Séance du 4 juin 1998
INTERDICTION ET ÉLIMINATION
DES MINES ANTIPERSONNEL
Adoption d'un projet de loi et d'une proposition de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion :
- du projet de loi (n° 424, 1997-1998), autorisant la ratification de la
convention sur l'interdiction de l'emploi, du stockage, de la production et du
transfert des mines antipersonnel et sur leur destruction [Rapport n° 454
(1997-1998)] ;
- de la proposition de loi (n° 410, 1997-1998), adoptée par l'Assemblée
nationale, tendant à l'élimination des mines antipersonnel [Rapport n° 451
(1997-1998)].
La conférence des présidents a décidé qu'il sera procédé à une discussion
générale commune de ces deux textes.
Dans la discussion générale commune, la parole est à M. le ministre.
M. Alain Richard,
ministre de la défense.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les
sénateurs, la question qui nous réunit aujourd'hui revêt, aux yeux
duGouvernement, une grande importance - vous vous en doutez - et nous sommes
heureux qu'elle soit traitée, dans le cadre du dialogue législatif, avec
méthode et détermination.
Les mines antipersonnel constituent un fléau qui tue ou mutile chaque année
plus de 20 000 personnes dans le monde, civils, femmes et enfants. La
dissémination de ces armes, qui continuent à frapper leurs victimes bien
longtemps après la fin des conflits, entraîne des tragédies et des
perturbations socio-économiques profondes dans les pays où elles ont été
massivement utilisées.
N'oublions pas que le déminage de notre pays, en 1945, a pu être considéré
comme le dernier acte de la Seconde Guerre mondiale en France. De 1944 à 1947,
484 démineurs ont été tués sur le sol français et 809 autres blessés, tandis
que, dans les rangs des prisonniers de guerre, les victimes se comptaient par
milliers.
Depuis un demi-siècle, l'utilisation des mines a connu un développement
amplifié, tant par la variété des modèles employés que par la quantité posée
sur le terrain. Tous les belligérants les ont utilisées pour mettre hors de
combat les personnels, les véhicules, les navires, et ce sur tous les
fronts.
Les mines antipersonnel terrestres ont été utilisées de façon de plus en plus
anarchique ces dernières années dans le but non dissimulé de terroriser les
populations et de désorganiser des régions entières. Le largage à distance par
avion, par hélicoptère ou encore la projection par artillerie se sont
multipliés. Au total, plusieurs dizaines de millions de ces armes ont été
disséminées sans que leur utilisation s'accompagne de marquages ou de plans de
pose rigoureux.
Chaque jour, des victimes sont à déplorer dans les pays en guerre ou qui
étaient antérieurement en guerre, mais aussi du fait d'explosions inopinées ou
de manipulations imprudentes.
Dans ce contexte, l'ancien secrétaire général des Nations unies, M. Boutros
Boutros-Ghali, a eu raison de parler de « désastre humanitaire ».
Dans soixante-dix pays, quelque 110 millions de mines antipersonnel sont
enfouies - d'après les statistiques approximatives dont nous disposons - et
demeurent actives longtemps après la fin du conflit qui a entraîné leur pose.
En France, ces engins provoquaient encore le décès de onze personnes en 1990 et
en 1991.
Tous les continents ont été touchés par ce fléau, de l'Angola à l'Afghanistan,
en passant par le Tchad, le Cambodge et, plus près de nous en Europe balkanique
: trois millions de mines antipersonnel seraient encore enfouies en
Bosnie-Herzégovine, et autant en Croatie.
Certes, les conflits laissent sur leurs théâtres d'affrontements des millions
de mines enfouies et davantage encore de bombes, d'obus, percutés ou non et
souvent très sensibles, sans compter les munitions abandonnées,
individuellement ou en stock.
Mais, chaque mois, les mines antipersonnel terrestres causent à elles seules
la mort de 800 personnes et la mutilation de 2 000 autres.
Lorsqu'ils survivent, les blessés victimes de l'explosion d'une mine
antipersonnel sont atteints de lésions graves, multiples, durables, nécessitant
en général des interventions chirurgicales répétées, une longue période de
rééducation et des appareillages performants. Or, malheureusement, la plupart
des atteintes dues aux mines se produisent dans des pays pauvres ou
désorganisés, qui ont des capacités limitées en matière de soins médicaux et de
services de rééducation. Pour les blessés, il est donc très souvent impossible
de bénéficier du traitement et des soins requis.
Toutefois, je voudrais devant vous me féliciter des partenariats qui se
développent entre les centres d'appareillage que l'histoire nous a imposé de
développer pour nos victimes et les organisations humanitaires. Le partenariat
qui existe ainsi entre le secrétariat d'Etat aux anciens combattants, le centre
d'études et de recherche sur l'appareillage des handicapés, le CERAH, à Metz,
et Handicap international est exemplaire. Il permettra au plus grand nombre de
bénéficier de ce qu'il faut bien appeler notre savoir-faire et notre
expérience.
Outre les ravages que les mines antipersonnel provoquent sur les personnes,
elles entraînent également de graves conséquences sur le plan économique et
social pour les Etats, en particulier les plus démunis d'entre eux. La présence
de mines antipersonnel rend inutilisables de vastes portions de territoires.
Souvenons-nous que, en 1945, 500 000 hectares avaient dû être classés zone
dangereuse en France métropolitaine !
Les travaux de déminage sont longs, dangereux, coûteux et complexes, sans
commune mesure avec la simplicité d'emploi des mines. Le développement des
technologies de détection et de neutralisation des mines en série demeure
insatisfaisant. Des efforts dans ce secteur devront être consentis car,
aujourd'hui, déminer suppose recourrir à des opérations manuelles, lentes et
périlleuses.
Les militaires français, qui, de longue date, ont développé une expertise très
poussée dans cette technique, y ont consacré énormément d'efforts et de
dévouement. Malgré toutes les mesures de sécurité dont je peux personnellement
vérifier la rigueur - huit militaires ont trouvé la mort et quatre-vingt-sept
ont été blessés depuis le début de cette décennie. Nous pouvons penser
particulièrement à eux et à leurs familles en cet instant où notre législation
évolue positivement.
Mesdames, messieurs les sénateurs, face à la situation que je viens de
décrire, la France a marqué de façon résolue son engagement, tant au plan
national que sur la scène internationale, à lutter contre ce fléau. Elle a été
l'un des tout premiers Etats à donner l'exemple et n'a cessé, au cours de ces
dernières années, de prendre des initiatives en ce sens.
A titre unilatéral, plusieurs décisions ont marqué notre volonté d'oeuvrer en
faveur de l'élimination des mines antipersonnel.
Il est tout d'abord apparu à notre pays que la dissémination de ces engins à
travers le monde et aux mains d'Etats irresponsables, voire de bandes armées ou
de mouvements insurrectionnels, était un élément important de danger. Réduire
la disponibilité et la circulation de ces engins apparaît indispensable.
C'est à cette fin que la France a adopté, en février 1993, un moratoire absolu
et illimité dans le temps sur l'exportation de toutes les mines antipersonnel.
C'est, ensuite, sous la présidence de la France que l'Union européenne a adopté
un moratoire sur l'exportation qui concerne la totalité de l'Union. En outre,
notre pays, qui n'a pas exporté ces engins depuis plus de quinze ans, a décidé,
en septembre 1995, d'appliquer un moratoire, là encore absolu et illimité dans
le temps, sur la production des mines antipersonnel dans son industrie de
défense.
A la même date, la France a annoncé son engagement de réduire progressivement,
par destruction totale, son stock national de mines antipersonnel. Les
opérations de destruction ont débuté en septembre 1996 et ont été réalisées,
jusqu'à présent, par les établissements spécialisés de l'armée de terre. A ce
jour, environ 50 000 mines ont été ainsi détruites.
Nous accélérons maintenant le rythme des opérations de destruction : un appel
d'offres public a été lancé à la fin du mois d'octobre 1997 afin
d'industrialiser la destruction de ces armes ; une lettre de notification de
marché a été adressée en mars dernier aux trois entreprises qui ont été
qualifiées pour ces opérations. Dans le cadre de ce marché, la moitié du stock
français - soit plusieurs centaines de milliers de mines - sera détruite d'ici
à la fin de cette année ; les opérations se poursuivront en 1999 pour se clore
soit à la fin de l'année 1999, soit, au plus tard, au début de l'année 2000 ;
la France aura détruit la totalité de ses mines antipersonnel en l'an 2000,
bien avant le terme fixé par la convention dont nous allons débattre. Je crois
qu'il faut s'en réjouir.
De plus, sur le plan opérationnel, la France n'emploie plus, depuis plusieurs
années, de mines antipersonnel.
Cette doctrine de non-emploi, je le rappelle, ne comporte aucune exception
géographique et s'applique à toutes les catégories de mines antipersonnel. En
juin 1997, nous avons annoncé que nous renoncerions définitivement et sans
exception à toute forme d'emploi des mines antipersonnel dès l'entrée en
vigueur d'un traité efficace et, unilatéralement, au plus tard à la fin de
l'année 1999. C'est ce que, au nom du Gouvernemment, je vous propose d'inscrire
dans notre législation aujourd'hui.
Dans le domaine diplomatique, la France a pris activement part à toutes les
négociations engagées sur la question des mines antipersonnel. En vous
proposant aujourd'hui de ratifier la convention d'Ottawa, le Gouvernement vous
invite à franchir une nouvelle étape importante.
En 1993, le président François Mitterrand a demandé la révision du protocole
II annexé à la convention de 1980 sur certaines armes classiques. En mai 1996,
nous avons signé la version révisée du protocole II qui réglemente et limite
l'emploi des mines antipersonnel, dans les conflits internationaux comme dans
les conflits internes.
La ratification de ce texte a été approuvée par le Sénat le 24 juin 1997 et
sera complétée par le vote de l'Assemblée nationale d'ici à la fin de la
présente session.
Le mouvement en faveur d'une interdiction des mines antipersonnel n'a alors
plus cessé de prendre de l'ampleur sur la scène internationale, et nous devons
nous en réjouir. De même, il faut se féliciter du rôle des organisations non
gouvernementales, en premier lieu de Handicap International, mais également de
la sensibilisation de nos associations d'anciens combattants, dans toute leur
diversité.
Sur la scène internationale, la conférence diplomatique d'Oslo de septembre
1997 a permis d'achever, enfin, l'élaboration du texte de la convention
d'Ottawa. La France a, tout au long des négociations, participéactivement à
l'élaboration de ce document international et a souligné son attachement à
l'adoption d'une norme d'interdiction totale, sans exception ni ambiguïté.
Cette convention que j'ai l'honneur de vous présenter définit une norme
d'interdiction totale. Son article 1er prohibe l'emploi, la mise au point, la
production, l'acquisition, le stockage, la conservation et le transfert des
mines antipersonnel. Il interdit également d'assister, d'encourager ou
d'inciter de quelque manière quiconque à s'engager dans cette activité. Les
stocks existants devront être détruits dès que possible, et au plus tard quatre
ans après l'entrée en vigueur de cette convention.
En prohibant la production, le stockage, le transfert et l'emploi des mines
antipersonnel, la convention d'Ottawa contribue de manière importante à enrayer
la dissémination de ces engins.
Toutefois, aussi longtemps que les millions de mines antipersonnel mises en
place sur le terrain n'auront pas été enlevées et détruites, elles continueront
à faire courir de graves dangers aux populations. La convention tente donc
également de répondre à cette préoccupation majeure en imposant à chaque Etat
partie la disparition des zones minées sous sa juridiction ou sous son
contrôle.
Sur notre sol, des mines antipersonnel n'ont été mises en place que pour la
protection de la base aérienne 126 de Solenzara, en Corse. Ces mines ont été
disposées en 1978 après un attentat contre les installations radar et alors que
les menaces d'autres agressions planaient sur nos sites militaires dans
l'île.
Toutefois, les mines ont été disposées selon un plan de pose rigoureux : pose
entre double grillage de sécurité, marquage parfaitement reconnaissable et
durable, inspection régulière par du personnel militaire. Ces précautions sont
telles qu'une pénétration involontaire dans la zone est absolument impossible.
Le retrait des mines est en cours et sera achevé d'ici à la fin de cette année,
étant entendu que des moyens de protection non mortels, indispensables à la
protection de cette installation, sur laquelle continuent à peser certaines
tensions, seront mis en place.
Nous savons que certains Etats particulièrement affectés auront, en
comparaison de l'effort limité de la France, d'énormes difficultés à procéder
dans un délai de dix ans à la destruction de toutes les mines antipersonnel qui
sont sur leur sol. Cette réalité doit nous inciter à nous engager dans des
coopérations élargies, avec une recherche d'efficacité maximale.
Outre le déminage, l'un des grands défis que doit relever la communauté
internationale est de déterminer la meilleure façon de répondre aux besoins des
victimes de ces mines. A cette fin, la convention prévoit que chaque Etat
partie qui est en mesure de le faire devra fournir une assistance pour les
soins aux victimes des explosions de mines, pour leur réadaptation ainsi que
pour leur réintégration sociale et économique.
Le service de santé de nos armées apportera, pour ce qui concerne la France,
toute sa compétence à ces efforts. De surcroît, une réflexion
interministérielle s'est engagée, dont les conclusions seront présentées
prochainement au Gouvernement.
Par ailleurs, un mécanisme de vérification du respect des dispositions de la
convention a été prévu, à la demande, notamment, de la France. En effet, pour
le Gouvernement, les dispositions relatives à la transparence et à la
vérification revêtent une importance particulière.
La vérification est un élément essentiel à la maîtrise des armements. Elle a,
en l'occurrence, pour objet de renforcer la sécurité de l'ensemble des Etats
parties à un traité en accroissant la confiance que peut avoir chacun dans le
respect, par tous, de leurs engagements. De plus, les mesures de vérification
dissuadent ceux qui seraient tentés de violer les dispositions du traité et
constituent la base à partir de laquelle les cas de violation sont définis et
les mesures de redressement prises.
Les négociateurs de la convention d'Ottawa ont donc introduit un système
complet de transparence, de règlement des différends et de vérification qui, à
nos yeux, concourra efficacement à l'autorité des nouvelles règles
internationales et au développement de la confiance entre tous les Etats qui y
adhèrent.
A cette fin, chaque Etat partie doit présenter au secrétaire général des
Nations unies un rapport annuel sur les mesures qu'il a prises pour respecter
les dispositions de la convention. La France prépare un premier rapport qui
sera transmis cet été à New York.
Enfin, la convention d'Ottawa prévoit le recours à une procédure d'enquête si
l'un des Etats parties soupçonne un autre Etat partie de ne pas avoir respecté
les dispositions de ladite convention.
La convention d'Ottawa marque donc une étape déterminante sur la voie de
l'élimination des mines antipersonnel.
La loi autorisant la ratification de cette convention, sur laquelle vous êtes
appelés à vous prononcer aujourd'hui, mesdames, messieurs les sénateurs, fera
de la France l'un des premiers Etats parties, et le premier Etat membre du
Conseil de sécurité, à adhérer à cette norme. Cela marquera avec force et
détermination notre volonté d'aboutir à une interdiction totale et universelle
des mines antipersonnel.
D'autres combats restent néanmoins à mener. La dynamique instaurée par cette
convention doit être maintenue. La France se joindra, tout d'abord, à tous les
efforts qui seront entrepris en vue de promouvoir l'universalisation de la
convention d'Ottawa. Nous continuerons à militer en faveur de l'ouverture
rapide de négociations sur les mines antipersonnel à la conférence du
désarmement. En effet, une action dans cette enceinte, qui compte parmi ses
membres je dirai non pas les principaux opposants, mais ceux qui sont les plus
réticents à la convention d'Ottawa, peut permettre d'obtenir de ces Etats un
engagement sur des objectifs, dans un premier temps, plus modestes.
A cet égard, un accord sur l'interdiction des transferts, des cessions de
mines, pourrait être, de notre point de vue, un premier objectif réaliste et
utile. Il assécherait les marchés d'approvisionnement de certains gouvernements
et des groupements non étatiques qui sont tentés d'en acheter.
Les suites de la convention d'Ottawa devront aussi se traduire par une action
concrète en faveur du déminage et en direction des victimes.
Le Gouvernement a annoncé, lors de la conférence d'Ottawa, en décembre
dernier, son plan d'action contre les mines antipersonnel, dont je vous
rappelle les principales dispositions. Six objectifs guideront, dans les années
à venir, l'action de la France.
L'effort financier consenti par notre pays sera poursuivi et intensifié autant
que possible. Près de 120 millions de francs ont été consacrés, depuis 1994, à
des actions de déminage ou d'assistance aux victimes. Cet effort sera poursuivi
dans les années à venir, notamment dans le cadre de nos contributions aux
programmes européens.
La coordination de notre action contre les mines doit être renforcée afin d'en
accroître l'efficacité.
A l'échelon national, un comité interministériel est chargé de coordonner
l'action des différents intervenants français dans ce domaine. Nous opérons
dans les organismes publics chargés du déminage les efforts de rationalisation
nécessaires et nous soutenons le développement d'entreprises spécialisées
présentant toutes les garanties souhaitables pour relayer notre action publique
et pour valoriser les savoir-faire acquis par les personnels français.
De même, à l'échelle européenne, nous souhaitons la désignation rapide d'un
coordinateur communautaire supervisant l'ensemble des programmes de déminage et
d'assistance aux victimes mis en oeuvre par l'Union européenne.
Notre action en matière de formation au déminage sera aussi substantiellement
renforcée. Nous pouvons, à cet égard, tirer partie de l'expérience et de la
grande compétence de nos armées dans le domaine de l'enlèvement des explosifs.
A cette fin, le ministère de la défense ouvrira plus largement à des stagiaires
étrangers, y compris à des organisations non gouvernementales, les portes de
l'école supérieure et d'application du génie d'Angers, qui est, comme vous le
savez, mesdames, messieurs les sénateurs, notre lieu principal de formation en
la matière. Je rencontrerai prochainement les partenaires du monde associatif
pour définir avec eux les modalités de mise en oeuvre de ce programme.
Nous devons, également, pour guider l'effort international et en accroître
l'efficacité, constituer un état des lieux précis de la situation des zones
minées dans le monde. Nous encourageons donc la mise en place rapide d'une
banque de données mondiale, qui pourrait être placée sous l'égide du
secrétariat général des Nations unies, et nous accompagnons les efforts de nos
partenaires helvétiques dans la mise en place d'un centre international. La
France apportera son concours actif à ces initiatives, en communiquant,
notamment, les données qui sont détenues par son centre d'expertise sur les
mines de l'école d'Angers.
Notre politique reste délibérément orientée vers le déminage de proximité. Une
telle ambition impose que s'établisse un dialogue beaucoup plus étroit entre
l'ensemble des acteurs engagés dans le déminage et l'assistance aux victimes.
Notre action sera, avant tout, régie par la volonté de développer un
partenariat renforcé avec les gouvernements des principaux pays concernés,
d'une part, et avec les organisations non gouvernementales, d'autre part.
Pour ce faire, nous nous attacherons à apporter aux gouvernements une
assistance systématique dans la mise en place de plans nationaux de déminage
ainsi que de structures plus locales permettant d'assurer le suivi et la
pérennité des opérations.
Nous renforcerons, en outre, notre collaboration avec les organisations non
gouvernementales, notamment avec Handicap international.
Nous chercherons, par ce biais, à créer sur le territoire même des principaux
Etats concernés des ateliers de travail réunissant les acteurs praticiens du
terrain, institutionnels et non gouvernementaux.
Par ailleurs, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la
bonne application de la convention d'Ottawa suppose que la France adopte, sur
le plan interne, un certain nombre de dispositions législatives. C'est la
raison pour laquelle le projet de loi de ratification de la convention et la
proposition de loi transcrivant ses dispositions en droit interne sont l'objet
commun de votre débat d'aujourd'hui.
La tâche législative, pour ce qui la concerne, consiste d'abord, puisqu'il y
aura des conséquences pénales, à définir les actes déclarés interdits. Devront
ainsi être définis la mise au point, la fabrication, l'acquisition, le
stockage, la conservation, la cession, l'importation, l'exportation, le
transfert et l'emploi des mines antipersonnel.
Seules deux exceptions à l'interdiction totale, énoncées par la convention
d'Ottawa, ont été prévues et définies de manière très limitative dans la
proposition de loi.
Il s'agit, tout d'abord, d'une exception à l'interdiction de stockage et de
transfert, qui est justifiée par le maintien d'un stock pour la mise au point
de techniques de détection des mines, de techniques de déminage ou de
destruction et pour la formation à ces différentes techniques.
Cette disposition d'exception permettra à la France de conserver son avance
dans la poursuite des études nécessaires en matière de recherche et de
développement de technologies et de matériels de déminage, ainsi que de
consolider la formation de ses démineurs, notamment ses équipes cynophiles.
Dans ce cadre, le Gouvernement souhaite conserver un stock de 5 000 mines
antipersonnel. La convention d'Ottawa ne fixe pas expressément le nombre de
mines dont la détention reste autorisée. Elle prévoit simplement que le nombre
de ces mines ne doit pas excéder le minimum absolument nécessaire aux fins de
mise au point des techniques de détection, de déminage ou de destruction des
mines et pour la formation à ces techniques.
Les Etats ayant participé aux négociations de la convention d'Ottawa se sont
en effet refusé à fixer arbitrairement un chiffre pour ces mines. Il était
toutefois entendu par tous que ce chiffre devait se limiter à quelques
milliers. Le chiffre de 5 000 retenu par la France correspond donc à nos
besoins techniques tout en étant conforme à l'esprit des négociations de la
convention d'Ottawa. Nos partenaires les plus proches ont adopté des positions
similaires.
La deuxième exception permettra de transférer ou de stocker des mines
antipersonnel à des fins de destruction. Cette disposition sera
particulièrement utile aux Etats qui, à la différence de la France, ne
disposent pas de personnels formés et d'installations adaptées. Ainsi, les
Pays-Bas ont confié, en 1997, la destruction de leur stock de mines
antipersonnel à l'Allemagne et à la France.
La future loi doit également prévoir des sanctions pénales rigoureuses tant à
l'égard des personnes physiques que des personnes morales qui la
violeraient.
Une commission nationale pour l'élimination des mines antipersonnel,
réunissant l'ensemble des partenaires - administration, Parlement, associations
à vocation humanitaire, personnalités qualifiées - assurera le contrôle de
l'application de la loi et veillera à l'action internationale de la France en
matière d'assistance aux victimes.
La loi doit également transcrire en droit interne toutes les dispositions
relatives à la transparence et à la vérification qui confèrent des prérogatives
d'exception à des autorités internationales et prévoir, en particulier, les
prescriptions relatives à l'accueil en France des missions dites
d'établissement des faits, c'est-à-dire des missions d'enquête préalable.
Enfin, pour achever la mise en conformité du dispositif de défense avec nos
engagements, il convient de prévoir un délai de quelques mois pour l'entrée en
vigueur des dispositions législatives appliquant la convention en droit
interne.
Telles sont les principales observations que je souhaitais faire devant le
Sénat dans la discussion générale.
Je remercie les membres de la commission des affaires étrangères, de la
défense et des forces armées pour le travail constructif qu'ils ont accompli,
en particulier son rapporteur, M. Goulet, et son président, M. de Villepin. Je
remercie également tous les parlementaires qui, forts de leurs valeurs
humanistes, ont joué un rôle dynamique dans cette action.
Ces textes nous permettront de porter un coup décisif dans la lutte contre ce
fléau, lutte dans laquelle la France aura gardé de bout en bout sa place
exemplaire.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Daniel Goulet,
rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des
forces armées.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers
collègues, avec la convention d'Ottawa, d'une part, et le texte destiné à
permettre sa pleine et entière application dans le droit français, d'autre
part, le Sénat participe aujourd'hui à une étape très importante dans le combat
humanitaire contre les mines antipersonnel.
Les mines antipersonnel ne sont pas des armes de destruction massive et elles
n'ont occupé jusqu'à présent qu'une place marginale dans les questions de
désarmement. Elles ont pourtant causé des méfaits sans commune mesure avec les
justifications avancées pour leur usage militaire, et c'est à juste titre que
le précédent secrétaire général des Nations unies a pu parler, à leur propos,
de « désastre humanitaire ».
Produites en grande quantité et à faible coût, ces armes ont été massivement
utilisées au cours des trente dernières années, dans des guerres civiles et
dans des conflits classiques, tant par des troupes régulières que par des
factions armées. Détournées de leur finalité strictement militaire, elles ont
été disséminées sur de vastes zones. Au mépris des principes fondamentaux du
droit international humanitaire, elles frappent indistinctement combattants et
populations civiles, l'on peut même dire plus fortement encore les civils, en
premier lieu les enfants. Elles continuent à tuer ou blesser des années après
la fin des hostilités et maintiennent dans les pays concernés une sorte d'état
de guerre en temps de paix.
Quelques chiffres émanant de l'ONU montrent l'ampleur du problème : en 1995,
110 millions de mines antipersonnel étaient enfouies dans le sol de 64 pays, et
leur nombre augmenterait de 2 millions d'unités par an ; chaque mois, 800
personnes seraient tuées et 1 000 à 1 500 autres mutilées par les mines
antipersonnel ; enfin, le coût d'enlèvement d'une seule mine varie de 300 à 1
000 dollars, ce qui donne une idée du défi que représente le déminage.
Il était donc légitime que la communauté internationale tente d'élaborer des
instruments juridiques à la mesure de ce fléau. Tel est l'objet de la
convention adoptée à Ottawa en décembre 1997, pour l'interdiction de l'emploi,
du stockage, de la production et du transfert des mines antipersonnel et pour
leur destruction.
La convention d'Ottawa est un texte simple, clair, dépourvu d'ambiguïté.
Premièrement, elle interdit l'emploi, la mise au point, la production,
l'acquisition, le stockage, la conservation et le transfert des mines
antipersonnel.
Deuxièmement, elle oblige les signataires à détruire leurs stocks de mines
antipersonnel dans un délai de quatre ans.
Troisièmement, elle limite très strictement les exceptions, pour des besoins
très précis : la formation des démineurs et la mise au point de matériels de
déminage ou de destruction.
Quatrièmement, elle prévoit des mesures de transparence et surtout un régime
international de vérification, inspiré de celui qui est établi par la
convention d'interdiction des armes chimiques.
Enfin, elle invite les parties à renforcer la coopération internationale dans
le domaine du déminage et de l'aide aux victimes.
La commission des affaires étrangères et de la défense a émis un avis
favorable à l'adoption de cette convention et, bien entendu, de son texte
d'application interne. Je voudrais, en son nom, formuler trois séries
d'observations.
Tout d'abord, cette convention constitue une relance très significative du
processus international sur les mines antipersonnel, qui semblait quelque peu
enlisé après la révision décevante, en 1996, du protocole II, relatif aux
mines, de la convention de Genève sur les armes classiques.
Lors de l'examen de ce texte au Sénat, en juin 1997, nous avions souligné
combien les améliorations qu'il apportait étaient minces au regard de l'ampleur
du problème des mines antipersonnel. Aux côtés de quelques avancées témoignant
du souci d'enrayer les dérives les plus criantes de l'utilisation des mines, ce
texte souffre de graves insuffisances, telles que la durée de la période
transitoire ou l'absence de mécanisme de vérification.
Par rapport au protocole II, qui représente en quelque sorte les règles
minimales sur lesquelles la communauté internationale est parvenue à établir un
consensus, la convention d'Ottawa représente à la fois un changement de degré
et un changement de nature : un changement de degré, car elle édicte la
contrainte maximale, c'est-à-dire l'interdiction totale ; mais aussi un
changement de nature, car elle place les mines antipersonnel au ban de la
communauté internationale et les rend totalement incompatibles avec les
principes humanitaires.
Notre deuxième observation porte sur le rôle précurseur de la France, sous
divers gouvernements, dans le combat contre les mines antipersonnel.
On l'a vu, sur le plan diplomatique, lors de la révision du protocole II et
lors de la négociation de la convention d'Ottawa, la France a fermement défendu
l'intégrité du traité, face aux pays, et en premier lieu les Etats-Unis, qui
demandaient une longue période transitoire ou des exceptions géographiques.
Elle a milité avec succès pour un régime de vérification souple mais
efficace.
Sur le plan humanitaire, la France contribue activement à des programmes de
déminage et d'assistance aux victimes.
Sur le plan interne, la France a été l'un des premiers pays à prendre, à titre
unilatéral, des mesures significatives à l'encontre des mines antipersonnel.
C'est le cas, depuis plusieurs années, avec l'interdiction de l'exportation et
de la production des mines antipersonnel, à laquelle le projet de loi déposé au
Sénat en 1997 par le gouvernement Juppé devait donner force législative.
Il en va de même pour l'emploi des mines antipersonnel, qui ne revêtait plus
qu'un caractère exceptionnel et qui a toujours obéi, en tout état de cause, à
des règles extrêmement strictes de marquage des zones et de plan de pose, sans
aucune assimilation possible avec l'usage inconsidéré qui a causé tant de
ravages dans de nombreux pays.
La doctrine d'emploi, formalisée par le gouvernement Juppé en octobre 1996,
précisait que « la France renonçait à l'emploi des mines antipersonnel, sauf en
cas de nécessité absolue imposée par la protection de ses forces ».
Le ralliement de la France au processus d'Ottawa en juin 1997 a supprimé cette
ultime réserve et a permis d'annoncer un renoncement définitif à l'emploi des
mines antipersonnel dès l'entrée en vigueur d'un traité efficace, et au plus
tard à la fin de l'année 1999.
Ce renoncement aux mines antipersonnel ne fait, bien entendu, en rien
disparaître la nécessité de protéger nos forces lors des opérations. Il nous
paraît donc important que les armées soient rapidement dotées, en nombre
suffisant, du système MODER, qui assurera les mêmes fonctions d'alerte que les
mines antipersonnel mais, cette fois-ci, avec l'action positive d'un
opérateur.
La troisième observation de la commission tient à l'attitude de la communauté
internationale face à la convention d'Ottawa.
Nombre d'observateurs se sont réjouis de constater qu'une telle convention,
élaborée en à peine plus d'une année, ait pu rapidement réunir plus de cent
vingt adhésions.
C'est incontestablement un succès.
Mais on ne peut manquer d'être également impressionné par la liste des pays
qui n'ont pas signé la convention. On y trouve : les Etats-Unis, la Russie, la
Chine, l'Inde, le Pakistan, Israël, la Turquie, le Liban, la Syrie, l'Ukraine,
la Finlande, les trois Etats baltes, la Yougoslavie, Cuba, les deux Corées, le
Vietnam, l'Afghanistan et encore l'Egypte, l'Iran et l'Irak.
Les motivations de ces pays sont diverses. Elles tiennent parfois à des
considérations de sécurité nationale, parfois à des considérations financières,
ou à l'absence, dans l'immédiat, de matériels de substitution.
Quoi qu'il en soit, force est de reconnaître que, pour une très large majorité
des pays impliqués dans l'utilisation, la production ou l'exportation des mines
antipersonnel, la convention d'Ottawa n'aura aucune portée pratique, du moins à
court terme.
Cette situation appelle de notre part trois remarques.
Tout d'abord notre pays se situe bien à l'avant-garde de la communauté
internationale. Alors qu'il s'est toujours astreint à un emploi très
strictement contrôlé de ce type d'armes, il renonce définitivement à les
utiliser et il est contraint de mettre au point rapidement des moyens
palliatifs pour garantir si besoin la protection de nos forces. C'est un geste
politique fort, dont la portée mérite d'être appréciée à sa juste mesure.
Ensuite, il est clair que la lutte contre les effets dévastateurs des mines
antipersonnel ne s'arrête pas avec la convention d'Ottawa. Il est plus que
jamais nécessaire de relancer les négociations au sein de la conférence du
désarmement avec tous les pays qui n'ont pas adhéré à cette convention. La
recherche d'un accord universel d'interdiction des transferts de mines
antipersonnel, comme le propose la France, peut effectivement constituer un
objectif réaliste.
Enfin, si la convention d'Ottawa ne représente qu'une étape dans une oeuvre de
longue haleine, qui passe par la diplomatie mais aussi par l'entreprise de
déminage, son principal mérite est de constituer une norme de référence, la
seule finalement acceptable pour des armes qui ont produit des méfaits sans
commune mesure avec leur justification strictement militaire.
C'est sous le bénéfice de ces observations que la commission des affaires
étrangères, de la défense et des forces armées vous demande d'adopter le projet
de loi autorisant la ratification de cette convention d'Ottawa.
J'évoquerai maintenant brièvement le texte de droit interne qui doit inscrire
dans notre législation les mesures d'application de la convention.
En effet, la convention appelle plusieurs mesures nationales d'application, en
particulier des sanctions pénales et des précisions sur les missions
d'établissement des faits destinées à vérifier le respect de ses
dispositions.
Ces mesures figurent dans la proposition de loi adoptée par l'Assemblée
nationale avant même le dépôt au Parlement de la convention d'Ottawa. Nous nous
félicitons, pour notre part, de pouvoir examiner ce texte d'application après
la convention elle-même.
Lors de sa réunion du 27 mai, la commission a également joint à cet examen
celui de deux propositions de loi d'origine sénatoriale, déposées l'une par M.
Estier et les membres de son groupe, l'autre par Mme Beaudeau et les membres de
son groupe.
Le texte qui nous vient de l'Assemblée nationale comporte cinq séries de
dispositions.
Il inscrit dans la loi française le principe de l'interdiction de l'emploi, de
la fabrication, du stockage et du transfert des mines antipersonnel.
Il impose la destruction des stocks de mines antipersonnel d'ici à la fin de
l'an 2000, à l'exception d'un contingent maximal de 5 000 mines conservées pour
la formation des démineurs et la mise au point des matériels de déminage et de
destruction.
Il prévoit de lourdes sanctions pénales pour les contrevenants aux
interdictions précitées.
Il impose un régime de déclaration pour toutes les informations concernant la
détention des mines et la destruction des stocks.
Il précise les conditions de déroulement des missions d'établissement des
faits en confiant au juge un rôle de protection des droits de la personne et de
la propriété privée.
Les deux propositions de loi déposées par nos collègues allaient, avec un
certain nombre de variantes que j'ai signalées dans mon rapport écrit, dans un
sens tout à fait identique.
Considérant que le texte adopté à l'unanimité par l'Assemblée nationale se
bornait à appliquer dans le droit français la convention d'Ottawa, il a paru
évident à la commission que l'approbation de la convention devait entraîner
celle de la proposition de loi.
Dans cette optique, les amendements que propose la commission se limitent à
préciser le texte adopté par l'Assemblée nationale, avec le seul souci de
traduire aussi fidèlement que possible la lettre et l'esprit de la convention
d'Ottawa.
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées vous
propose donc d'adopter cette proposition de loi assortie de ces quelques
amendements.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. Huriet.
M. Claude Huriet.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me
souviens - c'était il y a huit ans - que, dans l'enceinte du Sénat, avait eu
lieu, sur l'initiative de Handicap international, une réunion d'information et
de sensibilisation, à laquelle j'avais eu l'avantage de participer ; cette
rencontre avait d'ailleurs été honorée par la visite de l'épouse du Président
de la République de l'époque.
Depuis, j'avais été amené à suivre de plus près l'action de Handicap
international à travers les publications qu'elle adresse régulièrement à nombre
d'entre nous. J'avais été frappé par les drames que les mines antipersonnel ont
déclenchés au fil du temps, par ces photos d'enfants amputés, gravement
mutilés, handicapés à vie, ajoutant ainsi au drame des populations atteintes
par des guerres, souvent des guerres civiles, affrontements fratricides.
Aussi, je veux d'abord rendre hommage aux victimes des mines antipersonnel, à
tous ceux qui ont payé de leur vie l'utilisation de cette arme aveugle et
dévastatrice, selon l'expression de M. le rapporteur. Je veux rendre hommage
également aux organisations non gouvernementales qui, dans l'évolution qui
aujourd'hui arrive presque à son terme, ont joué un rôle considérable de
sensibilisation et d'information, multipliant les démarches en direction des
parlementaires, dont nous recueillons aujourd'hui les fruits.
La Campagne internationale pour l'interdiction des mines antipersonnel a vu le
rôle éminent qu'elle a joué reconnu par l'attribution du prix Nobel de la paix.
Vous-même, monsieur le ministre, avez évoqué à l'instant dans votre propos
l'influence déterminante de l'action intelligente et persévérante de
l'association française Handicap international. Après avoir rendu ce double
hommage aux victimes et à ceux qui, face aux drames qui atteignent des hommes,
des femmes et des enfants, sont capables non seulement de générosité, de
dévouement, mais aussi d'imagination pour répondre, le mieux possible, par
exemple en concevant et en réalisant des prothèses, avec des moyens
rudimentaires, aux handicaps qui affligent définitivement ces populations, je
voudrais maintenant exprimer des sentiments de satisfaction.
Les actions engagées depuis sept à huit ans trouvent leur aboutissement à
travers la convention d'Ottawa, que vous-même, monsieur le ministre, et M. le
rapporteur venez de présenter.
Le rôle de la France a été souligné à juste titre. Notre pays a en effet été
l'un des premiers signataires de la convention d'Ottawa et, depuis quelques
années, il a mené des actions persévérantes, qui n'ont pas toujours été payées
de retour, qui n'ont pas toujours été comprises de nos interlocuteurs, en
faveur de l'interdiction des mines antipersonnel.
Ma satisfaction est néanmoins mitigée, car j'aurais souhaité, monsieur le
ministre, que les textes que nous soummes sur le point d'adopter expriment la
volonté de la France de mettre immédiatement en vigueur les dispositions de la
convention d'Ottawa.
Je ne sous-estime pas - ne souhaitant pas m'aventurer dans un domaine qui ne
m'est pas familier - les enjeux militaires que vous devez impérativement
prendre en considération. Mais l'affirmation de cette volonté aurait traduit
l'engagement très fort de notre pays, qui aurait été ainsi le premier à décider
de l'entrée en vigueur des dispositions de la convention.
L'autre réserve tient à la définition des mines antipersonnel.
Je sais qu'il y a discussion à ce propos et je m'attends à ce que la
commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées fasse
valoir des arguments face auxquels je serai, si vous me permettez d'employer
cette expression, quelque peu désarmé.
Cependant le risque existe - à moins que l'on ne me prouve le contraire - de
voir contourner la volonté d'éradication des mines antipersonnel par
l'adaptation de certaines mines antivéhicules. Des bricoleurs de bas étage
permettraient de contourner les dispositions de l'accord international
intervenu à Ottawa. C'est la raison pour laquelle j'ai déposé, avec certains
collègues de mon groupe, un amendement visant à donner l'acception la plus
large possible à la définition des mines antipersonnel.
Je conclurai mon intervention par des mots d'espoir, espoir conforté par les
propos que vous avez tenus, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur.
Cet espoir tient aux engagements visant à réaliser, dans les délais les plus
courts possible, l'éradication totale et définitive des 100 millions à 120
millions de mines antipersonnel qui, à travers le monde, continuent à provoquer
des conséquences dramatiques.
L'aide internationale doit être amplifiée, vous l'avez fait valoir.
Vous avez aussi rapproché le coût moyen de l'éradication d'une mine, qui est
de l'ordre de 2 000 à 2 500 francs, de son coût unitaire, qui est de 100
francs, ce qui fait de ces mines les armes du pauvre.
L'aide de la France est acquise. Il s'agit non seulement d'une aide
financière, mais aussi d'une aide en faveur de la formation de ceux qui auront
la lourde et dangereuse tâche de procéder au déminage. Je sais, monsieur le
ministre, que la France fait un effort soutenu pour former toujours davantage
d'experts aptes à procéder à ces actions de déminage, qu'il s'agisse de
militaires ou de militants des organisations non gouvernementales.
C'est sur des mots d'espoir que je voudrais terminer mon propos.
Tout doit être fait pour que ce fléau soit définitivement éradiqué. Ainsi,
dans ces pays doublement pénalisés, puisque leur redémarrage économique est
souvent largement compromis par les mines antipersonnel qui continuent à les
menacer, dans quelques années, il ne s'agira plus que d'un mauvais rêve. Tout
doit être fait pour que ces années noires, ces années de cauchemar, s'achèvent
rapidement, grâce à la collaboration internationale et au rôle éminent de notre
pays. Nous y aspirons tous.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. Penne.
M. Guy Penne.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les
socialistes ont toujours milité pour la paix et le désarmement, et, dans le
monde actuel, ce combat reste une exigence vitale.
La grave question de la prolifération nucléaire prouve que, dans ce domaine,
rien n'est jamais acquis.
Nous sommes donc heureux de débattre aujourd'hui de deux textes, l'un présenté
par le Gouvernement et l'autre dû à l'initiative parlementaire, qui permettront
une avancée certaine en matière de désarmement.
Aucune négociation n'est mineure, et l'on doit inlassablement reprendre le
travail de persuasion, d'expression et d'explication, afin de faire progresser
l'idée d'une sécurité collective assumée et assurée d'une manière
collective.
Ce n'est pas un hasard si nous examinons aujourd'hui une proposition de loi
issue de l'Assemblée nationale et d'origine socialiste. En effet, nous avions
abordé ce problème depuis longtemps. Nous-mêmes, sénateurs socialistes, avions
déposé une proposition de loi en 1995, et d'autres collègues avaient fait de
même.
Il convient également de faire remarquer que l'Assemblée nationale a adopté à
l'unanimité la proposition de loi tendant à l'élimination des mines
antipersonnel.
Par ailleurs, le Gouvernement a déposé sur le bureau du Sénat le projet de loi
autorisant la ratification de la convention sur l'interdiction de l'emploi, du
stockage, de la production et du transfert des mines antipersonnel et sur leur
destruction. Il s'agit là de la convention signée à Ottawa le 3 décembre
1997.
Nous avons donc deux textes portant sur le même sujet : d'une part, la
convention et, d'autre part, le texte législatif la transposant dans le droit
français.
En ce qui concerne la proposition de loi, on peut dire qu'elle est le
complément nécessaire de l'adhésion de la France à un texte international qui
constitue indéniablement un progrès dans la lutte contre la barbarie.
Il s'agit d'un texte équilibré, qui reprend les éléments de la convention
d'Ottawa et qui propose un système qui se veut cohérent, efficace et dissuasif,
devant aboutir à l'élimination totale de ce type d'armes en France.
Ce texte et la volonté politique qui le sous-tend devraient inspirer des
initiatives similaires en Europe et sur le plan international.
Ainsi, pour la France, l'an 2000 ouvrira un millénaire sans mines
antipersonnel.
La proposition de loi prévoit une interdiction totale des mines antipersonnel,
tout en réservant une exception à des fins de formation des démineurs et de
mise au point d'appareils de déminage.
Elle définit, en reprenant la convention d'Ottawa, la notion de « mine
antipersonnel ».
Elle prévoit des sanctions pénales punissant les délits ainsi que la création
d'une commission de suivi de l'application de la loi et de la convention.
Ce texte nous semble pondéré et efficace et les amendements retenus par la
commission nous semblent pertinents ; ils complètent utilement le texte.
Je ne ferai pas de longs développements dans la mesure où les rapports de
notre collègue M. Daniel Goulet abordent avec précision les différentes
facettes de la douloureuse problématique qui nous occupe aujourd'hui.
Est-il nécessaire de rappeler encore les conséquences humaines, sociales et
économiques de cette véritable catastrophe humanitaire quotidienne produite par
les mines antipersonnel ?
Les mines existent depuis longtemps, mais la prise de conscience de leur
malignité à l'égard de populations civiles est récente.
L'usage militaire normal aurait dû les cantonner à la protection des
établissements militaires sensibles. Hélas, ce type d'arme s'est développé dans
des proportions incroyables et dans des contextes différents, mais toujours
fort préjudiciables aux populations civiles. Les mines, faciles à préparer, peu
chères, ont cessé d'être utilisées de la façon militaire classique. Elles sont
devenues l'arme des guerres civiles, de guérillas et de contre-guérillas, d'un
terrorisme massif destiné à vider une région en éloignant les habitants et à
contrôler à peu de frais de vastes zones.
Armes aveugles, dévastatrices, les mines antipersonnel violent un principe
fondamental du droit humanitaire en frappant sans discrimination militaires et
civils. De surcroît, leur dissémination incontrôlée, sauvage, dirions-nous,
rend le déminage aléatoire, coûteux et très dangereux.
Je voudrais, à cette occasion, rendre ici hommage aux démineurs militaires
français qui, au risque de leur vie, contribuent à la protection des
populations.
Voici quelques chiffres, comptabilité macabre mais nécessaire pour bien
prendre la dimension de l'horreur quotidienne des populations touchées par ce
fléau.
Depuis 1980, on sait que plus de 60 millions de mines antipersonnel ont été
déposées : de 10 millions à 30 millions en Afghanistan, 20 millions en Angola,
10 millions en Irak, 8 millions au Cambodge et environ 3 millions en Bosnie...
Il y en a aussi au Mozambique, au Soudan, en Somalie, au Vietnam, et on
pourrait encore allonger la liste.
Au Cambodge, 25 000 personnes ont été appareillées à ce jour. Encore
aujourd'hui, les organisations non gouververnementales dénombrent trente
victimes chaque mois.
Ces mines qui mutilent et qui tuent font, tous les jours, plusieurs fois par
jour, des victimes dans plus d'une dizaine de pays. Les enfants sont les
premiers touchés.
Ces armes, qui peuvent rester actives pendant de nombreuses années après leur
pose, survivent à la guerre. Des années plus tard, elles continuent leur
travail létal. La spécificité des mines réside dans leur caractère non
discriminant et au fait qu'elles échappent à la volonté humaine, puisqu'une
fois posées, disséminées et abandonnées elles restent actives très longtemps
après la fin des conflits. Ainsi on peut dire que, à cause d'elles, la guerre
continue après la paix.
Aux très nombreuses victimes, on doit ajouter les conséquences sociales,
familiales et économiques de ce fléau : des populations décimées qui ne peuvent
plus assurer une vie sociale normale et une économie affaiblie à cause des
invalides incapables de subvenir à leurs besoins ; des centaines de personnes
condamnées à une assistance permanente dans des pays qui ont déjà énormément de
difficultés. En outre, les mines neutralisent des terres fertiles, qui sont
ainsi soustraites au travail fécond de populations entières.
Bref, il s'agit d'une véritable catastrophe humanitaire et économique.
Dans ce contexte, la convention d'Ottawa et son prolongement dans notre droit
constituent une avancée de taille. Cette convention du mois de décembre 1997,
par laquelle cent vingt-quatre pays se sont engagés à ne plus utiliser,
fabriquer ni vendre ces armes, entrera en vigueur lorsque quarante Etats
l'auront ratifiée.
Il faudra veiller particulièrement à obtenir que le mécanisme de vérification
international prévu par la convention soit puissant, efficace et actif.
Transparence et vérification sont les deux piliers nécessaires pour la
réussite d'une convention, d'un traité international. L'essentiel est de créer
et de maintenir la confiance. Sans elle, aucun texte ne peut être efficace.
Cela est vrai pour les mines antipersonnel, pour les essais nucléaires et pour
tout traité de désarmement. L'enjeu des années à venir dans ce domaine tournera
autour de la délicate question de la vérification.
Il faudra aussi faire attention aux risques de contournement de la convention
: d'autres engins de mort ne doivent pas se substituer aux mines antipersonnel
pour faire encore des ravages parmi les populations.
On peut s'interroger sur la portée pratique de cette convention. Nous
souhaiterions qu'elle soit la plus grande possible. Or, nous devons constater
que de nombreux pays producteurs ou utilisateurs de mines antipersonnel n'ont
pas signé la convention.
Il est plus que regrettable que les Etats-Unis, la Chine, la Russie, l'Inde,
le Pakistan, Israël, la Turquie, la Syrie, la république fédérative de
Yougoslavie, les deux Corée, l'Ukraine, le Vietnam... n'aient pas voulu
s'associer à l'esprit d'Ottawa. Parmi les pays non signataires de cette
convention on trouve même un membre de l'Union européenne : la Finlande. Hélas,
nous pouvons aussi constater que deux pays membres de l'OTAN ne signeront pas
cette convention : les Etats-Unis et la Turquie.
Beaucoup de travail reste donc à faire pour placer cette arme une fois pour
toutes au rang des armes inhumaines dont l'usage est complètement interdit et
pour rendre la convention vraiment universelle.
Il est nécessaire de poursuivre le combat contre les transferts. Le
Gouvernement a déjà manifesté sa volonté de participer à la mise au point d'un
accord sur l'interdiction des importations et exportations, négocié à Genève,
et qui aurait d'emblée vocation à l'universalité, son objet étant de mettre un
terme au commerce mondial des mines.
Le mardi 26 mai, la Commission européenne et les Etats-Unis ont annoncé qu'ils
s'étaient accordés pour oeuvrer ensemble, en coordination avec les Nations
unies, afin d'éliminer d'ici à l'an 2020, par une vaste série d'initatives
technologiques, la menace posée par les mines antipersonnel pour la sécurité
des civils. Nous nous félicitons de cet accord, qui montre que le dossier est
abordé sérieusement et avec l'intention de progresser rapidement. Nous
aimerions avoir des détails sur les initatives envisagées.
Ce travail doit se poursuivre, au sein de la conférence du désarmement, dans
les instances diplomatiques internationales et multilatérales. Il est également
nécessaire que la formidable mobilisation de l'opinion publique internationale
se poursuive. Je veux, à ce propos, féliciter Handicap international pour son
action.
Je dirai même plus : c'est aujourd'hui aux peuples des pays non signataires de
la convention de mobiliser leurs énergies pour amener leurs gouvernements vers
plus de sagesse et d'humanité.
La campagne internationale pour l'interdiction totale des mines antipersonnel,
qui rassemble plus de 1 200 organisations non gouvernementales et qui a reçu le
prix Nobel de la paix en 1997, doit pouvoir poursuivre son action en mettant
maintenant l'accent sur les pays et les opinions publiques des pays non
signataires.
La France n'a pas à rougir de son action contre ce fléau, M. le rapporteur l'a
souligné dans son rapport. Souvent d'une manière unilatérale, elle a pris des
mesures courageuses destinées à interdire la fabrication et l'exportation des
mines antipersonnel. Elle a même, avant d'autres pays, annoncé qu'elle
renonçait définitivement à l'emploi de ces armes malgré les opérations
extérieures qui placent ses soldats dans des situations délicates et face à des
adversaires pas toujours soucieux du droit humanitaire ou du droit
international.
Nous approuvons le plan d'action de la France contre les mines
antipersonnel.
Nous approuvons aussi la création, prévue dans la proposition de loi, d'une
commission nationale pour l'élimination des mines antipersonnel. Cette
commission doit, d'une part, assurer le suivi de l'application de la loi en
établissant un rapport et, d'autre part, assurer le suivi de l'action
internationale de la France en matière d'assistance aux victimes de mines
antipersonnel et d'aide au déminage.
La tâche reste immense et la France dispose d'un excellent savoir-faire. Mais
il faudrait une solidarité internationale pour assurer les financements.
La convention d'Ottawa marque une étape déterminante sur la voie de
l'élimination totale des mines antipersonnel. La dynamique instaurée par cette
convention doit être entretenue. Elle devra surtout se traduire, sur le
terrain, par une action concrète en faveur des victimes des mines
antipersonnel.
Les sénateurs du groupe socialiste sont heureux de participer par leur vote au
travail réalisé pour l'éradication des mines antipersonnels.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. Serge Vinçon.
M. Serge Vinçon.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de
loi que nous devons aujourd'hui examiner fait référence à un véritable fléau :
les mines antipersonnel.
Voilà peu de temps encore, le droit international n'était pas préparé pour
lutter contre un tel ennemi de l'humanité. La convention d'Ottawa semble
annoncer une nouvelle ère, peut-être celle de l'espoir, l'espoir d'un lendemain
sans mines pour des millions de personnes qui risquent tous les jours d'être de
nouvelles victimes.
Avec la nouvelle configuration politique née de la chute du mur de Berlin,
tous les pays en conflit soutenus par un camp ou un autre se sont souvent
embourbés dans un marasme politique et une anarchie militaire sans issue.
C'est alors que les armées non régulières ont utilisé cette arme, si facile à
transporter, si simple à installer et aussi bon marché : la mine, l'arme du
pauvre.
Dans toute lutte ou tout combat, à côté de ceux qui occupent les médias -
télévision, presse écrite, radios - il y a ceux que l'on appelle les gens de
l'ombre.
Dans la longue histoire de la campagne contre les mines antipersonnel, il y a
un homme, un chirurgien, employé par le Comité international de Croix-Rouge,
Robin Coupland.
A la fin des années quatre-vingt, il figurait parmi ces médecins qui, sur la
frontière cambodgienne, thaïlandaise ou pakistanaise, tentaient de soulager les
victimes des mines. Depuis, il parcourt le monde pour lutter contre cette
plaie.
Selon qu'elles sont explosives, à fragmentation ou bondissantes, les mines
frappent les membres inférieurs, les membres supérieurs, les parties génitales
ou la tête ; elles laissent handicapés à vie ou ôtent la vie.
A l'occasion de la publication de son premier article scientifique sur les
blessures par mines, Robin Coupland a déclaré : « J'ai allumé le feu dans mon
coin sans savoir que d'autres agissaient de manière identique en même temps. »
Sans le savoir, cet homme a été l'un des pionniers de cette rude bataille pour
le respect de la vie, qui a commencé dans l'indifférence générale.
Effet boule de neige ou concours de circonstances, la multiplication des
témoignages a engendré une prise de conscience que les plus désespérés
n'attendaient plus. En effet, des millions de personnes ont dû mourir et des
milliers de personnes ont dû se battre pour que les gouvernants entendent leurs
cris et finissent par accéder à leur souhait : l'interdiction totale des
mines.
Il est incontestable que la contribution, la motivation et l'implication des
organisations non gouvernementales dans ce processus ont été déterminantes.
En effet, véritable « armée des ombres » qui, pendant des années, a mâché le
travail aux institutions, les organisations non gouvernementales ont remporté
une victoire sur l'inertie de bien des Etats.
Aujourd'hui, peu importent les appartenances politiques, sachons mettre de
côté nos sensibilités quelles qu'elles soient, soyons responsables de nos actes
passés, investissons pour l'avenir. N'oublions pas que ce sont les femmes et
les enfants qui sont le plus souvent touchés.
Certains sont persuadés que l'an 2000 ouvrira un millénaire où les mines
seront des armes interdites. Puisse le processus de la convention d'Ottawa
aller dans ce sens !
La France, il faut le souligner, n'a pas attendu cette convention
internationale pour agir ; elle a même eu une attitude responsable. En effet,
en 1986, notre pays, qui produit des mines antipersonnel, a décidé de cesser
d'en exporter. Puis, en 1993, la France a annoncé un moratoire absolu sur les
exportations, puis sur la production. Le 10 mars 1994, une résolution visant à
accélérer le processus de déminage au Cambodge, proposée par le député européen
Henry Chabert, a été votée.
Autre exemple d'engagement de la France : le 10 octobre 1997, le Président de
la République, Jacques Chirac, invitait les quarante chefs d'Etat et de
Gouvernement à s'associer au mouvement international en faveur de
l'interdiction totale des mines antipersonnel.
Notre position ne pouvait qu'aller de pair avec notre engagement. En effet, en
1996, nous avons annoncé que nous renoncions en principe à l'emploi des mines
antipersonnel, mais que nous nous réservions le droit d'y recourir en cas de
nécessité absolue.
Aujourd'hui, avec la convention d'Ottawa, nous avons choisi un camp : celui du
principe de l'interdiction absolue de cette arme.
En effet, comme le dit notre rapporteur, M. Goulet, ces armes défient l'un des
principes fondamentaux du droit international humanitaire, qui interdit
l'attaque des populations civiles et proscrit les armes frappant civils et
militaires sans discrimination.
Le seul regret que l'on puisse formuler à l'égard de cette convention, c'est
que quelques grandes puissances ne l'aient pas signée : les Etats-Unis, la
Russie, la Chine, l'Inde, le Pakistan, mais aussi Israël, la Turquie,
l'Ukraine, le Vietnam, entre autres ! Il est permis, dans ces conditions,
d'avoir quelques inquiétudes quant à l'attitude de certains Etats, et les
événements de la semaine dernière sur le continent asiatique ne sont pas pour
nous rassurer !
Tout le monde connaît très bien les limites de telles dispositions. Elles sont
efficaces à partir du moment où la signature et la ratification sont effectives
dans tous les pays concernés. Bien sûr, ce traité constitue un progrès
puisqu'il prévoit l'interdiction absolue des mines et institue des obligations
d'assistance aux victimes et d'aide au déminage.
Demain, nous devrons faire face encore à trois défis : réussir le déminage,
c'est-à-dire mettre tous nos moyens techniques, financiers, scientifiques et
humains - donc militaires - au service d'autres hommes et, ainsi, ressusciter
des territoires immenses ; convaincre tous ceux qui n'ont pas jugé nécessaire
de signer cette convention ; garantir la sécurité de nos soldats sur les
théâtres d'opérations extérieures.
Certains considéreront que la convention d'Ottawa n'est qu'une étape parmi
tant d'autres. Il faut espérer qu'elle soit plus que cela, car, avec ce texte,
c'est la première fois que les victimes des mines antipersonnel se sentent
défendues et reconnues comme telles.
La France peut s'honorer de combattre les procédés qui font en temps de paix
des victimes innocentes des guerres passées. C'est pourquoi notre groupe votera
ces textes.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis ce
jour du 27 septembre 1997 où, répondant à l'appel de Handicap international, je
me trouvais à réfléchir sur la pyramide de chaussures édifiée sur le parvis du
Trocadéro à Paris, je mesure le chemin parcouru. Je m'exprime en effet au nom
du groupe communiste républicain et citoyen pour une interdiction totale des
mines antipersonnel.
Dans un même engagement, je l'espère, nous allons ratifier puis transposer
dans notre droit interne la convention d'Ottawa, qui réunit cent vingt pays
signataires, dont la France.
Cette convention constitue, à n'en pas douter, une grande victoire des
opinions publiques sur l'hypocrisie et les calculs des Etats qui utilisent,
produisent ou exportent des mines antipersonnel.
Ce que l'on qualifiait, il y a seulement quelques années, d'utopie est devenu
un objectif partagé de tous.
« Soyons réalistes, exigeons l'impossible ! » Ce slogan des étudiants de mai
68 s'adapte parfaitement à la situation présente.
Aussi, au nom de mon groupe, après d'autres de mes collègues, je tiens à
saluer devant le Sénat l'action courageuse des organisations non
gouvernementales regroupées au sein de la Campagne internationale pour
l'interdiction des mines antipersonnel depuis 1992, notamment Handicap
international, qui, depuis quinze ans, comme le disent les codirecteurs de
cette organisation non gouvernementale ont refusé de banaliser l'inacceptable
et ont organisé non seulement la révolte, mais aussi la réflexion et
l'engagement pour faire vivre l'espoir.
Je salue l'ensemble de ces militants de la paix, connus ou méconnus, qui ont
su « exiger l'impossible ».
La convention d'Ottawa est aussi la consécration d'un processus qui s'est
déroulé en dehors des institutions internationales établies.
Faut-il le regretter ou bien s'en réjouir ?
Il faut le regretter, parce que cette particularité, pour un traité
international - regroupant, je le rappelle, plus de 120 pays - illustre les
contradictions internes de l'ONU, confrontée aux intérêts des membres du
Conseil de sécurité, qui sont aussi les principales puissances militaires et
qui organisent le commerce mondial des armes.
D'ailleurs, à ce stade, trois pays membres du Conseil de sécurité - les
Etats-Unis, la Russie et la Chine - n'ont toujours pas signé la convention du
3 décembre 1997 portant interdiction des mines antipersonnel.
Mais ne faut-il pas se réjouir de voir l'émergence d'une opinion publique
internationale capable d'infléchir les stratégies politiques et militaires des
Etats vers le désarmement ?
C'est, en tout cas, la preuve que le nouvel ordre mondial imposé à la planète
par les Etats-Unis peut et doit être dépassé.
Le dernier épisode irakien et le constat d'un conflit mort-né, malgré les
plans du gouvernement américain, nous confortent dans cette idée. Le cadre
onusien ne doit plus légitimer et cautionner les desseins d'un Etat quel qu'il
soit.
Aujourd'hui, chaque Etat est placé devant ses responsabilités. Les pays
signataires ont la responsabilité d'appliquer rapidement la convention et
d'assumer leur rôle dans la dissémination passée des mines.
Les pays non signataires courent le risque, quant à eux, de se retrouver au
ban de la communauté internationale.
Ne soyons pas dupes ! Si certains Etats réclament un délai supplémentaire pour
se joindre aux signataires, ce n'est pas pour des raisons d'ordre conjoncturel.
C'est bien en vue d'adapter leur industrie de fabrication des mines aux
nouvelles règles pour tenter de les contourner !
La France, j'ai le regret de le constater, n'est pas exempte de critiques. Je
serais tentée de dire que notre pays a pris le train. Mais il se situe
désormais dans la locomotive puisqu'il sera l'un des premiers pays à ratifier
la convention d'Ottawa après avoir joué un rôle majeur dans les
négociations.
En effet, alors que nous attendions un texte d'origine gouvernementale fin
1997, nous nous retrouvons avec une proposition de loi d'origine parlementaire
au milieu de l'année 1998, votée par l'Assemblée nationale, alors que le texte
autorisant la ratification n'était pas encore déposé sur le bureau du
Parlement.
Ce retard, nous le savons tous, correspond à la mise au point d'un système, le
« système MODER », destiné à se substituer aux mines antipersonnel, dont le
déclenchement ne serait pas automatique, mais nécessiterait l'intervention d'un
opérateur. Monsieur le ministre, nous souhaiterions obtenir des précisions
techniques sur le fonctionnement de ce système et des garanties sur sa
conformité aux règles de la convention.
La ratification et l'application de la convention d'Ottawa ne peuvent
constituer l'aboutissement d'un processus ; elles sont plutôt le début d'un
nouveau combat plus opiniâtre pour éliminer l'ensemble des mines antipersonnel,
aujourd'hui placées dans soixante pays et qui continuent de tuer et de mutiler
- on évalue à 110 millions le nombre de mines antipersonnel actuellement
déployées.
En outre, pour une seule mine enlevée, trente à cinquante autres sont placées.
C'est dire le chemin qu'il reste à parcourir pour espérer voir cette arme
éliminée de la planète.
Tout engagement pour l'interdiction de l'utilisation des mines antipersonnel
doit nécessairement s'accompagner de vastes programmes de déminage des zones
infestées.
Chaque mois, environ 2 000 personnes sont victimes des mines antipersonnel,
pour l'essentiel des civils, hommes, femmes et surtout enfants - d'autres que
moi l'ont dit ce matin.
Plus largement, c'est l'économie des pays concernés, déjà ravagée par les
conflits et la pauvreté, qui se trouve pénalisée. Les terrains minés deviennent
des
no man's land
dépourvus d'agriculture, d'habitations, de bâtiments,
mais aussi éloignent les populations des voies de communication et interdisent
l'accès à des ressources naturelles telles que l'eau, le bois ou les matières
minérales.
Nous pensons que la communauté internationale doit, de toute urgence,
consacrer à cette action des moyens financiers, techniques et humains à la
hauteur des objectifs de la convention pour mettre fin à un fléau de caractère
planétaire.
Lors de la conférence d'Ottawa, la France s'est fixé publiquement six lignes
d'action. Mais qu'en est-il du renforcement de l'effort international dans
l'aide aux victimes, la formation de démineurs locaux ou la relance des
programmes de déminage ?
A l'évidence, ces actions incombent en priorité aux pays ayant développé par
le passé la production de mines et leur exportation vers les pays du tiers
monde.
Jadis, les guerres du tiers monde ont été le plus souvent orchestrées
politiquement et militairement par les pays riches. C'est aujourd'hui à eux
qu'il revient très justement d'en assumer le coût.
En cela, nous souscrivons entièrement à l'appel lancé par l'OUA à la
communauté internationale, le 21 mai 1997.
La prolifération des mines antipersonnel fut d'autant plus intense dans ces
pays du tiers monde que les coûts de fabrication étaient faibles : de 3 à 10
dollars l'unité.
Si ce sont les Etats qui décident des guerres, ce sont les entreprises
productrices de ce type d'armes qui en tirent le principal profit. On comprend,
dès lors, les réticences de certains gouvernements soumis au lobby de
l'armement à s'engager rapidement en faveur de l'interdiction des mines
antipersonnel.
D'ores et déjà, les principaux producteurs de mines ont su adapter leurs
engins aux nouvelles normes internationales, non pour les respecter, mais pour
les contourner.
A cet égard, la proposition de loi tendant à l'élimination des mines
antipersonnel reflète les insuffisances de la convention d'Ottawa. La
définition des armes antipersonnel reprend en effet, dans les mêmes termes,
celle qui est formulée à l'article 2 de la convention, laquelle fut l'objet
d'un compromis entre les signataires.
La proposition de loi déposée par le groupe communiste républicain et citoyen,
qui, à notre avis, aurait dû être discutée conjointement, repose sur une
définition plus large en visant les composants des mines antipersonnel, mais
aussi les mines antichars, qui comportent des aspects antipersonnel, et les
mines dites hybrides ou douteuses.
Hélas ! dans ses conclusions, la commission des affaires étrangères du Sénat
n'a pas retenu nos observations.
Les amendements que notre groupe a déposés visent un seul et même objectif :
mettre fin au marché « officiel » des mines antipersonnel, mais aussi
neutraliser le marché clandestin qui ne manquera pas de se développer à partir
des composants dont le commerce et la production seraient autorisés, grâce à
des adaptations technologiques sans cesse renouvelées.
Si nos amendements ne sont pas adoptés, très vite la convention d'Ottawa et
notre propre législation se révéleront inadaptées à la réalité du terrain.
L'imagination destructive dans ce domaine est infinie.
La loi doit anticiper et ne pas faciliter le contournement juridique ou
technique de ses préceptes.
Nous proposons d'opter pour la même démarche que celle qui a conduit à la
signature de la convention du 13 janvier 1993 sur l'interdiction des armes
chimiques. Celle-ci traite la question du désarmement chimique dans sa
globalité, puisque sont interdites toutes les activités relatives aux armes
chimiques et est imposée non seulement la destruction de telles armes, mais
aussi celle des substances susceptibles d'être transformées en armes ou d'être
utilisées pour leur fabrication.
La convention d'Ottawa visant les mines antipersonnel est, à l'évidence, plus
restreinte dans son champ d'application.
Cela dit, rien n'interdit à la France d'aller au-delà de la définition des
mines antipersonnel retenue par la convention et d'élargir le champ de
l'interdiction aux composants et aux dérivés de ces mines.
Vous avez déclaré, monsieur le ministre, que notre législation devait rester
cohérente avec la convention et qu'il convenait de ne pas remettre en cause un
accord que la France a contribué à mettre au point.
J'avoue ne pas suivre totalement votre raisonnement, et je voudrais citer deux
exemples qui l'infirment.
Le 24 juin 1997, lors de la ratification par le Sénat du protocole II annexé à
la convention de 1980 sur l'interdiction ou la limitation de l'emploi de
certaines armes classiques, dont les mines, votre collègue M. le ministre
délégué chargé des affaires européennes reconnaissait les insuffisances d'un
tel texte et la nécessité d'aller plus loin, motifs qui ont conduit à
l'élaboration de la convention d'Ottawa.
Plus récemment, le 23 avril dernier, lors de l'examen du projet de loi relatif
à l'application de la convention de 1993 sur l'interdiction des armes
chimiques, l'Assemblée nationale a adopté, avec l'accord du Gouvernement, un
amendement du groupe communiste tendant à prévoir la communication aux salariés
des entreprises chimiques des chiffres de production et d'exportation des
produits concernés. Or, vous le savez, ce point ne figurait pas dans la
convention de 1993.
C'est la preuve qu'un pays a la possibilité, j'ai même envie de dire le
devoir, s'agissant de la France, d'introduire des innovations et des
améliorations dans la mise en application des accords internationaux.
Toute une série d'armes adaptées, et pas seulement conçues pour exploser du
fait de la présence, de la proximité ou du contact d'une personne, mais ayant
les mêmes effets qu'une mine antipersonnel ne seront pas visées par la loi.
A titre d'exemple, je citerai la mine de contre-déminage dispersée par l'engin
Minotaur ou la mine antichar Apilas, dotée d'un système « anti-relevage ».
L'interdiction totale des mines antipersonnel, que nous souhaitons, va
nécessairement entraîner la prolifération de divers systèmes de piégeage des
mines antichars ou antivéhicules ou de tous les moyens techniques destinés à
fabriquer et à poser des pièges qui sont assimilables à des mines
antipersonnel.
Chacun sait que les champs de mines antichars ou les barrages antichars
étaient, hier, associés à des mines antipersonnel. Or la suppression de
celles-ci va conduire les producteurs de tels engins à proposer des substituts
incluant les nouvelles technologies apparues dans les domaines électronique,
acoustique et thermique.
Une mine antipersonnel doit, selon nous, être définie à partir des
conséquences subies par les victimes plutôt que sur des caractéristiques
techniques.
C'est pourquoi nous proposons d'étendre l'interdiction des mines antipersonnel
aux systèmes de piégeage des mines antivéhicules et de tout autre moyen
technique assimilable à des mines antipersonnel, car ayant les mêmes effets.
Un certain nombre de parlementaires partagent nos inquiétudes et mènent ce
même combat. Nous nous en félicitons.
Le combat mené pour défendre de la vie et faire reculer la mort est
rassembleur, dans la mesure où il se fonde sur le respect de valeurs qui sont
communes à nombre de parlementaires, quelle que soit leur appartenance
politique.
Comprenez bien, mes chers collègues, qu'il ne s'agit pas, pour notre groupe,
de faire de la surenchère sur un texte que nous approuvons par ailleurs. Il
s'agit de rendre crédibles les décisions que nous allons prendre et d'éviter un
détournement de l'esprit de la loi.
Au demeurant, la définition extensive que nous préconisons est celle qu'ont
adoptée la Belgique, dès le 9 mars 1995, et l'Italie, le 29 octobre 1997.
Au-delà des arguments techniques et stratégiques qui nous seront opposés, il
doit y avoir la volonté politique d'éradiquer toute forme de mines
antipersonnel.
Le chemin parcouru est déjà long, mais il reste modeste au regard de la
distance qui nous sépare de cet objectif commun.
Tout en souhaitant que nos amendements comme ceux qui ont été déposés par
certains de nos collègues ayant les mêmes objectifs soient retenus par notre
Haute Assemblée, le groupe communiste républicain et citoyen votera la
proposition de loi n° 410, ainsi que le projet de loi n° 424 autorisant la
ratification de la convention d'Ottawa.
Le Sénat s'honorerait en prenant en compte les dispositions de notre propre
proposition de loi que nous lui soumettrons sous forme d'amendements. Mes chers
collègues, il s'agit d'un combat pour la vie de l'homme. Il est nôtre, même si
nous le savons, nous n'en avons pas le monopole.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen,
ainsi que sur les travées socialistes.)
M. Alain Richard,
ministre de la défense.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Alain Richard,
ministre de la défense.
Monsieur le président, je souhaiterais très
brièvement répondre aux orateurs.
Je tiens tout d'abord à saluer la qualité de leurs interventions dans la
discussion générale.
Je rejoins tout à fait l'appréciation globale qu'a portée M. le rapporteur sur
le texte de la convention en disant que ce texte était simple, clair, dépourvu
d'ambiguïté. Il constitue effectivement une bonne base pour l'élaboration de la
loi ; pour l'essentiel, les termes nous satisfont, nous n'allons donc pas
chercher à les modifier.
M. le rapporteur a très justement souligné que, maintenant, la tâche la plus
importante était d'élargir le cercle des Etats signataires de cette convention
puisque, chacun l'a noté, des Etats dont l'importance est grande sur le plan
stratégique et militaire n'y ont toujours pas adhéré.
M. Huriet a souligné à juste titre le rôle majeur qu'ont joué les
organisations non gouvernementales dans l'aboutissement de ce projet. Je tiens
d'ailleurs à signaler au Sénat que des représentants de certaines de ces
organisations assistent aujourd'hui à la séance, ce qui est le signe qu'elles
reconnaissent la continuité de l'action entre le monde non institutionnel, le
monde associatif, et ceux qui, au Parlement et au Gouvernement, s'efforcent de
défendre les mêmes valeurs.
Dans une démocratie en bonne santé, il n'y a aucune raison d'opposer les uns
aux autres, comme s'il y avait d'un côté les purs, ceux qui n'ont pas le
pouvoir, et d'un autre côté ceux qui auraient le pouvoir et seraient
nécessairement impurs.
M. Claude Huriet.
Très bien !
M. Alain Richard,
ministre de la défense.
Je crois que, parmi les dirigeants des ONG,
nombreux sont ceux qui partagent cette vision.
M. Huriet a également souligné l'opportunité d'une entrée en vigueur immédiate
des dispositions de la convention. Nous en reparlerons à propos des
amendements, mais il faut aussi veiller à ce que notre système de défense garde
sa cohérence.
Il a souhaité un développement accru de l'élimination. A cette fin, le
Gouvernement tente de renforcer la coordination des différents services et se
dispose à confier à un officier général particulièrement expérimenté la mission
de nouer, au nom de l'Etat, des contacts avec le monde des entreprises et celui
des organisations non gouvernementales.
M. Guy Penne a souligné la cohérence des textes proposés avec une réflexion
d'ordre plus général sur le désarmement, qui, a-t-il précisé, doit être
équilibré et mené avec un souci stratégique : le désarmement est le contraire
du démembrement unilatéral et désordonné d'un système d'armes ; il doit tenir
compte des forces des uns et des autres et de leur rôle international.
Fort de son expérience, M. Penne a insisté sur l'importance de la démarche de
vérification.
Le dispositif d'armement - j'y reviendrai à l'occasion de l'examen des
amendements - ne peut faire l'objet d'une définition technique qui prévienne
tous les risques de détournement. Il n'existe pas de définition des mines
antipersonnel qui permette de prendre en compte l'apparition, dans cinq ans,
dix ans ou quinze ans, de technologies capables de produire les mêmes dommages.
Il s'agit - chacun l'a rappelé - de dispositifs d'armement très simples et
banalisables.
Le dispositif de vérification constitue donc, en réalité, la clé de voûte de
l'efficacité du système.
M. Serge Vinçon a relevé le rôle propre de la France dans la mise en oeuvre du
projet et le dynamisme diplomatique dont elle a fait preuve.
Il a également rappelé les efforts que nous avons entrepris pour adapter notre
dispositif de défense. En effet, les mines antipersonnel avaient pour objet de
protéger nos forces et nos installations les plus vulnérables sur le champ de
bataille ou sur le territoire français. Il est donc important que nous nous
dotions d'une réponse efficace au principe d'interdiction, que nous
appliquerons scrupuleusement mais qui ne nous dispense pas de protéger nos
forces, notre pays étant fréquemment exposé dans les conflits, sur les théâtres
d'opération où les crises sont les plus violentes.
Je souhaite à cet égard apporter à Mme Beaudeau les précisions qu'elle m'a
demandées.
Il n'existe pas de système de substitution aux mines antipersonnel. Par
définition, il s'agit d'un système explosif qui se déclenche automatiquement au
contact d'une personne. Il ne peut pas être remplacé par un système de même
nature.
Pour assurer la protection soit d'unités dispersées sur le terrain, soit
d'installations sensibles, deux systèmes sont en cours de développement.
Le premier, le système MODER, remplit la fonction de neutralisation de
l'assaillant en envoyant, par commande manuelle, des projectiles à une certaine
distance. Ces projectiles ont pour objectif non pas de tuer mais d'assourdir ou
de rendre vulnérable. Ils s'apparentent à certaines grenades offensives qu'ont
connues ceux qui ont accompli leurs obligations militaires voilà quelques
décennies. Il s'agit d'objets à manipulation unitaire et volontaire.
Le second, le système Cougar, qui concerne les installations fixes, est un
système d'alerte et de protection à partir de clôtures de détection faiblement
électrifiées, complétées par des systèmes de détection électronique.
Le système MODER va être mis en dotation dans nos forces à partir de 1999.
C'est la raison pour laquelle nous préconisons la date d'application qui a été
prévue. Le système Cougar, quant à lui, va être expérimenté sur un certain
nombre de sites sensibles.
Mme Beaudeau nous a invités à réfléchir sur le rôle de l'opinion publique
internationale pour faire pression dans le sens d'un désarmement, ce qui est
tout à fait légitime. Mais j'insiste sur le fait que ce désarmement doit
correspondre à un raisonnement et à la prise en compte de rapports de force
internationaux qui continueront à exister.
Je suis moins d'accord avec elle quand elle établit une différenciation
éthique entre les pays riches et le tiers monde. Lorsque des dictateurs, des
chefs de bandes armées, des gouvernements agressifs utilisent, de façon massive
et indiscriminée, de telles armes, en visant manifestement les populations
civiles, qu'ils appartiennent ou non au tiers monde, je les considère comme des
criminels.
En tout cas, je crois que nous devons nous montrer très circonspects par
rapport à une différenciation morale entre celui qui, sciemment délibérément,
au nom d'une stratégie agressive, utilise des armes de façon inhumaine et celui
qui, dans un autre pays, les a fabriquées. A mes yeux, l'un et l'autre
appellent la même condamnation.
En conclusion, j'insisterai sur la volonté du Gouvernement d'appliquer cette
convention de façon loyale et efficace, et le plus vite possible, de manière à
provoquer l'effet d'entraînement que nous souhaitons tous vis-à-vis des Etats
encore réticents.
(Applaudissements.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale commune ?...
La discussion générale commune est close.
CONVENTION SUR L'INTERDICTION
DES MINES ANTIPERSONNEL