Séance du 13 mai 1998
COMMISSION CONSULTATIVE DU SECRET
DE LA DÉFENSE NATIONALE
Discussion d'un projet de loi en deuxième lecture
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture du projet de loi (n°
404, 1997-1998), adopté avec modifications par l'Assemblée nationale, en
deuxième lecture, instituant une commission consultative du secret de la
défense nationale. [Rapport n° 422 (1997-1998).]
J'informe le Sénat que la commission des affaires étrangères, de la défense et
des forces armées m'a fait connaître qu'elle a d'ores et déjà procédé à la
désignation des candidats qu'elle présentera si le Gouvernement demande la
réunion d'une commission mixte paritaire en vue de proposer un texte sur le
projet de loi actuellement en cours d'examen.
Ces candidatures ont été affichées pour permettre le respect du délai
réglementaire.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Alain Richard,
ministre de la défense.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les
sénateurs, le projet de loi que le Gouvernement vous présente en deuxième
lecture a pour objet de créer une commission consultative du secret de la
défense nationale.
Cette mesure s'inscrit dans le mouvement, déjà engagé de longue date, tendant
à mieux encadrer, au profit des libertés des citoyens, l'action de
l'administration dans l'exercice de ses diverses missions. Elle avait en outre,
vous vous en souvenez, fait l'objet d'un engagement de la part du Premier
ministre lors de sa déclaration de politique générale.
Ce texte va permettre de bien préciser le régime juridique du secret de la
défense nationale en lui conférant un équilibre prenant pleinement en compte la
protection des citoyens.
Les débats qui se sont déroulés lors des précédentes lectures ont confirmé que
la représentation nationale ne remettait nullement en cause l'existence du
secret de la défense, qui est indispensable pour protéger notre démocratie,
notamment eu égard à l'ampleur de ses responsabilités internationales, contre
les menaces auxquelles elle peut être confrontée.
Dès lors, nous pouvons convenir qu'il est nécessaire de créer une instance
permettant de prévenir les abus possibles dans l'utilisation du secret
défense.
Compte tenu de la nature même de celui-ci, son régime juridique laisse une
importante marge de manoeuvre à l'exécutif, qui est responsable en dernier
ressort, sous le contrôle du Parlement, de la sécurité nationale.
Dans l'état actuel du droit, lorsque l'exécutif oppose le secret de la défense
à un juge, celui-ci ne peut - il y a une jurisprudence constante en la matière
- que prendre acte de cette opposition et rendre son jugement en vertu des
éléments en sa possession.
Cependant, les difficultés rencontrées devant certaines juridictions ont
suscité des interrogations légitimes quant à l'utilisation parfois détournée du
secret de la défense. En particulier dans certaines affaires, le refus de
communiquer des informations a compromis le bon déroulement de l'enquête, alors
que la légitimité de l'invocation du secret de la défense par l'exécutif
pouvait être discutée.
Le présent projet de loi vise donc à dissiper ce doute, et l'Assemblée
nationale comme le Sénat ont, lors des précédentes lectures, fait part de leur
accord sur cet objectif.
Je veux d'ailleurs vous exprimer la satisfaction du Gouvernement devant
l'accueil qu'a reçu ici ce projet de loi puisque la Haute Assemblée en a
approuvé l'orientation générale et a loyalement cherché à l'améliorer afin de
garantir l'efficacité de la commission consultative du secret de la défense
nationale.
Un consensus est déjà intervenu entre le Sénat et l'Assemblée nationale sur la
composition de la commission, qui inclura des parlementaires.
Des divergences subsistent, certes, sur certains points, entre les deux
chambres, mais elles me paraissent surmontables. C'est bien entendu sur les
points en question que va porter notre débat cet après-midi.
J'en retiendrai trois, qui revêtent une certaine importance. Sur les deux
premiers, l'Assemblée nationale a modifié le texte que lui avait transmis le
Sénat. Le troisième est un peu nouveau, et le Gouvernement s'efforce, à cet
égard, de tenir compte de la dynamique du débat entre les deux chambres en
envisageant l'institution d'un vice-président au sein de la commission
consultative.
S'agissant du premier point, qui est relatif à la compétence de la commission
consultative pour les secrets opposés aux commissions parlementaires, y compris
les commissions d'enquête, le Gouvernement persiste à estimer, rejoint en cela
par l'Assemblée nationale, que le présent projet de loi ne saurait avoir pour
objet de prévoir que la commission consultative du secret de la défense
nationale se prononce sur la demande d'une commission parlementaire.
Une commission parlementaire, qu'il s'agisse d'une commission permanente ou
d'une commission d'enquête, est une instance démocratique, qui exerce un
contrôle politique. Par conséquent, confier à une commission qui a plutôt une
orientation juridictionnelle le soin d'apprécier un désaccord entre l'exécutif
et une commission parlementaire ne paraît pas conforme à l'esprit de nos
institutions.
J'en viens au deuxième point de divergence entre les deux chambres.
En première lecture, le Sénat a souhaité que l'autorité responsable ne
saisisse la commission consultative du secret de la défense nationale que dans
les cas où le Gouvernement ne s'estime pas en mesure de procéder directement à
la déclassification demandée.
Le Gouvernement insistera pour maintenir la solution d'une transmission de
toutes les demandes de déclassification par l'autorité administrative. Il n'est
pas dans l'esprit de ce projet de loi de faire de la commission consultative du
secret de la défense nationale une sorte d'instance d'appel après un refus de
communication opposé par l'exécutif. Cette commission doit être, conformément à
la logique générale des autorités administratives indépendantes, une instance
de réflexion permettant aux autorités administratives et, en définitive, à
l'exécutif, de prendre ou non des décisions de déclassification en s'appuyant
sur un avis éclairé et indépendant, qui sera d'ailleurs, pour l'autorité
exécutive, un avis motivé.
De même, il nous paraît important que la saisine de la commission consultative
soit exhaustive et qu'elle s'effectue donc dans tous les cas où une demande
émane d'une juridiction. Cela permettra en outre aux juridictions de disposer
d'une jurisprudence solide de la commission consultative et de procéder à la
comparaison de nombreux précédents.
S'agissant, enfin, du troisième point qui donne matière à débat, votre
commission propose que la nouvelle autorité administrative indépendante compte
parmi ses membres un vice-président qui suppléerait le président en cas
d'absence ou d'empêchement.
Cette suggestion peut être mise en regard de celle qui a été émise
précédemment, sans recueillir l'accord du Gouvernement, et qui prévoyait qu'un
membre de la commission pourrait assister le président dans ses
investigations.
L'institution d'un vice-président apparaît au Gouvernement comme un meilleur
gage d'efficacité et de continuité dans le fonctionnement de la commission
consulative. En effet, le choix du vice-président est fait en même temps que
celui du président et cela évite à ce dernier d'opérer une sélection parmi ses
collègues. Le Gouvernement est donc très ouvert à l'amendement de votre
commission, qui lui semble de nature à améliorer le texte.
La discussion des articles va permettre de réexaminer l'ensemble du projet de
loi et de débattre, notamment sur les trois points que je viens d'évoquer. Je
suis convaincu que, au terme de cette discussion ,qui sera certainemement de
grande qualité, empreinte du souci de voir cette nouvelle institution réussir,
nous disposerons d'un texte faisant réellement progresser le dispositif
juridique qui vise à conforter les garanties offertes aux justiciables.
En soumettant cette réforme à votre approbation, le Gouvernement souhaite
instaurer un climat de confiance encore mieux établi, en assurant un meilleur
équilibre entre le maintien d'un secret efficace et la consolidation des droits
des citoyens.
(Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur
les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Nicolas About,
rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des
forces armées.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers
collègues, le texte instituant une commission consultative du secret de la
défense nationale, après une deuxième lecture à l'Assemblée nationale, revient
devant la Haute Assemblée sans que celle-ci y retrouve les principales
modifications qu'elle y avait apportées.
En effet, à l'exception de quelques points d'accord sur des améliorations
rédactionnelles qu'avait adoptées le Sénat, des divergences sensibles demeurent
sur des dispositions essentielles.
Si l'Assemblée nationale et le Sénat ont pu constater leur accord quant au
principe même de la création de la commission consultative, les deux chambres
divergent sur l'ampleur des compétences qui peuvent être attribuées à cette
dernière.
Notre commission, en effet, reste soucieuse de créer un instrument juridique
crédible et de plein exercice, à même de permettre tant à la justice qu'à la
représentation nationale - c'est-à-dire, en fait, au citoyen - de bénéficier
d'une transparence accrue.
Le premier objectif du Sénat et de votre commission est de donner à la future
commission consultative du secret de la défense nationale des compétences plus
significatives que celles qui étaient prévues dans le projet initial.
C'est pourquoi la commission proposera à nouveau d'inscrire la possibilité
donnée à une commission parlementaire de bénéficier de la procédure de saisine
de la commission consultative.
Deux raisons au moins plaident en faveur d'une telle disposition.
La première raison renvoie à l'avis formulé par le Conseil d'Etat dans son
rapport de 1995, où il préconisait la création d'une commission du secret de la
défense. Il estimait utile une telle instance pour « satisfaire à la règle
d'accès indirect aux données couvertes par le secret défense, quelles que
soient les circonstances où se trouve posé un problème touchant à celui-ci
[...] y compris en cas de litige devant la juridiction administrative ou
judiciaire ».
Le Conseil d'Etat n'entendait donc pas limiter
a priori
les compétences
de la future commission aux seuls procédures engagées devant les juridictions.
Le Sénat partage cette ambition que le projet de loi ne retient pas.
La seconde raison se fonde sur l'accroissement - modeste - des pouvoirs de
contrôle du Parlement qui pourrait résulter de la possibilité ainsi donnée à
une commission parlementaire de bénéficier de la procédure de saisine. Loin de
modifier l'équilibre institutionnel actuel, un tel dispositif laisserait à
l'autorité en charge de la classification toute latitude pour décider
in
fine
de ce qu'il lui paraît approprié de faire.
Le deuxième objectif du Sénat est de faire de la commission consultative une
instance de plein exercice avec une présidence propre.
L'Assemblée nationale, en deuxième lecture, n'a pas retenu la modification,
apportée par le Sénat, tendant à permettre de doter d'une présidence spécifique
la commission consultative du secret de la défense nationale. Reprenant la
formulation du projet de loi initial, elle a réinscrit le principe d'une
présidence commune de droit à cette future commission consultative et à
l'actuelle Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité, la
CNCIS.
L'argument avancé d'un souci d'économie de moyens résiste mal à l'examen. Il
eût été préférable, dans ce cas, d'élargir les conséquences de l'actuelle CNCIS
à celles qui sont prévues pour la future commission consultative et de ne créer
aucune instance nouvelle. A défaut, la logique tant administrative que
juridique est, au contraire, de donner une présidence autonome à la commission
consultative.
Au surplus, si les compétences de chacune de ces deux autorités
administratives indépendantes sont certes voisines en ce qu'elles ont trait à
des informations sensibles protégées par le secret de la défense nationale,
elles sont loin de se recouper totalement et l'on pourrait même imaginer des
hypothèses dans lesquelles une décision de la CNCIS pourrait être ensuite
soumise à la commission consultative du secret de la défense nationale.
La commission vous invitera donc, sur ces deux premiers points, mes chers
collègues, à reprendre le dispositif voté par le Sénat en première lecture.
Par-delà ces dispositions, à nos yeux essentielles, il y a d'autres
modifications importantes que l'Assemblée nationale n'a pas retenues. Il en est
ainsi, tout d'abord, de l'institution d'une double procédure de
déclassification, ou plutôt, devrais-je dire, du maintien de l'actuelle faculté
de déclassification directe ; ensuite, de la préservation des pouvoirs
spécifiques d'investigation du président de la commission consultative ; enfin,
des critères de référence proposés à l'appréciation de la commission
consultative pour la formulation de son avis.
Sur ces trois sujets, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers
collègues, je vous préciserai lors de l'examen des articles les raisons qui ont
conduit la commission à reprendre, là encore, pour cette deuxième lecture, les
modifications que le Sénat avait jugé bon d'apporter au projet de loi initial.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR
et de l'Union centriste.)
3