Séance du 19 mai 1998
ANIMAUX DANGEREUX
ET PROTECTION DES ANIMAUX
Adoption d'un projet de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi n° 409 (1997-1998),
adopté par l'Assemblée nationale, relatif aux animaux dangereux et errants et à
la protection des animaux. [Rapport n° 429 (1997-1998) et avis n° 431
(1997-1998]).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Louis Le Pensec,
ministre de l'agriculture et de la pêche.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, les premières relations entre l'homme et le
chien remontent aux âges les plus reculés de la préhistoire. Plus tard, dans
l'antiquité, se développent les liens avec le chat. L'un et l'autre sont donc
devenus les compagnons privilégiés de la vie quotidienne de l'homme, auxquels
se sont ajoutées d'autres espèces actuellement de plus en plus diversifiées,
tant et si bien qu'en France un foyer sur deux possède un animal familier. Les
motivations de l'acquisition d'un animal de compagnie sont très diverses :
d'ordre psychologique, social, affectif, esthétique.
C'est pourquoi le projet de loi couvre l'ensemble des domaines liés aux
animaux de compagnie, de leur élevage à leur cession, en passant par leur mode
de garde et s'intéresse tout particulièrement aux conditions de cohabitation
avec l'homme dans la société actuelle.
Avec l'essor de la place des chiens et des chats dans la vie quotidienne des
citadins, mais aussi en milieu rural, ces dernières années, on a vu apparaître
dans les pays occidentaux, notamment, des problèmes nouveaux, pour lesquels le
dispositif législatif français s'est trouvé insuffisant ou inadapté. Il s'agit
de ce que les médias ont appelé le « phénomène pitbull », qui traduit en fait
une déviance profonde du rapport homme-chien. Du chien compagnon, source de
distraction ou d'échanges affectifs, ou même à partir du chien dit utilitaire,
on peut arriver désormais au chien investi d'une mission de faire-valoir de son
maître dans le but d'intimider ou de menacer l'entourage qu'on veut plus ou
moins consciemment agresser.
Le lien avec le chien, qui a pu appraître au fil des années comme un facteur
d'équilibre pour l'individu, peut, dans cette utilisation déviante, receler un
potentiel de dangerosité propre à inquiéter le public et les responsables des
collectivités locales. C'est précisément ce qui a motivé l'adoption de mesures
spécifiques par les maires les plus concernés, qui ont été amenés à interdire
la circulation, voire la détention sur leurs communes de chiens de type pitbull
ou de certaines races molossoïdes. Mais les décisions prises par les maires en
ce domaine avaient souvent des fondements législatifs très insuffisants.
D'abord anecdotique, le phénomène a pris de l'ampleur, les pitbulls sont
passés de quelques centaines en 1993 à plusieurs dizaines de milliers
actuellement. Il m'est donc apparu indispensable de proposer un texte de loi
qui permette de mettre fin à la mauvaise utilisation de certains chiens, de
sanctionner avec des peines adaptées les maîtres malveillants et de rétablir
des rapports normaux entre l'homme et le chien. Au demeurant, un certain nombre
de parlementaires avaient déposé des propositions de loi ayant le même
objet.
Le premier volet de ce projet de loi envisage les mesures à la fois
préventives et répressives à l'égard de ceux qui détiennent des animaux
potentiellement dangereux.
Tout d'abord, pour répondre aux préoccupations des collectivités locales, il
m'est apparu indispensable de renforcer les pouvoirs de police des maires en
leur permettant de prendre toutes les dispositions utiles lorsqu'un animal -
chien ou autre - leur aura été signalé comme potentiellement dangereux. Ils
pourront ainsi prescrire des mesures portant sur le mode de garde de cet animal
et, si le propriétaire ne se conforme pas à ces mesures, l'animal pourra lui
être confisqué, y compris définitivement, par le maire. Cette disposition sera
de nature à faciliter considérablement l'intervention des maires non seulement
dans leur mission de maintien de la sécurité publique, mais aussi dans les cas
souvent quotidiens de problèmes de voisinage dus à des chiens maîtrisés.
Cette mesure, très générale, ne vise pas un type d'animal plutôt qu'un autre.
Elle est d'une grande souplesse et pourra s'appliquer à ces nouveaux animaux de
compagnie d'espèces non domestiques, qui peuvent parfois présenter des dangers
pour la sécurité des personnes.
La deuxième mesure permettant de renforcer la sécurité des citoyens prévue par
ce projet de loi concerne le contrôle de ces chiens et la responsabilisation
accrue de leurs maîtres.
Le dispositif repose sur la classification des chiens potentiellement
dangereux en deux catégories qui seront soumises à des exigences différentes
suivant le degré de risques qu'ils comportent.
Actuellement, ce sont les chiens d'attaque de type pitbull qui, par leurs
caractères, leur morphologie et leur nombre, nécessitent des mesures
spécifiques. Pour ceux-là, qui seront classés dans la première catégorie dite
des chiens d'attaque, le texte prévoit une extinction progressive du type - le
type, rappelons-le, n'est pas une race - par l'obligation de stérilisation et
une interdiction d'importation, de commerce, de don et d'achat.
Quand on connaît l'importance du trafic dont ces chiens font l'objet, le prix
de vente de certains, les élevages clandestins, l'organisation délictueuse de
combats et l'inquiétude que ces animaux suscitent aussi bien pour les passants
citadins que pour les promeneurs du dimanche en forêt, il est évident que leur
élimination progressive est indispensable.
Si d'autres chiens issus de croisements aussi préoccupants devaient
apparaître, la loi permettra de prendre, très rapidement, par voie
réglementaire, en complétant la liste des chiens de première catégorie, des
mesures contraignantes qui éviteront une nouvelle prolifération semblable à
celle du pitbull.
La deuxième catégorie, celle des chiens dits de garde et de défense, sera
composée par des types à fort tempérament et à morphologie suffisamment
conséquente pour requérir des précautions.
Pour l'ensemble des propriétaires de chiens potentiellement dangereux - des
deux catégories - le texte met en place un système de responsabilisation
accrue, avec une déclaration obligatoire à la mairie, accompagnée d'obligations
de vaccination, d'identification et de souscription d'une police d'assurance.
En outre, l'étude du comportement de ces chiens confirme qu'ils ne sont pas à
mettre entre toutes les mains. C'est pourquoi le texte prévoit une interdiction
de détention aux mineurs et aux personnes condamnées pour violence.
Enfin, ce dispositif, qui permet aux maires de connaître la population des
chiens des deux catégories présente sur leur commune, et qui alerte les
propriétaires sur la dangerosité potentielle de leur chien, est complété par
des mesures visant à prévenir tout risque de morsure. Il est aussi apparu
essentiel de prescrire pour l'animal le port de la laisse et de la muselière
sur la voie publique, dans tous les lieux ouverts au public, dans les
transports en commun et dans les parties communes des immeubles. Les chiens
d'attaque, quant à eux, ne pourront pas séjourner dans les parties communes des
immeubles et ne pourront circuler que sur la voie publique.
Il m'est également apparu nécessaire d'encadrer le dressage à l'attaque de
l'homme, dit dressage au mordant. Seules les activités de surveillance, de
gardiennage ou celles qui sont pratiquées dans le cadre de la sélection canine
sous l'égide de la Société centrale canine peuvent justifier que l'on
maintienne ce type de dressage. La possibilité de pratiquer ce dressage sera
réservée à des personnes qualifiées qui, de ce fait, tiendront compte du
comportement et des réactions du chien, qui pourra lui-même en tirer pleinement
bénéfice pour son équilibre.
Afin de rendre l'ensemble de ces contraintes applicables, une série de
sanctions administratives et pénales, qui peuvent aller jusqu'à la confiscation
de l'animal, sont prévues. Le chien devrait ainsi retrouver son rôle de
compagnon, y compris dans sa dimension utilitaire, mais aux côtés de maîtres
pleinement responsables.
Cependant, le projet de loi que je vous présente ne s'intéresse pas aux seuls
animaux potentiellement dangereux. Il faut également essayer de trouver des
solutions pour les abandons, qui ont lieu par dizaines de milliers chaque
année, de chiens et de chats. Ces abandons ont des conséquences, parfois
graves, sur la surcharge des fourrières et des refuges. Cette situation m'a
conduit à définir les fourrières et les refuges de façon plus précise que ne le
prévoyait la loi de 1989. Il s'agit de mieux assurer le maillage de fourrières
recueillant les animaux errants entre les communes.
En parallèle, le texte facilite l'adoption en refuge de chiens et de chats
trouvés errants et non récupérés par leur propriétaire. Désormais, et cela en
relation avec le recul considérable de la rage en France, il ne sera plus
nécessaire d'attendre un délai de cinquante jours après leur capture. Après les
délais de garde légaux en fourrière de huit jours, l'adoptant s'engagera à
respecter la surveillance vétérinaire de l'animal. On devrait ainsi arriver à
diminuer la surcharge des établissements qui accueillent les animaux
abandonnés.
Dans la même logique de gestion des populations d'animaux sans maîtres, des
actions de maintien de colonies de chats libres dans les parcs, jardins ou
cimetières ont été menées par les associations de protection animale, avec le
soutien des maires concernés. Ces chats vivant en groupes sont donc stérilisés,
identifiés et vaccinés, puis remis dans leur lieu de vie habituel. De telles
initiatives méritent d'être légalisées et accompagnées systématiquement d'une
bonne maîtrise sanitaire de ces animaux.
Après avoir évoqué des aspects plutôt négatifs ayant trait à l'animal
dangereux et l'animal abandonné, qui nécessitent un nouveau dispositif
législatif, j'en arrive au deuxième volet fondamental de ce texte, qui se situe
en fait en amont de ces problèmes. Dans quelles conditions achète-t-on un
animal de compagnie ? N'a-t-on pas été poussé à un achat non raisonné par un
vendeur peu scrupuleux et même peu respectueux de l'animal ? La principale
caractéristique du commerce des animaux est que la vente est, en majorité,
exercée par des amateurs qui n'accompagnent pas toujours la vente d'un conseil
adapté au futur propriétaire. C'est ainsi que les non-professionnels réalisent
80 % du commerce des chiens et 90 % du commerce des chats.
C'est pourquoi une moralisation de l'élevage, du commerce des animaux de
compagnie mais aussi de toutes les activités qui s'y rattachent, comme le
dressage, est proposée dans le projet de loi.
Ces activités seront déclarées au préfet du département, seront exercées dans
des conditions sanitaires et de protection animale rigoureuses et seront
réservées aux seules personnes dont la qualification est reconnue. Ces
personnes en contact avec des animaux devront donc être titulaires d'un
certificat de capacité attestant leur formation, leur diplôme ou une expérience
professionnelle suffisante. Je vous propose également que la vente des chiens
et des chats dans les foires, salons ou marchés « tout-venant » soit interdite,
que la parution des petites annonces de ventes d'animaux, dont regorgent
beaucoup de journaux, surtout à diffusion gratuite, soit réglementée. Les
petites annonces de ventes d'animaux devront donc comporter les renseignements
nécessaires sur le vendeur et sur les animaux proposés à la vente.
Face également aux problèmes de trafics de chiens et après la loi de 1989, qui
avait rendu l'identification des chiens et des chats obligatoire préalablement
à tout transfert de propriété, il me semble essentiel de saisir l'occasion de
ce texte pour généraliser l'obligation d'identification à tous les chiens de
plus de quatre mois ne faisant pas l'objet de cession et qui seront nés après
la publication de la loi.
Enfin, les conditions des cessions seront clairement définies : attestations
de vente, documents d'information sur l'animal, âge minimal de vente pour les
chiots et les chatons, certificat de bonne santé pour les ventes réalisées par
des particuliers, autant de contraintes qui devraient contribuer à ce que l'on
ne puisse plus vendre un animal comme un simple objet.
La modification de deux articles du code civil proposée ici conforte, du
reste, cette nouvelle considération qu'il y aura lieu d'avoir vis-à-vis de
l'animal en général.
De plus, le texte instaure, en application d'une directive communautaire de
1995 sur la protection de tous les animaux en cours de transport, un agrément
spécifique des transporteurs d'animaux vivants. Il accroît, en outre, les
pouvoirs de contrôle en matière de protection animale ainsi que les
possibilités d'intervention sur le terrain en cas de mauvais traitements envers
les animaux, en prévoyant la possibilité du retrait des animaux.
En conclusion, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaiterais souligner
que la France est le premier pays possesseur d'animaux de compagnie en Europe
et qu'elle doit donc se doter d'un outil législatif efficace. Ce dispositif est
très attendu, non seulement par nos concitoyens, mais aussi par les autres
Etats membres de l'Union européenne qui, eux aussi, ont à résoudre des
problèmes similaires liés aux chiens dangereux et au commerce des animaux.
Ce texte de loi correspond au rôle de plus en plus important dans notre
société que joue l'animal de compagnie et à la nouvelle considération dont il
devrait faire l'objet. Au travers des exigences nouvelles de la loi, nous
espérons redéfinir ces fonctions de l'animal familier dans un contexte
d'harmonie et d'équilibre entre les citoyens.
J'ai bon espoir que le dialogue à instaurer avec la Haute Assemblée sur ce
projet de loi, qui a été adopté à l'unanimité par l'Assemblée nationale, nous
permettra encore d'enrichir un texte que je considère comme équilibré.
(Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Dominique Braye,
rapporteur de la commission des affaires économiques et du Plan.
Monsieur
le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi
soumis aujourd'hui en première lecture à l'examen de la Haute Assemblée est
relatif aux animaux dangereux et errants et à la protection des animaux. Comme
le rappelait M. le ministre à l'instant, il a été adopté en première lecture
par l'Assemblée nationale le 22 avril dernier et a fait l'objet de toute
l'attention de la commission des affaires économiques et du Plan du Sénat,
notamment de son rapporteur, qui a procédé à quarante auditions de
professionnels, spécialistes et représentants des pouvoirs publics, des
services de police et de gendarmerie, des organismes cynophiles agréés, de la
profession vétérinaire, du secteur de l'élevage et du dressage canins, des
associations et fondations de protection des animaux, mais aussi des éthologues
et des ethnologues spécialisés dans ce domaine.
A cet instant, je souhaite remercier mon excellent collègue, M. Lucien Lanier,
rapporteur pour avis de la commission des lois, avec lequel j'ai pu travailler
efficacement et dans la convivialité pour améliorer ce texte qui nous parvient
de l'Assemblée nationale.
La commission des affaires économiques a, en effet, souhaité aborder l'examen
du texte gouvernemental avec un souci de pragmatisme et d'efficacité, en
fondant son avis sur une large consultation de tous les acteurs, intervenants
et experts dans les domaines liés aux deux principaux volets de ce projet de
loi : la nécessaire réponse au problème des chiens potentiellement dangereux,
d'une part, le renforcement attendu de la protection animale, d'autre part.
Le texte du projet de loi présenté par M. le ministre de l'agriculture et de
la pêche entend traiter ces deux sujets sur lesquels existe une attente forte
de la part de nos concitoyens : celle d'une amélioration des relations entre
l'homme et l'animal, notamment l'animal de compagnie. Il s'agit, dans un cas,
de mieux protéger l'homme de l'animal - c'est le problème des chiens dits
dangereux - et, dans l'autre cas, de mieux protéger l'animal de l'homme ; il
s'agit, cette fois, du problème du renforcement de la protection des animaux.
Ces deux exigences peuvent paraître au premier abord contradictoires. En fait,
il n'en est rien.
La commission et son rapporteur estiment que, lorsque la relation homme-animal
se trouve dégradée, c'est, pratiquement toujours - oui, pratiquement toujours -
l'homme qui est responsable de cette situation.
Mme Hélène Luc.
Bien sûr !
M. Dominique Braye,
rapporteur.
Ma conception personnelle, partagée par la quasi-totalité des
experts du monde animal, est que, lorsqu'un homme est victime d'un animal
domestique, c'est parfois sa faute mais le plus souvent, celle d'un autre
homme, que ce soit par ignorance, par inconscience, par lâcheté, par
malveillance ou par cruauté.
Cette différence d'appréhension du rapport homme-animal explique que le
problème des chiens dits dangereux ait été envisagé sous un angle sensiblement
différent de celui du Gouvernement par la commission des affaires
économiques.
En revanche, le renforcement de la protection des animaux qui est prévu par le
texte du projet de loi a rencontré un assentiment unanime de la commission et
de son rapporteur, qui ont approuvé l'essentiel du dispositif relatif à la
protection animale.
Quoi qu'il en soit, ce texte et sa discussion au Parlement étaient très
attendus, car il s'agit de répondre au phénomène de la place croissante des
animaux, notamment de compagnie, dans notre société. La présence de l'animal
est génératrice de nombreux bénéfices et avantages pour l'homme, mais lui crée
en même temps de nouveaux devoirs, de nouvelles charges et contraintes, et bien
sûr, aux marges de ce phénomène essentiellement positif, apparaît parfois le
risque de nouveaux dangers. Ces risques, la société se doit de les contrôler au
maximum, d'abord, naturellement, par l'adoption d'un cadre législatif
approprié, et c'est ce que nous allons tenter de faire aujourd'hui.
C'est ainsi que huit propositions de loi, concernant les chiens dits
dangereux, issues à parts égales d'initiatives de sénateurs et de députés, ont
été déposées récemment sur le bureau des deux assemblées. M. Philippe Vasseur,
votre prédécesseur, monsieur le ministre, avait, lui aussi, déposé le 9 avril
1997, sur le bureau de l'Assemblée nationale, un projet de loi visant « à
modifier les dispositions du code rural relatives à la protection des animaux
et à la garde des animaux domestiques, ainsi que certains articles du code
civil ». Ce projet de loi constitue d'ailleurs le socle sur lequel a été
élaboré celui que nous examinons aujourd'hui, et qui a été également inspiré
par le rapport fait par M. Georges Sarre au ministre de l'intérieur et
concernant « les mesures à prendre pour réglementer la vente, la possession et
l'usage des chiens d'attaque ».
C'est sur les mesures préconisées par ce rapport, et qui ont été reprises dans
le texte que nous examinons aujourd'hui, que la commission des affaires
économiques et son rapporteur ont exprimé le plus de réserves. L'analyse du
phénomène des risques liés aux chiens dits dangereux leur a semblé en partie
erronée, notamment quant aux responsabilités à mettre en cause. Par voie de
conséquence, les solutions avancées par le rapport Sarre et par l'actuel projet
de loi ne leur sont pas toujours apparues les plus pertinentes pour résoudre ce
problème difficile, même si, naturellement, de nombreux points de convergences
subsistent.
Avant de revenir plus spécifiquement sur le sujet des chiens potentiellement
dangereux, source d'analyses différentes et de nouvelles propositions, il
convient de rappeler que le volet « protection animale » de ce texte, notamment
son aspect relatif à la moralisation du commerce des animaux de compagnie, a
rencontré une approbation globale de la part de notre commission, de son
rapporteur et des personnalités qui ont été auditionnées.
Je souhaite rappeler que l'animal de compagnie, avant d'être un souci, un
problème ou un danger, représente avant tout un apport extrêmement positif pour
l'homme. Pour un accident causé à l'homme par un animal, combien de milliers de
personnes voient leur vie éclairée et embellie par la présence ou la possession
d'animaux de compagnie ? Sans parler des vies humaines rendues meilleures ou
mêmes sauvées par ces animaux.
L'animal de compagnie occupe une place sans cesse croissante dans notre
société, notamment en milieu urbain, non seulement en raison de son rôle
traditionnel de compagnon, mais aussi et surtout parce qu'il rétablit chez le
citadin un lien vital avec le milieu naturel, dont il est hélas ! de plus en
plus éloigné.
Monsieur le ministre, cela devra d'ailleurs nous amener, un jour ou l'autre, à
étudier cette question de manière approfondie et à proposer des solutions au
problème spécifique de la place de l'animal dans la ville et à toutes ses
conséquences.
En effet, ce phénomène est particulièrement sensible en France, où nous
observons l'un des plus forts taux de possession d'animaux de compagnie par
habitant : en 1997, 52 % des ménages français possédaient un animal de
compagnie, dont 45 % au moins un chien ou un chat. Actuellement il y aurait
près de 47 millions d'animaux familiers dans notre pays, dont 7,9 millions de
chiens, 8,4 millions de chats - donc plus de chats que de chiens - 5,8 millions
d'oiseaux, 4,7 millions de rongeurs et 23 millions de poissons, sans compter
tous les autres animaux de compagnie : tortues, reptiles et autres mygales.
Cet engouement croissant s'explique par les apports multiples de l'animal de
compagnie à l'homme. Il lui permet, je l'ai rappelé voilà un instant, de
renouer avec la nature ; il est source d'affection, de réconfort, de
divertissement, de sécurité, d'équilibre, de responsabilisation, et même de
bénéfices thérapeutiques. En effet, de nombreuses études et expériences
scientifiques témoignent du rôle extrêmement positif joué par l'animal de
compagnie, que ce soit en milieu hospitalier, au domicile du malade ou en
milieu ouvert.
Comment vous l'avez tous récemment appris, mes chers collègues, on a pu mettre
en évidence, aux Etats-Unis, que des enfants autistes ou handicapés mentaux
retiraient un immense profit du contact quotidien avec des dauphins apprivoisés
et réalisaient de ce fait des progrès comportementaux jamais constatés jusqu'à
ce jour avec toutes les autres méthodes thérapeutiques. Personne n'ignore non
plus l'aide précieuse, apportée par des chiens dressés spécifiquement, à
l'autonomie de personnes aveugles ou handicapées moteur, entre autres
individus.
Depuis des milliers d'années, le chien - puisqu'il est au coeur du dispositif
du présent projet de loi, et qu'il convient donc d'en parler - est le compagnon
le plus proche et le plus utile de l'homme ; il l'aide à la chasse, garde ses
troupeaux et ses biens, le défend, le sécurise, l'accompagne.
Avec le temps, l'homme lui a dévolu des rôles de plus en plus spécifiques :
chien d'avalanche, chien détecteur de stupéfiants, chien guide, chien de
secours lors des catastrophes naturelles, chien sauveteur en mer.
Compagnon et auxiliaire, telle est la première fonction du chien auprès de
l'homme.
Naturellement, tous les animaux de compagnie ne jouent pas un rôle aussi
abouti que celui du chien, mais ils sont tous source de passion, d'équilibre et
de responsabilisation.
Enfin, l'animal de compagnie représente une dimension économique considérable.
Elevage, dressage, vente, gardiennage, entretien et toutes autres activités
sont des enjeux économiques importants. A titre d'exemple, le seul marché de
l'alimentation de l'animal de compagnie, qui est en plein essor à l'heure
actuelle, atteint déjà 13,5 milliards de francs par an dans notre pays.
Les activités liées à l'animal de compagnie représentent un secteur économique
porteur, créateur de richesses et d'emplois.
C'est pourquoi le législateur doit s'y intéresser, notamment en ce qui
concerne le commerce des animaux de compagnie, qu'il est nécessaire d'encadrer
et de moraliser, ce qui va de pair avec le devoir de protection de l'animal,
reconnu depuis 1976 par notre législation comme un « être sensible ».
A cet égard, le projet de loi qui nous est soumis, sous réserve de l'adoption
de quelques amendements que je soumettrai à votre approbation, mes chers
collègues, emporte mon assentiment : l'instauration d'un régime de déclaration
et de règles sanitaires et professionnelles pour l'exercice, à titre
commercial, d'activités liées à l'animal, ainsi que pour la gestion de refuges
et fourrières est une mesure bienvenue. La lutte accrue contre les abandons et
les trafics, notamment par l'identification obligatoire de tous les chiens, est
tout à fait souhaitable. Je vous proposerai même un amendement tendant à
généraliser cette obligation d'identification aux chats, dont le nombre, je le
disais tout à l'heure, a maintenant dépassé celui des chiens dans notre pays,
tendance qui se confirme chaque jour un peu plus. De même, la moralisation du
régime des petites annonces de cession de chats et de chiens était-elle
largement attendue et souhaitable.
L'interdiction des ventes d'animaux de compagnie dans les manifestations
commerciales qui ne leur sont pas exclusivement consacrées semble aussi une
mesure de bon sens, permettant de moraliser davantage le commerce de ces
animaux.
Je proposerai à votre sagacité, mes chers collègues, certains amendements
susceptibles d'améliorer encore - je le souhaite - ce dispositif de
moralisation du commerce des animaux, comme l'interdiction de vente de chiens
ou de chats à des mineurs de moins de seize ans.
L'achat « coup de coeur », sans mesurer les responsabilités et les contraintes
que l'acquisition d'un animal entraîne, et qui est cause de la majorité des
abandons, doit être impérativement prévenu. Combien de fois, au cours des
vingt-cinq années de ma carrière de vétérinaire, ai-je dit à des clients
pressés qu'il n'était pas normal d'acheter un animal en trois minutes, alors
que pour faire l'acquisition d'un téléviseur ou d'une machine à laver, il leur
fallait trois heures d'intenses réflexions, si ce n'était trois jours ?
Sous réserve de certaines modifications ou précisions, la commission des
affaires économiques approuve donc le volet « protection animale » de ce projet
de loi, qui traite de la vente et de la détention des animaux de compagnie dans
son chapitre II, du transport des animaux dans son chapitre III, de l'exercice
des contrôles dans le chapitre IV ou de dispositions diverses dans le chapitre
V. Le renforcement des sanctions prévues par l'Assemblée nationale,
particulièrement en cas de mauvais traitements à animaux de compagnie, lui
semble, notamment, tout à fait pertinent.
Reste le chapitre Ier intitulé « Des animaux dangereux et errants ». La
principale pierre d'achoppement entre la position de la commission des affaires
économiques et son rapporteur, d'une part, et le texte du projet de loi,
d'autre part, réside dans le traitement du problème des chiens potentiellement
dangereux, puisqu'il s'agit essentiellement d'eux.
Mais certains points du dispositif visés par ce chapitre ne posent pas de
problème particulier : la commission et son rapporteur approuvent le
renforcement des pouvoirs du maire pour prévenir les dangers potentiels, liés
au comportement agressif d'un animal et l'interdiction faite à certaines
catégories de personnes de détenir des chiens potentiellement dangereux, ou
encore certaines des mesures visant à définir les modalités selon lesquelles
ces chiens potentiellement dangereux peuvent être promenés sur la voie publique
ou dans les espaces ouverts au public. De même, l'introduction de certaines
dispositions en matière de dressage recueillent mon assentiment et celui de la
commission des affaires économiques.
Les mesures contribuant à améliorer les conditions de fonctionnement des
fourrières me semblent aussi, à quelques réserves près, judicieuses.
A l'inverse, est apparue une forte divergence en ce qui concerne l'analyse du
problème de fond posé par les risques liés aux chiens potentiellement dangereux
et les solutions à y apporter.
Monsieur le ministre, je résumerai cette divergence en disant que nous avons
considéré que le texte proposé à notre examen abordait le problème par « le
mauvais bout de la laisse », formule certes imagée, mais qui a le mérite de la
clarté. Selon moi, c'est une certaine méconnaissance du chien qui est à
l'origine des solutions avancées dans le chapitre Ier, lesquelles me semblent à
tort trop incriminer certaines races ou certains types de chiens et
insuffisamment certains propriétaires de ces chiens, qui, eux, les ont
effectivement rendus dangereux.
Pour moi, en tant que vétérinaire, et pour la quasi-totalité des spécialistes
du monde canin que j'ai auditionnés, le problème des chiens dangereux est avant
tout un problème de propriétaires dangereux. Nier cette évidence, monsieur le
ministre, mes chers collègues, reviendrait à nier la notion même d'éducation et
de dressage qui détermine les relations homme-chien depuis la nuit des
temps.
Ce qui est en cause, c'est le problème de l'usage inconscient, déviant,
malveillant, voire délinquant qu'une minorité de propriétaires font de leurs
chiens.
Mme Hélène Luc.
Eh oui ! C'est précisément là qu'il faut agir !
M. Dominique Braye,
rapporteur.
Où ce problème de prolifération de chiens dits dangereux et
d'agressions se pose-t-il le plus fréquemment et avec la plus grande acuité ?
Nous le savons tous : dans certains quartiers difficiles, où l'on trouve
également le plus de problèmes liés à l'insécurité, et à la délinquance de
façon générale.
Tout le problème est là, mes chers collègues.
C'est donc bien une question d'utilisation de ces chiens qui se pose, et avant
tout un problème de comportement de certains propriétaires qui s'en servent
comme « arme par destination », à des fins d'intimidation, de racket, de
protection de trafics de drogue, d'attaque contre les forces de l'ordre, ou
encore de combats clandestins, ainsi que vous l'avez rappelé, monsieur le
ministre.
Ne nous y trompons pas, monsieur le ministre, le problème que nous avons à
traiter est bien celui des propriétaires dangereux et des propriétaires
délinquants. Si nous n'en sommes pas persuadés, je crois qu'il vaut mieux
s'abstenir de légiférer, car non seulement nous ne résoudrons rien, mais, pis
encore, nous aggraverons les choses.
Un double constat s'impose à tous les spécialistes de ce problème des chiens
potentiellement dangereux.
D'une part, il existe non pas des types et des races de chiens dangereux par
nature ou par essence, mais uniquement des types ou des races de chiens
potentiellement dangereux en raison de leurs caractéristiques physiques ou
psychologiques.
D'autre part, tout chien, je dis bien « tout chien », et je pèse mes mots, est
susceptible, quels que soient sa race ou son type, de devenir agressif et donc
dangereux s'il est suffisamment gros et fort, et s'il est confié à un maître
qui l'élève mal, l'éduque mal, le maltraite ou, pis encore, le dresse
spécifiquement en vue de devenir dangereux.
Premier constat, donc : il n'y a pas de chiens dangereux par nature ; il y a
seulement des chiens potentiellement dangereux - j'insiste sur le mot «
potentiellement » - qui le sont plus ou moins en raison de leurs
caractéristiques physiques, c'est-à-dire de leur force, de leur poids et donc
de la puissance de leur machoire.
Il est évident que, si un chihuahua, qui pèse moins de 800 grammes, vous mord
la jambe, le bas de votre pantalon ou votre collant pourraient alors en garder
les traces ; mais il faudra en revanche prendre garde à ne pas secouer trop
fortement la jambe si vous ne voulez pas infliger à ce petit chien de graves
lésions par projection sur un obstacle voisin.
(Sourires.)
Cependant, si un rottweiler, un labrador, un boxer ou un berger allemand
vous mord la jambe et que vous secouez fortement celle-ci, en supposant que
vous le puissiez, c'est un morceau de votre jambe qui risque de vous quitter à
tout jamais !
(Nouveaux sourires.)
Cela, c'est l'évidence ! Mais le vrai problème, pour
nous, est de savoir pourquoi ce chien vous a mordu afin de pouvoir prévenir
tout accident. C'est assurément parce que son maître n'a pas exercé une
surveillance suffisante ou, comme cela se voit, hélas ! de plus en plus
fréquemment, parce qu'il aura transformé son animal en une bête dangereuse par
son incompétence, sa bêtise, sa malveillance ou son agressivité : c'est le
second constat qui s'imposait.
La solution consiste-t-elle donc, monsieur le ministre, à décider que le
pitbull, ou tout autre type ou race de chien, molossoïde ou autre d'ailleurs,
doit être désormais éradiqué, ou bien vaut-il mieux responsabiliser les
propriétaires, encadrer strictement la détention et l'usage des chiens
potentiellement dangereux et sanctionner lourdement les contrevenants ?
Je pense pour ma part, tout comme la majorité écrasante des experts du monde
canin, que la seule solution possible est la seconde, tout simplement parce que
c'est toujours le propriétaire du chien qui est à l'origine des accidents que
celui-ci peut causer.
Monsieur le ministre, le dispositif que vous nous proposez méconnaît cette
évidence et, si nous ne l'améliorons pas, non seulement il se révélera
inopérant mais, de plus - c'est beaucoup plus grave - il accroîtra le
phénomène. Créer deux catégories de chiens dangereux, dont la première serait
vouée à l'éradication et le seconde à un contrôle strict, pose en outre des
problèmes insolubles : sur la base de quels critères classer un type ou une
race de chien en première ou en deuxième catégorie ? Le pitbull doit-il être
classé en première catégorie et le berger allemand en deuxième catégorie ? Il
est vrai que le berger allemand n'est pas un molossoïde et que, depuis que
Rintintin et Mabrouk sont devenus des vedettes de la télévision, il a la
sympathie de la majorité de nos concitoyens et aussi - je dois le confesser -
la mienne. Pourtant, il est le chien qui provoque le plus d'accidents graves et
mortels dans notre pays : plus de 90 %. Quant aux croisements de races
indéfinis, seront-ils classés en première ou en deuxième catégorie ? Et que
faire quand apparaîtront de nouvelles races ?
Si vous interdisez demain telle race ou tel type de chien, ne vous y trompez
pas, monsieur le ministre, ne nous y trompons, pas mes chers collègues : les
délinquants délaisseront les chiens incriminés au profit d'autres races ou
d'autres types de chiens. Après le pitbull, ce sera le boer bull, puis le
rottweiler et, ensuite, le berger allemand, le doberman, le boxer et tous les
autres. Allons-nous éradiquer petit à petit tous les chiens potentiellements
dangereux à cause des agissements délinquants d'une infime minorité de
propriétaires alors que l'immense majorité des propriétaires de ces chiens sont
des gens responsables, équilibrés et pacifiques ?
Au fait, je me suis demandé pourquoi le pitbull avait été désigné pour être la
victime expiatoire dans votre dispositif, monsieur le ministre.
Mme Hélène Luc.
C'est parce qu'il cause des accidents !
M. Dominique Braye,
rapporteur.
Je n'ai trouvé qu'une seule raison, madame Luc : c'est parce
que cela arrange tout le monde ! Ainsi, il n'est pas reconnu par les organismes
cynophiles officiels, il a été à la mode auprès des jeunes des quartiers
difficiles et, enfin - cela compte beaucoup - son esthétique n'est
manifestement pas prisée par la quasi-totalité des adultes de vingt-cinq à cent
quinze ans.
Mais, monsieur le ministre, d'après les statistiques, c'est un chien
responsable de très peu d'accidents et d'aucun mort sur notre territoire. Nous
devons donc reconnaître que le phénomène pitbull est une création médiatique.
Le Parlement doit-il répondre à un phénomène purement médiatique par une
réponse superficielle et médiatique ? Je ne le crois pas et, en tout cas, je
m'y refuse personnellement.
Non, monsieur le ministre, décidément, je ne peux pas vous suivre dans cette
logique qui ne tient compte ni de la réalité de ce qu'est le chien - tous les
spécialistes, à l'unanimité, défendent ce point de vue - ni des véritables
coupables que sont les propriétaires dangereux. C'est l'homme qui façonne le
comportement du chien et non l'inverse.
J'aurais très bien pu amener aujourd'hui de part et d'autre de cette tribune -
mais ma requête a été refusée ! - dix rottweillers et dix dobermans en liberté
sans que cela crée le moindre incident - hormis peut-être des manifestations de
sympathie un peu exubérantes - parce que ces chiens étaient correctement
dressés.
(Sourires.)
Je prendrai un exemple à l'appui de cette thèse : le centre d'instruction
canine de la gendarmerie nationale, imprégné comme nous tous par les médias et
prenant pour argent comptant ce que la rumeur colporte, a acquis, voilà quelque
temps, deux pitbulls destinés à la formation des gendarmes pour la capture des
chiens dangereux. Bien entendu, ces deux pitbulls, placés entre les mains de
personnes responsables et compétentes, se sont révélés être de très bons
chiens. Ils n'ont donc pu ni l'un ni l'autre satisfaire à la mission initiale à
laquelle ils étaient destinés, c'est-à-dire l'entraînement des personnels pour
les chiens dangereux !
Comme il fallait les utiliser au mieux de leurs capacités, l'un d'eux est
devenu chien d'avalanche et l'autre a été dressé à la recherche de stupéfiants.
Ces deux pitbulls, monsieur le ministre, sont aujourd'hui destinés à sauver des
vies humaines.
Cette anecdote est édifiante, car elle résume toute la problématique du chien
dit « dangereux ».
A l'exception des chiens tarés que l'on trouve dans toutes les races - et si
ce n'était que chez le chien... - un bon maître fera toujours un bon chien,
alors qu'un maître dangereux fera presque toujours un chien dangereux.
La leçon à tirer de cela est, comme je le disais précédemment, qu'il est
impératif de prendre le problème par « le bon bout de la laisse » : il faut
encadrer strictement la détention et l'usage des chiens potentiellement
dangereux. Je préconise, pour ce faire, un régime d'autorisation de détention
allant plus loin que le simple dispositif de déclaration prévu par le projet de
loi.
Déclarer un chien en mairie n'est pas une garantie de sécurité suffisante. Or
cette exigence de sécurité, nous la devons à nos concitoyens. Sans aller
jusqu'à retenir un régime de permis de détention - ce système a pourtant été
institué avec bénéfice en Allemagne - qui, je le reconnais, serait compliqué à
mettre en place actuellement dans notre pays, il me paraît très important
d'adopter une disposition plus contraignante que la simple déclaration : il
s'agit de l'autorisation de détention délivrée par le maire de la commune de
résidence du chien ; ce maire, placé au plus près des « réalités du terrain »,
sera le plus apte à vérifier si une personne peut ou non détenir un chien
potentiellement dangereux, cette définition du chien potentiellement dangereux
visant alors une seule catégorie de chiens, plus large que celle qui est prévue
pour définir la deuxième catégorie du texte actuel.
Ce faisant, le dispositif que je propose revient à supprimer la première
catégorie, dans laquelle il était prévu de ne placer presque exclusivement que
des pitbulls qui, je le répète, ne sont nullement les chiens les plus
dangereux, comme toutes les statistiques le prouvent.
Si nous agissons de la sorte, les individus dont le jeu favori est de jouer «
aux gendarmes et aux voleurs » avec les forces de l'ordre se trouveront
confortés dans leur attitude provocatrice. Ils continueront à anticiper les
décisions réglementaires, comme ils ont déjà commencé à le faire en délaissant
depuis dix-huit mois les pitbulls pour se rabattre notamment sur les
rottweilers.
A ce jeu-là, monsieur le ministre, mes chers collègues, si nous ne prenons pas
les bonnes décisions, le législateur ne sera pas gagnant et courra toujours en
vain après les délinquants sans jamais les rattraper.
Une anecdote qui m'aurait fait sourire si je ne l'avais vécue sur le terrain,
dans le climat de provocation et de tension que l'on peut connaître dans les
quartiers difficiles, illustre bien cet aspect des choses : les huit communes
du district urbain de Mantes-la-Jolie, que j'ai l'honneur de présider, ont
pris, voilà un an, des arrêtés municipaux prescrivant, entre autres
dispositions, le port de la muselière dans les lieux publics pour certains
chiens. Que croyez-vous que les propriétaires imaginèrent pour narguer les
forces de l'ordre ? Le port de la muselière, certes, mais posée au sommet du
crâne du chien !
Si nous ne voulons pas que cette attitude se généralise, il nous faut trouver
en la matière les solutions les plus efficaces pour viser directement les
mauvais propriétaires et les propriétaires délinquants.
La définition des chiens potentiellement dangereux relèverait naturellement
toujours de l'arrêté interministériel, mais il serait souhaitable que les
critères pris en compte pour le classement dans cette catégorie unique des
chiens potentiellement dangereux soient objectifs. Pour ce qui concerne la
morphologie, il serait pertinent de fixer un poids minimal de l'animal : plus
de 15 ou 20 kilogrammes, par exemple. Par ailleurs, les organismes cynophiles
agréés devraient être consultés avant toute prise d'arrêté ministériel
définissant cette catégorie, afin qu'ils apportent leur savoir et leur
expérience en matière de critères psychologiques.
Les maires, pour prendre leur décision d'autoriser ou non la détention de ce
type de chiens, pourront s'appuyer sur les avis des services vétérinaires
départementaux et des services de police et de gendarmerie, sans oublier de
consulter un fichier national des personnes auxquelles la garde d'un animal
aura été retiré. Ils pourront en outre être aidés par le comité départemental
de lutte contre les animaux dangereux, placé auprès du préfet.
Cette disposition compléterait utilement l'interdiction de détention des
chiens potentiellement dangereux par les mineurs et les personnes condamnées
pour crime ou pour délit inscrit au bulletin n° 2 du casier judiciaire et par
les personnes auxquelles la garde d'un animal a été retirée, individus qu'il
convient de pouvoir identifier avant la délivrance de toute autorisation de
détention.
Naturellement, la gestion de ce fichier national des personnes auxquelles la
garde d'un animal aura été retirée devra présenter toutes les garanties
requises par la Commision nationale de l'informatique et des libertés en pareil
cas.
Cette gestion serait confiée à une commission nationale spécialisée, composée
non seulement de représentants des ministres de l'agriculture, de l'intérieur,
de la justice et de la défense, mais aussi de représentants des associations et
fondations de protection des animaux et des organismes cynophiles agréés.
Ce dispositif me paraît susceptible d'encadrer efficacement à l'avenir la
détention des chiens susceptibles d'être dangereux et, particulièrement,
d'éviter que ceux-ci ne tombent trop facilement entre de mauvaises mains.
Bien entendu, l'autorisation de détention délivrée par le maire serait
toujours soumise, comme le prévoit déjà le projet de loi, à la production, par
le demandeur de l'autorisation, de documents justifiant de l'identification du
chien, de la vaccination antirabique en cours de validité et de la souscription
d'une assurance responsabilité civile.
Voilà pour le cadre juridique de la détention de tels animaux.
Concernant la conduite des chiens potentiellement dangereux, il convient de
préciser les modalités suivant lesquelles elle doit être encadrée. Tous les
chiens potentiellement dangereux devront être tenus en laisse et muselés sur la
voie publique, dans les lieux ouverts au public, dans les transports en commun,
ainsi que dans les parties communes des immeubles collectifs, où ils seront de
plus interdits de stationnement.
Tel est, monsieur le ministre, mes chers collègues, le dispositif que je vous
propose ; il répond à une triple exigence : celle de l'efficacité, celle de la
sécurité et celle de la responsabilisation des maîtres.
De la sorte, les dérives dues aux propriétaires malveillants, inconscients ou
délinquants pourront être petit à petit réglées de façon définitive.
La lisibilité, la cohérence, mais surtout la rigueur du dispositif que je
préconise au nom de la commission des affaires économiques - il a été adopté,
je le rappelle, à l'unanimité - apparaîtra clairement au grand public et à tous
les propriétaires de chiens, y compris aux mauvais propriétaires et aux
propriétaires délinquants, qui seront directement visés.
Ce projet de loi prévoit par ailleurs des sanctions sévères en cas de
non-respect des mesures spécifiques énoncées auparavant.
Le problème du mauvais usage des chiens dangereux ne sera
in fine
réglé que lorsque cette loi sera appliquée dans toute sa rigueur sur l'ensemble
du territoire français, particulièrement dans les quartiers réputés difficiles.
Il s'agit là d'une question de volonté politique qui doit conduire à exclure
toute zone de non-droit de notre territoire, et pas seulement en matière de
chiens potentiellement dangereux.
Les Américains, avec leur pragmatisme coutumier, ont une formule pour cela :
When there is a will, there is a way ;
quand il y a une volonté, il y a
un moyen.
Sous réserve, donc, des modifications préconisées par la commission des
affaires économiques et son rapporteur, nous aurons, avec ce texte, un moyen
législatif efficace qui permettra sans nul doute de régler le problème des
chiens dangereux, à la condition expresse, monsieur le ministre, qu'il soit
relayé par une forte volonté politique, c'est-à-dire par la mise en place des
moyens nécessaires indispensables sur le terrain.
Je voterai donc le texte du projet de loi qui nous est soumis, sous réserve,
naturellement, de l'adoption des amendements que je présenterai au nom de la
commission des affaires économiques.
Je conclurai mon propos, monsieur le président, monsieur le ministre, mes
chers collègues, en insistant sur le fait que le dispositif que je préconise
concernant ce problème des chiens potentiellement dangereux est issu non
seulement d'une analyse consensuelle avec les experts du monde canin, mais
aussi d'une expérience personnelle de vingt-cinq années d'exercice de la
profession vétérinaire et d'une pratique quotidienne de mon rôle d'élu local en
charge de quartiers difficiles, puisque que je suis président du district
urbain de Mantes-la-Jolie.
Vétérinaire et élu local confronté à la délinquance, j'ai été conforté dans
mon choix des solutions à apporter au problème des chiens dits « dangereux »
par toutes les auditions que j'ai menées et par l'avis des membres de
l'Académie vétérinaire de France, avis dont j'ai pris connaissance après la
définition de mon projet et qui confirme point par point ce que je vous propose
aujourd'hui.
Je souhaite donc, monsieur le président, mes chers collègues, que la majorité
d'entre vous adoptera les améliorations préconisées à l'unanimité par la
commission des affaires économiques et du Plan à un texte par ailleurs très
attendu et souhaitable, qui garantira mieux la qualité du lien unissant l'homme
à l'animal de compagnie, qui contribuera à mieux assurer la sécurité de nos
concitoyens et qui permettra de faire comprendre à une certaine population des
quartiers difficiles que l'on ne peut plus impunément intimider ou agresser
autrui en utilisant un animal.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des
Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines
travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Lucien Lanier,
rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de
législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration
générale.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers
collègues, le projet de loi qui nous est soumis vise, comme il vient d'être
dit, à remédier aux graves dommages causés par l'utilisation de certains chiens
aux fins d'impressionner le public ou à des fins délinquantes ou non
délinquantes.
Voilà seulement quelques années, les maux qui pouvaient être causés par les
chiens dits « méchants » à l'époque ne dépassaient pas la rubrique des faits
divers ; ils étaient passibles, le plus souvent, de simples contraventions et,
quelquefois, ils ne suscitaient que les sourires des lecteurs de la presse.
Mais le phénomène a pris une ampleur telle qu'il continue de s'accroître au
point de devenir un problème de société.
Trois déraisons en sont la cause.
Il s'agit, d'abord, du comportement psychique de certains individus pour qui
la possession d'un chien d'attaque ou de combat devient la marque d'une volonté
de puissance qu'ils ne trouvent pas en eux-mêmes.
Il s'agit, ensuite, de l'évolution du marché, et donc du nombre de ces types
de chien, dont le plus désigné, bien sûr, est le pitbull, chien sans race mais
résultat de savants croisements hybrides qui en appellent d'autres encore plus
redoutables. Les chiffres sont révélateurs : une centaine de pitbulls en France
en 1993 ; plus de quarante mille aujourd'hui. Le nom même de l'animal est
significatif : il vient de l'anglais
pit,
arène, et
Bull,
taureau.
Il s'agit, enfin, de l'augmentation inquiétante du nombre d'incidents devenus
de plus en plus de graves accidents, dont sont souvent victimes les enfants et
les personnes âgées.
Nombre de maires se sont inquiétés du développement de cette forme
d'insécurité, en particulier dans certains grands ensembles urbains, où le
chien d'attaque peut être assimilé à une arme.
Quatre propositions de loi ont déjà été renvoyées à la commission des lois à
ce sujet. Le présent projet de loi en reprend les principaux arguments.
La commission des affaires économiques en est saisie au fond et nous venons
d'entendre l'excellent et remarquable rapport de notre collègue et ami
Dominique Braye, qui, bien entendu, est orfèvre en la matière.
Ce projet comporte pourtant un important dispositif pénal. Il intéresse, au
titre législatif, la commission des lois, qui en est ainsi saisie pour avis.
Toutefois, le droit existant comporte déjà de nombreuses dispositions à la fois
préventives et répressives, mais celles-ci se révèlent insuffisantes.
C'est ainsi que l'article 1385 du code civil admet le principe de la
responsabilité civile du propriétaire de l'animal qui a causé le dommage, à
charge bien entendu pour le propriétaire de prouver que le dommage résulte du
fait d'un tiers, ou même de la victime.
Par ailleurs, le code pénal prévoit deux types de sanctions, soit pour
l'excitation ou la non-retenue d'un animal agressif, soit pour la divagation
d'un animal dangereux. Mais ces sanctions ne dépassent pas le niveau des
contraventions. C'est pourquoi, d'ailleurs, la juridiction les a aggravées par
le délit de blessure volontaire ou par le délit de risque causé à autrui, dans
la mesure, bien entendu, où ces délits sont constatés et prouvés.
Mais le droit actuel prévoit également des mesures de prévention, conséquences
des pouvoirs du maire, qu'il s'agisse de son pouvoir de police générale, que
précise le code général des collectivités locales, ou du pouvoir qu'il détient
de l'article 213 du code rural concernant les animaux domestiques.
Enfin, rappelons-le, la loi antiterroriste de 1996 a complété le code pénal en
précisant que « l'utilisation d'un animal pour tuer, blesser ou menacer est
assimilée à l'usage d'une arme », créant ainsi la circonstance aggravante et
transformant en délit des comportements qui étaient jusque-là, je le répète,
passibles de simples contraventions.
On peut donc constater qu'un dispositif répressif apparaît déjà fort
développé. Mais il est épars, disséminé au travers des différents codes. Il est
surtout insuffisant face à la montée d'un péril réel, et il laisse les maires
démunis pour une action efficace et trop souvent désavouée.
En effet, plusieurs arrêtés municipaux ont été contestés en justice et
déclarés illégaux comme excédant les pouvoirs de police du maire.
De même, certaines mesures, pourtant préventives, prises par des organismes
d'HLM, particulièrement assujettis aux problèmes des animaux d'attaque, ont été
également jugées illégales.
Dans ces conditions, il apparaît nécessaire, voire indispensable, que le
législateur intervienne de manière spécifique pour endiguer un phénomène en
voie d'expansion et face auquel les acteurs concernés se trouvent
désemparés.
Plusieurs pays de l'Union européenne ont déjà adopté une législation très
restrictive : les Pays-Bas, le Danemark et, surtout, la Grande-Bretagne, qui
est allée jusqu'à l'interdiction à terme des chiens sans race, effets de
croisements hybrides, sur son territoire.
De 1995 à 1997, quatre propositions de loi, émanant de MM. Xavier Dugoin,
Serge Mathieu, Nicolas About et Christian Demuynck, ont été déposées sur le
bureau du Sénat, toutes orientées dans le même sens. Elles ont incité à
l'élaboration en 1997 d'un rapport du député Georges Sarre, remis au ministre
de l'intérieur et dont s'inspire le présent projet de loi.
Ce texte reprend aussi largement un projet de loi présenté en 1997 par le
ministre de l'agriculture, Philippe Vasseur, projet qui a été déposé, mais qui
n'a pu être discuté en raison des circonstances.
Parmi les cinq chapitres du présent projet de loi, six articles sont
susceptibles d'intéresser la commission des lois dans le cadre de sa saisine
pour avis.
L'article 1er permet au maire de prescrire au propriétaire d'un animal
présentant un danger de prendre certaines mesures préventives. En cas
d'inexécution, le maire peut placer l'animal dans un lieu de dépôt ; de plus,
si le propriétaire n'offre pas les garanties suffisantes pour respecter les
mesures préventives, le maire peut autoriser le gestionnaire du lieu de dépôt à
faire euthanasier l'animal ou à en disposer.
L'article 2, coeur du dispositif, crée un certain nombre d'infractions
nouvelles tendant, d'une part, à mettre fin à une nouvelle forme d'insécurité
et, d'autre part, à faire disparaître à terme du territoire français certains
types de chiens dangereux.
Comme vous l'avez dit, monsieur le ministre, les chiens dangereux seraient
classés en deux catégories : les chiens d'attaque et les chiens de garde et de
défense. Le classement devrait être défini par arrêtés conjoints des ministères
de l'intérieur et de l'agriculture.
Les mineurs, les majeurs en tutelle, les condamnés pour crime ou à
emprisonnement pour délit ne pourraient détenir ce type de chien, et le
non-respect de cette interdiction serait passible de trois mois de prison et de
25 000 francs d'amende.
Le propriétaire d'un chien dangereux devrait le déclarer en mairie, avec
délivrance d'un récépissé justifiant l'identité du chien, sa vaccination contre
la rage, sa stérilisation s'il s'agit d'un chien d'attaque, la souscription
d'une assurance garantissant la responsabilité civile du propriétaire.
Les chiens d'attaque ne pourraient avoir accès aux lieux publics et aux locaux
ouverts au public. Sur la voie publique, la muselière - placée sur le museau,
bien sûr - serait obligatoire.
Par ailleurs, afin de faire disparaître à terme du territoire les chiens sans
race mais issus de croisements hybrides destinés à accroître leur potentiel
agressif, l'importation, l'acquisition et la cession de ces animaux seraient
interdites et punies de six mois de prison et de 100 000 francs d'amende. La
commission saisie au fond présentera à ce sujet un amendement qui nous a été
très largement exposé par M le rapporteur et nous aurons tout à l'heure
l'occasion de l'examiner.
Enfin, le dressage des chiens « au mordant » serait interdit, sauf pour
certaines associations agréées à des fins de surveillance ou de transport de
fonds. La peine serait de six mois d'emprisonnement et de 50 000 francs
d'amende.
Voilà pourquoi il a paru à la commission des lois que l'article 2
conditionnait tout le dispositif institué par le présent projet de loi.
L'article 8 tend à modifier le code rural pour mieux définir les conditions de
placement de l'animal dans un lieu de dépôt par suite d'une procédure
judiciaire.
L'article 19 tend à modifier le code pénal concernant les sévices infligés aux
animaux pour prévoir que le juge peut interdire la détention d'un animal.
Enfin, les articles 20 et 21 tendent à établir une distinction dans les
articles 524 et 528 du code civil entre l'animal, « être sensible », et les
choses, qui sont censées ne pas l'être, même si le poète s'interrogeait : «
Objets inanimés, avez-vous donc une âme ? »
Ce projet de loi comporte donc la création d'un nombre important de délits
nouveaux.
Quels sont les critères sur lesquels est fondé l'avis de la commission des
lois ?
D'abord, il importe de reconnaître que, si le comportement agressif ou
dangereux de certains chiens dépend des caractères morphologiques de l'animal
et de son instinct, il dépend aussi, et peut-être davantage, du comportement,
de l'action, du dressage par certains de ceux qui les détiennent et qui
développent chez l'animal son potentiel agressif. Il est donc logique de
sanctionner sévèrement ce comportement qui transforme l'animal en une arme
véritable et dangereuse.
Même si le dommage est le fait de l'animal, celui qui le détient en est
souvent responsable.
C'est pourquoi les orientations du projet de loi doivent, me semble-t-il, être
approuvées, sous réserve de quatre observations générales qui ont motivé nos
amendements.
Premièrement, il faut améliorer le dispositif concernant les animaux
dangereux, afin de renforcer son efficacité.
En effet, si certaines dispositions du projet sont très nécessaires, elles
paraissent difficilement applicables. Or, la loi est faite pour être
appliquée.
Ainsi, le texte prévoit que le maire pourrait accorder une dérogation à
l'interdiction faite à certains de détenir un chien dangereux, compte tenu du
comportement du détenteur, au bout d'une période probatoire de dix ans.
Outre le fait que les dérogations affaiblissent la résolution d'un texte qui
se veut fort, l'appréciation du comportement du demandeur, forcément
subjective, peut être cause, d'abord, d'embarras pour le maire responsable et,
ensuite, de contestations que la loi ne saurait favoriser. Nous proposerons de
supprimer cette dérogation.
De même, il convient de supprimer une disposition, introduite par l'Assemblée
nationale, permettant à un bailleur ou à un copropriétaire d'un immeuble
collectif et social de saisir le maire du danger que présente un animal. Ne
serait-il pas plus simple de préciser, dès l'article 1er du projet - ce sera
l'objet de notre premier amendement - qu'un maire peut agir sur sa propre
initiative ou à la demande de toute personne concernée ? Cela éviterait toute
ambiguïté et toute contestation du pouvoir du maire.
Deuxièmement, il faut aggraver les sanctions en cas de sévices ou de cruauté
envers les animaux.
Ces sévices sont fréquemment utilisés pour développer l'agressivité de
l'animal. Ils constituent actuellement un délit, passible de six mois
d'emprisonnement et de 50 000 francs d'amende.
Amende bien faible, si l'on considère qu'un chien dressé à l'attaque par des
moyens cruels se vend souvent au-delà de ce prix et fait fréquemment l'objet
d'un marché noir éhonté !
Amende bien faible, si l'on considère que le code pénal prévoit, pour la
destruction, la dégradation ou la détérioration des biens, des peines de deux
ans de prison et de 200 000 francs d'amende, pour les cas les moins graves, et
des peines pouvant atteindre, dans certains cas, dix ans d'emprisonnement et 1
million de francs d'amende !
Conscient que ce projet de loi traite également de la protection des animaux,
nous proposerons d'aggraver les sanctions en cas de sévices ou de cruauté
envers un animal.
Troisièmement - c'est un point important, aux yeux de la commission des lois -
il convient de rappeler la nécessité d'une codification du droit pénal
spécial.
Il est indispensable de noter que le projet qui nous est soumis comprend
nombre de dispositions pénales nouvelles. Or, celles-ci seront insérées dans le
code rural ou dans d'autres codes, et non dans le code pénal, ce qui risque
d'aggraver la dispersion des dispositions pénales au sein de multiples textes
législatifs et donc de ne pas faciliter la lecture du droit applicable. De
plus, cela risque de rendre moins cohérent le droit pénal.
Nous devons donc soulever la question, qui est considérable, sans toutefois
proposer d'amendements - à mon sens, cette question doit faire l'objet d'une
réflexion spécifique - mais simplement pour montrer que la codification du
droit pénal spécial s'avère et s'avèrera de plus en plus utile au fur et à
mesure de la création de lois spécifiques.
Enfin, quatrièmement, il semble cependant préférable, concernant l'article 8
du projet, d'inscrire dans le code de procédure pénale les dispositions qui
traitent des animaux saisis ou retirés à leur propriétaire dans le cadre d'une
procédure judiciaire. Il s'agit, en l'occurrence d'établir une meilleure
cohérence avec les dispositions relatives aux objets saisis.
Sous réserve des quelques amendements qu'elle proposera, la commission des
lois...
Mme Hélène Luc.
Ce sont des amendements importants, car ils dénaturent le projet, même si vous
prétendez être d'accord avec l'orientation du texte !
M. Lucien Lanier,
rapporteur pour avis.
... donnera un avis favorable au présent projet de
loi.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 44 minutes ;
Groupe socialiste, 37 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 31 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 16 minutes.
La parole est à M. Dussaut.
M. Bernard Dussaut.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de
loi relatif aux animaux dangereux et errants ainsi qu'à la protection des
animaux, dont nous allons débattre aujourd'hui, va permettre d'apporter une
réponse à un phénomène de société qui se développe, depuis plusieurs années,
principalement en zone urbaine : l'utilisation des chiens comme « arme ou
auxiliaire » de la délinquance par des propriétaires peu scrupuleux.
Le dévoiement du rapport normal entre le chien et son maître a pris des
proportions dramatiques puisqu'il y a eu des blessés graves et même mort
d'homme. L'incident le plus récent remonte au week-end dernier : en
Seine-Saint-Denis, un pittbull a encore été utilisé comme une arme pour
permettre à ses maîtres de tenter de dérober des objets à une personne lors
d'un déménagement.
(M. le rapporteur s'exclame.)
Ces faits étaient
relatés dans la presse d'aujourd'hui.
Aussi était-il urgent de légiférer, et c'est d'abord dicté par des motifs
d'ordre public, afin d'assurer la sécurité de nos concitoyens, que ce projet de
loi a été élaboré.
Plus largement, le projet fixe trois objectifs : la disparition du territoire
français des espèces les plus dangereuses en en interdisant l'importation,
l'élevage et la vente ; l'encadrement de la détention des autres espèces
susceptibles de présenter un danger pour les citoyens en responsabilisant les
maîtres par la mise en place d'un ensemble d'obligations ; enfin,
l'amélioration des conditions de fonctionnement des fourrières et des
refuges.
Ces trois objectifs sont étroitement liés.
Il faut que les Français, dont l'engouement pour les animaux de compagnie est
extraordinaire - vous l'avez rappelé, monsieur le rapporteur : 8,4 millions de
chats, 7,5 millions de chiens, 23 millions de poissons, 5,8 millions d'oiseaux
- prennent conscience de leurs devoirs vis-à-vis d'autrui et de leurs devoirs
vis-à-vis de leurs animaux.
Ce texte, dans sa présentation, témoigne d'un triple souci de fermeté, de
rigueur et d'équilibre. Il est dénué de tout caractère démagogique ; il est
réaliste, et son application, en l'état, peut être immédiate.
Une approche totalement sécuritaire pour traiter des chiens dangereux ne peut
s'inscrire dans la durée ; elle est vouée à court terme à l'échec. Elle risque
surtout d'avoir des effets inverses de ceux qui sont escomptés : si nous
agissons non pas de manière préventive mais seulement dans une optique
répressive, il est malheureusement très probable que, par exemple, le dressage
à des fins criminelles des chiens d'attaque, et notamment des chiens de type
pitbull, poursuivra son développement clandestin. Déjà, entre 1993 et 1998, le
nombre de ces chiens sur le territoire français a été multiplié par cent.
Le parti-pris a donc été de privilégier la prévention par rapport à la
sanction, et je m'en félicite.
Attardons-nous maintenant sur les deux grands volets qui constituent ce projet
de loi.
Le premier a trait au renforcement des pouvoirs de police des autorités face à
la détention de chiens dangereux.
Deux catégories de chiens sont définies : les chiens très dangereux,
c'est-à-dire les chiens d'attaque, et les chiens potentiellement dangereux, à
savoir les chiens de garde ou de défense.
Le dispositif retenu est simple. Il est du domaine réglementaire, ce qui lui
confère souplesse et efficacité. En fonction de l'évolution des types de races
ou des croisements, on peut imaginer le passage à l'une ou l'autre des
catégories.
Dans la première catégorie, les chiens dont la dangerosité est avérée seront
stérilisés en vue de leur disparition d'ici à une dizaine d'années. Il s'agit
d'une démarche concrète visant à éliminer ceux qui représentent aujourd'hui un
véritable danger pour notre société, danger concentré, bien souvent, dans les
cités où vivre est difficile.
Dans tous les cas, les chiens présumés à risque feront l'objet d'une démarche
administrative consistant en une déclaration auprès de l'autorité publique, à
savoir, dans la plupart des cas, le maire.
Il semble aux membres du groupe socialiste que, pour concilier efficacité et
réalisme, le dispositif proposé, qui repose sur l'obligation du propriétaire de
déclarer son animal en présentant des justificatifs de vaccination, d'assurance
et de tatouage, est sans
a priori,
juste, égalitaire et transparent.
Il était indispensable que les maîtres soient responsabilisés face à la
dangerosité potentielle de certains animaux.
Le débat qui a eu lieu, à l'Assemblée nationale, sur la délivrance d'une
autorisation, voire d'un permis - cette discussion, nous l'avons eue également
en commission - me semble soulever un certain nombre de questions. Suivant
quels critères cette autorisation ou ce permis seront-ils délivrés ?
Organisera-t-on des épreuves auxquelles les propriétaires devront se soumettre
? N'y a-t-il pas un risque colossal de dérive de délivrance « au faciès » ?
Par ailleurs, est-il judicieux de faire peser une telle responsabilité sur les
maires ? Si un accident se produit, alors même que l'autorisation a été
délivrée par le maire, qui sera responsable ?
Autant de questions essentielles dont nous aurons, je crois, l'occasion de
reparler au cours de ce débat !
Les contrevenants, c'est-à-dire ceux qui ne déclarent pas leur animal, ceux
qui ne respectent pas les obligations de port de la laisse ou d'une muselière,
ceux qui stationneront avec leur animal dangereux dans certains lieux interdits
par la loi, seront sanctionnés.
A ce propos, l'idée d'établir, au minimum au niveau départemental, un fichier
des propriétaires auxquels les chiens auront été retirés pour cause d'acte
criminel - agression ou combat - me semble intéressante. En effet un
propriétaire va déclarer son chien d'attaque dans la ville où cet animal
réside. Si ce dernier lui est retiré par décision de police, qu'est-ce qui
l'empêchera de se procurer un autre animal du même type, animal qui résidera
chez un parent ou un ami d'une commune voisine, qui sera donc déclaré dans
cette commune, mais qui pourra être récupéré par lui pour participer à des
combats ou à d'autres divertissements ?
Cela étant dit, grâce à ce dispositif législatif, les pouvoirs publics
devraient posséder enfin une base juridique solide pour lutter contre cette
nouvelle forme de violence inadmissible.
Le second volet du projet de loi contient des dispositions concernant les
fourrières, le dressage et les activités commerciales liées aux animaux de
compagnie. Ces points sont, à mon avis, indissociables du premier volet : il
s'agit là de la protection des animaux de compagnie.
Le projet de loi apporte des solutions pour éviter l'encombrement des
fourrières et des refuges. La Société protectrice des animaux rencontre en
effet des difficultés. Il est vrai que faire face à l'afflux important
d'animaux abandonnés est une vraie gageure !
Le législateur a, en la matière, une tâche difficile : il lui faut concilier
des exigences éthiques avec des contraintes d'ordres sanitaire et financier. Il
faut, certes, que les animaux soient protégés, mais il faut garder à l'esprit
les contraintes économiques que leur maintien peut présenter pour les communes
et les associations de protection des animaux.
Le groupe socialiste a déposé deux amendements exigeant l'avis de la direction
des services vétérinaires lorsque des décisions doivent être prises à propos
d'un animal placé dans un lieu de dépôt ou dans un centre d'accueil. Il nous a
paru en effet indispensable que la direction des services vétérinaires
remplisse une fonction importante dans le cadre des dispositions qui vont être
mises en place.
Par ailleurs, actuellement, en zone indemne de rage, trois délais différents
réglementent les fourrières : quatre jours pour les animaux non tatoués et huit
jours pour les animaux tatoués ; à la fin de ce délai, si l'animal n'est pas
réclamé, il peut être euthanasié ou gardé cinquante jours en refuge en vue
d'une future adoption.
Dans le texte adopté par l'Assemblée nationale en première lecture, il est
prévu de ramener tous les délais à huit jours. Un amendement que nous avons
examiné en commission tend à fixer à quinze jours la période avant l'adoption.
Cela me semble être un bon compromis.
En ce qui concerne les dispensaires pour animaux, les députés, sur une
proposition de nos collègues Jean-Pierre Blazy et Bernard Madrelle, ont adopté
un amendement ayant pour objet de mieux encadrer l'exercice des activités des
dispensaires. Il s'agit de limiter la possibilité de création de dispensaires
pour les personnes démunies aux seules associations de protection des animaux
reconnues d'utilité publique, en posant le principe de la gratuité des actes
vétérinaires.
Certains membres de mon groupe parlementaire ont suggéré, en commission, un
amendement rédactionnel visant à remplacer le terme « indigentes », qualifiant
les personnes ayant accès à ces établissements et qui est incorrect, par
l'expression « démunies de ressources suffisantes », qui nous semble plus
appropriée.
Enfin, ce texte donne un cadre aux activités liées aux animaux de compagnie,
que ce soit l'élevage, le dressage, la vente ou la garde de ces animaux.
Un cadre, cela induit plus de transparence, donc une amélioration des
conditions de vie des animaux de compagnie. Les acquéreurs et les propriétaires
doivent être informés, les vendeurs et les dresseurs doivent être qualifiés.
L'ensemble des mesures proposées est certes contraignant pour les
propriétaires d'animaux et pour ceux qui en font commerce. Cela étant, elles
permettront de responsabiliser chaque individu qui devra se soumettre à
certaines règles, ainsi que l'impose la qualité de citoyen.
Comme vous avez pu le constater, nous ne souhaitons guère apporter de
modifications au travail effectué par le Gouvernement et nos collègues
députés.
Ce projet de loi, tel qu'il a été adopté à l'unanimité à l'Assemblée
nationale, nous paraît équilibré. Il n'a pas été élaboré avec des visées
médiatiques, pour répondre à la publicité qui a suivi les graves accidents
provoqués par des chiens d'attaque.
Ce n'est pas un texte démagogique, c'est un texte réfléchi, applicable
facilement et à bref délai. Nous ne le voterons au Sénat que s'il n'est pas
dénaturé dans son esprit par la majorité sénatoriale.
(Applaudissements sur
les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain
et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Minetti.
M. Louis Minetti.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les maires
de nos communes sont inquiets, les mères de familles et nos concitoyens aussi.
Il est impératif d'apaiser ces inquiétudes.
Les solutions retenues pour faire face aux problèmes posés par les chiens
dangereux, tels les pitbulls, sont radicales, et c'est une bonne chose. Elles
visent, à terme, la disparition des 20 000 à 40 000 molosses présents sur notre
sol.
Ainsi, l'importation et l'introduction sur le territoire métropolitain de ces
chiens d'attaque seront désormais interdites et passibles de peines de six mois
de prison et de 100 000 francs d'amende.
En outre, les chiens d'attaque, mâles ou femelles, seront obligatoirement
stérilisés.
La présence en France de chiens du types des pitbulls, dont le nombre a été
multiplié par 100 depuis 1993, s'est dévelopée essentiellement en milieu
urbain.
Cette prolifération des chiens dangereux dans certains quartiers est un
révélateur de l'augmentation des comportements violents. Elle s'inscrit dans un
climat de tension et de malaise social.
Au-delà du phénomène de mode, ces chiens sont trop souvent utilisés comme des
armes par des individus désireux d'intimider ou de terroriser leur voisinage,
notamment afin de bénéficier d'une plus grande tranquillité dans des activités
suspectes, le trafic de drogue en particulier.
Ces comportements contribuent à renforcer le sentiment d'insécurité en zone
urbaine.
En tant qu'élu du midi de la France, plus précisément de la côte
méditerranéenne, je dois nuancer mon appréciation. Je connais bien les
conditions de gardiennage de bon nombre de propriétés dans cette région, de
résidences fastueuses, de châteaux de prestige. Il me faut donc faire preuve de
mesure quand j'évoque les lieux, en France, où les risques d'attaque sont les
plus importants.
S'il est aujourd'hui possible de sanctionner de tels comportements en
s'appuyant sur le nouveau code pénal, renforcé le 22 juillet 1996, et qui
assimile le chien à une « arme par destination » lorsqu'il est utilisé pour
tuer, menacer ou blesser, rien ne permet en revanche de prévenir.
Un volet prévention devrait permettre de prendre toutes les précautions pour
empêcher les accidents.
De plus, ce texte adopté à l'unanimité - je me plais à le souligner - à
l'Assemblée nationale, permet de rassembler en une loi unique tous les moyens
épars dans notre législation.
Je le souligne, la gendarmerie, la police, les tribunaux et les préfets
disposeront ainsi d'un texte contenant des définitions claires et les
impliquant directement. C'est ce qui nous manquait.
Il faut en finir avec tous « les chiens de Baskerville » !
Le projet de loi opère à juste titre une distinction entre, d'une part, les «
chiens d'attaque », le pitbull et le tosa du Japon en particulier, et, d'autre
part, « les chiens de garde et de défense », tels le rottweiler ou le dogue
argentin, pour ne citer que ceux-là.
Ces définitions présentent l'avantage d'être souples et évolutives. Rien n'est
figé à l'avance, et l'avenir me semble ainsi préservé.
A titre préventif, les propriétaires de chiens appartenant soit à la première
catégorie - chiens d'attaque - soit à la seconde catégorie - chiens de garde ou
de défense - seront surveillés de très près.
En effet, dans une interview récente à un quotidien, le docteur vétérinaire
Florence Desachy écrivait : « Le problème actuel des pitbulls est moins un
problème de chien qu'un problème de maîtres. »
M. Dominique Braye,
rapporteur.
Tout à fait !
M. Louis Minetti.
« Il faut quelqu'un de très équilibré pour élever ce type de chien, dont il ne
faut pas développer l'agressivité... C'est donc plutôt les éleveurs et les
maîtres qu'il faudrait mieux contrôler... On ne peut pas laisser ces animaux
entre toutes les mains. »
Ces remarques semblent aller dans le sens de celles de M. le rapporteur de la
commission des affaires économiques, mais je nuancerai ma position tout à
l'heure !
En effet, si certains propriétaires et éleveurs de pitbulls sont responsables,
bien souvent ces animaux sont eux-mêmes des victimes, tant on les maltraite
pour les rendre agressifs.
Sans jeter l'opprobre sur tel ou tel type d'animal, ce n'est pas mon
intention, je voudrais vous faire partager mon sentiment. Nous sommes bien loin
de la souriante chanson de Georges Brassens qui décrit les relations
privilégiées qu'entretient Margot avec son chat.
(Sourires.)
Je tiens à souligner qu'il s'agit non pas de mesures prises à l'encontre
des animaux, mais au contraire d'un texte définissant une attitude humaine à
l'égard des bêtes, offrant en même temps à tout un chacun de nouvelles
garanties quant aux libertés individuelles, à la sécurité et à la tranquillité
publiques.
Le sujet est certes difficile, mais souvenons-nous qu'avant nous le roi
Salomon a dû choisir entre deux mères. Il a décidé de protéger celle qui
méritait la protection de la loi. Comme ce sujet est difficile, il faut
trancher en faveur de la sécurité publique.
M. Christian Demuynck.
Très bien !
M. Louis Minetti.
La sécurité publique ne peut pas se décliner en moyens d'attaque, qualifiés de
défense par certains, entre les mains de quelques rares individus.
La sécurité publique, c'est l'affaire des pouvoirs publics. Pour la faire
respecter, ils doivent disposer de tous les moyens nécessaires : le dialogue,
certes, mais aussi la répression, le respect de la justice sociale.
Voilà pourquoi ce projet de loi comporte deux volets, l'un visant à renforcer
le dispositif législatif contre l'utilisation des animaux dangereux, l'autre
tendant à mieux protéger les animaux de compagnie contre les abandons, les
trafics et la maltraitance.
C'est ainsi que le texte interdit, à juste titre, à certains de posséder de
tels chiens. Il s'agit, par exemple, des mineurs, des personnes condamnées pour
crime ou délit inscrit au bulletin n° 2 du casier judiciaire, des auteurs de
mauvais traitements à animaux, sous peine de se voir punis de trois mois
d'emprisonnement et de 25 000 francs d'amende.
Quant aux détenteurs de chiens d'attaque, le texte leur fait obligation de les
déclarer à la mairie de leur lieu de résidence.
Sur la voie publique, ces chiens devront être muselés et tenus en laisse par
une personne majeure.
Quant aux propriétaires des chiens de garde et de défense, qui sont également
susceptibles d'être dangereux, la déclaration en mairie leur sera également
imposée, de même que la tenue en laisse et le port de la muselière dans les
lieux publics et les transports en commun.
Seuls les dresseurs titulaires d'un certificat de capacité pourront acquérir
des matériels de dressage dits « au mordant ».
Le non-respect de ces obligations sera passible de peines de six mois
d'emprisonnement et de 50 000 francs d'amende, avec ou sans confiscation de
l'animal.
En cas de refus, le maire pourra, par arrêté, placer l'animal dans « un lieu
de dépôt adapté ». Il pourra même aller jusqu'à autoriser le gestionnaire de ce
lieu à procéder à l'euthanasie de l'animal si, au bout de huit jours, le
propriétaire n'apporte pas de garanties quant à la tenue en laisse et au port
de la muselière.
En outre, les maires devront prendre toutes les dispositions propres à
empêcher la divagation des chiens, de même que des chats et des autres animaux,
d'ailleurs.
Chaque commune devra disposer soit d'une fourrière communale, soit d'un
service de fourrière même si celle-ci est établie sur le territoire d'une autre
commune.
Certaines des dispositions qui figurent dans ce projet de loi me posent des
problèmes, monsieur le ministre.
A l'Assemblée nationale, mon ami M. Jacques Brunhes - je crois que c'est le
seul intervenant à qui vous avez personnellement répondu - l'avait déjà
remarqué. Je tiens cependant à vous demander si, depuis l'examen du projet de
loi par les députés, comme vous aviez indiqué que vous alliez étudier la
question, vous disposez d'éléments nouveaux à nous apporter en la matière ?
D'une part, on ne voit pas bien quels vont être les moyens dégagés pour
permettre la mise en oeuvre de cette loi.
Sachant le peu de moyens qui sont mis à la disposition des forces de l'ordre,
on peut se demander comment elles pourront assurer ce nouveau travail de
surveillance prévu par le projet de loi.
Concernant la capture des chiens errants et dangereux, qui assurera cette
mission ? Qui en aura la charge financière ? Les équipes cynophiles sont encore
bien rares dans les villes, à l'exception de Paris, sans doute, mais cela va
nécessiter des moyens. Quelle réponse le prochain budget apportera-t-il ?
D'autre part, les maires se voient une fois de plus dotés de nouvelles
responsabilités, ce qui pose la question du désengagement de l'Etat et du
transfert de charges supplémentaires vers les collectivités locales.
Si les pouvoirs de police des maires sont renforcés, ces derniers auront-ils
réellement les moyens d'intervenir ?
Le projet de loi prévoit que la déclaration de la détention d'un chien doit se
faire en mairie. Une telle disposition alourdira une fois encore les missions
déjà lourdes qui incombent aux maires.
Mon ami M. Jacques Brunhes proposait, dans un premier temps, que cette
déclaration soit faite clairement à la gendarmerie ou au poste de police.
C'était ce que préconisait également M. Georges Sarre dans son rapport remis à
M. le ministre de l'intérieur. Je m'étonne que cette proposition n'ait pas été
retenue.
Il est question, par ailleurs, qu'en cas d'inexécution des mesures prises par
les maires pour prévenir d'éventuels accidents - tenue en laisse et port de la
muselière par exemple - que le chien sera placé dans un lieu de dépôt
adapté.
Quel sera le dépôt et à la charge financière de qui sera-t-il mis ?
S'il s'agit des fourrières communales, il n'est pas raisonnable de penser que
chaque commune aura les moyens de financer une telle structure.
Pourquoi ne pas envisager la création de ces fourrières sur l'initiative du
préfet, représentant de l'Etat, et sur fonds d'Etat ?
On peut d'ores et déjà penser que l'afflux prévisible de chiens dangereux ou
errants dans des refuges déjà surpeuplés nécessitera la construction aussi
coûteuse que complexe de nouvelles structures.
Enfin, pour ce qui est du second volet relatif à la protection des animaux,
nous partageons bien évidemment l'esprit de la loi en ce qui concerne tant la
lutte contre les abandons et les trafics, la procédure plus rapide d'adoption,
le changement de statut des animaux que la moralisation et la
professionnalisation de la commercialisation des chiens et des chats,
notamment.
Le projet de loi transmis par l'Assemblée nationale est bon mais perfectible.
Sans doute apporterez-vous des arguments supplémentaires au Sénat ? En tout
cas, il y aura une navette.
Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen réserveront
cependant leur vote sur l'ensemble du texte jusqu'à la fin de la discussion.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen
et sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Demuynck.
M. Christian Demuynck.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la
multiplication des accidents liés aux chiens dangereux a amené un certain
nombre de parlementaires, au-delà des clivages politiques, à s'interroger sur
les moyens de régler un problème de société qui met directement en cause la
sécurité des personnes.
Pour ma part, j'ai déposé fin 1996 une proposition de loi pour interdire
l'importation, l'élevage, le trafic et la détention d'animaux susceptibles de
présenter un danger aux personnes. J'avais d'ailleurs préconisé l'euthanasie
systématique. Mais il faut dire que le nombre de chiens de type pitbull n'était
pas aussi important. Aujourd'hui, la suppression de plusieurs dizaines de
milliers de chiens poserait de grandes difficultés. C'est la raison pour
laquelle je ne peux qu'approuver les dispositions du projet, tel qu'il a été
adopté par l'Assemblée nationale et qui prévoit une éradication, à terme, sur
notre territoire, de certaines espèces.
Il n'y a pas une semaine sans que l'on découvre dans les journaux un nouveau
fait divers avec de nouvelles victimes. J'ai relevé quelques titres parus dans
la presse ces derniers mois.
A Noisy-le-Grand, une femme défigurée chez elle par deux molosses doit son
secours à l'intervention rapide de la police, obligée d'abattre un
american
staffordshire
qui ne voulait pas lâcher prise. A Drancy, un jeune
délinquant qui a agressé une jeune femme avec un
american staffordshire
est présenté au parquet. A Pantin, un pitbull a grièvement mordu un enfant de
dix ans qui jouait dans un espace vert. A Aulnay-sous-Bois, une jeune fille est
séquestrée par des voyous qui voulaient lui voler son pitbull. Dans cette même
ville, un rottweiler mord sauvagement deux fillettes. A Villepinte, un pitbull
s'attaque à deux passants. A La Courneuve, une adolescente de douze ans est
gravement mordue par un rottweiler. A Villepinte, deux pitbulls s'acharnent sur
un octogénaire...
Il est vrai que ces chiens ne sont peut-être pas ceux qui mordent le plus,
mais ce sont eux qui infligent les blessures les plus terribles. J'ai eu
l'occasion de voir une fillette de dix ans qui avait été mordue au bras par un
pitbull, et je peux vous dire qu'elle ne pourra plus jamais se servir de son
bras. Vous pouvez venir en Seine-Saint-Denis, monsieur le rapporteur.
Voilà ce que l'on peut lire dans la presse, et il ne s'agit là que de faits
divers relevés en Seine-Saint-Denis, département dont je suis l'élu. Les
victimes gravement atteintes doivent généralement avoir recours à la chirurgie,
sans parler des séquelles psychologiques graves.
Le symbole du pitbull est très fort dans les banlieues. Il est marqué de
puissance et d'invincibilité. Il est utilisé pour établir un rapport de force
ou de violence envers autrui. Dans certains quartiers, un véritable état de
psychose s'est instauré autour de ce chien.
Ce sentiment de peur est partagé aussi bien par les mères de familles dans les
centres commerciaux que par les locataires dans les immeubles collectifs, le
contrôleur dans les transports en commun, le simple passant dans la rue, les
jeunes enfants dans les jardins publics ou encore le fonctionnaire chargé du
maintien de l'ordre.
Le problème est tel que la police nationale a créé des brigades spécialisées
au sein des brigades anti-criminalité, les BAC, pour approcher et interpeller
les délinquants qui possèdent ces chiens et qui s'en servent comme garde du
corps ou comme arme. Les chiens dangereux sont désormais également utilisés par
les trafiquants de drogue, et il est bien évident que nous ne pouvons pas
continuer à tolérer cela.
Dois-je rappeler aussi que, dans les banlieues difficiles, on ne compte plus
les trafics d'élevage et de revente ? Des chiens d'un an ou d'un an et demi,
dressés au mordant, sont vendus entre 10 000 et 15 000 francs sous le
manteau.
Combien de fois ai-je été saisi par mes administrés, terrorisés par le
spectacle de pitbulls que leurs maîtres incitaient à se battre ? Ce phénomène
pose un véritable problème pour les maires soucieux de la sécurité de leurs
administrés, d'autant plus que certains arrêtés municipaux ont pu être annulés
par le juge administratif en raison d'un manque de base légale.
Il est vai, comme l'a souligné le rapporteur de la commission des affaires
économiques, qu'il faut responsabiliser les maîtres. Mais cela ne suffit pas.
J'ai rencontré un certain nombre de vétérinaires. Certes, ce ne sont pas des
spécialistes internationaux, mais ils m'ont confirmé qu'il n'était plus
contestable que ces chiens ont des prédispositions à l'attaque, que leurs
comportements sont bien souvent imprévisibles et que leur puissance musculaire,
leur robustesse, leur résistance à la douleur est bien supérieure aux autres
chiens.
D'ailleurs, si ces nouvelles espèces ont autant de succès dans les banlieues,
c'est que les chiens existants n'ont pas les capacités d'attaque, ni
l'agressivité recherchée.
C'est donc pour toutes ces raisons que des mesures radicalement différentes
doivent être prises pour mettre fin au développement de ces chiens.
A défaut d'avoir pris des dispositions adaptées quand il le fallait, notre
pays doit gérer une situation difficile. En effet, chaque jour, nos concitoyens
se trouvent de plus en plus menacés.
Au cours de ses travaux, la commission des affaires économiques a manifesté le
souhait de supprimer la distinction entre chiens d'attaque et chiens de
défense, pour constituer une seule catégorie de « chiens susceptibles d'être
dangereux », ce qui me semble être une mesure de simplification nécessaire
évitant les choix arbitraires, mais aussi des difficultés d'identification.
Mais cette commission a souhaité revenir sur l'interdiction de l'importation,
l'acquisition, la cession et la stérilisation des chiens qui devaient être
classés en première catégorie. Dans ces conditions, comment pourrait-on parler
de loi anti-pitbulls, ou de loi anti-chiens dangereux, puisque seules quelques
restrictions en matière de détention et de circulation subsisteraient ?
Mes chers collègues, je vous le dis, nous avons à discuter d'un grave problème
de société à propos duquel il est question de protection de l'individu. Chacun
sera juge et responsable de la manière dont il faudra régler le problème. Mais
si le texte final ne prévoit pas de mesures de stérilisation, d'interdiction
d'acquisitions, de cession à titre gratuit ou onéreux, nous porterons une
lourde responsabilité, à la fois dans le développement de la délinquance et des
futurs accidents, car nous ne pourrons maîtriser ni la naissance de ces
animaux, ni leur vente, ni le trafic. Nous mettrons alors à disposition des
délinquants une arme redoutable, mais autorisée.
Dois-je rappeler aussi que certains de nos voisins européens ont su prendre
des mesures adaptées ? La Grande-Bretagne a interdit la détention des chiens de
combat comme « les pitbulls terriers » et les « terriers japonais ». Les
Pays-Bays n'autorisent la détention de pitbulls que si l'animal est stérilisé
et porte une muselière. Enfin, le Danemark a interdit les pitbulls et les tosa
ainsi que leurs croisements avec d'autres espèces canines. Les propriétaires de
ces animaux existants doivent en outre les faire tatouer et stériliser.
A l'instar de ces pays, nous devons avoir le courage d'interdire ces chiens en
déterminant de manière réglementaire les espèces les plus dangereuses et en
réactualisant régulièrement cette liste pour l'adapter au danger de nouvelles
races.
Je dois d'ailleurs préciser que la vogue des pitbulls est plutôt en cours de
tassement et que deux autres espèces, le rottweiler et l'
american
staffordshire
, sont en passe de devenir plus prisées.
Je voudrais à présent évoquer quelques aspects du projet de loi qui
mériteraient d'être précisés : tout d'abord l'obligation, à l'article 2, de
museler et de faire tenir en laisse dans certains lieux les chiens dangereux
par une personne majeure. Je crois qu'il faudrait plutôt préciser « par une
personne répondant aux critères requis pour détenir ce type de chiens ». Car il
serait facile, par exemple, pour un délinquant condamné pour crime ou délit, de
faire acheter un animal par un frère, par son épouse ou par un copain, et d'en
avoir la garde effective.
Par ailleurs, le projet de loi prévoit, à l'article 1er, la possibilité
d'euthanasier un animal susceptible de présenter un danger pour les personnes
dans les huit jours. Or ce délai, de l'avis des vétérinaires, est trop
court.
En effet, si un chien est placé en fourrière à la suite d'une décision du
maire, c'est qu'il a vraisemblablement mordu. Il convient donc de s'assurer
qu'il n'est pas porteur du virus de la rage avant de l'euthanasier. Or il
semble qu'un délai de quinze jours soit indispensable pour le vérifier.
Enfin, il est important que cette loi soit efficace à court terme dans ses
effets. C'est pourquoi je vous propose, mes chers collègues, que tous les
chiens âgés de plus de douze mois soient stérilisés dans les six mois après la
publication de la loi.
Mes chers collègues, il est vrai que la mise en place d'une loi visant à
l'extinction des chiens de type pitbull nécessitera beaucoup d'efforts de la
part des propriétaires, des services vétérinaires, des maires et des services
de police. De plus, quelques difficultés pourraient également apparaître pour
classer des chiens d'origine étrangère qui n'ont pas encore d'existence légale
en France ou pour interdire certains croisements.
Mais d'autres pays ont bien réussi à édicter des mesures d'interdiction.
Pourquoi pas nous ? D'autant, je le répète, qu'il s'agit de prévenir de graves
accidents et de sauver des vies humaines. Le législateur se doit de protéger
les individus avant les animaux. J'espère donc que le Sénat, comme l'Assemblée
nationale, qui a adopté à l'unanimité ce projet de loi, soutiendra
l'interdiction des chiens dangereux.
(Applaudissements sur les travées du
RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur
certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Souvet.
M. Louis Souvet.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, trop
souvent, selon moi, nos débats sont pollués par des prises de position
politiciennes ; l'efficacité, voire la crédibilité, de nos travaux en sont
amoindries. Voilà un texte qui, je l'espère, ne devrait pas souffrir de ce
handicap.
C'est un témoignage d'expérience qu'aujourd'hui j'ai décidé de vous livrer,
monsieur le ministre, car le maire que je suis d'une ville de taille modeste a
osé, le 24 mars 1997, prendre un arrêté réglementant la circulation des chiens
dits dangereux sur la voie publique ou dans les lieux publics. Oh, rien de bien
méchant : interdiction de divagation et conduite à la fourrière, obligation sur
l'ensemble du territoire de la ville de tenir en laisse certaines espèces dites
molossoïdes et de les museler, interdiction de conduire ces animaux dans les
entrées de groupes scolaires, les crèches collectives, les garderies et les
structures accueillant des personnes âgées, les centres de soins, centres de
loisirs, etc.
Quel tohu-bohu a déclenché cet arrêté ! J'ai reçu un courrier volumineux - ô
combien ! - vindicatif, parfois menaçant, des pétitions, le tout émanant de
l'ensemble de l'Hexagone, mais évidemment pas de ma ville ! Aussi, monsieur le
ministre, je vous souhaite bien du plaisir ! J'ai même eu droit à un défilé de
protestation des chiens et de leur maître, bien sûr ! Actuellement, je suis
traduit devant le tribunal administratif. Turgot disait qu'avoir toujours
raison, c'est un grand tort. Je pourrais, le pastichant, dire qu'avoir raison
trop tôt, c'est aussi un grand tort.
Bien évidemment, tous les arguments m'ont été opposés : je n'avais pas désigné
les bonnes races, j'interdisais de posséder un chien, ceux que je citais - y
compris les bergers allemands, que la sagesse populaire avait, non sans raison,
qualifiés de « chiens-loups » - étaient tous des agneaux...
Hélas ! J'ai encore pris connaissance, voilà quelques jours, dans mon
entourage, du cas d'un jeune homme familier des propriétaires d'un chien - et
donc de l'animal - qui a été sévèrement mordu à la cuisse par cet « agneau
».
Je rappelle, monsieur le rapporteur, qu'on a vu des chiens bien dressés
égorger un troupeau de dizaines de moutons. Je m'interroge donc, après avoir
bien écouté : ne sont-ils que « potentiellement » dangereux ? Je n'en suis pas
certain, mais je ne suis pas vétérinaire.
Je sais aussi, par expérience, qu'il existe un lien affectif très fort entre
l'animal de compagnie et son maître. Il ne doit cependant pas occulter la
réalité. Quelle était-elle donc pour me conduire à prendre de telles mesures
?
Tout d'abord, des chiens souvent sauvagement mutilés étaient amenés chez les
vétérinaires pour être « racommodés », en général le lundi matin. Des combats
étaient donc organisés dans la ville dont je suis le maire ou dans son
voisinage.
D'autres possédaient dans leur collier, en particulier, de petites réserves de
drogue.
Enfin, certains voyous se servaient de leurs animaux comme des armes pour
rançonner ou pour voler. Les pitbulls n'avait pas l'exclusivité.
Il est donc, me semble-t-il, nécessaire de mettre en place rapidement un cadre
législatif qui protégera d'une remise en cause systématique les arrêtés pris
par les maires afin de sécuriser et de protéger les populations des
débordements comportementaux de quelques-uns.
Si je souhaite rendre hommage au travail que vous avez effectué, monsieur le
ministre, je tiens aussi, comme l'a rappelé notre excellent rapporteur M.
Dominique Braye, à saluer celui qui a été accompli par votre prédécesseur, M.
Philippe Vasseur, qui avait fait adopter, le 9 avril 1997, en conseil des
ministres un projet de loi de même nature.
Sur un dossier aussi sensible, on peut se féliciter de l'unanimité ayant
présidé à l'adoption du nouveau texte en première lecture à l'Assemblée
nationale.
L'utilisation des chiens dressés pour combattre, racketter et agresser ainsi
que pour transporter des produits stupéfiants doit nous conduire à prendre des
mesures draconiennes, faute de quoi leur nombre, qui se situe actuellement
autour de vingt mille, progressera encore et fera augmenter la délinquance liée
à l'exploitation de ces chiens.
Il s'agit bien en effet d'une exploitation délictueuse de chiens qui sont
dressés pour la revente et le profit qu'ils représentent pour toute une
catégorie d'individus dont la seule préoccupation est l'argent facile par la
peur qu'ils peuvent ou veulent développer. L'animal devient alors une arme dont
il faut à tout prix éviter qu'elle ne se banalise et ne soit utilisée
massivement.
Mais ne nous trompons pas de coupable ! L'animal n'est pas délinquant ; seul
son « maître », si on peut le nommer ainsi, est l'unique responsable de son
comportement. Le maître terrorise et l'animal obéit sous la contrainte.
Pour parvenir à leurs fins, les délinquants font subir à leurs chiens un
dressage spécifique contraire aux règles en la matière qui les conduit à leur
infliger des traitements condamnables. La violence et la cruauté n'ont pas de
limites.
Il n'est pas tolérable que ces agissements ne soient pas réprimés. La montée
de la peur, les combats clandestins, les agressions, les trafics en tout genre
et la violence génèrent un climat d'insécurité que l'impunité relative
contribue à entretenir.
Les maires et la police n'ont que peu de moyens pour imposer une répression
que revendiquent légitimement nos concitoyens confrontés quotidiennement aux
exactions des délinquants.
Le renforcement du dispositif répressif s'impose par l'urgence et la gravité
des situations. Il ne s'agit pas d'accuser toute une lignée de la gent canine
et de la désigner comme la source unique des désordres. Il s'agit d'empêcher
que des êtres vivants deviennent de nouvelles armes qui échappent au contrôle
des pouvoirs publics, au nom de la sécurité quotidienne, et soient utilisées
par des individus dont l'affection pour nos amis à quatre pattes se limite à
l'excitation de leur instinct de survie.
L'animal doit être un compagnon et non un complice.
C'est pourquoi j'insiste sur la nécessité de prévoir des amendes d'un montant
réellement dissuasif et des peines exemplaires pour tous les débordements du
comportement qui visent à exploiter l'animal comme une source de profit et à
l'utiliser par la violence à des fins délictueuses.
(Applaudissements sur
les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union
centriste.)
M. Louis Le Pensec,
ministre de l'agriculture et de la pêche.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Louis Le Pensec,
ministre de l'agriculture et de la pêche.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite d'ores et déjà répondre à
certaines observations qui ont été formulées par les orateurs. Bien évidemment,
lors de l'examen des amendements, j'aurai l'occasion de revenir sur un certain
nombre de considérations.
J'ai bien noté les différences d'appréciation qui sont apparues au cours de
cette discussion générale, qui a suscité un intérêt que j'ai apprécié sur
toutes les travées et chez les intervenants.
Ces différences d'appréciation ont conduit la commission des affaires
économiques à proposer certaines modifications au dispositif présenté par le
Gouvernement.
Monsieur le rapporteur, vous estimez qu'il n'est pas nécessaire de distinguer
deux catégories de chiens et vous souhaitez que la loi n'en retienne qu'une.
Vous pensez que le critère du poids des chiens est le critère le plus
important puisque, pour vous, la façon de se comporter du chien dépend
essentiellement du maître. Vous avez raison dans la majorité des cas.
Cependant, l'objet du projet de loi est non pas de créer des contraintes à des
millions de propriétaires, mais de trouver une solution vis-à-vis des maîtres,
heureusement très minoritaires, qui utilisent leur animal comme faire-valoir ou
pour impressionner voire menacer leur entourage.
C'est pour cela que je ne souhaite pas que tous les chiens imposants soient
concernés par les mesures relatives aux chiens potentiellement dangereux. Un
labrador, un setter, un montagne des Pyrénées, n'ont aucune caractéristique
commune sinon le poids avec des chiens comme le pitbull, le toza japonais ou le
rottweiler. Les premiers ont été sélectionnés pour chasser ou secourir, les
seconds pour se battre ou garder.
La plupart des chiens utilisés de façon que je qualifie de déviante, dans les
banlieues, sont des chiens de type pitbull. Ces chiens ne constituent pas une
race : ils ne font donc pas l'objet de contrôle et ne s'inscrivent dans aucun
objectif d'amélioration génétique comparable à ceux qui existent pour
l'ensemble des races canines gérées à l'échelon national.
La majorité des détenteurs - et
a fortiori
des personnes les élevant -
de ce type de chiens les détient aux fins d'une utilisation illicite, telle que
la menace ou l'agression du public, potentialisant ainsi les risques
intrinsèques liés à la typologie particulière de ces chiens et les rendant
auxiliaires de la délinquance ; vous avez été nombreux à souligner ce point.
Les chiens dits d'attaque font l'objet d'élevages clandestins très lucratifs
et sont souvent victimes eux-mêmes de mauvais traitements, tant du fait de
leurs conditions d'élevage que de celles de leur dressage aux fins d'agresser
autrui ou leurs congénères.
C'est pourquoi, pour limiter et contrôler ces phénomènes, la définition de
deux catégories de chiens me semble nécessaire. Pour la première catégorie, un
simple contrôle des populations ne me semble pas suffisant et le projet de loi
prévoit une élimination des chiens de type pitbull de notre territoire.
En préconisant des mesures de cette nature, je suis parfaitement conscient du
risque que le problème puisse se trouver déplacé. C'est une des raisons pour
lesquelles il est prévu une deuxième catégorie de chiens qui seront placés sous
surveillance. Si une population de chiens de la deuxième catégorie pose des
problèmes analogues à ceux que posent actuellement les chiens de type pitbull,
le dispositif sera adaptable très rapidement par voie réglementaire.
Pour les chiens des deux catégories, le système proposé dans le texte prévoit
une formalité simple et donc facilement mise en oeuvre.
En tout état de cause, dans le cas où des chiens n'appartenant à aucune des
deux catégories énoncées poseraient individuellement des problèmes dans une
commune, le maire, grâce à l'article 211, peut prendre toute mesure
contraignante vis-à-vis des propriétaires concernés.
Le système est donc à considérer dans sa globalité, avec les catégories et les
pouvoirs renforcés du maire. C'est grâce aux différents maillons du système,
gradués en fonction de la dangerosité potentielle des chiens qu'on peut couvrir
l'ensemble des problèmes que posent ces chiens.
L'esprit du projet de loi est d'offrir aux maires et aux autorités de l'Etat
la possibilité de mieux connaître les populations de chiens potentiellement
dangereux, qui sont présents sur le territoire de la commune. Cette
connaissance du terrain leur permettra d'agir plus efficacement lors des
interventions nécessaires en cas de troubles à l'ordre et à la tranquillité
publics.
La formalité administrative que constitue la déclaration à la mairie est une
mesure contraignante pour les propriétaires. Elle sera reçue comme telle, en
particulier par les mauvais maîtres. Elle constitue donc un frein à la
possession de ce type d'animal. Cependant, pour le Gouvernement, il ne s'agit
pas de transformer le maire en policier ou en juge. Le maire délivrera un
récépissé en veillant à ce que les différentes pièces à joindre à la
déclaration soient bien réunies.
C'est là son rôle, et je serais tenté de dire : « Ne lui confions pas ce qui
relève de l'autorité judiciaire ». Suivant en cela l'Assemblée nationale, le
Gouvernement a préféré opter pour ce système déclaratif simple, plutôt que
d'instaurer des procédures lourdes d'un point de vue technique et administratif
relevant de la délivrance d'une autorisation ou d'un permis par le maire. Dans
un premier temps, le Gouvernement avait envisagé le système du permis, mais il
s'est heurté à ce qui apparaît comme une inapplicabilité immédiate et
généralisée dudit permis.
En effet, délivrer une autorisation suppose que chaque propriétaire concerné
passe des épreuves théoriques et pratiques permettant d'apprécier ses
connaissances, devant un jury constitué de spécialistes tant du comportement
animal que des problèmes liés à l'insertion de l'animal dans la ville. Ce jury
devrait estimer la capacité pour chaque propriétaire concerné de satisfaire à
des critères qui devraient lui permettre de garantir la maîtrise de son animal
en toutes circonstances. De surcroît, lorsque le postulant au permis ne semble
pas satisfaire aux critères établis, se pose la question du devenir de son
animal.
La mise en place d'une telle procédure ne peut s'entendre que par cette
gestion complexe de dossiers, dont la longueur de traitement et l'hétérogénéité
d'appréciation iraient à l'encontre de l'objectif initial.
Dans le système que propose M. le rapporteur n'est pas prise en compte la
nécessité de vérifier les aptitudes des postulants, la « déclaration » étant
simplement transformée uniquement en une « autorisation », ce qui n'est pas le
terme adapté au dispositif proposé.
En revanche, la possibilité, également envisagée par M. le rapporteur,
d'exiger de la part des propriétaires de chiens potentiellement dangereux la
présentation d'un document et de décider de la confiscation du chien en cas de
non-présentation de ce document complète de façon intéressante le dispositif
prévu par le projet de loi. Aussi, le Gouvernement pourrait intégrer cette
modification au dispositif de déclaration.
M. Dominique Braye,
rapporteur.
Vous êtes trop bon, monsieur le ministre !
M. Louis Le Pensec,
ministre de l'agriculture et de la pêche.
Je vous ai déjà annoncé,
monsieur le rapporteur, que peu de vos amendements trouveraient grâce aux yeux
du Gouvernement, car nous assistons, en quelque sorte, au choc de deux logiques
qui ne se rejoignent pas.
Ce que nous recherchons aujourd'hui, c'est la résolution rapide et efficace
des problèmes de cohabitation, dans certaines zones, entre des citadins et des
chiens pouvant présenter des risques, du fait de leurs maîtres, dont les
intentions sont parfois délinquantes. Dès lors, la déclaration me semble
beaucoup plus adaptée.
N'oublions pas non plus qu'une partie importante des huit millions de chiens
possédés en France risquerait d'être concernée.
Cela supposerait enfin un coût de gestion considérable, sans commune mesure
avec les garanties aléatoires qu'un tel système serait susceptible
d'apporter.
L'application des procédures prévues par le projet de loi a conduit à évoquer
à plusieurs reprises la tenue d'un fichier permettant de recenser les personnes
auxquelles la propriété d'un animal a été retirée en vertu des pouvoirs de
police du maire énoncés à l'article 211.
S'agissant de mesures dont l'application est strictement locale et relève
exclusivement de la compétence du maire, l'existence d'un fichier national
apparaît difficilement justifiée. Le principe de proportionnalité justifie que
les contraintes ne soient pas excessives au regard du droit individuel des
citoyens, compte tenu des objectifs du texte proposé au Parlement.
S'agissant, en outre, de décisions de police administrative, la gestion d'un
tel fichier national n'est pas compatible avec la mission d'un comité tel que
celui que le rapporteur propose de créer. L'article 34 de la loi du 6 janvier
1978 organise le droit d'accès aux informations nominatives enregistrées dans
les traitements informatisés. Ce droit est ouvert à toute personne sur laquelle
les informations nominatives ont été enregistrées, mais à elle seule. Celle-ci
peut obtenir directement communication des informations nominatives qui la
concernent et demander éventuellement une rectification, sauf dans les cas
énumérés à l'article 39 de la loi, relatifs au traitement intéressant la sûreté
de l'Etat, la défense et la sécurité publique, pour lesquels cet accès s'exerce
indirectement par le truchement de la Commission nationale de l'informatique et
des libertés. La création de ce fichier nécessitera
a minima
la
consultation de cette commission.
En conclusion, les modifications proposées ne me semblent pas acceptables
parce qu'elles n'auront pas, à mon avis, les effets escomptés. Elles créeraient
des contraintes importantes à la fois pour les maires et pour de nombreux
propriétaires de chiens et elles risqueraient, de ce fait, de rendre l'ensemble
du dispostif inopérant.
J'ai tenu, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, à
répondre un peu longuement sur ce point, ce qui me dispensera de développer les
mêmes arguments lors de l'examen des amendements.
J'ajoute que les associations de protection animale les plus concernées,
notamment la Société protectrice des animaux, soutiennent notre dispositif et
en attendent avec impatience la mise en oeuvre. Or ces associations, qui sont
confrontées quotidiennement aux problèmes liés à l'accroissement du nombre de
chiens dangereux, doivent également être entendues. Elles nous invitent à
instaurer un système à la fois efficace et équilibré, visant à réduire ces «
problèmes de société », pour reprendre l'expression qu'a tout à l'heure
employée M. Lanier, rapporteur pour avis de la commission des lois.
Je dois dire au passage que nombre des amendements qui ont été déposés au nom
de cette commission retiennent l'attention du Gouvernement, qui en approuve
tant l'esprit que la forme.
Au fond, c'est au regard des problèmes vécus dans les cités et dans les
quartiers par beaucoup de nos concitoyens que peuvent s'apprécier nos
différentes approches.
Certains, comme M. Braye, considèrent que la seule approche qui vaille est
celle qui part du comportement de l'animal. Je veux bien admettre qu'elle a
quelques justifications : l'animal n'est pas mauvais, c'est son maître qui le
dévoie.
Cependant, notre approche, qui est aussi celle des associations concernées,
prend avant tout appui sur la réalité vécue par nos concitoyens qui, dans leur
environnement immédiat, dans leur vie quotidienne, se sentent en insécurité
croissante.
Contre cette insécurité, nous souhaitons agir vite. Or, comme le soulignait
fort justement M. Dussaut, ce texte est d'application immédiate.
Pour élaborer ce projet, le Gouvernement a bien entendu consulté les
différents organismes intéressés, des commissions spécialisées, des
représentants des professions concernées par les animaux de compagnie ainsi que
des spécialistes du comportement animal. Je mentionnerai notamment les
représentants des collectivités locales, qui attendent ce texte avec
impatience, l'ordre des vétérinaires, le syndical national des vétérinaires
d'exercice libéral, les professeurs de zootechnie et d'éthologie des écoles
vétérinaires, ainsi que la Société centrale canine, intéressée tout
particulièrement par la notion de « catégories », qui figure dans le texte.
Nous avons également travaillé avec les représentants des services de secours,
particulièrement avec les vétérinaires sapeurs-pompiers, qui se trouvent
confrontés concrètement aussi bien au problème des animaux maltraités qu'à
celui des animaux dangereux.
Nous avons en outre tenu compte des avis formulés par les représentants des
éleveurs et des vendeurs d'animaux de compagnie, qui suivent de plus en plus
des démarches axées sur la qualité.
Je n'aurai garde d'oublier, dans cette énumération, les associations de
protection animale telles que la SPA, qui sont aussi directement concernées par
le problème des chiens d'attaque dans la mesure où elles gèrent des fourrières.
Ainsi, la SPA de Paris est confrontée à une situation bien souvent périlleuse
en raison des risques que fait naître la présence de chiens potentiellement
dangereux dans ses locaux : effractions, menaces exercées sur les personnes
sont le pendant de leur mission, par ailleurs tout à fait méritoire.
M. Minetti m'a interrogé sur les moyens qui pourraient garantir une bonne
application des mesures prévues. Je partage son souci et je comprends sa
préoccupation. C'est d'ailleurs une question d'ordre général, celle de la
sécurité publique.
Comme je l'ai déjà indiqué, la police nationale prévoit de prolonger et de
développer, à terme relativement bref, l'expérience des brigades cynophiles.
On a souvent souligné que les maires manquaient, à titre principal, de moyens
juridiques pour agir. Or, précisément, le projet de loi répond à cette grave
lacune. Les maires pourront désormais décider et agir avec toute la sécurité
juridique voulue, appliquer les dispositions générales, prendre des mesures
particulières en fonction de la situation spécifique de leur commune, de sa
réalité sociologique et urbanistique, ainsi que de la politique qu'ils
entendent conduire en matière de sécurité publique.
M. Minetti mesure, j'en suis convaincu, combien ce texte ouvre non seulement
des possibilités d'intervention pour les forces de l'ordre mais aussi des voies
nouvelles en termes de politique de prévention.
J'aurai, lors de la discussion des articles, l'occasion d'évoquer les thèmes
abordés par les deux derniers intervenants. Je suis d'ailleurs persuadé que
cette discussion donnera lieu à des échanges constructifs. J'espère, en tout
cas, que ceux-ci permettront d'enrichir ce texte, dont l'un d'entre vous a dit
qu'il était perfectible : c'est aussi ma conviction.
(Applaudissements sur
les travées socialistes et sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
A la demande de M. le ministre, nous allons interrompre nos travaux pendant
quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures vingt, est reprise à dix-huit heures
quarante.)