Séance du 12 novembre 1998






accord de partenariat économique
entre la communauté européenne
et les états-unis du mexique

Adoption d'un projet de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 3, 1998-1999) autorisant la ratification de l'accord de partenariat économique, de coordination politique et de coopération entre la Communauté européenne et ses Etats membres, d'une part, et les Etats-Unis du Mexique, d'autre part. [Rapport n° 55 (1998-1999).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, l'accord qui est aujourd'hui soumis à votre approbation a de multiples objets, mais il vise avant tout à la mise en place d'un partenariat économique entre la Communauté européenne et le Mexique ainsi qu'à l'élaboration d'un cadre de coordination politique et de coopération dans des domaines très variés.
Signé à Bruxelles le 8 décembre 1997, il se substituera, dès son entrée en vigueur, au précédent accord-cadre de coopération du 26 avril 1991.
Comme vous le savez, l'Union européenne s'est engagée, depuis le début des années 1990, dans une stratégie de renforcement des relations euro-latino-américaines, par la voie notamment de la signature de nouveaux accords avec le Mexique mais aussi avec le Chili et des sous-ensembles régionaux comme le Mercosur.
Au moment de la conclusion de l'ALENA, l'accord de libre-échange nord-américain, en 1994, ainsi que de la préparation à l'entrée du Mexique à l'OCDE et compte tenu des perspectives de mise en place d'une zone de libre-échange des Amériques à l'horizon 2005, il devenait impératif de consolider les liens politiques et économiques entre les deux parties et la présence européenne dans la région.
C'est précisément dans cet esprit que la France a proposé l'oganisation d'une rencontre au sommet entre l'Union et les pays d'Amérique latine et de la Caraïbe. Cette proposition française, devenue une initiative franco-espagnole, est engagée officiellement depuis le Conseil européen d'Amsterdam.
La France souhaite à présent jouer un rôle actif dans la préparation de ce sommet, qui se tiendra à Rio de Janeiro les 28 et 29 juin 1999. Le Président de la République aura l'occasion de le rappeler lors de la visite d'Etat qu'il effectue du 11 au 14 novembre au Mexique, où j'ai l'intention de le réjoindre dès demain.
La France a également souhaité être à l'origine du renforcement des relations euro-mexicaines. Le ministre des affaires étrangères français, en visite à Mexico en mai 1994, avait en effet proposé la négociation d'un nouvel accord, et la déclaration fixant l'objectif de ce nouvel accord a été adoptée à Paris en mai 1995, sous présidence française de l'Union.
Comme pour tous les accords de « troisième génération », le respect des droits fondamentaux de l'homme constitue un élément essentiel de l'accord avec le Mexique, comme le rappelle son tout premier article. Cette clause n'est évidemment pas de pure forme. Les réactions européennes à la suite du massacre d'Acteal, au Chiapas, la déclaration de la présidence luxembourgeoise du 24 décembre 1997 et la résolution du Parlement européen du 15 janvier 1998, l'ont montré.
Sur le plan politique, l'accord prévoit d'institutionnaliser un dialogue à haut niveau, entre présidents et entre ministres, sur toutes les matières bilatérales et internationales d'intérêt commun. Ce dialogue doit notamment permettre une concertation plus étroite entre les parties au sein des organisations internationales dont elles sont membres. L'accord prévoit également que ce dialogue politique pourrait être engagé au niveau parlementaire au moyen de contacts entre le Parlement européen et le Congrès mexicain.
En matière commerciale, cet accord de partenariat économique a vocation à contrebalancer la mise en oeuvre de l'ALENA, qui a entraîné une dépendance accrue du Mexique vis-à-vis des Etats-Unis et des pertes concomitantes de parts de marché pour l'Europe. En pratique, il a pour objet d'instaurer un cadre de nature à favoriser le développement des échanges de biens et de services, y compris par une libéralisation bilatérale et préférentielle, progressive - il faut y insister - et réciproque du commerce.
Dans ce domaine, deux accords ont été signés à Bruxelles, le 8 décembre 1997, en marge du Conseil « affaires générales » : l'accord global de partenariat économique, de coordination politique et de coopération, soumis aujourd'hui à votre examen, et un accord intérimaire sur les aspects commerciaux et relatifs au commerce.
Une déclaration conjointe sur la globalité de traitement des biens et des services, qui relèvent respectivement de la compétence de la Communauté européenne et des Etats membres, a également été signée à cette occasion. Ce schéma complexe a été élaboré afin de permettre d'engager les négociations sur la libéralisation progressive et réciproque des échanges sans attendre l'entrée en vigueur de l'accord global. De ce fait, le conseil conjoint, chargé par l'accord de définir le calendrier et les modalités de cette libéralisation puis de diriger les négociations, a été installé le 14 juillet dernier. La toute première session de négociation a actuellement lieu à Mexico - du 9 au 13 novembre - sur la base des directives adoptées par le conseil le 25 mai 1998.
Enfin, l'accord signé entre la Communauté européenne et le Mexique a également pour objet de développer la coopération déjà engagée depuis le précédent accord de 1991. De ce fait, il couvre des secteurs très variés et d'intérêt commun dans les domaines économique et industriel mais aussi dans celui de la promotion des investissements. Il concerne également d'autres secteurs de coopération comme les technologies de l'information, la lutte contre les stupéfiants et le blanchiment d'argent, la formation, la culture mais aussi les affaires sociales et la santé. Le chapitre consacré à la coopération euro-mexicaine apparaît de ce fait très étendu et particulièrement ambitieux.
Telles sont, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, les principales dispositions de l'accord de partenariat entre la Communauté européenne, et ses Etats membres, d'une part, le Mexique, d'autre part, accord qui fait l'objet du projet de loi aujourd'hui proposé à votre approbation.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Claude Estier, en remplacement de M. André Rouvière, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'accord de partenariat économique, de coordination politique et de coopération, dont le Sénat est aujourd'hui saisi et que je rapporte devant vous en remplacement de mon collègue et ami André Rouvière, constitue une étape importante dans les relations entre l'Union européenne et ce grand pays latino-américain qu'est le Mexique, où M. le Président de la République est arrivé aujourd'hui même.
Onzième pays du monde par sa population, qui approche les 100 millions d'habitants, le Mexique pèse incontestablement sur la scène internationale. Sa participation, depuis 1994, à l'Accord de libre-échange nord-américain, l'ALENA, avec les Etats-Unis et le Canada, a considérablement renforcé son intégration économique avec son voisin nord-américain. Pourtant, il ne saurait être question pour l'Europe de se laisser marginaliser dans un pays si important, de même qu'il n'apparaît pas souhaitable au Mexique de se laisser enfermer dans une relation trop exclusive avec les Etats-Unis.
L'accord signé le 8 décembre 1997 répond donc au souci des deux parties de renforcer la coopération et surtout de gravir un degré supplémentaire dans leurs relations économiques, en procédant à une libéralisation préférentielle, progressive et réciproque des échanges de biens et de services.
Le Mexique a procédé, au cours des dernières années, à ce que l'on appelle une « normalisation démocratique » marquée par l'instauration d'un réel pluralisme politique sur lequel, toutefois, on peut parfois s'interroger.
Bien qu'affecté aujourd'hui par les turbulences de la crise asiatique, il a bénéficié, sur le plan économique, du rétablissement opéré après la grave secousse financière de 1994-1995, grâce, notamment, à la mise en oeuvre de l'ALENA, qui a favorisé la reprise, et à l'aide américaine.
Sur le plan diplomatique, enfin, le Mexique mène aujourd'hui une politique extérieure active.
La relation avec les Etats-Unis est, bien entendu, prépondérante, le Mexique étant devenu le deuxième partenaire commercial des Etats-Unis, avec lesquels il réalise 80 % de son commerce extérieur. Le renforcement des liens avec l'Amérique latine constitue aussi une priorité de sa diplomatie. Quant à l'Europe, elle représente incontestablement pour le Mexique une opportunité de diversification politique et économique.
Après un premier accord en 1975, puis un accord-cadre en 1991, s'est manifestée la volonté d'établir entre la Communauté européenne et le Mexique un partenariat plus ambitieux, surtout après l'entrée en vigueur de l'ALENA, qui a provoqué une forte contraction des parts de marché européennes au Mexique.
C'est à la suite d'une initiative française qu'a été négocié l'accord signé le 8 décembre 1997.
Cet accord de partenariat économique, de coordination politique et de coopération, s'il comporte des dispositions classiques en matière de dialogue politique et de coopération, se distingue surtout par son volet commercial.
En effet, il fixe comme objectif une libéralisation bilatérale, progressive et réciproque des échanges de biens et de services, une abolition progressive et réciproque des obstacles aux mouvements de capitaux et une ouverture réciproque des marchés publics. Cette libéralisation tiendra compte du caractère sensible de certains produits.
En conclusion, je veux, mes chers collègues, insister sur l'intérêt qui s'attache pour la France à la ratification de cet accord.
La France entretient depuis longtemps des relations politiques confiantes avec le Mexique. L'attachement à leur indépendance et l'héritage latin commun rapprochent les deux pays, qui expriment souvent des positions concordantes sur la scène internationale.
Sur le plan culturel, la présence française au Mexique est significative, au travers de plusieurs établissements d'enseignement, de l'Alliance française et de centres culturels.
Pour autant, nos échanges économiques demeurent insuffisants, la part de marché française oscillant autour de 1 %.
La France, qui s'est beaucoup investie dans la conclusion de cet accord de partenariat économique, devrait être en mesure d'en tirer les fruits pour améliorer ses positions dans ce grand pays.
Le 22 octobre dernier, le ministre des affaires étrangères du Mexique, Mme Green, disait devant notre commission des affaires étrangères l'impatience des autorités mexicaines de voir la France ratifier cet accord.
Au moment où la visite du Président de la République au Mexique va permettre de réaffirmer les liens particuliers qui unissent la France à ce pays, la commission des affaires étrangères vous demande, mes chers collègues, d'adopter le projet de loi qui vous est soumis.
M. le président. La parole est à Mme Bidard-Reydet. Mme Danielle Bidard-Reydet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, un grand nombre de liens historiques et d'amitié nous lient au peuple mexicain, et nous sommes partisans du développement de la coopération avec le Mexique.
Mais alors que, de nos jours, il est souvent question d'état de droit, force est de constater que ni les droits économiques et sociaux ni les droits politiques ne sont respectés de manière satisfaisante par les Etats-Unis du Mexique.
Tous les observateurs - notre rapporteur l'a indiqué pour ce qui concerne les droits de l'homme - notent une dégradation de la situation au Mexique.
Sur le plan économique et social, 90 % des ruraux, 77,3 % de la population urbaine et 80 % de ceux qui résident dans la zone métropolitaine de Mexico vivent dans des conditions de pauvreté allant jusqu'à l'extrême.
La différence entre les revenus des 10 % les plus pauvres et des 10 % les plus riches aurait crû de 19,29 % entre 1984 et 1994, et de 28 % entre 1984 et aujourd'hui.
Un tiers de la population est passée en quinze ans de la classe moyenne à la pauvreté, selon l'Institut mexicain de statistiques démographiques et informatiques.
Nous n'approuvons donc que très partiellement l'analyse très positive sur la situation économique mexicaine effectuée par M. le rapporteur, qui sous-estime, à notre avis, la situation sociale du pays.
S'agit-il d'un accord de coopération véritable, que nous appelons de nos voeux, ou d'une accélération du libre-échange, de mondialisation capitaliste, entraînant un nouvel appauvrissement des plus pauvres ?
Notre rapporteur répond d'ailleurs à cette question en indiquant que « l'accord entend encourager la libéralisation progressive et réciproque des mouvements de capitaux et des paiements ».
Nous refusons de cautionner le développement sur le plan mondial, et notamment au Mexique, des usines de sous-traitance dans les pays à bas salaires pour produire à moindre coût et exporter ensuite sur le marché international.
C'est le cas, par exemple, comme le rapportait un quotidien voilà quelques semaines, de Thomson, qui recrute au Mexique, à Ciudad Juárez pour être précis, des salariés à 500 francs par mois dans des conditions de précarité absolue.
Dans cette ville, cette pratique se multiplie. Elle symbolise ce que je n'oserai pas appeler de la coopération. Il existe en effet dans cette cité 2 290 manufactures, dont la plupart sont récentes. Thomson emploie 9 000 personnes sur ses trois sites.
L'accord soumis à notre ratification aujourd'hui n'apporte pas, selon nous, les garanties d'une lutte contre les délocalisations sauvages, qui ne participent pas au développement réel, structurel, du Mexique.
Sur le plan de la démocratie, la situation ne s'améliore pas, au contraire.
Notre rapporteur, tout en invoquant une « maturité démocratique » du Mexique, note les graves tensions qui se développement dans ce pays, en particulier au Chiapas.
Vous remarquerez en effet que le président Zedillo n'a pas suivi la recommandation de retrait des militaires de cette zone, annoncée par la commission mexicaine des droits de l'homme.
Nous notons, dans le même temps, la continuation des actions de l'armée à l'égard des populations indigènes.
Les groupes paramilitaires, liés au pouvoir en place, comme c'est malheureusement la tradition dans de trop nombreux pays d'Amérique latine, sont à l'origine du massacre, d'une violence inouïe, dans la commune d'Actéal.
Ce sont, comme souvent, des femmes, des enfants qui périssent.
De manière incontestable, le respect des droits de l'homme se dégrade au Mexique. L'expulsion, en 1997, de deux membres de la fédération internationale des droits de l'homme, en mission au Mexique, confirme cette analyse.
L'Union européenne, la France, placent le respect des droits de l'homme au coeur de leurs valeurs, et nous nous en félicitons.
De même, au moment où les populations d'Amérique centrale connaissent des situations dramatiques, nous nous félicitons que le gouvernement de la France ait décidé l'annulation unilatérale de la dette contractée envers elle par les pays les plus touchés, auxquels nous renouvelons notre solidarité.
Nous pensons en effet que le principe des droits de l'homme doit avoir toute sa place dans le cadre de la signature et de la mise en oeuvre d'accords internationaux.
En l'occurrence, alors qu'au Mexique le pouvoir organise la répression contre le mouvement des Indiens du Chiapas, il nous apparaît nécessaire de poser la question du respect plein et entier des droits de l'homme au Mexique comme préalable à l'application de l'accord dont nous débattons aujourd'hui.
Toutefois, nous ne sous-estimons pas l'importance de la signature d'accords permettant de rééquilibrer pour le Mexique la situation née de la signature de l'ALENA.
C'est au vu de ces remarques que le groupe communiste républicain et citoyen s'abstiendra lors du vote de ce texte.
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
M. Charles Josselin, ministre délégué. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Charles Josselin, ministre délégué. Je formulerai brièvement quelques observations à la suite des interventions de M. le rapporteur et de Mme Bidard-Reydet.
Tout d'abord, il faut noter que la situation politique au Mexique reste encore insuffisamment stabilisée ; il faudra probablement attendre les élections prévues en l'an 2000 pour que la démocratie y soit complètement consolidée.
Ensuite, je précise que l'accord prévoit une progressivité dans la libéralisation des échanges ; il est notamment prévu qu'en particulier pour les matières sensibles les Mexicains pourront, le moment venu, faire prévaloir des modalités spécifiques, qu'il s'agisse de produits agricoles ou de produits industriels.
Quant à la question que vous avez soulevée, Mme Bidard-Reydet, concernant les droits de l'homme, y compris de l'homme et de la femme au travail, je vous indique que l'article 1er de l'accord évoque précisément le respect des droits de l'homme, et ce n'est pas qu'une clause formelle, même si, il est vrai, elle renvoie au dialogue que nous devons ouvrir avec l'Organisation mondiale du commerce qui doit mieux intégrer ces questions.
Cela étant, je pense que cet accord concilie bien la volonté des Mexicains de valoriser mieux leur production en exportant davantage chez nous et le respect des équilibres sociaux dont ils ont évidemment besoin.
Je conclurai en disant de manière un peu impertinente que cet accord ne changera pas la position géographique du Mexique par rapport aux Etats-Unis. Les Mexicains en seront toujours aussi proches, mais ils seront aussi un peu plus proches de l'Europe. C'était aussi cela que nous recherchions et que les Mexicains souhaitent.
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l'article unique.
« Article unique. - Est autorisé la ratification de l'accord de partenariat économique, de coordination politique et de coopération entre la Communauté européenne et ses Etats membres, d'une part, et les Etats-Unis du Mexique, d'autre part, fait à Bruxelles le 8 décembre 1997, et dont le texte est annexé à la présente loi. »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.
Mme Danielle Bidard-Reydet. Le groupe communiste républicain et citoyen s'abstient.

(Le projet de loi est adopté.)

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