Séance du 9 juin 1998
(La séance, suspendue à vingt heures, est reprise à vingt-deux heures, sous la présidence de M. Jacques Valade.)
PRÉSIDENCE DE M. JACQUES VALADE
vice-président
M. le président.
La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion du projet de loi d'orientation relatif à la
lutte contre les exclusions.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Plasait.
M. Bernard Plasait.
Monsieur le président, messieurs les secrétaires d'Etat, mes chers collègues,
après cinquante ans, l'article 25 de la Déclaration universelle des droits de
l'homme de 1948 s'avère toujours aussi difficile à appliquer : « Toute personne
a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et
ceux de sa famille. »
Même si elle a toujours existé, y compris dans les périodes d'expansion
économique, la grande pauvreté n'a cessé de progresser dans notre pays, au
point qu'on l'a redécouverte au cours des années quatre-vingt avec la montée du
chômage, en l'affublant du qualificatif de « nouvelle ».
La « nouvelle pauvreté » venait donc d'apparaître, mais il ne s'agissait pas
pour autant d'un slogan : c'était la juste traduction de l'évolution des causes
des phénomènes d'exclusion qui, après avoir été longtemps culturels, sont aussi
devenus économiques.
Malgré une prise de conscience précoce, la situation s'est considérablement
aggravée, l'exclusion uniforme cédant la place aux exclusions multiples.
Nous ne pouvons pas tolérer que près de 6 millions de personnes, soit 10 % de
la population, vivent en France au-dessous du seuil de pauvreté.
Nous ne pouvons pas davantage accepter que deux millions et demi de nos
compatriotes éprouvent des difficultés à parler, lire ou écrire la langue de la
vie courante.
Nous pouvons encore moins supporter que 50 000 jeunes sortent chaque année du
système éducatif sans aucune qualification.
Ce constat-là, je crois que nous le faisons tous.
C'est d'ailleurs ce qui avait conduit, dès 1995, le Président de la République
à s'engager résolument à réduire la fracture sociale.
Cet engagement s'est concrétisé par la présentation au Parlement, l'an
dernier, d'un projet de loi sur la cohésion sociale, dont le présent texte est,
à bien des égards, une copie, copie un peu pâle que - vous me permettrez de le
dire - je trouve moins bonne que l'original
(Protestations sur les travées
socialistes et sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen.)
et même nettement moins bonne que l'original !
(Nouvelles
protestations sur les mêmes travées.)
Il n'en demeure pas moins que, malgré l'urgence déclarée, qui pourrait
accréditer l'idée d'un texte de circonstance, nous bénéficions de la large
concertation conduite par le gouvernement précédent, dont nombre de
propositions se retrouveront dans les amendements que nous présentera M. le
rapporteur de la commission des affaires sociales, notre excellent collègue
Bernard Seillier.
Si nous ne pouvons qu'être tous d'accord sur le but à atteindre, qui est de
faire reculer les exclusions sociales, ce sont plus que des nuances qui nous
séparent sur les moyens d'y parvenir.
En effet, on ne peut pas laisser au bord de la route autant d'accidentés de
l'emploi avec le cortège de maux qui s'ensuit, tels que l'absence d'un logement
décent notamment.
A ce propos, je tiens à dire dès maintenant combien je trouve pernicieuse
l'idée de créer une taxe sur les logement vacants alors que j'approuve sans
réserve la proposition visant à inciter les propriétaires à remettre leur
logement vacant sur le marché.
En tout cas, je fais partie de ceux qui sont très attachés à l'existence d'un
« filet de sécurité » pour les personnes en difficulté, ce que constitue en
particulier le RMI.
Ce que je conteste aujourd'hui, c'est que, par défaut de moyens d'insertion,
on laisse des familles entières perdre espoir, baisser les bras et s'installer
dans l'assistance et la dépendance.
Oui, ce projet de loi est prisonnier d'une telle logique.
Prenons le cas classique de deux familles qui vivent sur le même palier d'HLM.
Dans l'une, le père part travailler tôt le matin, rentre tard le soir, pour
toucher le SMIC. Dans l'autre famille, entre le RMI et diverses allocations, on
perçoit pratiquement le même revenu sans travailler.
Cette situation est la source d'un double découragement : le découragement de
ceux qui travaillent et le découragement de ceux qui s'installent dans
l'assistance, car rien n'est pire que d'avoir le sentiment de son inutilité, le
sentiment de ne vivre que de la bienfaisance. Et, comme je crois aux vertus de
l'exemple, je sais que les enfants qui n'ont jamais vu leurs parents travailler
sont des enfants en perdition.
On transmet ainsi une sorte de culture de l'assistance et de la pauvreté. Nous
ne pouvons accepter plus longtemps que le RMI devienne, en quelque sorte,
héréditaire.
C'est pourquoi, aujourd'hui, il faut se donner pour objectif, chaque fois
qu'on le peut, de remplacer les revenus d'assistance par des tâches d'utilité
sociale et tenter d'ouvrir par tous les moyens les portes de l'entreprise à
ceux qui en sont le plus éloignés.
Dans cet esprit, je souscris pleinement à la procédure d'activation des
dépenses passives du RMI que propose M. le rapporteur de la commission des
affaires sociales.
C'est une question de dignité : la dignité du travail, qui apporte la
considération, l'estime que chacun se doit à soi-même, que l'on rencontre - ou
que l'on ne rencontre pas - dans le regard des autres, dans le regard de ses
enfants.
Il n'y a pas de progrès social sans progrès économique. Et la meilleure forme
de lutte contre l'exclusion, c'est l'emploi : l'emploi véritable, dans une
véritable entreprise.
La meilleure voie pour retrouver la cohésion sociale, c'est de multiplier les
emplois.
Il est clair que retrouver l'emploi, c'est retrouver la confiance dans
l'esprit d'entreprise et les libertés économiques.
Les emplois de demain résulteront non pas du partage des emplois
d'aujourd'hui, mais de la création et de l'invention de nouveaux emplois par
les entrepreneurs.
Enfin, l'une des composantes majeures de l'exclusion se trouve dans
l'éducation et la formation, comme l'a analysé excellemment notre collègue
Philippe Richert.
Oui, il y a encore beaucoup trop de laissés-pour-compte de l'éducation, trop
de jeunes qui ne maîtrisent pas les bases du savoir, trop de dons mal révélés
ou mal cultivés, une trop piètre préparation à la vie professionnelle et une
trop médiocre transmission de notre culture.
Pour quelques-uns, l'accumulation de handicaps les conduit dans des classes
dites « spécialisées », bien souvent antichambres de l'exclusion sociale.
Ainsi, notre pacte républicain d'égalité des chances est sérieusement
menacé.
Quand l'ascenseur social ne fonctionne plus, c'est à l'école de jouer son
rôle, garante d'une mobilité sociale permanente.
Ce qui est à l'ordre du jour actuellement, c'est la restauration de l'école
républicaine, celle qui sait intégrer, celle qui fait du mérite le vrai facteur
de la promotion sociale.
Jules Ferry s'était fait le serment de parvenir à l'éducation du peuple. Cette
ambition a inspiré l'école républicaine de jadis, elle a fait de l'école le
lieu du brassage social, de la promotion individuelle, noble idéal qui reste
d'actualité, même si les moyens de l'atteindre ont changé.
L'éducation doit avoir plus que jamais cette ambition de « donner à chacun sa
chance ».
Aujourd'hui, tout le monde parle de l'inadaptation scolaire. Il n'est rien de
plus désespérant que d'entendre dire par des parents : « mon enfant n'est pas
fait pour l'école », alors que c'est l'école qui n'est pas faite pour lui !
Dès lors, tout est une question d'orientations et de moyens correspondants et
pas seulement d'intentions, aussi louables soient-elles.
Bien sûr, il faut faciliter l'accès de tous à l'éducation, à la culture, aux
loisirs, mais on ne peut se contenter d'affirmations symboliques, de
déclarations d'intentions, comme c'est souvent le cas dans ce projet de loi,
dont les moyens affichés ne correspondent pas à la réalité, comme cela nous a
été magistralement démontré tout à l'heure.
En conclusion, je regrette que ce texte relève par trop d'une logique
administrative, d'une logique qui, finalement, bafoue le principe de
subsidiarité et, en réalité, ne fait pas confiance à l'homme.
Vous vous souvenez certainement de cette belle phrase d'Antoine de
Saint-Exupéry, dans
Terres des Hommes
: « Il est arrivé parfois qu'un
désastre ayant détraqué la belle machine administrative, celle-ci s'étant
avérée irréparable, on lui a substitué, faute de mieux, de simples hommes. Et
les hommes ont tout sauvé. »
Les sénateurs vont-ils donc tout sauver ? Pourquoi pas, si j'en juge par les
amendements proposés par la commission des affaires sociales, dont je salue le
remarquable travail effectué sous la houlette de son président Jean-Pierre
Fourcade.
C'est ainsi que, peut-être, ce projet de loi répondra à l'exigence que Kennedy
avait posée dans son discours d'investiture : « Si une société libre n'est pas
capable d'aider ses pauvres, alors elle ne mérite pas ses riches. »
(Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et
Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées
du RDSE.)
M. le président.
La parole est à Mme Derycke.
Mme Dinah Derycke.
« Liberté, égalité, fraternité », cette devise, notre devise, figure au
fronton de la plupart de nos bâtiments publics. Elle illustre parfaitement
l'idéal républicain, auquel nos concitoyens adhèrent pleinement.
Mais ces mots généreux ont-ils encore un sens pour les six millions de
personnes qui, dans notre pays, sont victimes de la pauvreté, de la précarité
ou qui sont exclues de notre société ?
Un pays prospère comme le nôtre, quatrième puissance économique du monde,
peut-il tolérer sans risque pour son développement de voir grossir, d'année en
année, le flot des laissés-pour-compte ?
N'y a-t-il pas danger pour notre démocratie, pour notre République, à laisser
une part de plus en plus grande de sa population vivre, ou plutôt survivre, en
marge de la communauté et plonger dans la désespérance ?
Faut-il se résigner à voir les inégalités se creuser avec, d'un côté, des
profits boursiers qui s'envolent et, de l'autre, des personnes sans travail,
sans logement, sans avenir ?
Non, l'exclusion n'est pas tolérable.
Certes, il y a toujours eu des exclus, mais cette réalité atteint aujourd'hui
une ampleur considérable.
Les contours de l'exclusion ont profondément changé, de même que le regard que
nous portons sur les situations d'exclusion.
Vous avez raison de dire, madame la ministre, que l'exclusion est notre échec
collectif, notre défaite.
Vous avez raison de rappeler que notre regard est d'abord un regard
d'ignorance, d'indifférence aussi, et de crainte enfin.
Vous avez raison de vouloir, comme le demandait le père Joseph Vresinski,
tourner la page de l'assistanat pour ouvrir celle des droits et des
responsabilités. Car telle est bien la philosophie du projet que vous proposez,
au-delà de la représentation nationale, à la nation tout entière.
Plutôt que d'établir des droits spécifiques pour les exclus et de créer ainsi
un ghetto législatif - un ghetto de plus ! - vous nous appelez, à travers un
arsenal de mesures concrètes, à rendre à chacun les moyens de retrouver sa
place dans la société, de renouer avec l'espoir.
C'est ainsi que le projet de loi que vous nous présentez s'inscrit dans une
projet politique global qui vise à remettre la personne au centre de toute
préoccupation.
Depuis un an, le gouvernement auquel vous appartenez, et que nous soutenons,
s'est attaché à relancer la croissance, notamment par une répartition plus
équitable et par l'augmentation de nombreuses prestations sociales gelées,
parfois depuis plusieurs années, par le gouvernement précédent.
Je rappellerai simplement l'augmentation des allocations familiales et des
allocations pour la rentrée scolaire ou pour le logement, la création d'un
fonds pour les cantines, l'effort important consenti dans le budget du logement
social pour 1998, le rattrapage des minima sociaux, ainsi que le déblocage d'un
fonds doté de un milliard de francs pour répondre aux situations d'urgence.
Mais, au-delà de ces nécessaires mesures sociales, le Gouvernement n'a pas
ménagé ses efforts pour combattre le fléau du chômage, qui constitue bien
souvent le premier pas vers l'exclusion.
La mise en place du programme « nouveaux emplois-nouveaux services », plus
souvent dénommés emplois-jeunes, ainsi que la loi sur la réduction du temps de
travail et la moralisation du temps partiel répondent à cette volonté de
substituer une véritable politique de création d'emplois à une politique de
traitement social du chômage.
Le projet de loi que nous examinons se situe donc dans un ensemble législatif
et gouvernemental cohérent puisque cette loi de solidarité sera complétée par
d'autres textes législatifs, portant création de la couverture maladie
universelle et améliorant l'accès aux droits.
D'autres mesures, législatives ou réglementaires, relatives à l'habitat, à la
réforme de la fiscalité ou de la politique familiale participeront également à
la lutte contre les exclusions et à leur prévention.
Enfin, à l'instar des nombreuses associations caritatives qui, avec courage,
oeuvrent depuis de nombreuses années contre les exclusions, nous portons sur ce
texte une appréciation très positive parce que, au regard des objectifs
ambitieux ainsi fixés, vous avez dégagé les moyens financiers importants qui
sont nécessaires. Plus de 51 milliards de francs sur trois ans, dont 38
milliards de francs à la charge de l'Etat, sont en effet prévus.
D'aucuns évoquent des redéploiements - certains pour s'en féliciter, d'autres
pour le regretter - ou la reprise de mesures déjà annoncées - Mme la ministre
ne s'en était pas cachée - mais les chiffres parlent d'eux-mêmes, ainsi que
l'importance des sommes prévues : on voit bien que ce texte n'est pas
simplement un ensemble de déclarations d'intentions.
Une autre critique porte sur la participation des collectivités territoriales,
On peut s'en étonner lorsqu'elle émane de ceux-là mêmes qui demandent une
accentuation de la décentralisation. Il y a là une contradiction. Ou bien
faut-il comprendre que l'Etat aurait dû transférer aux collectivités
territoriales et les fonds nécessaires et la charge de mettre en oeuvre les
programmes ?
C'est oublier que la solidarité nationale doit être la même pour tous, quel
que soit l'endroit où la personne vit, et que la mise en place de certaines
mesures telles que la prestation spécifique dépendance ou l'utilisation des
fonds réservés à l'insertion des titulaires du RMI varie considérablement d'un
département à l'autre.
Je ne m'attarderai pas davantage sur cet aspect, dont Roland Huguet traitera
tout à l'heure au nom du groupe socialiste.
J'ai souligné la cohérence du texte avec le programme du Gouvernement et sa
nécessité au regard de la situation économique et sociale culturelle. Je
voudrais maintenant évoquer la logique autour de laquelle il s'articule et qui
le rendra pleinement efficace.
L'approche retenue se veut globale, prenant en compte l'ensemble du processus
de l'exclusion et traitant la totalité des domaines touchés.
Appréhender globalement le processus de l'exclusion impose d'abord de mener
une action préventive le plus en amont possible, une action qui s'attache à
repérer les failles et les fragilités, et qui combat d'abord la précarité.
Le traitement de l'exclusion passe ensuite, bien sûr, par la réinsertion, par
les réponses aux situations d'urgence. Mais il ne faut pas en rester là ; il
faut organiser, en aval cette fois, un suivi des personnes touchées par
l'exclusion.
L'accompagnement par les acteurs sociaux est - et je m'en réjouis - très
présent dans le texte du projet de loi, qui organise notamment la formation des
personnels concernés. Cet aspect est fondamental et doit être présent à chaque
étape du cheminement.
L'autre dimension essentielle de ce texte est qu'il intègre la totalité des
domaines intéressant l'exclusion. En réaffirmant à l'article 1er les droits
fondamentaux des citoyens, le projet de loi rappelle qu'il n'est pas un lieu,
pas un aspect de la vie en société dont tout un chacun ne puisse bénéficier.
L'obtention de la carte d'identité nationale et l'inscription sur les listes
électorales sont à cet égard significatives.
En organisant l'accès à ces droits dans une même logique, il montre que les
uns ne vont pas sans les autres. L'emploi, le logement, les soins, la culture
sont intimement liés. Souvent, l'impossibilité d'accéder à l'un d'entre eux
fait que les autres portes se trouvent du coup irrémédiablement fermées.
C'est pourquoi il est nécessaire de coordonner les divers segments de l'action
publique, d'amener les acteurs, les structures qui participent de cette lutte
contre les exclusions, toutes les exclusions, à travailler ensemble. Trop
souvent, l'exclu doit, pour accéder à ces droits fondamentaux, accomplir un
véritable parcours du combattant. Derrière les dispositifs mis en place, c'est
le décloisonnement des domaines et des services qu'il faut s'attacher à
réaliser.
Le logement occupe une place essentielle dans le projet de loi. Notre collègue
André Vezinhet interviendra sur cette question. Je soulignerai seulement ici
qu'un toit est bien peu lorsqu'il ne fait qu'abriter, sans procurer le confort
lié à la fourniture d'énergie et de moyens de communication. L'action menée par
le Gouvernement a permis de préserver de la coupure d'électricité et d'eau les
personnes démunies. Le groupe socialiste a souhaité rappeler que le téléphone
fait désormais partie de la vie quotidienne.
L'accès aux soins, qu'abordera François Autain, pose le problème de la
nécessaire prévention et de la prise en charge des patients. Cette prise en
charge est financière, mais elle doit être aussi psychologique, au plus près de
ceux qui, parfois, en viennent à exclure jusqu'à leur propre corps.
Les aspects culturels, éducatifs et sportifs, que Franck Sérusclat abordera,
avaient été écartés dans le précédent projet de loi de cohésion sociale. Or ils
peuvent constituer une passerelle entre les personnes et offrent la possibilité
d'exprimer ce qui fait la particularité de chacun.
J'évoquerai quant à moi l'emploi, le surendettement et les institutions
sociales.
L'emploi, tout comme le logement, est au coeur de ce projet ambitieux :
l'emploi des jeunes en grandes difficultés, avec le programme TRACE, mais aussi
l'emploi de tous ceux et de toutes celles que la vie et notre système
économique ont fragilisés, et qui ne peuvent trouver ou retrouver une place
dans le monde du travail qu'en passant par des dispositifs adaptés.
Le groupe socialiste accueille très favorablement les mesures contenues dans
le projet de loi et enrichies par les travaux menés à l'Assemblée nationale.
Tout comme leurs collègues députés, les membres du groupe socialiste du Sénat
entendent formuler des propositions avec un esprit constructif.
Le programme TRACE nous semble répondre aux besoins de jeunes qui, sortis du
système scolaire sans qualification, n'ont pu trouver un premier emploi et se
sont parfois désocialisés.
Nous pensons que le délai de dix-huit mois de parcours individualisé sera
généralement suffisant mais qu'il faudrait prévoir la possibilité, par
dérogation, de l'allonger pour une durée qui ne pourrait excéder six mois.
Afin de faciliter le travail, souvent exemplaire, des acteurs locaux, un
volant de contrats emploi-solidarité devrait être mis à la disposition des
missions locales.
Le recours non automatique et personnalisé au fonds d'aide aux jeunes pendant
les ruptures inévitables de ce parcours nous paraît très pertinent. Il ne
ressemble en rien à un « RMI-jeunes ».
Nous ne comprendrions pas que la majorité sénatoriale s'oppose à une mesure
dont la finalité évidente est de responsabiliser le jeune tout en
l'encourageant à poursuivre ses efforts pour atteindre une insertion
professionnelle durable.
Nous sommes également satisfaits de la réorientation des stages et contrats
aidés - CES, CEC, SIFE - vers des publics prioritaires mieux ciblés ainsi que
de l'expérimentation des contrats de qualification pour des adultes.
A ces mêmes adultes, il est donné la possibilité de bénéficier désormais des
mêmes avantages que les jeunes créateurs d'entreprise. Nous nous en
félicitons.
En ce qui concerne l'insertion par l'économique, à laquelle, nous le savons,
madame la ministre, vous êtes attachée,...
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Très attachée !
Mme Dinah Derycke.
... comme le prouve l'augmentation des crédits prévus à cet effet dans le
budget de 1998, de substantiels progrès ont été réalisés en première lecture à
l'Assemblée nationale.
Nous aurions préféré que la mise à disposition d'un salarié pût atteindre une
durée de trois mois. Nous avons été sensibles à vos arguments relatifs aux abus
possibles. Les conditions d'agrément et de convention que vous avez posées pour
les associations intermédiaires nous paraissent, par ailleurs, suffisamment
dissuasives.
L'encouragement à la reprise du travail pour les personnes titulaires de
minima sociaux - dispositif dit de l'« intéressement » - était demandé par tous
les acteurs locaux. Il sera désormais inscrit dans la loi, tout comme la
possibilité de cumuler un emploi à temps partiel avec un contrat aidé, lui-même
à temps partiel. L'Assemblée nationale a également voulu que tout demandeur
d'emploi puisse exercer une activité bénévole. Cette mesure - mesure juste -
peut, à sa façon, concourir à la réinsertion sociale.
L'emploi est bien le moyen d'action prioritaire pour sortir nos concitoyens de
l'exclusion ou les empêcher d'y tomber. Bien entendu, plutôt que de créer des
dispositifs spécifiques ou de jeter des passerelles vers l'emploi, mieux
vaudrait que les entreprises participent activement à l'insertion des exclus.
La majorité sénatoriale propose d'encourager cette démarche par l'adoption de
mesures incitatives, autrement dit par des allégements de charges et une
formule d'« intéressement », en quelque sorte, pour les entreprises.
Nous ne partageons pas ce point de vue, non pour des raisons idéologiques,
mais simplement parce que cela ne marche pas. L'entreprise utilise trop souvent
ces dispositifs sans créer d'emplois nouveaux. Elle ne fait que substituer un
travailleur à un autre, lequel risque à son tour de se trouver pris dans la
spirale de l'exclusion.
C'est ainsi que, dans les années récentes, des allégements ont été consentis
au secteur marchand, avec l'espoir que des emplois seraient créés. Or force est
de constater que l'emploi n'a pas été au rendez-vous et que des licenciements,
décidés parfois pour de simples raisons de rentabilité, ont plongé dans
l'exclusion une partie de nos concitoyens.
Privés de ressources suffisantes, nombre d'entre eux ne peuvent faire face à
leurs dettes. Des situations insupportables en découlent, comme la perte du
logement ou le placement des enfants. Dans ces conditions, l'engrenage de
l'exclusion ne peut plus être arrêté.
Le phénomène du surendettement a pris, ces dernières années, une ampleur
inquiétante, tant par le nombre de dossiers soumis aux commissions de
surendettement que par la nature des publics surendettés. En dix ans, nous
sommes passés d'un surendettement actif, causé par les crédits à la
consommation et les crédits immobiliers, à un surendettement passif, dû à ces
accidents de la vie que sont le chômage, la maladie ou la séparation.
Aujourd'hui, le surendettement provient principalement de l'absence totale de
ressources.
L'extension de la possibilité de faillite personnelle ne répondrait que de
manière imparfaite à ces situations. La révision de la loi de 1989, dite loi
Neiertz, déjà modifiée en 1995, s'imposait donc. Le texte de loi apporte des
changements importants aux dispositifs de traitement du surendettement.
Si l'extension du délai d'étalement des dettes de cinq ans à huit ans, la
possibilité d'un moratoire, puis d'un effacement des dettes, nous semblent
pertinents pour des personnes sans ressources, la remise des dettes fiscales
nous fait nous interroger.
Certes, les dettes fiscales et sociales ne doivent pas être banalisées et la
citoyenneté comporte non seulement des droits, mais également des devoirs.
Toutefois, comment l'Etat pourrait-il rester sourd à une demande de la
commission relative à ces dettes ? Il y a là un problème de fond et de forme.
Nous espérons que les débats nous éclaireront sur un sujet qui dépasse les
clivages habituels de notre assemblée, comme nous l'avons vu tout à l'heure.
Le groupe socialiste du Sénat a souhaité amender le texte dans le sens d'une
plus grande efficacité s'agissant du travail de la commission et d'une
meilleure prise en compte des débiteurs : réduction des délais de contestation
pour les créanciers, rééquilibrage dans la composition de la commission et
organisation d'un suivi social des débiteurs.
Le plafonnement, introduit par l'Assemblée nationale, des taux d'intérêt au
taux légal dans le plan de redressement risquerait, selon nous, d'aller à
l'encontre de la souplesse dont doit pouvoir faire preuve la commission de
surendettement dans son appréciation des cas particuliers. Le groupe socialiste
du Sénat a souhaité que cette disposition soit revue.
Je regrette, personnellement, que les différentes formes de crédits à la
consommation, dont nous constatons tous les jours, dans la vie courante, les
effets dévastateurs sur les ménages déjà démunis, ne soient pas davantage
encadrées. Il importe que des campagnes nationales d'information des
consommateurs soient menées périodiquement sur ce thème.
Enfin, je souhaite attirer l'attention sur le fait que la solidarité nationale
doit être un droit pour tous nos concitoyens, quel que soit l'endroit où ils
résident, que ce soit en France métropolitaine, dans les DOM-TOM, ou à
l'étranger. Nous avons donc présenté plusieurs amendements tendant à rendre
cette solidarité plus effective.
C'est ainsi que nous proposons la transformation des agences départementales
d'insertion en établissements publics locaux. Nous demandons aussi un
aménagement de certains dispositifs en faveur de nos compatriotes vivant hors
du territoire national.
Avant de conclure, je souhaite m'adresser à Mme la ministre chargée des droits
des femmes.
Nous avons bien noté, madame la ministre, votre volonté de ne pas enfermer les
publics dans des catégories qui risqueraient d'être autant de ghettos. Nous
partageons cette approche, mais nous souhaitons que les situations spécifiques
que vivent les femmes soient prises en considération.
Toutes les enquêtes et statistiques officielles montrent qu'elles sont plus
que les hommes touchées par le chômage, notamment par le chômage de longue
durée, et cela est particulièrement vrai pour les jeunes femmes.
Lorsqu'elles travaillent, elles sont davantage concernées par la précarité, le
temps partiel leur est souvent imposé et leurs salaires sont moins élevés.
De plus, elles constituent l'immense majorité des familles monoparentales et
assument, à ce titre, la charge affective, éducative et aussi financière
d'environ deux millions d'enfants, dont plus d'un million et demi sont
mineurs.
Il faudrait aussi parler des violences qu'elles subissent parfois dans leur
propre foyer, violences qui les condamnent souvent au silence, à l'enfermement
sur soi ou les obligent à quitter le logement familial.
Dans bien des cas, elles se retrouvent alors sans emploi, sans logement et
sans ressources suffisantes.
Leur attitude face à l'exclusion est également différente : elles
intériorisent leur échec, ce qui les rend, de fait, plus invisibles.
Les situations qu'elles vivent sont très diverses. Elles nécessitent une
attention particulière et appellent des mesures spécifiques.
Certes, le projet de loi prend en compte les femmes qui perçoivent le RMI,
l'ASS ou l'API, mais il faut aller plus loin, en incluant, notamment, les
femmes bénéficiaires de l'allocation veuvage dans les publics prioritaires.
Au cours du débat, notre groupe proposera plusieurs amendements, avec
l'objectif d'une plus grande sensibilisation aux problèmes et au vécu des
femmes.
En conclusion, je veux réaffirmer que l'architecture, la philosophie du projet
de loi d'orientation relatif à la lutte contre les exclusions correspond à
notre attente.
Ce texte peut encore être amélioré, tant il est vrai qu'aucun texte, qu'aucun
dispositif ne saurait en ce domaine répondre parfaitement à la multitude des
parcours et des situations, tant il est vrai aussi que les origines de
l'exclusion sont diverses et multiples, tant il est vrai que l'exclusion ne
saurait se résumer aux seules questions matérielles.
Ce projet de loi fixe un cap. Il annonce des mesures concrètes. Il organise
les coordinations nécessaires à la prise en compte globale des personnes et à
la mobilisation de l'ensemble des acteurs qui oeuvrent dans ce secteur. Il
s'attache aussi bien à lutter contre l'exclusion qu'à la prévenir et à répondre
aux situations d'urgence. Il est assorti de moyens financiers importants, afin
de rendre son application effective. Enfin, il substitue à une logique
d'assistanat une logique de responsabilité et de pleine citoyenneté.
La réussite est possible pour peu que ce texte soit ressenti par tous comme
constitutif d'un grand chantier national, digne de mobiliser les énergies de
tous. Que chacun - Etat, collectivités territoriales, entreprises,
associations, mais aussi simples citoyens - se sente directement concerné par
sa mise en oeuvre.
C'est pourquoi nous espérons qu'au-delà des clivages ce projet de loi fera
l'objet d'un large accord. Il ne servirait à rien de rendre hommage à ces
milliers de bénévoles qui se battent depuis de nombreuses années contre ce
fléau moderne si nous n'étions pas capables, ensemble, de les entendre et
d'accepter leurs demandes concrètes.
A cet égard, certains amendements présentés par la majorité sénatoriale me
semblent contrarier les revendications de ces associations. Une telle attitude
m'inquiète, car le consensus proclamé deviendrait un consensus de façade s'il
ne visait que les grands principes et non leur application.
Madame la ministre, messieurs les secrétaires d'Etat, pour le groupe
socialiste, cette loi constitue un véritable pacte social qui participe
pleinement à l'idéal républicain de notre nation.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Joly.
M. Bernard Joly.
Monsieur le président, madame la ministre, messieurs les secrétaires d'Etat,
mes chers collègues, l'exclusion nourrit, chaque jour davantage, les
discussions sur l'avenir social de notre pays et fait désormais l'objet d'une
véritable prise de conscience à l'échelle de la société tout entière : il
s'agit d'un paradigme de société.
Pour Serge Paugam, « l'exclusion est désormais devenue le paradigme à partir
duquel notre société prend conscience d'elle-même et de ses dysfonctionnements,
et recherche, parfois dans l'urgence et la confusion, des solutions aux maux
qui la tenaillent ».
L'exclusion avive les angoisses de franges de plus en plus nombreuses de la
population, inquiètes de se voir un jour prises au piège de la spirale de la
précarité, et accompagne le sentiment, presque généralisé, d'une dégradation de
la cohésion sociale.
En effet, la fragilisation des identités professionnelles, familiales et
sociales touche toutes les catégories sociales. Ainsi, plus d'un Français sur
deux a peur de devenir lui-même exclu.
Comme l'a souligné Bertrand Fragonard lors de la préparation du XIe Plan, il
existe non pas une cause d'exclusion mais plutôt un ensemble de facteurs de
risques.
Face à un phénomène aussi grave, qui condamne à l'inutilité sociale une part
de plus en plus importante de la population, l'idée d'une loi d'orientation
contre l'exclusion s'est imposée pendant la campagne présidentielle de 1995.
Au cours de celle-ci, trente associations de solidarité, réunies dans le
collectif Alerte, ont mené une campagne exigeant un pacte contre l'exclusion.
Ce pacte tendait à faire en sorte que la lutte contre la grande pauvreté
devienne une priorité engageant la nation tout entière.
Prenant pour socle le projet bâti par MM. Jacques Barrot et Xavier Emmanuelli
en 1997, le Gouvernement entend répondre à cette attente et, plus largement, à
l'espérance de millions de femmes et d'hommes.
Ce projet de loi développe trois grandes orientations : garantir l'accès aux
droits fondamentaux, prévenir les exclusions et répondre efficacement aux
situations d'urgence.
Toutefois, l'approche qui procède d'une vision Etat-providence conduit à un
traitement centralisé, réglementé, complexe, et me fait m'interroger sur
l'efficacité des dispositions. Par ailleurs, quelle distance entre les bassins
de vie, le terrain et le boulevard Saint-Germain !
Je développerai essentiellement le volet logement de ce projet de loi et la
situation des veuves civiles, qu'il omet.
L'exclusion du logement est l'une des plus destructrices pour l'individu.
Privé d'un espace protecteur, il est menacé dans son intégrité physique et
morale, dans sa santé comme dans ses capacités relationnelles. Cependant, force
est de constater que le nombre de personnes qui se retrouvent sans logement,
mal logées ou logées de façon précaire, ne cesse de s'accroître.
Le logement social est confronté à de graves difficultés pour accueillir ceux
qui demandent à se loger dans des conditions convenables, compatibles avec la
dignité à laquelle chacun doit pouvoir prétendre, quels que soient ses
moyens.
Le chapitre du projet de loi qui est relatif à l'accès au logement comporte
des avancées non négligeables. Néanmoins, je souhaite exprimer, sur certains
points précis, quelques réserves.
Tout d'abord, pour ce qui est des attributions, le projet de loi établit une
conférence intercommunale réunie au niveau du bassin d'habitat, qui élabore une
charte.
Cette charte a pour unique objet de répartir l'engagement chiffré des
organismes concernant les plus démunis et de déterminer ses conditions
d'adoption. Pourtant, elle ne permet pas de faire progresser la mixité sociale
et exclut,
de facto
, les communes n'ayant pas de logements sociaux, ce
qui est difficilement acceptable pour les élus.
Par conséquent, il me paraît souhaitable de supprimer cette charte ou d'en
modifier l'objet pour en faire un outil d'orientation plus général
d'attribution et d'investissement au-delà des seules communes ayant déjà des
logements sociaux. J'ai déposé un amendement en ce sens.
Cela doit s'inscrire dans le cadre de politiques locales de l'habitat
réunissant les partenaires, tels que l'Etat, les collectivités territoriales et
les organismes d'HLM.
Par ailleurs, le texte modifie les conditions de délimitation des bassins
d'habitat puisqu'il n'est plus fait référence qu'à l'existence d'une commune
dotée d'une zone urbaine sensible ou de plus de 35 % de logements sociaux. Les
notions de besoins non satisfaits et de déséquilibre de peuplement ont
disparu.
Désormais, il est donc possible de contraindre à la solidarité les seules
communes déjà lourdement pénalisées par des quartiers sensibles, ce qui est
dommageable.
J'en viens maintenant aux expulsions.
Dans ses articles 58 et 59, le projet de loi introduit des délais
supplémentaires avant l'assignation - quatre mois - et avant le jugement - deux
mois - en vue de permettre une intervention préventive des acteurs en début de
procédure.
De plus, le préfet doit s'assurer d'un hébergement avant tout concours de la
force publique. Ces délais supplémentaires, que le Gouvernement justifie par
des impératifs de solidarité nationale, ne doivent pas pour autant pénaliser
les seuls bailleurs. Ainsi, afin d'éviter cet inconvénient, il conviendrait de
maintenir l'aide personnalisée au logement, jusqu'au départ effectif de
l'occupant et que la recherche d'hébergement ne dispense pas l'Etat de verser
une indemnité aux bailleurs.
Enfin, avant de terminer, je souhaite attirer votre attention, madame la
ministre, sur la situation de détresse dans laquelle se trouvent nombre de
veuves civiles.
M. Gérard Braun,
rapporteur pour avis.
Absolument !
M. Bernard Joly.
Il existe en France plus de trois millions de veuves, dont plus de 250 000 ont
moins de cinquante-cinq ans. Au décès de leur mari, certaines se trouvent dans
l'obligation de travailler pour subvenir aux besoins financiers de leurs
familles et, bien souvent, il s'agit de leur premier emploi.
Elles ne perçoivent donc aucune indemnité de chômage et sont exclues du
bénéfice des différentes mesures réservées aux chômeurs de longue durée et des
emplois-jeunes, à moins qu'elles soient âgées de moins de trente ans.
Je regrette donc vivement qu'aucun dispositif d'aide à l'insertion pour les
veuves âgées de trente à cinquante-cinq ans ne soit prévu dans le projet de
loi. En effet, chacun connaît l'importance de la famille comme dernier rempart
contre l'exclusion.
La commission des affaires sociales et notre collègue Bernard Seillier, auteur
d'un excellent rapport, ont comblé cette carence en proposant un amendement
visant à étendre les CES aux veuves civiles. Pour ne pas alourdir les débats,
je me rallierai à cette initiative.
Sous réserve de l'adoption des apports importants de la commission saisie au
fond, j'apporterai mon soutien au dispositif visant à s'attaquer à
l'exclusion.
(Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, les grandes associations caritatives, les différentes
organisations qui, jour après jour depuis des années, se dépensent sans compter
pour faire reculer toutes les formes d'exclusion sont en droit d'attendre de la
représentation nationale qu'elle conforte leurs engagements.
Nous devons les remercier de leur pugnacité. Pour ma part, je le ferai en
souhaitant que, avec le présent projet de loi, soit clairement indiquée la
volonté de sortir d'une logique économique et sociale qui exclut de leurs
droits fondamentaux des millions de gens. Le principal message du mouvement des
sans-emploi, c'est que ces derniers voulaient du travail.
L'emploi et la relance économique sont évidemment la priorité, mais le
mouvement des sans-emploi a aussi montré au grand jour le fait que 5,5 millions
de personnes vivaient au-dessous du seuil de pauvreté et que là se posait une
question de dignité.
Vous connaissez notre point de vue : nous pensons que le début de croissance
que nous connaissons actuellement devrait bénéficier à ceux qui en ont le plus
besoin et servir à une revalorisation significative du SMIC et des minima
sociaux. Cela conforterait la reprise par la relance de la consommation et
marquerait une rupture nette avec les politiques précédentes.
Pour ma part, je m'arrêterai sur quelques points forts du projet de loi.
La décision du Gouvernement d'indexer les minima sociaux sur les prix est une
avancée par rapport à la situation actuelle. Toutefois, en vue de ne pas
décrocher les minima sociaux des salaires, nous pensons qu'il serait nécessaire
d'indexer ceux-ci sur le SMIC. Nous approuvons naturellement la coordination
entre reprise d'emploi et minima sociaux.
J'ajoute que la suppression, en 1992, pour la plus grande partie de ses
bénéficiaires potentiels, de l'allocation d'insertion, le durcissement des
conditions d'indemnisation, très sensible pour certaines catégories de
demandeurs d'emploi, et la diminution du montant moyen de l'allocation chômage
depuis 1992 posent problème.
C'est pourquoi notre groupe souhaite que le Gouvernement s'engage rapidement
dans une réforme d'ensemble des minima sociaux et de l'assurance chômage, afin
que le chômage induit par la précarité extrême des emplois soit indemnisé par
l'assurance et qu'aucun bénéficiaire ne vive avec des ressources inférieures au
seuil de pauvreté, qui est en France, je le rappelle, de quelque 3 800 francs
par personne, alors que le seuil européen s'élève à 5 500 francs.
En ce qui concerne les familles, nous apprécions que l'Assemblée nationale ait
adopté un amendement prévoyant des actions d'accompagnement psychologique et
social pour les femmes enceintes et les jeunes mères de famille,
particulièrement pour les plus démunies.
Nous interviendrons sur d'autres points précis dans le débat, mais s'agissant
de l'articulation des charges de famille et du montant des minima sociaux, il
ne serait que justice que les prestations familiales ne soient pas prises en
compte dans le calcul des revenus ouvrant droit au RMI. Nous déposerons un
amendement à cet effet.
Le volet « santé » du projet de loi est, de fait, renvoyé à l'automne, avec la
mise en place de l'assurance maladie universelle.
Nous sommes évidemment favorables à cette dernière, dans la mesure où elle ne
met pas en cause les régimes professionnels particuliers.
Au-delà du droit à la couverture sociale, indispensable, l'accès aux soins
pose de nombreux problèmes, au niveau tant des structures que des
financements.
La baisse régulière du taux de remboursement des médicaments et des soins
ambulatoires, le faible niveau d'intervention pour l'optique ou les soins
dentaires font obstacle à l'égalité. En 1996, l'assurance maladie laissait
globalement plus de 28 % des dépenses de santé à la charge des ménages. Or,
près de 17 % des ménages, soit plus de 9 millions de personnes, ne
bénéficiaient d'aucune protection complémentaire. Ces personnes recourent de
moins en moins aux soins, pour des raisons financières.
La question de la prise en charge réelle des soins et des appareillages
indispensables est posée. Il faut donc y réfléchir dès maintenant, ainsi qu'à
la généralisation des procédures de dispense d'avance de frais, qui, toutes les
études le montrent, n'ont pas de réel caractère inflationniste, et à un
dépassement de l'aide médicale gratuite, aux mécanismes stigmatisants, en
instituant pour ceux qui sont en dessous du seuil de pauvreté une prise en
charge à 100 % par la sécurité sociale ainsi qu'une aide légale à la
mutualisation au profit des personnes qui disposent de ressources modestes.
En effet, il y aurait quelque ironie à parler de maîtrise durable des dépenses
de santé si, dans le même temps, on ne mettait pas fin à une situation dans
laquelle une personne sur quatre, un chômeur ou un allocataire du RMI sur deux
renoncent aux soins.
Le renforcement de la prévention pour ceux qui sont le plus exposés au risque
de maladie est indispensable et les actes de prévention doivent pouvoir être
suivis d'effets.
C'est pourquoi nous déposerons un amendement visant à poser le principe d'un
bilan annuel de santé pris en charge par la médecine du travail pour les
chômeurs et les stagiaires de la formation professionnelle.
Les pathologies liées à la précarité et à l'exclusion, notamment, hélas ! les
insuffisances nutritionnelles et la tuberculose, pourraient ainsi être mieux
détectées et un suivi devrait être concrètement favorisé.
Notre amendement concernant le dépistage du risque saturnin chez les enfants,
dans le cadre de la médecine scolaire, entre dans cette même logique de
meilleure prévention pour tous. Nous nous réjouissons bien entendu que, sur
proposition des députés communistes, soit prévue la présentation au Parlement
d'un bilan sur le rôle de la médecine scolaire dans la politique de prévention
et les conditons de son renforcement, je dirais presque sa reconstruction.
Cette politique de santé publique, dont la prévention fait pleinement partie,
suppose, outre la réaffirmation du rôle social de l'hôpital et la mise en
place, dans celui-ci, de structures d'accueil adaptées aux personnes en grande
difficulté, comme le prévoit le projet de loi, le maintien et le développement
des structures de proximité, comme les centres de santé, afin de préserver un
choix possible et d'éviter toute ghettoïsation dans l'accès aux soins.
Dans cette optique, nous présenterons un amendement qui a pour objet d'étendre
les permanences d'accès aux soins aux centres de santé.
Les restrictions financières considérablement aggravées depuis le plan Juppé
et la fermeture continuelle de nombreux services et établissements de proximité
vont à l'encontre d'une bonne mise en oeuvre de la mission publique de ces
centres, comme des hôpitaux. Ces derniers sont financés, rappelons-le, à 90 %
par la sécurité sociale.
Il s'agirait d'aller à l'encontre de cette logique en dégageant les moyens
nécessaires.
Pour les hôpitaux, cela veut dire notamment donner un coup de pouce
significatif au taux directeur et utiliser le fonds de modernisation, agissant
ainsi en faveur d'une amélioration de la qualité des services et des personnels
et praticiens. On tendrait, de cette manière, à remplir les conditions pour une
véritable qualité des soins.
Le financement nécessaire à ces mesures, comme à celles qui ont été évoquées
précédemment, devrait mettre à contribution l'entreprise, ce qui ne serait
qu'un juste retour des choses quand on constate les bonds de la Bourse, et
répartirait mieux l'effort de solidarité pour résoudre le problème de
l'exclusion. Pour cela, on doit mettre à contribution aussi les profits
financiers, et non les seuls salaires.
Cette question nous renvoie au débat sur la loi de financement de la sécurité
sociale, que nous ne manquerons pas de nourrir de propositions dans ce sens en
temps voulu, avec le souci, encore une fois, de concrétiser les objectifs
sociaux que se fixe le Gouvernement.
(Applaudissements sur les travées du
groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées
socialistes. - Mme Dusseau applaudit également.)
M. le président.
La parole est à M. Gournac.
(Mme Olin applaudit.)
M. Alain Gournac.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, « la lutte contre les exclusions est une priorité de mon
septennat et c'est une priorité nationale qui s'impose au-delà de tous les
clivages politiques. L'ambition était et reste l'accès de tous aux droits de
tous ... Je souhaite que le projet de loi qui sera prochainement présenté au
conseil des ministres s'inscrive dans la continuité de ces principes. » Ainsi
s'exprimait le Président de la République le 4 mars 1998, rappelant son
engagement pris devant les Français de réduire la fracture sociale.
(Exclamations sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen,
ainsi que sur les travées socialistes et sur certaines travées du RDSE.)
M. François Autain.
Il a été interrompu par la dissolution !
M. Alain Gournac.
Ces propos vous gênent, je le sais, mais il les a tout de même tenus !
(Mme
Olin fait un signe d'assentiment ; nouvelles exclamations sur plusieurs travées
socialistes.)
M. le président.
Mes chers collègues, je vous en prie, n'interrompez pas l'orateur.
Mme Joëlle Dusseau.
On lui fait plaisir !
(Sourires.)
M. Alain Gournac.
Cette réduction qui s'impose avec un caractère d'urgence à la conscience de
chacun conditionne le renforcement nécessaire de la cohésion de la communauté
nationale.
M. François Autain.
Eh oui !
Mme Nelly Olin.
Eh oui, en effet !
M. Alain Gournac.
Notre débat est ainsi sous-tendu par une volonté présidentielle forte, par une
ambition politique nationale au service des hommes et des femmes les plus
démunis de notre pays.
Les chiffres sont là : cinq millions et demi de personnes pauvres, dont plus
d'un million d'enfants. Comme l'a exposé notre excellent rapporteur M. Bernard
Seillier, l'exclusion se lit à travers l'augmentation du chômage de longue
durée - deux millions en 1997 - à travers les chiffres relatifs au logement -
deux millions de mal logés, deux cents mille personnes sans domicile connu - à
travers le nombre de ménages surendettés - plus de six cents mille - et à
travers l'augmentation du nombre de titulaires de minima sociaux.
Il est un chiffre qui n'a pas été évoqué et qui pourrait être ajouté à cette
liste des symptômes révélateurs de l'exclusion : je veux parler de la
multiplication des interdits bancaires. Leur nombre est en effet passé d'un
million à deux millions sept cent mille entre 1991 et 1997 ; j'y reviendrai
dans quelques instants.
L'exclusion est un sujet grave, devant lequel il serait peu sérieux de ne pas
être constructif. C'est pourquoi il me semble important d'insister sur le fait
suivant : il s'agit non pas d'apporter je ne sais quelle caution au
Gouvernement, mais de nous montrer à la hauteur d'une priorité nationale fixée
par le Président de la République...
Mmes Nelly Olin et Joëlle Dusseau.
Très bien !
M. Alain Gournac.
... et à laquelle le gouvernement précédent et son successeur ont donné forme
de façons parfois semblables, parfois différentes, jamais diamétralement
opposées.
Mme Nelly Olin.
Très bien !
M. Alain Gournac.
Inspiré par le plus haut niveau de l'Etat, ce projet de loi, hier comme
aujourd'hui, exige des Français, devant l'importance de l'enjeu, qu'ils se
rassemblent dans cet effort de solidarité.
Si votre projet de loi, madame la ministre, s'inspire des grandes lignes de
celui qui avait été élaboré par le précédent gouvernement, il appelle cependant
de ma part quelques remarques.
Je crains que, en l'état actuel des choses, l'aspect quantitatif du projet de
loi ne masque une certaine insuffisance sur le fond, que le travail des uns et
des autres s'est efforcé de pallier.
Vous avez déclaré, lors de votre audition par la commission des affaires
sociales, le 26 mai dernier, que vous souhaitiez que le débat au Sénat permette
d'enrichir le texte. Il me semble que, comme à notre habitude, c'est dans cet
état d'esprit que nous avons travaillé en commission et que nous poursuivrons
ce travail dans cet hémicycle.
Vous avez intitulé votre texte « Projet de loi d'orientation relatif à la
lutte contre les exclusions » ; le gouvernement précédent avait appelé le sien
« Projet de loi relatif au renforcement de la cohésion sociale ». Je crois
pouvoir dire que la démarche de la majorité présidentielle du Sénat consiste à
veiller à ce que cette lutte contre les exclusions soit, dans un même
mouvement, une lutte pour le renforcement de la cohésion sociale, ce qui
suppose que le partenariat entre l'Etat et les départements soit respecté
scrupuleusement, et même intensifié.
Mme Nelly Olin.
Très bien !
M. Alain Gournac.
Or, le texte alourdit quelque peu les contraintes qui pèsent sur les
collectivités territoriales.
Les FAJ, les fonds d'aide aux jeunes, créés en 1988 et destinés à aider
financièrement les jeunes de dix-huit à vingt-cinq ans en difficulté, sont
transformés, par un amendement de l'Assemblée nationale, en une sorte de «
RMI-jeunes » puisque ce qui était laissé à l'appréciation des gestionnaires du
programme TRACE - trajet d'accès à l'emploi - devient un véritable droit pour
les jeunes concernés.
Le fait que le Gouvernement ait prévu un abondement de 330 millions de francs
en cumul de 1998 à l'an 2000, qui devra être suivi à parité par les
départements, ne doit pas pour autant transformer une démarche de solidarité en
une démarche d'assistanat.
L'Assemblée nationale a également durci le dispositif d'intervention des fonds
de solidarité pour le logement. Or, si les conditions d'intervention de ces
fonds devaient être prévues dans un décret, les départements n'auraient plus
alors de marge de manoeuvre dans la gestion du dispositif.
Il n'est pas convenable que l'Etat, relativement à ces deux dispositifs,
s'arroge un droit au détriment de la liberté d'appréciation des situations par
les responsables des départements.
Est-il normal, par ailleurs, que les maires ne soient pas associés à la
politique d'attribution des logements sociaux sur leur territoire ?
Or ce n'est pas les associer sérieusement que de laisser les préfets définir
sans recours possible les contours d'un bassin d'habitat autour des communes
dotées d'une zone urbaine sensible ou d'une zone de plus de 20 % de logements
sociaux.
(Très bien ! sur les travées du RPR.)
Il faut que les communes concernées ratifient la charte intercommunale,
car il faut que la lutte contre les exclusions, je le répète, soit d'un même
mouvement une lutte pour le renforcement de la cohésion sociale, une lutte pour
le renforcement de la cohésion nationale.
Pour cela, il faut que l'Etat reconnaisse les acteurs de terrain que sont les
élus locaux comme de véritables partenaires dans la mise en oeuvre des
solutions.
Il n'est pas besoin de prendre d'autres exemples pour évaluer non pas nos
générosités respectives - car je suis persuadé, madame la ministre, que, sur ce
plan, vous m'accorderez la même sincérité que celle que je vous reconnais bien
volontiers - mais nos philosophies propres dans la façon d'aborder les
problèmes et d'envisager les solutions.
Et, pour vous dire les choses très directement, comme à mon habitude, taxer
les logements vacants, c'est peut-être apporter sa contribution à la lutte
contre les exclusions, mais sûrement pas à la lutte pour la cohésion
sociale.
M. Philippe Darniche.
Très juste !
M. Alain Gournac.
Il est préférable, notre rapporteur M. Bernard Seillier l'a développé, de
substituer à cette taxe, dont je refuse le principe, un mécanisme d'incitation
à la remise sur le marché des logements vacants.
S'en prendre aux propriétaires, et notamment aux nombreux petits propriétaires
qui, quoi qu'on dise, ne roulent pas carrosse, n'est pas la méthode adéquate
pour que cette lutte contre les exclusions soit aussi facteur de cohésion
nationale.
La propriété individuelle est un droit, la liberté d'en disposer également. «
L'accès de tous aux droits de tous » prôné par le Président de la République ne
peut être mis en oeuvre au détriment de certains droits qui font partie des «
droits de tous » dont il parlait : ils en font partie intégrante.
Je vous l'avais annoncé au début de mon propos, il y a, parmi l'ensemble des
symptômes au travers desquels se lit la pauvreté, celui des interdits
bancaires.
Depuis 1991, leur nombre serait passé de 1 million à près de 2,7 millions,
d'après les statistiques de la Banque de France.
Le texte qui nous est soumis propose un certain nombre de mesures qui
reconnaissent le droit à un compte de dépôt. Il constitue une véritable avancée
qui ne manquera pas de faciliter la vie quotidienne des hommes et des femmes en
difficulté.
Il me semble qu'il conviendrait également de mettre en place un dispositif
visant à limiter les pénalisations encourues par toute personne émettant un
chèque non provisionné. Pourquoi représenter un tel chèque jusqu'à cinq ou six
fois ? Il nous manque, certes, une étude de population relative à ces interdits
bancaires - je crois cependant savoir que cette étude est en préparation pour
les prochains jours - mais on peut, toutefois, facilement imaginer comment une
personne ayant peu de ressources, et dont la situation financière est donc
fragile, peut basculer rapidement dans les difficultés et se trouver prise dans
l'engrenage d'une situation irréversible.
Il est devenu courant qu'un chèque sans provision soit systématiquement
représenté en chambre de compensation en vue de son éventuel paiement, et ce de
manière répétitive, dans les trente jours suivant son premier rejet. Les
exemples abondent de chèques présentés trois, quatre, cinq fois, parfois plus.
Il paraît même que cela rapporterait 3 milliards de francs aux banques !
Discipliner le comportement des débiteurs défaillants et donner au
bénéficiaire du chèque un moyen de faire valoir ses droits, voilà qui est
légitime et nécessaire.
Mais, lorsque le désordre provoqué par un chèque impayé se traduit, comme
c'est de plus en plus fréquent, par un désordre plus grand qui, ici, est un «
désordre social », il convient de réglementer.
C'est la raison pour laquelle je présenterai, avec d'autres collègues, un
amendement en ce sens, qui me tient particulièrement à coeur.
C'est un sujet important qui a été débattu à l'Assemblée nationale mais dont
l'examen a finalement été différé. Compte tenu de la déclaration d'urgence, il
conviendrait, selon moi, que cet examen soit approfondi par la Haute
Assemblée.
Ce texte, madame la ministre, a besoin d'être amélioré, son inspiration
retrouvée autant que faire se peut. Vous souhaitiez que nous l'enrichissions ?
C'est ainsi que je l'entendais, c'est à ce prix que je le voterai.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme Nelly Olin.
Bravo !
M. le président.
La parole est à M. Machet.
M. Jacques Machet.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, le sentiment d'exclusion, pour bon nombre de nos concitoyens,
est d'abord un sentiment de honte. Ce sentiment, contre lequel nous devons
lutter, des femmes et des hommes le ressentent continuellement.
Empreint de beaucoup d'humilité, car on ne peut jamais se mettre à la place de
l'autre, surtout de la personne qui se trouve exclue, permettez-moi, madame la
ministre, de m'exprimer au nom de deux groupes de personnes particulièrement
exposées.
Tout d'abord, celles et ceux qui ont des difficultés à lire et à écrire, ainsi
que l'a souligné le président Fourcade tout à l'heure, c'est-à-dire qui sont en
situation d'illettrisme et qui n'osent pas le révéler.
Je souhaiterais également évoquer le cas des veuves, que le drame plonge
brutalement dans la pauvreté et qui, bien souvent, ont la lourde responsabilité
d'une famille à élever seules, mais que notre société considère souvent avec
commisération plutôt que considération.
Madame la ministre, en ce qui concerne l'illettrisme, il ne peut y avoir
insertion sociale, accès à l'éducation, aux technologies, à la citoyenneté sans
que la possibilité pour chacune et chacun de lire soit totale, c'est-à-dire
vécue et comprise.
A l'entrée en sixième, on constate que 15 % à 20 % de nos enfants ne
maîtrisent ni la lecture ni l'écriture ni le calcul, et l'on retrouve ce même
blocage cinq ans plus tard : les mêmes - ce n'est pas péjoratif - sont
incapables de lire une annonce d'emploi, de rédiger un CV ou une note
administrative.
Selon l'INSEE, 20 % de la population française seraient en situation
d'illettrisme.
Ces chiffres sont évocateurs. De plus, l'illettrisme n'est pas marginal. Il ne
frappe pas seulement certaines minorités de la population, mais, au contraire,
essentiellement des jeunes ou des adultes français de souche, ayant la même
culture et la même langue maternelle.
Dans notre société, fondée de plus en plus sur une culture de l'information,
notamment avec l'ouverture sur l'Europe, c'est-à-dire l'usage de plusieurs
langues, l'illettrisme devient un facteur d'exclusion et un obstacle au progrès
de l'homme et de la société.
Des actions doivent donc être entreprises afin que l'illettrisme puisse être
endigué et éradiqué, et qu'il ne soit plus vécu comme une situation de honte et
de repli.
La lutte contre l'illettrisme commence par l'octroi de moyens supplémentaires
à l'école ciblés sur ce phénomène et surtout, fondamentalement, par la
sensibilisation des familles et la remise à niveau des adultes.
Enfin, je souhaiterais, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, évoquer la situation des veuves, comme l'a fait notre collègue
M. Joly - mais la répétition, en l'occurrence, n'est pas néfaste - situation à
laquelle le Sénat a toujours été très attentif.
Un groupe d'études des problèmes du veuvage, que j'ai aujourd'hui l'honneur de
présider, a été constitué au sein de la commission des affaires sociales et il
a pour mission de représenter les intéressées et de les soutenir face aux
difficultés qu'elles rencontrent.
Ou oublie trop souvent que les jeunes veuves figurent fréquemment parmi les
premières victimes de l'exclusion. Celles qui ne travaillent pas se heurtent
ainsi à de grandes difficultés pour trouver un emploi après le décès de leur
mari.
Or, tel qu'il a été adopté par l'Assemblée nationale, ce projet de loi ne
comportait aucune disposition concernant cette population. Comme M. Joly l'a
indiqué, la France compte 3 250 000 veuves, dont 250 000 sont âgées de moins de
cinquante-cinq ans.
Cette lacune regrettable de l'Assemblée nationale a été heureusement corrigée
par notre collègue Bernard Seillier, rapporteur de la commission des affaires
sociales, qui proposera trois amendements très importants en faveur des veuves.
Je tiens à l'en remercier. Ces amendements permettront de faire bénéficier les
veuves titulaires de l'allocation de veuvage des contrats emploi-solidarité et
des contrats emplois consolidés. Ils autoriseront également le cumul de
l'allocation de veuvage et de revenus tirés d'une activité professionnelle.
Il s'agit là d'avancées qui répondent aux attentes depuis longtemps exprimées
par les veuves et je suis certain que notre assemblée aura à coeur de voter ces
amendements, qui contribueront à améliorer de manière significative le sort des
intéressées.
Si l'illettrisme et la situation des veuves sont deux problèmes très
différents, ils font, pour moi, partie de ce projet de loi de lutte contre les
exclusions.
Je compte sur vous, madame la ministre, pour leur apporter toute l'attention
qu'ils méritent, et je vous en remercie.
(Très bien ! et applaudissements
sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et
Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Vezinhet.
M. André Vezinhet.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, il y a pratiquement un an jour pour jour, le 19 juin 1997, M.
Lionel Jospin faisait du logement, dans sa déclaration de politique générale,
une priorité de l'action de son gouvernement.
A peine énoncée, cette priorité devait trouver une première traduction
concrète par la revalorisation, dans le décret d'avance du 10 juillet dernier,
des aides personnelles au logement, dont les barèmes étaient gelés depuis 1994.
Cette décision, qui s'est traduite par une augmentation moyenne de 3,4 %, a
permis une bien meilleure solvabilisation des ménages pour faire face à la
charge financière que représente le logement et, partant, elle a contribué à la
cohésion sociale.
Dans la loi de finances pour 1998, c'est un véritable redressement budgétaire
que vous avez opéré, monsieur le secrétaire d'Etat, en nous permettant
d'adopter un budget du logement en totale rupture avec les précédents : pour
les aides à la personne, les dotations ont augmenté de près de 10 % ; l'aide à
la pierre a permis un programme de constructions neuves de 80 000 logements,
avec une orientation marquée en direction des plus défavorisés ; ainsi, 20 000
PLA à loyer minoré et 10 000 PLA d'intégration furent réservés pour les ménages
cumulant difficultés économiques et handicaps sociaux.
Enfin, le Gouvernement a souhaité réintégrer la dotation du FSL ainsi que
celle qui est destinée au financement de l'ALT, l'aide au logement temporaire,
dans le budget général afin d'en assurer la pérennité, le FSL passant de 275
millions de francs en 1997 à 340 millions de francs.
« Le Gouvernement s'engage par étapes, mais avec résolution, dans la voie
d'une réponse d'ensemble adaptée aux attentes de nos concitoyens et à leurs
préoccupations économiques et sociales. Cette politique prend donc en compte à
la fois les situations de précarité et d'exclusion... et les objectifs de
maîtrise des loyers et des charges de logement pour que leur poids reste
compatible avec le budget des ménages aux revenus les plus modestes. Cette
politique soutiendra l'activité de la construction et de la réhabilitation,
indispensable à l'emploi. Elle sera développée dans un esprit de concertation
et d'écoute avec les collectivités locales, les associations, les bailleurs
sociaux et les investisseurs locataires. »
Ces propos - vous les avez peut-être reconnus, monsieur le secrétaire d'Etat -
vous les avez tenus devant nos collègues députés lors du dernier débat
budgétaire. Ils sont demeurés d'une cuisante actualité.
En effet, le volet logement du projet de loi de lutte contre les exclusions,
dont nous entamons l'examen, constitue une nouvelle étape dans cette réponse
d'ensemble qui caractérise l'action que le Gouvernement de Lionel Jospin entend
mener en faveur du logement.
D'autres étapes suivront : le projet de loi de finances pour 1999, la réforme
relative à l'habitat, qui portera création d'un statut de bailleur privé.
La réalité sociale de l'exclusion impose des réponses fortes, une volonté
claire et des moyens financiers.
Une loi contre l'exclusion ne peut concerner uniquement la grande pauvreté ;
elle doit aussi répondre aux spirales susceptibles de mener de la précarité à
l'exclusion : exclusion face à l'école, à la santé, au logement.
« Entre insertion et exclusion, il y a toujours une étape décisive : la perte
du logement », note le dernier rapport du haut comité pour le logement des
personnes défavoritées.
Aussi le logement tient-il, avec l'emploi et la santé, une place essentielle
dans le projet de loi d'orientation relatif à la lutte contre les
exclusions.
Dans notre pays, 200 000 personnes ne disposent d'aucun logement ; 470 000
sont logées en meublés ou en chambres d'hôtes ; 1 576 000 sont mal logées -
habitations mobiles, logements hors normes, foyers de travailleurs ; 2 800 000
sont hébergées chez des parents ou des amis.
Derrière ces chiffres bruts, nous avons tous conscience que, sans logement,
chacun de nous est menacé dans son intégrité physique et morale, dans sa
capacité à échanger avec le monde extérieur.
Le droit au logement avait déjà été défini par la loi Mermaz de 1989 comme un
droit fondamental. Cette affirmation a été reprise par la loi Besson de 1990,
dont l'article 1er précise : « Toute personne ou famille éprouvant des
difficultés particulières, en raison notamment de l'inadaptation de ses
ressources ou de ses conditions d'existence, a droit à une aide de la
collectivité pour accéder à un logement décent et indépendant ou s'y maintenir.
» Cette loi dispose aussi que « garantir le droit au logement constitue un
devoir de solidarité pour l'ensemble de la nation ». L'objectif de l'actuel
projet de loi est d'en garantir l'accès à tous.
Pour la période de 1998 à 2000, en termes de moyens financiers, ce sont 4
milliards de francs qui seront consacrés spécifiquement au volet logement.
L'annonce faite vendredi dernier, lors des rencontres nationales du logement, à
Paris, par le ministre, M. Gayssot, d'abaisser d'un demi-point le taux de
rémunération du livret A représente un ballon d'oxygène d'environ 35 milliards
de francs pour le logement social. Cela devrait profiter en priorité aux
locataires les plus modestes.
Les moyens structurels et fonctionnels existent. Les plus importants ont
précisément été mis en place par la loi Besson. Le rapport du haut comité
souligne d'ailleurs la permanence du cadre et des outils mis en place par la
loi de 1990, avec le plan départemental d'action pour le logement des personnes
défavorisées et le FSL. Ces deux dispositifs ont constitué le cadre de l'action
des quatre gouvernements qui se sont succédé depuis son adoption.
Le texte qui nous est soumis a pour objet d'adapter et de rendre plus
efficaces les plans départementaux et les FSL, ainsi que de renforcer le rôle
des acteurs associatifs.
Les mesures contenues dans les articles 16, 17 et 18 apportent une plus grande
consistance aux plans départementaux. L'accent est mis sur la durée puisqu'ils
seront valables pour au moins trois années à partir d'une évaluation
quantitative et qualitative des besoins. Ils seront mis en cohérence avec les
plans pour l'hébergement d'urgence.
A noter également la volonté d'un meilleur cadrage des populations visées
puisqu'ils distingueront, par bassin d'habitat, les familles qui ne sont
touchées que par des difficultés financières et celles qui cumulent difficultés
financières et d'insertion sociale.
C'est également sur le plan départemental, en vertu de l'article 19, qu'il
reviendra de définir les critères d'égibilité au FSL, ainsi que leurs
conditions de mise en oeuvre.
Désormais, la condition de résidence préalable dans le département disparaît ;
seuls sont retenus comme critères le niveau de ressources ainsi que
l'importance et la nature des difficultés rencontrées.
En offrant la possibilité de recours au FSL pour les sous-locataires et en
fixant de manière limitative, et non plus indicative, les quatre types d'aides
- cautions, prêts, garanties et subventions - susceptibles d'être accordées,
l'article 19 me paraît très important puisqu'il marque la volonté de réduire
les disparités existant d'un département à l'autre.
En 1996, sur un montant total de 1 milliard de francs, 38 % des aides ont été
affectées à l'accès au logement locatif, 34 % au maintien et 20 % à
l'accompagnement social.
La mise en oeuvre de cette loi, notamment pour ce qui concerne la prévention
des expulsions, nécessite un accompagnement budgétaire. Pouvez-vous, monsieur
le secrétaire d'Etat, nous donner quelques assurances en la matière ?
Par ailleurs, ne serait-il pas souhaitable d'amener les communes qui ont peu
de logements sociaux, par exemple les communes comptant un certain nombre
d'habitants et non éligibles à la DSU, à participer obligatoirement au
financement ?
Comment impliquer davantage les communes contributrices, jusqu'à présent
volontaires, au financement du FSL ? Le groupe socialiste y a réfléchi et fera,
sous forme d'amendements, des propositions.
Enfin, monsieur le secrétaire d'Etat, pouvez-vous nous donner quelques
indications sur le contenu du décret prévu à l'article 22 et sur la manière
dont sera pris en compte le double impératif d'unifier les pratiques du FSL à
travers le territoire national tout en maintenant la souplesse nécessaire à ce
type de structure ?
Un soutien marqué est également apporté aux acteurs associatifs qui
participent au logement des personnes défavorisées, qu'il s'agisse de
l'exonération de certaines taxes ou d'une aide forfaitaire de l'Etat moyennant
une convention triennale.
Ce point mérite tout notre attention, car une politique contre l'exclusion ne
peut se concevoir qu'en relation avec tous les acteurs concernés et si elle
s'inscrit dans la durée.
Les agences immobilières à vocation sociale, par exemple, qui se portent
garantes pour les locataires et financent parfois les travaux de remise en état
des logements inoccupés, doivent être encadrées et soutenues. Elles sont, en
effet, un réel outil d'intervention dans le parc locatif privé.
Mais rendre effectif le droit au logement des plus défavorisés, c'est aussi
accroître l'offre de logement.
En parallèle à la politique d'amélioration de l'offre sociale poursuivie avec
les mesures prises dans le budget pour 1998, dans le projet de loi d'aide aux
AIVS, par l'incitation des HLM à transformer des logements anciens en logements
très sociaux, la possibilité d'acquérir des hôtels meublés, etc., vous avez,
monsieur le secrétaire d'Etat, cherché à lutter contre la vacance dans le
secteur privé en instituant, en outre, une taxation à l'article 30.
Je tiens à dire, à ce stade de mon intervention, que j'apporte, à titre
personnel et au nom de mon groupe politique, mon soutien le plus total à une
mesure de haute portée morale. Elle était très attendue par le milieu
associatif et faisait notamment partie des propositions récurrentes du haut
comité pour le logement des personnes défavorisées.
On estime à 500 000 le nombre des logements stérilisés qui pourraient revenir
sur le marché de la location sur un total de 2 200 000 logements vacants. A
titre d'illustration, à Paris, en 1954, sur 1 200 000 logements, on dénombrait
5 500 vacances ; en 1997, sur 1 300 000 logements, on dénombrait 117 000
vacances.
Je ne reviendrai pas sur les conditions d'application de cette taxe, qui ont
été très largement médiatisées. Je tiens seulement à souligner qu'il ne s'agit
en aucun cas d'une taxation aveugle. Elle ne s'appliquera pas en cas de vacance
subie. Sa finalité n'est pas de sanctionner ni d'attenter aux droits de
propriété, mais d'inciter à une remise sur le marché, c'est-à-dire à une
démarche citoyenne.
N'en déplaise à mon éminent collègue Paul Girod, qui recommande de marcher, en
ce domaine, à pas très mesurés, voire de ne pas bouger, je lui oppose la marche
résolue et la volonté politique ferme.
Il parle de droits de l'homme ; je lui réponds en évoquant ceux du citoyen
(Mme Derycke applaudit)
face à l'égalité et à la fraternité inscrites
dans les principes de notre République.
Enfin, n'oubliez pas, mes chers collègues, que le produit de cette taxe doit
être affecté à l'ANAH.
Alors, évitons de susciter craintes et inquiétudes chez les propriétaires
privés et chez les investisseurs. L'article 30 est bon ; sachons le conserver.
Soyez assuré, monsieur le secrétaire d'Etat, de notre détermination à nous
opposer aux offensives qui viseront à supprimer cette disposition. Il n'y a pas
un droit de propriété opposable au droit au logement, faisant du premier un
droit supraconstitutionnel et du second un droit infraconstitutionnel, en
quelque sorte un mauvais droit.
(Très bien ! sur les travées socialistes.)
L'article 31 modernise la procédure de la réquisition. Il vise à
s'attaquer à la vacance à des fins spéculatives et à répondre à la situation de
ces agglomérations qui comptent des immeubles entiers vacants coexistant avec
une demande de logements non satisfaite de la part de personnes modestes ou
défavorisées.
Directement issue du projet de loi sur la cohésion sociale, cette réforme
emportera, j'en suis sûr, une large adhésion au sein de la Haute Assemblée.
Abordant maintenant la question de la mixité sociale et territoriale dans
l'habitat, je me félicite de l'adoption, par la majorité de l'Assemblée
nationale, de la revalorisation, si fortement souhaitée, de 10 % des plafonds
de ressources permettant l'accès au parc social et, pareillement, de la
modification du seuil facultatif au-delà duquel le surloyer est applicable.
Ces revalorisations, ainsi que l'annonce de la publication prochaine d'un
arrêté qui supprimera le double plafond de ressources pénalisant, à ressources
égales, les inactifs par rapport aux actifs, contribuent à desserrer un étau
qui menaçait de renforcer un risque de ghettoïsation, obstacle à la
réinsertion.
La proportion des ménages pouvant prétendre à accéder à un logement HLM
devrait passer de 55 % à 61 %. Cela ne se fera pas au détriment des ménages les
plus défavorisés puisque le projet de loi prévoit, dans le cadre des plans
départementaux, un dispositif obligatoire et quantifié pour les loger.
Le groupe socialiste fera un certain nombre de propositions en ce qui concerne
l'autre aspect de la nécessaire mixité géographique introduite par la loi
d'orientation pour la ville, avant qu'elle ne soit vidée de son contenu, et
donc privée d'effet, en 1995, par la loi Carrez.
S'agissant de la mixité, permettez-moi, monsieur le secrétaire d'Etat, de
regretter qu'aucune disposition spécifique ne soit prévue en ce qui concerne le
problème - il me tient, vous le savez, particulièrement à coeur - des
copropriétés dégradées où habitent souvant des familles défavorisées
susceptibles de relever de votre projet de loi.
Mais l'espoir m'habite lorsque je lis que M. Bartolone, ministre délégué à la
ville, et vous-même, monsieur le secrétaire d'Etat, avez souligné l'importance
de ce problème lors de la récente réunion nationale du logement, qui s'est
tenue le 5 juin dernier, au CNIT, à la Défense.
S'agissant de l'attribution des logements sociaux, l'instauration d'un numéro
départemental unique d'enregistrement et l'information des demandeurs, qui
pourront saisir une instance de médiation auprès du préfet, répondent à une
attente très forte.
Le principe de la contractualisation, qui devient la règle dans les rapports
entre l'Etat et les bailleurs sociaux, et du renforcement de l'intercommunalité
est novateur et remarquable, tout comme l'est la mise en oeuvre d'une politique
intercommunale du logement ; conférences et chartes intercommunales,
commissions départementales de coopération intercommunale sont autant d'outils
judicieux.
En matière de définition et de mise en oeuvre d'une politique de peuplement et
d'habitat, je suis convaincu de la nécessité de dépasser le cercle communal et
d'aller à une politique d'agglomération nécessaire à la recherche de la mixité
territoriale et à la résorption des poches de pauvreté.
Enfin, rendre effectif le droit au logement, si cela suppose de faciliter
l'accès, impose aussi de permettre les conditions du maintien dans toute la
mesure du possible. C'est le sens de la prévention des exclusions. Elle
s'organise dès le début de la procédure judiciaire de résiliation du bail. Il
faut que seules les personnes de mauvaise foi ou celles qui provoquent un
trouble de jouissance intolérable soient visées par les dispositions.
La réforme proposée ne crée pas d'instances nouvelles ; elle optimise celles
qui existent et rend obligatoire leur saisine avant l'engagement de la phase
contentieuse.
Pour le bailleur, la sécurité est également renforcée, car, lorsque
l'expulsion aura été décidée, le préfet devra accorder plus facilement la
concours de la force publique.
Pour conclure, comment éviter la perte du logement et le processus de
marginalisation, comment bâtir ou mobiliser parc social et parc privé, comment
s'assurer que des communes et des bailleurs sociaux ne s'exonèrent pas de
l'obligation de loger les plus démunis ?
A ces questions, qui sont autant de problèmes, le projet de loi dont nous
allons débattre apporte, sinon des réponses toutes faites, du moins des moyens
pour parvenir à trouver des solutions adaptées.
Le groupe socialiste, qui apportera sa contribution à l'« édifice », assure
d'ores et déjà le Gouvernement de son soutien.
(Applaudissements sur les
travées socialistes et sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à Mme Dusseau.
Mme Joëlle Dusseau.
Monsieur le président, madame, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers
collègues, c'est peu dire que le projet de loi d'orientation relatif à la lutte
contre les exclusions dont nous discutons aujourd'hui est nécessaire : plus
d'une centaine de milliers de sans-abri, des millions de pauvres, travailleurs
ou non, salariés ou non, ont repris les chemins, que l'on croyait oubliés, de
l'indigence. Même si les chiffres varient selon les estimations, selon que l'on
s'appuie sur le revenu moyen ou sur le revenu médian, l'exclusion touche
environ aujourd'hui un Français sur dix.
Contrairement au projet de loi dont l'examen fut interrompu l'an dernier par
la dissolution, le présent projet de loi d'orientation balaie tous les domaines
de l'exclusion et tente d'y apporter des réponses pertinentes. Il couvre tous
les secteurs, y compris le culturel et l'éducatif, qu'avait oubliés le projet
de loi Barrot - ce qu'avait d'ailleurs regretté à l'époque les associations
luttant contre l'exclusion.
Bien sûr, on pourra toujours dire, je le dirai aussi, qu'un certain nombre de
crédits - je pense notamment à ceux qui sont affectés à la lutte contre
l'illettrisme - ne sont pas forcément à la hauteur des ambitions affichées.
Mais l'important est d'abord d'affirmer des priorités, des ambitions, avec la
volonté que les moyens soient effectivement mis en place dans les années à
venir. Le Gouvernement tout entier - la présence de quatre ministres cet
après-midi, puis trois, et deux encore ce soir, est là pour nous le rappeler -
manifeste cette volonté.
L'exclusion est un constat d'échec, un échec pour les sociétés les plus riches
du monde. La nôtre en est.
M. Alain Vasselle.
Un échec de la gauche !
Mme Joëlle Dusseau.
Echec, avec le retour de maladies comme le saturnisme ou la tuberculose ;
cette dernière n'est pas exclusivement liée au Sida, la misère en est souvent
la cause.
Echec, avec la multiplication des SDF et l'apparition, dans ce milieu jusqu'à
présent composé uniquement d'hommes adultes, de femmes et de jeunes.
Echec, avec des chiffres significatifs - je n'en abuserai pas - comme 100 000
personnes - Mme Aubry a dit 90 000 - n'ayant jamais cessé de percevoir le RMI
depuis sa création en janvier 1989 ; 500 000 adultes au chômage depuis plus de
deux ans ; 620 000 dossiers de surendettement - vous nous avez rappelé ces
chiffres en commission, madame le secrétaire d'Etat - traités depuis 1990, dont
un tiers concernant des personnes dépourvues de toute ressource ; ou encore 560
000 remises gracieuses de taxe d'habitation ou d'impôt sur le revenu en 1997,
qui s'ajoutent, bien sûr, au nombre de ceux qui en sont dispensés. Ces chiffres
illustrent la massivité, la complexité et la durée des phénomènes
d'exclusion.
C'est vous dire si j'approuve la démarche, les principes et les éléments
fondamentaux de ce projet de loi, qu'il s'agisse des dispositifs jeunes, du
recentrage des CES et des CEC sur les publics en difficulté, ou des mesures
concernant le surendettement, le logement social - dont a parlé M. Vezinhet -
ou les mécanismes dits d'intéressement, qui permettent une meilleure
réinsertion dans l'emploi, pour ne citer que ceux-là.
Dans le court laps de temps qui m'est imparti, je voudrais très rapidement
attirer l'attention du Gouvernement sur trois points plus particuliers.
Il s'agit d'abord de la très grande exclusion touchant notamment ceux que l'on
appelle les sans domicile fixe, les SDF.
La première difficulté est l'estimation numérique de ceux-ci. Les auditions
auxquelles nous avons procédé au sein de la commission des affaires sociales
sont à ce sujet significatives. Tel pense que les SDF ne sont guère plus que
100 000, et donc correspondent à peu près au nombre de lits disponibles ; tel
autre pense qu'une partie d'entre eux ne fréquente jamais les centres d'accueil
et donc que ce chiffre est largement sous-estimé.
Mais, au-delà des chiffres, plusieurs problèmes se posent.
D'abord, le nombre de lits disponibles est-il suffisant, même si le chiffre
total correspond à la réalité, ce qui n'est pas évident ? Ensuite, leur
répartition géographique est-elle adaptée ? L'existence de nombreux dortoirs
soulève la question de l'accueil des familles au-delà même de la promiscuité.
Par ailleurs, les structures d'accueil hors centre d'hébergement et de
réadaptation sociale ne sont en général ouvertes que l'hiver et le délai de
maintien dans un CHRS - au maximum un an - tombe souvent comme un couperet pour
des gens dont la reconstruction est un processus long.
Insuffisance du nombre de lits, mauvaise répartition géographique de ces
derniers, existence de dortoirs, durée souvent limitée, ces quatre thèmes
illustrent la non-réponse de notre société depuis des décennies, mais plus
encore depuis vingt ans...
M. Alain Vasselle.
Depuis 1981 !
Mme Joëlle Dusseau.
Depuis vingt-quatre ans, depuis 1974, mon cher collègue !
M. François Autain.
Ils sont sectaires !
Mme Joëlle Dusseau.
... à des dérives extrêmes de ceux qui sont les exclus des exclus.
Un autre souci est la situation des associations et des entreprises
intermédiaires. Il faut donner toutes leurs chances et le plus de moyens
possibles à ces outils essentiels de l'insertion. Parce qu'un certain nombre
d'exclus auront de grandes difficultés à se réadapter au travail, mais aussi
parce que les conditions de travail sont de plus en plus difficiles et
exigeantes pour tous les salariés, il faut être conscient que ces associations
vont continuer à gérer des situations durables et massives. Il faut donc les
aider à se maintenir et développer ce type de structures sur tout le
territoire.
Permettez-moi, enfin, d'attirer votre attention sur la situation particulière
des femmes. On parle beaucoup de la parité en politique ; on focalise beaucoup
sur ces battantes que je salue : directrice de centrales nucléaires - j'en
compte une dans mon département, n'est-ce pas, monsieur le président -...
M. le président.
Charmante !
Mme Joëlle Dusseau.
Oui, et intelligente, d'ailleurs ; elle a vraiment tout pour plaire !
(Sourires.)
Elles sont aussi pilotes, préfets, ministres au top niveau
des cotes de popularité. Comment pourrais-je ne pas m'en réjouir ?
Mais qu'en est-il des autres ? Ces marginalisées, ces chefs de familles
monoparentales qui se débattent seules, devant assumer de multiples
responsabilités, avec de maigres revenus, ces femmes qui représentent 80 % des
salariés à temps partiel, donc avec des salaires partiels, ces salariées moins
payées que les hommes à qualification égale, ces êtres humains victimes de
violences domestiques et de violences sociales, il ne faut ni les oublier, ni
banaliser leur situation comme si elles n'avaient pas de problèmes spécifiques.
Elles en ont, il faut les traiter de manière spécifique, et résolument !
Il est d'ailleurs significatif que, dans les enquêtes d'opinion, depuis le
début de la décennie, les femmes, globalement, quelle que soit leur situation,
se disent plus fragilisées que les hommes, se vivent comme plus menacées qu'eux
et attendent, plus que les hommes, l'action de l'Etat.
En conclusion, je citerai non pas Serge Paugam - qui a remporté un très gros
succès d'estime à l'Assemblée nationale et même dans nos rangs - mais Robert
Misrahi, dont j'ai lu les beaux livres sur le bonheur et sur la joie. Il a,
bien sûr, écrit également sur la détresse : « La détresse a une dimension
existentielle, et une dimension institutionnelle ; à ce dernier titre, elle est
une négation de la démocratie. » Parce que la démocratie, la citoyenneté sont
au coeur de leurs préoccupations essentielles, les radicaux de gauche que je
représente soutiennent fortement le projet de loi de lutte contre les
exclusions.
(Applaudissements sur certaines travées du RDSE, sur les travées
socialistes et sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen.)
M. le président.
La parole est à Mme Terrade.
Mme Odette Terrade.
Monsieur le président, madame, et monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers
collègues, après Guy Fischer et Nicole Borvo, j'exprimerai à mon tour
l'appréciation du groupe communiste républicain et citoyen plus
particulièrement sur les volets du projet de loi concernant le logement et le
surendettement.
S'agissant du volet relatif au logement, il convient de saluer les
dispositions positives qu'il contient. Le temps de parole qui me revient étant
limité, je n'en citerai que deux.
Il s'agit tout d'abord des mesures prévues pour prévenir les expulsions. En
effet, comment considérer que le logement est un élément essentiel à
l'intégration d'un individu dans la société, sans mettre en place des
dispositifs limitant au minimum, voire éliminant totalement, les expulsions
pour les citoyens de bonne foi, rencontrant des difficultés financières,
d'autant, et le volet concernant le surendettement le montre, que ces
difficultés sont liées à des pertes d'emploi ou à des accidents de la vie, tels
que les maladies ou les ruptures familiales ?
De nombreux intervenants l'ayant dit, je n'insisterai pas, mais le logement,
au-delà des aspects de protection et de confort, est un facteur majeur de
l'insertion et de l'existence même de chacun.
Lors des rencontres des droits sociaux et de solidarité, organisées par le
conseil général du Val-de-Marne, 3 000 personnes ont répondu à un sondage
s'inscrivant dans la préparation de ce projet de loi ; 93 % des personnes
interrogées considéraient que le droit au logement constitue l'un des moyens
pour enrayer l'exclusion.
Nous apprécions donc que ce projet de loi de lutte contre les exclusions
prévoit un volet relatif au logement aussi important et dans lequel figure la
prévention des expulsions.
Le second point positif que je souhaite relever concerne l'introduction d'une
taxe sur la vacance des logements, et ce même si nous considérons qu'elle est,
en l'état, d'une portée limitée et qu'il faut la rendre plus coercitive.
Quand les chiffres nous révèlent une réalité humaine aussi dramatique que 200
000 personnes sans abri et 2 millions de personnes considérées comme mal
logées, c'est bien l'ensemble des partenaires du logement que l'on doit
mobiliser !
Cette nécessité absolue n'a cependant pas pour objectif de dédouaner le
secteur public de ses responsabilités, bien au contraire. Ce secteur contribue
d'ailleurs déjà largement à cet effort de solidarité, qu'il est trop souvent le
seul à assumer.
Avec l'instauration de cette taxe sur la vacance et son renforcement, nous ne
souhaitons pas porter préjudice aux petites propriétaires d'un ou deux
logements qui, du reste, ne seront pas touchés par cette taxation dès lors
qu'ils prouveront qu'ils ne sont pas responsables de la vacance de leurs
logements. Cette taxe vise les multipropriétaires qui détiennent la majorité du
parc privé et qui font le choix de spéculer sur les logements vides.
Permettez-moi également de saluer l'importance du travail accompli par nos
collègues de l'Assemblée nationale, qui ont apporté de nombreuses améliorations
au projet de loi. Je pense notamment à l'introduction du respect de la mixité
sociale pour l'attribution des logements, au dégrèvement de la taxe
d'habitation pour les foyers-logements, à l'interdiction du recours à des
expulsions faisant appel à une intervention policière musclée, à l'obligation
de motiver tout refus d'aide du FSL et à l'inscription dans le commandement à
payer du droit de saisir le FSL. Nous prenons acte positivement du relèvement
du seuil de dépassement des ressources à partir duquel le surloyer peut
s'appliquer, mais nous demeurons davantage favorables à l'annulation total du
SLS.
Les associations de locataires, de personnes défavorisées, les bailleurs
sociaux avec lesquels j'entretiens des contacts réguliers, portent une
appréciation globale, positive, sur les nouvelles mesures introduites lors de
la discussion à l'Assemblée nationale. Pour autant, nous pensons que certaines
dispositions sont encore perfectibles et tel sera le sens des amendements du
groupe communiste républicain et citoyen.
Cependant, le risque majeur de ce volet relatif au logement réside dans le
fait que l'on va demander encore davantage aux villes et aux acteurs sociaux
qui font déjà beaucoup en matière de solidarité envers les plus démunis.
A
contrario,
les mesures prévues semblent trop peu efficaces pour garantir
que l'ensemble des communes et des partenaires du logement public et privé, les
entreprises, soient mis à contribution. Nous souhaitons que l'Etat ait de réels
pouvoirs incitatifs et contraignants envers les communes qui n'ont pas ou ont
peu de logements sociaux. Pour celles qui accueillent au contraire un nombre
important de ménages ou de personnes en difficultés, des compensations
devraient être prévues car ce public suppose - et c'est bien normal - un
accompagnement social très coûteux pour la collectivité.
Autre point qu'il conviendrait d'améliorer considérablement, le déficit
important que connaît notre pays en matière de constructions de logements. Je
rappelle pour mémoire que l'INSEE a estimé à 360 000 constructions nouvelles
par an les besoins de notre pays en logements sociaux. Chacun comprend, bien
entendu, les effets directs qu'aurait une augmentation importante du volume de
construction sur le logement de tous, y compris, bien entendu, sur celui des
plus démunis de nos concitoyens.
Des mesures ambitieuses de constructions sociales doivent donc être prises
afin de porter le rythme de construction à 150 000 logements locatifs sociaux
par an. Y renoncer compromettrait dangereusement la mixité sociale à laquelle
nous sommes attachés.
Une autre proposition, déjà formulée par mon groupe à plusieurs reprises et
intimement liée à la précédente, est la mise en place de dispositions
financières plus avantageuses au bénéfice des organismes qui poursuivent une
politique active de construction et de réhabilitation.
Outre un effet évident sur le rythme et le volume de constructions des
organismes, ces mesures auraient également des incidences sur le niveau des
loyers. Il est en effet impératif d'agir concrètement pour que nos concitoyens
voient leur quittance de loyer baisser significativement.
Le logement doit profiter d'une grande réflexion d'ensemble, tant la crise qui
l'affecte est importante. De ce point de vue, le projet de loi sur l'habitat
annoncé par le Gouvernement est très attendu. L'attente était également grande
à l'égard de la rencontre nationale du logement, qui s'est déroulée vendredi
dernier. Nous espérons que ce débat, fort intéressant, marquera le début d'une
large concertation et de réformes préservant ce secteur de la logique
ultralibérale dans laquelle les précédents gouvernements l'avaient placé.
Permettez-moi quelques mots sur l'annonce, lors de cette conférence, d'une
baisse d'un demi-point du taux de rendement du livret A, décision sur laquelle
j'ai quelques inquiétudes. Cette mesure pénalisera en effet une nouvelle fois
l'épargne populaire. De plus, nous allons assister à une amputation importante
de la principale source de financement du logement social, alors que ce dernier
a précisément besoin de moyens financiers.
Pour y répondre, il faut chercher dans de nouvelles directions. Des décisions
pourraient être prises, en particulier visant à introduire une autre
utilisation et un meilleur contrôle des fonds publics et des immenses sommes
d'argent issues de la spéculation. Dans cette logique, le rôle des banques et
des organisme financiers publics et semi-publics doit être modifié. Voilà ce
qu'attendent nos concitoyens, qui se sont prononcés en faveur d'un gouvernement
de la gauche plurielle.
Le second volet que j'aborderai est relatif au surendettement.
Le projet de loi part d'un juste constat : la procédure de traitement du
surendettement, instituée par la loi Neiertz de 1989, n'est plus en mesure de
répondre correctement aux dossiers à traiter, d'un point de vue tant
quantitatif que qualitatif.
Depuis 1995, le nombre de dossiers déposés devant les commissions de
surendettement a considérablement augmenté et un nombre croissant de personnes
présentant ces dossiers sont dépourvues de toutes ressources. Le Gouvernement a
donc décidé de procéder à un réaménagement de la loi Neiertz de 1989, réformée
par la loi de 1995.
Alors que de nombreuses discussions étaient engagées, le choix a été fait
d'exclure l'extension du régime de la faillite civile en vigueur en
Alsace-Moselle. Nous nous en félicitons. Ce système nous semblait présenter de
nombreux inconvénients, notamment la déresponsabilisation de l'emprunteur et
surtout la stigmatisation et la pérennisation de la situation d'exclusion du
débiteur.
Nous approuvons un certain nombre de mesures contenues dans ce volet. Je pense
avant tout à la définition d'un « reste à vivre ». En effet, de trop nombreux
écarts existaient d'un département à l'autre. On assistait même, dans certains
cas, à des plans de remboursement ne prévoyant aucun reste à vivre ou ne
prenant pas en compte le nombre de personnes composant la famille. Ces
attitudes de surenchère à l'exclusion devaient impérativement cesser. Nous
saluons par conséquent la proposition du Gouvernement et le travail positif de
nos collègues à l'Assemblée nationale.
D'autres points emportent notre soutien : la prise en compte globale de
l'ensemble des dettes, leur étalement, la possibilité d'aller, dans certaines
situations, jusqu'à la réduction, voire l'effacement de la dette et l'extension
du recours au moratoire.
Pour autant, nous regrettons qu'aucun amendement communiste n'ait été retenu à
l'Assemblée nationale, notamment en ce qui concerne le cas particulièrement
scandaleux des magasins du type
Crazy George's,
qui conduisent les
personnes défavorisées à payer plus cher des biens de consommation courante.
De la même façon, nous déplorons l'absence de traitement des conséquences des
crédits permanents ou revolving. La multiplication du recours à ce type de
crédit à la consommation est observée par les commissions de surendettement. En
effet, après une perte d'emploi ou des difficultés de vie, ces consommateurs
multiplient les cartes de crédit pour subvenir à des dépenses quotidiennes,
telles que l'alimentation, les fournitures scolaires, les vêtements... Les
sociétés offrant ce type de crédit ne se soucient jamais, dans la plupart des
cas, du taux d'endettement de leurs clients et contribuent largement à aggraver
la situation financière de ces derniers.
Le groupe communiste républicain et citoyen vous proposera des amendements
visant à moraliser ce type de crédit.
Vous le voyez, madame, monsieur le secrétaire d'Etat, les sénateurs de notre
groupe souhaitent contribuer au succès de ce projet de loi tant attendu de
lutte contre les exclusions. C'est cet esprit qui prévaudra dans nos
amendements et dans nos interventions
(Applaudissements sur les travées du
groupe communiste républicain et citoyen ainsi que sur les travées
socialistes.)
Mme Hélène Luc.
Très bien !
M. le président.
La parole est à M. Vasselle.
M. Alain Vasselle.
Monsieur le président, madame, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers
collègues, nous sommes réunis ce soir pour la discussion générale de ce projet
de loi d'orientation relatif à la lutte contre les exclusions pour lequel un
travail considérable a été réalisé par l'ensemble de nos rapporteurs et par les
membres des commissions. Nous ne pouvons que nous en féliciter et nous en
réjouir.
Je ne doute pas que la Haute Assemblée saura tenir compte des propositions
constructives qui seront faites par les rapporteurs. Certes, les appréciations
de Mme le ministre sur nombre des propositions de notre collègue M. Seillier
m'ont quelque peu inquiété. Je crains que certaines d'entre elles ne
recueillent pas l'accord du Gouvernement, notamment celles qui portent sur le
volet économique. Toutefois, je ne désespère pas que, grâce à notre pouvoir de
persuasion, nous réussissions à convaincre le Gouvernement de l'utilité des
propositions du Sénat.
En commission, j'ai retenu l'affirmation de Mme le ministre, selon laquelle
elle espérait un plus large consensus et elle attendait du Sénat une
contribution constructive. Il n'y aurait pas de la part du Gouvernement,
a-t-elle ajouté, d'
a priori
dus à des arrière-pensées politiques ou
politiciennes et elle tiendrait compte de nos propositions constructives. Nous
verrons, madame, monsieur le secrétaire d'Etat, si, effectivement, nous
pourrons nous retrouver sur ce texte et dégager un consensus au-delà de nos
différences et de nos sensibilités politiques.
Avec ce projet, apparaît une nouvelle manière d'appréhender les problèmes de
pauvreté et de marginalité. De là est né un phénomène emprunt de grands
désarrois : l'exclusion sociale.
Nouvelle terminologie, même détresse : l'exclusion pose directement le
problème de la ségrégation et de la cohésion.
L'exclusion n'affecte pas seulement des individus en situation d'échec. Elle
affecte de plus en plus des groupes de personnes, dans les territoires urbains
et ruraux, victimes de l'affaiblissement du tissu social traditionnel.
Cette réalité multidimensionnelle correspond à un processus de
disqualification sociale susceptible de refouler, d'étape en étape, plusieurs
franges de la population dans les sphères de l'inactivité professionnelle et
sociale ainsi que de l'assistanat.
Le risque majeur est donc qu'un clivage croissant ne s'instaure entre la
classe moyenne et une classe d'exclus enfermés dans le cumul des inégalités.
Pour que cette société duale, qui conduit à une véritable désintégration
sociale, ne devienne pas un trait persistant du paysage social français, il
convient de combattre l'exclusion sur tous les fronts. De ce point de vue, je
pense que nous pouvons tous être d'accord.
Le combat contre l'exclusion suppose « une transformation fondamentale des
conditions qui créent l'exclusion et donc de la société tout entière ». En
effet, les politiques sociales ne peuvent, à elles seules, résoudre toutes les
situations de précarité. Les actions à entreprendre relèvent de l'articulation
entre des politiques sociales et des politiques économiques, cela dans les
limites d'une action politique globale : il s'agira d'actions spécifiques et de
la multiplication de mesures et de dispositifs d'insertion professionnelle.
Ce n'est, à mon sens, que par la mise en oeuvre, à tous les échelons
d'intervention, de politiques globales impliquant les populations concernées et
les responsabilisant que nous pourrons réduire efficacement l'ampleur de ce
phénomène d'exclusion.
Lutter contre la détresse et la misère humaine nous réunit au-delà des
clivages politiques. C'est pourquoi, conformément à l'engagement pris par le
Président de la République, nous examinons ce soir le projet de loi relatif à
la lutte contre les exclusions, dont l'ossature est similaire à celle du texte
déposé l'année dernière par le gouvernement précédent. M. Fourcade a rappelé, à
juste raison, que, si ce projet de loi présentait quelques différences avec
celui qui avait été déposé l'année dernière, son économie générale était la
même. Dans le fond, le travail ayant été préparé par le précédent gouvernement,
vous n'avez pratiquement fait que rependre pour partie la copie qui était déjà
prête.
(Protestations sur les travées socialistes ainsi que celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. Guy Fischer.
Il ne fallait pas dissoudre !
M. le président.
Laissez parler M. Vasselle, mes chers collègues !
M. François Autain.
On le taquine juste un peu !
M. Alain Vasselle.
Il est vrai qu'un certain nombre de vérités sont dures à accepter pour nos
amis socialistes, mais enfin, il faut bien qu'ils s'y habituent !
Ce projet de loi doit constituer un cadre impératif à la mise en oeuvre d'une
politique globale de lutte contre les exclusions.
Assez de ces mesures conjoncturelles constamment dépassées par une réalité
sociale mouvante ! Il est plus que temps de réagir en prenant de nouvelles
dispositions afin de rattraper et de réinsérer les exclus dans une société
solidaire, mais non « assistancielle ».
Pour éradiquer l'exclusion, c'est donc à la source des processus qu'il faut
agir. C'est la raison pour laquelle nous avons été très vigilants sur ce texte
et que, avec nos rapporteurs, nous avons proposé de nombreuses améliorations
par le biais du travail en commission.
Pour ma part, je voudrais m'attarder sur deux des volets de ce texte : l'accès
à l'emploi et le logement.
S'agissant des dispositions relatives à l'accès à l'emploi, je tiens à engager
ma réflexion sur le rôle fondamental de l'insertion par l'économique. En effet,
c'est elle qui me paraît essentielle et qui devrait être la pierre angulaire de
ce projet. La question du rapport au travail reste au centre de la
problématique de l'exclusion sociale, car l'exercice d'une activité économique
permet d'assurer, par les revenus qu'elle procure, la satisfaction des besoins
élementaires mais, surtout, confère un statut social, une reconnaissance, une
protection et une identité au sien de la société. En bref, le travail assure
indéniablement l'intégration sociale.
A ce titre, il faut impérativement encourager une insertion plus active et
donc avoir une vision économique globale et prospective. En effet, la
succession et la juxtaposition de mesures pour l'emploi comme ajustements
conjoncturels à la situation économique ont des résultats inverses puisqu'elles
développent des formes d'emploi à statuts atypiques et précaires ; nous en
avons fait l'expérience depuis maintenant plus d'une décennie.
Il faut, de même, déployer une formation adaptée aux besoins et aux débouchés
de notre économie afin de créer les chances d'une insertion durable dans le
monde du travail.
Il faut encore développer et mettre, enfin ! en oeuvre le « I » du RMI. Or les
bénéficiaires du RMI sont trop insuffisamment orientés vers l'insertion par une
activité professionnelle, même partielle.
Il faut sortir de l'assistanat les titulaires des minima sociaux en leur
offrant une chance d'insertion durable par le biais d'une activité
professionnelle, et donc favoriser, dans des conditions limitées, le cumul des
prestations sociales avec les revenus tirés d'une activité professionnelle. Des
propositions timides sont faites dans le texte, sur l'initiative du
Gouvernement. Le rapporteur, M. Bernard Seillier, a fait des propositions
beaucoup plus ambitieuses sur le sujet, notamment en ce qui concerne les
contrats initiative-emploi. Je ferai moi-même des propositions et j'espère que
nous irons plus loin que ce qui est envisagé par le Gouvernement. Cela me
paraît essentiel si nous voulons véritablement réussir la lutte contre les
exclusions.
Il importe encore de redonner à la personne en voie d'exclusion la dignité que
procure le salaire né d'un travail, même partiel et temporaire, d'où le rôle
des entreprises de l'insertion par l'activité économique. Certains les ont
citées : il s'agit des entreprises d'insertion, des entreprises d'intérim, des
associations intermédiaires. Celles-ci mettent à la disposition des employeurs
du personnel non qualifié ou en difficulté sociale sous forme de missions
temporaires.
Ces associations, qui participent activement au développement des emplois de
proximité, favorisent ainsi la réinsertion progressive. Mais il faut veiller,
bien entendu, à ce qu'elles ne créent pas une concurrence déloyale à l'égard
des petites et moyennes entreprises et, surtout, de ces artisans que nous
connaissons en milieu rural et qui se sont d'ailleurs parfois plaints de ces
entreprises et associations intermédiaires.
Je souhaite aborder maintenant le volet du logement, monsieur le secrétaire
d'Etat. En effet, l'absence ou la vétusté des logements restent les images les
plus révélatrices d'une exclusion sociale.
Pourtant, le droit au logement est reconnu par la loi comme un droit
fondamental et avoir un logement est indispensable pour tous les actes de la
vie quotidienne. C'est une véritable politique sociale du logement qu'il s'agit
de mettre en place.
Il faut mieux reconnaître le rôle du parc existant en développant des formules
qui n'ont pas été suffisamment exploitées par les organismes sociaux, comme le
bail à réhabilitation et le bail à construction. En effet, à la fin de 1993,
seules 420 opérations avaient été réalisées sous la forme du bail à
réhabilitation. C'est très nettement insuffisant. Ces deux formules constituent
pourtant de bonnes solutions, adaptées pour répondre aux besoins en matière de
logements sociaux avec le concours des propriétaires privés, des organismes HLM
et des collectivités locales. Elles permettent aussi de répondre à des demandes
relativement importantes.
Ces dispositifs méritent donc d'être mieux connus. Il faut non seulement mieux
développer l'information sur l'intérêt qu'ils présentent, mais aussi apporter
plus de souplesse : bail d'une durée minimale de douze ans, acte authentique,
convention avec l'Etat, sous oublier les dispositions financières destinées à
les rendre plus attrayants et applicables dans de meilleures conditions.
Il faut encore prendre en compte de manière plus adéquate le rôle joué par les
logements d'insertion privés, et celui des associations, des unions d'économie
sociale, des organismes agréés. Leur savoir-faire est reconnu par les
organismes d'HLM.
Il faut aussi faciliter le maintien des familles confrontées au surendettement
en permettant aux organismes d'HLM d'acquérir les logements des personnes
surendettées.
C'est une politique qui fonctionne bien, et je vous remercie, monsieur le
secrétaire d'Etat, d'avoir facilité le fonctionnement de ce type de formule qui
permet à la famille d'être moins atteinte psychologiquement lorsqu'elle se
trouve dans une situation de surendettement et risque d'être expulsée de son
logement. Les organismes d'HLM font oeuvre utile en donnant à ces familles la
possibilité de se maintenir dans le logement avec des loyers acceptables.
En revanche, en ce qui concerne la taxe applicable aux logements vacants,
notre point de vue diverge. Je préférerais que nous mettions en place un
système un peu plus incitatif d'aide aux propriétaires, d'assouplissement de la
réglementation, d'allégement des charges.
Ce n'est qu'après avoir utilisé tout cet arsenal mis à notre disposition que
nous pourrions, éventuellement, envisager de mettre en place, pour les plus
récalcitrants, la taxation que vous proposez, qui est certes limitée mais qui
peut poser d'autres problèmes, que nous aurons l'occasion d'évoquer à
l'occasion de la discussion des articles.
J'ajouterai un mot pour souligner la préoccupation de mon collègue de
Saint-Pierre-et-Miquelon, Victor Reux.
En effet, la majorité des dispositions proposées par ce texte ne seront pas
juridiquement applicables en l'état, de par la loi du 11 juin 1985 à la
collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon. Je souhaiterais savoir,
monsieur le secrétaire d'Etat, ce qu'envisage le Gouvernement pour combler
cette lacune.
Enfin, je terminerai en soulignant, comme l'a fait M. Fourcade, l'absence de
disposition notable en faveur des familles.
Il est en effet regrettable de constater que, lors de la mise sous conditions
de ressources du versement des allocations familiales - on envisage aujourd'hui
une autre politique en faveur des familles - on n'ait pas été plus attentif à
la situation des nombreuses familles qui se trouvent dans une véritable
situation d'exclusion, n'étant pas suffisamment aidées pour faire face aux
besoins essentiels de la vie.
L'institution familiale reste une valeur essentielle de lutte contre la
déstructuration de la société, la fracture sociale et l'exclusion. En effet,
bien que relativement autonome, ayant sa propre logique, la famille entretient
un rapport étroit avec les champs socio-économique - travail ou chômage, statut
social, salaires - scolaire ou sanitaire.
Permettez-moi d'évoquer tout de même la question du financement d'un certain
nombre de dispositions qui risque de peser lourdement sur les collectivités
locales.
Certes, il est prévu, pour ce qui concerne l'eau et l'électricité notamment,
une contribution de l'Etat ou de sociétés telles que EDF - GDF ; mais le
financement de certaines dispositions ne donnera lieu à aucune compensation.
Enfin, est-il vrai que Mme Aubry aurait l'intention de profiter de ce projet
de loi sur l'exclusion pour réintroduire des amendements qui avaient été
déposés sur le texte portant diverses dispositions d'ordre économique et
financier pour régler les problèmes que pose la prestation spécifique
dépendance ?
Je n'ai pas entendu Mme la ministre s'exprimer sur ce point dans son
intervention ; je ne vous ai pas entendu non plus, monsieur le secrétaire
d'Etat ; pourriez-vous, sur ce sujet, nous faire connaître les intentions du
Gouvernement ?
Tels sont, mes chers collègues, les points essentiels sur lesquels je
souhaitais intervenir. Evidemment, avec tous les membres du groupe du RPR, je
soutiendrai les propositions des rapporteurs et de la majorité de nos
commissions.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Michel Mercier.
M. Michel Mercier.
Monsieur le président, madame, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers
collègues, les différents orateurs qui se sont succédé à cette tribune depuis
le début de la discussion générale ont montré, à l'envi, que la lutte contre
les exclusions, le maintien de l'ensemble des citoyens dans le parc social
constituent l'un des fondements de notre engagement dans la vie publique.
Ce projet de loi pourra être perçu, par celles et ceux qui dans notre pays
luttent contre les exclusions, comme le signal que leur action est comprise et
soutenue par l'ensemble des acteurs publics.
La modestie et l'humilité qui doivent tous nous guider se retrouvent néanmoins
dans ce texte.
Continuation du projet de loi déposé par le Gouvernement précédent - d'une
certaine façon, il s'en nourrit - il s'en distingue parfois, c'est normal. En
tout cas, il bénéficie de la large concertation qui s'est développée depuis
plusieurs années.
Selon le Gouvernement, il serait novateur sur deux points au moins : par sa
globalité et par son financement.
C'est en effet un projet qui implique de nombreux ministères et les
collectivités territoriales.
Si certaines des mesures qu'il contient peuvent recevoir notre approbation -
nos commissions nous y convient d'ailleurs - nous sommes obligés de formuler
quelques observations sur deux thèmes : l'implication nuancée des divers
ministères et l'implication renforcée des collectivités locales.
S'agissant du premier thème, une critique d'ordre général peut être faite. En
effet, lorsque des mesures sont difficiles à prendre, très souvent on propose
la création d'un comité. Il en est ainsi dans ce projet de loi qui prévoit la
création d'un assez grand nombre de ces comités.
Comme plusieurs orateurs l'ont souligné, la première des exclusions concerne
l'accès aux soins.
Or, en la matière nous restons sur notre faim. Mme la ministre a déclaré que
le problème de l'assurance maladie universelle serait résolu en septembre, lors
de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Nous
connaissons la complexité du sujet et nous savons quel est l'intérêt de la
mission confiée à M. Boulard pour essayer de faire le point sur ce très
difficile sujet. Néanmoins, je regrette, pour ma part, que l'on n'ait pas
profité de l'examen de ce texte pour créer un grand bloc de compétences
sanitaires qui serait confié à l'Etat.
S'agissant des personnes exclues des systèmes de soins, il est bien évident
que la prévention est essentielle. Que l'on se soit borné à définir la
compétence de l'Etat en matière de lutte contre la tuberculose peut ouvrir la
voie, mais ce n'est pas suffisant. Il faut aller plus loin. L'Etat doit assurer
son rôle dans ce domaine, et ce n'est pas le comité très complexe prévu à
l'article 37 du projet de loi qui peut nous donner satisfaction.
En ce qui concerne le logement, je ferai une brève observation.
Je suis, comme beaucoup d'entre nous, partisan de la mixité. En tout cas, dans
ce domaine, il faut être très attentif à ce que l'on fait. Si l'on décide de
faire payer moins cher les moins pauvres en diminuant le surloyer, il est bien
certain qu'on fera payer plus cher les plus pauvres, puisqu'il faudra augmenter
l'ensemble des loyers pour compenser la perte de recettes des offices d'HLM. Or
je constate, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'un certain nombre de mesures
adoptées par l'Assemblée nationale vont au contraire aggraver la charge des
offices d'HLM. Je souhaite que le Gouvernement veille à ne pas surcharger ces
organismes.
S'il fallait attribuer une mauvaise note à un ministère qui n'a pas fait tout
ce qu'il aurait dû, c'est naturellement le ministère de l'éducation nationale
qui la recevrait.
Ce projet de loi nous donne l'occasion de travailler sur la médecine scolaire.
Nous savons que les enfants issus de familles en difficulté se trouvent en
dehors des systèmes de soins. La reconstruction d'un véritable système de santé
scolaire aurait favorisé la réinsertion de tous ces enfants dans le système de
soins. J'ai parfaitement conscience que tout ne peut pas être fait en un jour.
Mais des expériences pourraient être pratiquées dans tel ou tel département.
Enfin, s'agissant de la lutte contre le surendettement, les mesures proposées
peuvent recevoir notre soutien.
Je regrette que vous ne vous soyez pas davantage intéressés aux organismes de
crédits, notamment aux organismes de crédit
revolving,
dont le
comportement réellement scandaleux constitue un facteur d'exclusion non
négligeable. Si le Gouvernement peut intervenir en la matière, ce sera une
bonne chose.
Je voudrais évoquer maintenant le mécanisme qui entraîne une implication
renforcée des collectivités locales.
Elles interviendront davantage dans le financement des fonds d'aide aux
jeunes, financés paritairement par l'Etat et par les départements. Elles
participeront également davantage au financement des fonds de solidarité pour
le logement, dont les crédits doivent augmenter.
Je ferai remarquer que, à ce jour, ces organismes ne fonctionnent pas trop mal
; ils fonctionnent même plutôt bien. A un moment où les départements font
l'objet de vives critiques, peut-être est-il utile de souligner que, pour leurs
financements, les départements ont engagé, aux côtés de l'Etat, des sommes
importantes, sans aucune compensation financière.
A tout cela s'ajoute, naturellement, une implication institutionnelle des
collectivités locales.
Si ce projet de loi ne réussissait qu'à mieux faire travailler ensemble les
différents acteurs de la lutte contre l'exclusion, il serait déjà très
utile.
A ce propos, je voudrais remercier Mme la ministre pour l'esprit d'ouverture
et de dialogue dont elle a fait preuve dans l'élaboration du système
institutionnel. Ce qu'avait prévu sur ce point le précédent gouvernement dans
le projet de loi de renforcement de la cohésion sociale n'était pas
satisfaisant.
Mme la ministre a mené une négociation avec les représentants des élus locaux,
notamment les élus départementaux, et les deux amendements qu'elle a déposés,
qui sont devenus les articles 80
bis
et 80
ter,
résultent de
cette négociation.
L'article 80
bis
permet d'envisager la fin de l'abondement par des
crédits d'Etat - c'est-à-dire le fonds d'urgence sociale - de secours que,
traditionnellement, les départements, parfois les communes et souvent les
caisses d'allocations familiales accordent à ceux qui en ont besoin.
Cet article rend nécessaire la coordination de l'action des différents niveaux
d'intervention d'urgence, à travers une convention passée entre le préfet et le
président du conseil général et prévoyant la mise en place d'une commision de
l'action sociale d'urgence, laquelle aura pour tâche d'organiser le guichet
unique. Je crois que c'est une bonne mesure.
Quant à l'article 80
ter
, il crée le comité départemental de
coordination des politiques de prévention et de lutte contre les exclusions.
S'agissant essentiellement de crédits d'Etat, ce comité sera, logiquement,
présidé par le préfet. Ce sera une sorte de grand-messe annuelle où chacun
essaiera d'apporter de la cohérence à son action.
Je souhaite que l'esprit d'ouverture et de dialogue dont Mme la ministre a
fait preuve en mettant au point ces deux amendements anime également nos
débats, qu'il s'agisse des dispositions qui figurent déjà dans le projet ou de
celles que l'on pourrait proposer d'y ajouter ici.
(Sourires.)
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
Certes !
M. Michel Mercier.
Ainsi ce projet pourrait devenir le projet de tous et être le signal que
beaucoup attendent dans notre pays.
(Applaudissements sur les travées de
l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur
certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Huguet.
M. Roland Huguet.
Monsieur le président, madame, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers
collègues, il y a moins d'un an, nous débattions dans cette enceinte du projet
de loi relatif aux emplois-jeunes. C'était la première étape d'un ensemble
législatif que nous avait annoncé Mme Aubry et qui devait se composer en outre
du projet de loi sur l'aménagement et la réduction du temps de travail et du
projet de loi de lutte contre les exclusions.
Ces trois textes forment en effet un ensemble cohérent. Se complétant les uns
les autres, ils visent un même objectif : créer des emplois, favoriser le
retour à l'emploi, sans oublier celles et ceux qu'il convient d'accompagner
spécifiquement dans leur parcours de réintégration d'une vie sociale qu'ils ont
vue brisée par le chômage ou leur vécu personnel.
Je voudrais à ce propos saluer le travail considérable réalisé par le Premier
ministre, Lionel Jospin, et l'ensemble des membres du Gouvernement. En effet,
en moins d'un an, ont été soumis à notre examen trois projets de loi majeurs,
susceptibles de transformer fondamentalement notre société, de réduire les
inégalités et de redonner espoir à toutes celles et tous ceux qui désespéraient
de leur avenir.
J'en viens au présent projet de loi.
Les uns et les autres l'ont affirmé, l'affirme, l'exclusion sous toutes ses
formes est inacceptable. Il est donc de notre devoir de tout faire pour que
chacun retrouve une place dans la société, que chacun puisse remplir les mêmes
devoirs de citoyenneté et bénéficier des mêmes droits - droits au travail, à la
santé, aux loisirs - quelles que soient ses origines à tous égards.
Mais il est aussi de notre devoir de tout mettre en oeuvre pour prévenir la
perte de ces droits.
C'est pourquoi ce texte, mes chers collègues, m'apparaît comme un remarquable
outil non seulement de lutte contre l'exclusion, mais également de prévention
de l'exclusion, car les mesures qu'il comporte concernent tous les domaines de
la vie, toutes les situations d'exclusion, quelle qu'en soit la raison.
Comme l'a fort bien dit notre collègue Dinah Derycke, s'il est vrai que la
première des exclusions est le plus souvent celle qui résulte de la perte de
l'emploi, il en est de nombreuses qui s'enchaînent ensuite : perte de
l'inscription dans le « temps social », perte des repères de la vie normale -
par exemple, renoncer à fréquenter des associations de loisirs ou de sport, ne
plus compter peu à peu que sur les aides, ne plus se soigner - et puis, trop
souvent, perte du logement, ce qui signe définitivement l'exclusion.
Il s'agit donc d'un outil propre à favoriser l'accès à l'emploi. Destiné à
tous ces jeunes que leur parcours personnel a exclu très tôt de toute
possibilité d'accéder directement à l'emploi, le programme TRACE, adapté à
chaque cas, proposant un bilan, une remobilisation et surtout une rémunération,
en fonction du type de statut, tout au long de leur itinéraire les conduisant à
une embauche, me paraît être une bien meilleure réponse que la création d'un «
SMIC jeune », qui risquerait, à mes yeux, d'installer ces jeunes dans une
spirale de recours aux minima sociaux, alors que notre objectif est précisément
de les empêcher d'y tomber.
Au terme de ce programme, durant lequel chaque jeune aura perçu un salaire
correspondant à un statut, la socialisation par le travail sera rendue
effective de deux manières : grâce à une embauche définitive et grâce à la
capacité qu'aura eue le jeune de percevoir un revenu en contrepartie d'un
travail, qu'il soit économiquement productif ou personnel, dans le cadre d'une
formation qualifiante.
L'Etat s'engage à hauteur de 5,1 milliards de francs en faveur de ce programme
TRACE. Les collectivités devront, elles aussi, participer à cet effort puisque
la rémunération des jeunes ne pouvant justifier d'un statut entraînant le
versement d'un salaire sera assurée par le biais du fonds d'aide aux jeunes.
Nombre de ces collectivités se sont déjà investies dans le plan emploi-jeunes.
C'est le cas du département du Pas-de-Calais, dont je préside le conseil
général. Dans ce département, la mise en place du plan emploi-jeunes s'est
traduite par un objectif de création de 2 000 emplois, directement dans les
services départementaux ou en accompagnement des collectivités et
associations.
Le projet de loi de lutte contre les exclusions - et c'est notamment pour cela
que j'ai parlé de complémentarité - prévoit l'attribution prioritaire d'au
moins 20 % de ces emplois-jeunes aux jeunes résidant dans les quartiers en
difficulté. Nous avions, pour notre part, fait porter notre effort en direction
des jeunes RMIstes, rejoignant ainsi le Gouvernement dans sa volonté de
privilégier les jeunes qui sont le plus en difficulté, puisque cette priorité
est également inscrite dans le projet de loi.
La seule exigence que nous avions introduite dans le protocole et que je ne
retrouve pas dans le texte, c'est celle du respect de la parité. Il faut
s'attacher à embaucher, à faire accéder aux programmes de formation, aux SIFE,
aux CES et CEC, autant de filles que de garçons,...
Mmes Joëlle Dusseau et Dynah Derycke.
Très bien !
M. Roland Huguet.
... d'autant que la pauvreté touche d'abord et majoritairement les femmes.
De même, il est effectivement nécessaire de redonner au « I » du RMI une
ampleur plus grande. Il suffit, pour s'en convaincre, de constater l'évolution
constante du nombre et de la demande des RMIstes, pour lesquels il faut définir
maintenant de véritables parcours de formation. L'Etat s'engage à accroître
l'effort financier à cette fin.
Le département du Pas-de-Calais, comme beaucoup d'autres, consacre déjà un
budget important au financement du volet insertion du RMI.
J'espère que la concertation prévue entre l'Etat et les départements permettra
de répartir équitablement ce nouvel effort.
En effet, mes chers collègues, j'attire votre attention sur ce point : à
l'heure actuelle, plus il y a d'allocataires RMIstes dans un département, plus
celui-ci contribue à l'insertion à travers les 20 % qu'il acquitte. Les
départements « riches », qui comptent peu de RMIstes, versent peu ; les
départements « pauvres », qui en compte beaucoup versent beaucoup ! C'est
ubuesque ! Ma crainte, c'est qu'il n'y ait une accentuation de ce phénomène. Ne
pourrait-on, pour l'éviter, à l'occasion de l'examen de ce texte, imaginer une
péréquation nationale ?
Mais les jeunes ne sont pas les seuls à avoir besoin d'un accompagnement pour
avoir une chance de trouver ou de retrouver un travail dans une entreprise.
C'est pourquoi le renforcement des dispositifs destinés à faciliter l'accès à
l'entreprise des adultes les plus éloignés de l'emploi est une réelle
nécessité. L'extension des contrats de qualification aux adultes demandeurs
d'emploi crée les conditions favorables à la remobilisation des personnes, à la
mise en place d'un véritable effort de formation, atouts majeurs pour sortir de
l'exclusion.
Le développement de la participation de tous les acteurs de l'insertion par
l'activité économique ainsi que la simplification des dispositifs existants
devraient également permettre d'apporter un soutien accru à tous ceux qui
cherchent à retrouver une vie professionnelle.
La première exclusion, la perte ou la privation d'emploi, qui est une
véritable rupture dans la vie, est généralement suivie d'une série de dérives
de plus en plus graves.
Je n'aborderai pas toutes les dispositions de ce texte, mais je voudrais
relever les engagements du Gouvernement de nous soumettre rapidement un projet
de loi portant sur l'assurance maladie universelle, sur l'institution de la
dispense d'avance de frais pharmaceutiques et médicaux et sur l'affirmation du
rôle social de l'hôpital. Mon collègue François Autain y reviendra
certainement.
Dans le Pas-de-Calais, la population a souffert et souffre encore, plus
qu'ailleurs, de la maladie et de la carence de soins. C'est un département
sous-équipé en matière de structures hospitalières et j'espère que, à la faveur
de cette loi, la population en difficulté - largement plus nombreuse, hélas !
que dans d'autres départements - pourra bénéficier du nécessaire rattrapage des
moyens offerts en matière de santé.
Je voudrais insister, après André Vezinhet, sur le volet logement de ce projet
de loi.
Le devoir de solidarité, qu'affirmait déjà l'article Ier de la loi du 31 mai
1990, dite loi Besson, et qui consiste à garantir le droit au logement, de
manière volontariste, nous le mettons en oeuvre par tous les moyens dans le
Pas-de-Calais. Je retrouve certains de ces moyens dans le texte. Je peux vous
dire, mes chers collègues, qu'ils sont efficaces, et vous avez pu le constater
vous-même sur place, monsieur le secrétaire d'Etat au logement.
L'augmentation de la dotation de l'Etat aux fonds de solidarité logement aura,
certes, pour corollaire une augmentation du même ordre des dépenses des
conseils généraux, mais aussi des partenaires y contribuant volontairement.
Dans la mesure où la perte du logement est toujours à l'origine de la rupture
définitive d'avec la société et où elle ouvre le chemin vers la dégradation
physique et morale de ceux qui en sont victimes, il est capital d'éviter
l'expulsion, de loger correctement tout le monde, de développer les programmes
de logements sociaux, mais aussi d'assurer la fourniture d'un minimum
d'énergie, ce qui peut permettre de continuer à vivre dans des conditions
presques normales.
Le rapporteur de la commission des affaires sociales, dont je salue le
travail, note souvent, dans son rapport écrit, la convergence avec le texte que
nous avait soumis le gouvernement précédent mais dont l'examen fut laissé
inachevé. Je n'entrerai pas dans le détail des comparaisons. Je soulignerai
simplement une différence considérable : le texte précédent ne donnait guère
d'indications sur le financement ; l'expression « prendre aux pauvres pour
donner aux plus pauvres » avait même été employée.
Le mérite du texte dont nous débattons aujourd'hui est d'exposer le
financement, et cela sur trois années. Ainsi, l'Etat s'engage notamment, pour
33,531 milliards de francs en total cumulé, dans les actions en direction de
l'emploi. La participation des collectivités territoriales à cet égard
s'élèvera à 6,980 milliards de francs en total cumulé.
Globalement, le financement annoncé pour ce programme de prévention et de
lutte contre les exclusions représente plus de 51 milliards de francs de
crédits de l'Etat et un peu plus de 8 milliards de francs pour les partenaires
du cofinancement.
Quant aux dépenses liées à la couverture maladie universelle et à la
protection complémentaire, elles sont évaluées à 5 milliards de francs tant
pour l'Etat que pour les partenaires, au titre de l'an 2000.
Certes, mes chers collègues, les collectivités territoriales participeront à
l'ensemble du dispositif, j'avoue d'ailleurs ne pas avoir pu déterminer avec
précision à quelle hauteur. Mais je ne pense pas que ce soit un effort
insupportable au regard du but à atteindre. L'addition ne serait-elle pas plus
lourde si on laissait se dégrader encore la situation du côté de nos
contingents d'assistance ?
Pour conclure, je dirai que ce texte apporte de vraies et bonnes réponses pour
lutter contre l'exclusion. Il prévoit un effort supplémentaire de l'Etat, des
collectivités locales, des partenaires engagés auprès des personnes en
difficulté, effort destiné à accompagner celui des jeunes et des adultes qui
n'ont plus d'avenir professionnel, plus d'avenir personnel.
Mais il comporte aussi des mesures de prévention de l'exclusion en direction
des enfants, des adolescents, avec des dispositions favorisant l'accès au
sport, aux loisirs, et surtout avec la réaffirmation de la nécessité de ne pas
faire éclater les familles en proie à des difficultés matérielles.
La pire des exclusions, c'est de ne plus se sentir membre à part entière d'une
société, de ne plus y avoir d'autre droit que celui d'être perpétuellement en
demande, de ne plus avoir accès aux devoirs de citoyen. Pour sortir de
l'exclusion, il faut être accompagné, soutenu, reconnu comme une femme ou un
homme comme les autres.
Les propositions contenues dans ce projet de loi ne peuvent que concourir à
restituer à toutes celles et à tous ceux qui les ont perdus ou sont en passe de
les perdre le sentiment d'humanité et les droits qui y sont attachés.
C'est pourquoi je souhaiterais - et je nourris quelque espoir, connaissant
l'ouverture d'esprit de Mme Aubry, de M. Besson et de Mme Lebranchu - que le
Gouvernement puisse accepter un grand nombre d'amendements des uns et des
autres. Cela permettrait peut-être, à l'issue de nos débats, une adoption du
texte par le plus grand nombre possible de sénateurs, et cela démontrerait que
le Sénat sait traiter comme il se doit les grands problèmes de notre société.
(Applaudissements sur les travées socialistes et sur certaines travées du
RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Payet.
M. Lylian Payet.
Monsieur le président, madame, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers
collègues, les départements d'outre-mer sont, plus que les autres, touchés par
l'exclusion sous toutes ses formes : sociale, économique, culturelle, au sens
large du terme.
A la Réunion, 40 % de la population active est au chômage : ce pourcentage
témoigne à lui seul de l'ampleur du phénomène, d'autant que ce chômage concerne
particulièrement les jeunes.
La perspective de trouver un emploi, le droit à un logement, l'accès à la
pratique culturelle ou sportive, bref, à une véritable vie sociale, ne semblent
qu'un leurre pour des milliers de nos compatriotes, frappés par la détresse et
la désespérance.
C'est pourquoi, vous le comprendrez, les solutions que prévoit le présent
projet de loi doivent s'appliquer sans tarder, pleinement, et j'allais dire
prioritairement, outre-mer.
Je ne reprendrai pas le détail des quelque cent trente mesures prévues dans ce
texte pour lutter contre la précarité et prévenir l'exclusion ; je limiterai
mes observations à trois aspects particuliers.
S'agissant de l'accès à l'emploi, tout d'abord, je ne peux que noter avec
satisfaction les deux articles spécifiques aux DOM, qui assurent une pleine
égalité de traitement avec la métropole : d'une part, les titulaires de
contrats d'insertion par l'activité pourront bénéficier des emplois-jeunes et,
d'autre part, le régime de l'aide de l'Etat aux contrats d'accès à l'emploi est
aligné sur celui qui prévaut pour les contrats initiative-emploi.
Cela dit, je m'interroge, d'une manière générale, sur la complexité et
l'extraordinaire hétérogénéité de l'ensemble des instruments et mesures en
faveur de l'emploi et de l'insertion professionnelle.
Non pas qu'il faille les remettre en cause, mais il serait opportun, me
semble-t-il, de réfléchir à une simplification et à une meilleure articulation
de ces dispositifs. Certains remplissent imparfaitement leur objectif, car ils
sont mal connus ; d'autres sont peu à peu délaissés malgré leur succès - je
pense aux contrats emploi-solidarité dont les crédits diminuent régulièrement,
mais qui correspondent à une réelle demande, en dépit de leur caractère
temporaire.
De même, s'agissant des moyens d'existence, je m'interroge sur des mesures en
vigueur en métropole qui n'ont pas, ou peu, été mises en oeuvre à la
Réunion.
Ainsi, les montants alloués au fonds d'urgence sociale sont très faiblement
distribués, en raison de critères inadaptés, alors que la situation
socio-économique du département justifierait une absorption quasi immédiat de
ces crédits ; il y aurait même une rumeur persistante à la Réunion selon
laquelle ce fonds ne serait pas reconduit.
Par ailleurs, les « chartes de solidarité », conclues par l'Etat en 1996 et
tendant à maintenir les services publics de l'eau et de l'énergie en faveur des
plus démunis, n'ont pas trouvé écho à la Réunion. Le présent texte ajoute la
fourniture minimale des services téléphoniques. Il faudra veiller à ce que ces
garanties entrent effectivement en vigueur dans les DOM.
L'accès au logement, érigé en droit depuis maintenant dix ans, ne doit pas
rester, pour l'outre-mer, une simple déclaration de bonne intention. En effet,
le problème du logement social dans les départements d'outre-mer, surtout à la
Réunion, se pose encore aujourd'hui en termes de pénurie, d'insalubrité et de
précarité.
A titre d'exemple, pour répondre aux besoins liés à la fois à l'accroissement
démographique, au renouvellement du parc ancien, à la résorption de l'habitat
insalubre, il faudrait, à la Réunion, construire chaque année douze mille
logements, dont neuf mille logements aidés. Or ce ne sont que cinq mille
logements par an qui sont construits avec le financement de l'Etat.
J'en viens, pour finir, à l'accès à la culture.
L'exclusion culturelle me paraît tout aussi importante que les autres formes
d'exclusions contre lesquelles nous devons lutter. Je suis convaincu, en effet,
que la cohésion de la communauté se forge à partir d'un droit réel à l'égalité
des chances par l'éducation et la culture.
Pour les jeunes, l'exclusion culturelle est trop souvent le préalable à
l'exclusion sociale : privés de loisirs par manque de moyens financiers de
leurs parents, ils se retrouvent isolés.
Il est une réalité : les pratiques surtout culturelles, en dépit des progrès
accomplis en faveur de leur démocratisation, restent marquées par de profondes
disparités sociales. L'origine socio-économique de la famille conditionne la
possibilité d'assumer ou non les frais d'inscription à un club ou une
association, les droits d'utilisation des équipements sportifs et culturels et
le transport vers ces lieux.
C'est la raison pour laquelle le dispositif prévu en la matière par ce texte
me paraît bien modeste et pas assez volontariste.
Affirmer que « l'accès de tous à la culture, à la pratique sportive, aux
vacances et aux loisirs, constitue un objectif national » n'est qu'une
déclaration de principe qui, certes, est loubable dans son intention, mais qui
risque fort de demeurer en deçà de son ambition, faute de mesures concrètes et
de moyens appropriés, surtout à la Réunion, région ultrapériphérique.
J'aurais aimé, par exemple - c'est une suggestion que je soumets aux membres
du Gouvernement - que soit institué un « chèque-culture » sur le modèle du «
chèque-vacances ».
Telles étaient les quelques réflexions que je voulais vous soumettre ce soir.
En dépit des lacunes et des imperfections de ce projet de loi, j'ai l'intime
conviction qu'il sera amendé dans le bon sens, ce qui me permettra de le voter
afin de lutter contre les exclusions qui sévissent aussi à la Réunion.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Ostermann.
M. Joseph Ostermann.
Monsieur le président, madame, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers
collègues, l'exclusion se devait de faire l'objet d'un débat politique, au sens
noble du terme. C'est un problème qui relève de la responsabilité de la nation,
donc de ses représentants, à l'égard de ses membres confrontés à de multiples
difficultés et atteints dans leur dignité.
Ce sujet a fait l'objet d'un double consensus.
Tout d'abord, un consensus sur le constat s'est dessiné à l'occasion de la
campagne présidentielle de 1995, chacun des candidats ayant fait de l'exclusion
l'un de ses principaux thèmes de campagne. Ensuite, ce consensus est présent
dans le projet de loi que nous examinons aujourd'hui puisque celui-ci reprend
en grande partie les dispositions du texte de MM. Barrot et Emmanuelli.
Toutefois, le présent projet de loi était censé pallier les défauts de celui
de vos prédécesseurs, madame, monsieur le secrétaire d'Etat, considéré souvent
comme un texte de « second ordre » ou encore comme « un texte au rabais ».
Force est de constater que le texte qui est soumis aujourd'hui à notre examen
comporte, certes, de nombreuses avancées, mais ne constitue nullement la «
grande loi » annoncée, censée refondre et réorienter en profondeur notre
politique nationale de lutte contre les exclusions.
Je prendrai trois exemples à l'appui de mon propos.
Premièrement, s'agissant du RMI, le dispositif reprend l'une des dispositions
proposées par le précédent gouvernement, visant à permettre aux bénéficiaires
du RMI de cumuler cette allocation avec les revenus tirés d'une activité
professionnelle ; il s'agit d'une mesure positive.
Cela permettra à de nombreux allocataires de sortir de l'assistance pure et
simple en acceptant un contrat de travail. Il est, en effet, important que,
conformément à l'objectif initial, le RMI ne soit que temporaire et qu'il ne
devienne pas un mode de vie, ce qui est malheureusement de plus en plus le
cas.
Depuis sa création, voilà dix ans, le nombre d'allocataires n'a jamais cessé
d'augmenter, passant ainsi de trois cent mille à plus d'un million
aujourd'hui.
En outre - il s'agit d'un phénomène particulièrement inquiétant - en juin
1997, on comptait, sauf erreur de ma part, cent mille personnes qui, entrées
dans le dispositif au cours de l'année 1989, en étaient toujours bénéficiaires.
Pour ces personnes, le RMI constitue donc un revenu minimum d'existence.
Par ailleurs, un rapport établi au mois d'octobre dernier montre que, avec un
seul revenu par foyer, un travail à mi-temps payé au SMIC est moins
rémunérateur qu'un RMI. Or il s'agit de cas de moins en moins marginaux. Ainsi,
en 1995, un salarié sur six, soit 15,3 % contre 11,4 % en 1983, appartenait à
cette catégorie de la « pauvreté laborieuse », dont les ressources frôlent le
seuil de la pauvreté.
La conclusion de ce constat donne le vertige : une activité salariée serait,
dans certains cas, moins rémunératrice que des revenus sociaux. Prenons garde à
la rupture !
Nous sommes arrivés à la croisée des chemins. Il faut faire un choix : soit
recentrer le RMI sur son rôle initial, à savoir une aide temporaire en
attendant une réinsertion, soit le transformer en revenu minimum d'existence
sur le modèle de l'impôt négatif auquel tout salarié ayant un revenu inférieur
au seuil de pauvreté aurait droit, qu'il exerce ou non une activité.
Le projet de loi ne tranche pas cette difficile question ; il ne fait que
présenter des solutions qui ne peuvent être que temporaires.
Par ailleurs, il est important d'éviter que le RMI ne se transforme en mode de
vie. Il faut inciter ceux qui ne peuvent se réinsérer à se mettre à la
disposition des communes ou des associations, pour réaliser des tâches utiles à
la collectivité.
Prenons garde, enfin, à ce que certaines personnes ne recherchent davantage
les prestations sociales qu'un emploi, situation à laquelle je suis confronté
fréquemment en tant qu'élu local.
Le deuxième point que je souhaite évoquer a trait à l'insertion des jeunes.
A son arrivée au Gouvernement, Mme la ministre a annoncé une réforme en
profondeur des aides à l'emploi, ainsi qu'un programme de sept cent mille
créations d'emplois pour les jeunes, pour moitié dans le secteur public et pour
moitié dans le secteur privé.
Jusqu'à présent, seule une partie de ce programme a été réalisée, grâce aux
emplois-jeunes, et les objectifs de créations d'emplois ne seront sans doute
pas atteints.
Nous attendons toujours le programme en faveur de la création d'emplois dans
le privé. Il en est de même pour les aides à l'emploi.
En la matière, les mesures proposées dans le texte, telles que le recentrage
des CES sur les personnes les plus en difficulté, constituent certes une
avancée non négligeable, mais sont malheureusement loin de constituer à elles
seules la réforme tant attendue.
Les dispositifs d'insertion, tels que les CES, s'ils permettent aux jeunes
d'acquérir une première expérience professionnelle, ont toutefois bien souvent
des effets pervers.
Une enquête réalisée en 1996 fait ainsi apparaître que le passage par un CES
prédisposerait les jeunes à enchaîner ce type de contrats. Se constituent ainsi
de véritables parcours précaires dont ces derniers ont beaucoup de mal à
sortir.
N'est-il pas envisageable de proposer à nos jeunes de véritables emplois en
incitant les entreprises, par une exonération des charges sociales patronales,
à les embaucher en échange d'une obligation de formation ? Une telle
exonération coûterait infiniment moins cher qu'un emploi-jeune !
Pour ma part, je suis convaincu que si l'on accordait aux entreprises, plus
particulièrement aux PME, une partie des avantages qui sont octroyés au secteur
public par le biais des emplois-jeunes, ces dernières seraient tout à fait
prêtes à embaucher. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle j'ai déposé une
proposition de loi en ce sens, après avoir défendu sans succès un amendement
lors de l'examen du texte sur les emplois-jeunes.
Le dernier point sur lequel je souhaite attirer brièvement votre attention a
trait au volet logement du projet de loi.
Là encore, le bilan des mesures que vous nous proposez en faveur de l'accès au
logement est en demi-teinte. Certaines mesures, telles que la redéfinition du
FSL ou la réécriture du régime des attributions de logements sociaux,
constituent incontestablement des avancées.
En revanche, des dispositions comme la création d'une taxe sur la vacance,
l'instauration d'un régime de réquisition avec attributaire ou l'allongement
des délais en matière d'expulsion pour non-paiement de loyer ou de charges me
semblent être attentatoires au droit de propriété.
En effet, s'il est tout à fait normal de conforter un droit au logement pour
les plus démunis, il est tout à fait anormal et inacceptable que l'Etat se
défausse des conséquences du développement de ce droit sur les propriétaires en
érodant le droit de propriété.
C'est la raison pour laquelle je vous proposerai d'adopter un amendmenet
tendant à indemniser les propriétaires à qui sont imposés des délais de plus en
plus longs en matière d'expulsion.
Dans ce domaine, l'Etat doit prendre ses responsabilités, notamment en faveur
des petits propriétaires.
Droit au logement et droit de propriété ne sont nullement inconciliables, bien
au contraire.
L'augmentation du nombre de propriétaires bailleurs permet d'accroître l'offre
locative, donc de résorber, pour partie, la crise du logement. Par conséquent,
il convient d'inciter à l'investissement immobilier et non de le décourager,
car l'excès de protection risque de se retourner contre ceux qu'il est censé
protéger.
En conclusion, sous réserve de l'adoption des améliorations qui vous seront
proposées, mes chers collègues, je voterai le projet de loi. En effet, comme je
l'ai souligné au début de mon intervention, l'exclusion est un sujet grave qui
impose de dépasser les clivages partisans.
(Applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Lorrain.
M. Jean-Louis Lorrain.
Monsieur le président, madame, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers
collègues, le projet de loi d'orientation relatif à la lutte contre les
exclusions définit des axes d'intervention par rapport à un certain nombre de
droits, accessibles à la grande majorité d'entre nous mais dont certains
citoyens se trouvent, à plus ou moins long terme, privés.
Ce texte traite des exclusions dites sociales, car elles se réfèrent aux
besoins créés par la vie en société comme l'emploi, les ressources, le
logement, l'accès aux soins, ou les aides familiales. Il y a une échelle de
gravité dans l'exclusion ; celle-ci se produit généralement à la suite d'un
concours de circonstances à la fois économiques et personnelles. Il s'agit pour
nous de trouver les mesures adéquates pour restreindre l'expansion d'un
phénomène qui s'amplifie et s'aggrave et faire en sorte d'éviter, pour les
personnes concernées, toute répétition possible.
Je me limiterai, si vous le permettez, à l'exclusion la plus rude, celle qui
apparaît quand les besoins les plus élémentaires de survie, comme la
nourriture, l'hygiène, la santé et l'accès aux soins, et de sécurité que
représente un toit ne peuvent être satisfaits ; on peut alors parler d'extrême
pauvreté, d'errance, d'abandon et de vie dans la rue : c'est l'exclusion
totale.
Sans disserter sur les polytoxicomanies, la malnutrition, la tuberculose, les
ulcères des jambes, les oedèmes des pieds, les parasitoses cutanées dont ils
sont le plus souvent la proie, les sans-abri souffrent également des agressions
climatiques - gelures, hypothermie en hiver, déshydratation et brûlures l'été -
et physiques qui sont presque quotidiennes.
Parmi les réactions pathologiques à ces agressions, on peut constater parmi
eux un volontaire repli sur soi, dû à l'extrême méfiance qu'ils développent
envers la société qui rejette ceux qui n'entrent plus dans le système. Les
causes et les effets de la précarité se confondent souvent. L'alcoolique boit
pour oublier qu'il fait partie des exclus et le jour où les circonstances ou
l'aide extérieure l'amèneraient à sortir de sa situation sordide, sa dépendance
à l'alcool l'en empêche.
Le Centre d'hébergement et d'accueil des populations sans abri de Nanterre
avance le nombre de 8 000 à 10 0000 personnes désocialisées majeures qui
constitueraient un premier cercle d'exclus. Le deuxième se compose de
marginaux, délinquants et asociaux, environ 15 000 personnes. Quant à ceux qui
disposent d'un abri de fortune temporaire, qui squattent des appartements
vacants ou qui sont hébergés en centres sociaux, ils pourraient composer un
troisième cercle d'exclus allant de 7 000 à 8 000 individus.
Ceux que l'on appelait hier les clochards ne sont plus les seuls sur le pavé.
La population des exclus, principalement constituée avant d'hommes entre 40 et
44 ans, compte maintenant parmi ceux qui sont en situation très vulnérable
depuis moins d'un an une majorité de femmes et de jeunes.
On n'est pas exclu du jour au lendemain, on le devient. La perte d'un emploi,
un coup dur familial - divorce, perte d'un être cher - se conjuguent souvent
pour provoquer une exclusion qui, comme l'écrit Xavier Emmanuelli, « à l'instar
d'un divorce, se produit par consentement mutuel » entre l'homme et la
société.
La désocialisation des gens en situation précaire peut s'effectuer
insidieusement ou rapidement : ils ne profitent pas longtemps, ou profitent
très peu, des dispositifs de secours, car ils rejettent en bloc l'ensemble du
système ; ils refusent aussi l'aide des institutions pour se protéger du monde
extérieur et de ses agressions.
La solitude dans laquelle ils s'enferment les amène à refuser de reconnaître
la réalité de leur corps, puisque celui-ci représente à la fois un objet de
répulsion pour les autres et de souffrance pour eux-mêmes. « Quand on n'existe
plus dans le regard des autres, on n'existe plus dans son propre regard. Quand
on est devenu invisible, on tombe dans une définition générique. On n'est plus
une personne, on est un SDF, un clochard, un exclu, mais certainement pas
quelqu'un, certainement plus un citoyen. »
L'accès aux soins des exclus passe, dans le secteur public, par les urgences
hospitalières, qui ne réservent pas toujours le meilleur accueil à ces
personnes, malgré des actions récentes et ponctuelles pour améliorer l'acceuil
des SDF.
Les consultations de précarité mises en place dans les hôpitaux de
l'Assistance publique de Paris commencent à être pratiquées en province dans de
nombreux hôpitaux généraux. Ce sont des dispositifs médico-sociaux intégrés à
l'hôpital en vue de favoriser l'accès aux soins, sans filtre administratif et
sans avance d'argent. Les permanences d'accès aux soins de santé sont donc déjà
présentes sur le terrain. Des cellules « accueil des étrangers » permettent de
soigner les personnes dépourvues de protection sociale. Le CASH de Nanterre est
une des plus anciennes structures de ce type.
S'agissant des SAMU sociaux, une consultation médicale et des soins infirmiers
sont assurés dans les centres d'hébergement d'urgence.
Le secteur caritatif, de son côté, se montre, lui aussi, très actif et
s'efforce de compenser les carences du secteur public en fournissant des
consultations dans toutes les spécialités, y compris la psychiatrie.
C'est dans ce contexte que le projet de loi vient s'insérer, et nous sommes
heureux de constater que, pour l'essentiel, les dispositions contenues dans le
projet de loi de renforcement de la cohésion sociale de M. Jacques Barrot ont
été reprises.
Nous regrettons cependant qu'il témoigne, dans le domaine de l'accès aux soins
aux individus en situation de grande précarité, d'une portée toute symbolique
et théorique, sans réelle incidence sur le concret. Affirmer que les objectifs
de la lutte contre les exclusions doivent s'inscrire dans les programmes de
santé publique de l'Etat, des collectivités locales ou de la sécurité sociale
tout en ayant réduit, cette année, de plus d'un tiers les crédits du budget de
la santé destinés aux exclus nous donne l'impression d'un coup d'épée dans
l'eau.
Nous pouvons nous interroger également sur des raisons pour lesquelles le
texte que nous examinons aujourd'hui, en première lecture, n'envisage
principalement que des conseils et moyens de guérison, et n'examine pas
davantage de méthodes de prévention, hormis, il est vrai, le volet relatif au
surendettement.
Les individus en voie de marginalisation, dérivant vers l'exclusion, sont-ils
conseillés, orientés ? Quelles structures ont cette responsabilité ? Les ANPE
s'impliquent-elles dans ce rôle de prévention ?
La médecine scolaire, nous avons eu l'occasion d'en parler, est
sous-représentée dans les collèges et les lycées des zones sensibles : il faut
développer le dépistage précoce des enfants en difficulté et un meilleur
partenariat avec la Protection maternelle et infantile est nécessaire. Le
diagnostic est fait ; il faut la volonté politique.
Le Gouvernement prévoit, il est vrai, la présentation, dans un délai d'une
année, d'un rapport sur le rôle de la médecine scolaire, notamment dans la
lutte contre l'exclusion. Le délai n'est-il pas trop long ?
D'autres rapports ont déjà fourni des renseignements probants, comme celui du
haut comité de la santé publique, présenté le 30 juin 1997, qui avait, lors de
la conférence nationale de la santé, souligné la nécessité d'augmenter les
moyens de la santé scolaire et l'éducation à la santé.
L'institution d'une couverture maladie universelle, avec une carte permanente
d'assuré social pour chacun dès seize ans, une couverture complémentaire et une
dispense d'avances de frais pour les plus démunis, aurait un impact
significatif, mais elle ne figure pas dans ce projet de loi. Il semble
toutefois que l'engagement du Gouvernement soit assez ferme sur la date de
dépôt d'un texte à cet égard. Sera-t-il joint au projet de loi de financement
de la sécurité sociale ?
Quant à l'alcoolisme, qui touche bon nombre d'exclus, il suscite des
propositions qui sont autant d'avancées : la création de structures
départementales combinant une prise en charge sociale et médicale de
l'alcoolisme des sans-abri, la formation en alcoologie rendue incontournable
pour tous les acteurs médicaux et sociaux en contact avec les personnes en
grande vulnérabilité.
Ces mesures sont d'une urgente nécessité.
Il y a en effet une incidence étroite entre alcoolisme et précarité : la
consommation moyenne de 69 % des exclus interrogés en Ile-de-France est de 4,3
litres par jour, tous alcools confondus. Pour le Dr Jacques Hassin, chef de
service du centre médico-social du centre d'hébergement et d'accueil pour les
sans-abri à Nanterre, « la normalité, ce sont les patients alcooliques ».
L'article 37
bis
du présent projet de loi d'orientation fournit un
statut juridique stable aux centres d'hygiène alimentaire et d'alcoologie qui
en sont actuellement dépourvus. C'est une première démarche encourageante.
Encore faut-il aller plus loin.
Notre groupe se réjouit de la création des programmes régionaux d'accès à la
prévention et aux soins. Ils généralisent les schémas départementaux d'accès
aux soins prévus par la circulaire de mars 1995. Mais ces programmes prendront
toute leur signifcation s'ils sont associés à l'institution d'une couverture
maladie universelle et au transfert des compétences sanitaires des départements
vers l'Etat.
Il faut savoir que, au-delà de l'altruisme qui nous motive tous ici, hors
clivages politiques, c'est faire oeuvre de bon sens que de favoriser l'accès
aux soins pour ces malheureux : le mal-être physique qu'ils véhiculent avec eux
peut nous atteindre demain. Quand tout manque, la pauvreté attaque la santé.
Bruit, pollution, mauvais logement, humidité, inquiétude usent le corps, mais
aussi l'esprit.
Telles sont les réflexions du groupe de l'Union centriste sur cet aspect
spécifique de l'exclusion majeure que nous souhaitions souligner.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Autain.
M. François Autain.
Monsieur le président, madame, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers
collègues, comme l'ont précisé Mme Dinah Derycke et M. Roland Huguet, il me
revient de présenter la position du groupe socialiste sur les dispositions du
chapitre III de ce projet de loi, relatives à l'accès aux soins.
La résurgence de maladies que l'on croyait oubliées, les difficultés
croissantes que rencontrent les exclus pour bénéficier, comme tous les autres,
de notre système de soins appelaient en effet un dispositif fort.
C'est ainsi que l'article 36 pose symboliquement le principe de la priorité de
la politique d'accès à la prévention et aux soins des personnes les plus
démunies.
Symboliquement en effet, car il est des circonstances où les symboles sont
importants et où les mesures symboliques ont un sens.
Toutefois, ces dispositions relatives à l'accès aux soins ne sont pas
seulement symboliques. Je fais observer très amicalement à M. le rapporteur,
qui semblait vouloir accréditer le contraire, que ce texte n'a pas uniquement
une valeur symbolique. En effet, l'article 37 oblige au développement de
programmes régionaux d'accès à la prévention et aux soins. C'est bien au niveau
régional que s'organise aujourd'hui notre système de soins ; c'est donc bien à
ce niveau que ces programmes doivent être développés. Vous en convenez
d'ailleurs vous-même, monsieur le rapporteur, non sans rappeler, à juste titre,
l'intérêt d'une réflexion renouvelée sur la compétence départementale en
matière de santé, notamment en ce qui concerne la tuberculose, et vous nous
proposez de procéder immédiatement au transfert de cette compétence de
l'Etat.
Or, ce faisant, ne brûlez-vous pas un peu les étapes ? Je crains, pour ma
part, que vous ne tombiez dans les travers que vous dénoncez avec raison
lorsqu'ils sont le fait de l'Etat, comme vous l'avez fait récemment encore avec
la prestation spécifique dépendance quand vous avez reproché au Gouvernement de
ne pas avoir fait précéder sa décision d'une réflexion et d'une discussion avec
les collectivités locales concernées.
Sur cet article 37, notre groupe propose seulement un amendement visant à
mieux préparer, par une action de formation, les professionnels de santé à la
prise en charge de l'exclusion.
Les articles 38 et 39 définissent la place de l'hôpital dans ce dispositif.
L'article 38 consacre la participation du service public hospitalier à la
lutte contre l'exclusion et illustre ainsi, très concrètement, la portée de la
mission de service public des établissements.
L'article 39 oblige, quant à lui, à la mise en place de permanence d'accès aux
soins consacrées aux personnes en situation de précarité. Trois objectifs
concomitants sont ainsi poursuivis : garantir dans tous les cas l'accueil des
personnes démunies et leur accès aux soins hospitaliers ; s'assurer des
modalités particulières, notamment sur le plan de la prise en charge sociale,
d'un tel accueil ; exiger que toute précaution soit prise en vue de permettre
la continuité des soins.
Voilà, monsieur le rapporteur, autant de dispositions dont la portée, je le
répète, n'est pas seulement symbolique, même si vous avez raison de vous
interroger sur les moyens dont disposeront les établissements pour s'acquitter
de ces obligations nouvelles. Notre groupe a déposé, sur ce point, un
amendement visant à répondre à ces interrogations.
Aux dispositions initiales du projet de loi, l'Assemblée nationale en a ajouté
d'autres, qui me paraissent devoir retenir toute notre attention. Ainsi en
va-t-il, d'abord, des articles 36
bis
et 36
ter,
qui confirment
juridiquement l'obligation faite de fixer des objectifs de lutte contre
l'exclusion dans les conventions d'objectif et de gestion des caisses. Tout au
plus peut-on s'interroger sur le caractère redondant de l'un de ces deux
articles.
Ainsi en va-t-il de l'article 36
quater,
qui demande au Gouvernement
d'établir un rapport sur l'adéquation des missions de la médecine scolaire aux
objectifs de lutte contre l'exclusion.
Là encore, je regrette, monsieur le rapporteur, que vous ayez cru devoir
placer la décision avant la réflexion.
Reste notre objectif commun, mieux assurer, à l'école, la prévention sanitaire
des plus démunis.
L'article 37
bis
dote d'un statut juridique les centres d'hygiène
alimentaire et d'alcoologie et l'article 38
bis
précise les missions des
services de protection maternelle et infantile en prévoyant que ces services
doivent développer des actions d'accompagnement psychologique et social des
femmes enceintes et des jeunes mères de famille les plus démunies. Notre groupe
présentera un amendement à l'article 39, touchant aux mêmes aspects.
Enfin, l'article 38
ter
vise à réorienter vers les personnes exposées
au risque de précarité l'action de prévention, d'éducation et d'information
sanitaire ainsi que l'action sanitaire et sociale des caisses primaires de la
branche maladie du régime général.
A ce dispositif fort tant en symboles qu'en mesures concrètes, notre
rapporteur propose d'en ajouter une dernière qui tend, avant l'article 36, à
prévoir qu'à compter du 1er janvier 1999 toutes les personnes résidant en
France bénéficieront d'une couverture maladie. Comment ne pas souscrire à un
tel objectif ?
Au demeurant, cet objectif est consensuel, puisque M. Alain Juppé en avait
annoncé le principe ici même le 15 novembre 1995, sans être parvenu à le
réaliser avant son départ, qui fut - comme vous le savez - un peu précipité et
imprévu, en juin 1997. Mais ce qu'il n'a pas pu faire en si peu de temps, nous
allons essayer de le réaliser au moins aussi rapidement, sinon plus
rapidement.
C'est dire que, si cet objectif est consensuel, les difficultés techniques de
sa mise en oeuvre sont grandes - c'est sans doute la raison pour laquelle il
n'a pas été réalisé plus tôt - parce que la diversité de nos régimes, les
compétences des départements, les modalités actuelles, très complexes, de prise
en charge des personnes privées de couverture sont autant d'obstacles à cette
mise en oeuvre.
Nous souhaitons pourtant tous qu'elle intervienne aussi vite que possible et à
la date que vous nous proposez, monsieur le rapporteur. Il reste toutefois que
les conséquences d'une telle réforme sur l'organisation financière de la
sécurité sociale exigent qu'elle soit engagée parallèlement avec la préparation
de la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999.
Le président de la commission des affaires sociales, M. Jean-Pierre Fourcade,
a joué un rôle trop important dans la réforme constitutionnelle qui a introduit
la loi de financement pour ne pas respecter les contraintes juridiques
nouvelles que cette dernière nous impose !
Symbole pour symbole, monsieur le rapporteur, je sais que vous n'ignorez pas
que votre article additionnel, privé de son armature juridique, technique et
financière, serait sans grande portée.
Pour conclure, je ne retiendrai sur cette partie du projet de loi que
l'adhésion globale de la commission aux objectifs poursuivis par le
Gouvernement, adhésion que partage bien évidemment le groupe socialiste, qui
vous apportera, madame, monsieur le secrétaire d'Etat, son soutien le plus
total.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Sérusclat.
M. Franck Sérusclat.
Monsieur le président, madame, monsieur le secrétaire d'Etat, mesdames les
sénatrices, messieurs les sénateurs, dernier orateur inscrit, je me limiterai à
une petite partie du texte important qui est soumis à la discussion du Sénat
après avoir été examiné à l'Assemblée nationale. Cette partie concerne les
secteurs de l'éducation, de la culture et du sport.
Je partage sur ce point l'objectif qu'a défini tout à l'heure Mme la ministre
: nous devons faire en sorte que tous les hommes et toutes les femmes de ce
pays soient des citoyens en capacité d'exercer leurs droits et leurs devoirs et
des consommateurs capables de savoir choisir. Or les exclus, qui n'ont pas
acquis ces capacités, sont, à cet égard, en situation particulièrement
délicate.
Personnellement, j'ai eu récemment l'occasion de rédiger un rapport pour
l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques
sur la période comprise entre le moment où l'élève entre en classe et le moment
où il s'apprête à devenir citoyen, notamment en étudiant les nouvelles
techniques d'information et de communication, et, plus généralement, les outils
numériques, qui ont un rôle à jouer dans ce passage de l'élève au citoyen.
Les articles de ce projet de loi qui consacrent le rôle de l'éducation, de la
culture et du sport sont en tout cas les bienvenus dans cet ensemble. Même si
les ministères concernés - éducation nationale, culture, jeunesse et sports -
ont déjà fait beaucoup d'efforts en ces domaines, il n'en demeure pas moins
opportun d'inscrire ces principes dans le présent projet de loi.
Il est temps de trouver des solutions pour mettre un terme à une situation qui
voit, chaque année, 50 000 jeunes quitter le système éducatif sans
qualification. Nous devons donc nous efforcer d'éviter les inégalités en
matière d'accès à l'éducation, à la culture et au sport et il faut, pour cela,
rappeler, dans l'article 1er du présent projet de loi, la nécessité de l'accès
aux droits fondamentaux que je viens d'évoquer très rapidement.
Je crois aussi qu'il convient de combattre la cause principale des inégalités,
à savoir l'illettrisme. Au-delà du fait de ne pas savoir utiliser la lecture et
l'écriture, cet illettrisme se caractérise surtout - et je rejoins sur ce point
un travail récent de M. Philippe Meirieu concernant les lycées et toutes les
autres étapes du cursus scolaire - par le fait de ne pas savoir s'exprimer
correctement.
Le système scolaire doit donc développer chez l'enfant la capacité d'exprimer
ses idées et de les défendre, ce qui suppose sans doute de les découvrir par la
lecture et d'apprendre à les écrire, mais peut-être plus encore d'apprendre à
les exprimer par la parole. C'est là un effort qu'il faut demander à
l'éducation nationale pour éviter cette exclusion de l'homme - ou de la femme -
qui est incapable de dire ce qu'il veut, de dire ce qu'il ressent, ce qu'il
souhaite.
Ce qui est proposé pour les lycées doit commencer dès le début de la
scolarité, c'est-à-dire, me semble-t-il dès la maternelle, dès l'âge de deux
ans si possible. En effet, il est nécessaire que, très tôt, l'enfant apprenne
la vie en collectivité, qu'il sorte du milieu familial où il est soit
protégé... soit abandonné, mais où il est trop souvent coupé des autres. C'est
donc sur l'entrée précoce à l'école maternelle qu'il convient d'insister.
Surtout - Condorcet l'avait déjà largement signalé - il importe, tout en
respectant la personnalité de l'enfant, de l'aider à découvrir et à exprimer
des capacités qui sont encore en germination. Et cette chance doit, elle aussi,
lui être donnée très tôt.
Vient ensuite le passage plus difficile de l'adolescence, pour lequel les ZEP,
imaginées en partie par Alain Savary, ont été des lieux exemplaires de
développement pendant toute une période avant de connaître un certain
fléchissement. Il faut donc redonner vigueur à ces ZEP, et ce de diverses
façons : sans doute par des moyens financiers, mais aussi grâce à une
reconnaissance différente du rôle de l'enseignant.
De même convient-il de faire attention, lors des nominations, à ne pas mettre
en situation difficile ceux qui sont mal préparés parce que peut-être trop
jeunes ou dépourvus d'expérience. Les affectations doivent s'effectuer dans des
conditions salariales spécifiques. Il est nécessaire, enfin, de relancer les
projets pédagogiques permettant les apprentissages fondamentaux.
Par ailleurs, il faut essayer de rendre le parcours de l'enfant le plus
homogène possible. Nous savons que des enfants en difficulté culturelle,
intellectuelle ou simplement sociale, redoublent et traînent avant de finir par
passer à l'ancienneté dans les classes supérieures. Pourquoi ne pas développer
l'expérience des classes relais, qui sont des classes spécifiques de dix ou
quinze enfants seulement ? Ces classes relais, c'est certain, demandent des
moyens financiers accrus, mais je crois qu'elles ont un rôle important à jouer
dans le parcours des enfants afin de le rendre aussi homogène et réussi que
possible.
Dans le domaine scolaire, il y aurait certainement encore beaucoup à dire,
mais cela nous prendrait trop de temps. C'est ainsi, par exemple, que nous
assistons aujourd'hui à l'émergence des technologies numériques dans les moyens
d'apprentissage des données fondamentales. On ne peut les éviter, mais ils ne
remplaceront pas tout ! Il n'en demeure pas moins qu'ils créent une inégalité
entre ceux qui en ont la maîtrise et ceux qui ne savent même pas qu'ils
existent. Il se creuse, dès lors, une inégalité plus profonde encore que celle
que nous avons constatée au moment de l'apparition du livre et de la lecture,
lorsque les Prospero avaient la maîtrise des données scientifiques - et donc
des décisions philosophiques - tandis les Caliban essayaient d'apprendre
laborieusement à lire.
Sur la culture et sur le sport, tout a déjà été dit, et chacun sait le rôle
particulièrement important qu'ils jouent dans la formation de l'individu.
Permettez-moi cependant d'insister sur un point : il ne faut pas vouloir
imposer une culture académique dans ces secteurs particulièrement riches en
exclus que sont nos banlieues.
Il faut savoir prendre en compte les moyens d'expression inventés dans ces
lieux - en son temps le rock, aujourd'hui le rap. Plusieurs fois, j'ai été
étonné par le rôle formateur du rap, par la capacité qu'ont certains de faire
défiler pendant des heures des mots qui se répondent les uns aux autres et
forment un ensemble ayant une qualité à la fois artistique et
intellectuelle.
Cela ne veut pas dire qu'il faut se fonder uniquement sur ces formes musicales
spécifiques. Mais il ne faut surtout pas faire comme si elles n'existaient pas,
les considérer comme étant sans intérêt ou trop différentes, sur le plan
musical, de Mozart ou de Beethoven, vers lesquels on reviendra très
certainement tôt ou tard.
Un autre domaine extrêmement important est le domaine sportif. Nous avons
discuté tout récemment du projet relatif à la protection de la santé des
sportifs et à la lutte contre le dopage. Le sport garde aujourd'hui encore une
image qui donne envie aux jeunes de faire un effort parce que c'est une image
pure de sportifs de qualité. Mais cette image est aujourd'hui de plus en plus
ternie en raison, certes, du dopage, mais surtout, à sa source, de la place
envahissante de l'argent.
Il faut donc faire des efforts pour permettre aux jeunes d'apprendre la
pratique d'une activité sportive, par exemple par le basket de rue.
Voilà, mesdames, messieurs les ministres, les réflexions que je voulais vous
livrer ce soir. J'espère vous avoir convaincus, si besoin était, du rôle de
l'éducation, de la culture et du sport dans la lutte contre l'exclusion.
(Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
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