Séance du 4 juin 1998






INTERDICTION ET ÉLIMINATION
DES MINES ANTIPERSONNEL

Adoption d'un projet de loi et d'une proposition de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion :
- du projet de loi (n° 424, 1997-1998), autorisant la ratification de la convention sur l'interdiction de l'emploi, du stockage, de la production et du transfert des mines antipersonnel et sur leur destruction [Rapport n° 454 (1997-1998)] ;
- de la proposition de loi (n° 410, 1997-1998), adoptée par l'Assemblée nationale, tendant à l'élimination des mines antipersonnel [Rapport n° 451 (1997-1998)].
La conférence des présidents a décidé qu'il sera procédé à une discussion générale commune de ces deux textes.
Dans la discussion générale commune, la parole est à M. le ministre.
M. Alain Richard, ministre de la défense. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la question qui nous réunit aujourd'hui revêt, aux yeux duGouvernement, une grande importance - vous vous en doutez - et nous sommes heureux qu'elle soit traitée, dans le cadre du dialogue législatif, avec méthode et détermination.
Les mines antipersonnel constituent un fléau qui tue ou mutile chaque année plus de 20 000 personnes dans le monde, civils, femmes et enfants. La dissémination de ces armes, qui continuent à frapper leurs victimes bien longtemps après la fin des conflits, entraîne des tragédies et des perturbations socio-économiques profondes dans les pays où elles ont été massivement utilisées.
N'oublions pas que le déminage de notre pays, en 1945, a pu être considéré comme le dernier acte de la Seconde Guerre mondiale en France. De 1944 à 1947, 484 démineurs ont été tués sur le sol français et 809 autres blessés, tandis que, dans les rangs des prisonniers de guerre, les victimes se comptaient par milliers.
Depuis un demi-siècle, l'utilisation des mines a connu un développement amplifié, tant par la variété des modèles employés que par la quantité posée sur le terrain. Tous les belligérants les ont utilisées pour mettre hors de combat les personnels, les véhicules, les navires, et ce sur tous les fronts.
Les mines antipersonnel terrestres ont été utilisées de façon de plus en plus anarchique ces dernières années dans le but non dissimulé de terroriser les populations et de désorganiser des régions entières. Le largage à distance par avion, par hélicoptère ou encore la projection par artillerie se sont multipliés. Au total, plusieurs dizaines de millions de ces armes ont été disséminées sans que leur utilisation s'accompagne de marquages ou de plans de pose rigoureux.
Chaque jour, des victimes sont à déplorer dans les pays en guerre ou qui étaient antérieurement en guerre, mais aussi du fait d'explosions inopinées ou de manipulations imprudentes.
Dans ce contexte, l'ancien secrétaire général des Nations unies, M. Boutros Boutros-Ghali, a eu raison de parler de « désastre humanitaire ».
Dans soixante-dix pays, quelque 110 millions de mines antipersonnel sont enfouies - d'après les statistiques approximatives dont nous disposons - et demeurent actives longtemps après la fin du conflit qui a entraîné leur pose. En France, ces engins provoquaient encore le décès de onze personnes en 1990 et en 1991.
Tous les continents ont été touchés par ce fléau, de l'Angola à l'Afghanistan, en passant par le Tchad, le Cambodge et, plus près de nous en Europe balkanique : trois millions de mines antipersonnel seraient encore enfouies en Bosnie-Herzégovine, et autant en Croatie.
Certes, les conflits laissent sur leurs théâtres d'affrontements des millions de mines enfouies et davantage encore de bombes, d'obus, percutés ou non et souvent très sensibles, sans compter les munitions abandonnées, individuellement ou en stock.
Mais, chaque mois, les mines antipersonnel terrestres causent à elles seules la mort de 800 personnes et la mutilation de 2 000 autres.
Lorsqu'ils survivent, les blessés victimes de l'explosion d'une mine antipersonnel sont atteints de lésions graves, multiples, durables, nécessitant en général des interventions chirurgicales répétées, une longue période de rééducation et des appareillages performants. Or, malheureusement, la plupart des atteintes dues aux mines se produisent dans des pays pauvres ou désorganisés, qui ont des capacités limitées en matière de soins médicaux et de services de rééducation. Pour les blessés, il est donc très souvent impossible de bénéficier du traitement et des soins requis.
Toutefois, je voudrais devant vous me féliciter des partenariats qui se développent entre les centres d'appareillage que l'histoire nous a imposé de développer pour nos victimes et les organisations humanitaires. Le partenariat qui existe ainsi entre le secrétariat d'Etat aux anciens combattants, le centre d'études et de recherche sur l'appareillage des handicapés, le CERAH, à Metz, et Handicap international est exemplaire. Il permettra au plus grand nombre de bénéficier de ce qu'il faut bien appeler notre savoir-faire et notre expérience.
Outre les ravages que les mines antipersonnel provoquent sur les personnes, elles entraînent également de graves conséquences sur le plan économique et social pour les Etats, en particulier les plus démunis d'entre eux. La présence de mines antipersonnel rend inutilisables de vastes portions de territoires. Souvenons-nous que, en 1945, 500 000 hectares avaient dû être classés zone dangereuse en France métropolitaine !
Les travaux de déminage sont longs, dangereux, coûteux et complexes, sans commune mesure avec la simplicité d'emploi des mines. Le développement des technologies de détection et de neutralisation des mines en série demeure insatisfaisant. Des efforts dans ce secteur devront être consentis car, aujourd'hui, déminer suppose recourrir à des opérations manuelles, lentes et périlleuses.
Les militaires français, qui, de longue date, ont développé une expertise très poussée dans cette technique, y ont consacré énormément d'efforts et de dévouement. Malgré toutes les mesures de sécurité dont je peux personnellement vérifier la rigueur - huit militaires ont trouvé la mort et quatre-vingt-sept ont été blessés depuis le début de cette décennie. Nous pouvons penser particulièrement à eux et à leurs familles en cet instant où notre législation évolue positivement.
Mesdames, messieurs les sénateurs, face à la situation que je viens de décrire, la France a marqué de façon résolue son engagement, tant au plan national que sur la scène internationale, à lutter contre ce fléau. Elle a été l'un des tout premiers Etats à donner l'exemple et n'a cessé, au cours de ces dernières années, de prendre des initiatives en ce sens.
A titre unilatéral, plusieurs décisions ont marqué notre volonté d'oeuvrer en faveur de l'élimination des mines antipersonnel.
Il est tout d'abord apparu à notre pays que la dissémination de ces engins à travers le monde et aux mains d'Etats irresponsables, voire de bandes armées ou de mouvements insurrectionnels, était un élément important de danger. Réduire la disponibilité et la circulation de ces engins apparaît indispensable.
C'est à cette fin que la France a adopté, en février 1993, un moratoire absolu et illimité dans le temps sur l'exportation de toutes les mines antipersonnel. C'est, ensuite, sous la présidence de la France que l'Union européenne a adopté un moratoire sur l'exportation qui concerne la totalité de l'Union. En outre, notre pays, qui n'a pas exporté ces engins depuis plus de quinze ans, a décidé, en septembre 1995, d'appliquer un moratoire, là encore absolu et illimité dans le temps, sur la production des mines antipersonnel dans son industrie de défense.
A la même date, la France a annoncé son engagement de réduire progressivement, par destruction totale, son stock national de mines antipersonnel. Les opérations de destruction ont débuté en septembre 1996 et ont été réalisées, jusqu'à présent, par les établissements spécialisés de l'armée de terre. A ce jour, environ 50 000 mines ont été ainsi détruites.
Nous accélérons maintenant le rythme des opérations de destruction : un appel d'offres public a été lancé à la fin du mois d'octobre 1997 afin d'industrialiser la destruction de ces armes ; une lettre de notification de marché a été adressée en mars dernier aux trois entreprises qui ont été qualifiées pour ces opérations. Dans le cadre de ce marché, la moitié du stock français - soit plusieurs centaines de milliers de mines - sera détruite d'ici à la fin de cette année ; les opérations se poursuivront en 1999 pour se clore soit à la fin de l'année 1999, soit, au plus tard, au début de l'année 2000 ; la France aura détruit la totalité de ses mines antipersonnel en l'an 2000, bien avant le terme fixé par la convention dont nous allons débattre. Je crois qu'il faut s'en réjouir.
De plus, sur le plan opérationnel, la France n'emploie plus, depuis plusieurs années, de mines antipersonnel.
Cette doctrine de non-emploi, je le rappelle, ne comporte aucune exception géographique et s'applique à toutes les catégories de mines antipersonnel. En juin 1997, nous avons annoncé que nous renoncerions définitivement et sans exception à toute forme d'emploi des mines antipersonnel dès l'entrée en vigueur d'un traité efficace et, unilatéralement, au plus tard à la fin de l'année 1999. C'est ce que, au nom du Gouvernemment, je vous propose d'inscrire dans notre législation aujourd'hui.
Dans le domaine diplomatique, la France a pris activement part à toutes les négociations engagées sur la question des mines antipersonnel. En vous proposant aujourd'hui de ratifier la convention d'Ottawa, le Gouvernement vous invite à franchir une nouvelle étape importante.
En 1993, le président François Mitterrand a demandé la révision du protocole II annexé à la convention de 1980 sur certaines armes classiques. En mai 1996, nous avons signé la version révisée du protocole II qui réglemente et limite l'emploi des mines antipersonnel, dans les conflits internationaux comme dans les conflits internes.
La ratification de ce texte a été approuvée par le Sénat le 24 juin 1997 et sera complétée par le vote de l'Assemblée nationale d'ici à la fin de la présente session.
Le mouvement en faveur d'une interdiction des mines antipersonnel n'a alors plus cessé de prendre de l'ampleur sur la scène internationale, et nous devons nous en réjouir. De même, il faut se féliciter du rôle des organisations non gouvernementales, en premier lieu de Handicap International, mais également de la sensibilisation de nos associations d'anciens combattants, dans toute leur diversité.
Sur la scène internationale, la conférence diplomatique d'Oslo de septembre 1997 a permis d'achever, enfin, l'élaboration du texte de la convention d'Ottawa. La France a, tout au long des négociations, participéactivement à l'élaboration de ce document international et a souligné son attachement à l'adoption d'une norme d'interdiction totale, sans exception ni ambiguïté.
Cette convention que j'ai l'honneur de vous présenter définit une norme d'interdiction totale. Son article 1er prohibe l'emploi, la mise au point, la production, l'acquisition, le stockage, la conservation et le transfert des mines antipersonnel. Il interdit également d'assister, d'encourager ou d'inciter de quelque manière quiconque à s'engager dans cette activité. Les stocks existants devront être détruits dès que possible, et au plus tard quatre ans après l'entrée en vigueur de cette convention.
En prohibant la production, le stockage, le transfert et l'emploi des mines antipersonnel, la convention d'Ottawa contribue de manière importante à enrayer la dissémination de ces engins.
Toutefois, aussi longtemps que les millions de mines antipersonnel mises en place sur le terrain n'auront pas été enlevées et détruites, elles continueront à faire courir de graves dangers aux populations. La convention tente donc également de répondre à cette préoccupation majeure en imposant à chaque Etat partie la disparition des zones minées sous sa juridiction ou sous son contrôle.
Sur notre sol, des mines antipersonnel n'ont été mises en place que pour la protection de la base aérienne 126 de Solenzara, en Corse. Ces mines ont été disposées en 1978 après un attentat contre les installations radar et alors que les menaces d'autres agressions planaient sur nos sites militaires dans l'île.
Toutefois, les mines ont été disposées selon un plan de pose rigoureux : pose entre double grillage de sécurité, marquage parfaitement reconnaissable et durable, inspection régulière par du personnel militaire. Ces précautions sont telles qu'une pénétration involontaire dans la zone est absolument impossible. Le retrait des mines est en cours et sera achevé d'ici à la fin de cette année, étant entendu que des moyens de protection non mortels, indispensables à la protection de cette installation, sur laquelle continuent à peser certaines tensions, seront mis en place.
Nous savons que certains Etats particulièrement affectés auront, en comparaison de l'effort limité de la France, d'énormes difficultés à procéder dans un délai de dix ans à la destruction de toutes les mines antipersonnel qui sont sur leur sol. Cette réalité doit nous inciter à nous engager dans des coopérations élargies, avec une recherche d'efficacité maximale.
Outre le déminage, l'un des grands défis que doit relever la communauté internationale est de déterminer la meilleure façon de répondre aux besoins des victimes de ces mines. A cette fin, la convention prévoit que chaque Etat partie qui est en mesure de le faire devra fournir une assistance pour les soins aux victimes des explosions de mines, pour leur réadaptation ainsi que pour leur réintégration sociale et économique.
Le service de santé de nos armées apportera, pour ce qui concerne la France, toute sa compétence à ces efforts. De surcroît, une réflexion interministérielle s'est engagée, dont les conclusions seront présentées prochainement au Gouvernement.
Par ailleurs, un mécanisme de vérification du respect des dispositions de la convention a été prévu, à la demande, notamment, de la France. En effet, pour le Gouvernement, les dispositions relatives à la transparence et à la vérification revêtent une importance particulière.
La vérification est un élément essentiel à la maîtrise des armements. Elle a, en l'occurrence, pour objet de renforcer la sécurité de l'ensemble des Etats parties à un traité en accroissant la confiance que peut avoir chacun dans le respect, par tous, de leurs engagements. De plus, les mesures de vérification dissuadent ceux qui seraient tentés de violer les dispositions du traité et constituent la base à partir de laquelle les cas de violation sont définis et les mesures de redressement prises.
Les négociateurs de la convention d'Ottawa ont donc introduit un système complet de transparence, de règlement des différends et de vérification qui, à nos yeux, concourra efficacement à l'autorité des nouvelles règles internationales et au développement de la confiance entre tous les Etats qui y adhèrent.
A cette fin, chaque Etat partie doit présenter au secrétaire général des Nations unies un rapport annuel sur les mesures qu'il a prises pour respecter les dispositions de la convention. La France prépare un premier rapport qui sera transmis cet été à New York.
Enfin, la convention d'Ottawa prévoit le recours à une procédure d'enquête si l'un des Etats parties soupçonne un autre Etat partie de ne pas avoir respecté les dispositions de ladite convention.
La convention d'Ottawa marque donc une étape déterminante sur la voie de l'élimination des mines antipersonnel.
La loi autorisant la ratification de cette convention, sur laquelle vous êtes appelés à vous prononcer aujourd'hui, mesdames, messieurs les sénateurs, fera de la France l'un des premiers Etats parties, et le premier Etat membre du Conseil de sécurité, à adhérer à cette norme. Cela marquera avec force et détermination notre volonté d'aboutir à une interdiction totale et universelle des mines antipersonnel.
D'autres combats restent néanmoins à mener. La dynamique instaurée par cette convention doit être maintenue. La France se joindra, tout d'abord, à tous les efforts qui seront entrepris en vue de promouvoir l'universalisation de la convention d'Ottawa. Nous continuerons à militer en faveur de l'ouverture rapide de négociations sur les mines antipersonnel à la conférence du désarmement. En effet, une action dans cette enceinte, qui compte parmi ses membres je dirai non pas les principaux opposants, mais ceux qui sont les plus réticents à la convention d'Ottawa, peut permettre d'obtenir de ces Etats un engagement sur des objectifs, dans un premier temps, plus modestes.
A cet égard, un accord sur l'interdiction des transferts, des cessions de mines, pourrait être, de notre point de vue, un premier objectif réaliste et utile. Il assécherait les marchés d'approvisionnement de certains gouvernements et des groupements non étatiques qui sont tentés d'en acheter.
Les suites de la convention d'Ottawa devront aussi se traduire par une action concrète en faveur du déminage et en direction des victimes.
Le Gouvernement a annoncé, lors de la conférence d'Ottawa, en décembre dernier, son plan d'action contre les mines antipersonnel, dont je vous rappelle les principales dispositions. Six objectifs guideront, dans les années à venir, l'action de la France.
L'effort financier consenti par notre pays sera poursuivi et intensifié autant que possible. Près de 120 millions de francs ont été consacrés, depuis 1994, à des actions de déminage ou d'assistance aux victimes. Cet effort sera poursuivi dans les années à venir, notamment dans le cadre de nos contributions aux programmes européens.
La coordination de notre action contre les mines doit être renforcée afin d'en accroître l'efficacité.
A l'échelon national, un comité interministériel est chargé de coordonner l'action des différents intervenants français dans ce domaine. Nous opérons dans les organismes publics chargés du déminage les efforts de rationalisation nécessaires et nous soutenons le développement d'entreprises spécialisées présentant toutes les garanties souhaitables pour relayer notre action publique et pour valoriser les savoir-faire acquis par les personnels français.
De même, à l'échelle européenne, nous souhaitons la désignation rapide d'un coordinateur communautaire supervisant l'ensemble des programmes de déminage et d'assistance aux victimes mis en oeuvre par l'Union européenne.
Notre action en matière de formation au déminage sera aussi substantiellement renforcée. Nous pouvons, à cet égard, tirer partie de l'expérience et de la grande compétence de nos armées dans le domaine de l'enlèvement des explosifs. A cette fin, le ministère de la défense ouvrira plus largement à des stagiaires étrangers, y compris à des organisations non gouvernementales, les portes de l'école supérieure et d'application du génie d'Angers, qui est, comme vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, notre lieu principal de formation en la matière. Je rencontrerai prochainement les partenaires du monde associatif pour définir avec eux les modalités de mise en oeuvre de ce programme.
Nous devons, également, pour guider l'effort international et en accroître l'efficacité, constituer un état des lieux précis de la situation des zones minées dans le monde. Nous encourageons donc la mise en place rapide d'une banque de données mondiale, qui pourrait être placée sous l'égide du secrétariat général des Nations unies, et nous accompagnons les efforts de nos partenaires helvétiques dans la mise en place d'un centre international. La France apportera son concours actif à ces initiatives, en communiquant, notamment, les données qui sont détenues par son centre d'expertise sur les mines de l'école d'Angers.
Notre politique reste délibérément orientée vers le déminage de proximité. Une telle ambition impose que s'établisse un dialogue beaucoup plus étroit entre l'ensemble des acteurs engagés dans le déminage et l'assistance aux victimes. Notre action sera, avant tout, régie par la volonté de développer un partenariat renforcé avec les gouvernements des principaux pays concernés, d'une part, et avec les organisations non gouvernementales, d'autre part.
Pour ce faire, nous nous attacherons à apporter aux gouvernements une assistance systématique dans la mise en place de plans nationaux de déminage ainsi que de structures plus locales permettant d'assurer le suivi et la pérennité des opérations.
Nous renforcerons, en outre, notre collaboration avec les organisations non gouvernementales, notamment avec Handicap international.
Nous chercherons, par ce biais, à créer sur le territoire même des principaux Etats concernés des ateliers de travail réunissant les acteurs praticiens du terrain, institutionnels et non gouvernementaux.
Par ailleurs, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la bonne application de la convention d'Ottawa suppose que la France adopte, sur le plan interne, un certain nombre de dispositions législatives. C'est la raison pour laquelle le projet de loi de ratification de la convention et la proposition de loi transcrivant ses dispositions en droit interne sont l'objet commun de votre débat d'aujourd'hui.
La tâche législative, pour ce qui la concerne, consiste d'abord, puisqu'il y aura des conséquences pénales, à définir les actes déclarés interdits. Devront ainsi être définis la mise au point, la fabrication, l'acquisition, le stockage, la conservation, la cession, l'importation, l'exportation, le transfert et l'emploi des mines antipersonnel.
Seules deux exceptions à l'interdiction totale, énoncées par la convention d'Ottawa, ont été prévues et définies de manière très limitative dans la proposition de loi.
Il s'agit, tout d'abord, d'une exception à l'interdiction de stockage et de transfert, qui est justifiée par le maintien d'un stock pour la mise au point de techniques de détection des mines, de techniques de déminage ou de destruction et pour la formation à ces différentes techniques.
Cette disposition d'exception permettra à la France de conserver son avance dans la poursuite des études nécessaires en matière de recherche et de développement de technologies et de matériels de déminage, ainsi que de consolider la formation de ses démineurs, notamment ses équipes cynophiles.
Dans ce cadre, le Gouvernement souhaite conserver un stock de 5 000 mines antipersonnel. La convention d'Ottawa ne fixe pas expressément le nombre de mines dont la détention reste autorisée. Elle prévoit simplement que le nombre de ces mines ne doit pas excéder le minimum absolument nécessaire aux fins de mise au point des techniques de détection, de déminage ou de destruction des mines et pour la formation à ces techniques.
Les Etats ayant participé aux négociations de la convention d'Ottawa se sont en effet refusé à fixer arbitrairement un chiffre pour ces mines. Il était toutefois entendu par tous que ce chiffre devait se limiter à quelques milliers. Le chiffre de 5 000 retenu par la France correspond donc à nos besoins techniques tout en étant conforme à l'esprit des négociations de la convention d'Ottawa. Nos partenaires les plus proches ont adopté des positions similaires.
La deuxième exception permettra de transférer ou de stocker des mines antipersonnel à des fins de destruction. Cette disposition sera particulièrement utile aux Etats qui, à la différence de la France, ne disposent pas de personnels formés et d'installations adaptées. Ainsi, les Pays-Bas ont confié, en 1997, la destruction de leur stock de mines antipersonnel à l'Allemagne et à la France.
La future loi doit également prévoir des sanctions pénales rigoureuses tant à l'égard des personnes physiques que des personnes morales qui la violeraient.
Une commission nationale pour l'élimination des mines antipersonnel, réunissant l'ensemble des partenaires - administration, Parlement, associations à vocation humanitaire, personnalités qualifiées - assurera le contrôle de l'application de la loi et veillera à l'action internationale de la France en matière d'assistance aux victimes.
La loi doit également transcrire en droit interne toutes les dispositions relatives à la transparence et à la vérification qui confèrent des prérogatives d'exception à des autorités internationales et prévoir, en particulier, les prescriptions relatives à l'accueil en France des missions dites d'établissement des faits, c'est-à-dire des missions d'enquête préalable.
Enfin, pour achever la mise en conformité du dispositif de défense avec nos engagements, il convient de prévoir un délai de quelques mois pour l'entrée en vigueur des dispositions législatives appliquant la convention en droit interne.
Telles sont les principales observations que je souhaitais faire devant le Sénat dans la discussion générale.
Je remercie les membres de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées pour le travail constructif qu'ils ont accompli, en particulier son rapporteur, M. Goulet, et son président, M. de Villepin. Je remercie également tous les parlementaires qui, forts de leurs valeurs humanistes, ont joué un rôle dynamique dans cette action.
Ces textes nous permettront de porter un coup décisif dans la lutte contre ce fléau, lutte dans laquelle la France aura gardé de bout en bout sa place exemplaire. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Daniel Goulet, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avec la convention d'Ottawa, d'une part, et le texte destiné à permettre sa pleine et entière application dans le droit français, d'autre part, le Sénat participe aujourd'hui à une étape très importante dans le combat humanitaire contre les mines antipersonnel.
Les mines antipersonnel ne sont pas des armes de destruction massive et elles n'ont occupé jusqu'à présent qu'une place marginale dans les questions de désarmement. Elles ont pourtant causé des méfaits sans commune mesure avec les justifications avancées pour leur usage militaire, et c'est à juste titre que le précédent secrétaire général des Nations unies a pu parler, à leur propos, de « désastre humanitaire ».
Produites en grande quantité et à faible coût, ces armes ont été massivement utilisées au cours des trente dernières années, dans des guerres civiles et dans des conflits classiques, tant par des troupes régulières que par des factions armées. Détournées de leur finalité strictement militaire, elles ont été disséminées sur de vastes zones. Au mépris des principes fondamentaux du droit international humanitaire, elles frappent indistinctement combattants et populations civiles, l'on peut même dire plus fortement encore les civils, en premier lieu les enfants. Elles continuent à tuer ou blesser des années après la fin des hostilités et maintiennent dans les pays concernés une sorte d'état de guerre en temps de paix.
Quelques chiffres émanant de l'ONU montrent l'ampleur du problème : en 1995, 110 millions de mines antipersonnel étaient enfouies dans le sol de 64 pays, et leur nombre augmenterait de 2 millions d'unités par an ; chaque mois, 800 personnes seraient tuées et 1 000 à 1 500 autres mutilées par les mines antipersonnel ; enfin, le coût d'enlèvement d'une seule mine varie de 300 à 1 000 dollars, ce qui donne une idée du défi que représente le déminage.
Il était donc légitime que la communauté internationale tente d'élaborer des instruments juridiques à la mesure de ce fléau. Tel est l'objet de la convention adoptée à Ottawa en décembre 1997, pour l'interdiction de l'emploi, du stockage, de la production et du transfert des mines antipersonnel et pour leur destruction.
La convention d'Ottawa est un texte simple, clair, dépourvu d'ambiguïté.
Premièrement, elle interdit l'emploi, la mise au point, la production, l'acquisition, le stockage, la conservation et le transfert des mines antipersonnel.
Deuxièmement, elle oblige les signataires à détruire leurs stocks de mines antipersonnel dans un délai de quatre ans.
Troisièmement, elle limite très strictement les exceptions, pour des besoins très précis : la formation des démineurs et la mise au point de matériels de déminage ou de destruction.
Quatrièmement, elle prévoit des mesures de transparence et surtout un régime international de vérification, inspiré de celui qui est établi par la convention d'interdiction des armes chimiques.
Enfin, elle invite les parties à renforcer la coopération internationale dans le domaine du déminage et de l'aide aux victimes.
La commission des affaires étrangères et de la défense a émis un avis favorable à l'adoption de cette convention et, bien entendu, de son texte d'application interne. Je voudrais, en son nom, formuler trois séries d'observations.
Tout d'abord, cette convention constitue une relance très significative du processus international sur les mines antipersonnel, qui semblait quelque peu enlisé après la révision décevante, en 1996, du protocole II, relatif aux mines, de la convention de Genève sur les armes classiques.
Lors de l'examen de ce texte au Sénat, en juin 1997, nous avions souligné combien les améliorations qu'il apportait étaient minces au regard de l'ampleur du problème des mines antipersonnel. Aux côtés de quelques avancées témoignant du souci d'enrayer les dérives les plus criantes de l'utilisation des mines, ce texte souffre de graves insuffisances, telles que la durée de la période transitoire ou l'absence de mécanisme de vérification.
Par rapport au protocole II, qui représente en quelque sorte les règles minimales sur lesquelles la communauté internationale est parvenue à établir un consensus, la convention d'Ottawa représente à la fois un changement de degré et un changement de nature : un changement de degré, car elle édicte la contrainte maximale, c'est-à-dire l'interdiction totale ; mais aussi un changement de nature, car elle place les mines antipersonnel au ban de la communauté internationale et les rend totalement incompatibles avec les principes humanitaires.
Notre deuxième observation porte sur le rôle précurseur de la France, sous divers gouvernements, dans le combat contre les mines antipersonnel.
On l'a vu, sur le plan diplomatique, lors de la révision du protocole II et lors de la négociation de la convention d'Ottawa, la France a fermement défendu l'intégrité du traité, face aux pays, et en premier lieu les Etats-Unis, qui demandaient une longue période transitoire ou des exceptions géographiques. Elle a milité avec succès pour un régime de vérification souple mais efficace.
Sur le plan humanitaire, la France contribue activement à des programmes de déminage et d'assistance aux victimes.
Sur le plan interne, la France a été l'un des premiers pays à prendre, à titre unilatéral, des mesures significatives à l'encontre des mines antipersonnel.
C'est le cas, depuis plusieurs années, avec l'interdiction de l'exportation et de la production des mines antipersonnel, à laquelle le projet de loi déposé au Sénat en 1997 par le gouvernement Juppé devait donner force législative.
Il en va de même pour l'emploi des mines antipersonnel, qui ne revêtait plus qu'un caractère exceptionnel et qui a toujours obéi, en tout état de cause, à des règles extrêmement strictes de marquage des zones et de plan de pose, sans aucune assimilation possible avec l'usage inconsidéré qui a causé tant de ravages dans de nombreux pays.
La doctrine d'emploi, formalisée par le gouvernement Juppé en octobre 1996, précisait que « la France renonçait à l'emploi des mines antipersonnel, sauf en cas de nécessité absolue imposée par la protection de ses forces ».
Le ralliement de la France au processus d'Ottawa en juin 1997 a supprimé cette ultime réserve et a permis d'annoncer un renoncement définitif à l'emploi des mines antipersonnel dès l'entrée en vigueur d'un traité efficace, et au plus tard à la fin de l'année 1999.
Ce renoncement aux mines antipersonnel ne fait, bien entendu, en rien disparaître la nécessité de protéger nos forces lors des opérations. Il nous paraît donc important que les armées soient rapidement dotées, en nombre suffisant, du système MODER, qui assurera les mêmes fonctions d'alerte que les mines antipersonnel mais, cette fois-ci, avec l'action positive d'un opérateur.
La troisième observation de la commission tient à l'attitude de la communauté internationale face à la convention d'Ottawa.
Nombre d'observateurs se sont réjouis de constater qu'une telle convention, élaborée en à peine plus d'une année, ait pu rapidement réunir plus de cent vingt adhésions.
C'est incontestablement un succès.
Mais on ne peut manquer d'être également impressionné par la liste des pays qui n'ont pas signé la convention. On y trouve : les Etats-Unis, la Russie, la Chine, l'Inde, le Pakistan, Israël, la Turquie, le Liban, la Syrie, l'Ukraine, la Finlande, les trois Etats baltes, la Yougoslavie, Cuba, les deux Corées, le Vietnam, l'Afghanistan et encore l'Egypte, l'Iran et l'Irak.
Les motivations de ces pays sont diverses. Elles tiennent parfois à des considérations de sécurité nationale, parfois à des considérations financières, ou à l'absence, dans l'immédiat, de matériels de substitution.
Quoi qu'il en soit, force est de reconnaître que, pour une très large majorité des pays impliqués dans l'utilisation, la production ou l'exportation des mines antipersonnel, la convention d'Ottawa n'aura aucune portée pratique, du moins à court terme.
Cette situation appelle de notre part trois remarques.
Tout d'abord notre pays se situe bien à l'avant-garde de la communauté internationale. Alors qu'il s'est toujours astreint à un emploi très strictement contrôlé de ce type d'armes, il renonce définitivement à les utiliser et il est contraint de mettre au point rapidement des moyens palliatifs pour garantir si besoin la protection de nos forces. C'est un geste politique fort, dont la portée mérite d'être appréciée à sa juste mesure.
Ensuite, il est clair que la lutte contre les effets dévastateurs des mines antipersonnel ne s'arrête pas avec la convention d'Ottawa. Il est plus que jamais nécessaire de relancer les négociations au sein de la conférence du désarmement avec tous les pays qui n'ont pas adhéré à cette convention. La recherche d'un accord universel d'interdiction des transferts de mines antipersonnel, comme le propose la France, peut effectivement constituer un objectif réaliste.
Enfin, si la convention d'Ottawa ne représente qu'une étape dans une oeuvre de longue haleine, qui passe par la diplomatie mais aussi par l'entreprise de déminage, son principal mérite est de constituer une norme de référence, la seule finalement acceptable pour des armes qui ont produit des méfaits sans commune mesure avec leur justification strictement militaire.
C'est sous le bénéfice de ces observations que la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées vous demande d'adopter le projet de loi autorisant la ratification de cette convention d'Ottawa.
J'évoquerai maintenant brièvement le texte de droit interne qui doit inscrire dans notre législation les mesures d'application de la convention.
En effet, la convention appelle plusieurs mesures nationales d'application, en particulier des sanctions pénales et des précisions sur les missions d'établissement des faits destinées à vérifier le respect de ses dispositions.
Ces mesures figurent dans la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale avant même le dépôt au Parlement de la convention d'Ottawa. Nous nous félicitons, pour notre part, de pouvoir examiner ce texte d'application après la convention elle-même.
Lors de sa réunion du 27 mai, la commission a également joint à cet examen celui de deux propositions de loi d'origine sénatoriale, déposées l'une par M. Estier et les membres de son groupe, l'autre par Mme Beaudeau et les membres de son groupe.
Le texte qui nous vient de l'Assemblée nationale comporte cinq séries de dispositions.
Il inscrit dans la loi française le principe de l'interdiction de l'emploi, de la fabrication, du stockage et du transfert des mines antipersonnel.
Il impose la destruction des stocks de mines antipersonnel d'ici à la fin de l'an 2000, à l'exception d'un contingent maximal de 5 000 mines conservées pour la formation des démineurs et la mise au point des matériels de déminage et de destruction.
Il prévoit de lourdes sanctions pénales pour les contrevenants aux interdictions précitées.
Il impose un régime de déclaration pour toutes les informations concernant la détention des mines et la destruction des stocks.
Il précise les conditions de déroulement des missions d'établissement des faits en confiant au juge un rôle de protection des droits de la personne et de la propriété privée.
Les deux propositions de loi déposées par nos collègues allaient, avec un certain nombre de variantes que j'ai signalées dans mon rapport écrit, dans un sens tout à fait identique.
Considérant que le texte adopté à l'unanimité par l'Assemblée nationale se bornait à appliquer dans le droit français la convention d'Ottawa, il a paru évident à la commission que l'approbation de la convention devait entraîner celle de la proposition de loi.
Dans cette optique, les amendements que propose la commission se limitent à préciser le texte adopté par l'Assemblée nationale, avec le seul souci de traduire aussi fidèlement que possible la lettre et l'esprit de la convention d'Ottawa.
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées vous propose donc d'adopter cette proposition de loi assortie de ces quelques amendements. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Huriet.
M. Claude Huriet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me souviens - c'était il y a huit ans - que, dans l'enceinte du Sénat, avait eu lieu, sur l'initiative de Handicap international, une réunion d'information et de sensibilisation, à laquelle j'avais eu l'avantage de participer ; cette rencontre avait d'ailleurs été honorée par la visite de l'épouse du Président de la République de l'époque.
Depuis, j'avais été amené à suivre de plus près l'action de Handicap international à travers les publications qu'elle adresse régulièrement à nombre d'entre nous. J'avais été frappé par les drames que les mines antipersonnel ont déclenchés au fil du temps, par ces photos d'enfants amputés, gravement mutilés, handicapés à vie, ajoutant ainsi au drame des populations atteintes par des guerres, souvent des guerres civiles, affrontements fratricides.
Aussi, je veux d'abord rendre hommage aux victimes des mines antipersonnel, à tous ceux qui ont payé de leur vie l'utilisation de cette arme aveugle et dévastatrice, selon l'expression de M. le rapporteur. Je veux rendre hommage également aux organisations non gouvernementales qui, dans l'évolution qui aujourd'hui arrive presque à son terme, ont joué un rôle considérable de sensibilisation et d'information, multipliant les démarches en direction des parlementaires, dont nous recueillons aujourd'hui les fruits.
La Campagne internationale pour l'interdiction des mines antipersonnel a vu le rôle éminent qu'elle a joué reconnu par l'attribution du prix Nobel de la paix. Vous-même, monsieur le ministre, avez évoqué à l'instant dans votre propos l'influence déterminante de l'action intelligente et persévérante de l'association française Handicap international. Après avoir rendu ce double hommage aux victimes et à ceux qui, face aux drames qui atteignent des hommes, des femmes et des enfants, sont capables non seulement de générosité, de dévouement, mais aussi d'imagination pour répondre, le mieux possible, par exemple en concevant et en réalisant des prothèses, avec des moyens rudimentaires, aux handicaps qui affligent définitivement ces populations, je voudrais maintenant exprimer des sentiments de satisfaction.
Les actions engagées depuis sept à huit ans trouvent leur aboutissement à travers la convention d'Ottawa, que vous-même, monsieur le ministre, et M. le rapporteur venez de présenter.
Le rôle de la France a été souligné à juste titre. Notre pays a en effet été l'un des premiers signataires de la convention d'Ottawa et, depuis quelques années, il a mené des actions persévérantes, qui n'ont pas toujours été payées de retour, qui n'ont pas toujours été comprises de nos interlocuteurs, en faveur de l'interdiction des mines antipersonnel.
Ma satisfaction est néanmoins mitigée, car j'aurais souhaité, monsieur le ministre, que les textes que nous soummes sur le point d'adopter expriment la volonté de la France de mettre immédiatement en vigueur les dispositions de la convention d'Ottawa.
Je ne sous-estime pas - ne souhaitant pas m'aventurer dans un domaine qui ne m'est pas familier - les enjeux militaires que vous devez impérativement prendre en considération. Mais l'affirmation de cette volonté aurait traduit l'engagement très fort de notre pays, qui aurait été ainsi le premier à décider de l'entrée en vigueur des dispositions de la convention.
L'autre réserve tient à la définition des mines antipersonnel.
Je sais qu'il y a discussion à ce propos et je m'attends à ce que la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées fasse valoir des arguments face auxquels je serai, si vous me permettez d'employer cette expression, quelque peu désarmé.
Cependant le risque existe - à moins que l'on ne me prouve le contraire - de voir contourner la volonté d'éradication des mines antipersonnel par l'adaptation de certaines mines antivéhicules. Des bricoleurs de bas étage permettraient de contourner les dispositions de l'accord international intervenu à Ottawa. C'est la raison pour laquelle j'ai déposé, avec certains collègues de mon groupe, un amendement visant à donner l'acception la plus large possible à la définition des mines antipersonnel.
Je conclurai mon intervention par des mots d'espoir, espoir conforté par les propos que vous avez tenus, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur.
Cet espoir tient aux engagements visant à réaliser, dans les délais les plus courts possible, l'éradication totale et définitive des 100 millions à 120 millions de mines antipersonnel qui, à travers le monde, continuent à provoquer des conséquences dramatiques.
L'aide internationale doit être amplifiée, vous l'avez fait valoir.
Vous avez aussi rapproché le coût moyen de l'éradication d'une mine, qui est de l'ordre de 2 000 à 2 500 francs, de son coût unitaire, qui est de 100 francs, ce qui fait de ces mines les armes du pauvre.
L'aide de la France est acquise. Il s'agit non seulement d'une aide financière, mais aussi d'une aide en faveur de la formation de ceux qui auront la lourde et dangereuse tâche de procéder au déminage. Je sais, monsieur le ministre, que la France fait un effort soutenu pour former toujours davantage d'experts aptes à procéder à ces actions de déminage, qu'il s'agisse de militaires ou de militants des organisations non gouvernementales.
C'est sur des mots d'espoir que je voudrais terminer mon propos.
Tout doit être fait pour que ce fléau soit définitivement éradiqué. Ainsi, dans ces pays doublement pénalisés, puisque leur redémarrage économique est souvent largement compromis par les mines antipersonnel qui continuent à les menacer, dans quelques années, il ne s'agira plus que d'un mauvais rêve. Tout doit être fait pour que ces années noires, ces années de cauchemar, s'achèvent rapidement, grâce à la collaboration internationale et au rôle éminent de notre pays. Nous y aspirons tous. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Penne.
M. Guy Penne. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les socialistes ont toujours milité pour la paix et le désarmement, et, dans le monde actuel, ce combat reste une exigence vitale.
La grave question de la prolifération nucléaire prouve que, dans ce domaine, rien n'est jamais acquis.
Nous sommes donc heureux de débattre aujourd'hui de deux textes, l'un présenté par le Gouvernement et l'autre dû à l'initiative parlementaire, qui permettront une avancée certaine en matière de désarmement.
Aucune négociation n'est mineure, et l'on doit inlassablement reprendre le travail de persuasion, d'expression et d'explication, afin de faire progresser l'idée d'une sécurité collective assumée et assurée d'une manière collective.
Ce n'est pas un hasard si nous examinons aujourd'hui une proposition de loi issue de l'Assemblée nationale et d'origine socialiste. En effet, nous avions abordé ce problème depuis longtemps. Nous-mêmes, sénateurs socialistes, avions déposé une proposition de loi en 1995, et d'autres collègues avaient fait de même.
Il convient également de faire remarquer que l'Assemblée nationale a adopté à l'unanimité la proposition de loi tendant à l'élimination des mines antipersonnel.
Par ailleurs, le Gouvernement a déposé sur le bureau du Sénat le projet de loi autorisant la ratification de la convention sur l'interdiction de l'emploi, du stockage, de la production et du transfert des mines antipersonnel et sur leur destruction. Il s'agit là de la convention signée à Ottawa le 3 décembre 1997.
Nous avons donc deux textes portant sur le même sujet : d'une part, la convention et, d'autre part, le texte législatif la transposant dans le droit français.
En ce qui concerne la proposition de loi, on peut dire qu'elle est le complément nécessaire de l'adhésion de la France à un texte international qui constitue indéniablement un progrès dans la lutte contre la barbarie.
Il s'agit d'un texte équilibré, qui reprend les éléments de la convention d'Ottawa et qui propose un système qui se veut cohérent, efficace et dissuasif, devant aboutir à l'élimination totale de ce type d'armes en France.
Ce texte et la volonté politique qui le sous-tend devraient inspirer des initiatives similaires en Europe et sur le plan international.
Ainsi, pour la France, l'an 2000 ouvrira un millénaire sans mines antipersonnel.
La proposition de loi prévoit une interdiction totale des mines antipersonnel, tout en réservant une exception à des fins de formation des démineurs et de mise au point d'appareils de déminage.
Elle définit, en reprenant la convention d'Ottawa, la notion de « mine antipersonnel ».
Elle prévoit des sanctions pénales punissant les délits ainsi que la création d'une commission de suivi de l'application de la loi et de la convention.
Ce texte nous semble pondéré et efficace et les amendements retenus par la commission nous semblent pertinents ; ils complètent utilement le texte.
Je ne ferai pas de longs développements dans la mesure où les rapports de notre collègue M. Daniel Goulet abordent avec précision les différentes facettes de la douloureuse problématique qui nous occupe aujourd'hui.
Est-il nécessaire de rappeler encore les conséquences humaines, sociales et économiques de cette véritable catastrophe humanitaire quotidienne produite par les mines antipersonnel ?
Les mines existent depuis longtemps, mais la prise de conscience de leur malignité à l'égard de populations civiles est récente.
L'usage militaire normal aurait dû les cantonner à la protection des établissements militaires sensibles. Hélas, ce type d'arme s'est développé dans des proportions incroyables et dans des contextes différents, mais toujours fort préjudiciables aux populations civiles. Les mines, faciles à préparer, peu chères, ont cessé d'être utilisées de la façon militaire classique. Elles sont devenues l'arme des guerres civiles, de guérillas et de contre-guérillas, d'un terrorisme massif destiné à vider une région en éloignant les habitants et à contrôler à peu de frais de vastes zones.
Armes aveugles, dévastatrices, les mines antipersonnel violent un principe fondamental du droit humanitaire en frappant sans discrimination militaires et civils. De surcroît, leur dissémination incontrôlée, sauvage, dirions-nous, rend le déminage aléatoire, coûteux et très dangereux.
Je voudrais, à cette occasion, rendre ici hommage aux démineurs militaires français qui, au risque de leur vie, contribuent à la protection des populations.
Voici quelques chiffres, comptabilité macabre mais nécessaire pour bien prendre la dimension de l'horreur quotidienne des populations touchées par ce fléau.
Depuis 1980, on sait que plus de 60 millions de mines antipersonnel ont été déposées : de 10 millions à 30 millions en Afghanistan, 20 millions en Angola, 10 millions en Irak, 8 millions au Cambodge et environ 3 millions en Bosnie... Il y en a aussi au Mozambique, au Soudan, en Somalie, au Vietnam, et on pourrait encore allonger la liste.
Au Cambodge, 25 000 personnes ont été appareillées à ce jour. Encore aujourd'hui, les organisations non gouververnementales dénombrent trente victimes chaque mois.
Ces mines qui mutilent et qui tuent font, tous les jours, plusieurs fois par jour, des victimes dans plus d'une dizaine de pays. Les enfants sont les premiers touchés.
Ces armes, qui peuvent rester actives pendant de nombreuses années après leur pose, survivent à la guerre. Des années plus tard, elles continuent leur travail létal. La spécificité des mines réside dans leur caractère non discriminant et au fait qu'elles échappent à la volonté humaine, puisqu'une fois posées, disséminées et abandonnées elles restent actives très longtemps après la fin des conflits. Ainsi on peut dire que, à cause d'elles, la guerre continue après la paix.
Aux très nombreuses victimes, on doit ajouter les conséquences sociales, familiales et économiques de ce fléau : des populations décimées qui ne peuvent plus assurer une vie sociale normale et une économie affaiblie à cause des invalides incapables de subvenir à leurs besoins ; des centaines de personnes condamnées à une assistance permanente dans des pays qui ont déjà énormément de difficultés. En outre, les mines neutralisent des terres fertiles, qui sont ainsi soustraites au travail fécond de populations entières.
Bref, il s'agit d'une véritable catastrophe humanitaire et économique.
Dans ce contexte, la convention d'Ottawa et son prolongement dans notre droit constituent une avancée de taille. Cette convention du mois de décembre 1997, par laquelle cent vingt-quatre pays se sont engagés à ne plus utiliser, fabriquer ni vendre ces armes, entrera en vigueur lorsque quarante Etats l'auront ratifiée.
Il faudra veiller particulièrement à obtenir que le mécanisme de vérification international prévu par la convention soit puissant, efficace et actif.
Transparence et vérification sont les deux piliers nécessaires pour la réussite d'une convention, d'un traité international. L'essentiel est de créer et de maintenir la confiance. Sans elle, aucun texte ne peut être efficace.
Cela est vrai pour les mines antipersonnel, pour les essais nucléaires et pour tout traité de désarmement. L'enjeu des années à venir dans ce domaine tournera autour de la délicate question de la vérification.
Il faudra aussi faire attention aux risques de contournement de la convention : d'autres engins de mort ne doivent pas se substituer aux mines antipersonnel pour faire encore des ravages parmi les populations.
On peut s'interroger sur la portée pratique de cette convention. Nous souhaiterions qu'elle soit la plus grande possible. Or, nous devons constater que de nombreux pays producteurs ou utilisateurs de mines antipersonnel n'ont pas signé la convention.
Il est plus que regrettable que les Etats-Unis, la Chine, la Russie, l'Inde, le Pakistan, Israël, la Turquie, la Syrie, la république fédérative de Yougoslavie, les deux Corée, l'Ukraine, le Vietnam... n'aient pas voulu s'associer à l'esprit d'Ottawa. Parmi les pays non signataires de cette convention on trouve même un membre de l'Union européenne : la Finlande. Hélas, nous pouvons aussi constater que deux pays membres de l'OTAN ne signeront pas cette convention : les Etats-Unis et la Turquie.
Beaucoup de travail reste donc à faire pour placer cette arme une fois pour toutes au rang des armes inhumaines dont l'usage est complètement interdit et pour rendre la convention vraiment universelle.
Il est nécessaire de poursuivre le combat contre les transferts. Le Gouvernement a déjà manifesté sa volonté de participer à la mise au point d'un accord sur l'interdiction des importations et exportations, négocié à Genève, et qui aurait d'emblée vocation à l'universalité, son objet étant de mettre un terme au commerce mondial des mines.
Le mardi 26 mai, la Commission européenne et les Etats-Unis ont annoncé qu'ils s'étaient accordés pour oeuvrer ensemble, en coordination avec les Nations unies, afin d'éliminer d'ici à l'an 2020, par une vaste série d'initatives technologiques, la menace posée par les mines antipersonnel pour la sécurité des civils. Nous nous félicitons de cet accord, qui montre que le dossier est abordé sérieusement et avec l'intention de progresser rapidement. Nous aimerions avoir des détails sur les initatives envisagées.
Ce travail doit se poursuivre, au sein de la conférence du désarmement, dans les instances diplomatiques internationales et multilatérales. Il est également nécessaire que la formidable mobilisation de l'opinion publique internationale se poursuive. Je veux, à ce propos, féliciter Handicap international pour son action.
Je dirai même plus : c'est aujourd'hui aux peuples des pays non signataires de la convention de mobiliser leurs énergies pour amener leurs gouvernements vers plus de sagesse et d'humanité.
La campagne internationale pour l'interdiction totale des mines antipersonnel, qui rassemble plus de 1 200 organisations non gouvernementales et qui a reçu le prix Nobel de la paix en 1997, doit pouvoir poursuivre son action en mettant maintenant l'accent sur les pays et les opinions publiques des pays non signataires.
La France n'a pas à rougir de son action contre ce fléau, M. le rapporteur l'a souligné dans son rapport. Souvent d'une manière unilatérale, elle a pris des mesures courageuses destinées à interdire la fabrication et l'exportation des mines antipersonnel. Elle a même, avant d'autres pays, annoncé qu'elle renonçait définitivement à l'emploi de ces armes malgré les opérations extérieures qui placent ses soldats dans des situations délicates et face à des adversaires pas toujours soucieux du droit humanitaire ou du droit international.
Nous approuvons le plan d'action de la France contre les mines antipersonnel.
Nous approuvons aussi la création, prévue dans la proposition de loi, d'une commission nationale pour l'élimination des mines antipersonnel. Cette commission doit, d'une part, assurer le suivi de l'application de la loi en établissant un rapport et, d'autre part, assurer le suivi de l'action internationale de la France en matière d'assistance aux victimes de mines antipersonnel et d'aide au déminage.
La tâche reste immense et la France dispose d'un excellent savoir-faire. Mais il faudrait une solidarité internationale pour assurer les financements.
La convention d'Ottawa marque une étape déterminante sur la voie de l'élimination totale des mines antipersonnel. La dynamique instaurée par cette convention doit être entretenue. Elle devra surtout se traduire, sur le terrain, par une action concrète en faveur des victimes des mines antipersonnel.
Les sénateurs du groupe socialiste sont heureux de participer par leur vote au travail réalisé pour l'éradication des mines antipersonnels. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Serge Vinçon.
M. Serge Vinçon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi que nous devons aujourd'hui examiner fait référence à un véritable fléau : les mines antipersonnel.
Voilà peu de temps encore, le droit international n'était pas préparé pour lutter contre un tel ennemi de l'humanité. La convention d'Ottawa semble annoncer une nouvelle ère, peut-être celle de l'espoir, l'espoir d'un lendemain sans mines pour des millions de personnes qui risquent tous les jours d'être de nouvelles victimes.
Avec la nouvelle configuration politique née de la chute du mur de Berlin, tous les pays en conflit soutenus par un camp ou un autre se sont souvent embourbés dans un marasme politique et une anarchie militaire sans issue.
C'est alors que les armées non régulières ont utilisé cette arme, si facile à transporter, si simple à installer et aussi bon marché : la mine, l'arme du pauvre.
Dans toute lutte ou tout combat, à côté de ceux qui occupent les médias - télévision, presse écrite, radios - il y a ceux que l'on appelle les gens de l'ombre.
Dans la longue histoire de la campagne contre les mines antipersonnel, il y a un homme, un chirurgien, employé par le Comité international de Croix-Rouge, Robin Coupland.
A la fin des années quatre-vingt, il figurait parmi ces médecins qui, sur la frontière cambodgienne, thaïlandaise ou pakistanaise, tentaient de soulager les victimes des mines. Depuis, il parcourt le monde pour lutter contre cette plaie.
Selon qu'elles sont explosives, à fragmentation ou bondissantes, les mines frappent les membres inférieurs, les membres supérieurs, les parties génitales ou la tête ; elles laissent handicapés à vie ou ôtent la vie.
A l'occasion de la publication de son premier article scientifique sur les blessures par mines, Robin Coupland a déclaré : « J'ai allumé le feu dans mon coin sans savoir que d'autres agissaient de manière identique en même temps. » Sans le savoir, cet homme a été l'un des pionniers de cette rude bataille pour le respect de la vie, qui a commencé dans l'indifférence générale.
Effet boule de neige ou concours de circonstances, la multiplication des témoignages a engendré une prise de conscience que les plus désespérés n'attendaient plus. En effet, des millions de personnes ont dû mourir et des milliers de personnes ont dû se battre pour que les gouvernants entendent leurs cris et finissent par accéder à leur souhait : l'interdiction totale des mines.
Il est incontestable que la contribution, la motivation et l'implication des organisations non gouvernementales dans ce processus ont été déterminantes.
En effet, véritable « armée des ombres » qui, pendant des années, a mâché le travail aux institutions, les organisations non gouvernementales ont remporté une victoire sur l'inertie de bien des Etats.
Aujourd'hui, peu importent les appartenances politiques, sachons mettre de côté nos sensibilités quelles qu'elles soient, soyons responsables de nos actes passés, investissons pour l'avenir. N'oublions pas que ce sont les femmes et les enfants qui sont le plus souvent touchés.
Certains sont persuadés que l'an 2000 ouvrira un millénaire où les mines seront des armes interdites. Puisse le processus de la convention d'Ottawa aller dans ce sens !
La France, il faut le souligner, n'a pas attendu cette convention internationale pour agir ; elle a même eu une attitude responsable. En effet, en 1986, notre pays, qui produit des mines antipersonnel, a décidé de cesser d'en exporter. Puis, en 1993, la France a annoncé un moratoire absolu sur les exportations, puis sur la production. Le 10 mars 1994, une résolution visant à accélérer le processus de déminage au Cambodge, proposée par le député européen Henry Chabert, a été votée.
Autre exemple d'engagement de la France : le 10 octobre 1997, le Président de la République, Jacques Chirac, invitait les quarante chefs d'Etat et de Gouvernement à s'associer au mouvement international en faveur de l'interdiction totale des mines antipersonnel.
Notre position ne pouvait qu'aller de pair avec notre engagement. En effet, en 1996, nous avons annoncé que nous renoncions en principe à l'emploi des mines antipersonnel, mais que nous nous réservions le droit d'y recourir en cas de nécessité absolue.
Aujourd'hui, avec la convention d'Ottawa, nous avons choisi un camp : celui du principe de l'interdiction absolue de cette arme.
En effet, comme le dit notre rapporteur, M. Goulet, ces armes défient l'un des principes fondamentaux du droit international humanitaire, qui interdit l'attaque des populations civiles et proscrit les armes frappant civils et militaires sans discrimination.
Le seul regret que l'on puisse formuler à l'égard de cette convention, c'est que quelques grandes puissances ne l'aient pas signée : les Etats-Unis, la Russie, la Chine, l'Inde, le Pakistan, mais aussi Israël, la Turquie, l'Ukraine, le Vietnam, entre autres ! Il est permis, dans ces conditions, d'avoir quelques inquiétudes quant à l'attitude de certains Etats, et les événements de la semaine dernière sur le continent asiatique ne sont pas pour nous rassurer !
Tout le monde connaît très bien les limites de telles dispositions. Elles sont efficaces à partir du moment où la signature et la ratification sont effectives dans tous les pays concernés. Bien sûr, ce traité constitue un progrès puisqu'il prévoit l'interdiction absolue des mines et institue des obligations d'assistance aux victimes et d'aide au déminage.
Demain, nous devrons faire face encore à trois défis : réussir le déminage, c'est-à-dire mettre tous nos moyens techniques, financiers, scientifiques et humains - donc militaires - au service d'autres hommes et, ainsi, ressusciter des territoires immenses ; convaincre tous ceux qui n'ont pas jugé nécessaire de signer cette convention ; garantir la sécurité de nos soldats sur les théâtres d'opérations extérieures.
Certains considéreront que la convention d'Ottawa n'est qu'une étape parmi tant d'autres. Il faut espérer qu'elle soit plus que cela, car, avec ce texte, c'est la première fois que les victimes des mines antipersonnel se sentent défendues et reconnues comme telles.
La France peut s'honorer de combattre les procédés qui font en temps de paix des victimes innocentes des guerres passées. C'est pourquoi notre groupe votera ces textes. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis ce jour du 27 septembre 1997 où, répondant à l'appel de Handicap international, je me trouvais à réfléchir sur la pyramide de chaussures édifiée sur le parvis du Trocadéro à Paris, je mesure le chemin parcouru. Je m'exprime en effet au nom du groupe communiste républicain et citoyen pour une interdiction totale des mines antipersonnel.
Dans un même engagement, je l'espère, nous allons ratifier puis transposer dans notre droit interne la convention d'Ottawa, qui réunit cent vingt pays signataires, dont la France.
Cette convention constitue, à n'en pas douter, une grande victoire des opinions publiques sur l'hypocrisie et les calculs des Etats qui utilisent, produisent ou exportent des mines antipersonnel.
Ce que l'on qualifiait, il y a seulement quelques années, d'utopie est devenu un objectif partagé de tous.
« Soyons réalistes, exigeons l'impossible ! » Ce slogan des étudiants de mai 68 s'adapte parfaitement à la situation présente.
Aussi, au nom de mon groupe, après d'autres de mes collègues, je tiens à saluer devant le Sénat l'action courageuse des organisations non gouvernementales regroupées au sein de la Campagne internationale pour l'interdiction des mines antipersonnel depuis 1992, notamment Handicap international, qui, depuis quinze ans, comme le disent les codirecteurs de cette organisation non gouvernementale ont refusé de banaliser l'inacceptable et ont organisé non seulement la révolte, mais aussi la réflexion et l'engagement pour faire vivre l'espoir.
Je salue l'ensemble de ces militants de la paix, connus ou méconnus, qui ont su « exiger l'impossible ».
La convention d'Ottawa est aussi la consécration d'un processus qui s'est déroulé en dehors des institutions internationales établies.
Faut-il le regretter ou bien s'en réjouir ?
Il faut le regretter, parce que cette particularité, pour un traité international - regroupant, je le rappelle, plus de 120 pays - illustre les contradictions internes de l'ONU, confrontée aux intérêts des membres du Conseil de sécurité, qui sont aussi les principales puissances militaires et qui organisent le commerce mondial des armes.
D'ailleurs, à ce stade, trois pays membres du Conseil de sécurité - les Etats-Unis, la Russie et la Chine - n'ont toujours pas signé la convention du 3 décembre 1997 portant interdiction des mines antipersonnel.
Mais ne faut-il pas se réjouir de voir l'émergence d'une opinion publique internationale capable d'infléchir les stratégies politiques et militaires des Etats vers le désarmement ?
C'est, en tout cas, la preuve que le nouvel ordre mondial imposé à la planète par les Etats-Unis peut et doit être dépassé.
Le dernier épisode irakien et le constat d'un conflit mort-né, malgré les plans du gouvernement américain, nous confortent dans cette idée. Le cadre onusien ne doit plus légitimer et cautionner les desseins d'un Etat quel qu'il soit.
Aujourd'hui, chaque Etat est placé devant ses responsabilités. Les pays signataires ont la responsabilité d'appliquer rapidement la convention et d'assumer leur rôle dans la dissémination passée des mines.
Les pays non signataires courent le risque, quant à eux, de se retrouver au ban de la communauté internationale.
Ne soyons pas dupes ! Si certains Etats réclament un délai supplémentaire pour se joindre aux signataires, ce n'est pas pour des raisons d'ordre conjoncturel. C'est bien en vue d'adapter leur industrie de fabrication des mines aux nouvelles règles pour tenter de les contourner !
La France, j'ai le regret de le constater, n'est pas exempte de critiques. Je serais tentée de dire que notre pays a pris le train. Mais il se situe désormais dans la locomotive puisqu'il sera l'un des premiers pays à ratifier la convention d'Ottawa après avoir joué un rôle majeur dans les négociations.
En effet, alors que nous attendions un texte d'origine gouvernementale fin 1997, nous nous retrouvons avec une proposition de loi d'origine parlementaire au milieu de l'année 1998, votée par l'Assemblée nationale, alors que le texte autorisant la ratification n'était pas encore déposé sur le bureau du Parlement.
Ce retard, nous le savons tous, correspond à la mise au point d'un système, le « système MODER », destiné à se substituer aux mines antipersonnel, dont le déclenchement ne serait pas automatique, mais nécessiterait l'intervention d'un opérateur. Monsieur le ministre, nous souhaiterions obtenir des précisions techniques sur le fonctionnement de ce système et des garanties sur sa conformité aux règles de la convention.
La ratification et l'application de la convention d'Ottawa ne peuvent constituer l'aboutissement d'un processus ; elles sont plutôt le début d'un nouveau combat plus opiniâtre pour éliminer l'ensemble des mines antipersonnel, aujourd'hui placées dans soixante pays et qui continuent de tuer et de mutiler - on évalue à 110 millions le nombre de mines antipersonnel actuellement déployées.
En outre, pour une seule mine enlevée, trente à cinquante autres sont placées. C'est dire le chemin qu'il reste à parcourir pour espérer voir cette arme éliminée de la planète.
Tout engagement pour l'interdiction de l'utilisation des mines antipersonnel doit nécessairement s'accompagner de vastes programmes de déminage des zones infestées.
Chaque mois, environ 2 000 personnes sont victimes des mines antipersonnel, pour l'essentiel des civils, hommes, femmes et surtout enfants - d'autres que moi l'ont dit ce matin.
Plus largement, c'est l'économie des pays concernés, déjà ravagée par les conflits et la pauvreté, qui se trouve pénalisée. Les terrains minés deviennent des no man's land dépourvus d'agriculture, d'habitations, de bâtiments, mais aussi éloignent les populations des voies de communication et interdisent l'accès à des ressources naturelles telles que l'eau, le bois ou les matières minérales.
Nous pensons que la communauté internationale doit, de toute urgence, consacrer à cette action des moyens financiers, techniques et humains à la hauteur des objectifs de la convention pour mettre fin à un fléau de caractère planétaire.
Lors de la conférence d'Ottawa, la France s'est fixé publiquement six lignes d'action. Mais qu'en est-il du renforcement de l'effort international dans l'aide aux victimes, la formation de démineurs locaux ou la relance des programmes de déminage ?
A l'évidence, ces actions incombent en priorité aux pays ayant développé par le passé la production de mines et leur exportation vers les pays du tiers monde.
Jadis, les guerres du tiers monde ont été le plus souvent orchestrées politiquement et militairement par les pays riches. C'est aujourd'hui à eux qu'il revient très justement d'en assumer le coût.
En cela, nous souscrivons entièrement à l'appel lancé par l'OUA à la communauté internationale, le 21 mai 1997.
La prolifération des mines antipersonnel fut d'autant plus intense dans ces pays du tiers monde que les coûts de fabrication étaient faibles : de 3 à 10 dollars l'unité.
Si ce sont les Etats qui décident des guerres, ce sont les entreprises productrices de ce type d'armes qui en tirent le principal profit. On comprend, dès lors, les réticences de certains gouvernements soumis au lobby de l'armement à s'engager rapidement en faveur de l'interdiction des mines antipersonnel.
D'ores et déjà, les principaux producteurs de mines ont su adapter leurs engins aux nouvelles normes internationales, non pour les respecter, mais pour les contourner.
A cet égard, la proposition de loi tendant à l'élimination des mines antipersonnel reflète les insuffisances de la convention d'Ottawa. La définition des armes antipersonnel reprend en effet, dans les mêmes termes, celle qui est formulée à l'article 2 de la convention, laquelle fut l'objet d'un compromis entre les signataires.
La proposition de loi déposée par le groupe communiste républicain et citoyen, qui, à notre avis, aurait dû être discutée conjointement, repose sur une définition plus large en visant les composants des mines antipersonnel, mais aussi les mines antichars, qui comportent des aspects antipersonnel, et les mines dites hybrides ou douteuses.
Hélas ! dans ses conclusions, la commission des affaires étrangères du Sénat n'a pas retenu nos observations.
Les amendements que notre groupe a déposés visent un seul et même objectif : mettre fin au marché « officiel » des mines antipersonnel, mais aussi neutraliser le marché clandestin qui ne manquera pas de se développer à partir des composants dont le commerce et la production seraient autorisés, grâce à des adaptations technologiques sans cesse renouvelées.
Si nos amendements ne sont pas adoptés, très vite la convention d'Ottawa et notre propre législation se révéleront inadaptées à la réalité du terrain. L'imagination destructive dans ce domaine est infinie.
La loi doit anticiper et ne pas faciliter le contournement juridique ou technique de ses préceptes.
Nous proposons d'opter pour la même démarche que celle qui a conduit à la signature de la convention du 13 janvier 1993 sur l'interdiction des armes chimiques. Celle-ci traite la question du désarmement chimique dans sa globalité, puisque sont interdites toutes les activités relatives aux armes chimiques et est imposée non seulement la destruction de telles armes, mais aussi celle des substances susceptibles d'être transformées en armes ou d'être utilisées pour leur fabrication.
La convention d'Ottawa visant les mines antipersonnel est, à l'évidence, plus restreinte dans son champ d'application.
Cela dit, rien n'interdit à la France d'aller au-delà de la définition des mines antipersonnel retenue par la convention et d'élargir le champ de l'interdiction aux composants et aux dérivés de ces mines.
Vous avez déclaré, monsieur le ministre, que notre législation devait rester cohérente avec la convention et qu'il convenait de ne pas remettre en cause un accord que la France a contribué à mettre au point.
J'avoue ne pas suivre totalement votre raisonnement, et je voudrais citer deux exemples qui l'infirment.
Le 24 juin 1997, lors de la ratification par le Sénat du protocole II annexé à la convention de 1980 sur l'interdiction ou la limitation de l'emploi de certaines armes classiques, dont les mines, votre collègue M. le ministre délégué chargé des affaires européennes reconnaissait les insuffisances d'un tel texte et la nécessité d'aller plus loin, motifs qui ont conduit à l'élaboration de la convention d'Ottawa.
Plus récemment, le 23 avril dernier, lors de l'examen du projet de loi relatif à l'application de la convention de 1993 sur l'interdiction des armes chimiques, l'Assemblée nationale a adopté, avec l'accord du Gouvernement, un amendement du groupe communiste tendant à prévoir la communication aux salariés des entreprises chimiques des chiffres de production et d'exportation des produits concernés. Or, vous le savez, ce point ne figurait pas dans la convention de 1993.
C'est la preuve qu'un pays a la possibilité, j'ai même envie de dire le devoir, s'agissant de la France, d'introduire des innovations et des améliorations dans la mise en application des accords internationaux.
Toute une série d'armes adaptées, et pas seulement conçues pour exploser du fait de la présence, de la proximité ou du contact d'une personne, mais ayant les mêmes effets qu'une mine antipersonnel ne seront pas visées par la loi.
A titre d'exemple, je citerai la mine de contre-déminage dispersée par l'engin Minotaur ou la mine antichar Apilas, dotée d'un système « anti-relevage ».
L'interdiction totale des mines antipersonnel, que nous souhaitons, va nécessairement entraîner la prolifération de divers systèmes de piégeage des mines antichars ou antivéhicules ou de tous les moyens techniques destinés à fabriquer et à poser des pièges qui sont assimilables à des mines antipersonnel.
Chacun sait que les champs de mines antichars ou les barrages antichars étaient, hier, associés à des mines antipersonnel. Or la suppression de celles-ci va conduire les producteurs de tels engins à proposer des substituts incluant les nouvelles technologies apparues dans les domaines électronique, acoustique et thermique.
Une mine antipersonnel doit, selon nous, être définie à partir des conséquences subies par les victimes plutôt que sur des caractéristiques techniques.
C'est pourquoi nous proposons d'étendre l'interdiction des mines antipersonnel aux systèmes de piégeage des mines antivéhicules et de tout autre moyen technique assimilable à des mines antipersonnel, car ayant les mêmes effets.
Un certain nombre de parlementaires partagent nos inquiétudes et mènent ce même combat. Nous nous en félicitons.
Le combat mené pour défendre de la vie et faire reculer la mort est rassembleur, dans la mesure où il se fonde sur le respect de valeurs qui sont communes à nombre de parlementaires, quelle que soit leur appartenance politique.
Comprenez bien, mes chers collègues, qu'il ne s'agit pas, pour notre groupe, de faire de la surenchère sur un texte que nous approuvons par ailleurs. Il s'agit de rendre crédibles les décisions que nous allons prendre et d'éviter un détournement de l'esprit de la loi.
Au demeurant, la définition extensive que nous préconisons est celle qu'ont adoptée la Belgique, dès le 9 mars 1995, et l'Italie, le 29 octobre 1997.
Au-delà des arguments techniques et stratégiques qui nous seront opposés, il doit y avoir la volonté politique d'éradiquer toute forme de mines antipersonnel.
Le chemin parcouru est déjà long, mais il reste modeste au regard de la distance qui nous sépare de cet objectif commun.
Tout en souhaitant que nos amendements comme ceux qui ont été déposés par certains de nos collègues ayant les mêmes objectifs soient retenus par notre Haute Assemblée, le groupe communiste républicain et citoyen votera la proposition de loi n° 410, ainsi que le projet de loi n° 424 autorisant la ratification de la convention d'Ottawa.
Le Sénat s'honorerait en prenant en compte les dispositions de notre propre proposition de loi que nous lui soumettrons sous forme d'amendements. Mes chers collègues, il s'agit d'un combat pour la vie de l'homme. Il est nôtre, même si nous le savons, nous n'en avons pas le monopole. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. Alain Richard, ministre de la défense. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Alain Richard, ministre de la défense. Monsieur le président, je souhaiterais très brièvement répondre aux orateurs.
Je tiens tout d'abord à saluer la qualité de leurs interventions dans la discussion générale.
Je rejoins tout à fait l'appréciation globale qu'a portée M. le rapporteur sur le texte de la convention en disant que ce texte était simple, clair, dépourvu d'ambiguïté. Il constitue effectivement une bonne base pour l'élaboration de la loi ; pour l'essentiel, les termes nous satisfont, nous n'allons donc pas chercher à les modifier.
M. le rapporteur a très justement souligné que, maintenant, la tâche la plus importante était d'élargir le cercle des Etats signataires de cette convention puisque, chacun l'a noté, des Etats dont l'importance est grande sur le plan stratégique et militaire n'y ont toujours pas adhéré.
M. Huriet a souligné à juste titre le rôle majeur qu'ont joué les organisations non gouvernementales dans l'aboutissement de ce projet. Je tiens d'ailleurs à signaler au Sénat que des représentants de certaines de ces organisations assistent aujourd'hui à la séance, ce qui est le signe qu'elles reconnaissent la continuité de l'action entre le monde non institutionnel, le monde associatif, et ceux qui, au Parlement et au Gouvernement, s'efforcent de défendre les mêmes valeurs.
Dans une démocratie en bonne santé, il n'y a aucune raison d'opposer les uns aux autres, comme s'il y avait d'un côté les purs, ceux qui n'ont pas le pouvoir, et d'un autre côté ceux qui auraient le pouvoir et seraient nécessairement impurs.
M. Claude Huriet. Très bien !
M. Alain Richard, ministre de la défense. Je crois que, parmi les dirigeants des ONG, nombreux sont ceux qui partagent cette vision.
M. Huriet a également souligné l'opportunité d'une entrée en vigueur immédiate des dispositions de la convention. Nous en reparlerons à propos des amendements, mais il faut aussi veiller à ce que notre système de défense garde sa cohérence.
Il a souhaité un développement accru de l'élimination. A cette fin, le Gouvernement tente de renforcer la coordination des différents services et se dispose à confier à un officier général particulièrement expérimenté la mission de nouer, au nom de l'Etat, des contacts avec le monde des entreprises et celui des organisations non gouvernementales.
M. Guy Penne a souligné la cohérence des textes proposés avec une réflexion d'ordre plus général sur le désarmement, qui, a-t-il précisé, doit être équilibré et mené avec un souci stratégique : le désarmement est le contraire du démembrement unilatéral et désordonné d'un système d'armes ; il doit tenir compte des forces des uns et des autres et de leur rôle international.
Fort de son expérience, M. Penne a insisté sur l'importance de la démarche de vérification.
Le dispositif d'armement - j'y reviendrai à l'occasion de l'examen des amendements - ne peut faire l'objet d'une définition technique qui prévienne tous les risques de détournement. Il n'existe pas de définition des mines antipersonnel qui permette de prendre en compte l'apparition, dans cinq ans, dix ans ou quinze ans, de technologies capables de produire les mêmes dommages. Il s'agit - chacun l'a rappelé - de dispositifs d'armement très simples et banalisables.
Le dispositif de vérification constitue donc, en réalité, la clé de voûte de l'efficacité du système.
M. Serge Vinçon a relevé le rôle propre de la France dans la mise en oeuvre du projet et le dynamisme diplomatique dont elle a fait preuve.
Il a également rappelé les efforts que nous avons entrepris pour adapter notre dispositif de défense. En effet, les mines antipersonnel avaient pour objet de protéger nos forces et nos installations les plus vulnérables sur le champ de bataille ou sur le territoire français. Il est donc important que nous nous dotions d'une réponse efficace au principe d'interdiction, que nous appliquerons scrupuleusement mais qui ne nous dispense pas de protéger nos forces, notre pays étant fréquemment exposé dans les conflits, sur les théâtres d'opération où les crises sont les plus violentes.
Je souhaite à cet égard apporter à Mme Beaudeau les précisions qu'elle m'a demandées.
Il n'existe pas de système de substitution aux mines antipersonnel. Par définition, il s'agit d'un système explosif qui se déclenche automatiquement au contact d'une personne. Il ne peut pas être remplacé par un système de même nature.
Pour assurer la protection soit d'unités dispersées sur le terrain, soit d'installations sensibles, deux systèmes sont en cours de développement.
Le premier, le système MODER, remplit la fonction de neutralisation de l'assaillant en envoyant, par commande manuelle, des projectiles à une certaine distance. Ces projectiles ont pour objectif non pas de tuer mais d'assourdir ou de rendre vulnérable. Ils s'apparentent à certaines grenades offensives qu'ont connues ceux qui ont accompli leurs obligations militaires voilà quelques décennies. Il s'agit d'objets à manipulation unitaire et volontaire.
Le second, le système Cougar, qui concerne les installations fixes, est un système d'alerte et de protection à partir de clôtures de détection faiblement électrifiées, complétées par des systèmes de détection électronique.
Le système MODER va être mis en dotation dans nos forces à partir de 1999. C'est la raison pour laquelle nous préconisons la date d'application qui a été prévue. Le système Cougar, quant à lui, va être expérimenté sur un certain nombre de sites sensibles.
Mme Beaudeau nous a invités à réfléchir sur le rôle de l'opinion publique internationale pour faire pression dans le sens d'un désarmement, ce qui est tout à fait légitime. Mais j'insiste sur le fait que ce désarmement doit correspondre à un raisonnement et à la prise en compte de rapports de force internationaux qui continueront à exister.
Je suis moins d'accord avec elle quand elle établit une différenciation éthique entre les pays riches et le tiers monde. Lorsque des dictateurs, des chefs de bandes armées, des gouvernements agressifs utilisent, de façon massive et indiscriminée, de telles armes, en visant manifestement les populations civiles, qu'ils appartiennent ou non au tiers monde, je les considère comme des criminels.
En tout cas, je crois que nous devons nous montrer très circonspects par rapport à une différenciation morale entre celui qui, sciemment délibérément, au nom d'une stratégie agressive, utilise des armes de façon inhumaine et celui qui, dans un autre pays, les a fabriquées. A mes yeux, l'un et l'autre appellent la même condamnation.
En conclusion, j'insisterai sur la volonté du Gouvernement d'appliquer cette convention de façon loyale et efficace, et le plus vite possible, de manière à provoquer l'effet d'entraînement que nous souhaitons tous vis-à-vis des Etats encore réticents. (Applaudissements.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale commune ?...
La discussion générale commune est close.

CONVENTION SUR L'INTERDICTION
DES MINES ANTIPERSONNEL