Séance du 17 novembre 1998
M. le président. « Art. 36. - Les besoins de trésorerie des régimes obligatoires de base comptant plus de vingt mille cotisants actifs ou retraités titulaires de droits propres et des organismes ayant pour mission de concourir à leur financement peuvent être couverts par des ressources non permanentes dans les limites suivantes :
(En milliards
de francs)
« Régime général 24,0 « Régimes des exploitants agricoles 10,5 « Caisse
nationale de retraites des agents des collectivités locales 2,5 « Caisse
autonome nationale de sécurité sociale dans les mines 2,3 « Fonds spécial des
pensions des ouvriers des établissements industriels de l'Etat 0,5 » « Les
autres régimes obligatoires de base comptant plus de vingt mille cotisants
actifs ou retraités titulaires de droits propres, lorsqu'ils disposent d'une
trésorerie autonome, ne sont pas autorisés à recourir à des ressources non
permanentes. »
Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion
commune.
Par amendement n° 45, MM. Descours et Vasselle, au nom de la commission des
affaires sociales, proposent de supprimer la troisième ligne du tableau
figurant à cet article.
Par amendement n° 56 rectifié, MM. Domeizel, Estier, Mme Dieulangard, M.
Chabroux et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent :
I. - De supprimer la troisième ligne du tableau figurant à l'article 36 ;
II. - De compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
« Les besoins de trésorerie des régimes obligatoires de base, comptant plus de
vingt mille cotisants actifs ou retraités titulaires de droits propres et
résultant des transferts opérés au titre de la compensation spécifique, sont
couverts par une avance temporaire du fonds de réserve visé par la loi de
financement de la sécurité sociale pour 1999. »
La parole est à M. Vasselle, rapporteur, pour défendre l'amendement n° 45.
M. Alain Vasselle,
rapporteur de la commission des affaires sociales, pour l'assurance
vieillesse.
Monsieur le président, madame le ministre, monsieur le
secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la commission propose, par cet
amendement, de supprimer la possibilité accordée à la CNRACL, la Caisse
nationale de retraite des agents des collectivités locales, de recourir à
l'emprunt. Avant compensation, cette caisse est structurellement excédentaire :
un peu plus de 17 milliards de francs chaque année. En raison d'un ratio
démographique très favorable, elle est touchée de plein fouet par la
surcompensation, qui joue depuis 1985.
De 1985 à ce jour, au titre de la surcompensation, la CNRACL a versé 102
milliards de francs et depuis 1974 jusqu'à 1998, au titre de la compensation
généralisée, 127 milliards de francs. Or, vous savez que ces sommes sont le
produit des cotisations à la CNRACL des communes, des groupements de communes,
des départements, des conseils généraux et des régions.
Dans son rapport de 1998, la Cour des comptes a dénoncé une nouvelle fois les
règles arbitraires de la surcompensation. Il convient donc de les revoir.
Les gouvernements précédents, auxquels les deux chambres du Parlement avaient
formulé les mêmes remarques, s'étaient engagés à réétudier la situation de la
CNRACL.
Il est absurde d'autoriser une caisse exédentaire à recourir à l'emprunt. Par
ailleurs, le recours à l'emprunt n'est pas neutre puisqu'il génère des frais
financiers, qui s'ajoutent aux charges que doit supporter la CNRACL.
Enfin, je précise - il faut le savoir - que cette caisse va connaître un
déficit comptable prévisionnel attendu dès 1998 à hauteur de 1,5 milliard de
francs du fait du jeu de la surcompensation ; avec un résultat prévisionnel
déficitaire de 2 milliards de francs en 1999, le régime ne disposerait plus que
d'environ un milliard de francs de réserves en fin d'exercice. Pour les années
2000 et 2001, si nous persévérons dans cette voie, les résultats devraient être
déficitaires respectivement de 3,6 milliards de francs et de 4 milliards de
francs.
Cela signifie que, pour assurer l'équilibre de la caisse tout en continuant à
faire jouer la compensation et la surcompensation, il faudrait augmenter les
cotisations des communes, des conseils généraux et des régions. Ce serait une
absurdité complète alors que la CNRACL a un résultat technique excédentaire de
17 milliards de francs par an !
C'est la raison pour laquelle il nous paraît complètement aberrant de lui
accorder la possibilité d'une avance de trésorerie de 2,5 milliards de francs.
Nous proposons donc, par l'amendement n° 45, la suppression de la troisième
ligne du tableau figurant à l'article 36.
M. le président.
La parole est à M. Domeizel, pour défendre l'amendement n° 56 rectifié.
M. Claude Domeizel.
Ce n'est pas ici que je parlerai longuement de la CNRACL puisque tout le monde
connaît la situation de cette caisse, qui bénéficie en effet d'un ratio
démographique favorable, avec près de trois actifs pour un retraité. Les
cotisations encaissées l'année dernière sont de 57 milliards de francs pour
environ 40 milliards de francs de pensions versés, ce qui signifie que l'année
se solde par un excédent de 17 milliards de francs.
Paradoxalement, comme vient de le dire M. Vasselle, cette caisse connaît des
difficultés de trésorerie, passagères d'ailleurs, depuis trois ou quatre ans.
En effet, l'effort de solidarité est important depuis plusieurs années, en
raison non pas seulement de la surcompensation qui a été créée en 1985, mais
également de la compensation qui date, elle, de 1974. Il s'ensuit que, depuis
deux ou trois ans, en raison de l'importance de cet effort, la caisse se trouve
certains jours dans l'impossibilité d'honorer à la fois le versement des
pensions et le versement dû au titre de la solidarité. Nos prévisions laissent
à penser que, en 1999, cette situation prévaudra pendant quatre-vingt-cinq
jours discontinus.
D'ailleurs, depuis deux ans, le conseil d'administration de la caisse a décidé
de verser d'abord les pensions aux retraités - c'est en effet la mission
première de la caisse -, de ne pas emprunter et, enfin, d'honorer les
contributions qui doivent être versées au titre de la solidarité lorsque la
trésorerie le permet.
L'article 36 autorise certains régimes à emprunter. Parmi ces derniers, il
existe deux catégories : les régimes ayant besoin de trésorerie pour leur
gestion propre, et la caisse de CNRACL, qui a besoin de trésorerie pour honorer
des versements dus au titre de la solidarité.
Notre amendement n° 56 rectifié comporte deux parties : il vise tout d'abord à
la suppression de l'autorisation d'emprunter 2,5 milliards de francs ; il tend
ensuite à faire assurer l'avance temporaire par le fonds de réserve. Selon
nous, cette solution n'altérerait en rien l'esprit du fonds de réserve : il
interviendrait non pas à fonds perdus - et à la CNRACL, nous connaissons la
valeur de l'expression : « à fonds perdus » ! - mais pour faire des avances
temporaires de trésorerie.
Tel est donc l'objet de l'amendement n° 56 rectifié.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission sur l'amendement n° 56 rectifié ?
M. Alain Vasselle,
rapporteur.
La commission des affaires sociales a examiné avec d'autant
plus d'intérêt l'amendement n° 56 rectifié que le texte du paragraphe I, auquel
elle est favorable, est identique à l'amendement n° 45.
En revanche, monsieur Domeizel, s'agissant du paragraphe II, qui vise à faire
appel au fonds de réserve pour permettre à la CNRACL de bénéficier d'avances de
trésorerie en tant que de besoin, un certain nombre d'entre nous - vous-même,
les membres du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que plusieurs
autres orateurs - ont considéré qu'un certain flou entourait ce fonds de
réserve, et que la façon dont ce dernier serait alimenté, à terme, de façon
pérenne, de même que les conditions de gestion et de contrôle, n'étaient pas
connues.
Or, aujourd'hui, vous voulez lui reconnaître une vocation qui n'est
certainement pas la vocation première que le Gouvernement souhaite donner à ce
fonds de réserve. Bien sûr, je ne puis parler en lieu et place du Gouvernement
; mais je le dis d'après ce que j'ai cru comprendre à travers les déclarations
et les justifications qui nous ont été données par le Gouvernement sur ce
sujet.
Il y a donc au moins une certitude sur ce fonds, même si les choses sont
floues pour le reste : ce n'est pas une banque, et il n'a pas vocation à
accorder des avances temporaires de trésorerie aux régimes de sécurité sociale
déficitaires.
Je me demande si, en fait, vous n'auriez pas souhaité adopter sur l'article 36
la même attitude d'opposition que l'ensemble des membres de la majorité de la
Haute Assemblée. Mais, pour ne pas faire trop de peine au Gouvernement, vous
avez préféré vous distinguer de la commission des affaires sociales en déposant
un amendement quelque peu différent.
Cela étant, nous allons entendre avec intérêt les explications et la position
du Gouvernement sur ce sujet ; nous allons ainsi savoir si le Gouvernement nous
entend, vous et nous.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 45 et 56 rectifié ?
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Je voudrais rappeler comment se
pose le problème de la CNRACL.
M. le rapporteur a dit tout à l'heure avec juste raison que le problème de la
surcompensation, qui existe depuis des années, aurait sans doute dû être traité
depuis un certain temps.
Conformément à l'engagement qu'il avait pris d'étudier en concertation avec
les élus locaux les problèmes de la CNRACL, notamment la question des charges
de surcompensation, le Gouvernement a mis en place un groupe de travail
constitué d'élus locaux issus du comité des finances locales, du président du
conseil d'administration de la CNRACL et des représentants des ministères
siégeant à ce conseil d'administration. La première réunion a d'ailleurs eu
lieu au début du mois de novembre.
Ce groupe, qui travaille en liaison avec le commissariat général du Plan, doit
faire l'inventaire des caractéristiques du régime de la CNRACL et de son
implication dans les mécanismes de compensation et de surcompensation,
contribuer à la définition des différentes hypothèses d'évolution du régime et
faire des propositions sur l'ensemble de ces sujets.
Dans l'attente des résultats de ces travaux, il nous faut rappeler quelle est
la situation actuelle.
Cette année, la CNRACL n'aura pas de besoin pérenne de trésorerie puisque ses
réserves, en fin d'année, seront de l'ordre de 200 millions de francs, hors
fonds d'action sociale ; si l'on intègre ce dernier, elles seront beaucoup plus
importantes.
En revanche, la CNRACL aura un besoin de trésorerie qui, à son point bas, sera
de l'ordre de 2,2 milliards de francs.
C'est la raison pour laquelle, pendant qu'un travail est mené sur le problème
global de l'avenir de la CNRACL et sur celui de la surcompensation, le
Gouvernement a souhaité maintenir cette possibilité d'un plafond d'avances de
2,5 milliards de francs.
Je rappelle à M. Vasselle que le fait d'avoir un plafond d'avances ne signifie
pas que l'on y a obligatoirement recours : c'est simplement une opportunité qui
est offerte en cas de nécessité. Si, en définitive, les besoins de trésorerie
étaient inexistants, ce plafond d'avances ne serait bien évidemment pas
utilisé, et, contrairement à ce que vous avez dit, le coût serait alors nul
pour la CNRACL, car aucun intérêt n'aurait à être versé.
Le Gouvernement traite bien le problème de façon pérenne ; le plafond
d'avances vise à financer non pas des dépenses structurelles de la CNRACL, mais
bien un point bas de trésorerie. Nous avons tout intérêt à conserver cette
possibilité d'un plafond d'avances, qui permettrait de passer cette année
correctement pendant que nous traitons le problème structurel. J'émets donc un
avis défavorable sur l'amendement n° 45.
J'en viens à l'amendement n° 56 rectifié. Je ne pense pas que le fonds de
réserve, dont l'objet est de préparer une épargne pour l'avenir, pour conforter
les régimes par répartition, puisse utiliser une partie de ces fonds pour
combler des besoins de trésorerie, que ce soit à la CNRACL ou ailleurs.
Je ne peux donc pas être favorable à l'amendement n° 56 rectifié, et je
demande par conséquent à M. Domeizel de bien vouloir le retirer, en comprenant
bien que mon souci est non pas de poser un problème à la CNRACL - nous sommes
en train d'essayer de régler le problème structurel avec les élus concernés -
mais bien de faire en sorte que le fonds de réserve, qui va d'ailleurs être
alimenté par d'autres éléments, reste ce qu'il est, c'est-à-dire un fonds
d'épargne pour l'avenir, pour conforter nos régimes par répartition.
M. le président.
Monsieur Domeizel, l'amendement n° 56 rectifié est-il maintenu ?
M. Claude Domeizel.
Madame la ministre, s'agissant tout d'abord des problèmes de la CNRACL, je
partage les propos tenus par M. Vasselle concernant l'augmentation des
cotisations. La dernière qui, je le rappelle, date de trois ans, a été de trois
points et demi, soit 17 % de cotisations supplémentaires.
M. Alain Gournac.
C'est beaucoup !
M. Claude Domeizel.
C'est M. Balladur qui avait pris cette décision.
Toutefois, compte tenu de l'argumentation de Mme la ministre, je rectifie mon
amendement afin de supprimer le paragraphe II. Mon amendement devient ainsi
identique à l'amendement n° 45 de la commission. Voilà qui, j'en suis certain,
donnera satisfaction aux administrateurs de cette caisse.
M. le président.
Je suis donc saisi d'un amendement n° 56 rectifié
bis,
présenté par MM.
Domeizel, Estier, Mme Dieulangard, M. Chabroux et les membres du groupe
socialiste et apparentés, et tendant à supprimer la troisième ligne du tableau
figurant à l'article 36.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix les amendements identiques n°s 45 et 56 rectifié
bis,
repoussés par le Gouvernement.
(Les amendements sont adoptés.)
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 36, ainsi modifié.
(L'article 36 est adopté.)
M. le président.
Nous en revenons à l'article 1er et au rapport annexé, qui avaient été
précédemment réservés.
Article 1er et rapport annexé