Séance du 4 juin 1998
VEILLE ET SÉCURITÉ SANITAIRES
Adoption des conclusions
d'une commission mixte paritaire
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 426,
1997-1998) de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur
les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative au
renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire des
produits destinés à l'homme.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Claude Huriet,
rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire.
Monsieur le
président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, c'est avec
beaucoup de satisfaction que je rapporte aujourd'hui les conclusions de la
commission mixte paritaire qui est parvenue, dans un excellent climat et sans
difficulté majeure, à élaborer les termes d'un accord sur les dispositions
restant en discussion de la proposition de loi sénatoriale sur le renforcement
de la veille et de la sécurité sanitaires.
Les dispositions de la proposition de loi concernant la création de l'Institut
français de veille sanitaire et de l'Agence française de sécurité sanitaire des
produits de santé avaient, en effet, été adoptées en des termes quasiment
identiques par les deux assemblées ; restaient en discussion les articles
concernant essentiellement l'Agence française de sécurité sanitaire des
aliments.
Le texte élaboré par la commission mixte paritaire prévoit que l'Agence
française de sécurité sanitaire des aliments pourra formuler des
recommandations publiques et demander aux ministres de déclencher des
contrôles.
L'agence contribuera, notamment par son pouvoir de recommandation et la
faculté qui lui est offerte de demander au ministre de saisir les corps
d'inspection de l'Etat, à la qualité et à l'indépendance des contrôles.
Grâce à l'adoption d'un amendement de notre collègue François Autain, les
laboratoires de la direction générale de la concurrence, de la consommation et
de la répression des fraudes seront mis à disposition de l'agence lorsqu'elle
en demandera le concours, et des laboratoires publics exerçant leur activité
dans son domaine de compétence pourront lui être transférés par décret.
L'agence sera consultée sur tous les projets de textes législatifs et
réglementaires entrant dans son champ de compétence ; ses avis seront rendus
publics.
Enfin, c'est le directeur de l'agence, et non le ministre, qui délivrera
toutes les autorisations de mise sur le marché des médicaments vétérinaires.
Nous pouvons nous féliciter des termes de cet accord, qui met en place une
réforme majeure de l'administration sanitaire de notre pays, la plus
importante, a-t-on dit, depuis la création du ministère de la santé.
Cette réforme sera de nature à améliorer l'efficacité, la cohérence et la
lisibilité de l'action de l'Etat en matière de veille et de sécurité
sanitaires.
Certes, cette loi n'est pas parfaite et, sur certains points, nous ne sommes
pas allés aussi loin que nous l'aurions voulu.
Ainsi, l'amendement de notre collègue Charles Descours qui transférait à
l'agence de sécurité sanitaire des aliments le pouvoir de police relevant
aujourd'hui du ministre, adopté au Sénat par une très large majorité, n'a pas
été retenu.
Formellement, c'est donc toujours le ministre qui prendra les mesures de
police, même si l'avis public de l'agence devra être sollicité.
Je le regrette personnellement, l'audition toute récente du directeur général
de la FDA,
Food and drug administration,
m'ayant confirmé dans l'idée
que la séparation « fonctionnelle » entre gestion et évaluation n'imposait pas
une quelconque « séparation des pouvoirs ».
Mais je pense que nous avons engagé, dans le domaine de la sécurité sanitaire
des aliments, un mouvement irrésistible. Tôt ou tard - et j'espère assez tôt,
l'évolution des structures administratives accompagnant celle des aspirations à
la sécurité sanitaire - l'on se rendra compte qu'il est préférable de
distinguer les autorités chargées de la gestion des risques sanitaires de
celles qui ont en charge de légitimes préoccupations économiques.
Avec cette proposition de loi, j'ai la conviction qu'il sera difficile à un
ministre de prendre une mesure de police sanitaire contraire à une
recommandation publique de l'Agence de sécurité sanitaire.
Il faudra toutefois aller plus loin, en mettant le droit en conformité avec
les nouvelles pratiques.
Je ne voudrais pas terminer mon intervention sans évoquer la question de la
législation relative aux moyens donnés à l'autorité sanitaire en matière de
dispositifs médicaux. L'article correspondant de la proposition de loi a été
notifié à Bruxelles, conformément à la directive sur les normes techniques, et
la période de
statu quo
est donc désormais ouverte.
J'insiste, une nouvelle fois, sur le fondement de ces dispositions, qui
n'imposent pas de réelle contrainte supplémentaire aux industriels ; ils sont
simplement tenus de notifier à l'agence la mise sur le marché des dispositifs
susceptibles de présenter des risques particuliers. Cette législation donnera
aux autorités sanitaires les moyens d'exercer les compétences de police que
leur reconnaissent les directives sur les dispositifs médicaux.
Elle devrait conforter l'ouverture d'un débat, au sein des institutions
européennes, sur la nécessité de modifier la législation européenne concernant
les procédures d'obtention du marquage CE, de manière à la rendre plus conforme
aux exigences en matière de sécurité sanitaire.
Je ne voudrais pas terminer sans remercier les personnalités scientifiques,
les représentants des industries, des administrations ou des associations de
consommateurs qui ont contribué aux travaux de la commission des affaires
sociales sur la veille et la sécurité sanitaires.
Je remercie aussi mes collègues sur quelque travée qu'ils siègent et quelle
que soit la commission à laquelle ils appartiennent pour l'intérêt qu'ils ont
manifesté à l'égard de cette question difficile, contribuant ainsi aux
nombreuses améliorations apportées au texte initial.
Je souhaite également remercier M. Hervé Gaymard, ancien secrétaire d'Etat
chargé de la santé et de la sécurité sociale, pour l'impulsion initiale qu'il a
donnée et le constant soutien qu'il a apporté ensuite.
Je remercie M. Bernard Kouchner, qui a confirmé que la sécurité sanitaire ne
constitue pas un sujet partisan et qui a, lui aussi, soutenu efficacement, avec
la détermination et l'intelligence politique qu'on lui connaît, notre
initiative.
La loi que nous adoptons aujourd'hui aura, pour tous les Français, des
conséquences concrètes d'ici peu de temps. Je suis convaincu qu'elle
contribuera à renforcer la sécurité sanitaire dans notre pays, répondant ainsi
aux attentes de plus en plus pressantes de nos concitoyens.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat à la santé.
Monsieur le président, je vous prie tout
d'abord de me pardonner d'arriver si tard. Mais le Sénat travaille vite :
j'étais à l'heure, donc en retard !
(Sourires.)
Mesdames, messieurs les sénateurs, il ne se passe pas une semaine,
pratiquement pas un seul jour, sans qu'un problème, une interrogation nouvelle
me viennent - parfois de façon excessive - défrayer la chronique et susciter
des angoisses chez nos concitoyens.
Conscient de ses responsabilités, le Gouvernement a fait de la sécurité
sanitaire, grâce à vous, une de ses priorités.
Il fallait en effet répondre aux failles persistantes en matière
d'organisation, de règles et de contrôles pour certains produits destinés à
l'homme et pallier les insuffisances des moyens de veille, des procédures
d'alerte et des circuits de transmission des recommandations aux pouvoirs
publics en cas de menace pour la santé publique.
Il fallait parachever le dispositif de sécurité sanitaire mis en place dès
1992 avec la création du réseau national de santé publique et par la loi du 4
janvier 1993 instituant l'Agence française du sang et l'Agence du médicament.
Je n'oublie pas que ce fut à votre initiative.
Comme en 1993, le rôle joué par la Haute Assemblée doit être souligné.
L'important travail réalisé par la mission de la commission des affaires
sociales pour « renforcer la sécurité sanitaire en France », qui a conduit à la
proposition de loi relative au renforcement de la veille sanitaire et du
contrôle de la sécurité sanitaire des produits destinés à l'homme, a constitué
le socle de notre réflexion commune.
Je tiens à nouveau à saluer l'initiative de M. Charles Descours, avec qui je
me suis entretenu ce matin, ainsi que l'engagement continu de la commission des
affaires sociales, présidée par M. Fourcade.
Les travaux menés par les deux assemblées ont enrichi le texte initial. Ils
ont également cimenté une doctrine claire, partagée par tous, fondée sur des
exigences cohérentes, à savoir : une autorité de police compétente pour
l'ensemble de la chaîne médicotechnique des produits à finalité sanitaire, une
capacité d'alerte rapide, une expertise scientifique forte et indépendante, une
prise en compte systématique du principe de précaution, une indépendance par
rapport aux intérêts économiques sectoriels, enfin, une transparence dans la
décision.
Nous aboutissons aujourd'hui à une réorganisation importante de la sécurité
sanitaire. Je ne sais pas, monsieur le rapporteur, s'il s'agit là de
l'événement le plus important depuis la création du ministère de la santé, mais
c'est un événement important, et cette réorganisation renforce la position de
la France en Europe.
La nouvelle organisation repose, d'une part, sur la création d'un Institut de
veille sanitaire chargé de la surveillance de l'état de santé de la population
face aux différents risques et celle d'une Agence de sécurité sanitaire des
produits de santé disposant de l'ensemble des compétences en matière de police
sanitaire pour l'ensemble des produits à finalité sanitaire, d'autre part, sur
le renforcement des moyens d'expertise vis-à-vis des risques alimentaires.
L'expertise sera regroupée dans une Agence de sécurité sanitaire des aliments
avec l'Agence du médicament vétérinaire et le Centre national d'études
vétérinaires et alimentaires, le CNEVA. Ce dernier conserve l'ensemble de ses
missions d'expertise et de recherche, d'appui technique et scientifique.
Il sera procédé à la mise en place d'un comité national de sécurité sanitaire
qui sera chargé de veiller à la coordination et à la convergence des actions
vers la protection de la santé de l'homme.
Enfin, une réforme importante de la transfusion sanguine vient parachever la
loi de 1993. Deux principes fondamentaux la définissent.
La séparation des compétences relatives à la sécurité des produits, qui
relèvent de l'Agence de sécurité sanitaire des produits de santé, de celles qui
sont liées aux activités de collecte, de préparation et de distribution des
produits sanguins labiles est effective. Cette nouvelle répartition des rôles
ne doit pas distendre les liens qui se sont tissés entre donneurs, dont il faut
toujours saluer l'efficacité - service public transfusionnel et établissements
de santé - mais, au contraire, renforcer les responsabilités de chacun.
Le regroupement des activités de collecte, de préparation et de distribution,
actuellement assurées par les différents établissements de transfusion
sanguine, est opéré sous la responsabilité d'un opérateur unique, au sein d'un
établissement public national : l'Etablissement français du sang.
Nous savons bien que ce regroupement nécessaire sera difficile. Nous en
percevons déjà les premières difficultés, notamment quant au personnel. Nous y
serons très attentifs.
Grâce au dispositif que nous mettons en place aujourd'hui, les nombreux
produits à destinée sanitaire demeurés à ce jour sans statut ou insuffisamment
encadrés, ainsi que ceux vis-à-vis desquels les responsabilités n'étaient pas
définies de façon suffisamment claire, relèveront désormais de la même autorité
de police sanitaire, quelle que soit leur variété. Je pense, par exemple, aux
réactifs de laboratoire, aux produits thérapeutiques annexes, aux préparations
hospitalières, aux aliments diététiques destinés à des fins médicales
spéciales, aux produits d'origine biologique - produits sanguins labiles,
organes, tissus, cellules d'origine humaine et xénogreffes - ou aux
cosmétiques. Vous le voyez, sans être exhaustive, la liste est longue des
produits sur lesquels nous nous sommes arrêtés.
Pour chacun d'entre eux, nous avons cherché à définir le meilleur dispositif
d'encadrement possible, le niveau d'exigence le plus adapté à leurs bonne
utilisation, notamment lors de leur mise sur le marché, avec une préoccupation
constante, une démarche prioritaire : la protection de la santé de l'homme.
La vocation de ces produits est d'améliorer directement ou indirectement
l'état de santé de nos concitoyens. Les risques qu'ils leur font courir doivent
être régulièrement évalués au regard de leurs effets bénéfiques.
Je voudrais m'arrêter quelques instants sur les dispositifs médicaux, car
notre approche et nos décisions les concernant n'ont pas toujours été bien
comprises par nos partenaires européens.
Nous souhaitons notamment instaurer deux mesures propres à renforcer la
sécurité sanitaire des dispositifs médicaux : d'une part, en posant le principe
d'une déclaration des dispositifs médicaux revêtus du marquage CE dont la
conception ou la fabrication pourraient être à l'origine de risques sanitaires
particuliers avant leur mise sur le marché français ; d'autre part, en
prévoyant la création d'un délai de
statu quo
de trois mois au maximum
entre la déclaration par le fabricant auprès de l'autorité compétente -
c'est-à-dire l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé -
et la mise effective sur le marché des produits concernés.
Ces dispositions ne visent pas à introduire une nouvelle procédure
d'autorisation de mise sur le marché qui ferait double emploi avec le marquage
CE et serait contraire aux règles du droit communautaire concernant la libre
circulation des produits.
Elles doivent s'interpréter, comme l'a souligné la Commission européenne dans
les observations qu'elle a fait parvenir à la France dans le cadre de la
procédure de consultation prévue par la directive 83-189, comme une application
du principe de précaution. Elles doivent permettre aux autorités françaises de
disposer des éléments techniques offrant la possibilité d'apprécier la
conformité du produit aux règles de sécurité et le respect des procédures en
vigueur. Elles ne doivent s'appliquer qu'à des produits ou groupes de produits
pour lesquels des risques sanitaires ont été identifiés, et jusqu'à la
correction de ces facteurs de risques.
Un récent événement, concernant des automates chargés, dans les centres
nationaux de transfusion sanguine, de tester les produits du sang, nous a bien
montré qu'un certain nombre de dispositions pourraient être prévues alors
qu'elles ne l'étaient pas. Si nous avions pu disposer de ces notifications
trois mois avant leur mise sur le marché, peut-être l'aurions-nous
découvert.
La proposition ne contient en elle-même aucune disposition qui modifie la
procédure applicable pour la mise sur le marché des dispositifs médicaux ni ne
définit de règles techniques. Elle se contente de permettre au pouvoir
réglementaire de définir des produits pour lesquels des risques ont été
identifiés et vis-à-vis desquels un délai de trois mois pourrait être
appliqué.
La proposition de loi n'apparaît pas contraire à l'article 30 du traité de
Rome, qui interdit les restrictions quantitatives à l'importation entre les
Etats membres. En effet, elle ne comporte pas de restriction à l'introduction
des dispositifs médicaux en France et s'applique à tous les dispositifs marqués
CE concernés, quel que soit l'organisme notifié qui a délivré le certificat de
conformité. Elle n'introduit donc pas de discrimination en fonction de
l'origine nationale du dispositif.
Les dispositions prévues ne constituent pas plus, à nos yeux, des entraves à
la mise sur le marché ou à la mise en service des dispositifs revêtus du
marquage CE. Elle permettront, le cas échéant, de prendre, dans le cadre des
clauses de sauvegarde prévues par l'article 36 du traité de Rome, des mesures
d'interdiction ou de restriction d'utilisation s'il y a risque pour la santé ou
la sécurité des patients, des utilisateurs ou des tiers. En revanche, elles ne
permettent pas de retarder la mise sur le marché des dispositifs marqués CE. La
mise sur le marché des dispositifs continuera à s'effectuer dans les conditions
prévues par les textes communautaires.
Le travail effectué par la commission mixte paritaire a porté principalement
sur les missions, les compétences et les moyens de la future agence de sécurité
alimentaire.
Je me félicite, tout comme le M. le rapporteur, que les points de vue de
l'Assemblée nationale et du Sénat se soient rapprochés, notamment en matière
d'inspection et de contrôle, et que vous vous soyez attachés à ce que l'agence
soit impliquée dans l'élaboration de l'ensemble des projets de dispositions
législatives ou réglementaires relatives au vaste champ de la sécurité
sanitaire des aliments.
Le texte que vous êtes appelés à voter aujourd'hui, mesdames, messieurs les
sénateurs, sera examiné par l'Assemblée nationale avant la fin du mois de
juin.
En conclusion, je voudrais remercier chaleureusement tous ceux qui ont pris
part à l'élaboration de ce texte, en particulier M. Huriet, bien sûr, mais
aussi M. Autain, Mme Borvo et d'autres.
Le chantier de la sécurité sanitaire, auquel, vous le savez, je suis
profondément attaché, nécessite une constante détermination, car ce chantier ne
sera jamais clos. Nous avons, par exemple, évoqué le vaste domaine des
relations entre santé et environnement ; nous y reviendrons sûrement.
Le travail réalisé au Parlement, notamment grâce à vous, va permettre de faire
progresser l'organisation de la sécurité sanitaire dans notre pays. En cela, il
répond aux légitimes attentes de nos concitoyens. Je tiens à souligner que j'ai
personnellement retiré un grand bénéfice des débats chaleureux que nous avons
eus, même s'ils furent parfois difficiles.
Nous savons bien que la sécurité sanitaire sera de plus en plus grande mais
que nous ne ferons pas, pour autant, complètement disparaître le risque, et il
faut, à bien des égards, se féliciter qu'il en soit ainsi. Tous les jours, nous
trouvons dans la presse de quoi nous alarmer. Il y aura d'autres alarmes. Les
dispositifs que nous avons élaborés nous permettront de mieux y faire face et,
grâce à vous, nos concitoyens se sentiront, en ce domaine, mieux protégés.
(Applaudissements.)
M. le président.
Personne ne demande la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Je rappelle qu'en application de l'article 42, alinéa 12, du règlement, d'une
part, aucun amendement n'est recevable, sauf accord du Gouvernement, d'autre
part, étant appelé à se prononcer avant l'Assemblée nationale, le Sénat statue
sur les amendements puis, par un seul vote, sur l'ensemble du texte.
En l'occurrence, je ne suis saisi d'aucun amendement.
Je donne lecture du texte de la commission mixte paritaire :