Séance du 12 novembre 1998
FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE POUR 1999
Suite de la discussion d'un projet de loi
M. le président.
Nous reprenons la discussion du projet de loi de financement de la sécurité
sociale pour 1999, adopté par l'Assemblée nationale.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 60 minutes ;
Groupe socialiste, 50 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 39 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 25 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 22 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo.
Voilà un an, la discussion du projet de loi de financement de la sécurité
sociale pour 1998 avait ouvert un débat de fond sur les orientations à prendre
en vue de moderniser la sécurité sociale, de répondre durablement aux
évolutions démographiques ainsi qu'à l'émergence de besoins nouveaux en matière
de santé et de familles, de rompre avec les logiques comptables comme avec
l'autoritarisme.
Vour preniez alors date, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat,
pour des réformes en profondeur.
Le projet présenté cette année ne répond pas pleinement, vous le savez, à nos
souhaits.
Nous sommes fondamentalement attachés aux principes d'égalité, de solidarité,
d'universalité et, de ce point de vue, nous nous félicitons du retour au
versement des allocations familiales pour toutes les familles. Nous souhaitons
d'ailleurs qu'elles soient accordées dès le premier enfant. Cependant, nous
considérons que ces principes doivent présider à toutes les décisions qui
intéressent la protection sociale.
Or, prétextant le coût exorbitant pour la collectivité du système de santé
français, certains sont tentés de promouvoir des formules de mise en
concurrence partielle de l'assurance maladie - du type de ce que propose AXA -
ou de privatisation totale au bénéfice des assureurs. C'est cet esprit qui
anime, par exemple, le rapport de M. Alain Lambert sur l'avenir des assurances,
dont l'une des principales conclusions revient à une mise à mort programmée des
mutuelles. Nous nous opposons évidemment à une telle perspective.
Des expériences étrangères - en Grande-Bretagne, avec des médecins
gestionnaires de budgets, ou aux Etats-Unis, avec des réseaux de soins
coordonnés - prouvent que la gestion des soins par des opérateurs en
concurrence se traduit, certes, par une diminution des dépenses, mais aussi par
des restrictions dans l'accès aux soins, pis, par une dégradation de la qualité
de ces derniers et, finalement, par une santé à plusieurs vitesses.
Le Gouvernement fait d'autres choix, et nous ne pouvons que nous en
féliciter.
Il fait le choix de la promotion de l'accès de tous à différents droits,
notamment au droit à la santé, en soumettant au Parlement le projet de loi de
lutte contre les exclusions, qui a été adopté en juillet dernier. Il faut
d'ailleurs que soient publiés sans plus attendre les nombreux décrets
d'application qui donneront à cette loi son effectivité et qui permettront
d'améliorer sensiblement le quotidien des plus fragiles.
Il a fait le choix de l'élargissement de la solidarité, en préparant un texte
qui instaure une couverture maladie universelle, ce qui est conforme au
principe d'égalité.
Madame la ministre, pourquoi ne pas avoir traduit budgétairement, dès cette
loi de financement, les conséquences de la mise en place de la couverture
maladie universelle, ce qui vous aurait permis d'afficher clairement votre
volonté de voir tous nos concitoyens accéder sans discrimination aux soins ?
Au-delà des principes généreux d'accès de tous aux droits, pourquoi ne pas
bannir définitivement le principe de sélection du domaine de la santé, y
compris pour ce qui concerne l'assurance complémentaire maladie ? Ce serait
faire barrage aux techniques assurantielles, aux tentations fortes de
tarification différenciée selon la carte génétique de la personne, par
exemple.
Intervenant à l'Assemblée nationale, vous vous êtes attachée, madame la
ministre, à rassurer les Français en confirmant votre volonté de protéger le
domaine de compétence de notre protection sociale. Vos propos ont été sans
équivoque : « Les fonds de pension ne se substitueront pas au régime par
répartition ; les assureurs privés ne se substitueront pas à l'assurance
maladie. »
Nous considérons qu'il s'agit d'un engagement, de même que ce qui a été
annoncé concernant l'abrogation de la loi Thomas, par exemple.
Aussi suis-je surprise de voir réapparaître aujourd'hui dans
Le Monde,
sous la plume de M. Jean-Claude Boulard, le principe des fonds de
pension.
M. Jean-Pierre Fourcade.
Moi, je suis content !
M. Claude Huriet.
Nous, nous ne sommes pas surpris !
Mme Nicole Borvo.
Moi, je suis surprise et mécontente !
M. Emmanuel Hamel.
Nous sommes surpris de votre surprise !
(Sourires.)
Mme Nicole Borvo.
Le Gouvernement s'est fixé pour objectif d'atteindre l'équilibre financier
l'an prochain. Après avoir constaté des déficits de près de 50 milliards de
francs en 1996, de 33 milliards de francs en 1997 et de 13 milliards de francs
cette année, après avoir fait les frais de ponctions successives sur leur
pouvoir d'achat, les Français seront évidemment très sensibles au fait que l'on
renoue enfin avec l'équilibre des comptes, et cela sans opérer de nouveaux
prélèvements.
Votre démarche est tout à fait louable, madame la ministre. Je déplore
toutefois, d'une part, que cet équilibre se fonde sur le pari risqué d'une
croissance virtuelle et non pas sur la recherche de recettes nouvelles
découlant de choix progressistes en matière de financement, et, d'autre part,
que l'on reconduise des outils de maîtrise comptable des dépenses de santé.
Alors que l'on s'apprête à mettre en place la CMU, alors que des besoins en
psychiatrie ou en gérontologie ne sont pas couverts, alors que des besoins
nouveaux dans les domaines de la recherche, de l'innovation technologique et
des soins devront être satisfaits, aucune ressource significative n'est
prévue.
Dans ces conditions, comment équilibrer les comptes, si ce n'est en réduisant
les dépenses ?
Or il est temps de relativiser les incidences des dépenses jugées excessives
pour se concentrer sur le réel problème de la sécurité sociale, celui de son
financement. Des facteurs tels que le chômage, le vieillissement de la
population ou le désengagement des employeurs ont évidemment des conséquences
sur le niveau des ressources, mais il convient aussi de ne pas minimiser, au
regard du tarissement des sources de financement, l'incidence des exonérations
et des allégements de cotisations patronales diverses et variées consentis
a
priori
pour un motif légitime, à savoir la relance de l'emploi, sans
d'ailleurs que cet objectif soit atteint.
L'an dernier, à la même époque, j'avais jugé négativement le basculement d'une
part importante des cotisations salariales vers la CSG. En revanche,
l'élargissement aux revenus financiers de l'assiette de la CSG était
intéressant, mais j'avais regretté qu'il concerne uniquement les ménages,
excluant une fois de plus les revenus financiers des grandes entreprises, des
banques et des assurances. Enfin, j'avais apprécié que vous ayez pris
l'engagement, madame la ministre, de travailler à une réforme des cotisations
patronales pour remédier à la faiblesse chronique des recettes de la sécurité
sociale.
Force est, malheureusement, de constater que ces engagements n'ont pu être
tenus dès cette année. En effet, aucun des trente-six articles du projet de loi
ne prévoit d'engager la réforme souhaitée. Seul le rapport annexé fait
référence à cette dernière, et un nouveau rendez-vous est fixé au premier
semestre de 1999 pour la présentation au Parlement d'un texte qui devra
proposer « une assiette des cotisations moins sensible aux variations de la
masse salariale ».
De plus, il est précisé que cette réforme se fera « sans accroître globalement
les prélèvements sur les entreprises », ce qui présuppose que, si réforme il y
a, elle se fera à volume constant de recettes. Vous n'envisagez pas de mettre à
contribution les revenus du capital.
Certes, tout le monde s'accorde aujourd'hui sur la nécessité d'une telle
réforme, mais les avis divergent quant aux modalités de celle-ci. J'espère que,
au cours des consultations et des discussions futures, le Gouvernement prendra
en compte les propositions communistes et qu'il les préférera à des
exonérations de charges massives, injustes et, on peut le constater,
inefficaces.
Nous proposons une autre piste, celle d'une modulation des cotisations
patronales en fonction de la politique suivie par l'entreprise en matière
d'emploi et de formation. Nous entendons aussi poser la question de la prise en
compte des revenus financiers des entreprises dans l'assiette des prélèvements
sociaux.
Cette question fondamentale du mode de financement de notre protection sociale
doit être résolue, car elle conditionne les choix en matière de dépenses, et
aussi l'existence et le devenir de notre protection sociale.
Pourtant, le présent projet de loi renferme des dispositions intéressantes en
matière de politique de santé publique. Le rapport annexé contient ainsi un
ensemble de mesures que nous ne pouvons qu'approuver, qu'il s'agisse de lutter
contre les maladies iatrogènes, de réduire les inégalités dans l'accès aux
soins, de rouvrir les dossiers des victimes de l'amiante ou d'étendre aux
centres de santé la campagne de prévention et de soins bucco-dentaires à
destination des jeunes.
Deux dispositions novatrices retiennent aussi toute notre attention.
Il s'agit, d'une part, de la possibilité offerte aux partenaires
conventionnels d'étudier la mise en oeuvre de modes de rémunération autres que
le paiement à l'acte, et, d'autre part, de la prise en charge à 100 %, par
l'assurance maladie, des frais de dépistage des cancers féminins.
J'espère que ces dispositions préfigurent un changement de mentalité et que, à
l'avenir, la CNAM s'inscrira beaucoup plus dans une logique active pour prendre
en compte en amont les facteurs de risques et pour faire réellement de la
prévention, de la détection et de l'éducation à la santé.
Telle n'est pas la logique qui prévaut aujourd'hui. En effet, faire des
économies, dépenser moins, n'est-ce pas là le maître mot de la politique menée
au sein de la CNAM, avec l'assentiment du vice-président du MEDEF, comme l'on
nomme désormais le CNPF ? Cet été, alors que la presse relatait les dérives de
l'assurance maladie, M. Johanet annonçait qu'il était possible de réaliser 100
milliards de francs d'économies sur les dépenses de santé. Plus récemment,
présentant aux administrateurs son plan de « chasse au gaspi », il proposait
comme remède un dirigisme accru en matière d'orientation des patients dans la
filière de soins, des taux de remboursement variables selon le degré de
contrainte accepté par l'assuré ou la fin des remboursements médicalement
injustifiés.
Ce sont autant de fausses réponses, sous-tendues par une logique uniquement
comptable étrangère aux besoins des assurés. Je suis prête à faire mienne la
maxime « dépenser moins pour soigner mieux », à condition que l'on continue à
soigner, et à soigner tout le monde, sans qu'aucun rationnement des soins ne
soit instauré.
Or, en 1996, 15 millions de personnes ont renoncé aux soins, faute de moyens,
et 6 millions de personnes se sont trouvées dans l'incapacité de financer une
couverture complémentaire maladie, se privant de fait de soins dentaires ou
différant l'achat de lunettes.
Les restrictions consécutives à la mise en place des outils voulus par M.
Juppé ont touché les personnes déjà en grande difficulté, et, plus largement,
elles ont contribué à marginaliser d'autres assurés sociaux. Le récent rapport
du Haut Comité de santé publique indique ainsi que l'état de santé des Français
est loin de s'être amélioré : les inégalités régionales demeurent et de
nombreuses personnes continuent à être exclues du bénéfice de soins de qualité
et de proximité.
Madame la ministre, pensez-vous sincèrement que l'objectif national de
dépenses d'assurance maladie, plus élevé certes de 16 milliards de francs que
celui de l'an dernier, donne au système de soins les moyens nécessaires et
suffisants au bon accomplissement de sa mission ?
Il faut noter que cette augmentation de 2,6 % est à relativiser, puisqu'elle
ne suit pas le rythme de la croissance.
Cela me conduit, à l'instar d'ailleurs de M. Evin, à douter que les quatre
enveloppes, qui demeurent prédéfinies, soient suffisantes.
En ce qui concerne le service public hospitalier, je suis persuadée que ce
n'est pas en opposant les hôpitaux parisiens, considérés à tort comme trop
nombreux et trop coûteux, aux hôpitaux de province que l'on aboutira à une
restructuration cohérente et juste de notre système hospitalier. Pourquoi mener
de telles attaques frontales contre l'Assistance publique de Paris ? S'il est
vrai que le fonctionnement de cette « superstructure » manque de démocratie et
de transparence, on ne peut nier les réalités parisiennes, à savoir l'activité
spécifique des hôpitaux, qui jouent un rôle moteur dans la recherche, notamment
génétique, dans le traitement de pathologies rares et complexes, dans l'accueil
des malades du sida.
A mon grand regret, l'hôpital est oublié dans ce projet de loi. Il est
présenté comme le « bon élève » : on se félicite de la diminution effective du
nombre de lits et on entend encore en supprimer 3 100, considérés comme
excédentaires. Il est pourtant demandé à l'hôpital de s'adapter, de répondre à
l'apparition de pathologies nouvelles, d'accueillir les plus démunis et
d'assurer plus de sécurité, sans que soit pour autant desserré l'étau financier
qui l'asphyxie déjà en partie et augmente la pénibilité du travail des
personnels.
A ce propos, je déplore tout le tapage médiatique ayant entouré la publication
du numéro spécial d'une revue, consacré au classement des hôpitaux, ainsi que
la parution d'articles démagogiques sur l'offre de soins excédentaires ou sur
les gâchis qui servent de justification aux restructurations.
Nous ne sommes pourtant pas partisans de l'immobilisme, mais je crois que l'on
n'en est pas encore arrivé à la concertation dont vous venez de parler,
monsieur le secrétaire d'Etat, et que les décisions continuent d'être prises de
façon autoritaire, sans qu'il soit tenu compte de la réalité des priorités
locales. Pourquoi ne pas conjuguer restructuration, d'une part, et
modernisation des structures, recherche de qualité et de sécurité, quête de
meilleures formations pour les professionnels de santé, d'autre part ? Les
seuls fondements de ces dernières doivent impérativement être d'ordre sanitaire
et non pas économique.
L'an dernier, monsieur le secrétaire d'Etat, vous affichiez votre volonté de
définir démocratiquement les besoins en matière de santé en organisant des
états généraux de la santé. Permettez-moi à nouveau de regretter que ceux-ci se
tiennent après le vote du présent texte, alors que, d'un autre côté, c'est à
grands pas que progresse l'élaboration des schémas régionaux d'organisation
sanitaire de deuxième génération et que, dès cette année, des décrets prévoient
la fermeture de certaines maternités et, bientôt, le regroupement des services
d'urgence.
A cet égard, il faut traiter le problème du désengagement des urgences, mais
sûrement pas en interrompant les flux au détriment de l'état sanitaire et
social de la population !
Pourquoi ne pas inverser réellement la démarche en partant des besoins en
matière de santé pour en discuter démocratiquement avec l'ensemble de
partenaires de santé, afin d'évaluer ensuite les moyens à mettre en oeuvre pour
satisfaire efficacement les besoins les plus fondamentaux ?
Il n'est pas dans mon intention de laisser les dépenses augmenter sans
contrôle. Je veux seulement que cette maîtrise des dépenses soit fondée sur des
critères médicaux prenant en compte les besoins des assurés, d'une part, et sur
la responsabilisation de chacun des acteurs, d'autre part.
Responsabiliser les médecins, les pharmaciens et les laboratoires
pharmaceutiques, les sanctionner financièrement en cas d'abus, telles sont les
mesures essentielles du volet « assurance maladie » de ce projet de loi. Je
leur préférerais des mécanismes négociés conventionnellement, au fonctionnement
moins aveugle.
Bien qu'amendé par nos collègues de l'Assemblée nationale, qui se sont
abstenus, ce projet de loi demeure perfectible. Tout au long de ces débats, que
j'espère constructifs, le groupe communiste républicain et citoyen témoignera
de l'urgence qu'il y a à nourrir notre protection sociale d'autres ressources,
afin que puissent être atteints les objectifs ambitieux que nous lui fixons. En
revanche, nous sommes loin d'approuver les contre-propositions de la droite
sénatoriale, dont la mise en oeuvre contribuerait, n'en doutons pas, à
amoindrir davantage encore la satisfaction des besoins.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen,
ainsi que sur certaines travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à Mme Dieulangard.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, nous abordons un exercice qui nous est dorénavant devenu
familier, puisque nous procédons pour la troisième fois à l'examen d'un projet
de loi de financement de la sécurité sociale.
Si, à l'origine, certains ont pu avoir quelques réticences quant à ce qui
pouvait être perçu comme une ingérence dans une sphère relevant essentiellement
des partenaires sociaux, comme l'avaient voulu, voilà quarante ans, les
concepteurs de notre sécurité sociale, la légitimité de l'intervention du
Gouvernement et du Parlement n'est désormais plus remise en cause : ils
concourent à renforcer la transparence et le fonctionnement démocratique de
notre système.
Nous disposons à cette fin d'éléments de réflexion qui, compte tenu de la
nouveauté de l'exercice, ont pu faire défaut les années passées : je pense
notamment au rapport de la Cour des comptes, aux travaux de la conférence
nationale de la santé ou de la conférence sur la famille, ainsi qu'au bilan
dressé par le Haut Comité de la santé publique.
Comme vous l'avez souligné, madame la ministre, notre protection sociale,
telle qu'elle est conçue, est un élément constitutif de la cohésion sociale, et
le contre-exemple américain illustre parfaitement les dangers d'une
organisation fondée foncièrement sur l'individualisme.
Certes, les lieux d'expression demeurent encore peu nombreux, et conférer un
nouveau rôle aux usagers figure d'ailleurs parmi vos priorités, madame la
ministre, monsieur le secrétaire d'Etat. Mais les messages que ceux-ci nous
adressent d'ores et déjà sont clairs. Ainsi, ils manifestent régulièrement pour
la préservation du système de retraite par répartition, grâce auquel les
générations futures seront reliées à leurs aînées. Ils n'admettent toujours pas
que des prestations aussi indispensables que les soins dentaires, les frais
d'optique ou les prothèses auditives soient aussi peu remboursées. Ils ne
comprennent pas qu'un Français sur quatre se prive de soins et que 200 000 de
nos concitoyens ne bénéficient d'aucune couverture sociale.
Nous devons donc renforcer le socle de notre système de protection sociale,
tout en relevant de nouveaux défis.
Comment sauvegarder nos retraites, dans la perspective du nouveau paysage
démographique qui se profile à l'horizon de l'an 2005 ? Comment rénover et
renforcer le rôle joué par notre collectivité auprès des familles, et tout
particulièrement des plus fragiles d'entre elles ?
Comment apporter des réponses plus efficaces aux besoins actuels de santé de
la population, en garantissant l'accès de tous à ce droit essentiel ?
Face à ces enjeux, il doit s'agir de mobiliser l'ensemble des acteurs
concernés ; c'est ainsi que les conclusions de la conférence sur la famille ou
du rapport Stasse inspirent directement des dispositions du projet de loi de
financement de la sécurité sociale pour 1999. Ces consultations préalables,
voulues par le Gouvernement, sont garantes à la fois du processus démocratique
qui préside à l'élaboration des réformes qui s'amorcent et d'une plus grande
efficacité dans l'application des mesures législatives.
Madame la ministre, dans le présent projet de loi apparaît très clairement
votre volonté d'atteindre deux objectifs indissociables et déterminants pour
notre avenir.
Il s'agit, d'une part, de consolider les fondements de notre protection
sociale, qui repose sur la solidarité entre citoyens, entre générations, ainsi
que sur la justice sociale.
Il s'agit, d'autre part, de tendre vers l'équilibre, sans augmenter les
prélèvements, qui, dit-on, atteignent des niveaux records, ni remettre en cause
les garanties pour lesquelles cotisent nos concitoyens.
Le retour progressif à l'équilibre du régime général repose bien sûr sur une
amélioration générale de l'état de santé de notre économie.
Il trouve ses sources également dans les mesures courageuses prises tant
l'année dernière que cette année dans le présent projet de loi.
Il s'agit, d'abord, de la réforme en profondeur du financement de notre
système d'assurance maladie, grâce au transfert des cotisations « maladie » à
la charge des salariés vers une assiette plus large et plus juste à travers la
CSG.
Il s'agit, ensuite, des mesures prises afin de faire face au déficit de la
branche « famille » provoqué, notamment, par l'absence de financement des
mesures de la loi relative à la famille, comme le souligne le rapport de la
Cour des comptes.
Ce retour à l'équilibre passe également par une maîtrise des dépenses maladie,
à travers un ONDAM qui, cette année, est fixé à 2,6 %.
Mes amis MM. Gilbert Chabroux et Claude Domeizel aborderont respectivement la
branche « famille » et la branche « vieillesse ».
J'aborderai, pour ma part, les principale mesures de la branche « maladie » et
les innovations dans le domaine des accidents du travail et des maladies
professionnelles.
Le rapport présenté à M. le Premier ministre par le Conseil d'analyse
économique, le 17 septembre dernier, fait état d'un bilan contrasté de notre
système de santé : nous lui concacrons près de 10 % de notre PIB, alors que la
moyenne européenne se situe à 8 %. Nous enregistrons des performances évidentes
en matière d'espérance de vie des femmes ou de maladies cardio-vasculaires,
mais des inégalités sociales et géographiques - qui sont intimement liées -
perdurent.
Faire de la prévention, domaine dans lequel nous avons un retard, un axe
majeur de notre politique de santé est un objectif qui devrait être partagé par
tous. Le Gouvernement se donne, par le présent projet de loi, des moyens pour
concrétiser cet impératif.
C'est ainsi que des programmes de dépistage de maladies mortelles évitables
vont se développer en étroite concertation avec les professionnels, tels que
les médecins du travail ou les caisses de sécurité sociale.
Mais surtout, évolution majeure, ces actes de dépistage vont être pris en
charge à 100 % par l'assurance maladie. Il s'agit là d'une véritable et
nécessaire rupture dans la politique de la CNAM.
Reconnaître la place d'un médecin-référent dans notre système de soins
participe également de cette mobilisation en faveur de la prévention et ne se
limite pas à la seule rationalisation des soins en vue de restreindre le «
nomadisme médical ».
Son rôle revêt une tout autre dimension : en accordant une place prépondérante
à l'éducation sanitaire et à la prévention, il est facteur de qualité et
d'efficacité.
Promouvoir un autre mode de rémunération que le paiement à l'acte constitue un
outil qui ne doit plus rester au stade expérimental. Il devrait permettre
d'améliorer l'accompagnement médical de longues maladies, des démarches de
désintoxication, voire de troubles psychologiques qui ne relèvent pas
obligatoirement de la psychiatrie, je pense en particulier aux destructurations
que peuvent engendrer la précarité du travail et la pauvreté, ou encore
l'errance des jeunes marginalisés.
Autant de pathologies, autant d'usagers surtout pour lesquels il est
nécessaire de disposer de temps d'accueil, de temps d'écoute, de temps
d'éducation et de prévention. Tout ce qu'interdit trop souvent le paiement à
l'acte. Je suis surpris, madame la ministre, que l'article 17 de ce projet de
loi n'ait pas suscité plus d'intérêt. Il ouvre des possibilités d'extension du
champ conventionnel pour une autre approche de la médecine.
Voilà une quinzaine d'années, nous avions tenté une telle expérience à
Saint-Nazaire, fondée précisément sur une prise en charge globale du patient.
Nous avons échoué car face aux frilosités et à certains archaïsmes, nous ne
disposions pas d'assise juridique. Cet article 17 nous aurait été fort utile en
1983.
La qualité des soins et la sécurité sanitaire constituent une autre priorité.
Le Gouvernement et le législateur se sont engagés depuis quelques années dans
une démarche tendant à les améliorer.
Cette entreprise s'est tout d'abord concentrée sur les établissements
hospitaliers, pour lesquels les pouvoirs publics ont instauré des procédures
d'accréditation reposant sur les critères évolutifs au regard des priorités que
nous déterminons.
Ainsi, vous avez souhaité, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'il soit tenu
compte des initiatives prises dans le cadre de la lutte contre la douleur.
L'Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé, l'ANAES, est le
pivot de cette démarche sans doute encore trop balbutiante. Je note que ses
compétences pourraient être élargies au-delà du secteur hospitalier afin
d'intervenir, notamment, au niveau des réseaux de soins. Il me paraît évident
que, à terme, les procédures d'évaluation, sur le plan tant qualitatif que
quantitatif, ne pourront se dérouler en traitant séparément la médecine
hospitalière et la médecine de ville.
Le projet de loi vise à compléter le dispositif et à mettre en place des
mécanismes susceptibles de combler le retard pris par notre pays en ce qui
concerne l'évaluation qualitative de la médecine ambulatoire.
L'article 18 vise à élargir les compétences des unions de médecins libéraux
afin qu'elles participent à ces évaluations. La Cour des comptes avait souligné
l'imprécision du rôle qui leur était dévolu. La mission qui leur est confiée
contribuera à asseoir leur légitimité et, par là, confortera leurs moyens.
Par ailleurs, nous savons tous que la qualité de notre médecine dépend très
largement de la formation continue des médecins. Celle-ci ne peut se résumer
aux opérations de promotion des laboratoires pharmaceutiques via leurs
visiteurs médicaux. Si cette méthode n'est pas en soi condamnable, par son
ampleur, elle prête le flanc à toutes les suspicions. Une réforme législative
sur ce plan serait envisagée. Nous souhaiterions obtenir des informations sur
les grandes orientations de cette réforme, notamment les modalités de
définition du plan de formation.
Nous souhaiterions également obtenir une précision sur l'état d'avancement de
l'informatisation des cabinets médicaux. L'Etat s'est engagé financièrement. Il
semble toutefois que cet outil indispensable ne produise pas encore les effets
escomptés.
Comment imaginer moderniser, améliorer, notre système sans l'utilisation,
aujourd'hui en 1998, de l'informatique dans un rendement maximal ?
La création, pour cinq ans, d'un fonds d'aide à la qualité des soins en
médecine ambulatoire devrait permettre d'impulser des actions innovantes pour
concourir à l'amélioration de la coordination, au développement de nouveaux
modes d'exercice, d'où l'intérêt de la disposition aux termes de laquelle sa
gestion pourra être déconcentrée.
Nous avons aujourd'hui un peu de recul pour mesurer l'impact des quelques
réseaux de soins qui se sont constitués. Ils recouvrent des formes multiples,
mais ils ont tous vocation à améliorer la coordination, le suivi des patients
et, en définitive, la qualité, l'efficacité et la rationalité.
Ils doivent être soutenus ; ils requièrent notre vigilance. La pratique de
travail en réseau ne se décrète pas. Il y faut la détermination des acteurs,
des moyens et des évaluations régulières.
J'en viens aux dispositions qui vont permettre d'assurer un meilleur suivi et
donc une meilleure maîtrise de l'évolution générale de nos dépenses de santé.
Elles ont focalisé l'essentiel des commentaires, parfois au détriment des
réformes de fond que comporte ce projet de loi.
L'année qui va s'achever a été instructive à cet égard : la loi avait fixé un
ONDAM à 2,27 % ; or dès les premiers mois, des dérapages ont été constatés,
plus particulièrement dans l'enveloppe des soins de ville qui représentent près
de 44 % de l'ONDAM. Cette progression a été de 6,9 % chez les spécialistes.
Face à ces dérives, le Gouvernement, prenant acte de l'annulation des
conventions qui fondent les relations entre les différents partenaires, a dû
appliquer un plan d'urgence consistant, par exemple, à reporter des
revalorisations d'acte.
Le projet de loi met en place des mesures de régulation structurelles.
D'autres, plus conjoncturelles, visent à assurer l'équilibre dans le court
terme. Elles responsabilisent à la fois les médecins, l'industrie
pharmaceutique et les usagers.
Les mesures les plus significatives me semblent être celles qui sont relatives
à la démographie médicale : le
numerus clausus
et l'incitation à la
cessation anticipée d'activité ou à la reconversion.
Ces deux dispositifs sont modulés mais leur conjugaison doit permettre de
parvenir à un rééquilibrage, tant au niveau des spécialités qu'au niveau
géographique.
Il est tout de même surprenant que, jusqu'à ces dernières années, il n'y ait
eu aucune rationalisation en ce qui concerne les formations et les
installations. Par ailleurs, la part des prescriptions dans l'enveloppe des
soins de ville est prépondérante : 143 milliards de francs sur les 212
milliards de francs de dépenses médicales pour 1998. Dès lors, il devient
impératif d'intervenir sur ce poste, sans porter atteinte à la qualité des
soins.
Un moyen existe et notre pays, contrairement à ses voisins, ne l'a
pratiquement pas exploité : il s'agit des génériques, qui coûtent, en moyenne,
30 % moins cher, mais dont le taux de prescription est de 3 % seulement dans
notre pays. L'article 23 autorise les pharmaciens à proposer la substitution
aux patients ; ils ont, en ce domaine, un rôle pédagogique important à
jouer.
Permettez-moi simplement de regretter que, depuis le temps que cette question
est à l'ordre du jour, les médecins n'aient pas été à même de se
responsabiliser, ou n'aient pas souhaité se responsabiliser, par rapport à
cette mesure d'économie. Nous revenons là sans doute à la problématique de leur
formation continue.
J'en viens maintenant à l'article 21 et à la logique qui le sous-tend.
Aujourd'hui, plus personne n'ose remettre en cause cette évidence : les
médecins, parce qu'ils sont ordonnateurs de dépenses publiques, parce que leurs
revenus sont garantis par la solvabilisation de leurs patients, et donc par la
sécurité sociale, doivent assumer certaines obligations qu'impose la
pérennisation de notre système de protection sociale.
Ainsi, les gouvernements de gauche comme de droite ont jugé nécessaire
d'instaurer, selon des modalités différentes toutefois, un mécanisme permettant
de limiter les dérapages.
Dans un cas comme dans l'autre, ils ont souhaité faire confiance à la
négocation conventionnelle avant d'envisager une intervention unilatérale des
pouvoirs publics.
Le nouveau dispositif procède en deux étapes.
Au cours de la première, le Gouvernement met en place une sorte de
monitoring
qui permet d'apprécier au plus près l'évolution des dépenses,
dans le cadre d'échéances suffisamment rapprochées, le quatrième puis le
huitième mois, qui sont l'occasion de mettre en oeuvre des mesures pour
garantir le respect de l'objectif, en accord avec les intéressés. Ces
discussions peuvent se traduire par des ajustements de tarifs.
L'opposition - la majorité ici - en critique la fréquence en dénonçant le
manque de souplesse, en cas d'épidémies par exemple, et l'absence de sécurité
juridique que génère la révision à la baisse des tarifs des actes. Or, le
principal intérêt de ce mécanisme est précisément d'intervenir suffisamment en
amont pour maîtriser efficacement les dérives. L'expérience du dépassement de
10 % des radiologues est, à cet égard, édifiante.
Par ailleurs, il est paradoxal que certains regrettent le manque de
concertation et, parallèlement, dénoncent un dispositif qui renforce le domaine
conventionnel. Enfin, il faut rappeler que, en cas d'échec, l'intervention de
l'Etat, demeure possible.
La seconde étape consiste à instituer, en dernier ressort, une contribution
conventionnelle temporaire. Celle-ci fait certes appel à une logique différente
de celle qui avait été retenue pour la contribution individualisée adoptée par
la précédente majorité, puisqu'elle globalise le reversement selon les
généralistes et les spécialistes.
Elle repose toutefois sur le même constat : les médecins doivent contribuer au
financement du surcroît de dépenses qu'ils génèrent.
Le caractère collectif de cette contribution nous oppose. Nous considérons
toutefois qu'il présente deux avantages par rapport à la formule de la
contribution individuelle sanctionnée par le Conseil d'Etat : d'abord, il
répond à la difficulté manifeste de décoder, à travers un relevé trimestriel
d'activité, les comportements, afin de distinguer entre le médecin
consciencieux, celui qui « fonctionne au rendement » et celui qui débute et
dont la clientèle monte en puissance ; par ailleurs, il correspond à la même
logique qui fait peser sur l'ensemble des usagers des cotisations identiques,
quelle que soit leur « consommation médicale ».
En tout état de cause, cette contribution est proportionnelle aux revenus et
ne s'appliquera pas aux médecins nouvellement installés.
Enfin, il est prévu une marge de manoeuvre autour d'un taux fixé par décret.
Ce « tunnel », selon l'expression consacrée, apporte de la souplesse au cours
de la procédure.
Le champ de la négociation conventionnelle avec l'industrie pharmaceutique est
sans doute moins vaste que celui qui régit la profession de médecin. Le rôle du
comité économique du médicament est encore mal défini et le projet de loi vise
à le clarifier. La nouvelle clause de sauvegarde qui s'applique à l'industrie
définit le cadre législatif de la participation de ce secteur économique à la
maîtrise du déficit de la caisse d'assurance maladie.
M. Juppé, alors Premier ministre, avait décidé, au vu des dérapages constatés
en 1995, de taxer de 2,5 milliards de francs cette industrie. Cette année, les
mesures prises dans le cadre du plan d'urgence ont permis d'économiser 1,8
milliard de francs.
L'article 25, tel qu'il nous arrive de l'Assemblée nationale, dispose que la
clause de sauvegarde s'appliquera dès lors que le chiffre d'affaires hors taxes
réalisé en France dépassera le taux de progression de l'ONDAM. Elle
concernerait l'ensemble des industries pharmaceutiques et n'interviendrait
qu'en ultime recours, tout comme pour les médecins d'ailleurs. Madame la
ministre, vous nous préciserez la position du Gouvernement sur ce point.
Venons-en maintenant à la branche accidents du travail.
L'ensemble du mouvement associatif qui oeuvre auprès des victimes a salué les
engagements que vous avez pris lors du centième anniversaire de la loi du 9
avril 1898. Ils visent à améliorer les conditions particulièrement draconiennes
de reconnaissance et de réparation des maladies professionnelles, comme le
souligne le professeur Got.
Sans attendre les mesures réglementaires qui seront prochainement publiées, le
présent projet de loi assouplit les règles de prescription pour le calcul du
délai de prise en charge des maladies professionnelles. Deux points de départ
sont envisageables : la constatation de la causalité entre l'apparition de
maladie et l'activité professionnelle ou la cessation de l'activité.
En ce qui concerne les maladies imputables à un contact avec l'amiante, le
Gouvernement autorise un nouveau délai de deux ans afin que les victimes ou
leurs ayants droit puissent obtenir réparation.
Trois chantiers, cependant, restent ouverts dans ce champ pour une future
réforme.
Tout d'abord, le parcours du combattant que doit accomplir une victime doit
être simplifié, et ce même si la loi de 1993 a déjà élargi certaines
possibilités.
Ensuite, les conditions de travail des salariés sous contrats précaires, qu'il
s'agisse des sous-traitants ou des intérimaires, doivent fait l'objet d'une
surveillance accrue. Le secteur du bâtiment et des travaux publics n'est pas le
seul concerné : dans un passé récent, les installations nucléaires ont été
pointées du doigt après que des accidents particulièrement inquiétants se sont
produits.
Enfin, des investigations plus précises et plus systématiques, susceptibles
d'établir des relations de cause à effet entre une activité professionnelle et
l'apparition de certaines pathologies, doivent être menées. Elles entrent dans
le champ de compétences du nouvel institut de veille sanitaire. Les conditions
d'exercice des médecins du travail devront vraisemblablement être
modernisées.
Je terminerai cette intervention en formulant quelques remarques sur les
dispositions relatives aux ressources contenues dans ce projet de loi.
Madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, si une
étape fondamentale a été franchie l'année dernière grâce au basculement des
cotisations maladie des salariés vers la CSG, un consensus se dégage sur la
nécessité de procéder à une réforme des cotisations patronales. Vous avez
d'ailleurs évoqué ce point, madame la ministre.
Vous savez, mes chers collègues, que les opinions divergent, y compris parmi
les experts qui, à la demande des gouvernements successifs, ont été chargés
d'éclairer nos réflexions : faut-il ou non transférer l'assiette de la masse
salariale vers la valeur ajoutée ? Faut-il procéder à des exonérations sur les
bas salaires en se rattrapant sur d'autres catégories salariales, au risque
d'encourager un nivellement par le bas ?
Sur un sujet aussi sensible, le Gouvernement entend organiser une consultation
aussi large que possible. Cet engagement figure dans le rapport annexé.
Par ailleurs et très concrètement, le projet de loi procède à la révision de
certains prélèvements et taxes. Il s'agit notamment d'assurer leur conformité
avec la réglementation européenne. Ce faisant, le projet de loi permet d'en
accroître le rendement en modifiant les modalités de perception ou d'en relever
le niveau, ainsi que le prescrit l'amendement sur le tabac adopté par
l'Assemblée nationale et auquel souscrivent les sénateurs socialistes.
Le projet de loi procède à la révision de deux régimes d'exonération des
charges sociales.
Tout d'abord, le régime lié à l'embauche d'un premier salarié, qui est
reconduit pour trois ans, verra l'exonération plafonnée à la fraction égale au
SMIC.
Le Gouvernement a en outre satisfait une revendication récurrente et
pleinement justifiée des associations intervenant au domicile des personnes
âgées. Ces associations dénonçaient la distorsion qui existait entre
l'exonération de 100 % dont bénéficiait la personne âgée de plus de
soixante-dix ans employeur direct et l'exonération de 30 % leur étant
appliquée. Il s'agit là d'une mesure essentielle qui vient appuyer ces
structures dans leurs efforts de professionnalisation de l'aide à domicile.
Madame la ministre, dans le rapport annexé à ce projet de loi, le Gouvernement
considère que la prestation spécifique dépendance n'est pas le bon outil pour
prendre en charge convenablement la dépendance des personnes âgées. Il faudra
donc en changer.
En attendant, ces dispositions d'exonération pour les associations sont de
nature à améliorer considérablement la qualité du service rendu chez les
personnes âgées dépendantes, le statut des salariés et l'équilibre financier
des associations en charge de ce secteur. Nous nous en réjouissons.
Mes chers collègues, nous allons nous prononcer sur un projet de loi qui pose
avec détermination les grands axes de la rénovation de notre système de
protection sociale.
Il contribue, dans le même temps, à définir les modalités de retour à
l'équilibre qui vont bien au-delà des clauses de régulation envisagées dans le
cadre de l'assurance maladie.
Le Gouvernement n'a pas perdu de temps, me semble-t-il ! Faut-il rappeler
qu'il lui a fallu gérer les conséquences de l'annulation des conventions
médicales négociées précédemment ? Faut-il revenir sur l'impact bénéfique de la
réforme de la CSG ? Est-il nécessaire de rappeler les chiffres encourageants de
la lutte contre le chômage ?
En conséquence, les sénateurs socialistes, parce qu'ils sont attachés au
maintien de la protection sociale et hostiles à toute tentative de
démembrement, soutiendront le projet de loi de financement de la sécurité
sociale tel qu'il est transmis par l'Assemblée nationale.
(Applaudissements
sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du groupe communiste
républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Huriet.
M. Claude Huriet.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, que représentent à peine trois années pour que le Parlement
puisse prendre la mesure des attributions nouvelles que lui ont conférées la
loi constitutionnelle du 22 février 1996 et la loi organique du 22 juillet de
la même année ?
Un délai sans doute insuffisant, à en juger par le texte du projet de loi et
plus encore par le contenu des débats de l'Assemblée nationale, qui mettent
l'accent sur les équilibres financiers des différents régimes au détriment de
la réflexion sur « les orientations de la politique de santé et de sécurité
sociale et les objectifs qui déterminent les conditions générales de
l'équilibre financier de la sécurité sociale ».
Je ne sous-estime pas les dispositions concernant diverses campagnes de
dépistage ou la prise en charge de la douleur et des soins palliatifs ; mais le
Sénat, dans sa sagesse unanimement reconnue, et grâce à la qualité de la
réflexion et à la richesse des propositions de M. Charles Descours, rapporteur
pour les équilibres financiers généraux et l'assurance maladie, de MM. Jacques
Machet et Alain Vasselle, rapporteurs respectivement pour la famille et pour
l'assurance vieillesse, et de M. Jacques Oudin, rapporteur pour avis, devrait
corriger un déséquilibre qui ne correspond pas à l'esprit de la loi.
L'essentiel de mon propos portera sur l'assurance maladie et le système de
santé.
Je voudrais apporter la contribution du groupe de l'Union centriste en
dressant un constat de la situation actuelle et en proposant « quelques
orientations de la politique de santé et de la sécurité sociale », puisque tel
est l'un des enjeux du débat parlementaire.
Le débat qui s'ouvre aujourd'hui s'inscrit dans la durée. C'est un nouveau
chapitre d'une histoire qui a débuté en juin 1992.
M. René Teulade, alors ministre des affaires sociales et de l'intégration,
déclarait ceci devant la Haute Assemblée : « Maîtriser l'évolution des dépenses
de santé est donc un impératif qui s'impose à tous, quels que soient la famille
politique à laquelle on appartient et le système que l'on préconise. »
Après que le rapporteur, M. Charles Descours, eut apporté l'appui de la
commission des affaires sociales au concept de « maîtrise médicalisée », je
m'exprimai, au nom de mon groupe, dans les termes suivants : « Nous sommes pour
une régulation des dépenses de santé, mais à deux conditions. D'une part, elle
doit nécessairement s'inscrire dans une politique cohérente avec des objectifs
clairement définis. D'autre part, elle suppose la libre adhésion et l'active
participation de tous les acteurs du système de santé, faute de quoi on ne peut
parler de maîtrise concertée des dépenses de santé. »
(M. Leclerc
applaudit.)
Six ans plus tard, je n'ai pas à rectifier ces propos. Je ne renie pas
davantage les critiques que j'avais formulées sur les sanctions collectives
inscrites dans les ordonnances du 24 avril 1996.
Le 14 décembre 1995, je déclarai à cette même tribune, au nom de mon groupe,
parlant des médecins qui « jouent le jeu » en matière de maîtrise des dépenses
: « Il faut s'interdire toute sanction collective. (...) Sanctionner ces
médecins du fait d'attitudes contestables (...) de certains de leurs confrères,
c'est faire une sorte d'amalgame au risque de démotiver (...) les membres des
professions médicales qui sont conscients, pour la plupart, des difficultés
actuelles et qui souhaitent apporter leur contribution pour les résoudre. »
C'est donc sans état d'âme et sûr de ne pouvoir être suspecté de changer de
discours en fonction des changements politiques que je souhaite maintenant
établir un constat de la situation actuelle et ouvrir des perspectives de
solution.
Je commencerai par le constat. Si, comme chacun peut en convenir, le style a
quelque peu changé, qu'on s'en félicite, dans l'opposition, ou qu'on le
déplore, dans la majorité « plurielle », la politique actuelle prolonge les
dispositions du « plan Juppé », à ceci près que les mécanismes sont plus
rigoureux. Les ajustements de tarifs qui peuvent intervenir en cours d'année
sont d'ores et déjà contestés, dans leur principe et dans leurs conditions
d'application : c'est bien là que le bât blesse.
Les expériences des dernières années confirment, en effet, qu'on ne peut
adapter le système de soins sans l'adhésion des professions de santé, et encore
moins contre elles. Nous sommes, madame la ministre, monsieur le secrétaire
d'Etat, payés pour le savoir ! Les prises de position qui se sont multipliées
au cours des dernières semaines incitent à penser que l'on doit s'attendre à un
blocage, voire peut-être à une épreuve de force dans laquelle personne n'a rien
à gagner.
N'est-il pas temps, alors, d'explorer toutes les voies possibles pour sortir
d'une impasse qui serait préjudiciable à tous, en premier lieu aux malades, et
mettrait en péril le système d'assurance maladie que chacun affirme vouloir
préserver ?
J'en viens aux perspectives de solution.
On ne peut faire table rase du passé ni rejeter globalement les dispositions
actuelles, d'autant que le projet du Gouvernement comporte quelques éléments,
tels que le renforcement des unions professionnelles ou la modulation du
mécanisme d'incitation à la cessation d'activité, le MICA, selon la zone
géographique, qui peuvent servir de « points d'appui » pour aller plus loin
dans la mise en oeuvre de solutions plus innovantes dont les maîtres mots
pourraient être responsabilisation, évaluation, expérimentation,
régionalisation.
Ces principes font d'ailleurs, pour la plupart d'entre eux, l'objet d'un
certain consensus, puisqu'on les retrouve dans des déclarations sous des plumes
aussi différentes que celles des ministres, des responsables de la CNAM, des
syndicats professionnels, qu'ils soient partisans ou adversaires de la
convention. Encore faut-il s'entendre sur le contenu !
La responsabilisation implique tous les acteurs et les bénéficiaires du
système : « les politiques au niveau des décisions budgétaires en fonction des
besoins sanitaires de la population et au niveau des choix de prise en charge
en cas d'insuffisance des ressources ; les gestionnaires au niveau de la lutte
contre le gaspillage et la recherche d'une gestion optimale ; les assurés
sociaux au niveau du respect d'une certaine rationalisation du mode de
consommation ; les professionnels de santé au niveau de la garantie de justes
soins de qualité délivrés au juste coût, dans un contexte de coordination
optimale des acteurs. »
Je viens de citer un large extrait du projet de la confédération des syndicats
médicaux français, la CSMF. Et, sur ce point comme sur quelques autres - à vrai
dire très rares - elles rejoignent les orientations stratégiques pour
l'assurance maladie de 1998 à 2002 : « Aujourd'hui, le système de santé se
caractérise par une concentration de la responsabilité sur l'Etat et
l'assurance maladie et, à l'inverse, sur une déresponsabilisation des
professionnels de santé, des assurés et des industriels au nom de la liberté
individuelle. Il est aujourd'hui nécessaire de responsabiliser tous les
acteurs. » Nous en sommes largement d'accord !
L'évaluation s'inscrit désormais dans toute démarche médicale. Elle est en
effet source de progrès dans la pratique médicale quotidienne au plan
individuel, et fondement de la « maîtrise médicalisée » à laquelle chacun
souscrit pour autant que la profession soit partie prenante dans les structures
d'évaluation telle que l'agence nationale d'accréditation et d'évaluation en
santé, l'ANAES. Le renforcement des unions professionnelles annoncées par le
Gouvernement va d'ailleurs dans ce sens.
S'agissant de l'expérimentation, la complexité et la diversité des domaines
inscrits dans le champ du système de santé, la multiplicité des acteurs et des
structures, l'impossibilité - à laquelle la France n'est pas la seule à être
confrontée - de trouver le système susceptible de répondre aux impératifs
contradictoires que constituent les exigences croissantes du citoyen pour sa
propre santé et la limitation des ressources que la collectivité peut lui
consacrer, tous ces éléments devraient amener à accepter ou à promouvoir des
expérimentations, en respectant toutefois un « cahier des charges » dont l'Etat
serait le garant.
On en vient ainsi, tout naturellement, à constater qu'une telle démarche est
incompatible avec le niveau national et que seul un niveau décentralisé - on
pense à la région - peut s'y prêter.
Dans un entretien récent accordé au
Quotidien du médecin
le 20 octobre
dernier, le professeur Claude Le Pen, économiste de la santé, déclarait : «
Aucun assureur aux Etats-Unis ne suit plus de 17 millions de personnes. La CNAM
en suit 50 millions. »
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat.
Pourtant, c'est mieux !
M. Claude Huriet.
« Le pôle budgétaire est adapté à un système centralisé étatiste. L'autre
système, qui s'appuie sur des critères de qualité et de sélection, ne peut
vivre que dans une structure décentralisée. »
Alors, de la régionalisation, parlons-en... puisque désormais tout le monde,
ou presque, en parle - en ce qui me concerne, je le fais depuis bientôt cinq
ans - le commissariat général du Plan ayant mené une réflexion sur ce sujet
voilà quinze ans !
La démarche est engagée : création des conférences régionales de santé censées
définir les besoins de santé prioritaires, déclinaison des enveloppes
financières régionales, schémas régionaux d'organisation sanitaire, création
des unions régionales de médecins libéraux, des URCAM, des agences régionales
d'hospitalisation. Tous les instruments nécessaires - ou presque - existent
désormais.
En outre, chacun reconnaît la difficulté quasi insurmontable que l'on
rencontre pour définir les « besoins de santé » à l'échelon national. Ce n'est
pas le cas au plan régional, et des propositions ont été émises par le Haut
comité de santé publique en matière d'allocation régionale des ressources.
Enfin le projet de loi permet d'aménager le mécanisme d'incitation à la
cessation d'activité des médecins libéraux et de mettre en place un dispositif
d'aide à la reconversion modulable par région et par spécialité.
Ces dispositions « de bric et de broc » ne peuvent trouver leur cohérence que
si l'on franchit le pas d'une régionalisation du système de santé. C'est à ce
niveau que l'adaptation de l'offre à la demande de soins peut se faire avec une
moindre inertie, sans compter que toute disposition visant à réguler le
système, sanctions comprises - même la CSMF ne l'exclut pas - serait plus
immédiatement efficace au niveau de la région, qui permettrait de tester la
faisabilité et les conséquences de l'inversion de « l'arbre décisionnel » en
partant des travaux des conférences régionales de santé - qui, à l'heure
actuelle, n'ont pas un impact évident sur les priorités retenues - et de tenir
compte des spécificités régionales en matière d'aménagement du territoire.
On peut d'ailleurs considéter que tout système de sanction collective apparaît
d'autant plus injuste qu'il pénalise indéfféremment les médecins des régions
qui respectent les objectifs et les médecins de celles qui les dépassent !
La région facilite l'appréhension des besoins de santé, permet une
responsabilisation effective des acteurs, constitue un niveau d'évaluation
pertinent et permet des expérimentations et des adaptations du système de
santé.
Le Haut Comité de santé publique et la plupart des syndicats médicaux
défendent l'idée de la régionalisation. Pourquoi ne pas tenter le pari, et tout
faire pour qu'il réussisse ?
Toute réforme en profondeur demande du temps - vous l'avez dit à plusieurs
reprises, madame la ministre - et chacun en est conscient. De plus, l'intérêt
général commande que des mesures rapidement efficaces soient prises pour
conforter le système de soins.
On a parlé des gaspillages que l'on impute aux médecins. Ils existent sans
doute, et il faut leur « faire la chasse » - le carnet de santé peut d'ailleurs
en être un des instruments - mais il ne faut pas en grossir les coûts sans en
avoir établi les critères et sans tenir compte d'une évolution « sécuritaire »
de la médecine, constatée par le Conseil d'Etat dans son récent rapport et qui
répond à une exigence croissante de l'opinion dont l'effet le plus inquiétant
consiste dans l'obligation de résultats, qui se substitue désormais de plus en
plus à l'obligation de moyens. Comment définir les gaspillages ?
On a parlé des coûts de gestion excessifs des caisses, dont on fait grief à la
sécurité sociale. Des économies sont possibles, mais leur effet sur l'évolution
des dépenses de santé ne sera sans doute pas spectaculaire.
D'autres gisements d'économies existent, mais sont peu connus et peu
explorés.
J'en citerai deux exemples.
En ce qui concerne l'insuffisance rénale, le coût du traitement était estimé à
8 milliards de francs en 1992 ; il atteint sans doute 10 milliards de francs en
1997, ce qui représente 1 % du bubget de l'assurance maladie pour traiter 3 500
patients, des patients dont on sait que le nombre va continuer d'augmenter.
Si, par des mesures appropriées - que l'Espagne a su développer - le nombre
des transplantations rénales passait, en France, de quinze à vingt par million
d'habitants, le « retour sur investissement » serait de 0,5 milliard de francs
par an dès la cinquième année, et de 1 milliard de francs après une dizaine
d'années.
L'encadrement réglementaire des pratiques de stimulation ovarienne, dont les
indications extensives sont dénoncées par bon nombre de gynécologues
accoucheurs, qui déplorent les conséquences médicales préjudiciables aux
patientes et le coût financier de cette mesure, pourrait aussi être mis en
place. Le coût du seul médicament qui existait en la matière jusqu'à ces
derniers mois était ainsi estimé à 5 milliards de francs. Or la mise sur le
marché de médicaments innovants, dits « recombinants », doublera ce coût, qui
atteindra donc environ 1 milliard de francs par an.
De plus, les deux tiers de ces stimulations ovariennes sont pratiqués pour
traiter des hypofécondités et des stérilités dont certaines sont consécutives à
la prise régulière de contraceptifs, que l'on rembourse. En outre, ces
hyperstimulations risquent de favoriser les grossesses multiples, ce qui
entraîne des choix dramatiques puisque l'on en arrive parfois à envisager une
réduction embryonnaire.
Ces deux exemples, parmi d'autres, montrent que l'intérêt des malades n'est
pas contradictoire avec les préoccupations économiques, comme c'est aussi le
cas de la lutte contre les infections nosocomiales. A cet égard, je vous rends
d'ailleurs hommage, monsieur le secrétaire d'Etat, pour votre action déterminée
en la matière, les pathologies iatrogènes posant le problème, de surcroît, de
la formation continue obligatoire des médecins.
Comment ne pas évoquer, avant de terminer mon propos, le coût de la
non-qualité, puisque selon les spécialités il est estimé aux environs de 10 % à
15 % ?
Voilà, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
des possibilités d'économie sur la mise en oeuvre desquelles chacun de nous
devrait s'accorder.
Au-delà de ces dispositions de court terme, au-delà des résultats optimisés
que permettrait d'obtenir une politique régionale de santé, le renforcement de
la lutte contre les fléaux sociaux s'inscrit dans une politique à long terme.
Il est illusoire - je crois que, sur ce point aussi, nous pourrons être
d'accord - d'opposer, en terme de choix budgétaires, la prévention et la
médecine de soins : les deux sont indispensables, et les deux sont
coûteuses.
Il faut aussi traiter les conséquences dramatiques du tabagisme, problème qui
a été évoqué et qui le sera encore au cours de ce débat.
Tous les pays développés du monde sont confrontés aux mêmes difficultés en
matière de financement des dépenses de santé. Ces difficultés expliquent
d'ailleurs - sans toutefois l'excuser - une certaine indifférence quant à
l'état de santé des trois quarts de l'humanité.
Pour répondre à ces difficultés qui ne sont pas conjoncturelles, liées
qu'elles sont au vieillissement des populations, aux progrès de la médecine et
aux attentes exigeantes de l'opinion, les solutions sont en nombre limité et
portent tantôt sur l'offre, tantôt sur la demande de soins, ou sur les deux à
la fois.
Les constatations que la commission des affaires sociales du Sénat a pu
établir, lors de missions dans différents pays du monde au cours des dernières
années, confirment qu'aucun pays n'a trouvé « la » solution et qu'aucune
solution n'est transposable chez nous.
Le moment n'est-il pas venu de concevoir un système de santé plus performant,
plus proche du citoyen consommateur et du producteur de soins, les rendant l'un
et l'autre plus responsables ?
Ne s'agit-il pas là des caractéristiques de ce changement de culture auquel
vous nous appelez, monsieur le secrétaire d'Etat, pour bâtir un système de
soins moderne à l'aube du XXIe siècle ?
C'est à une telle démarche, difficile mais de plus en plus nécessaire, que le
groupe de l'Union centriste a voulu apporter sa contribution.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et
Indépendants et du RPR, ainsi que sur certaines travées du RDSE et sur quelques
travées socialiste.)
M. le président.
La parole est à M. Fourcade.
M. Jean-Pierre Fourcade.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, l'annonce des principales dispositions contenues dans le
troisième projet de loi de financement de la sécurité sociale a provoqué chez
moi de l'intérêt et un sentiment plutôt favorable : le retour à l'équilibre des
comptes du régime général, l'abandon du plafond de ressources pour les
allocations familiales, la mise en oeuvre d'un fonds de réserve pour les
retraites ainsi que quelques innovations concernant l'aide à domicile ou la
création du fonds d'amélioration de la qualité des soins de ville marquent à la
fois une continuité dans l'effort et un certain pragmatisme dans la démarche
qui ne peuvent laisser indifférent.
M. Emmanuel Hamel.
Nous ne sommes pas indifférents !
M. Jean-Pierre Fourcade.
Mais l'examen plus attentif des articles du projet de loi après leur adoption
par l'Assemblée nationale et l'éclairage qui leur est donné par la commission
des affaires sociales et par la commission des finances me conduisent à
davantage de réserve et à quelques interrogations que je résumerai autour de
cinq points principaux : les carences du texte, la maîtrise des dépenses de
santé, l'avenir des prestations et allocations familiales, le financement des
régimes de retraite et la solidité de l'équilibre recherché pour le régime
général.
S'agissant des carences du texte, je m'étonne, bien sûr, que les longues
études et les multiples rapports publiés depuis l'année dernière ne débouchent
sur aucune proposition solide et sérieuse dans deux domaines essentiels aussi
bien pour la protection sociale des Français que pour la compétitivité de nos
entreprises : il s'agit d'abord de la couverture maladie universelle,
fréquemment évoquée lors du récent débat sur la lutte contre l'exclusion, et
ensuite de l'assiette des cotisations patronales.
Les responsables locaux que nous sommes constatent tous les jours les failles
de notre système d'assurance maladie, soit que nos concitoyens soient mal
informés et mal orientés, soit que la complexité et l'imbrication des minima
sociaux laissent trop de personnes à l'extérieur des régimes.
Je sais bien que la mise en place d'une couverture généralisée bute à la fois
sur la différence des prestations maladie entre le régime général et le régime
des travailleurs non salariés - sur lequel va-t-on s'aligner ? - et, surtout,
sur le délicat problème des assurances complémentaires. Mais je demande
instamment au Gouvernement d'accélérer ses travaux : l'hiver arrive, et il
n'est pas digne d'un pays développé comme le nôtre de continuer à s'en remettre
aux organismes charitables pour combler cette lacune.
L'autre carence, c'est bien évidemment l'absence de toute réforme de
l'assiette des cotisations patronales. Tous les orateurs qui m'ont précédé se
sont interrogés sur l'alignement sur la valeur ajoutée, sur les charges
sociales au niveau des bas salaires, sur le caractère pérenne des divers
systèmes d'incitation à la création d'emplois.
Nous dépensons beaucoup d'argent pour l'ensemble de ces mécanismes, mais il
est clair que la convergence des politiques économiques que les pays engagés
dans la mise en oeuvre de l'euro vont devoir mettre en oeuvre rapidement nous
obligera, d'une part, à prendre des décisions et à nous y tenir, d'autre part,
à évaluer les résultats de chacun de nos mécanismes de diminution ou
d'allégement des charges sociales. Là non plus, on ne peut pas attendre !
Je sais bien, madame la ministre, que votre collègue le ministre de
l'économie, des finances et de l'industrie estime que la réforme de l'assiette
de la taxe professionnelle se présente comme une alternative à l'allégement des
charges sociales frappant les bas salaires.
Je ne vais pas ici, entre nous, ouvrir un débat sur la réforme de la taxe
professionnelle, mais il est clair qu'il n'en est rien : il faudra bien en
venir à réformer en profondeur un système de prélèvements sociaux qui repose
encore à plus de 67 % sur la masse salariale, et il est évident que la mise en
place de la monnaie unique nous obligera à forcer les étapes.
J'en viens, en deuxième lieu, à mon interrogation sur la maîtrise des dépenses
de santé.
Je constate tout d'abord que, pour 1997, l'ONDAM - c'est là un terme barbare
connu des seuls spécialistes - a été à peu près conforme aux prévisions.
Pour 1998, il ne sera sans doute pas respecté. Je ne vous en ferai pas le
grief en prétendant que ce non-respect est dû aux tergiversations du
Gouvernement. Il a, en fait, un certain nombre de causes, parmi lesquelles
l'absence de continuité.
Pour 1999, l'objectif proposé marque une progression de 2,6 %, ce qui dénote
un léger desserrement des contrainte, car vous êtes bien obligée de tenir
compte de l'accord signé par M. Zuccarelli pour les trois fonctions publiques,
accord très coûteux pour le système hospitalier comme pour les collectivités
locales.
Excepté la création d'un fonds d'aide à la qualité des soins de ville, dont je
suis heureux de vous féliciter, tant il est important, à mes yeux, d'essayer
d'améliorer le système, et notamment de susciter la mise en réseau d'un certain
nombre de médecins, les instruments de maîtrise comptable que vous proposez ne
me semblent pas efficaces, d'autant que le projet de loi est relativement muet
sur la réforme hospitalière.
En matière de réforme hospitalière - je parle avec mon expérience de président
du conseil de surveillance d'un établissement hospitalier d'Ile-de-France - les
méthodes suivies risquent d'asphyxier les établissements dont l'activité se
développe pour maintenir les établissements dont l'activité stagne ou
recule.
Ce risque est très grand parce qu'on va ainsi décourager les établissement
hospitaliers qui améliorent leur productivité. Le projet de loi aurait pu être
un peu plus précis sur ce point.
Dans quelques années, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, je
souhaite que l'on décline l'ONDAM par région dans le projet de loi, de manière
que la péréquation soit transparente et connue de tous.
Il faut un lien entre le développement de l'activité d'un établissement
hospitalier et son objectif de croissance. Le système actuel est trop global
et, comme l'a dit mon excellent collègue M. Huriet, trop centralisé pour être
efficace.
Quant aux instruments de maîtrise comptable que vous proposez concernant les
médecins de ville et les médicaments, je crains qu'ils ne signifient la fin de
la politique conventionnelle. Dans ce domaine, il y a plutôt recentralisation
que déconcentration.
J'ai soutenu le plan Juppé, car j'estime que l'on ne peut pas préserver les
caractéristiques essentielles de notre système d'assurance maladie en laissant
dériver les dépenses de santé n'importe comment. Je suis donc partisan d'une
maîtrise médicalisée.
M. Huriet a proposé quelques orientations que j'approuve, fondées sur la
régionalisation, la décentralisation et le développement de la pratique
conventionnelle.
La commission, quant à elle, a déposé sur l'article 21 un amendement qui
modifie le texte gouvernemental.
Je suis persuadé que c'est entre ces types de solutions qu'il faudra choisir.
Je serai très attentif à la position que retiendra le Gouvernement au moment de
la discussion dudit article.
En troisième lieu, je veux faire état de mon inquiétude pour l'avenir de notre
système d'allocations familiales.
Après avoir confirmé mon accord - je l'ai dit en préalable - à la suppression
malencontreuse du plafonnement des allocations familiales - ah ! si vous nous
aviez écoutés l'année dernière, madame la ministre ! - je suis inquiet du
traitement que le projet de loi fait subir à la branche famille.
Mon excellent ami Jacques Machet a fait état de la revalorisation de 0,7 % des
prestations et des allocations. Celle-ci est quelque peu atténuée par le
décalage d'un an des majorations pour âge.
En outre, il faut savoir que le niveau de vie de nombreuses familles sera
réduit du fait du plafonnement du quotient familial, qui s'ajoute, cette année,
aux mesures intéressant l'AGED et la déduction fiscale pour le travail à
domicile, autant de mesures qui ont perturbé nombre de ménages en 1998.
M. Emmanuel Hamel.
C'est vrai !
M. Jean-Pierre Fourcade.
Les discours concernant la politique familiale donnent l'impression que les
seules économies que l'on peut faire dans notre régime de sécurité sociale
concernent la branche famille.
M. Emmanuel Hamel.
Hélas !
M. Jean-Pierre Fourcade.
C'est une piste qu'il ne faut pas trop retenir.
Actuellement, à l'Assemblée nationale, on discute du PACS, qui concerne les
couples et non pas la famille, car telle est bien la distinction fondamentale,
mes chers collègues : il y a d'un côté ceux qui défendent la famille comme
cellule de base de la société et, de l'autre, ceux qui défendent le couple
comme facteur d'épanouissement individuel. Ce sont deux logiques opposées qui
sont difficilement conciliables.
Mais ce que je constate, c'est qu'à l'Assemblée nationale semblent exister
quelques réserves pour financer ledit PACS et, dès lors, le présent projet et
les discours qui l'accompagnent sur la politique familiale ne me paraissent pas
opportuns.
Comme, en outre, j'ai lu - je ne sais plus si c'est dansl'excellent rapport de
la commission ou dans le texte lui-même - que, à terme, les excédents de la
sécurité sociale - sans précision supplémentaire ! - seront affectés au fonds
de réserve des retraites, je me demande si l'idée sous-jacente n'est pas, en
laissant apparaître quelques excédents au niveau de la branche famille,
d'opérer, dans deux ou trois ans, un basculement vers le système de l'assurance
vieillesse ou vers celui de l'assurance maladie.
On l'a déjà fait à plusieurs reprises. C'est, hélas ! Michel Debré qui fut le
premier à procéder au transfert de points entre le régime des familles et le
régime maladie. Par conséquent, tout le monde, dans cette affaire, est
fautif.
Je demande donc aux membres du Gouvernement que vous êtes, madame la ministre,
monsieur le secrétaire d'Etat, de rassurer les familles et d'annoncer que la
branche famille n'est pas la seule à devoir faire des économies, que toutes les
autres sont également concernées. Il faut préciser vos intentions à cet
égard.
M. Emmanuel Hamel.
Très bien !
M. Jean-Pierre Fourcade.
J'en arrive, en quatrième lieu, au financement des régimes de retraite.
Nous savons tous que le régime général et les régimes spéciaux - je ne parle
pas, pour l'instant, des régimes complémentaires - souffrent d'un déficit
structurel qui ne fera que s'aggraver du fait du vieillissement de la
population et de l'évidente détérioration du rapport entre les actifs et les
retraités.
L'opacité du système français - on l'a bien vu lors des grandes grèves de 1995
- porte aussi bien sur les prestations servies par les différents régimes, qui
ne sont pas du tout égales selon que l'on relève du régime spécial de la SNCF,
de celui de la RATP, de celui de la CANCAVA ou celui de l'ORGANIC, que sur les
relations financières compliquées entre l'Etat, le régime général et les
régimes spéciaux.
Au Sénat - M. Domeizel en parlera sans doute tout à l'heure - tout le monde
sait le pillage qu'a subi la CNRACL et la complexité des mécanismes de
compensation et de surcompensation. Autant la compensation est obligatoire du
fait de la multiplicité des régimes de base, autant la surcompensation est une
astuce pour ponctionner les régimes riches ou ceux qui ont des excédents afin
de financer les autres. Malheureusement, le pompage a toujours une fin, et la
fin, c'est quand il n'y a plus de ressources !
Aussi, je ne comprends pas l'obstination du Gouvernement à ne pas vouloir
compléter le système de répartition par des fonds de pension fondés sur la
capitalisation.
La loi Thomas, vous avez annoncé que vous la supprimeriez. En fait, madame la
ministre, il aurait suffi de deux amendements très simples que votre majorité
aurait pu adopter très rapidement, pour qu'elle s'applique dès 1997.
Il fallait, d'une part, réduire la possibilité de prélèvement par les
employeurs sur la marge laissée disponible en matière de financement de la
sécurité sociale, car nous sommes sans doute allés trop loin. Il convenait,
d'autre part, de supprimer la disposition prévoyant que le chef d'entreprise
pouvait décider seul de la création d'un fonds de pension, sans l'accord des
délégués du personnel.
Pour le reste, les méthodes de collecte, de gestion, l'utilisation, la sortie
en rentes, notamment, la loi était parfaitement équilibrée. Il suffisait de
faire adopter très rapidement ces deux amendements pour que nous ayons des
fonds de pension.
Et quand les élus locaux que nous sommes constatent que les salariés français,
aujourd'hui, alimentent par leur cotisation les fonds de pension américains,
britanniques, ou suisses - les fonds de pensions suisses, on ne le sait guère,
sont ceux qui, à l'heure actuelle, collectent le plus l'épargne - ils ne
peuvent écarter l'idée que votre obstination est dangereuse.
Heureusement, M. Boulard vient d'écrire dans
Le Monde
d'aujourd'hui
qu'il était favorable aux fonds de pension ! J'espère que c'est l'annonce d'une
éclaircie. Il n'empêche qu'il s'est écoulé deux ans et, compte tenu du coût de
l'opération et du risque d'explosion de nos régimes de retraite, c'est beaucoup
de temps perdu.
Nous ne pouvons pas - je le dis avec la plus grande solennité - faire peser
sur les générations qui nous suivent la perspective d'une augmentation
indéfinie des cotisations et des prélèvements fiscaux pour maintenir un système
de retraites qui risque d'exploser dans une dizaine d'années. Les jeunes
générations n'accepterons pas de cotiser à des niveaux insupportables pour
garantir les retraites de leurs aînés.
La création du fonds de réserve est une réponse intelligente. D'ailleurs, les
Américains ont inventé ce système depuis longtemps. Cependant, aux Etats-Unis -
nous y sommes allés voir, voilà quelques années - le fonds de réserve est très
important et, bien entendu, il est fondé sur la capitalisation.
En fait, il faudrait avoir le courage d'affecter au fonds de réserve des
recettes supplémentaires tirées de la bonne conjoncture économique actuelle.
Si mes calculs sont exacts - je parle sous le contrôle de M. Delaneau - en
trois ans, 1997, 1998 et de façon prévisionnelle, 1999, le Gouvernement a
décidé 157,5 milliards de prélèvements supplémentaires pour réduire le déficit
du régime général et faire face aux augmentations de dépenses, qui se sont
élevées à 104 milliards de francs. Une politique prudente, de mon point de vue,
aurait dû conduire à affecter au fonds de réserve au moins 10 % de ces
ressources supplémentaires et à réduire les dépenses d'autant.
Ainsi, le fonds de réserve aurait déjà une quinzaine de milliards de francs de
ressources et il pourrait commencer à fonctionner dans de bonnes conditions.
En dernier lieu, je veux souligner le caractère quelque peu fragile de
l'équilibre envisagé pour 1999 et, surtout, pour les années suivantes.
Outre le problème des retraites, deux éléments fragilisent la perspective.
D'abord, l'incertitude qui pèse sur la croissance économique, sachant qu'un
point de croissance de la masse salariale représente 9 milliards de francs de
recettes pour le régime général. Un demi-point ou un point de croissance en
moins, c'est donc un manque difficile à rattraper.
Je ne traiterai pas du taux de croissance pour 1999, car là n'est pas, à mon
sens, le vrai débat. Le vrai débat - nous l'aurons lors de la discussion du
projet de budget - c'est de savoir si l'impact sur l'économie française et sur
l'économie européenne de la crise asiatique, de la crise d'Amérique du Sud et
des difficultés russes ne va pas réduire le taux de croissance des années 2000
et 2001 à un chiffre inférieur à 2 %, ce qui nous poserait alors des problèmes
d'équilibre du budget de l'Etat et de celui de la sécurité sociale très
difficiles à résoudre. Je suis donc beaucoup plus inquiet pour 2000 et 2001 que
pour 1999.
Toutefois, cette incertitude sur la croissance renforce la nécessité de
maîtriser les dépenses et d'effectuer rapidement les réformes de structure qui
s'imposent.
Le deuxième élément de fragilisation - M. Oudin l'a signalé tout à l'heure -
c'est le passage laborieux - mais le passage tout de même ! - à la comptabilité
en droits constatés.
A bien considérer les chiffres et en essayant d'interpréter les rapports des
commissions ou de la Cour des comptes, on s'aperçoit que l'année où aura lieu
le basculement de la comptabilité des encaissements à la comptabilité en droits
constatés on réduira le déficit.
Dans le rapport de la commission figure d'ailleurs un tableau qui montre bien
que l'année où l'on procédera au basculement on gagnera quelques milliards de
francs. Mais le problème, c'est que cela ne marche qu'une fois et que, lorsque
nous serons passés de la comptabilité des encaissements-décaissements à la
comptabilité en droits constatés, les causes structurelles du déficit
réapparaîtront. Autant nous pourrons, en l'an 2000, garantir un certain
équilibre, puisque 4, 5, 6, voire 10 milliards de francs seront économisés -
mais ce ne sera que de la trésorerie -, autant à partir de l'an 2001 nous
verrons réapparaître un problème difficile d'équilibre qui rendra encore plus
urgentes les mesures de redressement, si elles n'ont pas été prises
jusqu'alors.
Monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, au terme de ces
observations, le sentiment favorable du début de mon intervention est quelque
peu effacé. Certes, nous n'en sommes qu'à la troisième loi de financement de la
sécurité sociale et il faudra encore du temps, de l'obstination et du courage
politique pour équilibrer durablement nos comptes sociaux. Il demeure,
cependant, qu'il apparaît de plus en plus artificiel de séparer la perspective
budgétaire de l'Etat de celle de la sécurité sociale, et qu'il faudra le plus
rapidement possible, comme je l'ai demandé en juin dernier, organiser au
Parlement un débat d'ensemble portant sur tous les prélèvements
obligatoires...
M. Alain Vasselle,
rapporteur.
Très bien !
M. Jean-Pierre Fourcade.
... de l'Etat, de la sécurité sociale, des collectivités locales, et de
l'Europe - ce sont les quatre prélèvements que subissent nos concitoyens - et
traçant les grandes orientations de notre politique économique et sociale.
Il est en effet contradictoire, monsieur le secrétaire d'Etat, de se lancer de
manière assez globale dans une réduction de la durée du travail impliquant une
certaine réduction de la croissance de la masse salariale, et de fonder la
perspective d'équilibre de nos régimes sociaux sur une augmentation sensible de
cette masse salariale. Il faut choisir : ou bien on croit à la réduction
effective de la durée du travail et par conséquent à une certaine modération
salariale ; ou bien on n'y croit pas et, à ce moment-là, on croit au retour à
l'équilibre des régimes sociaux. Mais il est difficile, en termes
macro-économiques, de croire aux deux à la fois, et c'est un peu le reproche
que je vous fais.
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat.
Il y aura des créations d'emplois !
M. Jean-Pierre Fourcade.
Par ailleurs, le pacte de stabilité lié à la mise en oeuvre de la monnaie
unique européenne, qui interviendra dès le mois de janvier prochain, nous y
contraindra assez vite.
M. Emmanuel Hamel.
Encore des contraintes !
M. Jean-Pierre Fourcade.
Nous n'avons plus le temps de rédiger des rapports, de cogiter, de nous
interroger sur le point de savoir s'il faut modifier nos mécanismes de
financement. Nous y serons contraints. Pour préserver la souveraineté nationale
à laquelle M. Hamel tient tellement, mieux vaut décider nous-mêmes des réformes
de structure à engager plutôt que de les faire à la va-vite, dans un an ou
deux, lorsque nous y serons contraints.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
par-delà le vote positif ou négatif du projet de loi en discussion - et le vote
de la majorité du groupe du Rassemblement démocratique et social européen
dépendra largement du sort que vous réserverez, monsieur le secrétaire d'Etat,
aux principaux amendements des commissions - par-delà ce vote donc, c'est de
l'avenir de la protection sociale de tous les Français que dont nous débattons.
Il faut que nous soyons pragmatiques, que nous nous efforcions de préserver
l'acquis fondamental que représente notre système de protection sociale. Nous
devons essayer ensemble de construire l'avenir.
(Applaudissements sur les
travées du RDSE, du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union
centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Gérard Larcher.
M. Gérard Larcher.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je
m'adresse à vous aujourd'hui en qualité de parlementaire soucieux de participer
au débat national instauré par les ordonnances de 1996 sur les dépenses de
santé, et ce enrichi, à l'instar de Jean-Pierre Fourcade, de mon expérience de
maire et président du conseil d'administration d'un établissement public de
santé en charge sanitaire d'une population et de la continuité des soins
administrés. Exercer le mandat de maire est donc bien fort utile pour éclairer
la décision du parlementaire !
M. Jean Delaneau,
rapporteur.
C'est bien vrai !
M. Gérard Larcher.
L'hospitalisation publique est la garantie de l'accessibilité du service
public hospitalier à tout citoyen, en quelque point du territoire qu'il se
situe. Elle a une place essentielle aux côtés de la pratique libérale.
Le débat d'aujourd'hui concerne au premier chef l'hôpital public, ordonnateur
principal des dépenses de l'assurance maladie, avec près de 233 milliards de
francs sur les 600 milliards de francs dont nous avons à discuter ici.
L'hôpital public, c'est aussi plus de 730 000 salariés, 90 000 médecins.
Permettez-moi d'abord de rappeler quelques chiffres extraits d'un sondage
récent effectué sur les Franciliens concernant le regard qu'ils portent sur
l'hôpital : 78 % d'entre eux se disent très satisfaits ou assez satisfaits de
la qualité des soins dans les hôpitaux et les cliniques de France ; 90 %
d'entre eux se disent assez satisfaits ou très satisfaits de la compétence des
infirmières, 89 % de la proximité des hôpitaux, 88 % de la qualité des soins,
86 % de la compétence des médecins. Dans une analyse récente sur la région
Bourgogne, nous retrouvons les mêmes chiffres. C'est dire l'attachement des
Français à leur hôpital public ou clinique privée.
Les hospitaliers publics, qu'ils soient administrateurs, gestionnaires,
médecins ou infirmières, entendent naturellement utiliser les montants
financiers alloués avec rationalité, transparence et efficacité, mais surtout
avec un sens des responsabilités qui les conduit, au quotidien, à intégrer les
enjeux nationaux en référence de leur action. Pourtant, ils souhaitent plus ;
ils veulent que soient pris en compte les grands efforts d'adaptation, de
restructuration et de maîtrise que la plupart d'entre eux ont promus,
conduisent et qu'ils mèneront à bien.
En effet, l'hôpital public bouge quoi qu'en disent certains.
Par exemple, pour la seule région d'Ile-de-France, sur les soixante
restructurations en cours, quarante-deux concernent des hôpitaux publics.
Oui, l'hôpital évolue même s'il n'est pas facile de faire évoluer des
institutions aussi complexes qui représentent souvent les plus gros employeurs
de nos villes et qui sont fortement marquées par une culture médicale - Claude
Huriet l'a dit tout à l'heure avec talent - reposant sur l'indépendance
professionnelle et sur l'indépendance même des professionnels de santé.
Des coopérations se tissent, des réseaux, voire des fusions, se mettent en
place entre hôpitaux publics et entre établissements publics et privés, en
dépit des réticences et des lourdeurs du système. Je suis certain que ce
phénomène va encore s'amplifier.
Les Canadiens qui, en matière de recomposition du paysage hospitalier,
demeurent des pionniers, disent que, pour bien réussir les restructurations et
les regroupements, il faut que convergent en cohérence quatre systèmes : le
système de gestion, le système de financement, le système clinique et le
système d'information.
Eh bien, en France, cette cohérence fait encore défaut.
C'est pourquoi, si les pouvoirs publics doivent inviter clairement des
établissements à aller dans le sens d'un nouvel équilibre hospitalier public -
et je partage cette volonté - ils ont aussi le devoir essentiel de les y aider
en rendant réellement opérationnels les outils qu'ils ont mis en place à cet
effet et qui,
a priori
, sont de bons outils.
Le fonds d'investissement pour la modernisation des hôpitaux, le FIMHO, devra,
me semble-t-il, être davantage doté. Surtout, nous observons avec quelle
lenteur le ministère attribue les crédits. Il nous faudra, monsieur le
secrétaire d'Etat, réfléchir à la mise en place d'une déconcentration, au moins
partielle, pour obtenir plus de souplesse et plus de rapidité.
En ce qui concerne le fonds d'accompagnement social pour la modernisation des
établissements de santé, le FASMHO, dont le décret d'organisation vient juste
de paraître, nous espérons qu'il connaîtra un large développement en 1999 et
nous souhaiterions connaître les intentions du Gouvernement sur ce sujet. Que
sont d'ailleurs devenus les crédits correspondants qui figuraient dans l'ONDAM
de l'année qui s'achève ? Nous espérons qu'ils ne serviront pas à éponger
certains dérapages !
L'hôpital bouge aussi en s'adaptant aux grandes évolutions de notre société
dont il est l'un des plus fidèles miroirs. Il a su maintenir, voire accroître,
sa mission sociale auprès des plus démunis, des exclus. A l'hôpital public, on
soigne d'abord, on vérifie la solvabilité ensuite ! Tous les chiffres le
prouvent, ne serait-ce que ceux des admissions dans les services d'accueil et
d'urgence qui ne cessent de progresser, montrant que, à tout moment et pour
toute détresse, l'hôpital public répond « présent » quand bien d'autres ont
déjà fermé leurs portes.
Quoi qu'on en dise, l'hôpital public a tenu ses engagements budgétaires en
1997 et les tiendra en 1998.
L'hôpital public assume cet exercice difficile en dépit d'un taux de
progression de crédits qui, en 1998, a permis à peine de reconduire l'existant
et n'a pas permis de financer totalement les mesures réglementaires
nouvelles.
Pourtant, l'hôpital public s'applique à cet exercice rendu souvent douloureux
par l'absence des allocations financières.
Je pense par exemple à la réglementation sur le traitement des déchets
sanitaires, à la matériovigilance, à la sécurité incendie, à la maintenance des
équipements biomédicaux, à la médicalisation des SMUR, aux transports
héliportés. Je pense également aux nouveaux traitements aux malades du sida,
aux nouvelles indications de produits sanguins de leucotytés. Je pense enfin
aux efforts salariaux tels que la résorption de l'emploi précaire ou
l'indemnité compensatrice des bas salaires liés au SMIC, toutes mesures dont
l'impact est supérieur à 1 %.
Et je ne parle pas, monsieur le secrétaire d'Etat, de l'application future des
trente-cinq heures, pour laquelle je souhaite une expérimentation préalable
dans un certain nombre d'établissements avant toute application généralisée à
l'hôpital public, à moins d'affecter quelques milliards de francs
supplémentaires au budget des personnels hospitaliers. Le Gouvernement se doit
de prendre ses responsabilités lorsqu'il édicte des normes destinées à assurer
la sécurité des patients, sécurité à la naissance, réanimation, anesthésie...
J'en soutiens totalement le bien-fondé, mais la déclinaison financière de ces
principes de sécurité est impérative en tant qu'accompagnement véritable des
choix majeurs d'une politique de santé. A ce sujet, il me paraîtrait
intéressant de créer un fonds spécial, hors taux directeur, destiné à assurer
le complément de financement des préconisations par les pouvoirs publics en
matière de sécurité.
Comme je le disais, l'hôpital a été exemplaire en respectant - les chiffres
communiqués par la CNAM le prouvent - la dotation globale qui lui a été fixée.
Aussi s'explique-t-il mal le choix fait par le Gouvernement qui paraît tendre,
optiquement au moins, à privilégier les cliniques privées en leur accordant un
taux de progression de 2,52 %, hors honoraires médicaux, quand il n'est que de
2,50 % à son égard ! De même, il s'interroge sur un taux de progression de
l'ONDAM fixé à 2,60 %, qui ne lui revient en réel que pour 2,50 %. Le
différentiel non affecté ne doit pas servir à compenser d'éventuels dérapages.
L'hôpital public ne comprendrait pas, alors qu'il est doté d'un taux de
progression ne lui permettant pas d'assumer les mesures nouvelles, que d'autres
acteurs puissent être les bénéficiaires d'une opération de rigueur conduite à
son détriment. Là-dessus, monsieur le secrétaire d'Etat, pouvez-vous m'éclairer
et me préciser s'il s'agit d'un simple problème d'optique ?
L'hôpital public est prêt à engager, il en a déjà signé, des accords
publics-privés. Cela me paraît souhaitable, mais les hospitaliers attendent, au
nom des principes de démocratie sanitaire énoncés par Mme le ministre en début
d'année, l'égalité de contrainte entre établissements privés et hôpitaux
publics en matière de financement, notamment par la mise en oeuvre rapide de
l'objectif quantifié par région, qui, seul, permet un décompte équitable des
deniers versés par l'assurance maladie aux uns et aux autres.
Bien que Francilien, comme pour la politique d'aménagement et de développement
du territoire, je soutiens que la politique de redistribution des crédits entre
régions et entre établissements d'une même région doit être poursuivie. Elle a
pour objet d'assurer et de pérenniser l'assurance donnée aux citoyens les moins
bien lotis en matière d'offre de soins hospitalière de trouver une structure de
qualité à laquelle ils peuvent légitimement prétendre dans des conditions
d'équivalence avérée.
Mais cette politique de justice sanitaire ne peut être menée à l'aveugle, en «
étranglant » sans nuances tous les établissements comme cela a été le cas,
notamment en Ile-de-France, en 1997 puis en 1998. Pour 1999, je souhaiterais
savoir si une certaine modulation sera proposée.
Le Gouvernement a l'obligation de veiller à ne pas mettre certains hôpitaux
dans des situations impossibles. Le niveau d'équipement, l'emploi et
l'entretien seraient en effet gravement menacés alors que ces hôpitaux
remplissent fidèlement une mission, d'autant plus importante qu'elle s'exerce
dans des zones de forte urbanisation, qui engendrent exclusions, violences et
pauvreté. Leurs activités ne cessent d'ailleurs d'augmenter, M. Fourcade l'a
rappelé tout à l'heure. Il en va de même pour toutes les zones sanitaires
rendues fragiles par des environnements défavorables liées à la surdensité
ainsi qu'au dépeuplement de la population et au vieillissement engendrant une
augmentation des charges.
La mise en place des agences régionales de l'hospitalisation constitue une
bonne réforme que le Gouvernement doit soutenir.
Je suis favorable, dans un souci d'efficacité et de conhérence de l'action
publique, à ce que leurs compétences soient progressivement étendues au champ
médico-social et à l'ensemble du champ sanitaire, en application du principe de
fongibilité des crédits. Mais cette innovation dans la gestion de
l'organisation sanitaire ne pourra échapper au plan institutionnel régional, à
une concertation élargie ainsi que, en parallèle, à des consultations
nationales en matière budgétaire.
A cet égard, il s'avère indispensable, pour l'homogénéité des politiques
publiques, que les schémas régionaux d'organisation sanitaires et sociaux de
deuxième génération soient soumis pour avis à l'examen des conseils régionaux,
même s'ils ne relèvent pas leur attribution décisionnelle. Il est en effet
impératif que les élus territoriaux s'impliquent dans une planification dont
les effets seront perceptibles au quotidien pour leurs concitoyens.
Les responsabilités du Gouvernement se déclinent aussi dans le domaine de la
démographie médicale afin d'éviter les pénuries prévues en praticiens
hospitaliers dans certaines disciplines, l'anesthésie et la pédiatrie par
exemple. Ce problème concerne certes le futur, mais il se pose déjà dans un
certain nombre de régions.
Monsieur le secrétaire d'Etat, il va de l'avenir et de la pérennité du service
public dans certaines régions. Il convient, en conséquence, d'adapter, dans les
meilleurs délais, les règles de gestion, voire le statut des praticiens
hospitaliers, et d'accepter de rémunérer différemment des praticiens qui sont
dans des situations différentes.
Là aussi, le principe d'égalité conduit à ne pas traiter de manière identique
des individus, des professionnels qui exercent de façon différenciée une
médecine à contraintes variables. Qu'envisagez-vous de faire à cet égard,
monsieur le secrétaire d'Etat ?
Je voudrais enfin évoquer un sujet qui préoccupe nombre de nos concitoyens et
qui soulève bien des problèmes dans les établissements hospitaliers, je veux
parler des personnes âgées et de leur famille.
Les textes actuellement en préparation sur la tarification des structures et
la dépendance inquiètent les gestionnaires d'établissements. Fondée sur la
prestation sociale dépendance, la réforme va consacrer les discriminations
territoriales que nous constatons déjà. Je demande donc au Gouvernement de
prendre les mesures nécessaires pour garantir un traitement le moins inégal
possible, et pour tous.
Mon inquiétude porte aussi sur la complexité du nouveau dispositif financier
qui conduira certaines familles à subir une hausse importante des frais de
soins mis à leur charge, sans même pouvoir en comprendre le mécanisme, si
légitime pourrait-il être !
Sur ce sujet, je demande au ministère de l'emploi et de la solidarité d'ouvrir
de nouvelles concertations afin que la réforme attendue soit à la hauteur des
enjeux pour le secteur médico-social. Il va du respect que nous devons à nos
générations précédentes.
Monsieur le secrétaire d'Etat, le service public hospitalier me paraît d'abord
vouloir être constructif. Critique, il l'est parfois, notamment par la voix de
ceux qui le représentent, car rien, ni dans ses performances, ni dans ses
capacités à respecter l'enveloppe impartie, ne lui permet de comprendre un sort
qui serait plus favorable à d'autres qu'à lui. Mais l'hôpital souhaite aussi
être positif.
Pour ma part, j'attends du Gouvernement qu'il affiche clairement ses
intentions afin que l'hôpital, qui sait évoluer, poursuive sa mutation, dans
l'intérêt du pays et en toute connaissance de la politique décidée par le
Gouvernement et par le Parlement.
Pour partager les inquiétudes et les projets d'une communauté hospitalière
publique que M. Claude Huriet connaît bien, je peux vous assurer que
l'hospitalisation publique n'est pas un bunker corporatiste replié sur
lui-même. Bien sûr, il y a des peurs, des résistances et, parfois, elles
viennent des élus eux-mêmes, toutes sensiblités confondues, qui ne tiennent pas
le même discours à Paris que chez eux.
(M. le secrétaire d'Etat s'exclame.)
M. Alain Vasselle,
rapporteur.
Ils ne sont pas les seuls !
M. Gérard Larcher.
L'hôpital public est prêt, chaque jour davantage, aux partenariats de toute
nature.
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat.
Merci de cette sincérité, monsieur Larcher.
M. Gérard Larcher.
Mais c'est mon style, même quand cela heurte.
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat.
Même quand c'est votre style, je vous en remercie.
M. Gérard Larcher.
L'hôpital sait aussi qu'il doit participer - je m'adresse là au président de
la commission des affaires sociales - à la maîtrise des dépenses de santé. Il
sait qu'il doit donner la priorité à la qualité. Or, l'évaluation-accréditation
lui permettra d'atteindre demain cet objectif de qualité, tout en respectant
l'équilibre sur le territoire.
Monsieur le secrétaire d'Etat, récemment dans cette enceinte, vous avez fort
bien évoqué le problème de la qualité des soins et de la proximité des
établissements.
Sachez que l'hôpital public entend être un service public performant pour les
malades. En tant que médecins, n'oublions pas à quoi nous sommes destinés et
quelle est notre vocation.
Mais l'hôpital public se doit aussi d'être performant pour les progrès de la
médecine française. Sur ce point, il nous faut donc nous méfier de
l'étranglement d'un certain nombre de structures qui jouent un rôle essentiel
dans l'innovation !
N'oublions pas que la seule Ile-de-France, c'est 50 % des publications
médicales, que deux essais thérapeutiques sur trois ont lieu dans les grands
établissements. L'asphyxie de ces hôpitaux serait une perte pour l'ensemble de
la médecine française.
Monsieur le secrétaire d'Etat, depuis dix mois que je découvre les hommes, les
femmes, les projets et l'éthique de l'hôpital public, je veux dire tout
simplement que, malgré les imperfections inhérentes à toute construction
humaine, le service public hospitalier français est l'une des grandes réussites
de la Ve République !
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de
l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, les
travaux du Commissariat général du Plan, dirigés par M. Jean-Michel Charpin et
destinés, à la demande de M. le Premier ministre, à une « remise à plat » du
dossier des retraites mettent enfin à mal deux idées reçues qui ont la vie
dure.
Selon la première, les retraités seraient plus prospères que les actifs. La
vérité est tout autre : la grande majorité des ménages de retraités ont un
niveau de vie plus faible que celui des actifs. C'est une évidence ; était-il
besoin de la rappeler ?
La seconde idée préconçue concerne les avantages exceptionnels que
conféreraient les régimes spéciaux à leurs bénéficiaires. Là encore, les
travaux du Commissariat général du Plan démontrent le caractère excessif d'un
tel postulat.
De grâce, cessons une bonne fois pour toutes de faire passer les retraités
pour des nantis !
Mon présent propos se veut résolument tourné vers les progrès qui restent à
faire, les mesures qu'il conviendrait de prendre pour l'avenir de notre système
de retraite à la française et l'amélioration des conditions de vie des
retraités.
Leur mouvement du 22 octobre a, par la dignité des manifestants, une fois de
plus mis en exergue la légitimité de leurs revendications.
On ne peut que se féliciter des quelques avancées que comporte le projet de
loi de financement de la sécurité sociale, à savoir le relèvement de 2 % du
minimum vieillesse, le relèvement de 1,2 % des pensions de vieillesse, le
relèvement de 2 % des pensions de réversion pour les veuves, et la promesse de
l'abrogation de la loi Thomas du 25 mars 1997 créant les fonds de pension.
N'oublions pas cependant que les retraités ont perdu près de 10 % de leur
pouvoir d'achat en une décennie. N'oublions pas qu'ils doivent également faire
face, de plus en plus souvent, à une nouvelle solidarité, une solidarité
intergénérations : nos anciens aident aujourd'hui bien souvent leurs enfants en
difficultés, voire leurs petits-enfants.
Ils attendaient du Gouvernement un geste qui témoignerait réellement de la
prise en compte de leurs difficultés. Ce geste attendu était le retour à
l'indexation des retraites sur les salaires et non plus sur les prix. Leur
déception est aujourd'hui à la mesure de leurs espoirs.
Pour assurer l'équilibre futur des régimes de retraite par répartition,
problème qu'il est « urgentissime » d'étudier, on ne peut faire jouer que trois
variables : le montant des cotisations, celui des pensions et l'âge de départ à
la retraite.
On a déjà réduit à plusieurs reprises le pouvoir d'achat des retraités par
l'alourdissement de la CSG, la réduction du plafond de l'abattement de 10 %,
l'assujettissement à la contribution pour le remboursement de la dette sociale,
l'instauration du supplément de loyer de solidarité...
Peut-on encore imaginer de faire payer une surcotisation aux salariés, alors
que le niveau des prélèvements est déjà trop élevé ? Non.
M. Alain Vasselle,
rapporteur.
Certes !
M. Guy Fischer.
On a déjà allongé de cent cinquante à cent soixante trimestres la durée des
cotisations ouvrant droit à une retraite au taux plein et fondé le calcul des
pensions versées sur les vingt-cinq dernières années, au lieu des dix
meilleures précédemment. Cette mesure a été prise par le gouvernement Balladur,
en 1993.
M. Alain Vasselle,
rapporteur.
Oui.
M. Guy Fischer.
Faudrait-il aujourd'hui, comme le suggère le président de la CNAVTS, entendu
par notre commission des affaires sociales, envisager de repousser l'âge de la
retraite ?
Doit-on imaginer pour bientôt une retraite à soixante-cinq, voire à
soixante-dix ans, avec les conséquences que l'on peut imaginer sur le chômage
des jeunes, et ce d'autant plus que le chômage exclut déjà les travailleurs de
cinquante ans ? Non.
Mme Hélène Luc.
Ce serait un comble !
M. Guy Fischer.
Est-il acceptable d'envisager un nivellement par le bas, en supprimant les
quelques avantages, parfois chèrement acquis, conférés par les régimes
particuliers ? Non.
Est-il humain, enfin, de laisser les régimes agricoles conserver le triste
record des retraites les plus faibles de France ? Certainement pas !
M. Alain Vasselle,
rapporteur.
C'est exact !
M. Guy Fischer.
Les commerçants et les artisans sont parfois dans la même situation que les
agriculteurs.
M. Alain Vasselle,
rapporteur.
Tout à fait !
M. Guy Fischer.
Les retraités français sont profondément et légitimement attachés à notre
régime de retraite par répartition.
M. Alain Vasselle,
rapporteur.
Les veuves aussi !
M. Guy Fischer.
Tout aussi légitimes sont leurs préoccupations face à la création du fonds de
réserves et au projet gouvernemental de mise en place d'un système
d'épargne-retraite.
Créé au sein du fonds de solidarité vieillesse, le fonds de réserves
financières est destiné à soutenir les régimes de retraite par répartition à
partir de 2005. Il sera doté, dans un premier temps, de 2 milliards de
francs.
Quel sera son mode d'abondement ? On évoque, de sources officielles, les fonds
sociaux des caisses d'épargne, voire d'autres. Comment ce fonds sera-t-il géré
? Sera-t-il doté d'un conseil de surveillance, ce qui donnerait un droit de
regard aux parlementaires et aux représentants des associations représentatives
des retraités, des partenaires sociaux ?
Enfin, pourquoi a-t-on, semble-t-il hâtivement, introduit l'article créant ce
fonds de réserves, alors même que le Commissariat général du Plan, chargé par
le Gouvernement d'une réflexion approfondie sur notre système de retraites, n'a
pas encore rendu ses conclusions ?
M. Alain Vasselle,
rapporteur.
Vous êtes excellent, monsieur Fischer !
M. Guy Fischer.
Le Gouvernement s'engage, par ailleurs, à présenter prochainement un projet de
loi de mise en place d'une épargne-retraite à long terme. Il s'agirait de «
fonds partenariaux de retraite » que le Gouvernement oppose aux fonds de
pension définis par feue la loi Thomas.
M. Alain Vasselle,
rapporteur.
Blanc bonnet, bonnet blanc !
M. Guy Fischer.
On est également fondé à s'interroger sur la finalité de ce dispositif.
S'agira-t-il exclusivement de conforter le régime de retraites par répartition
ou, par la même occasion, comme le souligne notre collègue Jérôme Cahuzac dans
son rapport, s'agira-t-il de « mobiliser l'épargne dans l'économie » ? Par
ailleurs, les « produits d'épargne longue » qu'il préconise s'apparentent fort
aux plans d'épargne d'entreprise à long terme.
Notons que, dans son rapport sur la sécurité sociale, la Cour des comptes
elle-même pointe le « rendement incertain » de ces régimes par
capitalisation.
Nous attendons le contenu précis de ce projet de loi, et nous serons
extrêmement circonspects quant aux possibles dérives en la matière. Pour nous,
il est hors de question de voir « revenir par la fenêtre » un quelconque
dispositif qui alimenterait, même indirectement, la spéculation sur les marchés
financiers et dont les placements en obligations ou en bons du Trésor
permettraient de financer d'autant le déficit budgétaire pour satisfaire aux
critères européens.
Evoquant, même brièvement, l'avenir des retraités et des personnes âgées, je
ne saurais oublier combien il est urgent d'inclure la dépendance physique et
morale dans le champ de l'assurance vieillesse, substituant ainsi une véritable
prestation d'autonomie à la très injuste et restrictive prestation spécifique
dépendance. La question des retraites est indissociable de celle de l'emploi et
de l'activité économique. Les ménages de retraités injectent leurs revenus dans
l'économie par leur consommation, au même titre que les actifs. Par là même,
ils représentent une assise économique non négligeable.
Par ailleurs, la croissance du nombre des retraités par rapport aux actifs
serait moins préoccupante si le niveau de chômage baissait enfin
significativement, si le travail précaire diminuait.
C'est pourquoi nous prenons acte de l'engagement de Mme Aubry devant
l'Assemblée nationale de présenter un projet de réforme des cotisations
patronales d'ici à la fin du premier trimestre 1999.
Nous serons d'autant plus attentifs et vigilants que nous déplorons que le
financement de la sécurité sociale n'ait pas davantage mis à contribution les
revenus financiers des entreprises, et ce dès 1999.
Mes chers collègues, décidément, les retraités ne sont ni des « nantis », ni
un « dossier explosif » à la charge de la collectivité nationale. Ce sont des
anciens salariés qui ont contribué à la reconstruction de notre pays et qui
réclament simplement de pouvoir bénéficier, au même titre que les actifs, des
retombées de la croissance.
C'est pourquoi le groupe communiste républicain et citoyen se fera, par ses
propositions lors de ce débat, le porte-parole d'une catégorie de notre
population qui mérite la reconnaissance de la nation pour sa contribution
laborieuse à la prospérité du pays.
(Applaudissements sur les travées du
groupe communiste républicain et citoyen ainsi que sur les travées du groupe
socialiste.)
M. Emmanuel Hamel.
Comment voterez-vous ?
M. Guy Fischer.
Vous le verrez, monsieur Hamel !
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