Séance du 28 mai 1998
LUTTE CONTRE LE DOPAGE
Discussion d'un projet de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 416, 1997-1998)
relatif à la protection de la santé des sportifs et à la lutte contre le
dopage. [Rapport n° 442 (1997-1998).]
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.
Mme Marie-George Buffet,
ministre de la jeunesse et des sports.
Monsieur le président, mesdames,
messieurs les sénateurs, en vous présentant ce projet de loi destiné à protéger
la santé des sportifs et à renforcer la lutte contre le dopage, j'ai en mémoire
trois visages, trois témoignages. Peut-être les avez-vous vus ou entendus
vous-mêmes.
Le premier est celui d'un jeune licencié d'un club de natation. Il déclare : «
Je ne croyais pas à ce qui se disait sur le dopage. Jusqu'au jour où quelqu'un
que l'on voyait toujours autour du bassin est venu me proposer quelque chose...
»
Le deuxième visage est celui d'un adolescent d'un centre de formation de
jeunes footballeurs : « Ici, dit-il, on connaît déjà le stress. Si un jour ça
ne va pas et qu'on me propose quelque chose, est-ce que j'aurai le courage de
refuser ? Je ne sais pas ; j'espère que oui... »
Ecoutons enfin, le président de la Société française de médecine du sport, qui
décrit ce que l'on commence seulement à savoir des effets du dopage sur un
individu : syndrome du manque, états dépressifs, cancers, hépatites,
dérèglements sanguins, accidents thrombo-emboliques.
On sait également avec certitude qu'au cours des dernières années plusieurs
cas de stérilité chez d'anciennes nageuses et athlètes ainsi que des cas de
décès de sportifs ou d'anciens sportifs ont été constatés, directement liés au
dopage.
Oui, mesdames, messieurs les sénateurs, les dangers sont là : dangers pour des
vies, dangers pour les fondements mêmes du sport et les valeurs émancipatrices
qu'il doit porter.
Si le texte que j'ai l'honneur de vous présenter associe dès son intitulé la
protection de la santé des sportifs et la lutte contre le dopage, c'est
précisément parce que nous nous plaçons résolument du côté des pratiquants, de
leur intégrité physique et morale, de leur dignité.
Certes, le fléau qu'il nous faut combattre n'est pas un phénomène récent. La
France a d'ailleurs été parmi les premiers pays à se doter d'une législation de
prévention, de contrôle et de sanction.
Ce qui est réellement nouveau, c'est que le dopage ne concerne plus seulement
telle ou telle discipline, ni telle ou telle catégorie de sportifs. Il
s'élargit à de très nombreux sports, il touche des pratiquants de plus en plus
jeunes et divers.
Entre 1980 et 1997, le nombre de contrôles anti-dopage a été multiplié par 6,
mais le nombre de cas positifs a été multiplié par 27.
En 1988, douze fédérations sportives étaient concernées par des cas de dopage.
Elles étaient quarante-deux en 1997.
Enfin, sur un peu plus de deux cents cas de dopage en 1997, vingt-cinq
concernaient des sportifs de haut niveau, tous les autres, des pratiquants de
niveau départemental ou régional.
Cette aggravation du dopage trouve principalement son origine dans les dérives
d'un sport trop souvent soumis à la pression des enjeux commerciaux.
Des sportifs eux-mêmes le disent à partir de leur propre expérience. Voici ce
que déclarait récemment à un journal sportif un footballeur international : «
Nous, sportifs, nous sommes les principales victimes de la course à l'argent.
Après ma blessure au genou, j'ai repris trop tôt, car le club m'a mis la
pression pour que je revienne. A un moment, tu en as tellement marre que tu
rejoues. J'en ai souffert, et c'est là que peut intervenir la tentation. »
Je citerai également les propos d'un cycliste professionnel qui a reconnu
également récemment s'être dopé : « Nous sommes prisonniers d'un cercle
vicieux. La télévision veut du spectacle, les sponsors veulent des résultats,
on nous rallonge les courses, on nous rajoute des cols, et il faut aller plus
vite. »
Que l'on me comprenne bien : il ne s'agit évidemment pas pour moi, en évoquant
ces témoignages, de justifier le recours au dopage. Certainement pas ! Et il
serait tout à fait insupportable de laisser croire que tous les sportifs soumis
à ces pressions se dopent.
Fort heureusement, des femmes et des hommes nous prouvent que l'on peut être
un grand champion ou une grande championne par les seules vertus de sa volonté
de son travail.
Il n'est, bien entendu, pas question de justifier le dopage ; il s'agit de
savoir entendre un appel. Car le fait que des sportifs se décident à briser le
mur du silence et à mettre en cause la logique infernale du résultat à
n'importe quel prix est significatif d'une volonté de ne pas accepter
l'inacceptable.
Je refuse l'idée selon laquelle le dopage serait soit le prix inévitable du
sport de haut niveau, ce qui revient à retirer au sport toute valeur éducative
et citoyenne, soit l'idée selon laquelle le dopage ne serait que la traduction,
dans le sport, de pratiques répandues dans d'autres sphères de la société, ce
qui revient à nier la spécificité du sport en tant que code de conduite humaine
défini par une somme de valeurs morales.
Non, le dopage n'est plus une fatalité. La volonté d'y résister est très forte
dans le mouvement sportif comme dans l'opinion publique. Selon un sondage
réalisé en décembre dernier, après la forte médiatisation de plusieurs
contrôles positifs, 96 % des interrogés se disaient favorables à la lutte
contre le dopage, même si les performances des Français dans les grandes
compétitions sportives devaient s'en trouver moins spectaculaires. Quel
témoignage de respect pour le sport !
De toute évidence, cette photographie de l'opinion est partie intégrante d'une
aspiration profonde à vivre dans une société qui construise des repères et des
valeurs humaines.
Tant dans le mouvement sportif que dans l'opinion, cette volonté sera un point
d'appui indispensable pour mettre en oeuvre une nouvelle loi, si la
représentation nationale en décide ainsi.
Car une nouvelle loi est devenue nécessaire.
Face à l'ampleur du dopage et aux défis multiples qu'il nous lance, le
dispositif actuel a largement atteint ses limites. Les procédures sont à la
fois trop lourdes et trop longues, ce qui peut aboutir à une atteinte au
respect de la présomption d'innocence, principe auquel je suis particulièrement
attachée, ou jeter le doute sur ces procédures elles-mêmes.
Dans bien des cas, le partage des responsabilités entre le mouvement sportif,
la commission nationale de lutte contre le dopage et le ministère se révèle
imprécis, donc inefficace. La commission nationale n'a pas de véritables
pouvoirs ni de moyens d'intervention.
Si une nouvelle loi est devenue nécessaire, c'est à la fois pour mettre fin à
ces difficultés et pour porter la législation au niveau des défis à relever.
Le projet qui vous est présenté vise trois objectifs essentiels.
Le premier est un objectif de santé publique clairement affiché. Pour mieux
protéger l'intégrité physique de 13 millions de pratiquantes et de pratiquants,
priorité est donnée à la prévention, à l'information et à une surveillance
médicale renforcée.
Un examen de santé sera désormais exigé avant l'obtention d'une première
licence sportive et figurera dans le carnet de santé.
Les instances sportives devront être partie prenante de cette démarche, en
intervenant tout particulièrement sur les programmes d'entraînement, le
calendrier des compétitions et la surveillance médicale des sportifs de haut
niveau.
Le deuxième objectif du projet de loi est de nous donner les moyens de nous
attaquer plus nettement et plus fermement aux pourvoyeurs et prescripteurs de
produits.
L'une des rares enquêtes effectuées sur le sujet a révélé l'existence d'un
marché du dopage florissant, avec ses filières, ses grossistes, ses
fournisseurs, ses points de vente, ses revues et son réseau Internet.
Dans ce domaine, le texte précise et renforce les moyens judiciaires ainsi que
les sanctions pénales ; surtout, il élargit aux établissements commerciaux
d'activités physiques et sportives le champ des investigations.
Le troisième objectif du projet est de mettre en place un système de
procédures administratives, de régulation et de sanctions qui soit simple,
cohérent et équitable.
Créé par la nouvelle loi, le conseil de prévention et de lutte contre le
dopage aura le statut d'une autorité administrative, dotée de pouvoirs réels.
Le système de nomination de ses membres garantit son indépendance et évitera
toute confusion des rôles.
C'est ce conseil indépendant qui veillera à la mise en oeuvre des procédures
disciplinaires par les fédérations sportives et qui pourra, le cas échéant,
réformer une sanction disciplinaire dans un délai de deux mois.
Le conseil proposera des actions de prévention. Il mettra en place un conseil
scientifique chargé de coordonner les recherches, de valider les contrôles, de
rendre des avis autorisés sur des questions en débat.
Si la création d'un conseil véritablement indépendant constitue un signal fort
de notre détermination, cette instance ne sera pas l'acteur unique d'un combat
qui a besoin de tous les engagements.
La lutte contre le dopage ne se gagnera pas sans le mouvement sportif. Je sais
que celui-ci est résolu à mener cette lutte ; j'en veux pour preuve la campagne
lancée récemment par le Comité national olympique et sportif français et
l'agence qu'il a créée à cet effet.
J'ajoute que l'indépendance du conseil ne sera effective que s'il dispose des
moyens nécessaires à son fonctionnement. L'Etat inscrira ces moyens dès son
prochain budget.
De manière plus générale, l'ensemble du nouveau dispositif de prévention et de
lutte contre le chômage sera plus exigeant en termes de moyens. Cela veut dire
clairement : plus d'argent pour la prévention, l'information, la recherche, les
contrôles et la surveillance médicale.
Je souhaite que, dans le prolongement des décisions prises cette année, avec
le doublement des crédits consacrés à la lutte contre le dopage, le prochain
budget de mon ministère marque clairement cet engagement.
Mesdames, messieurs les sénateurs, une lutte permanente et opiniâtre contre le
dopage ne se réduit pas au seul texte qui vous est soumis aujourd'hui. Nous
savons que, pour faire reculer les causes profondes du fléau, il faut s'opposer
à une mainmise mercantile sur le sport. Il faut stopper cette tendance
infernale à l'inflation des compétitions. Il nous faut agir, sur le plan
international, pour éviter ce que mon homologue italien a comparé, à juste
raison, à une sorte de « désarmement unilatéral ».
Le texte qui vous est proposé ne règle sans doute pas tous les problèmes, mais
il marque une avancée significative dans un domaine qui a besoin de beaucoup de
volonté et de détermination.
Lors de la conférence européenne des ministres des sports, qui vient de se
dérouler à Chypre, le représentant du Conseil de l'Europe a conclu ses travaux
en souhaitant que la nouvelle loi française soit un exemple à suivre pour toute
l'Europe. Si vous en décidez ainsi, la France restera fidèle à sa meilleure
tradition, celle des Lumières et du progrès.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. François Lesein,
rapporteur de la commission des affaires culturelles.
Madame la ministre,
je crois pouvoir dire que nous partageons tous, dans cet hémicycle, votre
inquiétude devant le développement, la banalisation même du dopage, phénomène
qui constitue à la fois un très grave problème de santé publique et la négation
de toutes les valeurs qui font du sport un instrument irremplaçable
d'intégration sociale et de formation à l'esprit civique.
Par deux fois déjà le législateur s'est saisi du problème du dopage.
La première voie explorée, en 1965, a été celle de la pénalisation du dopage.
Elle n'a pas fait la preuve de son efficacité, non seulement parce que la loi
de 1965 était assez mal concue, mais surtout parce que les procédures, les
délais, la nature même de la répression pénale se sont révélés peu adaptés au
traitement du problème.
Dès 1967, d'ailleurs, le ministre de la jeunesse et des sports avait
parallèlement donné mission aux fédérations sportives de prévenir et de
sanctionner disciplinairement le dopage, mission qui est devenue pour elles, en
1977, une obligation, sous peine de retrait de l'agrément ou de la
délégation.
La loi du 28 juin 1989, qui avait été déposée sur le bureau de notre assemblée
et que j'ai eu l'honneur de rapporter au Sénat, a tiré la leçon de ces
expériences.
Mettant l'accent sur la prévention autant que sur la répression, elle a
consacré un régime de sanctions disciplinaires et administratives du dopage,
réservant aux pourvoyeurs une répression pénale considérablement renforcée.
Elle a aussi mis en place des moyens d'investigation et de contrôle et s'est
préoccupée d'harmoniser, de simplifier et de consolider les procédures
disciplinaires des fédérations sportives à travers un règlement type.
Malheureusement, vous l'avez dit, ce dispositif a trouvé ses limites, en
particulier, et je suis le premier à le regretter, parce que la commission
nationale de lutte contre le dopage n'a pas su ou pas pu jouer le rôle de
proposition et de régulation que lui confiait la loi.
Le projet de loi qui nous est soumis, sans remettre en cause les choix opérés
en 1989, ne se limite pas à remédier à cette carence.
Vous nous proposez, madame la ministre, de reprendre entièrement la loi de
1989, dont le champ d'application serait du même coup réduit au seul dopage des
animaux.
Avant de me pencher sur le triste sort réservé à la loi en vigueur
(sourires),
je voudrais, mes chers collègues, analyser les trois volets
du nouveau projet de loi : la santé des sportifs et la prévention du dopage ;
la création du conseil de prévention et de lutte contre le dopage, qui est, à
notre avis, le point essentiel ; le renforcement, enfin, de la lutte contre les
pourvoyeurs de produits dopants.
Vous avez beaucoup insisté, madame la ministre, sur la protection de la santé
des sportifs, dont vous êtes très soucieuse, et sur la prévention du dopage.
Personne, et surtout pas, mes chers collègues, votre rapporteur, ne contestera
qu'il s'agit là de deux aspects tout à fait essentiels de la lutte contre le
dopage et, au-delà, de la politique du sport.
D'abord, parce que, comme nous l'a rappelé en commission le professeur
Gallien, le sport est une activité « à risques ». Il faut protéger les sportifs
contre ces risques, et il faut pour cela - j'y reviendrai - approfondir par la
recherche la connaissance de ces risques. Ensuite, parce que la politique de
lutte contre le dopage passe d'abord par la prévention, par l'information et
par l'éducation des sportifs, en premier lieu des jeunes.
Les causes de dopage sont multiples. Nous savons tous à quelles pressions
peuvent être soumis les sportifs et quel est le poids des intérêts financiers,
des médias ou, tout simplement, de l'angoisse de la méforme et de l'échec. Nous
avons évoqué avec vous, madame la ministre, ainsi qu'avec le président
Sérandour et le professeur Gallien, la surcharge des calendriers, la course aux
records, les champions condamnés à la performance.
N'oublions pas non plus les « jeunes espoirs » auxquels, parfois, on demande
trop. Notre collègue Jean Bernard a d'ailleurs évoqué à ce propos, en
commission, le problème des surclassements. N'oublions pas non plus, tout
simplement, ces nombreux jeunes qui rêvent d'une carrière sportive et qui
peuvent se laisser tenter par des marchands d'illusions.
Ce sont toutes ces pressions conjuguées, et surtout celles des intérêts
financiers, qui sont à l'origine du dopage et des drames que vous avez évoqués.
Pour éviter ces drames, qui sont d'abord, je le crois, dus à l'inconscience, il
faut informer les sportifs sur les risques du dopage. Il ne faut pas laisser le
champ libre à la propagande des gourous ou des trafiquants, qu'ils prospectent
sur Internet ou dans les vestiaires des salles de sport. Il faut aussi former
les éducateurs sportifs et les entraîneurs, pour qu'ils sachent contribuer à
cette information et protéger les jeunes dont ils ont la responsabilité.
Il faut, enfin, que le suivi médical soit l'un des outils de cette prévention,
en permettant de déceler, avant qu'il ne soit trop tard, des anomalies
révélatrices de pratiques interdites.
Sur le fond, nous sommes donc, madame la ministre, en plein accord avec
vous.
Sur la méthode, nous sommes, en revanche, plus réservés. Etait-il, en effet,
indispensable de reprendre, dans le nouveau texte, tant de dispositions souvent
plus déclaratives que normatives et de nature plus réglementaire, en fait, que
législative ?
Ce n'est pas, en effet, de mesures législatives que dépend la politique que
vous souhaitez mener et que nous souhaitons vous voir mener. Il y faut surtout
de la volonté et des moyens.
D'ailleurs, si les textes suffisaient, nous proposeriez-vous aujourd'hui de
reprendre des dispositions déjà en vigueur ou de répéter dans la loi ce que
disent déjà des décrets ?
Bien sûr, nous ne proposerons pas au Sénat de ne pas voter ces dispositions -
rassurez-vous - mais nous ne pensons pas non plus qu'il suffise que nous les
votions, certaines pour la deuxième fois, pour assurer le développement du
suivi médical des sportifs et celui de la prévention du dopage.
C'est à travers votre budget, à travers votre action, bien sûr, et celle de
vos collègues de l'éducation nationale, de la recherche ou de la santé, à
travers les contrats d'objectifs que vous signerez avec les fédérations
sportives que nous suivrons l'évolution de la politique de prévention.
A ce propos, nous souhaitons le rappeler à M. le ministre des finances,
augmenter le budget de la jeunesse et des sports est un excellent placement,
qui évitera d'autres charges, sociales en particulier, liées à la
délinquance.
J'en viens à présent à ce qui est pour nous la principale innovation du
projet de loi : la création d'une autorité administrative indépendante dont la
compétence couvrira à la fois la prévention et la répression du dopage et qui
sera dotée d'un rôle consultatif et de proposition, mais aussi d'un pouvoir
autonome de sanction.
Le nouveau conseil de prévention et de lutte contre le dopage héritera ainsi,
mais avec d'autres moyens et dans un autre contexte, du rôle de régulation que
la loi de 1989 confiait à la commission nationale de lutte contre le dopage,
qui ne veut plus se prononcer, comme on l'a vu récemment dans un cas de
dopage.
L'idée du recours à une autorité administrative indépendante a mis du temps à
s'imposer. Si j'osais paraphraser un slogan publicitaire, je dirais, madame la
ministre, que cette autorité indépendante, Roger Bambuck et Guy Drut l'avaient
rêvée avant que vous nous la proposiez !
Cette idée soulevait en effet des objections, qui d'ailleurs méritent examen.
Nous savons, aussi, que la création d'une autorité administrative indépendante
comporte toujours un élément de pari : on ne sait pas, à l'avance, si elle va
réussir. Il faut l'y aider.
Après mûre réflexion, madame la ministre, nous avons conclu, comme vous-même
et comme vos prédécesseurs, qu'il n'y avait guère d'autre solution
envisageable.
Nous avons aussi examiné avec soin le dispositif que vous nous proposez. Nous
vous suggérerons, à notre tour, de le préciser et de le compléter sur certains
points mais, dans l'ensemble, il nous a paru satisfaisant.
En premier lieu, nous avons noté qu'il laisse aux fédérations leurs
responsabilités en matière de prévention, de contrôle et de sanction du dopage,
comme il laisse à l'autorité politique le soin de définir la politique de lutte
contre le dopage.
Le conseil ne sera qu'un organe de régulation. Ce point est essentiel. En
particulier, il serait impensable, à notre avis, de retirer leurs compétences
aux fédérations. Leur participation à la lutte contre le dopage est, en effet,
indispensable. Elle est, aussi, indissociable de leurs responsabilités, et tout
particulièrement de la mission de service public que leur confère la loi, et
qu'elles avaient elles-mêmes souhaité assumer.
Les fédérations forment et sélectionnent les sportifs, organisent les
compétitions ; elles sont chargées, aux termes de la loi de 1984, « de
promouvoir l'éducation par les activités physiques et sportives ».
Comment rempliraient-elles ces missions, comment resteraient-elles les
gardiennes et les garants de l'éthique sportive si elles n'avaient plus aucun
rôle dans la prévention ou la sanction du dopage ?
Elles disposent d'un pouvoir disciplinaire qui, pour les fédérations
délégataires, correspond à une prérogative de puissance publique.
Imaginerait-on qu'elles n'en usent que pour défendre le respect de règlements
techniques et qu'elles renoncent à s'en servir pour sanctionner des
comportements qui, je l'ai dit, sont la négation même des valeurs sportives
?
Nous n'ignorons pas, bien sûr, que leur tâche en ce domaine est difficile et
que certaines fédérations craignent de n'avoir pas les moyens de l'assumer.
Nous pouvons comprendre aussi que les fédérations qui font face à cette
responsabilité redoutent que le conseil de prévention et de lutte contre le
dopage n'intervienne comme un censeur qui mettrait en cause leur autorité.
Mais nous ne concevons pas, mes chers collègues, le conseil comme un censeur
et nous n'envisageons pas que son rôle soit de se substituer aux fédérations.
Au contraire, il doit d'abord, selon nous, soutenir et conseiller les
fédérations dans l'exercice de leurs responsabilités. Il doit les aider à y
faire face, à mettre en commun leurs expériences, à harmoniser leurs
jurisprudences.
Tel est, en effet, le rôle d'un organe de régulation et, dans notre esprit, ce
n'est qu'à titre exceptionnel que le conseil devrait avoir à prendre lui-même
des sanctions, sauf, naturellement, dans le cas des sportifs non licenciés, qui
ne relèvent pas du pouvoir disciplinaire fédéral.
C'est pour mettre l'accent sur cette action préventive, sur ce rôle de conseil
et d'assistance technique que nous vous proposerons, mes chers collègues, de
donner au conseil de prévention et de lutte contre le dopage un pouvoir de
recommandation aux fédérations pour la mise en oeuvre des procédures
disciplinaires.
C'est aussi parce qu'il est un organe de régulation que ce conseil doit être
associé à la politique de prévention du dopage. Nous vous proposerons de
renforcer son rôle en ce domaine de deux manières.
D'une part, nous étendons son pouvoir de recommandation aux fédérations aux
actions de prévention qu'elles devront mener, ce qui nous paraît d'ailleurs
être le seul moyen de donner une portée concrète aux dispositions imprécises de
l'article 4 du projet de loi.
D'autre part, nous élargissons à la recherche en médecine sportive sa mission
de coordination de la recherche. La prévention du dopage ne tient pas
seulement, en effet, au développement de la recherche sur le dépistage ou sur
les effets des produits dopants. Il faut également approfondir les
connaissances sur les conséquences physiologiques et biologiques de l'effort
sportif, sur les processus de récupération, sur le phénomène de « méforme »,
que redoutent tous les sportifs.
Certes, mes chers collègues, les textes ne sont pas tout. Le rôle du futur
conseil dépendra, en fin de compte, du choix des personnalités qui le
composeront, des moyens - j'insiste - dont il disposera et de la qualité du
dialogue qu'il établira tant avec le mouvement sportif qu'avec l'autorité
administrative.
Il dépendra aussi de la magistrature d'influence qu'il saura exercer. A cet
égard, nous vous proposerons, pour asseoir son influence et son autorité, que
le rapport annuel d'activité du conseil soit rendu public.
Je l'ai dit, la création du conseil de prévention et de lutte contre le dopage
constitue inévitablement un pari. Il ne dépend malheureusement pas du
législateur que ce pari soit gagné.
Ce que nous vous proposons, c'est de tenter de mieux assurer les chances de
succès de ce conseil, notamment en définissant aussi précisément que possible
son rôle et en lui donnant les moyens correspondants, les fédérations et le
ministre devant rester les acteurs principaux de la définition et de la mise en
oeuvre de la politique de lutte contre le dopage.
J'en viens à présent au renforcement du dispositif de lutte contre les
pourvoyeurs.
Le projet de loi précise la définition des comportements sanctionnés, qu'il
élargit à juste titre à la prescription illégale et à l'offre ou à la cession
de produits dopants.
Il renforce aussi nettement les pénalités encourues, en utilisant à cette fin
toutes les ressources du nouveau code pénal : aggravation des peines si les
délits sont commis en bande organisée, définition de peines complémentaires
dissuasives, mise en jeu de la responsabilité pénale des personnes morales.
La commission a approuvé ces dispositions ainsi que l'extension des pouvoirs
d'investigation des agents du ministère de la jeunesse et des sports aux
installations sportives privées, où peuvent sévir, malheureusement, des
trafiquants de produits dopants. Il s'agit parfois de véritables officines
clandestines.
Cependant, il convient de rappeler, à ce sujet, que les agents du ministère
sont compétents pour constater les infractions prévues par le projet de loi,
mais pas les infractions aux autres textes applicables au trafic de produits
dopants concernant, notamment, l'exercice illégal de la pharmacie, le trafic de
stupéfiants ou de substances vénéneuses et les importations illicites. Ils
devront donc s'efforcer de coordonner leur action avec celle des services
compétents pour constater ces délits. Je me félicite d'ailleurs, madame la
ministre, que cette coopération progresse et s'organise sur le terrain, même
si, parfois, on constate quelque retard, mais on en connaît les raisons.
Je voudrais, enfin, insister sur le développement du trafic de produits
dopants sur Internet, qui constitue, à nos yeux, une raison supplémentaire de
s'attaquer sans tarder au problème de la réglementation d'Internet et du
commerce électronique. Vaste débat ! Vaste problème !
Je ne dirai qu'un mot du dépeçage de la loi de 1989. Franchement, il ne paraît
pas très sérieux de centrer le dispositif prévu par cette loi sur un aspect
très partiel du dopage des animaux, puisque ne sont concernés que les chevaux
participant aux compétitions équestres et les attelages canins des courses de
traîneau !
Le ministre de l'agriculture envisagerait de proposer un texte traitant de
l'ensemble du problème du dopage des animaux, y compris, par exemple, dans les
concours d'élevage. Cette solution, qui permettrait l'abrogation des malheureux
restes de la loi de 1989, serait sans doute la plus raisonnable.
En attendant, nous vous proposerons, mes chers collègues, de revoir
techniquement le « découpage » de la loi, de mieux l'adapter à son nouveau
champ d'application et de toiletter certaines de ses dispositions.
Vous l'avez compris, madame la ministre, c'est dans un esprit constructif que
la commission des affaires culturelles a examiné ce projet de loi, et c'est
dans le même esprit, mes chers collègues, qu'elle demandera au Sénat de
l'adopter, sous réserve des amendements qu'elle vous proposera lors de la
discussion des articles.
En terminant mon propos, je tiens à remercier tous les administrateurs ainsi
que leur secrétariat, qu'il s'agisse de ceux du ministère ou de la Haute
Assemblée. Grâce à leurs connaissances et à leur savoir-faire législatif, ils
ont apporté un concours remarqué à l'élaboration de ce texte.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. Sérusclat.
M. Franck Sérusclat.
Monsieur le président, madame la ministre, mesdames, messieurs, les propos qui
ont déjà été tenus justifient que, à titre personnel et au nom du groupe
socialiste, j'approuve le présent projet de loi. Mais si je m'en tenais là, ce
serait un manque de respect à l'égard de notre assembléee et du travail qui a
été accompli.
Ce projet de loi était nécessaire. A cet égard, je m'inscris en faux contre
les assertions de M. le rapporteur tout en étant d'accord avec lui ; en faux,
parce ce que je crois qu'une nouvelle loi était nécessaire. Tout à l'heure, M.
le rapporteur a d'abord indiqué qu'elle lui paraissait inutile puisque d'autres
lois l'avaient précédée. Peu après, il a exposé les arguments que je voulais
avancer sur la nécessité du présent projet de loi.
Madame la ministre, ce texte comporte une différence fondamentale avec
l'option de votre prédécesseur, M. Guy Drut. En effet, celui-ci voulait plutôt
retirer certains pouvoirs aux fédérations. Or, dans le projet que vous nous
présentez, elles sont, au contraire, respectées, sans pour autant être
magnifiées. La création de cette haute autorité nécessitait bel et bien une
autre loi. Je pense qu'il s'agissait d'une simple contradiction et que M. le
rapporteur considère, comme nous tous, que cette loi est importante et
nécessaire.
Ce texte est également important, car nous sommes dans une société au sein de
laquelle, depuis quelques années déjà, malhonnêteté et fraude croissent dans
tous les domaines - social, économique, politique et sportif. Or le sport doit,
selon moi, conserver une pureté ; pour nombre d'individus, les sportifs, qui
ont une très grande notoriété, doivent être une référence, comme les artistes
ou les grands chercheurs, notamment.
Sans cette pureté, le sport serait un élément très dangereux pour l'évolution
de notre société, dans laquelle, il faut le reconnaître, les jeux ont
aujourd'hui une grande importance. Parfois, on pense à l'époque ou Juvénal
disait :
panem et circenses,
mots qui traduisaient la dégradation de la
société romaine.
Ne serait-ce que pour ces raisons, il était impératif que, comme nouvelle
ministre, venant d'un horizon différent et ayant une analyse de la société à
laquelle nous nous associons, vous vous saisissiez de ces problèmes et que vous
vous efforciez de les résoudre, en soumettant au Parlement un projet de loi de
cette nature. C'était ma première réflexion.
Mes autres réflexions porteront davantage sur le contenu de ce texte et
viendront appuyer certaines de vos propositions.
Vous avez deux objectifs. Le premier, dont il ne faut pas négliger
l'importance et la nécessité, est primordial : c'est celui de la protection de
la santé des sportifs, et ce dès que l'on commence la pratique d'un sport,
avant même de savoir si on deviendra un sportif de haut niveau, par l'exigence
de fourniture de certificats médicaux.
Lorsque j'étais étudiant, j'ai côtoyé des camarades qui étaient en droit. Un
jour, quatre d'entre eux sortaient de la faculté. Trois ont marché plus vite
que le quatrième et, tout à coup, ils se sont demandé où était ce dernier. Il
était étendu sur le sol et venait de mourir d'un problème cardiaque non soigné
car il avait fait du sport. Il est donc important d'exiger des certificats
médicaux ; c'est ce que vous avez fait.
Certes, pour les sportifs de haut niveau, il faut organiser autre chose, et
vous le faites avec le souci de protéger leur santé car ils courent beaucoup
plus de risques, ne serait-ce que par l'effort qu'ils doivent produire, même
s'ils ne se dopent pas.
Par ailleurs, il faut responsabiliser le corps médical, qui doit les suivre
attentivement sans toutefois céder à la tentation de faciliter leur réussite
par des moyens artificiels, par le dopage.
Aussi, la première partie de votre projet de loi me paraît-elle nécessaire.
Elle est intéressante eu égard à la manière dont vous avez organisé le
dispositif. Je n'entrerai pas dans le détail de celui-ci puisque vous-même,
madame la ministre, et M. le rapporteur l'avez développé.
Je souhaiterais insister quelques instants sur la lutte contre le dopage.
Cette pratique, qui, certes, s'amplifie comme vous l'avez dit, existe depuis
très longtemps. Dans des ouvrages que j'ai lus récemment, il est précisé que,
au XVe siècle avant Jésus-Christ, déjà, le vin et l'alcool étaient interdits et
qu'à l'entrée du stade un prêtre était chargé de renifler l'haleine des
sportifs pour s'assurer qu'ils ne s'étaient pas dopés au vin ou à l'alcool. Le
souci de lutter contre le dopage existe donc depuis longtemps et, petit à
petit, d'autres méthodes sont apparues.
A cette époque, on mangeait de la viande pour être fort. On s'efforçait même
de manger une viande qui correspondait au sport que l'on pratiquait. Et si on
avait la chance de pouvoir manger de la chair de son adversaire, grâce à cette
forme de cannibalisme, on devait obtenir un succès foudroyant.
C'est dire que les mythes et les croyances avaient beaucoup d'importance.
Puis sont venus la strychnine et le cognac comme moyens de dopage. Un peu plus
tard, au fur et à mesure du développement de l'industrie chimique, il y eut le
maxiton, que l'on cachait un peu en absorbant de la bière.
A cet égard, je voudrais rappeler une anectode amusante, qui montre que les
sportifs ne sont pas les seuls à se doper. En 1960, à l'Assemblée nationale,
Michel Debré, en séance de nuit, monte à la tribune. Il a un tonus
extraordinaire. Tout à coup, Guy Mollet l'interrompt. S'ensuit un débat
contradictoire. Michel Debré s'effondre : c'était le contrechoc du maxiton
qu'il avait pris pour tenir le coup.
(Sourires.)
M. Adrien Gouteyron,
président de la commission des affaires culturelles.
C'est Guy Mollet qui
raconte cela !
(Nouveaux sourires.)
M. Franck Sérusclat.
C'est du moins ce que j'ai lu ou ce que l'on a lu pour moi et que l'on m'a
fourni.
Cela montre qu'il faut savoir être attentif à ce que l'on consomme quand on
veut tenir le coup. Parfois, il peut s'agir simplement de tasses de café trop
nombreuses. Heureusement, la teneur en caféine n'est pas trop élevée dans cette
enceinte et nous pouvons continuer de boire du café pour nous tenir en forme
!
(Sourires.)
Après les amphétamines, il y a eu les stéroïdes et les anabolisants, avec
les effets que vous avez évoqués dans votre intervention liminaire.
C'est produits ont des conséquences dramatiques immédiates, et d'autres à long
terme que l'on a pu constater après les pratiques en vigueur dans un certain
nombre de pays qui voulaient figurer à de bonnes places, qu'il s'agisse des
pays asiatiques, dont la Chine, ou des pays de l'Est. Certaines personnes en
paient les conséquences sur le long terme et sont dans une situation assez
dramatique, quand elles n'ont pas perdu l'essentiel du plaisir de pouvoir vivre
normalement.
Les initiatives que vous prenez, madame la ministre, me paraissent bonnes, car
elles sont porteuses d'améliorations. Elles tendent à satisfaire les Français
qui veulent un sport propre, quitte à ce que leurs champions ne gagnent pas les
compétitions. Ils veulent avoir des champions propres, purs, auxquels on peut
faire référence et que l'on peut avoir envie d'imiter. Sur ce point, M. le
rapporteur a rappelé l'essentiel.
Il est bon de signaler que, dans cette enceinte où se confrontent deux
tendances, la droite et la gauche, et où la gauche a rarement la possibilité
d'appuyer la droite, tellement elle est minoritaire, nous parvenons à un accord
quasi parfait.
Ainsi, en ce qui concerne le conseil de prévention et de lutte contre le
dopage, vous avez repris un rêve, ou tout au moins une intention de vos
prédécesseurs, mais, selon moi, vous l'avez très bien structurée. Vous avez en
particulier pris des précautions pour que cette indépendance soit une réalité
et qu'on ne subisse pas, par des voies détournées, le poids du ministère, au
motif qu'il aurait nommé une partie des membres de cet organisme. En outre,
vous avez donné à ce dernier la possibilité d'être en relation avec les
fédérations, c'est-à-dire que vous n'avez pas dépossédé ceux qui doivent être
les responsables au premier chef car c'est d'eux aussi que dépend la pureté de
l'exploit sportif, que j'ai évoquée voilà quelques instants.
Vous avez envisagé la lutte contre les pourvoyeurs. Sur ce point, je voudrais
faire une digression. Je souhaiterais tout de même préciser que, aujourd'hui,
dans le milieu vétérinaire, on utilise la drogue, tout au moins les produits
comme la testostérone et la nandrolone, et ce abondamment. Qu'il y ait des
fuites, il est peut-être exagéré de l'affirmer. En tout état de cause, il faut
s'assurer qu'il n'y en ait pas.
En effet, le secteur vétérinaire peut, me semble-t-il, constituer une source
d'approvisionnement. C'est du moins ce que m'ont rapporté des personnes qui
travaillent dans ce domaine. Il faut surveiller ce circuit qui utilise
largement les produits employés aussi par les sportifs.
Ces produits se répartissent en huit grandes catégories, que je n'énumérerai
pas. On dénombre 500 ou 600 spécialités.
A cet égard, je m'interroge : l'existence du
Vidal
est-elle une bonne
chose ? En effet, ces produits figurent dans cet ouvrage et ils sont classés
non seulement dans des grandes catégories, mais aussi par spécialité. Internet
est une autre forme d'information. Le
Vidal
fournit des renseignements
sans mettre suffisamment l'utilisateur en garde contre les dangers, du moins
pas dans la première liste, figurant sur la page de garde. Certes, si l'on le
feuillette, on pourra trouver des informations sur les produits.
Je n'ai pas vérifié si cela vaut pour le
Vidal
« familial ». Il y a en
effet aussi une édition destinée aux familles. Un nombre croissant de personnes
se soignent elles-mêmes, bien qu'elles n'en aient sûrement pas besoin.
Peut-être est-ce un moyen de les rendre malades afin qu'elles consultent un
médecin.
(Sourires.)
Mais la diffusion est trop grande et l'information sur les
dangers et effets secondaires insuffisante.
En ce domaine - j'y reviendrai sans doute - le laboratoire de Châtenay-Malabry
fait de gros efforts d'information, tout au moins à destination des
responsables sportifs, par des conférences organisées sur des thèmes variés.
Mais les pourvoyeurs peuvent là aussi parvenir, en passant par les circuits
médicaux et pharmaceutiques presque officiels, à mettre à disposition des
sportifs des produits qui améliorent les performances. En effet, c'est de cela
qu'il s'agit, et aussi d'accroître l'endurance, ce qui n'est pas forcément la
même chose.
A cet égard, on constate aujourd'hui - je l'ai appris d'ailleurs en
travaillant avec vos services, madame la ministre - que le Tour de France a
beaucoup changé. Il comprend très peu de périodes de repos - je crois même
qu'il n'y en a plus qu'une - tandis que la longueur de la course a été allongée
de deux cents à trois cents kilomètres, en incluant le plus de cols
possible.
Certes, on a allégé le poids des vélos. Ainsi, lors des premières éditions du
Tour de France, les vélos pesaient beaucoup plus qu'aujourd'hui. Il n'en
demeure pas moins que l'on dope les coureurs et que l'on allonge les distances.
Il faut donc prendre en compte cette situation, et c'est pourquoi je dis que la
capacité d'endurance entre en jeu au même titre que la performance.
Dans ce domaine de la performance, je ne ferai que survoler la liste des
produits utilisés. Mais il faut quand même signaler tous les moyens qui
permettent d'augmenter le nombre des globules rouges, c'est-à-dire de provoquer
la polyglobulie : certains médicaments - les anabolisants, l'érythropoïétine -
mais aussi les caissons, notamment hyperbares, qui stimulent la production par
l'organisme des globules rouges.
Je crois cependant que la meilleure des solutions est de faire un séjour à
Tignes ! Mais peut-être me contredirez-vous sur ce point, madame la ministre,
puisque vous avez fait procéder à des recherches pour savoir si une femme ou
des enfants n'avaient pas tenté de doper, sans qu'il le sache, un sportif qui
ne faisait que chercher à avoir davantage de globules rouges...
Il faut savoir aussi que l'hyperglobulie peut entraîner une viscosité sanguine
croissante, pouvant provoquer des embolies.
Bref, la pratique tendant à augmenter le nombre des globules rouges n'est pas
sans risques, sauf, peut-être, dans le cadre d'un séjour idéalement organisé,
tel celui de Tignes. Je crois donc que les responsables de la Coupe du monde
avaient retenu la bonne solution.
Viennent ensuite les hormones de croissance, qui, elles, ont souvent une
incidence à long terme. Pour qu'elles aient un effet intéressant, elles doivent
être administrées à des sujets très jeunes, avant que les cartilages se soient
soudés. Mais les conséquences en sont une déformation du visage, qui perd
presque un caractère humain, de gros os, de grosses mains, le tout donnant une
apparence simiesque !
La « vedette », toutefois, est la nandrolone. Je veux m'y arrêter, car, si le
législateur ne peut prétendre avoir des connaissances techniques et
scientifiques sûres, il peut en tout cas rapporter celles des autres.
Non seulement la nandrolone tient aujourd'hui la vedette dans la presse et est
matière à discussion d'avocats, mais elle est aussi, semble-t-il, largement
utilisée, alors qu'elle ne devrait pas l'être.
La nandrolone est en fait le nom donné à deux métabolites apparaissant dans
les urines après le catabolisme de la 19-nortestostérone. Elle intéresse tous
les sportifs, car elle dope la capacité musculaire, notamment celle des
cuisses. Cela permet ainsi, par exemple, aux coureurs de 100 mètres de démarrer
plus vite et, à d'autres sportifs, d'avoir des effets qui les intéressent dans
leurs combats.
Aujourd'hui, un débat existe sur la distinction entre la nandrolone endogène
et la nandrolone exogène. Il fut un temps où personne n'osait parler de
nandrolone endogène. Puis le Comité international olympique a admis qu'il
pouvait y avoir une nandrolone endogène, bien que l'on en ait trouvé jusqu'à
présent surtout chez la femme enceinte, et encore à une certaine période de la
grossesse. Mais l'hypothèse d'une nandrolone endogène de deux nanogrammes par
millilitre au maximum a été admise, un chiffre supérieur étant considéré comme
significatif d'un apport exogène.
Certains pensent que l'on pourrait différencier, par le dosage, ce qui est
endogène et ce qui est exogène. Tel n'est pas encore le cas.
Par ailleurs, des études américaines laissent supposer - mais, pour l'instant,
elles n'ont été menées que sur des urines de jument, et une extrapolation à
l'urine d'homme ou de femme pose quelques petits problèmes - qu'il serait plus
intéressant de connaître le rapport entre les deux métabolites : supérieur à un
nanogramme par millilitre, il traduirait une présence exogène.
Toujours est-il que, pour l'instant, on en reste à la distinction déjà évoquée
: en dessous de deux nanogrammes par millilitre, on admet qu'il y a eu
sécrétion endogène et, au-dessus de ce chiffre, il y a eu un apport exogène.
Dans le cas d'un sportif essayant actuellement de faire valoir sa sincérité,
les résultats des analyses donnent dix à quinze nanogrammes par millilitre.
Peut-il y avoir des sécrétions de nandrolone comme il y a des hyperglycémies ?
Et, en cas de possible hypersécrétion de nandrolone, pourrait-on alors
considérer que c'est un élément constitutif de l'individu et que ce dernier a
donc le droit de profiter des avantages de la nandrolone, ou faudrait-il lui
interdire la compétition quand il est en hypersécrétion endogène de nandrolone
?
Bref, aujourd'hui, ces éléments viennent troubler les décisions à prendre.
Mais je crois que, en ce domaine, une certaine sincérité et une certaine
simplicité sont de mise. Par conséquent, la solution consistant, en dessous de
deux nanogrammes par millilitre, à admettre une sécrétion endogène et,
au-dessus de ce chiffre, à considérer qu'il y a eu un apport exogène constitue
la possibilité d'être honnête envers ceux qui se dopent et ceux qui ne se
dopent pas.
Voilà l'essentiel des remarques que ce texte m'inspire.
Je terminerai mon intervention en vous livrant les réflexions de M. Michel
Sergent sur le laboratoire de Châtenay-Malabry. Notre collègue aurait en effet
pu être présent si le débat avait commencé à l'heure prévue. Mais il a dû se
rendre dans sa commune pour y exercer ses responsabilités municipales.
Auparavant, j'évoquerai une visite de deux heures que j'ai effectuée au
laboratoire de Châtenay-Malabry. J'en suis revenu convaincu qu'il n'était ni
nécessaire ni même possible d'avoir un second laboratoire organisé comme
celui-ci, en termes tant de matériel que de personnel. Cette création
entraînerait en effet une dépense exagérée, et nous risquerions alors d'avoir
deux laboratoires sous-équipés. Mieux vaut ne disposer que d'un seul
laboratoire très bien équipé, ce qui n'exclut nullement - disant cela, je me
permets de me tourner vers M. le président, qui a conduit une réflexion sur ce
sujet - l'exigence d'une contre-expertise. En effet, je suis désormais persuadé
que cette dernière peut très bien avoir lieu dans le laboratoire équipé à cette
fin avec un contre-expert désigné par la personne en cause et son avocat, à
condition toutefois que ledit contre-expert soit bien inscrit sur une liste de
contre-experts et que l'on ne s'adresse donc pas à n'importe lequel.
Je tiens à insister sur l'inutilité d'un second laboratoire, car, lors de
réunions de travail avec vous, madame la ministre, j'ai défendu une position
inverse.
M. François Lesein,
rapporteur.
C'est vrai ! Il est honnête !
M. Franck Sérusclat.
Je raisonnais en effet sur le fondement du dépistage du taux d'alcool dont
j'avais été chargé pendant une vingtaine d'années. Mais le matériel nécessaire
pour réaliser un dépistage de l'alcoolémie n'a aucun rapport avec celui qu'il
faudrait pour le laboratoire de Châtenay-Malabry. Il faut donc abandonner
l'idée de créer un second laboratoire que je voulais défendre ici. A cet égard,
je rejoins les propos de mon collègue M. Michel Sergent.
Je souhaite donc convaincre la commission des finances de l'opportunité de
continuer à aider largement le laboratoire de Châtenay-Malabry et, peut-être,
de ne plus attendre certaines manifestations, comme les jeux d'Albertville,
pour donner un équipement supplémentaire à ce laboratoire.
Le nombre de personnes employées par ce laboratoire est passé de trois à
vingt-quatre. Par ailleurs, les salaires qu'elles perçoivent ne correspondent
peut-être pas toujours à leur qualification. Peut-être pourrait-on envisager,
comme le suggère M. Sergent, une augmentation de ces salaires ?
Par ailleurs, M. Michel Sergent considère qu'un second laboratoire n'est pas
nécessaire pour effectuer les contre-expertises et que le laboratoire de
Châtenay-Malabry peut tout à fait accomplir de façon rigoureuse les missions
qui seront les siennes pendant la Coupe du monde, et procéder notamment aux 250
examens qui devront être réalisés, puisque la FIFA a décidé que, lors de chaque
match, deux examens devraient être faits.
M. François Lesein,
rapporteur.
Quatre examens !
M. Franck Sérusclat.
En outre, les capacités de ce laboratoire sont reconnues à l'étranger.
Par conséquent, M. Michel Sergent et moi-même sommes tout à fait d'accord
entre nous pour que ce laboratoire, dont la qualité et la nécessité sont
évidentes, dispose des moyens les plus importants possible.
Telles sont les explications que je souhaitais apporter dans ce débat. Bien
évidemment, le groupe socialiste votera ce projet de loi.
(Applaudissements.)
M. le président.
Qu'il soit permis au président de séance qui a été mis en cause d'indiquer
que, si le sénateur qu'il est demandait effectivement une double expertise, il
n'était cependant pas d'accord pour que l'expertise et la contre-expertise
soient effectuées par le même laboratoire, ce qu'a oublié de préciser M.
Sérusclat.
(Sourires.)
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ;
nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures quarante, est reprise à quinze heures,
sous la présidence de M. René Monory.)