M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi, je donne la parole à M. Loridant pour explication de vote.
M. Paul Loridant. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici parvenus, avec l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire, au terme du débat sur la modification des statuts de la Banque de France.
Nous pouvons, à la lecture de ces conclusions, formuler plusieurs observations.
J'observerai, tout d'abord, que, pour l'une des premières fois depuis juin 1997, nous constatons un consensus entre les positions de l'Assemblée nationale et du Sénat, pourtant a priori opposées, comme l'ont illustré un certain nombre de débats récents sur la réduction du temps de travail ou encore sur la loi de finances.
On pourrait se réjouir que la majorité sénatoriale ait, d'une certaine façon, compris que ses positions sont en quelque sorte vouées à l'échec puisqu'elle est dans la minorité nationale, mais l'occasion n'en est pas tout à fait offerte avec le présent projet de loi.
Force est plutôt de constater que le présent projet de loi recouvre d'autres positionnements, venant de mouvements politiques ou de personnalités diversement situés sur l'échiquier politique.
Je ferai d'abord un constat : le groupe communiste républicain et citoyen apprécie à sa juste valeur que le texte final qui nous est proposé prenne en compte la diversité des métiers de la Banque de France et réaffirme la nécessité pour celle-ci de disposer d'un réseau important de succursales. Nous sommes particulièrement intervenus sur cette question lors de la discussion du texte devant la Haute Assemblée, dans la logique de la position que nous avons adoptée face au plan de restructuration préparé par le gouverneur de la Banque de France, qui semble plus prompt à donner des leçons de maîtrise budgétaire aux parlementaires qu'à développer le dialogue social à l'intérieur de sa maison.
La position que nous avons soutenue et qui a été, pour l'essentiel, préservée par la commission mixte paritaire est désormais à l'épreuve des faits, notamment du devenir de ce plan Trichet qu'il nous apparaît aujourd'hui indispensable de réviser.
Mais l'essentiel de la question, chacun le sait bien, est ailleurs : il s'agit de savoir que, dans l'optique du traité de Maastricht, notre banque centrale exercera demain un rôle secondaire, deviendra en quelque sorte une succursale dans un système européen de banques centrales dans lequel l'essentiel de l'autorité sera dévolu au conseil des gouverneurs et au directoire d'une banque centrale européenne, qui n'a de légitimité que celle qui est produite par des référendums acquis à l'arraché et par occultation des enjeux et celle qui résulte de votes parlementaires non représentatifs du sentiment de l'opinion, et qui n'aura de comptes à rendre à personne, se contentant d'en demander aux Etats et aux Gouvernements démocratiquement élus sur leur politique budgétaire.
Un combat difficile s'engage aujourd'hui : il s'agit de nous montrer, dans la vie quotidienne, que la mise en place de la monnaie unique, et le maintien de sa parité, peut aller de pair avec croissance économique et développement de l'emploi.
Il s'agit d'un exercice difficile que nous n'avons d'ailleurs pas pu faire rentrer dans le présent projet de loi, celui-ci s'en tenant scrupuleusement à la lettre du traité de Maastricht.
Pour notre part, nous mènerons le nécessaire travail d'explicitation des enjeux véritables de la construction européenne, instruits par l'expérience des dernières années au cours desquelles la stabilité des prix s'est, hélas ! accompagnée de la récession - nous l'avons constaté entre 1993 et 1995 - ce qui montre que la poursuite des objectifs européens a, dans les faits, été à l'encontre des intérêts mêmes de notre pays en matière économique et en matière sociale.
Que nous ayons, dans ce cadre, des convergences avec des parlementaires venus d'autres horizons politiques ne nous étonne pas.
Il ne faudrait pas à cet égard oublier que, lors du référendum de 1992, le camp des partisans de Maastricht comme celui des opposants échappaient aux clivages politiques traditionnels et se rapprochaient plutôt des différences sociales, les opposants étant majoritaires dans les couches les plus modestes de la population de notre pays.
Que certains aient, encore aujourd'hui, une forme de fidélité aux positions qu'ils défendaient alors, ou plutôt une fidélité à des principes qui animent leur action politique quotidienne, ne peut qu'imposer le respect.
Respectant le choix de ceux qui sont favorables à ce projet de loi tel qu'il ressort des travaux de la commission mixte paritaire, nous entendons que soit respecté notre propre choix non seulement de ne pas le voter, mais de nous y opposer, car nous estimons qu'il amoindrit en définitive la souveraineté nationale et, par là même, la légitimité que notre peuple donne à ses représentants.
C'est pourquoi, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe communiste républicain et citoyen se prononcera contre ce texte, qui, ainsi ne recueillera pas, hélas ! pour le Gouvernement, l'unanimité.
M. le président. La parole est à M. Hamel.
M. Emmanuel Hamel. Dans l'idée que je me fais de la France, « la madonne aux fresques des murs », écrivait le général de Gaulle, à la première page de ses mémoires, convaincu que, si elle en avait encore la volonté, elle pourrait aujourd'hui, dans le monde tel qu'il est, rester elle-même, sans se démunir des pouvoir liés à sa souveraineté, considérant comme tragique le fait que nos pouvoirs publics acceptent volontairement l'idée de dessaisir la nation et l'Etat français de sa souveraineté en matière monétaire, qui est l'élément fondamental d'une politique économique pour l'emploi et le progrès social, je suis attristé et considère ce jour, où ce vote va intervenir, comme l'une des journées noires de notre histoire.
Nous allons nous dessaisir, nous Français, d'un moyen d'action pour développer le progrès économique, pour lutter contre le chômage et pour assurer une plus grande justice sociale.
Nous allons devenir une nation dépendante d'un pouvoir monétaire que nous n'exercerons plus. La France va se trouver soumise au diktat de la Banque centrale européenne située à Francfort, elle-même sensible à la pression des marchés financiers, cédant aux pressions du capitalisme international et, nous le verrons dans les années à venir, considérant l'emploi, le progrès social, comme un élément secondaire, l'essentiel étant l'argent et son pouvoir.
Cette soirée est lugubre et funeste car c'est, hélas ! délibérément que la France, trompée, décide aujourd'hui de renoncer à être elle-même et à pouvoir exercer, en coopération certes avec les autres Etats de l'Europe, mais en restant elle-même, sa mission.
Je considère donc le vote qui va intervenir comme particulièrement grave, tragique, et même aberrant. Pourquoi en effet, décidons-nous, sous la pression des marchés de l'argent, de la monnaie, de cesser d'être nous-mêmes et d'exercer notre souveraineté monétaire ? Malheureuse France !
Puissions-nous être assez nombreux dans ce pays, à droite comme à gauche, pour faire prendre conscience au peuple de l'erreur qui est commise actuellement ! Puissions-nous revenir un jour, si graves qu'en soient les conséquences, sur l'acceptation tragique de cet engrenage destructeur du traité de Maastricht, aggravé par celui d'Amsterdam !
M. le président. La parole est à M. Angels.
M. Bernard Angels. La commission mixte paritaire est parvenue à un texte commun. Le groupe socialiste s'en félicite, et ce pour trois raisons.
D'abord, ce projet de loi n'est qu'une simple modification formelle du statut de la Banque de France afin que notre pays respecte complètement le traité sur l'Union européenne. Il n'appelait donc pas d'oppositions résolues entre les deux assemblées.
Ensuite, les précisions apportées sur la pérennité des indispensables missions d'intérêt général de la Banque de France et sur la préservation du réseau des succursales nous paraissaient importantes. Nous nous étions donc opposés à leur suppression, par la majorité du Sénat, en première lecture. Leur maintien dans le texte élaboré par la commission mixte paritaire est un signal important pour tous ceux qui, comme nous, pensent que la Banque de France a un rôle important à jouer pour le développement économique de nos régions.
Enfin, cet accord montre clairement que la France souhaite être un moteur dans cette nouvelle étape de la construction européenne, et ce alors que nous sommes à quelques heures du sommet extraordinaire de Bruxelles qui va décider du passage à la monnaie unique de ce vaste ensemble de 300 millions de personnes qui sera la première puissance économique du monde.
M. le président. La parole est à M. Trucy.
M. François Trucy. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au terme de l'examen final de ce projet de loi, qui adapte le statut de la Banque aux impératifs de la monnaie unique, le texte, reconnaissons-le, a beaucoup évolué. Le contenu quasi exclusivement technique du début a évolué vers quelque chose de plus « politique », ce que n'a pas manqué de souligner, à juste titre, la presse spécialisée.
La réussite de la commission mixte paritaire prouve au moins une chose au moment même où la Haute Assemblée est attaquée très injustement pour des motifs assez politiciens : l'opposition que conduit la majorité sénatoriale n'est pas systématique, elle est fondée et intelligente.
En l'occurrence, la hauteur des enjeux du projet de loi, parfaitement analysés par la commission des finances, par son président, par M. le rapporteur - nous nous permettons de féliciter ce dernier de son excellent travail - et par de nombreux collègues, nous conduit au dénouement que nous vivons ce soir.
L'adoption du projet de loi intervient juste avant la très importante réunion du prochain Conseil ECOFIN, début mai, qui, on le sait, se prononcera sur une liste de onze pays qui seront les premiers à participer à l'euro.
Le débat que nous avons eu la semaine dernière est largement revenu sur le principe même de la monnaie unique, alors que, on ne le répétera jamais assez, les Français ont tranché par référendum en 1992. Mais, c'est l'une des particularités de notre beau pays, les Français se font parfois peur à eux-même en revenant, apparemment, sur certaines de leurs décisions les plus importantes.
Que l'on s'interroge sur le fonctionnement démocratique de ces nouvelles structures bancaires européennes est certes utile, voire indispensable, mais pas au prix d'une remise en cause du processus qui nous conduit à la monnaie unique.
Le texte que nous allons voter ce soir permet, sur le plan extérieur, d'accéder normalement au rendez-vous de l'Euro. Cependant, sur le plan intérieur, la réorganisation du réseau de la Banque de France ne va pas encore de soi, quelles que soient les avancées, spectaculaires, que la commission mixte paritaire a obtenues.
Le groupe des Républicains et Indépendants votera donc le texte issu du travail commun des députés et des sénateurs, en ayant le sentiment que plus la construction européenne se poursuit, plus il convient d'anticiper dans les esprits l'étape ou les étapes suivantes, attitude qu'il faut faire partager par les Français, ce qui n'est pas une mince affaire !
M. Daniel Vaillant, ministre des relations avec le Parlement. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Daniel Vaillant, ministre des relations avec le Parlement. Ce projet de loi a fait l'objet d'un accord en commission mixte paritaire et j'ai le sentiment que la Haute Assemblée, après les explications de vote qui viennent d'intervenir, va l'adopter. Cependant, compte tenu de la nature et de l'importance de ce texte, je demande, au nom du Gouvernement, un scrutin public.
M. le président. Le scrutin est de droit, quand il est demandé, monsieur le ministre ! (Sourires.)
M. Daniel Vaillant, ministre des relations avec le Parlement. Ce qui est fait, monsieur le président ! (Nouveaux sourires.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Conformément à l'article 42, alinéa 12, du règlement, je mets aux voix l'ensemble du projet de loi dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.

(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.) M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 89:

Nombre de votants 317
Nombre de suffrages exprimés 313
Majorité absolue des suffrages 157
Pour l'adoption 281
Contre 32

Le Sénat a adopté. (M. le rapporteur et M. Trucy applaudissent.)
M. Emmanuel Hamel. Hélas ! Vote funeste !

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