Séance du 28 janvier 1999
RESPONSABILITÉ
EN MATIÈRE DE DOMMAGES CONSÉCUTIFS
À L'EXPLOITATION MINIÈRE
Adoption des conclusions modifiées
du rapport d'une commission
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 502,
1997-1998) de M. Jean-Marie Rausch, fait au nom de la commission des affaires
économiques et du Plan sur :
- la proposition de loi (n° 220, 1996-1997) de M. Jean-Luc Bécart, Mmes
Marie-Claude Beaudeau, Danielle Bidard-Reydet,
M. Claude Billard,
Mmes
Nicole Borvo,
Michelle Demessine,
M. Guy Fischer,
Mme Jacqueline
Fraysse-Cazalis, MM. Félix Leyzour,
Paul Loridant, Mme Hélène Luc,
MM.
Louis Minetti, Robert Pagès,
Jack Ralite et Ivan Renar, tendant à frapper
de nullité d'ordre public toute clause de mutation immobilière exonérant les
exploitants de mines de leur responsabilité en matière de dommages liés à leur
acitivité minière ;
- la proposition de loi (n° 298 rectifiée, 1996-1997) de MM. Claude Huriet,
Jacques Baudot, Jean Bernadaux, Philippe Nachbar, Jean-Paul Amoudry,
Alphonse Arzel,
Bernard Barraux,
François Blaizot,
André Bohl,
Marcel Deneux,
Georges Dessaigne,
André Dulait, Jean Faure, Francis
Grignon, Pierre Hérisson, Rémi Herment, Jean Huchon, Marcel Lesbros,
Jean-Louis Lorrain, René Marquès,
François Mathieu,
Louis Moinard, Jean
Pourchet, Philippe Richert et Michel Souplet, complétant le code minier ;
- la proposition de loi (n° 229, 1997-1998) de Mme Gisèle Printz, M. Roger
Hesling, Mme Dinah Derycke, MM. Guy Allouche, Pierre Mauroy, Paul Raoult, Léon
Fatous, Roland Huguet, Daniel Percheron, Michel Sergent et les membres du
groupe socialiste et apparentés, relative à la prévention des risques miniers
après la fin de l'exploitation ;
- la proposition de loi (n° 235 rectifié, 1997-1998) de Mme Gisèle Printz, M.
Roger Hesling, Mme Dinah Derycke, MM. Guy Allouche, Pierre Mauroy, Paul Raoult,
Léon Fatous, Roland Huguet, Daniel Percheron, Michel Sergent et les membres du
groupe socialiste et apparentés, relative à la responsabilité des dommages liés
à l'exploitation minière ;
- la proposition de loi (n° 247, 1997-1998) de MM. Jean-Paul Delevoye,
Philippe Nachbar, Jacques Baudot, Jean Bernadaux, André Diligent, Daniel
Eckenspieller, Alfred Foy, Hubert Haenel, Rémi Herment, Claude Huriet, Roger
Husson, Jacques Legendre, Jean-Louis Lorrain, Jean-Marie Rausch, Michel Rufin,
Maurice Schumann
et Alex Türk, relative à la responsabilité en matière
de dommages consécutifs à l'exploitation minière ;
- la proposition de loi (n° 248, 1997-1998) de MM. Jean-Paul Delevoye,
Philippe Nachbar, Jacques Baudot, Jean Bernadaux, André Diligent, Daniel
Eckenspieller, Alfred Foy, Hubert Haenel, Rémi Herment, Claude Huriet, Roger
Husson, Jacques Legendre, Jean-Louis Lorrain, Jean-Marie Rausch, Michel Rufin,
Maurice Schumann
et Alex Türk, relative à la prévention des risques
miniers après la fin de l'exploitation.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Marie Rausch,
rapporteur de la commission des affaires économiques et du Plan.
Monsieur
le président, monsieur le secrétaire d'Etat à l'industrie, mes chers collègues,
l'histoire minière de notre pays explique que ses ingénieurs et ses juristes se
soient, jusqu'à une période relativement récente, plus intéressés aux
conditions de l'exploitation des mines qu'aux risques consécutifs à leur
abandon.
La fermeture programmée de la plupart d'entre elles a changé la donne. Le
législateur a, en 1994, modifié le code minier afin qu'il en soit tenu compte à
l'avenir. Les affaissements miniers qui ont touché les communes d'Auboué et de
Moutiers, en Lorraine, en 1996 et 1997, ont cependant mis en lumière la
nécessité de trouver une solution satisfaisante, d'une part, en matière de
responsabilité de l'exploitant - et cela quelle que soit la date des contrats
de mutation conclus pour la vente de son parc immobilier - d'autre part, dans
le domaine de la prévention des risques miniers après la fin de
l'exploitation.
La crainte de la population et des élus des régions concernées de connaître le
même type de désastre a incité de nombreux sénateurs de l'est et du nord de la
France, qui appartiennent tant à la majorité qu'à l'opposition sénatoriale, à
déposer des propositions de loi tendant à apporter des solutions de nature à
rassurer nos concitoyens sur ces deux points.
Certes, le Gouvernement avait déclaré qu'il proposerait rapidement des mesures
en la matière.
Monsieur le secrétaire d'Etat, vous aviez d'ailleurs annoncé, à l'occasion
d'une communication du 28 janvier 1998, votre souhait d'étudier et de mettre en
place un mécanisme d'indemnisation ainsi que d'élaborer un projet de loi
réformant le code minier afin de mieux prendre en compte les conséquences de la
gestion de la fermeture d'une mine.
Or, que constate-t-on ? Ce n'est qu'un an plus tard, presque jour pour jour,
que le Gouvernement a déposé un texte à l'Assemblée nationale pour réformer le
code minier.
Il est vraisemblable que l'adoption, par la commission des affaires
économiques, des propositions de loi, le 17 juin dernier, puis la décision des
groupes politiques de la majorité sénatoriale d'inscrire - à l'initiative de la
commission des affaires économiques - ces propositions lors d'une séance
réservée à l'ordre du jour du Sénat par le troisième alinéa de l'article 48 de
la Constitution n'auront pas été sans influence sur cette décision !
L'honneur est sauf et l'effet d'annonce ménagé, mais qu'en est-il du résultat
escompté ?
Eu égard à l'ordre du jour très chargé de cette session parlementaire, il y a
fort à parier que le Gouvernement n'envisage pas d'inscrire ce texte avant, au
mieux, la fin de l'année 1999 ou, plus probablement, l'an 2000.
Pendant ce temps, après les communes d'Auboué et de Moutiers, ce sont celles
de Montois-la-Montagne et de Moyeuvre-Grande qui sont, en ce moment même,
touchées par des effondrements de terrain, suscitant l'inquiétude de la
population et des élus.
Ces victimes, monsieur le secrétaire d'Etat, ont du mal à comprendre qu'il
faille un an au Gouvernement pour préparer un projet de loi, alors que les
propositions de loi sénatoriales ont d'ores et déjà été adoptées par la
commission des affaires économiques.
Je me félicite de voir la Haute Assemblée se saisir de ce problème. Il faut
apporter une solution satisfaisante aux populations et aux élus des régions
minières qui ont sombré dans la crainte de connaître de nouveaux désastres.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je
vous rappelle que le 17 juin 1998, la commission des affaires économiques du
Sénat a adopté les dispositifs contenus dans les propositions de loi soumises à
son examen, qui portent à la fois sur la responsabilité en matière de dommages
consécutifs à l'exploitation minière et sur la prévention des risques miniers
après la fin de l'exploitation.
Le déclin de l'activité minière en France métropolitaine entraîne la fermeture
de nombreuses mines. Cette fermeture soulève des difficultés techniques et
environnementales majeures. Elle pose également des problèmes juridiques
d'importance.
En effet, les conséquences de l'activité minière ne s'arrêtent pas au jour de
la renonciation par l'exploitant à sa concession. S'impose alors la nécessité
de régler le problème d'éventuelles nuisances postérieures à la fin de
l'exploitation, auquel le droit en vigueur n'apporte que des réponses
imparfaites.
On le sait, pour des raisons qui sont à la fois économiques et liées à l'état
des ressources naturelles de notre sous-sol, l'exploitation en France de
certaines substances minières est vouée à disparaître dans les années à venir,
ce qui pose notamment le problème des affaissements miniers.
Deux régions concentrent l'essentiel des bassins miniers : l'est et le nord de
la France.
L'arrêt de l'exploitation dans les bassins miniers a certaines implications en
termes de surveillance et de prévention des risques ; la question de la gestion
des eaux et celle des affaissements de terrains à l'aplomb de certaines
anciennes mines souterraines doivent en particulier être réglées.
Les propositions de loi qui font l'objet de cette discussion concernent ce
second point. Il s'agit d'un problème bien réel dans la mesure où, avec la
fermeture des bassins, c'est la capacité d'intervention opérationnelle de
l'exploitant qui a également vocation à disparaître.
Le risque d'affaissement, de même que les problèmes de dédommagement qui y
sont liés, dépend, certes, du type d'exploitation, mais il apparaît de plus en
plus aigu. Il est d'ailleurs perçu comme tel par la population concernée.
Dans les zones d'extraction du charbon, les affaissements sont progressifs et
homogènes. Ils se stabilisent rapidement après achèvement de l'exploitation :
l'essentiel des mouvement - 90 % - se produit pendant la première année et il
n'est plus observé d'affaissements significatifs au-delà de dix-huit mois.
Les désordres engendrés par les anciennes exploitations des mines de fer en
Lorraine sont tout à fait différents.
Après quelques années, en raison de leur dimension insuffisante ou sous
l'effet du veillissement - aggravé par la remontée des eaux dans les travaux -
les piliers peuvent se fragiliser et se disloquer. Le poids des terrains
sus-jacents se réparti sur les piliers avoisinants, ce qui peut conduire à un
phénomène de destruction de piliers en cascade. Comme cette exploitation est
très proche de la surface - cent à deux cents mètres - l'affaissement se
répercute brutalement à la surface, mais à un moment qu'il paraît impossible de
préciser.
La perception du risque s'est trouvée naturellement amplifiée par les
incidents d'Auboué et de Moutiers.
Le 15 octobre 1996, à Auboué, une petite commune située à une dizaine de
kilomètres au nord-est de Metz, les murs de plusieurs maisons se lézardent, des
chaussées se déforment, s'affaissent par endroits sur une hauteur d'un à deux
mètres, des canalisations d'eau et de gaz se rompent. Le 18 novembre, des
dégâts similaires ont lieu. Six mois plus tard, le 15 mai 1997, c'est au tour
des habitants de Moutiers, une commune voisine, de voir des fissures apparaître
sur les murs de leurs maisons. Cent quatre-vingt-dix logements ont ainsi été
touchés. Plus récemment encore, ce sont les communes de Montois-la-Montagne et
de Moyeuvre-Grande qui ont souffert.
Voilà vingt ans que de tels incidents ne s'étaient pas produits dans la
région.
Tant que les mines étaient exploitées, les habitants avaient conscience d'un
risque qui s'inscrivait parmi les aléas inéluctables résultant d'une activité à
laquelle ils avaient bien souvent participé. Présents, les exploitants
assuraient et prenaient en charge plus facilement le risque lié au comportement
du sol.
Avec la disparition des sociétés minières du paysage économique de la région
et l'évolution de la population, la mémoire du risque s'est progressivement
estompée.
L'inquiétude s'est trouvée amplifiée par le fait que l'indemnisation des
populations touchées s'est heurtée à des problèmes juridiques et a nécessité un
effort de solidarité nationale.
En outre, ces incidents ont accru la conscience de ce que la gestion des
risques de l'« après-mine » avait sans doute été quelque peu négligée au moment
où l'activité minière battait son plein.
Ce n'est qu'après ces événements que des structures
ad hoc
ont été
mises en place dans le Nord - Pas-de-Calais et en Lorraine : conférence
permanente et conseil scientifique.
Enfin, ces phénomènes ont contribué à mettre en lumière l'insuffisance des
moyens de prévention des risques miniers à la fin de l'exploitation.
La validité du principe de la responsabilité de l'exploitant à raison des
dégâts que ses travaux souterrains peuvent entraîner à la surface ne fait aucun
doute.
Cependant, les exploitants ont pu se libérer de cette responsabilité en
incluant des clauses d'exonération dans les contrats de vente concernant leur
patrimoine immobilier.
Dans les cas d'Auboué et de Moutiers, l'ampleur des dégâts était telle qu'il a
dû être fait appel, en outre, à la solidarité nationale. Mais on peut
s'interroger sur le point de savoir s'il est souhaitable de généraliser ce type
de solution.
Le code minier, dans son article 75-1, dispose que l'exploitant minier
encourt, de plein droit, une responsabilité délictuelle pour les dommages
résultant de son activité. Compte tenu de cette disposition particulière, le
code des assurances ne s'applique pas aux affaissements miniers et les
sinistres liés à un affaissement minier ne sont pas garantis par les compagnies
d'assurance.
Les dommages immobiliers subis du fait d'une exploitation minière doivent, par
conséquent, être indemnisés selon le régime de réparation relevant des règles
communes aux responsabilités délictuelles fixées par les articles 1382 à 1386
du code civil.
Cependant, l'application des règles ordinaires de responsabilité, sur la base
de l'article 1382 du code civil, aurait conduit à des résultats inéquitables
pour le propriétaire du sol, qui n'aurait pu obtenir réparation qu'en prouvant
une faute à la charge de l'exploitant, preuve pratiquement impossible à
rapporter puisque, dans la plupart des cas, l'exploitant ne commet aucune
faute, les affaissements apparaissant comme la conséquence inéluctable de
l'exploitation du sous-sol.
Aussi, dès 1842, la jurisprudence a-t-elle posé le principe selon lequel le
seul fait du dommage entraînerait pour l'exploitant l'obligation de réparer. Ce
principe a été consacré sans interruption, quelle qu'ait été la base juridique
invoquée.
La jurisprudence, en son état actuel, se fonde sur la responsabilité générale
du fait des choses inanimées, fixée par l'article 1384 du code civil.
L'exploitant est donc responsable des dommages causés par la mine alors même
qu'aucune faute n'a été prouvée contre lui, et il ne peut s'en exonérer qu'en
prouvant la force majeure, la faute de la victime ou d'un tiers. Il s'agit
d'une responsabilité objective.
Cependant, dans le but de dégager leur responsabilité, les compagnies minières
ont inséré dans les actes de vente de leur ancien patrimoine immobilier une
clause les exonérant des conséquences de leur exploitation, appelée « clause
minière ». Il est vrai que le prix de vente des biens en tenait généralement
compte.
La Cour de cassation, par un arrêt du 4 novembre 1987, a considéré qu'une
telle clause d'exonération était valable dès lors qu'elle n'était pas insérée
de mauvaise foi par la compagnie minière dans les actes de vente.
Selon la Cour de cassation, la mauvaise foi n'est établie que si le
concessionnaire minier connaissait, au moment de la vente, le caractère
inéluctable des effondrements futurs. Elle ne résulte pas de la simple
connaissance du risque de mouvements du sol inhérents à toute activité
minière.
D'après cette jurisprudence, les personnes confrontées aux conséquences
d'affaissements ne peuvent être indemnisées par la voie judiciaire.
Prenant en compte ce problème, le législateur a prévu, dans l'article 17 de la
loi n° 94-588 du 15 juillet 1994 modifiant certaines dispositions du code
minier et l'article L. 711-12 du code du travail, qu'une telle clause serait
frappée de nullité d'ordre public dès lors qu'elle figurerait dans un contrat
de mutation immobilière conclu avec une collectivité locale ou avec une
personne physique non professionnelle. Cette disposition ne vaut cependant que
pour l'avenir, c'est-à-dire pour les actes de vente postérieurs au 15 juillet
1994.
Eu égard à la situation brutale et dramatique qu'ont dû affronter les
habitants de ces deux communes à la fin de 1996 et en 1997, une solution
spécifique a été retenue pour permettre leur indemnisation. Ainsi, des accords
amiables ont été signés entre l'Etat, les mines, la compagnie d'assurances de
ces dernières, à savoir l'UAP, et les sinistrés, s'agissant à la fois des biens
immobiliers dont la vente avait fait l'objet d'une clause minière et de ceux
qui en étaient exempts.
D'après les informations qui m'ont été fournies, l'indemnisation des
particuliers et des communes porterait sur une somme totale d'environ 200
millions de francs. Les protocoles, fondés sur le droit commun, ont retenu la
même base d'indemnisation pour l'ensemble des sinistrés, qu'ils aient ou non
signé des contrats assortis d'une clause minière. Dans les cas où les maisons
devaient être démolies, la méthode d'évaluation de la valeur du bâtiment
retenue a permis une indemnisation assez généreuse.
Faut-il tendre à généraliser ce type de protocoles, comme semblerait
l'envisager le Gouvernement ? Telle n'est pas la solution préconisée par les
auteurs des propositions de loi soumises à l'examen de la Haute Assemblée.
En effet, ces dernières portent sur deux sujets qui, bien que distincts, n'en
sont pas moins liés, à savoir la responsabilité en matière de dommages
consécutifs à l'activité minière, que visent les propositions n° 220 de M.
Jean-Luc Bécart et plusieurs de ses collègues, n° 298 rectifié de M. Claude
Huriet et plusieurs de ses collègues, n° 235 rectifié de Mme Gisèle Printz et
plusieurs de ses collègues et n° 247, dont les premiers signataires sont MM.
Jean-Paul Delevoye et Philippe Nachbar, et la prévention des risques miniers
après la fin de l'exploitation, qui fait l'objet des propositions de loi n° 229
de Mme Gisèle Printz et plusieurs de ses collègues et n° 248 de MM. Jean-Paul
Delevoye, Philippe Nachbar et plusieurs de leurs collègues.
Les quatre premières propositions de loi visent d'une part à annuler
rétroactivement les clauses des contrats de mutation immobilière exonérant
l'exploitant de la responsabilité des dommages liés à son activité minière, et
d'autre part à prévoir l'indemnisation intégrale des dommages immobiliers
consécutifs à l'exploitation.
Les deux dernières propositions de loi tendent quant à elles à créer une
agence de prévention et de surveillance des risques miniers chargée de
recueillir les données techniques permettant d'intervenir en cas de survenance
d'un risque minier et de préparer les mesures de prévention et les plans de
protection nécessaires en cas de sinistre. Par ailleurs, elles imposent à
l'exploitant d'établir un bilan à propos des risques d'affaissement des
terrains de surface. Enfin, elles prévoient la possibilité de réactiver, si
nécessaire, le régime de la police des mines pendant une période de cinquante
ans après l'expiration du titre minier.
Les différentes propositions de loi portant sur les deux sujets exposés
ci-dessus étant extrêmement proches, la commission des affaires économiques a
décidé d'adopter les deux plus récentes, c'est-à-dire les propositions de loi
n°s 247 et 248 présentées par MM. Jean-Paul Delevoye, Philippe Nachbar et
plusieurs de leurs collègues.
Cependant, aucune des propositions de loi évoquées n'ayant pris en compte les
problèmes spécifiques auxquels sont confrontés les commerçants, les artisans et
les professions libérales en cas d'affaissement minier, la commission a adopté
un article tendant à appliquer à ceux-ci les règles d'indemnisation prévues en
cas d'expropriation.
Tel est le dispositif que je vous propose de voter aujourd'hui, mes chers
collègues. Il me semble de nature à résoudre partiellement les problèmes posés
par les risques résultant de l'abandon de l'exploitation minière. Je crois que
les mesures que nous adopterons répondront aux légitimes préoccupations des
populations et des élus des régions minières. Elles démontrent la ferme volonté
du Sénat de se donner les moyens de faire face à l'urgence.
Cela étant, le Gouvernement a déposé un certain nombre d'amendements sur les
conclusions de la commission. A quelques exceptions près, nous ne pouvons y
souscrire, puisqu'ils reprennent, en réalité, l'essentiel, sinon l'intégralité,
du texte déposé à l'Assemblée nationale. Or ce projet de loi, et par conséquent
les amendements du Gouvernement, sont beaucoup moins favorables que le texte du
Sénat en matière d'indemnisation.
Je ne méconnais pas le risque de voir le Gouvernement invoquer l'article 40 de
la Constitution à l'encontre de notre dispositif. Ce faisant, il assumerait une
lourde responsabilité, puisqu'il prolongerait encore un peu plus l'attente des
victimes d'affaissements miniers, qui ont fait publiquement connaître leur
accord avec les propositions sénatoriales.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Pierret,
secrétaire d'Etat à l'industrie.
Monsieur le président, mesdames,
messieurs les sénateurs, permettez-moi d'abord de saluer très sincèrement
l'initiative que vous avez prise d'inscrire à l'ordre du jour des travaux du
Sénat l'examen de propositions de loi relatives au traitement des questions
liées à la cessation de l'exploitation minière.
Ce problème impose en effet que l'on prenne des mesures législatives urgentes
pour corriger et compléter le dispositif juridique prévu par le code minier,
qui n'avait pas correctement pris en compte toutes les conséquences entraînées
par la fermeture des mines.
Je suis d'accord avec vous pour dire qu'il existe trois points clés, à savoir
la reconnaissance de l'existence des séquelles minières après la cessation de
l'exploitation, l'affirmation et la définition claire de la responsabilité de
l'ancien exploitant et l'indemnisation des victimes.
Notre code minier avait été rédigé en vue d'accompagner l'essor de
l'exploitation des mines et d'en définir les conditions. Cela était naturel,
car l'exploitation minière était, à l'époque, l'un des principaux piliers de
notre développement industriel et économique.
Aujourd'hui, la situation est naturellement tout autre : les grands bassins
miniers ont été fermés ou sont voués à l'être, qu'il s'agisse de l'exploitation
du charbon, du fer ou de la potasse, pour ne citer que quelques-unes de nos
ressources minérales. Cette fermeture pose des problèmes humains, techniques et
juridiques qui n'ont pas reçu de réponse satisfaisante à ce jour.
Chacun des groupes de la Haute Assemblée les a parfaitement analysés et a
révélé leur caractère d'urgence en déposant des propositions de loi. Nous
devons en effet définir le cadre technique, juridique et administratif dans
lequel seront assumées, après la fin de l'exploitation, pour des périodes qui
peuvent être très longues et même n'avoir pas de terme prévisible, les
responsabilités suivantes : la surveillance et la prévention des risques, en
particulier des risques d'affaissements miniers, la gestion des eaux après la
fin de l'exploitation et, enfin, le très lancinant problème du dédommagement
des dégâts causés par les séquelles minières.
Mesdames, messieurs les sénateurs, l'urgence est grande et c'est donc
aujourd'hui que doit être organisé l'« après-mine ». En effet, les accidents
qui se sont récemment produits - à Auboué, à Moutiers, plus récemment encore à
Moyeuvre-Grande - ont révélé de manière dramatique les insuffisances du
dispositif actuel.
La détresse et le désarroi des sinistrés, auxquels j'ai été confronté lors de
ma prise de fonctions au secrétariat d'Etat à l'industrie, ont renforcé ma
conviction que l'indemnisation des victimes devait, dans tous les cas, être
assurée. Ce principe doit être inscrit dans notre droit, et c'est une
obligation de solidarité à laquelle j'ai décidé de faire face dès le mois de
juillet 1997 en mobilisant des crédits importants, alors que rien n'avait été
fait dans le passé. Par ailleurs, pour ne prendre qu'un exemple, celui
d'Auboué, chacun sait quels étaient le prix d'achat des immeubles, d'une part,
et le montant de l'indemnisation moyenne obtenue par leurs propriétaires,
d'autre part.
C'est donc avec beaucoup de satisfaction que j'ai vu les parlementaires
travailler sur ce sujet de manière très approfondie. Parallèlement, et dès ma
prise de fonctions, j'ai demandé à mon administration de se pencher sur cette
question, ce qu'elle a fait avec beaucoup de sérieux. Ainsi, j'ai confié à M.
Dominique Petit, ingénieur général des mines, le soin de procéder à une analyse
détaillée de la situation. Me fondant sur les conclusions qu'il m'a remises je
réponds ici au souci exprimé par M. le rapporteur - j'ai présenté avec
diligence une première communication en conseil des ministres voilà exactement
un an, le 28 janvier 1998.
Les directions de mon ministère ont ensuite rédigé un projet de loi qui a été
examiné, comme il est normal en la matière, par le conseil général des mines,
avant de faire l'objet de discussions interministérielles. Cela prend en effet
du temps, monsieur le rapporteur, mais je suis conscient de la nécessité de
traiter rapidement la situation. Le Conseil d'Etat a enfin examiné le pojet de
loi visant à modifier le code minier voilà quelques semaines, et le conseil des
ministres l'a finalement adopté sans retard, le 20 janvier dernier.
Je sais que ces délais peuvent paraître longs, hélas, à ceux qui sont
confrontés sur le terrain à des difficultés humaines et sociales, et je
comprends leur impatience. Soyez cependant assurés, mesdames, messieurs les
sénateurs, que ce temps aura été bien utilisé, et que, sur un sujet aussi
complexe que le droit minier, il n'était pas possible de se dispenser des
différentes étapes de la validation de nos travaux et de l'élaboration de notre
texte.
Le projet de loi ayant été adopté en conseil des ministres, le moment me
paraît particulièrement bien choisi pour débattre ici des conséquences de la
cessation de l'exploitation minière. Une fois encore, je veux publiquement
remercier le Sénat de son travail et de ses initiatives. J'ai étudié avec
beaucoup de soin et d'intérêt vos propositions de loi, mesdames, messieurs les
sénateurs, ainsi que le rapport de la commission des affaires économiques et du
Plan. J'approuve vos initiatives, et j'affirme avec force que je fais miennes,
pour l'essentiel, vos analyses.
Toutefois, je ne pourrai accepter, dans leur rédaction actuelle - ces termes
ont leur importance - un certain nombre de vos propositions. En effet, elles
remettraient en cause, si elles étaient adoptées en l'état, certains principes
de notre droit, et elles seraient source d'insécurité juridique, y compris,
paradoxalement, pour les sinistrés. Ce n'est pas, j'en suis certain, ce que
recherche le Sénat.
Dans le cas, que je crois d'ailleurs improbable, où nous ne parviendrions pas
à élaborer une rédaction équilibrée traduisant l'accord sur le fond qui existe
entre nous, je serais même conduit, lors de l'examen de certaines des
dispositions qui créent des charges financières nouvelles pour l'Etat, à
invoquer l'article 40 de la Constitution, non que je tienne à porter ainsi la
responsabilité du rejet de telle ou telle mesure, mais parce qu'il est de notre
responsabilité - et c'est aussi pour nous tous un motif de fierté - de veiller
à la constitutionnalité du texte qui résultera de nos travaux communs.
Toutefois, partageant avec vous la conviction qu'il y a urgence à légiférer,
j'ai à coeur d'aborder ce débat de manière constructive, en tentant d'apporter
des solutions concrètes, en particulier aux sinistrés. Aussi, je vous
proposerai un certain nombre d'amendements qui, s'ils trouvaient votre soutien,
puis celui de l'Assemblée nationale, permettraient d'aboutir rapidement à la
promulgation d'une loi définitive ; c'est, je pense, notre objectif commun.
Cette loi permettrait à tous nos concitoyens, souvent aux plus démunis d'entre
eux, de bénéficier d'un système d'indemnisation rapide, et vous savez - le
nombre de personnes présentes dans les tribunes en témoigne certainement -
combien l'urgence est grande, notamment à Moyeuvre-Grande.
Le dispositif que le Gouvernement propose et que je vous exposerai en détail
lors de la discussion des articles répond aux préoccupations que vous avez
soulevées. Je les résume brièvement.
Il s'agit, d'abord, naturellement, de la garantie d'une indemnisation de
l'ensemble des victimes touchées par un affaissement minier, y compris - et là
est l'innovation essentielle - pour celles qui sont liées par la clause minière
d'exonération de responsabilité de l'ancien exploitant.
Il s'agit, ensuite, de la définition d'une nouvelle procédure de fermeture des
mines, qui renforce les contraintes pesant sur l'exploitant, qui reconnaît et
qui traite la réalité des séquelles minières.
Il s'agit, enfin, de l'instauration d'un dispositif de surveillance des
risques résiduels de l'activité minière par l'Etat.
Je peux vous assurer, ici, que c'est dans un souci de sécurité et de sérieux
juridiques que le Gouvernement est amené à amender la rédaction de votre
proposition de loi. En effet, l'impact juridique de certaines des formules que
vous avez employées dans votre texte est, selon moi, de nature à remettre en
cause une part déterminante de la jurisprudence civile sur l'indemnisation.
Cela ne saurait être acceptable pour les juristes de qualité que vous êtes,
mesdames, messieurs les sénateurs.
De même, l'annulation rétroactive des clauses minières constituerait une
annulation
a posteriori
d'une clause essentielle d'un contrat. Nous ne
pouvons nous engager dans cette voie. Pis encore, elle serait de nature à
engager la responsabilité de l'Etat du fait des lois. Elle pourrait donner lieu
à des recours des exploitants miniers demandant au juge l'annulation des ventes
immobilières déjà réalisées.
Prenons garde de ne pas conduire un certain nombre de propriétaires dans une
impasse juridique, terrible sur le plan du contentieux, que de telles
dispositions feraient naître. Au lieu d'aider nos concitoyens, comme nous en
avons tous le souci ici aujourd'hui, nous les confronterions à une nouvelle
détresse. Je crois sincèrement que nous aurions tort de nous priver des
conseils et des recommandations du Conseil d'Etat à cet égard.
Le dispositif que le Gouvernement vous propose est, de plus, immédiatement
opérationnel. Nous avons le même souci, me semble-t-il, d'être rapidement
opérationnels vis-à-vis de ces personnes, de ces familles, de ces communes,
qui, ne l'oublions pas, sont parmi les plus pauvres de France. J'ai mené des
discussions approfondies avec tous les intervenants et en particulier avec les
compagnies d'assurances. Je puis vous assurer que, dès son adoption, le texte
sera complété par une convention avec les assureurs pour obtenir une
indemnisation rapide et professionnelle. Il présente le très grand avantage de
répondre rapidement à l'urgence qui s'impose à nous tous, et de manière très
innovante.
Cette proposition s'inspire du caractère consensuel de la démarche qui est la
vôtre. Au-delà d'appréciations politiques qui peuvent être différentes, vous
avez su vous réunir dans l'intérêt des populations concernées pour élaborer un
texte regroupant les propositions de loi déposées par tous les groupes de votre
assemblée.
Sans votre travail, sans votre initiative d'inscrire ce texte à l'ordre du
jour de la présente séance, nous n'aurions pas l'opportunité parlementaire
d'apporter une réponse concrète et rapide à de graves problèmes humains.
Je veux, à mon tour, au nom du Gouvernement, me joindre à votre démarche, en
cohérence avec les orientations du projet de loi dont je viens de vous décrire
les termes essentiels, et vous indiquer que les amendements que je vous propose
visent à conforter cet esprit de consensus.
Vous avez su oublier vos préférences partisanes. Pour ma part, je suis prêt à
abandonner la prééminence du projet de loi pour amender, dans un esprit
positif, votre proposition de loi. En effet, ni vous ni moi ne cherchons la
moindre vanité d'auteur ou un quelconque avantage politique. Nous voulons
seulement servir. Nous souhaitons résoudre un problème juridique complexe.
Notre objectif est de préserver les populations, les villages, les communes,
les habitants, les propriétaires, les locataires des conséquences humaines
parfois déchirantes qui découlent des affaissements miniers. Nous visons à
remplir notre rôle social et humain. Les personnes concernées par les séquelles
de l'activité minière sont souvent d'origine très modeste. Elles ne
comprendraient pas que, collectivement, nous ne soyons pas capables de
progresser aujourd'hui. Nous avons la possibilité, à la fin de cette matinée,
de parvenir à un bon texte. Ne décevons pas celles et ceux qui l'attendent
depuis si longtemps.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 31 minutes ;
Groupe socialiste, 26 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 17 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 9 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe,
7 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Nachbar.
M. Philippe Nachbar.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
derrière l'abstraction du droit se profile la réalité des situations humaines
et, reprenant ce que M. le rapporteur et vous-même, monsieur le secrétaire
d'Etat, avez souligné tout à l'heure, je tiens à dire combien l'initiative
prise par la Haute Assemblée était attendue tant par la population que par les
élus des communes concernées. Derrière la technicité des textes, se profile le
drame de ces régions qui, des décennies durant, ont toujours vécu autour de
leur mine et qui, aujourd'hui, après avoir perdu ce qui faisait leur richesse,
sont confrontées aux lourdes conséquences résultant de l'arrêt de l'activité
minière.
Octobre 1996, cent cinquante familles sinistrées à Auboué ; mai 1997, cent
familles sinistrées à Moutiers ; janvier 1999, quarante-trois familles
sinistrées à Moyeuvre-Grande. La plupart de ces familles ont dû évacuer en
quelques jours, sinon en quelques heures - je pense à Auboué - la maison où
elles avaient espéré accomplir leur vie.
A l'angoisse des habitants s'ajoute celle des élus de ces communes, qui
doivent faire face quotidiennement au drame vécu par leurs administrés. Il
convient ici, au Sénat - nous savons la place qu'il attache au rôle joué par
les collectivités locales au sein de la société française - de rendre hommage à
ces élus qui n'ont ménagé ni leur peine ni leur temps pour le service de leurs
concitoyens et qui voient de plus en plus compromis sinon anéantis les projets
de développement qu'ils avaient formés pour leur collectivité respective.
Cette inquiétude est d'autant plus grande qu'il ne s'agit pas d'incidents
isolés comme ceux que nous avons vécus pendant un certain nombre d'années alors
que les mines étaient en activité. En effet, les événements d'Auboué et de
Moutiers se sont reproduits ailleurs. Ils sont, à l'évidence, les signes
précurseurs d'événements aussi graves, sinon plus, l'urbanisation de certaines
des villes situées en zone de risque majeur s'étant faite autour d'immeubles de
plusieurs étages, et pas seulement de quartiers constitués de maisons
individuelles.
Pour le seul département de Meurthe-et-Moselle, ce sont près de
quatre-vingt-dix communes qui sont situées, à des degrés divers, en zone à
risque. C'est dire la gravité du problème auquel nous sommes confrontés et
auquel le Sénat tente aujourd'hui d'apporter un début de réponse.
Le déclin de l'activité minière en France, sa disparition, totale pour le
bassin ferrifère ou programmée à court terme pour le charbon, posent d'immenses
problèmes qui ne trouvent pas de solutions satisfaisantes dans le droit
positif.
Les conséquences de l'activité minière ne s'arrêtent pas en effet le jour où
l'exploitant abandonne sa concession. C'est au contraire à partir de là que
commencent les difficultés, ces mêmes difficultés que l'activité réglait
auparavant au fur et à mesure de son déroulement.
Ces difficultés sont l'ennoyage des galeries et la constitution d'immenses
réserves d'eau dont les mouvements erratiques provoquent des phénomènes
difficiles à mesurer, ainsi que l'effondrement du sous-sol, selon des processus
qui varient en fonction du mode d'exploitation et dont la prévision est, à ce
jour, quasiment impossible.
Il en résulte deux conséquences.
Première conséquence : le droit actuel, qu'il s'agisse du code minier ou du
droit commun, n'est pas adapté à cette situation et ne permet pas d'assurer
l'indemnisation des sinistrés dans des conditions satisfaisantes.
A Auboué et à Moutiers, la solidarité nationale a joué. Je tiens, sachant le
rôle qui a été le vôtre, monsieur le secrétaire d'Etat, à vous en donner acte
ici même.
M. Christian Pierret,
secrétaire d'Etat.
Je vous remercie.
M. Philippe Nachbar.
Mais il sera impossible, à vous-même ou à vos éventuels successeurs, de
renouveler ce type de solution reposant à la fois sur la pression de l'Etat,
une intervention financière exceptionnelle et la contractualisation.
C'est à la loi qu'il appartient de fixer les règles devant permettre aux
sinistrés d'obtenir une réparation équitable du préjudice qu'ils ont subi.
C'est l'objet du premier de ces textes, que M. Jean-Paul Delevoye, les élus des
départements lorrains et moi-même avons déposé avec le soutien de la majorité
sénatoriale, puis le soutien unanime de la commission des affaires économiques.
Je tiens, une fois de plus, à remercier son rapporteur, mon collègue et voisin
Jean-Marie Rausch, qui a cosigné deux des textes.
Seconde conséquence : les moyens de prévention et de gestion des risques
miniers après la fin de l'exploitation sont, à l'évidence, insuffisants.
Les élus des communes concernées doivent pouvoir disposer à la fois d'une
parfaite information sur les risques encourus, parce qu'ils seront les premiers
à être confrontés au drame lorsqu'il se produira, et des moyens, en liaison
étroite avec les services de l'Etat, cela va sans dire, pour faire face aux
sinistres que leurs communes ne manqueront pas de connaître. C'est l'objet du
second texte que nous avons déposé et qui a été adopté par la commission des
affaires économiques.
Sur le premier point - la responsabilité en cas de dommage consécutif à
l'exploitation minière - une première avancée avait été réalisée par la loi du
15 juillet 1994, dont deux dispositions ont considérablement modifié la
situation juridique des sinistrés.
Tout d'abord, la clause d'exonération insérée dans la plupart des contrats par
le vendeur, en l'occurrence l'exploitant ou sa filiale immobilière, a été
frappée de nullité d'ordre public.
Ensuite, le principe de présomption de responsabilité de l'exploitant a été
posé. C'est ce qui a permis, à Auboué comme à Moutiers, de trouver une solution
satisfaisante. Il aurait été, à défaut, bien sûr impossible aux sinistrés
d'apporter eux-mêmes la preuve du dommage qu'ils avaient subi.
Sur ces deux points, il apparaît clairement aujourd'hui qu'il faut aller
au-delà de la réforme de 1994. Au passage, je remercie le ministre Gérard
Longuet qui l'avait imposée à la suite d'un rapport qu'il m'avait confié sur la
réforme du code minier.
La clause d'exonération ne s'applique évidemment qu'aux contrats de vente
passés après le 15 juillet 1994, ce qui, dès lors, crée une situation
d'inéquité - que le Sénat peut difficilement accepter - au détriment de ceux
qui ont acheté avant, et ils sont nombreux.
Par ailleurs, les modalités d'indemnisation des sinistrés, si l'on fait
application du droit commun, c'est-à-dire si on retient comme base
d'indemnisation la valeur vénale de l'immeuble, ne permet évidemment pas de se
reloger dans des conditions décentes. En effet, la notion de valeur vénale est
inadaptée au code minier, ce dernier étant lui-même une dérogation au droit
commun. Or, les sinistrés ont un droit impératif à retrouver les mêmes
conditions d'habitation qu'auparavant ; ils ne demandent ni plus ni moins.
C'est là un principe d'équité fondamental.
Bien sûr, rien n'effacera le traumatisme qu'ils ont subi. Je pense aux
familles évacuées en catastrophe, aux enfants coupés de leur milieu, de leur
école, de leurs amis. Je pense aussi aux personnes âgées, déracinées du
quartier où elles espéraient finir leur vie.
Les sinistrés ne demandent ni plus ni moins, je le répète, que la juste
compensation du préjudice qu'ils ont subi : ils doivent pouvoir se reloger dans
les mêmes conditions de confort qu'auparavant.
C'est la raison pour laquelle le texte adopté par la commission, sur le plan
de la réparation, prévoit tout d'abord l'annulation rétroactive des clauses
d'exonération de responsabilité. Nous savons que la rétroactivité n'est pas
habituelle, mais elle n'est contraire à la Constitution qu'en matière pénale,
ce qui se comprend aisément. La commission propose donc un dispositif
permettant d'assurer des conditions identiques d'indemnisation aux sinistrés,
que ces derniers aient ou non acquis leur immeuble avant le 15 juillet 1994.
Le texte proposé par la commission prévoit également - cette disposition est
d'ailleurs le socle du texte - une indemnisation des sinistrés devant leur
permettre d'acquérir, dans les mêmes conditions, un immeuble répondant aux
mêmes normes de confort que celui qu'ils possédaient auparavant, que ce soit
par la réhabilitation de l'immeuble sinistré, quand elle est possible - c'est
rare, mais cela peut arriver - par l'acquisition d'un autre immeuble ou par la
reconstruction à neuf d'une maison équivalente au même endroit.
Telles sont, sur le plan de l'indemnisation, mes chers collègues, les
dispositions adoptées par la commission.
S'y ajoute - et je remercie la commission des affaires économiques et du Plan
d'avoir introduit cette mesure dans le texte - une disposition accordant aux
professions commerciales, artisanales et libérales ayant subi un préjudice
direct - c'est de cela qu'il s'agit - le droit de l'expropriation.
S'agissant de la prévention et de la gestion du risque minier, il faut
garantir aux communes, elles-mêmes responsables de la sécurité de leurs
habitants, la possibilité d'être informées et de réagir en temps utile. La
mémoire du risque, dans nos bassins, s'est dissipée ; il faut malheureusement
la retrouver aujourd'hui et en faire une donnée permanente de la gestion
locale.
C'est pourquoi le second texte que nous avions déposé et que la commission a
fusionné avec les propositions de loi de nos collègues du groupe socialiste et
du groupe communiste républicain et citoyen prévoit trois dispositions
majeures.
Tout d'abord, il propose la mise en place d'une agence de prévention et de
surveillance des risques miniers qui aura un triple objet : conserver
l'ensemble de la documentation relative à l'exploitation, la mettre à la
disposition des collectivités et du public au nom de la transparence
indispensable dans ce domaine où nous touchons à la sécurité des hommes et des
femmes et, enfin, participer à la préparation des mesures de prévention.
L'intérêt d'un tel établissement est que tant les élus locaux que le Parlement
y seront associés.
Par ailleurs, le texte met deux obligations supplémentaires à la charge de
l'exploitant : la communication intégrale des données et archives, déjà prévue
par le code minier - mais ce qui s'est passé voilà quelques jours à
Moyeuvre-Grande nous confirme que ces dispositions sont insuffisantes - et
l'obligation d'établir un bilan des risques miniers dans les zones
d'exploitation où la concession prend fin.
Enfin, le texte prévoit de maintenir pendant cinquante ans le régime de police
des mines, c'est-à-dire, en termes clairs, de faire peser cette responsabilité
sur l'Etat et non pas sur les maires, dont il apparaît clairement qu'ils
n'auront ni les moyens matériels ni les moyens administratifs et juridiques d'y
faire face. A situation exceptionnelle, régime exceptionnel. Il serait
inéquitable de charger encore la barque des maires, si j'ose ainsi m'exprimer,
dans un domaine où ils ont dû affronter des situations tout à faire
exceptionnelles.
Telles sont, monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers
collègues, les principales dispositions adoptées par la commission des affaires
économiques sur le fondement des textes que nous avions déposés.
Depuis plusieurs dizaines d'années, les bassins miniers subissent un véritable
traumatisme, dont le bassin ferrifère lorrain est la première et la plus
ancienne illustration.
Au choc économique, qui s'est traduit par la perte de dizaines de milliers
d'emplois, a succédé la crise financière pour les communes, privées d'une
grande partie de leurs recettes fiscales et contraintes d'affronter les
problèmes de tous ordres liés à la fin de l'activité minière. Elles ont su
réagir. Les élus ont fait face à l'adversité et ont engagé d'ambitieux projets
d'aménagements et de développement économique.
Tout, aujourd'hui, est remis en cause par les effondrements miniers. Chaque
maire concerné se demande légitimement qui viendra habiter la commune et y
investir.
Le texte adopté par la commission des affaires économiques tente d'apporter à
ce lancinant problème un début de réponse qui repose sur deux principes :
l'équité et la solidarité.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. Bécart.
M. Jean-Luc Bécart.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
nous avons aujourd'hui à nous prononcer sur les conclusions de la commission
des affaires économiques sur les six propositions de loi relatives à la
prévention et à l'indemnisation des risques miniers.
Le groupe communiste républicain et citoyen se réjouit de l'engagement de tous
les groupes politiques de notre assemblée sur cette question qui touche à la
sécurité publique. Il a eu l'honneur de déposer la première de ces six
propositions de loi en janvier 1997, pour tendre à frapper rétroactivement de
nullité d'ordre public toute clause exonérant les exploitants miniers de leur
responsabilité.
Les affaissements miniers ne constituent pas un problème nouveau. Lors des
deux précédentes révisions du code minier, nous avions déjà eu à débattre de
ces questions.
Les risques d'affaissement sont aujourd'hui aggravés par l'arrêt de
l'exploitation des mines dans les bassins miniers. L'abandon de la concession
minière conduit les exploitants à stopper notamment l'entretien des galeries et
le pompage des eaux.
L'ennoyage des sous-sols, qui n'est pas sans répercussion sur la pollution et
la distribution d'eau, est, de façon certaine, un facteur aggravant des risques
d'affaissement.
Les sinistres d'Auboué et de Moutiers ainsi que les toutes récentes mesures
prises à Moyeuvre-Grande nous rappellent, s'il en était encore besoin,
l'urgence d'une modification législative.
L'ampleur des dégâts et la gravité des risques n'est plus à démontrer. Des
centaines de communes sont menacées par ce phénomène.
A Auboué, en 1996, 10 % de la population communale a été concernée. Des
quartiers entiers ont été touchés. La quasi-totalité des maisons sinistrées est
vouée à la démolition. Les répercussions économiques sont importantes,
notamment pour les commerçants et pour les artisans.
Après avoir fait face à l'urgence et au traumatisme, y compris psychologique,
les populations d'Auboué et de Moutiers ont dû s'organiser afin d'obtenir une
indemnisation.
Les communes considérées comme étant à risque se sont réunies en collectif de
défense. Je tiens ici à souligner le rôle important de cette association qui,
dès le départ, a soutenu les familles sinistrées, les a assistées dans leurs
démarches.
Dans les sinistres miniers de Moutiers et d'Auboué, la responsabilité de
Lormines, la société minière, n'était pourtant pas à démontrer. Mais les
sociétés minières ont souvent inclus dans les contrats de mutation immobilière
des clauses les exonérant de toute responsabilité.
Les propriétaires sinistrés, qu'ils soient personne physique ou morale,
professionnelle ou non, de droit public ou de droit privé, se sont vu opposer
l'application de ces clauses, excluant, dès lors, toute indemnisation.
La loi du 15 juillet 1994, dans son article 17, avait pourtant prévu que la
nullité d'ordre public s'applique à de telles clauses. Mais n'ayant pas assorti
cette disposition du principe de rétroactivité, la loi est restée sans effet
pour la quasi-totalité des propriétaires, la plupart d'entre eux ayant acquis
leurs biens à la fermeture des mines, dans le milieu des années
quatre-vingt.
Toutes ces personnes n'ont, à la lecture stricte de la loi, aucun droit à être
indemnisées.
La mobilisation des populations et des élus et le soutien actif du secrétariat
d'Etat à l'industrie ont permis de trouver des solutions amiables
d'indemnisation avec l'UAP, compagnie d'assurance représentant la société
minière Lormines. De ce point de vue, les choses peuvent être considérées comme
réglées de façon satisfaisante pour les familles concernées, ce dont il faut se
féliciter. Mais ce n'est pas encore le cas pour les professionnels et pour les
biens communaux.
Malheureusement, on connaît les risques d'effondrements futurs et on sait que
les affaissements de Moutiers et d'Auboué ne sont pas et ne seront pas des cas
isolés. Dix-neuf secteurs présentent un risque élevé d'affaissement ! Ces
secteurs peuvent être demain des quartiers et des villes sinistrés. En témoigne
l'évacuation expresse, ces jours derniers, de dizaines de familles à
Moyeuvre-Grande.
Partant de ce constat, les préfets de Moselle et de Meurthe-et-Moselle ont
pris des mesures de restriction de l'usage des sols, sans compensation pour les
collectivités et les administrés concernés. Ces servitudes d'utilisation du sol
pénalisent fortement les collectivités locales, leur développement et
l'aménagement de leur territoire. Ainsi, à Joeuf, commune de 8 000 habitants
dont le territoire est totalement sous-miné et classé en zone à risque,
l'application de ces prescriptions aboutit à ne plus pouvoir renouveler le
tissu urbain existant.
A l'heure où nous débattons de projets importants relatifs à l'aménagement du
territoire et à l'organisation territoriale, ne faut-il pas chercher à
développer les expériences, nombreuses en France et dans le monde, visant à
limiter, voire à supprimer le risque ?
Le texte adopté par la commission traite à la fois de l'indemnisation, de la
prévention et de l'information, et nous l'approuvons pleinement.
La commission a repris les objectifs communs aux propositions de loi, tout en
proposant de rendre rétroactive la nullité d'ordre public frappant les clauses
d'exonération de responsabilité.
Les règles retenues par le protocole d'indemnisation signé entre les
sinistrés, l'Etat et l'UAP, assurance de Lormines, ont fait école, ce qui
garantit une égalité de traitement dans l'indemnisatoin des sinistrés.
Les entreprises pourront désormais, si ce texte est adopté, être indemnisées
du préjudice qu'elles ont subi, et ce sera une bonne chose.
En instaurant une agence chargée du suivi des risques miniers, le texte adopté
par la commission consacre également le droit à l'information des personnes
concernées et renforce les obligations de prévention des sociétés minières.
Nous souhaitons, en résumé, que ce texte, après son adoption par le Sénat,
soit inscrit rapidement à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale.
Néanmoins, nous avons voulu proposer quelques amendements de précision et
formuler le voeu que le Sénat accepte ces améliorations. Ces dernières portent
notamment sur la présence du ministre de l'environnement et de l'aménagement du
territoire, des organisations syndicales et de défense des sinistrés au sein du
futur conseil d'administration de l'agence chargée du suivi des risques, ainsi
que sur l'intégration dans la proposition de loi sénatoriale de l'article du
projet de loi tendant à ce que les servitudes d'utilisation du sol ouvrent
droit à indemnisation. L'adoption de ce dernier amendement pourrait être le
trait d'union entre les textes du Sénat et du Gouvernement.
Tout en espérant la prise en compte de nos propositions, mes amis et moi-même
voterons les conclusions de la commission des affaires économiques. Nous
suggérons que le Gouvernement, dans l'intérêt de nos compatriotes concernés
hier, aujourd'hui et demain par ce problème, renonce à contrecarrer certaines
avancées proposées par l'ensemble des groupes du Sénat, d'accord sur ce point,
ce qui n'est pas si fréquent.
M. le président.
La parole est à Mme Printz.
Mme Gisèle Printz.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la
fin de l'exploitation des mines de fer fut pour la Lorraine une grande
tragédie. A partir des années 1830-1850, après l'avènement du transport par
voie ferrée et la découverte de l'utilisation de la houille dans les fourneaux,
l'exploitation des mines a fait vivre la Lorraine pendant un siècle et demi.
L'habitat minier, avec ses raisons d'être et ses caractéristiques
particulières, les puits et les chevalements se dressant à vingt ou trente
mètres du sol ont donné à nos villes un décor surnaturel substitué à la nature
d'autrefois par les exigences de la société industrielle du xixe siècle.
Dans le bassin ferrifère, la production atteignait 62,7 millions de tonnes par
an dans les années soixante, l'âge d'or. A cette même époque, la production
mondiale de minerai était de l'ordre de 500 millions de tonnes par an ! Plus de
20 000 mineurs descendaient chaque jour dans les cinquante-six mines en
fonctionnement.
Malheureusement, la production a fortement décru dans les années soixante-dix
: après les Trente Glorieuses, les mines de fer ont progressivement fermé
jusqu'en 1997, parallèlement au déclin qu'a connu la sidérurgie lorraine. Au
total, le sous-sol lorrain a été creusé sur 60 000 kilomètres de galeries,
créant un vide relatif estimé à 400 000 millions de mètres cubes.
Après avoir dû faire face aux vagues de licenciements qui se sont succédé dans
les années soixante-dix et quatre-vingt, les élus et la population sont
aujourd'hui confrontés aux problèmes de l'après-mine et aux conséquences
dramatiques des travaux miniers centenaires dans un secteur industrialisé qui
paie déjà un tribut environnemental très lourd : pollution atmosphèrique,
pollution des eaux, pollution irrémédiable des sols...
Ainsi, les populations d'Auboué et de Moutiers, en 1996, ont subi le drame des
affaissements miniers. Si, techniquement, on parle « d'incidences minières en
surface susceptibles d'affecter de façon dommageable les structures implantées
en surface à leur aplomb... », c'est un véritable drame qu'ont vécu ceux que
l'on appelle désormais « les sinistrés ». Ces familles ont vu s'effriter et,
pour certaines, s'effondrer leur maison. Elles se sont ensuite retrouvées dans
une situation d'exode : il leur a fallu « faire la valise » et tirer un trait
sur vingt ou trente ans passés dans la cité à laquelle elles étaient attachées,
dans la maison qu'elles avaient refaite à neuf.
Il en est de même, actuellement, pour Moyeuvre-Grande, où le phénomène
désormais connu s'est manifesté au début du mois de novembre dernier : le sol
s'est affaissé progressivement, puis la terre est tombée d'un coup sec,
laissant un trou atteignant deux mètres de profondeur. Peu de temps après, ont
eu lieu les premières évacuations et, finalement, ce sont quarante-trois
familles qui ont dû, la mort dans l'âme, abandonner leur domicile.
Les témoignages des sinistrés que j'ai entendus ces derniers jours traduisent
à la fois l'amertume, le doute et l'inquiétude auxquels ils sont en proie : «
On a juste fini de payer notre maison. On pensait finir notre vie dans la
tranquillité ». « Je pense à mes parents et à ce qu'ils ont vécu en 1940. «
J'ai fait pour plus de 350 000 francs de travaux dans ma maison ; huit jours
après la fin du chantier, on me dit de partir, je suis écoeuré ». « Nous
voulons être assurés qu'on ne sera pas obligé de payer un double loyer ».
C'est pour répondre à ces personnes et dissiper leurs craintes que nous
discutons aujourd'hui. Le long combat livré par les sinistrés d'Auboué et de
Moutiers pour qu'un accord amiable d'indemnisation se concrétise nous a prouvé
les insuffisances de l'actuel code minier.
Par ailleurs, les galeries situées sous ces cités ne sont plus exploitées
depuis le début du siècle, et on peut penser que l'insuffisance des précautions
prises avant l'ennoyage, la durée de surveillance trop réduite et le défaut de
travaux effectués à l'époque par l'exploitant ont accéléré le processus
d'affaissement. Quoi qu'il en soit, les élus et la population des communes
minières vivent dans une certaine inquiétude.
Les risques ont été mis en évidence et chacun sait désormais qu'un tel
phénomène peut frapper à tout moment dans les zones situées en surface d'une
concession ou d'une ancienne concession minière. Les élus et la population du
bassin ferrifère pensent qu'il est urgent de légiférer rapidement et
efficacement sur l'après-mine.
Plusieurs propositions de loi avaient été déposées dans ce sens à l'Assemblée
nationale et nos collègues Jean-Paul Delevoye, Claude Huriet et Jean-Luc Bécart
avaient fait de même au Sénat. J'avais, quant à moi, déposé une proposition de
loi au début de l'année 1998. Le rapport de M. Jean-Marie Raush reprend ces
propositions. Or, entre-temps, le Gouvernement a marqué clairement sa volonté
de légiférer rapidement sur l'après-mine.
Dans le cadre du comité interministériel pour l'aménagement et le
développement du territoire, le CIADT, il a en effet décidé d'engager un
programme ambitieux de gestion de l'après-mine dans les bassins miniers et
sidérurgiques de Lorraine. Ce programme comporte un ensemble de mesures
d'urgence qui seront mises en place dès cette année et complétées dans les
prochains contrats de plan.
Parmi les cinq grands axes de ce projet, je retiendrai celui qui nous
intéresse toutes et tous aujourd'hui et qui tend au renforcement des
dispositions en matière de gestion des risques miniers et de
constructibilité.
Ainsi, afin d'améliorer la sécurité des populations, il a été décidé de créer
un plan national de recherche et de développement sur la sécurité des ouvrages
souterrains. Un service d'expertise et d'appui aux administrations fera appel
aux experts du bureau de recherches géologiques et minières, le BRGM, et de
l'Institut national de l'environnement industriel et des risques, l'INERIS. Par
ailleurs, le renforcement des réseaux de surveillance en matière de risques
miniers et de systèmes d'information géographique sera mis en place sur
l'ensemble du bassin. De plus, le CIADT a donné son accord à la rédaction d'une
directive territoriale d'aménagement, sur proposition du préfet, pour les
bassins miniers nord-lorrains, afin de renforcer les prescriptions en matière
de constructibilité, de prévention des risques et d'aménagement du territoire.
Celle-ci est en cours d'établissement.
D'autre part, la volonté du Gouvernement est apparue dans le cadre du projet
de loi que vous avez présenté, monsieur le secrétaire d'Etat, visant à réformer
un code minier qui, nous en sommes tous d'accord, présente certaines
insuffisances en termes techniques, juridiques et financiers.
Cette initiative mérite d'être soulignée, car c'est la première fois qu'un
gouvernement décide de légiférer dans ce sens. La réforme du code minier de
1994 était d'initiative parlementaire et demeure imprécise, notamment en ce qui
concerne le contenu du principe de réparation intégrale des dégâts causés.
Monsieur le secrétaire d'Etat, votre projet de loi présente des avancées très
intéressantes et novatrices quant à la dévolution de responsabilité de
l'exploitant après la fin de l'exploitation des sites miniers. Il est
responsable quant à l'expression de la solidarité de l'Etat à l'égard de
l'indemnisation des propriétaires de biens immobiliers qui avaient signé la «
clause minière » exonérant de sa responsabilité l'exploitant en cas de dommage
à la suite d'affaissements miniers.
Ainsi, désormais, l'Etat pourra assurer l'indemnisation de ces victimes qui,
jusqu'à présent, n'avaient aucune possibilité de recours contre l'exploitant
minier. Mais, dans le cas où la mise en jeu de la responsabilité civile de
l'exploitant minier peut être établie, il appartiendra à celui-ci d'indemniser
ses victimes.
De plus, monsieur le secrétaire d'Etat, selon votre expression, ce projet de
loi se veut constructif sur deux sujets essentiels : la surveillance des
risques résiduels de l'activité minière au départ de l'ancien exploitant, qui
sera alors assurée par l'Etat, et la mise en place de plans de prévention des
risques miniers analogues à ceux des risques naturels fixant, le cas échéant,
les servitudes ou les interdictions pour les constructions.
Par ailleurs, nous savons tous que la gestion des eaux, après la fermeture de
la mine, peut impliquer le fonctionnement d'un certain nombre d'installations
de pompage d'exhaure. C'est pourquoi votre projet de loi contraint l'ancien
exploitant à procéder à la dévolution aux collectivités locales qui le
souhaitent des investissements déjà réalisés pour assurer un régime normal des
eaux.
Bien entendu, une nouvelle procédure d'abandon des travaux est prévue en cas
d'arrêt des exploitations minières : il s'agit de renforcer les obligations
pesant sur l'exploitant minier. Ainsi, le préfet pourra prescrire à
l'exploitant des études d'impact, afin de financer les investissements et le
coût de fonctionnement durant les dix premières années des installations
nécessaires à la surveillance permanente des sites miniers.
Monsieur le secrétaire d'Etat, pour nous, élus des régions minières, les
mesures proposées dans le cadre du CIADT, ainsi que celles qui figurent dans
votre projet de loi demeurent insuffisantes, bien que votre texte représente
une avancée juridique incontestable.
Aujourd'hui, il importe de légiférer rapidement. A ce titre, il me semble
important de préciser que votre texte a reçu l'accord du Conseil des mines et
du Conseil d'Etat. Ainsi, en cas d'adoption par le Sénat aujourd'hui et le 11
février prochain par l'Assemblée nationale, il sera immédiatement opérationnel,
tout en allant à l'essentiel.
Nous souhaitons aller vite et ce texte réalise un consensus minimum, tout en
évitant que les requêtes se multiplient pour rendre la loi inapplicable.
Nous sommes persuadés, monsieur le secrétaire d'Etat, que votre texte pourra
évoluer sur plusieurs points et faire l'objet d'améliorations ultérieures,
s'agissant notamment des obligations administratives susceptibles d'être
édictées à l'exploitant - notamment au moment de l'arrêt des travaux - de la
notion de défaillance de l'exploitant ou du titulaire du titre minier, ou
encore du transfert de compétence à la juridiction administrative pour statuer
sur les recours et dispenser la victime de faire un recours préalable.
A l'avenir, nous pensons qu'il faudra étendre la nullité des clauses qui
exonèrent de responsabilité l'exploitant pour les dommages liés à son activité
minière à l'ensemble des contrats de mutation immobilière. De plus, il faudra
que l'indemnisation des dommages soit assurée par l'Etat lorsqu'une clause a
été insérée avant la loi du 15 juillet 1994.
Concernant le transfert aux collectivités des installations hydrauliques après
la fermeture des mines, des précisions complémentaires pourront être apportées.
Il faudra aussi introduire la possibilité d'engager la procédure d'arrêt
définitif des travaux à la demande des collectivités et compléter le
recensement des risques susceptibles de subsister après l'arrêt des travaux.
La notion de risque, quant à elle, pourra être redéfinie plus précisément, car
l'activité minière est susceptible de générer des risques autres que ceux qui
sont relatifs aux affaissements de terrain et aux dégagements gazeux.
La détermination du montant des indemnités versées au propriétaire dont le
bien est exproprié en raison des risques miniers le menaçant pourra être
complétée, par exemple, en calculant ce montant sur la base de la valeur de
reconstruction à neuf du bien exposé au risque.
Enfin, s'agissant des risques miniers, la stricte transposition de la
législation relative aux risques naturels n'est, de toute évidence, pas
appropriée. Il conviendra donc de mettre en place un dispositif juridique
adapté à la prévention des risques miniers en instituant, par exemple, un
zonage en fonction des risques encourus, en limitant l'aggravation des risques
ou la création de nouveaux risques.
Pour conclure, il importe aujourd'hui, monsieur le secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, de venir en aide rapidement aux sinistrés. C'est l'objet de
nos propositions de loi, c'est aussi celui du projet de loi du Gouvernement. Un
compromis rapide est nécessaire pour gérer une situation de crise en tenant
compte des réalités sociales.
M. Christian Pierret,
secrétaire d'Etat.
Très bien !
M. le président.
La parole est à M. Delevoye.
M. Jean-Paul Delevoye.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
permettez-moi tout d'abord de remercier Jean-Marie Rausch du travail qu'il a
accompli au sein de la commission, et de remercier aussi tous les
parlementaires qui, tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat, ont déposé des
propositions de loi sur le sujet qui nous occupe aujourd'hui. Je pense à Gisèle
Printz, à Claude Huriet, à Jean-Luc Bécart. Ce consensus de l'ensemble des
parlementaires démontre la réalité d'un problème que vous avez d'ailleurs
souhaité vous-même aborder, monsieur le secrétaire d'Etat, par le biais d'un
projet de loi.
Je veux encore remercier l'association des communes minières, qui, sur ce
sujet, fait preuve de beaucoup de compétences, ses membres vivant au quotidien
les difficultés sur le terrain. Sa contribution intellectuelle est elle aussi
tout à fait intéressante.
Personne ne peut contester que l'histoire minière a permis à notre pays
d'extraordinaires avancées technologiques - elles sont reconnues dans le monde
entier - et de grandes avancées sociales, au prix d'ailleurs de luttes
importantes. Elle a sculpté les mentalités, enraciné des cultures, structuré
des territoires et suscité la fierté d'un pays.
Cette histoire ne peut s'achever avec la fermeture des puits et l'arrêt de
leur exploitation. Notre pays ne peut avoir puisé toute son énergie et alimenté
son développement dans les richesses souterraines de certains de ses
territoires puis, après les avoir épuisées, laisser ces territoires panser
seuls les blessures liées à cette exploitation.
Il est de la grandeur et de la noblesse de la France, me semble-t-il, de
répondre à cette exigence du xxie siècle qui est de concilier l'industrie et
son évolution avec les contraintes environnementales.
Notre pays se doit de montrer l'exemple, et des solutions doivent être
trouvées afin de combattre ces dérives que nous constatons aux quatre coins de
la planète et qui menacent notre devenir.
Cela correspond, bien évidemment, à la légitime revendication des élus et des
populations de ces régions minières, ou ex-minières, qui, après avoir vu
disparaître leurs métiers - donc leur devenir -, ne peuvent supporter
aujourd'hui de voir leur avenir menacé, tant pour leur patrimoine que pour leur
sécurité.
Il nous faut donc apporter des réponses, et chacun en est conscient, puisque,
de toutes parts, fusent des propositions de loi et que vous-même, monsieur le
secrétaire d'Etat, vous nous proposez de discuter d'un projet de loi.
Lorsqu'on parle politique, l'analyse doit porter sur les moyens juridiques,
sur les moyens financiers et sur les moyens techniques.
En ce qui concerne l'histoire minière, je crois qu'il faut là aussi - et
peut-être plus qu'ailleurs - faire preuve de volonté politique, celle-ci devant
s'appuyer sur des principes. Il nous faut gérer proprement - je dirai même
dignement - la fin de l'exploitation minière en affirmant la nécessité de la
prévention et de la gestion des risques mais aussi la responsabilité minière,
et donc l'implication de l'Etat, qui ne peut, aujourd'hui, laisser les
populations subir un préjudice et rendre les communes responsables des
conséquences.
C'est la raison pour laquelle je souscris aux propositions de la commission.
Il nous faut affirmer le principe de la nullité des clauses d'exonération et de
responsabilité.
Certes, je sais que vous ouvrez vous-même, monsieur le secrétaire d'Etat, un
débat sur la rétroactivité.
Cette notion, pourtant, est acceptable sur le plan juridique. La Cour de
cassation a en effet considéré, dans un arrêt du 27 avril 1988, que le
législateur peut adopter un texte expressément rétroactif. Lorsqu'il le fait,
cela s'impose donc aux juges.
La rétroactivité est aussi acceptable sur le plan constitutionnel : rien
n'interdit au législateur, qui est à l'origine des lois ordinaires, de voter
des lois rétroactives, et vous savez très bien qu'il existe quelques exemples
en la matière.
Mais, au-delà des considérations juridiques et constitutionnelles, la
rétroactivité me paraît surtout être une exigence morale. La rétroactivité fait
peur à celui qui doit payer parce qu'il n'a pas de capacité d'évaluation du
risque ; mais si une telle crainte existe, c'est bien qu'il y a risque ! Dès
lors, est-il moral de tenter de protéger la collectivité nationale de ce risque
en laissant les seules collectivités locales ou les individus l'assumer ?
Au regard de ce principe de rétroactivité, une évolution est toutefois
possible, monsieur le secrétaire d'Etat. Tel sera le cas si vous nous donnez la
garantie de l'Etat que tous les préjudices qui sont la conséquence de
l'exploitation minière seront pris en compte.
Se posera probablement, alors, la question du financement. M. le rapporteur a
proposé une taxe sur le tabac. Cela me semble quelque peu classique. A titre
purement personnel, considérant que notre pays a tiré toutes ses ressources de
l'énergie charbonnière - s'agissant de l'énergie nucléaire, nous avons su
prévoir l'amortissement et le renouvellement des centrales - je ne serais pas
choqué qu'une partie d'une taxation sur l'énergie soit consacrée à la
prévention et à la gestion des risques.
Certes, il s'agirait d'une taxation supplémentaire, mais au nom de quoi
devrions-nous être choqués si, très légitimement, l'énergie permet de faire
face aux conséquences de l'énergie ?
Vous allez ouvrir un débat, monsieur le secrétaire d'Etat. Je n'y suis pas
hostile. La question principale est de savoir quelles assurances apporter à
celles et à ceux qui, au regard de la morale, ne peuvent pas subir
personnellement sur leur patrimoine, les conséquences de l'exploitation
minière.
Il nous faut aussi afficher le principe de l'indemnisation de la remise en
état ou de la reconstruction à neuf, sans vétusté.
Je partage l'avis de la commission, qui a souhaité étendre ce principe aux
commerçants, aux artisans et aux professions libérales.
Vous posez, monsieur le secrétaire d'Etat, le principe de la garantie du
maintien du confort. Là encore, il peut y avoir discussion. Il convient
toutefois d'avoir une définition très claire des principes et des moyens à
mettre en place.
En ce qui concerne la prévention et la surveillance des risques miniers, nous
sommes très attachés à la transparence, qui est une exigence moderne de la
démocratie et du partenariat.
Aujourd'hui, lorsqu'une administration, aussi noble soit-elle, veut se
refermer sur elle-même, le sentiment d'opacité peut engendrer un fantasme qui
fait que, parfois, un risque minime prend une ampleur tout à fait démesurée.
Je ne vois pas pourquoi ce qui vaut pour certains domaines de l'environnement
- je pense notamment à l'exploitation des décharges -, à savoir la
participation d'associations de consommateurs, d'usagers, d'élus, de
fonctionnaires à la prévention et à la gestion des risques, ne vaudrait pas
pour l'exploitation minière.
Enfin, le régime de la police des mines n'est, à l'évidence, plus du tout
adapté ; il apparaît même très dangereux pour les collectivités locales par
rapport à d'autres textes relatifs à la police de l'environnement.
Nous devons donc toiletter les textes, les récrire. Voilà pourquoi nous
estimons nécessaire ce délai de cinquante ans, qui ne pourrait être, bien
évidemment, réduit qu'à la demande des collectivités locales.
Il nous faut, là aussi, réfléchir au transfert des patrimoines aux
collectivités locales et aux conséquences de ce transfert.
Dans le projet de loi, monsieur le secrétaire d'Etat, vous abordez - ce que ne
fait pas la commission - la question des eaux. Vous indiquez même que vous
pourriez assumer le coût de fonctionnement pendant dix ans.
En fait, nous devrions poser un certain nombre de principes. Vis-à-vis des
industriels et des agriculteurs, notamment, l'Etat affiche le principe du
pollueur-payeur ; ce principe, il doit se l'appliquer à lui-même. La
formulation en est très simple : au-delà des aspects juridiques, réglementaires
et financiers, celui qui, à un moment donné, a pu s'enrichir en dégradant
l'environnement doit en supporter les conséquences jusqu'à la disparition des
effets constatés et des préjudices subis.
Au-delà, monsieur le secrétaire d'Etat, le Gouvernement devrait engager une
réflexion, certes, sur l'évolution du code minier, mais aussi sur la notion
d'urbanisme du sous-sol, qui n'existe pas et qui mériterait d'être élaborer en
prenant en compte les responsabilité des uns et des autres.
Le dernier principe, qui ne figure pas non plus dans le projet de loi, c'est
qu'il n'est pas possible d'afficher que la fin de l'exploitation minière
signifie la fin de vie pour les territoires sur lesquels ou sous lesquels elle
s'est déroulée.
En effet, au moment où nous devons réfléchir à une politique d'aménagement du
territoire, s'il convient, bien sûr, d'affirmer le principe de solidarité -
c'est l'objet de nos propositions - dans le traitement des handicaps, il faut
aussi insister sur les potentialités de développement de ces territoires, qui
ont une culture industrielle, une qualité de main-d'oeuvre, des infrastructures
et une capacité de mobilisation fabuleuses.
En même temps que le Parlement traite du problème de la gestion des
conséquences de l'exploitation minière, il doit donc, au titre de l'aménagement
du territoire, au moyen de fonds de reconversion, de fonds de mobilisation,
assurer l'avenir d'un territoire qui a fait la fierté du pays hier et qui a
tout pour la faire encore demain.
(Applaudissements sur les travées du RPR,
des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Percheron.
M. Daniel Percheron.
Il était temps, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous veniez à ce
rendez-vous qu'ont fixé des initiatives sénatoriales et que le poids et le
drame des images de ces derniers mois nous font mieux comprendre.
Il était temps que, au nom de l'Etat, vous vous exprimiez avec autant de
netteté, de clarté et de solidarité.
M. Jean-Claude Gaudin.
Et de talent !
M. Daniel Percheron.
Bien sûr, la mémoire du risque s'est estompée, comme l'a excellement dit M. le
rapporteur, et parfois même la mémoire tout court.
Les excellentes interventions de M. le secrétaire d'Etat et des élus des zones
minières me dispenseront de revenir sur ce qu'ils ont parfaitement dit. Je me
bornerai donc à évoquer deux ou trois points que nous estimons essentiels.
Il est clair que les communes minières sont structurellement les plus pauvres
de France ; à population égale, elles ont des ressources nettement inférieures
à la moyenne des communes françaises. Il s'agit de zones de conversion ou de
conversion future qui souffrent, on souffert et continueront, hélas ! de
souffrir.
Il s'agit aussi - vous l'avez dit, monsieur le président de l'Association des
maires de france - de territoires qui sont intimement liés à l'histoire du
mouvement ouvrier, aux luttes qui ont structuré la société française
d'aujourd'hui, notamment dans le domaine de la protection sociale et de la
solidarité.
La tonalité de mes propos sera celle d'un élu du Nord - Pas-de-Calais, moins
frappé aujourd'hui par les affaissements et les drames humains, mais qui vit
l'immense silence de l'après-mine dans une relative indifférence du pays -
c'est logique, tant l'actualité est abondante ! - et, jusqu'à présent, dans une
relative indifférence de l'Etat.
Et puisque je parle de l'Etat, je veux vous donner acte de son évolution
fondamentale, et donc de sa position actuelle, monsieur le secrétaire d'Etat,
en prenant deux repères que vous n'avez certainement pas tout de suite présents
à l'esprit.
Voilà onze ans, monsieur Delevoye - M. Méhaignerie était alors ministre de
l'aménagement du territoire - l'ingénieur principal Lacaze expliquait, dans un
rapport d'une cohérence absolue et, même si cela nous révoltait, d'une grande
force intellectuelle, que les villes minières n'étaient pas des villes comme
les autres, qu'à la fin de l'extraction elles devaient disparaître, à l'exemple
de ce qui se passe aux Etats-Unis. Et puisqu'elles devaient disparaître, il
proposait que le Gouvernement invente dans les zones minières le resserrement
urbain, qui se serait traduit par la fin du statut urbain pour la plus grande
partie des communes minières.
Il proposait qu'une loi permette d'inventer, disait-il, la destruction des
villes puisqu'aussi bien une loi avait permis - il pensait aux villes nouvelles
- la création des villes. Nous étions loin du discours prononcé par M. Pierret
tout à l'heure !
Plus récemment, en 1995, il a fallu que l'association des communes minières et
que la présidente du conseil régional portent plainte auprès du tribunal
administratif pour que le préfet de la région Nord - Pas-de-Calais soit
condamné pour avoir signé en toute discrétion, sans aucune transparence, la fin
de la concession d'Aniche, qui faisait mettre la clé sous la porte, qui faisait
l'impasse sur les risques miniers et qui laissait la commune d'Aniche, le
département du Nord et la région du Nord - Pas-de-Calais totalement démunis,
malgré la loi de juillet 1994, face à la sortie de concession et face à
l'après-mine.
Je me réjouis donc à la fois du discours ministériel et du consensus qui
apparaît aujourd'hui. Il convenait, en tout cas, de dire au secrétaire d'Etat
que ses propos, de par leur clarté et leur netteté sont allés directement au
coeur des élus du bassin minier.
S'agissant de l'indemnisation, qui est un point essentiel, nous souhaitons
qu'intervienne l'accord le plus total. M. le secrétaire d'Etat a eu des
arguments forts. Quant aux sénateurs, ils ont travaillé très sérieusement.
Nous voulons que l'indemnisation soit la plus rapide possible - c'est
essentiel - la plus juste possible, et qu'elle permette aux populations tout
simplement de continuer à vivre dignement, que ce soit à Auboué ou, un jour
peut-être, à Sallaumines, à Méricourt ou à Lens - nous ne sommes pas à Neuilly,
nous le savons !
Et puisqu'on a fait d'immenses efforts dans les banlieues et les zones
franches, il ne faudra pas oublier, non plus les acteurs économiques -
professions libérales, artisans, commerçants - qui ne sont pas si nombreux dans
les communes minières et qui doivent bénéficier aussi de la solidarité de
l'Etat.
Sur le principe d'une indemnisation garantie par l'Etat, nous pouvons
vraisemblablement tous nous mettre d'accord.
Pour ce qui est de l'agence de surveillance des risques miniers et de
prévention, vous me semblez réticent, monsieur le secrétaire d'Etat. A mon
avis, elle doit s'inscrire dans cette politique, fondamentalement intéressante
et à laquelle, aujourd'hui, tout le monde souscrit, du développement durable,
et, comme Jean-Paul Delevoye, j'estime que la prévention et la surveillance des
risques miniers doivent faire toute leur place aux élus sur le terrain.
Monsieur le secrétaire d'Etat, vous craignez une dérive bureaucratique...
M. Christian Pierret,
secrétaire d'Etat.
Tout à fait !
M. Daniel Percheron.
...et des dépenses supplémentaires. Pourquoi, compte tenu de cette volonté de
développement durable, de cette volonté de transparence - je faisais allusion,
tout à l'heure, à la discrétion du préfet voilà quelques années - ne pas
envisager une régionalisation, voire, au moment de la signature des contrats de
plan, une contractualisation qui ferait que les principaux acteurs seraient
partie prenante de la prévention et de la surveillance des risques miniers ?
Dans notre région du Nord - Pas-de-Calais, un million de personnes et deux
cent soixante communes sont concernées, sur cent kilomètres de long et trente
kilomètres de large. Cela vaut la peine qu'on y réfléchisse !
M. Christian Pierret,
secrétaire d'Etat.
Tout à fait !
M. Daniel Percheron.
Compte tenu de leurs compétences en matière d'aménagement du territoire, les
conseils régionaux ne devraient pas être opposés à une telle innovation, que
nous pourrions, bien sûr, préciser.
On l'a dit, l'avenir des villes minières, des bassins miniers, n'est pas
seulement dans l'indemnisation, dans la surveillance ou la vigilance, il est
aussi dans le développement des projets.
Je vous ai bien entendu, monsieur Delevoye, parler de futurs fonds. Je
regrette - je le dis à l'ancien ministre de l'aménagement du territoire qu'est
M. Gaudin, ici présent - que les fonds d'industrialisation et de développement
du bassin minier du Nord - Pas-de-Calais soient passés de 200 millions de
francs, en 1993, à 35 millions en 1997.
Il n'est pas trop tard pour corriger ces erreurs. Vous êtes sur le bon chemin,
monsieur le secrétaire d'Etat, et, que ce soit pour le code minier ou pour cet
engagement tout à fait nouveau et tout à fait clair de l'Etat, nous vous
faisons confiance.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Christian Pierret,
secrétaire d'Etat.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Pierret,
secrétaire d'Etat.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je veux d'abord me
féliciter de la qualité de ce débat et remercier l'ensemble des groupes du
Sénat pour l'esprit de responsabilité dont ils ont fait preuve sur le sujet qui
fait l'objet de nos préoccupations ce matin.
Quelques traits essentiels me paraissent caractériser ce débat.
D'abord, vous avez les uns et les autres unanimement reconnu que c'est la
première fois qu'un gouvernement traite avec autant d'ampleur les conséquences
des affaissements miniers et de la modification du régime des eaux - le rôle
des collectivités locales a été évoqué par le président de l'Association des
maires de France, et je l'en remercie - et ce d'une manière globale, grâce à la
convergence entre les analyses du Sénat et celles du Gouvernement, qui ont leur
traduction dans le projet de loi que j'ai présenté en conseil des ministres la
semaine dernière.
Ensuite, je veux remercier Mmes et MM. les sénateurs - qu'ils appartiennent à
la majorité ou à l'opposition sénatoriale - d'avoir bien voulu souligner que,
dès ma prise de fonctions au secrétariat d'Etat à l'industrie, je me suis
attaché à résoudre, en déléguant des crédits importants, la question de
l'indemnisation de celles et de ceux qui, depuis 1996, attendent qu'une
solution concrète et pragmatique soit apportée à leurs problèmes humains.
Par ailleurs, vous avez tous constaté, comme moi, le poids des réalités
humaines. Mme Printz, avec beaucoup de brio et de sensibilité, a dépeint, par
quelques exemples concrets tirés de son expérience en Lorraine, la réalité
pesante et - je pense que le trait n'est pas trop fort - dramatique de la
situation d'un certain nombre de familles.
Plusieurs centaines de familles voient aujourd'hui l'épargne d'une vie, leurs
travaux personnels, leurs espoirs, leur vie quotidienne, anéantis, déchirés,
brisés par des événements extérieurs auxquels ne peut être apportée qu'une
réponse collective, celle des communes et de l'Etat. Mais l'Etat, quoi qu'il
fasse, ne pourra jamais totalement apaiser cette profonde détresse, cela a été
dit.
Le Sénat et le Gouvernement ne peuvent que prendre en compte cette situation
économique, sociale et locale.
J'ai souligné, dans la communication que j'ai faite au conseil des ministres
en janvier 1998 et dans le commentaire qui a accompagné la présentation du
projet de loi, voilà quelques jours, le problème très grave du régime des eaux
: la modification du régime des eaux superficielles, des eaux souterraines, de
l'adduction d'eau, de la pollution. Cette question fondamentale concerne, en
effet, l'environnement ; M. Bécart l'a souligné, à juste titre. D'ailleurs, on
ne connaît pas encore aujourd'hui la véritable ampleur du problème qui se pose
aux collectivités locales.
Nous sommes d'accord, mesdames, messieurs les sénateurs, sur les grands
principes de l'indemnisation : l'indemnisation est nécessaire ; elle doit être
rapide ; elle doit viser à bien colmater les brèches personnelles, sociales et
économiques qui affectent aujourd'hui la situation des sinistrés.
Nous sommes également d'accord sur l'extension de la responsabilité des
anciens exploitants miniers, sur la détermination claire, manifeste, de leur
responsabilité au regard du droit civil et de l'ensemble des dispositifs
juridiques, lesquels doivent affirmer que ceux-ci ont encore, après
l'exploitation, une véritable responsabilité.
Nous sommes d'accord aussi pour aller vite. Il faut qu'à l'issue de cette
séance - tel est le voeu du Gouvernement - puisse être transmis à l'Assemblée
nationale un texte qui organisera concrètement, pour les sinistrés, une
indemnisation acceptable.
Nous sommes d'accord pour que les grands principes du droit - le droit civil,
le droit administratif - soient préservés dans notre démarche.
Nous voulons enfin - je m'adresse à M. Delevoye, car je suis sûr que le
souhait du Gouvernement converge avec le sien - que notre démarche de ce matin
respecte l'objectif économique unanimement accepté de stabilité des
prélèvements obligatoires. Créer de nouvelles taxes ou de nouveaux prélèvements
sur l'énergie ou sur d'autres biens économiques irait à l'encontre des
objectifs d'une gestion budgétaire, fiscale et économique qui vise au respect
de l'impératif absolu de stabilité puis de décroissance des prélèvements
obligatoires.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je dirai pour conclure qu'il nous faut
maintenant avancer.
Le Gouvernement est prêt à faire les efforts de flexibilité nécessaires dans
le cadre qui a été fixé par le projet de loi et par le conseil des ministres,
pour accomplir un grand pas en direction du Sénat. Aussi, je me permets de
solliciter une approche positive, dynamique et pragmatique de votre part, pour
que nous puissions faire converger nos analyses. Ainsi, grâce à l'initiative
des sénateurs de l'ensemble des groupes composant la Haute Assemblée, grâce
aussi à l'écoute attentive du Gouvernement et à son esprit ouvert,
pourrons-nous parvenir en fin de matinée à un texte satisfaisant.
Les sinistrés nous regardent, ils nous écoutent et ils ont besoin de nous.
Rassemblons nos énergies pour les satisfaire.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
M. Jean-Pierre Rausch,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Marie Rausch,
rapporteur.
Monsieur le président, compte tenu des éclaircissements et
des précisions que vient de nous apporter M. le secrétaire d'Etat, je demande
une suspension de séance pour réunir la commission.
M. le président.
Cette suspension est de droit.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à onze heures cinq, est reprise à onze heures
quarante-cinq.)