Séance du 19 novembre 1998
LOI DE FINANCES POUR 1999
Discussion d'un projet de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi de finances pour 1999
(n° 65, 1998-1999), adopté par l'Assemblée nationale. [Rapport n° 66
(1998-1999).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini,
rapporteur général de la commission des finances, du contrôle budgétaire et
des comptes économiques de la nation.
Monsieur le président, monsieur le
ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nous entrons donc
dans le cycle budgétaire, ce cycle qui avait été autrefois qualifié par Edgar
Faure de trois substantifs qui sont certainement encore dans vos mémoires. Nous
allons ainsi entamer ensemble une « liturgie » qui, aux yeux de la majorité
sénatoriale, ne laisse aucune place à l'infaillibilité gouvernementale
(Sourires.)
; nos propositions secoueront la « léthargie » - du moins
l'espérons-nous - de débats trop conventionnels ; enfin, nous voudrions nous
concentrer sur l'essentiel, au fil de ces journées, en limitant l'inévitable «
litanie » des chiffres.
(Nouveaux sourires.)
Vous ayant dit cela en guise d'introduction, mes chers collègues, j'en viens
maintenant à l'essentiel.
En présentant les équilibres généraux de ce projet de loi de finances, je vais
essayer de vous convaincre des insuffisances de la vision et de l'approche du
Gouvernement pour vous inciter à adhérer à une autre logique.
En effet, 1999 va être une année très significative, j'allais dire très
stratégique pour notre pays : elle verra s'appliquer le premier budget de la
France dans une zone monétaire unifiée, avec toutes les contraintes... mais
sans doute aussi toutes les chances que cela représente.
Or, lorsque nous écoutons les membres du Gouvernement, nous pouvons souvent
avoir le sentiment d'entendre un certain double langage, car deux discours sont
simultanément tenus. L'un est dirigé vers l'opinion publique, vers le Parlement
et vers les différentes catégories socio-professionnelles, et met en avant les
objectifs de croissance, d'emploi, de solidarité sociale et aboutit le plus
souvent à plus de dépenses publiques ; l'autre, qui est distillé dans les
rencontres intergouvernementales, en Europe et ailleurs, fait apparaître la
nécessité d'une convergence de nos finances publiques, d'un renforcement de la
discipline commune, afin de réussir dans le cadre nouveau que nous nous sommes
donné. Et, parfois, on peut se demander, en écoutant ces deux discours, lequel
est le bon, lequel est le vrai et quelle est la véritable orientation de la
politique budgétaire et économique de ce pays.
Nous savons que la zone monétaire intégrée ne sera un socle de stabilité
économique que si certaines conditions sont remplies, que si notre monnaie
unique est en mesure d'inspirer confiance dans le monde entier et de devenir
une monnaie de réserve, choisie librement par les banques centrales d'un très
grand nombre de pays dans le monde, bien au-delà de nos frontières.
Nous savons que cette évolution vers une zone monétaire intégrée a notamment
pour objet de permettre à notre économie de bénéficier de taux d'intérêt aussi
bas que possible, ce qui est un avantage considérable pour la France, qui a
longtemps dû ses taux élevés, en termes réels, à la nécessité de défendre sa
devise. Nous savons, en effet, que le bas niveau des taux d'intérêt est une
condition essentielle à une demande intérieure soutenue, tant de la part des
ménages que des entreprises, et donc une condition essentielle pour maintenir
une croissance forte, susceptible d'engendrer un maximum d'emplois nouveaux.
C'est une loi de l'économie mondiale que la correspondance de bas niveaux
d'intérêt avec la discipline de l'assainissement financier. Mais nous savons
que nos économies et nos finances publiques sont grevées par un endettement
élevé et que nous devons conduire notre politique économique de manière à
alléger la charge de la dette pour les générations futures.
C'est à Amsterdam, en juillet 1997, que l'actuel gouvernement a souscrit à
l'engagement d'aller « vers l'objectif à moyen terme d'une position budgétaire
proche de l'équilibre ou excédentaire ». Il faut donc également interpréter en
ce sens vos propos récents, monsieur le ministre de l'économie, des finances et
de l'industrie, lorsque vous avez dit préférer au couplage politique budgétaire
laxiste - politique monétaire restrictive un couplage politique budgétaire
rigoureuse - politique monétaire expansionniste.
Comment ne serions-nous pas, pour la plupart d'entre nous, en accord avec ce
propos ? Toutefois, face à la réalité de la loi de finances initiale telle que
vous nous la soumettez, nous n'avons pas le sentiment que ce budget réponde à
la condition que vous avez vous-même posée !
Et c'est parce que nous avons cette conviction que nous nous apprêtons à
amender très substantiellement le budget que vous nous soumettez, afin de le
rendre compatible avec les objectifs qui sont ceux auxquels la France est tenue
vis-à-vis de l'environnement international.
Mme Hélène Luc.
Mais quels objectifs avez-vous ?
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Cet environnement international, madame Luc, quel
est-il ? C'est un environnement très volatile, très complexe et il est émaillé
de nombreuses crises. Or nous observons que le cadrage macro-économique que
nous soumet le Gouvernement est un cadrage volontariste - cela ne nous déplaît
pas nécessairement - mais qu'il a été fixé à la fin du premier semestre de
1998, avant qu'interviennent ou se précisent certains aléas extérieurs.
Je n'insisterai pas sur ces sujets, qui sont connus, et je ferai simplement
allusion à l'hypothèse monétaire pour l'année 1999, qui s'établit à 6 francs
pour un dollar alors que les prévisionnistes sont plutôt proches du niveau
actuel, de l'ordre de 5,50 francs, sans revenir sur les nombreux éléments
novateurs qui sont intervenus dans l'environnement économique mondial et
européen depuis le mois de juin dernier.
Je souhaite, en revanche, m'arrêter quelque peu sur les aléas intérieurs, car
le budget que vous nous proposez, sur fond de croissance substantielle, suppose
d'abord la confiance des ménages et des entreprises. Celle-ci suppose elle-même
un niveau d'inflation faible - cela nous semble acquis, probablement même à un
niveau plus bas que celui de 1,1 %, qui est l'hypothèse gouvernementale. Elle
suppose surtout que l'emploi s'améliore, et c'est bien là le noeud gordien de
la politique économique, comme de la politique tout court, chacun le sait.
Tout récemment, le Fonds monétaire international faisait remarquer, s'agissant
de la France, la forte résistance du chômage à la baisse. Il l'attribuait à une
structure inadaptée du marché du travail. Il prévoyait, par ailleurs, un
chômage s'élevant à 11,2 % de la population active à la fin de 1999, résultat
somme toute médiocre après trois années de forte croissance.
Il faut insister sur un fait : dans notre pays, le contenu en emplois de la
croissance demeure faible, surtout au regard des emplois marchands, j'allais
dire les vrais emplois.
En 1999, selon les prévisions officielles, chaque point de croissance créérait
110 000 emplois, dont seulement 57 000 emplois marchands. L'amélioration des
statistiques de l'emploi provient donc, pour une très large part, de l'emploi
administré, de même que les créations d'emplois marchands se concentrent
largement sur l'emploi précaire.
Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, la majorité sénatoriale
ne remet pas en cause le cadrage macro-économique que vous proposez. Ce cadrage
est volontariste, et nous le prenons comme tel.
Nous constatons toutefois que ce budget va nous faire prendre de très grands
risques. En effet, nous n'avons pas véritablement de marge d'errreur. Or, vous
devrez d'ici quelque temps présenter le programme de stabilité de la France à
nos partenaires européens en respectant l'article 5 du règlement du Conseil
européen du 7 juillet 1998, lequel prévoit que le Conseil examine si l'objectif
à moyen terme fixé par le programme de stabilité offre une marge de sécurité
pour assurer la prévention d'un déficit excessif.
Avons-nous cette marge de sécurité ? Pour ma part, je ne le crois pas, car, en
face des espérances conjoncturelles que nous affichons, nous chargeons sans
cesse la barque de structures supplémentaires, de dépenses pérennes et de
lourdeurs pour l'avenir dont nous risquons d'être les prisonniers.
M. Alain Gournac.
C'est certain !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
J'ai cherché des références et des citations, et, une
fois n'est pas coutume, je vais citer l'actuel président de l'Assemblée
nationale, M. Laurent Fabius, qui a dit voilà peu, à propos du projet du budget
- mais ce n'est que l'une des expressions d'une majorité plurielle, je le sais
bien !...
M. Josselin de Rohan.
De plus en plus plurielle !
M. Philippe Marini,
rapporteur général...
« Le projet de budget ne renferme que peu de
capacités d'évolutivité par rapport aux possibles aléas à venir. » Il a tout à
fait raison !
M. Paul Loridant.
Fabiusien !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Quel équilibre budgétaire nous proposez-vous ? Vous
prévoyez de ramener le déficit de l'Etat, en chiffres ronds, de 258 milliards
de francs à 236 milliards de francs. Cette réduction nous semble être à la fois
insuffisante et incertaine.
Il aurait été possible, en 1999, compte tenu de l'hypothèse de croissance, de
faire bien davantage. D'ailleurs, si l'on considère sur une longue période
l'évolution du taux de croissance et celle du déficit de l'Etat, on constate
que, dans les périodes de récession économique, le déficit plonge très vite et
que, dans les périodes d'amélioration de la conjoncture économique, le déficit
ne se réduit que très lentement, très péniblement et par petits paliers.
A nos yeux, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, vous êtes en
train de répéter les erreurs qui ont déjà été commises lors d'une phase de
croissance significative sous le gouvernement de M. Michel Rocard. En d'autres
termes, comme le gouvernement de M. Michel Rocard, le gouvernement de M.
LionelJospin se laisser aller à la facilité.
A vrai dire, comment apprécier le déficit affiché pour la loi de finances ? On
peut le faire par rapport à l'exécution de l'exercice 1998, et très bientôt,
vous nous présenterez d'ailleurs le projet de loi de finances rectificative.
A voir l'évolution des choses, compte tenu d'une marche très favorable de
l'économie, on peut penser que logiquement vous pourriez, si vous le vouliez,
dégager à la fin de cette année un déficit de 210 milliards de francs. C'est
une tendance naturelle, et cela suppose que l'on ne grève pas ce déficit de la
présente année de charges et de dépenses susceptibles d'apparaître en
anticipation, en quelque sorte, sur l'exercice 1999.
Nous estimons aussi que les efforts dont vous vous glorifiez sont insuffisants
en ce qui concerne la dette. En effet, en 1999, si l'on vous suit, nous ne
réduirons pas notre endettement par rapport au produit intérieur brut. Nous
serons, en Europe, le seul pays à ne pas s'imposer cette discipline. Le seul,
ce n'est pas tout à fait vrai, car il y a aussi le Luxembourg, mais la dette de
ce pays par rapport au produit intérieur brut ne représente que 8 %, contre
près de 60 % pour la France !
Nous observons aussi, en matière d'endettement, que les ressources que l'on va
drainer sur les marchés financiers, à hauteur de 520 milliards de francs, vont
servir, d'une part, à rembourser des emprunts antérieurs, pour environ 280
milliards de francs, et, d'autre part, à boucler les comptes de fonctionnement,
pour 70 milliards de francs, ce qui serait naturellement interdit à quelque
commune, département ou région que ce soit.
Au demeurant, chacun sait qu'en Grande-Bretagne et en Allemagne - pour ce qui
est de la Grande-Bretagne, c'est encore un projet - des textes fondamentaux
visent à réserver de manière explicite et limitative les ressources d'emprunt à
la couverture des dépenses d'investissement.
Chez nous, les dépenses d'investissement, de l'ordre de 8 % de la totalité des
masses budgétaires, c'est le résidu. On emprunte 520 milliards de francs et
l'on n'investit que 170 milliards de francs. Ce n'est certes pas satisfaisant
!
Et puis, on peut, bien sûr, se demander, comme l'a fait le président de
l'Assemblée nationale - vous voyez que le propos de la commission n'a aucun
caractère idéologique - « si l'embellie de notre produit national brut n'aurait
pas pu être utilisée davantage pour faire baisser la dette et les impôts ».
Cela lui crée sans doute un trouble, et ce trouble, mes chers collègues, nous
le partageons !
(Très bien ! sur les travées du RPR.)
Réduction du déficit insuffisante mais aussi réduction incertaine et rigidité
accrue des dépenses !
Les dépenses pour l'emploi, pour la dette publique et pour la fonction
publique sont passées de 57 % des recettes fiscales nettes, en 1990, à 88 % en
1998.
Vous ne vous proposez pas - bien au contraire - de limiter cette rigidité.
Nous constatons, par exemple, que l'ensemble des charges de la fonction
publique et des rémunérations publiques passent de 56,4 % des recettes fiscales
nettes, en 1998, à 56,8 %, soit encore un peu plus, en 1999.
A l'examen de l'équilibre des ressources nouvelles et des dépenses nouvelles,
que constate-t-on ? La belle croissance - nous voulons y croire - nous
apporterait, en 1999, 75 milliards de francs, en chiffres ronds, de recettes
d'impôts supplémentaires, et nous trouvons en face 37 milliards de francs de
dépenses nouvelles destinés à financer ce que vous appelez vos priorités.
Mais quelle est la première des priorités, en chiffres ? C'est - je n'ai fait
que lire le document budgétaire - 22 milliards de francs de surcroît de
rémunérations, de surcroît de masse salariale pour la fonction publique. C'est
vrai, c'est là la toute première priorité de ce Gouvernement, toutes les autres
venant assez largement derrière.
Il y a donc, d'un côté, des recettes « volatiles » et, de l'autre, des emplois
rigides. S'y ajoute même le fait que certaines recettes ne se renouvelleront
pas, tel le prélèvement de 5 milliards de francs que vous vous proposez de
faire sur les fonds propres des caisses d'épargne, avant même de nous soumettre
le projet de texte concernant la réforme de leur statut, donc de manière tout à
fait prématurée.
Si nous devions vous suivre, nous enregistrerions un déficit structurel des
comptes publics beaucoup trop élevé en 1999. En d'autre termes, l'Etat vit
au-dessus de ses moyens !
Pour 1999, le déficit structurel, tel que le définissent les spécialistes des
finances publiques, serait, selon la direction de la prévision, de 1,8 % du
PIB, soit un excès des dépenses permanentes par rapport aux recettes
permanentes, toujours selon la terminologie de la direction de la prévision, de
160 milliards de francs par an.
Malgré les difficultés qu'il a rencontrées, le précédent gouvernement a fait
mieux que vous, car il a réduit le déficit structurel de 0,8 point de PIB par
an, alors que vous ne le réduisez, de 1997 à 1999, que de 0,2 point par an. Ces
chiffres montrent, mieux que toute autre démonstration, que vous avez bien de
la chance, que vous misez sur la conjoncture et que vous ne réalisez que très
peu d'efforts sur les dépenses de structures.
A la vérité, ce constat devrait être encore quelque peu noirci, car il faut
bien voir la part des efforts des uns et des autres. Quand on raisonne sur le
déficit des administrations publiques, il faut en effet considérer trois
sous-ensembles : l'Etat, la sécurité sociale et les collectivités locales.
Les collectivités locales, en 1999, vont apporter un excédent de 13 milliards
de francs.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes
économiques de la nation.
Un exemple !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Oui, un exemple !
La sécurité sociale, à supposer que les hypothèses chiffrées de la loi de
financement soient fondées, apporterait, elle aussi, un excédent de 13
milliards de francs, soit 26 milliards de francs, auxquels il faut ajouter 8
milliards de francs provenant des organismes divers d'administration
centrale.
L'Etat, lui, on le sait, enregistre un déficit de 237 milliards de francs.
Il suffirait donc que les excédents escomptés des collectivités locales et,
surtout, de la sécurité sociale se transforment en déficits pour que nous
soyons peut-être proches du déficit excessif ou dans le déficit excessif tel
que qualifié par les accords européens.
Enfin, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, vous nous parlez
souvent de vos efforts en matière de réduction des prélèvements obligatoires. A
cet égard, je crois pouvoir dire, tout en étant très modéré dans l'expression,
que les propositions que vous nous faites sont, pour une très large part, des
propositions en trompe-d'oeil. Vous n'êtes pas en mesure d'engager une vraie
réforme fiscale comme le fait, par exemple, le nouveau chancelier allemand.
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat au budget.
Ah !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Mais oui, c'est une réalité ! Dès son arrivée au
pouvoir, il indique que ses premières priorités sont la réforme de l'impôt sur
le revenu et l'abaissement des prélèvements obligatoires. Dieu sait, pourtant,
que je ne partage pas toutes les options, toutes les orientations du chancelier
allemand !
M. Claude Sautter,
secrétaire d'Etat.
Il semblerait !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Je suis toutefois bien obligé de constater que,
contrairement à lui, vous n'entreprenez aucune réforme de l'impôt sur le
revenu.
Vous cherchez par exemple des modalités un peu étranges pour résoudre des cas
particuliers comme la déduction forfaitaire au bénéfice de telle ou telle
profession. Vous ne poursuivez pas l'effort de baisse de l'impôt sur le revenu
qui avait été engagé par le précédent gouvernement.
M. Marc Massion.
Mais si !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Vous saupoudrez des réductions de TVA alors que, si
je ne me trompe, vous aviez, il n'y a pas si longtemps, évoqué une diminution
du taux normal. Réductions coûteuses d'ailleurs et dont il faut parier qu'elles
ne seront guère perçues par les ménages !
Naturellement, vous faites porter l'effort sur les collectivités territoriales
avec une réforme de la taxe professionnelle dont les effets risquent d'être
très contradictoires : effets sur nos budgets locaux - cela sera dit tout au
long du débat - effets aussi sur les contribuables, car les mesures
d'accompagnement de la réforme contrarient cette même réforme !
Les prélèvements obligatoires s'élèveront à près de 46 % en 1999.
M. Marc Massion.
En baisse par rapport à vous !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
S'il y a baisse, ce n'est que par un effet d'optique.
En effet, cette baisse part du point haut de 46,1 %, qui a été atteint en 1997,
après l'entrée en application de la loi portant diverses mesures urgentes à
caractère fiscal et financier. Après avoir taxé de plus de 20 milliards de
francs supplémentaires les entreprises, il est facile de faire apparaître une
toute petite baisse optique !
Alors, que devons-nous faire, mes chers collègues ? Devons-nous rejeter en
bloc ce projet de budget ou devons-nous essayer de l'améliorer ?
Bien entendu, le Sénat étant une maison raisonnable, c'est la seconde voie que
nous allons vous proposer.
M. Alain Gournac.
Très bien !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
C'est tout le sens de nos propositions pour un budget
alternatif de responsabilité et de confiance.
Responsabilité, cela veut dire que ce que nous proposons est faisable, à
portée de la main, raisonnable ; ce ne sont pas des plans tirés sur la comète.
Nous avons d'ailleurs, sur bien des sujets, réfréné nos ardeurs, que ce soit en
matière de fiscalité ou de dépenses.
Ce budget alternatif dont nous allons débattre est donc un budget responsable.
Mais c'est également un budget de confiance parce que nous pensons aux années
futures et aux générations à venir, auxquelles il faut donner tous les moyens
de leur liberté, ce qui signifie qu'il faut alléger les charges de structure et
de la dette qui viendront amputer leur marge de manoeuvre et leur pouvoir de
décision.
Que faut-il faire pour requalifier ce budget et le rendre acceptable ?
En premier lieu, il faut réduire davantage le déficit pour stabiliser la dette
publique, et ce par un effort supplémentaire de 14 milliards de francs.
Pourquoi 14 milliards de francs ? Parce que ce chiffre correspond, d'une part,
au montant nécessaire pour stabiliser la dette en termes de pourcentage du
produit intérieur brut, d'autre part, au rendement fiscal d'un point de
croissance supplémentaire.
Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, nous n'avons pas mis en
cause vos hypothèses économiques, mais si, par malheur, elles devaient ne pas
se réaliser totalement, mieux vaudrait ne pas placer le pays ou ses finances
publiques dans une situation impossible.
Nous savons bien que pèsent sur nos finances publiques des charges futures
très lourdes : en 2015, les seules retraites de la fonction publique
représenteront 226 milliards de francs alors qu'elles ne s'élevaient qu'à 108
milliards de francs en 1995. Elles feront plus que doubler, et je parle en
francs constants, en volume. Nous savons que tout cela nous attend, que tout
cela est inéluctable.
Comment l'Etat pourra-t-il faire face à ces énormes charges futures s'il ne
s'allège pas fort vigoureusement aujourd'hui qu'il en a les moyens ?
J'ai trouvé une autre citation pour émailler mon propos.
M. Paul Loridant.
Mitterrand ?
(Sourires.)
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Non, mon cher collègue, mais vous n'êtes pas loin, il s'agit
de Jack Lang
(Rires),
qui s'intéresse aussi aux questions financières et
budgétaires. Que déclarait Jack Lang en juin dernier ? « Il faut accélérer la
marche vers la réduction des déficits et ramener ce pourcentage à 1,7 % dès
1999. » Nous qui sommes très raisonnables et très modérés, nous nous
contenterions d'un taux de 2,15 %, au lieu d'un taux de 2,3 % que vous nous
proposez.
Par ailleurs, il faut assurément réduire les charges de structure. Nous
proposons donc, dans les 75 milliards de francs de recettes supplémentaires, de
n'affecter à la hausse inéluctable des dépenses que 11 milliards de francs au
lieu des 37 milliards de francs que vous prévoyez. Vous observez que notre
proposition est, je le répète, modérée. Elle n'est pas déflationniste. Elle est
responsable. Pour nous, un bon budget, c'est un budget qui permet de dépenser
mieux et qui permet à l'Etat d'assumer d'abord ses missions prioritaires.
M. Josselin de Rohan.
Très bien !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Certes, on pourrait toujours discuter sur le point de
savoir quel est l'impact des finances publiques sur l'emploi, éternel sujet
pour les économistes. Sur ce point, monsieur le ministre, monsieur le
secrétaire d'Etat, vous êtes beaucoup plus savants que moi !
Je voudrais simplement faire un rappel : entre 1970 et aujourd'hui, la part
des dépenses publiques dans le produit intérieur brut est passée de 40 % à 55 %
; dans le même temps, la dette publique, elle, est passée de 0 % à 60 %. Quant
au chômage, qu'est-il devenu ? Se serait-il réduit au fur et à mesure de
l'augmentation des dépenses publiques et de l'endettement public ? Mais non,
nous le savons bien, puisqu'il est passé pendant cette même période de 3 % à 12
% de la population active !
Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, si accroître la dépense
publique était la solution pour lutter contre le chômage et pour le réduire, ne
verrait-on pas cette vérité économique dans les chiffres issus du passé ?
La commission des finances estime qu'il faut s'attaquer au déficit de
fonctionnement et au déficit structurel, qu'il faut préserver l'investissement
porteur d'avenir et seul justiciable d'un financement par emprunt. Nous
estimons donc qu'il faut faire des économies, que nous avons chiffrées, dans
notre exercice, à 26 milliards de francs,...
Mme Hélène Luc.
Sur le dos des pauvres !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
... ce qui conduit à refuser, sous forme d'économies
ciblées, un certain nombre de dépenses qui correspondent à des politiques que
nous n'approuvons pas. Vous voulez les 35 heures obligatoires à un certain
terme et vous y affectez de l'argent : nous refusons de voter ces crédits !
Mme Hélène Luc.
Ah bon ?
M. Marc Massion.
Vous refusez d'appliquer la loi ?
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Sur les emplois-jeunes, le Sénat avait voté de
nombreux amendements au projet de loi de Mme Aubry.
M. Alain Gournac.
C'est vrai !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Vous nous avez proposé par ailleurs un certain nombre
de nouveaux dispositifs sociaux. Ces dépenses étant des dépenses engagées, nous
les acceptons en tant que telles, mais nous estimons qu'il est possible de
faire des efforts de redéploiement de plus de 150 milliards de francs dans la
masse globale des aides à l'emploi, de même que nous pensons qu'il est
possible, sans réduire en rien les droits sociaux, de faire des efforts
d'économie et de rigueur sur des crédits comme ceux du RMI, qui représentent 25
milliards de francs. C'est la Cour des comptes qui le dit, et pas seulement
nous ! On peut mieux contrôler et faire preuve de plus de rigueur en ce
domaine.
Et puis, naturellement, tout exercice budgétaire se traduit - ce n'est pas à
M. le secrétaire d'Etat que je vais l'apprendre - par des mesures de caractère
forfaitaire ; il n'y a pas de budget sans que l'on doive imposer des
limitations de nature globale.
En ce qui nous concerne, nous estimons qu'il ne faut pas toucher aux
ministères de souveraineté, c'est-à-dire aux affaires étrangères, à la défense,
à la justice et à l'intérieur. Nous estimons qu'il ne faut pas toucher à
l'investissement qui est déjà insuffisant, je l'ai dit. Mais nous pensons que
l'on peut faire un effort de réduction de 5 % sur le train de vie de l'Etat,
c'est-à-dire sur un très grand nombre de dépenses de fonctionnement, et que
l'on peut également faire un effort de réduction de 1 % sur la masse salariale
globale de l'Etat. Une réduction de 1 % sur la masse salariale globale, cela
veut simplement dire que, pour quatre départs à la retraite d'agent public en
1999, trois seulement seraient remplacés. C'est raisonnable...
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
C'est vrai !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
... et c'est à portée de main. Cela ne concerne pas,
bien entendu, les ministères de souveraineté que j'ai cités.
Les efforts que préconise votre commission, mes chers collègues, sont modérés
: ils portent sur à peine 1,4 % du total des charges de l'Etat. Qui parmi nous,
dans la gestion de la collectivité territoriale dont il a la charge, n'a été en
mesure de faire un tel effort et, éventuellement, de le répéter sur plusieurs
exercices ? Que l'on ne prétende donc pas que l'exercice est impossible ! Même
si aujourd'hui nous sommes dans une période de facilité, c'est un exercice
auquel, de toute façon, demain ou après-demain, vous ou vos successeurs,
monsieur le ministre, seront contraints, nous le savons ; alors, autant
commencer le plus vite possible.
Il faut ajouter, bien entendu, que notre vision est une vision responsable.
Après avoir amendé les budgets des différents ministères concernés, ainsi que
je viens de le dire, la commission des finances vous proposera, mes chers
collègues, de voter les budgets ainsi modifiés. Naturellement, nous nous
exprimerons largement sur ce que nous pensons de la politique menée dans chacun
des secteurs d'activité du Gouvernement. Et il y a beaucoup à dire, et il y a
beaucoup de critiques à faire sur le fond !
Nous voulons, enfin, engager une véritable baisse des prélèvements
obligatoires, mais sans démagogie, car la baisse des prélèvements doit succéder
à l'assainissement et non pas le précéder. On ne peut pas procéder comme nous
le voudrions, dès 1999, avec toutes les nouvelles charges de structure, à la
réduction de l'impôt sur le revenu que nous appelons de nos voeux ; mais il
faudrait le faire par la suite.
La commission a examiné les différentes mesures nouvelles concernant les
recettes. Nous avons pris des positions que nous justifierons tout au long du
débat. Je dirai simplement en cet instant que nous avons rejeté certaines
mesures telles que la taxe générale sur les activités polluantes, qui a de
nombreux effets pervers dans divers secteurs d'activité, et l'extension tout à
fait déraisonnable et improvisée de la taxe sur les bureaux en
Ile-de-France.
M. Denis Badré.
Très bien !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Par ailleurs, sur un certain nombre d'autres sujets,
nous vous proposerons, mes chers collègues, de rejeter les mesures nouvelles
concernant les recettes qui figurent dans ce projet de loi de finances.
Nous estimons enfin qu'il faut, comme vous le proposez, monsieur le ministre,
être très attentif aux risques de délocalisation de l'épargne et des activités
économiques. En d'autres termes, il faut, c'est vrai, lutter contre l'évasion
fiscale mais la meilleure façon de le faire n'est-il pas d'engager un processus
de réduction des prélèvements obligatoires et de revenir, en matière d'impôt
sur le patrimoine, par exemple, à un plafonnement raisonnable...
M. Philippe François.
Exactement !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
... de la totalité des charges d'impôts par rapport
aux revenus d'un contribuable donné ? Quand on y sera parvenu, on pourra
s'opposer sans doute avec encore plus d'efficacité aux risques ou aux
tentations d'évasion fiscale vers l'étranger.
Je conclurai ce propos, monsieur le ministre, en invitant nos collègues à
réfléchir, au-delà de ce budget, à tout ce qu'il convient de changer en matière
de finances publiques.
Nous nous fondons sur l'ordonnance organique du 2 janvier 1959, texte
excellent qui a fait partie de la nouvelle donne de la Ve République. Mais le
temps s'est écoulé et nous nous situons aujourd'hui dans un autre contexte
économique et européen.
Il conviendra certainement, à l'avenir, de mieux assurer la convergence des
prévisions économiques et des hypothèses de croissance entre les économies
européennes.
Il conviendra aussi, me semble-t-il, de mieux associer le Parlement à
l'exécution de la loi de finances.
Il conviendra également de s'astreindre, comme l'Allemagne et la
Grande-Bretagne, à ce principe de bon sens selon lequel il ne faut plus
financer le fonctionnement par l'emprunt.
Il faudra aussi faire preuve de prudence et ne pas cibler les hypothèses de
croissance les plus optimistes pour fonder tout l'équilibre budgétaire sur de
telles données prévisionnelles.
Enfin, il faudra suivre les conseils qui ont été donnés s'agissant de la
réforme de la comptabilité de l'Etat par certains d'entre nous, au premier rang
desquels se trouve Jean Arthuis. La comptabilité patrimoniale de l'Etat devra
être un guide pour la gestion et pour la prévision des budgets futurs.
N'y a-t-il pas une anomalie, mes chers collègues, à ce que, dans ce projet de
loi de finances, l'on n'évoque nulle part le remboursement des emprunts ?
Le budget de la France, et les choses sont ainsi faites depuis toujours, ne
fait figurer en dépenses que les intérêts de la dette. L'amortissement du
capital, le remboursement des emprunts se trouvent ailleurs, c'est-à-dire dans
les mouvements de trésorerie. La direction du Trésor est extrêmement
performante, chacun le sait !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Dans n'importe
quelle entreprise c'est pareil !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Mais n'y a-t-il pas des limites à l'exercice ? Un
manque de visibilité, un manque de transparence ? Ne faut-il pas progresser
pour l'avenir ? Ne faut-il pas imaginer des méthodes budgétaires plus claires,
plus souples et qui concourent à l'indispensable réforme de l'Etat ?
Mes chers collègues, c'est avec le voeu que l'on s'engage courageusement dans
cette voie que j'achève cet exposé, en vous remerciant de votre bienveillante
et patiente attention.
(Bravo ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes
économiques de la nation.
Monsieur le président, monsieur le ministre,
monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la France porte-t-elle
encore une grande ambition ?
Au moment où son économie achève de s'ouvrir au monde, au moment où elle se
dote d'une monnaie commune à onze pays de l'Union européenne, la discussion de
son budget, au Parlement, doit être un moment fort de vérité et d'affirmation
d'une ardente volonté politique.
C'est dans cet esprit que le Sénat engage ce débat budgétaire.
C'est le sens des propositions de sa commission des finances que le rapporteur
général, avec le talent que nous lui connaissions déjà mais dont il a fait à
nouveau preuve voilà un instant vient de nous exposer, avec une clarté que j'ai
trouvé tout à fait convaincante.
Il a su parfaitement décrire, analyser, illustrer le projet de loi de finances
qui nous est soumis, il nous a proposé des solutions alternatives. Comme il l'a
dit, je les fais miennes et les soutiens sans réserve.
Ces solutions sont dans le droit-fil du débat d'orientation budgétaire que
nous avons tenu, dans cette enceinte, au printemps dernier. Je limiterai donc
mon propos à quelques points essentiels auxquels on n'échappe pas dans un débat
budgétaire : les déficits, hélas ! les dépenses et les prélèvements.
S'agissant des déficits, oui, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire
d'Etat, une réduction plus importante était possible, comme M. le rapporteur
général l'a dit.
Pour la première fois, en effet, et depuis longtemps, le solde pouvait être
arrêté à un niveau permettant de stabiliser la dette en ratio de produit
intérieur brut. Les 74,5 milliards de francs de recettes supplémentaires
attendues de la croissance vous le permettaient.
Le déficit budgétaire que vous nous proposez reste donc, à nos yeux, trop
élevé, il atteint en effet 237,3 milliards de francs. Il ne diminue que de 20,5
milliards de francs par rapport à l'année dernière, de 20,5 milliards de francs
rapportés aux 74,5 milliards de francs de ressources nouvelles, reconnaissez
que l'effort est bien modeste !
Or cette facilité à laquelle vous nous conviez, monsieur le ministre,
précisément au moment où il était possible de faire autrement, ainsi que cela a
été démontré, illustre, je le crains, le retard inquiétant de la France à
opérer les réformes structurelles dont elle a pourtant un urgent besoin, alors
même que les circonstances le permettaient - nous savons en effet que les
réformes sont difficiles en France - et alors que la prochaine échéance
électorale est lointaine et que la croissance vous offrait les marges de
manoeuvre nécessaires. C'était donc le moment.
Sur les quinze pays de l'Union européenne, la France affiche le plus fort
besoin de financement des administrations publiques. Elle sera l'un des seuls
pays à ne pas stabiliser sa dette publique par rapport au produit intérieur
brut alors qu'une réduction supplémentaire d'environ 15 milliards de francs
l'aurait rendu possible.
La commission des finances a donc parfaitement raison de vous proposer de
fixer le déficit budgétaire à un niveau qui le permet et d'éviter ainsi que la
dette publique ne continue de dériver. Mes chers collègues, le niveau atteint
par la dette publique - plus de 5 000 milliards de francs - dévore chaque année
en intérêts 20 % de recettes fiscales nettes. Notre devoir absolu, vis-à-vis de
nous-mêmes, mais plus encore vis-à-vis des générations futures, est de faire au
plus vite refluer cette dette.
J'en viens aux dépenses.
Les dépenses liées à la fonction publique dérivent de 21 milliards de francs
soit, à titre d'exemple, 3 milliards de plus que l'évolution du produit de
l'impôt sur le revenu des Français. Comment voulez-vous que nos compatriotes
puissent croire que leurs impôts pourront baisser un jour, dès lors que toutes
les sommes supplémentaires qui sont prélevées sur leurs revenus, chaque année,
ne couvrent même pas les suppléments de dépenses de fonction publique ?
Le présent serait moins déprimant, monsieur le ministre, monsieur le
secrétaire d'Etat, si vous ne sembliez pas vous satisfaire de cette situation.
Vous vous apprêtez en effet à recruter de nouveaux fonctionnaires, même si vous
m'objecterez sans doute que le solde de création des emplois civils est à
l'équilibre.
A cela s'ajoutent les 100 000 nouveaux emplois-jeunes prévus pour 1999, qui
viendront inévitablement, au terme des cinq ans, s'ajouter à des effectifs déjà
excessifs.
Au chapitre des dépenses, M. le rapporteur général a eu raison d'évoquer la
montée inexorable des charges de retraite de la fonction publique. En 2010, le
budget de l'Etat devra supporter plus de 70 milliards de francs constants
supplémentaires. Le coût budgétaire total sera à cette époque du même ordre que
la charge de la dette aujourd'hui. Cette charge de retraites est donc bien -
cela a été dit à cette tribune - la « seconde dette » de l'Etat.
Pour aider les Français à en prendre conscience, il serait indispensable que
le Gouvernement montre la voie de la lucidité et de l'audace. La remise en
ordre des régimes spéciaux nécessite en effet des décisions courageuses et sans
doute impopulaires, mais il ne sert à rien de les retarder.
Or, là encore, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, quel
message délivrez-vous ?
Dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1999, vous
nous avez proposé d'affecter 2 milliards de francs à un fonds spécial alors
que, pendant le même temps, vous autorisez la Caisse nationale de retraites des
agents des collectivités locales, la CNRACL, à s'endetter du même montant pour
financer des prestations courantes. Or, la CNRACL est aujourd'hui
structurellement excédentaire, son déficit étant dû à un désengagement de
l'Etat qui remonte à 1985 et sur lequel il va bien vous falloir revenir !
Alors que la branche vieillesse est déjà déficitaire, vous accordez 2
milliards de francs supplémentaires à la revalorisation des retraites. Certes,
la mesure est appréciée par les actuels retraités, mais, franchement, est-elle
responsable à l'endroit des générations futures ?
Face à ces dérives, je rappelle l'attachement constant du Sénat à la maîtrise
de la dépense publique, non par esprit de contradiction mais parce que le
niveau de la dépense publique d'un pays est devenu l'un des premiers
indicateurs de sa crédibilité.
Or notre niveau de dépense n'est pas crédible. L'Etat dépense trop ; il se
révèle incapable de contenir ses dépenses, tant il peine à se réformer. Les
chiffres donnés par M. le rapporteur général parlent d'eux-mêmes.
Le reproche majeur qui peut être adressé au Gouvernement est de repousser cet
impératif, parfois même de sembler douter de son bien-fondé. Comment, en
vérité, se satisfaire d'emprunter l'année prochaine 69 milliards de francs pour
financer les dépenses de fonctionnement et reporter sur les générations futures
le paiement des dépenses courantes d'aujourd'hui ?
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Absolument !
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Loin de servir la solidarité,
l'excès de dépenses la mine.
Contrairement aux apparences et à une dialectique très sommaire, une dépense
publique excessive est antisociale : elle alimente les prélèvements
obligatoires, elle renchérit les coûts, elle affaiblit la compétitivité de nos
entreprises, elle fragilise nos emplois et elle affaiblit peu à peu la cohésion
sociale. Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, les transferts
sociaux ne remplaceront jamais des emplois durables. C'est en tout cas ma
conviction, et je souhaite l'exprimer.
A qui pourra-t-on faire croire qu'un budget qui consacre 237 milliards de
francs aux intérêts de la dette est un budget social alors que, mes chers
collègues, cette somme est égale à l'ensemble des crédits du ministère de
l'emploi et de la solidarité ?
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Très bien !
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Il est urgent et nécessaire,
monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, de s'attaquer aux
composantes les plus rigides de la dépense publique, d'engager un mouvement
progressif de réduction et de redéploiement des effectifs du secteur public et
une réforme des régimes de retraites.
Les comparaisons le montrent : les pays qui ont le mieux réussi sont ceux qui
ont fait l'effort le plus significatif sur les dépenses.
Inversement, il serait avisé d'endiguer le reflux des dépenses d'équipement
public. Si la dépense est une sorte de fatalité socialiste, monsieur le
ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, alors, je vous en supplie,
concentrez-la sur l'investissement - il en a bien besoin - et réduisez le
fonctionnement.
M. Serge Vinçon.
Absolument !
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Ce sera plus conforme aux
intérêts des générations futures.
Or nous assistons - chacun le sait - à une nouvelle baisse des dépenses
d'équipement de l'Etat. Heureusement que les collectivités locales sont là, et
ce ne sont pas les présidents de conseils généraux et les présidents de
conseils régionaux qui siègent à la Haute Assemblée qui me contrediront !
M. Denis Badré.
Ce ne sont pas les maires non plus !
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
J'en viens enfin aux
prélèvements obligatoires, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire
d'Etat.
Vous prélèverez 74,5 milliards de francs - environ 75 milliards de francs -
supplémentaires tout en annonçant que vous baissez les impôts. Je n'ignore
évidemment pas l'effet naturel de la croissance, mais beaucoup de Français
penseront qu'il s'agit d'une étrange dialectique !
Vous dénoncez l'augmentation de la TVA pratiquée en 1995, mais vous la
maintenez au même niveau en évitant soigneusement de reconnaître que, pour la
ramener au niveau antérieur, vous devriez trouver environ 60 milliards de
francs d'économies supplémentaires alors que vous peinez tant par ailleurs à
diminuer les dépenses.
Parfois - mais rarement - les circonstances économiques permettent de mener de
front la baisse des déficits et la réduction des impôts, sans réduire en même
temps les dépenses. C'est une illusion dangereuse en vérité, car, au premier
retournement de conjoncture, les déficits et la dette s'envolent.
La baisse vraie des impôts - dont je rappelle qu'à mes yeux elle passe par la
baisse des dépenses - est une nécessité pour les contribuables, mais elle l'est
tout autant pour le pays.
Le passage à l'euro, dont nous nous réjouissons quasiment tous à la Haute
Assemblée, révèlera, dès le 1er janvier prochain, d'une manière éclatante mais
aussi inquiétante pour nous, les différences de coûts fiscaux et sociaux qui
forment les prix des productions françaises, au risque de les pénaliser à
l'échelle de l'Europe.
Dans la perspective antérieure du marché unique et de la liberté de
circulation des capitaux, ce qu'on a appelé un « désarmement » fiscal a dû être
engagé. Il a été chiffré à 221 milliards de francs en 1993 par suite des
mesures prises depuis 1985. Un autre « désarmement » est aujourd'hui
nécessaire, et il sera très supérieur au précédent lorsqu'on sait que 480
milliards de francs, selon mes calculs - mais j'y inclus, il est vrai, les
dépenses sociales - de dépenses publiques nous séparent de la moyenne de nos
partenaires européens. Mes chers amis, la baisse de 16 milliards de francs
annoncée cette année montre la longueur du chemin qui reste à parcourir.
Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, se fixer pour objectif la
stabilisation des prélèvements en ratio de PIB ne suffira pas. La diminution
des déficits et des prélèvements obligatoires ne pourra résulter que d'une
politique affirmée de maîtrise des dépenses publiques. De cette manière, notre
pays pourra résorber sa dette et pourra ainsi éviter de compromettre l'avenir
de ses enfants.
La question des prélèvements me conduit à évoquer brièvement la réforme de la
taxe professionnelle présentée comme une amélioration de la fiscalité qui pèse
sur les entreprises.
Ce qui a pu apparaître comme une bonne idée au départ se révèle chaque jour
une aventure dont personne peut-être ne semble plus vraiment maîtriser les
effets.
L'examen des articles nous permettra d'éviter quelques dégâts irrémédiables.
Mais nous ne parviendrons pas, malgré le génie du rapporteur général et du
Sénat, à évitercomplètement les effets pervers du nouveau dispositif.
Ainsi, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat - je ne prends
qu'un exemple pour ne pas vous faire perdre inutilement votre temps - ne
craignez-vous pas qu'au cours des premières années, certaines entreprises, y
compris industrielles, ne voient leur taxe professionnelle substantiellement
augmenter ? Est-ce une volonté affirmée de votre part ou, au fond, un effet mal
maîtrisé de cette réforme ?
S'agissant de la compensation des pertes de recettes des collectivités
locales, si vos intentions sont pures, monsieur le ministre, monsieur le
secrétaire d'Etat - et je ne doute pas qu'elles le soient - pourquoi vous
opposer au système de dégrèvement - avec gel des taux, bien entendu - qui
apaiserait, vous le savez, les inquiétudes des élus locaux ?
S'agissant du contrat de solidarité et de croissance, dont vous vantez les
mérites comparés au pacte de stabilité arrivant à échéance, pourquoi
utilisez-vous les recettes fiscales des collectivités locales pour mener votre
politique de péréquation ? Il serait plus judicieux que l'Etat, pour conduire
sa politique, utilisât ses propres moyens et pas ceux des collectivités
locales. Il ne saurait y avoir de péréquation que sur concours budgétaires. A
défaut, ce serait répartir la pénurie et, surtout, déresponsabiliser les élus
qui ont tant à faire pour attirer les entreprises et pour maîtriser les
dépenses.
J'en viens, mes chers collègues, aux priorités qui doivent être les nôtres en
matière de réduction des prélèvements obligatoires. J'en propose trois.
La première vise à réduire les charges sociales qui pèsent sur le travail, sur
les bas salaires en particulier. Le passé récent nous a montré que dépenser
toujours plus pour l'emploi et prélever toujours plus sur les salaires nous a
placés parmi les pays européens les moins performants, sur les fronts aussi
bien du chômage que des finances publiques.
On m'a objecté, on m'objectera encore et toujours, que les allégements de
charges n'ont pas créé d'emplois. Mais les allégements ponctuels ne doivent pas
masquer la tendance longue à l'alourdissement des prélèvements.
La clé de l'indispensable réforme structurelle de notre marché du travail se
trouve là, et non, comme le pense Mme Martine Aubry, dans des contraintes
supplémentaires sur les entreprises. On ne peut à la fois les dissuader
d'embaucher et les obliger à le faire. Le président Poncelet nous a récemment
montré la voie sur ce sujet.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Absolument !
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
La deuxième priorité est de
reprendre le processus engagé de réforme de l'impôt sur le revenu, mais ce
point ayant été développé par M. le rapporteur général, je n'y reviendrai
pas.
La troisième priorité a pour objet d'alléger la fiscalité de l'épargne et du
patrimoine, des ménages comme des entreprises. Dans la course à l'attractivité
fiscale, nous ne sommes pas suffisamment compétitifs. Cette situation risque de
nous faire perdre des cerveaux, de l'activité et des emplois. Il convient d'y
remédier au plus vite.
Mes chers collègues, j'en viens à ma conclusion.
Plusieurs sénateurs socialistes.
Ah !
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
J'entends des manifestations de
soulagement !
(Sourires.)
Nous nous accordons tous à reconnaître que la France est un grand pays, la
quatrième puissance industrielle du monde. Elle a un génie propre qui lui a
permis d'atteindre l'un des plus élevés niveaux de développement du monde.
Son handicap majeur aujourd'hui, c'est l'Etat, dont vous avez la charge,
monsieur le ministre et monsieur le secrétaire d'Etat. Il est coûteux, trop
souvent peu efficace, brouillon, tatillon, lent, lourd. S'il ne se réforme pas
rapidement, il peut compromettre les chances de la France et des Français.
Pourtant, je ne désespère pas et je ne crois pas que la réforme et la France
soient antinomiques.
Il faut simplement à ses gouvernements de la stabilité, vous en avez, monsieur
le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, une vision, et nous pouvons
ensemble partager celle de l'Europe, une volonté et du courage pour passer de
l'Etat omniprésent et omnipotent à l'Etat stratège, c'est-à-dire un Etat qui
fixe les objectifs, en définit les moyens et mobilise la nation pour les
atteindre.
Tel est le sens de la proposition de la commission des finances : un budget
alternatif de responsabilité et de confiance, que M. le rapporteur général vous
a présenté et que je vous demande à mon tour d'approuver pour marquer toute la
confiance que vous portez en la France. Je veux parler non pas d'une France
frileuse, abritée derrière des statuts désuets, mais de la France qui ose, de
la France qui livre la bataille de la compétitivité, de la France qui gagne, de
la France qui sait dominer sa peur de l'avenir pour enclencher une dynamique de
développement et de modernisation, de la France qui porte une nouvelle ambition
: concilier dans un monde ouvert efficacité économique et harmonie sociale.
C'est cet esprit, mes chers collègues, qui soufflera dans ces lieux tout au
long de cette discussion et qui sera la contribution du Sénat au succès de
notre pays !
(Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union
centriste, du RPR, des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines
travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Monsieur le
président, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le président de la
commission des finances, monsieur le rapporteur général, je dois vous dire le
plaisir que Christian Sautter et moi retrouvons à venir devant vous présenter
ce projet de loi de finances.
Le Sénat a cette caractéristique supérieure dans toutes les assemblées de la
République qu'il ne cherche pas à surprendre ceux qu'il convie à venir écouter
ses débats. Comme à l'accoutunée, avec la même qualité que lorsque le président
Poncelet présidait aux destinées de la commission des finances, nous avons pu,
Christian Sautter et moi-même, constater que les propos tenus se situaient dans
la droite ligne des thèses défendues depuis longtemps par votre assemblée.
Vous ne serez pas surpris que je ne les partage pas intégralement et, dans ces
conditions, que je sois amené, sur certains points, à y répondre. Auparavant,
permettez-moi de faire un petit tour d'horizon de la situation économique, car
c'est bien dans un cadre économique donné que se situe un budget, et non pas
dans l'abstrait, en dehors de toute référence à ce qui se passe chez nous et
autour de nous. Christian Sautter, quant à lui, interviendra ensuite pour
entrer plus longuement dans le détail des mesures tant fiscales que budgétaires
que nous aurons à discuter ensemble.
Nous vous présentons donc, tous les deux, le deuxième budget du gouvernement
que dirige Lionel Jospin.
Il y a un an, l'économie française n'était pas sortie de l'atonie qu'elle
connaissait depuis la crise de 1992-1993. Il y a un an, le chômage augmentait.
Il y a un an, la France n'était pas qualifiée pour l'euro et il n'était pas
absolument certain qu'elle puisse l'être.
Où en sommes nous ? Il reste évidemment beaucoup à faire, et personne ici ne
dira le contraire : le chômage continue à être important, beaucoup de salariés
ont des situations précaires, notre pays compte beaucoup d'exclus et il n'y a
donc aucune raison de chanter victoire d'une quelconque manière !
Pourtant, en regardant aussi largement que possible un certain nombre
d'indicateurs économiques, j'ai le sentiment que nous sommes plutôt sur le bon
chemin.
L'année dernière, je vous proposais un budget fondé sur une prévision de
croissance de 3 % - vous vous rappelez combien cette prévision était décriée ;
non seulement nous respecterons cette prévision, mais nous la dépasserons en
atteignant 3,1 %.
L'année dernière, à l'occasion de ce budget, j'annonçais 200 000 créations
d'emploi dans le secteur privé. Selon l'INSEE, il y en a 300 000. Ce sont - je
le précise en direction de M. le rapporteur et de M. le président de la
commission des finances - des emplois marchands, car je ne parle pas, bien
entendu, de ceux qui, par ailleurs, sont susceptibles d'être créés par l'action
publique, tels que les emplois-jeunes.
Trois cent mille emplois, ce n'est pas tout à fait rien ! C'est deux fois plus
que la moyenne annuelle des années soixante, quand la croissance était
sensiblement supérieure, trois fois plus que la moyenne annuelle des années
soixante-dix et cinq fois plus que la moyenne annuelle des années
quatre-vingt.
Trois cent mille emplois sur un an, cela ne suffit évidemment pas. J'en
attends autant pour l'année 1999, mais ce sont 300 000 emplois quand même !
Le chômage ne diminue pas dans les mêmes proportions, on le sait bien. La
relation est de l'ordre de 50 %, ce qui est classique dans notre pays. On n'est
donc pas surpris que le nombre d'inscrits au chômage n'ait diminué que de 175
000. Evidemment, cela nous paraît à tous insuffisant, mais c'est néanmoins un
changement.
Quant à la croissance du pouvoir d'achat, il était prévu l'année dernière à la
même époque qu'elle serait de 2,3 % en 1998 ; nous constaterons à la fin de
l'année que le pouvoir d'achat aura crû de 3 % en 1998.
Le déficit attendu l'année dernière pour 1998 était de 3 % ; nous constaterons
avec le collectif que nous présenterons dans quelques jours qu'il est ramené à
2,9 %.
Les prélèvements obligatoires auront en effet diminué de 0,2 point en 1998. Je
reviendrai sur les remarques que M. le rapporteur général faisait sur ce sujet
tout à l'heure, me contentant pour le moment de constater cette baisse.
Quant à la dépense publique, que nous sommes tous d'accord pour maîtriser en
pourcentage du produit intérieur brut, elle diminuera de un point en 1998,
comme d'ailleurs en 1999.
Au total, ces résultats, qui, pris séparément, n'ont pas une signification
suffisante, montrent pris tous ensemble que l'économie française va dans la
bonne direction.
Certains diront que nous avons eu de la chance. Certes, l'environnement
international a été plutôt porteur, mais chacun sait aussi ce que Napoléon
disait des réformes politiques et de la chance !
Dans ces conditions, si les Français ont de la chance lorsqu'ils élisent un
gouvernement de gauche et n'en n'ont pas quand ils élisent un gouvernement
conservateur, leur choix doit être fait pour longtemps !
(Rires sur les travées socialistes ainsi que sur les travées du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Ce n'est pas vrai pour toujours !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Ah, on ne sait
pas ! En tout cas, c'est vrai maintenant !
Ce qui est sûr, c'est que, depuis 1993, la croissance française était
au-dessous de la moyenne européenne. Ainsi, lorsque l'on cumule les années de
1993 à 1997, on s'aperçoit que le déficit de croissance français par rapport à
la moyenne européenne est de 1,7 point, ce qui aurait représenté 300 000
créations d'emplois supplémentaires si nous avions connu la croissance
européenne de 1993 à 1997 ! Ce n'est pas dû à l'environnement international qui
est le même pour tous !
Nous avons donc fait moins bien en moyenne que nos partenaires européens de
1993 à 1997. En revanche, en 1998, nous sommes 0,2 point au-dessus de la
croissance moyenne européenne et, en 1999, quelles que soient les prévisions
qui se révéleront les bonnes, les différents instituts situant la moyenne plus
ou moins haut, nous resterons aussi 0,2 ou 0,3 point au-dessus de la moyenne
européenne.
C'est encore le cas avec la prévision récente de l'OCDE, qui met la moyenne
générale plutôt bas, autour de 2 %, 2,1 % - je crois d'ailleurs que cette
Organisation se trompe -, mais qui met celle de la France à 2,4 %.
Là non plus, ce n'est ni la chance ni l'environnement international qui
comptent, c'est la politique économique.
Ou bien, mesdames, messieurs les sénateurs, vous ne croyez pas à la politique
économique et vous pensez que tout nous vient de l'extérieur sans que nous
puissions rien y faire et, dans ces conditions, nous pouvons nous dispenser
d'un débat budgétaire ensemble, ou bien vous croyez - et je suis sûr que c'est
le cas - que la politique économique a une influence - c'est d'ailleurs la
raison pour laquelle vous faites des propositions - et alors force est de
constater que la politique économique que vous avez conduite pendant quatre
ans, de 1993 à 1997, nous a mis au-dessous de la moyenne européenne et que
celle qui est conduite cette année et - en prévision seulement - pour l'année
prochaine nous met au-dessus de la moyenne européenne. En tout cas, pour 1998,
ce n'est plus une prévision, c'est une constatation !
M. Claude Estier.
Eh oui !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Le budget qui
vous est présenté a été beaucoup plus longuement travaillé que le précédent,
lequel, chacun s'en souvient, avait été fait dans des conditions de rapidité
liées aux aléas politiques.
Cette année, nous avons tenu, M. Christian Sautter et moi-même, à ce que la
préparation du débat budgétaire commence très tôt. Cela a été le cas notamment
en matière fiscale au sujet de laquelle des rapports ont été demandés à de
nombreux parlementaires. C'est vrai aussi de la discussion que nous avons eue
sur les orientations budgétaires. C'est vrai encore, et je pense que vous en
conviendrez, car beaucoup d'entre vous, individuellement, me l'ont confirmé, du
rapport économique et financier pour lequel un effort a été fait afin qu'il
soit beaucoup plus nourri et beaucoup plus riche que par le passé, pour qu'il
comprenne plus d'analyses et permette donc un débat plus large.
Une des discussions autour de laquelle tourne ce débat budgétaire est
évidemment la prévision du taux de croissance.
M. le rapporteur général a eu l'amabilité de dire qu'il ne la remettait pas en
cause ; je l'en remercie. Ce n'est pas le cas de l'opposition à l'Assemblée
nationale. Mais, je ne jouerai pas, comme vous le faisiez tout à l'heure, au
petit jeu de la comparaison des discours au sein de l'opposition nationale en
rappelant les paroles éclairées de M. le président de l'Assemblée nationale ou
de M. Jack Lang. Je conçois qu'il puisse y avoir une différence entre la
sagesse de la majorité sénatoriale et les errements de l'opposition à
l'Assemblée nationale.
M. Dominique Braye.
C'est pour ça qu'il faut garder le Sénat !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Et tel qu'il est !
M. le président.
Ces un beau compliment que vous faites làau Sénat, monsieur le ministre, je
vous en remercie. Il faudra le dire au Gouvernement pour qu'il soutienne
l'institution !
(Rires et applaudissements sur les travées du RPR, des
Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Je ne suis jamais
avare de compliments à l'égard du Sénat, ce qui me permet ensuite de dire avec
d'autant plus de franchise, et vous ne m'en voulez jamais, ce que je pense des
propositions que vous faites !
(Sourires.)
Toujours est-il que vous ne remettez pas en cause la projection de
croissance.
Vous dites aussi, monsieur le rapporteur général, que tout repose assez
largement sur la confiance. Je suis d'accord avec vous : en matière économique,
la confiance fait beaucoup. C'est sans doute parce que le Gouvernement a su,
dans la seconde moitié de 1997, rétablir une certaine confiance que nous avons
eu, en 1998, la croissance que nous constatons.
Je constate aussi que les indicateurs de la confiance, pour peu fiables qu'ils
soient, sont aujourd'hui à des niveaux supérieurs à ce qu'ils étaient voilà un
an. C'est vrai, par exemple, pour les indicateurs de confiance des ménages, et
cela se traduit dans la consommation.
Donc, si vous pensez vraiment - et c'est aussi mon avis - que la façon dont la
confiance s'exprime de la part tant des consommateurs que des entreprises est
l'un des facteurs déterminants de la croissance, vous devez alors être
relativement rassurés quant à la croissance pour 1999 ; c'est sans doute la
raison pour laquelle vous ne remettez pas en cause cette prévision.
Il est vrai qu'au cours de 1998 l'horizon international s'est un peu assombri.
Il est vrai aussi que, depuis un mois et demi, chacun a le sentiment que nous
sommes plutôt en train de sortir de la période la plus aiguë de la crise - je
le dis avec précaution car, en la matière, chacun le sait ici, il peut y avoir
des retournements rapides. Enfin, nous avons tous l'impression, en France comme
à l'étranger, que la période la plus difficile est derrière nous. Aussi, la
prévision de croissance de 2,7 % me semble toujours valable. Elle n'est pas si
ancienne, contrairement à ce que certains ont dit parfois ; elle a été établie
fin août, comme le veut la tradition. De toute façon, pour que le projet de loi
de finances soit déposé sur le bureau du conseil des ministres début septembre,
il ne pouvait en être autrement !
Cette prévision de croissance ne me semble pas non plus tenir compte de
l'environnement international.
Vous savez que la prévision avait été établie au mois d'avril dernier à 2,8.
Puis, elle est passée à 2,4 en raison d'une aggravation de la récession
internationale - dans le scénario d'avril, elle n'était pourtant pas considérée
comme très bonne, mais enfin, elle s'est aggravée. Elle a finalement remonté à
2,7 en raison d'une appréciation plus positive de la demande intérieure. C'est
donc un double mouvement qui l'a conduite de 2,8 à 2,7. Finalement, je ne la
crois pas trop optimiste.
Ce qui me frappe, c'est que, au dire des instituts de sondage, le plancher de
notre croissance s'est beaucoup relevé depuis deux mois. Auparavant, certains -
à tort ou à raison, mais il ne s'agit que de prévisions - envisageaient pour
1999 une croissance de 1,5, parfois 2 ; ceux d'entre vous qui suivent ces
questions avec précision s'en souviennent.
Aujourd'hui, toutes les prévisions sont remontées beaucoup plus haut. Certes,
ce « beaucoup plus haut » est généralement plus faible que ce que prévoit le
Gouvernement, mais même l'OCDE, qui présentait la prévision la plus basse, 2,4,
ne cite plus le chiffre de 2 ni,
a fortiori,
celui de 1,5.
Je vois donc, dans cette amélioration de la situation, une diminution de
l'incertitude qui fait que, si l'on n'a pas le fétichisme de la décimale - et,
en matière de prévisions, qui peut l'avoir, surtout quand la période est un peu
troublée, comme c'est le cas cette année ? - on peut être sûr que la croissance
sera forte l'année prochaine.
Une deuxième chose est sûre : la France fera la course en tête car, quels que
soient les instituts de prévision, aucun ne met en doute que la France aura la
croissance la plus élevée des grands pays d'Europe. Certes, certains pays comme
l'Irlande auront une forte croissance, mais leur situation est un peu
particulière. En tout cas, parmi les trois pays - la France, l'Allemagne et
l'Italie - qui, à eux trois, représentent 75 % du PIB de la zone euro, il est
clair que la France sera sensiblement en tête.
Je maintiens donc cette prévision de croissance de 2,7 %, d'autant que le
Gouvernement n'est pas un institut de conjoncture - cette idée figurait dans
les propos de votre rapporteur - et que, dès lors, la prévision qu'il formule
est au moins autant une cible à atteindre. Le Gouvernement n'est pas spectateur
de ce qui se passe en matière de croissance, il est un acteur et il s'assigne
une politique dont il pense raisonnablement qu'elle peut lui permettre
d'atteindre cette croissance de 2,7 %.
Il ne s'agit donc pas simplement d'une prévision ; il s'agit aussi d'un
objectif de politique économique auquel doit correspondre une stratégie,
stratégie que je vais développer brièvement.
Je ferai tout d'abord remarquer que ce qui s'est passé en 1998 me semble
plutôt valider les choix politiques du Gouvernement.
Parmi ceux-ci, je citerai tout d'abord le choix européen, largement suivi par
la Haute Assemblée. On en a traité maintes et maintes fois depuis plusieurs
mois, et je ne ferai pas perdre de temps sur cette question. Notons cependant
que la perspective de l'euro a créé une zone de stabilité dont on peut penser
qu'elle n'aurait pas existée sans elle. Si l'on considère la crise de 1994 - la
crise mexicaine - ou la crise de 1992 dont certains disent qu'elle était plutôt
de moindre ampleur que celle que nous avons vécue, on constate que les
fluctuations sur les parités, comme la hausse très importante des taux
d'intérêt que ces fluctuations avaient engendrées sont sans commune mesure avec
la totale stabilité des parités qui a prévalu dans la zone euro pendant la
dernière crise et le niveau très bas des taux d'intérêt que nous pratiquons,
puisque nous avons les taux d'intérêt les plus bas du monde, mis à part le
Japon, qui est un cas un peu particulier.
Quoi que l'on pense de l'opportunité de la mise en place de l'euro - je ne
reviendrai pas sur ce débat - force est de constater que la stabilité a été
mise à l'épreuve d'une crise très dure - on se serait passé de cette épreuve,
mais puisque la crise a eu lieu, tirons-en au moins les leçons - et que nous
avons tous bénéficié, consommateurs pour emprunter ou consommer, entreprises
pour emprunter ou investir, de cette stabilité et donc du bas niveau des taux
d'intérêt.
Je suis frappé de constater qu'au moment où nous avons vu le yen fluctuer de
quelque 15 % en vingt-quatre heures, passant de 132 à 115 yens pour 1 dollar,
alors que quelques jours plus tard le gouvernement italien tombait, la lire n'a
pas varié de 1 . Voilà une autre manière d'illustrer la stabilité monétaire
dans laquelle nous sommes entrés !
Le deuxième choix opéré par le Gouvernement, qui est beaucoup moins partagé, a
été de miser sur la demande interne.
Cette orientation avait été affirmée lors de la campagne électorale. Tel a été
l'objet de la politique systématiquement mise en oeuvre, et je crois que nous
avons eu raison. Si notre croissance a été peu touchée - je ne dis pas qu'elle
ne l'a pas été - par un environnement international dégradé, c'est justement
parce que nous avons fait en sorte, et nous continuerons en ce sens, qu'elle
repose fondamentalement, voire exclusivement, sur la demande interne,
consommation et investissement, et non sur les exportations. Malgré l'effet
négatif sur la croissance qu'auront ces dernières en 1999, j'espère que notre
taux de croissance sera de 2,7 % parce que la demande interne est très
vigoureuse.
Notre croissance en matière de consommation est en effet de l'ordre de 4 %.
Qu'en est-il, me direz-vous, de l'investissement ? Il progresse moins vite,
moins sûrement que la consommation car il existe toujours un décalage, et il
est clair que la crise financière que nous avons traversée a ralenti les
anticipations d'investissements de la part des entreprises. Je pense toutefois
que ceux-ci vont reprendre leur rythme normal dans la mesure où ils reposent
essentiellement sur la demande, c'est-à-dire la consommation. La consommation
ayant repris - après que la crise financière eut quelque peu retardé le
processus - l'investissement repartira.
Il reste que ce choix de fonder la croissance, non par principe mais parce
qu'il correspondait, selon notre analyse, à la situation de la France
aujourd'hui, sur la demande interne est non pas l'inverse - le mot est un peu
excessif - mais assez différent du choix effectué par le gouvernement
précédent. En tout cas, il a été validé par les résultats de 1998.
Il faut dès lors mener une politique économique qui nous permette d'avoir la
plus forte croissance l'année prochaine. En effet, au-delà de tous les débats
comptables sur la diminution ou non du déficit ou bien sur la diminution ou non
des prélèvements obligatoires, ce qui importe, nous pouvons tous en être
d'accord, c'est la croissance créatrice d'emplois.
Les Français sont avant tout concernés par la baisse du chômage. Certes, ils
s'intéressent à d'autres sujets, comme le volume de la dépense publique, celui
de la dette publique, les déficits ou les impôts - ce sujet les intéresse
encore peut-être davantage d'ailleurs - mais leur moral est avant tout
conditionné, nous le savons tous, par les résultats en matière de chômage.
C'est parce que le chômage a tendance à baisser que la confiance des ménages
augmente.
Que faire pour atteindre le niveau de croissance le plus élevé possible ?
L'histoire récente ne sert pas toujours de modèle. En économie plus
qu'ailleurs, on ne peut pas transposer les périodes. Mais on aurait tort de ne
pas en tirer quelques leçons.
Tout à l'heure, monsieur le rapporteur général, vous indiquiez par
anticipation que vous partagiez la conclusion à laquelle je vais arriver,
d'ailleurs rapidement.
Lorsque l'on regarde la politique menée aux Etats-Unis au début des années
quatre-vingt par le couple exécutif-banque fédérale, c'est-à-dire MM. Reagan et
Volcker, on voit une politique budgétaire qui laisse filer le déficit et, en
réaction, une politique monétaire très dure. Dans les années qui suivirent, on
a pu constater un écroulement de la croissance américaine.
Lorsque l'on regarde la politique menée par le gouvernement allemand lors de
l'unification, on constate que pour des raisons que je n'ai pas à juger, elle a
tendu à financer les dépenses de cette unification sans augmenter les impôts,
donc par une augmentation du déficit. En réaction, la Bundesbank durcit les
taux d'intérêts. Il s'ensuivit un écroulement de la croissance européenne dans
la période 1993-1997.
Regardons aussi, je le dis sans polémique, la politique suivie par le
gouvernement de M. Balladur. Celui-ci s'était donné l'objectif, que je partage,
d'assurer la stabilité de la parité franc - mark en vue de l'euro. Mais, à
cette fin, la mécanique a été la même : il fallait des taux d'intérêts élevés,
lesquels ont été compensés par une politique budgétaire qui a entraîné des
déficits importants. En matière de croissance, cela n'a pas donné de résultats
réjouissants.
Voilà donc trois exemples dans lesquels la combinaison entre une politique
monétaire dure et une politique budgétaire laxiste a donné de mauvais
résultats.
A l'inverse, nous avons sous les yeux les résultats d'une politique symétrique
: celle des Etats-Unis, qui ont mené une politique monétaire d'accompagnement
et une politique budgétaire de réduction du déficit. Or, après sept ans de
croissance, ils bénéficient d'excédents budgétaires, ce qui n'était pas arrivé
depuis un certain temps. Il n'y a pas si longtemps que les uns et les autres
tempêtions, pour des raisons de circulation de l'épargne mondiale, contre le
déficit budgétaire américain. Il s'agit donc d'un changement notable.
C'est cette combinaison que nous devons mettre en oeuvre en Europe, d'autant
qu'elle correspond parfaitement aux conditions que nous connaissons
aujourd'hui, à savoir : un niveau d'inflation extrêmement faible rendant
inutile une politique monétaire trop dure, en France comme en Europe ; des
finances publiques qu'il faut continuer d'assainir...
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Plus vite !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Monsieur le
rapporteur général, si cette remarque s'adresse à mon discours, je vais vous
satisfaire.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Non, pas du tout.
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Si elle a trait à
la diminution du déficit, il faudra vous contenter de ce que le Gouvernement a
prévu.
De toute façon, une politique à taux d'intérêt élevés et une politique
d'augmentation du déficit conduiraient à faire monter l'euro par rapport au
dollar, ce qui, à l'évidence, n'est pas l'intérêt de nos économies
européennes.
Toutes ces raisons concourent donc à cette politique, et il me semble que
c'est bien celle que la coordination des politiques économiques que la France a
obtenue au sein de la zone euro et qui commence doucement à se mettre en oeuvre
devrait permettre de mener.
Je vous rappelle, pour terminer sur ce point, que nous avons des taux
d'intérêt faibles, même si l'on peut penser que ce serait mieux s'ils étaient
encore plus faibles - plus faibles que ceux des Anglais, que ceux des pays qui
restent en dehors de l'euro, plus faibles que ceux des Etats-Unis. Il est tout
de même frappant que l'Italie, qui n'est pas réputée pour être un pays de
stabilité financière historique, emprunte aujourd'hui moins cher que le
Royaume-Uni, qui, à l'inverse, est paré de toutes les vertus en qualité de
place financière.
Nous avons donc des taux faibles, qui continuent à baisser en moyenne sur la
zone de l'euro, puisque la convergence se fait vers les taux franco-allemands
et non pas vers la moyenne. Nous avons vu les baisses italiennes, espagnoles,
portugaises, irlandaises, et cela a conduit à une baisse moyenne sur la zone
euro, ce qui fera au total une réduction de plus de cinquante points de base.
Par ailleurs, ne désespérons pas que les taux des pays du coeur de l'Europe
soient amenés à évoluer un jour.
C'est bien dans cette stratégie que nous nous engageons. Mais changer de
stratégie ne veut pas dire obligatoirement basculer complètement, en oubliant
le caractère mesuré et raisonné qui doit s'attacher aux évolutions.
J'en viens à ce qui fait le coeur de notre débat d'aujourd'hui : la stratégie
budgétaire.
Messieurs les sénateurs, j'ai bien entendu les critiques que vous avez
formulées. Certaines m'ont fait sourire. Peut-être sourirez-vous de la même
manière aux critiques que je ferai à vos propres critiques... En tout cas,
lorsque vous évoquez le fait que le déficit structurel a particulièrement
baissé au cours de la législature précédente, vous renvoyez à des chiffres qui
ne sont pas faux, mais que vous ne souhaitez sûrement pas voir revenir.
Car, si le déficit structurel a baissé, c'est parce qu'il y a eu deux points
de pression fiscale de plus. Est-ce cela que vous recommandez ? Certainement
pas ! Vous recommandez le contraire ! Donc, ce qu'il faut, c'est faire baisser
le déficit structurel, certes, le plus possible, certes, mais pas par la
méthode qui consiste à augmenter l'impôt !
Pour ma part, je préfère un déficit structurel qui baisse en 1998 et en 1999,
avec des impôts qui n'augmentent pas, voire qui baissent. Bien sûr, vous pouvez
dire qu'ils ne diminuent pas assez ; c'est un débat. Mais vous ne pouvez pas
renvoyer à ce qui s'est passé voilà quelques années où, pour faire baisser le
déficit structurel, on a augmenté de deux points le taux de la TVA, ce qui,
tout le monde le reconnaît maintenant, a alors cassé la croissance.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
C'est parce que la croissance avait baissé qu'il a
fallu augmenter la TVA !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Mais le taux de
croissance résulte largement de la politique économique !
M. Josselin de Rohan.
Et en 1993 ?
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Mais il n'y avait
pas eu de hausse d'impôt avant 1993 !
M. Josselin de Rohan.
Elle s'est produite après !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Quelle que soit
la façon dont vous prenez le problème, vous n'aboutissez pas : si c'est la
faute de la hausse d'impôt, c'est bien celle de 1995 qui est en cause ; si
c'est la faute de la politique économique, on n'a aucune raison de vouloir
reproduire aujourd'hui une politique économique qui a conduit à des taux de
croissance aussi faibles.
J'admets parfaitement que l'on me dise : « La réduction du déficit structurel
que vous opérez est insuffisante. » Il est légitime d'en débattre. Mais on ne
peut pas dire : « Voyez comme on l'a bien fait voilà quelques années » puisque,
justement, cela a été fait selon la pire méthode, celle qui a cassé la
croissance.
Par ailleurs, s'agissant de la dette, j'ai entendu avec beaucoup de plaisir M.
Marini et M. Lambert manifester leur souci pour les générations futures. Je
croyais en effet entendre mon discours de l'année dernière à cette même
tribune, à la même époque. Je me réjouis de voir que, même si c'est avec un
certain retard à l'allumage, le Sénat reprend avec sérénité les thèses que le
Gouvernement énonce. Peu-être, l'année prochaine, sur d'autres sujets, nous
suivrez-vous aussi ?
(Sourires.)
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Tirez-en des conséquences !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Je dis cela parce
que je n'ai pas trouvé trace, dans les précédents débats budgétaires au Sénat,
d'un souci aussi grand du ratio dette publique/PIB.
M. François Trucy.
Ah si !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
J'entends : « Ah
si ! » sur ma droite. Je ne sais pas à qui l'attribuer.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
On va le retrouver !
(Sourires.)
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Si cela a été
dit, ma remarque vaut encore pour le fait que celui qui l'a dit n'a pas été
écouté. En effet, si le ratio dette publique/PIB diminue en l'an 2000, comme je
l'annonce depuis un an, ce sera la première fois depuis vingt-cinq ans.
M. Josselin de Rohan.
Cela a commencé en 1994 !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
En tout cas, si
ce souci s'est effectivement manifesté plus tôt au Sénat, j'en serai très
heureux. Ce serait une raison de plus de féliciter le Gouvernement de réussir à
y répondre, plutôt que de regretter brusquement que cela n'ait pas eu lieu un
an plus tôt, alors que, pendant des années et des années, le Sénat a voté des
budgets qui continuaient à accroître allègrement le ratio dette publique/PIB,
qui va maintenant baisser.
M. Michel Caldaguès.
De quelles années parlez-vous ? C'est vous qui avez géré la plupart du temps
!
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Je parle de ces
années d'enfer, qui sont heureusement de plus en plus loin derrière nous !
Chaque année qui passe nous éloigne des années tristes : 1994-1997 !
(Rires
sur les travées socialistes.)
M. Josselin de Rohan.
Et 1993, ça ne vous dit rien ?
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Vous croyez sans
doute que nous avons oublié les périodes antérieures ! Sûrement pas ! Mais tous
les documents montrent que la croissance de la dette publique a été
particulièrement forte à partir de 1994.
M. Josselin de Rohan.
Lire, c'est dangereux pour vous !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Quoi qu'il en
soit, je suis ravi de voir que le Sénat reprend la position que le Gouvernement
affichait dès l'année dernière. L'année dernière, c'était évidemment plus
risqué puisque c'était une prévision sur deux ans ; maintenant, c'est une
prévision sur un an. Je le confirme, à partir de l'an 2000, le ratio dette
publique/PIB baissera dans notre pays, et ce sera la première fois depuis
vingt-cinq ans.
Cela nous a conduit à définir pour 1999 un déficit de 2,3 % du PIB. On peut
discuter pendant des heures sur le point de savoir s'il ne fallait pas le fixer
à 2,4 % ou à 2,2 %. Il n'existe pas de trébuchet pour déterminer, à la décimale
près, le bon déficit. Puisqu'il faut bien s'arrêter à un chiffre, nous avons
retenu celui-là.
Il représente, vous l'avez dit, 50 milliards de francs de baisse par rapport
au déficit de l'année précédente et le retour, pour la première fois depuis
1991, à l'équilibre primaire que notre pays avait donc quitté depuis sept ans,
c'est-à-dire l'équilibre hors service de la dette ; c'est évidemment la
première étape d'une gestion saine des finances publiques.
Fallait-il faire plus ? On peut toujours en débattre.
J'ai dit, voilà quelques semaines, devant l'Assemblée nationale, que notre
effort en matière de réduction du déficit était l'un des plus importants de la
zone euro. Et puis j'ai découvert, en lisant l'excellent rapport de M. Marini,
un tableau montrant que c'était en fait « le » plus grand effort de la zone
euro en la matière. J'y ai vu comme un satisfecit accordé par votre rapporteur
général au Gouvernement.
Evidemment, on peut toujours considérer qu'il faudrait aller encore plus
loin.
Moi, je relève surtout que c'est le plus grand effort de la zone euro, même si
certains pays nous suivent de près.
Sans doute me direz-vous que c'est parce que, dans les autres pays, le déficit
est moins important.
M. Josselin de Rohan.
Par exemple !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Mais cela tient
probablement au fait que, dans ces pays, la gauche est au pouvoir depuis plus
longtemps...
(Rires et exclamations.)
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Ça, c'est risqué !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
C'est une vision un peu trop manichéenne !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
En tout cas, ce
qui est sûr, c'est qu'au rythme que nous suivons, nous sommes en train de
rejoindre un peloton que nous avions lâché par la grâce de gouvernements de
diverses couleurs.
Constatons simplement ensemble que l'effort accompli cette année par la France
en matière de réduction du déficit est le plus élevé de tous les pays de la
zone.
Je reviens maintenant sur les prélèvements obligatoires. Ils sont en
diminution de 0,2 point en 1998 et nous prévoyons une nouvelle baisse de 0,2
point en 1999. En 1999, nous verrons si cela se vérifie, mais la baisse de 1998
est en train de se réaliser sous nos yeux.
M. le rapporteur général dit : « Oui, mais c'est parce que vous avez augmenté
artificiellement les prélèvements de 1997 avec la MUFF, la loi portant mesures
urgentes à caractère fiscal et financier. Maintenant, vous faites apparaîtres
une baisse en 1998, mais cette baisse est factice. »
Quand bien même vous auriez raison, la baisse est constatée, elle est réelle ;
ce n'est pas un maquillage des chiffres. Si vous aviez raison, nous n'aurions
évidemment guère de mérite. Mais, sans esprit de polémique, je ne crois pas que
vous ayez raison, et je voudrais m'arrêter quelques instants sur l'année
1997.
Que s'est-il passé cette année-là ? Nous avons fini l'exercice que vous aviez
commencé - vous, c'est-à-dire la majorité sénatoriale ou le gouvernement
qu'elle soutenait - avec le même niveau de dépenses, celui que vous aviez voté.
Le gouvernement de Lionel Jospin s'est même offert - petite facétie - le luxe
de finir l'année avec des dépenses inférieures de un milliard de francs au
niveau que vous aviez voté.
Par ailleurs, le déficit de 3 %, compte tenu de la soulte de France Télécom -
mais cela n'est pas en cause - était également celui que vous aviez voté. Le
niveau de recettes était donc aussi celui que vous aviez voté. Dès lors, les
prélèvements obligatoires de 1997 n'ont en rien été accrus par la nouvelle
majorité.
Vous m'objecterez que nous avons augmenté l'impôt sur les sociétés. Certes,
mais nous l'avons fait pour financer la baisse de l'impôt sur le revenu que le
gouvernement de M. Juppé a mise en oeuvre mais qui n'était pas financée. Et
c'est bien le problème ! Si elle avait été financée, nous aurions fini l'année
avec cette baisse que nous avons réalisée et dans le cadre que vous aviez prévu
: dépenses que vous aviez prévues, déficit que vous aviez prévu et donc
recettes que vous aviez prévues.
Cette baisse de l'impôt sur le revenu était d'ailleurs tellement peu financée
que, dit-on, cela n'a pas été sans rapport avec la décision de M. le Président
de la République de dissoudre l'Assemblée nationale. Vous me direz que ce qui
se passe à l'Assemblée nationale est de peu d'importance ici. Soit !
(Sourires.)
En tout cas, je ne peux pas admettre la remarque selon laquelle le niveau
des prélèvements obligatoires de 1997 serait imputable au nouveau gouvernement.
Soyons honnêtes et logiques ! Quand on réalise les mêmes dépenses que celles
que vous avez votées et le même déficit que celui que vous avez voté, c'est
bien que l'on a les mêmes recettes que celles que vous aviez votées !
Cependant, ces recettes n'étaient pas au rendez-vous puisque la baisse de
l'impôt sur le revenu n'était pas financée. Il a donc fallu reconstituer
lesdites recettes en augmentant l'impôt sur les sociétés. Mais, au total, le
prélèvement fiscal de 1997 n'est pas différent en masse, même s'il l'est en
structure, de celui que vous aviez voté.
Le taux des prélèvements obligatoires de 1997, pardonnez-moi de le dire ainsi,
c'est le vôtre. Eh bien, de 1997 à 1998, on constate une baisse de 0,2 point de
ce taux. Certes, 0,2 point, ce n'est pas beaucoup, je le reconnais, mais c'est
mieux que la hausse de 0,5 point que nous avons connue pendant chacune des
quatre années précédentes. Et, l'année prochaine, nous opérerons une nouvelle
baisse de 0,2 point.
Bien sûr, il faudrait faire mieux !
Mais reconnaissez tout de même avec moi qu'une majorité ayant soutenu un
gouvernement qui, pendant quatre années consécutives, a fait 0,5 point de PIB
de prélèvements obligatoires de plus n'est pas forcément la mieux placée pour
reprocher à un gouvernement qui, pour la deuxième année consécutive, prévoit
0,2 point de prélèvements obligatoires de moins, de ne pas faire assez.
Cela ne m'empêche pas d'écouter vos conseils avec attention. Nous ferons tout
pour que la croissance soit assez forte pour nous permettre d'aller plus vite
encore dans cette baisse des prélèvements obligatoires. Si nous continuons à un
rythme plus rapide, nous pourrons, avant la fin de la législature, retrouver le
niveau de prélèvements obligatoires que la France connaissait avant que la
majorité précédente n'accède au pouvoir.
(Sourires.)
Pour ce qui est de la dépense publique, nous avons décidé de l'augmenter de 1
% en 1999. C'est un choix politique. Comme tout choix politique, il est
évidemment critiquable.
Je rappelle que, pendant la campagne électorale, nous avons défendu certaines
propositions en matière de politique économique et sociale. Nous les avons
mises en oeuvre en 1998. Nous considérons - mais je sais que ce n'est pas votre
cas - qu'elles contribuent à la croissance, notamment par la confiance qu'elles
rétablissent.
Nous avons donc pensé que les mesures qui concrétisent ces propositions
devaient être financées, non plus seulement pour une demi-année, comme en 1998,
mais pour une année pleine. C'est vrai des emplois-jeunes, comme c'est vrai de
la réduction du temps de travail, toutes mesures dont vous contestez le
bien-fondé. Mais c'est le centre de notre politique. Nous n'avons aucune raison
de penser, au vu de l'année 1998, qu'elle donne de mauvais résultats. Il est
donc bien légitime que nous la financions.
Nous avons, en conséquence, évalué la progression des dépenses à 1 %, et cela
après un examen attentif.
Je signale que, malgré cette croissance de 1 % de la dépense publique, que
vous critiquez si fort, monsieur le rapporteur général, le ratio dépense
publique/PIB continue de baisser puisque le PIB va augmenter de 2,7 % et la
dépense publique de 1 %. Vous pourriez réclamer une baisse plus rapide, mais
n'ayez pas à l'esprit que le ratio dépense publique/PIB augmente.
A vrai dire, il s'agit d'une tendance historique observée dans notre pays
depuis maintenant une quinzaine d'années, avec seulement une interruption, au
cours d'une période que j'ai déjà évoquée tout à l'heure : les années
1994-1997. En effet, au cours des quinze dernières années, la seule période où
le ratio de la dépense publique de l'Etat rapportée au PIB a recommencé à
augmenter, c'est celle des années 1994-1997.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Tout à l'heure, vous parliez en
valeur ; maintenant, vous parlez de ratio, monsieur le ministre.
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Je parle en effet
du ratio de la dépense publique rapportée au PIB, qui est bien l'indicateur
pertinent pour savoir quelle part puise effectivement l'Etat dans la richesse
nationale.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
S'agissant des prélèvements de
1997, vous parliez en valeur.
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Non, j'ai parlé
du taux des prélèvements obligatoires sur le PIB de 1997, et j'ai affirmé qu'il
vous était imputable.
Pour ce qui est de la dépense publique, on peut souhaiter - mais ce n'est pas
mon opinion - qu'elle baisse plus vite par rapport au PIB. En tout cas, ce
ratio baisse, et le seul moment où il n'a pas baissé, c'est pendant les années
1994-1997.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Ce n'était pas une période de croissance !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Que ce soit ou
non une période de croissance, cela n'y change rien !
(Exclamations sur les
travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union
centriste.)
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Cela change tout au rapport !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Non, car, chacun
le sait bien, en période de croissance, nombre de dépenses augmentent : la
rémunération des fonctionnaires, par exemple, parce que ceux-ci souhaitent
légitimement bénéficier de la croissance, ou encore les dotations aux
collectivités locales, notamment, et pour les mêmes raisons.
Si les dépenses de l'Etat n'avaient pas augmenté au cours de la période
considérée, le ratio n'aurait pas augmenté non plus puisque, comme vous le
dites, la croissance était faible. Si elle avait été nulle, le dénominateur
n'aurait pas changé. Pour que le ratio augmente, il a nécessairement fallu que
le numérateur augmente. C'est donc bien que vous avez laissé les dépenses
croître trop vite. Mais n'y revenons pas, c'est le passé !
Je souhaite répondre en quelques mots à ce que vous avez dit à propos de
l'Allemagne.
Vous avez cité l'Allemagne en exemple. Je ne peux que m'en réjouir, eu égard à
tout ce qui peut rapprocher l'actuel gouvernement allemand et l'actuel
gouvernement français. Je m'en réjouis d'autant plus que vous avez salué la
baisse des impôts en Allemagne. Or, lorsque j'examine ce que le gouvernement
allemand a annoncé dans ce domaine, je ne vois rien qui soit très différent de
ce que nous faisons.
Il a, en effet, annoncé une baisse d'impôts de 10 milliards de marks, soit 33
milliards de francs, sur cinq ans. Or, 33 milliards de francs en cinq ans, cela
fait 6 ou 7 milliards de francs par an, tandis que, cette année, la France
connaît, non pas 7 milliards de francs de baisse, mais 16 milliards de francs.
Donc, si vous trouvez particulièrement bien ce qu'annoncent les Allemands,
combien laudateurs seront alors vos commentaires sur la politique du
Gouvernement, car nous ne pouvons pas faire deux fois mieux sans que vous ayez
la logique d'applaudir deux fois plus !
Je ne sais pas ce que feront effectivement les Allemands - pour le moment, il
ne s'agit que d'annonces - mais, au vu de ces annonces, honnêtement, les
Allemands font moins que nous !
M. Marc Massion.
Très bien !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
C'est intéressant !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Je terminerai sur
le contre-budget que vous avez voulu présenter. Il serait peu courtois de ma
part de ne pas le commenter suffisamment et par une sorte de
benign
neglect,
pour reprendre une expression britannique, de le laisser de côté.
Vous avez fait l'effort d'entreprendre un travail de ce type et il me semble
donc naturel que le Gouvernement, sans en surestimer l'importance, en fasse
néanmoins le commentaire.
Tout d'abord, au titre de l'équilibre général, mon sentiment est que le projet
de loi de finances, tel qu'il est issu des travaux de l'Assemblée nationale,
est équilibré. Evidemment, c'est un sentiment subjectif et politique !
Il est équilibré, puisque les excédents de recettes liés à la croissance sont
partagés en trois parts à peu près égales : 16 milliards de francs de baisse
d'impôt ; 21 milliards de francs de réduction des déficits et 16 milliards
d'augmentation des dépenses, soit un peu pour les dépenses, pour financer les
priorités - moins que la croissance, donc le ratio baisse -, beaucoup pour la
baisse du déficit et pas mal tout de même pour la baisse des impôts.
On aurait pu préférer une autre répartition, mais c'est celle que nous avons
choisie. Vous en proposez une autre et, sans remettre en cause la prévision de
croissance, vous choisissez d'obtenir 26 milliards de francs de baisse des
dépenses par rapport au budget que nous présentons. Honnêtement, je trouve que
vous diabolisez de façon un peu ridicule la dépense publique !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Vous, vous la réhabilitez !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Je suis plus
pragmatique : je réfléchis aux moyens de la rendre le plus utile possible.
J'admets volontiers que nous sommes dans des économies où le ratio de la
dépense publique doit plutôt baisser, et il baisse. De là à diaboliser la
dépense publique, comme si toute dépense publique était par nature mauvaise, à
tel point qu'un bon budget serait un budget mort, honnêtement, je ne peux pas
vous suivre !
En effet, on ne peut pas considérer l'importance de la dépense publique et son
intérêt pour la nation sans considérer les services qu'elle rend et son
efficacité.
Si la dépense publique était totalement inefficace, alors quand bien même elle
ne serait que de la moitié de celle que nous avons, elle serait encore trop
importante. A l'inverse, si la dépense publique rend des services à la nation,
du point de vue économique comme dans d'autres domaines, alors elle a sa
justification. Ensuite, c'est un choix politique de préférer une école publique
ou une école privée, une santé publique ou une santé privée.
(M. le
président de la commission des finances proteste.)
Je ne dis pas que c'est votre cas, je dis que ce sont des choix de nature
politique, qui se justifient à condition qu'ils soient efficaces.
Précisément, sur le plan économique, qui nous intéresse ici au premier chef,
la dépense publique en France est-elle efficace ?
En matière de réseaux, de routes, de télécommunications, ...
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Avec les routes, nous n'avons
pas d'ennuis : il ne s'en construit plus dans notre pays !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
On en fait de moins en moins !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
... en matière de
services rendus aux entreprises, est-elle efficace ou non ?
Il est difficile d'avoir un thermomètre pour le mesurer, mais je vous en
propose quand même un que, à mon avis, vous ne sauriez récuser : les
entreprises étrangères ont-elles envie ou non de venir investir en France, et,
surtout, de façon comparée, ont-elles envie ou non d'investir en France plus
qu'en Allemagne, en Espagne ou au Royaume-Uni ?
Eh bien ! mais vous le savez, nous sommes le deuxième pays après, justement,
le Royaume-Uni, pour l'accueil d'investissements étrangers en Europe, devant
l'Allemagne, la Belgique, l'Autriche et le Danemark. Ces investisseurs viennent
en France parce qu'ils trouvent que l'opération est bonne, parce qu'ils veulent
des investissements rentables.
Quand on les interroge sur les raisons pour lesquelles ils viennent, ils
répondent, c'est vrai, que, pour ce qui est des impôts au sens large, la
situation n'est pas terrible ...
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Nous avons des routes, des télécommunications, des services !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
... et qu'ils
vont en payer un peu plus qu'ailleurs mais, comme le disait Mme Beaudeau à
l'instant, ils font valoir, à l'inverse, que les services publics qui leur sont
offerts sont meilleurs, que les télécommunications sont meilleures, que les
personnels sont mieux formés. Sinon, ils ne viendraient pas ! Vous le savez
tous, vous les rencontrez comme moi.
On peut donc préférer un haut niveau des dépenses publiques et un haut niveau
de services, à un bas niveau de dépenses publiques et un bas niveau de
services...
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Ce n'est pas le sujet !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
... mais, pour
être honnête, il faut comparer le niveau des dépenses au niveau des
services.
On ne saurait en aucun cas dire que, par nature, la dépense publique doit à
tout prix être diminuée.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Il ne faut pas le dire !
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Un haut niveau de dépenses
d'investissement, c'est ce que nous voulons !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Monsieur Lambert,
« un haut niveau de dépenses d'investissement », dites-vous ! Mais les dépenses
qui font fonctionner les hôpitaux dans notre pays ce sont, pour beaucoup,
évidemment, des dépenses de fonctionnement. Et les Français souhaitent avoir de
bons hôpitaux. Allez leur dire que vous voulez moins d'infirmières !
Je sais que ce type de réponse est facile, mais c'est tout de même une
réalité. Il n'y a pas que l'investissement dans la vie ou plutôt il faut le
prendre au sens large : l'éducation et la santé, ce sont aussi des
investissements humains.
Donc, n'ayons pas une vision strictement comptable ou patrimoniale de ce
qu'est l'investissement. Toute la théorie économique de ces vingt-cinq
dernières années tend à montrer que l'éducation, au moins - vous en conviendrez
avec moi - est aussi, pour une collectivté, une forme d'investissement. Or la
dépense d'éducation, c'est largement de la dépense de fonctionnement, au sens
de nos catégories comptables.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Est-elle pour autant efficace ? Ecoutez les lycéens
!
M. Marc Massion.
Laissez parler le ministre !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Est-elle pour
autant efficace ? Oui. Notre système de formation est globalement efficace.
J'en prends pour juges - le critère vaut ce qu'il vaut - les investisseurs
étrangers. Ceux qui nous regardent de l'extérieur ont tendance à considérer que
le personnel est, en effet, mieux formé en France que dans beaucoup d'autres
pays.
On peut rendre plus efficace encore la dépense publique. Le jour où, à cette
tribune, monsieur le rapporteur général, vous commencerez votre rapport en
disant : « Il faut baisser la dépense publique, mais voilà ce que je propose, à
dépense publique donnée, pour la rendre plus efficace », notre dialogue sera
encore plus constructif.
M. Josselin de Rohan.
Eh bien, faites-le !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
A en juger par
l'évolution des préoccupations vis-à-vis des générations futures, c'est pour
l'année prochaine !
(Sourires.)
J'attends donc l'année prochaine, de
votre part, si vous le voulez bien, des propositions dans ce sens !
En tout cas, 26 milliards de francs de baisse de la dépense, cela fait - au
contraire du 1 % d'augmentation en volume que nous proposons - 0,7 % de baisse
en volume, ce qui ne s'est tout simplement jamais vu. Je ne dirai pas qu'il
faille le faire pour autant, car on a quand même quelques soupçons quand, dans
l'opposition, on vous propose une solution qui n'a jamais été tentée par le
passé. Cela ne veut pas dire qu'elle est impossible, mais on comprend qu'elle
est peut-être plus facile à mettre en oeuvre sur le papier que dans la
réalité.
En tout cas, vous n'avez jamais proposé, et encore moins mis en oeuvre une
baisse des dépenses publiques de cette ampleur. D'ailleurs, heureusement, car
cela aurait eu des conséquences graves !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Ce n'est pas une baisse !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Mais si !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Eh oui ! 27
milliards de francs, c'est une diminution de 0,7 % en termes réels !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Mais il reste 11 milliards de francs d'augmentation
de la dépense.
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Avec l'inflation
! Mais je parle, moi, en termes réels.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Pardonnez-moi de vous avoir interrompu.
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Je ne vois aucun
inconvénient à ce que vous m'interrompiez, surtout quand vous me donnez
l'occasion de préciser qu'il s'agit bien d'une baisse en termes réels. Bien
sûr, il reste l'augmentation liée à l'inflation, mais votre assemblée est assez
avertie pour savoir faire la différence entre ce qui est lié à l'inflation et
ce qui est une hausse ou une baisse. Ici, en termes réels, il s'agit bien d'une
baisse de 0,7 %, ce qui ne s'est jamais vu de mémoire de ministre des finances
!
D'ailleurs, monsieur le rapporteur général, vous êtes tellement conscient du
caractère peu raisonnable de votre proposition que vous avez dû dire au moins
quinze fois à la tribune : « Nous proposons des choses raisonnables ».
(Rires sur les travées socialistes.)
Si c'était le cas, vous n'auriez pas besoin de le justifier à ce point. La
réalité saute aux yeux. Votre proposition est heureuse, parce qu'elle permet le
débat et, de ce point de vue, je vous en remercie, mais son caractère
raisonnable a en effet besoin d'être réaffirmé à peu près à toutes les phrases
!
(Nouveaux sourires sur les mêmes travées.)
Comment répartissez-vous les 26 milliards de francs de baisse ?
M. Josselin de Rohan.
C'est un peu facile !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Six milliards de
moins pour les emplois-jeunes : autrement dit, dehors !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Il y a redéploiement !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Ce n'est pas de
la baisse, alors ! Attendez ! Moi, je sais ce que veut dire « redéployer » :
cela signifie que cela ne baisse pas, mais que l'on se sert de l'argent pour
faire autre chose. Dans ces conditions, je me permets de vous interroger,
monsieur le rapporteur général.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
C'est le total qui baisse !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Moi, je regarde
ce que vous mettez dans les 26 milliards de francs, et je lis, dans votre
rapport : moins 6 milliards de francs au titre des emplois-jeunes. Si c'est
redéployer pour vous, soit ! Mais alors ils ne sont plus dans les 26 milliards.
Donc, où prenez-vous les 26 milliards de francs, monsieur le rapporteur général
?
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Il s'agit des 150 milliards d'aide à l'emploi qui
peuvent être mieux gérés ; nous aurons l'occasion d'en reparler, monsieur le
ministre.
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Certes, nous en
reparlerons !
Je constate, moi, que vous proposez de diminuer de 6 milliards de francs les
crédits au titre des emplois-jeunes, au moment même où la commission des
affaires culturelles de l'Assemblée nationale, unanime, a soutenu nos
propositions en matière d'emplois-jeunes pour l'année prochaine. Je vois bien
là, dans votre esprit, les errances des députés de l'opposition ! Je n'insiste
pas.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
N'exagérons pas, monsieur le ministre, c'est excessif
!
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
« Errances » ?
Oui, le mot est peut-être un peu fort ; disons « erreurs » !
Ensuite, vous supprimez 3,5 milliards de francs d'appui à la réduction du
temps de travail.
Vous ne croyez pas à la réduction du temps de travail : c'est votre droit.
Mais, à mesure que l'année se déroulera et que des centaines, voire des
milliers d'accords seront signés et que des emplois seront effectivement créés,
les 3,5 milliards de francs seront utilisés et donc vous aurez à répondre,
alors, du fait que, si vous les aviez supprimés pour arriver à vos 26 milliards
de francs, vous auriez du même coup supprimé les emplois en face !
Vous pouvez être contre ou pour la réduction du temps de travail, dire que
c'est une bonne ou une mauvaise méthode, mais vous ne pouvez certainement pas
renoncer aux 3,5 milliards de francs sans renoncer aux emplois correspondants.
Or, comme je pense que, comme nous, vous recherchez la création du maximum
d'emplois, il ne paraît pas très raisonnable de supprimer ces 3,5 milliards de
francs.
J'en viens aux 8 milliards de moins pour la rémunération des fonctionnaires.
Là, c'est sans débat ! C'est autant de moins dans la consommation, au-delà du
problème de la rémunération effective des fonctionnaires, qui, en effet,
augmente rapidement dans ce budget, principalement parce qu'il a fallu
rattraper le gel de 1996, dont vous reconnaîtrez volontiers que je n'étais pas
responsable.
Mais puisque, en 1996, les engagements pris vis-à-vis des fonctionnaires n'ont
pas été respectés, il fallait bien le faire un jour. La hausse des
fonctionnaires de l'année prochaine ressemble quand même un peu à un apurement
des dettes du passé !
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Vous le regrettez ?
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Effectivement, je
le regrette. J'aurais préféré que vous les augmentiez en 1996, comme vous vous
y étiez engagés, pour qu'on ait moins besoin de les augmenter cette année,
c'est sûr ! Mais, que voulez-vous ? Moi, je me sens comptable de la continuité
de l'Etat, et comme celui-ci n'a pas tenu ses engagements vis-à-vis des
fonctionnaires en 1996, il fallait bien, à un moment donné, remettre les
compteurs à zéro !
Puis - mais peut-être est-ce une faute de frappe, car je ne peux pas y croire
- vous proposze de diminuer de 5 % les crédits du RMI ! Alors là, honnêtement,
les bras m'en tombent !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
C'est la Cour des comptes !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Et ils n'augmentent pas pour autant l'impôt sur la fortune, monsieur le
ministre !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
La remarque est
fondée : vous suivez plus volontiers la Cour des comptes quand il s'agit de
baisser le RMI que lorsqu'il est question d'augmenter l'impôt de solidarité sur
la fortune.
Cela étant, je ne crois pas qu'aucun élu dans cette assemblée puisse se
résoudre à admettre que nous soyons dans l'obligation de nous soumettre à une
forme de gouvernement des juges...
Ce que la Cour des comptes propose est extrêmement intéressant et important ;
il reste que, au bout du compte, les choix politiques, c'est nous et vous qui
les faisons ! Quand on propose de diminuer de 5 % les crédits du RMI, il faut
avoir le courage de ses propositions et ne pas se cacher derrière la Cour des
comptes.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
C'est à droits constants !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Si c'est à droits
constants, cela coûte ce que cela coûte !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Il faut gérer mieux. Il faut moins d'abus ! C'est
tout !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Monsieur le
rapporteur général, en toute amitié : au-delà de l'affichage, quand on
décompose vos 26 milliards de francs - je ne reviens pas sur la crédibilité
d'ensemble, j'ai dit tout à l'heure ce que j'en pensais - on voit bien que,
n'ayant pas voulu toucher, et avec raison, aux ministères dits régaliens, vous
avez dû vous en prendre principalement aux crédits d'intervention. L'ennui,
c'est que les crédits d'intervention servent précisément à intervenir, et que,
là où vous les retirez, ils n'existent plus. C'est-à-dire qu'à chaque fois
qu'ils auraient dû servir aux emplois-jeunes, au RMI, à la réduction du temps
de travail, ils font défaut !
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Me permettez-vous de vous
interrompre, monsieur le ministre ?
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Je vous en prie,
monsieur le président.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des finances, avec
l'autorisation de M. le ministre.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Monsieur le ministre, nous
apprécions tous l'humour, pour ne pas dire l'ironie, des formules que vous
utilisez, mais je me dois de rappeler au Sénat que tout exercice de réduction
des dépenses doit respecter les règles qui nous régissent, en particulier
l'ordonnance organique relative aux lois de finances.
Nous ne pouvons pas inscrire des crédits supplémentaires là où nous pensons
qu'ils pourraient être utiles et nous ne pouvons parfois réduire les crédits
que là où c'est possible. L'exercice du redéploiement, encore une fois, en
fonction des règles qui nous régissent, n'est donc pas commode à présenter. Il
est donc un peu facile d'ironiser sur la méthode elle-même.
(Très bien ! et
applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR, des Républicains
et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
Veuillez poursuivre, monsieur le ministre.
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Monsieur Lambert,
si l'objectif est de montrer au pays que l'on peut faire un budget différent,
peu importe les règles de l'ordonnance organique. Vous montrez quel budget vous
auriez fait, c'est tout !
(Protestations sur les travées du RPR.)
M. Josselin de Rohan.
Nous sommes légalistes, nous respectons la loi, tout de même ! Vous avez
beaucoup d'audace !
M. Paul Loridant.
Ce qu'ils sont légalistes, tout de même !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Pouvez-vous un
seul instant penser que les modifications que je viens de rappeler - mais ce
n'était que quelques exemples pris dans votre liste - seraient soutenues par le
Gouvernement ou par sa majorité à l'Assemblée nationale ?
Quel est l'intérêt de proposer un contre-budget - exercice que je crois
intéressant - sinon celui de dire à la nation : voilà le budget tel que nous le
présenterions ? Alors, ne vous abritez pas derrière des arguments juridiques et
dites politiquement ce que vous voulez faire.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Nous prévoyons de réduire 14
milliards de francs le déficit, c'est tout !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Or, ce que je
constate politiquement c'est ce que je suis en train de décrire. De toute
façon, le problème que pose votre contre-budget, ce ne sont pas tant
l'immobilisme, ni même les crédits que vous supprimez, contrairement aux
souhaits des Français - qu'ils ont fait connaître par le vote qu'ils ont émis
en juin 1997. Non, le vrai problème, c'est que, avec votre contre-budget, qui
repose sur une hypothèse de croissance de 2,7 % - vous l'avez d'ailleurs
confirmé, sinon vous n'avez plus les recettes - vous n'avez plus 2,7 % de
croissance ! C'est en ce sens que votre exercice est assimilable à un tour de
passe-passe. En réalité, avec ce budget-là, vous faites ce qui a déjà été fait,
ou ce que l'on a déjà tenté de faire, peut-être pas avec cette ampleur mais
dans cet esprit, dans des années passées, et vous cassez la croissance.
Ce que le Gouvernement s'efforce d'essayer de vous faire partager, sans
succès, j'en conviens, c'est que, pour avoir la plus forte croissance possible,
il faut jouer sur toutes les touches du piano et que l'on ne peut tout
bousculer d'un coup en misant tout sur la réduction la plus rapide du déficit.
Certes, il faut le réduire, mais on ne réduit pas impunément le déficit, à
n'importe quel rythme, sinon on casse la croissance. Si on ne le réduit pas du
tout ou pas assez, on ne résout pas les problèmes structurels. Mais si on le
réduit trop, on casse la croissance. Tout le problème est de trouver - je ne
dis pas que nous y sommes arrivés - un équilibre. La grande différence entre
votre proposition, au-delà des éléments ponctuels, et le budget proposé par le
Gouvernement, c'est l'équilibre.
S'il existe une différence dans ce budget entre la droite et la gauche, ce
n'est pas tellement dans le fait de vouloir diminuer les impôts - il est assez
facile de réunir une majorité sur ce sujet - mais de savoir à quel rythme, sur
quel chemin et comment il est possible effectivement d'atteindre les objectifs.
De ce point de vue, honnêtement, la méthode que vous proposez a échoué dans le
passé.
Est-ce la seule différence entre ces deux propositions ? Non ! Car, en matière
de fiscalité, vous formulez d'autres propositions et je conclurai sur ce
point.
Vous proposez, d'abord, de revenir sur la baisse du plafond du quotient
familial que propose le Gouvernement. C'est totalement incohérent car, voilà
quelques jours, à l'occasion de l'examen du projet de loi de financement de la
sécurité sociale pour 1999, vous avez voté la suppression des conditions de
ressources pour les allocations familiales. Si vous votez la suppression des
conditions de ressources et que vous n'acceptez pas la baisse du plafond du
quotient familial, vous augmentez les charges de l'Etat de quelque 4 milliards
de francs. Or vous dites vouloir les baisser. Où est la cohérence ?
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
C'est un choix politique pour la famille ! Ce n'est
pas le vôtre !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Monsieur Marini,
j'ai le plus grand respect pour la famille. D'ailleurs, j'en ai fondé trois !
(Rires.)
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Tous nos compliments !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Pour autant, il
ne paraît pas obligatoire d'être incohérent en matière budgétaire.
Vous proposez bien de réduire l'impôt sur le revenu, mais comme vous ne
disposez pas du premier franc pour le faire, comme en 1997 d'ailleurs, vous
suggérez de reporter la disposition à l'an 2000. L'exercice est facile !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Responsable !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Par ailleurs, on
sent chez vous une vigueur nouvelle par un éloge vibrant en faveur de la
fiscalité écologique,...
M. Alain Lambert,
président de la commission de finances.
C'est le viagra écologique !
(Sourires.)
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
... à tel point
que vous proposez d'augmenter de huit centimes, près de dix centimes à la
pompe, le prix du gazole. Mais de l'avis des écologistes eux-mêmes -
honnêtement, ils sont plus compétents que vous et moi réunis en matière
d'écologie...
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
C'est à voir !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Mais si !
Laissons à chacun ses compétences.
Ce qui fonde, de la part des écologistes eux-mêmes, ce qu'ils appellent, de
façon peut-être un peu grandiloquente, l'an I de la fiscalité écologique, c'est
la taxe générale sur les activités polluantes. Or, c'est précisément celle que
vous supprimez. Il s'agit encore d'une incohérence !
Quant à la justice fiscale, vous rejetez les deux articles qui résultent des
travaux de l'Assemblée nationale concernant la lutte contre l'évasion en
matière d'ISF. Est-ce bien raisonnable ? Vous rejetez les autorisations que
sollicite l'administration afin de pouvoir demander des éclaircissements à un
contribuable.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
On ne rejette pas !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Ah bon ? Vous, ce
sont 26 milliards de francs de dépenses en moins.
Nous, en matière fiscale, ce sont pour cette année et 1999, 20 milliards de
francs de baisse de l'impôt sur les revenus du travail et 28 milliards de
francs de hausse de l'impôt sur les revenus du capital. C'est un choix
politique. J'admets tout à fait qu'il ne soit pas partagé par la majorité du
Sénat. Mais cela montre bien les différences importantes en termes politiques -
vous l'avez rappelé à l'instant sur un autre sujet - qui existent entre votre
proposition et la nôtre... en dehors de quelques incohérences, que j'ai
relevées tout à l'heure.
Je n'entre pas dans le détail des remarques que vous formuliez à propos de la
taxe professionnelle, de la TVA ou des droits de mutation. Je n'ai pas entendu
que vous critiquiez la baisse de la TVA ni celle des droits de mutation. Par
conséquent, ce qui est au coeur de la réforme fiscale de cette année, vous ne
l'avez pas remis en cause, et je m'en réjouis.
En ce qui concerne la taxe professionnelle - M. Sautter y reviendra plus
longuement - je ne crois pas beaucoup à la proposition de dégrèvement que vous
formulez, car elle est très déresponsabilisante pour les communes.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
C'est tout le contraire !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
La charge est
mise sur le dos de l'Etat, quoi qu'il arrive, ce qui, honnêtement, n'est pas
très satisfaisant. Je crois que les propositions d'indexation qui ont été
faites sont très correctes. Je sens d'ailleurs, dans les différentes assemblées
de maires, qu'elles ne sont pas si mal reçues.
La réforme inquiète-t-elle ? Oui, monsieur le rapporteur général, la réforme
inquiète toujours. Il faut oser la réforme et, si j'osais, j'irais jusqu'à dire
que ce qui fait la différence entre les conservateurs et les progressistes,
c'est d'oser la réforme, pas de voir qu'elle ne présente pas de problème. Bien
sûr que cela pose des problèmes de réformer, surtout lorsqu'il s'agit de
réformer quelque chose d'aussi compliqué, de mal construit au bout du temps,
cette usine à gaz, comme on l'a dit, qu'est la taxe professionnelle.
Vous me disiez : ne voyez-vous pas qu'il y a des difficultés ? Oui, je le
vois, mais le problème, c'est de savoir si l'on réforme tout de même malgré les
difficultés ou si, après avoir appelé les réformes pendant des années, quand
celles-ci sont mises en oeuvre, on reste tranquillement dans son fauteuil en
disant : « C'est trop difficile. »
Le Gouvernement assume les difficultés de cette réforme. Elle sera favorable à
l'emploi et, en fin de compte, aux collectivités territoriales. Nous aurons
l'occasion d'approfondir cette question au cours du débat, je n'y reviens donc
pas. Il est vrai que c'est une réforme compliquée. J'ai presque tendance à dire
que si cela avait été simple, cela aurait été fait depuis un moment.
Je conclus.
J'ai le sentiment que nous avons la croissance en 1998 et que nous l'aurons en
1999, certes parce que l'environnement international n'est pas mauvais - encore
que, par ailleurs, certains passent leur temps à dire que l'environnement
international n'est pas si bon ; il faudrait tout de même être cohérent et
admettre que l'influence extérieure n'est donc pas si forte - mais aussi et
surtout parce que nous menons une politique qui conduit à la croissance.
C'est l'engagement de la majorité qui soutient le Gouvernement aujourd'hui :
rechercher la croissance maximale, pour plus d'emplois et de pouvoir d'achat.
C'est cette politique que nous avons conduite en 1998, laquelle a donné des
résultats qui, sans être mirobolants, sont sensiblement plus satisfaisants que
ceux qui avaient été obtenus précédemment. C'est cette politique que nous vous
proposons de poursuivre.
Vous en proposez une autre. Je constate simplement que lorsque celle-ci était
à l'oeuvre, elle n'a pas si bien réussi. Vous vous souciez de problèmes que
vous avez aggravés voilà quelques années. Je pense en particulier à la hausse
de la dette publique durant les années 1994, 1995, 1996 et même 1997. Je suis
heureux que vous vous en souciez. Aussi, je pense que vous vous féliciterez
avec nous en l'an 2000 quand, pour la première fois, cette dette baissera.
Ce qui me paraît sûr, c'est que ce budget est exactement l'inverse de celui
qui a été fait dans les années précédentes et que vous feriez si vous aviez la
majorité aujourd'hui. Il y a bien deux logiques possibles de politique
économique comme de politique budgétaire. Je ne suis donc pas surpris que vous
ne soyez pas d'accord. Cela est dans l'essence même des choses. Je considère
même que, sur un certain nombre de points, vous auriez pu être moins timide
dans vos propositions. Cela reste assez conservateur sur un certain nombre de
réformes, mais je ne doute pas que, dans un prochain exercice de même nature,
vous alliez plus loin.
Ce qui est sûr, c'est que, à ces temps où certains s'interrogent sur les
différences qu'il peut y avoir entre une politique économique de droite et une
politique économique de gauche, la détermination que vous mettez à défendre vos
propositions et à montrer combien elles sont différentes des nôtres, vient
conforter l'opinion que j'ai, selon laquelle il y a bien deux politiques.
J'espère que tous ceux qui en doutent vous aurons bien entendus.
(Très bien
! et applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur les travées du
groupe communiste républicain et citoyen.)
(M. Jean Faure remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la
présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. JEAN FAURE
vice-président
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat au budget.
Monsieur le président, monsieur le président
de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mesdames,
messieurs les sénateurs, je ne reviendrai évidemment pas sur les aspects
stratégiques que M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie
vient de rappeler.
Le projet de budget que nous proposons a pour objet de consolider la
croissance et de financer les priorités issues des élections de juin 1997, en
particulier le développement de l'emploi, le renforcement de la justice sociale
et l'amélioration du fonctionnement du service public. Comme l'a dit M.
Dominique Strauss-Kahn, nos marges de manoeuvre sont réparties en trois tiers à
peu près égaux : 16 milliards de francs pour la baisse des impôts, 16 milliards
de francs pour le financement de véritables priorités et 21 milliards de francs
de baisse du déficit.
En ce qui concerne les impôts, dans une première partie, je commenterai plus
largement les réformes fiscales qui vous sont proposées. C'est une année où
nous avons osé modifier beaucoup plus d'impôts que cela n'a été le cas au cours
des vingt années précédentes. Je m'attacherai à répondre aux interrogations,
aux inquiétudes, que le président Lambert a exprimées sur la taxe
professionnelle, et j'irai un peu au-delà en évoquant les relations entre
l'Etat et les collectivités locales.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Très bien !
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
En ce qui concerne les dépenses, je ne reviens pas sur
les chiffres globaux : une progression en volume de 1 %, soit 16 milliards de
francs. Je souhaite, avant d'entrer un peu dans le détail, dans une deuxième
partie, faire deux commentaires.
Le premier : à ces 16 milliards de francs de dépenses supplémentaires, qui
apparaissent au grand jour, s'ajoutent, dans l'ombre, si je puis dire, 30
milliards de francs, qui résultent de redéploiements. En matière de réformes
structurelles de la dépense publique, que, me semble-t-il, M. le rapporteur
général appelait de ses voeux, ces 30 milliards de francs sont la preuve
tangible que le Gouvernement en a fait une bonne part. Je reviendrai
brièvement, à l'issue de la deuxième partie, sur la partie dépenses du
contre-budget que M. le rapporteur général a proposé.
Ma deuxième remarque introductive sur les dépenses est celle-ci : à côté de
ces 30 milliards de francs de redéploiements, nous avons procédé, à la demande
du Conseil constitutionnel, à une réforme de clarification qui était attendue.
Nous avons procédé à une rebudgétisation de recettes et de dépenses publiques
qui ne figuraient pas dans le corps même du budget. S'agissant des dépenses,
cela représente un montant considérable : 45 milliards de francs. Il s'agit de
dépenses qui n'apparaissaient pas dans la loi de finances initiale ou de
dépenses qui faisaient l'objet d'une affectation dans le cadre de comptes
spéciaux du Trésor. Ainsi, la Haute Assemblée pourra débattre à partir d'une
image plus sincère de la réalité de la dépense publique.
Avant d'entrer dans le débat sur la réforme fiscale, je voudrais simplement
ajouter une information au développement très précis que M. le ministre de
l'économie, des finances et de l'industrie a fait tout à l'heure quant à la
dette.
Monsieur le rapporteur général, en matière de progression de la dette, je
compare deux années : en 1996, la dette de l'Etat a augmenté de trois points de
PIB ; en 1999, elle croîtra, certes, mais seulement de 0,5 point de PIB, pour
se stabiliser en l'an 2000, voire pour commencer à fléchir quelque peu.
J'en viens à la fiscalité. Nous vous proposons des réformes fiscales de grande
ampleur qui ont un double objet : l'emploi et la justice fiscale. J'y ajoute -
M. Strauss-Kahn a déjà insisté sur ce point tout à l'heure - une réforme
fiscale en faveur de l'environnement. Je ferai ensuite quelques commentaires en
ce qui concerne la volonté de simplification de l'impôt, ce que l'on appelle
familièrement « l'allègement de l'impôt-papier » qui est ressenti de manière
particulièrement lourde par les petites et moyennes entreprises.
Il s'agit d'une fiscalité plus favorable à l'emploi. Le fer de lance de cette
réforme fiscale, c'est effectivement la réforme de la taxe professionnelle.
Mais j'indiquerai tout à l'heure que d'autres éléments vont dans le même
sens.
La réforme de la taxe professionnelle est attendue depuis très longtemps.
Chacun en son temps a critiqué, en employant des adjectifs plus ou moins
vigoureux, cet impôt qui joue contre l'emploi, puisque plus une entreprise crée
d'emplois, plus elle paie.
Que fallait-il faire ? Une première proposition a été formulée par le Conseil
des impôts, cette assemblée d'experts particulièrement qualifiés. Ils ont
suggéré de nationaliser la taxe professionnelle, c'est-à-dire de l'établir à un
taux unique pour l'ensemble du territoire, cette fiscalité unique étant ensuite
répartie entre les diverses collectivités selon des règles à définir.
La proposition que j'ai entendue de la part de M. Fourcade, qui a mentionné
une fois l'idée que, peut-être, il faudrait désormais partager l'impôt sur le
bénéfice des sociétés entre l'Etat et les collectivités locales, ressortit
quelque peu à la même logique.
Nous n'avons pas voulu suivre cette logique de « nationalisation ». Nous avons
privilégié une réforme plus sobre mais qui, je crois, est entièrement
concentrée sur sa finalité, c'est-à-dire une réforme pour l'emploi.
En effet, la suppression en cinq ans de la part salariale de la taxe
professionnelle va alléger substantiellement le fardeau fiscal, attaché à
l'emploi, des entreprises qui développent aujourd'hui l'emploi. Si l'allégement
sera, en moyenne, de 35 %, puisque la part salariale représente 35 % de
l'assiette de la taxe professionnelle, il sera de 50 % dans le bâtiment,
activité de proximité absolument insensible aux crises asiatique, russe ou
latino-américaine, ainsi que dans les services, et seulement de 20 % dans
l'industrie manufacturière. Par conséquent, ce sont les secteurs à fort contenu
de main-d'oeuvre qui seront directement intéressés.
Les entreprises les plus bénéficiaires seront les entreprises petites et
moyennes, puisque l'allégement sera en moyenne de 40 % pour les entreprises
dont le chiffre d'affaires est de moins de 50 millions de francs et seulement
de 25 % pour les entreprises dont le chiffre d'affaires dépasse 500 millions de
francs. Cette réforme est donc ciblée.
De plus, nous vous proposons que cette réforme, qui s'étalera sur cinq ans,
bénéficie d'abord aux entreprises les plus petites, c'est-à-dire celles qui ont
moins de 500 000 francs de masse salariale : elles verront disparaître
entièrement cette part salariale qui représente, selon les secteurs, 20 %, 40 %
ou 50 % de l'assiette de la taxe professionnelle.
Cela signifie concrètement, mesdames, messieurs les sénateurs, que les
artisans du bâtiment et les commerçants, s'ils emploient un petit nombre de
salariés, verront leur taxe professionnelle baisser de moitié en un an.
Il s'agit donc d'une réforme importante pour l'emploi, dont le Gouvernement
attend beaucoup. D'après les contacts que nous avons avec les parlementaires et
les chefs d'entreprise, elle apportera aux petites et moyennes entreprises, dès
1999, un signal de confiance important dont on peut attendre une progression de
l'emploi.
L'inquiétude des élus locaux porte non pas sur ce point, me semble-t-il, mais
sur la compensation, et peut-être, en amont, sur un principe qui est au coeur
des réformes de décentralisation de 1982, c'est-à-dire sur l'autonomie fiscale
des collectivités locales. Il s'agit là d'une exception française en Europe,
exception à laquelle le Gouvernement n'entend pas porter atteinte.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Heureusement !
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Je vous remercie de cette approbation, monsieur le
rapporteur général !
Que se passera-t-il ? Avant la réforme, les concours de l'Etat représentaient
30 % des recettes des communes. Après la réforme, on passera à 36 %. On peut
donc affirmer que l'exception française de l'autonomie fiscale des
collectivités locales, à laquelle nous sommes tous attachés, perdurera.
J'en viens à la question de la compensation et du dégrèvement.
Le Gouvernement propose un système simple, prévisible et dynamique.
Ce système est simple : on prendra les derniers taux connus, ceux de 1998, et
les dernières bases connues, celles de 1999.
Personne ne conteste le mode de compensation pour 1999, qui se fera franc pour
franc. Mais, même après 1999, la compensation sera calculée de façon très
favorable puisque la base ainsi définie sera ensuite indexée sur le concours le
plus avantageux de l'Etat aux collectivités locales, c'est-à-dire sur la
dotation globale de fonctionnement qui, vous le savez, croît comme l'inflation,
plus la moitié du produit intérieur brut.
En 2004, cette compensation sera intégrée dans l'enveloppe de la dotation
globale de fonctionnement et s'ajoutera donc à la DGF actuelle.
On constate par conséquent, de la part du Gouvernement, une volonté de
sécuriser cette compensation au contraire de l'invention, en 1987, de la DGCTP,
la dotation globale de compensation de la taxe professionnelle, qui a connu une
évolution très défavorable.
« Les collectivités locales vont-elles rentrer dans leurs frais et n'y
perdront-elles pas ? », me demandez-vous.
Il y a une façon très simple d'examiner ce point : cette réforme va porter sur
cinq ans, c'est-à-dire sur les années 1999 à 2003. Examinons ce qui s'est passé
pendant les cinq dernières années, c'est-à-dire entre 1992 et 1997 : la base
salaires a progressé de 10,5 % ; mais la compensation que nous vous proposons,
compte tenu de ses modalités d'indexation, aurait progressé de 12 %, si elle
avait été appliquée. Sur les années 1992-1997, le système proposé par le
Gouvernement est donc plus avantageux que celui qui existait antérieurement.
«
Quid
du reste ? » me demanderez-vous, c'est-à-dire des deux tiers
demeurant de la pleine compétence des collectivités locales : la base
d'investissement.
Même durant cette période 1992-1997 au cours de laquelle l'investissement
progressait de façon médiocre, la base d'investissement a cru de 30 %. Par
conséquent, la compensation proposée est, me semble-t-il, simple, juste et
dynamique. Nous aurons l'occasion d'en débattre de nouveau.
En revanche, toujours en considérant la période 1992-1997, le dégrèvement
aurait été moins avantageux. En outre, il aurait eu l'inconvénient d'exiger des
entreprises de continuer à faire des déclarations sur leurs effectifs et sur le
salaire, sans que cela serve à asseoir l'impôt. Par conséquent, alors que le
Gouvernement cherche à simplifier l'impôt papier - je pense d'ailleurs que vous
partagez cette volonté - le dégrèvement entraînerait la nécessité de continuer
à faire remplir des formulaires inutiles par les entreprises.
Traitant des collectivités locales, je répondrai à une autre interrogation de
M. le président de la commission des finances sur l'avenir des relations
financières entre l'Etat et les collectivités locales. La question est très
simple : d'où venons-nous ? Où allons-nous ? Nous venons d'un pacte de
stabilité et nous allons vers un contrat de croissance et de solidarité.
Le pacte de stabilité, sur la période 1996-1998, était un pacte unilatéral
imposé par le gouvernement de l'époque aux collectivités locales : l'enveloppe
« normée » de 150 milliards de francs environ vers les collectivités locales
était fixée sur la seule inflation. C'était aussi un pacte dans lequel la
dotation globale de compensation de la taxe professionnelle servait de variable
d'ajustement et connaissait une baisse extrêmement rapide.
Quelle a été la proposition du Gouvernement qui s'est trouvée amplifiée par
l'Assemblée nationale en première lecture ?
Premièrement, le Gouvernement propose un contrat : il y a eu une très large
concertation à laquelle le président de la commission des finances de l'époque
et le rapporteur général de la commission des finances du Sénat de l'époque ont
participé. Cette concertation n'est pas une codécision, mais je crois que nous
avons débattu amplement sur ces questions !
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Merci de le rappeler !
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Les associations d'élus des villes, des petites,
moyennes et grandes communes, des conseils généraux et des conseils régionaux
ont été associées à cette concertation.
Deuxièmement, on est sorti de l'indexation sur la seule inflation pour
permettre aux collectivités locales de retrouver une part des fruits de la
croissance. Le Gouvernement a proposé 15 % du taux de croissance en volume la
première année, c'est-à-dire en 1999, puis 25 %, puis 33 %. L'Assemblée
nationale a relevé le chiffre de 15 % pour la première année à 20 %.
Il y a donc eu discontinuité dans la méthode - on est passé d'un pacte imposé
à un contrat concerté - et discontinuité dans la progression des dotations,
puisque l'on passe de la seule inflation à une partie de la croissance.
Enfin, le Gouvernement, à la demande de l'Assemblée nationale, a complètement
exonéré de baisse de la dotation globale de compensation de la taxe
professionnelle les communes éligibles à la dotation de solidarité urbaine
ainsi que les communes bourgs-centre en milieu rural qui ont ce que l'on
appelle des charges de centralité particulières.
Je sais que nous aurons l'occasion de débattre longuement à nouveau des
relations entre l'Etat et les collectivités locales, ainsi que de la réforme de
la taxe professionnelle ; mais M. le président de la commission des finances
ayant posé des questions précises, j'ai voulu lui répondre de la façon la plus
détaillée possible.
La baisse de la part salariale n'est pas la seule mesure favorable à
l'emploi.
A cet égard, je mentionnerai une série de mesures convergentes en faveur du
bâtiment et du logement : outre la baisse de la part salariale qui intéressera,
je l'ai dit, l'artisanat du bâtiment, il convient de citer la baisse des droits
de mutation à titre onéreux - ces droits que, monsieur le président de la
commission des finances, on appelle à tort « frais de notaire »
(Sourires)
- ainsi que l'institution d'avantages fiscaux pour les bailleurs privés de
logements intermédiaires.
En outre, l'Assemblée nationale a ajouté deux mesures : le doublement du
crédit d'impôt pour l'entretien des logements par les locataires ou par les
propriétaires, et la suppression de la TVA sur les ventes de terrains à bâtir à
des particuliers.
Mme Hélène Luc.
Tout ne sera pas mis en cause ?
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Le bâtiment sera donc bien l'un des moteurs et, je
dois dire, madame Luc, que l'initiative de cette proposition est venue de
l'extrême gauche de la majorité plurielle.
Mme Hélène Luc.
Ce que je voudrais savoir, c'est si elle ne sera pas remise en cause, comme on
le dit dans les journaux.
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Nous aurons l'occasion d'en reparler, madame le
sénateur. C'est une bonne proposition, et nous ferons en sorte qu'elle soit
répercutée sur le terrain.
Mme Hélène Luc.
Je vous remercie.
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Enfin, dernier point en matière d'emplois, un certain
nombre de mesures sont destinées à accélérer les transmissions des entreprises,
car nous savons que c'est un élément favorable au dynamisme de l'emploi et au
maintien des centres de décision en France.
Ainsi, en cas de donation, il y aurait un allégement de 50 % des droits de
mutation à titre gratuit si le donateur a moins de 65 ans et de 30 % s'il a
entre 65 et 75 ans.
La fiscalité sera ensuite plus favorable à la justice sociale.
Nous avons accru - on en a peu parlé, sauf à l'occasion des propositions
développées par M. le rapporteur général de la commission des finances de
l'Assemblée nationale sur l'ISF - la fiscalité du patrimoine, notamment afin
d'empêcher une évasion fiscale trop fréquente aujourd'hui, car il est clair que
plus l'impôt est complexe, plus les puissants ont des facilités pour y
échapper.
En conséquence - nous en débattrons - l'impôt de solidarité sur la fortune
devrait voir son rendement accru de 30 %, c'est-à-dire qu'il passerait de 11
milliards de francs en 1998 à 14,5 milliards de francs en 1999, sous réserve,
évidemment, de l'évaluation des marchés financiers.
Le Gouvernement souhaite aussi adapter l'exonération des droits de succession
dont bénéficient les produits d'assurance vie, afin que l'assurance vie, qui
est un mode normal de transmission du patrimoine, ne permette pas à certains
d'échapper entièrement aux droits de succession.
Nous avons aussi proposé que l'avoir fiscal que les entreprises se versent
entre elles soit réduit de 50 % à 45 %, et ce pour encourager les entreprises à
privilégier les investissements productifs par rapport aux investissements
financiers. Des baisses de la TVA - M. Dominique Strauss-Kahn en a d'ailleurs
parlé - constituent également des mesures favorables à la justice fiscale :
après les travaux de rénovation dans les logements sociaux, ce sont les
abonnements à l'électricité et au gaz, un certain nombre d'appareillages pour
personnes handicapées, ainsi que la collecte, le traitement et l'élimination
des déchets faisant l'objet d'un tri sélectif qui profiteront de ces
baisses.
Au total, il y en a pour plus de 12 milliards de francs sur les deux années
1998 et 1999, et je passe, pour ne pas vous lasser, sur la suppression des
droits de timbre sur les cartes d'identité et les permis de conduire, qui
représentent 600 millions de francs et qui intéressent quatre millions de
bénéficiaires parmi les Français les plus modestes.
Pour ce qui est de la fiscalité écologique, vous savez que le Gouvernement
veut ramener, en sept ans, l'écart existant entre le prix du gazole et le prix
du super sans plomb à la moyenne européenne, d'où une hausse relative de 7
centimes par an pendant sept ans, soit, en 1999, une hausse du gazole de 7
centimes et, pour la première fois depuis vingt ans, pas de hausse de la
fiscalité sur le super sans plomb. Je suis sûr que le Sénat, qui a milité pour
ce type de mesure, approuvera ces dispositions !
Quant à la taxe générale sur les activités polluantes, je pense que nous
aurons l'occasion d'en parler longuement ! Elle permettra de dégager des moyens
accrus et de conduire une lutte plus efficace contre les principales
pollutions.
Enfin, pour ce qui concerne la simplification administrative, vous me
permettrez de citer le travail remarquable de ma collègue Mme Lebranchu, et
plus particulièrement deux mesures : tout d'abord, les entreprises qui
réalisent moins de 500 000 francs de chiffre d'affaires seront désormais
exonérées du paiement de la TVA, et donc de déclaration en la matière, mais
elle seront, évidemment, privées corrélativement de la possibilité de déduire
la TVA sur leurs achats ! Cette mesure importante devrait permettre de lutter
contre le travail clandestin et donner aux artisans une possibilité de
développement plus grande que celle qu'ils ont actuellement. Ensuite, grâce à
l'allégement du régime simplifié d'imposition à la TVA - une seule déclaration
au lieu de cinq - ce sont, au total, près de quinze millions de formulaires par
an qui ne seront plus remplis par les entreprises, mais aussi par les ménages
puisque des simplifications en matière de droit de bail vont également
intervenir.
J'en viens maintenant aux dépenses pour démontrer, si cela était nécessaire, à
M. le rapporteur général que la politique du Gouvernement ne consiste pas à
accroître mécaniquement ce qu'il a appelé les « charges de structure », mais à
financer de véritables priorités : priorité à l'emploi, à la solidarité, à
l'éducation, aux grands services publics.
Ainsi, nous n'avons pas honte - au contraire ! - de faire croître le budget de
l'emploi de 3,9 % en 1999, car cela devrait nous permettre de lutter plus
efficacement contre le chômage grâce à l'allégement des charges, à la réduction
négociée du temps de travail et aux emplois-jeunes.
En ce qui concerne les emplois-jeunes, on en comptera 150 000 à la fin de
1998, et 250 000 à la fin de 1999. A ce sujet, je veux dire à ceux qui ont
condamné les emplois-jeunes que, ce matin, devant l'Association des maires de
France, j'ai félicité les maires qui ont déjà permis le recrutement de 17 000
jeunes. Sur le terrain, les jeunes de leurs communes ont ainsi trouvé une
véritable solution, en assurant, de plus, des services de proximité qui, sans
eux, n'auraient pas été assurés.
Par ailleurs, le budget de la santé et de la solidarité progressera de 4,5 %.
C'est la conclusion concrète de la loi de lutte contre les exclusions : vous
avez voulu la faire, nous l'avons faite, et nous la finançons.
Quant à la politique de la ville, à laquelle vous êtes sensibles, son budget
est en hausse de 32 %.
En ce qui concerne l'effort en faveur du logement, les dépenses sont en hausse
de 4 %.
Pour ce qui est de l'éducation, secteur dans lequel M. le rapporteur général
souhaite opérer des coupes claires en considérant qu'il ne s'agit pas d'une
dépense de souveraineté - alors que, pour nous, c'est l'investissement
souverain du xxie siècle, mais je vais m'en expliquer dans un instant - le
budget de l'enseignement scolaire progresse de 4,1 %, et celui de
l'enseignement supérieur de 5,5 %.
Il est vrai que, lorsque M. le rapporteur général propose la suppression de 17
000 emplois, utilisant pour cela une méthode qui a le mérite de la simplicité
en ne remplaçant que trois fonctionnaires sur quatre dans les ministères non
souverains, cela signifie qu'il s'apprête à supprimer 12 000 postes budgétaires
dans l'éducation nationale. Mais je pense que nous aurons l'occasion d'en
reparler !
Mme Hélène Luc.
Allez expliquer cela dans les lycées !
M. Roland du Luart.
Il faut faire revenir à l'éducation nationale ceux qui sont ailleurs !
M. Serge Vinçon.
Oui, réintégrez les enseignants dans les classes !
M. Josselin de Rohan.
Les « mis à disposition » !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Nous en reparlerons !
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Après le récent mouvement des lycéens, nous allons
affecter, au contraire, 14 000 adultes supplémentaires dans les écoles...
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Nous voulons des enseignants, certes ! Mais que les
enseignants commencent par enseigner !
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
... et nous vous demanderons d'approuver une dépense
supplémentaire de 431 millions de francs. L'avenir, en matière d'éducation, est
donc plutôt de notre côté que du vôtre !
Mme Hélène Luc.
On va donc ajouter des crédits !
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Les crédits ont été ajoutés à la fin de la première
lecture du projet de loi à l'Assemblée nationale : 431 millions de francs. Le
Gouvernement tient ses promesses !
S'agissant des grands services publics, ceux que vous qualifiez de souverains,
le budget de la justice progresse de 5,6 %. Il est vrai qu'un certain retard
devrait être rattrapé et que Mme la garde des sceaux cherche à accélérer les
procédures pénales, à développer des modes alternatifs de règlement des litiges
et à mettre en place des maisons de justice, tous exemples concrets qui
tendent, me semble-t-il, à rapprocher le service public de la justice de nos
concitoyens. Le ministère de la justice bénéficiera ainsi de 930 postes
budgétaires supplémentaires.
Vous savez que, à la suite de la déclaration de politique générale de M. le
Premier ministre, le Gouvernement a décidé de stabiliser les effectifs civils
des fonctionnaires, alors qu'ils diminuaient avant 1997 et que vous avez
l'intention de poursuivre dans la voie de la diminution. Or les 930 emplois
nouveaux attribués au ministère de la justice seront évidemment compensés par
une diminution dans d'autres ministères, y compris au ministère de l'économie,
des finances et de l'industrie !
Le budget de la sécurité civile est en hausse de 3 % et vous constaterez, à
l'occasion de l'examen du collectif budgétaire, que nous y avons ajouté, en fin
de gestion 1998, 400 millions de francs parce que la sécurité est un droit et
que ce sont les plus pauvres qui, souvent, en sont le plus dépourvus.
Le budget de la culture rattrape son retard. Il atteindra bientôt le fameux
seuil de 1 % des dépenses de l'Etat : 0,97 % l'an prochain.
Le budget de l'environnement, quant à lui, progresse de 15 %, auxquels
s'ajoute le produit de la taxe générale sur les activités polluantes.
Telles sont les remarques que je souhaitais présenter à propos de l'examen de
ce projet de budget. Sans ajouter aux propos de M. le ministre de l'économie,
des finances et de l'industrie sur le contre-budget de votre commission des
finances - nous aurons l'occasion d'en discuter - permettez-moi simplement de
souligner un contraste : vous souhaitez - c'est votre droit - diminuer de 5 %
les crédits consacrés au RMI ainsi que ceux qui sont affectés à l'allocation de
parent isolé. Je laisse aux intéressés le soin de comprendre comment une telle
économie forfaitaire peut être réalisée !
Nous, nous menons une politique différente : nous avons revalorisé les minima
sociaux, qui avaient été sous-indexés dans le passé. Il y a là deux approches
différentes, M. Strauss-Kahn l'a très bien souligné.
En conclusion, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, notre
logique n'est effectivement pas la vôtre, ou du moins celle qui a été
développée avec clarté et constance par M. le rapporteur général ainsi que par
M. le président de la commission des finances. Nous avons, nous, un objectif de
croissance solidaire, nous voulons accompagner le développement des entreprises
qui ont créé 300 000 emplois depuis un an, nous voulons répartir plus justement
les fruits de cette expansion, comme nous l'avons fait avec un certain succès
depuis un an et demi.
Le projet de budget que nous vous présentons pour 1999, et dont nous aurons
l'occasion de débattre, va dans le même sens.
(Applaudissements sur les
travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et
citoyen. - M. Fourcade applaudit également.)
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 108 minutes ;
Groupe socialiste, 88 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 62 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 57 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 32 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 26 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe,
12 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. de Villepin.
M. Xavier de Villepin.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, au
cours du récent débat d'orientation budgétaire, mes collègues du groupe de
l'Union centriste et moi-même avions exprimé notre inquiétude au vu de certains
choix opérés par le Gouvernement.
Le projet de budget pour 1999 dont est saisi à présent le Sénat constitue la
première loi de finances entièrement maîtrisée par le gouvernement actuel et le
dernier avant le programme pluriannuel de stabilité qui doit être transmis à la
Commission européenne à la fin de cette année.
Ce projet de budget, sorti de son contexte, peut - je dis bien « peut » -
apparaître vertueux, avec la réduction du taux des déficits publics qui est
prévue en 1999 et 2000.
Or, malheureusement ! au-delà des apparences, la politique économique et
budgétaire du Gouvernement souffre de deux défauts majeurs : elle ne tient pas
suffisamment compte de l'évolution de la conjoncture internationale et, par
ailleurs, le Gouvernement renoue avec un certain laxisme - je le souligne - au
niveau de la dépense publique,...
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Eh oui !
M. Xavier de Villepin.
... d'où une réduction insuffisante des prélèvements obligatoires. Ce n'est
assurément pas la meilleure façon de préparer la France à l'entrée, imminente,
dans la zone euro !
Une première remarque s'impose : elle concerne le décalage entre les
hypothèses économiques, relativement optimistes selon moi car définies au
printemps dernier, et l'évolution défavorable de la conjoncture internationale,
que vous connaissez bien, monsieur le secrétaire d'Etat !
Certes, on nous annonce, pour 1998, 24 milliards de francs de recettes
budgétaires supplémentaires par rapport aux prévisions. La croissance
économique de notre pays est, en effet, littéralement portée par la demande
intérieure, par une consommation des ménages et par un investissement
soutenus.
Mais, sous l'effet du ralentissement de la demande mondiale, nos exportations
connaissent d'ores et déjà un ralentissement brutal. Conséquence de la vigueur
de la demande intérieure, de leur côté, les importations progressent plus
rapidement, de telle sorte que la contribution des échanges extérieurs à la
croissance devrait être légèrement négative cette année, et plus encore en
1999.
La lucidité doit donc être de mise chez l'ensemble des dirigeants européens :
la récession et la crise financière, en Asie et dans les pays émergents, ont
dès maintenant et auront dans l'avenir un impact hélas négatif sur nos
exportations et, donc, sur notre croissance.
La crise asiatique, née en Thaïlande au printemps 1997, s'est intensifiée
progressivement pour s'étendre à l'ensemble des pays émergents. Cette récession
est d'autant plus forte que la région a connu une croissance économique élevée.
Certaines monnaies ont ainsi perdu 75 % de leur valeur.
Quant à la propagation si rapide de la crise, de l'Asie à la Russie en passant
par l'Afrique du Sud et le Venezuela, elle est le résultat logique de la
mondialisation croissante des marchés et des économies.
La crise asiatique a eu au moins le premier mérite de dévoiler les faiblesses
cachées par deux décennies de croissance forte au sein même des économies
émergentes, avec des systèmes bancaires et financiers insuffisamment robustes,
l'absence de contre-pouvoirs et des mécanismes de surveillance défaillants.
Mais c'est surtout le mode de fonctionnement de l'ensemble de l'économie
mondiale qui est en cause : depuis la fin des années quarante, l'économie
internationale s'est transformée, passant d'une économie fondée sur l'activité
à une économie de crédit, fondée sur l'endettement tant externe qu'interne.
Les économies asiatiques ont eu le tort de reposer leur croissance sur ce
système de crédit permanent.
L'ampleur de la crise s'explique d'ailleurs essentiellement par les niveaux de
l'endettement atteints - la dette extérieure de la Corée du Sud avoisine 140 %
de son PIB - ainsi que par les méthodes utilisées, à savoir l'endettement à
court terme pour des financements à long terme et des prêts octroyés pour des
surinvestissements en infrastructures ou des placements spéculatifs.
Pour reprendre le titre d'un ouvrage célèbre, ce sont ces pratiques
inflationnistes qui constituent une véritable « horreur économique », dont le
chômage et la pauvreté sont les résultantes logiques.
Sur le plan international, l'ampleur des conséquences possibles de la crise
pour le monde industrialisé s'explique par le fait que les banques occidentales
ont massivement investi dans les pays asiatiques, comme en Amérique latine ou
en Russie.
Autre source d'inquiétude : des pays comme le Japon et la Corée du Sud
détiennent l'essentiel de la dette extérieure américaine, soit 20 % des bons du
Trésor des Etats-Unis.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Eh oui !
M. Xavier de Villepin.
En tout état de cause, la croissance en France risque, malheureusement - je
regrette de ne pas être d'accord sur ce point avec M. Strauss-Kahn - de ne pas
atteindre, en 1999, les 2,7 % prévus dans le projet de loi de finances, le
consensus actuel des instituts de conjoncture, y compris ceux qui sont proches
de vous, monsieur le secrétaire d'Etat, se faisant plutôt sur 2,5 %.
Une telle erreur de prévision, avec ses conséquences sur les recettes et les
dépenses, pourrait engendrer de sérieux problèmes budgétaires à notre pays en
1999 mais surtout en l'an 2000.
La solution de facilité consistant en un creusement du déficit, retenue au
début de l'année 1999, est évidemment à exclure du fait de nos engagements
européens.
Le pacte de stabilité, avec son dispositif de sanctions, laissera bien peu de
marge de manoeuvre aux gouvernements nationaux soucieux d'utiliser le déficit
budgétaire comme outil de mesure économique.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Certes !
M. Xavier de Villepin.
Pour des raisons identiques, il est hors de question de recourir à
l'endettement. L'ajustement budgétaire éventuel ne pourra donc se faire que par
une contraction des dépenses.
J'en viens à mon deuxième point.
Les deux grandes erreurs de ce nouveau projet de budget sont de laisser
augmenter de nouveau les dépenses publiques - on l'a très bien dit tout à
l'heure - et, parallèlement, de ne pas réduire significativement la pression
fiscale.
L'effort de rigueur budgétaire, est hélas ! plus que jamais indispensable. Le
Gouvernement n'a pas voulu l'engager pour des raisons purement politiciennes :
il convient avant tout pour lui de satisfaire certaines revendications des
diverses composantes de la majorité gouvernementale,...
M. Serge Vinçon.
C'est vrai !
M. Xavier de Villepin.
... une majorité victime de forces centrifuges à la veille de la mise en place
de l'euro. Nous n'avions pas besoin de cela !
Les économies que vous ne faites pas aujourd'hui, monsieur le secrétaire
d'Etat, seront d'autant plus dangereuses pour les Français dans un an ou
deux.
Le Gouvernement a donc choisi d'assouplir la rigueur budgétaire avec un budget
en augmentation, officiellement, de 1 % en francs constants, en fait de 1 % à 2
%. Cette hausse est beaucoup plus rapide que celle qui a été enregistrée en
1997, dernière année exécutée, et que celle qui est actuellement constatée pour
l'année 1998.
Les principales augmentations de crédits concernent la revalorisation des
salaires de la fonction publique, pour 15 milliards de francs en 1999 et pour
23 milliards de francs en 2000, sans oublier les aides liées à l'application
des 35 heures, qui représenteront 7 milliards de francs en 1999, et les
emplois-jeunes, à hauteur de 5 milliards de francs. On atteint au total près de
27 milliards de francs, qui auraient été sans doute plus efficacement employés
en réductions de charges sociales, ainsi que dans la réduction du déficit et de
la dette !
MM. Josselin de Rohan et Serge Vinçon.
Très bien !
M. Xavier de Villepin.
La stabilisation, dès 1999, de la dette totale des administrations publiques
nécessiterait, en effet, que l'on affecte au moins 14 milliards de francs
supplémentaires à la réduction du déficit budgétaire. C'est ce que propose,
dans son projet de budget alternatif, la commission des finances, à laquelle je
rends hommage.
A défaut, le ratio entre la dette publique et le PIB devrait encore se
dégrader d'un demi-point du PIB, la dette de l'Etat
stricto sensu
augmentant de près de 1 % du PIB.
Autre fait inquiétant, la croissance des charges de personnel au sein du
budget de l'Etat : 42 milliards de francs de plus par rapport à la loi de
finances initiale pour 1998 ! Les dépenses de la fonction publique représentent
désormais plus de 50 % des charges publiques.
Contrairement au gouvernement d'Alain Juppé, qui avait eu le courage de
réduire les effectifs de la fonction publique, avec 5 000 postes supprimés en
1996, le pouvoir actuel préfère stabiliser les effectifs budgétaires tout en
revalorisant les traitements de façon substantielle. Là aussi, la vertu du
Gouvernement n'est qu'apparente.
Il en est de même, par ailleurs, pour les prélèvements sur les entreprises !
Le budget affiche une réduction d'impôts de 12 milliards de francs sur les
entreprises en 1999, alors même que le secteur productif est ponctionné de près
de 40 milliards de francs cette année, si l'on intègre les premières mesures
prises durant l'été 1997.
S'agissant des prélèvements obligatoires, nous lisions récemment, dans une
étude d'un organisme que vous connaissez bien, monsieur le secrétaire d'Etat,
le Conseil d'analyse économique, que « les prélèvements ne sont qu'en apparence
plus forts en France qu'à l'étranger... ». Cette étude prend pour référence les
Etats-Unis, où les statistiques ne tiennent pas compte des prélèvements sociaux
!
Mais, monsieur le secrétaire d'Etat, il suffit de regarder le récent
classement effectué par Eurostat pour constater le réel retard pris par la
France dans ce domaine : elle fait bien partie des pays les plus taxés au sein
de l'Union européenne, occupant la cinquième place derrière les trois
partenaires scandinaves et la Belgique.
Avec plus de 46 % du PIB de prélèvements, la France devance nos principaux
partenaires, l'Allemagne fédérale, qui n'est qu'à 41,6 %, ainsi que le
Royaume-Uni, qui est à 35,9 %. Or, c'est bien sur le plan de la fiscalité et
des prélèvements sociaux que les pertes de marges de manoeuvre devraient être
les plus sensibles avec la mise en place de l'euro.
Dès le 1er janvier prochain, la monnaie unique et les diverses harmonisations
réglementaires vont inéluctablement mettre en évidence les disparités fiscales,
ce qui risque d'intensifier le mouvement de délocalisation des activités, des
personnes et de l'épargne. Ainsi, c'est à une véritable « révolution
copernicienne » que nous allons assister dans les prochaines années.
La France ne pourra donc pas vivre durablement avec un taux de prélèvement
supérieur à celui de ses principaux partenaires et néanmoins concurrents.
Il en est ainsi pour l'impôt sur les sociétés qui devra baisser d'ici à l'an
2000, et surtout pour les charges sociales, qui représentent 19,2 % du PIB,
taux le plus élevé de l'Union européenne.
Or, les mesures fiscales proposées dans ce budget ne sont pas à la hauteur des
défis que notre pays va devoir relever. C'est la seconde grande lacune de ce
budget pour 1999.
Le montant des réductions d'impôt permet juste de stabiliser l'évolution des
recettes fiscales en proportion du PIB.
Simultanément, on attend toujours l'allégement des cotisations patronales, si
souvent annoncé par la majorité gouvernementale. Objet de profondes divergences
au sein de la gauche plurielle - le Sénat l'a encore constaté à l'occasion du
tout récent débat sur le financement de la sécurité sociale ! - cette réforme
est renvoyée à 1999.
Mme Hélène Luc.
Ça avance !
M. Xavier de Villepin.
Rappelons que, dès 1995, le gouvernement d'Alain Juppé avait prévu près de 40
milliards de francs d'allégements de charges sociales.
Au-delà de l'insuffisance relative de l'effort de réduction des prélèvements,
certains choix d'allégements paraissent peu convaincants. Je pense aux mesures
disparates de réduction de la TVA, dont l'influence sur la consommation restera
probablement très limitée.
Je n'insisterai pas sur les défauts de la réforme de la taxe professionnelle ;
mon collègue Yves Fréville en reparlera au cours de cette discussion générale.
En tout état de cause, les 7 milliards de francs de réduction d'impôts
concernés seraient mieux utilisés sous forme d'abaissements de charges
sociales.
A ce stade de mon intervention, je souhaite rendre hommage à la démarche
courageuse de la commission des finances du Sénat. Pour la deuxième année
consécutive, et ce en concertation, je tiens à le souligner, avec les autres
commissions et les groupes de la majorité, elle est parvenue à définir un
projet de contre-budget.
Les deux grandes priorités de ce contre-projet sont la réduction du déficit
budgétaire et le désendettement de notre pays, d'une part, l'allégement des
charges pesant sur le secteur productif, d'autre part.
Le projet de budget alternatif du Sénat allie donc lucidité et rigueur face
aux différents défis auxquels notre pays est confronté, en premier lieu la mise
en place de l'euro, que les intervenants précédents n'ont pratiquement pas
évoquée, et la mondialisation des marchés.
Il est primordial de réformer dès que possible nos structures économiques et
sociales. L'Etat doit, en particulier, réduire son train de vie et instaurer de
nouvelles règles de gestion à caractère patrimonial, idée chère à notre
collègue Jean Arthuis. A ce propos, le Parlement doit jouer pleinement son rôle
et engager, dès qu'il le peut, des procédures d'enquête sur l'utilisation des
deniers publics. Je pense, en particulier, à la commission d'enquête qui vient
d'être mise en place au Sénat, sur l'initiative du groupe de l'Union centriste,
pour étudier l'affectation des personnels de l'éducation nationale.
Il appartient à l'opposition et à sa représentation parlementaire au sein du
Sénat de présenter aux Français un projet économique et budgétaire alternatif.
Ce sera l'objet de nos débats jusqu'au 8 décembre prochain.
Sous le bénéfice de ces observations, et après avoir rendu de nouveau hommage
à l'excellent travail réalisé par la commission des finances, son président,
Alain Lambert, et son rapporteur général, Philippe Marini, le groupe de l'Union
centriste soutiendra le budget corrigé proposé par l'ensemble de la majorité
sénatoriale.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. du Luart.
M. Roland du Luart.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat,
mes chers collègues, porté par la croissance espérée, le projet de loi de
finances pour 1999 aurait pu, aurait dû prendre une inflexion indispensable
pour l'évolution de nos finances publiques. Malheureusement, cette occasion
unique n'a pas été saisie, et j'ai le sentiment que le Gouvernement est de
nouveau inspiré par l'esprit de « réhabilitation de la dépense publique », dont
nous connaissons pourtant les effets malencontreux.
L'analyse rigoureuse à laquelle se sont livré le rapporteur général et le
président de la commission des finances le démontre avec clarté et pertinence.
En effet, en prenant le parti d'augmenter de 1 % les dépenses en volume, et
peut-être de plus de 1 % si l'inflation continue sur son rythme actuel, le
Gouvernement accentue les rigidités structurelles du budget.
Certes, la croissance soutenue que nous pourrions enregister l'année prochaine
en masquera temporairement les effets. Toutefois, dès que la croissance
s'essouflera, nous retrouverons le mécanisme de « ciseaux » : les recettes
diminueront, les dépenses poursuivront sur leur lancée et, mécaniquement, le
déficit recommencera à s'accroître.
Ce n'est pas autrement, mes chers collègues, que les dépenses « Rocard » ont
créé les déficits « Balladur » et « Juppé » !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Très bien !
M. Roland du Luart.
Il est tout de même piquant, sinon navrant, de constater qu'un gouvernement
peut bénéficier de l'effet politique de dépenses accrues alors qu'il passe le «
mistigri » à son successeur, qui devra se dépêtrer des déficits.
En revanche, il est réconfortant de constater que des membres éminents de la
majorité actuelle, notamment MM. Laurent Fabius ou Jack Lang, ont pris
conscience de cette mécanique inexorable et pris publiquement position en
faveur d'une maîtrise accrue des dépenses et des déficits.
Je constate en effet que les dépenses nouvelles que le Gouvernement soumet à
notre appréciation sont non pas des dépenses occasionnelles, mais des dépenses
structurelles qui se répèteront d'année en année, qu'il s'agisse des emplois
jeunes - dont chacun sent bien qu'ils seront pérennisés d'une manière ou d'une
autre - des trente-cinq heures qui, au mieux, stabiliseront l'emploi tout en
étant budgétairement coûteuses, ou de la politique d'embauche et de
rémunérations dans la sphère publique.
J'ai trop le souvenir d'avoir vivement critiqué, dans le projet de loi de
finances pour 1996, la création nette de trois mille emplois de fonctionnaires
pour ne pas réitérer mes observations.
Certes, le solde de création des emplois civils est à l'équilibre, si l'on ne
tient pas compte, bien entendu, des emplois-jeunes - alors même qu'à
l'éducation nationale ou à l'intérieur il s'agit quasiment d'emplois publics -
mais je constate qu'il y a création nette de 5 000 emplois de militaires de
carrière, par application de la professionnalisation des armées.
Je constate aussi que le coût des rémunérations publiques, la revalorisation
des retraites comprise, s'accroîtra de 21 milliards de francs l'an prochain,
soit pour fixer un ordre de grandeur, à peu près l'équivalent du budget de la
justice !
Nous continuons donc, sur notre lancée, si je puis dire, alors que nous savons
bien que des réformes structurelles s'imposent. Sans doute notre fonction
publique est-elle la meilleure du monde, mais c'est aussi de loin la plus
coûteuse, et la plus importante.
Chacun s'accorde à penser que des réformes de fond s'imposent, qu'il s'agisse
de la déconcentration des décisions, de la rationalisation du nombre de corps
de fonctionnaires, de l'introduction hardie des technologies nouvelles, de
l'âge de la retraite, de l'intéressement aux performances ou de la durée
effective du travail. Mais ces réformes sont toujours esquissées et jamais
mises en oeuvre.
Nous savons tous, par exemple, qu'il a un fort pourcentage d'enseignants
consciencieux, mais nous savons aussi que le système en vigueur à l'éducation
nationale ne permet ni de récompenser les bons éléments ni de sanctionner les
médiocres. Dans le monde ouvert que nous connaissons, une telle situation n'est
plus concevable.
Je conclurai sur ce point par une phrase qu'Alain Minc avait écrite en 1994
dans un rapport qui avait fait quelque bruit à l'époque : « La fonction
publique a le choix entre évoluer aujourd'hui ou subir demain un séisme
statutaire. » Quatre ans plus tard, son intuition me semble toujours
d'actualité !
Plus encore, je suis inquiet de voir poindre, sur le moyen et le long terme,
des risques considérables de dérapage des dépenses publiques, tout d'abord en
ce qui concerne les charges de pensions publiques, qui constituent, comme l'a
fort bien rappelé le président de la commission des finances, M. Alain Lambert,
la deuxième dette de l'Etat ; ensuite, pour ce qui a trait aux entreprises
publiques structurellement et lourdement déficitaires, SNCF, réseau ferré de
France, Charbonnages de France ou les structures de défaisance du Crédit
lyonnais et du comptoir des entrepreneurs.
Nous finançons aujourd'hui ces entreprises en vendant - et j'y suis favorable
- les « bijoux de la République » qu'il s'agisse de France Télécom ou, dans les
conditions que l'on sait, du Crédit lyonnais. Comment ferons-nous demain quand
ces entreprises auront été privatisées entièrement et que subsisteront les
entreprises structurellement déficitaires ?
Il y a aussi le problème, qui ne cesse de s'aggraver, des prises en charge
d'impôts locaux par le budget de l'Etat. L'an dernier, c'était plusieurs
milliards de francs au titre de la taxe d'habitation, cette année ce sont
plusieurs autres milliards de francs au titre de la taxe professionnelle. Quel
que soit par ailleurs le bien-fondé de ces prises en charge, je dois constater
qu'elles vont rigidifier encore plus nos dépenses publiques.
Je pense enfin aux relations financières entre la France et la Communauté
européenne.
Il me semble évident que la contribution de la France risque de s'accroître -
ce sont les demandes des « gros » contributeurs nets qui nous y conduiront - et
que les retours en notre faveur diminueront par suite de l'élargissement de
l'Union européenne et de la réforme de la politique agricole commune.
Il y aura à mon sens une forte pression sur les finances publiques nationales
pour compenser les conséquences de cet autre « effet de ciseaux ».
Retraites publiques, entreprises publiques, prise en charge d'impôts locaux,
retours communautaires : voilà autant de sujets qui me rendent perplexe et qui
m'inquiètent. Bien entendu, ils ne datent pas d'hier et ils continueront à se
poser demain. Mais je dois immédiatement ajouter que les conditions étaient
remplies pour que le Gouvernement s'y attaque avec détermination. La croissance
attendue le permettait, mais des choix différents ont été opérés.
Il importait de le dire et de souligner combien le budget alternatif proposé
par le président de la commission des finances et M. le rapporteur général
s'imposait. Je le soutiens sans réserve, ainsi que la majorité de la commission
des finances et l'ensemble du groupe des Républicains et Indépendants.
Il me paraît sage de regretter l'insuffisante décrue des prélèvements
obligatoires : 16 milliards de francs d'impôts en moins, c'est appréciable mais
bien peu après les 50 milliards de francs de prélèvements sociaux et fiscaux
supplémentaires résultant des décisions prises en 1997 et 1998, et, me
direz-vous, monsieur le secrétaire d'Etat - et j'en conviendrai - après les 120
milliards de francs de la loi de finances initiale de 1996.
M. Paul Massion.
Très bien !
M. Roland du Luart.
Il faut être objectifs !
M. Marc Massion.
C'est suffisamment rare pour le souligner !
M. Roland du Luart.
L'excès, aujourd'hui, nécessite un retour à une fiscalité normale.
Je demeure en effet persuadé qu'une réforme d'ensemble de notre fiscalité
demeure plus que jamais d'actualité. Il faudra l'aborder de manière pragmatique
mais résolue, par une approche commune des prélèvements fiscaux et sociaux.
La promotion de l'effort et la récompense de l'audace et de l'innovation
devront être encouragées. Nous avons trop vécu avec des systèmes de taux élevés
et d'assiette minorée par des réductions spécifiques. Des taux élevés pour
l'affichage, des « niches » fiscales pour préserver le goût de l'initiative.
Ce système un peu hypocrite, qu'il s'agisse de l'impôt sur le revenu ou sur
les mutations à titre gratuit, est remplacé, depuis l'année dernière, par un
système moins hypocrite : les taux élevés ont été maintenus, mais les
exemptions ont disparu.
Cette surfiscalisation ne sera pas tenable longtemps. La face visible de cette
évolution est bien connue : les retraités et l'abattement de 10 % dont la
suppression est planifiée, les journalistes qui souffrent toujours de mal-être
fiscal.
Mais la face invisible est beaucoup plus préoccupante et manifestera
progressivement ses effets regrettables sur notre économie. J'observe déjà sur
le terrain, je suis sûr que vous partagez cet avis, mes chers collègues, les
effets de la réforme de la CSG. Nos compatriotes, qui reçoivent les avis
d'imposition à ce titre, prennent enfin conscience des mesures fiscales et
sociales prises depuis l'année dernière.
J'observe aussi, comme tous mes collègues ici présents, que nos enfants, au
sortir de l'université, hésitent aujourd'hui à rester en France et commencent à
préférer tenter leur chance à l'étranger.
Je crois devoir attirer l'attention du Gouvernement - avec quelque solennité -
sur la situation des cadres français. Premières victimes de prélèvements
sociaux sur l'épargne, de la réforme de l'impôt sur le revenu, par le biais des
emplois familiaux notamment, de la stagnation des salaires dans le secteur
privé et de variables d'ajustement dans la problématique des 35 heures, ils
sont appelés à augmenter leurs cotisations retraites et, dans le même temps,
ils sont privés d'un système attractif de stock options. Ces cadres constituent
pourtant le fer de lance de notre économie.
Nous leur devons cet hommage et nous devons, du même élan, prendre conscience
du découragement qui, progressivement, les gagne. Il y a là un sujet d'une
extrême importance, et nous nous devons de l'aborder.
Un second sujet de préoccupation a trait à la fiscalité de la famille. Les
volte-face du Gouvernement sur ce sujet nous inquiètent et inquiètent les
familles françaises.
Sans entrer dans la problématique d'une politique nataliste - ce n'est pas le
sujet aujourd'hui - je constate néanmoins que les familles n'ayant qu'un enfant
seront pénalisées par le projet de loi de finances. En effet, elles n'auront
pas droit, bien entendu, aux allocations familiales, mais, de surcroît, elles
verront considérablement réduite la légitime compensation que constitue le
quotient familial.
A titre personnel, je suis choqué de constater que, dans le même temps, des
avantages fiscaux seront consentis à des couples que je ne saurais qualifier de
familles.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Certes !
M. Roland du Luart.
Il y a là un choix politique implicite que je ne puis que rejeter
catégoriquement.
M. Josselin de Rahan.
Il faut fonder trois familles, comme le ministre !
Pour conclure sur ce sujet fiscal, je constate que, d'ores et déjà, des
frottements apparaissent entre les pays de l'euro et que l'harmonisation
fiscale qui se dessine livre ses premiers enseignements.
Je ne prendrai pour exemple que la fiscalité de l'épargne. Le consensus
européen semble se fixer vers un prélèvement maximal de 20 %, alors que la
fiscalité française est bien supérieure.
Après avoir surtaxé l'épargne au plan fiscal et social en 1997, le
Gouvernement va-t-il nous proposer des allégements dans le projet de loi de
finances pour l'an 2000 ? Ce serait le chemin de la raison, et je souhaite
vivement qu'il puisse l'emprunter ! J'ai cru comprendre que M. le ministre de
l'économie et des finances s'engagerait peut-être dans cette voie lors du
projet de budget pour l'an 2000.
Plus généralement, j'ai la conviction que nous n'avons pas encore correctement
apprécié les conséquences formidables de la concurrence que va susciter la mise
en oeuvre de l'euro dans une économie mondiale de plus en plus ouverte.
Concurrence fiscale, mais aussi concurrence sociale, car les coûts de revient
seront de plus en plus comparables et les rigidités structurelles et
psychologiques de moins en moins fortes !
Bien entendu, il n'y aura pas de révolution au 1er janvier 1999, pas plus
qu'au 1er janvier 2002, mais il y aura la poursuite d'une évolution qui peut
être inquiétante, car l'exaspération fiscale de nos concitoyens ne doit pas
être sous-estimée. Démotivation, évasion fiscale, délocalisation des cerveaux
et des activités constituent le triple risque auquel nous serons ... auquel
nous sommes déjà confrontés.
Pour stopper la croissance de ces prélèvements obligatoires, et le faire d'une
manière durable et crédible aux yeux des opérateurs économiques, il n'y a pas
d'autre solution que de maîtriser et de réduire les dépenses publiques.
Je me rappelle, l'an dernier, combien le rapport Nasse et Bonnet avait été
utilisé pour justifier la politique budgétaire du Gouvernement. Je regrette
tout simplement qu'il n'ait pas été suivi d'effets. Il se concluait, en effet,
par un plaidoyer sans ambiguïté en faveur tant d'une maîtrise de la dépense
publique que d'une réforme ambitieuse de l'Etat, et ce dans le cadre de
prélèvements obligatoires trop lourds.
Je ne saurais donc que me réjouir de l'appel au courage et à la volonté que
nous lancent notre président et notre rapporteur général en proposant de
réduire les dépenses publiques. J'ai entendu leur appel et je les soutiendrai,
et avec moi le groupe des Républicains et Indépendants, quelles que soient, par
ailleurs, les contraintes juridiques qui ne nous permettent pas d'être aussi
clairs et ambitieux que nous le souhaiterions.
Comme eux, je regrette que l'accent ne soit pas mis sur les dépenses
d'investissement. Pour 1999, les dépenses civiles des titres V et VI, comme
celles des comptes d'affectation spéciale, sont orientées à la baisse, alors
même que, de 1993 à 1997, ces dépenses ont déjà décru de 9,4 % en exécution.
Cette orientation croissante du budget de l'Etat vers les dépenses de
fonctionnement au détriment des dépenses d'investissement ne laisse pas d'être
préoccupante. Elle ne fait que mieux ressortir le rôle prépondérant des
collectivités locales en faveur de l'investissement.
S'agissant des collectivités locales, qui, on l'oublie trop souvent,
contribuent à nos grands équilibres économiques, je souhaite formuler plusieurs
remarques de nature budgétaire et fiscale.
Tout d'abord, si la croissance des dotations de l'Etat atteint 2,5 milliards
de francs l'année prochaine, au titre de la DGF, il convient de souligner que
l'effet des décisions du Gouvernement en matière de rémunérations publiques va
se traduire, pour ces collectivités, par un surcroît de dépenses de personnel
de près de 4 milliards de francs. Le rapprochement entre ces deux chiffres me
paraît particulièrement éclairant.
En second lieu, le nouveau pacte dit « contrat de solidarité et de croissance
», s'il contient des dispositions qui sont intéressantes et qui seront
améliorées par les amendements de notre commission, recèle également des
mesures qui pénaliseront certaines collectivités. En effet, compte tenu du rôle
d'ajustement de la DCTP, des communes verront leur attribution de DGF croître
moins vite que ne baissera leur dotation de DTCP. Bref, elles seront
perdantes.
De plus, les charges non décidées par les collectivités - et elles sont
nombreuses en matière sociale, environnementale ou fiscale - ne sont pas prises
en compte par le contrat de croissance. A ce titre, les collectivités pourront,
là aussi, voir leurs charges dictées par des mesures réglementaires ou
législatives augmenter plus vite que les dotations qu'elles recevront au titre
de l'enveloppe dite normée.
D'une manière insidieuses - et cela depuis plusieurs années, il faut le
reconnaître - se développe un mouvement régulier de perte de l'autonomie des
collectivités locales, perte qui, je le crains, sera renforcée par les
conséquences à terme de la réforme de la taxe professionnelle.
En effet, mes chers collègues, la réforme que nous allons voter, même après
les excellents amendements de notre commission, porte en elle les germes d'une
mort annoncée de cet impôt. En créant un impôt à taux toujours élevé et à base
beaucoup plus étroite, car limitée aux seuls investissements, on créé en effet
les conditions objectives d'une suppression à terme de cet impôt.
Comment imaginer qu'il puisse perdurer alors que, dès l'an prochain, nous
verrons monter au créneau toutes les entreprises qui investissent et qui
viendront nous expliquer, parfois à juste titre, qu'elles préfèrent se
délocaliser plutôt que d'avoir à supporter ces impôts qui les pénalisent dans
la sphère du marché unique et de l'euro marquée par une concurrence toujours
plus vive ?
Le problème de l'autonomie fiscale des collectivités locales va donc se poser
avec acuité dans quelques années et probablement plus vite qu'on ne peut
aujourd'hui l'imaginer.
Comme le déclarait avant-hier le président du Sénat, Christian Poncelet,
devant les maires de France : « Un lien devra toujours exister entre l'économie
d'un territoire et les gestionnaires locaux, qui ont aujourd'hui vocation à
être des aménageurs de l'avenir. »
M. Serge Vinçon.
Très bien !
M. Roland du Luart.
Telles sont, monsieur le ministre, mes chers collègues, les principales
réflexions que m'inspire ce projet de loi de finances pour 1999. Je regrette
sincèrement que, collectivement, le Gouvernement, l'Assemblée nationale et le
Sénat ne fassent pas preuve de plus de responsabilité et de courage politique,
car l'avenir risque de ne pas être rose pour les générations futures !
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR
et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Fourcade.
M. Jean-Pierre Fourcade.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
comme l'a brillamment rappelé tout à l'heure M. le ministre de l'économie, des
finances et de l'industrie, le budget est l'expression d'une politique. Il
s'est exprimé avec beaucoup de talent, mais le talent ne peut masquer
l'histoire !
Quand on compare la période allant de 1993 à 1997 à celle qui va de 1997 à nos
jours, il ne faut pas oublier que, de 1988 à 1993, l'Etat a connu un déficit
croissant dans des proportions considérables en raison d'une dépense publique
non maîtrisée, d'une prévision non tenue.
Il a bien fallu, sauf à mettre en cause l'appartenance de la France au système
de la monnaie unique européenne, prendre des mesures d'urgence en 1993. Il est
bon, dans un tel débat, de rester convenables, objectifs et de ne pas travestir
la réalité !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Tout à fait !
M. Jean-Pierre Fourcade.
Monsieur le secrétaire d'Etat, le projet de budget que vous nous avez présenté
comporte trois zones d'ombre. Je remercie M. Marini de son excellent rapport et
M. le président de la commission des finances de sa remarquable contribution
qui ont permis de les mettre en évidence.
Première zone d'ombre : on a peine à croire que ce projet de budget est le
dernier avant la mise en place de l'euro. En effet, il est clair, comme l'a
très bien noté mon collègue M. de Villepin, qu'il y a discordance entre les
orientations de ce texte et les contraintes auxquelles nous seront soumis dans
quelques mois, du fait de l'euro.
Ce projet de budget, qui aurait dû préparer la mise en oeuvre de la monnaie
unique, rapprocher les fiscalités et effacer un certain nombre de distorsions
de taux, ne va donc pas dans le bon sens.
La deuxième zone d'ombre concerne l'objectif de croissance.
Pour être atteint, il suppose, M. Strauss-Kahn l'a dit, une forte augmentation
de la demande intérieure, donc des revenus salariaux. L'objectif de croissance
de la masse salariale retenu pour le budget à la fois de l'Etat et de la
sécurité sociale est en progression de 3,4 %. Mais, là encore, il est difficile
de penser que cet objectif sera atteint alors que la généralisation des 35
heures ne peut réussir que si elle est accompagnée d'une modération de la
croissance des salaires. C'est une deuxième contradiction que la commission des
finances a parfaitement relevée.
Sans juger du caractère optimiste ou non de la prévision, car, je suis
d'accord avec le Gouvernement, ce n'est pas une prévision qu'il faut viser,
c'est un objectif qu'il faut avoir, j'ai peur néanmoins que tout dérapage, tout
mécompte en matière de conjoncture, n'entraîne une réduction moins forte du
déficit budgétaire de l'Etat.
La troisième zone d'ombre - et la troisième contradiction relevée - de ce
projet de budget concerne le déficit de l'Etat, qui est encore très fort. En
effet, si l'on enlève la contribution positive apportée par les collectivités
locales, par la sécurité sociale et par les autres organismes publics, le
déficit de 1999 atteindra 2,7 % du PNB, pourcentage qui est très proche de la
barrière des 3 %. Cela signifie que le Gouvernement n'a pas beaucoup de marge
de manoeuvre.
Je consacrerai ma brève intervention - puisque M. Paul Girod interviendra
après moi - au traitement réservé aux collectivités locales dans ce budget,
monsieur le secrétaire d'Etat.
Ces dernières ont maîtrisé leur endettement, et beaucoup mieux que l'Etat.
Elles ne sont pas asphyxiées par le poids de leurs dettes, qu'elles ont bien
renégociées. Elles sont engagées aujourd'hui dans un processus vertueux, que
l'Etat n'envisage que pour 2000, qui consiste à faire moins d'emprunts dans
l'année considérée qu'il n'y a de remboursements.
De plus, elles assurent 75 % des investissements de vie collective et, par
conséquent, elles représentent un facteur important de la croissance.
Enfin, elles sont pour l'ensemble du pays, sur le plan de la proximité, par
les actions qu'elles consentent en matière de fonctionnement, par la
coopération qu'elles apportent à l'Etat, à l'ANPE, en matière de chômage, un
relais essentiel, qui est d'ailleurs le seul qui ne subisse pas les critiques
de nos concitoyens.
Monsieur le secrétaire d'Etat, le premier point de désaccord, c'est la sortie
du pacte de stabilité. Nous étions tous les deux, ce matin, devant l'assemblée
générale des maires, et nous avons eu l'occasion d'en parler. Vous avez inventé
un très beau nom : « pacte de croissance et de solidarité ».
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
« Contrat » !
M. Josselin de Rohan.
Ce n'est pas un PACS !
(Sourires.)
M. Jean-Pierre Fourcade.
« Contrat de croissance et de solidarité ». Que c'est joli ! Ce contrat a fait
l'objet de concertations, ce dont je vous donne acte, mais il comporte un point
positif et deux points négatifs.
Le point positif, c'est l'effort fait en direction des communes bénéficiaires
de la dotation de solidarité urbaine et des bourgs-centres recevant la première
part de la dotation de solidarité rurale. En effet, le Gouvernement a consenti
une majoration de 500 millions de francs hors enveloppe normée, ce qui va se
traduire par une augmentation, je vous en donne acte. C'est donc un point
positif, qui est d'ailleurs ressenti comme tel par ceux qui bénéficieront d'une
telle majoration.
J'en viens aux deux points négatifs.
D'abord, la discordance mathématique entre l'indexation de la dotation globale
de fonctionnement et celle de l'enveloppe normée du contrat de croissance et de
solidarité entraîne une réduction de la dotation de compensation de la taxe
professionnelle, devenue variable d'ajustement. Or, mes chers collègues,
d'après les études faites par le comité des finances locales, l'actuelle
compensation de douze milliards de francs va être amputée de 25 % au cours des
trois prochaines années et les collectivités locales perdront 4 milliards de
francs.
De plus, en dépit des modifications adoptées par l'Assemblée nationale
concernant le partage de cette perte, il faut que vous le sachiez, ce sont près
de 500 villes de plus de 10 000 habitants ne bénéficiant pas de la dotation de
solidarité urbaine - et qui ne sont pas des bourgs ruraux - qui supporteront
dès 1999 une amputation de près de 25 % de la DCTP. Cela signifie une
diminution des concours de l'Etat pour un certain nombre de communes, de bourgs
et de villes qui constituent pourtant le maillage de notre pays. Il faut le
savoir !
Pour les autres collectivités, groupements de communes, départements et
régions, coexistent de bonnes choses et de moins bonnes.
La réduction des droits d'enregistrement va dans le sens de la mobilité du
marché immobilier, mais les modalités retenues pour la compensation sont
quelque peu forfaitaires et parfois confiscatoires.
Quant à l'innovation proposée en Ile-de-France pour les entrepôts et les
locaux commerciaux, il vaudrait mieux y renoncer, monsieur le secrétaire
d'Etat, tant la mesure est mal étudiée et mal adaptée aux besoins de la
collectivité régionale.
Il existe d'autres moyens de trouver de l'argent que d'aller taxer les
entrepôts. De plus, c'est malvenu dans une période de forte concurrence, où il
est précisément question de réduction des prélèvements obligatoires.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Absolument !
M. Jean-Pierre Fourcade.
J'en viens à la réforme de la taxe professionnelle : c'est le grand dossier
qui va voir s'affronter le pouvoir central et les collectivités locales.
Je ne peux pas nier, monsieur le secrétaire d'Etat, que l'assiette de cet
impôt et le rôle que l'Etat a été contraint d'assurer pour son financement
posent problème. Je crédite le Gouvernement de son initiative. Mais je veux
présenter cinq observations essentielles sur cette réforme, et je terminerai
mon intervention en précisant ce qui, de mon point de vue, aurait été
préférable.
Premier point : le mécanisme ingénieux d'effacement progressif de la base
salariale de l'assiette de la taxe professionnelle crée, dans notre système
fiscal, un nouveau principal fictif.
Nous savons tous ce que sont les principaux fictifs ; nous en avons assez
souffert pendant un certain nombre d'années. Il crée donc un nouveau principal
fictif puisque la compensation se fera sur la référence des salaires
effectivement versés en 1997, et cela quelle que soit l'évolution de la matière
économique de base, de la matière salariale de base.
Le mécanisme rompt également le lien entre le développement de l'activité et
le rendement de l'impôt. Il va favoriser les industries de main-d'oeuvre, mais
défavoriser celles qui font appel aux technologies nouvelles nécessitant
d'importants investissements. Je reviendrai sur ce point.
Le deuxième point a trait aux quatre mesures annexes de la réforme. En vérité,
la commission des finances en a trouvé cinq, ce dont je la félicite.
Les mesures annexes proposées - pérennisation du plafonnement par rapport à la
valeur ajoutée, majoration du plancher, majoration de la cotisation de
péréquation et suppression en deux ans de la réduction pour embauche et
investissement - vont modifier la situation relative des entreprises et
atténuer, pour beaucoup d'entre elles - on ne l'a pas assez dit - les bénéfices
de la réforme.
En effet, nombre d'entreprises vont à la fois bénéficier d'une réduction de la
taxe sur la part salaires et subir la majoration d'un certain nombre d'autres
cotisations. Dès lors, l'effet de la réforme sera pratiquement annihilé.
C'est pourquoi, vous entendant tout à l'heure nous dire, monsieur le
secrétaire d'Etat, que l'objectif central de la réforme était l'emploi, je me
suis demandé s'il ne dissimulait pas un objectif second, tout aussi important,
qui consistait pour l'Etat à récupérer un peu de ce qu'il verse au titre de la
taxe professionnelle. Si je compte bien, au bout de cinq ans, le relèvement de
la cotisation minimale au fonds de péréquation et le relèvement du plancher en
matière de valeur ajoutée ne vont-ils pas, en effet, rapporter à l'Etat une
dizaine de milliards de francs : c'est toujours ça de pris ! Et bien entendu,
cette somme viendra en « déduction » des abattements prévus par la réforme.
J'en arrive à ma troisième remarque.
L'intégration, au terme de la période, de la compensation globale de 55
milliards de francs dans la DGF et l'affectation au budget de l'Etat des deux
majorations dont je viens de parler inquiètent les élus locaux.
Un examen plus attentif fait apparaître que tout se passe comme si la
péréquation - tant au niveau département, qu'au niveau national - reculait au
profit d'un gigantesque mécanisme budgétaire national où il sera bien difficile
de connaître les entrées et les sorites. Le transfert de 55 milliards de
francs, c'est-à-dire du tiers du produit de l'actuelle taxe professionnelle,
d'un impôt à un concours de l'Etat constitue, quoi qu'on en dise, une réduction
significative de la marge de manoeuvre des quatre niveaux de collectivités
locales.
A vous entendre, monsieur le secrétaire d'Etat, l'effet se limite à faire
passer l'importance des concours de l'Etat dans les budgets locaux de 30 % à 36
%. Or, pour un grand nombre de collectivités, loin de représenter quelques
points de pourcentage, cela signifie un changement complet de stratégie.
Quatrième remarque : comme vient de le souligner très justement M. du Luart,
le risque de voir compromettre l'ensemble de l'impôt n'est pas écarté.
La taxe professionnelle repose aujourd'hui sur quatre éléments : la valeur
locative des installations, les investissements, les recettes pour les
professions libérales et la part salaires des entreprises.
La suppression de l'un d'entre eux va entraîner un débat très difficile sur
les autres et, à terme, les collectivités locales risquent de ne disposer que
d'impôts obsolètes, contestés ou trop ciblés : l'automobile, l'immobilier et
les investissements des entreprises. C'est un risque majeur et, dans cinq ou
dix ans, il se peut que nous perdions la totalité de cette imposition des
entreprises.
Dernière observation sur ce sujet : l'objectif proclamé de supprimer un
obstacle à la création d'emplois ne nous paraît guère convaincant. Tous les
économistes, qu'ils soient de gauche ou de droite, comme dirait M.
Strauss-Kahn, s'accordent aujourd'hui à considérer que le vrai blocage de
l'emploi réside dans le poids trop élevé des charges sociales concernant les
salaires les plus modestes.
A examiner ce qui s'est passé dans l'économie française depuis dix ans, on
constate qu'au cours des années de faible croissance la création d'emplois a
été elle-même très faible : 10 000 emplois nets ont été créés au cours des
mauvaises années que furent 1992 et 1993.
Or 300 000 emplois viennent d'être créés ; M. Strauss-Kahn l'a indiqué tout à
l'heure. Si vraiment la taxe professionnelle était un obstacle à l'emploi, nous
n'aurions pas constaté la création de 300 000 emplois au moment où la
conjoncture redémarrait. La véritable corrélation, elle est entre création
d'emplois et conjoncture, non pas entre création d'emplois et taxe
professionnelle.
M. Josselin de Rohan.
Bien vu !
M. Jean-Pierre Fourcade.
J'espère que le Sénat, suivant les propositions de sa commission des finances,
corrigera largement les aspects dangereux ou préoccupants des réformes que je
viens d'évoquer.
Est-ce à dire, comme nous l'a reproché M. Strauss-Kahn, que nous serions
incapables de procéder à la moindre réforme ?
Compte tenu de la conjoncture, qui est certes bien orientée, mais qui suscite
néanmoins quelques inquiétudes pour la fin de 1999 et l'an 2000, compte tenu de
la mise en place de l'euro, comme l'a rappelé très justement M. de Villepin, et
compte tenu de l'ensemble des précautions qu'il faudrait prendre, j'aurais,
pour ma part, en premier lieu, limité la croissance de la dépense publique à
l'augmentation des prix. C'est d'ailleurs ce que propose la commission des
finances. Une augmentation de 1 % en volume de la dépense publique, c'est
exactement celle qu'avaient fixée M. Fabius puis M. Rocard. On a vu ce qu'il en
est résulté sur les déficits et sur les comptes extérieurs !
J'aurais, en deuxième lieu, indexé le pacte de croissance et de solidarité sur
les bases qui ont été retenues par le législateur pour la dotation globale de
fonctionnement, c'est-à-dire le taux d'augmentation des prix augmenté de la
moitié du taux de croissance.
J'aurais enfin, en troisième lieu, engagé la réforme de la taxe
professionnelle, non pas comme vous le faites, c'est-à-dire en agissant sur la
part salaires qui, comme vous l'avez reconnu, diminue au sein de l'assiette,
mais en agissant sur ce qui bloque à l'heure actuelle le développement de
l'activité en France, à savoir le coût trop important de la part
investissement.
J'aurais donc, comme le propose le conseil des impôts, modifié la variable
investissement, en acceptant que, dans l'évaluation de la part investissement,
on tienne compte de l'amortissement, ce qui va dans le bon sens, car cela
engage les entreprises à investir. Comme j'aurais, par ailleurs, mieux indexé
le pacte de croissance et de solidarité, les collectivités locales auraient
accepté cette modification de fond de la taxe professionnelle.
M. Josselin de Rohan.
Absolument !
M. Jean-Pierre Fourcade.
Nous devons tous ensemble travailler à la réduction du poids des charges
sociales touchant les salaires compris entre un smic et un smic et demi et il
faut pérenniser cette réduction. C'est elle qui permettra aux petites et
moyennes entreprises d'embaucher davantage et qui réduira la précarité de
certains contrats de travail.
Donner un peu plus aux collectivités locales, engager la réforme de la taxe
professionnelle en commençant par l'investissement et non pas par la part
salaires, faire porter l'effort sur la réduction des charges sociales sur les
bas salaires, ne pas augmenter la dépense publique de manière à faire
apparaître une réduction plus sensible du déficit de l'Etat : tout cela
constitue, je le reconnais, une autre logique, une autre politique. Mais c'est
une politique que nous pouvons proposer et dont nous pouvons légitimement être
fiers.
On finira bien un jour par reconnaître que nous avons raison, ne serait-ce que
parce que nous sommes engagés dans l'euro et que, de ce fait, nous devons faire
converger notre politique économique et sociale avec celles des autres pays
européens.
Ce n'est plus le moment de mener des opérations « à la française » en
regardant le passé. Il faut au contraire s'occuper de l'avenir. Or l'avenir, ce
sont les jeunes, c'est l'abandon d'une fiscalité trop forte, telle celle qu'ont
connue les pays nordiques autrefois, ce sont les technologies nouvelles qui
supposent de gros investissements. C'est dans ce sens qu'il faut aller.
Le Gouvernement, je le crains, a cherché un effet rapide sur les entreprises
et sur les médias. J'ai peur que, à terme, cela ne se traduise par une
recentralisation.
C'est ce risque qui m'empêchera, comme la plupart des membres de mon groupe,
de voter ce budget tel qu'il nous est soumis et c'est la raison pour laquelle
la majorité de ce groupe soutiendra les propositions de la commission des
finances.
(Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste,
du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. de Rohan.
M. Josselin de Rohan.
Avant d'aborder le projet de loi de finances pour 1999, monsieur le secrétaire
d'Etat, permettez-moi de me faire l'écho de l'émotion qui a saisi la population
de Morlaix et même de toute la Bretagne à la suite de l'annonce de la fermeture
de la manufacture de Morlaix, qui va priver la ville de 187 emplois.
Nous avons pris acte de l'intention du Gouvernement d'intervenir auprès de la
SEITA pour qu'elle rapporte sa décision ou que des compensations soient
apportées à la ville de Morlaix.
Nous vous demandons de veiller à ce que cette collectivité locale, qui est
déjà très éprouvée, comme toute la région, par des restructurations
industrielles délicates et douloureuses, ne soit pas encore pénalisée par la
fermeture d'une manufacture qui a trois cents ans d'existence.
Le projet de budget pour 1999 soumis à notre examen doit être mesuré à l'aune
de trois critères : sa capacité à conforter le développement de notre économie
et de l'emploi, le respect de nos engagements européens, l'adaptation de
l'économie française à l'évolution de l'économie mondiale.
Nous nous prononçons sur des orientations, sur une politique, sachant combien
est étroite notre marge de manoeuvre en raison de la structure budgétaire et du
poids des services votés.
Parce que nous sommes sans illusion sur le sort ultime réservé à nos
amendements, nous avons fait le choix d'opposer un projet alternatif au projet
gouvernemental, montrant par là qu'il existe, pour stimuler et conforter notre
économie, d'autres voies et d'autres moyens que ceux qui sont proposés au
pays.
Je félicite et je remercie M. le président de la commission des finances et M.
le rapporteur général, de l'exercice pédagogique et politique auquel ils se
sont livrés avec le talent que tous leur reconnaissent.
(Applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
Je forme le voeu que leurs remarques comme leurs suggestions profitent à
ceux qui oeuvrent pour une autre approche économique, mais également à
l'information de nos concitoyens et des élus locaux.
Le projet de loi de finances pour 1999, sous la forme présentée par le
Gouvernement, ne recueille pas notre assentiment parce qu'il n'allège pas
suffisamment les charges et les contraintes qui pèsent sur notre économie et
parce qu'il ne prépare pas véritablement l'avenir.
Serge Vinçon.
Hélas !
M. Josselin de Rohan.
Alléger les charges qui pèsent sur les contribuables comme sur les
entreprises, mettre un terme aux pesanteurs et aux rigidités qui découragent et
paralysent les initiatives, pénalisent l'investissement, réduisent les marges
d'action des collectivités locales : telle devrait être notre ambition ; telle
n'est malheureusement pas l'orientation prise par le Gouvernement.
Nous éprouvons, en premier lieu, des inquiétudes quant à la possibilité de
maintenir le déficit budgétaire dans les limites fixées par le ministre de
l'économie et des finances, du fait de l'évolution de l'environnement
international. La perspective d'un taux de croissance de l'économie établi à
2,7 % et d'un dollar maintenu à 6 francs, hypothèses sur lesquelles a été fondé
le projet budgétaire, semble quelque peu hasardeuse.
Nous sommes moins alarmés par les prévisions discordantes des instituts de
prévision, qui se sont souvent trompés, il faut bien le dire, que par le
tassement de la confiance en l'avenir de nos industriels, qui, à travers la
réduction de leurs carnets de commandes, sont bien placés pour mesurer la bonne
santé de notre appareil productif.
M. Xavier de Villepin.
C'est vrai !
M. Josselin de Rohan.
Par ailleurs, nous notons que le rythme d'abaissement du chômage tend à
faiblir.
Un tiers environ de l'économie mondiale est frappé par la récession, et rien
ne nous garantit contre une manipulation du dollar au cas où la croissance
américaine tendrait à diminuer.
La plupart de nos partenaires européens ont révisé à la baisse leurs
perspectives de croissances ; nous sommes les seuls à ne l'avoir pas fait.
Puisse, monsieur le secrétaire d'Etat, votre optimisme être fondé !
Permettez au Huron que je suis de vous poser une question : pourquoi, si vous
ne craignez pas une récession des économies occidentales, insistez-vous avec
tant de force pour obtenir des banques centrales une baisse des taux d'intérêt
? Peut-on à la fois faire pareille demande et maintenir un taux de croissance
prévisionnel plus élevé que celui de nos partenaires ?
M. Xavier de Villepin.
Très bien !
M. Josselin de Rohan.
Comment, par ailleurs, financerez-vous le déficit sans réduction sensible des
dépenses publiques ou sans accroissement significatif de la fiscalité si les
recettes que vous avez prévues venaient à manquer ?
C'est bien sur ce point, en effet, que pèche votre projet de budget : le poids
de la dépense publique et l'ampleur des prélèvements obligatoires vous
priveront, en cas de retournement de la conjoncture, de possibilités de
manoeuvre et, si vous ne voulez pas alourdir les charges fiscales et sociales,
vous serez contraint de laisser filer le déficit.
Vous aurez alors répété l'erreur de vos prédécesseurs de 1988 en ne profitant
pas des acquis de la croissance pour désendetter le pays et alléger la
fiscalité. Cette constatation n'est pas le fait des seuls opposants : elle a
été faite aussi par d'éminentes personnalités issues de vos propres rangs.
La dépense publique augmente d'un point de plus que l'inflation
prévisionnelle. Cette augmentation sera plus forte si, contrairement à ce qui
est escompté, le niveau des prix baisse dans les prochains mois.
Avec près de 54 % du PIB, le montant de nos dépenses publiques est nettement
supérieur à celui de nos partenaires de l'Union européenne. La moyenne de
l'Union européenne était de 5,9 points inférieure au niveau français en 1997,
et l'écart sera de 6,4 points en 1999. Or, lors de la conclusion du traité
d'Amsterdam, nous avons souscrit au pacte de stabilité, qui postule un retour
rapide à l'équilibre budgétaire assorti, rappelons-le, de sanctions financières
pour les Etats déficitaires.
Comment ferez-vous pour ramener le déficit de 2,3 % à 1,5 % du produit
intérieur brut d'ici à 2002 sachant que, selon les experts, même avec une
croissance de 2,5 % de notre économie en moyenne pendant les trois prochaines
années, le déficit atteindrait encore 2 % du produit intérieur brut ?
Pouvez-vous espérer y parvenir quand, sur les 75 milliards de francs de
recettes induits par la croissance, vous affectez 21 milliards de francs aux
rémunérations de la fonction publique et 37 milliards de francs à des dépenses
nouvelles dont beaucoup seront consacrées aux financements d'emplois publics et
ne sont assorties d'aucune mesure de redéploiement ou de réduction d'effectifs
?
Selon les experts, pour satisfaire aux critères du pacte de stabilité, il
faudrait désormais ne remplacer aucun des agents publics partant en retraite.
On doute fort que vous puissiez souscrire à une telle politique.
Dès lors, la structure budgétaire continuera de se rigidifier, les dépenses
reconduites automatiquement, singulièrement celles de fonctionnement, prenant
une part croissante dans le budget de l'Etat au détriment des dépenses
d'investissement. En vérité, en réhabilitant la dépense publique, vous êtes -
ne le prenez pas en mauvaise part monsieur le secrétaire d'Etat - un bon et
fidèle disciple de M. Michel Rocard !
(Sourires.)
Le Premier ministre a lui-même reconnu l'ampleur des prélèvements obligatoires
qui frappent les Français et s'est engagé à les diminuer.
Qu'en est-il dans les faits ?
Vous nous aviez annoncé l'an dernier une stabilisation des prélèvements or,
selon EUROSTAT, l'office statistique des Communautés européennes, la France a
connu en 1997 un niveau record avec un prélèvement qui représentait 46,3 % du
produit intérieur brut.
M. Marc Massion.
C'est votre héritage !
M. Josselin de Rohan.
Héritage ou pas, vous aviez pris des engagements et vous ne les avez pas tenus
!
Nous, nous avons hérité de Pierre Bérégovoy un déficit qui était très
supérieur à celui qu'il avait annoncé. Entre nous, en ce qui concerne les
héritages, il vaut beaucoup mieux nous succéder que vous succéder !
(Rires sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union
centriste.)
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Certes !
M. Josselin de Rohan.
Notre pays se situe loin au-dessus de la moyenne européenne et l'Etat continue
d'accroître ses ponctions quand nos partenaires européens stabilisent les
leurs.
Les entreprises ont dû supporter 59 milliards de francs de prélèvements
supplémentaires sur trois ans - 19,5 milliards de francs en 1997, 29,8
milliards de francs en 1998 et 9,5 milliards de francs en 1999.
Pour les ménages, vous nous avez indiqué que, après la ponction de 11,5
milliards de francs en 1998, la pression fiscale se relâcherait en 1999. Vous
ne mentionnez pas les 5,15 milliards de francs supplémentaires pris aux ménages
l'an prochain, ce qui porte à 16,7 milliards de francs, en deux ans, les
prélèvements fiscaux !
Les familles, quant à elles, ne sont pas bien traitées. Dans la définition
qu'il donne des allégements fiscaux, le Gouvernement ne mentionne pas
l'abaissement de l'avantage maximum en impôt résultant du quotient familial,
qui accroît les prélèvements de 4 milliards de francs. Prétendre que cette
mesure, qui frappe 600 000 familles, compense l'annulation de la mise sous
condition de ressources des allocations familiales est pour le moins osé, car
la mise sous condition de ressources n'avait été prise que pour une année et
les deux mesures mises en parallèle sont juridiquement de nature différente :
l'une est une imposition et l'autre, une allocation. Certaines familles seront
doublement pénalisées. Elles auront vu leurs allocations familiales supprimées
en 1998 et leur quotient familial baisser en 1999.
A l'occasion de sa déclaration de politique générale, en juin 1997, le Premier
ministre s'était promis de faire baiser la TVA. Dix-huit mois plus tard, force
est d'observer que les baisses sont homéopathiques, alors que le redémarrage de
la croissance aurait dû permettre d'amorcer la décrue des taux.
La baisse de la TVA sur les abonnements au gaz et à l'électricité permettra à
chaque famille de récupérer 130 francs par an, soit 0,2 % du SMIC mensuel, pour
un montant de 4 milliards de francs. La baisse en faveur des bailleurs de
logements sociaux représente pour l'Etat une perte de recettes de 200 millions
de francs. Tout cela doit être rapporté au montant global annuel de la TVA, qui
représente 675 milliards de francs, ou de la CSG, qui rapporte 334 milliards de
francs.
La vérité est que vous êtes quelque peu piégés. Vous vous rendez compte que
l'excès d'impôt conduit à l'évasion fiscale ou à la fraude comme l'excès de
charges sociales conduit à freiner l'embauche et nuit à l'emploi. L'excès
fiscal et l'excès de charges sociales amoindrissent la compétitivité de nos
entreprises dans un contexte de concurrence internationale avivée.
Le seuil de tolérance est sans doute atteint pour les contribuables et pour
les assurés sociaux.
Mais vous ne pouvez à la fois accroître sans cesse les dépenses pour les
trente-cinq heures, les emplois-jeunes, la lutte contre l'exclusion et, demain
- excusez du peu - pour l'audiovisuel public, et diminuer la pression fiscale
directe ou indirecte,
a fortiori
quand une croissance de notre économie
est loin d'être assurée, sauf à augmenter ces déficits que vous vous proposez
de réduire. Cela étant, peut-être comptez-vous sur l'intention prêtée à nos
voisins de laisser filer leurs déficits pour justifier vos difficultés à
réduire le nôtre !
Les collectivités locales, quant à elles, peuvent nourrir quelques sujets
d'inquiétude. En effet, pour la troisième année consécutive, le Gouvernement
s'appuie sur les excédents dégagés par les collectivités locales pour afficher
une baisse du déficit budgétaire français. Or, comme cela a été fort bien dit
tout à l'heure, sans ces excédents et ceux des organismes sociaux, le déficit
pour 1999 atteindrait 2,7 % du produit intérieur brut.
La baisse proclamée des prélèvements obligatoires implique une réduction de la
pression fiscale des communes, des départements et des régions. Comment une
telle baisse est-elle possible quand des lois votées à votre initiative
appellent expressément les collectivités locales à prendre une large part dans
le financement des emplois-jeunes, des actions de lutte contre l'exclusion et
des trente-cinq heures ?
Vos amis, monsieur le secrétaire d'Etat, nous pressent, que dis-je, nous
somment de relayer l'action de l'Etat ou de suppléer ses défaillances dans des
domaines qui relèvent principalement de sa compétence. Céder à leurs instances
a pour conséquence inéluctable un relèvement de la fiscalité locale.
Quant aux revalorisations des traitements de la fonction publique, elles
entraînent une hausse parallèle des rémunérations des agents publics
territoriaux et la hausse des frais de fonctionnement des budgets locaux.
Vous ne pouvez pas nous demander d'être vertueux à votre place et nous mesurer
les moyens de souscrire aux disciplines auxquelles vous vous dérobez !
Peut-on tenir le projet de budget pour progressiste dans la mesure où il
contribuerait à fonder l'avenir ? La réponse est négative, ce texte n'amorçant
aucune des réformes de structure indispensables à la modernisation et à
l'adaptation de notre économie à un environnement international instable.
Des chroniqueurs qui vous sont favorables s'émerveillaient, il n'y a pas
longtemps, de ce que vous aviez procédé à plus de privatisations que le
gouvernement précédent. Je ne sais, monsieur le secrétaire d'Etat, si vous avez
apprécié ce compliment, car ce n'est pas ce que M. Lionel Jospin nous avait
annoncé dans sa déclaration de politique générale.
M. Serge Vinçon.
Reculs et reniements !
M. Josselin de Rohan.
Mais regardons-y d'un peu plus près !
Malgré vos dénégations, le récent rapport sur la mise en oeuvre des opérations
de transfert au secteur privé d'entreprises publiques a montré que vous y
preniez goût. En 1997, comme certainement en 1998, le montant des cessions
constatées en fin d'année est supérieur à celui qui fut annoncé en loi de
finances.
Certaines de ces privatisations sont imposées par l'Union européenne et vous
n'aviez pas d'alternative. « Le mendiant n'a pas le choix », dit un proverbe
anglais !
Cependant, en atermoyant dans des secteurs comme celui des industries, celui
de la défense, pour les restructurations notamment, en maintenant un contrôle
étroit de l'Etat sur la gestion des entreprises, on s'expose à perdre des
batailles majeures.
C'est bien le souhait de nos partenaires allemands et britanniques de ne pas
avoir pour interlocuteur direct ou indirect le gouvernement français qui les a
conduits à opérer un regroupement de leur industrie aéronautique qui exclut
pour l'instant la France. Si, demain, nous ne pouvons rejoindre ce nouveau
pôle, il y a fort lieu de redouter qu'il contractera des alliances avec des
partenaires d'outre-Atlantique qui fragiliseront notre propre industrie. Il est
urgent pour vous d'agir pour éviter notre marginalisation.
M. Serge Vinçon.
Certainement !
M. Josselin de Rohan.
Autre exemple où l'ont voit que l'ouverture trop timide du capital risque
d'obérer l'avenir de l'entreprise, celui d'Air France. Il est clair que des
accords sont en train de se constituer pour des partages de trafic, la mise en
pool de certaines ressources ou l'exploitation commune de certaines lignes qui
lieront entre elles de grandes compagnies aériennes ayant d'autres soucis,
d'autres pratiques et d'autres logiques qu'une entreprise nationale. Dans ce
domaine aussi, je crains que notre singularité n'entraîne notre mise à l'écart
et nous prive de perspectives de développement.
Il est un point, enfin, que je voudrais évoquer et qui pourrait constituer
pour la France un revers majeur, l'accord boursier entre les places de Londres
et de Francfort auquel Paris, jusqu'à ce jour, n'était pas partie. A quelques
semaines du passage à l'euro, cette alliance entre les deux premières bourses
d'Europe concentrera sur ces deux places la plus grande partie des transactions
et consacrera leur prééminence absolue sur les marchés financiers.
Le Gouvernement, au moment où l'accord a été conclu, ne m'a guère paru s'être
ému de cette situation. Nous avons appris aujourd'hui que Paris et Milan
deviendraient parties à l'accord. Nous aimerions savoir s'ils jouiraient des
mêmes droits et prérogatives que les membres fondateurs, et dans quelles
conditions.
Dans le domaine fiscal, vous aviez annoncé une large réforme de la taxe
d'habitation et de la taxe foncière résultant de la réforme des bases
locatives. Il n'y aura aucune réforme, ni de la taxe d'habitation, ni de la
taxe foncière, ni des bases cadastrales. On devine les raisons de ce recul : à
quelques mois des élections municipales de 2001, le très grand nombre de
contribuables locaux ayant vu leur imposition augmenter plus significativement
manifestera son vif mécontentement à l'égard du pouvoir ; il vaut mieux se
prémunir de ce genre de colère.
La réforme de la taxe professionnelle, telle qu'elle est conçue, aboutit par
le biais de la compensation,
via
la subvention, à priver les
collectivités locales d'une recette autonome et porte atteinte à la libre
administration de ces collectivités.
Nous savons ce qu'il advient dans le temps des compensations. A propos de
cette « réforme », deux questions se posent. Premièrement, des collectivités
locales dont plus de 60 % des recettes dépendent d'une subvention de l'Etat, ou
d'une compensation
via
une subvention, sont-elles encore autonomes ?
Deuxièmement, la réforme de l'intercommunalité que doit nous présenter M. le
ministre de l'intérieur, et qui repose essentiellement, dans le domaine fiscal,
sur la taxe professionnelle, a-t-elle encore vraiment un sens ?
Le pacte de croissance et de solidarité qui est substitué au pacte de
stabilité entre l'Etat et les collectivités locales prévoit, pour 1999, une
indexation des concours de l'Etat sur la croissance qui ne portera que sur 20 %
de celle-ci. Il s'ensuit une diminution moyenne de la dotation de compensation
de la taxe professionnelle de 11 %. Les communes rurales non éligibles à la
dotation de solidarité urbaine, la DSU, enregistreront une baisse de 17 %, car
elles ne bénéficieront pas de la modulation en fonction de la DSU.
Ces « bricolages » de la fiscalité sont d'autant plus regrettables que tout le
monde s'accorde sur la nécessité de revoir l'imposition sur le revenu et
l'imposition locale.
Il n'est plus possible de cumuler une CSG dont le taux ne cesse de croître et
un impôt sur le revenu dont on n'aménage pas les tranches. Il faudra bien un
jour faire un choix.
Si l'on veut réformer la taxe professionnelle, il faut non pas procéder par
étapes ou par petites touches, mais réfléchir sérieusement et sereinement sur
les perspectives et les modalités d'une imposition de remplacement qui ne
déconnecte pas les collectivités locales de leur environnement économique.
Vous disposez du temps nécessaire pour étudier de telles réformes dans la
concertation avec toutes les parties intéressées. Pourquoi n'engagez-vous pas
le dialogue sur ce point ?
Il est un domaine, enfin, qui, je le reconnais volontiers, échappe à votre
responsabilité, mais qui ne peut pas ne pas retentir sur notre économie : je
veux parler de notre système de sécurité sociale.
Le financement futur des retraites et particulièrement des régimes spéciaux ne
peut manquer d'avoir des conséquences sur nos finances publiques. Il est grand
temps d'ouvrir ce chantier, car les réformes sont inéluctables si l'on veut
garantir les retraites sans ponctions considérables sur les cotisants et les
contribuables.
La gestion, laxiste, de l'assurance maladie a conduit à accroître les
contributions pour les professions de santé intéressées. Si des réformes
structurelles ne sont pas entreprises avec détermination, c'est l'ensemble de
l'économie qui sera pénalisé, les particuliers comme les entreprises, du fait
de l'alourdissement des prélèvements sociaux.
Mes chers collègues, il paraît que nous avons tout lieu de nous rassurer et de
nous réjouir puisque l'Europe devient sociale démocrate.
(Sourires.)
Seule, la malheureuse Espagne est aujourd'hui réfractaire. Mais ce scandale ne
saurait sans doute durer !
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
On l'espère comme vous !
M. Josselin de Rohan.
Pour dire le vrai, nous souhaiterions, quant à nous, que la France, à tant
faire, devînt un peu plus socialle-démocrate, ce qui constituerait un progrès !
(Nouveaux sourires.)
M. Henri Emmanuelli a proclamé que M. Lionel Jospin
était « imblairable ». C'est fort dommage, car M. Blair, lui, ne croit pas que
l'avenir du Royaume-Uni passe par une extension du secteur public et une hausse
de la fiscalité. Figurez-vous qu'il envisage même de privatiser... le métro
!
En Grande-Bretagne, les allocations chômage sont supprimées après trois offres
refusées et les abus traqués.
Si le Premier ministre, à défaut d'être « blairisable », devenait «
schrödérisable », nous bénéficierions d'une baisse des impôts dans le secteur
marchand et non principalement dans le secteur public. Hélas ! M. Lionel Jospin
n'est pas social-démocrate ; il est socialiste, et son gouvernement avec lui.
Son budget, quels que soient ses défauts, a au moins le mérite de refléter
toutes les caractéristiques d'une gestion socialiste. Vous comprendrez que ce
soit la raison essentielle pour laquelle nous n'en voulons pas.
Comme l'an dernier, la majorité sénatoriale n'a pas voulu rejeter purement et
simplement le projet de loi de finances, elle a souhaité montrer que l'on
pouvait gérer mieux et autrement les finances publiques.
Le grand mérite de la démonstration remarquable effectuée par le président de
la commission des finances et par le rapporteur général est d'avoir fait
ressortir qu'il était possible, avec les dividendes de la croissance, de
diminuer le train de vie de l'Etat, de stabiliser la dette publique et
d'alléger les charges fiscales.
Parce que nous sommes convaincus que les pistes qu'ils ont ouvertes, comme les
solutions qu'ils proposent, sont viables et raisonnables, parce que l'on ne
peut considérer comme irréalistes ou excessives les orientations qu'ils ont
présentées, nous soutiendrons leur démarche et nous voterons le budget
alternatif qu'ils nous proposent, avec l'espoir qu'un jour il nous sera
possible d'adopter non plus des budgets virtuels, mais des budgets réels, qui
permettront à notre pays de s'engager dans la voie de la modernité et du
progrès, et non d'entrer à reculons dans l'avenir.
(Applaudissements sur les
travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
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