu des contentieux en cours devant les juridictions administratives, le mieux venu.
La commission des lois a respecté les équilibres des deux dispositions essentielles concernant le corps électoral et la consultation sur l'accès à la pleine souveraineté.
Elle a accentué tout ce qui concerne la cohérence des institutions et la transparence. Elle a souhaité, notamment, que soit réservée à la seule Nouvelle-Calédonie la chambre territoriale des comptes qui est compétente, pour l'instant, pour celle-ci et la Polynésie française.
Nous avons, bien sûr, procédé aux toilettages nécessaires qui n'avaient pas été réalisés précédemment : je pense aux dispositions concernant les élections à la présidence de la République, à l'Assemblée nationale et au Sénat, puisque la Nouvelle-Calédonie n'est plus un territoire d'outre-mer.
Enfin, s'agissant de la loi ordinaire, nous avons proposé - avec l'accord de vos services, monsieur le ministre - la codification, pour une meilleure lisibilité, du droit applicable en Nouvelle-Calédonie. Nous vous proposerons ainsi la création d'un code des communes local.
Avant de conclure, il me paraît nécessaire de remercier vos collaborateurs, monsieur le secrétaire d'Etat, avec qui nous avons pu travailler en toute confiance pour améliorer ces textes. Par ailleurs, même si ce n'est pas la coutume, je tiens à remercier, pour le travail énorme qu'elles ont accompli, les administratrices - puis-je utiliser ce terme ? - de la commission des lois.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Administratrices... c'est très bien !
M. Guy Allouche. Vous pouvez les remercier !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Pour terminer, monsieur le secrétaire d'Etat, je vous rends attentif aussi à l'inquiétude que les accords de Nouméa provoquent dans un territoire voisin, celui de Wallis-et-Futuna. Nous aurons l'occasion, lors de la discussion des articles, d'examiner ce problème. En tout état de cause, il nous faut penser à ce territoire, à son avenir, à son développement économique.
Après tant de drames et de déchirements, la Nouvelle-Calédonie vit en paix depuis 1988 et, même s'il est encore insuffisant, le rééquilibrage économique est en marche, nous avons pu le constater sur place. Cela explique l'importance que revêt le volet économique de la loi organique, notamment son volet minier.
Il faut souligner l'esprit de responsabilité de tous ceux qui ont contribué à apaiser les oppositions et les passions et qui ont réussi, malgré des divergences fondamentales sur l'avenir de la Nouvelle-Calédonie, à se convaincre et à convaincre qu'il était possible de vivre ensemble et d'assumer ensemble l'avenir de ce territoire.
Souhaitons que les vingt prochaines années, grâce à ce statut, rapprochent encore les points de vue et que le travail en commun, dans l'intérêt de toute la population de la Nouvelle-Calédonie, puisse approfondir cette citoyenneté « permettant au peuple d'origine de constituer, avec les hommes et les femmes qui y vivent, une communauté humaine affirmant son destin commun ». Vous aurez reconnu les termes mêmes de l'accord de Nouméa !
La commission des lois vous propose donc d'adopter le projet de loi organique et le projet de loi ordinaire. Ce sera la démonstration que la France est prête à accompagner la Nouvelle-Calédonie dans cette voie.
C'est pourquoi, monsieur le secrétaire d'Etat, je crois qu'il ne faut pas tarder. Le Sénat, bien qu'il ne soit pas favorable à l'urgence, comprend tout à fait pourquoi les nouvelles institutions doivent être mises en place le plus rapidement possible, et je compte bien qu'avec l'Assemblée nationale nous pourrons aboutir très rapidement, pour permettre à la Nouvelle-Calédonie d'envisager son avenir avec de nouvelles institutions, avec des élections qui seront organisées très prochainement.
Nous comptons beaucoup que tout ce qui a été fait par des hommes qui ont parfois payé de leur vie le développement de la Nouvelle-Calédonie, qui croyaient en son avenir, ne soit pas vain. (Applaudissements.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 13 minutes ;
Groupe socialiste, 11 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 7 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 6 minutes.
La parole est à M. Loueckhote.
M. Simon Loueckhote. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je voudrais d'abord rendre hommage à l'excellent travail accompli par notre collègue M. Hyest, rapporteur de la commission des lois, ainsi que par les collaborateurs de cette commission, qui l'ont aidé dans sa tâche.
Je tiens également à vous remercier, monsieur le secrétaire d'Etat, de la qualité du travail que vous avez personnellement fourni comme de votre engagement dans le dossier calédonien, à l'égard duquel vos principaux collaborateurs se sont parfaitement impliqués.
Aujourd'hui, la Nouvelle-Calédonie est en train de vivre une nouvelle étape essentielle de son évolution, car la Haute Assemblée est saisie des projets de loi organique et ordinaire qui vont organiser le fonctionnement de ses institutions pour les vingt ans à venir.
Je voudrais rappeler, mes chers collègues, que, si nous en sommes là, c'est avant tout grâce à vous et à nos collègues députés. Vous avez en effet accepté, à une écrasante majorité, de réviser la Constitution de la République pour permettre la traduction dans le droit de l'accord de Nouméa signé après de longues négociations en avril 1998 par l'Etat, le Rassemblement pour la Calédonie dans la République et le Front de libération nationale kanak et socialiste.
Au nom des Calédoniens, qui ont eu conscience de toute la symbolique contenue dans cette révision constitutionnelle entreprise pour eux, je veux adresser mes remerciements à l'ensemble de la classe politique ici représentée pour l'appui sans faille qu'elle nous a apporté.
Je salue, en particulier, le fait que la question calédonienne n'a pas été, à cette occasion, un enjeu de division nationale et que l'ensemble des forces politiques se sont retrouvées pour soutenir cet accord.
Je suis tout autant persuadé que vous avez été sensibles à l'appel que les Calédoniens ont lancé, le 8 novembre dernier, à leurs compatriotes métropolitains en manifestant massivement leur adhésion à l'accord de Nouméa et leur confiance envers ses signataires.
C'est pourquoi je souhaite que nos débats d'aujourd'hui soient animés du même esprit.
Les résultats de cette consultation, marquée par une participation exceptionnelle, sont en effet sans ambiguïté : ils expriment très nettement la volonté de la population calédonienne de demeurer dans la République française, avec une nouvelle organisation politique et administrative permettant de mieux exprimer sa spécificité au sein de la nation.
La conciliation de ces deux désirs d'émancipation et de maintien dans la République a été possible grâce à la conjugaison de toutes les bonnes volontés.
Je veux, à cet égard, saluer avec beaucoup d'admiration et de gratitude l'imagination, et même l'ingéniosité, dont le chef de l'Etat, le Gouvernement et le Parlement ont su faire preuve pour définir une solution aussi originale que celle dont nous avons à débattre en ce jour.
On ne pourra plus, désormais, reprocher aux responsables politiques de ce pays d'avoir imposé un modèle institutionnel sorti tout droit d'un manuel de droit, sans tenir compte de la volonté des populations intéressées.
S'agissant de la Nouvelle-Calédonie, c'est exactement l'inverse qui s'est produit, et l'histoire retiendra que l'Etat a accepté d'accompagner une volonté politique des responsables locaux et qu'il s'est efforcé de la traduire dans le droit.
Le profond attachement que nous avons pour la démocratie trouve, dans cette démarche, son expression la plus totale et sa pleine justification.
Nous savons pertinemment, mes chers collègues, que la réussite de ce processus d'émancipation sera une conquête de tous les instants, à l'instar des négociations qui nous ont conduits à la signature de l'accord de Nouméa et à sa traduction dans un projet de loi.
Mais nous avons de bonnes raisons d'être confiants et d'être satisfaits du chemin déjà parcouru.
Je voudrais souligner que l'adoption de ces projets de loi relatifs à la Nouvelle-Calédonie constituera l'aboutissement d'une démarche de très longue haleine, pour y instaurer définitivement la paix.
Ce combat a pris une dimension particulière en 1988, avec la signature des accords de Matignon, parce que deux hommes ont accepté de se tendre la main en dépit de tout ce qui les opposait.
Qu'il me soit permis de rendre une nouvelle fois hommage à Jacques Lafleur et à Jean-Marie Tjibaou pour ce geste, qui a conditionné l'avenir de tous les Calédoniens. Ce jour est, en effet, celui de la victoire de ces deux hommes d'exception et c'est aussi celui du pardon pour tous ceux qui ont payé de leur vie le prix de la paix dont jouissent les Calédoniens depuis maintenant dix ans. Ne l'oublions pas !
Grâce à la paix retrouvée, nous pouvons tirer un bilan très positif de ces dix dernières années.
Les institutions nées des accords de Matignon, notamment les collectivités provinciales que nous avons fait fonctionner pendant toute cette période, sont une grande réussite. Forts de ce constat, nous avons voulu les maintenir purement et simplement dans le nouveau dispositif institutionnel, qui leur confie, en outre, quelques attributions nouvelles.
L'apprentissage de la gestion de ces collectivités a été riche d'enseignements pour tous les responsables calédoniens. Nous avons cependant très vite perçu qu'il nous fallait franchir une étape supplémentaire.
Cette prise de conscience n'est pas seulement née de la volonté, au demeurant légitime, d'exercer davantage de compétences localement. Nous sommes, en effet, convaincus qu'il sera plus aisé de faire émerger ce « futur partagé entre tous », cette « communauté de destin » qui sont inscrits dans l'accord de Nouméa, en privilégiant l'échelon de la Nouvelle-Calédonie, placé, à cette fin, au centre de la nouvelle organisation institutionnelle.
Confier l'exécutif de la Nouvelle-Calédonie à un gouvernement local, collégial de surcroît, dont la composition traduira les principales tendances politiques issues des prochaines élections n'est certainement pas un pari gagné d'avance, et c'est un double défi qu'il nous faudra relever.
Je veux d'ailleurs souligner à quel point l'esprit de l'accord de Nouméa s'exprime au travers de ce système ô combien original, qui prouve que le parti majoritaire renonce à faire jouer sa position dominante pour instaurer un partage du pouvoir.
Ne faut-il pas reconnaître là, mes chers collègues, une éclatante leçon de démocratie ?
N'oublions pas non plus à qui les Calédoniens doivent cette leçon !
C'est en effet Jacques Lafleur qui a voulu, dès 1991, en faire admettre le principe, en préconisant l'émergence d'une solution consensuelle pour régler définitivement l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie.
Au-delà de cet acte politique remarquable et de la bonne volonté que devront afficher les futurs membres du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, il est essentiel de donner à cet organe collégial les moyens de bien fonctionner. Telle est notre reponsabilité.
Une autre originalité de ce projet de loi organique est, vous le savez, la reconnaissance d'une citoyenneté calédonienne au sein de la citoyenneté et de la nationalité françaises.
Nous avons admis que cette notion puisse être fondée sur la restriction apportée au corps électoral pour la désignation des membres des assemblées de province et du congrès ainsi que pour la consultation finale. Mais cette traduction juridique est nécessairement imparfaite, car elle ne peut, en tout état de cause, exprimer l'objectif et le projet de société qui sont inscrits dans l'accord de Nouméa et que l'on s'est fixés à terme.
Il serait, par conséquent, bien réducteur de considérer que la citoyenneté calédonienne se limite à l'exercice d'un droit de vote lié à une condition de résidence. C'est avant tout le résultat d'un choix de vie qu'ont fait et que feront encore tous ceux qui veulent s'installer durablement en Nouvelle-Calédonie.
Introduire cette notion de citoyenneté calédonienne et instaurer des mesures pour préserver l'emploi local ne signifie en aucun cas que la Nouvelle-Calédonie va se replier sur elle-même. C'est donner davantage de chances aux jeunes Calédoniens de réussir leur insertion professionnelle. C'est permettre à toutes les communautés qui font vivre cet archipel de se forger une identité commune, dans le respect de la différence.
De même, le transfert progressif à la Nouvelle-Calédonie de certains domaines de compétence de l'Etat ne signifie nullement qu'elle sort de son champ d'action.
L'Etat restera toujours très présent, à travers son représentant et ses nombreux autres serviteurs qui continueront d'animer les services administratifs ainsi que, bien entendu, par ses nombreuses prérogatives. Qu'il soit, d'ailleurs, remercié pour le soutien qu'il va continuer d'apporter à la Nouvelle-Calédonie tout au long de ce processus, en particulier sur le plan financier.
Avec cette nouvelle organisation qui doit lui permettre de franchir un degré supplémentaire en matière de développement économique, social et culturel, la Nouvelle-Calédonie pourra encore mieux assumer son rôle de vitrine de la France, mais aussi de l'Europe dans la région.
Nous sommes persuadés que sa vitalité économique pourra pleinement s'exprimer à travers ses nouvelles institutions.
Il ne s'agit pas non plus de faire de l'optimisme à outrance car, dans le domaine économique, tout reste à conquérir.
En effet, mais vous ne l'ignorez pas, mes chers collègues, nous subissons de plein fouet la chute vertigineuse des cours mondiaux du minerai de nickel.
Notre inquiétude est renforcée par la révolution technologique qui s'opère actuellement en matière de transformation du minerai de nickel : nos voisins australiens expérimentent depuis peu des techniques d'exploitation de la latérite à des prix de revient bien moindres que ceux de la transformation de la garniérite, telle que pratiquée par la société Le Nickel, en Nouvelle-Calédonie, menaçant ainsi considérablement deux piliers de l'économie calédonienne que sont l'extraction et la fusion du minerai de nickel.
Nous pouvons néanmoins espérer la concrétisation prochaine de certains projets de transformation du nickel actuellement en cours et qui utilisent l'une ou l'autre de ces technologies.
J'apprenais encore hier que notre filière de production de crevettes, qui peut constituer une voie durable de diversification de l'économie, vient de subir un sérieux revers du fait de la décision récente de non-renouvellement de l'agrément communautaire calédonien. Cette décision, qui empêche désormais les producteurs calédoniens d'exporter, a des conséquences commerciales catastrophiques.
Il serait bien illusoire de prétendre que notre petit archipel pourrait résister aux pressions de l'économie mondiale sans l'aide de l'Etat et, à travers lui, sans le soutien de la Communauté européenne.
Il est nécessaire que la Nouvelle-Calédonie soit encore plus solidement ancrée dans la Communauté européenne, notamment par la circulation effective de l'euro et par la redéfinition de ses liens avec l'Europe, qui nous paraît indispensable.
Les futures institutions de la Nouvelle-Calédonie présentent également la particularité d'accorder un rôle accru aux représentants de la coutume, notamment par la création d'un sénat coutumier, qui sera nécessairement saisi des projets de loi du pays et des délibérations relatifs aux questions intéressant la communauté mélanésienne.
La loi organique prévoit même la possibilité de faire élire les membres du sénat coutumier, à compter de 2005, par un collège électoral déterminé par une loi du pays.
De telles dispositions, qui consacrent le rôle souvent essentiel joué par les responsables coutumiers dans le fonctionnement de la société, sont source de satisfaction.
Il convient cependant de ne pas idéaliser cette démarche, qui a visé à introduire la coutume au coeur des institutions.
D'abord, parce que je veux souligner que lesMélanésiens ont déjà accès aux plus hautes responsabilités et que le renforcement de leur présence au sein des institutions n'est que la poursuite de ce processus.
Nous savons également que nous avons des problèmes urgents à régler touchant à l'organisation coutumière, et que la résolution de ces problèmes ne sera pas sans créer des conflits.
Dans le cadre du rééquilibrage économique, que tout le monde appelle de ses voeux, nous devons entreprendre une réforme du foncier, dont le principe a été énoncé par l'accord de Nouméa. Ses signataires ont reconnu la nécessité de cadastrer les terres coutumières, dont le statut ne doit pas être un obstacle à leur mise en valeur et au développement. Une telle démarche suscitera nécessairement les passions les plus vives.
Nul ne peut en effet nier que les logiques qui inspirent respectivement la coutume mélanésienne, les institutions de la République et l'économie de marché sont très différentes et parfois même opposées.
J'en veux pour preuve les nombreux écueils rencontrés par le conseil consultatif coutumier, issu de la loi référendaire de 1988, pour sa mise en place et son fonctionnement, ou encore les difficultés que nous avons, notamment aux îles Loyauté, pour pérenniser des activités de développement.
Les Mélanésiens, dont l'existence est rythmée par la coutume et qui sont à la fois de plain-pied dans le mode de vie à l'occidentale, savent toute la difficulté à concilier les exigences de ces deux mondes.
Ce constat n'est pas celui d'un échec. Il nous conforte, au contraire, dans l'idée de la nécessité de pousser progressivement ces deux mondes à se rencontrer et non pas seulement à coexister.
Tel est le nouveau défi lancé par le projet de loi organique, qui introduit la coutume au centre des futures institutions de la Nouvelle-Calédonie.
Ainsi, ce que la société mélanésienne est en train de vivre en son sein est à l'image de ce rapprochement qui s'opère entre les différentes communautés de Nouvelle-Calédonie, depuis maintenant dix ans, grâce à la signature des accords de Matignon.
Tous ces bouleversements se produiront dans le sens d'une plus grande universalité et dans le respect de la différence. C'est ce qui fait la force de ce nouveau dispositif institutionnel.
La Nouvelle-Calédonie est en effet arrivée à un tournant de son histoire.
Elle vient de confirmer son choix d'un destin lié à celui de la France et, à travers elle, à celui de l'Europe.
Pour ma part, je suis persuadé que les générations futures ne voudront pas mettre un terme à cette expérience commune unique, non plus qu'à la grande aventure que nous pouvons vivre à travers cette intégration européenne confortée à l'aube du troisième millénaire.
Les Calédoniens sont confiants en l'avenir. Ils croient en ce dispositif issu de l'accord de Nouméa, oubliant les réticences qu'ils avaient exprimées en 1988, alors que s'annonçait l'ère des accords de Matignon. Ils ont foi en notre sagesse et en notre expertise, dans la définition de ce nouveau statut, qui va les engager pour les vingt ans à venir.
Nous avons conscience, certes, que l'examen et l'adoption de ces projets de loi par le Parlement ne sont qu'une nouvelle étape dans la réussite du processus de l'accord de Nouméa.
Il existe d'ailleurs plusieurs dispositions de cet accord qui n'ont pu trouver leur traduction dans ces projets de loi et qui devront faire l'objet de conventions ou d'accords particuliers.
Je pense notamment aux relations entre la Nouvelle-Calédonie et Wallis-et-Futuna, qu'il conviendra de préciser dans les plus brefs délais. C'est d'ailleurs l'objet d'un amendement, adopté par la commission des lois du Sénat, que nous aurons à étudier.
Il n'en demeure pas moins que cette étape est sans doute la plus décisive.
C'est pourquoi je veux, monsieur le secrétaire d'Etat, mesdames, messieurs les membres de la commission des lois, mes chers collègues, exprimer le souhait que l'examen de ces textes ne se déroule pas dans la précipitation, qu'il fasse l'objet d'une attention toute particulière et d'un recul suffisant.
Nous aurons à débattre de nombreuses modifications à apporter à ces projets de texte. Puissions-nous prendre le temps de les examiner dans la sérénité !
Je ne crois pas qu'il y ait de débat inutile, de question superflue alors même qu'il s'agit de décider de l'avenir de tous nos compatriotes calédoniens, qui attendent avec beaucoup d'impatience et d'espoir nos décisions.
Il en va de l'image de notre pays dans cette région du monde, où 200 000 Français contribuent à son rayonnement.
Je veux terminer mon propos par cette courte citation de Camus : « La vraie générosité envers l'avenir consiste à tout donner au présent. »
Je ne doute pas que cet esprit animera aujourd'hui les travaux de la Haute Assemblée, comme il a inspiré le Président de la République, le Gouvernement, nos collègues députés, les signataires de l'accord de Nouméa et l'ensemble des Calédoniens qui ont approuvé cet accord, espérant ainsi réserver le meilleur avenir possible aux générations futures. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Duffour.
M. Michel Duffour. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, j'ai eu la chance d'être présent en Nouvelle-Calédonie lors de la campagne référendaire, durant la semaine qui a précédé le scrutin du 8 novembre.
Invité par le FLNKS, j'ai parcouru les trois provinces, participé à de nombreuses réunions publiques au côté d'orateurs des différentes composantes du front prônant tous le « oui » et, de Nouméa à Thio, de l'île de Lifou à l'île d'Ouvéa, j'ai constaté partout les attentes et les espoirs d'une population qui souhaite la paix et croit en la promotion de son territoire sur la base des promesses qui lui ont été faites.
J'ai ressenti chez mes interlocuteurs kanaks - je sais que mes appréciations sont trop hâtives, faute de temps pour les développer - un souvenir toujours vif de la période sanglante qui a endeuillé le territoire, la volonté d'affirmer leur identité culturelle, un attachement à la coutume mais aussi de la lucidité sur l'évolution de leur propre société, la volonté, enfin, que le processus mis en marche fonctionne et soit couronné de succès.
Accueilli en tant que sénateur d'un département de la métropole, j'ai mesuré les responsabilités qui sont les nôtres pour les années à venir. Je n'ai pas caché à mes interlocuteurs, comme élu communiste, ma satisfaction de voir reconnues par le préambule de l'accord de Nouméa toutes les ombres qui ont accompagné la présence française depuis plus d'un siècle, mais aussi ma joie que la République ait tourné la page de la répression et reconnaisse, dans le respect de chaque communauté, l'identité et les droits de ceux qui, depuis des millénaires, ont foulé ce sol.
L'accord de Nouméa, nous l'avons dit en juillet, àVersailles, est d'une grande portée, et ceux qui vivent en Nouvelle-Calédonie, quelle que soit leur communauté d'origine ou leur appartenance politique, qui ont su, depuis les accords de Matignon, tenir des discours responsables et lucides, doivent en être remerciés.
Le résultat électoral a été la preuve éclatante que l'accord de Nouméa était le bon choix.
Nous considérons donc que les lois que nous allons voter se devaient de refléter très fidèlement l'accord de Nouméa. Nous pensons que l'objectif est atteint, pour l'essentiel. Notre vote sera donc positif.
Nous sommes conscients que la marge est étroite. Le processus engagé est inédit. L'aspiration à être socialement utile est universelle. La jeunesse kanak est à l'unisson des jeunes générations de tous les continents : elle souhaite du travail, des signes tangents de changement dans ses conditions de vie. Des plaies, probablement, ne sont pas totalement cicatrisées. La France doit donc tenir parole. Tout l'accord de Nouméa doit être respecté dans l'esprit et à la lettre.
Des investissements non négligeables ont été faits au cours de la dernière décennie. Mais nous connaissons tous le proverbe : « Il pleut toujours là où c'est mouillé. » Une politique très volontariste doit donc être menée pour que les rééquilibrages économiques entre les trois provinces soient lisibles dans le futur.
Je viens d'évoquer l'étroitesse du chemin. L'abstention des représentants élus du FLNKS au congrès du territoire, lors de la présentation de l'avant-projet de loi organique, l'a rappelée, en novembre.
J'avais senti, lors de mon voyage en Nouvelle-Calédonie, l'existence de craintes bien réelles chez les dirigeants du FLNKS, et j'en avais alors averti le haut-commissaire.
Le flou de certaines formulations définissant le corps électoral restreint et la rédaction choisie pour traiter des modalités de sortie du processus au cours du quatrième mandat du congrès ont fait craindre à l'une des deux principales composantes de la négociation que le gouvernement français pourrait se retrouver en retrait de ce qui apparaissait pourtant comme irréversible.
Nous nous félicitons que les efforts des uns et des autres aient permis d'avancer et qu'une bonne partie des malentendus soient dissipés. Le sont-ils tous ? Probablement pas. Les actes du Gouvernement et l'intérêt que portera le Parlement français à la mise en oeuvre du processus seront donc essentiels.
Ainsi, le Sénat devrait décider du principe de l'envoi d'une mission sénatoriale au moins tous les deux ans, de façon à marquer son intérêt pour l'avenir de la Nouvelle-Calédonie.
M. Pierre Fauchon. Très juste !
M. Michel Duffour. Notre groupe n'a pas déposé d'amendement. Je souhaite toutefois, monsieur le secrétaire d'Etat, vous demander quelques précisions.
L'article 208 a été quelque peu modifié, à votre demande, à l'Assemblée nationale, la date limite pour la justification d'une durée de vingt ans de domicile connu en Nouvelle-Calédonie étant passée du 31 décembre 2013 au 31 décembre 2014. Vous n'avez pas, à l'Assemblée nationale, développé votre argumentation sur ce changement de date, et je sais que le FLNKS en est quelque peu inquiet. Nous attendons d'en savoir plus aujourd'hui.
L'Assemblée nationale a par ailleurs voté un amendement limitant la durée de présence de magistrats en Nouvelle-Calédonie. Cet amendement découle des vives critiques qui s'expriment sur l'île par rapport au fonctionnement de la justice. J'ai été convaincu par vos arguments, monsieur le secrétaire d'Etat, et par ceux du rapporteur de la commission des lois, sur l'impossibilité d'un tel ajout.
En revanche, il avait été dit qu'une mission de l'inspection générale des services judiciaires se rendrait sur place. Qu'en est-il exactement ?
Enfin, j'insisterai, après Simon Loueckhote et M. le rapporteur sur l'amendement déposé par notre collègue Robert Laufoaulu et qu'a retenu la commission des lois.
Les discussions à mener sur l'avenir de Wallis-et-Futuna sont urgentes. J'espère, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous nous donnerez quelques éléments sur le dossier. La communauté wallisienne est, par le nombre, la troisième des communautés vivant sur le sol calédonien. Il y a beaucoup d'inquiétudes parmi ses membres. Ces inquiétudes, il est indispensable de les apaiser.
La France a su tirer les conséquences des événements graves qui faillirent précipiter ce territoire dans le chaos. Les accords de Matignon ont été un tournant ; ceux de Nouméa sont une ouverture formidable sur l'avenir. Les Calédoniens choisiront eux-mêmes leur futur statut. Contribuons, en tant que parlementaires français, à faire que cela se déroule dans la paix et la compréhension entre les communautés. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Mélenchon.
M. Jean-Luc Mélenchon. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je siège dans cette assemblée depuis douze ans. J'ai donc eu l'occasion de m'impliquer dans presque tous les débats qui nous ont occupés à propos de la situation et du destin de la Nouvelle-Calédonie au cours d'une période, vous en conviendrez, particulièrement agitée de son histoire.
Chacun, j'en suis sûr, se souvient de ce qu'a été ici l'expression de nos raisonnements et de nos passions contraires sur ce sujet, de nos engagements opposés, de la ferveur qui nous a habités à ces occasions - et la mienne n'a pas été la moindre, je veux bien le reconnaître.
A présent, après la réforme constitutionnelle, que j'ai approuvée, comme nombre d'entre nous, nous sommes appelés à transcrire dans la loi la construction tout à la fois fragile et forte qui résulte du processus exemplaire initié sur le territoire à partir des accords de Matignon, accords que ceux de Nouméa prolongent, élargissent, pérennisent pour une nouvelle durée de vingt ans. Quel extraordinaire chemin a été parcouru ! Nous le reconnaissons tous.
Le dictionnaire Larousse de 1953 définissait le mot Kanak comme « un peuple en voie de disparition ». On comprend, dès lors, que la revendication identitaire kanak, dans son expression indépendantiste, se soit formulée dans une telle tension de tout son être.
Comment ne pas se sentir profondément concerné par un message qui tendait à notre République un miroir si blessant ?
De son côté, la population d'origine européenne se sentait, elle aussi, si consubstantiellement unie à la chair du territoire, et les tombes témoignaient aussi pour elle. Comment ne pas comprendre la passion que cet enracinement légitimait ?
Et puis, tant d'années de vie commune, le rayonnement des valeurs et des débats qui agitaient aussi tout notre pays donnait, de surcroît, à ce clivage des frontières qui traversaient les deux parties que composaient les Calédoniens. Bref, les opinions politiques ne suivaient pas les couleurs de peau.
Tout était pourtant réuni pour que la violence pense pouvoir se donner l'illusion de pouvoir dire le dernier mot. Elle avait largement commencé à le faire. Ses échos se sont fait entendre jusque sur nos travées.
Tout cela est encore assez récent pour que, dans ce débat, chaque mot soit pesé, si l'on veut concourir efficacement à l'entreprise de paix qui se déroule depuis 1998.
Je dirai donc simplement et sans arrogance combien le groupe socialiste est fier que l'histoire ait permis que ce soient deux Premiers ministres issus de ses rangs, Michel Rocard - et dans quelles conditions, en 1988 ! - et Lionel Jospin, alors que le débat semblait paralysé par le préalable minier, qui aient eu l'opportunité d'être les défricheurs qu'ils ont été au service d'une volonté de paix dont les hommes et les femmes de Calédonie, d'abord, avaient enfin trouvé les ressorts.
Et comme beaucoup d'entre nous, découvrant le préambule des accords de Nouméa qui est à l'origine du processus législatif qui nous occupe, je veux dire l'émotion qu'il suscite et donc la dynamique qu'il impulse pour permettre, en vérité, un nouvel ordre de raisonnement législatif qui, sans cela, j'en suis certain, n'aurait jamais convaincu le législateur d'aller jusqu'au point où nous ont conduits la réforme constitutionnelle et les textes que nous examinons aujourd'hui.
Je ne crois pas qu'il y ait un seul exemple comparable au monde d'un processus d'émancipation qui ait été cosigné par ses protagonistes directs dans de tels termes de respect et de reconnaissance mutuels, avec un tel souci de rendre à l'histoire sa part d'ombre mais aussi sa part de lumière, pour que la génération actuelle puisse totalement se consacrer à l'avenir commun.
Que n'avons-nous eu, sous d'autres latitudes, et même plus près de nous, des Tjibaou et des Lafleur, qui, tout en restant très exactement ce qu'ils étaient aux premiers jours quant aux convictions, au nom même de ces convictions, eux, et ceux qui se reconnaissent dans leur action, ouvrent de tels chemins !
Portant ce regard, je ne pense pas seulement aux visages que je connais bien sur ce territoire... ceux de Nouméa, de Maré, de Sarraméa, de Lifou, de Poum, de Koné... partout où j'ai eu le bonheur de me trouver.
Je pense à notre République, que ce processus libère et grandit, elle aussi !
Car si les protagonistes se sont délivrés de la haine, la République, du même coup, est délivrée de la négation de ses principes que contenait son implication dans le cycle des violences sur le territoire.
L'armée ne cantonne plus dans les tribus au nom de la République, on ne juge plus dans les conditions dans lesquelles on a jugé « au nom du peuple français », on ne fait plus du drapeau tricolore le signal de ralliement d'un ordre blessant. Tels sont déjà, pour la République elle-même, les produits de la paix.
Et je forme le voeu, pensant à cet instant à mes amis indépendantistes, que, dorénavant, la France ne soit plus montrée du doigt sur le territoire même, comme elle l'avait été.
Avec la paix, et avec une organisation des pouvoirs mutuellement consentie et irréversible, la République, d'une certaine façon, est de retour telle qu'elle doit être, c'est-à-dire égale pour tous ceux qu'elle rassemble dans une communauté légale qui n'opprime aucun des citoyens qui vit sous ses lois.
Je veux insister sur ce point : la République est pleinement partie prenante de ce qui se fait en Nouvelle-Calédonie.
Elle ne se débarrasse pas sur les Calédoniens des problèmes du territoire et notamment de ceux qui concernent son développement.
L'effort financier qu'elle consent dit assez bien ce fait. Quatre milliards et demi de dotation annuelle en 1997 en témoignent ! C'est - la comparaison peut éclairer - l'équivalent de la collecte fiscale qui alimente le budget du conseil général de l'Essonne pour 1 200 000 habitants ! C'est, ainsi que l'a souligné le rapporteur de la commission des lois à l'Assemblée nationale, deux fois et demie de plus par habitant que ce que l'Etat consacre au département de l'Aisne. Il va de soi que, parmi d'autres raisons, celle-ci légitime pleinement le juste contrôle de l'utilisation des fonds publics dans le cadre des lois de notre maison commune républicaine.
C'est d'elle encore qu'il faut parler.
La République ne dissout pas sur le territoire la citoyenneté républicaine. La nouvelle citoyenneté calédonienne que nos lois vont instaurer s'exprime dans le cadre de la citoyenneté française, selon les principes universels que garantissent les préambules de notre Constitution.
Certes, il est dans les lois que nous avons à discuter des dispositions qui heurtent profondément notre compréhension de ces principes.
Mais, précisément, elles sont l'enjeu même du coeur des problèmes de la Nouvelle-Calédonie.
Le législateur n'a donc pas à choisir entre la dénaturation de ces principes ou leur conservation formelle. C'est leur conservation formelle qui serait une dénaturation de leur esprit, ainsi qu'en a attesté l'histoire.
La Nouvelle-Calédonie, dans les conditions qui sont les siennes, fera son chemin, c'est en tout cas mon souhait, jusqu'à leur pleine réalisation.
Elle le fera sans doute grâce à des dispositions qui, aujourd'hui, semblent s'y opposer.
Les limitations apportées au droit d'accès à la citoyenneté calédonienne, les dispositions proposées en ce qui concerne l'accès à l'emploi sont une forme particulière de la discrimination positive, mais, sans cette discrimination positive, qu'est-ce que la lutte pour l'égalité, principe essentiel et fondateur de notre République ? Elle n'aurait souvent aucune portée pratique réelle.
Mes chers collègues, ce que nous entreprenons en Nouvelle-Calédonie est exemplaire ; nous en convenons tous. Mais il est essentiel à cette heure de dire aussi que cet exemple n'est pas un modèle au sens où l'on pourrait dès lors le transposer en l'état, par esprit de système, à toutes les situations où l'insularité, l'histoire et l'actualité des tensions exigent que l'on se mobilise pour ouvrir de nouvelles voies d'avenir durables.
Je crois tout au contraire que l'esprit de l'accord de Nouméa et celui du travail que cette assemblée va engager invite à d'autres conclusions. C'est à la confection « sur mesure » qu'il faut se référer, et cela pour que nos principes - je parle des principes républicains - trouvent à s'appliquer pour ce qu'ils sont véritablement : non des dogmes formels mais des outils concrets de développement humain et d'émancipation de la personne.
Ce n'est pas le moindre des défis qu'ont à relever les sociétés qui en bénéficient.
Entre la dilution dans la mondialisation anglo-saxonne et le repli sur les traditions d'un âge d'or imaginaire, l'idéal républicain, en Calédonie comme ailleurs, trace un chemin qui n'est pas celui du confort.
La Calédonie enfin libérée des rancoeurs et de la violence, la génération qui prononcera le choix essentiel dans vingt ans sera née et se sera développée dans la paix. Le temps aura fait son oeuvre.
Modernité et tradition se seront rencontrées librement. L'exigence sociale, l'exigence démocratique auront fait valoir leurs normes.
Nul n'en sortira indemne ! Mais ce sont les enjeux réels de notre époque et pas seulement en Calédonie.
C'est à eux maintenant, mes chers collègues, monsieur le secrétaire d'Etat, après avoir soutenu le projet du Gouvernement, que les socialistes vont se consacrer. (Applaudissements.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
J'informe le Sénat que la commission des lois m'a fait connaître qu'elle a d'ores et déjà procédé à la désignation des candidats qu'elle présentera si le Gouvernement demande la réunion de commissions mixtes paritaires en vue de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion des projets de loi actuellement en cours d'examen.
Cette liste a été affichée et la nomination des membres de cette commission mixte paritaire aura lieu conformément à l'article 9 du règlement.
M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, j'aurai l'occasion de répondre à un certain nombre des questions qui m'ont été posées lors de la discussion des articles.
Pour l'heure, je voudrais simplement aborder la question des relations de la Nouvelle-Calédonie avec Wallis-et-Futuna, puisque M. le rapporteur et M. Duffour l'ont évoquée.
Je rappellerai d'abord que l'accord de Nouméa prévoit un accord particulier établissant les relations entre la Nouvelle-Calédonie et Wallis-et-Futuna. Une importante communauté wallisienne vit en effet en Nouvelle-Calédonie : forte de 17 000 personnes, elle est plus importante que les résidents à Wallis-et-Futuna même. Evidemment, ces personnes sont légitimement intéressées l'avenir.
D'ailleurs, lors du référendum, les principaux mouvements politiques wallisiens se sont prononcés dans un sens favorable aux accords de Nouméa.
La communauté wallisienne n'est pas concernée actuellement, je le répète, par les dispositions que le congrès pourra prendre sur l'emploi local. Par conséquent, les situations individuelles et collectives en matière d'emploi ne seront pas touchées.
Par ailleurs, les relations entre Wallis-et-Futuna et la Nouvelle-Calédonie devront se prolonger.
Ainsi, un certain nombre de fonctions sont exercées pour le territoire de Wallis-et-Futuna par des administrations qui sont implantées en Nouvelle-Calédonie : c'est vrai pour l'enseignement supérieur, pour la justice, pour les affaires militaires et pour les évacuations sanitaires. Par conséquent, le territoire de Wallis-et-Futuna est très dépendant par rapport à ce qui peut se passer en Nouvelle-Calédonie.
Lors du débat à l'Assemblée nationale, j'ai eu l'occasion de dire que l'accord particulier qui est prévu sera un accord à trois : la Nouvelle-Calédonie, Wallis-et-Futuna, territoire d'outre-mer, et la République française. Sur ce plan, je me réjouis que la commission ait adopté l'amendement du nouveau sénateur de Wallis-et-Futuna, M. Laufoaulu, préconisant que l'accord devra être conclu avant le 31 mars 2000 et que le Gouvernement de la République sera partie aux discussions. Par conséquent, je donnerai un avis favorable sur et amendement lorsqu'il viendra en discussion.
Je peux d'ores et déjà vous dire que l'administrateur de Wallis-et-Futuna, qui est en quelque sorte le préfet représentant de la République, et le haut-commissaire travaillent sur le contenu d'un document.
Lorsque les nouvelles institutions seront mises en place, ce travail devrait pouvoir être repris dans la perspective d'un accord rapide qui sera à même de rassurer nos compatriotes originaires de Wallis-et-Futuna sur leur situation en Nouvelle-Calédonie ainsi que sur les relations qui s'établissent entre les deux territoires concernés.
Il n'y aura donc pas de bouleversement.
Une nouvelle charte définira l'ensemble de ces relations.
Je ne doute pas, d'ailleurs, que nous aurons, peut-être dans un proche avenir, à voir comment faire évoluer le statut de Wallis-et-Futuna, qui date de 1961. Mais il s'agit là d'un autre chantier... Dans l'immédiat, nous serons très attentifs à ce que, dans le cadre de cet accord, Wallis-et-Futuna soit pleinement intégré en vue d'assurer son plein développement, en relation avec la Nouvelle-Calédonie.

PROJET DE LOI ORGANIQUE n° 146