SOMMAIRE
PRÉSIDENCE DE M. PAUL GIROD
1.
Procès-verbal
(p.
0
).
2.
Conséquences de l'accord multilatéral sur l'investissement.
- Discussion d'une question orale avec débat (p.
1
).
MM. Adrien Gouteyron, auteur de la question ; Jack Ralite, Jean Cluzel, Jean
Delaneau, Marcel Vidal, FranckSérusclat.
MM. Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget ; Adrien Gouteyron.
Clôture du débat.
3.
Mode de calcul de la durée maximale de détention provisoire.
- Adoption des conclusions du rapport d'une commission (p.
2
).
Discussion générale : M. Michel Dreyfus-Schmidt, rapporteur de la commission
des lois ; Mmes Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice ;
Joëlle Dusseau, MM. Robert Pagès, Jacques Habert.
M. le rapporteur.
Clôture de la discussion générale.
Articles 1er à 3. - Adoption (p. 3 )
Adoption de l'ensemble de la proposition de loi.
Suspension et reprise de la séance (p. 4 )
PRÉSIDENCE DE M. RENÉ MONORY
4. Questions d'actualité au Gouvernement (p. 5 ).
PRODUCTIONS FRUITIÈRES DU SUD-EST (p. 6 )
MM. André Vallet, Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche.
CULTURE ET FRONT NATIONAL (p. 7 )
MM. Ivan Renar, Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget.
PRIVATISATION DU CRÉDIT LYONNAIS (p. 8 )
MM. Philippe Marini, Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget.
CONSÉQUENCES DU GEL DANS LE MIDI (p. 9 )
MM. Roland Courteau, Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche.
INTERDICTION DU FILET MAILLANT DÉRIVANT (p. 10 )
MM. Louis Moinard, Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche.
COÛT DE L'ÉLARGISSEMENT
DE L'UNION EUROPÉENNE POUR LA PAC (p.
11
)
MM. Christian Bonnet, Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche.
ASSASSINAT D'UN CHAUFFEUR ROUTIER (p. 12 )
MM. Martial Taugourdeau, Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur.
ACCORDS DE NOUMÉA (p. 13 )
MM. Guy Allouche, Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer.
COMPENSATION DES CHARGES
LIÉES À LA VISITE PRÉANESTHÉSIQUE (p.
14
)
MM. Jean-Louis Lorrain, Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé.
PROJET DE BUDGET POUR 1999 (p. 15 )
MM. Daniel Eckenspieller, Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget.
Suspension et reprise de la séance (p. 16 )
5.
Passage à la monnaie unique.
- Adoption d'une résolution d'une commission (p.
17
).
Discussion générale : M. Alain Lambert, rapporteur de la commission des
finances.
PRÉSIDENCE DE M. PAUL GIROD
MM. Christian Poncelet, président de la commission des finances ; Jacques
Genton, au nom de la Délégation du Sénat pour l'Union européenne ; Pierre
Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes ; Mme Hélène Luc,
MM. Yann Gaillard, Xavier deVillepin, Hubert Durand-Chastel, Jean-Pierre
Fourcade, Claude Estier, Charles Pasqua.
PRÉSIDENCE DE M. GÉRARD LARCHER
MM. Denis Badré, Bernard Angels, Christian de La Malène.
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de
l'industrie.
Clôture de la discussion générale.
Texte de la résolution rectifiée (p. 18 )
Amendements n°s 11 de Mme Beaudeau et 1 rectifié de M. de La Malène. - Mme Marie-Claude Beaudeau, MM. Christian de La Malène, le rapporteur, le ministre, Michel Barnier, Mme Danielle Bidard-Reydet, MM. le président, le président de la commission, Emmanuel Hamel, Jean-Philippe Lachenaud, Bernard Angels. - Rejet de l'amendement n° 11 ; adoption, par scrutin public, de l'amendement n° 1 rectifié.
Vote sur l'ensemble (p. 19 )
MM. Paul Loridant, Bernard Angels, Jean-PhilippeLachenaud, Charles Pasqua,
Jacques Genton, Lucien Neuwirth, Xavier de Villepin, Jacques Habert.
Adoption, par scrutin public, de la résolution.
6.
Décès d'un ancien sénateur
(p.
20
).
7.
Dépôt d'une proposition de loi
(p.
21
).
8.
Dépôt d'une résolution rectifiée
(p.
22
).
9.
Dépôt d'une proposition d'acte communautaire
(p.
23
).
10.
Dépôt d'un rapport
(p.
24
).
11.
Ordre du jour
(p.
25
).
COMPTE RENDU INTÉGRAL
PRÉSIDENCE DE M. PAUL GIROD
vice-président
M. le président.
La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à neuf heures trente.)
1
PROCÈS-VERBAL
M. le président.
Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.
2
CONSÉQUENCES DE L'ACCORD
MULTILATÉRAL SUR L'INVESTISSEMENT
Discussion d'une question orale avec débat
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat n° 2 de
M. Adrien Gouteyron à M. le ministre de l'économie, des finances et de
l'industrie sur les conséquences de l'Accord multilatéral sur
l'investissement.
M. Adrien Gouteyron attire l'attention de M. le ministre de l'économie, des
finances et de l'industrie sur la constance avec laquelle les instances de
négociations économiques et commerciales internationales s'entêtent à ignorer
la spécificité des biens, des industries ou des investissements culturels, qui
ne sauraient être soumis aux seules lois du marché. Alors que les négociations
du cycle d'Uruguay, qui ont abouti en avril 1994 à la signature des accords de
Marrakech, n'avaient que très tardivement admis ce qu'il est convenu d'appeler
« l'exception culturelle », on doit en effet constater aujourd'hui que le
projet d'Accord multilatéral sur l'investissement, l'AMI, négocié depuis 1995
dans le cadre de l'OCDE, remet en cause tant les principes du droit de
propriété littéraire et artistique que les politiques nationale et européenne
de soutien à la création, en particulier dans les domaines cinématographique et
audiovisuel.
Il attire également son attention sur le fait qu'une information complète de
la représentation nationale sur les enjeux et le déroulement de telles
négociations constitue sans doute, pour le Gouvernement, le meilleur moyen de
s'assurer de son soutien et de celui de l'opinion dans la défense des intérêts
nationaux, et il lui demande d'informer le Sénat sur la position du
Gouvernement français dans la négociation de l'AMI, ainsi que sur les chances
que cette négociation aboutisse à un accord acceptable par la France et par
tous les pays soucieux de défendre l'avenir de leur langue et de leur culture.
(N° 2.)
La parole est à M. Gouteyron, auteur de la question.
M. Adrien Gouteyron.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
nous connaissons la place et le rôle de l'investissement international dans nos
économies, et dans l'économie de la France en particulier.
Aucun membre de cette assemblée ne songera donc à nier l'intérêt qu'il y a à
définir, au plan international, des règles susceptibles d'encadrer la
libéralisation des investissements.
Tous les pays ont intérêt à ce que la sécurité des investissements de leurs
ressortissants à l'étranger soit mieux assurée. De même, tous ont intérêt à
proscrire le dumping volontiers pratiqué pour attirer les investissements
étrangers, au prix parfois de discriminations à rebours à l'encontre des
nationaux ou d'entorses discutables aux lois et règlements de l'Etat
d'accueil.
Nous n'avons pas toujours nous-mêmes résisté à de telles tentations. Que l'on
songe aux négociations qui, dans les années 1985, ont précédé l'installation en
France de Disneyland Paris !
Nous n'avons donc,
a priori
, aucune opposition de principe à un accord
multilatéral sur l'investissement, ou AMI. Encore faut-il que le remède ne soit
pas pire que le mal et que cet accord ne comporte pas, pour les Etats parties,
et en particulier pour notre pays, plus d'inconvénients que d'avantages, plus
de risques que de garanties.
Or il semble que les débats - un peu tardifs - de ces dernières semaines aient
fait clairement apparaître, après plus de deux ans de négociations, que l'AMI
est, à cet égard, un assez bon exemple de ce qu'il ne faut pas faire.
Peut-être aurait-il fallu s'en aviser plus tôt, et peut-être devrions-nous
élargir notre débat d'aujourd'hui aux moyens susceptibles d'améliorer, dans des
cas semblables, la transparence des négociations et l'information sur leurs
enjeux.
On peut juger d'ailleurs assez significatif que ce soient les menaces contre «
l'exception culturelle » qui soient à l'origine de la prise de conscience des
dangers que pourrait comporter l'AMI, et qui concernent, au-delà de notre
politique culturelle, notre « culture politique », nos traditions juridiques et
démocratiques, et même la construction européenne.
Déjà, lors des négociations de l'
Uruguay Round
, ce n'est qu'
in
extremis
, à l'automne 1993 et grâce à la position très ferme de la France,
que l'Union européenne avait demandé et obtenu d'exclure l'audiovisuel et les
services culturels des secteurs sur lesquels elle s'engageait à proposer des
mesures de libéralisation, on s'en souvient, dans le cadre de l'Accord général
sur le commerce des services.
Nous savions que cette « exclusion » était provisoire et qu'elle serait
réexaminée dans le cadre de la renégociation de cet accord, qui doit débuter en
janvier 2000.
L'AMI a largement anticipé cette échéance puisque, par le jeu d'une définition
très large des investissements, par le jeu de l'application aux investissements
culturels du traitement national et de la clause de la nation la plus
favorisée, la négociation menée au sein de l'OCDE pourrait remettre en cause
non seulement les dispositifs d'aide à la création, mais aussi le régime de la
propriété littéraire et artistique.
Lorsque nous l'avons entendue en commission à la fin du mois de janvier
dernier, Mme Catherine Trautmann a énuméré tous les moyens de la politique
culturelle qui pourraient être considérés comme contraires à l'AMI. Je ne
reprendrai pas ici l'ensemble de cette énumération. Je me bornerai à rappeler
que les obligations prévues par l'AMI pourraient priver de sens l'ensemble du
dispositif national et communautaire de soutien à la diffusion et à la création
dans les domaines du cinéma, de la chanson, de l'audiovisuel. Elles
interdiraient aussi la limitation des participations étrangères dans les
entreprises de communication, limitation dont la justification n'est pas
uniquement culturelle, on le comprend bien. Elles ôteraient, enfin, toute
portée aux accords - en particulier les accords de coproduction - passés avec
certains Etats en vue d'aider au développement de leur production
cinématographique et audiovisuelle.
Dans le domaine de la propriété littéraire et artistique - dont les accords de
Marrakech ne remettaient pas en cause les principes - l'assimilation faite par
l'AMI des droits d'auteur et des droits voisins à un investissement soulève
aussi des interrogations. Quelles en seront les conséquences sur notre
conception personnaliste du droit d'auteur, et notamment sur la protection du
droit moral, ignoré par les tenants du
copyright
? Quelles en seront les
conséquences sur l'application des conventions internationales en matière de
droits d'auteur et de droits voisins, qui sont conformes à notre droit et qui
n'imposent ni le traitement national ni le régime de la nation la plus
favorisée ?
Mais - je l'ai déjà dit - cette remise en cause radicale de l'exception
culturelle n'est pas la seule critique que l'on puisse faire au projet et à la
philosophie qui l'inspire.
Au-delà de la politique culturelle, les mécanismes proposés pourraient porter
atteinte aux politiques nationales dans les domaines de l'environnement, du
droit du travail, des services publics, voire de la recherche : c'est ce qu'ont
mis en évidence, en particulier, les travaux sur l'AMI de la commission des
affaires étrangères et du commerce international de la Chambre des communes du
Canada, auxquels nous aurions intérêt à nous référer.
Surtout, au-delà des politiques sectorielles, l'AMI pourrait remettre en cause
notre conception du rôle de l'Etat, à travers notamment les procédures de
règlement des conflits, inspirées des clauses de l'accord de libre-échange
nord-américain. Ces procédures permettraient en effet aux investisseurs
étrangers invoquant une violation de l'AMI de traduire les Etats devant une
juridiction arbitrale
ad hoc
. Cette procédure paraît aller plus loin que
l'exigence du « traitement national » et donnerait, en fait, un statut
privilégié aux investisseurs étrangers.
Sans doute cette analyse dépasse-t-elle les précoccupations relatives à
l'exception culturelle dont je voulais aujourd'hui vous faire part, mes chers
collègues. Mais, comme la remise en cause de l'exception culturelle - une «
exception », on le sait, qui ne traduit pourtant que la prise en compte des
inégalités de fait qui fausseraient la « libre » concurrence entre les
producteurs européens et les
majors
américains - elle participe, je
crois, de l'appréciation objective des concessions que l'on nous imposerait et
qui n'auraient pas de contreparties réelles.
En effet, tout porte à croire que les Etats-Unis, par exemple, n'entendent pas
réellement remettre en cause, dans le cadre de l'AMI, les mesures qui protègent
leur marché contre les investissements étrangers directs, ni les lois
extraterritoriales qui peuvent les menacer.
Sans doute allez-vous apaiser nos craintes, monsieur le secrétaire d'Etat, en
nous confirmant que la négociation de l'AMI est actuellement dans l'impasse,
non tant d'ailleurs en raison des positions prises par le Gouvernement français
que parce que les Etats-Unis craignent de ne pas en retirer les avantages
escomptés. C'est sans doute, à tout prendre, une chance pour nous, mais nous
n'aurons peut-être pas toujours de semblables chances.
C'est pourquoi il me semble que nous devrions aujourd'hui réfléchir aux
conditions dans lesquelles nous pourrons, dans cette négociation ou dans
d'autres, faire entendre nos préoccupations et, notamment, pour en revenir à «
l'exception culturelle », notre souci légitime de ne pas assimiler la culture à
des biens ou à des services « comme les autres », ni les droits d'auteur à des
investissements « comme les autres ».
Les occasions ne nous manqueront pas car, si la menace de l'AMI paraît
aujourd'hui s'éloigner, d'autres s'annoncent.
J'ai déjà mentionné l'échéance de la renégociation de l'accord général sur le
commerce des services, à laquelle nous devons dès aujourd'hui nous préparer.
Mais ce n'est pas la seule : tout récemment, la Commission européenne - ou
plutôt l'un des commissaires européens - a remis à l'ordre du jour le projet
d'établissement d'une zone de libre-échange transatlantique. Ce projet avait
déjà été évoqué - et abandonné - en 1995. Je me félicite que le Président de la
République et le Gouvernement l'aient, cette fois encore, écarté. Mais, n'en
doutons pas, il resurgira un jour !
Il faut évoquer aussi - ce débat est une bonne occasion pour le faire - les
nouvelles technologies : l'émergence du multimédia, le droit applicable à
Internet, le commerce électronique, le débat sur la « convergence » doivent
nous inciter à la vigilance et à la défense tant de notre conception de la
protection des droits d'auteur, qui a déjà prouvé sa capacité d'adaptation aux
évolutions techniques, que de « l'exception culturelle ».
Nous connaissons déjà, à cet égard, les enjeux, aussi simples que redoutables,
du débat sur la « convergence », suscité par ceux qui pensent que la «
convergence technologique » des supports de transmission des messages doit
aboutir à la remise en cause de la régulation des contenus. Cette logique est
d'ailleurs surprenante, ou au moins contestable : il n'y a, en effet, aucune
raison pour que l'usage d'une même technologie impose une réglementation
identique. Comme l'a récemment fait remaquer le président du CSA, les centrales
thermiques, les voitures et les lampes tempête utilisent la même énergie ; ce
n'est pas pour cela qu'il faut les soumettre à une réglementation unique !
Dans bien des cas, comme dans celui de l'AMI, l'opinion risque d'être avertie
trop tard des enjeux de ces négociations et de leurs répercussions sur les
choix effectués à l'échelle nationale ou à celle de la Communauté
européenne.
Les travaux du parlement canadien sur l'AMI, auxquels j'ai déjà fait
référence, concluaient à la nécessité d'assurer, en de telles circonstances, la
mise en oeuvre d'un processus de négociation transparent et démocratique, ainsi
que d'une large consultation de l'opinion, voire d'une « étude d'impact »
préalable à la ratification du résultat des négociations.
En des termes moins précis mais plus imagés, une avocate américaine hostile à
l'AMI évoquait le recours à la « stratégie de Dracula » qui, comme chacun sait,
redoute la lumière.
Plus prosaïquement, monsieur le secrétaire d'Etat, je serais tenté de demander
au Gouvernement de réfléchir aux moyens de mieux associer le Parlement aux
négociations qui, comme celle de l'AMI, peuvent avoir des conséquences
importantes sur les politiques menées au niveau national et sur les compétences
du législateur.
A ce propos, monsieur le secrétaire d'Etat, si je me réjouis de votre
présence, permettez-moi de regretter l'absence de votre collègue chargé de la
négociation, M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie,
puisque c'est la direction du Trésor qui a conduit ces négociations. J'aurais
donc aimé qu'il fût présent ! Certes, vous allez nous répondre au nom du
Gouvernement, mais ce que je suis en train de dire me paraît si important que
sa présence m'aurait semblé tout à fait souhaitable.
Nous ne songeons pas, bien évidemment, à remettre en cause la compétence
reconnue au Président de la République pour négocier et ratifier les traités.
Il ne s'agit pas de cela. Nous ne songeons pas non plus à exiger que le
Parlement participe aux négociations ni qu'il puisse, sous quelque forme que ce
soit, donner à l'exécutif un « mandat de négociation ». Ce n'est pas notre
esprit ; ce n'est pas inscrit dans notre Constitution.
Cependant, nous nous demandons si, dans le cas de négociations aussi
importantes et aussi lourdes de conséquences sur la capacité d'action des
pouvoirs publics nationaux, le rôle du Parlement peut se limiter au débat sur
le projet de loi autorisant la ratification d'un accord, alors que les jeux
sont faits et que l'intervention de la représentation nationale se limite à
accepter ou à rejeter en bloc les résultats de la négociation. Il est alors
trop tard !
Dans le cadre européen, les problèmes que posait, à cet égard, le droit dérivé
communautaire ont été résolus par la réforme constitutionnelle de 1992, qui, en
prévoyant l'information préalable du Parlement et le vote de résolutions, a
donné à chaque assemblée les moyens de faire connaître en temps utile son
sentiment à l'exécutif.
Mais nous ne disposons pas du même « droit à l'information » en ce qui
concerne les grandes négociations multilatérales, qu'elles se déroulent dans le
cadre de l'OMC ou dans d'autres enceintes.
Nous nous félicitons qu'en France les professions culturelles aient pu assez
tôt, sur l'initiative de M. Jean Arthuis, disposer de quelques informations sur
l'AMI. Mais est-ce suffisant, et la concertation, certes nécessaire, avec les
milieux concernés peut-elle remplacer le débat parlementaire ? Non !
Et ce débat, lorsqu'il a lieu, comme aujourd'hui et comme ce fut le cas sur
différents aspects des négociations de l'
Uruguay Round,
doit-il toujours
avoir lieu sur l'initiative du Parlement ?
Au-delà des informations que nous attendons de vous sur l'avenir de la
négociation de l'AMI et sur la position de la France, nous souhaiterions,
monsieur le secrétaire d'Etat, pouvoir examiner aujourd'hui avec vous les
conditions dans lesquelles, à l'occasion d'autres négociations - j'ai cité tout
à l'heure des échéances essentielles - le Gouvernement et le Parlement
pourraient unir leurs efforts pour définir et défendre ensemble les intérêts de
la France.
(Applaudissements.)
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe socialiste, 25 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 20 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 17 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 9 minutes.
La parole est à M. Ralite.
M. Jack Ralite.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
nous sommes contemporains de l'avènement d'une société-monde.
Si l'international existe depuis longtemps, le mondial n'est que de notre
temps. Le monde veut s'étendre, l'homme sent en lui des unités plus grandes que
ses ancêtres ; il s'en est donné les moyens techniques, dont le numérique et
Internet sont les figures emblématiques.
En même temps, l'homme est inquiet, il a même souvent peur, au point de se
recroqueviller, surtout s'il est précarisé, exclu comme on dit, sur un
identitarisme qui est contre son identité.
Alors, la question est-elle : être pour le monde ou être pour son chez-soi ?
Je trouve que ce serait un débat myope, comme la polémique entre technophiles
et technophobes.
La vraie question est : comment veut-on que cette société-monde se construise
? La mondialisation sera-t-elle débridée ou maîtrisée ? Se verra-t-elle
disciplinée par l'économie-hégémonie et les marchés généralisés sans rivage, la
concurrence où toujours le plus fort gagne, la déréglementation comme table de
la loi, ou se verra-t-elle animée, dans un monde multipolaire, par une
politique voulue, choisie, du développement humain, du bien commun assurant des
normes de civilisation humaine ?
Aucune nation ne peut ignorer ce débat, ni esquiver l'avènement progressif de
l'institutionnalisation de domaines universels dans lesquels la norme nationale
de décision et de contrôle ne sera plus exclusive.
Et l'Europe, dans ce contexte, son sens, c'est qu'elle participe à l'émergence
de la société-monde en respectant les nations qui la composent. Personne ne
part pour un grand voyage en laissant ses bagages au départ.
Je résume : la nation, creuset symbolique où s'opère la fusion passé -
présent-avenir, la nation - peuple, demeure le lieu principal de politisation,
de souveraineté ; le monde, lui, est opérateur principal de socialisation ;
l'Europe, elle, est l'interface en même temps que l'entrelacement des
solidarités transnationales. C'est sur ce terrain où l'hier, l'aujourd'hui et
le demain des hommes cherchent à s'articuler nouvellement que l'on doit
examiner l'AMI, le NTM,
New Transaltlantic Market,
et la convergence,
qui, chacun à sa manière, vise à organiser la société-monde à la main -
j'ajouterai « à la poche » - des marchés, surtout financiers, des marchés
sacralisés, naturalisés, « comme la gravitation universelle », disait, dans un
colloque au Sénat, un des participants.
Les nouvelles techniques étant, elles aussi, naturalisées, « comme la marée »,
disait un autre participant, on devient contemporain d'un monde où les moteurs
naturels, fatalement fatals, seraient le marché et la technique, inventés par
l'homme, et où l'homme ne serait qu'un élément subsidiaire, un invité de
raccroc. Cela me fait penser à ce que Lucien Sfez appelle la « théologie
Frankenstein », la fascination débouchant sur la dévoration.
Considérons ces trois dossiers.
L'AMI, c'est, trois ans durant, les vingt-neuf pays les plus riches du monde
qui, ayant exclu les autres, mettent au point un nouveau droit universel privé,
celui du marché sans entrave sur toute la société. Oui, les intérêts
commerciaux auraient tous les droits et aucun devoir, et enlaceraient
l'univers, se substituant aux législations publiques, avec certes des réserves,
mais qui ne peuvent être élargies et dont le démantèlement est programmé.
L'AMI, c'est l'autoritarisme doux des marchés financiers sur les gouvernements
et sur les sociétés.
Le NTM, c'est la création d'une zone de libre-échange entre l'Europe et les
Etats-Unis initiée par le commissaire Lord Brittan. C'est un morceau d'AMI,
concernant 60 % des échanges mondiaux, l'Europe y perdant sa plurielle
originalité.
La convergence, c'est, avec l'arrivée du numérique, la possibilité de
transporter sur un même support télécommunications et audiovisuel, et
l'exigence - les télécoms étant dérégulées - que l'audiovisuel le soit
aussi.
Ainsi, sous différents angles est silhouettée comminatoirement une «
république mercantile universelle », sans qu'il y fait face à elle une «
république démocratique universelle ». La société serait surpeuplée
d'impératifs financiers et dépeuplée des droits de l'homme les plus
essentiels.
En culture, l'attaque contre les droits d'auteur, séparant l'auteur de
l'oeuvre, est une tentative de renversement historique et une blessure à
l'avenir.
« La seule faute que le destin ne pardonne pas aux peuple est l'imprudence de
mépriser les rêves », disait Maurice Schumann.
AMI, NTM et convergence - on pourrait y ajouter AIM à l'OMC - sont des
machines contre les rêves sans conscience ni miséricorde. Ils visent à cloner
des pensées aplaties, assagies, aseptisées, atomisées, gommant le
pluralisme.
On comprend que la règle démocratique ait été écartée dans les trois cas.
Pour l'AMI, sans doute telle compétence professionnelle a-t-elle été
sollicitée. Mais la démocratie a une autre taille. Elle a besoin de la
fertilisation croisée des experts et des experts du quotidien associés à leurs
représentants. Rien de tout cela pour l'AMI !
Face aux trois ans de négociations au château de la Muette, à Paris, chacun
conviendra que, si utile, si bienvenu que soit - il faut en féliciter la
commission des affaires culturelles du Sénat - notre débat d'aujourd'hui, ces
deux heures au Sénat - et zéro heure à l'Assemblée nationale ! - ne font pas le
poids.
Je persiste à demander un débat national au Sénat comme à l'Assemblée
nationale. Ce devrait d'ailleurs être une initiative gouvernementale.
Je pense aussi que le Sénat serait bien inspiré de créer une mission
d'information sur les conditions d'élaboration de l'AMI, de NTM et de la
convergence, et sur leur champ d'application.
Le Sénat comme l'Assemblée nationale sont démunis face à l'international. Ils
n'ont pas d'initiative dans ce domaine. Aussi, hier, avec des collègues
parlementaires, à l'Assemblée nationale, au cours d'une réunion qui a réuni
cinq cents personnes sur l'AMI, nous avons décidé de proposer « la création, au
sein de l'Assemblée nationale et du Sénat, d'une délégation permanente aux
organismes et traités multilatéraux, de manière à pouvoir débattre en amont des
implications de tels traités ». La mission d'information en serait une
préfiguration.
Le NTM aussi a bousculé la démocratie. Lord Brittan est allé à Washington sans
mandat entamer des négociations qu'il ose appeler informations.
La convergence aussi a pratiqué la démocratie étriquée, et la conférence de
Birmingham, à laquelle j'ai participé, avait été mitonnée pour la dérégulation,
laissant aux opposants - du moins était-ce espéré ! - le seul courage de
s'accommoder.
Aucun artiste n'avait été convié, alors qu'il s'agissait de définir la
politique audiovisuelle européenne ; très peu de producteurs ; en revanche, des
consultants américains, une majorité outrancière anglo-saxonne et des
diffuseurs ; enfin, comme invité d'honneur, M. Murdoch !
Ainsi, nous avons été en « a-démocratie », en démocratie suspendue, alors que
ces trois projets concernent la vie du monde.
Tout acte politique est « sémaphore » pour les oligopoles internationaux et
leur circonvoisinage. Ils ont cru que « a-démocratie » signifiait : allez-y !
Ils se sont trompés ; il n'y a pas eu d'impuissance démissionnaire. Les
artistes de notre pays - comme ceux d'autres pays - ont réagi, notamment à
l'Odéon, non par corporatisme mais par conscience de la place dans l'histoire
de l'acte créateur, et ont créé un comité de vigilance.
Avec eux, nombre d'organisations liées à nos concitoyens en difficulté,
morceau de Sud dans notre Nord ! Le 28 avril un rassemblement international ira
parler devant La Muette ! Il sera un point d'orgue d'information populaire et
démocratique.
Beaucoup de politiques ont aussi pris position, et je me félicite que le
Gouvernement ait, sur les trois projets, marqué une opposition.
A l'évidence, la France - qui a de l'influence, à condition qu'elle s'en serve
- en refusant de jouer le rôle d'amortisseur, a créé un espace où l'offensive
de la civilisation peut passer et s'épanouir.
Je souhaite, maintenant, esquisser quelques propositions, car non, non et non
aux trois documents que je viens d'évoquer, c'est très bien, mais un projet, en
tout cas son ébauche, c'est nécessaire, d'autant que j'ai quelque souci.
Aucun des trois - AMI, NTM, convergence - n'est totalement battu. On peut
même, en fin d'année, se retrouver à en discuter au sein de l'OMC. En Europe,
on parle de la privatisation d'Eutelsat, ce consortium européen des satellites
qui regroupe trois cents chaînes.
En France, les patrons de l'audiovisuel français, qui n'ont pas dit un mot sur
l'AMI, réunis dans le cadre de la préparation de la loi sur l'audiovisuel, ont
joué à l'AMI avant l'AMI, c'est-à-dire rejeté toute loi.
Il faut considérer qu'il y a une véritable communauté planétaire et qu'aucune
nation ne peut avoir un développement durable s'il y a des déséquilibres
écologiques globaux, si l'aire des conflits s'élargit et si les écarts
grandissent entre Nord et Sud, et, à l'intérieur du Nord, entre riches et
pauvres.
C'est pourquoi, premièrement, la grande tâche d'une régulation globale
démocratique de la société, avec une mobilisation de tous les acteurs, y
compris les parlementaires, consultés en permanence, est une nécessité.
Etant donné l'apparition des nouvelles techniques, des réseaux, il faut,
deuxièmement, prendre conscience - le récent rapport de notre collègue René
Trégouët est riche, de ce point de vue - de leurs potentialités, qui seront
vite incontournables, et articuler ces machines technologiques avec des
agencements collectifs à dimension sociale.
Troisièmement, il est temps de mettre à jour et en oeuvre une responsabilité
publique locale, nationale, européenne et internationale en matière de vie
humaine comme un nouveau contrat social valable pour le secteur public et le
secteur privé, et d'abord pour les sociétés transnationales.
Cette responsabilité devrait, à tous les niveaux, assumer la primauté des
projets sur les institutions, des acteurs sur les structures, des cultures sur
les appareils.
Dans ces conditions, quatrièmement, le Fonds monétaire international, la
Banque mondiale et l'Organisation mondiale du commerce seraient remis en
question. Toutes ces structures, nées de Yalta et d'un monde binaire, devraient
être revues d'un point de vue démocratique pour un monde multipolaire où les
capitaux spéculatifs seraient taxés.
Tout cela vise à définir la place de l'homme dans la société du xxie siècle,
notamment les statuts de l'esprit et du vivant. Intégrité humaine, droit à la
différence, droit à la ressemblance, besoins d'échanges, pensées passerelles
sont principes et pratiques à faire avancer.
En culture aussi, ces démarches valent. Elles s'appellent audace de la
création, élan du pluralisme, obligation de production, maîtrise de la
diffusion, atout d'un large public, nécessité de la coopération
internationale.
Cela implique, par exemple, en Europe et dans les nations qui la forment, un
tournant dans le financement de la production des contenus d'oeuvres pour
l'audiovisuel, et j'ajouterai des logiciels. Au financement confetti du plan
Media 2, il faut substituer d'urgence - je dis bien « d'urgence » - un
financement correspondant à 1 % du PIB des Etats européens. Sait-on
suffisamment que le budget de l'audiovisuel - nous avons un déficit de 7
milliards de francs avec les Etats-Unis pour les images - n'est que de 0,06 %
du budget de l'Union européenne ?
Cela implique, notamment en France, que soit reconnue avec toute son ampleur
la nécessité d'une politique des nouvelles technologies.
Avec mon collègue Jacques Isabet, maire de Pantin, nous avons lancé un projet,
le « Métafort », nous sommes bien placés pour savoir que, même si des pas réels
sont faits - et je dis bravo ! - nous ne décollons pas encore au niveau
suffisant.
Enfin, cela implique aussi de ne jamais céder, où que ce soit, sur la
création. Pas plus qu'il ne doit y avoir d'écoles pauvres pour enfants de
pauvres il ne doit y avoir deux cultures. Chacune et chacun a besoin du plus,
du « luxe de l'inaccoutumance ». Les mouvements scolaires de la
Seine-Saint-Denis ont cela comme fondamental. Il faut toujours traiter l'homme
dans le pauvre et non le pauvre dans l'homme. Il y a besoin entre le poète et
les autres d'une tension vibrante.
Je pourrais être plus détaillé, mais je dois conclure.
Oui, les nations, dont la France, mais aussi l'Europe, qui affichent une
ambition de civilisation, devraient d'abord, chez elles et au-delà, initier
l'invention et la construction d'un nouvel espace public de création,
d'expression, de citoyenneté et de travail, un espace où opère sans
discrimination le multiple comme richesse de l'humanité, où s'articulent de
manière nouvelle le local, le national et l'international, où s'exprime une
responsabilité publique en matière de culture, de vie, de développement et
d'environnement.
Jusqu'ici, les opérateurs dominants ont été l'attrait de l'argent et celui du
pouvoir. Les sociétés ont besoin, aussi et d'abord, d'autres combustibles. Cela
implique la recherche patiente et audacieuse d'une recomposition des paysages
nationaux et internationaux. Je rêve d'un droit pluraliste devenu l'affaire de
tous.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen et sur les travées socialistes. - M. Adrien Gouteyron applaudit
également.)
M. le président.
La parole est à M. Cluzel.
M. Jean Cluzel.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
après les propos aussi excellents qu'éloquents de mes deux prédécesseurs, et
avant ceux qui seront, je le sais, aussi excellents qu'éloquents de ceux qui me
succéderont à cette tribune, je voudrais apporter modestement ma contribution à
ce très important débat pour dire d'abord que, si la France fait un effort,
sans doute sans équivalent dans le monde, pour la défense et la promotion de sa
langue et de sa culture, les résultats ne sont pas à la hauteur de nos espoirs
et vraisemblablement de nos besoins.
Hier, c'était le renouvellement de la directive Télévision sans frontières et,
par conséquent, la possibilité pour un opérateur d'émettre librement dans
l'espace audiovisuel européen à la seule condition - j'y insiste - qu'il soit
autorisé dans un pays aussi peu regardant qu'il soit quant à l'application des
obligations résultant de la directive.
Aujourd'hui, il faut faire face au projet d'accord multilatéral sur
l'investissement qui a pour objectif de renforcer la protection des
investisseurs et d'encourager la libéralisation des régimes
d'investissements.
Demain, il nous faudra résister au régime trop libéral inspiré par le Livre
vert sur les convergences de la Commission européenne, applicable aux nouveaux
services. Simultanément, il nous faudra batailler contre les effets pernicieux,
sur le plan culturel, du projet de nouveau marché commun transatlantique, même
si les résultats des assises de l'audiovisuel qui se sont tenues à Birmingham
du 6 au 8 avril sur le thème « défis et opportunités du numérique » paraissent
finalement nous avoir confortés dans notre exception culturelle et dans le
respect de celle-ci.
L'émotion suscitée par l'accord multilatéral sur l'investissement, ou plus
exactement par la négociation en cours, est compréhensible, car les mesures en
discussion pourraient anéantir des années d'efforts en vue d'affirmer et de
préserver notre identité culturelle.
La première remarque que l'on peut faire, c'est que le projet, s'il était
adopté, aurait pour conséquence de ruiner toutes les politiques incitatives
mises en place pour favoriser le développement des industries culturelles.
En effet, du fait de l'application des clauses du traitement national ou de
celles de la nation la plus favorisée, les principales compagnies américaines
auraient directement accès au compte de soutien et à tous les programmes
européens d'aide à la création.
En interdisant à un Etat d'imposer à un investisseur étranger un quelconque
engagement concernant la façon dont il réalise son investissement, on
aboutirait pour le secteur audiovisuel, mes chers collègues, au démantèlement
des quotas de diffusion et des obligations de production.
La deuxième idée qui vient tout de suite à l'esprit est que, pour être
efficace, il faut d'abord être lucide, c'est-à-dire voir les choses telles
qu'elles se présentent.
La culture, nous le savons, c'est l'échange. Il faut donc tirer les
conséquences de cette constatation et accepter que l'autre vienne chez nous,
mais à une condition, qu'il nous accepte chez lui.
En d'autres termes, il faut que nous fassions des efforts pour que notre
culture soit comprise, et d'abord souhaitée par les autres.
A cet égard, il ne suffit pas, au nom d'on ne sait quelle exception trop
facilement invoquée, que la France se retranche, une fois de plus, derrière une
autre ligne Maginot - culturelle en l'occurrence - dont chacun sait que, comme
son modèle, elle serait contournée et par conséquent sans efficacité.
A l'ère de l'audiovisuel, la culture est, heureusement, devenue un produit de
grande consommation. A cela je vois un intérêt : il nous est désormais possible
d'atteindre l'égalité culturelle. Dans le grand marché mondial, le consommateur
est devenu roi. S'il ne lisait, n'entendait, ne voyait pas la différence -
bref, s'il ne faisait pas la distinction entre ce qui est produit chez lui et
ce qui est importé -, l'issue du combat ne ferait guère de doute : la culture
française risquerait bien d'être submergée.
La troisième idée est que l'on ne saurait se contenter des incantations - que
l'on pourrait qualifier d'« habituelles » - que l'on entend parfois en
France.
Alors, que faut-il faire ? Les réponses sont simples mais difficiles à mettre
en oeuvre, car il faut se mobiliser à l'intérieur, car il faut chercher à
l'extérieur des appuis auprès de nos partenaires, qu'ils soient Européens,
Canadiens ou d'Amérique du Sud. Il faut trouver la bonne solution entre une «
bunkérisation » irréaliste et la soumission complaisante au complexe
médiatico-financierinternational.
Face à la déferlante américaine, le maintien de notre culture suppose, à
l'évidence, une réelle mobilisation de nos forces, de toutes nos forces, et,
d'abord, de la lucidité et du courage mis au service de ces forces.
A nous de faire préférer la culture française, pourrait-on dire en plagiant la
formule sans complexe d'une toute récente campagne de publicité.
Ce qui est vrai à l'échelle du monde l'est tout autant sur notre propre sol,
car cette action, il faut d'abord la mener à l'intérieur de nos frontières,
auprès des jeunes ; c'est dès l'école que tout se joue et que peut se créer
cette véritable citoyenneté culturelle.
A nous de faire que les produits importés d'outre-Atlantique, diffusés au
cinéma ou à la télévision, ne constituent pas le commun dénominateur culturel
qui ferait le lien social de la France au xxie siècle.
Certes, on ne peut ignorer les évolutions du monde balayant toutes les digues
que nous croirions avoir construites pour l'éternité. Mais on ne doit pas pour
autant accepter comme un fait presque accompli l'irrésistible montée en
puissance des lois du marché.
Là, nous sommes au coeur du débat, car il est parfaitement possible, à
certaines conditions, d'accepter le jeu du marché sans se plier à la
dérégulation à outrance voulue par les grands groupes américains. Ceux-ci
s'avancent masqués derrière les idéaux de liberté, de créativité, mais pour
imposer leur pouvoir. A nous d'aider nos partenaires à ouvrir les yeux.
En définitive, l'essentiel est que l'Union européenne garde la possibilité de
différencier entreprises européennes et non européennes dans tous les domaines
où il existe des politiques communes, à commencer bien sûr - monsieur le
ministre, vous ne m'en voudrez pas de les nommer - par l'agriculture et la
pêche où les Etats ont, comme en matière culturelle, développé des politiques
spécifiques.
La France et ses partenaires européens ont le droit et le devoir de l'exiger
alors que les Etats-Unis eux-mêmes - M. Gouteyron l'a très bien dit et Jack
Ralite également - ont déposé une liste de réserves dérogatoires, qu'ils
appellent la liste B, aux accords en cours de négociation. Cette liste
permettrait de maintenir des discriminations en faveur de leurs ressortissants,
notamment dans le domaine des subventions des marchés publics et des
communications.
Mais, ce sera le quatrième point, la défense de l'exception culturelle ne doit
pas être transformée en un protectionnisme culturel doublé d'un
antiaméricanisme de mauvais aloi.
Deux aspects, me semble-t-il, doivent être soulignés et je suis heureux de la
présence du président de la commission des affaires étrangères du Sénat pour
insister sur ce point.
Les méthodes américaines, leur évidente efficacité à condition de les adapter
à nos mentalités, seraient de nature à dynamiser la production audiovisuelle
européenne. Le malthusianisme est un risque mortel. L'exemple de la création
des multiplexes et la revitalisation du cinéma qui en est, semble-t-il,
résultée, prouve les effet bénéfiques de la concurrence, à condition qu'elle
soit organisée.
Il faut donc convaincre nos compatriotes des bienfaits du dynamisme et les
inciter à ne pas confondre les intérêts d'un certain microcosme
médiatico-culturel avec ceux de l'économie et de la culture française. Le
président de la commission des affaires culturelles y incite sans arrêt, et je
l'en remercie. Le protectionnisme n'est pas forcément la seule et unique
réponse à apporter à tous les problèmes.
Ne nous trompons donc pas d'enjeu. Les aides au cinéma, les quotas de
production nationale, qu'ils concernent les fictions présentées à la télévision
ou la chanson sur les radios, ne suffiront pas à protéger durablement notre
culture et nos industries culturelles.
En dépit de toutes les aides, le déficit audiovisuel de l'Europe vis-à-vis des
Etats-Unis a pratiquement doublé en cinq ans - cela, mes chers collègues, il
faut bien le savoir - pour atteindre l'an dernier 5,6 milliards de dollars. Ce
déséquilibre n'est pas nouveau, mais il intervient dans un contexte qui en
exacerbe les enjeux : l'audiovisuel et le cinéma représentent aujourd'hui pour
les Etats-Unis le plus gros poste à l'exportation, avant l'aéronautique et la
chimie, tandis que le marché européenn, lui, est en très forte croissance. Par
conséquent, la progression américaine s'étend tout naturellement sur le marché
européen, principale zone de développement.
Tous ces chiffres nous démontrent, une fois de plus, que les batailles
économiques se gagnent non à coups de règlements ou de crédits budgétaires
supplémentaires, mais en rendant plus attractif à l'internationalisation notre
appareil de production, nos programmes, nos films.
Nous devons savoir que, dans le domaine audiovisuel, aujourd'hui global et
mondial, il est impossible d'imposer ses propres règles du jeu aux autres. Il
faut croire que l'on peut y parvenir, sinon c'est exposer à la marginalisation
économique et culturelle, et, tôt ou tard, au dépérissement.
J'en arrive monsieur le secrétaire d'Etat, aux questions que je souhaite vous
poser.
Il ne faudrait pas prendre prétexte de la complexité de la matière pour
évacuer les problèmes politiques, car c'est là où la politique nous rejoint. Il
faut y voir clair et, pour cela, que le Gouvernement et le Parlement dialoguent
: nous le faisons ce matin.
Premièrement, que souhaite faire le Gouvernement ? Les Français - et en tout
premier lieu les milieux de la création - tout comme le Parlement, ont le droit
de savoir ce qui est, pour le Gouvernement, acceptable dans un accord
international sur l'investissement dans le domaine culturel et audiovisuel.
Deuxièmement, quel jeu joue la Commission de Bruxelles, qui apparemment se
montre fort discrète, on l'a dit tout à l'heure, en cette affaire ? Certes, la
matière relève des compétences partagées, nous le savons, mais les convictions
libre-échangistes de la Commission - elle n'en fait pas mystère - pourraient
empêcher notre pays de trouver les alliés dont il a besoin. Sur ce point,
monsieur le secrétaire d'Etat, nous serons heureux, mes collègues et moi-même,
que vous nous disiez quelle est votre conception et quelle est votre analyse
sur la position de la Commission.
Troisièmement, en écho à ce que disait M. Gouteyron tout à l'heure, quel peut
être le souhait du Parlement dans cette affaire ?
Je crois que ce souhait peut se résumer en trois mots : clarté, vigilance et
réalisme.
Clarté, notre débat va y contribuer.
Vigilance, car on a vraiment l'impression que cet accord n'est pas une
tentative isolée pour imposer un ordre économique ultralibéral contraire à nos
traditions comme à nos intérêts. Il nous faut résister à une offensive
d'ensemble des tenants de la déréglementation à tous crins. On l'a vu lors de
la rencontre de Birmingham les 6, 7, et 8 avril derniers, à l'occasion d'une
réunion informelle entre M. Murdoch, les ministres et les autres délégués. Les
souhaits exprimés par M. Murdoch étaient sans ambiguïté.
Réalisme, enfin, car il nous faut aller résolument nous asseoir à la table des
négociations.
Notre intérêt est de nous faire comprendre des Américains et de tenter de les
comprendre. Les occasions ne manquent pas. Ainsi, à la fin du mois de juin, le
Premier ministre, M. Lionel Jospin, accompagné de M. Dominique Strauss-Kahn, si
je suis bien renseigné, doit rencontrer le président Bill Clinton, à
Washington.
Dans le domaine audiovisuel, sous nos yeux, les Etats-Unis passent de la
position de suprématie - ils étaient les meilleurs - à une situation
pratiquement hégémonique. Ils risquent en effet d'être à peu près les seuls à
dominer le marché mondial.
Nous savons, pour le regretter, que le nombre d'Américains qui s'intéressent
vraiment à la France est relativement faible. Nous savons, par ailleurs, que
les résultats économiques, financiers et sociaux actuels des Américains les
confortent dans leur position. Ils sont ainsi convaincus d'avoir trouvé les
bonnes réponses pour lutter contre le chômage, tout en réduisant les problèmes
sociaux dramatiques qu'ils connaissaient il y a encore quelques années.
Ils ne comprennent donc pas notre protectionnisme, ils ne comprennent pas
davantage pourquoi nous sommes opposés à une libéralisation du commerce dans
des secteurs aussi sensibles que l'agriculture, la défense aussi bien que la
culture, le cinéma et l'audiovisuel.
Les Américains risquent naturellement de voir dans cette attitude française
une nouvelle manifestation d'anti-américanisme viscéral. Il est important de
leur faire comprendre que tel n'est pas le cas.
Dans un entretien qui paraîtra prochainement dans un magazine, notre Premier
ministre explique que la France n'a nullement l'intention de renoncer à son
identité culturelle nationale pas plus qu'à sa vision des relations
internationales, et M. Lionel Jospin de conclure : « Si les Français ne sont
pas d'accord avec la façon de penser des Américains, ce n'est pas pour autant
qu'ils soient anti-américains. »
Ce constat doit recueillir l'accord unanime de l'ensemble des groupes
politiques, depuis l'Elysée jusqu'au Sénat, en passant par l'Assemblée
nationale et l'ensemble du Gouvernement.
En fait, les Américains ont besoin d'entendre un discours franc et clair car,
depuis de nombreuses années, les préjugés qui se sont accumulés aux Etats-Unis
concernant la France ne disparaîtront pas du jour au lendemain. Nous devons
attendre beaucoup de la rencontre entre Lionel Jospin et Bill Clinton, pour
améliorer l'image de la France aux Etats-Unis de telle sorte que, si nous
faisons un effort pour comprendre les Américains, ils en fassent un pour nous
comprendre et afin de leur faire admettre que nous n'accepterons jamais
d'immoler notre culture sur l'autel du libre-échangisme culturel.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR, des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur celles du groupe
socialiste.)
M. le président.
La parole est à M. Delaneau.
M. Jean Delaneau.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, au
nom de mon groupe, je tiens d'abord à remercier M. Gouteyron d'avoir pris
l'initiative de susciter ce débat sur les conséquences de l'accord multilatéral
sur l'investissement.
En effet, au cours de ces derniers mois, les sociétés d'auteurs et les
professions du spectacle se sont mobilisées contre ce projet qui, selon elles,
menace notre « exception culturelle ». Elles ont d'ailleurs eu l'occasion de
s'exprimer devant notre commission des affaires culturelles.
Comme elles, les sénateurs du groupe des Républicains et Indépendants
considèrent qu'il est légitime de préserver notre dispositif d'aide à la
création audiovisuelle et ses mécanismes de diffusion.
Cette attitude de fermeté ne doit cependant pas nous conduire à négliger les
autres aspects d'un projet qui, s'il est multilatéral, est aussi
multisectoriel.
L'affaire est en effet beaucoup plus complexe qu'il n'y paraît et nous devons
nous garder d'une vision trop réductrice. Si la France a beaucoup à perdre,
elle a aussi beaucoup à gagner.
Je souhaite donc bien distinguer dans mon propos ce qui relève, d'une part,
des principes et, d'autre part, des modalités.
Sur le plan des principes, la France ne doit pas avoir peur d'un accord
multilatéral sur l'investissement.
En premier lieu, il faut rappeler que notre pays est au troisième rang mondial
pour l'accueil des capitaux d'origine étrangère, qui ont représenté plus de 68
milliards de francs en 1996. On estime de plus que près de 23 000 emplois ont
été sauvés ou créés en 1996 grâce à des investissements étrangers. Au total,
les entreprises étrangères emploient d'ailleurs plus de 30 % des salariés
français.
A l'inverse, la France est au cinquième rang pour les investissements à
l'étranger. Les sociétés françaises investissent en moyenne plus de 50
milliards de francs hors de nos frontières pour acheter des entreprises, créer
des structures de production ou développer leur réseau commercial.
Notre pays se trouve ainsi dans une situation paradoxale. La mobilisation des
intellectuels français en faveur de la défense de « l'exception culturelle » a
tendance à cacher une réalité nationale : la France n'est pas un pays
protectionniste. Elle est au contraire l'un des pays les plus ouverts sur le
monde, pour les investissements comme pour la culture. Elle a donc, plus que
d'autres, intérêt au libre-échange et à la définition de règles multilatérales
et protectrices.
Dans ces conditions, nous ne pouvons qu'approuver l'objectif initial de l'AMI
d'offrir aux investissements internationaux des règles uniformes concernant à
la fois l'accès au marché et la sécurité juridique.
L'élimination des barrières et des distorsions aux flux d'investissements
ainsi qu'une meilleure répartition des ressources peuvent favoriser une plus
forte croissance économique, davantage d'emplois et des niveaux de vie plus
élevés.
Pour protéger ses entreprises, la France a, là encore, beaucoup à gagner d'un
ensemble complet et cohérent de « règles du jeu » gouvernant l'investissement.
L'accord multilatéral sur l'investissement est accusé de viser à transférer la
souveraineté des Etats et des peuples au profit des entreprises
multinationales. Or les études montrent que l'AMI bénéficierait surtout aux
PME, qui ont le plus besoin d'un système multilatéral simplifié garantissant la
protection de leurs investissements à l'étranger. En effet, ces entreprises ne
disposent pas des moyens juridiques et de la puissance financière qui
permettent déjà aux sociétés multinationales d'adapter leurs investissements
selon les pays et de régler leurs différends au plus haut niveau des Etats.
Je souhaite souligner un troisième point qui me semble important : le débat se
concentre essentiellement en Europe, aux Etats-Unis et au Canada, où il
n'existe guère de problèmes entre investisseurs et pays hôtes.
En réalité, l'intérêt principal d'un accord multilatéral sur l'investissement
semble résider en Asie, continent qui reste une terre imprévisible pour les
investisseurs occidentaux.
Au total, en tant que libéraux et en tant que Français, nous approuvons le
principe d'un tel accord.
Une fois posée la question de principe, reste celle des modalités.
Sur ce point, le groupe des Républicains et Indépendants considère que, en
l'état, l'AMI n'est pas acceptable.
La défense de notre identité culturelle vient au premier rang de nos
préoccupation.
La reconnaissance de l'exception culturelle défendue par la France, le Canada,
la Belgique, l'Italie, l'Espagne et l'Australie découle de la volonté légitime
de protéger le secteur de la création de l'influence grandissante des
multinationales de l'audiovisuel.
Le principe général de non-discrimination de l'accord multilatéral sur
l'investissement peut remettre en cause certaines aides publiques, notamment
dans le cinéma. Il y a quelques semaines, je me suis entretenu par téléphone
avec le grand producteur Anatole Daumann qui est, malheureusement décédé
récemment. Il me disait alors son souci de voir ce texte ne pas venir amputer
la créativité et la potentialité très grandes de la production
cinématographique française actuelle.
Cependant, des exceptions spécifiques prévues par l'AMI fournissent le cadre
d'un compromis qui pourrait prolonger celui qui avait été obtenu lors des
négocations du GIAT, en 1993.
Selon certaines informations, le secteur audiovisuel bénéficierait d'une large
exemption, même si la culture est en principe incluse dans le champ de
l'accord. Je souhaiterais, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous nous donniez
des précisions sur ce point essentiel.
J'aimerais aussi avoir votre sentiment sur la pertinence de la notion «
d'exception culturelle » que la France souhaite inclure dans l'AMI. Nos amis
canadiens disposent de ce type de clause avec l'ALENA et semblent en avoir
éprouvé les limites, encore que l'ALENA ne soit pas encore totalement mise en
place.
Une notion trop floue peut aisément être contournée et le Gouvernement devrait
certainement défendre une position plus claire.
Au-delà de l'exception culturelle, je voudrais aborder trois autres points de
blocage qu'il convient de ne pas négliger. Le premier concerne l'attitude
américaine, le deuxième porte sur l'Europe et le troisième a trait aux clauses
sociales et environnementales.
Je voudrais là encore souligner la situation paradoxale dans laquelle se
trouve la France. Notre pays, qui défend son identité culturelle, donne
l'impression de vouloir se refermer sur lui-même face à une Amérique qui s'est
faite la championne du libéralisme et de l'ouverture.
Or, contrairement à l'image qu'ils véhiculent, les Etats-Unis montrent des
tentations protectionnistes certaines et, bien qu'à l'origine de la négociation
sur l'AMI en 1995, ils ont déposé plus de 300 pages de réserves et tentent de
préserver les règles discriminatoires en vigueur dans les Etats fédérés.
En réalité, le débat ne se limite pas à une opposition entre l'Europe et
l'Amérique. Partisans et adversaires de l'AMI s'affrontent également aux
Etats-Unis, où le lobby protectionniste est très actif.
A cela s'ajoute le problème des lois américaines d'extra-territorialité qui
autorisent Washington à prendre des sanctions contre les sociétés étrangères
opérant aux Etats-Unis, si elles investissent en Iran, en Libye ou à Cuba.
L'Union européenne refuse par principe que les Etats-Unis puissent prendre de
telles mesures à l'égard de décisions d'investissement prises en dehors de leur
territoire.
En tant que libéraux, nous condamnons, nous aussi, ces lois qui sont
contraires au droit international. Elles peuvent conduire à une rupture
autrement plus sérieuse que sur la question culturelle, qui a déjà fait l'objet
d'un compromis par le passé.
Nous sommes des Européens convaincus et nous nous inquiétons également des
conséquences que pourrait avoir l'AMI sur la construction communautaire.
Notre groupe souhaite que la capacité de l'Union européenne et de ses futurs
adhérents à poursuivre leur intégration soit préservée.
L'Union européenne doit pouvoir garder la possibilité de différencier les
entreprises européennes et les entreprises étrangères. Il s'agit là, pour nous,
d'une condition essentielle et préalable à tout accord sur l'AMI.
Le troisième sujet d'inquiétude concerne les clauses sociales et
environnementales.
De nombreux pays demandent que soit proscrite la concurrence pour attirer les
investissements étrangers par l'abaissement des normes sociales ou des règles
de protection de l'environnement.
Notre groupe approuve l'inclusion de clauses sociales et environnementales
pour empêcher une surenchère à la dérégulation. En revanche, il s'opposera à
toute remise en cause des lois et réglementations existantes. Les entreprises
étrangères doivent respecter les normes sociales et environnementales
fondamentales, sans pouvoir contester des dispositions légales qui s'appliquent
à elles comme aux autres entreprises.
Monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la position du groupe des
Républicains et Indépendants est claire en ce qui concerne l'AMI : oui au
principe d'un accord multilatéral sur l'investissement qui protège nos
entreprises à l'étranger et favorise l'emploi en France, non aux modalités de
l'accord tel qu'il se présente aujourd'hui car elles menacent l'identité
culturelle française, la spécificité européenne et certaines avancées en
matière sociale et environnementale.
A partir de là, plusieurs questions se posent, auxquelles je souhaiterais que
vous puissiez répondre, monsieur le secrétaire d'Etat.
Ma première question porte sur le principe d'un accord multilatéral sur
l'investissement.
Monsieur le secrétaire d'Etat, votre position - ou du moins celle du
Gouvernement - a sensiblement évolué depuis le début de l'année. Vous
considériez alors le projet de l'AMI comme globalement positif, avant de vous
rétracter et d'adopter une attitude qui nous a paru franchement hostile. Je
souhaiterais savoir, sur le fond, si vous êtes ou non favorable au principe
d'un accord qui viserait à protéger et à libéraliser l'investissement en
limitant les discriminations entre investissements étrangers et nationaux.
Ma deuxième question porte sur les modalités d'un tel accord. En 1993, il a
fallu toute la détermination du gouvernement d'Edouard Balladur et de la
majorité UDF et RPR pour que la France obtienne des garanties en matière
culturelle. Quelles assurances le Gouvernement peut-il nous donner pour qu'il
en soit de même aujourd'hui sur les plans culturel, européen, social et
environnemental ?
Je reviens en particulier sur le flou de la notion d'« exception culturelle ».
Ne serait-il pas préférable, plutôt que de brandir cette formule, de consolider
nos positions ?
Ma troisième et dernière question porte sur les perspectives des négociations.
En l'état actuel des choses, l'accord multilatéral sur l'investissement a très
peu de chances, dans l'immédiat, d'être signé, la date du 28 avril étant,
d'après ce que j'ai pu lire voilà quelques jours, d'ores et déjà considérée
comme une simple étape ; trop d'obstacles subsistent encore.
Mais si la menace n'est, semble-t-il, plus aussi proche, elle n'a pas pour
autant disparu. D'autres échéances interviendront à l'échelon européen ou à
celui de l'Organisation mondiale du commerce.
Nous sommes, par exemple, très vigilants s'agissant de la proposition de créer
une zone de libre-échange trans-atlantique formulée par Leon Brittan ou encore
de la récente proposition de directive européenne sur les droits d'auteur.
Dans ces conditions, je souhaiterais savoir si le Gouvernement compte adopter
une position plus claire, plus cohérente et surtout plus constante que celle
qui fut la sienne au cours des six derniers mois. C'est en effet à ce prix, et
à ce prix seulement, que la France pourra être écoutée et entendue en Europe et
dans le monde.
A cet égard, M. Cluzel disait tout à l'heure qu'il nous fallait des alliés. Il
se trouve que je me suis entretenu de ce problème il y a moins de quarante-huit
heures avec le ministre des relations internationales et de la francophonie du
Québec, M. Sylvain Simard.
J'ajoute que l'alliance très forte qu'avait nouée en 1993 notre ministre de la
culture d'alors, M. Jacques Toubon, avec son homologue québécois, Mme Liza
Frulla-Hébert, avait permis, justement, de sauvegarder un certain nombre de
points essentiels pour nous.
Telles sont, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, les
observations qu'au nom de mon groupe j'ai tenu à formuler.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, de l'Union
centriste et du RPR.)
M. le président.
La parole est à M. Vidal.
M. Marcel Vidal.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je
me réjouis que nous puissions aujourd'hui débattre ensemble de cet « AMI », qui
suscite tant d'inquiétudes et d'incertitudes bien légitimes.
L'accord multilatéral sur l'investissement, il faut le souligner, a au moins
un mérite, celui de soulever une telle mobilisation et tant de réactions
unanimes et solidaires à son encontre.
Les incidences de l'AMI sur les droits des Etats sont extrêmement étendues.
L'accord est ainsi susceptible de porter atteinte à toutes politiques
originales économiques ou sociales, comme la législation du travail ou les
aides aux emplois. J'en ai tout à fait conscience, mais je voudrais devant vous
concentrer mon propos sur ses implications dans le domaine culturel.
Une fois encore, la France s'est conduite en exemple dans la protection de la
culture et de sa richesse. Les milieux artistiques et politiques confondus se
sont unis pour que ne soit pas remise en cause « l'exception culturelle »,
arrachée de haute lutte, déjà, lors des négociations du GATT.
Parce que le champ d'application de l'accord multilatéral sur l'investissement
est large et que les possibilités de dérogation des Etats sont limitées, parce
que tous les secteurs sont inclus, sauf à ce qu'ils soient expressément exclus
de celui-ci, par l'introduction de réserves nationales spécifiques, parce que
toutes les formes d'investissement sont concernées, y compris les biens
incorporels, et donc les oeuvres de l'esprit qui nous tiennent tant à coeur,
parce que, enfin, la définition de l'investissement est extensive et qu'il en
découle que toutes nouvelles formes d'investissements susceptibles d'émerger
dans le futur, telles que les nouvelles technologies, entreront automatiquement
dans le champ de l'AMI, je le soutiens avec netteté : les menaces qui pèsent
sur le secteur culturel et audiovisuel sont bien réelles !
Pire, au travers de la propriété littéraire et artistique, ce ne sont pas
seulement les industries du cinéma et de l'audiovisuel qui sont concernées,
c'est le champ culturel dans son ensemble.
Avec la clause du traitement national et celle de la nation la plus favorisée,
toutes législations, réglementations ou dispositifs d'aide en matière de
spectacle vivant, d'arts plastiques ou de circulation des oeuvres d'art
pourraient voler en éclat ou se vider de leur sens.
Que signifieraient, en effet, les aides du Centre national de la
cinématographie, CNC, si les studios d'Hollywood venaient désormais à en
bénéficier ? Que deviendraient nos quotas d'oeuvres françaises et européennes à
la télévision ou la loi française instaurant 40 % de chanson francophone à la
radio ?
A quoi, enfin, rimerait le projet de loi sur les spectacles vivants, destiné à
rénover l'ordonnance de 1945, qui est à l'ordre du jour au Sénat, si on ne
pouvait l'appliquer ?
C'est la raison pour laquelle, je le confirme, la seule position politique
possible est celle de l'exception culturelle et de l'exclusion de la propriété
intellectuelle des négociations. C'est, du reste, la position de principe
clairement affichée dès le début par le gouvernement français.
Le nouveau gouvernement l'a maintenu et confirmé avec fermeté : « Il n'y aura
pas d'accord si le principe de l'exception culturelle doit être remis en cause
». Vous l'avez dit, monsieur le ministre. Vous avez affirmé que « cette
négociation ne pourra être conclue que si ces résultats représentent des
avantages réels pour les entreprises françaises et leurs salariés », et vous
avez ajouté qu'« il n'y aura pas d'accord si les résultats obtenus dans
d'autres négociations internationales dans le domaine culturel devaient être
remis en cause ».
Mieux, depuis son entrée en fonction, le Gouvernement - notamment Mme
Catherine Trautmann, en sa qualité de ministre - n'a eu de cesse de lutter
concrètement pour défendre cette ligne de conduite auprès des professionnels de
la culture comme de nos partenaires européens, et d'en tenir informés aussi
bien les citoyens que les parlementaires, par plusieurs réunions, colloques et
auditions.
Ce combat permanent, il convient de l'admettre, a jusqu'à ce jour été fort
utile : la France a demandé l'inscription, dans l'accord, d'une exception
culturelle et a su rallier à sa cause le Canada, la Belgique, le Portugal et,
dans une moindre mesure, l'Italie, la Grèce et l'Australie. Contrairement à ce
qu'on a pu comprendre, le Gouvernement a précisé spécifiquement qu'il ne se
contenterait pas d'une clause de réserve, mais qu'il chercherait l'exclusion
générale de la culture du champ de l'accord. Cela a son importance et doit être
souligné, car chacun sait que les réserves sont fragiles et destinées à
disparaître, à terme, du fait des procédures de réexamen prévues.
Nous devons également nous féliciter de l'existence d'une prise de conscience
au niveau européen, avec, pour preuve récente, la résolution adoptée au
Parlement européen et les amendements déposés par la commission de la culture,
soucieuse d'empêcher qu'une adhésion à l'AMI dans le secteur culturel n'entrave
une application correcte de la législation communautaire et ne sape les
diverses initiatives prises dans les secteurs culturel et audiovisuel.
Certes, des incertitudes et des inquiétudes demeurent, et il nous faut donc
rester très attentifs car, si l'AMI apparaît actuellement en grande difficulté,
d'autres négociations peuvent avoir des incidences sur le secteur culturel. Je
citerai notamment le traité transatlantique, le NTM, qui vient d'être présenté
au Conseil de l'Union européenne, soutenu par le commissaire européen sir Leon
Brittan, et qui fait l'objet d'une opposition très ferme de la France. Bien que
la culture soit en principe exclue du champ d'application, les Etats-Unis se
sont déjà déclarés favorables à l'intégration du secteur audiovisuel, et l'on
doit s'attendre à ce que le respect de sir Leon Brittan pour l'exception
culturelle soit tout relatif.
Evoquons également la prochaine négociation del'Organisation mondiale du
commerce, qui devra s'engager au plus tard d'ici à l'an 2000, ou encore le
Livre vert
de la commission européenne sur la convergence, qui
procèdent, tout comme l'AMI, d'une démarche niant la valeur de l'oeuvre
artistique pour la considérer comme un produit de consommation.
En conclusion, je tiens à attirer aussi votre attention, monsieur le
secrétaire d'Etat, sur le fait que, s'il convient de conserver une extrême
vigilance pour sauvegarder l'exception culturelle, il faut prendre également
garde à identifier le champ des activités artistiques et culturelles
susceptibles d'en bénéficier, dans la mesure où les Etats-Unis ont une
conception très vaste du commerce, qui peut englober aussi bien le théâtre
classique que les activités de la compagnie Disney.
Je rejoins donc en cela le projet de résolution du conseil d'administration de
« Villes et cinémas en Europe », réuni à Berlin le 20 février dernier, qui, «
considérant qu'entre les fortes périodes de mobilisation générées par
l'imminence de la signature d'accords commerciaux, il y a relativement peu
d'avancées pour que soit précisée la notion de spécificité culturelle par
rapport à la loi du marché, émet le voeu que le Parlement européen se saisisse
de la question et aboutisse à une définition claire de la notion de
"produit culturel", produit qui doit concourir, non à la croissance
du commerce international, mais au développement de la civilisation ».
(Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur les travées du
groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Sérusclat.
M. Franck Sérusclat.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je
veux à mon tour intervenir sur ces projets dont on vient de parler si
longuement, mais en m'éloignant totalement du secteur culturel sur lequel tout
a été dit. En citoyen ordinaire, presque un peu néophyte dans ce domaine, je
souhaite formuler quelques réflexions et demander quelques explications sur
tout le reste.
Après avoir eu la réponse de M. le ministre de l'économie à une question posée
par M. Yves Cochet à l'Assemblée nationale, une incertitude m'inquiète.
Le ministre a en effet dit que l'accord en question ne modifiera en rien notre
législation nationale, et je vous remercie de me permettre de le préciser pour
éviter toute confusion. Ce n'est pas un accord de réglementation, c'est un
accord de non-discrimination. C'est une nuance, mais une nuance forte sur
laquelle il serait peut-être bon de faire une analyse sémantique.
Après avoir dit qu'en définitive cet accord ne présentait pas un grand danger,
il a ajouté qu'il n'était pas sûr que le Gouvernement le signerait. « Nous le
signerons s'il est bon ! » a-t-il conclu. Cette position incertaine m'inquiète.
En effet, selon lui, d'un côté, il n'y a pas de risques du fait que c'est un
accord de non-discrimination, mais, de l'autre, il y en a suffisamment pour se
demander s'il faut le signer ! J'aimerais donc avoir quelques éléments de
clarification en ce domaine. C'est le premier point de mon intervention.
J'ai un autre sujet d'inquiétude : c'est la présence de M. Léon Brittan, un
homme d'une qualité intellectuelle certaine, d'une grande capacité
d'organisation, de compréhension, de présentation, mais en même temps d'une
duplicité tout aussi évidente. Il n'arrive pas à cacher son origine politique
fondamentale qui est thatchérienne. Pour lui, la place laissée à l'homme au
travail est tellement minimisée que la flexibilité, qui correspond aujourd'hui
à ce qu'on appelait autrefois « être corvéable à merci », est une réalité !
L'insécurité du travail, la précarité et la faiblesse de la rémunération sont
la règle.
Même si Tony Blair a apporté, ces temps-ci, quelque atténuation à tout cela,
il n'empêche que le travailleur anglais est dans une situation que personne en
fait n'envie, et si, chez nous, certains veulent aller travailler en
Grande-Bretagne, ils s'aperçoivent très vite que ce n'est pas aussi
satisfaisant qu'ils l'avaient imaginé.
En définitive, la « main invisible », qui n'est pas autre chose que le désir,
la décision de produire le plus possible au moindre coût pour assurer profits
et bénéfices au capital, aujourd'hui à ceux qui s'en trouvent bien, les petits
actionnaires, cette main invisible est en fait devenue bien visible !
Ces petits actionnaires qui, aujourd'hui, représentent une masse imposante et
qui, issus, la plupart du temps, de milieux modestes, voient leur situation
améliorée par la progression des actions, sont peut-être les plus grands
défenseurs de cette main invisible qui impose une conception libérale du
capital, celle d'un libéralisme effréné devenu véritablement effronté, que rien
n'inquiète et que rien n'arrête.
Devant cette situation, que j'ai un peu schématisée, sans la caricaturer pour
autant, je souhaite poser quelques questions au Gouvernement pour savoir
comment il va se comporter face à une proposition d'accord, l'AMI, qui a été
élaborée entre vingt-neuf pays riches, peut-être prêts à exploiter les pays
pauvres dans ce domaine, accord qui peut nous mettre dans des situations
difficiles.
Cette proposition a été élaborée en secret : pendant deux ou trois ans,
personne n'en a parlé. Cent quatre-vingt-dix pages ont été écrites. Je n'ai pas
eu le courage de les lire toutes. Je pense que vous en avez fait l'analyse
exhaustive, monsieur le secrétaire d'Etat, aidé par des collaborateurs qui ont
pu mettre en évidence les points les plus importants. En tout cas, cette
proposition marque une étape dans l'avancée du libéralisme qui me paraît
particulièrement importante et inquiétante.
En effet, il est indéniable qu'aujourd'hui les vingt-neuf pays participant à
l'accord accepteraient que les investisseurs viennent s'installer chez eux en
ne respectant que les exigences de leur conception de la façon de produire, au
détriment de celui qui travaille dans la production. Cette conception touche
tous les secteurs de la vie, que je résumerai, sans les énumérer, en quelques
mots : les droits de l'homme au travail.
Je me contente de faire cette référence, sachant que vous connaissez autant
que moi ces droits principaux que les investisseurs mettraient en péril. Il
s'agit surtout de la souveraineté de l'Etat et, au-delà, d'une souveraineté
beaucoup plus importante à mes yeux, celle du citoyen. Effectivement, dans
cette conception, le citoyen en tant que tel est négligé. Il est simplement
considéré comme le travailleur soumis aux exigences.
Peut-on accepter aujourd'hui, monsieur le secrétaire d'Etat, que la légalité
étatique, notre législation dans tous les domaines - social, économique et
politique - soit méprisée à ce point ? Peut-on accepter qu'un investisseur
n'obtenant pas, peut-être de par sa faute, les résultats qu'il escompte,
demande à l'Etat de payer pour lui ?
Non, tout cela nous ne pouvons l'accepter, et il y a des raisons très fortes
de refuser d'entrer dans un tel processus.
Cela ne signifie pas qu'il ne faut pas discuter. En effet, M. Cluzel a déjà
évoqué l'intérêt et le rôle des investisseurs étrangers chez nous et des
investisseurs français ailleurs ; ils sont effectivement facteurs de
développement. Depuis 1981, la France est bien entrée dans cette évolution,
avec une préférence européenne toutefois, pour aller dans le sens de ce
développement, mais avec des investisseurs respectant ses décisions.
C'est vrai que l'aspect culturel est significatif, mais les autres me
paraissent encore plus dangereux. Et M. Brittan prend en la matière également
de grandes libertés avec sa responsabilité réelle, son poste officiel réel en
se substituant la plupart du temps non seulement à la commission mais même aux
Etats pour favoriser d'autres négociations avec le NTM. Celui-ci d'ailleurs, en
lui-même, m'inquiète presque plus.
En effet, il représente la percée des conceptions américaines dans la vie
habituelle des Français, l'invasion du droit de l'homme américain, d'une
conception américaine qui tend à soumettre à sa façon de vivre, depuis
MacDonald's jusqu'à Coca-Cola, l'ensemble des pays, dont la France. Et cela me
semble presque plus dangereux que l'accord avec les 29 autres pays.
En tant que simple citoyen, je m'inquiète, peut-être exagérément, de ces
évolutions. Il est logique et raisonnable que, peu à peu, le monde entier
s'organise dans une interaction et que cela éloigne au moins les risques de
guerre et de violence que nous avons connus.
L'Europe vient de donner une image extrêmement forte de cette évolution. Mais
il faut aussi qu'elle reste prudente, qu'elle soit en état de se constituer
comme une unité européenne, politique, économique et sociale. Ensuite,
progressivement, elle pourra établir des accords plus importants, en tout cas
plus étendus.
Toutefois, aujourd'hui, au nom de cette Europe à construire et de la place que
la France doit y occuper, nous devons être très vigilants devant cette percée
forte, accompagnée de moyens indiscutablement efficaces, du monde américain,
lequel utilise aussi bien les traités comme celui que nous connaissons que
l'espace : il prend une place telle qu'il finit, là aussi, par dominer. C'est
le problème qui a été soulevé par tous les orateurs qui m'ont précédé à cette
tribune.
(Applaudissements sur les travées socialistes et sur les travées du groupe
communiste républicain et citoyen. - M. Cluzel applaudit également.)
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat au budget.
Monsieur le président, mesdames, messieurs
les sénateurs, je suis heureux de participer à ce débat relatif à l'accord
multilatéral sur l'investissement, qui a été lancé par M. Gouteyron et qui a
été enrichi par les contributions diverses, fortes, parfois passionnées mais
toujours sages de MM. Ralite, Cluzel, Delaneau, Vidal et Sérusclat.
J'organiserai ma réponse autour de trois thèmes.
En premier lieu, j'examinerai le projet d'accord multilatéral sur
l'investissement dans tous ses aspects.
En deuxième lieu, je répondrai à la demande d'information sur cette
négociation en cours, qui a été exprimée particulièrement par M. Gouteyron.
En troisième lieu, je traiterai des aspects culturels, notamment de
l'exception culturelle sur laquelle vous avez tous insisté avec force.
Enfin, en conclusion, je présenterai quelques remarques sur le libre-échange
transatlantique et sur le rôle de la Commission.
Je commence donc par évoquer la négociation qui a débuté en 1995 au sein de
l'OCDE et à laquelle la France participe, sans avoir
a priori
aucune
objection de principe à formuler, comme l'a dit M. Gouteyron.
Depuis 1948, depuis la mise en place du GATT, des règles organisent le
commerce international, règles qui ont été amplifiées et étoffées en 1994 par
l'accord de Marrakech.
Les investissements directs se développant du fait de l'internationalisation
des économies, il est légitime que les Etats cherchent à définir en la matière
des règles sur une base de réciprocité.
Comme l'a rappelé M. Delaneau, la France est la quatrième puissance économique
mondiale. Nous accueillons heureusement sur notre territoire de nombreuses
entreprises à capitaux étrangers. Elles représentent 30 % des investissements
et 25 % des emplois industriels. Parallèlement, nos entreprises participent
activement au développement de l'économie mondiale. Elles investissent
massivement à l'étranger. Notre pays est donc directement intéressé par une
négociation sur l'investissement international.
En effet, faute de règles et d'un minimum de discipline internationale, nous
serions soumis à la loi pure et simple du marché. Or l'affaire Hoover, dont
certains se souviennent, montre que, même au sein de l'Union européenne, le
déplacement d'investissements manufacturiers peut donner lieu à des
concurrences exacerbées.
En l'absence d'une discipline internationale, des Etats qui se croient plus
forts que les autres pourraient prendre des sanctions unilatérales à portée
extra-territoriale. Nous connaissons tous les tentations américaines de
sanctionner les entreprises qui auraient, par exemple, des relations
commerciales avec Cuba.
Par conséquent, le fait d'instituer un minimum de règles internationales n'est
pas condamnable en soi. Il est important d'avoir un accord, mais certes,
monsieur Sérusclat, cet accord doit être un bon accord, et un bon accord pour
la France doit remplir quatre conditions nécessaires.
Premièrement, pour le Gouvernement français, il n'y aura pas d'accord si
l'exception culturelle et les résultats obtenus dans d'autres négociations
internationales dans le domaine culturel sont remis en cause.
Deuxièmement, l'accord éventuel devra trouver une solution aux problèmes des
législations à portée extra-territoriale ; il s'agit des lois américaines
auxquelles j'ai fait allusion récemment. Ces lois sont contraires au droit
international ; l'accord multilatéral sur l'investissement devrait poser leur
condamnation, et il est clair que les Etats fédérés devraient respecter les
règles souscrites au niveau fédéral.
Troisièmement, il faut que l'Union européenne, avec ses membres actuels et ses
membres futurs, garde la capacité de poursuivre son intégration économique.
Cela signifie clairement que l'Union européenne doit garder la possibilité
d'opérer une différence entre les entreprises européennes, c'est-à-dire celles
qui sont présentes sur son sol, et les entreprises étrangères non européennes,
c'est-à-dire absentes de son sol.
Quatrièmement, la concurrence en vue d'attirer un investisseur ne doit pas
passer par l'abaissement des normes sociales ou par la non-observation des
règles de protection de l'environnement. Cela doit être absolument interdit :
les entreprises devront respecter les normes sociales et environnementales
fondamentales.
Telles sont les quatre conditions que le Gouvernement considère comme
incontournables pour parvenir à un accord. Comme cela a été signalé, la
prochaine réunion des ministres se tiendra les 27 et 28 avril prochains au
siège de l'OCDE.
La France exprimera de nouveau avec force ces quatre conditions et, comme l'a
indiqué M. Vidal, elle n'est pas du tout isolée en la matière. Il est donc
vraisemblable que la réunion des 27 et 28 avril ne pourra permettre, pour
employer un euphémisme, d'aboutir à une conclusion.
En effet, des points de vue très opposés s'affrontent sur les quatre questions
que je viens d'évoquer et, par conséquent, je peux faire le pronostic - mais ce
n'est qu'un pronostic - que cette négociation, qui a été engagée entre les pays
développés membres de l'OCDE, se poursuivra, ce qui paraît normal, au sein de
l'OMC, à laquelle participent les pays en voie de développement.
Certains d'entre vous ont évoqué la difficulté, pour les petites et moyennes
entreprises françaises, d'obtenir un minimum d'assurances juridiques
lorsqu'elles investissent au-delà des limites de l'Union européenne ou, plus
généralement, hors des pays développés, où un certain nombre de règles sont
plus strictement observées. Il est bien évident que les PME ne disposent
généralement pas de services juridiques suffisamment étoffés pour défendre
leurs intérêts.
Dès lors, il est effectivement important que, en matière d'investissements
directs à l'étranger, le champ d'application des règles s'étende aux pays en
voie de développement : il ne s'agit pas seulement de lutter contre le dumping
social que certains sont parfois obligés de pratiquer ; il s'agit aussi
d'imposer aux investisseurs des pays développés intervenant dans les pays en
voie de développement le respect d'un minimum de règles en matière de droits
sociaux, droits sur lesquels M. Sérusclat a, à juste titre, attiré
l'attention.
Sur le premier point, sauf si les quatre conditions françaises étaient
acceptées, ce qui est improbable, il apparaît que la négociation entamée en
1995 ne débouchera pas sur un accord à la fin de ce mois d'avril. La
négociation, qui est utile, se poursuivra donc sans doute dans le cadre de
l'OMC et demandera vraisemblablement encore du temps.
J'en viens maintenant à un deuxième point : l'information des parlementaires,
des professionnels, des créateurs et leur participation à cette négociation.
Reconnaissons tout de même que, depuis 1995, il y a eu un peu plus de
transparence que ce que M. Gouteyron a laissé entendre. En disant cela, je ne
mets d'ailleurs pas spécifiquement en avant le rôle du gouvernement auquel
j'appartiens ; je pense aussi à celui qui l'a précédé.
Sans doute ne suis-je pas le mieux placé pour faire ce rappel mais force m'est
de constater que, lorsque le Gouvernement français a décidé de se lancer dans
la négociation en 1995, il n'a peut-être pas suffisamment consulté le Parlement
et les professionnels. Il y a là un point d'histoire qui reste éventuellement à
éclaircir.
Quoi qu'il en soit, à partir du moment où la négociation a été engagée, des
informations ont été diffusées, des articles de presse ont paru. Sans doute
n'ont-ils pas eu, à l'époque, un écho suffisant. Il reste que les
professionnels de la culture ont, me semble-t-il - l'un d'entre vous l'a dit -
été constamment tenus informés de l'évolution des discussions. De même, les
assemblées parlementaires, par l'intermédiaire des présidents et des
commissions des affaires étrangères, ont reçu, comme il est de règle, les
télégrammes diplomatiques rendant compte de cette évolution.
Mais il faut probablement considérer que, en l'espèce, l'information a été
incomplète ou qu'elle n'a pas fait l'objet d'une diffusion suffisamment
appuyée, ce qui expliquerait la prise de conscience quelque peu tardive.
Aujourd'hui, notre débat de ce matin l'atteste, le sujet est devenu totalement
public ; il est même vibrant ! J'irai jusqu'à dire que la négociation de l'AMI
montre que nous sommes en train de changer de pratique en matière d'association
des assemblées à des négociations d'accords internationaux.
A cet égard, je tiens à indiquer au président Gouteyron comme à M. Ralite que
le Gouvernement est tout à fait partisan d'une information régulière des
commissions parlementaires - j'insiste sur ce pluriel - à la fois en amont des
négociations et pendant leur déroulement. Le Gouvernement espère que, de ce
point de vue, la négociation sur l'AMI pourra être regardée comme un
tournant.
Le Gouvernement manifeste donc une volonté de clarté - pour reprendre un mot
employé par M. Cluzel - afin de permettre aux assemblées d'exercer leur
vigilance. Il existe, me semble-t-il, au moins sur le principe - il conviendra
d'y veiller en pratique - un accord entre le Gouvernement et les assemblées
pour parvenir à une meilleure information et à des échanges réguliers durant
ces grandes négociations internationales qui touchent de près la vie économique
et la vie culturelle de notre pays.
J'en viens maintenant aux aspects spécifiquement culturels.
Vous l'avez constaté, la première condition que le Gouvernement veut imposer
est celle du mainttien de l'exception culturelle. Sur cette notion, il y a en
fait deux débats : un débat technique - qu'est-ce que l'exception culturelle ?
- et un débat plus fondamental, quasiment philosophique.
S'agissant du premier débat, il convient de souligner que l'exception
culturelle n'est pas une notion floue ; elle recouvre deux réalités extrêmement
précises, qui sont, d'une part, le secteur audiovisuel et, d'autre part, la
propriété littéraire et artistique.
Vous vous en souvenez, la préservation de l'exception culturelle avait été
obtenue - arrachée, dirai-je même - à la fin des négociations du cycle de
l'Uruguay. On avait en effet réussi à faire admettre qu'il n'y ait pas
d'engagement de l'Union européenne et de ses Etats membres concernant le
secteur audiovisuel, de façon que ceux-ci puissent garder une totale liberté
d'action dans ce domaine.
Cela nous permet d'aider nos créateurs sans avoir à étendre le bénéfice des
dispositifs de soutien aux industries américaines.
Cependant, ce résultat brillant d'une négociation difficile est exceptionnel,
précisément, dans la mesure où l'exception culturelle n'est pas reconnue en
tant que principe général valant dérogation aux règles multilatérales. Cela
signifie que, au moment où s'engage la négociation sur l'AMI, l'exception
culturelle n'est pas posée au départ : c'est une concession qu'il faut à
nouveau arracher en cours de négociation.
A côté du secteur de l'audiovisuel, dont M. Cluzel a parlé avec la compétence
que chacun lui connaît, il y a la propriété littéraire et artistique. M.
Gouteyron l'a bien expliqué, il existe une conception française du droit
d'auteur et du droit moral qui n'est pas le
copyright
américain. Cette
conception française est protégée par des textes : les conventions de Berne sur
la protection des oeuvres littéraires et artistiques, les conventions de Rome
et de Genève sur la protection des disques et des oeuvres radiodiffusées, ainsi
qu'un accord spécifique de l'Organisation mondiale du commerce, dit « accord
TRIP's », sur la propriété intellectuelle.
Le Gouvernement veut - et, semble-t-il, avec votre soutien entier - que ces
principes qui ont été acquis dans les négociations de l'Organisation mondiale
du commerce soient maintenus dans un futur accord multilatéral sur
l'investissement.
Tel est le champ technique sur lequel nous voulons travailler.
Cependant, comme M. Ralite l'a dit avec lyrisme et profondeur, le débat qui
retentit de l'émotion des créateurs tant français qu'européens n'est pas
seulement technique, et M. Vidal l'a également souligné. C'est un débat
quasiment philosophique, qui postule que la culture n'est pas une marchandise
et que, entre les industries culturelles et les industries manufacturières, il
existe une différence de nature.
Il est clair que ce que M. Ralite a appelé l'« autoritarisme doux des
Etats-Unis » - M. Cluzel évoquant, quant à lui, la « déferlante américaine » -
est un mouvement puissant, animé par une industrie américaine très forte, qui
cherche à imposer, dans le domaine culturel, une logique marchande, alors qu'il
s'agit pour nous d'un univers tout à fait particulier.
A l'évidence, si nous laissions cette « déferlante américaine » balayer notre
territoire, nous verrions certainement, comme dans d'autres secteurs, la
diversité et donc la création en souffrir considérablement.
Fernand Braudel, dans l'
Identité de la France,
a écrit : « France, tu
es diversité. » Je crois que c'est toute l'Europe qui est diversité. Il importe
de perpétuer la diversité de nos cultures, de nos peuples et de nos nations, et
cette exigence revêt une dimension culturelle majeure.
Ainsi que M. Cluzel l'a très bien dit, il s'agit non de dresser une ligne
Maginot culturelle mais, dans une concurrence transatlantique forte, et qui va
aller s'accentuant, d'équilibrer la puissance financière qui se manifeste de
l'autre côté de l'Atlantique par l'engagement résolu des Etats et des peuples
de notre côté.
Je sais que, en la matière, la position du Gouvernement est soutenue très
largement dans ce pays.
Je voudrais enfin répondre à un certain nombre de questions qui ont été
posées, notamment à propos du NTM.
J'ai bien senti, à travers les propos qui ont été tenus à cette tribune, que
nombre d'entre vous, siégeant sur diverses travées, se préoccupaient d'une
sorte de pression libérale parfois excessive. On pourrait dire, en filigrane du
débat de ce matin : chassez le naturel libéral, il revient au galop !
A l'évidence, le commissaire Leon Brittan, dont M. Sérusclat a excellemment
prononcé le nom, fait preuve d'un zèle tout à fait excessif.
La position du Gouvernement en la matière est claire, et elle est d'ailleurs
partagée par le Président de la République : nous ne voulons pas d'un traité de
libre-échange transatlantique ; nous ne voulons pas du projet du commissaire
Leon Brittan, nous l'avons dit, nous l'avons écrit, et ce sera encore rappelé
lundi au Conseil européen des affaires générales.
Il n'est pas question de manifester, vis-à-vis des Etats-Unis, la moindre
défiance mais il nous apparaît que ce type d'accord transatlantique contredit,
d'abord, la liberté du commerce mondial et qu'il est, en outre, esquissé dans
des conditions juridiques et politiques absolument contestables.
Puisque j'ai évoqué le commissaire Leon Brittan, je voudrais répondre à la
question de M. Cluzel sur le rôle de la Commission en ce qui concerne l'accord
multilatéral sur l'investissement.
Sur un sujet qui est non pas de compétence communautaire mais de compétence
nationale, il est normal que, au sein de l'OCDE, ce soient les Etats membres
qui mènent la négociation. Bien entendu, la négociation ne saurait conduire à
établir des discriminations entre Etats européens, et un minimum de
coordination communautaire est requis, mais il est clair que, dans cette
affaire, la solidarité de l'Europe sur ces sujets n'est pas encore acquise,
c'est le moins que l'on puisse dire, et cela rendra particulièrement difficiles
les réunions des 27 et 28 avril.
En ce qui concerne l'accord multilatéral sur l'investissement, la Commission
est donc restée discrète. Elle a cependant insisté sur l'une des quatre
conditions que j'ai citées tout à l'heure, à savoir la capacité pour l'Union
européenne et les Etats membres de distinguer les entreprises selon qu'elles
sont ou non présentes en Europe. Toutefois, lorsque la pression américaine
s'est révélée trop forte, certains membres de la Commission ont pu avoir la
tentation du retrait et du compromis.
Vous aurez compris que la France est, elle, loin d'éprouver une telle
tentation.
Pour conclure, je tiens à souligner que l'attitude que nous avons en France et
même en Europe vis-à-vis des Etats-Unis - sans parler de l'Asie, qui traverse
actuellement une période difficile - n'est ni frileuse ni complexée.
Depuis quelques mois, voire plus longtemps, l'Europe a repris sa marche en
avant. C'est net dans le domaine économique, avec une expansion qui reprend de
la vigueur, entraînée par le mouvement de la consommation et de
l'investissement. L'an prochain, selon toutes probabilités, la croissance
européenne - et particulièrement la croissance française, qui pourrait se
situer en tête - sera supérieure à la croissance américaine. Et je n'oserai pas
établir de comparaison avec la croissance japonaise, qui ne peut être perçue
qu'à l'aide d'une grosse loupe ! Nous redevenons donc un pôle de croissance
dans le monde.
L'euro, dont vous allez débattre, créera une zone de stabilité et de
dynamisme.
Enfin, dans le domaine culturel, l'Europe a été, est et sera un grand foyer de
civilisation. Le Gouvernement, comme, je le pense, tous les sénateurs, tous les
créateurs et l'ensemble du pays, est très attaché à ce que l'Europe reste un
foyer éclatant et durable de création culturelle.
(Applaudissements.)
M. Adrien Gouteyron.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Gouteyron.
M. Adrien Gouteyron.
Monsieur le secrétaire d'Etat, je veux d'abord vous remercier d'avoir accepté
ce débat. Votre réponse comporte des éléments qui complètent notre information
et apportent un éclairage supplémentaire dont nous avions bien besoin.
Permettez-moi de revenir sur quelques points qui, au fond, reprennent les
propos tenus dans ce débat. Vous avez bien compris que le Sénat n'éprouvait pas
d'opposition de principe à un accord multilatéral sur l'investissement, au
contraire. Certains orateurs, tout particulièrement M. Delaneau, ont fait
remarquer l'intérêt de la France et la position qu'elle avait dans les échanges
internationaux.
Nous avons donc le plus grand intérêt à ce que les règles soient clairement
posées et respectées par tous. Vous avez expliqué l'avantage que cela
représenterait pour nos échanges avec certains pays du tiers monde, notamment,
pour être plus précis, certains pays d'Asie. C'est évident, et tout le monde
est d'accord sur le principe.
Vous nous avez également bien expliqué que le Gouvernement serait extrêmement
vigilant, mieux qu'il ferait de l'exception culturelle une condition à un
accord éventuel. Nous nous en réjouissons comme de votre mention de manière
très appuyée, des droits d'auteurs et des droits voisins.
En effet, la conception française est une conception à laquelle non seulement
nos créateurs et nos artistes, mais aussi tous les Français sont
fondamentalement attachés parce qu'elle exprime bien ce qu'est notre souci de
la valeur personnelle de la création.
Monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez pris l'engagement d'associer le
Parlement à ce débat. Il y aurait peut-être à dire sur la manière dont il a été
informé dans le passé, mais je n'y reviendrai pas car cela n'aurait pas
d'intérêt.
Toutefois, je souhaite revenir sur les propos que vous venez de tenir. Vous
avez parlé de l'information des commissions et vous avez, à juste titre,
employé le pluriel. Il faut aller plus loin : c'est l'assemblée tout entière
qui doit être informée. Le débat qui vient d'avoir lieu montre bien l'intérêt
d'une telle information.
Mais encore faudra-t-il trouver le temps nécessaire pour inscrire à l'ordre du
jour des assemblées, notamment du Sénat, un débat de cette nature.
Permettez-moi de vous dire que cela n'a pas été très facile : ceux qui
participent à la conférence des présidents l'ont constaté comme moi.
Par conséquent, je vous demande, monsieur le secrétaire d'Etat - ce sera la
conclusion de ce court propos - d'intervenir auprès de toutes les instances
gouvernementales pour que le Parlement puisse débattre de sujets aussi
fondamentaux pour notre pays et qu'une place soit laissée à cet effet dans
l'ordre du jour des deux assemblées.
Vous avez parlé de l'Europe, monsieur le secrétaire d'Etat. Nous souhaitons
bien entendu qu'elle parle d'une seule voix mais nous savons bien que ce n'est
pas facile notamment dans certains domaines, tels que le domaine culturel.
Dans le passé, le Gouvernement français a réussi à entraîner nos partenaires
de l'Union européenne. Permettez-moi, en terminant ce propos, d'émettre un voeu
: je souhaite vraiment, et de tout coeur, que dans les négociations à venir ce
soit aussi le cas, que la France ait un rôle pilote, un rôle moteur. C'est
elle, on le sait bien, qui peut, d'une certaine façon, donner une âme à
l'Europe, et cela nous le désirons tous.
(Applaudissements.)
M. le président.
En application de l'article 83 du règlement, je constate que le débat est clos.
3
MODE DE CALCUL DE LA DURÉE MAXIMALE
DE DÉTENTION PROVISOIRE
Adoption des conclusions du rapport d'une commission
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 312,
1997-1998) de M. Michel Dreyfus-Schmidt, fait au nom de la commission des lois
constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et
d'administration générale, sur la proposition de loi (n° 55, 1997-1998) de MM.
Michel Dreyfus-Schmidt, Michel Charasse, Guy Allouche, Robert Badinter et les
membres du groupe socialiste et apparentés tendant à préciser le mode de calcul
de la durée maximale de détention provisoire autorisée par le code de procédure
pénale.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Michel Dreyfus-Schmidt,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Monsieur le
président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, plus que jamais
peut-être, l'opinion publique, le Gouvernement et le Parlement s'inquiètent du
nombre de ceux qui sont en détention provisoire, d'autant que la durée de cette
détention provisoire ne cesse d'augmenter et qu'il est fréquent qu'elle se
révèle finalement totalement injustifiée, sans que la réparation du préjudice
existant alors soit assurée à coup sûr et sans qu'elle le soit jamais
intégralement.
Vous travaillez, madame le garde des sceaux, à une réforme d'ensemble de la
justice dont vous avez présenté les grandes lignes de ce que vous souhaitez
qu'elle soit, l'un de ces volets ayant même déjà été approuvé par le conseil
des ministres.
Mais évidemment, et comme en toute chose, la sagesse des nations enseigne qu'«
il ne faut pas remettre au lendemain ce qu'on peut faire le jour même » et
aussi qu'« un tiens vaut mieux que deux tu l'auras ».
C'est ce qui explique qu'ait été discutée et adoptée, à l'Assemblée nationale,
et à la demande de sa majorité, une fort intéressante proposition de loi
émanant de M. Alain Tourret et portant sur maints aspects de la détention
provisoire. Nous souhaitons, bien sûr, que le Sénat en soit saisi ou s'en
saisisse dès que possible.
Sans doute est-il plus efficace d'instaurer un juge des libertés, compétent
dès que la détention provisoire est en cause, que de réduire les durées maxima
de la détention provisoire, forcément diverses puisqu'elles varient avec la
peine encourue et selon aussi que le mis en examen a déjà ou non été
condamné.
A l'évidence, l'un n'empêche pas l'autre. Reste à savoir de combien les seuils
doivent être abaissés.
Il paraît simple, en revanche, de mettre en place sans plus attendre diverses
dispositions adoptées par l'Assemblée nationale, telles que la présence de
l'avocat dès le début de la garde à vue, la réparation intégrale du préjudice
de celui qui a été à tort en détention provisoire, la mise en place d'une
limite, car actuellement il n'y en a pas, de la durée pendant laquelle la
détention provisoire peut être maintenue pour un accusé en attente de
comparution devant la cour d'assises.
Mon énumération n'est bien évidemment pas exhaustive des excellentes
dispositions, adoptées ou non, de la proposition de loi d'Alain Tourret.
Est beaucoup moins grande l'ambition de la proposition de loi émanant du
groupe socialiste du Sénat et dont je me trouve être le rapporteur, comme j'en
suis le premier signataire au côté de Michel Charasse, Guy Allouche et,
last
but not least
, Robert Badinter.
Il ne s'agit que de supprimer des dispositions qui sont particulièrement
choquantes en matière de détention provisoire, pour les majeurs comme pour les
mineurs, à savoir celles qui permettent que, dans une même affaire, un mis en
cause, qui a été détenu provisoirement pendant la durée maximale prévue par la
loi en ce qui le concerne, puisse à nouveau, et pour la même durée, être
incarcéré dans le cas où, ayant été mis sous contrôle judiciaire à l'expiration
de la durée de détention provisoire en principe maximale, il se serait
soustrait volontairement aux obligations du contrôle judiciaire, même si ces
obligations peuvent paraître abusives, tel un versement mensuel de 100 000
francs.
Avec l'ensemble des membres de la commission des lois du Sénat, à l'exception
de nos collègues du groupe du RPR, qui se sont abstenus - ils ont fait
connaître qu'ils n'étaient nullement en désaccord sur le fond mais qu'ils
préféreraient attendre la réforme d'ensemble de la justice, à laquelle nous
croyons tous mais qui, par son ampleur même, peut prendre beaucoup de temps -
nous demandons tout simplement que la durée maximale d'une détention provisoire
soit véritablement un maximum, y compris dans le cas d'un éventuel manquement
aux obligations d'un contrôle judiciaire.
Il n'est pas normal, en effet, que le substitut à l'emprisonnement que doit
être le contrôle judiciaire permette, par son existence même, une détention
provisoire supplémentaire.
Adopter cette proposition de loi ne pourrait que faire diminuer le nombre des
détentions préventives, mais aussi la durée totale des instructions puisque les
juges d'instruction, tant qu'ils existent, se trouveraient incités à mettre
immédiatement sous contrôle judiciaire les mis en cause et, en tout cas, à
mettre fin à une détention provisoire suffisamment rapidement pour se réserver
une marge pour incarcérer celui qui se serait soustrait aux obligations du
contrôle judiciaire.
Permettez-moi de formuler trois observations supplémentaires.
Première observation, il n'est pas acceptable que, comme c'est le cas
actuellement, celui qui se soustrait aux obligations du contrôle judiciaire
puisse être remis en détention provisoire, quelle que soit la durée de la peine
encourue, pour une durée qui varie précisément avec la peine encourue, alors
que c'est non pas le délit d'origine qui se trouve sanctionné, mais le
manquement aux obligations du contrôle judiciaire.
Deuxième observation, qui découle de la première, peut-être y aurait-il lieu
d'instituer un délit spécifique de manquement aux obligations du contrôle
judiciaire, délit qui devrait être sanctionné, non par le juge d'instruction
dont ce n'est pas le rôle mais par le tribunal correctionnel lui-même.
Troisième observation, enfin, le même tribunal correctionnel devrait pouvoir
prononcer, en cas de manquement aux obligations du contrôle judiciaire, non
seulement une peine de prison mais également une peine d'amende.
Il restera, vous le voyez, madame le garde des sceaux, beaucoup de grain à
moudre lors de l'examen de votre réforme d'ensemble.
Telles sont les raisons qui, au nom de la commission des lois, me conduisent à
vous demander, mes chers collègues, d'adopter cette proposition de loi.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen, et sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux, ministre de la justice.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, en permettant l'incarcération d'une personne
non encore condamnée, la détention provisoire porte, par nature, une grave
atteinte au principe de la présomption d'innocence. Elle ne doit donc
constituer, elle ne peut donc constituer, comme l'affirme d'ores et déjà la
loi, qu'une mesure aussi exceptionnelle que possible.
Cette règle n'est en réalité que l'application des principes, de valeur
constitutionnelle, rappelés par l'article IX de la Déclaration des droits de
l'homme et du citoyen, qui dispose que « tout homme étant présumé innocent
jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de
l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa
personne doit être sévèrement réprimée par la loi ».
Ainsi que je l'ai déjà indiqué devant votre assemblée, le 22 janvier dernier,
en présentant les orientations générales de la réforme de la justice que le
Gouvernement achève d'élaborer, je souhaite modifier profondément les
dispositions actuelles du code de procédure pénale relatives à la détention
provisoire afin que le principe de la présomption d'innocence soit mieux
respecté.
J'ai longuement exposé devant vous les intentions du Gouvernement en la
matière. Je puis vous assurer que j'ai écouté avec beaucoup d'attention et
d'intérêt les avis et les propositions des sénateurs qui se sont exprimés sur
cette question au cours de ce débat d'orientation afin d'en tenir compte,
autant que faire se peut, lors de l'élaboration du projet de réforme.
Votre assemblée, tout particulièrement sa commission des lois, conduit de son
côté et depuis fort longtemps une réflexion approfondie sur le thème de la
détention provisoire, sur ses enjeux et sur les problèmes tant philosophiques
que juridiques et pratiques qu'elle induit.
Vos débats, menés notamment sous l'impulsion de M. Dreyfus-Schmidt, ont d'ores
et déjà débouché sur le dépôt d'une proposition de loi, rapportée par celui-ci
et que nous examinons aujourd'hui ensemble.
Je souhaite, tout d'abord, remercier publiquement tant la commission des lois
de la Haute Assemblée que le rapporteur du présent texte de la qualité du
travail accompli, de la hauteur de vue et de l'esprit de responsabilité avec
lesquels la réflexion commune a été menée.
J'y vois la preuve évidente que les représentants de la nation, quelles que
soient leurs divergences politiques et philosophiques affichées, peuvent, dans
un esprit de sagesse, d'ouverture et de tolérance, parvenir à un consensus
lorsque l'exige le respect des principes fondamentaux de la République.
Je ne peux, par ailleurs, que me réjouir de constater que votre assemblée,
comme le montre amplement la teneur de la proposition de loi examinée ce jour,
et le Gouvernement, que je représente, sont en parfait accord sur les buts à
atteindre en matière de contrôle de la détention provisoire et de garanties
nouvelles à instituer afin de protéger le principe de la présomption
d'innocence.
Votre commission des lois a mis opportunément en évidence un problème
juridique réel induit par ce que je qualifierai d'imperfection incontestable du
droit positif en vigueur, ladite imperfection résultant elle-même, me
semble-t-il, tout à la fois d'une imprécision des textes et du silence de la
loi.
Il nous faut donc constater que les textes actuels sur la détention
provisoire, tels qu'ils sont interprétés par la jurisprudence, peuvent
déboucher sur des situations excessivement sévères, que votre commission des
lois dénonce avec justesse aujourd'hui.
Cet oubli dans les textes provient du fait que lorsque le contrôle judiciaire
a été institué en 1970, en même temps que la détention provisoire remplaçait la
détention préventive, il n'a été prévu aucun « délai butoir », destiné à
limiter la durée totale de la détention avant jugement.
Ce n'est qu'en 1975 qu'un premier délai butoir de six mois a été institué,
pour être ensuite complété, par des réformes successives, la dernière datant de
la loi du 30 décembre 1996 dont les dispositions sur ce point résultent de
l'initiative du Sénat, par des délais butoirs de un an et de deux ans.
Or, pour utiliser une expression imagée mais parlante, la Cour de cassation a
considéré, en l'absence de précisions législatives sur ce point, qu'en cas de
révocation d'un contrôle judiciaire le compteur de la détention devait être «
remis à zéro ».
Ainsi, en l'état actuel du droit tel qu'il est interprété par la
jurisprudence, dans une procédure où la durée totale de la détention provisoire
est limitée par la loi - à six mois, à un an ou à deux ans, selon les cas - il
est théoriquement possible qu'une personne fasse l'objet, en plusieurs fois,
d'une détention d'une durée supérieure à ce délai maximal.
Il suffit que la personne mise en examen soit, à l'issue du délai butoir,
libérée en étant placée sous contrôle judiciaire, que ce contrôle judiciaire
soit révoqué pour non-respect des obligations fixées par le juge d'instruction,
entraînant une nouvelle incarcération de la personne pour une même durée, puis
une nouvelle libération sous contrôle judiciaire, puis une nouvelle révocation,
et ainsi de suite.
Cette hypothèse est bien évidemment plus théorique que pratique et, en tout
état de cause, la révocation du contrôle judiciaire n'est possible que si les
obligations prescrites n'ont pas été respectées, et donc si la personne s'est
mise en état de faute au regard des exigences légales et proportionnées
édictées par le juge d'instruction.
Par ailleurs, les obligations imposées à la personne mise en examen dans le
cadre du contrôle judiciaire comme leur éventuel non-respect et la
réincarcération qui pourrait en résulter sont contrôlés par la chambre
d'accusation. La procédure de référé-liberté est, en outre, possible.
Il n'en reste pas moins que, en l'état actuel du droit positif et de son
interprétation par la chambre criminelle de la Cour de cassation, les
détentions provisoires décidées pour violation des obligations du contrôle
judiciaire peuvent ne connaître aucun terme fixe.
Votre commission des lois a donc raison de faire observer que cette situation
n'est pas acceptable au regard de la volonté maintes fois réaffirmée de la
représentation nationale de limiter la durée de la détention provisoire.
Je ne peux donc qu'approuver sa démarche et lui indiquer que je n'envisage pas
de déposer d'amendement sur les dispositions qu'elle a élaborées de manière
consensuelle.
J'ai, au contraire, l'intention d'intégrer les résultats de la réflexion
approfondie qu'elle a menée au texte même du projet de loi portant réforme du
code de procédure pénale, que le Gouvernement déposera très bientôt - les
délais ne seront pas longs - sur le bureau des assemblées parlementaires.
Si l'objet essentiel de cette réforme de la détention provisoire consistera à
confier le soin de décider de cette mesure - vous l'avez rappelé, monsieur le
rapporteur, et je vous en remercie - à un juge distinct du juge d'instruction,
elle devra également prévoir que le respect des délais butoirs en cas de
révocation d'un contrôle judiciaire devra prendre en compte la ou les
détentions déjà subies.
Je me dois cependant de vous faire part brièvement, et sans que cela ne change
en rien la nature de la position de principe que je viens de prendre devant
vous à l'instant, de quelques difficultés qui me semblent découler de la
proposition de loi que vous venez de présenter, monsieur le sénateur.
Il résulte des dispositions adoptées par votre commission qu'une personne qui
aurait été placée en détention provisoire jusqu'au terme du délai butoir prévu
par la loi - par exemple six mois - ne pourra plus ensuite être placée sous
contrôle judiciaire.
Il me paraît en effet évident que priver le contrôle judiciaire de toute
sanction, c'est interdire
de facto
, sinon
de jure
, le placement
même sous contrôle judiciaire.
La Cour de cassation l'a d'ailleurs rappelé dans une jurisprudence qui indique
que, en matière de délits de presse, la loi du 29 juillet 1881 relative à la
liberté de la presse interdisant la détention provisoire, le contrôle
judiciaire n'est par conséquent pas non plus possible.
Certes, pour éviter cette difficulté - M. Dreyfus-Schmidt l'a précisément
indiqué dans son rapport - il suffit de libérer la personne un peu avant
l'expiration de ce délai butoir. Mais si le contrôle judiciaire n'est pas
respecté, et qu'une révocation est nécessaire, il ne sera plus possible
ensuite, après une brève réincarcération, d'ordonner à nouveau un contrôle
judiciaire, puisqu'il serait alors dépourvu de sanction.
En réalité, la difficulté provient sans doute de l'affirmation courante, mais
inexacte, selon laquelle le contrôle judiciaire ne serait purement et
simplement qu'une mesure ayant pour vocation à se substituer à la détention
provisoire, afin d'éviter le recours à cette dernière.
Il n'en serait ainsi que si le contrôle judiciaire et son éventuelle
révocation ne pouvaient être ordonnés que lorsque les conditions limitativement
déterminées par la loi pour ordonner une détention provisoire sont réunies.
M. Michel Dreyfus-Schmidt,
rapporteur.
Bien sûr !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Or tel n'est pas le cas, comme le remarque excellemment
le rapport de votre commission. En particulier, le contrôle judiciaire et sa
révocation sont possibles dès lors qu'une peine d'emprisonnement est encourue,
même si celle-ci est inférieure aux seuils permettant une détention
provisoire.
En réalité, une mesure de détention provisoire décidée au vu et en conséquence
du constat d'une violation des obligations du contrôle judiciaire auxquelles
est astreinte une personne mise en examen n'est pas exactement de même nature
qu'une détention provisoire décidée dès l'origine du dossier.
Il pourrait donc être exigé qu'une telle détention soit régie par des délais
butoirs qui tiennent compte de cette spécificité, ce qui atténuerait, au regard
de l'efficacité des investigations, les conséquences de la prise en compte,
pour le calcul de ces délais, des détentions déjà subies.
La réflexion, me semble-t-il, pourrait être utilement poursuivie sur ce
point.
Telles sont les principales observations que je souhaitais présenter à la
Haute Assemblée.
Sous les réserves que je viens d'évoquer et qui portent sur des questions de
détail, et non sur le principe même de la réforme, la présente proposition de
loi me paraît apporter une importante contribution à la réflexion que le
Gouvernement et le Parlement mènent sur le problème de la détention provisoire
et qui débouchera nécessairement sur un projet de loi novateur qui vous sera
présenté très prochainement.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à Mme Dusseau.
Mme Joëlle Dusseau.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis le
début des années quatre-vingt-dix, 30 000 personnes sont placées annuellement
en détention provisoire, soit un tiers des personnes qui sont mises chaque
année en examen. Ces chiffres montrent qu'une procédure dite exceptionnelle
s'est trouvée banalisée au fil des ans, même si la loi a tenté de l'encadrer à
de multiples reprises. Cette dérive a du reste été dénoncée par la Cour
européenne des droits de l'homme. Elle est une des taches du système judiciaire
de notre pays.
Ce recours abusif à la détention provisoire n'aboutit pas seulement à
l'encombrement des prisons. Il conduit également à des injustices : qui a été
détenu n'est plus présumé innocent, mais est supposé coupable. Il est supposé
coupable aux yeux de l'opinion publique bien entendu, mais il est aussi supposé
coupable aux yeux du tribunal. La détention préalable de l'accusé fait pencher
la balance en faveur de sa condamnation, quand cette condamnation ne coïncide
pas avec la durée de la détention provisoire pour la légitimer
a
posteriori
. Enfin, on sait à quel point ce recours abusif à la détention
provisoire brise des vies, entraînant la rupture avec le milieu familial et
professionnel, stigmatisant pour longtemps celui qui est allé en prison.
Une telle situation est anormale, pour ne pas dire inadmissible, dans un pays
qui se dit être celui des droits de l'homme. Qui plus est, elle s'accompagne de
ce qu'il faut bien appeler des détournements de procédure, dans la durée
accumulée de la détention et dans l'objet même ; on sait bien que, dans un
certain nombre de cas, la détention provisoire est utilisée pour faire parler,
pour faire « craquer » psychologiquement allais-je dire, les personnes mises en
examen. Elle s'accompagne aussi d'une compensation financière dérisoire pour
les personnes qui bénéficient d'un non-lieu ou d'un acquittement, sans parler
de l'absence totale de référence à une sanction professionnelle pour ceux qui,
en définitive, ont parfois contribué à briser une vie.
Or, la France a une situation très particulière en Europe puisque le nombre de
prévenus est de 43 %, alors qu'il est de l'ordre de 20 % dans les pays qui
arrivent juste derrière elle en matière de détention provisoire. L'écart entre
la France et les autres pays européens est également sensible si on raisonne en
nombre de personnes en détention provisoire pour 100 000 habitants. Enfin, on
sait que la durée moyenne a régulièrement augmenté au cours des années
quatre-vingt pour se stabiliser à près de vingt-trois mois en matière
criminelle à la fin des années quatre-vingt-dix.
C'est dans ce contexte que se présente la proposition de loi du groupe
socialiste, que nous examinons aujourd'hui. Elle porte exclusivement sur
l'impossibilité de dépasser la durée légale de détention provisoire, même s'il
y a non-respect du contrôle judiciaire. Autant dire que cette proposition de
loi, même si elle constitue un progrès, est singulièrement limitée. Or, comme
l'a rappelé M. le rapporteur, une proposition de loi, présentée par M. Alain
Tourret, vient d'être débattue et adoptée par l'Assemblée nationale, le 3 avril
dernier.
Je rappellerai les principales avancées de cette proposition de loi : présence
d'un avocat dès le début de la garde à vue ; autorisation de mise en détention
pour les seuls prévenus passibles d'une peine de trois ans pour les délits
contre les personnes et de cinq ans pour les délits contre les biens ; fixation
à deux ans maximum de la durée de détention provisoire, sauf dans un certain
nombre de cas bien précis qui justifient évidemment une dérogation, tels le
trafic de stupéfiant, le terrorisme, l'association de malfaiteurs, le
proxénétisme, l'extorsion de fonds, les infractions commises en bande
organisée.
Le texte adopté par l'Assemblée nationale améliore aussi la procédure
d'indemnisation, en mettant en avant notamment la notion de préjudice moral.
En outre, il oblige à suspendre la détention provisoire des accusés qui n'ont
pas comparu devant la cour d'assises à l'expiration d'un délai de six mois à
compter de la date à laquelle leur arrêt de mise en accusation est devenu
définitif, délai qui ne peut jamais dépasser dix-huit mois.
Enfin, il prévoit de réserver une cellule individuelle aux prévenus - c'est
bien le moins pour des personnes présumées innocentes - ce qui sera rendu
matériellement possible par les autres dispositions de cette proposition de loi
visant à réduire le nombre des mises en détention, réduction que vous-même,
madame la ministre, avez estimée à quelque 11 000 personnes.
On le comprendra aisément, j'aurais trouvé pour ma part beaucoup plus logique
que ce texte déjà adopté par l'Assemblée nationale soit examiné par le Sénat
avant que nous discutions de cette proposition de loi qui, pour intéressante
qu'elle soit, n'en est pas moins infiniment plus limitée dans son objet. C'est
pourquoi j'aurais préféré que la proposition de loi n° 55 soit renvoyée à la
commission pour faire l'objet d'une discussion commune et d'une harmonisation
avec le texte adopté par l'Assemblée nationale. Tel n'est pas le cas, et je le
regrette. En effet, si les deux propositions de loi sont complémentaires, le
texte voté par l'Assemblée nationale est bien sûr beaucoup plus large et
complet que le texte présenté par les sénateurs socialistes.
A défaut, dans l'attente de la discussion de la proposition de loi Tourret sur
la détention provisoire, les sénateurs radicaux de gauche voteront la
proposition de loi du groupe socialiste, qui est une limitation de la détention
provisoire. Il s'agit là d'un premier pas - certes beaucoup trop limité - qui
va dans la bonne direction.
(Applaudissements sur les travées
socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Pagès.
M. Robert Pagès.
Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, le
Sénat examine aujourd'hui les conclusions de la commission des lois tendant à
préciser le mode de calcul de la durée maximale de détention provisoire.
Nous abordons ici un sujet de première importance puisque, au-delà du seul
énoncé de cette bonne proposition de notre collègue Michel Dreyfus-Schmidt, il
s'agit de traiter la grave question de la détention provisoire.
Si chacun s'accorde à dire que la détention provisoire constitue, par
définition, une atteinte à la présomption d'innocence, affirmée pourtant par
les articles VIII et IX de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen,
il convient de constater que les différentes modifications législatives
intervenues depuis plusieurs années n'ont pas réussi à concilier présomption
d'innocence, impératifs légitimes de l'instruction et protection de l'intérêt
général.
Le législateur a donc tenté, maintes fois, de rappeler le caractère
exceptionnel de la détention provisoire, mais en vain.
Pourtant, le Conseil constitutionnel et la Cour européenne des droits de
l'homme ont rendu à plusieurs reprises des décisions pour rappeler, d'une part,
le caractère exceptionnel de la détention provisoire et, d'autre part, la durée
limitée de celle-ci.
Or - je rappellerai quelques chiffres, même s'ils ont déjà été donnés à
plusieurs reprises - avec 21 366 prévenus sur une population carcérale de 51
640 détenus, au 1er janvier 1997, la France reste l'un des rares pays où le
pourcentage des prévenus parmi les détenus dépasse 40 %.
Chaque année, ce sont plus de 20 000 personnes qui sont placées en détention
provisoire, d'après les statistiques.
Entre 1990 et 1997, 11 855 personnes mises en détention provisoire ont
bénéficié
in fine
de décisions de non-lieu, de relaxe ou
d'acquittement.
Quant à la durée moyenne de la détention provisoire, elle ne cesse d'augmenter
: entre 1984 et 1996, elle est passée, en matière correctionnelle, de 3 mois à
4 mois et, en matière criminelle, de 21 mois à 22 mois et demi, avec un point
d'orgue en 1989 et en 1990, où elle atteignait 23 mois.
Ce n'est pas admissible. Il faut cesser de se servir de la détention
provisoire comme un mode normal d'instruction, permettant au juge de poursuivre
ses investigations et de faire pression sur la personne mise en examen afin
d'en obtenir des aveux.
C'est d'autant plus nécessaire que nous savons tous ici combien une
incarcération peut être déstructurante pour tout individu, que ce soit du point
de vue psychique ou physique, tant les conditions de détention sont, faute de
moyens financiers, matériels et humains, difficilement conciliables avec le
respect de la personne humaine.
A cet égard, il m'est difficile d'évoquer les problèmes soulevés par la
détention provisoire sans aborder le problème plus général de l'incarcération
et des moyens dont dispose le système judiciaire et pénitentiaire français,
moyens qui devraient permettre notamment de mener à bien le triptyque
prévention-répression-réinsertion.
Actuellement, la grève des gardiens de prison, un peu partout en France, met
en évidence le manque cruel de moyens qui sont accordés aux services
pénitentiaires ainsi que les difficiles conditions de travail qui en découlent
forcément, faute de personnels.
Je referme ici cette parenthèse pour en revenir précisément au dispositif qui
nous est proposé, lequel, tout en limitant le recours à la détention
provisoire, permettrait d'accélérer les instructions et de raccourcir, de fait,
la durée moyenne de détention provisoire.
Sans entrer dans le détail du texte, il s'agit de revenir sur l'interprétation
jurisprudentielle, beaucoup trop restrictive, de la chambre criminelle de la
Cour de cassation. Il convient en effet d'empêcher qu'une personne, pouvant
être placée en détention provisoire pour une durée n'excédant pas six mois, au
titre de l'article 145-1 du code de procédure pénale, puisse, par ailleurs,
faire l'objet, au cours d'une même instruction, de plusieurs détentions pouvant
chacune aller jusqu'à six mois, si elles sont séparées par un contrôle
judiciaire que l'intéressé n'aurait pas respecté.
Si ce texte marque incontestablement une avancée dans notre droit, cette
dernière n'en demeure pas moins limitée.
Je dis cela en pensant au contexte dans lequel nous examinons cette
proposition de loi.
D'un côté, les députés légifèrent sur la détention provisoire, de l'autre, le
Gouvernement a en préparation un projet de loi réformant la procédure pénale
et, en particulier, la détention provisoire.
Ainsi, le 3 avril dernier, l'Assemblée nationale adoptait, pour sa part, en
partie contre l'avis du Gouvernement, pour les raisons qui ont été exposées,
une proposition de loi tendant à limiter considérablement le recours à la
détention provisoire, ainsi que sa durée, proposition de loi dont les
dispositions vont au-delà de celles dont nous débattons aujourd'hui.
Permettez-moi d'en rappeler brièvement les grandes lignes.
Selon les dispositions retenues par l'Assemblée nationale, seuls les prévenus
qui encourent une peine d'emprisonnement de trois ans, au lieu d'un an, pour
les délits contre les personnes, et de cinq ans, au lieu de deux ans, pour les
délits contre les biens, pourront être incarcérés préventivement.
Sur la base des statistiques de 1996, cette élévation des seuils permettant de
recourir à la détention provisoire aurait pour conséquence de réduire de plus
de 11 000 le nombre des personnes en détention provisoire.
Peut-être faudrait-il, au lieu de recourir de façon systématique à la
détention provisoire, développer davantage le recours au contrôle judiciaire,
lequel nécessiterait alors, bien évidemment, des moyens différents ?
Ce même texte prévoit par ailleurs le remboursement de plein droit du
préjudice subi par une personne placée en détention provisoire puis finalement
relaxée, acquittée ou bénéficiant d'un non-lieu.
Le prévenu pourrait également être assisté d'un avocat dès sa mise en garde à
vue, mesure que nous demandons depuis longtemps et qui nous satisfait donc
pleinement.
De plus, les personnes mises en examen, prévenus et accusés, soumis à la
détention provisoire, seraient placées au régime de l'emprisonnement
individuel. Il ne pourrait être dérogé à ce principe qu'à leur demande ou si
les intéressés étaient autorisés à travailler.
Enfin, l'accusé qui n'aurait pas comparu dans les six mois à compter de sa
mise en accusation serait remis en liberté, ce qui devrait raccourcir les
délais de jugement.
L'examen de ces deux propositions de loi, qu'il s'agisse de celle qui a été
déposée sur le bureau du Sénat ou de celle qui a été adoptée à ce jour par la
seule Assemblée nationale, risque de ne pas aller à son terme, d'autant plus
que le Gouvernement a annoncé un projet de réforme plus global, abordant
notamment la question de la détention provisoire.
Ce texte gouvernemental vise à distinguer les attributions du juge
d'instruction de celles du juge de la détention provisoire - nous trouverons
bien une dénomination pour celui-ci - afin de mettre un terme aux abus de la
détention provisoire, trop souvent utilisée comme moyen de pression.
Le pouvoir de placer en détention serait ainsi confié à un juge des libertés,
distinct du juge qui instruit.
Si nous sommes favorables à la séparation entre l'instruction du dossier et la
prise de décision quant au placement en détention provisoire du mis en examen -
cela répond à l'un de nos soucis en la matière - nous estimons par ailleurs,
néfaste qu'un juge - serait-il « des libertés » - prenne seul la très grave
décision de ce placement en détention.
Aussi nous prononçons-nous depuis toujours pour l'instauration d'une
collégialité dans la procédure de décision conduisant à la mise en détention
provisoire.
Bien évidemment, la mise en oeuvre de cette collégialité implique que les
moyens humains et financiers soient accrus.
Nous souhaitons par ailleurs que la détention provisoire soit supprimée pour
les mineurs en matière correctionnelle.
D'une façon générale, nous estimons que la liberté doit primer sur la
détention provisoire, laquelle doit demeurer l'exception.
La durée de la détention provisoire doit être limitée, d'autant que celle-ci
concerne de nombreuses personnes « présumées innocentes ».
C'est pourquoi il est grand temps de restreindre le recours à cette mesure à
des cas véritablement exceptionnels et de favoriser les mesures alternatives à
l'incarcération.
J'ajoute que la détention provisoire est un élément révélateur des difficultés
que connaît notre justice, car, loin d'être le résultat d'une décision de
justice, la durée de la détention provisoire est bel et bien la conséquence de
l'allongement continuel des délais d'instruction, de jugement, de mise en
exécution des décisions, ainsi que d'examen des voies de recours.
En conclusion, les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen
voteront bien entendu les présentes dispositions, en gardant à l'esprit que
toute réforme, soucieuse des libertés et des droits de la défense, implique
indubitablement des moyens importants et, par là même, un budget pour la
justice à la hauteur de nos espérances.
De là dépendra toute l'efficacité de la future réforme gouvernementale que
nous appelons de nos voeux.
(Applaudissements sur les travées du groupe
communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes et sur
certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Habert.
M. Jacques Habert.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous nous
félicitons dela proposition de loi présentée par nos collèguesMM.
Dreyfus-Schmidt, Charasse, Allouche et Badinter, tendant à préciser le mode de
calcul de la durée maximale de la détention provisoire autorisée par le code de
procédure pénale.
C'est une heureuse initiative, car, dans le domaine de la détention
provisoire, il y a eu, c'est certain, de nombreux abus, qui ont d'ailleurs été
dénoncés à plusieurs reprises dans cette enceinte.
Nous connaissons tous des cas - je crains même qu'il n'y en ait parmi nos
collègues - de détention provisoire de six mois suivie de nouvelles mesures de
détention, alors que les affaires ayant entraîné l'incarcération n'ont toujours
pas été jugées et qu'une décision de non-lieu interviendra peut-être, en
définitive.
Il y avait lieu, par conséquent, de mettre fin à ces pratiques, et je
m'associe tout à fait aux propos qui ont été tenus à cet égard tant par
vous-même, madame la ministre, que par le rapporteur, M. Dreyfus-Schmidt, et
par nos collègues Mme Dusseau et M. Pagès, qui se sont exprimés avant moi et
ont fort bien exposé l'économie de la proposition de loi que nous examinons
aujourd'hui.
Pour notre part, nous voterons très volontiers les conclusions de la
commission des lois, et nous remercions ceux de nos collègues qui ont pris
l'initiative de déposer cette proposition de loi.
(Applaudissements.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Michel Dreyfus-Schmidt,
rapporteur.
A l'issue de ce débat, je tiens à apporter quelques brefs
éléments de réponse à Mme Dusseau et à M. Pagès.
Mme Dusseau, sans défendre pour autant formellement et expressément une motion
tendant à cette fin, a indiqué qu'elle aurait souhaité que cette proposition de
loi soit renvoyée à la commission pour qu'elle puisse être discutée en même
temps que la proposition de loi de notre collègue député Alain Tourret.
Quant à M. Pagès, il a craint que cette proposition de loi, pas plus que celle
de M. Tourret, d'ailleurs, n'aboutisse pas. Je lui répondrai, tout d'abord,
qu'en ce qui concerne celle que je rapporte, il appartient au Gouvernement ou à
la conférence des présidents de l'Assemblée nationale de l'inscrire à l'ordre
du jour de la journée réservée à l'examen des propositions de loi.
Par ailleurs, Mme Dusseau nous a fait remarquer que l'objet de la présente
proposition de loi était limité par rapport à celle du député Alain Tourret.
C'est parfaitement exact, je l'ai d'ailleurs dit moi-même. Mais, d'une part, le
mieux peut être l'ennemi du bien, d'autre part, et vous voudrez bien me donner
acte, ma chère collègue, de ce que l'objet même de notre proposition ne figure
pas dans le texte de M. Alain Tourret.
Au demeurant, si vous aviez repris ce texte, aujourd'hui, sous forme
d'amendements, personne n'aurait pu vous en empêcher !
Mme Joëlle Dusseau.
J'y ai pensé fortement !
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Article 1er
M. le président.
« Art. 1er. _ Dans le premier alinéa de l'article 141-2 du code de procédure
pénale, après les mots : "quelle que soit la durée de la peine
d'emprisonnement encourue", sont insérés les mots : "et sous réserve
des dispositions de l'article 145-1". »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 1er.
(L'article 1er est adopté.)
Articles 2 et 3
M. le président.
« Art. 2. _ L'article 145-1 du même code est ainsi modifié :
« I. _ Le deuxième alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Si, dans une même affaire, la personne fait l'objet de plusieurs ordonnances
de placement en détention provisoire, la durée cumulée des détentions ne peut
excéder six mois. »
« II. _ Le troisième alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Si, dans une même affaire, la personne fait l'objet de plusieurs ordonnances
de placement en détention provisoire, la durée cumulée des détentions ne peut
excéder un an lorsque la peine encourue est inférieure ou égale à cinq ans
d'emprisonnement ou deux ans lorsque la peine encourue est inférieure à dix ans
d'emprisonnement. » -
(Adopté.)
« Art. 3. _ L'article 11 de l'ordonnance du 2 février 1945 relative à
l'enfance délinquante est ainsi modifié :
« I. - Le deuxième alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Si, dans une même affaire, le mineur fait l'objet de plusieurs ordonnances
de placement en détention provisoire, la durée cumulée des détentions ne peut
excéder deux mois.
« II. - Le quatrième alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Si, dans une même affaire, le mineur fait l'objet de plusieurs ordonnances
de placement en détention provisoire, la durée cumulée des détentions ne peut
excéder un an.
« III. - Le cinquième alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Si, dans une même affaire, le mineur fait l'objet de plusieurs ordonnances
de placement en détention provisoire, la durée cumulée des détentions ne peut
excéder deux ans. » -
(Adopté.)
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi.
(La proposition de loi est adoptée.)
M. le président.
Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons
interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures cinq, est reprise à quinze heures, sous
la présidence de M. René Monory.)
PRÉSIDENCE DE M. RENÉ MONORY
M. le président. La séance est reprise.
4
QUESTIONS D'ACTUALITÉ
AU GOUVERNEMENT
M. le président. L'ordre du jour appelle les questions d'actualité au Gouvernement.
PRODUCTIONS FRUITIÈRES DU SUD-EST
M. le président.
La parole est à M. Vallet.
M. André Vallet.
Monsieur le ministre de l'agriculture, vous avez tenu, mardi dernier, à
recevoir les syndicats d'exploitants agricoles des départements du Sud-Est.
En effet, le 14 avril dernier, une vague de gel a détruit dans des proportions
diverses, mais parfois ponctuellement dramatiques, les productions fruitières
de la Drôme, du Vaucluse et des Bouches-du-Rhône, et ce à un moment de forte
crise de l'agriculture du sud-est de la France.
Vous n'ignorez pas que ces productions, auxquelles il faut ajouter - notre
collègue Pierre Laffitte en sera tout à fait d'accord - l'horticulture, ainsi
que la production ovine, sont exclues de la réforme de la PAC.
Vous n'ignorez pas que les syndicats agricoles souhaitent que Bruxelles tienne
compte du handicap que subissent ces productions du fait de la concurrence
croissante de pays bénéficiant de coûts sociaux sans commune mesure avec ceux
de la France, handicap aggravé aujourd'hui - je le rappelais il y a un instant
- par les conditions climatiques que nous venons de connaître.
La crise est grave, monsieur le ministre, le marché de la pomme est sursaturé,
les cours des salades et des tomates s'effondrent, le prix de l'agneau est à la
baisse de 28 % par rapport à 1997.
A cela s'ajoutent, bien sûr, l'important endettement nécessaire à la
modernisation des exploitations, le poids des charges salariales, les coûts de
production et la mainmise croissante, plus grande qu'on peut le croire, de la
grande distribution sur ces secteurs.
Nous sommes, monsieur le ministre, dans l'urgence.
Urgence dans le traitement des dossiers gérés par le Fonds national de
garantie des calamités agricoles, 600 exploitations situées dans trente mois
communes de mon département, les Bouches-du-Rhône, n'ayant toujours pas été
indemnisées malgré les engagements pris par le Gouvernement en juin 1997.
M. le président.
Veuillez poser votre question, monsieur Vallet.
M. André Vallet.
J'y viens, monsieur le président.
Urgence, surtout, pour la défense, à Bruxelles, des productions
méditerranéennes.
Urgence, enfin, pour définir par une grande réforme structurelle ce que sera,
demain, cette agriculture familiale et traditionnelle.
Quelles mesures allez-vous prendre, monsieur le ministre, pour éviter un coup
de colère aux conséquences imprévisibles ?
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Louis Le Pensec,
ministre de l'agriculture et de la pêche.
Monsieur le sénateur, votre
question fait écho aux lourdes inquiétudes des producteurs de fruits et légumes
de notre pays.
J'ai reçu à différentes reprises leurs représentants, et cette semaine encore
ceux du Sud, dont certains venaient de votre département.
S'il est vrai que la climatologie a eu, sur ce secteur, des conséquences
parfois très lourdes, je crois qu'il y a aussi des raisons plus structurelles -
vous les avez évoquées - à ses difficultés.
L'organisation commune du marché fruits et légumes en est à sa première année
d'application. Elle est donc en quelque sorte en rodage, et je m'emploie, en
concertation avec les représentants professionnels, à la fois à en tirer le
maximum de bénéfices pour les producteurs français et à proposer les
améliorations nécessaires.
Je sais, cependant, que l'organisation commune n'est pas entièrement
satisfaisante. C'est pourquoi, avec ma collègue ministre de l'agriculture
espagnole, nous avons déposé devant la Commission européenne, lundi dernier, un
mémorandum commun sur les règles de fonctionnement de l'organisation
commune.
Pour insuffisante qu'elle soit, cette organisation commune a au moins un
mérite, celui d'encourager les producteurs de fruits et légumes à s'organiser
autour de programmes qu'ils ont définis en commun.
Comme vous, monsieur de sénateur, je juge anormal qu'il faille attendre plus
d'un an après un sinistre pour que les indemnités correspondantes soient
versées.
M. Roland Courteau.
Très bien !
M. Louis Le Pensec,
ministre de l'agriculture et de la pêche.
Je me suis donc fixé comme
objectif - c'est un objectif ambitieux - de faire en sorte qu'à l'avenir,
notamment pour le gel de 1998 - vous faisiez référence au gel de mars 1997 -
les premières indemnités au titre de la procédure des calamités puissent être
versées au moment où, s'il n'y avait pas eu d'incident climatique, les
agriculteurs auraient touché le revenu correspondant à la vente de leur
production.
Nous sommes donc convenus avec les professionnels d'accélérer le calendrier et
l'agenda des rencontres. Le 28 avril, la semaine prochaine donc, j'annoncerai
les mesures d'urgence qu'il convient de prendre. Le 15 mai, j'organiserai une
table ronde sur l'avenir de la filière fruits et légumes.
Monsieur le sénateur, nous sommes en présence d'un secteur ouvert au grand
vent de la concurrence, bénéficiant de peu de protection communautaire, mais
aussi créateur d'emplois et peu coûteux en soutiens publics. J'entends bien en
faire, dans l'avenir, l'un des secteurs bénéficiaires de la politique de
rééquilibrage des soutiens publics.
(Très bien ! et applaudissements sur les
travées socialistes, sur celles du groupe communiste républicain et citoyen,
ainsi que sur certaines travées de l'Union centriste et du RDSE.)
CULTURE ET FRONT NATIONAL
M. le président.
La parole est à M. Renar.
M. Ivan Renar.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues,
nous n'avons pas fini de mesurer les conséquences néfastes de ce vendredi noir
du 20 mars, où quelques élus, soucieux de préserver leur fauteuil de président
de région, n'ont pas hésité à pactiser avec le Front national.
(Murmures sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
Malheureusement !
Ceux qui refusent la subvention aux Chorégies d'Orange, qui ferment le théâtre
de Châteauvallon ou le café-musique de Vitrolles, qui interdisent les chanteurs
et artistes qui leur déplaisent, qui censurent les bibliothèques, les voilà aux
affaires en Languedoc-Roussillon, en Rhône-Alpes, en Bourgogne, en Picardie
!
Sous l'objectif affiché de « mettre fin à la dictature de la culture de gauche
» se cache, en réalité, une attaque en règle contre la culture, et tout
particulièrement la création contemporaine ; on l'a vu avec les attaques
ignobles contre certains fonds régionaux d'art contemporain et les artistes de
Montpellier.
On voit apparaître des listes noires d'artistes ou d'oeuvres comme en des
temps funestes où l'on parlait aussi « d'art dégénéré ».
Mme Hélène Luc.
Absolument !
M. Ivan Renar.
La culture ne se découpe certes pas en tranches partisanes. Mais on ne saurait
oublier que la liberté de création est inséparable de la liberté d'expression.
Etouffer l'une, c'est mieux garrotter l'autre.
Une chose est certaine, comme le disait un antifasciste célèbre : « Hommes,
veillez. »
C'est ce qu'ont d'ailleurs bien compris, il y a quatre semaines, ici même
monsieur le président, les trois cents sénateurs juniors qui ont adopté la «
Charte du jeune citoyen de l'an 2000 », dont un article ratifié à la
quasi-unanimité est ainsi conçu : « Le racisme est une attitude incompatible
avec les valeurs de la République. »
Mme Hélène Luc.
Très bien !
M. Ivan Renar.
« Combattre le racisme, c'est aussi lutter contre l'exclusion et pour
l'acceptation de toutes les différences. »
M. Jean Chérioux.
Toute dictature est condamnable !
M. Ivan Renar.
« Les diversités culturelles sont autant de richesses qu'il nous faut
préserver. » Voilà un grand souffle d'air frais, n'est-il pas vrai ?
La culture, les artistes, font partie de notre patrimoine national. Ils
contribuent en permanence à nouer le lien social. La nation et ses
représentants ont donc envers eux une responsabilité particulière d'aide et de
protection.
Le Gouvernement a annoncé un certain nombre de mesures, comme la création du
comité de vigilance anti-FN.
M. le président.
Votre question, monsieur Renar !
M. Ivan Renar.
J'y arrive, monsieur le président !
Les artistes, le public, les élus s'organisent aussi et manifestent, comme ils
l'ont fait à Montpellier samedi dernier.
Je salue, par ailleurs, les déclarations et les actions courageuses de Mme
Trautmann, notre ministre de la culture.
M. le président.
Veuillez poser votre question.
M. Ivan Renar.
Mais, au-delà, comment faire plus ? Mieux défendre la culture, mesdames,
messieurs les ministres, n'est-ce pas aussi réaffirmer, par des mesures
concrètes, notre volonté de la développer et de lui garder son indépendance,
son pluralisme, sa liberté ?
Enfin et surtout, ne faut-il pas placer les artistes, la liberté de création
et les structures culturelles menacés sous la haute protection de la
République, c'est-à-dire du Président de la République, du Gouvernement et du
Parlement ?
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen,
ainsi que sur les travées socialistes et sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat au budget.
Monsieur le sénateur, Mme la ministre de la
culture aurait souhaité vous répondre personnellement. Empêchée par un
déplacement officiel, elle m'a prié de le faire à sa place, ce dont vous
voudrez bien l'excuser.
Votre question revêt une importance particulière, en ces temps troublés par
des alliances contre nature.
Nous savons bien que le Front national, en particulier dans les villes qu'il
administre, s'est attaqué à la culture. Vous avez rappelé la censure qu'il
impose dans les bibliothèques, l'expulsion des animateurs du café-musique de
Vitrolles et la tentative de liquidation du centre chorégraphique de
Châteauvallon.
Mais, aujourd'hui, sa stratégie est plus globale, et en même temps plus
pernicieuse. Il n'est en effet nullement anodin que, dans les funestes accords
proposés aux présidents de région élus grâce à lui, le Front national ait fait
inscrire une référence à la défense de l'identité régionale. La manoeuvre est
explicite : récupérer à son profit la tradition patrimoniale pour l'opposer à
la création contemporaine et la disqualifier. En Languedoc-Roussillon - vous
l'avez dit - il a immédiatement désigné les artistes qu'il veut réduire au
silence.
Comme toujours, le Front national s'attaque à la création, à la diffusion de
la culture et appelle de ses voeux un repli communautaire. Les stratégies
totalitaires ou fascistes commencent par la domination des esprits, la remise
en cause de la liberté d'expression, la suppression d'une culture ouverte et
d'une création vivante.
Les artistes et les professionnels de la culture sont aujourd'hui en première
ligne, aux côtés des élus républicains de toutes tendances, pour défendre la
liberté fondamentale que représente ce droit à la culture qu'André Malraux a
particulièrement illustré en son temps.
Des comités de vigilance ont été créés dans de nombreuses régions sur
l'initiative des femmes et des hommes de culture. Ma collègue la ministre de la
culture et de la communication a installé auprès d'elle un comité national de
vigilance, constitué d'artistes ou de professionnels de la culture exerçant
dans les régions Languedoc-Roussillon, Picardie, Bourgogne et Rhône-Alpes,
d'artistes contemporains s'inspirant des traditions et des identités régionales
et d'artistes de grande renommée qui ont souhaité appuyer sa démarche de
vigilance.
Ce comité de vigilance aura une fonction d'observatoire, relayant auprès de la
ministre toutes les informations concernant les mises en cause ou les attaques
contre la création et la culture, ainsi qu'une fonction de réflexion et de
proposition, pour riposter à ces attaques.
Le principe de l'égal accès de tous à la culture est inscrit dans notre
Constitution. Aux côtés de l'Etat, les élus républicains ont contribué, depuis
des années, à bâtir un formidable réseau de création et de diffusion.
Contre les tenants du repli et de l'exclusion, le Gouvernement réaffirme sa
volonté d'inscrire le développement de la culture et de la création
contemporaine au titre de ses priorités. Comme il l'a fait à Vitrolles, à
Orange ou à Châteauvallon, comme il le fera demain dans d'autres régions si
cela se révélait nécessaire, l'Etat protégera la liberté de la diffusion
culturelle et les créateurs.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes, sur les travées
du groupe communiste républicain et citoyen et sur certaines travées du
RDSE.)
PRIVATISATION DU CRÉDIT LYONNAIS
M. le président.
La parole est à M. Marini.
M. Philippe Marini.
Ma question, qui s'adresse à M. le ministre de l'économie, des finances et de
l'industrie ou à M. le secrétaire d'Etat au budget, porte sur le Crédit
Lyonnais.
(Exclamations sur de nombreuses travées.)
Je souhaite, tout d'abord, souligner les évolutions notables des positions du
Gouvernement en ce qui concerne la privatisation du Crédit lyonnais.
En effet, en 1997, le Premier ministre déclarait que la privatisation
éventuelle serait examinée « le moment venu ». Puis le ministre de l'économie
et des finances déclarait à son tour : « La privatisation du Crédit Lyonnais
n'est pas à l'ordre du jour. » Enfin, depuis le début de l'année 1998, nous
voyons s'exprimer des propos différents. Hier, le 22 avril 1998, M.
Strauss-Kahn annonçait « une privatisation avant la fin 1999, sans
démantèlement ».
Je souligne, à ce propos, la manière quelque peu sinueuse avec laquelle le
Gouvernement traite les questions de privatisation, pour en arriver sans doute
à des points de vue réalistes qu'il aurait mieux valu prendre en compte dès le
départ.
Toutefois, plus concrètement, s'agissant de ce processus de privatisation, je
souhaite, monsieur le secrétaire d'Etat, vous poser plusieurs questions.
Compte tenu des directives de la Commission de l'Union européenne, que va-t-il
se passer en ce qui concerne le périmètre de ce groupe et les cessions de
filiales ou d'actifs auxquelles il va être contraint ?
Pouvez-vous nous confirmer que la cession d'une centaine de milliards de
francs d'actifs en Asie et en Amérique, s'ajoutant à la disparition future d'un
quart du réseau d'agences du Crédit Lyonnais en France, a été demandée par la
Commission de l'Union européenne ? Pouvez-vous nous en dire plus sur la manière
dont ses directives seront exécutées ?
Par ailleurs, monsieur le secrétaire d'Etat, ayant observé que des accords de
partenariat étaient en train de se nouer à l'heure actuelle entre la direction
générale du Crédit lyonnais, d'une part, et le groupe allemand Allianz d'autre
part, groupe d'assurances bien connu, notamment pour la distribution de
produits d'assurances, et ayant noté que le président du Crédit lyonnais était
appelé à siéger au conseil d'administration d'AGF, maintenant filiale
d'Allianz, je vous pose une autre question : le Gouvernement pourra-t-il mener
cette privatisation en toute liberté, d'un côté, vis-à-vis de la Commission de
l'Union européenne, et de l'autre, vis-à-vis de la propre direction générale du
Crédit lyonnais ? Celle-ci n'est-elle pas en quelque sorte en train de vous
placer devant un fait accompli en vous indiquant tout naturellement la voie à
suivre lorsque le patrimoine public devra être cédé ?
En résumé et en conclusion, pouvez-vous nous dire quelle sera votre liberté de
manoeuvre pour mener à bien cette privatisation du Crédit lyonnais ?
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants,
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat au budget.
Monsieur le sénateur, l'attitude du
Gouvernement en ce qui concerne le Crédit Lyonnais n'a pas fluctué.
L'objectif du Gouvernement, et ce dès le début du mois de juillet 1997, se
résume par quatre mots : transparence sur les pertes du passé - il y avait à
faire - plein exercice de la justice, rigueur dans la gestion du CDR, confiance
dans le redressement du Crédit Lyonnais d'aujourd'hui.
Le plan de 1995, auquel vous avez fait allusion, souffrant, hélas ! de
beaucoup d'imperfections, il a fallu le renégocier et le Gouvernement s'y est
employé.
Je voudrais vous dire d'emblée, monsieur le sénateur, que, sur ce sujet, qui
est un sujet grave, chacun doit rester calme et faire preuve de responsabilité
politique, juridique et financière. Et je ne fais pas là allusion à la Haute
Assemblée, bien évidemment.
(Ah ! sur les travées du RPR.)
M. Henri de Raincourt.
Ça change !
M. Christian Sautter
secrétaire d'Etat.
Toute évocation d'une mise en faillite est bien sûr
hors de propos. Il est clair que le Crédit Lyonnais s'est nettement redressé
depuis 1995 et que l'Etat soutiendra, en tant que de besoin, ce redressement
par tous les moyens appropriés. Les clients, les contreparties et les
partenaires ne courent donc aucun risque.
Pour répondre précisément à votre question, je vous dirai que la discussion
avec la Commission européenne n'est pas achevée. La France a répondu point par
point aux demandes de la Commission et elle a pris des engagements précis,
d'une ampleur considérable : un montant de contreparties, double de celui de
1995 ; un engagement de privatisation respectueux de l'intérêt de l'entreprise
et, ce qui est nouveau, de ses salariés ; une aide d'Etat réduite au strict
minimum en durée et en niveau.
J'en viens à votre seconde question, monsieur le sénateur. Des engagements
supplémentaires remettraient en cause la viabilité du Crédit Lyonnais et
iraient au-delà de l'effort ultime qu'il est possible de consentir. Des
contreparties plus importantes, comme l'abandon de toute présence sur les
grandes places bancaires européennes, menaceraient le redressement de la
banque. De même, l'obligation de procéder dans de brefs délais à une cession de
gré à gré en affecterait fortement les conditions de cession.
Je vous confirme que la France doit rester libre de déterminer les conditions
de la privatisation à laquelle elle s'était engagée afin de défendre les
intérêts du contribuable.
La viabilité du Crédit Lyonnais constitue un objectif incontournable aussi
bien pour la Commission européenne, qui ne peut approuver une aide publique que
si celle-ci garantit la viabilité de l'entreprise, que pour le Gouvernement
pour lequel elle constitue un enjeu économique et social majeur du point de vue
des intérêts nationaux et sur lesquels il n'est pas possible de transiger.
En conclusion, monsieur le sénateur, c'est dans ce cadre que le Gouvernement
mettra à profit les prochaines semaines pour parvenir à une solution équilibrée
avec la Commission européenne, conforme à la bonne gestion du patrimoine public
dans le respect des règles communautaires, dans le respect des intérêts de
l'entreprise, qui se redresse, et dans le respect de ses salariés.
(Applaudissements sur les travées socialistes, sur certaines travées du RDSE,
ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
CONSÉQUENCES DU GEL DANS LE MIDI
M. le président.
La parole est à M. Courteau.
M. Roland Courteau.
Monsieur le ministre de l'agriculture, c'est un nouveau coup du sort qui vient
de frapper le monde agricole avec les terribles gelées des vignobles et des
arbres fruitiers, et c'est une véritable catastrophe économique et sociale qui
vient de s'abattre sur le Languedoc, plus précisément sur les départements de
l'Aude, de l'Hérault, du Gard, des Pyrénées-Orientales, mais aussi sur la
vallée du Rhône, dans la Drôme.
L'importance du désastre est immense et les dégâts se chiffreront en milliards
de francs de pertes de recettes anéantissant ainsi l'économie entière de
régions ravagées par un cataclysme sans précédent.
L'impact est terrible, monsieur le ministre, et le traumatisme
particulièrement violent. Les populations concernées, plongées dans le désarroi
et l'incertitude des lendemains, en appellent à la solidarité nationale face à
un sinistre qui, comme chacun le sait, ne correspond pas à un risque assurable,
ce qui imposera de prendre sans délai des dispositions législatives permettant
aux assureurs de couvrir le risque lié au gel.
Mais pour l'heure, monsieur le ministre, nous sommes tous interpellés en
urgence, et des réponses à très court terme sont attendues : réponses fiscales,
réponses sociales, réponses bancaires, bref des réponses adaptées, ajustées,
significatives et exceptionnelles, car nous sommes bien, de par l'ampleur des
ravages, dans une situation hors normes.
C'est ainsi que, s'agissant de la reconnaissance du caractère de calamité
agricole qui débouchera sur des aides directes, il nous faut anticiper,
monsieur le ministre, sur les procédures normales. La survie et la pérennité
des exploitations, les enjeux économiques et sociaux commandent en effet d'agir
en extrême urgence, avec le versement des premières aides à la date normale des
récoltes. De même, il convient de prendre des dispositions exceptionnelles en
faveur de ceux parmi les sinistrés qui ont été frappés plusieurs fois au cours
de ces dernières années.
M. le président.
Veuillez poser votre question, monsieur le sénateur.
M. Roland Courteau.
L'ampleur du désastre économique frappant l'ensemble de la filière impose
d'agir vigoureusement et sans attendre. La nécessité de rassurer ceux qui sont
à l'origine du renouveau de la viticulture l'exige également.
Monsieur le ministre, au travers d'un dispositif que nous souhaitons efficace
et ajusté, nous vous demandons d'envoyer dès aujourd'hui, à ces femmes et à ces
hommes plongés dans le désarroi, un message fort de soutien et de solidarité
effective afin que, demain, aucun d'entre eux ne succombe à la tentation de
baisser les bras.
(Applaudissements sur les travées socialistes, sur les
travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines
travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Louis Le Pensec,
ministre de l'agriculture et de la pêche.
C'est effectivement, monsieur
le sénateur, une situation hors normes que traversent, depuis le gel du 13
avril dernier, de nombreuses régions arboricoles et viticoles du sud-est de la
France.
Dès que j'ai eu connaissance des graves conséquences que cela entraînait sur
les vignobles et sur les vergers, j'ai demandé à l'un de mes conseillers
techniques d'aller sur place. Il a pu se rendre dans la Drôme dès samedi, et
vous l'avez rencontré avec les représentants de la profession et ceux de l'Etat
dans votre département.
Il m'a fait part sur-le-champ de l'importance de ce sinistre, et j'ai
immédiatement demandé que des expertises précises soient faites.
Concernant l'arboriculture et le maraîchage, j'ai reçu personnellement une
délégation de professionnels dès mon retour du conseil des ministres européens
de l'agriculture, mardi soir.
J'ai confirmé que la solidarité nationale jouerait, à cette occasion, à un
niveau et selon des modalités adaptés à la gravité du sinistre.
Ainsi que vous le souhaitiez, je me suis donné l'objectif de mettre en place
un dispositif de versement des indemnités de calamités qui se traduirait par un
paiement au moment où, s'ils n'avaient pas subi le gel, les professionnels
auraient pu vendre leur production.
J'ai confirmé, par ailleurs, que certaines mesures d'urgence, je pense aux
aides à la trésorerie, aux mesures de report ou de différé de charges fiscales,
financières et sociales, seront mises en place et annoncées dès la semaine
prochaine, le 28 avril.
Pour cette filière arboricole et maraîchère, ces mesures d'urgence seront
complétées par des mesures structurelles dont nous débattrons au cours de la
table ronde du 15 mai sur l'avenir de la filière fruits et légumes.
En ce qui concerne la viticulture, tout semble indiquer que le département de
l'Aude a été particulièrement touché, mais il n'est pas le seul.
Je souhaite bien entendu que la même procédure soit mise en oeuvre pour les
vignerons sinistrés, et qu'ils puissent, eux aussi, bénéficier de leurs
premières indemnités au moment où ils espéraient encaisser le bénéfice de
revenus issu de la vente de leur vin, c'est-à-dire au début de l'année 1999.
Bien entendu, pour le cas particulier des agriculteurs victimes plusieurs fois
de suite d'un tel sinistre, des mesures spécifiques seront trouvées et il a été
convenu qu'un groupe spécial de travail sur la viticulture serait mis en
place.
J'ajoute que je suis, bien évidemment, conscient des difficultés induites en
aval de la filière, notamment pour les coopératives viticoles, fruitières et
légumières, qui sont le prolongement direct des exploitations et dont le rôle
est essentiel. C'est leur pérennité qui, peut-être, est dans certains cas, en
cause. Je suis donc décidé à trouver les moyens de les accompagner pour passer
ce cap difficile.
Je voulais tout simplement redire ici la double détermination du Gouvernement
à trouver des réponses rapides et efficaces mais aussi, par-delà la
conjoncture, à préparer des mesures plus structurelles pour un secteur qui
mérite bien cette double attention.
(Applaudissements sur les travées
socialistes, sur celles du groupe communiste républicain et citoyen ainsi que
sur certaines travées du RDSE.)
INTERDICTION DU FILET MAILLANT DÉRIVANT
M. le président.
La parole est à M. Moinard.
M. Louis Moinard.
Monsieur le président, ma question s'adresse à M. le ministre de
l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation.
Le 8 juin prochain, le conseil des ministres de la pêche de l'Union européenne
se réunit et doit se prononcer sur l'interdiction totale du filet maillant
dérivant pour la pêche au thon blanc dit thon germon.
L'activité de nombreux ports vendéens et bretons dépend directement de cette
technique du filet dérivant ; permettez-moi de citer l'île d'Yeu, premier port
thonier français.
Comme vous le savez, monsieur le ministre, les pêcheurs ont, depuis dix ans,
consenti des sacrifices pour se conformer aux évolutions des règles
internationales dans ce domaine, c'est-à-dire que les filets ne dépassent pas
2,5 kilomètres et que la pêche est étroitement surveillée et les pratiques
contrôlées dans le cadre communautaire.
M. Charles Pasqua.
Mais que fait la police ?
(Sourires.)
M. Louis Moinard.
« Rien ne justifie d'aller au-delà des décisions prises par les Nations unies.
Si l'Europe persistait à vouloir liquider ce métier, elle me trouverait comme
un opposant totalement déterminé à cette mesure », déclariez-vous, monsieur le
ministre, à l'issue de la rencontre que vous avez eue le 22 janvier avec une
délégation de pêcheurs au filet maillant dérivant du Comité national des
pêches.
A la veille du conseil des ministres de la pêche de l'Union européenne, nous
ne disposons plus d'une minorité de blocage. Il est donc indispensable soit de
faire revenir les Britanniques sur leur position, soit d'entraîner d'autres
partenaires à nos côtés. Il existe, vous le savez, des contacts entre les
pêcheurs français et leurs homologues des pays de l'Union européenne, dont la
Belgique et le Danemark.
Dès lors, pouvez-vous, monsieur le ministre, faire état devant la Haute
Assemblée des négociations en cours et réaffirmer la position de la France ?
Nous devons, tous ensemble, nous opposer à une mesure discriminatoire qui
retirerait l'instrument de travail à nos pêcheurs dynamiques et courageux. Une
telle injustice ne doit pas exister !
(Applaudissements sur les travées de
l'Union centriste, du RPR, des Républicains et Indépendants, ainsi que sur
certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Louis Le Pensec,
ministre de l'agriculture et de la pêche.
Monsieur le sénateur, depuis le
début de l'année, je me suis fortement mobilisé avec la profession contre
l'interdiction du filet maillant dérivant. Cette proposition communautaire ne
repose en effet que sur des considérations politiques afin de satisfaire une
partie de l'opinion publique et n'est aucunement justifiée tant au plan
scientifique qu'au regard de nos obligations internationales.
Le Royaume-Uni, qui assure actuellement la présidence du Conseil de l'Union
européenne, comptait aboutir sur ce dossier le 24 mars, lors du dernier conseil
européeen des ministres de la pêche, sans tenir compte des conséquences
socio-économiques très lourdes qu'entraînerait une interdiction, singulièrement
pour les pêcheurs de l'île d'Yeu.
La forte mobilisation de la France, de ses professionnels mais aussi de son
gouvernement, a donc permis d'éviter une décision brutale lors de ce conseil,
mais, comme vous l'indiquez, monsieur le sénateur, les débats ont clairement
montré qu'une majorité qualifiée était d'ores et déjà réunie pour interdire le
filet maillant dérivant. Nous avons pu obtenir que le vote n'ait pas lieu. Nous
avons aussi noté que les conditions avaient été réunies pour que la minorité de
blocage ne puisse plus exister.
J'ai bien l'intention de continuer à m'opposer résolument à la proposition qui
nous est soumise et je maintiens des contacts étroits avec mes homologues des
autres Etats membres et avec la Commission pour les convaincre du bien-fondé de
la position française.
Il est bien clair que la France refusera de s'engager dans une logique de
suppression de ce métier. Je compte d'ailleurs rencontrer, avant le prochain
conseil du 8 juin, le président en exercice de l'Union européenne. Je
veillerai, en tout état de cause, à défendre les intérêts des pêcheurs qui
dépendent particulièrement de cette forme de pêcherie.
Aussi, dans la perspective de la décision qui sera adoptée le 8 juin, mon
objectif est de définir, en étroite concertation avec les professionnels
concernés, les conditions qui garantiront le maintien de leur activité et
d'obtenir satisfaction sur celles-ci.
J'ai pleinement conscience de l'enjeu qui s'attache à cette négociation qui,
ne nous le cachons pas, ne sera pas facile à mener à bien. Soyez assurés de ma
totale détermination pour la mener à bien dans les meilleures conditions au
bénéfice d'une activité de pêche dynamique, rentable, essentielle pour les
régions qui en dépendent.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen et sur certaines travées de l'Union
centriste.)
COÛT DE L'ÉLARGISSEMENT
DE L'UNION EUROPÉENNE POUR LA PAC
M. le président.
La parole est à M. Bonnet.
M. Christian Bonnet.
Ma question, vous voudrez bien m'en excuser, s'adresse également à M. le
ministre de l'agriculture et de la pêche.
(Exclamations.)
M. Paul Raoult.
C'est vraiment un excellent ministre !
M. Christian Bonnet.
Mais, rassurez-vous, je ne parlerai pas du chou-fleur !
(Rires.)
A la faveur de l'élargissement programmé de l'Union européenne, de nouveaux
membres, venus de l'Est, vont y entrer.
Leurs économies convalescentes vont en faire de grands consommateurs de fonds
structurels, comme l'ont été et le sont encore les pays du Sud.
Au moment où s'amorcent les négociations pour une énième réforme de la
politique agricole commune, ne redoutez-vous pas, monsieur le ministre, que la
part du budget de l'Union consacrée à l'agriculture ne devienne - à l'instar de
celle du budget de la défense dans celui de la France - la variable
d'ajustement rêvée ?
(Applaudissements sur les travées des Républicains et
Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées
du RDSE.)
M. le président.
Je remercie mon ami M. Christian Bonnet de la concision de sa question.
La parole est à M. le ministre.
M. Louis Le Pensec,
ministre de l'agriculture et de la pêche.
Monsieur le sénateur, la France
a marqué son attachement à l'élargissement de l'Union européenne. Cela
n'exonère personne d'une extrême vigilance sur les coûts de cet élargissement,
en particulier pour la PAC.
Le principe est simple : l'élargissement ne doit pas priver les agriculteurs
des quinze actuels Etats membres des moyens nécessaires à la conduite de leurs
activités.
La Commission européenne a, dans ses récentes propositions, présenté un
chiffrage des implications budgétaires de l'élargissement pour la PAC. Elle
estime ce coût, sur l'ensemble de la période s'étendant de 2000 à 2006, à 100
milliards de francs, qu'il s'agisse de l'aide préalable à l'adhésion ou des
soutiens accordés aux nouveaux Etats membres.
En 2006, les dépenses liées à l'élargissement représenteraient, selon la
Commission, 7 % du total des dépenses agricoles.
Il faut noter que l'essentiel du soutien envisagé pour les pays candidats
porte sur les fonds structurels, soit 290 milliards de francs sur l'ensemble de
la période.
Les évaluations de la Commission résultent de trois séries d'hypothèses : tout
d'abord, d'un élargissement somme toute tardif, ce que l'on peut aisément
imaginer ; ensuite, des périodes transitoires importantes pour les nouveaux
adhérents ; enfin, des aides au titre de la PAC pour les agriculteurs des
nouveaux Etats membres, peu élevées dès lors que les prix, dans les pays
d'Europe centrale et orientale, les PECO, resteront plus faibles que dans les
quinze Etats membres actuels.
Nous faisons cependant preuve d'une grande vigilance dans les négociations qui
s'ouvrent, certains candidats ayant annoncé leur souhait de ne pas mettre en
place de période transitoire et de bénéficier d'aides à l'agriculture
identiques à celles qui sont accordées aux Quinze.
L'Union et, au premier chef, la Commission, devra faire preuve de prudence et
conserver des marges pour faire face aux dépenses liées à la réforme de la PAC,
aux dépenses imprévues du type de celles que nous avons mises en oeuvre au
moment de la crise de l'encéphalite spongiforme bovine ainsi qu'aux coûts réels
de l'élargissement avant et après 2006.
Cela devra se faire dans le cadre d'une incontournable discipline budgétaire
qui s'imposera à l'ensemble du budget communautaire. C'est, je le sais, le
légitime souci des parlementaires qui votent la contribution française au
budget de l'Union. C'est aussi le souci croissant d'autres Etats membres
contributeurs nets.
Je note à cet égard que d'importantes marges apparaissent sous la ligne
directrice agricole vers les années 2005 et 2006 dans les propositions de la
Commission. Certains en tirent la conclusion que la ligne directrice agricole
n'aurait plus de raison d'être. Il n'en est rien, en raison des précautions
budgétaires que nous devons prendre et que j'évoquais plus tôt.
Cela est d'ailleurs indissociable de la position du Gouvernement sur la
réforme de la PAC. En donnant aux dépenses agricoles une assise et une
légitimité accrues, nous garantirons d'autant plus la ligne directrice
agricole, qui reste pour la France un principe intangible, et le financement de
la PAC en faveur des agriculteurs français.
(Applaudissements sur les
travées socialistes, ainsi que sur certaines travées de l'Union centriste et
des Républicains et Indépendants.)
ASSASSINAT D'UN CHAUFFEUR ROUTIER
M. le président.
La parole est à M. Taugourdeau.
M. Martial Taugourdeau.
Monsieur le président, ma question s'adresse à M. le ministre de
l'intérieur.
Dans la nuit du 14 au 15 avril, Alain Testu, chauffeur de poids lourd, a été
assassiné alors qu'il dormait dans la cabine de son camion qui était stationné
sur une aire de repos le long de la rocade de Chartres.
Monsieur le ministre, ce drame est la forme la plus tragique d'événements trop
fréquents que sont les agressions de chauffeurs de poids lourd pendant leur
repos.
Notre société a déjà fort à faire avec les nouvelles formes de violence, elle
n'a pas besoin de voir resurgir le « banditisme de grands chemins » que l'on
croyait disparu.
Ces agressions de conducteurs de poids lourd semblent être commises à
l'occasion d'arrêts dans des aires de repos isolées et peu sûres, lors de
pauses rendues obligatoires toutes les quatre heures par le règlement en
vigueur.
Lorsque le couperet du repos obligatoire tombe, il semble que les chauffeurs
n'aient pas toujours le choix de s'arrêter où ils le voudraient.
Monsieur le ministre, il ne s'agit pas de remettre en cause une réglementation
dont on sait qu'elle a des vertus protectrices pour la sécurité de tous, des
chauffeurs en particulier.
Toutefois, ne serait-il pas envisageable d'appliquer cette réglementation avec
la souplesse nécessaire pour laisser le temps aux chauffeurs de rejoindre une
aire de repos véritablement aménagée et plus sûre ?
Concrètement, il s'agirait, pour les forces de l'ordre - police ou gendarmerie
- de faire preuve d'indulgence dans l'application de cette réglementation, en
autorisant une marge de retard qui serait non plus de quelques minutes, comme
c'est le cas actuellement, mais qui pourrait aller jusqu'à la demi-heure
lorsque les chauffeurs pourraient justifier qu'ils se rendent à une aire de
repos aménagée.
Monsieur le ministre, je me permets maintenant de vous demander de transmettre
nos félicitations à vos services qui ont, semble-t-il, confondu rapidement les
assassins d'Alain Testu.
Cependant, à terme, ne pensez-vous pas, monsieur le ministre, que le
Gouvernement pourrait étudier, le long des autoroutes et des routes nationales,
les conditions d'aménagement d'espaces mieux protégés, en particulier gardés,
comme c'est le cas dans certains pays européens ?
(Applaudissements sur les
travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi
que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
Monsieur le sénateur, le fait dramatique auquel
vous venez de faire référence, à savoir l'assassinat d'un chauffeur-routier,
Alain Testu, tué de deux balles dans la tête le 15 avril 1998, vient en effet
de trouver son épilogue sur le plan policier, puisque le commanditaire de
l'acte, dénommé Picandet, a été interpellé dès le 21 avril et que les auteurs
de l'acte ont été arrêtés le 22 avril au matin, c'est-à-dire hier. Il s'agit de
Thierry N'Goala et de sa concubine Agnès Juguet. Ils seront présentés au juge
Bruno Revel, juge d'instruction à Chartres, qui est chargé de cette affaire.
A travers ce tragique fait divers, se pose en effet la question de la
multiplication d'actes de violence contre des chauffeurs-routiers avec comme
claire finalité le vol du fret ou le vol du camion.
Nous n'en sommes pas revenus au temps des diligences, mais la multiplication
de ces faits a depuis longtemps attiré l'attention des services de police et de
gendarmerie qui adaptent leur action en conséquence.
Une attention soutenue est ainsi portée à la surveillance des aires de
stationnement et des stations-service par les différentes forces de police ou
de gendarmerie.
Comme vous le savez, ce sont à la fois le service central des CRS à travers
ses formations motocyclistes, la brigade centrale de répression des trafics de
la direction centrale de la police judiciaire et les services régionaux de
police judiciaire qui suivent ces affaires.
Plusieurs opérations ont été lancées. C'est ainsi que, en 1995, 200 camions
ont été récupérés par la brigade centrale de répression des trafics.
C'est ainsi également que, en 1997, l'opération « fret-91 », où plus de trois
cents gendarmes sont intervenus, a permis d'interpeller cinquante-neuf
personnes et de récupérer deux cents mètres cubes de marchandises diverses.
Depuis le début de l'année 1997, quatre-vingt-dix-huit personnes ont été
interpellées pour des attaques à main armée ou pour avoir excipé de fausses
qualités au préjudice des transporteurs routiers.
Le problème primordial, c'est donc de la prévention. Certaines expériences ont
été menées ; elles ont porté leurs fruits. C'est ainsi que la SEÏTA a équipé
ses véhicules de balises Argos.
Par ailleurs, nous avons entrepris une concertation avec les professionnels.
Plusieurs propositions déjà avancées par le passé pourraient être reprises.
Elles visent, tout d'abord, à organiser le transport des marchandises
sensibles en sélectionnant les chauffeurs, en choisissant les itinéraires, en
assurant un maximum de discrétion sur la nature des marchandises
transportées.
Elles ont ensuite pour objet d'améliorer la coordination au moment des
chargements et des déchargements de marchandises. En effet, les délais
importants sont souvent mis à profit par les agresseurs.
Elles consistent encore à marquer, à l'aide de puces électroniques, des
échantillons de marchandises afin de pouvoir localiser ceux-ci rapidement. Nous
avons d'ailleurs besoin de l'impulsion des assureurs pour aller dans ce
sens.
Enfin, elles portent sur la création de parcs de stationnement réservés
exclusivement pour les poids lourd et gardés. Je crois savoir que, grâce à
cette méthode, l'Italie a réussi à endiguer un phénomène qui a pris dans ce
pays des proportions encore plus impressionnantes.
Monsieur le sénateur, vous sollicitez l'indulgence des services de police
s'agissant des pauses obligatoires. Sachez qu'elle est bien évidemment acquise
aux chauffeurs de poids lourds, à condition que les retards ne dépassent pas la
demi-heure.
Enfin, il s'agit, en cas d'agression ou de vol, de sensibiliser les chauffeurs
et les employeurs à une information rapide des services de police et de
gendarmerie, condition indispensable pour que nous puissions répondre
efficacement à ce type de délinquance spécifique.
(Applaudissements sur les
travées socialistes, ainsi que sur certaines travées du RDSE, de l'Union
centriste et du RPR.)
ACCORDS DE NOUMÉA
M. le président.
La parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche.
C'est à vous, monsieur le secrétaire d'Etat à l'outre-mer, que j'ai
l'intention d'adresser ma question.
Comment parler de la Nouvelle-Calédonie sans évoquer d'abord le drame d'Ouvéa,
la mémoire des Français Kanaks et des gendarmes de métropole dont la mort
tragique avait ému l'ensemble du pays, ainsi que l'odieux assassinat de l'homme
de paix et de dialogue qu'était Jean-Marie Tjibaou.
Après tant de violences et de passions exacerbées, le gouvernement de Michel
Rocard avait réussi à réunir, pour dialoguer, Jacques Lafleur et Jean-Marie
Tjibaou, ainsi que les forces politiques calédoniennes en vue d'aboutir à ce
que l'on a appelé les « accords de Matignon ».
Ces accords ont permis aux Calédoniens de connaître dix ans de paix, de
reconnaissance mutuelle, de fraternité retrouvée. Des négociations, certes
difficiles, mais finalement fructueuses, ont abouti dans les domaines
identitaire, économique, social et culturel. Obtenue tout dernièrement, sous
l'impulsion de M. le Premier ministre, la levée du préalable minier assurera le
développement économique de la province Nord.
L'engagement personnel de M. le Premier ministre, votre remarquable travail,
monsieur Queyranne, de même que la volonté des forces politiques de construire
un avenir dans un destin commun ont abouti aux récents accords de Nouméa.
Comment ne pas s'en réjouir ?
Sur les bases d'une citoyenneté reconnue de la Nouvelle-Calédonie, un nouveau
statut doit être élaboré. Le temps presse, puisque la consultation référendaire
doit intervenir avant la fin de cette année 1998. Monsieur le secrétaire
d'Etat, pourriez-vous nous préciser le calendrier ainsi que la méthode mise en
oeuvre pour associer, comme promis, l'ensemble des forces politiques du
territoire ?
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Jean-Jack Queyranne,
secrétaire d'Etat à l'outre-mer.
Monsieur le sénateur, vous avez évoqué
les dix années qui viennent de s'écouler, marquées par le drame d'Ouvéa, mais
aussi par les accords de Matignon, voulus par le gouvernement de M. Michel
Rocard.
Ces accords de Matignon ont permis d'amener en Nouvelle-Calédonie une période
de paix, de développement, de partage des responsabilités entre toutes les
communautés qui y vivent, et d'abord entre la communauté kanake et la
communauté européenne.
Vous savez que les accords de Matignon prévoyaient l'organisation d'un
référendum d'autodétermination avant le 31 décembre 1998, référendum prévu par
l'article 53 de notre Constitution.
Dès 1991, M. Lafleur, président du RPCR, évoquait la possibilité d'éviter ce
référendum d'autodétermination, référendum couperet - puisque la réponse,
qu'elle soit « oui » ou « non », aurait conduit à diviser la Nouvelle-Calédonie
à nouveau en deux camps - en préconisant une solution consensuelle à laquelle
le FLNKS se ralliait, mais il restait encore à élaborer une telle solution.
Après la question minière, qui a été réglée au début du mois de février de
cette année, nous avons entrepris des discussions bilatérales et trilatérales
avec les deux partenaires historiques des accords de Matignon, le RPCR et le
FLNKS.
C'est le 24 février que le Premier ministre, M. Jospin, a ouvert ces
discussions, qui se sont poursuivies à Paris et à Nouméa, de façon à parvenir à
rapprocher des points de vue qui, au départ, vous le savez tous, étaient
éloignés.
Ces discussions, je crois, ont contribué à trouver un point d'équilibre entre
les aspirations des deux communautés qui s'est traduit par un document qu'on
appelle « les accords de Nouméa ». Ce document est important sur le plan non
seulement du volume - dix-huit pages - mais aussi des perspectives qu'il trace
pour l'avenir de la Nouvelle-Calédonie.
J'avais été très frappé en me rendant en Nouvelle-Calédonie par cette
incertitude qui régnait : qu'allait-il se passer pour les populations après
1998 ? Cette incertitude était, évidemment, lourde pour les choix à effectuer
en matière d'investissement, de formation des jeunes, pour toutes les décisions
qui concernent la vie des populations.
Au travers de ce document, nous avons reconnu, dans un préambule, la place de
l'identité kanake, qui a d'abord été mutilée en raison des événements de la
colonisation, mais qui doit maintenant être remise au coeur du développement de
la Nouvelle-Calédonie.
Nous avons également reconnu que les communautés qui vivent en
Nouvelle-Calédonie doivent essayer de construire un avenir partagé.
Dans le document de Nouméa figurent des orientations fortes en matière
d'organisation institutionnelle, de développement économique et social, avec la
perspective, vous le savez, de l'organisation d'un nouveau référendum d'ici à
vingt ans ou peut-être, si le congrès en décide autrement, dans une période de
quinze à vingt ans, entre 2013 et 2018.
Au cours de cette période de quinze à vingt ans, nous assurerons les
transferts de souveraineté et de compétences, sachant que, à la fin de cette
période, l'Etat conservera uniquement ce que l'on appelle les compétences
régaliennes, c'est-à-dire l'ordre public, la défense, la monnaie, la justice,
les relations internationales.
Les transferts de compétences devront s'accompagner - il me paraît important,
en effet, de préparer les femmes et les hommes à assumer le destin du pays -
d'un important effort de formation, de rééquilibrage économique et de
développement social.
Tel est l'esprit des accords de Nouméa. Nous aurons, bien sûr, sur le plan
législatif, parlementaire, un important travail à réaliser.
D'abord, nous examinerons un projet de loi constitutionnelle que M. le Premier
ministre soumettra à M. le Président de la République, puisque c'est ce dernier
qui engage les procédures en matière de révision constitutionnelle. Vous savez
que M. le Président de la République a accueilli favorablement cette démarche.
Ce projet de loi constitutionnel permettra d'aborder un certain nombre
d'aspects fondamentaux concernant l'avenir de la Nouvelle-Calédonie.
Ensuite, un projet de loi, probablement organique, fixera le nouveau régime
des institutions. C'est un travail qui nous occupera, je pense, d'ici à
l'automne.
Enfin seront soumises à référendum - cette solution consensuelle - les
dispositions organiques autorisées par la révision constitutionnelle,
dispositions qui préciseront l'organisation de la Nouvelle-Calédonie.
Si ces dispositions étaient favorablement accueillies par le Parlement et par
le corps électoral en Nouvelle-Calédonie, il y aurait ensuite en 1999...
M. Jacques Machet.
C'est trop long !
M. Jean-Jack Queyranne,
secrétaire d'Etat.
... la mise en place de nouvelles institutions.
M. le président.
Je vous demanderai de bien vouloir conclure, monsieur le secrétaire d'Etat.
M. Jean-Jack Queyranne,
secrétaire d'Etat.
Tel est l'esprit des accords de Nouméa et le
calendrier prévu. Je souhaite qu'à travers ces démarches que nous aurons à
entreprendre tous ensemble nous tracions, pour la Nouvelle-Calédonie, l'avenir
de paix et de développement qu'ont voulu définir à Nouméa les communautés
membres par le biais de leurs principales formations politiques.
(Applaudissements sur les travées socialistes. - MM. Hyest et Lanier
applaudissent également.)
COMPENSATION DES CHARGES
LIÉES À LA VISITE PRÉANESTHÉSIQUE
M. le président.
La parole est à M. Lorrain.
M. Jean-Louis Lorrain.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la
consultation du patient à distance de son intervention chirurgicale fait partie
des obligations imposées par le décret n° 94-1050 du 5 décembre 1994 aux
anesthésistes-réanimateurs. La charge supplémentaire qui en découle, en matière
d'effectifs - secrétaires, infirmières-anesthésistes - et de temps devait
recevoir une contrepartie financière qui leur est maintenant refusée.
A
contrario,
le remboursement des sommes indûment perçues pour ces
consultations cotées CS leur est demandé.
La profession des anesthésistes-réanimateurs nécessite un sens aigu des
responsabilités, une participation dans de multiples commissions -
hémovigilance, matériovigilance, pharmacovigilance. Son exercice comporte des
risques. Les compagnies d'assurances hésitent maintenant à conclure des
contrats avec les anesthésistes. Il implique aussi des contraintes lourdes,
telles la permanence des soins vingt-quatre heures sur vingt-quatre, une
exigence de qualité sans concession, une obligation de résultat, et non plus de
moyens comme dans d'autres spécialités médicales, ainsi qu'un devoir
d'information du patient.
Les effectifs des anesthésistes-réanimateurs sont loin d'être pléthoriques, la
non-revalorisation des actes démobilise beaucoup d'entre eux, qui changent de
spécialité ou partent pour l'étranger. Le décret du 5 décembre 1994 n'est pas
applicable sur le plan démographique ; le manque de temps, la surcharge de
travail et les difficultés de financement desservent également ses
objectifs.
Nous connaissons, monsieur le ministre, votre attachement à cette branche.
Votre ministère envisage-t-il de prendre des mesures à titre compensatoire pour
la surcharge de travail et les effectifs auxiliaires générés par les
dispositions du décret précité ?
(Applaudissements sur les travées du RPR et
de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat à la santé.
Monsieur le sénateur, oui les anesthésistes
ont de lourdes obligations. Ils sont l'honneur de la profession ! Oui, il faut
assurer la sécurité des malades ! Mais, vous avez raison, les anesthésistes
sont peu nombreux et beaucoup sollicités.
Monsieur le sénateur, le décret que vous avez mentionné est exact mais,
depuis, la Cour de cassation a tranché le litige qui a longtemps opposé des
anesthésistes-réanimateurs libéraux exerçant en clinique aux caisses
d'assurance maladie.
La situation est désormais claire.
Un patient qui doit subir une intervention chirurgicale bénéficie d'une
consultation préanesthésique approfondie avec l'anesthésiste dans les quelques
jours qui précèdent l'intervention, puis d'une autre visite préanesthésique
quelques heures avant l'opération.
La première consultation est rémunérée, comme une consultation de spécialiste
habituelle, selon la cotation prévue à la nomenclature CS ; la seconde est
comprise dans la rémunération de l'acte d'anesthésie pratiqué pour
l'intervention chirurgicale. Comme vous le savez, la rémunération des
anesthésistes-réanimateurs est fonction de la cotation de l'acte chirurgical
effectué, c'est-à-dire en fonction de la gravité de l'intervention.
Ce point de droit étant dorénavant clarifié par la Cour de cassation, je
comprends que ces deux visites devenues obligatoires pèsent lourdement mais,
pour le patient, elles sont indispensables. En effet, si elle grèvent l'emploi
du temps de l'anesthésiste, elles rassurent le patient et assurent plus de
sécurité, ce qui est l'objectif !
Mais vous avez raison, on sollicite souvent l'anesthésiste, notamment pour la
matériovigilance, la pharmacovigilance, pour le SAMU, les urgences. Cette
profession détient ce que l'on appelle le « record de pénibilité ». Il est, en
effet, fatigant de prendre des gardes.
Vous le savez, nous formons autant d'anesthésistes que la Belgique ; depuis
1988, tous les CES ont disparu ; nous en formons de moins en moins et un
Land
allemand en forme autant que nous dans l'année. Voilà où nous en
sommes.
Que faire devant ce constat ? D'abord, il faut transformer la formation
initiale. Nous nous y employons avec Claude Allègre. C'est un travail de longue
haleine.
Surtout, monsieur le sénateur, il nous faudra réformer le concours de
l'internat afin que l'on puisse susciter des vocations d'anesthésiste, qui
disparaissent en raison du caractère pénible de l'emploi, et ainsi recruter les
anesthésistes dont le pays a besoin.
Enfin, il faudra quand même un jour se poser le problème des rémunérations.
Nous avons entamé des discussions à ce propos avec les syndicats de praticiens
hospitaliers. Il faut revaloriser le statut de praticien hospitalier sinon des
vocations se détourneront de l'hôpital public et se porteront sur les cliniques
privées, où, malgré les difficultés, les salaires sont de trois à quatre fois
supérieurs.
Ce chantier est devant nous, monsieur le sénateur, et nous y sommes très
attentifs. Il faut savoir, vous qui défendez très souvent les hôpitaux de
proximité, que s'il n'y a pas d'anesthésistes, il n'y a plus de services
hospitaliers, plus de chirurgie, plus de maternité. Il est donc essentiel, pour
défendre notre structure et sa densité, de développer ces vocations.
(Applaudissements.)
PROJET DE BUDGET POUR 1999
M. le président.
La parole est à M. Eckenspieller.
M. Daniel Eckenspieller.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues,
ma question porte sur la préparation du projet de budget pour 1999.
(Exclamations sur les travées du RPR.)
Notre collègue Chrisitian Poncelet, président de la commission des
finances, n'eût pas manqué de la poser s'il n'avait été retenu par une réunion
de la commission mixte paritaire sur la Banque de France.
Le Premier ministre a décidé de « lâcher la bride » sur les dépenses
publiques, qui devraient progresser l'année prochaine d'un point de plus que
l'inflation, soit de 2,2 %.
Cette orientation contredit à l'évidence les plus récentes analyses de la
Banque de France, qui constate que « la poursuite de la consolidation
budgétaire devrait, à l'avenir, passer par la réduction de la dépense publique
».
Autre autorité, contre l'analyse de laquelle va la politique préconisée par le
Gouvernement, l'Institut monétaire européen, qui, dans son dernier rapport,
préconise « de nouveaux progrès substantiels en matière d'assainissement des
finances publiques ».
Selon les statistiques de la Commission européenne, la France est le plus
mauvais élève avec un déficit structurel, c'est-à-dire hors effet de la
croissance, de 2,6 % du produit intérieur brut, pour une moyenne communautaire
de 1,7 %.
Pour le moment, le Gouvernement repousse, grâce au retour de la croissance,
toute action volontariste, pourtant indispensable, sur les dépenses
structurelles des administrations.
De plus, la France est le pays européen où le besoin de financement des
administrations publiques est le plus élevé parmi les onze pays qui seront
qualifiés pour l'euro dans quelques jours.
Dans ces conditions, pouvez-vous nous indiquer comment la France parviendra à
concilier ses engagements européens en adoptant une politique budgétaire
contraire à celle de ses principaux partenaires ? Comment la France, en mettant
en place une telle politique, peut-elle espérer parvenir rapidement à
l'équilibre budgétaire, voire à un excédent, tel que cela est préconisé par le
pacte de stabilité, auquel elle a elle-même adhéré ?
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste
et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat au budget.
Monsieur le sénateur, M. Dominique
Strauss-Kahn aurait aimé répondre à cette question que le président Poncelet
aurait pu lui poser.
Pour vous répondre, permettez-moi de faire un bref retour en arrière.
A un moment, la France fut clairement en queue du peloton européen, c'était
l'été dernier.
(Exclamations sur les travées du RPR),
au moment où les perspectives de
déficit indiquées par des experts tout à fait indépendants, sans parler du
Premier ministre sortant lui-même, étaient de 3,5 % à 3,7 % du produit
intérieur brut.
M. Jean Chérioux.
Héritage de Bérégovoy !
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Paix à son âme !
Grâce aux efforts qu'elle a consentis, la France a retrouvé, d'une part, le
chemin de la croissance et, d'autre part, celui d'un équilibre de ses finances
publiques compatible avec son entrée dans le groupe de l'euro.
M. Alain Vasselle.
Ce n'est pas grâce à vous !
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Pour l'année 1998, la Haute Assemblée a eu l'occasion
d'examiner le budget et de le critiquer sur certains points. Pour l'année 1999,
nous allons poursuivre la même politique sous l'égide d'une autorité qui n'est
peut-être pas celle de la Banque de France, qui n'est peut-être pas celle de
l'Institut monétaire européen, mais qui est celle du peuple telle qu'il l'a
exprimée au mois de juin dernier.
M. Claude Estier.
Très bien !
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Nous allons donc continuer à soutenir la croissance.
Nous allons continuer à lutter contre les exclusions et les plaies sociales de
notre pays. Nous allons continuer à utiliser une partie des fruits de la
croissance revenue pour réduire nos déficits.
Je veux maintenant citer quelques chiffres.
Le solde des administrations, c'est-à-dire Etat - sécurité sociale, qui était
de 3 % en 1998, descendrait à 2,3 % en 1999. C'est un progrès tout à fait
sensible, mais c'est aussi un progrès qui écarte les deux risques du rigorisme
et du laxisme, comme l'a dit le Premier ministre.
Les dépenses publiques croîtront effectivement de 1 % en francs constants,
c'est-à-dire à un taux sensiblement inférieur à celui de la croissance de la
richesse nationale, qui est de 3 %.
Cela nous permettra, en procédant en plus à quelques redéploiements, de
financer les priorités du Gouvernement qui, me semble-t-il, sont celles de la
nation : l'éducation, la recherche, l'emploi, la lutte contre l'exclusion, la
justice, la sécurité, la culture, bref tout ce qui concourt à rendre la vie
quotidienne de nos concitoyens meilleure qu'elle ne l'était voilà quelques
années.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
Nous en avons terminé avec les questions d'actualité au Gouvernement.
Le Sénat va maintenant interrompre ses travaux pendant quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures
quinze.)
M. le président. La séance est reprise.
5
PASSAGE À LA MONNAIE UNIQUE
Adoption d'une résolution d'une commission
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion de la résolution rectifiée (n° 401,
1997-1998), adoptée par la commission des finances, du contrôle budgétaire et
des comptes économiques de la nation en application de l'article 73
bis
,
alinéa 8, du règlement, sur la recommandation de la Commission en vue d'une
recommandation au Conseil relative au rapport sur l'état de la convergence et à
la recommandation associée en vue du passage à la troisième phase de l'Union
économique et monétaire (n° E 1045). [Rapport n° 382 (1997-1998).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Alain Lambert,
rapporteur de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des
comptes économiques de la nation.
Monsieur le président, messieurs les
ministres, mes chers collègues, nous engageons cet après-midi le débat sur le
texte devant devenir la résolution du Sénat sur les modalités du passage à la
monnaie unique.
Cette résolution est le résultat des travaux que la commission des finances a
menés à partir de trois propositions.
L'une émane de M. Claude Estier et des membres du groupe socialiste et
apparentés ; une autre émane de M. Xavier de Villepin, au nom de la délégation
du Sénat pour l'Union européenne ; la dernière émane de Mme Marie-Claude
Beaudeau et des membres du groupe communiste républicain et citoyen.
Ces propositions de résolution portent une appréciation sur la recommandation,
adoptée par la Commission européenne le 25 mars, relative au passage à la
troisième phase de l'Union économique et européenne.
Cette recommandation a été présentée à la commission des finances du Sénat par
M. Yves Thibault de Silguy dès le 26 mars. Elle tend à proposer au Conseil de
l'Union européenne de décider que onze Etats membres réunissent les conditions
pour adopter l'euro dès le 1er janvier 1999.
Permettez-moi de rappeler la procédure et le calendrier.
Les ministres de l'économie et des finances se réuniront le 1er mai sur cette
recommandation, qui sera soumise dès le lendemain aux chefs d'Etat et de
Gouvernement.
Que souhaitons-nous que le Gouvernement dise, ou fasse, lors de ces deux
réunions européennes ? Telle est la question qui est aujourd'hui posée au
Sénat.
Comme on l'a rappelé hier, il ne s'agit plus de nous prononcer sur le principe
de l'adoption de l'euro. Nous ne sommes saisis que d'une modalité d'application
du principe selon lequel, en janvier 1999, l'euro deviendra la monnaie de onze
des quinze Etats signataires du traité de l'Union européenne.
Sur le fond, la question centrale qui nous est posée est donc de savoir si
cette suggestion est raisonnable et justifiée.
Cela n'interdit pas, à l'évidence, d'évoquer, pour les uns, les bienfaits de
l'euro et, pour les autres, ses méfaits. Mais rappelons que cette confrontation
légitime des points de vue ne sera pas opératoire dans le processus dont nous
débattons aujourd'hui.
Cependant, sachant que ce débat ne sera pas évité, je ne souhaite pas non plus
l'éluder.
Je voudrais donc évoquer deux des critiques le plus souvent entendues : d'une
part l'euro serait le symbole d'une Europe monétariste, indifférente à la
croissance et à l'emploi ; d'autre part il ferait perdre à la France sa
souveraineté monétaire.
Sur le premier point, il me semble utile de rappeler ce pour quoi les Français
ont voté et donc ce qui est contenu dans l'article 2 du traité de Maastricht.
Le Premier ministre a dit avant-hier que l'euro n'était pas une fin en soi. Ce
n'est ni une découverte ni une innovation. Je cite l'article 2 du traité pour
vous laisser en juger :
« La Communauté a pour mission, par l'établissement d'un marché commun, d'une
union économique et monétaire et, par la mise en oeuvre de politiques ou
d'actions communes, de promouvoir un développement harmonieux et équilibré des
activités économiques dans l'ensemble de la Communauté, une croissance durable
et non inflationniste, respectant l'environnement, un haut degré de convergence
des performances économiques, un niveau d'emploi et de protection sociale
élevé, le relèvement du niveau et de la qualité de vie, la cohésion économique
et sociale et la solidarité entre les Etats membres. »
Les détracteurs de l'euro en exagèrent sûrement les périls et risquent
d'inquiéter les Français sur un projet qui sert pourtant à la fois leurs
intérêts et leur attachement à l'Europe.
Sur le second point, attentif aux leçons de l'histoire, je pense qu'il n'est
pas exact de dire qu'en adoptant l'euro nous aliénons notre souveraineté
monétaire.
Qu'est-ce, en effet, aujourd'hui, que notre souveraineté monétaire ?
C'est soit un alignement de nos taux d'intérêt sur les taux pratiqués par nos
partenaires, avec une prime éventuelle à payer par rapport aux taux dont
bénéficient nos concurrents directs, soit le recours à la dévaluation, avec son
cortège d'appauvrissement national, d'inflation, de chômage, de hausse des taux
d'intérêt et de mesures restrictives des libertés.
Avec l'euro, nous partagerons - je concède qu'il s'agit d'un partage - une
vraie souveraineté monétaire. Il est essentiel que la Banque centrale
européenne soit le lieu où se définisse une vraie politique monétaire
européenne. Nous sortirons ainsi d'un dilemme que les Français connaissent bien
pour en avoir subi les affres et qu'ils ont récusé : dévaluer ou subir un
argent plus cher que nos voisins de la zone mark.
Mes chers collègues, j'en viens à la présentation succincte des arguments qui
sous-tendent la résolution qui vous est remise.
Comme vous pourrez le constater, celle-ci reprend très largement le contenu de
la proposition de notre délégation pour l'Union européenne, à laquelle je veux
rendre un hommage tout particulier.
La Commission européenne recommande que onze Etats adoptent l'euro dès le 1er
janvier prochain. Cette recommandation consacre les performances économiques de
chacun d'eux.
Je rappelle que ces performances sont évaluées au regard de deux séries de
conditions.
La première rassemble les fameux « critères de convergence », c'est-à-dire des
conditions monétaires et des conditions relatives aux finances publiques. Les
conditions monétaires sont remplies par la plupart des Etats ; seuls la Suède,
le Royaume-Uni et la Grèce font exception pour l'une ou l'autre d'entre
elles.
Quant à la deuxième série de conditions, relatives aux finances publiques,
quatorze des quinze Etats membres sont parvenus à un ajustement budgétaire leur
permettant, selon la Commission, d'atteindre les conditions fixées par le
traité.
J'indique pour mémoire qu'il existe une condition institutionnelle relative à
l'indépendance des banques centrales et à leur insertion dans le système
européen de banques centrales. Nous en avons débattu hier.
A ce stade, trois observations s'imposent.
Tout d'abord, le processus de convergence en matière d'inflation, de taux de
change et de taux d'intérêt à long terme a été extrêmement puissant et a permis
d'atteindre de bas niveaux d'inflation et de relativement bas niveaux de taux
d'intérêt. Il importe de constater que ce processus s'est accéléré à mesure que
l'euro se rapprochait, de sorte que tout s'est passé comme si l'euro était, en
lui-même, un facteur de convergence.
Par ailleurs, le redressement des finances publiques a permis d'atteindre les
objectifs fixés par le traité. Il a supposé des efforts, inégaux selon les
pays, mais significatifs pour tous.
Dès lors, une fois admises les exceptions du Royaume-Uni et du Danemark, et la
volonté de la Suède de ne pas adopter la monnaie unique pour le moment, je
crois qu'il faut se réjouir du nombre de pays pouvant aujourd'hui adopter
l'euro.
Le choix d'une liste large permet de mobiliser à plein les deux avantages de
la devise européenne : d'une part, l'euro renforce la solidarité monétaire
entre des pays dont les économies sont déjà très interdépendantes et met fin
définitivement au risque des dévaluations compétitives ; d'autre part, l'euro
est une monnaie appelée à jouer un rôle international éminent.
De ce point de vue aussi, la participation la plus large s'impose. Il est en
particulier très utile de substituer la future monnaie unique aux monnaies les
plus sensibles au dollar. Une monnaie est puissante lorsqu'elle représente une
créance sur une économie puissante.
Est-ce à dire que la proposition de la Commission ne pose aucun problème, ou
plutôt est-ce à dire que l'adoption de l'euro par les onze Etats qualifiés ne
suscite aucune observation ? A l'évidence, non.
Reconnaissons d'abord qu'au-delà d'un vrai succès de la convergence nominale,
telle qu'elle est imposée par le traité, il reste en Europe des facteurs de
différenciation importants. J'en citerai deux.
Le premier tient aux écarts de développement entre les pays européens. Les
produits intérieurs bruts par habitant sont extrêmement variés. Pour un indice
100 correspondant à la moyenne de l'Europe des quinze, le Portugal et l'Espagne
sont respectivement à 48 et à 65, le Royaume-Uni est à 87, mais la France et
l'Allemagne sont respectivement à 113 et 123. Le degré d'acceptation de ces
différences par les nations en retard conditionne leur capacité à maintenir des
taux de croissance non inflationnistes permettant de réduire ces écarts.
La façon dont ils respectent aujourd'hui les critères du traité incite plutôt
à l'optimisme, de même que l'accroissement possible des flux de capitaux dont
ils pourraient bénéficier. Un doute subsiste cependant, ne nous le cachons
pas.
Le second élément de différenciation tient à la situation d'endettement public
très contrastée des Etats appelés à adopter l'euro. Les dettes publiques font
peser une véritable épée de Damoclès sur les budgets des Etats participants. Il
faut impérativement faire de la réduction de cette dette une priorité.
M. Denis Badré.
Très bien !
M. Alain Lambert,
rapporteur.
L'adoption de l'euro entraîne d'autres incertitudes,
notamment dans les domaines économiques et monétaires.
Sur le plan monétaire, une interrogation peut être formulée quant à la future
politique monétaire de la Banque centrale européenne, la BCE.
Les missions de la BCE sont certes fixées par le traité, et la stabilité des
prix apparaît comme la première d'entre elles. Toutefois, la question est de
savoir quel concept de stabilité des prix ressortira de la confrontation des
opinions des onze gouverneurs membres du Conseil des gouverneurs de la Banque.
En théorie, la politique monétaire sera une politique européenne, mais il
faudra s'assurer que tel est bien le cas et que chacun ne cherche pas à «
pondérer » davantage la situation dans son propre pays.
Une seconde question monétaire est relative au change. L'instauration de
l'euro va, espérons-le, faire émerger un vrai concurrent face au dollar. Je
n'entrerai pas ici dans le débat complexe entre l'euro fort et l'euro faible,
que je m'efforce d'exposer dans mon rapport écrit. Je crois que nous devons
avoir un euro attractif et maîtrisable. Ce débat s'ouvrira certainement, et il
devra être tranché.
Cependant, je crois vraiment que les incertitudes qui entourent l'adoption de
l'euro doivent non pas nous angoisser, mais nous inviter à prendre réellement
notre destin en main et à contribuer à construire vraiment cette monnaie.
Cette contribution nous imposera plus que jamais la vigilance dans l'examen et
le suivi des conditions économiques et monétaires qui accompagnent l'euro.
Notre contribution devra s'inscrire dans le souci d'assurer la viabilité et le
succès de l'euro.
Les Etats membres ont, à cet effet, adopté un pacte de stabilité et de
croissance sur lequel je dirai maintenant quelques mots pour conclure cette
présentation générale.
Le pacte de stabilité et de croissance repose sur trois piliers : le premier
résulte de la combinaison de l'article 103 du traité et du règlement du 7
juillet 1997, qui traitent de la surveillance et de la coordination des
évolutions et politiques économiques ; le deuxième est formé de l'article 104 C
du traité et d'un autre règlement du 7 juillet 1997, qui traitent de la
procédure de prévention et de la correction des déficits excessifs ; enfin, le
troisième, qui est plus politique, résulte de la résolution du Conseil européen
d'Amsterdam, qui éclaire d'ailleurs les deux premiers piliers.
Permettez-moi de vous livrer brièvement mon analyse sur ce sujet.
Je crois qu'il est nécessaire de surveiller les situations économiques et de
mieux coordonner les politiques économiques. Il est en particulier
indispensable de retrouver des marges de manoeuvre budgétaires.
Je rappelle, à ce sujet, que la commission des finances, mais aussi, je crois,
la majorité du Sénat préfèrent une réduction des dépenses publiques à une
augmentation des prélèvements, spéculant sur la croissance économique
future.
Une Europe solidaire du point de vue monétaire doit être attentive et
solidaire dans d'autres domaines.
A tout le moins, elle doit veiller à éradiquer les comportements
concurrentiels déloyaux en matière de fiscalité, de règles financières
prudentielles et de politique sociale.
Il nous faut donc approfondir l'Union économique et monétaire en visant au
moins cet objectif et développer cet aspect du pacte de stabilité.
S'agissant de la prévention et de la correction des déficits excessifs, je
suis convaincu que les règles posées ne sont pas optimales, mais la voie est
ouverte pour les améliorer.
Les débats entre les pays européens ont débouché, en l'état, sur des règles
raisonnables dont je ne veux néanmoins pas dissimuler les difficultés
d'application. Vous en trouverez mention dans mon rapport écrit.
Ce que je viens d'exposer à propos du pacte de stabilité et de croissance
confirme donc l'idée que l'euro méritera, demain comme hier, une très forte
mobilisation de nos énergies. C'est dans cet esprit que je vous propose, mes
chers collègues, d'adopter la résolution qui vous est soumise.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste du RPR
et des Républicains et Indépendants.)
(M. Paul Girod remplace M. René Monory au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. PAUL GIROD
vice-président
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes
économiques de la nation.
Monsieur le président, messieurs les ministres,
mes chers collègues, le débat que nous engageons aujourd'hui est à la fois
secondaire et fondamental. Il est secondaire puisqu'il ne s'agit, après tout,
que de constater le bon déroulement du scénario que les Français ont approuvé
en son temps, en ratifiant par référendum le traité sur l'Union européenne.
Mais il est aussi fondamental, puisque nous allons débattre des ambitions, des
craintes, voire des préjugés, que nous nourrissons légitimement, les uns et les
autres, à propos de l'avenir de la construction européenne.
On peut dire aujourd'hui - et ce débat le prouve - que le Parlement français a
eu raison de souhaiter engager une telle discussion.
J'ai la conviction, en effet, que nous avons été jusqu'à présent frustrés d'un
débat approfondi et sans complaisance sur les perspectives ouvertes par la mise
en oeuvre d'une monnaie unique, l'euro. Pourquoi ? J'y vois, pour ma part,
plusieurs raisons.
La complexité du dossier, une certaine indifférence envers ce qui
n'apparaissait, voilà quelques années encore, que comme un avenir flou et
incertain, les lignes de fracture qui ont lézardé tous les grands partis
démocratiques de notre pays, la confusion des esprits sur le rôle effectif des
institutions européennes dans la gestion d'un certain nombre de dossiers
économiques essentiels, tous ces éléments ont finalement joué en défaveur d'un
grand débat démocratique serein. Notre collègue M. Michel Barnier l'a fort bien
souligné hier, en réclamant comme moi-même un tel débat.
Finalement, nous nous sommes contentés de nous interroger - la question est
certes d'importance - sur la manière de réussir le passage à l'euro - c'est la
fameuse « convergence » - sans nous interroger - et la question est plus
importante encore, tout au moins à mes yeux - sur les conséquences de l'euro
sur notre tissu industriel, notre fiscalité, notre budget, nos entreprises et
l'aménagement du territoire. Bref, nous ne nous sommes pas posé la seule
question qui importe : comment réussir durablement l'euro.
M. Xavier de Villepin.
Très bien !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Reprenant une formule ancienne
et en accentuant quelque peu le trait, je pose la question : comment faire
l'euro sans, dans le même temps, défaire la France ?
Aujourd'hui, il faut bien le constater, nous sommes, si je puis m'exprimer
ainsi, au pied du mur, et les arrière-pensées, comme les atermoiements, ne sont
plus de mise. Quelles que soient mes convictions personnelles - et elles sont
bien connues - je crois pouvoir affirmer que l'enthousiasme pro-européen ne
doit pas nous tenir lieu de lucidité. Bien au contraire, c'est la lucidité qui
doit nourrir une confiance raisonnée dans le succès de la troisième et dernière
phase de l'Union économique et monétaire.
Anatole France, qui était encore à l'époque bibliothécaire au Sénat, a fort
bien écrit que « les changements, même les plus désirés, ont leur nostalgie ».
Prétendre que le remplacement de notre franc français par l'euro n'est pas
digne d'alimenter une nostalgie sincère ne serait, reconnaissons-le, ni
convenable ni crédible. Oui, je revendique le droit à la nostalgie ; oui, je
revendique le droit à l'incertitude, à la crainte même envers ce qui
représentera un certain bouleversement dans notre culture nationale.
Mais, dans le même temps, l'exigence et l'honneur de notre fonction d'élu du
peuple souverain veulent non pas que nous alimentions cette nostalgie mais que
nous suscitions la réflexion à l'égard des enjeux, au risque parfois de braver
une certaine impopularité, ce qui fait partie de la noblesse de notre mission.
Alors, si vous le voulez bien, livrons-nous ensemble à une analyse sans
concession aucune et examinons, point par point, les éléments du dossier.
La politique économique conduite aujourd'hui par la France apparaîtra
rapidement peu compatible - et je le déplore - avec les exigences d'une
harmonisation graduelle des systèmes économiques européens. A Bruxelles, la
France se montre favorable, et elle a raison, à une harmonisation progressive
des fiscalités mais, à Paris, le Gouvernement conduit une politique de
surtaxation des sociétés et de l'épargne, qui inquiète jusqu'aux plus hauts
responsables socialistes de notre pays. Je fais référence ici aux déclarations
de M. Laurent Fabius lors des Journées de l'épargne qui se sont tenues à
l'Assemblée nationale.
La France a accepté le pacte de stabilité qui préconise, à terme rapproché, un
excédent budgétaire - j'insiste sur ce point - en période de bonne conjoncture,
mais le projet de budget pour 1999 prévoit une hausse des dépenses publiques en
volume, renouant ainsi avec une stratégie de « réhabilitation de la dépense
publique » de fâcheuse mémoire.
Le Gouvernement de la France insiste sur la nécessité d'augmenter la part des
salaires dans la valeur ajoutée des entreprises quand, dans le même temps, le
Conseil des ministres, dans une recommandation du 7 juillet 1997, affirme que
l'évolution des salaires réels doit être « inférieure à la hausse de la
productivité afin de renforcer la rentabilité des investissements créateurs
d'emplois ».
Mme Marie-Claude Beaudeau.
C'est ce qui nous inquiète !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
La France, enfin, revient sur la
politique d'abaissement du coût des bas salaires, ce qu'on a appelé la «
ristourne dégressive », quand la Commission réclame que « les marges
budgétaires retrouvées doivent être consacrées à la réduction des charges
sociales pesant sur les salaires, et en particulier sur les bas salaires ». Et
ce ne sont pas les mesures prises dans l'optique de la loi sur les 35 heures
qui peuvent être citées en exemple, puisqu'elles visent non pas à abaisser,
mais à stabiliser le coût des bas salaires.
Si les divergences que je viens de rappeler devaient perdurer, voire
s'accentuer, elles nuiraient sans aucun doute à notre compétitivité - une
compétitivité qui se dégrade, selon le rapport récent de l'
Institute for
management developpment,
l'IMD - et surtout elles nous affaibliraient
vis-à-vis de nos grands partenaires européens.
Que constatons-nous aujourd'hui ?
La Grande-Bretagne, pour sa part, allège sa fiscalité sur les entreprises pour
attirer les investissements européens et étrangers, en particulier ceux qui ont
été « libérés » par la crise asiatique ; l'Allemagne, quant à elle, quitte à
détruire momentanément des emplois, augmente considérablement la compétitivité
de son secteur industriel pour accroître ses parts de marché en Europe et dans
le monde. Si vous m'autorisez à forcer le trait, je dirai presque que la
Grande-Bretagne, d'un côté, attire les investissements et que l'Allemagne, de
l'autre, gagne des parts de marché. On peut légitimement se demander ce qu'il
va nous rester.
Si nous poursuivons plus avant le raisonnement, nous pouvons constater que
nombre de nos partenaires, au premier rang desquels l'Allemagne, réclament une
stricte orthodoxie budgétaire, peut-être plus exigeante encore que ce que
préconise le pacte de stabilité.
Dans cette perspective, la présentation des grandes lignes du projet de budget
pour 1999 peut les inquiéter et réveiller des sentiments « anti-euro » que tout
le monde perçoit déjà et qui sont exacerbés par la campagne électorale en cours
chez nos voisins. Les raidissements récents de M. Waigel sont d'ailleurs là
pour en témoigner.
Il demande, en effet, qu'avant la fin de l'exercice 1998 nous ayons mis en
place un plan de stabilité rigoureux, sur plusieurs années et contrôlable
chaque année.
M. Xavier de Villepin.
Excellente remarque !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Je crains donc très sincèrement
que tant notre politique économique que notre politique budgétaire ne retardent
le succès de la troisième phase de l'Union économique et monétaire.
La mise en oeuvre du système européen de banques centrales et du pacte de
stabilité, qui en est le corollaire, suscite, par ailleurs, des interrogations
multiples. Ces interrogations sont inévitables, car tout ne peut être prévu à
l'avance, qu'il s'agisse des conséquences des crises financières ou des
conséquences des crises économiques et sociales. Une tornade sociale peut
rapidement intervenir, bousculant toutes les prévisions.
Il en va ainsi de la politique de change. Certes, une lecture attentive du
traité permet d'établir que la responsabilité en matière de change reviendra au
Conseil, c'est-à-dire à une instance politique. On peut observer en outre que
les gouvernements continueront d'avoir, dans la pratique, l'influence qu'ils
tiennent de leur participation dans les institutions monétaires internationales
et lors des sommets qui dessinent régulièrement le paysage monétaire
international.
Toutefois, comme l'a écrit M. le rapporteur, le Parlement français doit être
mis en mesure de se prononcer sur des accords de change dont l'importance
pourrait être considérable pour notre pays. Nous attendrons avec beaucoup
d'intérêt la réponse du Gouvernement sur ce point précis.
Comme la politique de change, le mécanisme des sanctions financières mérite
quelques développements.
Il ne s'agit pas, disons-le d'emblée, d'un mécanisme radicalement nouveau,
puisque la Cour de justice de Luxembourg peut déjà imposer des sanctions
pécuniaires à des Etats qui se sont mis en infraction avec les règles
communautaires auxquelles ils ont souscrit.
Il n'en subsiste pas moins quelques paradoxes : les Etats de la Communauté
européenne non membres du groupe de la monnaie unique ne seront pas soumis à
cette discipline ; le produit de ces amendes pourrait servir à financer des
politiques en faveur des Etats non membres et les Etats connaissant des
difficultés budgétaires - je pense notamment aux « petits Etats » - verraient
leurs difficultés accrues par le versement de contributions pouvant atteindre
des montants élevés auxquels ils ne pourraient faire face. A l'évidence, cette
procédure ne sera pas facile à mettre en application, même si elle est
justifiée dans son principe. Hier, M. le ministre de l'économie et des finances
a bien voulu le souligner et je l'en remercie.
Je rappelle d'ailleurs que le Conseil d'Amsterdam a demandé au conseil de
sanctionner systématiquement les Etats dont le déficit apparaîtrait excessif.
J'observe, enfin, pour le regretter, que les parlements nationaux ne semble pas
associés à cette procédure, alors même que l'autorisation de la dépense
publique fait partie de leurs prérogatives fondamentales.
Je pourrais citer d'autres exemples que ceux qui concernent la politique de
change ou les sanctions budgétaires, notamment les rôles exacts et respectifs
du conseil de l'euro et du conseil ECOFIN. Mais je résumerai mon propos par
deux questions fondamentales adressées au Gouvernement de la France.
Première question : comment les parlements nationaux seront-ils tenus informés
et, le cas échéant, associés à ces mécanismes dont je viens de rappeler deux
exemples ?
Seconde question : comme l'avait fait avec succès le Premier ministre M.
Edouard Balladur au moment des accords de Blair House, le Gouvernement peut-il
prendre l'engagement solennel de ne pas se refuser
a priori
à invoquer
le compromis de Luxembourg dès lors qu'il constaterait, et nous avec lui, que
des intérêts essentiels de notre pays seraient en jeu ?
(MM. Chérioux et
Caldaguès applaudissent.)
Ce compromis, d'essence principalement politique, rappelons-le, me semble
toujours en vigueur ; vous me corrigerez si je me trompe. Il a même été
consacré par le traité d'Amsterdam en matière de politique étrangère.
Toutefois, mes chers collègues, ce n'est pas parce que la tâche est compliquée
et les difficultés nombreuses que nous devons nous résigner, baisser les bras
et ne pas croire dans le succès de l'euro. Bien au contraire, mais à condition
que nous assumions toutes nos responsabilités d'élus et que la politique
européenne de la France ne soit plus perçue comme le monopole de gouvernements
lointains et d'administrations lointaines persuadées de détenir constamment la
vérité vraie face à une opinion publique mal informée, désabusée ou hostile
pour des raisons que nous connaissons bien.
La résolution adoptée par la commission des finances trace les grandes lignes
de la conduite à suivre : réorienter notre politique budgétaire ; approfondir
tous les volets - fiscaux, sociaux et économiques - de l'Union économique et
monétaire ; associer les parlements aux mécanismes nouveaux qui se mettent en
place.
(Très bien ! sur plusieurs travées du RPR.)
Ce n'est qu'à ce prix que nous réussirons en quelque sorte à tirer notre
épingle du jeu dans l'Europe de la monnaie unique. En effet, si la tâche est
ardue, si les difficultés sont nombreuses, l'euro - reconnaissons-le -
constitue une chance historique non seulement pour la France, mais aussi pour
l'Europe elle-même.
Mieux vaut une souveraineté partagée avec des pays amis qu'une souveraineté
nationale purement fictive, à la merci, comme c'est le cas aujourd'hui, des
marchés et des autres monnaies.
M. Alain Lambert,
rapporteur.
C'est exact !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Mieux vaut la disparition des
dévaluations compétitives, - et, pour un élu qui est aux prises avec les
difficultés du secteur textile, cela est fondamental - que la permanence de
mesures de dumping monétaire.
Mieux vaut la mise en place progressive de stratégies de coopération que de
stratégies de concurrence dévastatrices.
Mieux vaut une discipline de sagesse collective que le retour à des illusions
dangereuses d'indépendance économique comme celles que nous avons connues au
début des années quatre-vingt, qui ont conduit - souvenons-nous-en - à
augmenter de un million le nombre de chômeurs et à procéder à trois
dévaluations humiliantes, ou celles qui ont eu lieu à la fin des années
quatre-vingt et qui ont conduit à une politique budgétaire laxiste, à
l'explosion des déficits et à la boule de neige de l'endettement.
J'ai bien entendu, hier, les craintes émises, à juste titre, par certains dans
cet hémicycle. Elles sont nombreuses et fondées : retards dans la
démocratisation des instances communautaires, retards dans l'affirmation d'un
pouvoir politique européen qui soit à la fois efficace et respectueux des
identités nationales et retards dans l'approfondissement d'une Europe plus
efficace en faveur de la croissance et de l'emploi.
Tout cela est exact, mais n'est-ce pas à nous, hommes politiques, qu'il
appartient de prendre - ensemble - notre destin en main, de convaincre nos
concitoyens que nous devons construire ensemble une Europe européenne, et pas
un « euroland » - l'expression est affreuse - sans âme ni projet collectif. Il
serait trop facile de critiquer sans s'impliquer courageusement et
résolument.
Impliquons-nous, mes chers collègues, dans ce nouveau combat avec
détermination, réalisme, et nous remplirons notre mission devant l'histoire.
Sachons que, là où il y a une volonté, un chemin réussit toujours à s'ouvrir.
Pensons à ce que diront de nous nos enfants et nos petits-enfants. Aujourd'hui,
si nous ne sommes pas - les yeux ouverts - dynamiques et inventifs, ils nous
reprocheront, à bon droit, d'avoir été pusillanimes, myopes et défaitistes. En
effet, il s'agit bien, en l'occurrence, non de travailler pour nos intérêts
particuliers, nos intérêts du moment - ce serait, vous le savez, une démarche
particulièrement égoïste - mais de préparer pour les générations futures, dans
un ensemble européen cohérent et dynamique, le meilleur avenir.
Mes chers collègues, en ce moment même, les députés allemands siègent au
Bundestag pour débattre de la mise en place de l'euro. Je tiens à leur dire
que, avec eux, comme avec nos autres partenaires, nous construirons ensemble
l'Europe de la raison, l'Europe de la fraternité, l'Europe de la solidarité,
pas l'Europe des banquiers, des spéculateurs, des marchés financiers
surpuissants,...
Mme Hélène Luc.
C'est pourtant celle-là !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
... mais l'Europe des citoyens,
des jeunes, des travailleurs, de tous ceux qui ont conscience d'appartenir à
une civilisation européenne dont la grande et permanente préoccupation est
l'homme, « le seul combat qui vaille », comme aimait à le rappeler le général
de Gaulle.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, de
l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Genton, au nom de la délégation du Sénat pour l'Union
européenne.
(Applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
M. Jacques Genton,
au nom de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
Monsieur le
président, messieurs les ministres, mes chers collègues, l'entrée de l'Union
monétaire dans sa phase finale fait partie des heures de grandes décisions et
des moments d'histoire qui ont jalonné la construction européenne ; je ne peux
pas, à mon tour, oublier de le signaler. Un des privilèges que me donne mon
âge, c'est de les avoir tous vécus.
A chaque fois, de fortes inquiétudes se sont exprimées. On s'est demandé, par
exemple, si l'économie française allait supporter le choc de la Communauté
européenne du charbon et de l'acier, puis celui de la création du marché commun
; on s'est demandé si notre agriculture pourrait faire face à la concurrence
espagnole, ou si notre modèle social résisterait au marché unique.
Dans chaque cas, je pourrais citer nombre d'excellents esprits dont les
pronostics pessimistes n'ont pas été confirmés. Les arguments techniques,
exprimant bien souvent des rivalités d'intérêts, ont toujours cédé devant une
réaction indéfinissable ou inexprimée, propre à notre conscience d'homme.
Aujourd'hui, la monnaie unique suscite aussi des interrogations. Elles sont
légitimes : l'union monétaire européenne est un saut dans l'inconnu ; par les
dimensions de la zone euro, elle est sans véritable précédent historique. Mais,
depuis ses origines, la construction européenne est une aventure : si nous
avions voulu n'avancer qu'à coup sûr, nous serions encore sur la ligne de
départ. La sagesse n'est pas forcément du côté de ceux qui conseillent
d'apprendre à nager avant d'entrer dans l'eau.
Je ne veux pas, bien entendu, minimiser les incertitudes de l'entreprise.
Comment nos systèmes sociaux et fiscaux s'adapteront-ils au nouveau contexte de
la monnaie unique ? Comment s'effectueront les ajustements sur les marchés du
travail ? Comment évolueront les relations monétaires internationales, avec
désormais deux grandes monnaies pour le monde occidental ?
Les incertitudes sont nombreuses. Mais ainsi que le rappelle la sagesse de
l'un de nos éminents prédécesseurs : il n'y a pas de politique sans risques ;
il y a des politiques sans chances. Bien sûr, la monnaie unique comporte des
risques. Mais l'alternative, c'est-à-dire le maintien du statu quo, n'aurait
laissé aucune chance aux Européens de mettre fin aux variations de change qui
perturbaient, qui perturbent, allais-je dire, le fonctionnement du marché
intérieur ; aucune chance, également, d'empêcher les dévaluations compétitives
qui faussaient la concurrence sur ce marché ; aucune chance, non plus,
d'équilibrer la suprématie du dollar dans le système monétaire
international.
Je voudrais également souligner que la monnaie unique est dans la logique de
l'oeuvre que nous avons entreprise voilà plus de quarante ans. Ce n'est pas
d'aujourd'hui que l'on souligne que la monnaie unique est le couronnement
nécessaire du marché unique : je pense notamment au plan Werner, à la fin des
années soixante. J'évoque les multiples déclarations faites à cette tribune et
proclamant la nécessité d'une monnaie unique pour résoudre les problèmes sans
issue devant lesquels nous nous trouvions et nous nous trouvons encore. J'ai en
effet feuilleté le compte rendu de quelques-uns des débats qui ont eu lieu au
Sénat au cours des vingt-cinq dernières années. En réalité, on voit mal comment
tirer tous les bénéfices d'un grand marché intérieur sans s'unir en même temps
sur le plan monétaire ; sinon, inévitablement, la fragmentation subsiste, car
d'un pays à l'autre les termes de l'échange peuvent varier à tout moment. La
mise en place de l'euro est donc en totale cohérence avec l'achèvement du
marché intérieur.
Mais la monnaie unique a aussi et peut être surtout une dimension politique.
Souvenons-nous du contexte dans lequel le traité de Maastricht a été conclu. La
fin de l'antagonisme Est-Ouest, la réunification de l'Allemagne et le triomphe
du libéralisme créaient une situation où les liens entre les Etats membres
risquaient de se relâcher. L'Union économique et monétaire a été l'accord
négocié qui a continué à souder la Communauté. On ne soulignera jamais assez la
ténacité dont ont fait preuve les chefs d'Etat et de gouvernement, quelles que
soient leur origine politique et leur préférence doctrinale, pour mener à bien
cette grande affaire. La sauvegarde du mécanisme de change et l'effort
budgétaire pour respecter les critères fixés par le traité ont exigé une
discipline souvent impopulaire, et nous sommes bien placés pour le savoir.
Personne n'a abandonné le cap. Il est de bon ton aujourd'hui d'affirmer que ce
sont les marchés financiers qui commandent et que les politiques sont
impuissants ; la réalisation de l'euro est l'exemple d'une décision politique
qui a été respectée dans la durée, alors que les marchés financiers n'y
croyaient pas et, d'ailleurs, ne la souhaitaient pas. Je me demande parfois
s'ils y croient maintenant et s'ils la souhaitent désormais.
La décision qui nous occupe aujourd'hui porte spécifiquement sur la liste des
pays participant à la monnaie unique dès son lancement, puisque le principe en
a été adopté dans un traité ratifié. Je me félicite que l'Assemblée nationale
et le Sénat puissent s'associer à ce choix capital par une résolution. Voilà,
une nouvelle fois, la preuve de l'utilité de la procédure de l'article 88-4 de
la Constitution. J'y vois une raison de poursuivre la réflexion, engagée au
sein de la délégation pour l'Union européenne, sur la nécessité de
perfectionner cette procédure et d'en élargir le champ d'application. Qui
oserait penser aujourd'hui que la politique européenne, avec l'engagement de la
France, pourrait être poursuivie en dehors ou à l'insu du Parlement, comme ce
fut le cas pendant une vingtaine d'années ?
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Très bien !
M. Jacques Genton,
au nom de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
J'approuve la
proposition de la Commission européenne de retenir une liste large des
participants.
Exclure l'Italie de cette liste eût été une faute ; c'eût été casser le bloc
des pays fondateurs, alors qu'il faut au contraire resserrer les liens à
l'intérieur de ce bloc face au risque de dilution que comporte l'élargissement
de l'Union. La présence de l'Espagne renforce l'indispensable attachement de
l'Union au monde méditerranéen.
La proposition de résolution qui nous est soumise prend notamment son origine
dans le texte qui a été déposé, au nom de la délégation pour l'Union
européenne, par M. de Villepin. M. le rapporteur a bien voulu le rappeler, et
je l'en remercie. Les travaux de la commission des finances ont modifié ce
texte que nous avions adopté - je dois le souligner - dans la véritable
perspective politique qui sied à un tel sujet. Je ne vois pas la nécessité de
reprendre les arguments qui ont été exposés par M. le rapporteur et par M. le
président de la commission des finances.
Je note, pour ma part, que l'amendement présenté par M. Estier et accepté par
la délégation pour l'Union européenne a été écarté pour des motifs d'apparence,
que j'avais cru pouvoir qualifier, à un moment, de technocratiques. Mettons que
je me sois un peu égaré. Il insistait à juste titre sur l'accompagnement social
indispensable à l'euro et sur les conséquences nécessaires de cet
accompagnement. Mais cette initiative a eu au moins un heureux résultat puisque
la commission des finances en reprend à peu près l'essentiel dans le texte
qu'elle propose au Sénat.
Notre résolution n'impose aucune obligation au Gouvernement - c'est ainsi, mes
chers collègues, et nous le savons - mais elle le conforte devant nos
partenaires du Conseil, au service de l'intérêt général et au service de
l'Union européenne. Elle lui indique la direction à suivre, approuvée par un
grand nombre de sénateurs, représentants proches de nos populations dont ils
interprètent les inquiétudes et les aspirations.
La majorité des membres composant la délégation du Sénat pour l'Union
européenne a approuvé la proposition de M. Xavier de Villepin, après un débat
clair et franc.
J'approuverai cette proposition de résolution avec la même conviction que
celle qui m'anima lorsque, jeune député en 1951, j'ai voté la loi autorisant
l'application du plan Robert Schuman: la conviction de choisir la voie la plus
porteuse d'espoir pour la France, pour la jeune génération de mon pays, des
pays membres de l'Union et des pays qui ont choisi d'adhérer à cette communauté
que nous avons inventée, au sens de la découverte, après tant de luttes
fraternelles et tant de désastres matériels et moraux qui ont marqué si
douloureusement notre continent au cours de son histoire.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR
et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur les travées
socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Pierre Moscovici,
ministre délégué chargé des affaires européennes.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, vous allez aujourd'hui vous prononcer sur la
résolution adoptée par la commission des finances portant sur la recommandation
de la Commission européenne relative au passage à la monnaie unique, résolution
enrichie par le groupe socialiste.
Comme vous le savez, à la demande de M. Genton, j'avais suggéré par avance au
Gouvernement, dès l'automne dernier, la transmission de la recommandation de la
Commission européenne à votre assemblée sur le fondement de l'article 88-4 de
la Constitution.
Il est sain pour notre démocratie qu'un tel débat puisse avoir lieu, et je me
félicite de la qualité des rapports qui ont déjà été présentés.
L'Assemblée nationale a adopté hier sa propre résolution, amendée, en séance
publique, notamment par M. Giscard d'Estaing.
Votre projet de résolution est d'une tonalité un peu différente, et cela
n'étonnera en vérité personne. S'il y a incontestablement, au Parlement, une
majorité pour faire l'euro, comme l'a manifesté clairement - enfin, à peu près
clairement !
(Sourires.) -
le vote d'hier à l'Assemblée nationale, il y a peut-être
plusieurs manières de concevoir la vie avec l'euro. J'y reviendrai, et je ne
doute pas que M. Strauss-Kahn répondra tout à l'heure aux quelques remarques
qui ont été adressées à la politique économique du Gouvernement, assurément
euro-compatible, même si elle n'est pas toujours conforme à certaines
orientations souhaitées par la majorité sénatoriale.
Je vais m'efforcer maintenant d'apporter ma contribution au débat en répondant
aux préoccupations qui ont été exprimées par M. le rapporteur, par M. le
président de la commission des finances et par M. le président de la délégation
pour l'Union européenne, dont je salue le travail. Je le ferai dans une
perspective dynamique, qui est celle à l'intérieur de laquelle le Gouvernement
inscrit résolument son action en matière européenne.
Je rappellerai très brièvement d'où nous venons ; je dirai ensuite où nous en
sommes sur l'euro et ce que nous voulons faire de cet instrument ; enfin,
j'esquisserai les lignes de force de notre projet européen, qui doit sortir
affermi de cette mutation monétaire sans précédent.
L'euro ne tombe pas du ciel. Il est l'aboutissement d'un long processus
historique qui permet aujourd'hui d'achever l'unification de l'espace
économique européen et de lui donner sa force.
L'euro a une histoire. Comme l'a indiqué hierM. Giscard d'Estaing au
Palais-Bourbon, « l'euro vient de loin ». Il représente une étape décisive dans
notre cheminement vers une organisation économique européenne solide. En aucune
manière, on ne peut soutenir sérieusement qu'il arrive par hasard ou comme par
effraction.
La réalité des choses, c'est que les changes flexibles avec lesquels nous
vivons depuis l'effondrement du système de Bretton Woods offrent la possibilité
à la puissance dominante du moment - c'est toujours la même : les Etats-Unis,
avec leur monnaie, le dollar - d'anéantir en toute impunité l'effort d'autres
nations, plus vulnérables, en manipulant simplement son taux de change.
Comment accepter sans réagir un tel état de choses ? Je crois que là est le
fondement de la démarche qui aboutit aujourd'hui avec l'euro.
Chacun, sur ces travées, se souvient qu'il n'a pas fallu plus de quelques
années aux Européens, dans les années soixante-dix, pour engager une réaction
salutaire.
Avec les accords franco-allemands de Brême,MM. Giscard d'Estaing et Schmidt
marquaient dès 1978 la volonté de nos deux pays d'organiser une réponse au défi
du désordre monétaire mondial, ou plutôt de l'ordre monétaire unilatéral, sous
l'égide américaine.
Puis le plan Werner a permis de mettre sur pied, en 1979, le système monétaire
européen, première ébauche d'un instrument monétaire commun.
La suite est connue, avec notamment les efforts conjoints de François
Mitterrand, d'Helmut Kohl et de Jacques Delors, que je n'oublierai pas de citer
ici, ne voulant pas mériter la palme de l'ingratitude dont on a voulu nous
taxer hier, à l'Assemblée nationale.
L'euro est la réponse politique que l'Europe a voulu apporter face à l'Europe
des marchés financiers, qui s'attaquent aux monnaies, et donc à la souveraineté
nationale, comme à de simples valeurs boursières. En vérité, le projet de
monnaie unique, sur lequel vous allez vous prononcer aujourd'hui, vient
couronner vingt années d'efforts constants des Européens pour contrer la toute
puissance du dollar et la violence désorganisatrice des marchés financiers.
J'ajoute qu'en 1986 la France a accepté de passer du marché commun au marché
unique. L'Acte unique européen a été ratifié à une très large majorité par la
représentation nationale en 1986. Dans le concert européen, la responsabilité
de cette intégration renforcée de l'espace économique européen a été pleinement
assumée par le gouvernement dirigé par M. Jacques Chirac, avec le soutien de sa
majorité de l'époque.
Il serait logique, dès lors, que tous ceux qui ont contribué à poser les
fondations de cette oeuvre puissamment intégratrice acceptent aujourd'hui de
l'achever avec nous.
Le contrat passé avec les Français a été honoré. Les engagements du
Gouvernement ont été respectés. L'euro se fera, mais à certaines conditions
permettant de rééquilibrer - tel est, en effet, le sens de notre politique
européenne - l'Union économique et monétaire dans un sens plus favorable à la
croissance et à l'emploi.
Le 20 septembre 1992, à l'issue d'un grand débat national, le peuple français
s'est prononcé sur l'Union économique et monétaire. L'adhésion populaire n'a
pas été très large, c'est vrai.
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Pour le moins !
M. Pierre Moscovici,
ministre délégué.
Des questions ont été posées, c'est exact. Des
critiques ont été soulevées, comment le nier ? Toutefois, soyons clairs : le
peuple a tranché et, en démocratie, l'expression majoritaire du peuple est
souveraine. C'est d'ailleurs cela qu'exprime avec force notre constitution.
Pour autant, ce vote, comme je le disais voilà un instant, a laissé
transparaître des inquiétudes nombreuses, probablement parce que les enjeux de
ce grand projet historique avaient été insuffisamment expliqués.
Le Premier ministre a eu l'occasion de le rappeler : la stabilité monétaire et
financière est entrée dans notre culture, longtemps, d'ailleurs, avant que le
projet de l'euro ne se concrétise. La gauche a contribué largement à opérer ce
travail d'appropriation collective, en rétablissant les « grands équilibres »
dans les années quatre-vingt.
Nous avons les uns et les autres, chacun à notre place, chacun en notre temps,
chacun avec nos méthodes, terrassé l'inflation. Nous avons rétabli nos échanges
extérieurs pour dégager aujourd'hui des excédents absolument considérables.
Nous avons progressivement réduit les déficits publics. Nous assumons fièrement
cet héritage-là aussi.
Mais il ne faut pas s'y tromper. Pour nous, la stabilité monétaire et
financière, si elle est souhaitable, ne constituera jamais un projet politique.
Elle n'est pas une fin en soi.
Dès lors, la tâche du gouvernement formé en juin 1997 a été d'expliquer
inlassablement la portée exacte du projet européen, du projet monétaire, sans
le minimiser, mais en dénonçant sans relâche les apories de ceux qui s'entêtent
à en faire une présentation un peu caricaturale.
La tâche du Gouvernement doit être aussi d'accompagner le passage vers la
troisième phase de l'Union économique et monétaire, afin que ce grand projet
ressemble de plus en plus à ce que nous voulons en faire, à savoir un
instrument au service de l'emploi et de la croissance, un instrument également
respectueux de la démocratie.
C'est ce à quoi s'est employé le gouvernement de Lionel Jospin depuis
maintenant presque un an.
Les quatre conditions que nous avions posées à notre entrée définitive dans
l'Union économique et monétaire sont, pour la plupart d'entre elles, d'ores et
déjà réalisées, c'est clair, s'agissant de l'entrée des pays du sud de l'Europe
dans le premier train de l'euro.
D'autres sont en voie de réalisation, et le Gouvernement a fortement contribué
à amorcer le redressement indispensable.
J'insiste pour ma part, car ce n'est qu'un début, sur le rééquilibrage de la
construction européenne dans un sens plus favorable à la croissance et à
l'emploi. Cela a fait l'objet d'une résolution à Amsterdam, sur l'initiative de
la France, suivie d'un Conseil européen extraordinaire, qui s'est tenu à
Luxembourg et qui fut entièrement consacré - c'était une première absolue - à
l'emploi. Les étapes suivantes sont connues : dépôt des plans nationaux
d'action à Cardiff ; processus régulier d'évaluation et d'approfondissement de
la convergence sur l'emploi au Conseil européen de fin d'année. Désormais, un
rendez-vous annuel européen sera consacré à l'emploi. C'est un projet très
significatif. Qui, dès lors, peut réellement, sans mauvaise foi, tenir pour
négligeable le fait de consacrer un Conseil européen sur deux - c'est en effet
de cela qu'il s'agit - à cette question ?
Le contrôle démocratique de l'Union économique et monétaire - M. le président
de la commission des finances a insisté à juste titre sur ce point - était
notoirement insuffisant, surtout après l'adoption du pacte de stabilité dont
vous avez beaucoup parlé.
Je ne reviendrai pas sur la résolution sur le Conseil de l'euro que nous avons
obtenue au Conseil européen de Luxembourg et qui permet de commencer à corriger
les choses. Il appartiendra à M. Strauss-Kahn, qui en a eu l'idée, de la faire
vivre de toute ses potentialités afin de construire petit à petit ce « pôle »
économique qui n'existait plus dans le débat européen jusqu'à notre arrivée au
Gouvernement.
Mais il faut aller plus loin, c'est clair : le contrôle démocratique serait
imparfait si les gouvernements étaient seuls responsables. Il faut aussi que
les parlements puissent être associés à ce contrôle démocratique. Je réponds
ici au passage à la question de M. Poncelet : votre résolution, mesdames,
messieurs les sénateurs, s'est fait largement l'écho de cette préoccupation. Le
Premier ministre a d'ailleurs assumé avant-hier devant l'Assemblée nationale un
certain nombre d'engagements, relatifs notamment à l'audition régulière des
membres du directoire de la Banque centrale européenne par le Parlement
français, et le président Giscard d'Estaing, MM. Bayrou, Méhaignerie et Barrot
ont utilement complété, par voie d'amendement, la proposition du Premier
ministre en demandant la constitution d'un comité parlementaire de l'euro,
composé pour moitié de parlementaires européens et pour moitié de
parlementaires nationaux habilités à exercer un contrôle permanent de la BCE.
Et cet amendement a été voté à l'unanimité par l'Assemblée nationale ! Je crois
qu'il y a là une piste utile que le Gouvernement est prêt à épauler
pleinement.
Vous nous avez aussi, monsieur le président de la commission, demandé ce que
devenait, dans ce contexte, le compromis de Luxembourg.
M. Christian Poncelet
président de la commission des finances.
Oui !
M. Pierre Moscovici,
ministre délégué.
Par définition, ce compromis est toujours en vigueur.
Dans ces conditions, il faut être prudent, car le meilleur moyen de lui
conserver sa force de dissuasion est justement de ne pas l'invoquer ou
l'évoquer à tout propos.
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Comme toute force de dissuasion
!
M. Pierre Moscovici,
ministre délégué.
Absolument ! Néanmoins, je veux tout de même rappeler
que nous ne nous interdisons pas d'y avoir recours et, pour donner simplement
un exemple, je mentionnerai la réaction française au projet de nouveau marché
transatlantique proposé par M. Brittan, projet qui ne saurait en aucune façon
recevoir notre assentiment, car nous estimons qu'il menace nos intérêts
essentiels.
M. Jean-Pierre Fourcade.
Très bien !
M. Pierre Moscovici,
ministre délégué.
Comment rappeler autrement la place de la France dans
l'Europe ?
A mon sens, il est important que la résolution émanant du Sénat puisse aussi
conforter nos positions au sein des Quinze pour exiger un fonctionnement de
l'UEM plus respectueux de l'expression de la volonté populaire, telle qu'elle
peut s'exprimer d'abord et avant tout à travers la représentation nationale.
Cette action européenne, le Gouvernement veut maintenant l'inscrire dans la
durée ; nous voulons une Europe plus sociale. Nous avons obtenu un chapitre «
emploi » dans le traité d'Amsterdam et le protocole de Maastricht fait
désormais partie intégrante du traité, depuis que le gouvernement travailliste
britannique s'y est rallié. C'est une dimension beaucoup trop négligée du
traité d'Amsterdam et M. Juncker, Premier ministre démocrate-chrétien du
Luxembourg, a pu dire, avec justesse je crois, qu'en deux jours l'Europe
sociale avait progressé plus vite qu'en dix ans.
Nous disposons donc à présent d'une base juridique solide pour construire une
Europe plus favorable à l'emploi et au développement des droits sociaux. Il
faut maintenant passer sans délai aux travaux pratiques, principalement dans
deux directions, à savoir tout d'abord la convergence sur l'emploi - j'en ai
déjà parlé - puis ensuite le développement du dialogue social européen, prévu
par l'article 4 du protocole social.
Au-delà, nous devrons nous attacher à défendre tous ensemble le modèle social
européen, car l'euro rend encore plus indispensable une certaine harmonisation
sociale, dans un univers où les échanges de biens et de services seront
facilités à l'intérieur de l'Europe.
Reste à savoir dans quel sens s'effectuera cette harmonisation sociale.
D'aucuns souhaitent qu'elle soit orientée toujours davantage vers le bas, vers
un dépérissement de la protection sociale, mais nous militerons au contraire
sans cesse, pour notre part, pour une émulation en Europe, à la fois dans le
domaine de la protection sociale et dans celui des conditions de travail. La
convergence vers un « mieux-disant social » - cette formule n'est peut-être pas
la meilleure - doit être notre horizon. Dans ce domaine, la France a montré la
voie en de nombreuses occasions, et encore récemment, comme le rappelait le
Premier ministre, en présentant un mémorandum visant à l'harmonisation de la
législation sociale dans le domaine des transports.
J'en terminerai en indiquant que l'euro s'inscrit aussi dans l'ambition plus
vaste qui est la nôtre, celle d'une « Europe puissance » plus large et
politiquement plus forte. Je crois, tout comme ceux qui m'ont précédé à cette
tribune, que, loin de représenter un abandon de souveraineté, l'instauration de
l'euro constitue un partage de souveraineté qui nous permet d'envisager, selon
une perspective plus crédible, la construction de l'« Europe puissance » que
nous appelons de nos voeux.
Avec l'euro, comme l'indiquait encore la semaine dernière le Président de la
République, l'Europe deviendra la première puissance économique du monde, alors
qu'elle n'est aujourd'hui qu'une collection de nations, certes douées d'un
grand génie, certes importantes, certes écoutées, certes performantes, mais qui
ne représentent chacune, même pour les plus grandes d'entre elles, dont nous
sommes, qu'un poids limité dans le concert mondial.
L'euro nous montre aussi la voie à suivre pour renforcer l'Europe politique
dans le futur. Nous ne voulons pas d'un grignotage insidieux de notre
souveraineté ; nous ne voulons pas d'une dilution de la France dans un grand
ensemble européen où le pouvoir ne se situerait nulle part.
Au fond, l'euro est le premier vrai exemple de « coopération renforcée » -
j'emprunte là au traité d'Amsterdam - en Europe. L'euro indique la marche à
suivre pour d'autres politiques communes qui restent encore largement à
construire dans les domaines de la défense, de la sécurité et de l'action
extérieure, auxquels, je le sais, le président Genton est très attaché.
« L'Europe puissance » pour laquelle nous militons, c'est d'abord une Europe
qui fonctionne, c'est une Europe qui marche, une Europe qui, en définitive,
pèsera de tout son poids dans les affaires du monde.
Mais « l'Europe puissance », ce sera aussi la grande Europe qui saura
accueillir en son sein les pays candidats à l'adhésion. Sur ce sujet, vous le
savez, les négociations ont commencé, le processus d'élargissement a été engagé
avec l'ouverture de la Conférence européenne. Ce processus sera très
vraisemblablement long, il sera de toute façon exigeant, et nous serons
exigeants.
Nous devrons toutefois être à la hauteur de cette mission historique qui vise
à éliminer les traces de la division de l'Europe en deux blocs.
Les coopérations renforcées, d'une part, l'élargissement de notre périmètre
géographique, d'autre part, sont les deux facettes d'un même processus qui nous
rapproche de l'ambition portée par des générations d'Européens depuis la
dernier conflit mondial.
J'ajoute que nous n'aurons une Europe qui fonctionne qu'à condition de
réformer en profondeur ses institutions dans le sens de la démocratie, de la
transparence, de l'efficacité. Cette réforme est nécessaire dans la perspective
de l'élargissement. J'ajoute même qu'elle est, pour nous, une exigence
préalable à tout élargissement.
M. Christian de La Malène.
On lui tourne le dos ! On y va à reculons !
M. Pierre Moscovici,
ministre délégué.
Non, nous y sommes en plein ! Et nous ferons des
propositions avant le tournant de l'été qui, je crois, seront à même de faire
avancer ce débat.
Une chose est claire, en tout cas pour moi : nous ne pouvons pas nous
permettre de recommencer exactement dans les mêmes termes ce qui a échoué à
Amsterdam. Il faudra donc procéder autrement. Nous connaissons les voies à
emprunter, et nous allons proposer des solutions que je crois pertinentes.
J'ajoute que cette réforme institutionnelle est aussi nécessaire pour remettre
l'Europe des Quinze en mouvement après l'euro.
Mais je conclus : à mon sens, il est important que la résolution émanant du
Sénat puisse venir conforter nos positions au sein des Quinze pour exiger un
fonctionnement de l'UEM qui soit plus respectueux de l'expression de la volonté
populaire telle qu'elle peut s'exprimer à travers la représentation nationale.
Ce point est fondamental à l'heure même où, comme vous le rappeliez, s'exprime
aussi le Bundestag. En effet, un gouvernement qui peut se fonder sur un avis de
son Parlement est beaucoup plus fort dans la négociation européenne. Les
absents, en l'occurence, ont toujours tort !
M. Jacques Genton,
au nom de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
Très bien !
M. Pierre Moscovici,
ministre délégué.
Je veux dire aussi que le Parlement sera, dans les mois
et dans les années à venir, le lieu d'autres débats essentiels. Je pense à la
transposition de certaines directives relatives au marché intérieur, ou aux
débats parlementaires précédant les conseils européens, notamment ceux qui
traiteront de la réforme de la politique agricole commune et des fonds
structurels avant l'élargissement. Mais je pense naturellement aussi à la
ratification du traité d'Amsterdam et à la révision constitutionnelle qui
précédera cette ratification !
S'agissant du traité d'Amsterdam, la ratification est encore devant nous. Ce
traité, nous le savons, est encore imparfait, il comporte de nombreuses lacunes
- d'abord d'ordre institutionnel, je l'ai dit - et il est, à certains égards
décevant. Je pourrais multiplier les qualificatifs à son sujet tant sont
nombreux les doutes, les questions, les insatisfactions.
En même temps, je crois qu'il est important que le traité d'Amsterdam soit
ratifié, comme le disait M. le Premier ministre, « par raison ». En effet,
c'est, je crois, une condition nécessaire - même si elle n'est pas suffisante -
pour faire avancer l'Europe politique que nous souhaitons, notamment celle de
la politique étrangère et de sécurité commune, celle de la liberté de
circulation, notamment avec la communautarisation de ce que l'on appelle
aujourd'hui l'espace Schengen.
C'est aussi une chance pour permettre un plus grand respect des conditions
dans lesquelles vivent nos départements et territoires d'outre-mer, pour faire
reconnaître nos services publics, pour faire avancer l'égalité entre les hommes
et les femmes, pour conforter le chapitre « emploi » que j'évoquais tout à
l'heure, pour faire vivre les droits sociaux.
Lorsque le débat sur Amsterdam viendra devant vous, ce sera une grande
occasion de faire le point sur la construction européenne et sur son avenir.
Je le répète, l'euro n'est qu'un élément dans la construction d'une « Europe
puissance ». C'est bien cette Europe plus politique, plus large, cette Europe
davantage dédiée à la croissance et à l'emploi, cette Europe plus proche des
peuples que nous voulons. M. Dominique Strauss-Kahn le disait hier devant
l'Assemblée nationale, avec l'euro, l'Europe est de retour. Oui, c'est bien de
cela qu'il s'agit. Nous devons dire aujourd'hui oui à l'euro avec conviction,
sans arrière-pensée, mais pas sans interrogations.
Aujourd'hui, en votant cette résolution, mesdames, messieurs les sénateurs,
nous faisons avec vous un grand pas en avant, même si nous savons bien que cela
n'épuise pas le débat.
Achevons donc cet après-midi la discussion en cours et préparons-nous à celles
qui viendront ensuite.
(Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 44 minutes ;
Groupe socialiste, 37 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 31 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 26 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 16 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe,
8 minutes.
La parole est à Mme Luc.
Mme Hélène Luc.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le Sénat
se prononce aujourd'hui sur le passage à l'euro.
Il s'agit là d'une décision d'une rare portée pour l'avenir des nations
européennes et de leurs peuples.
Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen ont depuis longtemps
affirmé la nécessité d'une construction européenne et d'une coopération
dynamique entre pays porteuses de progrès social, de démocratie, garanties de
paix.
Nous avons fait le choix de l'Europe. Nous savons que cette Europe ne pourra
se faire sans l'apport progressiste de la France, pour faire face aux défis du
xxie siècle. C'est le sens de notre intervention.
Cette affirmation forte, que beaucoup oublient pour caricaturer notre
attitude, je tiens à la rappeler aujourd'hui, alors que l'Europe traverse une
crise économique et sociale grave.
De toute évidence, il faut mobiliser toutes les énergies de notre continent
pour combattre ces fléaux que sont chômage et précarité, casse industrielle et
jachères agricoles.
De grandes choses sont possibles sur notre continent. Développer les
coopérations comme Airbus, Ariane-espace, poursuivre les échanges culturels,
dynamiser ensemble les technologies, la formation, sont des actions beaucoup
plus enthousiasmantes que l'insoutenable suspens de la désignation du futur
président de la Banque centrale.
Pourtant, l'Europe ne crée pas l'espoir. Elle est, au contraire, facteur de
malaise, d'inquiétude. Qu'y a-t-il d'étonnant, alors qu'il n'est pas un
partisan de l'euro qui n'évoque le succès économique de l'Europe, la formidable
convergence démontrée par le rapport de la commission des finances, modèle
d'exposé technocratique dont la froideur des chiffres est choquante !
M. Lambert, dans son rapport présenté devant la commission des finances, vante
la « performance économique des Etats ». Mais dans quel monde vivez-vous, mon
cher collègue ? Comment parler de performance alors que les records de chômage
sont battus, que la précarité est devenue la règle ? Comment osez-vous vous
exprimer ainsi, alors que l'exclusion, la réduction des dépenses de santé mise
en oeuvre par le plan Juppé sont la règle ?
Je regrette vivement l'absence d'humanité dans votre exposé. Jamais vous
n'évoquez les drames de ces femmes, hommes et enfants victimes de la course à
la réduction des déficits, de la course aux critères.
En 1992, lors du débat référendaire - le temps me manque pour rappeler
quelques propos édifiants - l'Europe de Maastricht devait être celle de
l'emploi, du progrès social.
Force est de constater qu'aujourd'hui l'Europe est celle du chômage et de
Vilvoorde.
L'Europe de Maastricht devait être un bienfait pour les peuples. Les
observateurs ont pu noter, durant ces six années, que c'est bien le
libéralisme, les choix monétaristes, la politique de la spéculation contre
l'emploi qui ont dominé les choix européens.
La déréglementation accélérée des services publics, inspirée à notre pays par
la Commission de Bruxelles, a marqué cette période. L'argent, la concurrence
sont les maîtres mots de cette Europe-là ; ils s'opposent radicalement à
l'Europe humaine, celle de la coopération à laquelle nous aspirons.
Le libéralisme qui fondait les politiques de MM. Balladur et Juppé, ce
libéralisme qui fonde le traité de Maastricht, véritable hymne à la libre
concurrence et à la domination des marchés, a été rejeté par les Français le
1er juin dernier. La victoire de la gauche a été construite sur le rejet de ces
politiques, de ces choix qui privilégient les intérêts de quelques-uns au
détriment de l'intérêt général.
Les Français, comme les Britanniques, hier, et les Allemands, demain, n'en
peuvent plus. Pour les comprendre, regardez, monsieur le rapporteur, les villes
ouvrières dévastées de l'Angleterre, voyez l'Allemagne rongée par le chômage,
l'Espagne et ses 20 % de sans-emploi, l'Italie qui sacrifie ses retraités et
ses malades à une quête insensée de l'euro !
Les Français ont confirmé leur choix du 1er juin voilà quelques semaines. Le
rejet du libéralisme est patent et l'espoir du changement continue à être à
gauche ;...
M. Emmanuel Hamel.
L'espoir a fui, vaincu par le ciel noir !
Mme Hélène Luc.
... mais de premières inquiétudes se sont exprimées, qu'il faut savoir écouter
et prendre en compte.
Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen ne sont pas
partisans du tout ou rien. Ils savent que le temps est nécessaire pour
construire une nouvelle politique.
Or, trop souvent, l'argument des critères de convergence, de la maîtrise des
dépenses publiques, vient contrecarrer la satisfaction de la volonté populaire.
Le carcan de l'euro est un obstacle à une nouvelle étape dans le changement.
Cela ne peut faire de doute : la politique de l'euro - les Français la
subissent depuis des années - est synonyme d'austérité. Elle s'oppose
aujourd'hui à toute politique alternative de relance économique pour le retour
au plein emploi et au développement de la croissance qui commence à se faire
jour.
Le pacte de stabilité adopté en annexe au traité d'Amsterdam, le 7 juin
dernier, confirme et renforce cette politique pour les années à venir.
Une politique de gauche, de rupture avec l'option libérale, n'est pas
compatible avec les orientations fondamentales du traité de Maastricht. S'il
n'y a pas de réorientation de la construction européenne, toutes les bonnes
volontés, tous les savoir-faire échoueront.
Le sommet de Luxembourg et, bientôt, celui de Cardiff marquent une prise en
compte réelle de l'emploi dans la construction européenne. Le fait que le
Gouvernement de la France soit à l'origine de l'ouverture d'une brèche dans la
forteresse financière qui se met en place est un point important. Il peut
compter sur la première mobilisation des peuples d'Europe contre le chômage,
comme à Bruxelles et à Luxembourg, et sur l'émergence d'un mouvement social
européen.
L'attitude de notre Gouvernement de refus de l'AMI ou du NTM, tentatives
d'instauration de l'ultralibéralisme au niveau des échanges mondiaux, confirme
notre jugement positif.
Nous avons donc salué ces premiers résultats, en soulignant, toutefois, la
faiblesse du financement des mesures engagées, monsieur le ministre.
Chacun a également pu noter que les critères de convergence sociale ne sont
aucunement accompagnés d'un dispositif de sanctions, à la différence des
aspects financiers. Cela marque sans nul doute les limites de ces premières
avancées, mais nous ne désespérons pas de réussir à imposer beaucoup plus.
Il est urgent de mettre réellement au coeur de la construction européenne
l'emploi et le progrès social. A cette fin, nous proposons de substituer à la
logique du pacte de stabilité un véritable pacte de croissance dont l'objectif
central serait l'emploi.
Il est urgent d'abandonner, par exemple, la logique de la baisse du coût du
travail, qui accompagne l'austérité. La part des salaires a en effet baissé
dans les pays européens depuis 1991.
Nous ne nions pas les réalités économiques mondiales. Mais nous estimons que
c'est la baisse des charges financières et non celles des charges sociales qui
doit être prioritaire aujourd'hui. Ce sera le moyen de freiner la spéculation
et de diriger de nouveau l'argent vers l'emploi.
Nous estimons que l'Europe à construire doit ainsi s'émanciper des marchés
financiers et permettre une expansion budgétaire et monétaire autorisant une
véritable politique de relance.
C'est dans cette perspective que nous proposons une action en faveur de la
baisse du crédit pour dynamiser l'emploi. Cette orientation de l'argent vers
l'emploi doit s'appuyer sur une coopération monétaire nouvelle, une monnaie
commune et non unique, fondée sur les monnaies nationales. Cette monnaie
commune aurait un rôle de premier plan à jouer pour réformer le système
monétaire international au service du développement.
De simples aménagements de l'euro ne feront pas le compte. Il faut prendre à
contrepied la vision conservatrice de l'Europe, qui domine actuellement, et la
remplacer par une vision progressiste.
Cette nouvelle politique européenne, qui sera combattue par les financiers,
aurait un atout irremplaçable, celui de s'appuyer sur le mouvement social. Les
peuples doivent, en effet, être les moteurs de cette réorientation.
Agir en ce sens, c'est réconcilier l'idée de l'Europe avec la démocratie.
Or, l'euro c'est la consécration de l'indépendance de la Banque centrale
européenne, à laquelle sera transférée la réalité du pouvoir économique et
financier.
Quel contrôle des parlements nationaux, quel contrôle du parlement européen ?
M. le président Monory ne s'est-il pas félicité, hier, du fait que l'euro «
commandera les hommes politiques » ?
Un droit de regard ne sera même pas autorisé par principe aux peuples et à
leurs représentants puisque, selon les statuts, les réunions de la BCE seront
confidentielles, et ses travaux rendus publics selon le bon vouloir de ses
membres.
Il est frappant de constater, comme le relate le député Alain Barrau,
rapporteur de la délégation européenne de l'Assemblée nationale, que nombre de
réflexions ou propositions pour instaurer un contrôle ont lieu au Parlement
européen, alors qu'au sein de notre Parlement elles demeurent bien rares.
Pourtant, ne faut-il pas, au-delà des comptes rendus de courtoisie, édifier un
véritable pouvoir de contrôle populaire sur la BCE ?
Certains ont évoqué un pouvoir de censure. A quel niveau : national ou
européen ? La réflexion doit se développer ; des décisions doivent être
prises.
Selon nous, la notion de souveraineté nationale est indissociable de celle de
souveraineté populaire. Nous n'acceptons pas de brader à l'extrême-droite ce
principe républicain. La souveraineté nationale est une grande idée
démocratique qui a trouvé sa source dans la pensée de Rousseau et dans l'action
des révolutionnaires de 1789. Saint-Just lui-même, en affirmant : « Le bonheur
est une idée neuve en Europe », liait intimement les idées de nation, de
justice et de coopération internationale.
La caricature de la souveraineté nationale à laquelle on se prête sur
certaines travées où l'on est inconditionnel de l'euro est lourde de mépris à
l'égard du peuple. Pourtant, alors que, depuis quelques semaines, d'aucuns
mettent en avant la crise de la politique, peu évoquent l'élargissement du
fossé entre les centres de décision et le peuple.
La gauche doit regarder les choses en face et ne pas se mentir. La BCE toute
puissante, l'euro soumis aux marchés financiers, tout cela est contraire à un
idéal européen démocratique et progressiste.
M. Emmanuel Hamel.
Très bien !
Mme Hélène Luc.
Rien n'est irréversible, l'histoire l'a démontré en tous temps. Le choix de
l'euro ne l'est donc pas, et l'affirmer n'a pas de sens.
Monsieur le ministre, nous conservons en mémoire la déclaration commune du
parti socialiste et du parti communiste français du 29 avril 1997, qui
rappelait : « Avec celles et ceux qui refusent de sacrifier la nation et sa
souveraineté à la construction européenne, nous disons non à l'Europe libérale,
à l'Europe de l'argent roi et à la soumission au marché financier. »
Nous agissons donc pour que grandisse l'exigence d'une autre construction
européenne. Un grand débat doit avoir lieu. Il est encore temps de le mener et
les échéances permettent encore d'organiser un référendum.
L'argument de l'approbation du traité de Maastricht par le vote de 1992 n'est
pas satisfaisant.
En premier lieu, le débat sur la monnaie unique n'était qu'embryonnaire. Le
nom de l'euro n'était même pas décidé.
En second lieu, le pacte de stabilité, qui préconise les critères de
convergence au-delà de la mise en place de l'euro, en instaurant un mécanisme
de sanctions qui symbolise l'abandon de souveraineté, n'était pas inclus dans
le traité de Maastricht.
Nombre de « oui » à Maastricht n'approuvaient qu'une austérité provisoire, pas
une austérité à vie !
Enfin, comment parler de démocratie si le peuple ne peut défaire ce qu'il a
fait ?
M. Emmanuel Hamel.
Très bien !
Mme Hélène Luc.
Un référendum sur le passage à la monnaie unique doit donc être organisé,
comme l'avait d'ailleurs souhaité M. Chirac, en novembre 1994, car la seule
discussion d'aujourd'hui ne peut répondre à l'exigence de démocratie.
En votant contre la mise en oeuvre de l'euro, recommandée par la commission
des finances du Sénat, le groupe communiste républicain et citoyen ne livre
pas, aujourd'hui, un baroud d'honneur.
Nous ne prenons pas date en attendant l'échec. Nous souhaitons vivement la
réussite de l'Europe, mais celle-ci ne réussira que si elle est sociale.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, il était de notre devoir d'exprimer
franchement notre pensée.
Quelle que soit la décision du conseil des ministres européens du 2 mai
prochain, notre détermination restera intacte. La réflexion et l'action pour la
construction de cette Europe sont devant nous, avec les citoyens.
Nous voulons délivrer un message d'espoir, démontrer qu'une alternative existe
et qu'il sera possible, demain, de s'opposer à l'action des banquiers de
Francfort pour briser toute velleité de changement de notre continent, en
s'appuyant sur la majorité de Français qui rejettent l'Europe ultralibérale.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen. - M. Emmanuel Hamel applaudit également.)
M. le président.
La parole est à M. Gaillard.
M. Yann Gaillard.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre débat
prend appui sur un traité rébarbatif et nous conduira sans doute à approuver un
projet de résolution qui constitue un véritable mode d'emploi de ce traité et
de l'euro.
Mais comment ne pas d'abord s'arrêter un instant avec émotion devant un
spectacle inhabituel : l'euthanasie programmée, pour ne pas parler du suicide
collectif, de onze monnaies, à savoir les trois francs - français et belge et
luxembourgeois - le mark, le florin, la lire, la peseta, l'escudo, la livre -
irlandaise, il est vrai ! - le schilling et le markka finlandais, qui s'en
iront rejoindre au cimetière des espèces monétaires disparues l'as, le thaler
et l'écu, qui a raté sa réssurection ? L'euro, au nom un peu fade, lui
succède.
Notre débat n'a donc d'autre objet que d'accompagner son entrée ratifiée par
le peuple français.
Cependant, nombre de questions se posent. Je veux n'en retenir que trois.
L'euro est-il la solution miraculeuse à nos problèmes français ? Ma réponse
est non.
M. Emmanuel Hamel.
Très bien !
M. Yann Gaillard.
Attendez la suite !
(Rires.)
Le Gouvernement nous prépare-t-il bien à son avènement ? Ma réponse est
non.
Existe-t-il une politique de rechange ? Ma réponse est non.
M. Emmanuel Hamel.
Mais si !
M. Yann Gaillard.
A ces trois questions, trois réponses négatives, mais la troisième négation a
plus de poids que les deux premières, qui pourraient nous inciter à la
procrastination, c'est-à-dire à hésiter face aux échéances.
Première question : l'euro et les problèmes français. Je devrais dire « le »
problème français, qui est aussi le problème allemand et celui d'autres pays
européens, à savoir le chômage.
Nous sortons d'années difficiles que, selon certains, la politique monétaire
dite du franc fort et l'accrochage au mark expliquent en partie. L'euro
sera-t-il l'instrument de notre délivrance ou de notre asservissement définitif
à la Bundesbank, transformée en Banque centrale européenne ? C'est une première
sous-question.
La seconde, qui déborde du plan monétaire pour s'étendre à l'ensemble de la
politique économique et sociale, pourrait être formulée ainsi : la variable
monétaire étant bloquée, le processus concurrentiel ne va-t-il pas mettre en
cause l'ensemble de nos systèmes budgétaire, fiscaux, sociaux, et, pour tout
dire, notre autonomie et notre souveraineté nationale ? Ou, si douloureuse
soit-elle, cette évolution n'est-elle pas l'occasion d'une remise à plat, d'une
réforme profonde qui étaient de toute manière inévitables ?
Au moment de la réunification allemande, devions-nous décrocher du mark ou
accepter la réévaluation de celui-ci, qui, semble-t-il, nous avait été proposée
? Le Gouvernement de l'époque, qui était socialiste, n'a pas voulu faire une
dévaluation de plus, et il est vrai que nous nous sommes liés à la politique
monétaire allemande, et pour longtemps. Nous avons d'ailleurs fini par en
bénéficier puisque le franc fort, qui était devenu la réplique du mark fort,
nous a valu, à la longue, les bas taux d'intérêt dont le gouverneur de la
Banque de France s'enorgueillit. Mais à quel prix ?
Le débat sur le droit de seigneuriage est donc devenu théorique. A ceux
qu'émeut la perte de notre souveraineté monétaire, les autres répondent avec
réalisme mais non sans cynisme parfois : mieux vaut un 10 % de souveraineté
partagée qu'un 100 % de suivisme obligatoire.
Mais aurons-nous bien ce pourcentage de souveraineté ? C'est là tout le
problème. Il se pose sur un double plan. Sur la Banque centrale, elle-même :
comment fonctionnera-t-elle, comment s'établira le relais avec les banques
centrales, j'allais dire décentralisées, des Etats membres ? Le président, quel
qu'il soit, ne sera-t-il qu'un
primus inter pares
? Sur le plan de ses
rapports avec le Conseil - avec les deux conseils, peut-on dire, puisqu'il y
aura ECOFIN et le conseil informel de l'euro - la politique monétaire
extérieure, c'est-à-dire le taux de change, sera-t-il bien l'apanage des
autorités politiques ? Aurons-nous dès lors l'embryon de ce gouvernement
économique que nous voulons tous ?
C'est pourquoi le groupe du RPR du Sénat attache une grande importance à
l'amendement déposé par M. de La Malène au projet de résolution. Cet amendement
a été adopté par notre commission des finances. Il insiste sur la nécessité de
réintroduire, dans un dispositif complexe qui règle les rapports de la Banque
centrale et du Conseil, la primauté de l'instance politique. C'est à ce niveau
seulement que le volet « croissance » du pacte de stabilité pourra déboucher
sur du concret et que l'objectif emploi pourra susciter la même attention que
l'objectif de stabilité monétaire.
Certes, non contraignant juridiquement, comme l'ensemble de la résolution, cet
amendement, s'il est voté, marquera le souci de la Haute Assemblée de se situer
au niveau des vrais enjeux.
Désarmés monétairement, nos Etats pourront-ils compter sur la politique
budgétaire pour amortir les chocs conjucturels et structurels, ces fameux chocs
asymétriques dont nous menacent certains économistes ? Douter que les Etats
aient encore les moyens de mener une telle politique, c'est poser, bien sûr, le
problème de la légitimité démocratique, puisque en Europe il y a recouvrement
exact des souverainetés nationales et des souverainetés populaires.
Quid
, dès lors, du rôle des parlements nationaux qui expriment cette
double souveraineté ? Le problème est devant nous, non résolu en dépit des
promesses du Premier ministre que nous enregistrons.
Je ne reviendrai pas sur l'excellente analyse effectuée par Alain Lambert du
pacte de stabilité et de croissance. Je noterai cependant que cet échafaudage a
pour objet de déterminer comment et à travers quelles procédures de mise en
examen et de jugement les gouvernements pécheurs, c'est-à-dire ceux qui
dépassent le critère des 3 % de PIB de leur déficit budgétaire, seront menacés,
voire condamnés à payer des pénalités qui aggraveront leur déficit d'autant,
mais contribueront aux ressources propres de la Commission.
Franchement, l'exercice a quelque chose de surréaliste. Mais l'essentiel n'est
pas là : l'essentiel est dans notre volonté, notre capacité d'organisation et
de résistance, à l'intérieur des organismes de décision dont nous faisons
partie. En effet, mes chers collègues, il ne faut pas raisonner comme si
l'Europe était une affaire extérieure.
Cela dépendra pour beaucoup de l'assiduité des parlementaires, du loyalisme
des fonctionnaires que nous envoyons à Bruxelles et à Luxembourg, ces deux
cités si proches de nous.
M. Jacques Genton,
au nom de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
C'est bien cela
!
M. Yann Gaillard.
Francfort, c'est vrai, c'est plus dur !
Et si la contrainte était d'abord celle des faits ? Nous sommes éloignés
désormais de la « morale sans obligation ni sanction » qu'esquissait au siècle
dernier le philosophe français Jean-Marie Guyau ! Nous entrons dans l'univers
de la vertu obligatoire. Mais peut-être cette rigueur luthérienne est-elle
indispensable dans un temps où ce qui est mis en concurrence, euro ou pas, ce
n'est pas seulement la productivité des entreprises, ni seulement la
législation sociale et fiscale, ni même la performance de nos institutions
administratives, centrales et décentralisées, mais nos sociologies, et ce que
les Anglo-Saxons appellent nos « fabriques culturelles ».
M. Lucien Neuwirth.
La vertu devient rigide quand le reste s'amollit !
M. Yann Gaillard.
Je pose donc une deuxième question : le Gouvernement prépare-t-il notre pays
aux contraintes de l'euro ?
Bien entendu, nous ne le pensons pas. On dira qu'il s'agit là d'un parti pris
politique. Il faut croire que ce parti pris est assez largement partagé,
puisque les critiques émanent - pour ne prendre que des exemples récents - tant
du FMI que du président du patronat allemand, ou en termes voilés, du Premier
ministre britannique, M. Tony Blair, dans son discours du 24 mars dernier à
l'Assemblée nationale.
La lecture de la presse étrangère, surtout américaine, est à cet égard
édifiante dans les rares occasions où elle veut bien se pencher sur nos
contrées exotiques. Sans parler des classements peu flatteurs de compétitivité
que font régulièrement les instituts internationaux, le dernier en date étant
celui de l'IMD de Lausanne auquel vient de se référer M. Poncelet.
Sur la stratégie budgétaire, le Gouvernement, certes, adhère à la nécessité de
contenir les déficits publics, puisqu'il a signé à Amsterdam les engagements
qui l'y contraignent. Le ministre de l'économie et des finances a eu le bon
goût de rappeler ses camarades à une sagesse minimale quand, de nouveau,
certains parlaient de répartir les fruits de la croissance.
Reste que le Président de la République a pu, à juste titre, le 16 avril
dernier, s'inquiéter des déficits publics en France, et préconiser que
l'augmentation des dépenses publiques reste au-dessous du niveau de
l'inflation, ce qui ne semble pas correspondre à ce que l'on sait des projets
gouvernementaux. Au rythme où nous allons, la progression de l'endettement
public devrait se poursuivre jusqu'à l'an 2000...
Mais, plus que la stratégie générale, qui se veut cohérente avec nos
engagements européens, ce sont les projets emblématiques, ceux qui soudent la
majorité plurielle qui nous paraissent en totale contradiction avec ces
engagements : les emplois-jeunes, les trente-cinq heures, peut-être, n'auront
pas les conséquences désastreuses que redoutent bien des observateurs,
peut-être, mais ce sera faute de pouvoir s'inscrire dans les faits. L'Histoire
a parfois de ces retournements...
Et puis, sur tant de points - question de sensibilité politique - la réaction
du Gouvernement semble aller dans un sens un peu archaïque. Il a la démarche
frileuse, il finit par céder aux nécessités de l'heure, mais à regret, sans
avoir le bénéfice du geste.
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Eh oui !
M. Yann Gaillard.
Il privatise sans privatiser vraiment, comme au temps du « ni-ni ». Il ouvre
le système bancaire sur la partie bien gérée mais statutairement protégée de ce
système, les banques mutualistes. Jusqu'au ministre de l'agriculture et de la
pêche qui met son grain de sel et critique le projet de réforme de la PAC dans
ce qu'il a justement de moins critiquable, la réaffirmation, par les baisses de
prix, de la vocation exportatrice de l'agriculture européenne, et d'abord
française.
La bonne surprise d'un redémarrage de la croissance plus certaines astuces
comptables ont permis au Gouvernement de passer la première porte, celle des
critères de Maastricht. Combien d'autres se présenteront à franchir ? La chance
est une grande vertu politique, mais il ne faut pas en abuser.
Troisième question : y a-t-il une politique de rechange à l'euro ? Réponse :
non !
D'abord parce qu'il est proprement inconcevable de revenir sur une stratégie
engagée depuis une décennie. Les prolégomènes de l'euro ont été définis en juin
1989 à Madrid, par François Mitterrand, Helmut Kohl et Jacques Delors. Depuis,
nous avons eu deux présidents de la République, un de gauche et un de droite.
Chacun a nommé tour à tour des gouvernements de dévotion et de cohabitation,
soit quatre
castings
politiques différents. Jamais pourtant notre pays
n'a dévié de la voie tracée. Cela signifie bien quelque chose, et qui dépasse
la persévérance, pendant toute cette période, de M. Trichet et de son
discours.
L'euro est non pas une fantasmagorie technocratique, mais la réponse politique
à un événement fondamental, l'effondrement du mur de Berlin, suivi d'un autre,
la réunification allemande, comme le rappelait si justement M. Genton. Il
s'agissait de poursuivre la construction européenne, entreprise depuis près
d'un demi-siècle par Robert Schuman et Jean Monnet, rendue possible par le
général de Gaulle grâce au redressement national et à la pierre d'angle du
traité franco-allemand, posée avec le chancelier Adenauer.
Des présidents suivants de la Ve République, chacun a apporté sa contribution
à l'édifice fondé par ces hommes illustres ; Pompidou au sommet de La Haye en
1969 où fut décidé le principe de l'Union économique et monétaire, Giscard
d'Estaing à Bruxelles en décembre 1978 où fut lancé le SME, Mitterrand à
Maastricht, Chirac à Amsterdam. Il faudrait être bien présomptueux pour croire
que tous se sont fourvoyés et c'est bien ce qu'a compris l'opinion publique.
Elle a eu à s'exprimer le 20 septembre 1992, et rien n'indique qu'elle ait
varié depuis sa résolution...
M. Emmanuel Hamel.
Mais si, elle a compris depuis !
M. Yann Gaillard.
... certains diront dans sa résignation.
Aussi bien les points de vues opposés, fort respectables mais fort différents,
ne permettraient pas de fonder une politique de rechange.
Je ne vois pas de stratégies de remplacement, mais, que l'on me pardonne, des
postures. Il ne s'agit que de retarder, de nuancer, d'ajouter des conditions
qu'aucun de nos partenaires n'est prêt à accepter. Quant à la question de
l'élargissement, pour que l'Europe soit élargie, il faut d'abord qu'elle
existe, et son existence passe aujourd'hui par l'union monétaire. On dit
parfois que l'Europe manque de dimension politique, mais quel acte est plus
politique que cette mise en commun du plus régalien des pouvoirs, celui de
battre monnaie ? Oui, c'est cela qui effraie, et pourtant c'est cela qui, à
terme, devrait rassurer.
Et pourquoi cela se fait-il, en fin de compte ? Le Président de la République
l'a fort bien dit dans sa conférence de presse du 16 avril dernier : parce que
c'est ainsi que s'organise en ce moment le monde du xxie siècle, et que l'Union
européenne n'en est qu'un cas particulier. La même loi d'airain aura suscité,
aux quatre coins du monde, la construction de ces grands ensembles, ALENA,
ASEAN, MERCOSUR, dont le dialogue se fera sur la plan économique, le seul qui
compte aujourd'hui. Mais, pour négocier et dialoguer, il nous faut être
équivalents.
Nous savons bien que, réduits à nos seules forces, occupés à cultiver les
charmes de l'exception française, nous serions incapables de relever ce défi,
de réformer nos structures, de baisser le montant de nos prélèvements
obligatoires. Nous subirions sans contrepartie la pression des marchés,
lesquels ne se contentent pas de noter les entreprises, dont le capital est de
plus en plus détenu par des fonds internationaux. Ces monstres sans remords ne
nous laisseront plus jamais le temps de souffler. Si nous voulons défendre
l'emploi de nos enfants, il nous faut bien pénétrer leurs règles, afin de
pouvoir les contenir, voire les infléchir.
M. Emmanuel Hamel.
Ne pas subir !
M. Yann Gaillard.
L'Europe nous y aidera peut-être, si nous parvenons d'abord à la convaincre,
cette Europe, si nous parvenons, nous, France, à nous transmuer en elle, à lui
devenir consubstantielle, puisque tel est notre destin historique et
géographique.
A ceux d'entre nous qui sont tentés par le refus, je voudrais dire : nous vous
comprenons.
M. Emmanuel Hamel.
Ah !
M. Yann Gaillard.
Nous n'aimons pas, nous non plus, ce monde abstrait, cruel, froid, que prépare
l'interconnexion généralisée des pensées et des décisions en
basic
english.
Un sénateur socialiste.
Très bien !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
C'est vrai !
M. Yann Gaillard.
Nous sommes, nous aussi, héritiers de Colbert et des physiocrates, plutôt que
de Ricardo et d'Adam Smith. Nous préférons, comme vous, la main visible de
l'homme à la « main invisible » de l'économie. Mais nous ne voulons pas que
cette France que nous aimons fasse rater sa chance à l'Europe, qui est la
chance de la France.
A propos de chance, je voudrais rappeler un mot d'un homme que j'ai beaucoup
servi et que nombre d'entre nous ont connu, sur ces travées et ailleurs -
n'est-ce pas, M. Poncelet ? - je veux parler d'Edgar Faure : « Il n'y a pas de
politique sans risque, disait-il, mais il y a des politiques sans chance ».
C'est pourquoi, sans illusion mais sans hésitation, comme, je le pense, un
grand nombre de mes amis, je voterai la résolution de notre commission des
finances.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, de
l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. de Villepin.
M. Xavier de Villepin.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne
voudrais pas, en guise d'introduction, revenir sur la procédure qui a abouti à
ce débat si nécessaire aujourd'hui, procédure qui est connue de tous.
Je ne voudrais pas, non plus, revenir sur les dispositions du traité de
Maastrich, qui a été régulièrement ratifié par voie de référendum par notre
pays, et qui fonde le principe de la monnaie unique, ni sur les décisions
postérieures, comme le pacte de stabilité, qui ont été adoptées par le Conseil
européen ces dernières années.
Je ne voudrais pas non plus insister sur les recommandations de la Commission
concernant la liste des pays qualifiés pour la participation à la troisième
phase de l'Union monétaire, car tout le monde connaît cette liste et est
maintenant convaincu que l'euro se fera, et qu'il se fera à la date prévue par
le traité, c'est-à-dire au 1er janvier 1999.
M. Emmanuel Hamel.
Pour le malheur de la France !
M. Xavier de Villepin.
J'évoquerai plutôt l'avenir de l'euro en soulevant trois questions qui me
semblent déterminantes, à savoir : les engagements du pacte de stabilité
pourront-ils être tenus ? Le fonctionnement du Conseil est-il adapté aux
nouvelles contraintes de l'euro ? La monnaie unique peut-elle se passer d'un
contrôle démocratique ?
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Très bien !
M. Xavier de Villepin.
Les engagements du pacte de stabilité pourront-ils être tenus ?
Le pacte de stabilité, qui, je vous le rappelle, a été adopté sur l'initiative
de l'Allemagne, représente une obligation forte, pour les Etats participant à
l'euro, de maîtriser leurs finances publiques, notamment en réduisant les
dépenses budgétaires et en baissant les impôts.
Je rappelle ainsi que le pacte leur fait obligation, sous réserve d'amendes,
de limiter le déficit de leurs administrations publiques - y compris celles de
la sécurité sociale et des collectivités locales - en dessous de 3 % du PIB.
Au-delà de ces 3 %, les pénalités seront de 0,2 % du PIB, plus un élément
variable égal à un dixième de la différence entre le déficit exprimé en
pourcentage du PIB et la valeur de référence de 3 %. Pour la France, cette
amende serait de l'ordre de 25 milliards de francs pour un déficit de 4 % du
PIB.
M. Emmanuel Hamel.
C'est aberrant !
M. Xavier de Villepin.
Cela doit retenir votre attention et la nôtre.
On oublie parfois que ces pénalités s'appliqueront aussi à la dette publique
si celle-ci est supérieure à 60 % du PIB, l'amende étant alors égale à 0,2 % du
PIB.
L'Allemagne sera particulièrement vigilante sur l'application de ces
sanctions.
J'en veux pour preuve - M. Poncelet l'a rappelé tout à l'heure - le fait que
le ministre allemand des finances a demandé, lors de la rencontre informelle
des ministres des finances de York, le 21 mars dernier, à mettre en application
le pacte de stabilité dès cette année, c'est-à-dire avant même la mise en
vigueur de l'euro au 1er janvier prochain.
C'est ainsi qu'une déclaration devrait être annexée à la recommandation sur la
liste des pays participant à l'euro dont nous débattons aujourd'hui. Cette
déclaration fera obligation aux Etats membres participant à la monnaie unique
d'anticiper à l'automne prochain la présentation des programmes de stabilité
qui contiendront les objectifs à moyen terme de réduction du déficit et de la
dette publique, ainsi que la description des mesures budgétaires destinées à
réaliser ces objectifs et les éventuelles mesures de correction destinées à
éviter les dérapages budgétaires possibles par rapport aux objectifs.
Il me semble que cette déclaration, qui est une forme d'avertissement pour les
Etats participant à l'euro, doit être prise très au sérieux.
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
C'est très juste et cela
m'inquiète !
M. Xavier de Villepin.
Moi aussi, monsieur Poncelet !
Ceux qui pensent qu'il suffit d'entrer dans l'euro pour toucher à la « terre
promise » se trompent. L'entrée dans l'euro est, au contraire, une injonction à
une réduction sévère des déficits publics.
En prenons-nous le chemin alors que le coût du traitement social du chômage va
augmenter dans les prochaines années, que la stabilisation de la dette publique
reste compromise faute de provisionnement de la charge future des retraites des
fonctionnaires, le tout compromettant ainsi toute baisse prochaine des impôts,
laquelle est pourtant nécessaire à la reprise ; à la croissance et au respect
des critères du pacte de stabilité ? Le résultat en est que, selon les
statistiques de la Commission européenne, le déficit structurel de la France se
situe, hors effet de la croissance, à 2,6 % du PIB, pour une moyenne
communautaire de 1,7 %.
Le fonctionnement du Conseil est-il adapté aux nouvelles contraintes de l'euro
?
S'interroger sur le fonctionnement du Conseil de l'euro, c'est en fait poser
la question du réglage des politiques budgétaires nationales et de la future
politique monétaire centralisée de la Banque centrale européenne.
Comme un certain nombre de spécialistes l'ont souligné récemment, à commencer
par le conseiller économique du Premier ministre, le fonctionnement non
coopératif du Conseil de l'économie et des finances a fait perdre de la
croissance en Europe, avec son inévitable cortège de chômeurs et de
laissés-pour-compte de la société.
Le FMI, comme d'autres organismes, constate le manque de coordination des
politiques économiques et budgétaires des Etats membres. Il a très nettement
critiqué la loi française sur les 35 heures, selon lui, « devrait aggraver le
problème du chômage structurel plutôt que de le résorber ».
Le FMI confirme directement les conclusions de notre récente commission
d'enquête sénatoriale, laquelle a insisté sur la perte potentielle d'emplois
qui pourrait être due à ce choix erroné de politique économique. L'opinion
dominante des divers participants à la Commission des comptes de la nation qui
se sont réunis cette semaine est, quant à elle, réservée sur la possibilité
d'une réduction du déficit structurel des finances publiques compte tenu des
objectifs que s'est fixé le Gouvernement, notamment avec les 35 heures, les
emplois-jeunes et la loi contre l'exclusion.
Certes, j'ai bien entendu la réponse qu'a faite au FMI notre ministre de
l'économie et des finances. Selon lui, la France n'est pas visée, il s'agit «
d'une vieille rengaine de tous les adversaires de la réduction du temps de
travail ». Mais j'ai aussi noté, monsieur le ministre, que vous insistiez sur
la nécessité de tenir compte « au plus près des réalités professionnelles et
économiques des entreprises ». Je vous rejoins totalement sur ce point : la
France ne pourra tirer un réel bénéfice de sa participation à l'euro que si son
gouvernement sait entendre la voix des entreprises.
L'avenir de l'euro sera aussi déterminé par les conditions dans lesquelles nos
pays sauront se coordonner face à la politique monétaire unique de la Banque
centrale européenne, en particulier pour dynamiser l'économie européenne et
pour faire reculer le chômage. L'euro ne pourra rester une monnaie forte, comme
le souhaite le gouverneur de la Banque de France, et stable, notamment dans ses
rapports avec le dollar, que si le chômage revient à un niveau acceptable dans
nos pays, acceptable pour les marchés financiers internationaux, bien sûr, mais
aussi pour nos concitoyens.
C'est aussi le point du vue de M. Gehrard Schröder, le candidat à la
Chancellerie d'Allemagne : il est certes en faveur d'un système monétaire
stable et d'un euro « aussi fort que le mark », mais il juge également que
l'Union économique et monétaire n'assurera la stabilité de la monnaie que si
l'Europe réussit à juguler le chômage de masse. Il affirme aussi : « Notre
politique est de veiller à ce que l'euro ne soit pas une débâcle. »
Il faut en fait reconnaître que le Conseil des ministres ECOFIN ne pourra être
réellement efficace dans le domaine de l'emploi - c'est-à-dire faire autre
chose qu'adopter de bonnes résolutions - qu'en assurant un meilleur réglage
entre les politiques économiques, budgétaires, fiscales et sociales nationales
et la nouvelle politique monétaire centralisée.
Poser cette question, c'est aborder le problème non seulement des relations
entre le Conseil et la Banque centrale européenne, mais aussi du contrôle
démocratique de l'euro.
La monnaie unique peut-elle se passer d'un contrôle démocratique ?
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Non !
M. Xavier de Villepin.
Cette question a été malheureusement absente du traité de Maastricht et des
textes postérieurs. Certes, le traité garantit l'indépendance de la Banque
centrale européenne. Mais il confère aussi au Conseil d'importantes
responsabilités. Il s'agit de la responsabilité de la coordination des
politiques économiques, de la responsabilité d'arrêter la position de la
Communauté au niveau international pour les questions revêtant un intérêt
particulier pour l'Union économique et monétaire et de la responsabilité de
décider d'accords de change entre l'euro et des monnaies non communautaires ou
de formuler des orientations générales de politique de change à l'égard de
celles-ci.
Le bon fonctionnement de la zone euro suppose donc un dialogue constant entre
le Conseil et la Banque centrale européenne.
L'indépendance de la Banque centrale, garantie par le traité, ne réclame pas
que le Conseil renonce à tout ou partie de ses responsabilités propres. Le
respect de la démocratie au sein de la Communauté exige le contraire.
C'est une telle conception qu'a retenue le Conseil de Luxembourg. Je cite à ce
propos le texte adopté par le Conseil européen : « Compte tenu de la
répartition des compétences prévue par le traité, il faudra ... que s'instaure
entre le Conseil et la Banque centrale européenne un dialogue permanent et
fructueux ... De ce fait, le Conseil devrait jouer pleinement son rôle en
tirant parti des voies de dialogue prévues par le traité. »
Au vu des controverses dans ce domaine, il ne me paraît pas inutile de
rappeler que le président de la Banque centrale européenne ainsi que le
vice-président et les quatre membres du directoire sont nommés, aux termes de
l'article 109 A du traité, d'un commun accord par les Etats membres de la zone
euro, statuant au niveau des chefs d'Etat ou de Gouvernement. Il s'agit donc
d'une prérogative reconnue aux autorités politiques, dont le rôle ne saurait se
limiter à entériner un consensus formé dans le cénacle des banques
centrales.
Mais la manière dont le Gouvernement français participera à ce dialogue au
sein du Conseil ne saurait échapper à tout contrôle de l'Assemblée nationale et
du Sénat. En effet, l'adhésion des populations à cette nouvelle monnaie
implique une forme de consentement politique aux orientations qui
l'inspirent.
Il serait donc souhaitable, me semble-t-il, que le Gouvernement s'engage à
organiser à intervalles réguliers un débat parlementaire sur ce thème afin que
chaque assemblée puisse exprimer sa position. Il conviendrait aussi que nos
assemblées manifestent une vigilance de tous les instants, non seulement lors
du démarrage de l'euro, mais aussi tout au long de la période transitoire,
notamment lors de l'échange des pièces et des billets, période pendant laquelle
nos concitoyens risqueront fort d'être sérieusement perturbés.
M. Emmanuel Hamel.
Ils auront bien raison !
M. Xavier de Villepin.
En conclusion, je crois que l'aventure de l'euro ne fait que commencer. Elle
sera la meilleure ou la pire des choses selon que nous saurons l'accompagner
par des politiques économiques, budgétaires, fiscales et sociales
appropriées.
Mais pour que ces politiques soient appropriées, encore convient-t-il que nous
en débattions. Je me réjouis donc moi aussi du débat d'aujourd'hui, qui se
déroule cependant à mes yeux un peu tard, puisque tous les choix stratégiques
ont été faits depuis longtemps. Sans doute n'est-il cependant pas trop tard
pour décider, grâce à cette résolution du Sénat qui le prévoit explicitement,
d'en permettre d'autres, le moment venu. De la sorte, l'opinion publique de
notre pays sera éclairée sur les risques et les enjeux de la monnaie unique.
Compte tenu de ces observations, le groupe de l'Union centriste du Sénat
votera la proposition de résolution de nos amis de la commission des finances.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du
RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Durand-Chastel.
M. Hubert Durand-Chastel.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ma
conviction est que l'Union économique et monétaire est, d'abord, une nécessité
pour la France, puis un bien pour l'Europe et pour le monde.
C'est une nécessité pour la France car, avec à peine 1 % de la population
mondiale, notre pays ne peut prétendre peser efficacement sur la marche du
monde. Les problèmes qui se posent sont d'une ampleur et d'une complexité
telles que leur résolution dépasse le cadre des Etats. Cela vaut pour
l'environnement, l'immigration, la sécurité, la recherche et les technologies,
ainsi que pour le chômage, sujets qui sont au centre des préoccupations
politiques à l'aube de ce troisième millénaire. En tous ces domaines, on ne
peut aujourd'hui faire cavalier seul.
Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, l'économique prime sur le
militaire. La puissance se mesure en parts de marchés, qui elles-mêmes
structurent l'évolution culturelle des nations. La France a certes stabilisé sa
monnaie, mais le franc n'en représente pas pour autant une devise apte à peser
sur les événements extérieurs.
Nous vivons, malgré nous, dans l'interdépendance. Mieux vaut organiser
celle-ci pour tenter d'en maîtriser les effets que de subir la loi du plus
fort, c'est-à-dire celle du dollar. Mettre en oeuvre des méthodes
intergouvernementales, telle était bien l'ambition des pères fondateurs de
l'Europe, tel reste aujourd'hui l'objectif de l'Union économique et
monétaire.
La monnaie unique est aussi un bien pour l'Europe : avec 6 % de la population
mondiale et 30 % de la production, le Vieux Continent ne pèse pas sur les
affaires du monde à la hauteur de ses immenses capacités et de ses 370 millions
d'habitants. Le formidable pouvoir intégrateur de l'euro, son effet
démultiplicateur de puissance, conduiront dans l'avenir les Etats de l'Union à
défendre des positions communes dans les institutions internationales comme
l'OMC, le FMI, en y renforçant d'autant son influence.
L'euro représente également un bien pour le monde. Nous assistons aujourd'hui
à la constitution de grands ensembles régionaux : ALENA - Accord de
libre-échange nord-américain -
Mercosur - Mercado comun del Sur - ASEAN -
Association of Southeast Asian Nations
- etc. Ils constituent un prélude à
la mondialisation. Sur cette position, l'Europe a pris de l'avance.
La crise financière en Asie a rappelé les dangers d'un système international
fondé sur une seule monnaie de réserve, le dollar. Une prise de conscience
s'est fait jour : une deuxième monnaie mondiale de référence est nécessaire ;
l'euro est précisément destiné à jouer ce rôle.
Les Américains, qui ont longtemps douté de la capacité des Européens à créer
une monnaie unique, ...
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
C'est vrai !
M. Hubert Durand-Chastel.
... admettent maintenant l'avènement de l'euro et s'y préparent. L'ambassadeur
des Etats-Unis à Paris déclarait hier au Sénat devant la commission des
affaires étrangères : « L'euro n'est pas une menace et nous souhaitons son
succès ».
D'autres grands pays, comme la Chine, ainsi que les gestionnaires de fonds de
pension ont déjà indiqué qu'ils basculeront une partie de leurs avoirs en euro.
L'euro va donc permettre un rééquilibrage du système monétaire international,
en servant de contrepoids au billet vert pour le bien du plus grand nombre.
Dans la marche vers l'euro, l'effet attractif au sein de l'Union est
remarquable. Il n'y a qu'à voir les efforts considérables déployés par
l'ensemble des participants pour pouvoir prendre le premier train de l'euro.
C'est un succès total du traité de Maastricht : à la fin de 1997, quatorze des
quinze Etats membres avaient réalisé une convergence jamais encore atteinte de
leurs économies concernant l'inflation et le déficit public. La France a dû
faire de gros efforts pour réduire à 3 % son déficit budgétaire. Le chemin
formidable accompli par les pays du Sud - Espagne, Portugal, Italie - dément
les pronostics les plus sceptiques qui avaient été faits. Même la Grèce, seul
pays des Quinze non qualifié pour 1999, a ramené son taux d'inflation de 13 % à
4 % du PIB, et poursuit ses efforts pour rejoindre ultérieurement la zone
euro.
Il s'agit donc d'un véritable engouement pour l'euro, car ces pays n'étaient
nullement contraints à entrer dans l'Union économique et monétaire, comme le
Danemark, la Suède et la Grande-Bretagne, qui ont choisi de ne pas y adhérer en
1999.
Ces résultats montrent bien que l'Union économique et monétaire procède d'une
forte volonté politique commune. Certes, des peurs compréhensibles, des
interrogations légitimes s'expriment, mais les sondages indiquent que 92 % des
Français croient à l'avènement de l'euro et que 57 % d'entre eux
l'approuvent.
En Allemagne, où les réticences sont les plus fortes, la volonté politique du
chancelier Kohl a été déterminante, face à une Bundesbank toute-puissante. Les
critères de Maastricht ont été interprétés en tendance et non à la lettre ; le
pacte de stabilité, voulu par nos partenaires outre-Rhin, est contrebalancé par
l'instauration d'un Conseil politique de l'euro placé à côté de la Banque
centrale européenne et voulu par la France ; elle a obtenu également au sommet
de Luxembourg que des plans nationaux de lutte contre le chômage soient
présentés et discutés à l'échelon européen.
Ainsi, le constat est plus que positif, avec la performance tout à fait
remarquable des pays de l'Europe latine, la solidité du couple franco-allemand
et l'ampleur de l'évolution des Anglais.
Face aux contraintes de saine gestion que réclame la monnaie unique, la
France, plus que d'autres, doit accomplir les réformes qu'elle a trop longtemps
différées : la flexibilité du travail, la mobilité professionnelle,
l'adaptation de la protection sociale et la réduction des dépenses publiques.
Pensez-vous raisonnable, monsieur le ministre, d'augmenter les dépenses
publiques dans le premier budget de l'euro de 1999, alors que tous les experts
estiment qu'elles doivent au contraire être structurellement réduites ?
Notre pays reste par ailleurs handicapé par une fiscalité élevée, avec les
risques de délocalisation que nous connaissons déjà. La véritable mission de
l'Etat n'est-elle pas de faire en sorte que les entreprises qui embauchent,
essentiellement les PME, gagnent de l'argent en embauchant, c'est-à-dire qu'il
soit rentable de créer de l'emploi sans subvention publique ?
Un autre impératif, si l'on veut éviter un rejet de l'Europe par les peuples,
est la démocratisation des institutions européennes. Le Premier ministre
annonce une modification du mode de scrutin aux élections européennes. Mais ne
conviendrait-il pas parallèlement de conforter les pouvoirs du Parlement
européen en incluant un Sénat européen, je dis bien un Sénat européen,...
M. Jacques Habert.
Excellent !
M. Hubert Durand-Chastel.
... qui renforcerait son pouvoir législatif vis-à-vis de la Commission de
Bruxelles, un pouvoir considéré comme faible par rapport à celui de nombreux
autres pays, les Etats-Unis d'Amérique en particulier.
M. Jacques Genton,
au nom de la Délégation du Sénat pour l'Union européenne.
Nous avons déjà
été recalés deux fois !
M. Hubert Durand-Chastel.
S'agissant du rapprochement des peuples vers l'Europe, la monnaie unique
devrait du reste y contribuer par son fort pouvoir symbolique. « L'euro, c'est
l'Europe dans nos poches », déclare justement le commissaire européen Yves
Thibault de Silguy.
M. Paul Loridant.
Avec ça, on ira loin !
M. Hubert Durand-Chastel.
En conclusion, la création de l'euro est un événement historique et paradoxal.
C'est un formidable pari et on n'a jamais vu une monnaie unique précéder
l'établissement d'un gouvernement central. Mais la construction européenne est,
dès l'origine, exceptionnelle. Jean Monnet s'était inspiré d'une méthode
d'homme d'action, en disant « l'intendance d'abord, la politique suivra ».
La construction européenne est une aventure collective menée sur cette base,
en dépit des égoïsmes nationaux et de l'individualisme ambiant. Les avantages à
moyen et long termes devraient l'emporter largement sur les difficultés de la
transition.
A la fusion des monnaies correspond l'union économique et, par conséquent,
l'union politique. Là est le véritable défi : l'euro est un commencement et son
phénomène d'entraînement sera considérable.
Les Français de l'étranger, que je représente, sont en très grande majorité
favorables à l'euro car ils vivent déjà dans la mondialisation.
M. René Régnault.
Très bien !
M. Hubert Durand-Chastel.
J'approuve donc pleinement la résolution de la commission des finances sur
l'euro et demande au Gouvernement de valoriser les atouts français au sein de
l'Union européenne.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR
et des Républicains et Indépendants. - M. Jacques-Hubert applaudit
également.)
M. le président.
La parole est à M. Fourcade.
M. Jean-Pierre Fourcade.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après les
excellentes interventions de M. le rapporteur et de M. le président de la
commission des finances,...
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Merci !
M. Jean-Pierre Fourcade.
... qui ont bien précisé les termes du débat, et après les points très utiles,
parfois les contestations, apportés par les orateurs qui m'ont précédé, je
tiens à marquer d'emblée le soutien que le groupe des Républicains et
Indépendants apporte à l'action du Président de la République et du
Gouvernement pour poursuivre la mise en oeuvre de l'euro, à laquelle nous
attachons tous beaucoup d'importance.
M. René Régnault.
Ça, c'est bien !
M. Jean-Pierre Fourcade.
C'est l'aboutissement d'une grande idée, et vous me permettrez de créditer M.
Valéry Giscard d'Estaing et M. Helmut Schmidt, qui en furent les promoteurs.
M. Jean-Philippe Lachenaud.
Très bien !
M. Jean-Pierre Fourcade.
Le débat d'aujourd'hui, mes chers collègues, a le mérite de souligner les
différentes positions des uns et des autres, et de marquer les lignes de
clivage qui traversent le Sénat, comme elles ont traversé hier l'Assemblée
nationale.
Trois attitudes de principe peuvent exister.
D'un côté, il y a les nostalgiques du franc Poincaré, qui s'interrogent sur
l'utilité d'une monnaie unique et qui contestent sa mise en place trop
prématurée. Certains sont opposés à toute création nouvelle, et d'autres en
sont restés à la monnaie commune.
D'un autre côté, il y a les « euro-optimistes », qui sont persuadés que la
mise en oeuvre de la monnaie unique est une simple formalité, et qu'à condition
d'assortir cette création d'un certain nombre de concepts nouveaux elle
réglera, à elle seule, tous les problèmes auxquels nous sommes confrontés.
Puis il y a les raisonnables, les plus nombreux dans cette assemblée bien sûr,
parmi lesquels se range le groupe des Républicains et Indépendants
(Sourires),
qui acceptent le passage à l'euro, mais qui s'interrogent sur
les conditions du maintien de notre pays dans ce système.
M. Jean-Philippe Lachenaud.
Très juste !
M. Jean-Pierre Fourcade.
Le vrai problème pour nous consiste non pas à discuter sur les conditions du
passage à la monnaie unique, mais à nous demander si la politique actuelle du
Gouvernement nous permettra d'en tirer tous les bénéfices, comme l'a fort bien
dit M. de Villepin.
M. Xavier de Villepin.
Merci !
M. Jean-Pierre Fourcade.
L'euro est nécessaire pour plusieurs raisons.
Nous sommes partisans de la monnaie unique parce que nous avons besoin d'une
monnaie d'une dimension suffisante par rapport aux grandes monnaies du monde,
notamment aux monnaies de réserve.
Nous vivons dans un monde ouvert à la concurrence, dans lequel les notions
d'équilibre de la balance des paiements, de développement de la productivité,
de valeur de la monnaie sont devenues des références générales qui s'imposent à
nous.
Quels que soient les regrets que l'on puisse avoir à l'égard de tel ou tel
système qui s'est effondré, il faut bien accepter aujourd'hui les règles
générales de fonctionnement du monde. C'est en fonction de ces règles que nous
devons faire avancer la construction européenne.
Je sais bien que beaucoup de nos collègues, on l'a vu tout à l'heure, trouvent
quelque peu ésotérique le vocabulaire utilisé par les gouverneurs de banques
centrales et les ministres des finances, qui adorent parler de stabilité des
prix, de convergence ou de maîtrise des taux d'intérêt et des problèmes de
croissance.
(M. le président de la commission sourit.)
Mais il suffit d'avoir participé à l'une ou l'autre de leur réunion pour
savoir que c'est de cette manière que les affaires du monde se résolvent, et ce
d'autant plus que, comme certains l'ont oublié, le mur de Berlin est tombé
voilà quelques années.
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Heureusement d'ailleurs !
M. Jean-Pierre Fourcade.
Moi qui ai vécu l'effondrement du système de Bretton-Woods, voilà presque
vingt-cinq ans - je représentais la France au moment de la signature des
accords de la Jamaïque -, qui ai connu les effets dangereux de la
toute-puissance américaine, qui ai mesuré depuis l'importance dans l'économie
mondiale de l'absence d'une parade au dollar, je me réjouis de la création de
l'euro et je ne comprends pas qu'on puisse venir nous parler d'abandon de la
souveraineté nationale, alors que nous allons participer à la gestion d'une
grande monnaie de réserve.
Est-ce un effet du sort ou un heureux présage ?
C'est précisément au moment où les économies des pays d'Amérique du Sud
entrent dans une croissance forte, c'est précisément au moment où les économies
des pays asiatiques connaissent des difficultés, que la mise en oeuvre de
l'euro va constituer une parade au dollar et nous permettre de retrouver une
perspective de stabilité monétaire internationale. Pour avoir vécu le système
précédent, avoir assisté à son effondrement et avoir mesuré tous les
inconvénients sur l'investissement, sur l'emploi et sur nos économies des
désastres occasionnés par le flottement des monnaies, je crois que la création
de l'euro, dans la conjoncture actuelle et compte tenu de l'ensemble des
précautions qui sont prises, ne pourra que faciliter le développement des
entreprises, de l'emploi et de la croissance à partir d'une solidité financière
retrouvée.
En revanche, monsieur le ministre, le soutien clair que nous apportons à la
résolution présentée par la commission des finances - et j'ai particulièrement
apprécié, monsieur le président de la commission des finances, les quelques
ajouts de la proposition rectifiée
(M. le président de la commission
sourit.)
qui me paraissent aller tout à fait dans le sens de ce que je
souhaitais - pose un grand problème, car la réussite de la troisième phase de
l'union monétaire et économique dépendra fortement de la manière dont celle-ci
sera menée au cours des prochaines années.
Nombre d'entre vous l'ont dit, mes chers collègues : la monnaie unique n'est
pas une fin en soi. C'est un début, et si elle doit être un vecteur de
croissance et de création d'emplois, notamment pour notre pays, qui connaît
aujourd'hui une inflation presque nulle et un très fort excédent de sa balance
des paiements - ce qui est plus important que l'excédent de la seule balance
commerciale - la question de fond est de savoir si la France est en mesure de
tirer le meilleur parti de la monnaie unique.
M. Lambert a longuement expliqué que les règles de convergence en matière
d'inflation, de taux d'intérêt, d'endettement et de déficits publics ont été
posées, à la fois, par le traité d'Amsterdam et par les actes subséquents et
qu'elles sont indispensables pour que la zone de l'euro soit compétitive. Ces
principes doivent être respectés, non seulement lors de la phase transitoire,
mais aussi de façon permanente par la suite, au moyen d'une application stricte
du pacte de stabilité et de croissance.
Je ne suis pas de ceux qui pensent que moins de stabilité amènerait davantage
de croissance. L'expérience montre en effet, autour de nous, que ce sont les
pays qui ont le mieux respecté les critères de convergence, qui ont le plus
réduit le taux de chomâge, qui bénéficient de taux de croissance satisfaisants.
Il existe un lien entre la stabilité et la croissance, ne continuons pas, par
conséquent, à développer cette vieille théorie, qui a beaucoup séduit autrefois
un certain nombre de nos prédécesseurs et un certain nombre de nos chefs
d'entreprises, selon laquelle un petit peu d'inflation faciliterait la
croissance. C'est une erreur manifeste,...
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Vieille théorie !
M. Jean-Pierre Fourcade.
... il est démontré que c'est faux.
M. Xavier de Villepin.
Très bien !
M. Jean-Pierre Fourcade.
Or le Gouvernement que vous représentez, monsieur le ministre, qui est
favorable à la création de la monnaie unique, ce dont nous le félicitons, mène
une politique économique et sociale qui nous paraît s'éloigner de celles que
mènent les autres pays européens, y compris de celles des pays qui sont dirigés
par des socialistes ou par des socio-démocrates.
Votre politique risque d'entraver la réussite de l'euro. Je ne vous cacherai
pas que mes collègues du groupe des Républicains et Indépendants sont inquiets
de voir les chemins que vous empruntez. Je prendrais trois exemples.
Le premier concerne évidemment le budget. Vous risquez - j'ai senti que cela
commençait à venir - de céder à la tentation, comme un certain nombre de vos
prédécesseurs illustres - je me souviens du discours que M. Fabius prononça à
cette tribune, en 1982, au moment de la présentation du budget - vous risquez,
dis-je, de céder à la tentation de croire que l'augmentation de la dépense
publique a des vertus par elle-même. Or, dans le monde qui est le nôtre, la
dépense publique n'a aucune vertu, surtout dans un pays dont la structure de la
population active diverge par rapport à celle de la moyenne de ses partenaires.
Je rappelle qu'en France 24 % des emplois de la population active au travail
sont des emplois publics, du secteur public ou du secteur protégé, alors que la
moyenne européenne est inférieure à 18 %. Il est évident qu'un certain nombre
de mesures du type de la loi sur les emplois-jeunes notamment risquent
d'aggraver, à terme, ce pourcentage, qui est l'une de nos caractéristiques
dangereuses en matière de compétitivité.
MM. Poncelet, Lambert et de Villepin ont parlé de la fiscalité alourdie sur
l'épargne et le revenu. Je vous renvoie à leurs excellents développements,
auxquels je souscris.
Mon deuxième exemple concerne le domaine économique et social.
Si l'approfondissement du volet social du traité doit être une des priorités -
je la retrouve d'ailleurs dans le texte de la résolution de la commission des
finances - il ne peut se faire qu'à la condition que la réduction de la durée
du travail y soit non pas considérée comme la solution unique mais comme une
démarche parmi d'autres susceptibles d'améliorer la situation.
A cet égard, je ne rappellerai pas ici, monsieur le ministre, les propos du
directeur général du FMI sur votre affaire - car ce n'est pas notre affaire -
des trente-cinq heures. Je ne dirai pas non plus ce que pensent à l'heure
actuelle un certain nombre d'économistes européens, notamment nordiques,
Suédois, Finlandais ou Norvégiens par exemple, qui trouvent que l'idée de
décréter la réduction de la durée du travail et de l'imposer par la loi aux
entreprises n'est pas un élément constitutif - n'en déplaise à Mme Luc - du
modèle social européen.
Si, jamais, cette loi devait s'appliquer - nous avons deux ans pour voir ce
qui va se passer - nous prendrions à l'évidence un chemin divergent de celui de
nos partenaires.
Je prends un troisième exemple : la politique d'aménagement du territoire
chère au coeur de notre ami Charles Pasqua.
Vous êtes en train - si j'en crois ce qu'on dit des projets de Mme Voynet de
la transformer en politique des banlieues. Vous êtes en train de passer de la
pensée unique dont on a tellement parlé à un nouveau concept socialiste qui est
la pensée unique urbaine !
C'est tout à fait intéressant, mais je crois qu'il appartient au Sénat, qui
représente le territoire national, qui représente l'ensemble des collectivités
de notre pays, même si, comme l'a dit M. le Premier ministre, nous sommes « une
anomalie démocratique », de vous faire observer que, dans la compétition qui va
s'organiser et dans la convergence des politiques économiques et sociales qui
vont permettre de soutenir l'euro, il nous faut avoir une politique
d'aménagement du territoire qui ne s'écarte pas de la moyenne de celles que
mènent nos voisins et ne pas passer sous silence l'ensemble de l'espace rural,
ce qui serait très grave dans la perspective dans laquelle nous nous
inscrivons.
Il est donc essentiel que nous nous engagions dans l'harmonisation croissante
des politiques économique et sociale. C'est, sur ce point fondamental, que se
situe l'enjeu majeur de l'euro et ses perspectives de succès. L'euro ne sera un
vecteur de croissance que si les politiques de tous les pays membres s'ajustent
durablement, aussi bien sur le plan monétaire que sur le plan social et sur le
plan économique. A cet égard, le financement de notre système de prestations
sociales, le traitement des problèmes de l'immigration et la lourdeur de notre
réglementation du travail sont des obstacles à cette convergence et à cette
évolution harmonieuse de l'ensemble de nos politiques.
Je sais, monsieur le ministre de l'économie et des finances, que vous le
savez. Je sais aussi que vous répondrez ce soir que la politique du
Gouvernement est tout à fait en phase avec ce qui se fait à Bruxelles.
La commission des affaires sociales du Sénat a reçu la semaine dernière Mme le
ministre de l'emploi et de la solidarité, qui est venue présenter le plan
français correspondant aux directives européennes sur la lutte contre le
chômage.
Il est clair que, dans ces directives européennes, la réduction et
l'aménagement de la durée du travail ne sont qu'une des dix-neuf mesures
proposées, alors que pour nous, c'est devenu une mesure essentielle. Il est non
moins clair que le succès de l'euro imposera, à terme, que l'on rapproche
toutes ces politiques et que l'on évite de se lancer dans des déviations très
dangeureuses pour nos entreprises, nos travailleurs et l'ensemble de notre
pays.
En définitive, monsieur le président, le groupe des Républicains et des
Indépendants est favorable à l'adoption de la proposition de résolution
rectifiée de la commission des finances.
Je souscris notamment à l'invitation faite au Gouvernement d'approuver la
liste des Etats membres, de faire que le système européen veille à la fois à la
croissance et au maintien d'un niveau d'emploi et de protection sociale élevé,
ce qui me paraît essentiel,...
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
C'est réclamé par la totalité de
l'assemblée !
M. Jean-Pierre Fourcade.
... de poursuivre l'approfondissement de tous les volets de l'Union économique
et monétaire, notamment en matière de politique agricole et de politique
industrielle, de prévoir une information régulière du Parlement, de produire
l'ensemble des rapports, avis et recommandations auxquels pourraient donner
lieu la mise en oeuvre des articles 103 et 104 C du traité.
Nous trouvons dans cette résolution la marque de notre engagement commun en
faveur de l'euro, de notre souci de poursuivre rapidement l'approfondissement
de tous les volets de l'Union économique et monétaire. Nous y trouvons aussi la
trace de notre inquiétude sur la convergence et sur la politique de l'actuel
gouvernement, mais, mes chers collègues, nous sommes engagés sur le long terme.
Il y aura bien un jour ou l'autre une alternance et, par conséquent, il sera
toujours possible de corriger...
M. Emmanuel Hamel.
Ce n'est pas pour demain !
M. René Régnault.
Il est réaliste !
M. Jean-Pierre Fourcade.
... Il a fallu vingt ans pour la maturation de la monnaie unique ! En vingt
ans, il y en a des alternances !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
D'accord pour
vingt ans !
(Sourires.)
M. Jean-Pierre Fourcade.
Il est important que, dans une très large majorité, le Parlement français
accepte de s'engager dans la création de la monnaie unique. Il est nécessaire
de tout mettre en oeuvre pour qu'elle soit bénéfique à notre pays, et c'est
dans cet espoir que je souhaite que la plupart de nos collègues adoptent la
résolution rectifiée,...
M. René Régnault.
Et bien rectifiée !
M. Jean-Pierre Fourcade.
... si habilement présentée par la commission des finances.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR, de
l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Estier.
M. Claude Estier.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, après
l'Assemblée nationale qui l'a fait hier en votant à une large majorité, le
Sénat doit aujourd'hui se prononcer à son tour sur les modalités de la dernière
phase de la réalisation de l'Union économique et monétaire et, en particulier,
sur la liste des premiers pays participant à la monnaie unique qui sera arrêtée
dans quelques jours par les chefs d'Etat et de gouvernement des Etats membres
de l'Union européenne.
La résolution que nous allons voter n'a guère de valeur juridique, mais c'est
l'occasion pour nous de faire le point sur l'état de la construction européenne
qui nous concerne tous.
Longtemps, la monnaie unique a été un projet qui paraissait lointain. Il n'est
désormais plus un objectif, c'est une réalité.
La décision de doter l'Europe d'une monnaie unique est l'aboutissement d'un
long processus, commencé avec la signature du traité de Rome en 1957. Cette
idée s'est imposée progressivement, avec alternance de phases d'accélération et
de stagnation, depuis la création d'un système monétaire européen en décembre
1978, qui a été la première concrétisation de la volonté de créer une zone
monétaire stable en Europe, jusqu'à l'inscription de la perspective de la
monnaie unique dans le traité de Maastricht, qui - je le rappelle à mon tour -
a été adopté par référendum par le peuple français.
Pour les pays européens, l'enjeu est sans précédent historique. Il s'agit
désormais de bâtir une union politique à partir de cette construction monétaire
et économique.
La construction européenne atteint donc aujourd'hui une étape décisive. Son
orientation future ne peut plus dès lors résulter que d'un choix politique
pleinement assumé par les Etats membres.
Ce choix doit être clairement fait. Il est d'autant plus essentiel qu'il y a
convergence, voire similarité des objectifs assignés à l'Union économique et
monétaire et des objectifs généraux de la construction européenne.
Plus encore qu'auparavant, l'Europe est à un tournant, confrontée à des choix
déterminants pour son avenir. Des décisions qui seront prises dans les jours et
les mois à venir dépendent le modèle de société que nous voulons développer à
l'échelle du continent européen, ainsi que la place et le rôle de la France
dans cette perspective.
L'occasion se présente aujourd'hui de mesurer les opportunités et les enjeux
de la réalisation de l'Union économique et monétaire. Cette réflexion est aussi
celle des objectifs que nous souhaitons donner à la construction européenne.
En terme d'atouts et de développement, la réalisation de l'Union économique et
monétaire représente sans nul doute l'une des avancées les plus importantes de
l'histoire de la construction européenne.
Avant même d'entrer en vigueur, vous le souligniez hier, monsieur le ministre
de l'économie, l'euro, par sa seule perspective, apparaît comme un facteur de
stabilité économique dans l'Union européenne. Dès sa mise en place effective,
il devrait entraîner des effets positifs rapidement visibles.
Cela permettra en effet d'achever la réalisation du marché intérieur en
éliminant l'incertitude et les coûts de transactions inhérents aux opérations
de change ainsi que les frais de couverture contre les risques de fluctuation
monétaire.
Cela permettra d'accroître, de ce fait, l'activité économique en facilitant
l'activité des entreprises et la consommation en stimulant les échanges
intercommunautaires et, par conséquent, en favorisant la création d'emplois.
Enfin, cela permettra de renforcer la stabilité monétaire et la puissance
financière de l'Europe grâce à la disparition de toute possibilité de
spéculation entre les monnaies.
L'instauration de la monnaie unique est, à l'heure actuelle, le seul vrai
projet d'approfondissement de l'Union européenne.
Il s'agit de faire en sorte que cette étape historique serve tout à la fois de
vecteur de changement et de catalyseur d'une dynamique d'intégration face aux
défis que nous aurons à relever dans les mois et les années à venir, s'agissant
notamment de la réforme des institutions et de la politique étrangère et de
sécurité commune. Elle peut constituer, comme l'a dit M. le ministre des
affaires étrangères, le choc fédérateur dont l'Europe a besoin.
La monnaie unique doit être, en effet, le pilier d'une cohésion nouvelle. Elle
permettra en fait de réaliser, en grandeur réelle, l'expérience primordiale de
coopération renforcée et de savoir si ce système peut devenir à terme un
principe de fonctionnement de l'Union.
En fin de compte, l'instauration de la monnaie unique fait une exigence de la
rationalisation de l'organisation de l'Union.
J'en arrive à ce que doivent être, à nos yeux, les conditions de réussite de
la monnaie unique.
Première condition : la réalisation d'une zone euro large.
A cet égard, nous nous félicitons des conclusions de la Commission européenne,
qui répondent aux souhaits exprimés dès l'origine par les socialistes, à savoir
: faire l'euro sur une base large, de manière qu'il contribue à faire de
l'Europe une Europe puissante.
Cela a été rendu possible grâce aux efforts accomplis par tous les pays
candidats à l'euro, alors qu'il y a encore peu d'années presque aucun Etat
membre ne satisfaisait, même globablement, aux critères de convergence.
Les progrès réalisés ont permis à la Commission européenne de recommander que
onze pays participent au premier groupe de la monnaie unique.
S'agissant de la France, alors que voilà seulement un an on s'interrogeait,
c'est le moins que l'on puisse dire, la Commission européenne considère que
notre pays remplit les conditions nécessaires pour participer à la monnaie
unique. La France satisfait en effet à tous les critères de convergence définis
par le traité. On me permettra au moins de penser que l'action du gouvernement
de Lionel Jospin n'y est pas pour rien.
M. René Régnault.
Très juste !
M. Claude Estier.
J'ajoute, pour répondre d'un mot à M. Fourcade, que cette action continuera,
j'en ai la conviction, à placer la France en bonne position dans cette Union
économique et monétaire.
M. Jean-Pierre Fourcade.
C'est un voeu !
M. Claude Estier.
Il faut d'ailleurs noter que le respect des critères de convergence paraît
s'inscrire dans la durée avec la convergence des Etats vers un très bas niveau
d'inflation, la réduction structurelle sensible des déficits, la stabilité du
mécanisme de change européen et le niveau historiquement bas des taux d'intérêt
à long terme.
Les efforts de convergence consentis par les Etats membres, en particulier ces
derniers mois, et le nombre final de pays participant dès maintenant à l'euro
traduisent une volonté politique d'assurer une monnaie unique stable et
crédible. Au regard de la détermination politique des Etats, c'est bien
l'interprétation en tendance des critères de convergence qui a prévalu, et
c'est également ce que nous souhaitions.
Deuxième condition : le rééquilibrage de la construction européenne et de
l'Union économique et monétaire dans le sens des priorités de la croissance et
de l'emploi.
Depuis neuf mois, grâce aux initiatives du Gouvernement français, en accord
avec le Président de la République, le débat a évolué vers un rééquilibrage de
la construction européenne et de l'Union économique et monétaire dans le sens
de nouvelles priorités accordées à la croissance et à l'emploi.
La résolution sur la croissance et l'emploi adoptée lors du Conseil européen
d'Amsterdam et les conclusions du sommet européen sur l'emploi ont permis, en
premier lieu, de placer sur le même plan la stabilité budgétaire et la lutte
pour la croissance et l'emploi, en deuxième lieu, de souligner le rôle que
pourra jouer l'Union économique et monétaire dans le renforcement du marché
intérieur et dans la création des conditions de la croissance économique et de
la création d'emplois, enfin, en troisième lieu, d'insérer l'émergence d'une
Europe sociale dans la perspective du passage à la monnaie unique.
La résolution sur la coordination des politiques économiques, adoptée par le
Conseil de Luxembourg en décembre 1997, répond, quant à elle, à l'exigence de
la convergence des économies européennes et d'une concertation étroite entre
les Etats membres participant à la monnaie unique afin de favoriser, dans la
stabilité économique, la croissance et l'emploi.
Troisième condition : un euro qui soit compétitif par rapport au dollar.
Outre la stabilité monétaire interne, il est nécessaire de souligner que la
valeur extérieure de l'euro sera déterminante pour consolider le rôle et la
position de l'Union européenne, en matière monétaire et commerciale, sur la
scène économique internationale. Aujourd'hui, le rééquilibrage de l'euro par
rapport au dollar répond à cette condition, ce qui doit permettre à l'économie
européenne d'être moins dépendante des fluctuations de la monnaie américaine.
D'ailleurs, à lire quelques articles de presse d'outre-Atlantique, il semble
que l'on commence à s'en inquiéter aux Etats-Unis.
M. René Régnault.
Eh oui !
M. Claude Estier.
Quatrième condition : la création d'un pôle de politique économique face à la
Banque centrale européenne.
La résolution du Conseil européen de Luxembourg des 12 et 13 décembre 1997 a
institué le Conseil de l'euro. Il s'agit bien d'un pendant politique à la
banque centrale, devant favoriser, comme le souhaitait le Gouvernement
français, la concertation et la coordination des politiques économiques au sein
de la zone euro. Il traduit l'émergence du pôle politique et économique face au
pôle monétaire.
Certains font certes valoir que ce Conseil de l'euro aura peu de pouvoirs. Je
crois, pour ma part - et il me semble m'inscrire ainsi dans la ligne de pensée
que vous avez exposée hier, monsieur le ministre de l'économie - que ce conseil
aura les pouvoirs qu'il voudra bien se donner en fonction d'une volonté
politique que nous espérons voir nos partenaires partager.
Au total, compte tenu des progrès réalisés ces derniers mois dans le sens
d'une formulation plus politique du projet, nous pouvons considérer que les
conditions d'introduction de l'euro sont aujourd'hui suffisamment favorables
pour espérer la réussite de la monnaie unique.
Cependant, au-delà de ces sujets de satisfaction, de nombreuses interrogations
demeurent, qui sont à la mesure même de ce défi et de l'exigence de solidarité
qui conditionne la réussite de cette nouvelle phase de la construction
européenne. Pour être bref, je résumerai quelques-unes de ces
interrogations.
Comment seront absorbés les chocs économiques dans les différents pays avec
des taux de change fixes, sans mécanismes de transferts en matière financière
et d'emplois ?
Les taux de change ne pouvant plus varier, sur quels mécanismes devra reposer
la correction d'éventuels déséquilibres économiques entre les Etats membres
?
Comment la nécessité pour chaque pays de conserver des marges de manoeuvre
afin de faire face à une éventuelle récession pourra-t-elle se concilier avec
la nécessité d'utiliser tous les instruments de politique économique
disponibles en vue de créer des emplois ?
M. Emmanuel Hamel.
Très bonne question !
M. Claude Estier.
A cet égard, nous ne pourrions évidemment souscrire à l'idée évoquée ici par
plusieurs orateurs et exprimée par ailleurs par le ministre de l'économie et
des finances allemand, M. Theo Waigel, préconisant l'adjonction d'une
déclaration commune aux décisions du passage à l'euro, début mai. Cette
déclaration exprimerait l'engagement de tous les pays de la zone euro à
poursuivre une consolidation budgétaire allant au-delà des règles du pacte de
stabilité, des recommandations et des résultats présentés dans les rapports de
convergence de la Commission européenne, ainsi que des efforts et de la
détermination des pays candidats.
Il semble cependant que le ministre allemand se soit montré ces derniers jours
plus conciliant à cet égard, en reconnaissant cette semaine à Luxembourg qu'il
est du ressort des Etats de décider s'il convient de consacrer les fruits de la
croissance retrouvée à la réduction des déficits publics ou de les affecter à
de nouvelles dépenses. Peut-être, monsieur le ministre, pourrez-vous nous
confirmer qu'il en est bien ainsi.
Pour toutes les raisons que je viens de développer, dès lors que la politique
monétaire sera gérée à l'échelon européen, il serait indispensable que la
politique économique prenne également une dimension européenne. La perspective
de la monnaie unique a déjà permis un rapprochement des économies de nos pays.
Elle doit être aujourd'hui le vecteur d'une politique économique européenne qui
consacrera à terme l'édifice de l'intégration.
L'objectif d'une convergence plus poussée des critères de Maastricht ne peut
tenir lieu de politique économique commune. Et les critères en tant que tels ne
peuvent devenir les seuls paramètres des politiques économiques.
Une autre exigence est celle d'une harmonisation fiscale et sociale, afin
d'éviter toute tentation de concurrence et, en quelque sorte, de prime au
moins-disant social et fiscal.
Sur ce point, évidemment essentiel, quelques réponses ont d'ores et déjà été
apportées, qui vont dans le bon sens.
D'abord, un premier code de conduite fiscal a été conclu le 1er décembre 1997.
Bien qu'il soit largement insuffisant, il permet l'instauration soit d'une
retenue à la source minimale sur la fiscalité de l'épargne, soit d'un échange
d'informations entre Etats. Par ailleurs, il met en place un code de conduite
sur la fiscalité des entreprise par lequel les Etats s'interdiraient d'attirer,
par des dispositions d'exception, les capitaux des autres pays de l'Union.
Ensuite, des lignes directrices communes ont été retenues en matière d'emploi.
A la suite du Conseil européen de Luxembourg, en novembre 1997, les Etats
membres se sont mis d'accord sur des objectifs communs en matière d'emploi,
dont la réalisation sera évaluée annuellement à travers des plans d'action
nationaux. Le plan français, vous le savez, mes chers collègues, vient d'être
rendu public par le Gouvernement et transmis à nos partenaires en vue du
prochain sommet de Cardiff.
Enfin, la création d'un Conseil de l'euro se situe dans la continuité de nos
efforts pour développer, à côté de la Banque centrale indépendante, une
coordination politique garante de l'équilibre institutionnel et démocratique.
Lieu de la coordination des politiques économiques entre les pays participants
à l'euro, le Conseil de l'euro constitue un progrès certain vers l'affirmation
d'une Europe plus politique.
En conclusion, je dirai que nous sommes aujourd'hui à la fois à un point
d'aboutissement d'un processus de convergence ainsi que de plus grande
intégration économique et financière et au début d'une nouvelle ère, celle
d'une nécessaire participation plus directe des citoyens à la construction
européenne.
Dire cela, c'est souligner l'importance du contrôle démocratique de la mise en
oeuvre de l'Union économique et monétaire, contrôle qui passe par la
préservation du caractère éminemment politique des décisions qui permettront la
réussite de l'euro, par une meilleure information et surtout une plus grande
association des parlements nationaux au fonctionnement de la monnaie unique et
au respect de ses objectifs, par une meilleure prise en compte du rôle des
parlements nationaux sur le plan de la réflexion, comme relais des
préoccupations, et sur le plan de l'information et de la sensibilisation des
citoyens à ce défi commun.
A cet égard, nous ne pouvons qu'approuver les considérants de la proposition
de résolution rectifiée qui nous est soumise : ils insistent sur la nécessité à
la fois d'une information régulière du Parlement et d'un dialogue également
régulier entre celui-ci et la Banque centrale européenne. Dans son intervention
de mardi à l'Assemblée nationale, le Premier ministre s'est engagé à agir en ce
sens, vous l'avez rappelé, monsieur le ministre délégué. Dans ce sens aussi va
le Comité parlementaire de l'euro, dont la création a été souhaitée par
l'Assemblée nationale.
Nous avons regretté, dans un premier temps, que la commission des finances
n'ait pas retenu l'amendement que nous avions fait introduire dans le projet de
résolution adopté par notre délégation pour l'Union européenne et qui mettait
l'accent sur la nécessité de renforcer dans les années à venir les volets
économique et social de l'Union économique et monétaire.
Monsieur le rapporteur général, je vous en donne acte, vous avez confirmé que
la commission des finances avait en fin de compte repris cette idée
fondamentale dans la proposition de la résolution rectifiée ; ainsi, celle-ci
devrait pouvoir être adoptée par une large majorité au Sénat, comme ce fut le
cas hier à l'Assemblée nationale.
Quoi qu'il en soit, on l'aura compris par mon exposé, les socialistes
demeurent de fervents partisans de la construction européenne, qui entre avec
l'euro dans une phase décisive. Nous sommes décidés à agir, avec le
Gouvernement, pour que cette construction se poursuivre avec l'accord et dans
l'intérêt des peuples.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Pasqua.
M. Charles Pasqua.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, « la
preuve du pudding, c'est qu'on le mange » disent les Anglais. Ainsi en va-t-il
de l'euro, ce curieux amalgame de politique française, de finance allemande et
de morgue technocratique.
(Sourires.)
Or, dans quelques jours, nous allons confier notre destin
monétaire et, partant, économique et social, à cette oligarchie financière dont
nul ne sait de laquelle de ces trois conceptions elle s'inspirera : le
politique, la finance ou la technocratie.
Le politique primera, nous assure M. Jospin. La monnaie avant tout, affirme le
chancelier Kohl. Indépendance ! indépendance ! martèlent les eurocrates.
Bref, la France va brûler ses vaisseaux, le 2 mai prochain, à Bruxelles, sans
avoir la moindre idée de ce sur quoi elle s'embarque,...
M. Emmanuel Hamel.
Le malheur, la destruction !
M. Charles Pasqua.
... prenant l'euro pour l'Europe, un peu comme le singe de M. de La Fontaine
prenait le Pirée pour un homme.
Eh bien non ! Messieurs les ministres, l'euro n'est pas l'Europe ! Et s'il
était l'Europe, alors, c'est que l'Europe aurait définitivement renoncé à être
ce qu'elle est : une civilisation, fondée sur le progrès général des peuples
qui la composent, chacun d'entre eux étant réuni au sein d'une démocratie
véritable.
Car c'est bien de cela qu'il s'agit, vous le savez bien, comme le sait le
Premier ministre, qui nous l'avait excellement expliqué lorsqu'il n'était
encore qu'aspirant à cette fonction.
On peut discuter sans fin des avantages économiques de l'euro ou de ses
inconvénients - les faits nous départageront - mais l'on ne peut pas nier cette
réalité : une fois dans l'euro, les peuples n'auront plus jamais leur mot à
dire sur la plus grande part des politiques qui les concernent directement
puisque la valeur de la monnaie comme le volume du budget de la nation ne
seront plus du ressort de la démocratie représentative.
M. Emmanuel Hamel.
Tragique lucidité !
M. Charles Pasqua.
Quand on sait qu'à travers la politique monétaire, notamment par le niveau des
taux d'intérêt, comme à travers la politique budgétaire, notamment par la
dépense publique, un pays peut choisir de privilégier le court ou le long
terme, d'investir ou non pour son avenir, de corriger ou non les disparités
entre les hommes et entre les territoires, on voit bien de quoi nous nous
privons à tout jamais. Nous entrons bien dans l'ère de la politique unique, au
sein de laquelle les choix proposés aux électeurs seront très marginaux.
C'est bien pourquoi ce projet de monnaie unique a pu être qualifié, un jour ou
l'autre, de technocratique, voire de totalitaire, par tous les hommes
politiques de ce pays, à commencer par l'actuel Président de la République et
l'actuel Premier ministre. La définition est exacte, tant le totalitarisme
consiste aussi à vouloir faire le bien des gens contre leur gré, c'est-à-dire à
leur demander de renoncer à tout pouvoir de décision. C'est bien ce à quoi
l'euro va aboutir.
La IIe République inventait le suffrage universel. Nous en célébrons, ce jour
même, le cent cinquantième anniversaire. Les IIIe et IVe Républiques
consacraient la souveraineté de la loi, donc du Parlement. La Ve a instauré la
souveraineté du peuple français. C'est bien avec ces quatre Républiques, autant
dire avec la République tout court, que nous allons rompre. Et qu'on ne nous
parle pas de souveraineté collective ou partagée.
M. Michel Barnier.
Mais si !
M. Charles Pasqua.
Non ! La souveraineté ne se partage pas. La souveraineté, c'est le pouvoir de
dire non.
On peut, en toute honnêteté, je vous l'accorde, penser que nous allons avec
l'euro partager une influence plus grande que celle que nous avions jusqu'ici
ou en bénéficier. Mais on ne peut en aucun cas prétendre qu'il existe, avec le
traité de Maastricht, une autre souveraineté monétaire que celle de la Banque
centrale. Nous n'avons aucune raison de penser que celle-ci n'assumera pas
complètement l'indépendance que le traité lui a dévolue ; j'emploie ce mot
puisque M. Jospin n'aime pas celui d'abandon. On ne peut pas nier qu'au sein de
cette instance suprême nous disposerons de 10 % ou de 12 % des voix, ce qui,
vous me l'accorderez, est un peu court pour parler de souveraineté.
La réalité, monsieur le ministre, c'est que la souveraineté collective existe
bien, mais qu'elle porte un nom, à savoir l'Etat fédéral. Or cet Etat fédéral,
parce qu'on sait que les Français ne le souhaitent pas ou qu'on n'ose pas le
leur demander - qui a peur des Français ? Moi ou vous ? - cet Etat fédéral,
disais-je, nous est imposé de façon subreptice, politique après politique.
Aujourd'hui, c'est la monnaie et le budget. Demain, ce sera avec le traité
d'Amsterdam, la sécurité et le droit ; tout le droit sera subordonné au droit
communautaire.
Excepté la défense, l'Etat fédéral américain n'a pas plus de pouvoirs que n'en
aura, dès l'an prochain, cet Etat artificiel, arbitraire, discrétionnaire, que
certains appellent l'Europe.
Je sais bien, pour avoir entendu le Premier ministre à l'Assemblée nationale,
que dans ce lego technocratique et juridique, l'absence de tout contrepoids
politique, comme de toute vie démocratique, vous chagrine un peu. Lionel Jospin
a donc décidé de s'en remettre à la providence pour - je reprends ses propres
termes - « aller plus loin » et « trouver les procédures politiques
correspondantes, conciliant démocratie et efficacité ». L'enfer, on le sait,
est pavé des meilleures intentions. Le problème, messieurs les ministres, est
qu'on ne connaît pas de démocratie, c'est-à-dire une vie politique régie par le
suffrage universel direct, dont le périmètre franchisse les limites d'une
nation ou dépasse le sentiment d'un peuple. Eh bien, qu'on l'invente ! nous dit
M. Jospin. Certes ! En attendant cet heureux événement, nous sommes en train de
sauter d'un avion avant l'invention du parachute. Mais, jusqu'à présent, tout
va bien.
Ainsi va l'Europe depuis qu'elle a renoncé au grand dessein politique que lui
avaient assigné ses concepteurs, Winston Churchill et Charles de Gaulle, puis
au projet de société que ses fondateurs, Robert Schuman, Jean Monnet,
Paul-Henri Spaak, Alcide de Gasperi, avaient défini, dessein et projet au sein
desquels tous les peuples européens, de l'Atlantique à l'Oural, auraient
effectivement pu inscrire leur destin et mettre en commun leur avenir. C'est
cela qui s'appelait l'Europe.
En lieu et place, monsieur le président de la commission des finances, nous
aurons l'Euroland et ses institutions hermétiques, ses rites secrets, ses
desseins obscurs - convergence stabilité, subsidiarité - et, maintenant, ses
oukases quasi quotidiens ! Ouvrez l'oreille et écoutez les propos tenus
outre-Rhin !
Eh bien, messieurs les ministres, me démontrerait-on par a + b que ce Big
Brother-là va nous assurer la prospérité que je n'en voudrais à aucun prix ; je
vous le dis, moi, en toute clarté.
Mais de prospérité, nous n'en aurons aucune et d'emplois encore moins, du
moins de ce côté-là. La course à la monnaie unique nous aura déjà coûté un gros
million d'emplois et la résurgence d'une misère indigne d'une société
développée. Elle nous aura coûté un sous-investissement massif depuis que, en
1990, vous avez choisi la politique dite du franc fort, sous-investissement
dont nous sortons à grand-peine pour le secteur privé et pas du tout pour
l'Etat.
Nous savons bien, même si vous n'osez pas ou si vous ne pouvez pas le dire,
que la Banque centrale européenne appliquera une politique monétaire stricte,
restrictive, du moins pendant toute la période probatoire de l'euro.
Crédibilité aux yeux des marchés financiers oblige et obligera, d'autant plus
que la zone euro va englober, dès le départ, des pays dont l'orthodoxie n'est
pas avérée aux yeux de nos amis allemands et néerlandais.
Voilà pourquoi le chancelier Kohl, qui ne pratique pas le double langage, l'a
clairement indiqué : « l'euro ne créera pas d'emplois ».
Il ne créera pas par lui-même davantage de croissance, n'en doutez pas,
messieurs les ministres. Le retour de la croissance dont nous profitons
actuellement doit tout à la hausse du dollar : il y a d'ailleurs quelque
incroyable aveuglement à vouloir créer un euro fort, c'est-à-dire cher par
rapport au dollar, quand on sait que c'est en réalité le dollar fort qui
favorise les économies européennes.
Alors, que M. Jospin, si lucide voilà un an, ne nous fasse pas prendre
aujourd'hui des vessies pour des lanternes. Il ne s'agit, avec l'euro, ni de
croissance, ni d'emploi, ni de solidarité. La croissance, l'emploi et la
solidarité, qui seront, je l'espère, au rendez-vous des années à venir le
seront sans l'euro ou malgré l'euro.
Voilà, messieurs les ministres, ce que je voulais vous dire, après avoir
écouté avec attention l'intervention du Premier ministre, mardi dernier. Les
voeux pieux n'y changeront rien : l'euro est une mécanique destinée à fabriquer
de toutes pièces un super-Etat, détaché de toutes les contingences
démocratiques et politiques. N'en attendez rien d'autre et, surtout, ne faites
rien croire d'autre aux Français. Ils ne vous suivraient pas.
Ne pas les consulter directement est sans doute la meilleure des façons
d'éveiller leur méfiance. Tous les responsables politiques devraient y
réfléchir avant de tenter de faire ratifier à la sauvette le traité
d'Amsterdam.
Là encore, j'ai envie de vous dire, messieurs les ministres, et, à travers
vous, au Premier ministre : qui a peur de la politique ? Consultons les
Français ! N'ayons pas peur d'eux !
Une politique malthusienne, des institutions opaques, la démocratie éludée
avant d'être escamotée. Où est-elle donc cette Europe censée associer les
peuples à une grande ambition, cette « cathédrale » dont parlait le général de
Gaulle ? Oui, où est-elle ?
« Science sans conscience n'est que ruine de l'âme », dit le poète. Je crains
qu'à partir du 2 mai nous n'entrions dans l'Europe sans conscience.
(Applaudissements sur certaines travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. Emmanuel Hamel.
Tragiquement lucide !
(M. Gérard Larcher remplace M. Paul Girod au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. GÉRARD LARCHER
vice-président
M. le président.
La parole est à M. Badré.
M. Denis Badré.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues,
j'interviens après M. Charles Pasqua. Hier, dans une configuration un peu
similaire, Michel Barnier relevait le défi, avec le talent qu'on lui connaît.
Ce précédent rend ma tâche encore plus rude. Pour maintenir l'intérêt de notre
débat, il ne me reste donc qu'à me démarquer du discours que nous venons
d'entendre.
M. Charles Pasqua.
Ce que vous allez faire !
M. Denis Badré.
Je pense pouvoir le faire sans trop de mal : en tout cas, je vais essayer.
Permettez-moi, tout d'abord, de me réjouir de la tenue de ce débat sur un
sujet qui domine l'actualité économique et politique depuis de nombreuses
années, et dont l'importance pour l'avenir de notre pays n'a d'égal que les
passions qu'il soulève.
Des peuples à l'histoire fort ancienne et qui se sont si souvent et si
violemment heurtés vont, d'un commun accord, mettre en place une monnaie
unique. Il s'agit là d'un événement sans précédent, dont la France et
l'Allemagne sont les deux principaux artisans. Nous vivons une grande date de
l'histoire de la construction européenne, un événement historique pour la
France et pour l'Europe.
Cette monnaie unique représente, à mes yeux, une expression spécialement forte
et visible - tous les européens auront en effet les mêmes euros dans leur
porte-monnaie - de l'oeuvre de paix et de liberté qu'est la construction
européenne.
Bien que le traité de Rome ait déjà explicitement prévu que les problèmes de
change pouvaient être considérés comme communs, l'idée d'une monnaie unique en
Europe n'a mûri que lentement. Frapper la monnaie, je vous le concède, monsieur
Pasqua, est bien un privilège de souveraineté. Nous ne pouvions donc avancer en
ce domaine qu'avec circonspection et en prenant toutes les précautions voulues.
Tel fut le cas.
Il est d'abord en effet question de donner à la France et aux Etats de l'Union
un moyen exceptionnel, « unique », de continuer à exister sur la scène
mondiale. Ce sont aussi notre humanisme et notre culture et pas seulement notre
« bourse » qui sont en jeu.
Les négociations du GATT après l'accord de Blair House, qui ont été évoquées
tout à l'heure avec beaucoup de justesse par M. le président de la commission
des finances, comme le débat qui s'ouvre sur l'accord multilatéral sur
l'investissement nous le rapellent : la France seule aura du mal à faire
prévaloir ses thèses ; elle peut en revanche les faire reprendre par l'Union et
alors les faire triompher.
L'euro est donc le fruit d'une longue histoire. Monsieur le ministre, vous
avez tout à l'heure repris des propos tenus par M. Giscard d'Estaing. « L'euro,
disait-il, vient de loin ». Cette citation est tout à fait à l'ordre du
jour.
C'est à l'occasion du sommet européen de La Haye de décembre 1969, douze ans
après le traité de Rome, que les Six ont pris la décision de principe de créer
une Union économique et monétaire, sur la base d'un rapport de M. Raymond
Barre.
Le rapport Werner d'octobre 1970 proposa la création de l'Union économique et
monétaire dans un délai de dix ans. Mais entre-temps sont intervenus le premier
choc pétrolier de 1973 et une crise qui ébranla l'ensemble des économies
européennes.
De 1971 à 1979, fonctionna alors, tant bien que mal, le « serpent » monétaire,
sorte de zone mark de monnaies fortes avant que, en mars 1979, entre en vigueur
le système monétaire européen grâce à l'implication personnelle, déterminée et
visionnaire du président Valery Giscard d'Estaing et du chancelier Helmut
Schmidt.
Le SME créait alors une nouvelle monnaie, l'écu, à côté des monnaies
nationales. En dépit des crises traversées de 1979 à 1990, le principal mérite
du SME est d'avoir convaincu les différents gouvernements européens de conduire
une politique de désinflation, sans laquelle on n'aurait pu envisager ni
convergence des politiques économiques ni,
a fortiori,
de monnaie
unique.
Depuis cette époque, que de chemin parcouru ! Tout d'abord réticentes, les
opinions publiques européennes qui ont été également évoquées, voilà un
instant, par M. Pasqua, ont évolué favorablement à l'égard de l'Union
économique et monétaire, qui les inquiétait au départ. Elles ont en effet
compris tout l'avantage que l'Europe et chacun des pays membres pourraient
tirer de la monnaie unique. Et elles ont tranché : aujourd'hui, l'Union
économique et monétaire franchit une étape capitale dans son existence,
puisqu'il s'agit de sélectionner ses onze premiers pays membres ; nous entrons
dans le concret.
Ainsi se trouve consacré un processus d'unification monétaire auquel la
famille politique que je représente a apporté une contribution toute
particulière et éminente.
Il a fallu, pour chacun de ces membres, autant d'enthousiasme que de rigueur,
autant de détermination que de vigilance. Il faut tout de même se souvenir de
discours récents précisant que l'Union économique et monétaire ne pourrait
jamais voir le jour puisqu'elle serait inévitablement victime à la fois de la
conjoncture économique et des égoïsmes nationaux. On annonçait, dans le
meilleur des cas, que l'enfant serait mort-né ; or, il n'en est rien.
Le Sénat est donc aujourd'hui saisi d'une proposition de résolution portant
sur la recommandation de la Commission européenne du 25 mars.
A ce propos, je me réjouis de la très forte concordance entre le texte proposé
par M. le rapporteur général, au nom de la commission des finances, et celui
qu'avait présenté au préalable M. Xavier de Villepin devant la délégation pour
l'Union européenne.
M. Jacques Genton,
au nom de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
Très bien !
M. Denis Badré.
Je suis, pour ma part, heureux et honoré d'avoir pu les accompagner l'un et
l'autre dans leur démarche, une démarche qu'a fortement inspirée M. Jacques
Genton, président de la délégation pour l'Union européenne, à qui je tiens
aussi, avec toute l'amitié que je lui porte, à rendre hommage.
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Hommage mérité !
M. Xavier de Villepin.
C'est vrai !
M. Denis Badré.
La mise en place de l'euro est déjà un succès pour l'Europe et les Européens,
un succès provenant d'un engagement politique très fort des chefs d'Etat et de
gouvernement européens depuis le traité de Maastricht. D'ailleurs, aujourd'hui,
l'euro existe déjà ; nous sommes déjà, de fait, dans l'euro.
Il faut, pour l'Union européenne et pour chacun de nos Etats, que ce premier
succès soit confirmé après le 1er janvier 1999. Comme la convergence
économique, et avec elle, le succès doit être durable.
On peut déjà percevoir les effets positifs du processus d'unification
monétaire et de l'application des critères de convergence du traité de
Maastricht : je pense à la victoire sur l'inflation, à la baisse des taux
d'intérêt, à la stabilisation des taux de change et, surtout, à la réduction
des déficits publics. Comme le note la Commission européenne, tous les pays de
l'Union, à l'exception de la Grèce, ont ramené leur inflation au-dessous de 2 %
et sont parvenus à afficher un déficit inférieur ou égal à 3 % du produit
intérieur brut.
Dès 1999, nous aurons donc une large majorité de qualifiés pour l'euro : onze
pays et non quatre ou cinq comme on l'imaginait à l'origine. Souvenons-nous :
voilà encore peu de temps, la participation de l'Italie semblait problématique,
et, plus récemment encore, celle de l'Allemagne et de la France paraissait
compromise.
Le fait de « jouer à onze » n'est pas indifférent pour l'avenir. C'est bon
pour l'Europe et pour sa construction, qui pourra se poursuivre sur le
fondement d'un nouvel élan collectif ; c'est également bon sur le plan
économique et monétaire. Il est clair, en effet, qu'une union économique et
monétaire à onze sera plus puissante et plus attractive, qu'elle facilitera et
accélérera le rapprochement entre les structures sociales et économiques des
partenaires concernés. Et moins nombreux seront les absents, plus ils seront
incités à adopter rapidement à leur tour l'euro.
La mise en place de l'euro est un progrès incontestable de l'intégration
européenne. Un tel succès n'était pas évident : n'oublions pas que les critères
de convergence ont été fixés sur la base d'un taux de croissance de 2,5 %, taux
qui allait même descendre par la suite autour de 1,5 % - c'était le cas il n'y
a pas plus de deux ans, avec les effets que l'on sait sur l'endettement et sur
le déficit budgétaire. Aujourd'hui, on devrait parler un peu moins de critères
et un peu plus de convergence. Nous devrions d'ailleurs faire l'effort de
chercher un autre terme que celui de « critères » - « harmonisation » n'est
peut-être pas encore parfait ; cherchons mieux ! - afin de réconcilier les
Européens avec la monnaie unique. Ce serait bon pour l'Europe, un peu moins
technocratique et, de plus, tout à fait réaliste.
Comme le remarque très justement Jean Boissonnat dans son ouvrage intitulé
la Révolution de 1999,
« si l'euro est né de l'Europe, l'Europe naîtra
de l'euro. » De nouvelles perspectives se présentent à nous ; l'Union monétaire
constitue une opportunité exceptionnelle afin de relancer la construction
européenne et de traiter un certain nombre de nos problèmes internes.
Pour que le succès d'aujourd'hui soit confirmé demain, la réduction des
déficits publics, en particulier, devra être elle-même durable, monsieur le
ministre.
Ce critère du déficit budgétaire, perçu généralement comme le plus important -
le seul, d'ailleurs, qui soit manifestement identifié par l'opinion - a été
apprécié par la Commission et par l'Institut monétaire européen avec la rigueur
voulue et, bien sûr, en tendance. Dans le cas de la France, si l'objectif de 3
% est nominalement atteint en 1998, la structure de ce déficit doit être encore
améliorée.
Je n'oublie évidemment pas non plus le niveau d'endettement public dont s'est
ému, dans ses dernières conclusions, l'Institut monétaire européen. Ce dernier
critère a été jugé de manière un peu moins stricte. Ainsi, l'Italie et la
Belgique, qui restent très éloignés du taux de 60 %, ont été malgré tout
sélectionnés pour l'Union économique et monétaire. Il faut tout de même
rappeler que le taux moyen d'endettement dans l'Union est toujours proche de 80
%, alors que l'objectif était de 60 %.
Quant à la France, comme le note l'Institut monétaire européen, pour qu'elle
stabilise sa dette au-dessous de 60 %, il faudrait que son déficit public soit
ramené rapidement à moins de 2 % du produit intérieur brut. Vous le savez,
monsieur le ministre, les experts hésitent sur le point de savoir si ce taux
devrait être de 1,5 % ou de 1,8 %. En tout cas, 3 %, c'est nettement trop.
A cet égard, nous prenons acte de la volonté affichée par l'actuel
gouvernement de ramener ce déficit à 2,5 % en 1999, puis à 2 % en l'an 2000.
C'est indispensable, car le montant de la dette continuera a progresser tant
que le déficit sera de 2,5 % ou de 2 %. N'oublions pas que nous sommes partis
de 1,5 % en 1989 et qu'il aura fallu sept ans pour refaire le terrain perdu en
trois ans, de 1989 à 1992. En 1993, nous étions à 6 %. Nous sommes revenus de 6
% à 3 %. Il est plus dur de remonter le courant que de laisser filer !
Sans vouloir revenir à nouveau trop longuement sur ce sujet, je rappellerai
que l'annuité de notre dette et, par voie de conséquence, en l'absence d'autres
recettes, notre déficit seraient aggravés de plus de 100 milliards de francs, à
savoir plus de 1 % du PIB, si nous étions restés avec les taux d'intérêt de
l'époque. Tout se tient. La sagesse collective des Etats de l'Union a un effet
multiplicateur heureux. Et les critères retenus par le traité de Maastrich sont
assez cohérents ! Il est urgent de stopper l'inexorable progression de notre
dette, donc de ramener notre déficit nettement en dessous de 2 %.
Il reste à présent à définir les moyens d'une politique qui installera
durablement cette dette et ce déficit « dans le vert » ! Ce sera probablement
l'un des sujets majeurs du débat d'orientation budgétaire que nous espérons
avoir au Sénat en juin prochain.
Nous pouvons déjà légitimement nous interroger sur nos possibilités de
financer les dépenses nouvelles provenant des 35 heures, de la majoration des
traitements des fonctionnaires ou de la montée en puissance des emplois-jeunes,
et, simultanément, sur notre possibilité de réussir à réduire la dette et les
prélèvements.
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Eh oui !
M. Denis Badré.
En dépit d'une embellie de la croissance et donc d'une augmentation plus forte
que prévue des rentrées fiscales, tant que la dépense publique augmente, cela
s'apparente encore à la quadrature du cercle !
Nous continuons à penser qu'un objectif de strict maîtrise des dépenses
s'impose. Après le déficit, on a parlé de la dette, c'était bien. Après la
dette ; il faudra bien passer à la dépense publique, monsieur le ministre.
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Eh oui !
M. Denis Badré.
Sans évoquer ici les difficultés qu'aura peut-être à surmonter un jour tel ou
tel Etat membre de l'Union économique et monétaire, la période dite transitoire
que va connaître l'UEM de 1999 à 2002 ne sera pas sans dangers.
Dès lors que la nouvelle monnaie sera opérationnelle, le monde entier va
tester la capacité des gouvernements et de la Banque centrale européenne à
faire de l'euro une monnaie forte, en particulier par l'applicaiton du pacte de
stabilité et de croissance, et par la menace des sanctions qu'il prévoit. Je
pense qu'il faudra plus les percevoir comme une arme de dissuasion que comme
une arme réelle. A ce propos, je considère que l'application du pacte doit
s'accompagner d'une limitation du budget européen, faute de quoi nous risquons
d'assister à une dangereuse dérive de ce dernier, dérive qui ne pourra être
financée que par l'impôt.
Par ailleurs, deux périls devront être évités. Le premier serait la définition
de la politique économique européenne uniquement à travers la seule gestion
monétaire de l'Union. Il faut être extraordinairement clair et repousser toute
cause de confusion.
La responsabilité principale de la définition de la politique économique de
l'Europe revient au Conseil européen, assisté par le conseil des ministres des
finances. Il faudra qu'ils jouent l'un et l'autre leur rôle. S'ils y
parviennent, ce que je souhaite et que je pense, nous aurons progressé vers
l'Europe politique. S'ils échouent, alors, avec la fin de l'Union économique et
monétaire, ce sera une régression pour l'Europe et, par voie de conséquence,
pour chacun de nos Etats.
L'autre péril est l'existence d'une politique économique exclusivement
nationale que mènerait chaque Etat de l'Union, sans tenir compte de la monnaie
unique.
M. Jean-Pierre Fourcade.
Les trente-cinq heures !
M. Denis Badré.
Effectivement !
L'Union économique et monétaire va effectivement obliger les pays européens à
coordonner leurs politiques budgétaires et leurs politiques fiscales. Il faut
faire en sorte que leurs décisions nationales soient compatibles. Cela
représente, pour chaque Etat, une exigence politique nouvelle et une contrainte
qu'il faut accepter, car rien n'est gratuit.
Il faudra aussi veiller à ce que les harmonisations interviennent le moment
venu, lorsque les conditions du succès seront réunies, et non prématurément.
Nous devons, sur tous les sujets, conjuguer détermination et rigueur.
Je rappelle, à titre d'exemple, ce que nous avons dit à propos des problèmes
posés par l'harmonisation de la TVA. Parce que je souhaite ardemment la
poursuite et le succès de la construction européenne, je me suis, voilà
quelques mois, opposé clairement à cette tribune à ce que cette harmonisation
se fasse imparfaitement ou trop tôt. Je soulignais alors que cela se
retournerait contre l'équilibre de notre budget, ce qui serait insupportable et
- c'est encore plus grave, à mon sens - que cela se retournerait contre
l'Europe puisque cela détournerait les citoyens européens de la construction
européenne.
Il convient aussi d'éviter que, à défaut de dévaluations monétaires «
compétitives », les pays européens ne s'engagent dans une forme de concurrence
fiscale. Le vote par le parlement britannique d'une nouvelle baisse de l'impôt
sur les bénéfices est à cet égard plutôt inquiétant, sinon pour les entreprises
britanniques, du moins pour nos Etats. L'Europe a besoin d'urgence d'un code de
bonne conduite pour la fiscalité sur les entreprises, sur le modèle de celui
qui a été adopté pour la fiscalité sur l'épargne.
J'ajoute que le passage à l'euro constitue une opportunité historique pour
notre pays qui doit engager rapidement et fermement les réformes structurelles
dont dépendra demain, en grande partie, la compétitivité des entreprises
françaises.
Il y a ainsi des procédures à inventer. Ces procédures devront intéresser les
parlements nationaux, compétents en matière de budget et de fiscalité.
A ce propos, M. Xavier de Villepin insistait à juste titre, dans sa
proposition de résolution, sur le nécessaire dialogue entre la future Banque
centrale européenne et le conseil des ministres. Ce point est essentiel, car,
si le système monétaire paraît d'essence fédérale, en revanche, les budgets
resteront sous le contrôle des Etats nationaux.
Il faut donc insister sur l'importance du dialogue qui sera à mettre en oeuvre
entre la Banque centrale et chacun de nos Etats.
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Oui !
M. Denis Badré.
De mon point de vue, il faudra également que le système européen de banques
centrales rende compte régulièrement aux parlements des onze Etats de ses
décisons en matière monétaire. Un tel dialogue devrait permettre de promouvoir
un système original et acceptable par tous, monsieur Pasqua.
Nous voyons bien là que l'Europe que nous imaginons et que nous construisons
depuis un demi-siècle est de nature originale. On ne peut la classer dans aucun
schéma classique. Et je pense que le débat sur le fédéralisme est aujourd'hui
largement dépassé.
De même que la Commission est, à côté des Etats, un partenaire à part entière
de l'Union et non un secrétariat général au service des Etats, de même nous
allons voir fonctionner un système européen de banques centrales réunissant la
Banque centrale européenne et les banques centrales des Etats.
J'ajoute que le budget européen, malgré les dérives inflationnistes que je
dénonçais à l'instant, qui m'inquiètent, que je déplore et contre lesquelles je
me battrai toujours, n'est pas un budget fédéral, et c'est bien comme cela.
L'autorité budgétaire parlementaire, interlocuteur du système européen de
banques centrales, est donc bien une autorité partagée entre les parlements des
Etats membres de l'Union économique et monétaire et non pas une quelconque
autorité fédérale.
M. Charles Pasqua.
Cela ne durera pas !
M. Denis Badré.
C'est bien avec cette autorité, et donc avec chaque parlement national, que le
système européen de banques centrales devra traiter.
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Eh oui ! C'est exact !
M. Denis Badré.
Pour ma part, je choisis sans hésitation une souveraineté restaurée et
partagée, qui sera largement la nôtre, plutôt qu'une souveraineté qui nous
appartiendrait de manière exclusive, mais qui serait en voie
d'évanouissement.
De même que nous devons pouvoir dépasser le débat sur le fédéralisme, nous
devons aujourd'hui enrichir notre réflexion sur la souveraineté en nous
souvenant que nous avons la volonté politique de construire l'Europe selon un
modèle original, qui respecte et considère comme sa principale richesse
l'identité de chacune des nations qu'elle réunit.
Nous construisons pas à pas, année après année, un modèle original. Nous
serons forts ensemble si nous valorisons la diversité de nos identités.
Pour construire l'Europe, il faut de la détermination et de la rigueur,
disais-je. J'ajoute qu'il faut aussi un peu plus d'imagination, un peu moins de
parti pris, toujours beaucoup de passion et le souci constant d'aller à
l'essentiel.
Nous construisons l'Europe des Européens, l'Europe pour les Européens.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et
Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RPR.)
M. le président.
La parole est à M. Angels.
M. Bernard Angels.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, par les
nouvelles perspectives qu'il offre, le projet d'Union économique et monétaire
engage aujourd'hui l'Europe sur la voie d'une puissance mondiale nouvelle.
La situation actuelle montre que, globalement, l'approfondissement de la
construction européenne est aujourd'hui perçue autant comme une nécessité que
comme un véritable atout pour l'avenir.
Sur le fond, l'enjeu de la construction européenne fut dans un premier temps
d'assurer aux peuples concernés une paix perpétuelle doublée d'une prospérité
durable. A l'époque, les enjeux de la guerre froide renforcèrent ces
déterminations.
Aujourd'hui, la donne internationale a profondément changé ; mais le projet
d'union politique demeure plus fort et plus nécessaire que jamais. Il prend la
forme d'un projet économique et monétaire global qui dépasse très certainement
en intensité politique ce que furent en leur temps le traité de Rome et l'Acte
unique européen.
Par souci de clarté, j'articulerai mon développement autour de deux idées
forces qui me tiennent à coeur : le passage à l'euro en tant que processus
autant politique qu'économique et la perspective d'une Europe intégrée pour
plus de développement et de progrès social.
L'euro m'apparaît avant toute chose comme un puissant facteur
d'intégration.
Concernant la place de l'euro dans le processus de construction européenne, je
rappellerai que, au 1er janvier 1999, l'euro sera la seule monnaie d'échange
pour un vaste ensemble économique de près de 300 millions d'habitants. Cet
ensemble économique, déjà bien intégré, a une capacité productive et
consommatrice supérieure à celle des Etats-Unis. L'Europe possède ainsi tous
les éléments matériels d'une grande puissance économique mondiale.
Les événements monétaires des dernières années ont toutefois montré qu'il
manquait encore à l'Europe davantage de cohésion dans l'adversité. L'euro
offrira, à cet égard, une dynamique collective nouvelle.
En tant que puissance monétaire, l'Europe pourra alors contrebalancer la
puissance du dollar et mieux asseoir ainsi sa présence dans le monde.
L'Union économique et monétaire va enfin permettre d'assurer la relève d'un
SME aujourd'hui dépassé. Avec l'euro, l'Europe entre enfin de plain-pied dans
une dynamique profondément intégratrice.
La marche à l'euro a par ailleurs été favorisée par les politiques
d'assainissement économique mises en oeuvre au cours de la dernière
décennie.
M. Christian Poncelet
président de la commission des finances.
C'est vrai !
M. Bernard Angels.
Si l'euro tire aujourd'hui profit de ces politiques, il n'en est pas pour
autant à l'origine. Sans la perspective de l'euro, ces politiques auraient
probablement été menées. Il s'agissait en effet, pour les économies concernées,
de s'adapter au nouveau contexte de mondialisation qui s'imposait à elles. Avec
la perspective de l'euro, ces politiques ont été menées de façon concertée et
organisée.
J'en viens à l'euro comme forme d'intégration.
Sur le plan économique, l'euro est l'instrument qui offrira aux Etats membres
la stabilité monétaire qui leur a récemment fait défaut. Il se situe, par
ailleurs, dans le prolongement du grand marché et en constitue, en fait,
l'élément régulateur.
La vocation de l'euro est également d'offrir aux pays membres les moyens d'une
solidarité monétaire sans faille. C'est pour cela qu'il était indispensable que
l'Italie et l'Espagne intègrent le premier cercle des pays de l'euro ; non pas
uniquement pour équilibrer au sud la zone euro, mais également pour couper
court, à l'avenir, à toute nouvelle forme de dévaluation compétitive.
M. René Régnault.
Très bien !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
C'est vrai !
M. Bernard Angels.
Sur le plan politique, nombreux sont ceux qui se sont inquiétés des
conséquences de l'intégration monétaire et qui l'ont perçue comme l'élément
d'un processus de désagrégation de l'Etat-nation.
A ceux-là, je répondrai que les événements monétaires de cette dernière
décennie ont montré que l'ouverture économique ne pouvait que s'accompagner
d'un renforcement du poids des marchés financiers. Il en résulte qu'aujourd'hui
la bonne santé des économies se décide davantage aux bourses de New York, Tokyo
et Francfort qu'au sein des gouvernements.
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Hélas !
M. Bernard Angels.
Hélas, bien sûr !
Aussi, à moins de prôner un retour illusoire au contrôle des changes, il
convenait de prendre acte de cet état de fait afin de mieux organiser la
riposte.
Dès lors, l'alternative est simple. Faire face aux marchés financiers et
retrouver des marges de manoeuvre économique suppose de devenir une grande
puissance. C'est là tout l'enjeu de l'accélération du processus d'intégration
européenne.
Il s'agit donc, pour les Etats européens, de travailler collectivement au
renouveau de leur souveraineté économique. Cela signifie qu'en Europe la
souveraineté économique ne peut plus se définir à l'aune des nations prises
isolément, qu'elle doit s'exercer dans un cadre régional davantage organisé.
Dans ces conditions, la question qui se pose porte sur les conditions
d'exercice d'une souveraineté partagée en matière monétaire. Elle porte
également sur l'existence nécessaire de contre-pouvoirs démocratiques
susceptibles d'encadrer l'action de la future banque centrale européenne.
J'en viens au problème de la future valeur de l'euro. Une fois l'euro formé,
sa valeur sera déterminée conjointement par l'action de la Banque centrale
européenne et le jeu des marchés financiers. Sur la durée, sa stabilité sera
également fonction du rôle qui lui sera assigné sur la scène monétaire
internationale.
D'une manière générale, la puissance de l'Europe intégrée devrait assurer
l'euro d'une crédibilité qui le mettra à l'abri des tentatives de
destabilisation.
A raison de sa crédibilité, l'euro devrait pouvoir concurrencer le dollar
comme monnaie internationale de transaction et de réserve. Entre-temps, il est
probable que le pouvoir d'attraction de l'euro imposera aux Etats-Unis une plus
grande prudence dans le maniement du pouvoir monétaire du dollar. En cela,
l'euro demeure une réponse réelle, quoique tardive, au coup de force monétaire
américain de 1971.
Nos objectifs visent à la formation d'une Europe davantage intégrée pour plus
de croissance et davantage de progrès social.
Deux conceptions s'opposent, aujourd'hui, sur la nature et la fonction de la
construction européenne.
Pour certains, la construction européenne est celle d'un grand marché libéré
des contraintes qui prévalent en matière de mouvement des biens, des personnes
et des capitaux.
Cette option, nous le savons tous, est depuis longtemps prônée par certains
gouvernements et par les adeptes à tout crin du libéralisme. Cette approche est
également défendue par les Etats-Unis, pour qui l'absence de règles équivaut au
règne de la loi du plus fort.
Pour nous, concurrence des systèmes sociaux et ajustements par le bas nous
aligneraient immanquablement sur un modèle anglo-saxon que nous récusons, et ce
pour des raisons sociales évidentes, mais également pour des raisons
d'efficacité économique. Ainsi, loin d'être le cadre d'une nouvelle zone
d'échanges libérée de toute entrave, l'Union constitue pour nous un nouvel
espace de régulation économique.
L'Union devra donc se concentrer sur les objectifs primordiaux que sont la
croissance économique et la lutte contre le chômage.
La puissance de l'Union devrait par ailleurs permettre d'absorber les crises
économiques mieux que ne le feraient les Etats pris séparément. Mais, pour
cela, l'Union doit se doter des moyens de régulation et d'intervention
nécessaires. Elle doit être à même de prévenir et de gérer efficacement les
chocs asymétriques qui, touchant une économie nationale, contribuent à l'isoler
de l'ensemble dans lequel elle s'intègre.
Nous considérons que l'Union doit également agir en amont des crises afin
d'aider à la consolidation des situations structurelles les plus fragiles. Par
voie de conséquence, je suis hostile à tout élargissement prématuré de l'Union
à l'Est, qui pourrait nous exposer à des chocs asymétriques en cascade.
L'Union doit donc avoir des moyens budgétaires et l'autorité politique
nécessaires au renforcement de la croissance et à la gestion des crises
économiques, d'autant qu'en cas de difficulté économique l'absence de moyens
aurait pour conséquence de faire de l'emploi et de l'investissement les seules
variables de sortie de crise, ce à quoi nous nous refusons catégoriquement.
Enfin, en application du principe de subsidiarité, nous pensons que les Etats
membres doivent conserver des marges de manoeuvre budgétaires importantes qui
leur permettent d'agir. Pour cela, gouvernement économique de l'Union et Etats
nationaux devront également agir de façon concertée et étroitement
coordonnée.
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Sans aucun doute !
M. Bernard Angels.
Enfin, nous souhaitons un renforcement de la coordination à l'échelon européen
des politiques économiques et sociales.
Les politiques nationales d'assainissement menées depuis plusieurs années par
les Etats membres ont permis de les faire converger sur trois principes
fondamentaux : la maîtrise de l'inflation, une réduction relative des déficits
publics et la stabilisation de leurs taux de change.
Des disparités importantes demeurent, notamment en matière d'endettement
public. Il est toutefois probable que le retour de la croissance,
l'accroissement des recettes fiscales et la convergence des politiques
budgétaires auront pour effet de réduire les principaux écarts.
Sur le plan économique, on est en droit d'attendre de la nouvelle Europe
qu'elle contribue à la dynamisation des économies nationales, grâce à des
investissements structurants dans les transports et l'aménagement du
territoire, mais au moyen également d'une politique commerciale énergique à
l'extérieur et d'une aide à la dynamisation des tissus économiques locaux -
aides aux PME,
joint-ventures,
mises en réseau, etc.
Enfin, sur le plan fiscal, des avancées ont déjà été faites, mais l'Europe
continue à buter, en la matière, sur des difficultés techniques. Ainsi en
est-il tout particulièrement en matière de convergence des systèmes de TVA. Je
n'oublie pas non plus la question de l'harmonisation des autres formes de
fiscalité, car la liberté donnée aux marchés financiers ne doit plus
privilégier les pays à faible fiscalité et favoriser les situations de dumping
fiscal.
Mais c'est surtout en matière sociale qu'il convient d'avancer rapidement.
Ici, l'Europe n'en est qu'au stade embryonnaire et les écarts entre les pays
sont criants, qu'il s'agisse du coût du travail, des charges sociales, de
l'étendue des couvertures sociales, de la sécurité, du statut du salarié ou du
droit syndical dans les entreprises.
Dans tous ces domaines, des ajustements s'imposent pour neutraliser les
risques d'un dumping social à l'échelle du continent tout entier.
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Ils s'imposent même rapidement
!
M. Bernard Angels.
Je vous remercie d'approuver, monsieur le président.
Dans ce domaine, rien ne doit être abandonné au seul jeu du marché.
L'ensemble de ces préoccupations ainsi qu'une lutte efficace contre le chômage
nécessitent d'importants moyens financiers, une véritable ambition pour
l'Europe et une coordination efficace des politiques à mener.
Sur le plan budgétaire, les Etats devront conserver de réelles marges de
manoeuvre et l'Union se doter d'un budget ouvert à la réalisation de grands
projets structurants.
Enfin, le Parlement européen rénové devra être étroitement associé aux
décisions de politique économique et monétaire.
Pour conclure, je dirai que nul ne peut contester le caractère historique de
la démarche qui nous mène aujourd'hui à l'euro. Si certaines inquiétudes
demeurent, l'avancée des positions françaises lors du dernier sommet
d'Amsterdam devrait pouvoir les atténuer.
Il en est ainsi en matière d'élargissement au Sud des pays faisant partie du
premier train de l'euro ; il en est ainsi pour ce qui est du pacte de
croissance et de la neutralité de la future valeur de l'euro par rapport au
dollar.
Enfin, l'existence d'un futur gouvernement économique aux côtés de l'autorité
de la Banque centrale européenne semble aujourd'hui en bonne voie, avec la mise
en place du Conseil de l'euro.
Au-delà de sa simple fonction financière, l'euro est donc un instrument
politique d'intégration des économies qui devrait nous apporter prospérité,
puissance et confiance dans l'avenir.
(Applaudissements sur les travées
socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. de La Malène.
M. Christian de La Malène.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, dans la
manière dont la monnaie unique se met en place, je relève trois éléments.
Tout d'abord, l'indépendance de la Banque centrale européenne est affirmée
avec une extrême rigueur.
Ensuite, l'objectif principal du système européen de banques centrales est de
maintenir la stabilité des prix. C'est une priorité sans réserve.
Enfin, la Commission européenne a fait le choix d'une liste large de
participants ; un seul candidat, la Grèce, a été « recalé ».
Or, la manière dont ces trois éléments vont se combiner me paraît tout de même
poser problème.
En faisant le choix d'une liste large, la Commission européenne a fait un
choix politique. Nous avons, certes, reçu de volumineux rapports qui nous
expliquent que, techniquement, les onze pays retenus sont prêts. Mais nous
savons bien qu'avec les mêmes éléments techniques on aurait pu tout aussi bien
justifier une liste plus restreinte de participants !
Pourquoi la Commission a-t-elle fait ce choix ? Principalement, me
semble-t-il, pour ne pas couper l'Europe en deux. Si les pays méditerranéens
étaient restés en dehors de l'euro, on aurait vu se former deux blocs
d'importance à peu près égale, les participants et les non-participants, et
cela aurait provoqué une tension interne difficile à contrôler. Dans un tel
contexte, le fonctionnement des institutions de l'Union aurait sans doute été
très perturbé. Avec une liste large, nous voyons déjà les problèmes que pose la
non-participation de certains Etats membres : par exemple, on se demande
comment faire pour réunir le Conseil de l'euro au mois de mai, alors que la
Grande-Bretagne, qui exerce la présidence jusqu'au mois de juin, ne fera pas
partie de ce Conseil. Avec une liste restreinte de participants, les
difficultés auraient été plus fréquentes et bien plus compliquées à
résoudre.
Des raisons politiques et institutionnelles ont donc sans doute joué un grand
rôle dans le choix de la Commission.
Mais ne nous dissimulons pas que son choix, si les gouvernements la suivent,
aura aussi des conséquences politiques.
Depuis qu'a été lancé le débat sur l'élargissement, certains ont souligné
qu'il fallait essayer de constituer une sorte de noyau dur autour de
l'Allemagne et de la France afin de contrecarrer les ferments de dispersion
liés à l'élargissement. Cette suggestion a retrouvé toute son actualité après
le conseil européen d'Amsterdam, qui n'a pas pu trouver un accord sur une
réforme institutionnelle de nature à consolider l'Union dans l'optique de son
élargissement. Dans ces conditions, certains ont plaidé pour que la monnaie
unique soit le pôle d'attraction autour duquel se constituerait le noyau dur
nécessaire pour empêcher que l'Union ne perde peu à peu sa consistance
politique.
Or, avec le choix d'une liste large, nous nous écartons inévitablement de ce
scénario. Nous entrons dans une dynamique où la zone euro est appelée elle
aussi à s'élargir progressivement. La monnaie unique ne sera donc pas le ciment
d'une « petite Europe » au sein de la grande.
Nous devons donc concevoir l'euro comme voué à accompagner progressivement
l'élargissement, plutôt que comme un contrepoids à l'élargissement.
La conséquence est que la monnaie unique européenne est destinée à régir un
ensemble très hétérogène ; cela est déjà vrai des onze pays retenus, cela sera
plus vrai encore lorsque l'euro s'appliquera à certains pays candidats d'Europe
centrale.
Mais comment pourrons-nous faire face à cette grande hétérogénéité ? Une
monnaie unique, et donc une politique monétaire unique, s'appliquant à un
ensemble d'Etats disparate - c'est du jamais vu - produira inévitablement des
effets contrastés. Si la politique suivie s'apparente, comme on peut le penser,
à celle qui est suivie aujourd'hui pour la gestion de la zone mark, l'effort
d'adaptation demandé à certains pays non seulement sera considérable, mais
devra s'exercer dans la durée, et la longue durée.
Tout laisse à penser, dès lors, que l'unification monétaire, par les effets
qu'elle entraînera, appellera de nombreuses interventions correctrices de
l'Union européenne. Le développement des transferts budgétaires,
l'harmonisation fiscale, l'harmonisation sociale sont autant de questions qui
ne pourront être éludées.
Or, souligner cela, c'est poser le problème de l'équilibre politique du
système qui nous est proposé. D'un côté, nous avons une banque centrale
indépendante, dotée de l'irresponsabilité des monarques, et qui dispose
cependant de pouvoirs très étendus. De l'autre côté, on trouve des organes
politiques faibles : le Conseil de l'euro, informel, sans pouvoir de décision,
et le Conseil ECOFIN qui, quant à lui, dispose de certaines attributions -
coordination des politiques économiques, orientation de la politique de change
- mais qui n'a aucune espèce d'autorité sur la Banque centrale européenne.
En un mot, dans un tel système, les organes politiques, qui seuls ont une
légitimité démocratique parce qu'ils sont responsables, n'ont pas ou n'ont que
peu de pouvoirs ; et les organes indépendants, que nul ne contrôle, ont de
larges pouvoirs et peu de comptes à rendre.
Si, comme je l'ai indiqué, la monnaie unique et la politique monétaire unique
appellent effectivement, du fait de l'hétérogénéité des situations, un ensemble
de mesures correctrices, budgétaires, fiscales, sociales, alors cet arrangement
institutionnel que je viens de décrire ne pourra guère être durable.
On ne peut laisser très longtemps un organe dépourvu de légitimité
démocratique, comme l'est la Banque centrale européenne, jouer un rôle
déterminant, directement ou indirectement, dans la vie économique et sociale de
l'Union.
M. Emmanuel Hamel.
Très bien !
M. Christian de La Malène.
Je crois donc indispensable d'appliquer le traité sur l'Union européenne d'une
manière qui rééquilibre cette construction au profit du politique. Lors de la
dernière conférence intergouvernementale, on n'a pas voulu discuter de l'Union
économique et monétaire, de peur de compromettre la réalisation de la monnaie
unique. Soit. Mais, de ce fait, les ambiguïtés du traité sont toujours là et la
vie se chargera de nous les rappeler.
Je doute que l'union ne parvienne à fonctionner durablement de manière
satisfaisante avec un régime aussi rigide que celui qui nous est proposé : un
système de banques centrales indépendant et uniquement préoccupé de la
stabilité des prix, un pacte de stabilité budgétaire limitant la possibilité de
politiques de relance, des transferts entre Etats limités et pourtant jugés
excessifs par les principaux contributeurs au budget de l'Union, le tout
destiné à régir un ensemble d'Etats évidemment hétérogène.
Qu'on m'entende bien : je ne remets pas en cause le principe de la monnaie
unique, mais j'ai le sentiment que, telle qu'elle est actuellement conçue, elle
risque de peser lourdement sur la vie économique, sociale, politique des Etats
membres, en imposant des ajustements qui seront sans doute plus importants
qu'on ne veut bien nous le dire aujourd'hui.
La réussite durable de l'euro me paraît donc supposer une application souple
du traité, de manière à rendre une marge de manoeuvre à l'Union et aux Etats
membres. Dans cette optique, la Banque centrale européenne devrait clairement
être chargée de veiller, non seulement à la stabilité des prix, mais encore à
la croissance et à l'emploi ; par ailleurs, le Conseil devrait pouvoir définir
des orientations au service desquelles la Banque centrale européenne serait
tenue de placer son action. Alors, mais alors seulement, l'Europe serait mieux
armée, me semble-t-il, pour gérer sa propre disparité et pour mettre sa monnaie
au service de son économie, et non l'inverse.
L'euro est un pari. Sans doute fallait-il le faire pour consolider une
construction européenne qui n'était plus cimentée par la confrontation
Est-Ouest. Mais, quitte à faire un pari aussi risqué, mieux vaut mettre toutes
les chances de son côté.
Je souhaite que le texte que nous adopterons aujourd'hui indique clairement
qu'une application ouverte et pragmatique du traité est nécessaire compte tenu
du niveau atteint par le chômage dans un grand nombre d'Etats membres. Mon vote
final dépendra donc du sort qui sera réservé à l'amendement que je présenterai
sur ce point.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Je demande la
parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Pour répondre à
l'attente générale du Sénat, je serai assez bref de façon à éviter une séance
de nuit.
Je ne reviendrai pas longuement sur les propos de M. le rapporteur, de M. le
président de la commission et de M. Genton parce qu'ils ont tous trois dit
excellemment, malgré quelques petites piques inévitables à l'égard du
Gouvernement, pourquoi notre pays, qui s'y était engagé depuis longtemps,
devait aujourd'hui franchir cette étape de la monnaie unique.
Je n'y reviens pas ; nous avons eu l'occasion au cours de la nuit dernière, à
propos de la Banque de France, de déborder très largement du sujet et de nous
exprimer sur l'euro en général. Je dirai la même chose, s'agissant de
l'intervention de M. Gaillard.
Personne ne m'en voudra de répondre plus particulièrement à ceux qui ont été
critiques plutôt qu'à ceux qui approuvent, c'est bien légitime.
M. de Villepin, notamment, s'est arrêté quelques instants sur un sujet qu'il a
d'ailleurs été le seul à aborder, celui des sanctions financières, en se
demandant si les engagements du pacte de stabilité pourront être tenus.
Oui, ils pourront l'être et il convient même qu'ils le soient.
Les pénalités sont une sorte de dissuasion ; mais personne n'a l'intention de
les mettre en oeuvre.
Un déficit de 3 % du PIB est un déficit élevé. Nous raisonnons maintenant
comme si nous étions obligés d'avoir des déficits très importants.
Je me permets de vous rappeler qu'au cours des vingt dernières années, de 1973
à 1993, nous n'avons jamais atteint 3 % de déficit, même les années où beaucoup
d'entre nous considèrent que le déficit était important, je pense en
particulier aux années 1981 et 1982.
Un budget équilibré, ce n'est pas scandaleux. Il y a des moments où il faut
qu'il y ait un déficit pour soutenir la croissance ; il y a des moments où il
peut y avoir des excédents.
Aujourd'hui, vous le savez, en 1998 déjà, cinq pays de l'Union auront des
excédents parce qu'ils sont en avance dans la phase de croissance par rapport à
nous, qui aurons encore du déficit.
Il n'y a aucun scandale à avoir du déficit ; mais il n'y a aucune nécessité
a priori
à en avoir. Le réglage de la conjoncture ne se fait pas avec
l'idée que plus il y a de déficit, mieux l'on se porte.
Si les rédacteurs du traité ont retenu un seuil de déficit de 3 %, seuil assez
élevé, c'est parce qu'à l'époque, certains l'ont rappelé tout à l'heure, on
enregistrait des déficits de 1,5 %. Il n'y a aucune raison de ne pas revenir à
ce taux. Dans ces conditions, le problème des pénalités, à mon avis, se pose
peu.
Concernant l'année 1998, monsieur le sénateur, vous pensez qu'il y aura une
déclaration au sommet du 2 mai, sur l'encadrement et vous dites que, dès 1998,
on aura telle ou telle obligatoire. C'est tout à fait normal. En 1997, le seuil
était de 3 %, c'était le fameux critère. Pour 1999, nous nous sommes mis
d'accord pour maintenir ce seuil. C'est l'essence du pacte de stabilité. Si
nous nous sommes contraints à passer en dessous de 3 % pour être admissible à
la monnaie unique, ce n'est pas pour le faire exploser ensuite. Il faut en
rester à 3 %, c'est l'esprit du pacte de stabilité. Mais comme le pacte de
stabilité commence en 1999 et que 1997 c'est 1997, l'idée qui consiste à dire
que 1998 doit se dérouler normalement, en conformité avec 1997 et avec ce que
l'on attend pour 1999, honnêtement, n'a rien de farfelu.
Quant au fait que nous rappelions que l'objectif de moyen terme doit être de
réduire le déficit, je crois que c'est en effet souhaitable.
Tant que nous serons en croissance, il faudra réduire le déficit pour pouvoir
utiliser les réserves lorsque nous serons dans une période où la croissance se
ralentira. Mais si nous voulons utiliser les batteries, pour reprendre la
formule de mon collègue Christian Sautter, au moment où l'on a besoin
d'électricité, il faut les recharger quand le véhicule roule vite. Donc «
recharger les batteries du déficit », en l'occurrence, c'est le réduire
suffisamment pendant que la croissance est forte.
Par conséquent, à moyen terme, à échéance de trois à quatre ans, il faut que
nous parvenions à réduire le déficit. Nous aurons peut-être besoin de cette
réserve au moment où la croissance commencera - malheureusement cela arrive
toujours - à ralentir.
Certains ont cité M. Schröder, d'autres, à l'Assemblée nationale, ont cité M.
Blair. Je me réjouis infiniment de constater que les références principales de
l'opposition sont aujourd'hui des leaders socio-démocrates ou travaillistes en
Europe. Cela montre bien où est le courant.
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Des libéraux !
M. Emmanuel Hamel.
Vous êtes loin de Tony Blair. Lui, il défend la Grande-Bretagne et ne veut pas
sa fusion dans l'Europe.
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Monsieur le
sénateur, je crains d'être plus « blairiste » que vous !
M. Emmanuel Hamel.
Je ne le crois pas !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Mais je crains
aussi que vous n'ayez pas suivi les déclarations récentes qu'il a pu faire à
Westminster quand il a expliqué que, dès qu'il le pourrait, son pays
rejoindrait l'euro. A ce moment-là, vous quitterez le blairisme !
M. Durand-Chastel a été très positif à l'égard de la résolution. Il a abordé
le premier une question très importante que beaucoup d'entre vous ont reprise.
Il s'agit des dépenses publiques.
Monsieur le sénateur, vous posiez la question de savoir s'il est raisonnable
d'augmenter les dépenses publiques alors que tous les experts disent qu'il faut
les diminuer.
Nous reviendrons sur cette question du budget pour 1999 à de nombreuses
reprises, bien avant même la discussion du projet de loi de finances. Je
souhaite simplement que nous discutions entre nous sur des concepts clairs.
Personne n'a jamais écrit dans aucun livre d'économie qu'il ne faut pas
augmenter la dépense publique. Ce qui compte, c'est de savoir quelle est la
part de la dépense publique par rapport au PIB. Si la richesse s'accroît, la
dépense publique s'accroît aussi, et il n'y a aucune raison de considérer que
la dépense publique ne doive pas s'accroître.
Là où cela ne va plus, pour certains, et ce point mérite discussion en effet,
c'est si on veut voir croître ou décroître la part de la dépense publique.
Mais lorsqu'on dit que la dépense publique, en 1999, va augmenter de 1 %, le
problème est de savoir non pas si elle augmente de 1 %, mais par rapport à quel
taux de croissance du PIB elle augmente de 1 %. Or comme la croissance attendue
du PIB pour 1999 est de 3 %, le ratio de la dépense publique par rapport au PIB
continuera de décroître en 1999.
Ayons donc des concepts raisonnables présents à l'esprit.
Cela n'a pas de sens de comparer la dépense publique d'une année à celle d'une
autre année.
En disant que la dépense publique est plus forte en valeur absolue en
Allemagne qu'en France, on pourrait en tirer la conclusion que l'Allemagne est
plus interventionniste. Non ! Cela signifie simplement que son PIB est plus
important.
C'est, bien sûr, la part de la dépense publique dans le PIB qui est la bonne
variable. Mais nous aurons souvent l'occasion de revenir sur ce point.
M. Fourcade est intervenu de façon positive. Il a déclaré qu'il ne faut pas
céder à la tentation de croire que les dépenses publiques ont des vertus par
elles-mêmes.
Je crois qu'il exagère. La dépense publique a des vertus par elle-même. Trop
de dépenses publiques, c'est trop. Pas assez de dépenses publiques, ce n'est
pas assez.
Soyons pragamatiques. comme nous y a invité M. de la Malène tout à l'heure à
propos du traité lui-même.
La dépense publique a des effets positifs. J'ai assisté récemment à
l'inauguration d'une usine IBM près de Paris. Les dirigeants de cette
entreprise, qui pouvaient choisir de s'implanter en Pologne, en France ou en
Grande-Bretagne, ont opté pour la France.
Interrogés sur les raisons de ce choix, ils ont répondu que si les impôts et
charges sociales étaient plus lourds en France, le personnel était mieux formé
et les infrastructures, notamment en matière de télécommunication, étaient bien
meilleures. D'où, la décision d'une installation en région parisienne.
Le problème est donc non pas de savoir si la dépense publique est trop ou pas
assez élevée, mais de déterminer avant tout à quoi elle sert. Est-elle efficace
?
Finalement, le problème est identique à celui qui se pose pour
l'investissement dans le secteur privé. On paie une certaine somme et on veut
en avoir pour son argent.
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
C'est le problème de la
distinction entre le fonctionnement et l'investissement !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Notre vrai
problème, c'est donc de rendre la dépense publique plus efficace ; le
Gouvernement s'y emploie.
Ensuite, M. Fourcade a longuement parlé des 35 heures. Je ne reviens pas sur
ce débat qui ne concerne pas directement l'euro. Cela prendrait trop de temps
et j'ai dit que je voulais être bref.
Permettez-moi simplement de rappeler que, selon le principe de subsidiarité,
ces questions de politique de l'emploi sont du ressort national. Je ne peux
donc pas laisser passer l'idée reprise dans plusieurs interventions selon
laquelle la mise en place de l'euro empêcherait l'application d'une politique
différente de celle de ses voisins.
La subsidiarité est très précisément définie. Les politiques de l'emploi sont
des politiques subsidiaires. J'en veux pour preuve que le Gouvernement a mis en
oeuvre une politique sur les 35 heures, que cela plaise ou déplaise à
certains.
Or, nous avons déjà depuis plusieurs années des parités extrêmement rigides
par rapport aux principales monnaies qui deviendront l'euro dans plusieurs
années. Cela ne nous a pas empêchés de mettre en place les 35 heures.
Qu'on en soit content ou mécontent, c'est une autre question. Il n'est
toutefois pas exact de dire que la monnaie unique interdit de mener les
politiques de l'emploi ou les politiques fiscales souhaitées au plan
national.
Je ne dirai jamais suffisamment à M. Estier combien j'ai trouvé excellente son
intervention. Il a évoqué lui-même le problème que pose le texte que les
Allemands, et d'autres avec eux, souhaitent voir adopter à l'occasion du
prochain sommet.
C'est un texte d'encadrement de l'euro, qui ne me gêne pas. Il me gênerait
s'il devait ne traiter que des problèmes budgétaires, car il n'y a pas de
raison à cela. La France s'est en effet battue, depuis un an, pour que l'on
n'oublie pas les problèmes de l'emploi à côté du problème budgétaire.
Si nous adoptons un texte global qui rappelle que nous nous sommes engagés,
d'une part, à être raisonnables en matière budgétaire et, d'autre part, à
développer les questions de l'emploi, nous atteindrons bien l'équilibre que le
Gouvernement a souhaité. Si le texte prend cette forme, il ne me dérange
pas.
M. Pasqua est revenu sur un certain nombre de thèmes qu'il avait déjà évoqués
et qu'on lui connaît bien, notamment sur celui de la souveraineté, sur celui de
l'Etat fédéral qu'on impose subrepticement. Honnêtement, je ne crois pas qu'il
en soit ainsi, ou alors, c'est tellement subreptice que cela m'a échappé !
Il se pourrait toutefois que la supranationalité s'impose subrepticement, mais
pas obligatoirement sous la forme fédérale. Je ne vois cependant pas beaucoup
d'éléments qui donnent à penser aujourd'hui que la construction européenne
s'oriente plutôt vers une tendance fédéraliste que vers une tendance
centralisée.
Monsieur Pasqua, quand vous dites que la monnaie unique est « intégrante »,
que, de ce fait, l'intégration politique suivra et que, dans ces conditions,
nous allons de plus en plus vers une structure politique forte à la tête de
l'Europe, je pense que vous avez raison.
On peut le souhaiter ou ne pas le souhaiter, mais dire qu'elle est
obligatoirement fédérale me paraît exagéré. Vous avez peut-être raison, mais je
n'en vois vraiment pas nettement les traces.
Monsieur le sénateur, vous avez évoqué ensuite l'idée que la Banque centrale
européenne mènerait une politique monétaire stricte, et vous avez eu l'air de
le regretter. Je ne sais pas bien ce que c'est qu'une politique monétaire
stricte, mais je sais ce qu'est une politique monétaire qui sert l'économie.
Aujourd'hui, je vois que la politique monétaire menée par les banques
centrales qui deviendront, par leur réunion en quelque sorte, la Banque
centrale européenne est telle que les taux d'intérêt en Europe sont les plus
bas du monde. Si c'est cela mener une politique monétaire stricte, cela me
convient.
Pour aider l'investissement, la consommation, il faut des taux d'intérêt
faibles. Or nous avons de tels taux, justement grâce à la perspective de
l'euro. Donc, il m'apparaît plutôt que la perspective de l'euro, et l'euro
encore plus, aboutira à des taux d'intérêt faibles.
De plus, l'esprit n'est pas à négliger. Au-delà des discours, je vous en donne
une illustration qui en vaut la peine. Aujourd'hui, le gouvernement italien,
parce qu'il est acquis qu'il sera intégré à l'euro et que les marchés
financiers en ont conscience, emprunte moins cher que n'emprunte le
gouvernement de Tony Blair auquel vous prêtiez tout à l'heure beaucoup de
vertus.
La place financière de Londres, l'importance économique et financière encore
plus grande de la Grande-Bretagne n'empêche pas qu'elle emprunte à un taux plus
élevé que les Italiens parce que les Britanniques sont en dehors de l'euro et
que les Italiens, dont on se moque souvent à tort, sont dans l'euro.
L'euro est un facteur de baisse considérable des taux. Ce n'est pas une
politique monétaire stricte, c'est une politique monétaire qui soutient
l'activité.
Vous avez fini, monsieur Pasqua, par une critique du Président Chirac.
(M. Charles Pasqua manifeste son étonnement.)
Vous avez dit qu'on voulait
faire ratifier à la sauvette le traité d'Amsterdam. Or, comme c'est le
Président de la République qui décide des modalités de ratification du traité,
j'ai vu là une critique subreptice mais, évidemment, je ne veux pas la
commenter.
M. Charles Pasqua.
Sur proposition du Gouvernement !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
M. Badré est
intervenu sur le thème : l'union fait la force. Je crois qu'il a tout à fait
raison, mais j'apporterai une correction sur un point mineur, une correction à
laquelle je tiens beaucoup : le déficit prévisible pour 1999 est non pas de 2,5
% mais de 2,3 %.
Je pense donc que le déficit se situera, en l'an 2000, au-dessous de 2 %, ce
que j'ai annoncé voilà six mois en présentant le projet de loi de finances pour
cette année. Ce taux de 2 % est important parce que notre dette baisse à partir
du seuil de 2 %.
Par conséquent, j'entends bien que, dans notre pays, à partir de l'an 2 000,
le rapport de la dette au PIB baisse, ce qui n'était pas arrivé - vous en
conviendrez avec moi - depuis quelques lustres.
Enfin, M. de La Malène est intervenu dans le sens que l'on sait. Je retiens
principalement de son propos l'idée qu'il faut opérer un rééquilibrage en
faveur du politique. Vous sembliez dire, monsieur le sénateur, que la crainte
principale était - je caricature vos propos en les simplifiant - que tout cela
soit trop technocratique, mal équilibré, en défaveur du pouvoir politique,
thème qui avait d'ailleurs été évoqué par plusieurs orateurs avant vous. Je ne
crois pas qu'il en sera ainsi.
Je crois, en tout cas, que la Banque centrale que nous mettons en place n'est
pas plus puissante, pas plus indépendante que ne le sont aujourd'hui les
banques centrales nationales. Vous me répondrez que, face aux banques centrales
nationales, il y a un véritable pouvoir politique. C'est vrai ! Il faut donc
que nous ayons un tel pouvoir au niveau européen.
Mais, pour autant, ce réel pouvoir politique qui existe en Allemagne ou en
France face à la Banque centrale n'intervient pas sur l'activité de la Banque
centrale. Et, en France, c'est notamment vous qui l'avez voulue
indépendante.
M. Emmanuel Hamel.
Pas moi !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Certes ! Le «
vous » ne vous incluait pas, monsieur le sénateur !
M. Emmanuel Hamel.
Merci !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Très bien ! Vous
êtes donc cohérent avec vous-même !
Je dirai donc que votre majorité a voulu qu'il en soit ainsi. Ne chicanons
pas.
Aujourd'hui, aucun gouvernement européen n'intervient sur sa banque centrale.
Et même les Britanniques, qui ont gardé pendant plus longtemps que les autres
une banque centrale dépendante, viennent de passer à une banque centrale
indépendante.
De toute façon, aujourd'hui, les pouvoirs publics n'interviennent pas sur les
banques centrales. Demain, ils n'interviendront pas plus, mais pas moins. En
effet, d'ores et déjà - on peut le regretter, mais ce n'est pas l'euro qui
change quelque chose - le pouvoir monétaire est un pouvoir que la plupart des
pays ont décidé de laisser entre des mains extérieures à la politique.
On a souvent cité à cette tribune, comme à celle de l'Assemblée nationale au
cours des jours précédents, l'exemple des Etats-Unis. Honnêtement, aux
Etats-Unis, Alan Greenspan mène la politique monétaire qu'il juge bonne, et il
n'y a pas d'interférence du gouvernement. D'ailleurs, le gouvernement américain
ne se risquerait pas à donner des instructions au
Federal Reserve System
bien que ses statuts prévoient que ses domaines de compétences sont vastes. Il
reste que la politique monétaire est menée par une instance indépendante, et il
n'y a pas de pays moderne aujourd'hui sur la planète où il n'en soit pas
ainsi.
D'ailleurs, le Premier ministre chinois, Zhu Rongji, qui était à Paris
récemment, me disait que son intention, pour moderniser la Chine, était de
mettre en place, aussi rapidement que possible, une politique monétaire qui ne
serait plus dépendante du pouvoir politique. Vous constatez ainsi combien ces
idées ont fait le tour de la terre !
Par conséquent, finalement, la question relative à la Banque centrale est de
savoir ce sur quoi on veut être rigoureux. A ce propos, M. de La Malène a
expliqué à plusieurs reprises - je terminerai sur ce point - qu'il fallait
interpréter de façon souple cette affaire. Je ne dis pas « laxiste », mais «
souple ». Par conséquent, la vraie question, et ce sera ma conclusion, est de
savoir ce sur quoi on est souple et ce sur quoi on est rigoureux.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous êtes volontiers, dans vos discours,
rigoureux sur les salaires, en regrettant qu'il n'y ait pas suffisamment de
flexibilité - plus de flexibilité signifiant plus de pression sur les salariés
- et vous souhaitez être moins rigoureux sur la politique monétaire. Moi,
j'accepte volontiers que nous ayons une politique monétaire plus rigoureuse et
qu'on soit moins rigoureux sur les salaires. Nous voyons bien ainsi qu'il
existe une différence fondamentale entre nous sur le plan politique.
Ayons une banque centrale rigoureuse, et qu'elle ait pour objectif de
maintenir des taux d'intérêt bas. Que la rigueur soit de ce côté-là, et nous
pourrons avoir, du côté du salaire et du pouvoir d'achat, une politique plus
allante.
Vous, vous préférez opter pour l'autre choix, c'est-à-dire pour la rigueur en
matière de marché du travail et une plus grande facilité sur le plan monétaire.
Ce n'est visiblement pas le choix du Gouvernement.
(Applaudissements sur les
travées socialistes.)
M. Serge Vinçon.
C'est une vraie caricature !
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de la proposition de résolution rectifiée de la
commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de
la nation.
J'en donne lecture :
« Le Sénat,
« Vu l'article 88-4 de la Constitution,
« Vu la recommandation de la Commission européenne en vue d'une recommandation
du Conseil conformément à l'article 109 J, paragraphe 2, du Traité,
« Invite le Gouvernement :
« - à approuver, au sein du Conseil, la liste des Etats membres remplissant
les conditions nécessaires pour l'adoption d'une monnaie unique, telle qu'elle
est proposée par la Commission européenne ;
« - à veiller à ce que le système européen de banques centrales respecte les
missions qui lui sont imparties par l'article 105 du traité sur l'Union
européenne afin que l'Union économique et monétaire contribue à atteindre les
objectifs déterminés par l'article 2 de ce traité, c'est-à-dire, en
particulier, une croissance durable, un niveau d'emploi et de protection
sociale élevé, le relèvement du niveau et de la qualité de la vie ;
« - à réaffirmer que le bon fonctionnement de la zone euro ainsi définie
suppose que tous les Etats membres s'attachent à retrouver la marge de
manoeuvre indispensable pour que chaque politique budgétaire nationale puisse
jouer son rôle d'ajustement conjoncturel dans le cadre d'une politique
monétaire unique ;
« - à élaborer et mettre en oeuvre un programme de stabilité, pleinement
conforme à nos engagements européens et au rôle de notre pays en Europe ;
« - à veiller à ce que le Conseil, dans le cadre d'un dialogue permanent avec
la Banque centrale européenne (BCE) exerce effectivement les responsabilités
qui lui sont reconnues par les articles 109 et 109 B du traité sur l'Union
européenne, en tirant parti des possibilités de modulation institutionnelle
décidées dans le cadre de la résolution adoptée par le Conseil européen de
Luxembourg le 13 décembre 1997 ;
« - à poursuivre rapidement l'approfondissement de tous les volets de l'Union
économique et monétaire et, en particulier, la coordination des politiques
économiques dans la perspective d'un rapprochement des conditions fiscales et
des performances sociales en visant notamment une amélioration de la situation
de l'emploi ;
« - à assurer l'information régulière du Parlement sur l'action que le
Gouvernement conduira à ces différents titres, à organiser un débat annuel à ce
sujet dans chacune des deux assemblées, à produire à l'appui du projet de loi
de finances de l'année le programme de stabilité notifié par lui et, au moins
une fois par an, une présentation des programmes des autres Etats membres ;
« - à communiquer aux présidents des commissions permanentes compétentes du
Parlement tous rapports, avis et recommandations auxquels pourrait donner lieu
la mise en oeuvre des articles 103 et 104 C du traité sur l'Union européenne du
7 février 1992 ;
« - à favoriser un dialogue régulier entre la BCE et le Parlement français
afin que celui-ci soit informé de la politique monétaire menée par celle-ci
;
« - à agir en sorte que soient pleinement respectées les dispositions de
l'article 109 A du traité sur l'Union européenne, en vertu desquelles la
nomination des membres du directoire de la BCE relève de la pleine
responsabilité des chefs d'Etat ou de gouvernement des Etats membres
participant à la monnaie unique ;
« - à veiller à ce que les politiques économiques et monétaires des Etats non
participants garantissent l'équilibre des taux de change nominaux et réels de
leurs monnaies vis-à-vis de l'euro. »
Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion
commune.
Par amendement n° 11, Mme Beaudeau et les membres du groupe communiste
républicain et citoyen proposent de rédiger comme suit la résolution :
« Le Sénat,
« Vu l'article 88-4 de la Constitution,
« Vu la recommandation de la Commission de Bruxelles (E 1045) pour le passage
de onze pays - dont la France - à la monnaie unique dès le 1er janvier 1999,
« Vu que ladite recommandation doit être examinée par les chefs d'Etats et de
gouvernement le 2 mai 1998,
« Demande au Gouvernement :
« - de surseoir à l'examen de la recommandation de la Commission européenne
tant qu'un grand débat national n'aura pas eu lieu sur les implications de
l'euro, notamment sur le plan social, de la démocratie et de la souveraineté,
et sur les alternatives possibles en matière de coopération monétaire ;
« - de faire respecter ses objectifs sociaux, de relance de l'emploi et de la
réduction du temps de travail pour lesquels notre peuple vient encore
d'affirmer sa volonté de voir l'action gouvernementale poursuivie et amplifiée
;
« - de proposer à nos partenaires de travailler en commun à une véritable
orientation de la construction européenne tournée vers le développement social
et l'emploi, et donc à une coopération monétaire conçue pour ces priorités ;
« - qu'en tout état de cause, la décision finale de passage ou non de la
France à la monnaie unique revienne aux citoyens, consultés par voie de
référendum. »
Par amendement n° 1 rectifié, M. de La Malène et les membres du groupe du
Rassemblement pour la République proposent d'insérer, après le huitième alinéa
de la résolution, un alinéa ainsi rédigé :
« - à proposer aux gouvernements des Etats membres d'appliquer le traité sur
l'Union européenne en sorte que l'objectif principal du SEBC ne soit pas
seulement la stabilité des prix, mais aussi la croissance économique et un
niveau d'emploi élevé, et, que, d'autre part, le SEBC remplisse ses missions
dans le respect des orientations arrêtées par le Conseil. »
La parole est à Mme Beaudeau, pour présenter l'amendement n° 11.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous
considérons que la question de la construction européenne est bien trop
importante pour en laisser le traitement aux seuls initiés des mouvements
monétaires. Le débat sur le statut de la Banque de France - en fait sa
liquidation - l'a démontré la nuit dernière.
Des questions particulièrement importantes ne sont pas résolues et messieurs
les ministres, vous voulez mettre notre pays en situation de participer à une
construction économique et surtout monétaire pour laquelle l'ensemble et la
réalité des problèmes institutionnels, économiques et sociaux nont pas été
tranchés.
Vous prétendez, pour tenter de le justifier, qu'en 1992 une majorité de
Français a ratifié les modifications du traité de Rome adoptées à la conférence
de Maastricht.
Mais, je me permets de vous le rappeler, les Français n'ont pas eu alors à
connaître du pacte de stabilité budgétaire qui est à l'euro ce qu'on été au
franc, à la peseta ou à la lire les politiques budgétaires restrictives qui ont
été menées ces dernières années au nom du renforcement de la compétitivité des
entreprises ou de la conformité à des critères de convergence.
Là est notre point de vue sur une question essentielle : ne cherche-t-on pas à
imposer aux peuples d'Europe, et donc au peuple de France en particulier, un
indépassable horizon d'austérité et de rigueur, accompagné d'une remise en
question de la dépense publique ?
On se trompe décidément de temps et de cible.
Depuis quand, mes chers collègues de la commission des finances, la stabilité
d'une monnaie, et celle des prix qui doit ou devrait en découler, est-elle
devenue le but ultime de toute politique économique, alors qu'elle devrait, au
mieux, en constituer un instrument, au moins en être le reflet au travers de
l'appréciation de la valeur des titres monétaires ?
Sans doute depuis que la technocratie européenne, éloignée des peuples et du
terrain, a essayé de nous « vendre » l'euro fort pour mieux faire passer, avec
la flexibilité et la précarisation des conditions de travail, la remise en
cause de la démocratie sociale et des garanties offertes aux salariés et à
leurs familles par la protection sociale, la réduction programmée du pouvoir
d'achat et, au-dessus de tout, l'amélioration sensible de la rentabilité
financière.
Tel qu'il est conçu aujourd'hui, l'euro n'est rien d'autre qu'un instrument
destiné à poursuivre la logique d'une société libérale, où le plus grand nombre
partage les sacrifices et le plus petit les dividendes.
Au printemps 1997, les Français ont largement indiqué leur refus de cette
société profondément inégalitaire que l'on nous propose dans ce type de
construction européenne.
Ils ont manifesté leur souhait d'une politique économique et sociale
réellement alternative, mettant au centre de son action la satisfaction des
besoins collectifs et la lutte contre le chômage pour retrouver les chemins
d'une croissance saine et porteuse de créations d'emplois.
Aujourd'hui, il importe donc que ces orientations soient clairement affirmées
et portées, y compris au plus haut niveau européen, par le gouvernement que
notre pays a choisi de placer aux commandes du pays.
C'est en effet de cela qu'il s'agit.
Notre amendement vise donc, en prévoyant la réécriture de la proposition de
résolution de la commission des finances, à retenir comme essentiels les points
suivants.
Il s'agit tout d'abord que la clarté soit faite sur l'ensemble des
implications que recouvre la mise en place effective de la monnaie unique.
S'il s'agit demain, au nom de la parité de l'euro vis-à-vis du dollar ou du
yen, par exemple, de mener telle ou telle politique budgétaire ou fiscale, il
importe que cela soit effectivement précisé.
Il s'agit ensuite que les priorités affichées de l'action du Gouvernement
soient maintenues et développées, y compris à l'échelon communautaire. Je pense
notamment ici à la réduction du temps de travail en vue de créer des
emplois.
Il convient donc de mettre le poids de la France dans la balance pour que les
objectifs strictement monétaristes fixés pour la troisième phase de l'Union
économique et monétaire soient abandonnés au profit d'objectifs clairs et
mobilisateurs en matière de croissance économique, de création d'emplois et de
développement harmonieux des sociétés. N'est-ce pas là d'ailleurs ce qu'affirme
le traité de Rome à travers les missions qu'il assigne à la Communauté ?
La France peut et doit peser pour réorienter la construction européenne.
Enfin, il est indubitable que ce grand débat national sur le devenir de la
construction européenne ne peut être limité à nos échanges parlementaires.
Nul ne peut prétendre aujourd'hui que le peuple de notre pays n'a pas, ou n'a
plus, le droit de dire son mot sur la manière dont se déroulent les choses.
Vous voulez supprimer le franc, mais le peuple français n'a pas encore été
consulté sur une telle décision.
Il n'y a pas, à notre sens, de construction européenne digne de ce nom sans
consultation du peuple, consultation aussi fréquente que possible parce que
légitime, et sous toutes les formes appropriées. C'est le fondement
démocratique et républicain de toute évolution de notre société.
Tel est le sens du dernier attendu de notre amendement, par lequel nous
proposons que soit effectivement organisé un référendum sur les enjeux de la
monnaie unique.
Mme Hélène Luc.
Très bien !
M. le président.
La parole est à M. de La Malène, pour défendre l'amendement n° 1 rectifié.
M. Charles Pasqua.
Excellent amendement !
M. Christian de La Malène.
L'amendement que je soumets au Sénat tend à demander un infléchissement de la
conception de l'euro qui a triomphé jusqu'ici en pratique, et cela sur deux
points.
Tout d'abord, je crois que la Banque centrale européenne ne doit pas avoir
pour objectif principal la seule stabilité des prix. Elle doit aussi avoir pour
objectif la croissance économique et le plein emploi, comme c'est d'ailleurs le
cas de la Réserve fédérale américaine, vous le savez parfaitement, monsieur le
ministre de l'économie.
Ensuite, il me semble que la Banque centrale européenne ne doit pas être « un
empire dans un empire », mais qu'elle doit agir au contraire en fonction des
orientations générales arrêtées par le Conseil de l'Union européenne.
M. Charles Pasqua.
Très bien !
M. Christian de La Malène.
Pourquoi cet amendement ?
En fixant comme objectif principal à la Banque centrale européenne la
stabilité des prix, le traité a semblé faire sienne une conception «
monétariste », selon laquelle une politique monétaire expansive ne peut avoir
d'effet durable sur la croissance et l'emploi. Elle est seulement susceptible
d'alimenter l'inflation.
Faut-il graver dans le marbre cette conception monétariste ? Je ne le crois
pas. Sans entrer dans une vaste controverse théorique, j'observerai que les
Etats-Unis ont échappé à la récession qui a touché l'Europe en pratiquant,
lorsqu'il le fallait, des taux d'intérêt réels très bas, presque nuls. A
l'inverse, selon de nombreux économistes, parmi lesquels beaucoup sont
partisans de la monnaie unique, il se pourrait que de 25 % à 30 % de notre
chômage résultent de la politique monétaire restrictive qui a été menée par la
Banque de France alors que la croissance française était tombée au plus bas.
Cela m'amène à estimer que l'Europe a besoin d'un dispositif plus pragmatique,
moins orthodoxe, qui conduise la Banque centrale européenne à privilégier la
croissance et l'emploi dans la zone euro.
Mais, comme il n'appartient pas à la Banque centrale européenne de définir la
politique économique menée par l'Union et les Etats membres, cela suppose que
son action soit placée au service des orientations générales arrêtées par le
Conseil. Ainsi serait en partie corrigée l'anomalie du statut actuel du système
européen de banques centrales, qui donne aux banquiers centraux un pouvoir
considérable et une irresponsabilité complète. Un tel statut heurte de front le
principe même de la démocratie, qui veut que le pouvoir appelle la
responsabilité.
Je crois qu'il faut démocratiser et donc « politiser » la gestion de la
monnaie unique. Cela me paraît être le seul moyen d'assouplir le système très
rigide qui résultera de l'unification monétaire.
En effet, que va-t-il se passer avec la mise en place de l'euro ? Face à des
écarts importants de compétitivité, ou face à des chocs économiques frappant
certains Etats membres plus que d'autres, l'ajustement ne pourra plus se faire
par les variations du change. Quelles variables d'ajustement subsisteront alors
? Il y aura le niveau des prélèvements obligatoires, le niveau des salaires et
surtout l'emploi.
M. Charles Pasqua.
Et voilà !
M. Christian de La Malène.
En disant cela, je ne joue pas les Cassandre : il suffit de regarder la
situation de l'Allemagne de l'Est, ou celle de l'Italie du Sud, pour constater
quels sont les effets d'une monnaie unique dans une zone où existent des écarts
de compétitivité importants.
On me dira qu'il existe des palliatifs, notamment la mobilité des travailleurs
et les transferts budgétaires. Mais la mobilité des travailleurs en Europe est
entravée par de nombreux motifs qui sont généralement légitimes, car les hommes
et les femmes ne sont pas des pions. Quant aux transferts budgétaires, n'en
exagérons pas l'efficacité : l'Allemagne de l'Est et l'Italie du Sud
bénéficient d'énormes transferts financiers qui, jusqu'à présent, n'ont pas eu
l'effet escompté. A supposer même que ces transferts budgétaires soient plus
utiles que je ne le crois, encore faudrait-il que les Etats les plus prospères
y consentent : or, c'est le contraire que nous observons aujourd'hui de la part
des Etats contributeurs nets.
Ne croyons pas que l'euro va nous apporter une sorte de confort monétaire, en
nous délivrant du risque de change sans rien nous demander en contrepartie. En
réalité, la monnaie unique a des avantages indéniables, mais elle est aussi un
pari difficile, notamment parce que l'optique retenue est très rigide, très
contraignante, qu'elle prive non seulement les Etats membres, mais aussi
l'Union elle-même, du recours à une politique monétaire intelligente.
Je crains qu'une Europe des banquiers centraux ne soit pas une Europe de la
croissance. Je crains même que la reprise en France ne soit contrariée si la
Banque centrale européenne décide d'entrée de jeu de pratiquer des taux
d'intérêt relativement élevés pour asseoir sa crédibilité. Face à cela, je
crois que nous devons affirmer clairement la priorité de la croissance et de
l'emploi, et, pour cela, la primauté du politique et de la démocratie.
(Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Charles Pasqua.
Très bien !
M. le président.
Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s 11 et 1 rectifié ?
M. Alain Lambert,
rapporteur.
La commission a émis un avis défavorable sur l'amendement n°
11, présenté par Mme Beaudeau, et un avis favorable sur l'amendement n° 1
rectifié, défendu par M. de la Malène.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement sur ces deux amendements ?
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
L'amendement n°
11 comporte deux parties différentes.
La première concerne les conséquences de l'euro, les avantages et les
inconvénients que celui-ci risque d'avoir sur le plan social en matière
d'emploi. Je crois que la meilleure réponse a été donnée par M. Angels dans son
intervention tout à l'heure car, en reprenant les mêmes préoccupations que les
vôtres, madame Beaudeau - à savoir l'emploi, la protection sociale et la
volonté de croissance - il en est arrivé à la conclusion que c'est l'euro qui
permettra d'atteindre ces objectifs plutôt que le contraire.
Il s'agit là d'un débat de fond sur la politique qui, certes, reste ouvert,
mais je considère - vous me pardonnerez, madame Beaudeau - que les arguments
avancés par M. Angels sont plus convaincants que ceux que vous avez exposés en
défendant cet amendement !
L'autre partie de l'amendement concerne le référendum sur lequel, madame
Beaudeau, vous connaissez la position du Gouvernement. Je ne puis donc,
évidemment, inviter le Sénat à voter cet amendement puisque la position du
Gouvernement est la suivante : il y a eu un référendum, les Français ont choisi
et il n'y a pas de raison d'y revenir.
L'amendement de M. de La Malène ne me paraît pas mauvais, il me paraît
superflu. L'idée et la lettre consistent à dire qu'il n'y a pas que la
stabilité des prix, mais qu'il y a aussi la croissance économique, un niveau
élevé d'emploi.
Mais qu'est-ce que le traité dit d'autre en son article 105-1 ? « Le SEBC
apporte son soutien aux politiques économiques générales dans la Communauté en
vue de contribuer à la réalisation des objectifs de la Communauté tels qu'ils
sont définis à l'article 2. »
Que dit l'article 2 ? « ...un haut degré de convergence et de performance
économique, un niveau d'emploi et de protection sociale élevé, un relèvement du
niveau et de la qualité de la vie, la cohésion économique et sociale élevé.
»
Le traité prévoit donc déjà que le système européen de banques centrales doit
apporter son soutien à ces objectifs.
Ce n'est pas contradictoire et donc pas gênant, mais c'est superflu. Et comme
je connais le souci de la Haute Assemblée de disposer de textes juridiques
parfaitement ficelés et ne répétant pas deux fois la même chose, je n'invite
pas le Sénat à retenir cet amendement.
M. Lucien Neuwirth.
Si cela va sans dire, cela va mieux en le disant !
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 11.
M. Michel Barnier.
Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président.
La parole est à M. Barnier.
M. Michel Barnier.
On connaît la courtoisie habituelle du ministre de l'économie et des finances
et le ton qui convient ici, dans notre Haute Assemblée, à des débats importants
; mais tout de même, monsieur le ministre, je trouve un peu courte et un peu
anodine la réponse que vous avez faite aux membres du groupe communiste, qui
appartient à votre majorité et à votre Gouvernement.
Je pense que la proposition faite par le groupe communiste, qui appartient à
la majorité, est tout de même beaucoup plus importante et beaucoup plus grave
que ne le laisse croire le ton un peu anodin que vous avez utilisé.
Madame Beaudeau, on peut soit se féliciter du vote émis par les Français au
mois de juin 1997, soit le regretter - dans cet hémicycle, les opinions sont
partagées - mais on ne peut qu'en prendre acte, c'est la démocratie. En tout
cas, un point n'était pas ambigu dans la proposition formulée par le parti
socialiste à l'époque et par celui qui est devenu le Premier ministre : c'était
l'attachement à la construction européenne et au respect des engagements pris
bien avant par le Président de la République en faveur de la création de la
monnaie unique.
Ce qui, en revanche, apparaîtra de plus en plus ambigu, mensonger - j'emploi
ce mot, même s'il est grave, après l'avoir pesé - hypocrite, peut-être, dans
l'attitude du parti communiste et dans celle de la majorité plurielle, c'est
qu'il continue à soutenir ce Gouvernement, voire à y participer - combien de
temps ? Nous le verrons bien ! - sachant pertinemment que le Premier ministre
avait pris cet engagement en faveur de la monnaie unique.
Vous pouvez toujours nous donner des leçons de démocratie et parler des
citoyens, mais je me demande, madame Beaudeau, combien de temps vous allez
tenir dans cette forme d'hypocrisie et de mensonge politique.
M. Claude Estier.
Il n'y a pas d'ambiguïté au RPR ?
M. Michel Barnier.
La différence, monsieur Estier - on peut le regretter, mais il en est ainsi en
ce moment - c'est que vous gérez ensemble la France.
Vous la gérez ensemble - je le répète tranquillement et sérieusement - dans
une sorte de mensonge politique.
Monsieur le ministre, vous serez bien obligé d'indiquer comment vous allez
atteindre l'objectif d'équilibre budgétaire, le déficit descendant
progressivement de 3 % à 2 %, puis de 2 % à 1 % et, enfin, de 1 % à 0 % sans
doute, en 2002. Nous verrons alors si cette ambiguïté, ce mensonge politique
est toujours accepté par les différents groupes de la majorité qui constituent
le Gouvernement.
J'en viens à ma seconde observation. Madame Beaudeau, vous parlez de nouveau,
comme d'autres, de référendum. Vous soutenez que les Français n'ont pas été
consultés sur le passage de la France à la monnaie unique.
Combien de temps vous et quelques autres allez-vous entretenir cette bataille
? Elle a été tranchée de la manière la plus démocratique qui soit par le peuple
français, que cela vous plaise ou non. Les Français sont intelligents,
madame.
M. Emmanuel Hamel.
Ils ont été trompés, mon cher collègue, ils le comprennent maintenant.
M. Michel Barnier.
Ils ont bien compris pour quoi ils ont voté. La question était claire. On a
suffisamment dit que ce traité était compliqué - ce qui est vrai -, parfois
même illisible, mais un point au moins était clair : la monnaie unique. Les
Français ont répondu démocratiquement « oui » à la question posée.
Nous n'avons aucune raison d'y revenir, sauf à remettre en cause, tous les
quatre ou six ans, les décisions prises par le peuple.
Mon opinion personnelle est qu'il n'y aura aucune raison de revenir sur cette
question, même s'il y aura peut-être des raisons de revenir sur d'autres sujets
par référendum.
Tout à l'heure, notre collègue M. Pasqua parlait d'un vote à la sauvette du
traité d'Amsterdam. Je ne sais pas quelle sera la décision prise par le
Président de la République, sur proposition du Premier ministre, à propos du
traité d'Amsterdam mais, mes chers collègues, quand bien même il envisagerait
un vote par le Congrès, ce ne serait pas un vote à la sauvette.
M. Charles Pasqua.
Ce débat, nous l'aurons le moment venu.
M. Michel Barnier.
Nous l'aurons le moment venu, mais vous l'avez ouvert tout à l'heure, monsieur
Pasqua.
M. Charles Pasqua.
J'ai simplement dit quels étaient les risques et les dangers auxquels nous
nous exposions. Mais si vous voulez ouvrir le débat, je suis prêt à y
participer.
M. Michel Barnier.
Non, c'est vous qui l'avez ouvert et je ne trouve pas...
M. le président.
Veuillez conclure, monsieur Barnier, le temps nous est compté.
M. Michel Barnier.
Monsieur le président, je me suis abstenu de prendre la parole tout à l'heure,
il ne me semble donc pas exagéré de dire mon opinion, beaucoup de choses ayant
été dites.
M. le président.
Mais vous avez déjà dépassé de trente secondes votre temps de parole.
M. Michel Barnier.
Alors je vais m'arrêter, monsieur le président, après avoir bien fait
comprendre pourquoi je m'opposais personnellement à l'amendement de Mme
Beaudeau.
J'ajouterai simplement que l'amendement de M. de La Malène me paraît non pas
superflu mais nécessaire et important, dès l'instant où il vient confirmer
l'application du traité dans ses articles 1er et 2.
Monsieur le ministre, permettez-moi d'ajouter encore que, quand Mme Beaudeau
parle des citoyens, elle a raison. Nous avons dit suffisamment qu'on ne leur
parlait pas assez de l'Europe.
J'ai trouvé un peu courte - vous n'aviez sans doute pas le temps de faire
autrement - la réponse que vous avez faite à l'issue du débat, à propos de la
consultation plus normale, plus quotidienne des Français sur les questions
européennes. Il ne s'agit pas seulement de distribuer des brochures sur l'euro
- celles que vous avez distribuées étaient bien faites d'ailleurs - il faut
aussi ouvrir le débat dans l'éducation nationale, dans les programmes
scolaires, créer des bureaux sur l'Europe, développer l'information à propos de
l'Europe dans chaque département.
Je voudrais que vous ne négligiez pas, aux côtés du ministre délégué, M.
Moscovici, qui est, lui aussi, sincèrement engagé dans cette action,
l'information à laquelle ont droit les citoyens français.
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Je demande la
parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Monsieur Barnier,
vous avez commencé votre explication de vote en disant que la courtoisie
présidait généralement aux débats dans cette assemblée - je le reconnais
volontiers - mais il faudrait, dans ce cas, que chacun s'y conforme. Il ne
suffit pas de dire que l'on a pesé ses mots. Lorsque l'on parle de « mensonge
politique », on utilise une expression forte, et je veux espérer que vos propos
ont dépassé votre pensée.
Qui plus est, comme le rappelait M. Estier, en matière de position sur
l'Europe, il me semble que la clarté est bien plus du côté du Gouvernement que
de celui de l'opposition.
En effet, il est clair pour tout le monde, depuis 1992, que nos amis
communistes ont exprimé sur ce problème une position négative. Ils ont
néanmoins décidé de participer à un gouvernement en sachant que ce gouvernement
ferait l'euro et les Français le savaient clairement. On peut dire qu'il y a
une certaine contradiction entre nous sur ce point, c'est évident. Elle a été
dépassée. Les Français le savaient et, dans ces conditions, on ne peut parler
de mensonge politique, monsieur le sénateur.
Le mensonge politique se trouve plutôt dans la position de certains de vos
amis. Je fais allusion à une personne qui, aujourd'hui, occupe une position
importante au RPR, qui était contre le vote en 1992, qui a dit ensuite qu'elle
l'avait accepté et qui, hier, tout à coup, a dit : « Je l'ai accepté, mais
néanmoins je suis de nouveau contre. »
Il y a là quelque ambiguïté, vous le reconnaîtrez.
Si je voulais aller plus loin, mais je m'en abstiendrai, je pourrais déborder
sur d'autres matières que l'euro. En fait, la clarté politique, c'est de se
présenter à des élections en disant avec qui on veut faire alliance, et le
mensonge politique, c'est de se présenter à des élections, fussent-elles
régionales, en nouant des alliances par derrière.
(Protestations sur plusieurs travées du RPR.)
M. Charles Pasqua.
Nous ne sommes pas concernés par cette dernière considération.
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Certes !
Mme Danielle Bidard-Reydet.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à Mme Bidard-Reydet.
Mme Danielle Bidard-Reydet.
Je souhaite tout d'abord répondre en quelques mots à notre collègue M.
Barnier.
Je lui dirai calmement que nous n'avons pas l'habitude de donner de leçon et
que nous éprouvons quelques difficultés à accepter le contenu de son
intervention, notamment les adjectifs qu'il a employés à l'égard de notre
collègue et de l'ensemble du groupe.
Mme Hélène Luc.
Très juste !
Mme Danielle Bidard-Reydet.
Le débat a été, je crois, de haut niveau.
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Oui.
Mme Danielle Bidard-Reydet.
Des conceptions très différentes se sont exprimées, les orateurs et oratrices
ont exposé, les uns et les autres, avec authenticité ce qu'ils pensaient.
Monsieur Barnier, l'avenir tranchera et une certaine prudence s'impose quant à
l'appréciation que nous pouvons porter sur l'avenir de notre société. Donc, de
grâce pas de leçons !
La parité d'une monnaie est-elle un instrument de politique économique ou le
but de cette même politique ? C'est un peu à cette question que nous sommes
confrontés avec la mise en oeuvre de la troisième phase de l'Union économique
et monétaire au travers de la mise en place de l'euro, pour lequel nous avons
rappelé, et nous continuons de rappeler, n'en déplaise à certains, nos
inquiétudes et nous voulons attirer l'attention de nos concitoyens sur la
gravité des conséquences de sa mise en oeuvre.
Je crains fort - mes camarades et collègues également - que les peuples des
différents pays de l'Union européenne n'aient, dans les années à venir, à
supporter, au nom du maintien de la parité de l'euro, des politiques
budgétaires restrictives.
Par cette logique de monnaie forte, on continuera donc à privilégier, d'une
part, la réduction de la dépense publique, d'autre part, la confirmation de
l'ensemble des prélèvements effectués auprès du plus grand nombre de
contribuables possible.
On peut par exemple s'attendre, dans cette logique, à la remise en cause,
notamment au travers des pouvoirs importants conférés au système européen de
banques centrales de toute autre politique que celle consistant à réduire les
dépenses sociales, les dépenses d'investissement de l'Etat et des autres
administrations publiques, ainsi qu'à la pérennisation des prélèvements fiscaux
sur la consommation populaire.
La logique du pacte de stabilité budgétaire de caractère ultralibéral, c'est,
selon notre appréciation, plus d'impôts et moins de redistribution.
Tout cela pour pouvoir, si l'on peut dire, disposer d'une monnaie forte liée
aux marchés financiers internationaux et au développement de la guerre
économique.
La guerre économique ne se gagne pas autrement que dans le cadre du
développement des potentiels de créativité et de croissance que recèle le
travail des salariés, dans les domaines de la production, de la recherche et de
l'innovation.
C'est parce que nous sommes favorables à une autre construction européenne,
s'appuyant sur de véritables coopérations entre les peuples, profitable à tous,
facteur de croissance et d'emplois, oeuvrant pour une meilleure qualité de la
vie, que nous refusons fortement ce raisonnement monétariste et que nous
voterons, bien entendu, l'amendement présenté par Marie-Claude Beaudeau.
M. le président.
Mes chers collègues, je voudrais attirer votre attention sur le fait qu'un
certain nombre d'entre vous souhaitent encore s'exprimer sur les amendements et
que j'ai reçu de nombreuses demandes d'explication de vote sur l'ensemble. Je
souligne qu'à cette heure, si je suspends la séance, nous ne pourrons reprendre
nos travaux qu'à vingt-trois heures.
Si nous poursuivons maintenant jusqu'au terme du débat, j'aimerais que ce soit
d'une manière telle que chacun puisse s'exprimer, mais de façon suffisamment
concise pour que nous puissions en finir dans des délais raisonnables.
M. Charles Pasqua.
Il ne reste que deux amendements !
M. le président.
Monsieur le président de la commission des finances, j'aimerais connaître
votre sentiment sur la suite de nos travaux.
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Monsieur le président, les
indications que vous venez de donner me conduisent tout naturellement à
souhaiter que nous en terminions dès maintenant. Mais pour cela, mes chers
collègues, j'ai besoin de votre compréhension. N'oubliez pas que nos
collaborateurs qui nous aident dans l'accomplissement de notre mission et qui
travaillent depuis ce matin ont droit à quelque repos.
M. Charles Pasqua.
Manifestons notre solidarité aux fonctionnaires !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Je vous remercie mon cher
collègue ! Cette solidarité se manifesterait parfaitement si chacun faisait un
effort de concision dans ses interventions.
(Applaudissements.)
M. le président.
Dans ces conditions, nous poursuivons l'examen des amendements n°s 11 et 12
rectifié.
Nous en étions parvenus aux explications de vote sur l'amendement n° 11.
M. Christian de La Malène.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. de La Malène.
M. Christian de La Malène.
Soyez sans crainte, monsieur le président, je serai extrêmement bref.
Je voudrais faire deux remarques à la suite de l'intervention de M. le
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Qu'il se rassure, je connais le contenu de l'article 105 et de l'article 2 du
traité, mais je sais également quelle est la priorité qui est donnée à la
banque centrale. Personne ne peut le contester.
En réalité, je n'ai pas très bien compris quelle était la position du
Gouvernement.
M. Charles Pasqua.
Il est contre !
M. Christian de La Malène.
Je n'ai pas compris s'il était contre, s'il s'en remettait à la sagesse du
Sénat ou s'il estimait qu'il n'avait aucune importance. Sans doute suis-je un
peu sourd, mais je n'ai rien entendu.
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Je demande la
parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Monsieur de La
Malène, je ne crois pas du tout que vous soyez sourd, mais il n'y a pire sourd
que celui qui ne veut entendre...
Le Gouvernement a dit que cet amendement ne lui convenait pas parce qu'il
était superflu et qu'en conséquence il en demandait le rejet.
M. Christian de La Malène.
Monsieur le président, je le maintiens !
M. le président.
Je considère donc que vous avez expliqué votre vote sur votre amendement n° 1
rectifié.
Mes chers collègues, je vous rappelle que nous sommes en train de discuter de
l'amendement n° 11.
M. Emmanuel Hamel.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Hamel.
M. Emmanuel Hamel.
Cet amendement, je le voterai parce que, ne me sentant aucunement lié par un
souci qui serait d'ordre politicien, je considère qu'il nous commande de
choisir, en tant que Français, entre une attitude de rejet et une attitude
d'acceptation d'un processus qui, à travers l'euro, implique l'abandon de la
souveraineté monétaire de la France et nous conduit à voir disparaître une
partie de nous-mêmes.
Que demande cet amendement ? Il demande un grand débat national. Monsieur
Barnier, vous devriez être content de voir le parti communiste répondre à votre
attente d'un débat national sur ce sujet fondamental !
La France doit-elle cesser d'être elle-même ? Doit-elle renoncer à son
indépendance ?
L'Europe qu'on lui propose doit-elle être celle de l'abandon de sa
souveraineté ou celle de la coopération avec d'autres Etats, mais lui
permettant de rester elle-même ? Voilà un grand débat !
Autre débat : cette politique que l'on va nous imposer ne sera-t-elle pas
fondamentalement - vous le savez, mais vous n'osez l'affirmer ! - une politique
monétariste, inspirée par les marchés financiers, conduite sous la pression de
la finance, et où l'homme sera floué, roué, meurtri ? Je reprends à dessein les
mots d'Aragon, car il y a là une convergence avec le parti communiste.
Nous avons combattu ensemble l'occupation nazie. Aujourd'hui, je me retrouve
avec les communistes pour combattre l'occupation de la France par le dogme
monétariste, dans l'oubli de l'homme et dans l'acceptation de la perte de notre
souveraineté.
Le débat que demande cet amendement, il faudra bien l'entreprendre, monsieur
le ministre. Si modeste que je sois, j'estime, au risque d'y laisser ma peau,
devoir y contribuer parce que j'aime tant la France que je ne veux pas sa
disparition.
Cet amendement demande également que, sur le problème de la monnaie unique, le
peuple soit consulté par voie de référendum.
Monsieur Barnier, vous connaissez l'histoire mieux que moi puisque vous avez
été choisi pour être ministre, alors que, moi, je n'ai jamais été qu'un simple
parlementaire. Mais j'ai réfléchi sur l'histoire ! Notre pays a connu des
rebonds. Après Waterloo, grâce au Congrès de Vienne, nous avons réémergé et
nous avons évité la destruction. Après Sedan, ce furent des décennies de
pensées sur la ligne bleue des Vosges, monsieur Poncelet ! « Pensez-y toujours,
n'en parlez jamais ! » Et puis, il y eut la revanche !
Nous avons subi la défaite, l'Occupation et, après cinq ans de combat, ce fut
encore la résurrection, grâce au général de Gaulle et à tous ceux qui l'avaient
suivi dans la Résistance.
Alors, dans l'histoire d'un peuple, il est des moments où l'on doit faire
appel à lui pour, quand il s'est trompé, lui donner la possibilité de
reconnaître son erreur et de choisir une autre voie, celle de la sagesse, celle
de sa survie. Bien sûr, notre peuple doit s'adapter au monde moderne, mais il
ne saurait le faire au prix de sa propre disparition !
Voilà pourquoi je trouve tout à fait fondé, et historiquement important, qu'on
insiste, au risque de mécontenter le pouvoir, sur le devoir démocratique d'un
appel au peuple pour lui demander si véritablement, sachant ce qu'est le traité
de Maastricht et conscient de ses conséquences, il accepte de demeurer dans cet
engrenage, d'être broyé et de disparaître, ou si, dans un sursaut de sagesse,
il se ressaisit pour redevenir lui-même, prêt à coopérer avec les autres
peuples, mais sans abdiquer sa souveraineté.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 11, repoussé par la commission et par le
Gouvernement.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Mme Hélène Luc.
M. Hamel ne regrettera pas d'avoir voté avec nous !
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 1 rectifié.
M. Jean-Philippe Lachenaud.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Lachenaud.
M. Jean-Philippe Lachenaud.
Je veux seulement indiquer que les sénateurs du groupe des Républicains et
Indépendants voteront l'amendement présenté par le groupe du RPR.
M. Bernard Angels.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Angels.
M. Bernard Angels.
J'ai écouté avec attention les explications de M. de La Malène mais cet
amendement reste, à mes yeux, superflu.
Soit vous faites référence à l'Union économique et monétaire dans son
ensemble, et nous ne pouvons que partager votre souci de voir la croissance et
l'emploi constituer pour elle un objectif général. Mais c'est déjà ce
qu'affirme l'article 105. Dès lors, pourquoi le rappeler puisque le texte de la
résolution rectifiée répond à votre préoccupation ?
Soit vous réécrivez en fait l'article 105 afin que l'objectif de la politique
monétaire soit à la fois la stabilité des prix, la croissance et un niveau
d'emploi élevé. Dans ce cas, vous demandez au Gouvernement d'aller à l'encontre
du traité qui a été accepté par le peuple.
Par ailleurs, dans la deuxième partie de votre amendement, vous indiquez que
le système européen de banques centrales doit remplir ses missions dans le
respect des orientations arrêtées par le Conseil, et cela n'emporte davantage
ma conviction.
Soit vous faites référence aux missions de change. Dans ce cas, vous proposez
aux gouvernements des Etats membres d'appliquer ce qui est prévu dans le traité
: le système européen de banques centrales est bien soumis au Conseil ECOFIN
pour les politiques de change. Il vous faudrait, à tout le moins, rectifier
votre amendement.
Soit, enfin, vous visez la politique monétaire, mais vous remettez alors en
cause l'indépendance du système européen de banques centrales, c'est-à-dire une
des dispositions principales du traité ratifié par les Français. Dans cette
hypothèse, proposer aux gouvernements des Etats membres d'appliquer le traité
de l'Union européenne pour ne pas le respecter est tout à fait inacceptable.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 1 rectifié, repoussé par le Gouvernement.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe du RPR.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président.
Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président.
Voici le résultat du dépouillement du scrutin n°
87:
Nombre de votants | 314 |
Nombre de suffrages exprimés | 298 |
Majorité absolue des suffrages | 150 |
Pour l'adoption | 218 |
Contre | 80 |
Vote sur l'ensemble
M. le président.
Avant de mettre aux voix la proposition de résolution, je donne la parole à M.
Loridant pour explication de vote.
M. Paul Loridant.
Comme le souligne le rapport de la commission des finances, la consultation du
Parlement français avant le passage à l'euro n'a ni la valeur juridique ni
l'importance politique de celle qui aura lieu au Bundestag, à la suite de la
décision du tribunal constitutionnel fédéral de Karlsruhe.
Néanmoins, six ans après la ratification du traité de Maastricht, il était
essentiel de rouvrir un débat aussi capital. Les objections et les critiques
que nous formulions en 1992, nous les renouvelons ici, ce soir, car elles
restent pleinement fondées.
Malgré des tentatives méritoires de rééquilibrage de la construction
européenne, l'Europe de Maastricht, au fédéralisme rampant, dominée par la
toute-puissance des banquiers centraux et par les marchés, menace notre
équilibre social et national et tourne le dos à une construction plus réaliste
de l'Europe, la confédération.
L'euro est porteur de tensions sociales et nationales.
Comme ma collègue Hélène Luc, je suis loin de partager le satisfecit et
l'optimisme du rapporteur. La réflexion économique et sociale ne se réduit pas
à une série de tableaux et de courbes monétaires : elle doit d'abord
s'imprégner du réel, du vécu de nos concitoyens. Aussi, je me vois mal aller
expliquer à nos concitoyens des campagnes et des banlieues qui souffrent du
développement du chômage, de l'exclusion, des inégalités, de l'absence de
perspectives, que la convergence des économies européennes est un succès.
Ce que M. Lambert a soigneusement omis d'évaluer dans son rapport, c'est le
coût économique et social de cette convergence, les conséquences des critères
de Maastricht, le résultat des années de rigueur et de monétarisme.
L'approfondissement de la crise partout en Europe, y compris dans la vertueuse
Allemagne, a apporté un tragique démenti aux professions de foi des tenants de
Maastricht.
Les peuples, tenus à dessein dans l'ignorance des enjeux réels de ce traité,
attendent encore les millions d'emplois promis.
Je maintiens que nous opposer la ratification du traité de Maastricht en
septembre 1992 pour clore définitivement le débat sur la construction
européenne n'est pas très sérieux, surtout si l'on se souvient des conditions
dans lesquelles ce petit « oui » a été arraché aux Français.
Je n'ai malheureusement pas le temps de revenir sur ce point mais je vous
renvoie à l'excellent livre d'André Halimi :
Les Nouveaux Chiens de
garde.
Le débat, posé dans des termes caricaturaux, biaisé par une surmédiatisation
des partisans du oui, n'a été ni à la hauteur de l'enjeu ni respectueux des
citoyens.
Aujourd'hui, les Français sont plus que sceptiques sur les bienfaits de l'euro
; au mieux ils y adhèrent par une espèce de fatalisme. Ils risquent demain,
avec l'instauration concrète de l'euro, de connaître un réveil difficile.
Dans une étude récente, M. Patrick Artus souligne les conséquences sociales et
fiscales de la mise en place de l'euro avec une banque centrale
indépendante.
Il relève que, dans un régime de taux de change flexibles, contenir les
salaires et la protection sociale ou réduire la fiscalité n'est pas
nécessairement opérant pour les entreprises puisque les variations des parités
monétaires peuvent annuler l'impact de ces mesures. En revanche, avec une zone
euro placée sous la coupe de banquiers centraux, les pays n'auront plus la
possibilité d'amortir les chocs par une politique contra-cyclique ou en
agissant sur la monnaie ou les taux d'intérêt. La seule véritable variable
d'ajustement restant à la disposition des entreprises, ce sera les salaires et,
pour les Etats, ce sera la fiscalité.
Dans un environnement de liberté totale de circulation des capitaux et
d'arbitrages instantanés, une concurrence brutale opposera les entreprises et
les pays. L'Europe sociale n'existant pas, il ne faudra pas attendre longtemps
avant de voir le chômage flamber en même temps que la Bourse. Telle est la
logique dans laquelle nous entraîne l'euro.
Nos arguments contre la monnaie unique sont fondés et ne relèvent pas d'une
hystérie contre l'Europe ou d'un comportement irrationnel. Sans projet
politique consistant, sans de grandes initiatives de croissance capables de
relancer les économies et de lutter contre le chômage, sans Europe sociale,
vous ne trouverez pas, mes chers collègues, le soutien des peuples
européens.
Il est, au contraire, fort à craindre, que toutes ces désillusions, que ne
manquera pas de développer une construction strictement monétaire de l'Europe,
ne provoquent une aversion à l'égard de l'Europe et n'alimentent un discours de
repli pour le coup nationaliste et vraiment réactionnaire.
Nous donnons acte au Gouvernement de sa volonté de réorienter une construction
européenne déséquilibrée, essentiellement d'essence libérale et technocratique.
Mais, pour le parti communiste français et pour le Mouvement des citoyens, le
compte n'y est pas.
J'ai eu l'occasion hier soir, lors de la discussion générale du projet de loi
réformant le statut de la Banque de France, d'aborder ce point. On estime
inutile de consulter à nouveau les citoyens sur l'euro, en dépit du pacte de
stabilité et du traité d'Amsterdam. Dont acte !
Mais alors nous serons, qu'on le veuille ou non, contraints, de remettre
l'ouvrage sur le métier et de repenser l'architecture de la construction
européenne sous la pression de la question sociale.
Il faut repenser la construction européenne.
On a souvent tendance à caricaturer les propos des adversaires de l'euro en
les qualifiant d'anti-européens pour mieux dénigrer toutes leurs propositions
alternatives.
Le fédéralisme qu'induit l'euro ne recueille pas notre assentiment car la
nation européenne n'existe pas. On peut le regretter, mais c'est une réalité :
les nations demeurent encore le cadre dans lequel s'organise et se développe le
débat démocratique.
C'est donc à partir de ce constat qu'il faut repenser les institutions
européennes en privilégiant l'idée de confédération, de l'Atlantique à la
Russie, ouverte sur le Sud, stimulée par des politiques communes.
Une telle conception serait plus réaliste et conforme aux intérêts et à la
vocation océanique, continentale et méditerranéenne de la France.
L'urgence, je le répète, consiste à mettre en avant une construction
européenne large préservant les souverainetés nationales, et focalisée sur la
question sociale, quitte à revoir la copie de Maastricht et à repousser
l'échéance de la monnaie unique. L'urgence ne consiste pas à nous enfermer dans
le donjon monétaire et libéral de l'euro en contradiction avec ce qu'est la
France et la diversité de l'Europe.
C'est pourquoi le groupe communiste républicain et citoyen votera contre la
proposition de résolution sur laquelle il demande un scrutin public.
Mme Hélène Luc.
Très bien !
M. le président.
La parole est à M. Angels.
M. Bernard Angels.
Le groupe socialiste avait déposé une proposition de résolution qui exprimait
l'ensemble des principes qui doivent guider, selon nous, la mise en place de la
monnaie unique et le renforcement de la construction européenne dans le sens
d'une Union plus politique, plus sociale et plus proche de ses citoyens.
Nous avions déposé des amendements reprenant les principaux éléments de cette
résolution. Certains principes ont été repris par la délégation du Sénat pour
l'Union européenne, d'autres par la commission des finances.
Même si le texte de la commission des finances comporte encore des nuances
d'appréciation, nous estimons, aujourd'hui, que ce qui prime, c'est d'exprimer
la volonté de la France d'entrer avec vigueur dans l'euro.
C'est pourquoi nous avons retiré nos amendements et nous voterons la
résolution de la commission des finances, bien que nous regrettions l'adoption
de l'amendement n° 1 rectifié présenté par M. de la Malène, mais je n'y
reviendrai pas.
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Il est voté !
M. Bernard Angels.
Mes chers collègues, aujourd'hui, l'heure n'est plus aux hésitations et aux
remises en cause à propos de la monnaie unique. L'euro sera la monnaie de
l'Europe et de la France le 1er janvier 1999 et celle des Français le 1er
juillet 2002.
L'important, aujourd'hui, nous semble-t-il, est de montrer la volonté de la
France d'aborder, en tête, cette étape historique de la construction
européenne.
Il n'est donc plus temps de regarder derrière, il nous faut réfléchir ensemble
à ce que sera cette nouvelle « Europe avec l'euro ».
Nous sommes conscients que l'euro nous impose de nouveaux débats sur sa
gestion partagée. Je pense, en particulier, à cette priorité que doit être
l'emploi dans toutes les politiques européennes.
M. Christian de La Malène.
Vous n'avez pas fini d'en baver !
M. Bernard Angels.
Je pense également à la nécessité de travailler désormais à une harmonisation
sociale et fiscale, qui, bien sûr, dans notre esprit, ne peut se faire que par
le haut, dans le sens d'une plus grande solidarité et d'une meilleure cohésion
sociale, dans le sens de la préservation et du développement de notre modèle
social.
Je pense, enfin, à l'exigence d'une plus grande coordination des politiques
économiques, à un meilleur contrôle démocratique du pôle monétaire de la
monnaie unique, ce qui implique un gouvernement économique fort.
Le Gouvernement français a déjà obtenu des premiers résultats. Le
rééquilibrage de la construction européenne est engagé. Le groupe socialiste du
Sénat fait confiance au Gouvernement pour qu'il poursuive ses efforts dans ce
sens.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Lachenaud.
M. Jean-Philippe Lachenaud.
Au terme de ce débat, nous avons donc un ensemble cohérent : d'une part, le
texte rénové, européanisé, relatif au statut de la Banque de France, qui a été
adopté cet après-midi même en commission mixte paritaire, et, d'autre part, la
résolution sur la mise en place de l'euro.
Nous apportons notre soutien à cette résolution équilibrée, qui a été modifiée
par l'amendement n° 1 rectifié, présenté par M. Christian de La Malène, et qui
affirme la volonté de mettre en place l'euro de manière contrôlée et volontaire
en prenant toutes les dispositions nécessaires pour mettre la politique
monétaire au service du bien-être, de la croissance et de l'emploi.
Monsieur le ministre, vous avez estimé que certaines déclarations de M.
Fourcade, qui est intervenu au nom du groupe des Républicains et Indépendants,
du président de la commission des finances ou de M. le rapporteur étaient des
piques à votre égard. Non, monsieur le ministre, ce n'en sont pas. Les propos
qu'ils ont tenus traduisent en fait une conviction forte et la volonté d'être
vigilant.
Ils reprennent également les mises en garde solennelles que nous avons déjà
formulées l'année dernière lors de l'examen du projet de loi de finances et que
nous réitérerons lors de la discussion du projet de loi portant diverses
dispositions d'ordre économique et financier, ainsi que lors de la discussion
du projet de loi de finances pour 1999.
Si nous avons exprimé ces mises en garde, c'est parce que nous voulons réussir
l'euro. Nous abordons un défi difficile. Nous voulons que la France soit
exemplaire...
M. Claude Estier.
Nous aussi !
M. Jean-Philippe Lachenaud.
... non seulement au regard des critères de convergence mais aussi en termes
d'endettement et de niveau de la dépense publique.
Nous voulons aussi que la France soit le moteur de la mise en place de l'euro.
Tout au long des débats, notre vision des choses a été caricaturée. La Banque
centrale et les responsables de la majorité sénatoriale ont été présentés comme
les tenants d'une politique exclusivement monétariste. Mais telle n'est pas
notre vision des choses. Nous sommes pour une croissance durable et créatrice
d'emplois.
Le Gouvernement dispose encore, et heureusement, d'instruments importants de
la politique économique ; il doit les utiliser dans ce sens pour que la mise en
place de l'euro soit une véritable réussite.
(Applaudissements sur les
travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union
centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Pasqua.
M. Charles Pasqua.
Depuis quarante-huit heures, s'est engagé dans cette enceinte, un débat sur
l'Europe au travers de la modification des statuts de la Banque de France,
d'une part, et de la proposition de résolution qui nous est présentée ce soir,
d'autre part. Il s'agit en réalité d'une autre vision globale de l'Europe sur
laquelle nous avons commencé à débattre ; je dis bien « commencé » car le débat
qui s'est engagé ici hier ne s'arrêtera pas avant au moins un an. Nous aurons
d'autres occasions d'expliquer notre vision des choses.
Nous aurons une révision constitutionnelle qui est rendue nécessaire par la
ratification du traité d'Amsterdam, par lequel nous abandonnerons à nouveau une
part de notre souveraineté. Puis, nous aurons les élections européennes. Quel
que soit le mode de désignation choisi, le débat de fond doit avoir lieu et il
aura lieu.
J'estime que le débat, tel qu'il s'est déroulé dans notre enceinte, a été d'un
très haut niveau. Les arguments qui ont été échangés, même s'ils font
apparaître entre nous certaines divergences ...
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
C'est nécessaire en démocratie
!
M. Charles Pasqua.
... auront en tout cas fait ressortir notre ambition commune et notre
attachement à la France, quelle que soit la démarche que nous choisissons.
Aussi, tout en reconnaissant que l'amendement n° 1 rectifié présenté par notre
collègue et ami Christian de La Malène a le mérite d'apporter des précisions,
je ne voterai pas cette proposition de résolution, ce qui n'étonnera
personne.
En fait, comme un certain nombre d'entre nous l'ont souligné, nous nous
inquiétons de l'absence de contrepoids politique et nous éprouvons quelques
craintes à l'égard de l'objectif prioritaire assigné à la Banque centrale
européenne par le traité. Je ne suis pas en train de prêcher pour le
monétarisme ; je ne crois pas que ce reproche puisse m'être adressé. Je suis,
au contraire, préoccupé de voir que l'Europe qui se met en place ne va pas dans
le sens que nous souhaitons, c'est-à-dire dans celui de l'intérêt des peuples
qui la composent.
Je reconnais que l'amendement n° 1 rectifié de notre collègue Christian de La
Malène a le mérite d'apporter certaines clarifications et d'inciter le
Gouvernement, par exemple, à faire en sorte que le Conseil de l'euro soit plus
vigilant. Je ne veux pas être désagréable envers le Gouvernement mais je ne le
surprendrai pas en lui disant que je ne lui fais pas confiance. C'est la raison
pour laquelle, avec regret mais sans aucune hésitation, je ne voterai pas la
résolution.
M. le président.
La parole est à M. Genton.
M. Jacques Genton,
au nom de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
Je souhaite
demander à M. le rapporteur de bien vouloir me confirmer que l'amendement A
après le cinquième alinéa, l'amendement B, tendant à compléter le neuvième
alinéa, et l'amendement C, après le treizième alinéa, sont bien intégrés dans
le texte final que nous allons voter.
Si la réponse est favorable, je voterai bien évidemment la résolution qui est
proche du texte de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
M. Alain Lambert,
rapporteur.
La réponse est positive.
M. le président.
Je crois pouvoir vous rassurer, mon cher collègue, car la lecture attentive du
texte de la résolution rectifiée montre bien que ces amendements ont été
intégrés.
M. Jacques Genton,
au nom de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
Je suis content
de l'avoir entendu dire.
M. le président.
La parole est à M. Neuwirth.
M. Lucien Neuwirth.
Depuis deux jours, nous participons à des débats d'une très grande qualité.
Les interventions des différents orateurs, quelles que soient les travées sur
lesquelles ils siègent, ont témoigné d'une réelle profondeur. Au moment où le
Sénat est mis en cause d'une façon que je qualifierai d'immodérée, la
démonstration est faite de la qualité du travail accompli par notre assemblée
s'agissant d'un sujet particulièrement sensible pour les Français.
M. Philippe de Gaulle.
Très bien !
M. Lucien Neuwirth.
Comme plusieurs orateurs l'ont indiqué, notamment M. Charles Pasqua, nous
aimons tous profondément notre pays.
C'est la raison pour laquelle, après le vote émis sur l'amendement n° 1
rectifié, après les déclarations du Président de la République à propos de la
nécessité d'une Europe des nations que nous avons, pour notre part, toujours
voulue et toujours souhaitée, la partie la plus importante du groupe du RPR
votera la résolution telle qu'elle a été amendée par notre collègue M. de La
Malène.
Je veux en profiter pour remercier les différents présidents de séance : ils
ont en effet permis à ce débat de se dérouler dans d'excellentes conditions,
nous permettant de disposer du temps d'expression et de parole nécessaire pour
aller au fond des choses. Enfin, je tiens également à féliciter la commission
des finances pour la qualité de son travail.
(Applaudissements sur les
travées du RPR.)
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Merci !
M. le président.
La parole est à M. de Villepin.
M. Xavier de Villepin.
Le groupe de l'Union centriste a toujours été favorable à la réalisation de la
monnaie unique, aboutissement logique du grand marché que la France a construit
depuis de nombreuses années.
Je tiens à indiquer, après Lucien Neuwirth, que nous avons beaucoup apprécié
la qualité du débat et que nous éprouvons le plus profond respect pour toutes
les idées qui ont été émises ce soir.
(Très bien ! et applaudissements sur
les travées de l'Union centriste et du RPR.)
M. le président.
La parole est à M. Habert.
M. Jacques Habert.
Les sénateurs non inscrits, à une exception près, voteront la résolution de la
commission des finances, avec l'impression que nous sommes arrivés à un grand
moment de notre vie publique : nous assistons en effet à la constitution d'un
empire qui, peut-être pour la première fois dans l'histoire, s'est fait non par
la voie des armes, mais par la libre volonté des hommes.
(Très bien ! et
applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix la proposition de résolution.
Je suis saisi de deux demandes de scrutin public émanant, l'une, du groupe
socialiste, l'autre, du groupe communiste républicain et citoyen.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président.
Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président.
Voici le résultat du dépouillement du scrutin n°
88:
Nombre de votants | 316 |
Nombre de suffrages exprimés | 312 |
Majorité absolue des suffrages | 157 |
Pour l'adoption | 281 |
Contre | 31 |
6
DÉCE`S D'UN ANCIEN SÉNATEUR
M. le président. J'ai le regret de vous faire part du décès de notre ancien collègue Jacques Moutet, qui fut sénateur des Pyrénées-Atlantiques de 1980 à 1992.
7
DÉPO^T D'UNE PROPOSITION DE LOI
M. le président.
J'ai reçu de Mme Marie-Claude Beaudeau, M. Jean-Luc Bécart, Mmes Danielle
Bidard-Reydet, Nicole Borvo, MM. Jean Dérian, Michel Duffour, Guy Fischer,
Pierre Lefebvre, Paul Loridant, Mme Hélène Luc, MM. Louis Minetti, Robert
Pagès, Jack Ralite, Ivan Renar et Mme Odette Terrade une proposition de loi
pour l'interdiction de la fabrication, du stockage, de la commercialisation et
de l'utilisation des mines antipersonnel.
La proposition de loi sera imprimée sous le numéro 403, distribuée et renvoyée
à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées,
sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les
conditions prévues par le règlement.
8
DÉPO^T D'UNE RÉSOLUTION RECTIFIÉE
M. le président.
J'ai reçu, en application de l'article 73
bis
, alinéa 8, du règlement,
une résolution rectifiée, adoptée par la commission des finances, du contrôle
budgétaire et des comptes économiques de la nation, sur la recommandation au
Conseil relative au rapport sur l'état de la convergence et à la recommandation
associée en vue du passage à la troisième phase de l'Union économique et
monétaire (n° E-1045).
Cette résolution rectifiée sera imprimée sous le numéro 401 et distribuée.
9
DÉPO^T D'UNE PROPOSITION
D'ACTE COMMUNAUTAIRE
M. le président.
J'ai reçu de M. le Premier ministre la proposition d'acte communautaire
suivante, soumise au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article
88-4 de la Constitution :
- proposition de décision du Conseil portant attribution d'une aide financière
exceptionnelle à l'Azerbaïdjan.
Cette proposition d'acte communautaire sera imprimée sous le numéro E-1059 et
distribuée.
10
DÉPÔT D'UN RAPPORT
M. le président.
J'ai reçu de M. Alain Lambert, rapporteur pour le Sénat, un rapport fait au
nom de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les
dispositions restant en discussion du projet de loi modifiant le statut de la
Banque de France en vue de sa participation au Système européen de banques
centrales.
Le rapport sera imprimé sous le numéro 402 et distribué.
11
ORDRE DU JOUR
M. le président.
Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment
fixée au mardi 28 avril 1998 :
A neuf heures trente :
1. Questions orales sans débat suivantes :
I. - M. Georges Mouly attire l'attention de Mme le ministre de l'emploi et de
la solidarité sur le problème posé par la situation des employeurs publics à
l'égard de l'assurance chômage pour les salariés relevant du dispositif
emplois-jeunes.
La loi n° 97-940 du 16 octobre 1997 prévoit en effet que les établissements
publics administrés par l'Etat pourront adhérer à l'assurance chômage pour les
personnes recrutées en emplois-jeunes, dès que la convention régissant ce
dispositif sera conclue entre l'Etat et l'UNEDIC.
La loi en revanche n'a pas prévu cette possibilité pour les autres personnes
morales de droit public, à savoir les collectivités locales, pour les mêmes
emplois. En conséquence, celles-ci doivent, soit s'auto-assurer, soit adhérer à
l'assurance chômage pour l'ensemble de leurs agents, ce qui pose d'importants
problèmes auxquels il convient de trouver une solution dès maintenant pour ne
pas en rencontrer de bien plus importants dans cinq ans.
Voilà pourquoi il lui demande ce qu'elle compte entreprendre pour régler au
mieux ce problème, qui commence à inquiéter non seulement les employeurs, mais
aussi les employés eux-mêmes, c'est-à-dire les bénéficiaires de contrats
emplois-jeunes. (N° 216.)
II. - M. Daniel Eckenspieller attire l'attention de Mme le ministre de
l'emploi et de la solidarité sur les problèmes rencontrés par les aéro-clubs du
fait de la modification de la codification du taux des cotisations d'accident
du travail.
La plupart de ces associations étaient affectées, jusque-là, au régime 80.4 AA
« Ecole de conduite » au taux de 1,9 %. En 1997, une reclassification de leurs
activités par la Caisse nationale d'assurance maladie en « sports aéronautiques
» au régime 92.6 CB a porté le taux de leurs cotisations « accident du travail
» à 22,30 %.
C'est la raison pour laquelle il lui demande d'intervenir auprès de l'instance
concernée, afin qu'elle accepte de reclasser, au regard du taux de cotisation «
accident du travail », l'ensemble des associations aéronautiques, comme elles
l'étaient précédemment, à savoir comme « école de conduite ». Il lui demande,
par ailleurs, de bien vouloir lui indiquer quelles sont ses intentions à cet
égard. (N° 235.)
III. - M. Gérard César attire l'attention de Mme le ministre de l'emploi et de
la solidarité sur les réactions de nombreux maires de son département
concernant le versement des indemnités de chômage relatives aux
emplois-jeunes.
En effet, ce dispositif n'a pas été prévu et l'Union nationale pour l'emploi
dans l'industrie, le commerce et l'agriculture, l'UNEDIC, refuse aux communes
l'affiliation des contrats du programme « Nouveaux emplois - nouveaux services
».
Aussi, il souhaiterait connaître les dispositions envisagées par le
Gouvernement. (N° 237.)
IV. - M. Jacques Oudin appelle l'attention de Mme le ministre de l'emploi et
de la solidarité sur l'urgence de certaines décisions relatives à la réforme en
cours de la sécurité sociale.
En ce qui concerne la branche vieillesse, il est indispensable de compléter
les mesures d'ajustement qui ont été prises en 1993 pour le régime général de
retraite et de prendre enfin des mesures comparables pour les régimes spéciaux
de retraite. A elle seule, la gravité de la situation financière de la Caisse
nationale de retraite des agents des collectivités locales, la CNRACL, justifie
des mesures immédiates.
En ce qui concerne la branche famille, il est indispensable de clarifier les
charges financières imputées à la Caisse nationale des allocations familiales,
la CNAF. Il est également urgent de faire savoir aux Français si l'actuelle
majorité a l'intention de pérenniser la mise sous condition de ressources des
allocations familiales. Cette mesure votée l'an dernier, à titre provisoire
selon la déclaration d'intention du Gouvernement, est en effet manifestement
contraire aux principes d'universalité et de solidarité fondateurs de la
sécurité sociale.
En ce qui concerne la branche maladie, il est urgent de mettre à jour la
nomenclature des actes professionnels, de publier le règlement conventionnel
minimal des médecins, d'adresser des directives claires aux directeurs des
agences régionales de l'hospitalisation et de donner à l'Agence nationale
d'évaluation et d'accréditation en santé, l'ANAES, les moyens de ses
missions.
Chacun des neuf points précédents est particulièrement urgent et nécessite une
prise de position dépourvue d'ambiguïté de la part du Gouvernement. C'est
pourquoi il lui serait reconnaissant de bien vouloir éclairer le Sénat sur ces
sujets qui intéressent très directement tous les Français. (N° 242.)
V. - M. Alain Vasselle appelle l'attention de M. le secrétaire d'Etat à la
santé sur la nécessité d'améliorer la prise en charge des personnes atteintes
de démence sénile et, en particulier, de la maladie d'Alzheimer. Pour
l'essentiel, c'est actuellement sur la famille et l'entourage que repose la
prise en charge du malade dont l'état se dégrade progressivement et
inexorablement. Une politique de prise en charge efficace et ambitieuse de la
maladie d'Alzheimer passe par des actions multiples en vue d'améliorer la
connaissance de ces maladies et la qualité de vie des malades et de leur
entourage.
Or, à ce jour, la maladie d'Alzheimer ne figure pas, en tant que telle, parmi
les trente maladies « comportant un traitement prolongé et une thérapeutique
particulièrement coûteuse », répertoriées par l'article D. 332-1 du code de la
sécurité sociale, alors qu'une affection comme la maladie de Parkinson en fait
partie. Même si une telle reconnaissance est de la compétence du pouvoir
réglementaire, il ne peut que l'inviter fortement à l'accomplir, dans la mesure
où cela constituera un signal fort pour la prise de conscience des conséquences
douloureuses de cette maladie sans coût pour la collectivité. Cette mesure
permettra de prendre en compte cet enjeu de santé publique et de politique
sociale que sont la maladie d'Alzheimer et les démences séniles en général, et
d'améliorer la qualité de prise en charge des personnes qui en sont
atteintes.
C'est pourquoi il lui demande de lui préciser quelles actions il entend
engager afin de faire face aux conséquences particulièrement pénibles de cette
« épidémie silencieuse ». (N° 228.)
VI. - M. François Lesein appelle l'attention de Mme le ministre de la culture
et de la communication sur la nature des suites qu'il convient de donner à la
divergence des opinions exprimées par M. le Président de la République et la
Commission européenne en matière de taxe sur la valeur ajoutée sur les produits
multimédias.
Il est aujourd'hui patent de constater que nombre de ces produits, notamment
les CD-ROM, poursuivent, dans le domaine de l'éducation, par exemple, des
objectifs similaires à ceux du livre pour lequel le taux de TVA est réduit.
De plus, on ne saurait considérer l'approche de la culture uniquement par le
biais de la littérature. Il convient bien au contraire d'encourager la
diffusion des autres modes d'expression culturelle qui, à l'instar de la
peinture, de la musique ou du cinéma, sont accessibles au plus grand nombre,
essentiellement grâce à l'essor des CD-ROM, des disques compacts ou des
vidéocassettes.
Aussi, il lui demande quels aménagements pourraient être opérés afin que le
souhait du Président de la République, partagé par l'ensemble des Français,
puisse être exaucé. (N° 114.)
VII. - M. Jean-Marie Poirier appelle l'attention de M. le ministre de
l'équipement, des transports et du logement sur le problème des nuisances
sonores causées par les actuelles conditions de fonctionnement de l'aéroport
d'Orly.
Les relevés très sérieux effectués par une association locale regroupant sept
communes voisines de l'aéroport, à partir du système SONATE, sur une période de
cinq mois en 1997, font apparaître la fréquence des infractions aux procédures
prévues par le code d'exploitation d'Orly.
Les constats effectués établissent à l'évidence que nombre d'aéronefs quittent
prématurément la zone de navigation obligatoire après le décollage d'Orly et
accélèrent abusivement leur descente lors des atterrissages. Trop d'appareils
anciens et bruyants continuent de circuler. Et le régime de couvre-feu
applicable entre vingt-trois heures trente et six heures fait l'objet de
nombreuses dérogations.
Par ailleurs, sur le plan normatif, il n'y a pas de correspondance exacte
entre le découpage du plan de gêne sonore, le PGS, et la zone de navigation
obligatoire, la ZNO. Un aéronef peut simultanément respecter la réglementation
de circulation en se conformant à la ZNO et enfreindre celle de l'exposition au
bruit en sortant de la zone du PGS.
Face à ces nuisances, il faut ici souligner l'exaspération des populations,
qui ont de plus le sentiment que le dialogue environnemental est en panne et
que les pouvoirs publics sont impuissants, voire négligents.
Il souhaite savoir si l'administration a procédé à des contrôles, si le décret
du 27 mai 1997 instituant des sanctions administratives pour la protection de
l'environnement des aérodromes est appliqué et si des sanctions ont été
prononcées.
Il souhaite, par ailleurs, connaître les mesures que le ministère compte
prendre pour faire respecter la réglementation et, plus précisément, s'il est
favorable au maintien de la fréquentation à 250 000 créneaux horaires, au
maintien du couvre-feu dans les horaires actuels et à une éventuelle révision
du plan de gêne sonore qui couvre la zone d'Orly. (N° 209.)
VIII. - A la suite des déclarations de M. le ministre de l'équipement, des
transports et du logement visant « à une meilleure répartition des trafics
aériens entre Orly et Roissy », Mme Marie-Claude Beaudeau lui demande de lui
faire connaître la nature, la programmation d'une telle répartition et s'il
n'estime pas qu'elle puisse compromettre à terme l'environnement, la qualité de
vie dans la région de Roissy-en-France et de l'emploi dans la région d'Orly.
(N° 226.)
IX. - M. Germain Authié rappelle à M. le ministre de l'équipement, des
transports et du logement que la transformation en autoroute de la RN 20 entre
Paris et Toulouse va être prochainement achevée.
Au sud de Toulouse, en direction de l'Espagne et de l'Andorre, les travaux
sont programmés jusqu'à Foix. La mise à deux fois deux voies de la RN 20 doit
être poursuivie vers le Sud, entre Tarascon-sur-Ariège et Ax-les-Thermes.
L'ouverture récente du tunnel du Puymorens, l'accroissement des échanges entre
la France, l'Espagne et l'Andorre rendent indispensable dans les plus brefs
délais cette mise à deux fois deux voies dans la vallée de la haute Ariège.
Un flux de véhicules, et notamment de poids lourds, en constante progression,
emprunte cet itinéraire et traverse chaque jour les bourgs et les villages de
montagne dans la vallée sinueuse et encaissée de la rivière Ariège. La
population de cette zone et les élus constatent les multiples accidents de
circulation et redoutent chaque jour davantage que ne se produise une
catastrophe comme celle qui est survenue en Andorre.
Il lui indique que les services de la direction départementale de l'équipement
ont établi depuis plusieurs années un projet de mise à deux fois deux voies de
la RN 20 dans le secteur concerné. Ce projet a recueilli à deux reprises au
moins un accord global des élus et des milieux socio-économiques.
Il semble cependant que ce projet fasse l'objet de multiples allers et retours
entre Paris et la préfecture de l'Ariège et que, de ce fait, la procédure de
mise en oeuvre ne puisse toujours pas être lancée.
Il lui demande de bien vouloir lui faire connaître à quelle date M. le préfet
de l'Ariège sera autorisé à lancer la procédure d'enquête publique concernant
la mise à deux fois deux voies de la RN 20 entre Tarascon-sur-Ariège et
Ax-les-Thermes et à quel moment les travaux pourront alors être entrepris. (N°
230.)
X. - M. Jean Bizet attire l'attention de M. le ministre de la fonction
publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation sur la décision
prise récemment par le Gouvernement de revaloriser de 2,6 % sur les deux
prochaines années le traitement des fonctionnaires.
Cette décision, lourde de conséquences pour le budget de l'Etat, semble faire
abstraction de l'augmentation du pouvoir d'achat des salariés de la fonction
publique de 11,1 % ces cinq dernières années quand, dans le même temps, ce
pouvoir d'achat ne progressait que de 6,3 % pour les salariés du secteur
privé.
Cette décision, avec 5,5 millions de fonctionnaires, alourdira ainsi les
dépenses publiques de plus de 15 milliards de francs.
Cette décision, s'ajoutant à la récente création des emplois-jeunes, qui
constitueront à terme et pour la plupart d'entre eux autant d'emplois publics
supplémentaires, fera de notre pays le leader incontesté des pays créateurs
d'emplois publics avec 1,6 million de postes créés depuis 1979 pendant que 600
000 emplois privés étaient détruits.
Cette décision, s'intégrant selon toute vraisemblance et dans un proche avenir
à la politique de réduction du temps de travail imposée par le Gouvernement, on
comprendrait mal, en effet, que l'Etat ne donne pas l'exemple et exclue dans
cette mesure 25 % des actifs de ce pays ; peut-on alors imaginer que
l'application de cette politique nécessitera la création de nouveaux emplois...
publics ?
En clair, il lui demande pourquoi cette augmentation et comment elle sera
financée : par emprunt ou par accroissement de la fiscalité ?
Entre rigueur budgétaire et augmentation de la dépense publique, où se trouve,
en cette affaire, la cohérence gouvernementale ? (N° 222.)
XI. - M. Franck Sérusclat souhaite interroger M. le ministre de l'éducation
nationale, de la recherche et de la technologie sur la question des
remplacements des enseignants absents, dans l'enseignement scolaire, en
particulier en regard de la situation existant dans l'académie Rhône-Alpes.
Face à la question de l'absentéisme des enseignants, largement évoquée, des
élèves se trouvent privés de professeurs. Ceux-ci doivent donc être
remplacés.
Cependant, les conditions actuelles de remplacement ne sont pas
satisfaisantes, en particulier dans l'académie Rhône-Alpes. Voici des exemples
de ce dysfonctionnement : enseignements non assurés dans certaines matières,
lenteur extrême du remplacement d'un professeur de français dans un collège
situé dans une zone classée sensible.
Dans cette académie, les titulaires remplaçants représentent moins de 1 % du
total des enseignants et le nombre des maîtres auxiliaires disponibles diminue
du fait de leur intégration par concours.
En conséquence, le rectorat fait appel à des vacataires pour assurer les
remplacements, donc à des personnels dans une situation très précaire et ne
pouvant pas assurer une continuité pédagogique. Le remplacement est alors
fragmenté, ou plusieurs vacataires sont embauchés successivement.
De plus, la situation ne semble pas en mesure d'être améliorée l'année
prochaine, le nombre de postes mis au concours diminuant pour la troisième
année consécutive et aucun poste de titulaire-remplaçant n'étant prévu.
Il souhaiterait connaître ses intentions en la matière, sa volonté de lutter
contre la précarité des vacataires, ainsi que les moyens avec lesquels il
entend assurer les remplacements des personnels titulaires et qualifiés, dans
un souci du service public. (N° 225.)
XII. - M. Jean-Louis Lorrain appelle l'attention de Mme le ministre délégué
chargé de l'enseignement scolaire sur les études des latinistes, dans la
filière des lettres classiques. La trilogie français, latin et grec a toujours
constitué une grande tradition de la culture française et un élément non
négligeable d'unité de la culture européenne.
Or une décision récente allant à l'encontre des dispositions antérieures,
favorablement accueillies par les enseignants et les parents d'élèves,
contraint désormais les élèves de troisième à opter, au choix, soit pour le
latin, soit pour le grec. Les priver de ce double enseignement fragilise la
formation classique tout entière. Et cette dernière est un moyen efficace pour
lutter contre la baisse de niveau souvent observée dans les collèges.
Quelles motivations ont précédé une telle prise de position et quelle sera la
filière désormais pour ceux des élèves qui souhaitent étudier simultanément
grec et latin ? (N° 193.)
XIII. - M. Jean-Pierre Demerliat attire l'attention de M. le secrétaire d'Etat
à l'industrie sur la situation de la Compagnie générale d'électrolyse du
Palais-sur-Vienne, la CGEP, société du groupe Pechiney, dont celui-ci veut
supprimer les activités de raffinage, entraînant par là la suppression de 200
emplois sur les 250 que compte cette usine.
La CGEP est à l'heure actuelle la seule raffinerie de cuivre par électrolyse
existant en France dont l'expérience et le savoir-faire sont reconnus au niveau
national et européen.
Pour faire face à ses difficultés d'approvisionnement, l'entreprise a réalisé
en 1992 un investissement de 60 millions de francs, dont 10 millions de francs
de fonds publics, pour pouvoir traiter des déchets cuivreux à basse teneur. Cet
investissement devait permettre la pérennisation de l'usine du Palais. Or,
aujourd'hui, ce nouveau four est arrêté, faute de rentabilité selon la
direction.
Cette entreprise possède des atouts non négligeables méritant d'être
développés, c'est pourquoi il importe que toutes les études nécessaires soient
menées à bien, que ce soit en matière de recyclage au sens large ou concernant
les approvisionnements en déchets cuivreux.
Il lui demande donc de veiller à ce qu'aucune piste ne soit négligée pour
permettre la pérennité de ce site industriel. (N° 243.)
XIV. - M. Martial Taugourdeau appelle l'attention de M. le secrétaire d'Etat
au logement sur l'avenir du 1 % logement.
Il lui précise que l'article 45 de la loi de finances pour 1998 - n° 97-1269
du 31 décembre 1997 - a donné un support législatif au second prélèvement de 7
milliards de francs opéré sur le 1 % logement, résultant de la convention
d'objectifs en date du 17 septembre 1996 et de la loi n° 96-1237 du 30 décembre
1996 relative à l'Union économique et sociale du logement.
Il lui rappelle que le Sénat n'a pas manqué, à l'occasion de la discussion
budgétaire en décembre dernier, de manifester son opposition sur le changement
d'affectation des sommes prélevées sur le 1 % logement qui, à l'origine,
devaient servir au financement exclusif du prêt à taux zéro. Il précise qu'il
s'agit maintenant de financer en plus les aides à la personne, ce qui constitue
une sérieuse entorse aux conventions d'objectifs passées avec les collecteurs
interprofessionnels du logement, les CIL, et la manifestation pour l'Etat du
non-respect de la parole donnée.
Il souligne que, pour 1998, le Gouvernement ne semble pas décidé à élaborer la
sécurisation, pourtant nécessaire, tant pour l'avenir du 1 % logement que pour
le financement futur du prêt à taux zéro.
En conséquence, il lui demande, d'une part, quelles initiatives il compte
prendre pour assurer une véritable pérennité au dispositif du 1 % logement, et,
d'autre part, quelles assurances il peut apporter pour répondre aux légitimes
inquiétudes exprimées par les CIL quant à l'avenir du 1 % logement, et plus
particulièrement pour ce qui est du taux de collecte.
Enfin, il lui demande de bien vouloir lui préciser si ces fonds seront à
nouveau mis à contribution pour le financement des aides à la personne en 1999,
alors que rien de tel n'avait été négocié entre les CIL et les pouvoirs
publics. (N° 213.)
XV. - M. Désiré Debavelaere appelle l'attention de M. le ministre de
l'agriculture et de la pêche sur les difficultés que crée à un certain nombre
d'exploitants agricoles d'établissements classés « élevages laitiers ou bovins
à viande » de plus de quarante ou cinquante vaches pour le second cas
l'obtention, par des particuliers ou des promoteurs de permis de construire des
habitations à moins de cent mètres de leurs bâtiments d'élevage.
Alors que les éleveurs sont tenus de respecter cette distance minimale des
immeubles occupés par des tiers au titre de la réglementation des installations
classées, aucune règle de réciprocité ne figure en effet dans la loi n° 76-66
du 19 juillet 1976 et dans le code de l'urbanisme. (N° 231.)
XVI. - M. Louis Minetti attire à nouveau l'attention de M. le ministre de
l'agriculture et de la pêche sur le problème des fruits et légumes.
En juillet 1997, M. le ministre a accepté comme base de travail ses
propositions, notamment la création d'un comité franco-espagnol sur ces
questions. Depuis, il est allé deux fois en Espagne, et le comité
franco-espagnol s'est réuni trois fois. La délégation sénatoriale sur les
fruits et légumes s'est rendue, elle aussi, en Espagne et a présenté plusieurs
propositions.
Ces principales propositions portent sur :
- la mise en place d'une action commune sur les fruits et légumes qui pourrait
devenir un front méditerranéen dans l'Europe et pour la modification de la
politique agricole commune ;
- la prise en compte commune du fait que l'Europe ne produit que 40 % des
fruits et légumes qu'elle consomme, que les fruits et légumes représentent 25 %
de la production européenne et ne participent qu'à hauteur de 4 % du budget
européen ;
- la mission confiée à la commission franco-espagnole de prévoir et de moduler
les productions dans l'intérêt commun et de prévoir et gérer les crises ;
- la responsabilisation des grands groupes bancaires, commerciaux et de
transports pour assurer un revenu décent aux agriculteurs, y compris en
rétablissant les coefficients multiplicateurs ;
- la négociation avec le Gouvernement espagnol pour l'égalisation des
conditions salariales telle que sa signature à Luxembourg le prévoit pour une
Europe sociale.
Il désire connaître quelles mesures concrètes il compte prendre pour la mise
en place de ces propositions et des développements qu'elles supposent. (N°
234).
A seize heures :
2. Hommage solennel à Victor Schoelcher.
A la suite de M. René Monory, président du Sénat, pourront intervenir M.
Gérard Larcher, président du comité de parrainage de la commémoration, pour dix
minutes, un orateur pour chaque groupe et la réunion administrative des
sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, pour dix minutes, et le
représentant du Gouvernement.
A l'issue de la séance, la plaque à la mémoire du président Gaston Monnerville
sera dévoilée dans l'hémicycle.
Délais limites pour le dépôt des amendements
Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, portant modification de
l'ordonnance n° 45-2339 du 13 octobre 1945 relative aux spectacles (n° 343,
1997-1998) :
Délai limite pour le dépôt des amendements : mardi 28 avril 1998, à dix-sept
heures.
Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, portant transposition dans le
code de la propriété intellectuelle de la directive 96/9/CE du Parlement
européen et du Conseil, du 11 mars 1996, concernant la protection juridique des
bases de données (n° 344, 1997-1998) :
Délai limite pour le dépôt des amendements : mardi 28 avril 1998, à dix-sept
heures.
Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, permettant à l'enfant
orphelin de participer au conseil de famille (n° 99, 1997-1998) :
Délai limite pour le dépôt des amendements : mardi 28 avril 1998, à dix-sept
heures.
Deuxième lecture du projet de loi, modifié par l'Assemblée nationale, relatif
à la partie législative du livre VI (nouveau) du code rural (n° 332, 1997-1998)
:
Délai limite pour le dépôt des amendements : mardi 28 avril 1998, à dix-sept
heures.
Personne ne demande la parole ?...
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt et une heures vingt.)
Le Directeur
du service du compte rendu intégral,
DOMINIQUE PLANCHON
QUESTIONS ORALES REMISES À LA PRÉSIDENCE DU SÉNAT (Application des articles 76 à 78 du réglement)
Application de la loi Evin
250.
- 23 avril 1998. -
M. Philippe Arnaud
attire l'attention de
M. le secrétaire d'Etat à la santé
sur certains effets qui découlent de l'application de la loi n° 91-32 du 10
janvier 1991 dite loi Evin concernant l'interdiction de vente à consommer sur
place ou à emporter et de distribution de boissons alcoolisées des 2e et 3e
groupes. En effet, lors de manifestations telles que les comices agricoles ou
foires promotionnelles, vitrine des productions du terroir local, les
organisateurs ne peuvent assurer les dégustations ou vendre à consommer sur
place des produits comme le pineau des Charentes, par exemple. Ce qui est fort
préjudiciable au développement de l'économie locale. Il lui demande quelles
sont les mesures qui peuvent être mises en oeuvre afin d'autoriser, dans ces
cas particuliers, la promotion des produits locaux du 3e groupe.
Application de la contribution sociale généralisée
aux retraités de la SNCF
251.
- 23 avril 1998. -
M. Pierre Lefebvre
interroge
Mme le ministre de l'emploi et de la solidarité
sur les conséquences de l'application de la loi n° 97-1164 du 19 décembre 1997
de financement de la sécurité sociale pour 1998 concernant les retraités de la
SNCF. D'une part, tous les retraités assujettis à la contribution sociale
généralisée (CSG), qui bénéficient d'une majoration pour enfants, voient le
total de leurs retenues augmenter puisque cette majoration est soumise à la CSG
alors qu'elle ne l'était pas à la cotisation de la caisse de prévoyance.
D'autre part, tous les retraités assujettis au taux réduit vont payer 2,8 % de
CSG en plus alors que leur cotisation de la caisse de prévoyance ne baissera
que de 1 %, d'où une perte du pouvoir d'achat de 1,8 % qui s'ajoute à la perte
de 1 % subie en janvier 1997 lors de la création du taux réduit. Quant aux
retraités qui vont se trouver pour la première fois assujettis au taux réduit
de CSG du fait des modifications des conditions d'exonération (remplacement de
la cotisation de référence par le revenu fiscal de référence), ils ont commencé
l'année avec une perte de 2,8 % de leur pouvoir d'achat. Il lui demande quelles
dispositions elle compte prendre pour au moins maintenir le pouvoir d'achat de
ces catégories de retraités de la SNCF.
ANNEXES AU PROCÈS-VERBAL
de la séance
du jeudi 23 avril 1998
SCRUTIN (n° 87)
sur l'amendement n° 1 rectifié, présenté par M. Christian de La Malène et les
membres du groupe du Rassemblement pour la République, tendant à insérer un
alinéa dans le texte de la résolution rectifiée, adoptée par la commission des
finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation en
application de l'article 73
bis,
alinéa 8, du Règlement, sur la
recommandation de la Commission en vue d'une recommandation au Conseil relative
au rapport sur l'état de la convergence et à la recommandation associée en vue
du passage à la troisième phase de l'Union économique et monétaire (objectifs
et missions du SEBC).
Nombre de votants : | 314 |
Nombre de suffrages exprimés : | 298 |
Pour : | 217 |
Contre : | 81 |
Le Sénat a adopté.
ANALYSE DU SCRUTIN
GROUPE COMMUNISTE RÉPUBLICAIN ET CITOYEN (16) :
Abstentions :
16.
GROUPE DU RASSEMBLEMENT DÉMOCRATIQUE ET SOCIAL EUROPÉEN (23) :
Pour :
17.
Contre :
6. _ MM. François Abadie, Jean-Michel Baylet, André Boyer,
Yvon Collin, Mme Joëlle Dusseau et M. Robert-Paul Vigouroux.
GROUPE DU RASSEMBLEMENT POUR LA RÉPUBLIQUE (93) :
Pour :
91.
N'ont pas pris part au vote :
2. _ MM. Gérard Larcher, qui présidait la
séance, et Emmanuel Hamel.
GROUPE SOCIALISTE (75) :
Contre :
75.
GROUPE DE L'UNION CENTRISTE (57) :
Pour :
56.
N'a pas pris part au vote :
1. _ M. René Monory, président du Sénat.
GROUPE DES RÉPUBLICAINS ET INDÉPENDANTS (45) :
Pour :
44.
N'a pas pris part au vote :
1. _ M. Jean-Paul Bataille.
Sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe (10) :
Pour :
9.
N'a pas pris part au vote :
1. _ M. Basile Tui.
Ont voté pour
Nicolas About
Philippe Adnot
Michel Alloncle
Louis Althapé
Jean-Paul Amoudry
Philippe Arnaud
Jean Arthuis
Alphonse Arzel
Denis Badré
Honoré Bailet
José Balarello
René Ballayer
Janine Bardou
Michel Barnier
Bernard Barraux
Jacques Baudot
Michel Bécot
Henri Belcour
Claude Belot
Georges Berchet
Jean Bernadaux
Jean Bernard
Daniel Bernardet
Roger Besse
Jacques Bimbenet
Jean Bizet
François Blaizot
Paul Blanc
Maurice Blin
Annick Bocandé
André Bohl
Christian Bonnet
James Bordas
Didier Borotra
Joël Bourdin
Yvon Bourges
Philippe de Bourgoing
Jean Boyer
Louis Boyer
Jacques Braconnier
Gérard Braun
Dominique Braye
Paulette Brisepierre
Guy Cabanel
Michel Caldaguès
Robert Calmejane
Jean-Pierre Camoin
Jean-Pierre Cantegrit
Jean-Claude Carle
Auguste Cazalet
Charles Ceccaldi-Raynaud
Gérard César
Jacques Chaumont
Jean Chérioux
Marcel-Pierre Cleach
Jean Clouet
Jean Cluzel
Henri Collard
Charles-Henri de Cossé-Brissac
Jean-Patrick Courtois
Charles de Cuttoli
Philippe Darniche
Marcel Daunay
Désiré Debavelaere
Luc Dejoie
Jean Delaneau
Jean-Paul Delevoye
Jacques Delong
Fernand Demilly
Christian Demuynck
Marcel Deneux
Charles Descours
André Diligent
Jacques Dominati
Michel Doublet
Alain Dufaut
Xavier Dugoin
André Dulait
Ambroise Dupont
Hubert Durand-Chastel
Daniel Eckenspieller
André Egu
Jean-Paul Emin
Jean-Paul Emorine
Hubert Falco
Pierre Fauchon
Jean Faure
Gérard Fayolle
Hilaire Flandre
Jean-Pierre Fourcade
Bernard Fournier
Alfred Foy
Serge Franchis
Philippe François
Jean François-Poncet
Yann Gaillard
André Gaspard
Philippe de Gaulle
Patrice Gélard
Jacques Genton
Alain Gérard
François Gerbaud
Charles Ginésy
Jean-Marie Girault
Paul Girod
Daniel Goulet
Alain Gournac
Adrien Gouteyron
Jean Grandon
Francis Grignon
Louis Grillot
Georges Gruillot
Jacques Habert
Hubert Haenel
Anne Heinis
Marcel Henry
Pierre Hérisson
Rémi Herment
Daniel Hoeffel
Jean Huchon
Bernard Hugo
Jean-Paul Hugot
Claude Huriet
Roger Husson
Jean-Jacques Hyest
Pierre Jeambrun
Charles Jolibois
Bernard Joly
André Jourdain
Alain Joyandet
Christian de La Malène
Jean-Philippe Lachenaud
Pierre Laffitte
Jean-Pierre Lafond
Alain Lambert
Lucien Lanier
Jacques Larché
Edmond Lauret
René-Georges Laurin
Henri Le Breton
Jean-François Le Grand
Edouard Le Jeune
Dominique Leclerc
Jacques Legendre
Guy Lemaire
Marcel Lesbros
François Lesein
Maurice Lombard
Jean-Louis Lorrain
Simon Loueckhote
Roland du Luart
Jacques Machet
Jean Madelain
Kléber Malécot
André Maman
Philippe Marini
René Marquès
Pierre Martin
Paul Masson
Serge Mathieu
Jacques de Menou
Louis Mercier
Michel Mercier
Lucette Michaux-Chevry
Daniel Millaud
Louis Moinard
Georges Mouly
Philippe Nachbar
Lucien Neuwirth
Nelly Olin
Paul d'Ornano
Joseph Ostermann
Georges Othily
Jacques Oudin
Charles Pasqua
Lylian Payet
Michel Pelchat
Jean Pépin
Alain Peyrefitte
Bernard Plasait
Alain Pluchet
Jean-Marie Poirier
Guy Poirieux
Christian Poncelet
Jean Pourchet
André Pourny
Jean Puech
Jean-Pierre Raffarin
Henri de Raincourt
Jean-Marie Rausch
Victor Reux
Charles Revet
Henri Revol
Philippe Richert
Roger Rigaudière
Jean-Jacques Robert
Jacques Rocca Serra
Louis-Ferdinand de Rocca Serra
Josselin de Rohan
Michel Rufin
Jean-Pierre Schosteck
Bernard Seillier
Raymond Soucaret
Michel Souplet
Louis Souvet
Martial Taugourdeau
Henri Torre
René Trégouët
François Trucy
Alex Türk
Maurice Ulrich
Jacques Valade
André Vallet
Alain Vasselle
Albert Vecten
Xavier de Villepin
Serge Vinçon
Ont voté contre
François Abadie
Guy Allouche
Bernard Angels
François Autain
Germain Authié
Robert Badinter
Jean-Michel Baylet
Jacques Bellanger
Maryse Bergé-Lavigne
Jean Besson
Pierre Biarnès
Marcel Bony
André Boyer
Jean-Louis Carrère
Robert Castaing
Francis Cavalier-Benezet
Monique Cerisier-ben Guiga
Gilbert Chabroux
Michel Charasse
Marcel Charmant
Michel Charzat
William Chervy
Yvon Collin
Raymond Courrière
Roland Courteau
Marcel Debarge
Bertrand Delanoë
Gérard Delfau
Jean-Pierre Demerliat
Dinah Derycke
Rodolphe Désiré
Marie-Madeleine Dieulangard
Michel Dreyfus-Schmidt
Josette Durrieu
Bernard Dussaut
Joëlle Dusseau
Claude Estier
Léon Fatous
Aubert Garcia
Claude Haut
Roger Hesling
Roland Huguet
Philippe Labeyrie
Serge Lagauche
Dominique Larifla
Guy Lèguevaques
Claude Lise
Philippe Madrelle
Jacques Mahéas
Michel Manet
Marc Massion
Pierre Mauroy
Georges Mazars
Jean-Luc Mélenchon
Gérard Miquel
Michel Moreigne
Jean-Baptiste Motroni
Jean-Marc Pastor
Guy Penne
Daniel Percheron
Jean Peyrafitte
Jean-Claude Peyronnet
Louis Philibert
Bernard Piras
Danièle Pourtaud
Gisèle Printz
Roger Quilliot
Paul Raoult
René Régnault
Roger Rinchet
Gérard Roujas
André Rouvière
Claude Saunier
Michel Sergent
Franck Sérusclat
René-Pierre Signé
Fernand Tardy
André Vezinhet
Marcel Vidal
Robert-Paul Vigouroux
Henri Weber
Abstentions
Marie-Claude Beaudeau
Jean-Luc Bécart
Danielle Bidard-Reydet
Nicole Borvo
Jean Derian
Michel Duffour
Guy Fischer
Pierre Lefebvre
Paul Loridant
Hélène Luc
Louis Minetti
Robert Pagès
Jack Ralite
Ivan Renar
Odette Terrade
Paul Vergès
N'ont pas pris part au vote
MM. Jean-Paul Bataille, Emmanuel Hamel et Basile Tui.
N'ont pas pris part au vote
MM. René Monory, président du Sénat, et Gérard Larcher, qui présidait la
séance.
Les nombres annoncés en séance avaient été de :
Nombre de votants : | 314 |
Nombre de suffrages exprimés : | 298 |
Majorité absolue des suffrages exprimés : | 150 |
Pour l'adoption : | 218 |
Contre : | 81 |
Mais, après vérification, ces nombres ont été rectifiés, conformément à la liste ci-dessus.
SCRUTIN (n° 88)
sur l'ensemble de la résolution rectifiée, adoptée par la commission des
finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation en
application de l'article 73
bis,
alinéa 8, du Règlement, sur la
recommandation de la Commission en vue d'une recommandation au Conseil relative
au rapport sur l'état de la convergence et à la recommandation associée en vue
du passage à la troisième phase de l'Union économique et monétaire.
Nombre de votants : | 316 |
Nombre de suffrages exprimés : | 312 |
Pour : | 281 |
Contre : | 31 |
Le Sénat a adopté.
ANALYSE DU SCRUTIN
GROUPE COMMUNISTE RÉPUBLICAIN ET CITOYEN (16) :
Contre :
16.
GROUPE DU RASSEMBLEMENT DÉMOCRATIQUE ET SOCIAL EUROPÉEN (23) :
Pour :
23.
GROUPE DU RASSEMBLEMENT POUR LA RÉPUBLIQUE (93) :
Pour :
76.
Contre :
13. _ MM. Robert Calmejane, Charles Ceccaldi-Raynaud, Charles
de Cuttoli, Philippe de Gaulle, François Gerbaud, Adrien Gouteyron, Emmanuel
Hamel, René-Georges Laurin, Maurice Lombard, Pierre Martin, Paul d'Ornano,
Charles Pasqua et Jean-Pierre Schosteck.
Abstentions :
3. _ MM. Jean Bernard, Philippe Marini et Alain
Peyrefitte.
N'a pas pris part au vote :
1. _ M. Gérard Larcher, qui présidait la
séance.
GROUPE SOCIALISTE (75) :
Pour :
74.
Contre :
1. _ M. Jean-Luc Mélenchon.
GROUPE DE L'UNION CENTRISTE (57) :
Pour :
56.
N'a pas pris part au vote :
1. _ M. René Monory, président du Sénat.
GROUPE DES RÉPUBLICAINS ET INDÉPENDANTS (45) :
Pour :
44.
Contre :
1. _ M. Jean-Paul Bataille.
Sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe (10) :
Pour :
8.
Abstention :
1. _ M. Philippe Darniche.
N'a pas pris part au vote :
1. _ M. Basile Tui.
Ont voté pour
François Abadie
Nicolas About
Philippe Adnot
Michel Alloncle
Guy Allouche
Louis Althapé
Jean-Paul Amoudry
Bernard Angels
Philippe Arnaud
Jean Arthuis
Alphonse Arzel
François Autain
Germain Authié
Robert Badinter
Denis Badré
Honoré Bailet
José Balarello
René Ballayer
Janine Bardou
Michel Barnier
Bernard Barraux
Jacques Baudot
Jean-Michel Baylet
Michel Bécot
Henri Belcour
Jacques Bellanger
Claude Belot
Georges Berchet
Maryse Bergé-Lavigne
Jean Bernadaux
Daniel Bernardet
Roger Besse
Jean Besson
Pierre Biarnès
Jacques Bimbenet
Jean Bizet
François Blaizot
Paul Blanc
Maurice Blin
Annick Bocandé
André Bohl
Christian Bonnet
Marcel Bony
James Bordas
Didier Borotra
Joël Bourdin
Yvon Bourges
Philippe de Bourgoing
André Boyer
Jean Boyer
Louis Boyer
Jacques Braconnier
Gérard Braun
Dominique Braye
Paulette Brisepierre
Guy Cabanel
Michel Caldaguès
Jean-Pierre Camoin
Jean-Pierre Cantegrit
Jean-Claude Carle
Jean-Louis Carrère
Robert Castaing
Francis Cavalier-Benezet
Auguste Cazalet
Monique Cerisier-ben Guiga
Gérard César
Gilbert Chabroux
Michel Charasse
Marcel Charmant
Michel Charzat
Jacques Chaumont
Jean Chérioux
William Chervy
Marcel-Pierre Cleach
Jean Clouet
Jean Cluzel
Henri Collard
Yvon Collin
Charles-Henri de Cossé-Brissac
Raymond Courrière
Roland Courteau
Jean-Patrick Courtois
Marcel Daunay
Marcel Debarge
Désiré Debavelaere
Luc Dejoie
Jean Delaneau
Bertrand Delanoë
Jean-Paul Delevoye
Gérard Delfau
Jacques Delong
Jean-Pierre Demerliat
Fernand Demilly
Christian Demuynck
Marcel Deneux
Dinah Derycke
Charles Descours
Rodolphe Désiré
Marie-Madeleine Dieulangard
André Diligent
Jacques Dominati
Michel Doublet
Michel Dreyfus-Schmidt
Alain Dufaut
Xavier Dugoin
André Dulait
Ambroise Dupont
Hubert Durand-Chastel
Josette Durrieu
Bernard Dussaut
Joëlle Dusseau
Daniel Eckenspieller
André Egu
Jean-Paul Emin
Jean-Paul Emorine
Claude Estier
Hubert Falco
Léon Fatous
Pierre Fauchon
Jean Faure
Gérard Fayolle
Hilaire Flandre
Jean-Pierre Fourcade
Bernard Fournier
Alfred Foy
Serge Franchis
Philippe François
Jean François-Poncet
Yann Gaillard
Aubert Garcia
André Gaspard
Patrice Gélard
Jacques Genton
Alain Gérard
Charles Ginésy
Jean-Marie Girault
Paul Girod
Daniel Goulet
Alain Gournac
Jean Grandon
Francis Grignon
Louis Grillot
Georges Gruillot
Jacques Habert
Hubert Haenel
Claude Haut
Anne Heinis
Marcel Henry
Pierre Hérisson
Rémi Herment
Roger Hesling
Daniel Hoeffel
Jean Huchon
Bernard Hugo
Jean-Paul Hugot
Roland Huguet
Claude Huriet
Roger Husson
Jean-Jacques Hyest
Pierre Jeambrun
Charles Jolibois
Bernard Joly
André Jourdain
Alain Joyandet
Christian de La Malène
Philippe Labeyrie
Jean-Philippe Lachenaud
Pierre Laffitte
Jean-Pierre Lafond
Serge Lagauche
Alain Lambert
Lucien Lanier
Jacques Larché
Dominique Larifla
Edmond Lauret
Henri Le Breton
Jean-François Le Grand
Edouard Le Jeune
Dominique Leclerc
Jacques Legendre
Guy Lèguevaques
Guy Lemaire
Marcel Lesbros
François Lesein
Claude Lise
Jean-Louis Lorrain
Simon Loueckhote
Roland du Luart
Jacques Machet
Jean Madelain
Philippe Madrelle
Jacques Mahéas
Kléber Malécot
André Maman
Michel Manet
René Marquès
Marc Massion
Paul Masson
Serge Mathieu
Pierre Mauroy
Georges Mazars
Jacques de Menou
Louis Mercier
Michel Mercier
Lucette Michaux-Chevry
Daniel Millaud
Gérard Miquel
Louis Moinard
Michel Moreigne
Jean-Baptiste Motroni
Georges Mouly
Philippe Nachbar
Lucien Neuwirth
Nelly Olin
Joseph Ostermann
Georges Othily
Jacques Oudin
Jean-Marc Pastor
Lylian Payet
Michel Pelchat
Guy Penne
Jean Pépin
Daniel Percheron
Jean Peyrafitte
Jean-Claude Peyronnet
Louis Philibert
Bernard Piras
Bernard Plasait
Alain Pluchet
Jean-Marie Poirier
Guy Poirieux
Christian Poncelet
Jean Pourchet
André Pourny
Danièle Pourtaud
Gisèle Printz
Jean Puech
Roger Quilliot
Jean-Pierre Raffarin
Henri de Raincourt
Paul Raoult
Jean-Marie Rausch
René Régnault
Victor Reux
Charles Revet
Henri Revol
Philippe Richert
Roger Rigaudière
Roger Rinchet
Jean-Jacques Robert
Jacques Rocca Serra
Louis-Ferdinand de Rocca Serra
Josselin de Rohan
Gérard Roujas
André Rouvière
Michel Rufin
Claude Saunier
Bernard Seillier
Michel Sergent
Franck Sérusclat
René-Pierre Signé
Raymond Soucaret
Michel Souplet
Louis Souvet
Fernand Tardy
Martial Taugourdeau
Henri Torre
René Trégouët
François Trucy
Alex Türk
Maurice Ulrich
Jacques Valade
André Vallet
Alain Vasselle
Albert Vecten
André Vezinhet
Marcel Vidal
Robert-Paul Vigouroux
Xavier de Villepin
Serge Vinçon
Henri Weber
Ont voté contre
Jean-Paul Bataille
Marie-Claude Beaudeau
Jean-Luc Bécart
Danielle Bidard-Reydet
Nicole Borvo
Robert Calmejane
Charles Ceccaldi-Raynaud
Charles de Cuttoli
Jean Derian
Michel Duffour
Guy Fischer
Philippe de Gaulle
François Gerbaud
Adrien Gouteyron
Emmanuel Hamel
René-Georges Laurin
Pierre Lefebvre
Maurice Lombard
Paul Loridant
Hélène Luc
Pierre Martin
Jean-Luc Mélenchon
Louis Minetti
Paul d'Ornano
Robert Pagès
Charles Pasqua
Jack Ralite
Ivan Renar
Jean-Pierre Schosteck
Odette Terrade
Paul Vergès
Abstentions
MM. Jean Bernard, Philippe Darniche, Philippe Marini et Alain Peyrefitte.
N'a pas pris part au vote
M. Basile Tui.
N'ont pas pris part au vote
MM. René Monory, président du Sénat, et Gérard Larcher, qui présidait la
séance.
Les nombres annoncés en séance ont été reconnus, après vérification, conformes
à la liste de scrutin ci-dessus.