Séance du 25 juin 1998
DÉBAT D'ORIENTATION BUDGÉTAIRE
Débat sur une déclaration du Gouvernement
M. le président.
L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement suivie d'un débat.
La parole et à M. le ministre.
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Monsieur le
président, mesdames, messieurs les sénateurs, nous nous livrons aujourd'hui à
un exercice que je crois bienvenu - qui n'a pas eu lieu l'année dernière, pour
des raisons que chacun comprend, tenant aux circonstances particulières liées
au renouvellement de l'Assemblée nationale - et qui vise à ce que, avant l'été,
un débat s'instaure dans les deux assemblées pour que le Gouvernement écoute
les représentants élus, définisse ses orientations budgétaires et fasse son
miel de ce que le Sénat, en l'occurrence, voudra lui transmettre.
Les quelques points que je souhaite développer, avant que Christian Sautter
entre dans un détail plus fin de la préparation budgétaire, sont les
suivants.
D'abord, dans quel contexte se situe ce débat ?
La principale caractéristique de la période dans laquelle nous sommes,
lorsqu'on la compare à la période équivalente de l'année précédente, c'est que
la confiance en matière économique et sociale est très largement revenue. Cela
ressort des enquêtes menées tant auprès des consommateurs que des chefs
d'entreprise, et comme vous êtes des observateurs avertis de ces choses vous
aurez constaté comme moi que nous atteignons, dans ces sondages d'opinion
réalisés régulièrement par l'INSEE, la Banque de France ou d'autres instituts,
des sommets qui ont eu, certes, leur équivalent dans le passé, mais dans un
passé lointain.
Voilà très longtemps - plus de dix ans - que nous n'avons pas connu dans notre
pays un tel sentiment de confiance dans l'avenir, même si l'on peut regretter
qu'il ne soit pas encore suffisamment élevé. Néanmoins, l'évolution est très
sensible, et je crois que c'est la principale caractéristique, tant il est vrai
que l'économie, c'est peut-être non pas avant tout mais assez largement de la
psychologie.
Associée à cette confiance - je ne m'aventurerai pas sur la question de savoir
quel est l'oeuf, quelle est la poule ! - la croissance est fortement de retour
et, bien évidemment, les deux phénomènes sont liés dans les deux sens : la
croissance induit la confiance, la confiance permet la croissance.
Cette croissance, la France n'est pas le seul pays européen à en ressentir les
bienfaits, fort heureusement. Il serait donc peu raisonnable, de la part du
Gouvernement, de s'en attribuer tous les mérites. Il est clair que l'ensemble
des pays européens connaissent aujourd'hui un retour à la croissance qui a été
bien long à obtenir, et bien tardif.
Mais il est vrai aussi que nous serons sans doute, pour autant que l'on puisse
le mesurer aujourd'hui, au mois de juin, parmi les grands pays non seulement
européens mais même du G 7, celui qui aura la croissance la plus élevée en
1998. Là, pour le coup, ce ne sont plus la chance et l'environnement qu'il faut
invoquer, mais sans doute la façon dont la politique économique qui a été
conduite a accompagné cette croissance. Seule, cette politique économique
n'aurait peut-être pas suffi. Mais, à l'inverse, le mouvement international
seul, non relayé par une politique économique adaptée, n'aurait sans doute pas
suffi non plus.
Chacun a à l'esprit cette période, pas tellement lointaine - je pense à 1995
et 1996 - où l'Europe aussi commençait à connaître un retour à la croissance et
où, en France, quelques mesures de politique économique, que je juge, pour ma
part, malencontreuses, ont, au contraire, cassé cette croissance.
Si bien que ceux qui voudront féliciter le Gouvernement et sa majorité pour la
politique économique suivie le feront sans que j'y voie malice ; les autres
auront au moins à coeur de reconnaître - ce qui est une version dégradée de la
félicitation, mais je m'en satisferai ! - que le Gouvernement n'a pas, par sa
politique, commis les quelques bêtises qui étaient concevables, qui ont été
faites par le passé et qui auraient entravé ce retour à la croissance. En
effet, s'ils ne reconnaissaient pas cela, ils seraient en contradiction avec
les faits, qui, comme je l'évoquais tout à l'heure, vont sans doute mettre en
évidence pour la France la plus forte croissance des pays du G 7 en 1998.
A cette croissance est associé un début de baisse du chômage, baisse
évidemment insuffisante mais tout de même sensible puisque, depuis le mois
d'août, le chômage baisse régulièrement et qu'au mois de mars, vous le savez,
nous avons franchi à la baisse le seuil symbolique des 3 millions de
chômeurs.
On ne peut pas s'en réjouir : trois millions de chômeurs, c'est encore
infiniment trop ! Mais ne gâchons pas tout de même notre satisfaction
collective, éprouvée sur toutes les travées du Sénat, j'en suis sûr, de voir
que, depuis maintenant neuf mois, mois après mois - un peu plus certains mois,
un peu moins d'autres - le chômage décroît régulièrement.
Tant et si bien que le taux de chômage, qui était de 12,5 % de la population
active au mois d'août dernier - il était d'ailleurs identique au mois de
janvier 1997 puisque, entre janvier et août 1997, il n'avait pas bougé - a
commencé à décroître au rythme de presque 0,1 point par mois et que nous sommes
passés sous la barre des 12 % après avoir approché les 13 %.
Il est clair que cette décrue est insuffisante, que d'autres actions doivent
être mises en oeuvre, que notre politique doit être renforcée.
Pour le moment, alors que, notamment, la politique de réduction du temps de
travail n'a pas encore produit ses effets, puisque la loi vient seulement
d'être votée et que les décrets d'application sont à peine signés, c'est
principalement la croissance qui est à l'origine de cette décrue du chômage, et
j'attends le relais qui, sans que la croissance diminue, sera pris, pour
augmenter cet effet, par la mise en oeuvre du texte sur la réduction du temps
de travail.
Au total, alors que 20 000 emplois marchands dans le secteur privé avaient été
créés en France au cours du premier trimestre de 1997, ce sont 95 000 emplois,
soit près de cinq fois plus, qui ont été créés au cours du premier trimestre de
1998.
Vous savez que la prévision que j'avais donnée au Sénat, lorsque nous avions
examiné ensemble le projet de loi de finances pour 1998, était de créer 200 000
emplois marchands en 1998. Eh bien ! au premier trimestre, la moitié de cet
objectif a déjà été atteint. On peut donc espérer que le seuil de 200 000 à la
fin de l'année sera dépassé.
Mais ne faisons pas trop de prévisions, les résultats sont encore aléatoires.
Nous mesurons mal, notamment, l'ensemble des conséquences que la crise
asiatique pourra avoir sur notre économie.
Deux mots pour informer le Sénat sur ce point.
Il y a eu une première crise aux mois d'octobre, novembre et décembre, dont
nous avons analysé ensemble les effets et dont chacun a pu penser, vers les
mois de janvier-février, que nous avions réussi - nous, c'est la collectivité
financière internationale - à la maîtriser.
En effet, en février, il apparaissait que la Thaïlande était sur la bonne
voie, que cela s'arrangeait en Corée et que, si la situation restait encore
très difficile en Indonésie, l'économie indonésienne n'avait cependant pas un
poids tel dans l'économie mondiale que les désordres mais aussi les difficultés
des populations qu'on pouvait y constater suffisaient à déséquilibrer
l'économie mondiale.
Donc, l'hypothèse de perdre 0,5 point de croissance en raison de la crise
asiatique, qui avait été faite très tôt - vers octobre-novembre - restait
solide vers février.
Finalement, le premier trimestre a révélé que la crise était sans doute un peu
plus profonde - je vais y revenir - et que l'effet sur la croissance était plus
proche de 0,6 point que de 0,5. A l'inverse, la croissance domestique en France
même s'est révélée un peu plus forte que prévue, si bien qu'au total la
prévision d'ensemble de 3 % pour 1998 reste solide, mais avec une composition
légèrement différente de ce qui avait été prévu : plus de croissance en France,
un peu moins de croissance provenant de la demande externe.
Aujourd'hui, la question est posée de savoir comment l'autre partie de la
crise, celle qui était sous-jacente, celle dont le Sénat se souvient sans doute
d'avoir discuté avec moi à la fin de décembre, celle qui était encore peu
visible à l'époque, mais qui l'est de façon flagrante aujourd'hui, c'est-à-dire
la situation japonaise, va évoluer dans les semaines ou les mois qui
viennent.
Nous voyons tous que cette situation est sérieuse, que c'est là que se
concentrent aujourd'hui les risques les plus importants non seulement pour le
Japon lui-même mais aussi pour les pays avoisinants, comme la Chine.
Vous connaissez comme moi les deux pôles sur lesquels nous attendons que le
gouvernement japonais mette en oeuvre les décisions qu'il a annoncées :
l'aspect macro-économique et la croissance de l'économie japonaise, d'une part
; la restructuration du système bancaire, d'autre part.
Des assurances très fortes ont été données tout récemment encore par le
gouvernement japonais à l'occasion de l'intervention qui a eu lieu sur le
marché des changes pour éviter que le yen ne dérape trop fort.
Il reste que, comme vous le savez, des élections auront lieu au Japon le 12
juillet prochain. Le système démocratique a beaucoup de vertus mais aussi
quelques défauts, notamment le fait qu'une période préélectorale ne prédispose
pas à la prise de décisions difficiles. Tout est donc quelque peu suspendu à
l'échéance du 12 juillet.
Le temps de l'économie, notamment celui des marchés financiers, coïncide assez
mal avec le temps plus lent du fonctionnement de la démocratie.
J'ai cependant bon espoir que l'ensemble des mesures qui ont été annoncées et
qui commencent à être mises en oeuvre - elles sont d'une ampleur considérable
puisque plusieurs points de PIB sont en cause - viendront à bout des
difficultés et que nous n'aurons donc pas à subir de répercussions trop
massives de cette crise asiatique dans sa version aujourd'hui japonaise sur
notre croissance. Ainsi, la prévision de 3 % faite au début de l'année, même si
elle est quelque peu « chamboulée » dans sa structure, restera en moyenne
cohérente avec le résultat que nous enregistrerons cette année.
Dès lors, et avec toutes les réserves qu'implique un exercice de prévision,
comment se présente notre budget pour 1999, puisque tel est l'objet de notre
débat d'aujourd'hui ?
Du côté des dépenses, vous le savez, le Gouvernement ne défend pas l'idée que
la dépense publique est mauvaise par nature. Au contraire, je soutiendrai
devant vous l'idée que la dépense publique peut être l'un des éléments majeurs
à la fois du soutien de la croissance et de la solidarité, mais que, pour
autant, toute dépense publique n'est pas obligatoirement efficace et bonne. Il
faut faire le tri ; il faut travailler fortement à une meilleure efficacité de
la dépense publique. Cela ne signifie nullement qu'il faille à tout prix
essayer de la faire décroître.
J'ai rencontré, encore récemment, des industriels américains venus investir en
France. Ils expliquaient les raisons pour lesquelles leur choix s'était
finalement porté sur la France : certes, en matière d'impôts, de cotisations
sociales, c'était un peu plus lourd que chez nos voisins ; mais, à l'inverse,
ils y trouvaient une population mieux formée, des infrastructures plus
développées, notamment dans le domaine des télécommunications, qui était celui
qui les intéressait. En définitive, dans la petite liste de pays qui restaient
au dernier moment du choix, à savoir, en l'occurrence, la Pologne, le
Royaume-Uni et la France, ils avaient décidé de venir en France. Et cela n'est
pas un cas isolé puisque nous sommes, vous le savez, le troisième pays au monde
pour l'importance des investissements étrangers directs qui viennent s'y
réaliser. Si c'est le cas - et c'est le cas ! - c'est bien que ceux qui peuvent
choisir, lorsqu'ils veulent venir en Europe, entre plusieurs pays, choisissent
plus volontiers la France que d'autres pays.
Cela montre, au total, qu'il faut bien faire - et j'invite le Sénat à le faire
avec moi - une comparaison raisonnable entre les recettes et les dépenses, à
savoir entre la charge fiscale et les services publics rendus, et non pas
simplement procéder à une évaluation de la dépense comme si, en elle-même, elle
devait toujours être mauvaise. Elle est souvent bonne !
C'est la raison pour laquelle, en 1999, le Gouvernement a choisi une
croissance modérée de la dépense publique, de 1 % en termes réels, quand le PIB
devrait augmenter de 2,8 %. Cette croissance de 1 % lui permet de financer
l'ensemble des priorités qui sont les siennes et dont je reprendrai la liste
tout à l'heure ; mais vous les connaissez assez largement : elles touchent à
l'emploi, à la solidarité, sous la forme des emplois-jeunes, de la réduction du
temps de travail, de la lutte contre les exclusions, etc.
Je connais bien les critiques émises par certains - c'est d'ailleurs normal -
contre cette croissance des dépenses publiques de 1 %, comme si le taux de 0 %
était magique. Je voudrais dire au Sénat que je ne trouve rien, dans l'analyse
économique, qui justifie l'idée que 0 % serait bien et que 1 % serait mal. S'il
est un critère qui a du sens, c'est la part de la dépense publique dans le PIB.
Certains pensent qu'elle doit augmenter - ils sont peu nombreux aujourd'hui.
D'autres pensent qu'elle doit se stabiliser. D'autres pensent qu'elle doit
décroître.
Elle décroîtra en 1999 puisque, comme je le disais, la dépense publique doit
augmenter de 1 % quand le PIB augmentera de 2,8 %. On peut bien sûr considérer
qu'elle devrait décroître plus ou moins ; chacun est libre d'avoir une opinion
sur ce point. Mais il n'y a pas de caractère magique à une dépense publique qui
« croîtrait » en volume 0 %.
Compte tenu de la phase de la conjoncture dans laquelle nous sommes, du
réglage assez fin - toujours aléatoire, bien sûr - que M. Sautter et moi-même
essayons de réaliser pour obtenir la croissance la plus forte possible, il a
semblé au Gouvernement que, dans le financement de ses priorités, ce soutien de
l'activité justifiait une croissance de la dépense publique faible, mais pas
nulle, donc fixée à 1 %.
Cela nous conduit évidemment à la définition du déficit souhaitable. Vous
savez que le Gouvernement a retenu un déficit de 2,3 %, à comparer à celui de 3
% pour 1998. C'est donc là une diminution très sensible. C'est même la plus
forte diminution du déficit des pays de la zone de l'euro. Certains diront - et
ils n'auront pas tort - que c'est la plus forte diminution, certes, mais que
nous sommes à des niveaux de déficit supérieurs et qu'il est plus facile pour
nous de diminuer que d'autres pays qui ont déjà beaucoup diminué. Cela est
exact aussi.
Le résultat, c'est que, à 2,3 %, nous serons, en 1999, le pays de la zone de
l'euro ayant encore le plus fort déficit. Ceux qui sont les plus ardents
défenseurs de la réduction du déficit verront là une critique et diront que
nous sommes les derniers de la classe. Les autres constateront que, si nous
sommes dans cette situation, c'est parce que le cycle économique, en France,
est en retard par rapport à celui des autres pays. Certains ont commencé leur
croissance avant nous. Je ne veux faire aucune remarque sur les politiques
économiques passées, mais il est vrai que nous sommes un peu en retard. Nous
entrons dans la croissance avec retard par rapport à l'Irlande, aux Pays-Bas et
à quelques autres pays. Cela explique que nous soyons aussi en retard pour ce
qui est de la diminution du déficit.
Il faut réduire celui-ci ; parce que ceux qui, comme moi, Christian Sautter
et le Gouvernement, pensent que la dépense publique est un soutien utile de la
croissance lorsque celle-ci vient à manquer, doivent avoir à l'idée que, pour
pouvoir utiliser la dépense publique lorsque la croissance ralentit, il faut,
dans les périodes de forte croissance, avoir pris de l'avance, avoir rechargé
les batteries. C'est parce qu'on diminue le déficit dans les périodes de forte
croissance que l'on peut l'augmenter à nouveau quand la croissance n'est plus
là ; on utilise justement le budget à contre-cycle, pour compenser les
mouvements naturels de l'économie et avoir une croissance plus régulière.
Ceux qui, comme certains sans doute au Sénat, pensent qu'il ne faut pas
utiliser le budget comme une arme conjoncturelle, parce qu'ils sont libéraux,
ceux-là n'ont aucune raison de vouloir diminuer le déficit.
En revanche, ceux qui, comme moi, pensent qu'il faut utiliser le déficit, que
nous en aurons besoin - pas maintenant, car nous sommes en phase de croissance,
mais dans trois ou quatre ans, le plus tard possible lorsque la croissance
viendra à manquer - ceux-là doivent aujourd'hui faire l'effort de revenir en
arrière, de réarmer la fronde, de recharger les batteries... - les images
possibles sont multiples ! - pour que nous puissions, le moment venu, utiliser
cette marge.
La seconde raison pour laquelle il faut que nous diminuions notre déficit,
c'est que le déficit, c'est de la dette ; il est financé par la dette
publique.
M. Denis Badré.
C'est vrai !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
La dette
publique, ce sont des intérêts que l'Etat doit payer.
Mesdames, messieurs les sénateurs, en 1980, le service de la dette
représentait 5 % des recettes fiscales de l'Etat. Aujourd'hui, il représente
près de 20 % de ces recettes. Je ne veux pas faire le tri pour savoir qui l'a
plus ou moins augmenté au cours des dix-huit ou vingt dernières années. Le fait
est que le déficit a beaucoup augmenté, et chacun y retrouvera ses petits.
Aujourd'hui, je le répète, près de 20 % des recettes fiscales de l'Etat sont
utilisées à payer des intérêts.
Or, quand on y regarde bien, c'est sans doute l'une des choses les plus
injustes qui soit. En effet, les recettes fiscales de l'Etat, c'est ce que
paient tous les Français, y compris les plus modestes, qui paient de l'impôt
sur le revenu, qui consomment et paient de la TVA à 20,6 % tout cela pour
verser une rente à une partie de la population qui détient les emprunts d'Etat
et qui n'est pas la plus malheureuse du pays. On a donc un système
anti-redistributif, ou redistributif à l'envers pour près de 20 % du budget de
l'Etat, ce qui fait de ce budget un budget très inégalitaire.
Quand le service de la dette ne représentait que 5 % des recettes, passe
encore. Mais il s'élève aujourd'hui à près de 20 % et, si nous continuons dans
cette voie, il sera à 25 % ou à 30 % dans cinq ans ou dans dix ans, ce qui
voudra dire que le quart puis le tiers des impôts collectés sur tous les
Français sera redistribué à une catégorie très peu nombreuse de la population
qui détient les emprunts d'Etat.
Cette redistribution me semble absolument anormale et la seule manière de
l'éviter c'est de faire baisser la dette.
C'est pourquoi j'ai proposé, vous vous en souvenez sans doute, lors de la
présentation du projet de loi de finances pour 1998, un objectif : en l'an 2000
- ces choses-là bougent doucement - nous inverserons la croissance inexorable
depuis des années du ratio dette sur PIB. Vous vous souvenez sans doute de
cette promesse. Eh bien nous la tiendrons ! Avec 2,3 % de déficit en 1999, nous
ne sommes pas encore au sommet. En l'an 2000, pour la première fois depuis des
années dans notre pays, nous pourrons, si tout se passe comme je le prévois
aujourd'hui, réduire suffisamment notre déficit pour que le ratio de la dette
sur le PIB commence à décroître, ce qui, au-delà des problèmes que je viens
d'évoquer d'anti-redistribution ou de redistribution à contresens - induits par
une dette trop importante, permettra à l'Etat de retrouver des marges de
manoeuvre grâce à la diminution de la part du service de la dette dans son
budget. En effet, utiliser 20 % du budget à cette fin réduit d'autant les
possibilités d'action directe de l'Etat.
Par ailleurs, sur un plan plus éthique - et chacun, je pense, peut admettre
cet argument - cela reviendra à cesser, ou à commencer de cesser de faire payer
par les générations futures des dépenses qui sont les nôtres aujourd'hui. En
effet, ne nous y trompons pas : accumuler de la dette aujourd'hui, c'est créer
des impôts pour demain, car il faudra bien rembourser plus tard cette dette, et
ce sont alors nos enfants qui seront mis à contribution. Trouvons-nous normal
de laisser grimper notre dette par rapport à notre PIB et de reporter le
financement d'une part importante de nos dépenses d'aujourd'hui sur les impôts
que devront payer demain nos enfants ?
A l'évidence, ce n'est pas satisfaisant, et la seule manière de résoudre
l'ensemble de ces contradictions - un budget qui devient antiredistributif, des
marges de manoeuvre de l'Etat qui se réduisent et un report sur nos enfants
d'une part de nos dépenses - c'est de faire en sorte que notre dette diminue,
en pourcentage du PIB s'entend, et donc que notre déficit décroisse.
L'effort qui est fait par le Gouvernement dans ce sens trouve là sa triple
justification.
Certains estimeront sans doute, au vu de ces arguments, que l'on pourrait
aller plus loin. A ceux-là, je répondrai qu'il y a une bonne répartition de
l'effort dans le temps à trouver, et qu'aller trop vite présenterait d'autres
inconvénients, notamment en termes de soutien à la croissance, qui est
renaissante.
Mon objectif est de faire en sorte que la croissance ne se limite pas aux
seules années 1998 et 1999 pour faire place ensuite à un long cycle de
dépression, comme c'est malheureusement la tradition en Europe. En effet, ce
qui caractérise l'Europe par rapport aux Etats-Unis, c'est que nous connaissons
des phases de croissance peu durables, auxquelles succèdent des bas de cycle
qui durent de nombreuses années. Il faut que nous arrivions à inverser cette
tendance. Les Etats-Unis, qui ont d'autres avantages économiques, et d'autres
faiblesses, sont dans leur septième année de croissance ! Il n'y a pas de
raisons que nous n'arrivions pas à faire de même. Si l'Europe était capable
d'avoir, non pas deux ou trois ans de croissance mais quatre, cinq ou six ans
de croissance, alors, pour le coup, les effets en matière de chômage, en
matière de développement et en matière de pouvoir d'achat seraient,
considérables ! En effet, il est une vérité que nos concitoyens évaluent mal,
mais que vous connaissez : avec un demi-point de croissance supplémentaire
pendant plusieurs années, l'écart, à l'arrivée, est considérable !
Voilà la politique à suivre et voilà pourquoi il faut, certes, réduire notre
déficit mais ne pas le réduire trop, au risque de casser la croissance.
Le Gouvernement a choisi le seuil de 2,3 %, qui est évidemment contestable.
Personne ne peut prouver avec une rigueur mathématique que c'est juste ce seuil
de 2,3 % qu'il fallait retenir. Certains diront qu'il faut aller plus vite,
d'autres moins vite. Le Gouvernement a choisi ce point médian que je crois
juste et qui doit nous permettre d'avancer dans chacune des directions que
j'évoquais tout à l'heure.
Reste un dernier point et j'en aurai terminé : après les dépenses et le
déficit, j'en arrive aux recettes.
Bien sûr, le débat fiscal est toujours un débat fortement chargé de
considérations politiques, et c'est normal car la fiscalité est l'un des grands
instruments qui permettent à une politique de s'exprimer.
J'ai annoncé, avec Christian Sautter, lors de la discussion du projet de loi
de finances pour 1998, que nous ouvririons au premier semestre trois chantiers
fiscaux : le premier sur la fiscalité locale ; le deuxième sur la fiscalité du
patrimoine et le troisième sur la fiscalité écologique.
Ces chantiers ont été ouverts par l'administration. Des travaux importants ont
été conduits. Ils parviennent maintenant à une phase de concertation, à
laquelle j'invite l'ensemble des participants à la vie démocratique ou
économique de notre pays. Ces consultations ont d'ailleurs déjà commencé avec
les forces politiques, avec les syndicats patronaux, ouvriers...
J'insiste sur ce point, car, à ma connaissance, c'est la première fois que,
dans notre pays, un gouvernement, en matière fiscale, va décider certes seul ce
qu'il entend proposer à sa majorité, mais après avoir écouté les opinions des
différents partenaires. C'est là une forme de concertation qui est nouvelle et
à laquelle j'espère que chacun se prêtera avec détermination. Certes, si les
objectifs politiques sont différents, on ne peut aboutir aux mêmes mesures. Il
est néanmoins utile d'écouter chacun à l'occasion non seulement d'un débat
parlementaire, comme lors de la discussion à venir du projet de loi de
finances, mais avant même la préparation de ce débat.
Les orientations du Gouvernement sont claires : trois principes doivent guider
notre action en matière de fiscalité.
Le premier principe, c'est qu'on ne chamboule pas la fiscalité en une nuit
pour dire au matin que la réforme fiscale est faite. Le thème du « grand soir
fiscal » avec un grand dossier comprenant toute la réforme, avec un ruban rose,
diront certains, rouge, diront d'autres, autour est un thème qui ne convient
pas à la bonne marche de nos économies ni à celle de la démocratie.
Un projet fiscal doit être annoncé, se dérouler dans le temps,
progressivement, et, surtout, assurer la stabilité des règles fiscales au moins
pour une législature.
Lorsqu'un sujet a été traité, chacun peut estimer qu'il l'a été bien ou mal,
chacun est évidemment libre de son opinion, mais il ne faut pas y revenir
chaque année. L'instabilité des règles fiscales constitue pour les citoyens et
plus encore pour les entreprises, une source d'incertitude qui nuit
considérablement aux investissements, aux calculs économiques, que l'on ne peut
faire que lorsqu'on sait quelles seront les règles fiscales des années qui
viennent.
Il me semble donc de bonne politique fiscale que, pour une législature,
lorsqu'une majorité a souhaité modifier un impôt dans tel ou tel sens, cette
modification soit pérenne, quitte à ce qu'une autre majorité - c'est le jeu de
la démocratie ! - le change plus tard.
Le deuxième principe, c'est que tout ce que nous devons faire doit servir
l'emploi. Il n'y a pas aujourd'hui, je crois, un seul parlementaire qui
récusera l'idée que le principal fléau dans notre pays, c'est le chômage, et
que c'est donc bien l'emploi, avant tout, que nous devons servir. Toute réforme
fiscale qui, d'une manière ou d'une autre, viendrait nuire à l'emploi serait,
évidemment, contreproductive.
Le troisième principe, qui, évidemment, vient en parallèle avec l'emploi,
c'est la justice. Or la fiscalité est, par essence, un instrument qui permet
d'introduire plus de justice fiscale dans notre pays, et Dieu sait que c'est
nécessaire.
C'est donc en tenant compte de ce balancement entre ce qui peut servir
l'emploi et ce qui est nécessaire pour améliorer la justice fiscale que le
Gouvernement fera des propositions sur des sujets sur lesquels, évidemment, il
souhaite avant tout vous entendre, mesdames, messieurs les sénateurs.
Nous connaissons tous ici quelles sont les grandes composantes de notre
fiscalité. Chacun voit donc, au travers de mes propos, quels sont les impôts
qui peuvent éventuellement être en cause lorsqu'on veut agir pour l'emploi ou
pour la solidarité et la justice.
Nous aurons donc des propositions à examiner ensemble ; mais je suis - et M.
Christian Sautter avec moi - évidemment très désireux, avant même les
consultations et la concertation que j'évoquais, d'entendre les remarques que
vous voudrez bien faire à ce sujet.
Tel est donc le cadre de ce débat d'orientation budgétaire.
Je n'ai pas abordé les priorités et leur contenu, M. Christian Sautter le fera
après moi.
Et puis, nous aurons toute cette journée pour entendre les observations des
différents groupes représentés au Sénat et les remarques que voudront bien nous
adresser les experts que tous vous êtes individuellement.
(Applaudissements
sur les travées socialistes, sur les travées du groupe communiste républicain
et citoyen, ainsi que sur certaines travées de l'Union centriste et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat au budget.
Monsieur le président, mesdames, messieurs
les sénateurs, le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie vient
de décrire l'orientation stratégique du Gouvernement en matière budgétaire.
Il a exposé que le budget de l'Etat doit, année après année, contribuer à
rendre la croissance plus durable et plus forte, les créations d'emplois
suffisamment nombreuses pour que le chômage recule continûment et massivement
et, enfin, mieux assurer la solidarité de la nation aux plus faibles de nos
concitoyens.
A sa suite, je ferai brièvement, tout d'abord, un bref retour sur le bilan
budgétaire de l'année 1997, puis un point sur l'exécution budgétaire durant les
premiers mois de l'année 1998 et, enfin, une analyse de la préparation du
budget pour 1999, principalement du point de vue des dépenses, puisque M.
Dominique Strauss-Kahn vient de préciser quelles étaient les grandes
orientations du Gouvernement en ce qui concerne la réforme de la fiscalité.
J'aurai l'occasion de me référer au remarquable rapport de M. le rapporteur
général, M. Lambert, dont la commission des finances a débattu sous l'autorité
sagace de son président, M. Poncelet.
Je ferai d'abord brièvement le point sur l'exécution du budget de 1997, dont
les deux lignes directrices étaient la réorientation et le rétablissement des
finances publiques.
La réorientation des finances publiques a consisté à donner un coup de pouce à
la consommation : 10 milliards de francs ont été engagés dès le mois de
juillet, par le quadruplement de l'allocation de rentrée scolaire, l'aide
permettant à tous les enfants de manger à la cantine, le démarrage des
emplois-jeunes et la relance du logement social.
Permettez-moi à cet égard de formuler une critique à l'égard du rapport de M.
Lambert : son analyse de la conjoncture de 1997 ne distingue pas suffisamment
le premier semestre, qui a enregistré une croissance relativement « molle » et
principalement tirée par la demande extérieure, et le second semestre, au cours
duquel la reprise de l'investissement productif a contribué à équilibrer
davantage notre croissance, à la rendre plus vertueuse et, comme l'a dit M.
Strauss-Kahn, plus durable, puisque les exportations dépendent bien évidemment
au premier chef de notre environnement international et que, du côté de l'Asie,
sont apparus les nuages que vous savez.
S'agissant du rétablissement des finances publiques, vous vous souvenez que
l'audit du mois de juillet dernier prévoyait un déficit de l'ensemble des
finances publiques entre 3,5 % et 3,7 %. Or l'année s'est achevée avec un taux
de 3 %. Les dépenses ont été contenues car les orientations que j'ai évoquées
ont été entièrement gagées par des économies et les recettes fiscales ont été
conformes aux attentes.
Le montant des recettes fiscales nettes s'élevait à 1 395 milliards de francs
en loi de finances initiale. Elles ont été révisées à 1 403 milliards de francs
dans le collectif pour atteindre, en exécution, 1 416 milliards de francs. Par
rapport à la loi de finances initiale, on a donc enregistré une amélioration en
exécution de l'ordre de 21 milliards de francs.
Ces bons résultats en ce qui concerne l'équilibre des finances publiques,
principalement issus des mesures d'urgence dont le Sénat a débattu, ont apporté
un surplus de recettes de l'ordre de 22,8 milliards de francs.
En ce qui concerne la TVA nette, qui avait été sous-estimée dans la loi de
finances initiale, l'exécution s'est finalement faite à 5,9 milliards de francs
au-dessus des prévisions. Une des raisons de ce résultat, sur laquelle je
n'insiste pas, est l'amélioration du contrôle fiscal, auquel M. Dominique
Strauss-Kahn et moi-même nous sommes attaqués, si je puis dire, dès notre
arrivée au ministère.
En résumé, le budget de 1997 a remis la France sur la bonne trajectoire pour
atteindre la cible de l'euro, ce qui n'était pas évident voilà un an. Il a
manifesté la volonté du Gouvernement de s'engager dans une autre logique de
développement fondée sur trois principes simples.
Le premier, c'est qu'une croissance est plus forte et plus durable si elle est
tirée par une demande intérieure dynamique qui vient s'ajouter et non pas
remplacer une demande extérieure qui, elle, est fluctuante.
Le deuxième principe, c'est que le chômage diminue - M. Dominique Strauss-Kahn
a rappelé les chiffres : 156 000 chômeurs de moins depuis le mois d'août 1997 -
si la croissance est plus forte et si son contenu en emplois est enrichi par
des mesures telles que les emplois-jeunes et, bientôt, la réduction négociée du
temps de travail.
Enfin, le troisième principe, qui traduit un changement de politique, est que
la solidarité s'exerce en vers ceux qui en ont le plus besoin : les enfants qui
ont faim, les familles qui supportent le plus le coût de la rentrée scolaire,
les jeunes et les moins jeunes qui éprouvent des difficultés pour se loger.
Maintenant, je dirai quelques mots sur l'exécution du budget de 1998, qui se
fait sans à-coups. De plus, la croissance, M. Strauss-Kahn l'a dit, est de 3
%.
A ce sujet, je souhaite dire au président de la commission des finances du
Sénat, qui m'avait mis au défi de ne pas opérer de gels de dépenses publiques
durant le premier trimestre de 1998, qu'en dehors du milliard de francs, qui a
été entièrement gagé, à destination des chômeurs en situation de grande
détresse, pour la première fois depuis 1990, l'Etat n'a pas eu recours à cette
opération qu'il condamne à juste titre ; un gel des crédits bafoue en effet le
vote parlementaire, à peine sèche l'encre du
Journal officiel...
M. Denis Badré.
Ce sont surtout les annulations qui sont condamnables !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes
économiques de la nation.
Monsieur le secrétaire d'Etat, me permettez-vous
de vous interrompre un instant seulement.
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Je vous en prie, monsieur le président.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des finances, avec
l'autorisation de M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Monsieur le secrétaire d'Etat,
vous avez bien voulu reconnaître qu'il y avait déjà eu un milliard de francs de
gels. Mais l'exercice n'est pas terminé, et j'aurai l'occasion de vous demander
de nous fournir quelques explications sur l'avenir s'agissant précisément des
crédits affectés à l'emploi.
M. Denis Badré.
Très bien !
M. le président.
Veuillez poursuivre, monsieur le secrétaire d'Etat.
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Monsieur Poncelet, je suis évidemment à votre
disposition pour répondre à vos interrogations.
Je voulais simplement noter en passant que cette petite catastrophe budgétaire
que vous anticipiez ne s'est pas produite et que cela dénote un changement de
comportement par rapport aux années antérieures. Mais nous aurons l'occasion
d'y revenir, semble-t-il.
J'en viens aux dépenses.
Les dépenses concernant la lutte contre l'exclusion seront financées par
redéploiements budgétaires en 1998.
En ce qui concerne le coût de l'accord salarial, qui est légèrement supérieur
aux sommes qui avaient été provisionnées dans la loi de finances initiale pour
1998, parce qu'un calendrier plus favorable aux salariés a été retenu lors des
négociations, il sera en bonne partie couvert par les disponibilités qui
existent traditionnellement sur les crédits de rémunération des divers
ministères. Cela ne devrait donc déboucher que très marginalement sur des
demandes de crédits nouveaux d'ici au collectif.
Du côté des recettes, sur lesquelles subsistent des interrogations, sachez que
la France publie des situations mensuelles, ce qui est un acte de transparence
démocratique qui n'est pas pratiqué dans tous les pays qui nous entourent. Si
ces situations mensuelles montrent des rentrées supplémentaires de TVA sur les
premiers mois de l'année, je tiens à souligner qu'il n'est pas possible
aujourd'hui d'en tirer des conclusions pour l'ensemble de l'année.
Comme l'a dit M. Strauss-Kahn, la croissance est conforme aux prévisions. N'en
déplaise aux sceptiques, elle est bien là. Il n'y a donc pas de raison qu'il y
ait des recettes supplémentaires par rapport à celles qui étaient inscrites
dans la loi de finances initiale.
La lutte contre la fraude fiscale continue certes à faire sentir ses effets.
Mais la grève des services des impôts à la fin de l'année 1997 et au début de
l'année 1998, et un certain nombre d'opérations techniques m'amènent à dire
qu'il serait prématuré de conclure à des écarts significatifs et durables en
matière de rentrées fiscales.
Par conséquent, je crois que l'on peut dire que, pour 1998, le plan de route
budgétaire qui a été tracé par la loi de finances adoptée par le Parlement est
suivi sans écart notable après cinq mois d'exécution.
Pour 1999 maintenant, je ferai un développement un peu plus détaillé, en
m'inscrivant dans la ligne des grands choix exposés par M. le ministre de
l'économie, des finances et de l'industrie.
La progression des dépenses a été de 1 % en volume et de 2,2 % en francs
courants. C'est beaucoup plus que ce que souhaitent les adeptes libéraux de la
croissance zéro, c'est nettement moins que la progression de la richesse
nationale, qui serait de 2,8 % plus 1,2 % d'inflation, soit 4 %.
A ce titre, dans le document qui vous a été transmis, un graphique montre que
le poids des dépenses de l'Etat dans le PIB diminue notablement entre 1998 et
1999.
Par ailleurs, nous avons opté pour la réduction du déficit de l'Etat d'une
vingtaine de milliards de francs avec - et j'y insiste parce que M. le
rapporteur général y consacre de longs développements - le retour à un excédent
budgétaire primaire. C'est la première fois, là aussi depuis 1990, que l'on
réalise cette performance et, comme M. Strauss-Kahn l'a expliqué, nous ne nous
arrêterons pas en si bon chemin.
Enfin, nous visons une stabilisation et, si possible, une réduction des
prélèvements obligatoires en 1999.
Je voudrais maintenant montrer que ces grands choix permettent de conserver
des marges de manoeuvre substantielles et plus importantes qu'en 1998 pour
financer les priorités que les Français ont choisies lors des élections
législatives qui se sont déroulées voilà plus d'un an.
Je voudrais par ailleurs, si vous le permettez, critiquer la logique que M. le
rapporteur général a développée dans son rapport écrit, tout à fait remarquable
dans la forme, mais peut-être moins sur le fond.
S'agissant du premier point, je souhaite développer un raisonnement qui est
largement hypothétique. Nous ne savons pas encore, en effet, ce que sera
l'année 1999, évidemmment, le Gouvernement n'a pas encore arrêté ses principaux
choix budgétaires. Cela interviendra au mois de juillet prochain, en avance sur
le calendirer normal, de façon que le Parlement dispose de plus de temps pour
travailler, ce qui me paraît important et répond au souhait exprimé à la fois
par l'Assemblée nationale et par le Sénat.
Partons de l'hypothèse plausible que les recettes fiscales suivent
grosso
modo
l'évolution de la croissance, c'est-à-dire 2,8 % en volume et 1,2 % en
prix, soit 4 % en valeur. Cela dégagerait, dans l'hypothèse très
conventionnelle du même rendement des impôts, une masse de recettes
supplémentaires située entre 50 milliards et 60 milliards de francs en 1999. La
réduction du déficit - il a été question de 20 milliards de francs environ - en
absorbera un tiers. Il resterait donc de 30 milliards à 40 milliards de francs
de recettes nouvelles pour financer les grandes priorités du Gouvernement qui
sont, vous le savez, l'emploi, l'éducation, la justice, la solidarité, la
culture, l'environnement et la sécurité.
C'est un nombre limité de priorités sur lesquelles seront concentrés les
moyens budgétaires nouveaux.
Un tiers de réduction du déficit, deux tiers de dépenses nouvelles sur les
priorités gouvernementales, c'est là un premier exemple de l'équilibre
dynamique de la démarche gouvernementale.
Si l'on ajoute à cela que le Gouvernement va faire le même effort que l'an
dernier pour redéployer environ 20 milliards de francs de dépenses civiles de
budgets moins prioritaires vers des budgets prioritaires, vous voyez que, là
encore, nous avons réalisé un heureux équilibre, dynamique, entre les recettes
apportées par la croissance et le redéploiement des dépenses de l'Etat.
Ce qui est important dans l'esprit du Gouvernement, c'est qu'il faut dépenser
mieux, c'est-à-dire redéployer les moyens au sein de chaque ministère, en
fonction des priorités ou des domaines les plus prioritaires. Il faut également
réorienter les moyens selon la même logique, afin de respecter les trois
priorités indiquées par M. Strauss-Kahn : la croissance, l'emploi et la
solidarité.
Cela vaut pour les crédits de fonctionnement, pour les crédits d'équipement et
aussi pour les emplois budgétaires, qui s'inscrivent, vous le savez, dans une
perspective définie par M. le Premier ministre dans sa déclaration de politique
générale, à savoir une stabilité du nombre des emplois civils : certains
ministères auront des postes budgétaires en plus, d'autres auront des postes
budgétaires en moins.
On constate là une différence de logique par rapport à ceux qui, à toute force
- j'en connais certains au sein de la Haute Assemblée - voulaient dépenser
moins parce que, dans leur esprit, toute dépense publique était nuisible. Le «
dépenser plus » ne consiste pas à tout laisser en l'état et à ne réformer qu'en
ajoutant des dispositifs aux dispositifs existants.
Je voudrais enfin m'intéresser à la logique développée, avec une certaine
constance, par votre rapporteur général, qui prône une autre politique. Je la
décrirai rapidement, certainement pas aussi bien qu'il le fera dans un
instant.
Cette politique n'est peut-être pas dépourvue d'un certain nombre
d'incohérences.
M. Lambert, et c'est son droit le plus strict, met sur un piédestal
nostalgique la politique budgétaire mise en oeuvre par M. Juppé en 1997,
politique qui visait à une progression des dépenses de l'Etat inférieure à la
hausse des prix.
M. le rapporteur général, je dois rendre hommage à votre grande honnêteté :
vous expliquez aussitôt que la vertu budgétaire que vous prêtez au budget pour
1997 n'est en fait qu'une apparence. Vous insistez sur le fait que, dans le
projet de loi de finances initiales pour 1997, les dépenses civiles de
personnel progressaient rapidement, de 2,8 % - ce qui n'est, je crois, pas
conforme à vos voeux - que les crédits à l'emploi augmentaient très
massivement, de 6,3 %, et que les dépenses d'investissement étaient sacrifiées,
puisqu'elles marquaient une diminution de 6 %.
Je passe sur le fait, dont nous nous souvenons tous, que ce budget pour 1997,
dans sa version initiale, n'était pas d'une sincérité parfaite, puisqu'il y
avait eu un certain nombre de débudgétisations..., sans parler de la soulte de
France Télécom, qui n'est peut-être pas renouvelable éternellement !
Pour 1999, vous formulez trois propositions.
Premièrement, vous proposez une action vigoureuse sur les dépenses de
personnel et, dans votre esprit, il s'agit d'un arrêt de tout recrutement net
dans la fonction publique. J'ai cru comprendre que cela voulait dire - mais
peut-être ai-je mal interprété vos propos - que les 60 000 fonctionnaires qui
vont partir à la retraite en 1999 ne seraient pas remplacés.
Il y a, certes, là une source d'économies, mais je me demande ce que la Haute
Assemblée penserait si l'on suivait ces propositions téméraires de M. le
rapporteur général, notamment en zone rurale. Combien d'instituteurs, combien
de gendarmes, combien de percepteurs devraient laisser leur place à la jachère
administrative !
La deuxième proposition formulée par M. le rapporteur général, pour qui j'ai
un immense respect,...
M. Adrien Gouteyron.
Ça se voit !
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
... est une réduction nette des aides à l'emploi.
Il est clair que la période de référence 1993-1997 n'est pas
extraordinairement probante pour ce qui est de votre démonstration, mais on
peut essayer de faire mieux que durant les quatre années écoulées.
Je crois surtout qu'en matière d'aides à l'emploi il y a entre nous une
véritable différence politique : dans l'esprit du Gouvernement, les
emplois-jeunes et la réduction négociée du temps de travail sont des
dispositifs complémentaires dont les effets s'ajouteront aux effets bénéfiques
d'une croissance durable pour accélérer le recul du chômage dans notre pays.
Si l'on vous suivait, monsieur le rapporteur général, combien de chômeurs
supplémentaires compterions-nous ? C'est une vraie question que je soumets à la
Haute Assemblée.
Par ailleurs, vous proposez, monsieur le rapporteur général, de préserver les
missions régaliennes de l'Etat.
M. Alain Lambert,
rapporteur général de la commission des finances, du contrôle budgétaire et
des comptes économiques de la nation.
Absolument !
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
On ne peut qu'être d'accord avec vous sur le fait que
les crédits des ministères de l'intérieur, de la justice, des affaires
étrangères et de la défense méritent une protection particulière.
Mais, si l'on raisonne en creux, cela signifie
a contrario
que les
missions non régaliennes de l'Etat, c'est-à-dire tout ce qui concerne la
recherche, l'éducation, la culture et l'environnement, subiraient, si l'on
suivait vos propositions courageuses, voire téméraires, le sort qui leur a été
réservé entre 1993 et 1997. Or notre pays souffre encore des réductions des
crédits destinés à la recherche, à la protection de l'environnement et à un
certain nombre de budgets auxquels nos concitoyens sont tout à fait
attachés.
M. Philippe Marini.
Si le secrétaire d'Etat fait le discours du rapporteur général, il ne restera
plus à ce dernier qu'à faire le discours du secrétaire d'Etat !
(Sourires.)
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Absolument !
J'aimerais - et j'en aurai bientôt terminé - aborder un dernier point, à
propos duquel M. le rapporteur général a introduit peut-être une touche de
paradoxe dans ses propositions.
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
D'incohérence ?
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Je n'oserais jamais parler d'incohérence à votre
propos, monsieur le rapporteur général !
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
C'est déjà fait !
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Le paradoxe est le suivant : vous plaidez - et je sens
que vous rencontrerez un écho important dans la Haute assemblée - pour que
l'Etat majore ses transferts en direction des collectivités locales.
Il s'agit, à l'évidence, d'une mission qui n'est pas régalienne et cela
n'entre donc pas tout à fait, me semble-t-il, dans la logique que vous avez
développée antérieurement. Comment peut-on accroître massivement, comme vous le
souhaitez, les transferts de l'Etat vers les collectivités locales en
préconisant en même temps une stabilité en francs courants, voire une
diminution, des dépenses de l'Etat dans leur ensemble ?
Vous souhaitez aussi que l'Etat continue à prendre en charge une part
constante, voire croissante, de la fiscalité locale. Je rappelle que, pour la
seule taxe professionnelle - et je cite votre excellent rapport -, l'Etat a
payé 39 milliards de francs en 1992 et 57 milliards de francs en 1997.
J'ai quelque difficulté - mais c'est certainement dû à mon inexpérience ! - à
concilier la sollicitude que vous manifestez à l'égard des collectivités
locales en souhaitant que l'Etat leur apporte toujours plus,...
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
... qu'on cesse d'augmenter leurs charges !
M. Michel Mercier.
Oui, qu'on arrête d'augmenter leurs charges !
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
... avec votre souhait que l'Etat vive à la portion
congrue !
M. Paul Masson.
C'est de la caricature !
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
J'évoquerai rapidement, en conclusion, deux points :
d'abord l'Europe ; ensuite, la perspective à long terme. Ce sera une conclusion
dans l'espace et dans le temps !
Sur l'Europe, il est clair que notre stratégie budgétaire s'inscrit dans un
cadre européen. Le conseil de l'euro s'est réuni pour la première fois et je
voudrais dire devant la Haute Assemblée qu'il serait important que le budget de
l'Europe, auquel la France apporte une contribution importante,...
M. Denis Badré.
Qu'on augmente moins le budget de l'Europe !
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
... suive les mêmes sages préceptes que ceux que l'on
applique en France. Or, vous savez qu'il y a pour 1999 un risque budgétaire
européen tout à fait sensible.
M. Denis Badré.
Il faut refuser le budget rectificatif !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Me permettez-vous de vous
interrompre, monsieur le secrétaire d'Etat.
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Je vous en prie.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des finances, avec
l'autorisation de M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Il n'est pas dans mes habitudes
d'interrompre M. le secrétaire d'Etat lorsqu'il intervient dans cette enceinte.
Mais, monsieur le secrétaire d'Etat, depuis quelques instants tout au moins,
vous semblez donner des leçons de vertu, de vertu budgétaire.
Je me suis fait communiquer quelques chiffres pour savoir comment, lorsque
vous étiez aux responsabilités, vous vous comportiez en matière de rigueur
budgétaire. Je vais donc me permettre de vous rafraîchir un peu la mémoire, au
cas où elle aurait quelques défaillances, monsieur le secrétaire d'Etat.
Pour 1991, le Gouvernement avait prévu un déficit de 81 milliards de francs :
le budget a été exécuté en déficit réel à 133 milliards de francs. Pour 1992,
le Gouvernement a fait mieux : il prévoyait un déficit de 91 milliards de
francs, le budget a été réalisé en déficit à 236 milliards de francs.
Quand on parle de sincérité et de cohérence - tout au moins est-ce mon
sentiment - il faut savoir de quoi on parle !
Je vais simplement prendre comme exemple le budget de 1993. Il avait été prévu
un déficit - écoutez bien ! - de 183 milliards de francs : le budget a été
exécuté avec un déficit de 345 milliards de francs ! Un tel déficit a été un
handicap pour le gouvernement qui a succédé à celui de 1993, la majorité de
l'époque ayant été sévèrement sanctionnée par le pays, qui était bien conscient
de la dérive budgétaire.
Par ailleurs, quand on commence un septennat en annonçant qu'il est excessif
et insupportable d'avoir un million de chômeurs et qu'on le termine avec trois
millions de chômeurs, il faut être modéré dans la critique à l'égard des autres
!
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants, et de l'Union centriste.)
M. le président.
Poursuivez, monsieur le secrétaire d'Etat.
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Monsieur le président, je voulais simplement dire que
personne n'a le monopole de la vertu budgétaire...
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Merci !
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
... et limiter mon intervention à ce point.
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Dont acte !
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Je terminerai, monsieur Poncelet, en soulignant un
point commun entre M. le rapporteur général et le Gouvernement, à savoir le
souci du long terme.
Dans le rapport d'orientation budgétaire, sont mentionnés pour la première
fois des éléments d'information pluriannuelle qui posent, notamment, la
question - question que l'on pose à froid pour l'instant - de l'avenir des
régimes de retraite.
Monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur
général, sur ce sujet de préoccupation, le Gouvernement a le souci de traiter
le problème dans la durée, et le Commissariat général du plan éclairera les
choix d'avenir sur cette question tout à fait essentielle.
Voilà ce que je voulais dire en introduction à ce débat.
(Applaudissements sur les travées socialistes, sur les travées du groupe
communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini.
Il va faire le discours du ministre !
M. Alain Lambert,
rapporteur général de la commission des finances, du contrôle budgétaire et
des comptes économiques de la nation.
Monsieur le président, monsieur le
ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, délivrer la
France des contraintes qui pèsent sur elle et sur son avenir, alléger le poids
des handicaps qui grèvent ses finances publiques, tel est l'enjeu du débat
d'orientation budgétaire qui s'ouvre ce matin devant le Sénat.
Vous poursuivez ainsi opportunément, monsieur le ministre, monsieur le
secrétaire d'Etat, la démarche engagée, en 1996, par le précédent gouvernement
pour préparer le budget de 1997. Le président Poncelet appelait depuis
longtemps de ses voeux la tenue d'un tel débat, et c'est donc un motif de
satisfaction de voir celui-ci s'ancrer désormais dans notre tradition
républicaine.
M. Philippe de Bourgoing.
Très bien !
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
Même s'il relève des prérogatives constitutionnelles
et organiques du Gouvernement de bâtir un projet de loi de finances et un
projet de loi de financement de la sécurité sociale, il est utile que le
dialogue se noue avec le Parlement avant l'envoi des lettres plafonds et avant
les arbitrages fiscaux qui interviendront à la fin du mois de juillet.
En fait de débat d'orientation budgétaire, nous tiendrons plutôt ce matin un
débat prospectif sur l'ensemble des finances publiques. En effet, d'une part,
nos engagements européens ne portent pas sur les finances du seul Etat, mais
aussi sur celles de la sécurité sociale et des collectivités locales ; d'autre
part, le contribuable fiscal, le contribuable local et le contribuable social
ne forment qu'une seule personne vers laquelle convergent de plus en plus de
prélèvements.
Pour donner plus de clarté à nos travaux, le président Christian Poncelet
reviendra plus particulièrement sur les questions de finances locales, Jacques
Oudin s'exprimant sur le financement de la sécurité sociale.
Vous vous êtes tout à l'heure posé la question de savoir, messieurs les
ministres, si je saurais reconnaître vos mérites. Je ne voudrais pas gâcher
votre plaisir et, certainement, je vais souligner certains mérites du
Gouvernement.
Depuis la nomination du Gouvernement actuel, la situation économique s'est
améliorée.
La croissance a atteint 2,5 % en 1997 ; elle n'était que de 1,2 % en 1996, et
les prévisions officielles retiennent 3 % pour 1998.
L'emploi progresse et, surtout, le chômage commence à refluer puisque l'on
compte 156 000 chômeurs de moins entre octobre et avril 1997. Le taux de
chômage a décru de 12,5 % de la population active en juillet 1997 à 11,9 % en
avril 1998.
M. René Régnault.
C'est bien !
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
Ces mérites sont d'autant plus grands que notre
Gouvernement a obtenu des résultats similaires et parfois même meilleurs à
l'étranger !
En Belgique, le chômage a reflué de 9,3 % en août 1997 à 7,3 % en mars dernier
; au Danemark, il a décru de 8,1 % en mai 1997 à 6,9 % en avril 1998 ; en
Irlande, il est passé de 10,3 % en juin 1997 à 9,4 % en avril 1998. La Suède a
connu une amélioration spectaculaire de sa situation de l'emploi depuis les
élections législatives françaises, le taux de chômage passant de 9,1 % en juin
1997 à 6,4 % en mars 1998.
L'Italie a vu son chômage se réduire de 60 000 personnes au premier trimestre.
Même l'Allemagne, dont la situation n'a cessé de se dégrader jusqu'à la fin de
1997, a vu, depuis, son chômage commencer à refluer. Son taux de croissance est
sur un rythme annuel de 3 %.
Bref, depuis l'installation du nouveau Gouvernement, le chômage a reculé dans
toute l'Union européenne. Il avait atteint 10,7 % en juin 1997, il n'est plus
que de 10,3 % en mars 1998.
Faut-il y voir une coïncidence ou les bienfaits de l'influence de notre
Gouvernement sur l'Union européenne ? Je vous laisse répondre à cette question.
Mais je tiens à vous dire que votre influence pourrait même devenir planétaire
si vous parveniez à retourner la conjoncture, comme vous en avez le secret, en
Asie du Sud-Est et au Japon !
Chacun l'aura compris, je ne crois pas que le Gouvernement - pas plus celui-ci
que tous les autres - ait une quelconque capacité à améliorer la situation
économique d'un pays et à retourner la conjoncture. Le destin de notre pays est
lié à celui du reste de l'Union européenne par quarante ans de volonté
politique. Lorsque la situation est mauvaise, les gouvernements incriminent «
l'héritage » et l'environnement international. Lorsqu'elle est bonne, ils s'en
attribuent le mérite. Nos gouvernants devraient se laisser gagner par
l'humilité en reconnaissant devant la nation que la conjoncture est une donnée,
dont la politique budgétaire doit tirer le meilleur parti mais qu'elle ne peut
plus réellement influencer.
Nous ne devons plus laisser croire aux Français que la politique économique
nationale peut infléchir sensiblement la conjoncture alors que ce n'est plus
vrai depuis longtemps. Les désillusions sont trop fréquentes et trop lourdes de
conséquences. Elles alimentent le doute des Français à l'endroit de la
politique. Aussi, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
convient-il d'être prudent.
Or le Gouvernement ne témoigne pas d'une prudence exemplaire. Bien qu'il s'en
défende, il continue pour 1999, me semble-t-il, de négliger les effets de la
crise financière asiatique, qui est pourtant, chacun le reconnaît, d'une
particulière gravité. Le Japon est entré en récession au premier trimestre de
1998, pour la première fois en vingt-trois ans.
Si je souhaite, comme chacun de vous, que cette crise ait peu d'effet sur
l'Union européenne, il me paraîtrait sage cependant d'en tenir compte dans les
prévisions de croissance et de plus-values fiscales pour 1999.
Le Gouvernement les affecte allègrement alors qu'elles ne sont encore
qu'hypothétiques. Ne vaudrait-il pas mieux être trop prudent aujourd'hui et
jouir ensuite de bonnes surprises, que se trouver demain devant une impasse
financière, comme ce fut le cas en 1992 et 1993, ainsi que M. Poncelet nous l'a
rappelé tout à l'heure ?
Je souhaite naturellement que l'avènement de l'euro ouvre en Europe, et donc
en France, une longue période de prospérité. Mais les incertitudes
conjoncturelles demeurent ; elles exigent une gestion précautionneuse de nos
finances publiques, car cette gestion reste sous très fortes contraintes,
malgré notre qualification pour l'euro.
Mes chers collègues, je résumerai ces contraintes sous la forme de trois
propositions : un impératif, réduire les déficits publics ; une nécessité,
réduire les dépenses publiques et un objectif, réduire les prélèvements
obligatoires.
J'ai qualifié ces trois propositions de contraintes, car je ne souhaite pas
leur donner de connotation idéologique.
La réduction de la place de l'Etat dans l'économie n'est pas un dogme pour
nous ; elle est simplement rendue nécessaire en France par l'hypertrophie de
cette place : plus de 58 % de dette publique dans le produit intérieur brut,
des dépenses à 55 %, des prélèvements obligatoires à plus de 46 %. Nous avons
atteint des niveaux d'intervention publique qui posent un vrai choix de
société.
J'observe d'ailleurs que le Gouvernement et la majorité de l'Assemblée
nationale commencent à partager cette analyse. Pourtant, ce que vous proposez,
monsieur le secrétaire d'Etat, au nom du Gouvernement, n'est pas conforme à ces
trois propositions. J'aurai l'occasion de le montrer.
Si l'impératif de réduction des déficits publics nous est prescrit par nos
engagements européens, il l'est plus encore par notre situation interne.
Certes, nous sommes libérés de ce que certains appellent « l'obsession des 3 %
». Mais, contrairement à l'interprétation qui peut être faite de ces propos, la
qualification pour l'euro ne nous rend pas toute latitude dans nos choix
budgétaires. Le Gouvernement a adhéré au pacte de stabilité et de croissance à
Amsterdam en juin 1997, leque prévoit, pour les pays ayant adopté la monnaie
unique, un objectif « d'équilibre ou d'excédent à moyen terme ». Finis donc les
3 %. La prochaine étape, dans trois à cinq ans, c'est 0 % !
Toutefois, mes chers collègues, même si cet engagement européen n'avait pas
été pris, il conviendrait que nous le prenions vis-à-vis de nous-mêmes. En
effet, le niveau atteint par la dette publique dévore chaque année en intérêts
20 % des recettes fiscales. Notre devoir absolu est de faire refluer cette
dette, ce qui exige de dégager un excédent primaire des administrations
publiques, c'est-à-dire un excédent hors charges de la dette.
Le Gouvernement partage cette analyse et ces objectifs. Pourtant, il ne
propose pas de faire refluer la dette publique dès 1999 alors que ses
hypothèses de croissance le lui permettraient.
Avec 2,3 % du PIB, il se fixe un objectif de réduction du déficit des
administrations publiques insuffisant pour stabiliser la dette : 2,2 % auraient
été nécessaires, moins encore, monsieur le secrétaire d'Etat, si vous aviez
voulu faire refluer la dette.
Vous faites reposer votre objectif de 2,3 % sur les excédents qui seront
dégagés par les administrations publiques autres que l'Etat, en particulier les
collectivités locales et la sécurité sociale.
Au fond, le Gouvernement ne fixe à l'Etat qu'un objectif de déficit de 2,7 %.
Il s'autorise en quelque sorte la facilité et il assigne la rigueur et la vertu
aux autres ; je pense en particulier aux collectivités locales. Il a pourtant,
me semble-t-il, moins de prise sur la situation des autres administrations
publiques que sur la sienne propre.
En réalité, mes chers collègues, le Gouvernement n'entreprend pas une
politique volontariste de réduction des déficits.
Sur les onze pays de la zone euro, il affiche l'objectif le plus mauvais,
l'Allemagne et l'Autriche faisant mieux avec 2,2 %. L'objectif du Gouvernement
français n'est, d'ailleurs, que la traduction des décisions déjà prises, fin
1997, en matière sociale : je pense à l'accord salarial dans la fonction
publique, aux emplois-jeunes, aux trente-cinq heures, à la loi sur les
exclusions. La direction de la prévision a simplement intégré les effets de ces
décisions. Loin d'être un objectif ou une orientation budgétaire, il ne s'agit,
en fait, que de la constatation de la politique décidée en 1997.
Le Gouvernement ne propose donc pas une réduction suffisante des déficits
publics. Il propose, au contraire, d'affecter une part de la croissance espérée
des recettes à une augmentation des dépenses publiques de 1 % en termes
réels.
Pourtant, je continue de croire, après vous avoir écouté avec beaucoup
d'attention, monsieur le secrétaire d'Etat, que la réduction des dépenses
publiques est une nécessité, et je souhaite que le Sénat veuille bien confirmer
cette orientation.
Je rappelle que cette affirmation n'est pas contingente ; ce n'est pas une
question de circonstances ; elle n'est pas liée au gouvernement en fonction.
Permettez-moi de citer le rapport élaboré par la commission des finances pour
le débat d'orientation budgétaire d'il y a deux ans : « C'est une diminution
sans précédent de la dépense publique qui devra s'opérer à partir de 1997. »
Mes chers collègues, il nous faut admettre que, depuis le début des années
soixante-dix, la dégradation de l'emploi est allée de pair avec l'augmentation
de la part des dépenses publiques dans la richesse nationale.
Nous disposons maintenant d'un recul de plus de vingt-cinq ans qui montre que
l'intervention publique n'a jamais réussi à faire refluer durablement le
chômage. Pourtant, le Gouvernement persiste à emprunter cette voie.
Bien sûr, la réduction des déficits pourrait résulter d'une augmentation des
recettes. Mais celles-ci sont un levier qu'il n'est plus raisonnable d'utiliser
: d'une part, l'augmentation des prélèvements obligatoires a un effet de plus
en plus incertain sur le niveau des recettes ; d'autre part, le niveau de ces
prélèvements a dépassé l'acceptable. Nous le disions déjà en 1996 : « Le poids
des prélèvements obligatoires - 45 % à l'époque - exclut de solliciter à
nouveau les recettes fiscales. »
Là encore, dans son discours, le Gouvernement paraît nous rejoindre. Mais il y
a loin du discours aux actes, car c'est bien sur un surcroît de recettes - 50
milliards à 60 milliards de francs - qu'il compte pour boucler le budget pour
1999 d'Observatoire français des conjonctures économiques, l'OFCE, prévoit que,
si cette tendance devait se poursuivre, les prélèvements atteindraient 47 % du
produit intérieur brut en 2005.
Par conséquent, si je recommande au Sénat, au nom de la commission des
finances, de continuer à préconiser une réduction des dépenses publiques, comme
je le fais depuis 1996, ce n'est naturellement pas par hostilité au service
public, ce n'est sûrement pas par hostilité à l'Etat ou à la protection
sociale, mais parce que c'est la seule option possible pour faire refluer la
dette publique de façon significative.
Ce constat étant dressé, les difficultés commencent. En effet - nous l'avons
observé et vécu lors du débat sur le projet de loi de finances pour 1998 - s'il
est aisé de se convaincre du bien-fondé d'une baisse des dépenses publiques en
général, l'arbitrage entre les réductions à opérer est un art difficile dès que
l'on entre dans les détails.
Je préconise donc - vous avez un peu ironisé sur le sujet tout à l'heure,
monsieur le secrétaire d'Etat - la méthode du gel des dépenses, qui est
d'ailleurs celle que le ministre des finances demande d'appliquer aux ministres
dépensiers, en préalable aux arbitrages budgétaires.
M. Philippe Marini.
C'est un discours responsable de ministre !
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
Cette méthode a fonctionné, quoi que vous en disiez,
en 1997 : le gouvernement d'alors avait proposé une reconduction des dépenses
de 1996 en valeur et, pour la première fois, il en est résulté une stabilité
des dépenses de l'Etat en termes réels.
En outre, je préconise de commencer à s'attaquer aux composantes les plus
rigides de la dépense publique, car la réussite suppose une action opiniâtre,
durable et courageuse. Il s'agit en particulier des dépenses de la fonction
publique : il est urgent et nécessaire d'engager un mouvement progressif de
réduction des effectifs du secteur public...
M. Marc Massion.
Dans quelles administrations ?
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
... et une réforme des régimes de retraite de ce même
secteur. Je vise aussi les dépenses d'intervention en faveur de l'emploi, car
les pays qui ont le mieux réussi dans ce domaine sont aussi ceux qui ont fait
l'effort le plus significatif sur les dépenses.
Là encore, bien que le Gouvernement déplore la rigidité croissante des
dépenses, il l'accentue en augmentant sensiblement les charges de personnel et
les interventions publiques pour l'emploi, notamment par la création d'emplois
publics. Mais à quoi sert-il de créer toujours plus d'emplois publics lorsque,
pour faire des économies, l'Etat doit chaque année réduire les moyens dont
disposent les fonctionnaires pour accomplir leurs missions ?
Cette attitude est imprévoyante, et le Gouvernement semble découvrir
maintenant que les charges liées aux retraites publiques seront bientôt une
source majeure d'augmentation des dépenses.
Cette attitude est également contradictoire, car le Gouvernement prévoit de
stabiliser les effectifs de la fonction publique pour réserver, semble-t-il,
des crédits aux emplois-jeunes et au relèvement des salaires. Que
souhaitez-vous réellement, monsieur le secrétaire d'Etat ? S'agit-il de
précariser l'emploi public ? Ou bien s'agit-il d'augmenter la rigidité des
dépenses par une embauche massive de futurs fonctionnaires ? Nous voudrions le
savoir.
Inversement, il serait nécessaire d'interrompre le reflux des dépenses
d'équipement public.
Tout à l'heure, monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez en quelque sorte
ouvert un procès en sorcellerie sur la réduction des dépenses en laissant
croire que je trouvais toute dépense mauvaise.
(M. le secrétaire d'Etat fait un signe de dénégation.)
Mais non ! il y a de bonnes dépenses : les dépenses d'investissement sont
excellentes, et je regrette vivement qu'elles régressent.
Le pari engagé par le Gouvernement sur l'excédent des collectivités locales
est risqué.
L'accord salarial dans la fonction publique va alourdir les charges des
collectivités locales.
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
De 1,5 milliard de francs !
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
Tout à fait !
Or elles sont déjà contraintes de faire porter leurs efforts d'assainissement
sur la réduction de leurs investissements, lesquels ont pourtant atteint un
plancher.
La commission des finances propose, quant à elle, la préservation des crédits
régaliens, et je parle là sous le contrôle de M. Christian Bonnet, qui est très
attaché à ce que nous affirmions clairement notre volonté politique en la
matière.
(M. Bonnet opine.)
Préserver les crédits régaliens, c'est préserver les missions
fondamentales de l'Etat : la sécurité, la justice, la diplomatie et la défense.
Tout dans notre vie sociale montre que ce sont là les vraies missions de
l'Etat. Protéger la liberté des citoyens, voilà le devoir de l'Etat.
Monsieur le secrétaire d'Etat, vous me demandiez tout à l'heure où nous
pourrions trouver des économies. Ne croyez-vous pas que l'Etat devrait cesser
de s'égarer dans des activités de banquier, d'assureur, de transporteur, au
prix d'une réduction des moyens qui lui sont nécessaires pour qu'il puisse
assumer ses missions régaliennes, lesquelles se trouvent ainsi sacrifiées ?
Enfin, notre objectif doit être celui de la réduction des prélèvements
obligatoires. Toutefois, je continue de poser en préalable la réduction des
déficits et celle des dépenses publiques, car la réduction des prélèvements
obligatoires ne doit pas entraîner un alourdissement supplémentaire de la dette
publique. Ce serait une faute contre le principe de bonne gestion et, pis
encore, une faute à l'endroit de nos enfants.
De ce point de vue, je trouve le discours majoritaire peu cohérent : il
appelle à une réduction des impôts et des cotisations, sans effort corrélatif
sur les dépenses. Parfois, mais fort rarement, les circonstances économiques
permettent, c'est vrai, de mener de front réduction des déficits et réduction
des impôts sans réduction des dépenses. Cependant, le plus souvent, c'est une
dangereuse illusion, car au premier retournement de conjoncture l'impôt et
l'emprunt s'envolent.
Dès lors qu'une démarche nette sera engagée pour réduire les dépenses, le
déficit et la dette publics, il deviendra possible de s'engager résolument sur
la voie de l'allégement des prélèvements obligatoires.
Le Gouvernement l'affirme aujourd'hui mais, une fois encore, il est en
contradiction avec lui-même, car c'est lui qui a décidé d'alourdir les
prélèvements obligatoires sur les entreprises par la loi portant mesures
urgentes à caractère fiscal et financier. Or l'exécution du budget de 1997
montre que l'augmentation de l'impôt sur les sociétés n'était pas nécessaire
pour que les recouvrements de recettes soient conformes aux prévisions.
De même, en 1998, le Gouvernement a choisi de ne pas maintenir l'allégement de
l'impôt sur le revenu. Il a préféré engager des dépenses nouvelles pour la
fonction publique. Et, pour boucler le budget pour 1999, il compte sur un
surcroît de recettes.
Quelles doivent être les priorités en matière de réduction de nos prélèvements
obligatoires ? J'en citerai trois.
La première est de réduire les charges sociales pesant sur le travail, en
particulier sur les bas salaires. Le passé récent nous a montré que ce combat
de Sisyphe consistant à dépenser toujours plus pour l'emploi et à prélever
toujours plus sur les salaires nous a placés parmi les Européens les moins
performants aussi bien sur le front du chômage que sur celui des finances
publiques.
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Exact !
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
On m'a objecté et on m'objectera encore que les
allégements de charges n'ont pas permis de créer des emplois. Mais les
allégements ponctuels ne doivent pas non plus masquer la tendance longue à
l'alourdissement des prélèvements.
La deuxième priorité est de reprendre le processus de réforme de l'impôt sur
le revenu engagé par le gouvernement précédent.
La troisième priorité est d'alléger la fiscalité de l'épargne et du
patrimoine, des ménages comme des entreprises. Dans la course à l'attractivité
fiscale, nous ne somme pas compétitifs. Cette situation nous fait perdre des
cerveaux, de l'activité et des emplois. Il convient donc d'y remédier au plus
vite.
Le Gouvernement commence, semble-t-il, à en prendre conscience. Mais que
pourra-t-il faire s'il ne s'engage pas dans la voie d'une réduction de la
dépense publique ? Il ne pourra rien faire et, comme le ministre de l'économie,
des finances et de l'industrie l'a dit à l'Assemblée nationale « les
prélèvements décroîtront... si la croissance le permet ».
Au fond, comme le Gouvernement, la commission des finances du Sénat vous
propose, mes chers collègues, de faire vôtres les objectifs de diminution des
déficits et des prélèvements obligatoires. Mais, au contraire du Gouvernement,
elle suggère, pour y parvenir, de mener une politique affirmée de maîtrise des
dépenses publiques. C'est de cette manière, et de cette manière seulement, que
notre pays pourra résorber sa dette publique, faire face aux charges de
l'avenir et éviter ainsi de compromettre l'avenir de nos enfants.
Vous avez tout à l'heure souhaité, monsieur le secrétaire d'Etat, dégager un
point de consensus, et je suis sensible à ce souci. Je crois que cet objectif
de réduction rapide de notre dette peut être partagé sur toutes les travées de
cette assemblée, car nul d'entre nous ne voudrait qu'il puisse être dit que la
France de notre génération n'a pas aimé ses enfants ou, pis, qu'elle a joué
contre ses enfants.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste,
du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. le président.
Avec l'accord de M. le président de la commission des finances, la parole est
à M. le président de la commission des affaires économiques.
M. Jean François-Poncet,
président de la commission des affaires économiques et du Plan.
Monsieur
le président, monsieur le secrétaire d'Etat, je voudrais d'abord dire au
président Poncelet combien j'apprécie son geste de courtoisie : une obligation
familiale impérative me contraint à prendre un avion dans quelques minutes, et
il a bien voulu me permettre de parler avant lui. C'est une situation à
laquelle je ne connais pas de précédent ; je suis donc particulièrement
sensible à son geste.
Monsieur le secrétaire d'Etat, le débat sur les orientations budgétaires a un
immense mérite, celui de mettre en évidence les grands choix qui sous-tendent
toute politique.
Ceux que vous nous proposez sont, pour simplifier, de deux ordres : d'une
part, un choix en faveur de la monnaie unique, auquel la quasi-unanimité de la
commission des affaires économiques souscrit ; d'autre part, un choix en faveur
de la dépense publique, que la majorité de la commission regrette parce qu'il
lui paraît contradictoire avec le premier, en opposition avec les exigences que
la monnaie unique porte en elle.
S'agissant tout d'abord de la monnaie unique, si les polémiques que l'euro a
longtemps suscitées ont, pour l'essentiel, cessé, c'est parce que son impact
sur l'économie s'avère dès aujourd'hui, avant même qu'il soit mis en
circulation hautement positif.
En vérité, sa contribution est triple.
L'euro apporte à l'Europe la stabilité monétaire dans un environnement
international caractérisé par la volatilité des taux de change, notamment en
Asie.
L'euro a ouvert la voie à des taux d'intérêt qui ne sont pas seulement les
plus bas de la planète, à l'exception du Japon, - un pays qui connaît au
demeurant une situation très particulière - mais aussi les plus bas que notre
continent ait connu depuis la Seconde Guerre mondiale.
L'euro confère enfin à l'Europe une attractivité nouvelle aux yeux des
investisseurs internationaux.
Souvenons-nous : on dénonçait hier la réduction à marche forcée des déficits
budgétaires, qui était censée engendrer déflation et chômage. Or on constate
qu'en cette fin de siècle c'est au contraire, en Europe et dans le reste du
monde, l'assainissement des finances publiques qui est porteur de croissance et
d'emploi.
M. Jean-Philippe Lachenaud.
Très juste !
M. Jean François-Poncet,
président de la commission des affaires économiques.
Le retournement de
conjoncture dont vous bénéficiez, monsieur le secrétaire d'Etat, doit beaucoup
au choix de l'euro fait par la France depuis Maastricht. En annonçant un
déficit ramené de 3 % à 2,3 % du PIB en 1999, vous vous inscrivez - et c'est un
fait heureux - dans cette continuité ; nous vous en donnons acte.
Mais on se tromperait gravement, mes chers collègues, en ne voyant dans la
monnaie unique qu'un simple carcan budgétaire. L'euro est beaucoup plus que
cela. Il ouvre en Europe une ère nouvelle de transparence économique et donc de
concurrence, à laquelle non seulement les entreprises mais aussi l'Etat doivent
se préparer.
Cela m'amène évidemment à votre deuxième choix, monsieur le secrétaire d'Etat,
en faveur de la dépense publique. Bien que je ne fasse pas partie de ceux que
vous décrivez comme des libéraux partisans de la croissance zéro - vous me
permettrez de ne pas m'inscrire dans cette cohorte - il n'en demeure pas moins
que, à mes yeux, votre choix en faveur de la défense publique ne prépare pas la
France à la concurrence européenne de demain.
La croissance de l'économie amènera avec elle, si tout va bien, entre 50
milliards et 60 milliards de francs de recettes budgétaires supplémentaires.
Vous proposez d'en consacrer un tiers à la réduction du déficit et deux tiers à
l'accroissement de la dépense publique. Tout en observant que la dette publique
est énorme - je cite M. Strauss-Kahn s'adressant à l'Assemblée nationale -,
vous proposez de l'augmenter de 10 milliards de francs en 1999.
La dépense publique est souvent nécessaire - on évoquait à l'instant les
dépenses régaliennes - et productive, j'en conviens. Mais où est la priorité
quand les dépenses de l'Etat ajoutées aux dépenses sociales représentent -
c'est le gouverneur de la Banque de France qui l'affirme - 54,1 % du PIB,
contre 48,2 % en moyenne dans les pays européens ?
Où est la priorité quand le niveau de la fiscalité pousse une partie de nos
élites à s'expatrier ?
Quand comprendra-t-on que l'impôt détruit plus d'emplois dans l'ensemble de
l'économie qu'il n'en crée ponctuellement à travers les programmes qu'il permet
de financer ?
Chacun d'entre nous le constate quotidiennement dans son département, un
nombre considérable de petites et de très petites entreprises qui pourraient
embaucher y renoncent, parce que, à force de réglementations et de charges, on
les en dissuade ou, pour être plus exact, on les en dégoûte. Nous sommes tous
depuis des années responsables de cet état de choses, c'est vrai. Raison de
plus pour, ensemble, changer radicalement de cap.
Et que dire de la création d'entreprises, dont on voit, notamment aux
Etats-Unis, qu'elle est le moteur de l'innovation et de la croissance mais qui,
en France, ne bénéficie, pour l'essentiel, que de bonnes paroles dans les
discours du dimanche ?
Monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le choix européen est un
choix fondamental.
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
C'est exact !
M. Jean-François Poncet,
président de la commission des affaires économiques.
De deux choses l'une
: ou bien nous en tirerons les conséquences fiscales, sociales, administratives
et universitaires qu'il implique, et la France surprendra l'Europe par la
vigueur de sa croissance et la force de son dynamisme ; ou bien, tout en ayant
fait le choix européen, nous nous replierons sur ce que nous appelons avec
fatuité « l'exception française », qui n'est, le plus souvent, rien d'autre que
le retard français, et nous mettrons tôt ou tard, par notre incapacité à nous
adapter, la construction européenne elle-même en danger. Car il n'y aura
d'Europe unie qu'avec une France forte et compétitive !
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes
économiques de la nation.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire
d'Etat, mes chers collègues, le débat sur les orientations budgétaires pour
l'exercice 1999 est notre quatrième rendez-vous de l'année avec le ministre de
l'économie et des finances. Je n'ai pas comptabilisé les rendez-vous que nous
avons eus avec vous, monsieur le secrétaire d'Etat, car nous avons l'habitude
de vous recevoir ; vous répondez d'ailleurs toujours aux invitations que nous
vous adressons.
M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie a fait savoir,
voilà un instant, qu'il nous consacrerait sa journée. Je m'en réjouis et je
l'en remercie, sachant combien est particulièrement chargé son emploi du temps.
Je considère que sa présence
(Sourires)
marque tout l'intérêt qu'il porte, comme vous-même, au débat
d'orientation budgétaire, qui est une initiative sénatoriale. Nous avions
regretté que, l'an dernier, ce débat n'ait pas eu lieu.
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Ce n'est pas de notre fait !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Après avoir manifesté notre très
large soutien à la mise en oeuvre de l'euro, modifié les statuts de la Banque
de France et débattu du projet de loi portant diverses dispositions d'ordre
économique et financier, nous allons poursuivre ensemble notre réflexion sur la
politique économique de notre pays.
Je ne reviendrai pas sur l'excellente intervention de notre rapporteur
général, qui a très bien décrit la stratégie budgétaire que propose la
commission des finances, une stratégie, je le rappelle, qui n'a pas à être «
corrigée des variations politiques saisonnières »
(sourires.),
puisqu'elle est restée constante depuis de nombreuses années. Vous l'avez
fort justement rappelé, monsieur le rapporteur général. La position du Sénat,
en ce domaine, n'a pas varié, quels que soient les gouvernements en place.
Cette stratégie, je le souligne aussi, est très largement partagée par les
experts français et internationaux. Je n'en donnerai qu'un seul exemple, celui
de l'urgente nécessité de la maîtrise de la dépense publique, qui vient de
faire l'objet de quelques controverses, voilà un instant.
J'observe d'ailleurs que, si M. le ministre de l'économie se plaît à citer
régulièrement certains chiffres tirés de l'audit réalisé l'an dernier, au
moment de l'installation du Gouvernement, par MM. Bonnet et Nasse, magistrats
de la Cour des comptes, il ne reprend pas à son compte les conclusions de fond
de l'audit. Je devine que les contraintes inhérentes à la majorité plurielle,
dont nous avons eu quelques exemples tout récemment dans une autre assemblée,
ainsi que les promesses électorales récentes brident certainement le ministre
de l'économie, qui, j'en suis persuadé, serait sans doute tenté d'emprunter sa
pente naturelle de réduction des dépenses publiques, si j'en juge à ses
déclarations antérieures.
Mais que lit-on dans ce rapport d'audit des deux magistrats de la Cour des
comptes ? Tout simplement ceci : « Agir sur la dépense est le seul moyen de
réduire les déficits sans accroître des prélèvements obligatoires déjà très
lourds. » Et, plus loin : « Une maîtrise prolongée de la dépense publique
impose un réexamen en profondeur des missions de l'Etat. »
Autrement dit, la question est posée de savoir si l'Etat va demeurer dans le
secteur concurrentiel ?
Je pourrais également me référer à mon tour au Conseil de la politique
monétaire : « Un effort important de maîtrise des dépenses doit être poursuivi.
»
Le Gouvernement ne souhaite pas tenir compte de ces recommandations, pourtant
inspirées par la sagesse et le bon sens d'experts nationaux et internationaux.
C'est son droit, mais il en portera la responsabilité et il montrera peut-être
qu'il a des défaillances de mémoire. En effet, dès demain, sinon dès
aujourd'hui, les manuels d'histoire budgétaire retiendront comme question de
cours les conséquences désastreuses de la politique de « réhabilitation de la
dépense publique », comme on la baptisait à l'époque, conduite par M. Michel
Rocard, alors Premier ministre.
M. Michel Charasse.
Puis par M. Balladur !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Et si un sursaut ne s'opère pas
à bref délai, ils ajouteront un chapitre supplémentaire consacré, cette fois,
aux erreurs de la politique budgétaire du Premier ministre, M. Lionel
Jospin.
M. René Régnault.
Il ne faut pas rêver !
M. Michel Charasse.
Et entre les deux, rien ?
Quid
de M. Balladur ?
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Ces vicissitudes budgétaires, si
elles restaient de portée franco-française, n'auraient d'autre conséquence - si
je puis dire - que de rétablir ce que nous avons connu dans le passé : le cycle
inflation-dévaluation. Mais le monde a changé plus vite que les éminents
experts budgétaires. Les retards que nous prenons aujourd'hui dans la maîtrise
de nos finances publiques se traduisent et se traduiront par des pertes de
compétitivité et des pertes d'emplois, car les facilités de l'inflation et de
la dévaluation nous sont aujourd'hui interdites du fait de notre entrée dans le
cercle des pays à monnaie unique.
Mes chers collègues, attention : nous prenons du retard dans la course à
l'euro, ce qui ne sera pas sans conséquences. Et les historiens ne comprendront
pas grand-chose à nos volte-face successives. En effet, pour préparer le grand
marché unique, nous avons accepté, parfois dans l'improvisation et la
précipitation, d'abaisser considérablement notre fiscalité, qu'il s'agisse de
TVA, de l'impôt sur les sociétés - le gouvernement de Pierre Bérégovoy avait
ramené son taux à 33 1/3 % pour l'harmoniser avec celui des autres pays
européens - ou qu'il s'agisse encore de la fiscalité de l'épargne.
Et aujourd'hui, pour préparer une échéance encore plus considérable, celle de
l'euro, nous procédons à un véritable « réarmement fiscal » - autorisez-moi
l'expression - dont seule la croissance, ô combien fragile, comme M. le
ministre et vous-même, monsieur le secrétaire d'Etat, l'avez souligné à
l'instant, permet de masquer provisoirement l'importance, pendant que se creuse
l'écart entre nous et nos partenaires pour ce qui est de la maîtrise de nos
dépenses.
Je sais bien que les prélèvements obligatoires devraient « mécaniquement »
baisser en pourcentage de la richesse nationale, mais si leur part dans le
produit intérieur brut diminue, cela n'empêchera pas pour autant notre
fiscalité du revenu, de l'épargne et du patrimoine de demeurer aussi lourde
pour celles et ceux qui doivent l'acquitter. Les contribuables éprouveront
toujours quelque difficulté à oublier leur feuille d'impôt, elle bien réelle,
pour se consacrer à la lecture des tableaux de comptabilité nationale, eux bien
théoriques. Nous avons véritablement un double défi à relever - ce n'est pas
facile, j'en conviens ; il nous faut beaucoup de courage et de persévérance -
celui des dépenses et celui des recettes, indissolublement liées.
Le constat est simple : la part des dépenses publiques est de 54,1 % du
produit intérieur brut en France, contre 48,2 % dans l'Union européenne et loin
devant la moyenne du groupe des sept pays les plus industrialisés, qui
s'établit à 38,3 %.
Ces pourcentages semblent abstraits, traduisons-les en francs : pour
s'inscrire dans la moyenne de ses partenaires européens, la France devrait «
supprimer » ou « privatiser », sous une forme ou sous une autre, 480 milliards
de francs de dépenses publiques. Je sais bien que la nomenclature de l'OCDE est
critiquable, mais 480 milliards de francs, c'est une somme, et l'ordre de
grandeur doit nous faire réfléchir !
Quels que soient nos affrontements nationaux à venir, comme il est normal,
dans une démocratie, sur les trois réformes qui nous sont annoncées pour
l'automne - la fiscalité du patrimoine, la fiscalité écologique et la fiscalité
locale - j'en appelle solennellement à la lucidité : allons-nous continuer à
faire cavalier seul en Europe, alors que l'immense dossier de l'harmonisation
fiscale est ouvert, harmonisation fiscale qui devient chaque jour de plus en
plus urgente, notamment de l'avis des responsables de nos grandes entreprises
industrielles ?
J'attends d'ailleurs avec impatience que le Gouvernement tienne ses promesses
et diminue, comme il l'a annoncé, le taux de TVA de deux points. Le corps
électoral avait été sensible à cette annonce, qui vous a rapporté des voix,
monsieur le secrétaire d'Etat. Alors, dépêchez-vous de le faire...
Par ailleurs, il et techniquement difficile de modifier la taxe d'habitation
sans donner l'impression de créer un troisième impôt sur le revenu, qui serait
local, après l'impôt sur le revenu et la contribution sociale généralisée, On
serait tenté de dire : trop, c'est trop !
Mais il serait dangereux d'augmenter la taxe intérieure sur les produits
pétroliers appliquée au gazole sans abaiser à due concurrence celle qui frappe
le super sans plomb.
M. Philippe Marini.
Mais il faudrait choisir !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Voilà qui serait logique.
Enfin, il serait à proprement parler catastrophique - je n'hésite pas à
employer ce qualificatif - ...
M. René Régnault.
Un peu fort !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
... pour nos petites et moyennes
entreprises d'inclure l'outil de travail dans l'assiette de l'impôt de
solidarité sur la fortune, comme cela est demandé par certains au sein de la
majorité plurielle.
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
C'est une folie !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
C'est nous qui le demandons, monsieur le président de la commission !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Vous voyez que je suis bien
informé !
Monsieur le secrétaire d'Etat, j'attends une réponse. Mais elle ne saurait
tarder, s'agissant d'une question aussi importante. Oui ou non, êtes-vous
favorable à ce que l'outil de travail soit passible de l'impôt sur la fortune
?
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
Très bien !
M. Philippe Marini.
Il faut le savoir !
M. René Régnault.
Comme vous dites !
M. Jean Chérioux.
Que voilà une bonne idée économique !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Je suis convaincu que ni
vous-même ni M. le ministre ne souhaitez prendre une telle mesure. Comme nous
tous, vous savez que cela reviendrait à casser l'activité, à détruire ces
précieux emplois qui nous viennent des petites et moyennes entreprises et à
freiner, voire à détruire une croissance qui reprend à peine.
Monsieur le secrétaire d'Etat, ne prenez pas une telle mesure !
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
Très bien !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
S'agissant précisément de la
politique de l'emploi, je me souviens que nous avaient été annoncées, l'année
dernière, des modifications considérables portant sur les aides à l'emploi afin
de financer les trente-cinq heures et les emplois-jeunes. Le rapport écrit du
Gouvernement, que nous pouvons consulter, est muet sur ce point. Comme il
s'agit d'une orientation essentielle et que, par ailleurs, les arbitrages sont
rendus, si j'en crois les informations données par les médias, nous aimerions
débattre avec le Gouvernement de ses orientations précises. Si je vous ai bien
compris, monsieur le secrétaire d'Etat, lors de votre audition devant la
commission des finances, le coût des trente-cinq heures et des emplois-jeunes
en 1999 serait de l'ordre de 20 milliards de francs, mais dans le cadre d'un
budget de l'emploi « maîtrisé » - je reprends le terme que vous avez employé -
ce coût serait gagé par des économies sur d'autres actions en faveur de
l'emploi, tout en préservant les prises en charge par l'Etat de cotisations
sociales afin d'abaisser le coût du travail. Sur ce dernier point, que je
partage, vous aurez l'occasion de manifester concrètement votre approbation,
puisque, lundi prochain, le Sénat examinera une proposition de loi tendant à
alléger les charges sur les bas salaires. Soyez donc assez aimable de dire à
Mme le ministre des affaires sociales que vous êtes d'accord, afin qu'elle
approuve cette disposition qui va dans le sens que vous avez indiqué.
Si mon interprétation est correcte, indiquez-moi, monsieur le secrétaire
d'Etat, les types d'actions - sans entrer dans le détail - qui verront leurs
crédits amputés, puisqu'il faudra réorienter, redistribuer 20 milliards de
francs.
Je poursuis mon analyse sur l'emploi en indiquant au Gouvernement
l'attachement du Sénat à l'abaissement du coût du travail peu qualifié, seul
moyen efficace de préserver et de créer des emplois dans les services de
proximité et les industries de main-d'oeuvre. Aujourd'hui, tous les experts
sont d'accord pour estimer qu'il s'agit de la seule piste d'action sérieuse et
efficace.
Tout récemment, j'ai lu une déclaration, que vous ne sauriez contredire, de M.
Fabius, président de l'Assemblée nationale, qui a occupé par ailleurs de hautes
responsabilités et qui sait donc de quoi il parle. Il disait : « Il faut
d'urgence, avec la croissance qui dégage quelques recettes nouvelles, abaisser
les charges sur les bas salaires dans le domaine des industries de
main-d'oeuvre. » Cette déclaration renforce encore notre démarche. Je regrette
que M. Fabius ne siège pas parmi nous, car il aurait pu nous aider lundi
prochain lorsque nous défendrons notre proposition de loi.
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
Cela prouve votre objectivité, monsieur le président
de la commission !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
La Commission de Bruxelles nous
enjoint même de consacrer toutes nos marges budgétaires retrouvées à cet
abaissement du coût du travail. Or - je le regrette - vous faites exactement le
contraire de ce qu'il faudrait faire : vous réduisez la ristourne dégressive
fusionnée ; vous augmentez le coût de la main-d'oeuvre par le décrochage du
SMIC de la réduction du temps de travail ; vous accordez des coups de pouce
répétés au SMIC, ce qui est socialement et humainement justifié,
disons-le,...
Mme Marie-Claude Beaudeau et M. Marc Massion.
Quand même !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Oui, mais on ne peut tout faire
à la fois, même si certains prétendent le contraire ; c'est une démarche
démagogique que je regrette.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
On ne peut pas tout avoir à la fois : le CAC 40 à plus de 4 000 points...
M. Jean Chérioux.
Aucun rapport ! C'est vraiment une assimilation absurde !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
On ne peut, en effet, à la fois
imposer l'outil de travail et lui demander un meilleur rendement !
Si c'est socialement et humainement justifié, cela a pour effet de détruire
des emplois existants et de freiner la création d'emplois nouveaux.
Toutes ces dispositions fiscales et sociales, prises au détour d'une
discussion budgétaire ou de l'élaboration d'un collectif, créent une
instabilité de la réglementation, dénoncée avant-hier, hier, aujourd'hui, et
peut-être encore demain. Mais il faudra y mettre un frein, car cette
instabilité de la réglementation ruine la confiance des chefs d'entreprise dans
la parole de l'Etat, et cela conduit parfois certains d'entre eux à profiter
des effets d'aubaine sans qu'apparaissent les conséquences positives liées aux
décisions prises par le Parlement et par le Gouvernement.
Il faudrait, en effet, convaincre nos brillants techniciens, ou technocrates -
mais je n'aime pas trop ce dernier mot - que les patrons de PME n'embauchent
que si le coût des salaires est prévisible à moyen terme. Dans le cas contraire
- on le constate en le regrettant - ils refusent des commandes et privilégient
l'automatisation des processus de production - ce que notre collègue Michel
Charasse évoquait l'autre jour en disant que la machine remplace l'homme dans
tous les domaines, ce qui n'est pas le cas aux Etats-Unis ou dans certains pays
d'Europe. En outre, les chefs d'entreprise ont tendance à délocaliser leurs
activités, surtout si celles-ci font appel à une main-d'oeuvre importante.
Je regrette donc, monsieur le secrétaire d'Etat, que les orientations du
Gouvernement en matière tant de dépenses publiques que de prélèvements
obligatoires hypothèquent, de fait, l'avenir de l'emploi dans notre pays.
Les emplois-jeunes sont précaires. J'ignore quelle somme vous allez inscrire
dans le projet de budget pour 1999, mais, initialement, les emplois-jeunes
devaient entraîner une dépense de trente-cinq milliards de francs par an. Si on
ne retrouve pas ces 35 milliards de francs dans le projet de loi de finances
pour 1999, c'est donc que vous n'avez pas atteint le nombre d'emplois
espéré.
Je vais me laisser aller à évoquer une question qui me tient à coeur.
(Sourires.)
Les emplois-jeunes coûteront 35 milliards par an pendant cinq ans, la
politique de la ville - si j'ai bien lu le rapport de M. Sueur - quelque 30
milliards de francs sur une dizaine d'années et l'application de la loi
relative à la lutte contre les exclusions - qui était nécessaire - 52 milliards
de francs avec le concours des collectivités territoriales. Alors que l'on
trouve ces sommes extrêmement importantes pour financer ce que j'appellerai du
fonctionnement, des interventions, on ne trouve pas - tenez-vous bien ! - 2,5
milliards de francs pour finaliser le plan de financement du TGV
Paris-Strasbourg, qui est incontestablement une infrastructure très importante
pour l'avenir du pays.
(MM. Bernadaux, Chérioux et Trucy applaudissent.)
Je n'arrive pas à comprendre !
M. René Régnault.
Celui-ci ne desservirait-il pas les Vosges ?
(Sourires.)
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Bien sûr ! Vous n'êtes pas
chargé de défendre les Vosges, vous...
Je redoute même que les emplois-jeunes ne soient, en définitive, destructeurs
à terme d'emplois productifs.
J'en viens à la situation des finances locales. Elle appelle, de ma mart, un
certain nombre de commentaires, et plus encore d'interrogations.
Je remercie M. le ministre de l'intérieur, M. le ministre de l'économie, des
finances et de l'industrie, vous-même, monsieur le secrétaire d'Etat au budget,
ainsi que M. le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de
la décentralisation d'avoir reçu, lundi dernier, les commissions des finances
du Parlement et les présidents des grandes associations nationales d'élus
locaux pour évoquer l'avenir des relations financières entre l'Etat et les
collectivités locales à la veille, nous ont-ils dit, du débat d'orientation
budgétaire.
Bien que les arbitrages soient presque tous effectués et les lettres plafond
dans quelques jours à la signature de M. le Premier ministre, cette première
réunion, disons-le, d'ailleurs cela a été reconnu - je parle sous le contrôle
de ceux qui participaient à cette réunion et qui sont parmi nous ce matin - ne
nous a guère éclairés sur les intentions du Gouvernement. Une telle
appréciation a en effet été partagée par tous les participants, quelle que soit
leur tendance. Je ne parle pas, bien sûr, des ajustements de détail, qui seront
débattus lors de l'examen du projet de loi de finances pour 1999, mais des
grandes options. En effet, si un tel débat dit d'orientation budgétaire a un
sens, c'est bien celui de nous éclairer sur les grandes orientations du
Gouvernement pour permettre d'établir un véritable dialogue.
Monsieur le secrétaire d'Etat, les concours de l'Etat aux collectivités
territoriales seront-ils indexés sur la croissance, en tout ou partie ? En
effet, il a été admis, par tous les participants à cette réunion, que les
collectivités territoriales participent à l'augmentation de la croissance dont
chacun se félicite, à savoir entre 175 milliards et 200 milliards de francs,
soit à peu près 75 % de l'investissement public. Dans l'hypothèse selon
laquelle cette indexation aurait lieu, quelles contreparties seraient exigées
des collectivités locales ? Le versement du surplus des dotations résultant de
cette indexation serait-il conditionné par l'obligation pour les élus locaux de
prendre l'engagement, par exemple, de limiter, voire d'arrêter, toute
augmentation de la pression fiscale, ou de s'engager à investir, dans des
proportions à déterminer ?
Des mesures spécifiques - c'est un point qui nous préoccupe - sont-elles
envisagées pour assurer l'équilibre de la Caisse nationale de retraites des
agents des collectivités locales en 1999, ou bien ne restera-t-il aux
collectivités locales qu'à augmenter alors, faute d'interventions nouvelles,
les cotisations sociales ? Le principe de la surcompensation, décidé en 1985 et
qui a été par la suite terriblement combattu - M. Régnault ne me contredira
pas...
M. René Régnault.
Je continue à le combattre !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
M. Régnault appartient à votre
majorité, monsieur le secrétaire d'Etat !
Le principe de la surcompensation, disais-je, sera-t-il maintenu l'an prochain
dans toutes ses conséquences ?
Les dotations de l'Etat seront-elles recalibrées pour leur assurer un effet de
péréquation plus important ?
M. René Régnault.
Très bien !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Cette péréquation accrue
correspondrait-elle au franc le franc au produit de l'éventuelle indexation des
concours de l'Etat ?
Autant de questions que nous sommes légitimement en droit de nous poser au
moment où, dans nos collectivités territoriales, nous réfléchissons à la
construction de nos budgets pour l'an prochain. En outre, dans quelques
semaines, nous allons devoir, nous aussi, présenter nos orientations aux élus,
puisque lorsqu'on est maire ou président de conseil général, ou président de
conseil régional, c'est une obligation qui résulte de la loi.
Voilà, monsieur le secrétaire d'Etat, trois questions de fond, trois
orientations sur lesquelles le Sénat souhaiterait être informé dès à présent,
sans avoir à attendre les déclarations du Premier ministre, annoncées pour le 9
juillet, si j'ai bien compris ce qui nous a été dit l'autre jour.
Pour ce qui la concerne, la réflexion de la commission des finances est guidée
par quelques grands principes. J'ai la faiblesse de penser qu'ils sont simples
et efficaces.
Tout d'abord, le principe d'un engagement réciproque pluriannuel doit être
préservé. Ce pacte de stabilité entre l'Etat et les collectivités locales,
lorsqu'il a été instauré, a bien sûr été critiqué parce qu'il comportait des
imperfections, mais, aujourd'hui, aucun d'entre nous ne souhaiterait sa
disparition car il permet une prévisibilité des interventions de l'Etat et une
meilleure lisibilité de celles-ci. Il faut donc maintenir un engagement
réciproque pluriannuel.
M. René Régnault.
Réciproque, en effet !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Ces dotations doivent être
indexées sur la croissance, à la fois au regard des dépenses dont les
collectivités locales n'ont pas la maîtrise et pour conserver à ces
collectivités leur rôle déterminant en termes d'investissement public ; je n'y
reviens pas, car j'ai donné tout à l'heure quelques indications sur ce
sujet.
Monsieur le secrétaire d'Etat, si la réunion du 22 juin a eu un intérêt, c'est
bien celui d'avoir attiré votre attention sur la dérive des charges dont nos
collectivités locales ne peuvent assurer la maîtrise car elles leur sont
imposées : qu'il s'agisse, par exemple, de la mise aux normes européennes de
nombreux équipements et services, de la lutte contre les exclusions, de la
prestation spécifique dépendance, du contrat de plan de La Poste, qui
appellera, sans aucun doute, à contribution les communes, de l'aménagement des
lycées, ou des infrastructures. La liste est longue. Tous les participants à
cette réunion ont considéré qu'il y avait, dans chacun de ces domaines, des
dérapages au détriment des collectivités territoriales.
L'Etat, et il a tendance à l'oublier, est plus prompt à augmenter le coût de
la fonction publique locale qu'à indexer ses dotations aux mêmes collectivités.
On ne le soulignera jamais assez - M. le rapporteur général l'a fait mais j'y
reviens car la répétition peut avoir un effet pédagogique en permettant aux uns
et aux autres de retenir quelque chose.
(Sourires)
- le coût de l'accord
salarial de février 1998 sera, pour nos collectivités, de 4 milliards de francs
en 1999 et de 6 milliards de francs en l'an 2000. Pour fixer un ordre de
grandeur, je dirai simplement que le seul effet de cet accord salarial en 1998,
soit 1,5 milliard de francs, est à rapprocher de l'augmentation prévue pour
1998 de la dotation globale de fonctionnement, qui est de 1,45 milliard de
francs. Je serais tenté de dire que l'Etat reprend d'une main ce qu'il donne de
l'autre, encore que nous puissions débattre des chiffres, mais, dans le cas
présent, compte tenu de l'importance de ceux-ci, nous ne le pouvons pas.
Je conclurai mes observations relatives aux collectivités locales en faisant
justice des propos qui ont été tenus ici ou là, et qui sont parfois excessifs -
tout ce qui est excessif est insignifiant ! - sur la santé financière dite «
florissante » en 1997 de nos collectivités territoriales. Cette bonne santé
apparente tient aux décisions courageuses prises par le précédent gouvernement
en matière de rémunérations des fonctionnaires, aux effets de la renégociation
de la dette, à une compression des frais de fonctionnement, à des mesures non
reconductibles sur la CNRACL, et à des dépenses d'équipement limitées à 123
milliards de francs. Nous constatons déjà une réduction des investissements des
collectivités territoriales dans la mesure où une grande partie de leur budget
est dévorée par les mesures de fonctionnement qui incluent les mesures
sociales. Non, cette situation ne tient pas à une quelconque prodigalité
fiscale, puisque les taux des impôts locaux n'ont augmenté que de 1,3 % en
1997. Cette bonne santé apparente n'est que transitoire au regard des
évolutions prévisibles du coût de la fonction publique territoriale, des
charges de retraite, de l'achèvement de la restructuration de la dette, de
l'augmentation souhaitable de l'investissement et de la poursuite rampante des
transferts de charges.
Cette augmentation souhaitable de l'investissement local me conduit à
interroger le Gouvernement sur deux points.
Le premier point est de méthode : la commission des finances du Sénat, même si
elle est consciente des imperfections de l'exercice, souhaite vivement que la
présentation du budget de l'Etat en section de fonctionnement et en section
d'investissement, comme cela a été fait, soit fournie au Parlement à l'appui du
projet de loi de finances pour 1999. Le projet de budget apparaît ainsi, pour
la plupart d'entre nous, particulièrement lisible. Cette présentation montre
bien que nous continuons à financer des dépenses courantes par l'endettement,
ce qui est une facilité coupable dont les contribuables de demain - nos enfants
et petits-enfants - nous demanderont raison.
Cette facilité que se donne l'Etat de recourir à l'emprunt pour financer son
fonctionnement est fort heureusement interdite par la loi aux collectivités
territoriales, et il doit continuer à en aller ainsi. D'ailleurs, en cas de
manquement, une telle démarche serait à juste titre sanctionnée par les
chambres régionales des comptes.
Le second point est de fond : quelles sont les orientations du Gouvernement en
matière d'investissement civil de l'Etat ? En prenant en compte le budget
général de l'Etat, les budgets annexes et les comptes spéciaux du Trésor, le
Gouvernement peut-il nous indiquer si, en volume ou en pourcentage, il entend
faire de l'investissement public une priorité ? Il me semble délicat de
discuter des options budgétaires de manière sereine et efficace si nous
n'obtenons pas une réponse précise, non sur les chiffres eux-mêmes, mais sur la
tendance, bref sur les choix politiques qui sous-tendent l'action du
Gouvernement. Pour la commission des finances, il ne saurait subsister aucune
ambiguïté : l'investissement doit cesser d'être la variable d'ajustement des
budgets successifs.
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
Très bien !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Il doit être érigé au rang de
priorité, une bonne fois pour toutes. C'est la garantie de l'avenir des
générations futures.
Je conclurai mon propos en regrettant très sincèrement que le Gouvernement,
qui apparaît comme prisonnier d'engagements électoraux,...
M. Philippe Marini.
... contradictoires !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
... faits par certains des
membres de cette majorité plurielle, engagements d'un autre âge, se refuse,
pour le moment, à entendre nos conseils et nos suggestions. Le Gouvernement ne
procède pas, ou trop lentement, aux ajustements indispensables, que ce soit
pour la politique de l'emploi, pour la politique fiscale, pour les effectifs de
la fonction publique ou pour la maîtrise des dépenses.
Ainsi, M. le ministre de l'éducation nationale ayant dit qu'il fallait «
dégraisser le mammouth » - l'expression est de lui, non de moi ! - j'attends
ses propositions de dégraissage. Voilà un exemple !
M. Philippe Marini.
Ou alors, c'était une parole maladroite ! Il faudrait le savoir !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Or, l'opinion publique prend
bien sûr tout cela en compte.
Mes chers collègues, que cela plaise ou non, nous sommes tous « embarqués »,
si je puis dire, dans la grande aventure collective de l'euro. Seul le succès
de notre pays doit nous importer. Et il n'est pas besoin d'être grand clerc
pour deviner aujourd'hui que des bouleversements formidables vont s'opérer à
bref délai. Notre procédure budgétaire, nos petites astuces de présentation des
comptes, notre système fiscal et notre niveau de dépenses vont être soumis à de
fortes pressions.
Nous avons la chance depuis le dernier trimestre 1996 - j'insiste sur cette
date - d'avoir renoué avec une certaine croissance. C'est le moment ou jamais
d'entamer les ajustements indispensables qui ont été rappelés par M. le
rapporteur général. Nous ne devons pas rater cette « fenêtre de tir » à l'heure
même où des menaces sérieuses se profilent en Asie. Lors de la discussion du
projet de budget pour 1998, monsieur le secrétaire d'Etat, j'avais exprimé des
craintes à cet égard, et vous m'aviez alors répondu que les difficultés étaient
derrière nous ! Non ! Elles sont en fait devant nous ! Voyons la situation du
yen et du yuan, ainsi que tout ce qui va se passer : des difficultés
financières en Europe de l'Est. Pouvez-vous me garantir, monsieur le secrétaire
d'Etat, qu'il ne va pas y avoir un effondrement financier en Russie ? Tout cela
ne sera pas sans conséquences sur l'économie européenne.
Devant cette situation, je souhaite que le Gouvernement entende l'appel du
Sénat. Cet appel est dicté non par des considérations partisanes mais
simplement par la volonté de toutes et de tous, ici, de servir le pays dans son
destin européen.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des affaires culturelles.
M. Adrien Gouteyron,
président de la commission des affaires culturelles.
Monsieur le
président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, parlant en tant
que président de la commission des affaires culturelles, je pense exprimer
l'opinion d'une large majorité de cette dernière.
Bien sûr, nous nous réjouissons tous - cela a déjà été dit et je l'indique à
mon tour - de l'amélioration de la conjoncture, de ses retombées positives sur
notre économie et sur nos finances. Mais nous ne devons pas pour autant
relâcher l'effort entrepris, dans une période moins faste, pour définir une
politique des finances publiques à la fois prudente et dynamique : prudente,
parce que l'union monétaire, une économie ouverte, les évolutions
démographiques auxquelles nous serons bientôt confrontés nous l'imposent ;
dynamique, parce que nos marges de manoeuvre toujours étroites doivent nous
inciter à faire preuve d'imagination et à rechercher l'efficacité.
Nous devons contenir les dépenses publiques mais peut-être surtout les «
optimiser » et en planifier l'évolution.
Ces objectifs sont inséparables Ils requièrent le même effort d'évaluation des
actions entreprises, de réflexion sur l'allocation des moyens entre les
départements ministériels ou au sein de chaque administration.
Ils exigent aussi une réflexion sur la notion même de priorité et sur sa
traduction budgétaire.
Relayant les propos de M. le président de la commission des finances et de M.
le rapporteur général, je prendrai l'exemple de l'éducation nationale :
personne, et surtout pas le président de la commission des affaires
culturelles, ne niera que l'éducation est et doit rester une priorité.
Mais cela implique-t-il, monsieur le secrétaire d'Etat, que le budget de
l'éducation nationale, qui est déjà, et de très loin, le premier budget de
l'Etat, doive automatiquement bénéficier chaque année de considérables
augmentations ?
Le problème du nombre et du redéploiement des postes d'enseignants doit-il
être considéré comme un sujet tabou, quelle que soit par ailleurs l'évolution
des effectifs d'élèves et d'étudiants ? Est-il impensable de remettre en
question le montant des crédits d'heures supplémentaires ? Est-il déplacé de
s'interroger sur le nombre et le coût des emplois-jeunes, sur leur utilisation
et sur le devenir de leurs titulaires ?
Nous assistons, dans le domaine de l'éducation, à un foisonnement de projets
de réforme, dont certains sont d'ailleurs sympathiques. Néanmoins, ne
devons-nous pas nous étonner, à ce moment de notre débat, que leurs incidences
budgétaires paraissent ignorées ou, en tout cas, ne soient jamais évoquées ?
Pour tout vous dire, monsieur le secrétaire d'Etat, nous n'avons pas
l'impression que l'on exige du ministère de l'éducation nationale le même
effort de rigueur que celui qui est demandé à d'autres ministères, pourtant
moins bien dotés.
Nous voudrions aussi vous rappeler que d'autres ministères concourent à
l'éducation et que toutes les dépenses d'éducation ne bénéficient pas d'un égal
traitement budgétaire. Je pense, bien sûr, à l'enseignement agricole, mais
aussi, par exemple, à l'enseignement maritime, qu'il ne faut pas négliger et
dont le devenir inquiète beaucoup les professionnels de la pêche.
Enfin, monsieur le secrétaire d'Etat, nous sommes aussi conduits à nous
interroger sur la différence de traitement des « grands » et des « petits »
ministères lorsque nous constatons, par exemple, la situation du budget de la
jeunesse et des sports, qui apporte pourtant une contribution essentielle aux
priorités que sont l'intégration sociale et l'éducation à la citoyenneté.
L'optimisation de la dépense publique impose de privilégier, dans chaque
secteur de l'activité gouvernementale, les dépenses qui contribuent à la
réalisation des priorités économiques et sociales.
La priorité absolue est toujours l'emploi. Il faut donc privilégier les
dépenses créatrices d'emplois - de vrais emplois.
Pour m'en tenir aux domaines qui sont ceux de la commission des affaires
culturelles, je voudrais rappeler, monsieur le secrétaire d'Etat, que cette
commission, en particulier sous l'impulsion et l'autorité de mon prédécesseur
Maurice Schumann, a toujours défendu les dépenses consacrées à la restauration
et à la mise en valeur du patrimoine, pour leur effet « démultiplicateur » en
termes d'investissement et pour l'enjeu qu'elles représentent en termes de
survie des entreprises et des métiers d'art.
Nous sommes confortés dans ce choix par une récente étude de la Commission
européenne qui met en évidence l'impact de la politique du patrimoine sur la
valorisation du tourisme, sur l'emploi et sur les rentrées fiscales.
La priorité accordée aux dépenses culturelles doit porter plus
particulièrement sur les crédits que je viens d'évoquer.
L'optimisation des dépenses impose aussi de veiller à la « productivité » des
services publics, et donc de réfléchir sur le meilleur emploi des moyens. Cette
réflexion progresse encore lentement, et l'éducation nationale en est un
exemple.
L'administration de l'éducation nationale invoque à juste raison, depuis un
certain nombre d'années, le principe de la « discrimination positive » qui
inspire notamment la politique des zones d'éducation prioritaire. Mais en
tire-t-on vraiment toutes les conséquences possibles dans les zones qui ne
relèvent pas de ce principe ? Je crains que non.
Je voudrais me féliciter, monsieur le secrétaire d'Etat, que les conclusions
du rapport de M. Philippe Meirieu, dont on a beaucoup parlé, posent à nouveau
la question de la définition des obligations de service des enseignants. Vous
conviendrez que ce sujet n'est pas sans incidence budgétaire quand on sait le
volume d'emplois et de crédits concernés !
Nous avions souhaité, dès 1989, que la revalorisation de la situation des
enseignants s'accompagne d'une révision de cette définition, qui est
manifestement obsolète et bien peu favorable - il faut le souligner - aux
enseignants des établissements « difficiles » et aux universitaires qui
s'investissent le plus dans leur mission.
Enfin, je voudrais rappeler que le Parlement devait débattre, ce printemps, du
plan social étudiant.
Je profite de ce débat d'orientation budgétaire pour vous indiquer, monsieur
le secrétaire d'Etat, que nous espérons disposer bientôt de quelques
indications sur les orientations de ce plan, dont nous souhaitons qu'elles
privilégient un meilleur « ciblage » des aides aux étudiants.
Mais nous souhaitons aussi être complètement informés des incidences
budgétaires de ce plan, dont l'application - nous n'en doutons pas - sera
étalée sur plusieurs années.
Cela m'amène, mes chers collègues, à évoquer la programmation des dépenses
publiques.
Le rapport déposé par le Gouvernement pour le débat d'orientation budgétaire
propose, dans une de ces formules qu'affectionnent les technocrates, «
d'élargir l'horizon temporel de l'action publique ». L'idée est bonne, et nous
nous en félicitons. Nous espérons, monsieur le secrétaire d'Etat, que ce souci
conduira le Gouvernement, en particulier l'administration des finances, à
surmonter ses réticences à l'égard des engagements pluriannuels et à développer
les efforts consentis en matière de planification des dépenses.
J'en reviens au patrimoine : pouvons-nous espérer qu'une nouvelle loi de
programme sur le patrimoine monumental sera présentée au Parlement ?
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Très bien !
M. Adrien Gouteyron,
président de la commission des affaires culturelles.
Même si elle n'a pas
toujours, hélas ! été strictement respectée, cette programmation a, nous
semble-t-il, fait la preuve de son utilité. Elle représente un gage de la
continuité de l'action de l'Etat, particulièrement pour les entreprises, elle
accentue l'effet multiplicateur de la dépense consacrée au patrimoine, elle
incite à une gestion plus efficace des crédits.
Enfin, je voudrais rappeler que la loi d'orientation sur l'éducation de 1989 -
il y a déjà dix ans, monsieur le secrétaire d'Etat ! - prévoyait la publication
annuelle, par le ministère de l'éducation nationale, de plans de recrutement
des personnels sur cinq ans.
Cette disposition n'a jamais été appliquée. Elle n'est d'ailleurs pas, j'en
conviens, facile à mettre en oeuvre. Il paraît néanmoins tout à fait
indispensable de développer un effort sérieux de planification des recrutements
des personnels de l'éducation nationale, au moment où les départs à la retraite
vont s'accélérer, où les évolutions démographiques se stabilisent, où de
multiples réformes sont envisagées.
Il me semble, sur un sujet comme celui-là, que le Gouvernement n'a pas droit à
l'erreur et que le Parlement et les citoyens ont droit, eux, à une meilleure
information. Une planification susceptible de réduire les incertitudes et
d'éclairer les choix s'impose donc.
Monsieur le secrétaire d'Etat, les marges de manoeuvre sont étroites, et cette
étroitesse peut être ressentie comme une contrainte. Mais, en nous interdisant
les délices d'un keynésianisme un peu simpliste, en nous imposant de nouveaux
efforts de rigueur et d'imagination, cette contrainte nous offre aussi une
chance nouvelle d'améliorer la gestion de nos finances publiques et la qualité
du service public.
La commission des affaires culturelles souhaite que le Gouvernement saisisse
pleinement cette chance !
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des affaires sociales.
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
Monsieur le président,
monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, après les excellentes
interventions de MM. Poncelet, François-Poncet, Gouteyron et Lambert, je
voudrais avancer une interrogation sur la nature du débat qui nous réunit et
vous soumettre trois observations de fond sur le rapport du Gouvernement et sur
les propos tenus par M. le ministre et par M. le secrétaire d'Etat.
Je formulerai d'abord une interrogation sur la méthode, car ce troisième débat
d'orientation budgétaire intervient dans un contexte très différent de celui
des deux premiers.
D'abord, notre participation à la mise en place de l'euro, tout comme les
engagements souscrits au titre du pacte de stabilité et de croissance de juin
1997, impose la référence au « besoin de financement des administrations
publiques », qui dépasse le cadre de la loi de finances et inclut les finances
des collectivités locales et de la sécurité sociale.
Ensuite, la réforme constitutionnelle du 19 février 1996 et la loi organique
du 22 juillet 1996 ont créé une seconde catégorie de lois de finances publiques
: les lois de financement de la sécurité sociale. Nous examinerons ainsi, à
l'automne, la troisième loi de financement de la sécurité sociale.
Le débat d'orientation budgétaire a donc changé de nature ; de fait, il est
devenu un débat d'orientation sur l'évolution des finances publiques.
Je constate que, parmi les quatre objectifs fixés par le Gouvernement pour
1999, trois concernent pleinement le domaine des finances sociales.
La stabilisation des prélèvements obligatoires est un voeu pieux si l'on
n'aborde pas les prélèvements sociaux, qui sont équivalents, en pourcentage du
PIB, à ceux de l'Etat et des collectivités locales réunis.
Quant à l'objectif consistant à ramener le besoin de financement des
administrations publiques à 2,3 % du PIB en 1999, il repose pour partie sur la
réalisation du quatrième objectif que s'est donné le Gouvernement, ramener à
l'équilibre le régime général de sécurité sociale.
Aussi, mes chers collègues, de deux choses l'une : soit ce débat reste un
débat d'orientation purement budgétaire, consacré aux dépenses et aux recettes
de l'Etat au sens strict et il est, à l'évidence, nécessaire d'organiser par
ailleurs un débat d'orientation sur le financement de la sécurité sociale - M.
Jacques Barrot, alors qu'il était ministre des affaires sociales, s'était
engagé à organiser un tel débat, qui n'a pas eu lieu en 1997 pour les raisons
que l'on sait et qui, à l'évidence, n'aura pas lieu non plus en 1998 - soit ce
débat d'orientation devient un véritable débat sur les finances publiques, et
il faut en tirer toutes les conséquences.
Pour ma part, je suis favorable à cette seconde solution, car elle est la
seule à prendre en considération le nouveau contexte dans lequel nous allons
entrer.
Mais l'organisation d'un tel débat d'orientation sur les finances publiques
supposerait que le Gouvernement puisse présenter de véritables orientations sur
ce que sera le projet de loi de financement de la sécurité sociale et que Mme
la ministre de l'emploi et de la solidarité, qui présente au nom du
Gouvernement ce projet de loi, soit partie prenante à ce débat.
Force est de constater que le débat d'aujourd'hui traduit une absence de choix
entre ces deux solutions possibles : les finances sociales y sont évoquées à de
nombreuses reprises, elles apparaissent même au coeur des objectifs fixés par
le Gouvernement, mais les analyses qui y sont consacrées sont très
insuffisantes. L'excellent document présenté par le rapporteur général de la
commission des finances souligne d'ailleurs les nombreuses « incertitudes » qui
demeurent, et, lorsqu'il emploie ce terme, c'est parce que son langage est très
châtié !
(Sourires.)
J'en viens à mes observations de fond, dont la
première, personne ne s'en étonnera, concerne l'emploi.
J'ai été très intéressé par la lecture des rapport que vous nous avez
transmis, monsieur le secrétaire d'Etat, puisque la « stratégie budgétaire pour
1999 », évoquée dans le propos introductif à ces deux rapports, insiste sur les
trois axes de la politique économique du Gouvernement.
Deux de ces axes sont sociaux : rendre la croissance plus riche en emplois, et
favoriser l'insertion des plus fragiles. Il s'agit de la mise en oeuvre de
trois textes qui ont, autour des derniers mois - et tout récemment encore -
mobilisé la commission des affaires sociales : la loi emplois-jeunes, la loi
sur les 35 heures et le projet de loi contre les exclusions, dont, je l'espère,
nous viendrons à bout au cours de la session extraordinaire qui est
annoncée.
J'observe que le rapport du Gouvernement pour le débat d'orientation
budgétaire comporte un développement tout à fait intéressant concernant la
structure des dépenses de l'Etat, dont il est dit qu'elle s'est « rigidifiée au
fil des ans ».
Trois postes de dépenses - fonction publique, charge de la dette et
interventions pour emploi - représentent ainsi, à eux seuls, 88 % des recettes
fiscales. Or ce chiffre n'était que de 57 % en 1990.
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
C'est vrai !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
Ces trois postes de
dépenses sont, certes, de nature différente, mais le Gouvernement a pris la
responsabilité de les agréger pour justifier la nécessaire « amélioration de la
qualité de l'intervention publique », faisant apparaître ainsi la réduction de
ces marges de manoeuvre.
Je relève, pour ma part, une contradiction entre ce constat et la
multiplication de dispositifs nouveaux. La charge future du plan emplois jeunes
ainsi que du dispositif qui accompagne l'abaissement de la durée légale du
travail aura d'ailleurs pour effet, hélas ! d'accroître cette rigidité que le
Gouvernement analyse pourtant avec tant de pertinence.
Quelle sera, dans ces conditions, l'ampleur des redéploiements qu'annonce le
Gouvernement pour financer ses priorités budgétaires ? Concerneront-ils
également le maquis des interventions pour l'emploi ?
Je relève au passage toute la signification politique qu'il y a à rapprocher
ainsi les dépenses de la fonction publique et les interventions pour
l'emploi.
De fait - et c'est là mon principal point de profonde divergence avec le
Gouvernement - je trouve que c'est une grave erreur pour le Gouvernement que de
privilégier l'emploi dans le secteur public et parapublic...
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Eh oui !
M Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
... - alors que nous
sommes, par rapport à nos partenaires de l'Union européenne, très surdotés de
ce point de vue - tout en négligeant les créations d'emplois dans le secteur
marchand.
Je regrette que la plupart des dispositifs qui ont été présentés depuis un an
favorisent le développement du secteur public alors qu'il faudrait, au
contraire, développer l'emploi marchand. L'application du plan emplois-jeunes
est, à cet égard, particulièrement révélatrice !
Quant à la loi sur les 35 heures, je ne veux pas y revenir, sinon pour vous
faire observer, mes chers collèges, que le dernier rapport présenté sur
l'application de la loi Robien a montré avec quel intérêt les chefs
d'entreprise et les partenaires sociaux avaient accueilli ce texte : près de 2
000 accords ont été conclus, intéressant plusieurs centaines milliers de
salariés et permettant des réorganisations, la sauvegarde d'un certain nombre
d'emplois et la création d'emplois nouveaux. Il est dommage que cette année
1997 soit ainsi isolée ! En 1998, en effet, les statistiques concerneront les
négociations liées à la loi sur les 35 heures. On a donc cassé là un
développement qui commençait à s'inscrire dans la réalité, changeant les
comportements, donnant un caractère dynamique à une création d'emplois liée à
la réorganisation des entreprises.
Je regrette, en un mot, que l'on en revienne à une logique du « tout service
public ».
Ma deuxième observation concerne l'équilibre du régime général de sécurité
sociale.
A trois lignes d'intervalle, le rapport du Gouvernement indique que
l'équilibre du régime général « doit être atteint en 1999 », puis que cet
équilibre « sera atteint en 1999 ». Aussi est-il difficile de déterminer si cet
objectif sera atteint tendanciellement - auquel cas il s'agirait d'une simple
prévision - ou si cet objectif sera atteint quoi qu'il arrive, c'est-à-dire au
prix de mesures de correction incluses dans le projet de loi de financement de
la sécurité sociale.
Certes, le rapport précise également que « l'amélioration prévue pour 1999
suppose que la maîtrise des dépenses sociales soit poursuivie », ce qui rend
hommage implicitement au plan Juppé et aux différentes mesures prises en
1996.
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Très juste !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
Or, depuis un an, le
Gouvernement s'est contenté de critiquer certaines de ces mesures, sans
d'ailleurs les remettre en cause. Le dialogue avec les professionnels de santé,
notamment avec les syndicats médicaux - on vient de le voir ! - n'a pas été
établi et la nécessaire réorganisation du tissu hospitalier a été retardée,
sous couvert d'un nouveau concept de « démocratie sanitaire » ; mais le poids
de l'hospitalisation publique pèse toujours autant sur nos chiffres.
Le Gouvernement a évoqué des « mesures de correction ». Quelles sont-elles,
mis à part le mécanisme tant décrié de reversement des honoraires ? Va-t-on
revenir aux mesures sectorielles « exceptionnelles » prises hors de tout cadre
conventionnel ou va-t-on, au contraire, réutiliser ce cadre ? Il y a là matière
à débattre, mais, comme il s'agit d'un des objectifs essentiels du rapport
économique et financier, il est bien clair que nous ne pouvons pas rester sur
notre faim.
Ma dernière observation a trait à la question des retraites.
Comme M. Gouteyron, qui l'a fort judicieusement relevée, j'ai trouvé très
intéressante la proposition tendant à élargir « l'horizon temporel de l'action
publique ». Quelle belle phrase ! Quel bel objectif, auquel on ne peut que
souscrire ! Il s'agit « d'anticiper les conséquences du choc démographique qui
se produira à partir de 2005 ». Et le rapport reprend, à cet égard, différents
tableaux d'un rapport publié en 1995 par le Commissariat général du Plan.
J'ai assisté, le 26 mars dernier, aux sixièmes rencontres parlementaires sur
la protection sociale, placées sous la présidence de M. Claude Evin, dont nul
ne conteste la compétence. S'y sont exprimés un certain nombre d'experts sur un
thème tout à fait d'actualité : « Comment assurer la pérennité de nos régimes
de retraite ? »
Après ce colloque et compte tenu de tout ce qu'ont dit ces experts, redemander
au Commissariat général du Plan un nouveau rapport sur les retraites me paraît
une démarche tout à fait inutile ! On connaît aujourd'hui parfaitement tous les
éléments de ce dossier, et nous savons qu'en 2005 le système explosera. Il
n'est plus question de faire des études : il faut maintenant passer à la
réalisation d'un certain nombre d'actions.
Le Gouvernement s'inquiète de la charge supplémentaire écrasante que
représenteront, dans dix ans, les pensions de retraite des fonctionnaires. Je
partage cette inquiétude, mais j'aurais souhaité qu'une esquisse de solution
soit présentée.
Je propose depuis plusieurs années la création d'un véritable régime de
retraite de la fonction publique distinct du budget de l'Etat, qui regrouperait
les trois fonctions publiques - Etat, hôpitaux et collectivités locales - et
qui permettrait de clarifier la situation en matière de prestations et de
cotisations. On me dit que cela aurait des conséquences tragiques, mais c'est,
à mon sens, une première réforme qui s'impose, car la clarification doit
précéder l'action.
Soucieux d'« anticiper l'avenir en France », le Gouvernement se réfère aux «
systèmes appropriés » qui ont été mis en place dans différents pays étrangers
sous la forme de « réserves pour les régimes de retraite par répartition ».
En revanche, rien n'est indiqué dans le rapport sur les fonds de pension et je
considère que ce n'est pas à l'honneur du Gouvernement actuel, monsieur le
secrétaire d'Etat, que de n'avoir ni abrogé ni appliqué la loi Thomas sur la
mise en place d'un certain nombre de ces fonds. Si le problème des retraites
est à ce point important et urgent, n'avoir rien fait depuis un an sur ce sujet
est certainement une faute dans un Etat de droit. Nous savons tous ici, quels
que soient les travées sur lesquelles nous siégons, que ce troisième étage est
nécessaire, moyennant, bien entendu, des frontières claires entre les régimes
complémentaires et ces régimes supplémentaires par capitalisation.
Quand je vois, aujourd'hui, l'importance des fonds de retraite étrangers dans
le capital de nos grandes entreprises,...
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Eh oui !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
... quand je vois
arriver dans ma commune des représentants des fonds de pension américains, qui
viennent acheter, créer ou développer des programmes de bureaux,...
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
Dans la mienne aussi !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
... je me dis que nous
sommes en retard, que nous ne prenons pas la voie de la mondialisation partagée
et que le Gouvernement doit donc agir, car on ne saurait se contenter de
dénoncer ce qui s'est passé avant ou de ne pas appliquer des textes votés par
le Parlement.
Si l'on veut apporter des solutions aux problèmes que posent nos régimes de
retraite, il faut aller à l'essentiel, à savoir aborder la question des
retraites des fonctionnaires, remettre à niveau tous les régimes particuliers -
chacun sait tout ce que recouvre ce concept de régime particulier ! - et, très
rapidement, mettre en place un troisième étage, car nous perdons du temps, et
plus nous perdons du temps, plus nous aurons du mal à équilibrer nos mécanismes
de retraite.
Il est en effet un point qui n'est pas abordé dans les documents officiels,
mais dont nous, parlementaires ou maires, connaissons la réalité, c'est que les
jeunes générations n'accepteront pas, dans cinq ou dix ans - soyez-en assuré -
de voir majorer leur taux de cotisation dans des conditions insupportables,
alors que la compétition sera plus vive, pour financer les retraites de leurs
aînés.
Nous serons alors face à un problème politique fondamental, et c'est parce que
j'en ai une claire conscience que je dis, aujourd'hui, que le projet dont vous
nous présentez les orientations n'est pas suffisant.
Voilà, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, ce que je voulais
dire en ma qualité de président de la commission des affaires sociales.
Je sais bien que nombre de nos concitoyens demandent à la fois la réduction du
poids des prélèvements publics et l'augmentation des dépenses publiques. Mais
c'est, précisément, lors de la discussion sur les orientations du budget qu'il
doit être possible de concilier ces deux aspirations. Or, ce qui manque dans
les orientations qui nous sont soumises, c'est l'indication d'un certain nombre
de réformes claires pour faire suite au diagnostic qui a été fait.
Sur le diagnostic, sur le constat, finalement, quelles que soient nos
orientations politiques, nous ne pouvons qu'être d'accord : et sur la
mondialisation, et sur l'importance de l'euro, et sur les problèmes cruciaux
qui se posent. Là où nous divergeons, c'est sur les méthodes. Le pire serait de
ne rien faire !
(Applaudissements sur les travées des Républicains et
Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.
M. Xavier de Villepin,
président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des
forces armées.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, ce débat revêt un intérêt tout particulier cette année, à
l'heure du lancement de la monnaie européenne. Au-delà de leurs difficultés
propres, les pays de la zone euro devront en effet démontrer leurs capacités à
gérer désormais leurs économies de façon coordonnée.
La mise en place d'une monnaie unique européenne constitue l'un des événements
majeurs de cette fin de siècle. Elle doit remédier à l'hégémonie du dollar et
limiter - nous l'espérons, tout au moins - les mouvements de spéculation.
Mais nous devons être conscients que l'euro appelle aussi une harmonisation
des politiques nationales européennes, en particulier - mes collègues l'ont
répété - des politique fiscales et sociales, afin d'éviter les distorsions de
concurrence.
La France et les pays européens doivent valoriser l'arrivée de l'euro sur la
scène monétaire internationale. La zone euro représentera environ 20 % de la
richesse mondiale et réalisera 20 % des échanges commerciaux dans le monde,
soit, je le rappelle, un poids comparable à celui des Etats-Unis.
Cette influence monétaire accrue devrait se traduire - je dis bien « devrait »
- par un accroissement du poids politique de cette zone euro dans le monde.
Mais il faut pour cela que la zone euro soit capable de faire entendre sa voix
sur la scène internationale.
Monsieur le secrétaire d'Etat, pouvez-vous nous indiquer, en particulier, dans
quelle mesure et selon quelles modalités l'Europe de la monnaie unique sera
désormais capable de s'exprimer d'une seule voix dans les forums économiques et
financiers internationaux tels que le G7 ?
L'élaboration du budget pour 1999 et la mise en place de la monnaie unique
bénéficient, malgré les fragilités qui demeurent et l'impact de la crise
asiatique, d'une conjoncture favorable.
Le retour de la croissance doit rapporter au budget de l'Etat, en 1999, plus
de 50 milliards de francs de recettes supplémentaires. Nous devons en profiter
non pas pour relâcher notre effort, mais, tout au contraire, pour poursuivre la
réduction des déficits et alléger le niveau très excessif - nos excellents
collègues de la commission des finances l'ont dit - des prélèvements
obligatoires.
Comment ne pas rappeler ici que les critères de Maastricht sont simplement des
règles de bonne gestion, des règles de bon sens que tout gouvernement devrait
appliquer ? Je pense aussi que la dépense publique ne devrait, en toute
hypothèse, pas augmenter plus rapidement que l'inflation et je regrette, à mon
tour, que telle ne soit pas l'orientation retenue par le Gouvernement.
Comment ne pas rappeler que l'endettement est une tentation dangereuse, qui
nous coûte chaque jour un milliard de francs pour régler les seuls intérêts de
notre dette, et que, bien entendu, toute augmentation du déficit budgétaire
accroît l'endettement public aux dépens des générations futures, qui devront en
assurer le remboursement ?
Pour l'heure, malgré les progrès accomplis au cours des dernières années, la
France demeure, en matière de réduction des déficits, à l'arrière du peloton
européen. Le retour de la croissance doit rendre plus aisée la poursuite des
efforts entrepris en la matière, tout en permettant l'indispensable réduction
de la charge fiscale, qui constitue une absolue nécessité.
Dans ce contexte, je tenterai très brièvement, monsieur le secrétaire d'Etat,
de tracer quelques pistes de réflexion dans le domaine des activités
régaliennes qui entrent dans le champ de la compétence de la commission des
affaires étrangères, de la défense et des forces armées.
J'ai bien noté que ces activités ne figuraient pas parmi les secteurs
privilégiés constituant les priorités budgétaires retenues par le Gouvernement
pour 1999. Je ne conteste, naturellement, aucune de ces priorités. Je ne suis
pas davantage surpris - notre commission en a l'habitude ! - de ne pas y
trouver ce qui constitue la base de notre action internationale.
C'est malheureusement le cas depuis longtemps, monsieur le secrétaire d'Etat,
et je crains qu'il n'en aille encore ainsi dans l'avenir prévisible.
Mais, je le dis très tranquillement et très posément, il faudra bien un jour y
venir et accorder aux moyens essentiels de la présence de la France dans le
monde les ressources budgétaires qui lui sont indispensables, faute de quoi
nous aurons insidieusement, mais de manière irréversible, abandonné l'ambition
de notre pays dans le monde.
L'année 1999 verra, en ce domaine, la mise en oeuvre de l'importante réforme
de la coopération, qui doit se traduire par une véritable fusion entre les
affaires étrangères et la coopération.
Cette réforme d'envergure - nous en avons parlé ensemble, monsieur le
secrétaire d'Etat - est complexe puisqu'elle impose à la fois l'intégration des
services de la rue Monsieur et de ceux du quai d'Orsay, le regroupement
budgétaire qui en résulte, l'intégration des personnels, la transformation des
missions d'aide et de coopération, et, enfin, la transformation de la Caisse
française de développement.
Monsieur le secrétaire d'Etat, vous savez les vives inquiétudes qui se sont
manifestées au sein de notre commission - toute sensibilités confondues, vous
avez pu le constater - quant aux conditions budgétaires de mise en oeuvre de
cette réforme.
Des économies sont naturellement attendues de ce regroupement, grâce à
l'élimination des doubles emplois et aux gains de productivité qui en
résulteront. Il me paraît toutefois évident que ces bénéfices ne seront pas
immédiats - c'est peut-être sur ce point que nous divergeons - et qu'il serait
donc très imprudent de vouloir en quelque sorte tirer les dividendes de la
réforme dès 1999.
(M. le secrétaire d'Etat sourit.)
Je vous vois sourire, monsieur le secrétaire d'Etat. En fait, vous
m'inquiétez, vous le savez !
En tout cas - c'est ma conviction - il y aurait un risque majeur de fragiliser
d'emblée une réforme difficile, qui risquerait d'être d'autant plus mal
acceptée que sa mise en oeuvre s'effectuerait dans un contexte de pression
budgétaire accrue.
Mais notre inquiétude va au-delà de ces conditions immédiates de mise en
oeuvre de la réforme. Elle porte sur l'évolution globale des dotations
budgétaires du quai d'Orsay et de la rue Monsieur. Elle pourrait même toucher à
la logique de cette réforme s'il devait apparaître que l'intégration de nos
actions en Afrique dans le cadre d'une vaste direction générale de la
coopération internationale et du développement dissimulait, en réalité,
contrairement aux discours officiels, un certain désengagement de la France sur
ce continent.
Pouvez-vous nous assurer, monsieur le secrétaire d'Etat, que tel ne sera pas
le cas dans le projet de loi de finances pour 1999 ? Disposerons-nous, enfin,
d'un document de synthèse, compréhensible pour le sénateur de base, évaluant,
pays par pays, le poids de notre aide au développement et qui permettra au
Parlement d'apprécier tout à la fois les évolutions et les redéploiements
nécessaires ?
J'évoquerai enfin, monsieur le secrétaire d'Etat, car j'aimerais beaucoup vous
entendre sur ce point, les crédits militaires. J'aurais peut-être pu m'en
dispenser, malgré le poids qu'ils représentent, puisque le Gouvernement a
conduit, pendant de longs mois, dans le silence de sa capacité de réflexion,
une revue des programmes d'équipement militaire.
Les conclusions de cet exercice interministériel, actées par le Président de
la République et par le Premier ministre, prévoient, je le rappelle, la
stabilisation, pour les quatre prochaines années, des crédits d'équipement
militaire à un niveau supérieur à celui de « l'encoche » très préoccupante qui
avait été faite par vous, en 1998, à l'exécution normale de la loi de
programmation militaire.
Je me contenterai de formuler brièvement pour terminer, trois observations,
étant entendu que j'escompte, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous nous
confirmerez que le projet de budget de la défense pour 1999 sera bien conforme
à ces conclusions de la revue des programmes, et cohérent avec les objectifs de
la loi de programmation.
Première observation : la stabilisation à 85 milliards de francs constants des
crédits d'équipement militaire est indispensable pour ne pas porter atteinte à
la réforme de notre défense dans son ensemble et à la cohérence entre les
missions assignées à nos armées et les moyens qui lui sont accordés.
L'équation sur laquelle repose l'équilibre de la loi de programmation est
ambitieuse, mais cet équilibre est aujourd'hui en danger. Il pourrait être
rompu par toute nouvelle réduction des crédits d'équipement. La marge de
manoeuvre dans l'exécution de la loi de programmation est d'autant plus faible
que le niveau des dépenses d'équipement retenu ne pourra être atteint que si
les crédits ouverts sont intégralement consommés. Et vous savez bien, monsieur
le secrétaire d'Etat, qu'atteindre un tel objectif est très difficile et
suppose un réglage extrêmement fin de la consommation des crédits militaires,
que seule une coordination entre services techniques et services gestionnaires
permettra d'obtenir.
Ma seconde observation sera pour vous demander, monsieur le secrétaire d'Etat,
les raisons de fond pour lesquelles le ministère de l'économie, des finances et
de l'industrie semble encore freiner le développement des commandes
pluriannuelles - j'en suis tout étonné - pourtant indispensables au bon
déroulement des programmes d'armement et largement pratiquées par nos
partenaires. L'exemple comparé de la gestion financière et des commandes de
l'
Eurofightet
- allemand, anglais, italien, espagnol - et de celles du
Rafale français, pour lequel nous attendons toujours la commande groupée de 48
avions annoncée par le précédent gouvernement, me paraît à cet égard tristement
éloquent pour mon pays.
Je conclurai enfin - et cela ne surprendra personne - en vous demandant encore
une fois, monsieur le secrétaire d'Etat, puisque vous lisez, comme moi, le
grand journal du soir, que le Gouvernement s'engage à ce que les crédits
militaires ne soient pas affectés, en cours d'année, par des régulations
budgétaires. Si tel n'était pas le cas, en effet, l'engagement pris par le
Gouvernement à l'issue de la revue des programmes risquerait, naturellement, de
perdre toute valeur. De nouvelles annulations, source de mauvaise gestion,
compromettraient la réforme de notre défense dans son ensemble et ôteraient
toute crédibilité aux lois de programmation militaire. J'ajoute,
accessoirement, qu'elle réduirait également notre débat d'aujourd'hui à un
simple exercice de style.
J'ai, pour ma part, la conviction que le « décrochage » des budgets annuels
par rapport à la programmation et le « décrochage » des lois de finances
exécutées par rapport aux lois de finances initiales ne constituent pas,
monsieur le secrétaire d'Etat, une fatalité. C'est une affaire de volonté
politique. Je souhaite que ce soit celle du Gouvernement.
(Applaudissements
sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Je demande la parole.
M. le président.
Avant de vous donner la parole, monsieur le secrétaire d'Etat, je veux vous
indiquer que je devrai impérativement suspendre la séance à treize heures au
plus tard, car, à quinze heures, M. le président du Sénat doit prononcer son
allocution de fin de session.
Vous avez la parole.
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Monsieur le président, je veux dire aux cinq
présidents de commission qui se sont exprimés d'une façon ô combien argumentée
et ô combien sage, ainsi qu'à M. le rapporteur général, que je ne vois pas
comment, en quelques minutes, je pourrais rendre hommage à l'intelligence de
leurs propos.
Avec votre autorisation, je leur répondrai donc à la fin du débat ; ce sera
plus conforme au respect que je crois devoir à la qualité de leurs
interventions.
M. le président.
Nous allons donc interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze
heures.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à douze heures cinquante, est reprise à quinze heures
cinq, sous la présidence de M. René Monory.)