Séance du 12 juin 1998
M. le président. Par amendement n° 86, M. Seillier, au nom de la commission des affaires sociales, propose d'insérer, avant l'article 36, un article additionnel ainsi rédigé :
« Au 1er janvier 1999, tous les résidents bénéficieront d'une couverture maladie universelle dans des conditions définies par la loi. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Bernard Seillier, rapporteur de la commission des affaires sociales. La commission des affaires sociales vous propose, mes chers collègues, d'adopter un article additionnel prévoyant qu'au 1er janvier 1999 tous les résidents bénéficieront d'une couverture maladie.
Le financement de la couverture maladie universelle est inclus dans les annonces gouvernementales au titre du présent projet de loi ; malheureusement, cette mesure, qui constituerait le meilleur moyen de pallier les difficultés d'ordre juridique et financier rencontrées par les personnes en situation de précarité pour accéder au système de santé, ne figure pas dans ce texte.
La mise en oeuvre de cette mesure est urgente et il convient qu'elle soit effective dans un délai raisonnable, à savoir au début de l'année prochaine.
Le présent amendement engage le Gouvernement sur une date d'entrée en vigueur, nullement sur les modalités de mise en oeuvre, qu'il appartiendra à la loi de définir.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé. Monsieur le rapporteur, à l'occasion de la présentation du programme de prévention et de lutte contre les exclusions, le Gouvernement a indiqué qu'il présenterait un projet de loi sur ce sujet à l'automne.
Fixer aujourd'hui la date du 1er janvier 1999 signifierait que le Gouvernement anticipe sur les conclusions de la mission conduite par un parlementaire, M. Jean-Claude Boulard, et sur la concertation qu'il conviendra, bien évidemment, de mener avec les partenaires directement intéressés par cette réforme.
Vous le savez, monsieur le rapporteur - je répète ici ce que j'ai dit devant l'Assemblée nationale - sur ce dossier comme sur les autres, le Gouvernement préfère adopter la démarche constat-proposition-concertation-décision-examen par le Parlement.
En ce qui concerne la première étape, M. Boulard doit avoir le temps de mener à bien sa réflexion ; ses conclusions nous seront transmises avant la fin de l'été. Fixer une date par amendement anticipe tout simplement le débat qui aura lieu, je vous l'assure, à l'automne.
En conséquence, monsieur le rapporteur, je vous demande de bien vouloir retirer votre amendement, faute de quoi le Gouvernement s'y opposerait, simplement parce que nous souhaitons que le débat ait lieu rapidement, mais en temps et en heure.
M. le président. L'amendement est-il maintenu, monsieur le rapporteur ?
M. Bernard Seillier, rapporteur. La commission, par cet amendement, ne définit pas le contenu de la couverture médicale universelle, mais elle donne l'assurance aux personnes défavorisées qu'à partir du 1er janvier prochain quelque chose d'important changera en leur faveur.
Si nous sommes conduits à adopter cette position, c'est parce que, dans le programme de prévention et de lutte contre les exclusions, le Gouvernement a d'ores et déjà inscrit une somme de 5 milliards de francs à titre prévisionnel, ce qui montre qu'il a quand même déjà une idée, indépendamment des précisions qui seront apportées par le rapport de M. Boulard, sur la mise en place du dispositif. Il nous semble donc que cette date du 1er janvier 1999 doit pouvoir être tenue.
Le Parlement - et le Sénat, en ce qui le concerne - sera prêt à déposer une proposition de loi le moment venu pour proposer de réaliser cette couverture dans les temps voulus.
Cet amendement n° 86 est d'ailleurs à rapprocher de deux autres, l'un qui permettra aux enfants issus de milieux défavorisés de bénéficier d'une visite médicale annuelle et gratuite à l'école, l'autre qui transférera à l'Etat les compétences sanitaires des départements dans l'intérêt de la santé publique. Ces trois amendements donnent son véritable contenu au volet « accès aux soins » du projet de loi.
Il me semble qu'il ne s'agit pas d'un engagement insurmontable, mais ce dispositif doit être considéré comme un signe important à destination des personnes très défavorisées.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 86.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à Mme Dieulangard.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Cet amendement a pour objet d'indiquer dans la loi que l'instauration de la couverture maladie universelle sera effective à compter du 1er janvier 1999.
Le programme d'action qui expose les perspectives d'intervention sous un angle plus détaillé le précise déjà, M. le secrétaire d'Etat et M. le rapporteur viennent de le rappeler.
Cet amendement démontre bien que, sur tous les bancs de nos assemblées et, bien au-delà, dans le pays tout entier, une adhésion très large existe sur la nécessité de mettre en place une couverture universelle appréhendée dans toutes ses composantes, y compris la couverture complémentaire, afin que plus personne ne soit privé de soins, pour des raisons financières bien sûr, mais aussi pour des raisons administratives ou par méconnaissance des droits qui lui sont reconnus.
Pour avoir rencontré tout récemment une assistante sociale de l'hôpital Lariboisière, qui est l'un des centres à avoir expérimenté le dispositif des SAS, les systèmes d'accès aux soins qui, grâce à la loi, va être étendu, je sais que le seul passage par ces consultations a permis à près de 80 % des patients de recouvrer leurs droits.
Les chiffres des exclus des soins ont déjà été cités depuis le début de cette discussion. Ils sont dramatiques dans leur sécheresse, je n'y reviendrai pas.
Je voudrais simplement évoquer la gravité de ce problème de la privation des soins sous l'angle de l'évolution de la pauvreté en France, qui a changé de visage entre les années soixante-dix et quatre-vingt-dix. En effet, si les personnes âgées sont sorties d'une certaine zone de pauvreté, grâce, notamment, aux retraites complémentaires - et je pense que les partisans d'une diminution de la protection sociale feraient bien de tenir compte de cette donnée - ce sont les jeunes ménages qui sont désormais des cibles, en raison particulièrement du chômage : 5 % à 8 % des moins de quarante ans, de 11 % à 18 % des moins de trente ans vivent en dessous du seuil de pauvreté.
Or, dans leur situation, les enjeux ne sont pas les mêmes, en termes de conséquences sur les générations à venir - c'est-à-dire sur les enfants d'aujourd'hui - que provoque cette précarité, conséquences auxquelles la médecine scolaire peut difficilement faire face.
Ce débat sera l'occasion de rappeler l'urgence qu'il y a à renforcer dans ce domaine l'engagement de l'Etat.
C'est près d'un Français sur quatre qui a dû renoncer à se faire soigner, d'où l'impérative et urgente nécessité de mettre en oeuvre cette couverture universelle afin de faire tomber le maximum d'obstacles à la démarche de soins.
Personne, cependant, ne peut ignorer ni la complexité des négociations à mener avec l'ensemble des partenaires, ni les profondes réformes de notre protection sociale que cela entraînera, ni même les évolutions culturelles qu'il conviendra d'amorcer.
Il faudra au-delà de l'accord évident sur le principe politique même de cette couverture universelle, faire preuve d'une volonté indéfectible d'aboutir.
Le Gouvernement s'est engagé à déposer un projet de loi à l'automne prochain. Il ne perd pas de temps, me semble-t-il !
Rappelons que cet engagement était prévu dans le programme de campagne du candidat Chirac en 1995, et qu'en 1996 le ministre du travail et des affaires sociales, M. Barrot, s'était engagé à mettre en place une telle assurance.
M. Alain Gournac. Il avait raison !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Encore une fois, sur cette proposition, la détermination est requise, la concertation s'impose - et M. Boulard s'y attelle - mais la précipitation n'est pas de mise.
M. Serge Lagauche. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Lagauche.
M. Serge Lagauche. Cette précipitation, cette volonté d'aller plus vite que le Gouvernement ne s'inscrit pas dans la tradition de notre Haute Assemblée. Elle me paraît suspecte.
C'est pourquoi je voterai contre l'amendement.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 86, repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, avant l'article 36.
Article 36