Séance du 11 juin 1998
M. le président. La parole est à M. Bécot.
M. Michel Bécot. Monsieur le ministre des transports, 1 milliard de francs, voire plus, voilà ce qu'aura coûté la grève des pilotes d'Air France ! Qui paiera la facture ?
Un sénateur du RPR. Nous !
M. Alain Gournac. Les Français !
M. Michel Bécot. Les contribuables français, c'est sûr ! Et c'est vous, monsieur le ministre, avec le Premier ministre, qui en êtes responsables. (Protestations sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen et sur les travées socialistes.)
En refusant la privatisation d'Air France, l'été dernier,... afin de vous assurer le soutien de vos amis communistes, vous avez hypothéqué l'avenir de cette compagnie et compromis son redressement, qui avait été engagé par M. Christian Blanc, son PDG de l'époque, que vous avez d'ailleurs, ensuite, poussé à la démission. (Exclamations sur les travées socialistes.) Ce fut une faute stratégique grave !
Le maintien d'Air France dans le giron du secteur public ne se justifie plus. La preuve est faite que le statut public dans un univers concurrentiel n'est plus tenable.
M. Claude Estier. Et France Télécom !
M. Michel Bécot. Toute le monde, y compris vos amis socialistes, monsieur le ministre des transports, estime que, pour préserver l'avenir, il est temps que l'Etat se retire de la gestion des entreprises soumises à la concurrence internationale. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Guy Fischer. Vive la Bourse !
M. Michel Bécot. Cette crise a démontré aux Françaises et aux Français qu'il est indispensable d'avoir un chef d'entreprise pour gérer une entreprise, que ce n'est ni le rôle d'un ministre politique ni celui d'un haut fonctionnaire. (Très bien ! et applaudissements sur les mêmes travées.)
Enfin, monsieur le ministre, il est urgent de prendre la décision qui s'impose, à savoir la privatisation de cette compagnie. C'est l'unique moyen de sauver, s'il est encore temps, ou s'il n'est pas trop tard, une compagnie qui a été ridiculisée et affaiblie alors que le monde entier nous regardait.
M. Dominique Braye. Absolument !
M. Michel Bécot. C'est l'image de la France que vous avez laissé se dégrader.
M. le président. Votre question, monsieur Bécot !
M. Michel Bécot. J'y arrive, monsieur le président.
Après le fragile compromis d'hier matin, que comptez-vous faire, monsieur le ministre, afin que cette situation ne se reproduise plus ? (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Jean-Pierre Raffarin. Excellente question !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Monsieur le sénateur, j'ai envie de vous dire d'emblée qu vous n'êtes pas raisonnable. (Protestations sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants. - Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen et sur les travées socialistes.)
M. Dominique Braye. C'est vous qui ne l'êtes pas !
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Je vais vous dire pourquoi : vous n'êtes pas raisonnable parce que vous auriez d'abord dû vous réjouir de la fin du conflit. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
Mme Hélène Luc. Absolument !
M. Michel Bécot. Je n'ai pas dit le contraire !
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Vous avez dit ce que vous voulez ; laissez-moi m'exprimer.
Vous n'êtes pas raisonnable parce que vous mettez sur le compte du gouvernement actuel une situation qui, pour une bonne part, nous a été léguée par le gouvernemenet précédent, et je vais m'en expliquer. (Vives protestations sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants. - Applaudissements sur les travées socialistes.) Là non plus vous n'êtes pas raisonnable ; laissez-moi m'exprimer !
M. Dominique Braye. La plaisanterie a assez duré !
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Ecoutez ma réponse ; vous verrez après si vous êtes d'accord ou non.
La compagnie Air France, qui s'est heurtée à de nombreuses difficultés, s'est trouvée dans une situation très critique, notamment en 1993.
Des efforts ont alors été consentis par l'Etat, par la puissance publique, puisque 20 milliards de francs ont été consacrés à la recapitalisation de l'entreprise.
Des efforts importants ont également été réalisés par les salariés en matière de rémunérations, et 11 000 emplois ont été supprimés, ce qui a de toute évidence favorisé un climat de tension a l'intérieur de l'entreprise.
Le prédécesseur de l'actuel président de l'entreprise avait alors passé une sorte de contrat avec les pilotes, contrat aux termes duquel serait créée une double échelle des salaires, qui serait supprimée au bout d'un an. Ce n'est donc pas moi qui ai pris cette décision ; elle a été prise avant. Telle est la situation.
On peut toujours faire de la politique politicienne sur ces questions (Protestations sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants), mais mieux vaut ne pas tomber dans ce travers ! Alors, je continue.
M. René-Pierre Signé. Ils n'ont pas de mémoire !
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Votre principal argument est de dire que, si l'on avait suivi la logique antérieure, le conflit n'aurait pas eu lieu.
Là encore, soyez responsables ! Rappelez-vous qu'une entreprise totalement privatisée comme la Pan Am a mis la clé sous la porte, ce que ne fait jamais le secteur public. (Vociférations sur les travées du RPR.)
Votre logique est celle de la guerre économique, et vous savez bien que, dans les guerres économiques, malheureusement, il y a toujours des entreprises qui meurent et des salariés qui en font les frais. Nous, nous ne sommes pas bien sûr dans cet état d'esprit.
M. Dominique Braye. Vous racontez n'importe quoi !
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Nous, nous n'avons pas fait le choix de l'ultralibéralisme,...
M. Dominique Braye. Arrêtez, monsieur le ministre ! Allez pique-niquer avec les routiers !
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. ... comme British Airways, qui a supprimé 20 000 emplois. Ce n'est pas la démarche du gouvernement actuel.
Il est possible aujourd'hui, dans le cadre d'une entreprise où l'Etat restera majoritaire, d'ouvrir le capital au public.
M. Dominique Braye. Vous commencez à privatiser, mais trop tard !
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Mais l'ouverture du capital, ce n'est pas la privatisation. L'Etat restera majoritaire !
Il est donc possible aujourd'hui d'envisager un programme d'investissement de près de 40 milliards de francs, l'achat de soixante-dix appareils, alors que, pendant des années, Air France n'en avait acheté aucun.
M. Dominique Braye. Payés par les contribuables !
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. L'entreprise prévoit aussi de créer 2 500 emplois supplémentaires.
Avec la privatisation, vous faites le pari de l'échec alors que nous faisons pour notre part celui du succès,...
M. Jean-Pierre Raffarin. Attachez votre ceinture. (Sourires.)
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. ... du développement économique d'une entreprise publique moderne qui rayonnera encore plus dans le monde. (Applaudissements sur les travées socialistes, sur celles du groupe communiste républicain et citoyen. - Vives protestations sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. René-Pierre Signé. Ils sont amnésiques !
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