RESPONSABILITÉ DU FAIT
DES PRODUITS DÉFECTUEUX
Adoption d'une proposition de loi en deuxième lecture
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion, en deuxième lecture, de la proposition
de loi (n° 360, 1997-1998), adoptée avec modifications par l'Assemblée
nationale en deuxième lecture, relative à la responsabilité du fait des
produits défectueux. [Rapport n° 377 (1997-1998).]
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux, ministre de la justice.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez aujourd'hui à vous prononcer, en
deuxième lecture, sur la proposition de loi relative à la responsabilité du
fait des produits défectueux, que vous avez adoptée le 5 février dernier.
Je veux souligner, une fois encore, l'extrême urgence qui s'attache au vote de
cette proposition de loi, qui tend à transposer en France une directive
communautaire qui aurait dû l'être avant le 30 juillet 1988.
Je rappelle que notre pays est le seul Etat membre à n'avoir pas satisfait à
cette obligation et qu'il a été condamné, à ce titre, pour manquement par la
Cour de justice des communautés européennes, le 15 janvier 1993.
J'avais indiqué, en première lecture, qu'un recours en manquement sur
manquement était imminent.
Mes craintes se sont, hélas ! confirmées, puisque la Commission a fait
publiquement connaître, le 1er avril dernier, sa décision de saisir la Cour de
justice et de demander que des sanctions financières soient infligées à notre
pays au titre de l'article 171 du traité de Rome, en proposant de prononcer une
astreinte de 158 250 écus par jour, soit une somme d'environ 1 107 750
francs.
La Commission doit maintenant formaliser la requête qu'elle présentera à la
Cour.
Vous comprendrez aisément que, dans l'intervalle, il est impératif que la
proposition de loi soit définitivement adoptée. Ce n'est qu'à ce prix que la
Commission se désistera de sa demande contre la France.
Je ne reviendrai pas sur l'économie générale du texte que vous avez déjà eu à
connaître au mois de février et qui a été voté conforme par l'Assemblée
nationale, à l'exception de trois articles qui posent des difficultés d'inégale
importance.
Dans l'ordre des difficultés croissantes, je commencerai par l'article 7 de la
proposition de loi, relatif à la responsabilité des constructeurs.
La rédaction issue du vote de l'Assemblée nationale fait clairement apparaître
que les constructeurs n'échappent au régime prévu par la présente proposition
de loi que lorsque leur responsabilité peut être recherchée sur le fondement
des articles 1792 et suivants du code civil.
Le texte précise la situation des sous-traitants dont rien ne justifie
l'assimilation à celle des constructeurs au regard de la directive. En effet,
ces derniers ne sont pas soumis à la responsabilité prévue par les articles
1792 à 1792-6 du code civil, mais relèvent, à l'égard du maître de l'ouvrage,
de la responsabilité délictuelle de droit commun. En conséquence, il ne serait
pas justifié qu'ils soient exclus du champ d'application de la présente
proposition de loi.
La commission des lois s'est ralliée à ce point de vue puisqu'elle n'a pas
déposé d'amendement sur ce point, et je m'en félicite.
J'en viens maintenant à la question de la mise en circulation du produit.
Je m'étais opposée à la modification que vous aviez apportée à l'article 6 de
la proposition de loi, qui ne me paraissait pas garantir la sécurité juridique
puisqu'elle empêchait la fixation à un moment précis de la mise en
circulation.
L'Assemblée nationale, suivant à cet égard sa commission des lois, a
réintroduit, par voie d'amendement, la notion d'unicité de mise en circulation
du produit.
Je m'en suis alors remise à la sagesse des parlementaires, car les services de
la commission ont fait savoir que l'inscription dans la loi d'un principe de
mise en circulation unique leur paraissait constituer une mauvaise
transposition de la directive.
Je crois que cette divergence d'analyse repose sur un malentendu : chacun
s'accorde à considérer que la mise en circulation ne peut s'apprécier qu'à
l'égard d'un produit déterminé. Ainsi ne se produira-t-elle pas au même moment
selon que l'on envisage les parties composantes encore individualisables d'un
produit ou le produit fini lui-même.
Je ne pense donc pas qu'il y ait opposition de fond entre la commission et le
Gouvernement.
Dans ces conditions, je ne verrai pas d'objection à ce que le texte de
transposition s'en tienne à la formule générale du premier alinéa de l'article
6, en laissant aux tribunaux le soin d'apprécier la notion de mise en
circulation.
J'en arrive, enfin, au coeur de notre débat, c'est-à-dire au premier alinéa de
l'article 12
bis
relatif aux limitations, que je crois nécessaires, au
principe d'exonération pour risque de développement.
L'Assemblée nationale a adopté, en deuxième lecture, un amendement du
Gouvernement qui exclut que le producteur puisse s'exonérer de sa
responsabilité de plein droit en invoquant le risque de développement lorsque
sont en cause les catégories très particulières de produits que constituent les
éléments du corps humain, les produits qui sont issus de celui-ci, ainsi que
tout autre produit de santé.
Il est désormais acquis que le Parlement, dans le souci de trouver un
équilibre entre les droits des victimes et les obligations des industriels, a
posé le principe, à l'article 12 de la proposition de loi, de l'exonération
pour risque de développement.
Reste à déterminer si ce principe doit être absolu ou si, comme je le pense,
il doit comporter une exception. Je souhaite que la portée de celle-ci soit
bien comprise.
Elle ne modifie pas, sur le fond - cela doit être dit et répété - le droit
actuel. Il s'agit d'une affirmation de nature symbolique que la France, en
gardant présents à l'esprit les drames récents, doit formuler pour ces
catégories de produit, quel que soit le fondement de l'action entreprise par la
victime.
Le principe qui prévaut dans notre droit positif, celui d'une obligation de
sécurité absolue qui ne peut pas s'effacer, même lorsque peut être démontré le
caractère indécelable du défaut, ne doit en aucune manière perdre de sa force,
s'agissant de ce type de produits, dont il est acquis que l'innocuité absolue
ne pourra jamais être certaine et dont nous savons qu'ils peuvent générer des
dommages sériels.
Bien évidemment, toutes les victimes pourront continuer à bénéficier, pour
l'ensemble des produits, d'une garantie de sécurité absolue dès lors qu'elles
se placeront sur le terrain du droit national.
Mais, tirant les leçons de l'expérience, nous devons nous garder d'inscrire
dans les textes une cause générale d'exonération pour risque de développement,
qui inclurait l'utilisation des éléments du corps humain, des produits qui sont
issus de celui-ci, ainsi que des médicaments et des dispositifs médicaux.
Chacun sent bien qu'il s'agit d'un sujet qui dépasse les questions de
consommation pour toucher directement aux préoccupations de santé publique,
auxquelles l'opinion publique française est, à juste titre, très sensible.
Le principe de sécurité absolue ressort, jusqu'à présent, d'une construction
jurisprudentielle dont rien, il est vrai, ne permet de supposer qu'elle puisse
être remise en cause pour ces produits comme pour les autres. Mais, je le
souligne à nouveau, le Gouvernement n'entend prendre aucun risque.
Il ne s'agit pas de freiner le secteur de la recherche médicale dont les
progrès - parce qu'ils seraient mal maîtrisés - ne pourraient pas être
poursuivis.
Demain, comme ils le font aujourd'hui et comme ils l'ont fait hier, les
milieux professionnels assumeront les risques, même indécelables, liés à
l'utilisation de leurs produits.
Ne nous trompons pas de débat : il ne s'agit ni de revenir en arrière, ni de
bouleverser notre paysage juridique ; il s'agit d'ancrer dans notre législation
des solutions que nous appliquons depuis une dizaine d'années déjà.
Il ne s'agit pas davantage, en matière de produits de santé, d'occulter la
question de l'aléa thérapeutique, qui, je le sais, préoccupe, à juste titre,
plus d'un parmi vous.
Mais nous devons nous garder de faire un amalgame entre cette question de
l'aléa thérapeutique et celle de la responsabilité du fait des produits
défectueux.
Ces deux questions ne se posent pas, en effet, dans les mêmes termes : l'aléa
thérapeutique pose un problème d'indemnisation, et non de responsabilité, et a
trait avant tout à l'acte médical lui-même, même s'il n'exclut pas
l'utilisation des médicaments et des dispositifs médicaux.
C'est pourquoi la question de l'aléa thérapeutique doit trouver une solution
spécifique, et vous savez que le Gouvernement s'y emploie actuellement.
Pour l'heure, il s'agit de maintenir en ce domaine les règles du droit
positif.
La démarche me paraît raisonnable et je constate avec satisfaction que la
commission des lois du Sénat s'y rallie.
Je conclurai en rappelant que le vote d'aujourd'hui est trop grave pour que la
France diffère encore l'adoption d'une directive qui s'impose à nous depuis
bientôt treize ans.
Nos concitoyens ne comprendraient pas qu'il ne soit pas mis un terme à des
discussions qui relèvent plus de spéculations doctrinales que d'un véritable
enjeu national.
Le débat doit être définitivement tranché. Il nous appartient à tous, cet
après-midi, de donner une leçon de sagesse.
(Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen. - M. Cabanel applaudit également.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Fauchon,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Monsieur le
président, madame la ministre, mes chers collègues, une nouvelle fois - je ne
les compte plus puisque nous avons commencé notre travail en 1992 ; c'est déjà
de l'histoire ancienne - nous sommes aux prises avec ce problème de la
responsabilité du fait des produits défectueux. Nous arrivons maintenant au
terme de nos travaux.
Voilà un instant, Mme la ministre a rappelé les données fondamentales du
problème. Je serai donc aussi concis que possible, d'autant que le texte que
nous avions voté en première lecture a été adopté par l'Assemblée nationale
dans la quasi-totalité de ses articles, à l'exception - je l'indique d'emblée -
de trois d'entre eux.
Il me paraît toutefois de mon devoir de faire un certain nombre de rappels.
Il s'agit d'une directive ancienne, puisqu'elle date de 1985. Elle s'applique
à l'ensemble des Etats de la Communauté européenne. Elle établit donc un
dénominateur commun qui peut se trouver tantôt au-dessus et tantôt au-dessous
des systèmes institués dans chaque Etat membre. Il faut bien trouver une
moyenne qui soit applicable par tous.
La principale caractéristique de cette directive consiste à créer ce que l'on
appelle, dans le jargon juridique, « un régime de responsabilité réputée de
plein droit du producteur en cas de dommages causés par un défaut de son
produit aux personnes ou aux biens autres que le produit lui-même, dès lors que
sont établis par la victime le dommage, le défaut du produit et le lien de
causalité entre le défaut et le dommage ». Encore faut-il préciser - cela est
très important pour la compréhension de l'ensemble du texte - que le défaut du
produit réside dans le fait que le produit, selon le texte lui-même, est
déclaré défectueux lorsqu'il ne répond pas à l'attente légitime de sécurité du
consommateur, compte tenu d'un certain nombre de circonstances. Parmi
celles-ci, le texte vise expressément la date de mise en circulation du
produit. Voilà ce qui constitue l'essentiel.
Le régime instauré concerne tout meuble, et donc uniquement les produits.
J'indique au passage - et cela tranche la question du risque thérapeutique de
manière tout à fait claire - que le risque thérapeutique est lié au service du
médecin ou de l'hôpital. Le texte ne concerne pas la responsabilité du fait des
services. On s'en est quelquefois plaint, mais la directive est ce qu'elle est
; il n'est pas question d'y ajouter sur ce point. En l'occurrence, il ne s'agit
donc que des produits. C'est pourquoi la notion de risque thérapeutique, tout
en étant voisine, sans doute - vous l'avez rappelé, madame la ministre - est
fondamentalement distincte du point de vue de l'analyse juridique.
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
Hélas, non !
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
La directive écarte toute différence entre les demandeurs
selon qu'ils ont été mis en relation avec un produit par un contrat ou pas,
distinction fondamentale dans le droit français.
Elle centre la responsabilité sur le producteur considéré comme le principal
agent de la production. Sont néanmoins assimilés au producteur l'importateur
et, à titre subsidiaire, le vendeur lorsque le producteur ou l'importateur ne
peut être identifié. Nous sommes d'ailleurs allés encore plus loin dans notre
texte.
Elle écarte la possibilité de prévoir dans les contrats des clauses
limitatives ou exonératoires de la responsabilité qu'elle institue. La mise en
oeuvre de la responsabilité du producteur est enfermée dans des délais qui sont
plus courts que ceux qui sont prévus dans notre droit. La directive comporte
d'ailleurs un délai général de responsabilité, ce qui n'est pas habituel dans
notre système juridique.
Enfin, elle offre trois options pour chacun des Etats membres.
Première option : inclure ou ne pas inclure les produits agricoles et les
produits de la chasse dans le champ d'application du nouveau dispositif.
Depuis, est en cours d'élaboration une nouvelle directive qui incite à
l'inclusion de ces produits. Nous avons devancé, avec l'Assemblée nationale,
cette nouvelle directive puisque nous avons inclus lesdits produits. Cette
option est donc réglée.
Deuxième option - c'est probablement le point qui reste le plus en débat
s'agissant uniquement des produits de santé - la directive laisse à chaque Etat
membre le soin de choisir d'exonérer ou non les producteurs pour ce qu'il est
convenu d'appeler « le risque de développement ».
Enfin, troisième option : la directive autorise les Etats membres à limiter la
responsabilité grâce à des systèmes forfaitaires ou à des maxima. Nous ne
sommes pas entrés dans cette voie. Aussi, la question ne se pose plus
aujourd'hui.
Comme cela a été rappelé - il n'est donc pas nécessaire d'y revenir - nous
avons en quelque sorte le couteau sous la gorge, en tout cas le portefeuille de
l'Etat est concerné, puisque la France est menacée de sanctions, d'ailleurs
très lourdes, si nous continuons à nous abstenir de transposer cette directive.
Par conséquent, l'urgence est incontestable.
Après Mme la ministre, je répète qu'il s'agit - et cela me paraît important -
d'un débat extrêmement relatif. Je crains que certains d'entre nous ne l'aient
pas réalisé.
Le débat est très relatif car la directive dispose, en son article 13, que la
transposition ne saurait aboutir à diminuer le niveau de protection des
consommateurs exposés à des produits défectueux. Par conséquent, elle ne peut
avoir pour effet d'abaisser le niveau de protection des
utilisateurs-consommateurs. Vous l'avez rappelé, madame la ministre, il s'agit
d'un problème non pas de consommation, mais de sécurité générale. L'article 19
de la proposition de loi, qui a été adopté conforme, reprend ce texte. Cette
disposition figure donc dans la directive et figurera dans notre droit
positif.
Quel que soit notre souhait, nous ne pouvons pas aboutir à un abaissement du
niveau de protection. D'ailleurs, cela me paraît assez compréhensible
s'agissant d'une directive européenne. En effet, il serait surprenant qu'elle
puisse provoquer une régression de l'état de droit dans tel ou tel Etat
membre.
Je n'énumérerai pas - cela figure dans le rapport écrit - les dispositions sur
lesquelles vous vous êtes prononcés, mes chers collègues, et qui ont toutes été
reprise par l'Assemblée nationale. Cependant, une divergence demeure entre la
commission des lois du Sénat et vous-mêmes sur la question du risque de
développement. La commission avait considéré qu'il n'y avait pas lieu
d'accepter ce principe d'exonération. En effet, tout en sachant que la
directive ne pouvait abaisser le niveau de protection, il lui semblait
souhaitable d'établir une certaine harmonisation entre la directive et le droit
français qui est actuellement en vigueur, notamment sur les points les plus
importants.
Sur cette question du risque de développement, à laquelle on attache une
importance un peu exagérée - mais elle a un effet emblématique que l'on ne peut
ignorer - il pouvait y avoir un divergence. En 1992, ce point avait fait
l'objet d'un débat avec votre prédécesseur, M. Vauzelle. Désormais, la
jurisprudence, qu'il s'agisse de l'ordre administratif ou de l'ordre judiciaire
classique, est importante. Une récente étude du Conseil d'Etat, qui fait le
point de la question, montre clairement que le risque de développement n'est
pas pris en compte comme cause d'irresponsabilité dans le droit français.
Il a paru raisonnable à la commission de ne pas le retenir lors de la
transposition de la directive, afin de ne pas déséquibrer le droit. Toutefois,
votre assemblée, dans sa grande sagesse, bien entendu, n'a pas suivi la
commission et a admis l'irresponsabilité, même si ce terme paraît gênant, pour
risque de développement. Elle a même refusé l'exception que proposait le
Gouvernement, et que nous avions d'ailleurs suggéré d'étendre à tous les
produits touchant au corps humain, notamment les produits alimentaires. Cette
exception n'avait donc pas été retenue par le Sénat. L'Assemblée nationale a
retenu cette exception, mais en la limitant aux produits de santé.
Encore une fois, le débat est théorique, car les victimes qui craindraient que
l'action qu'elles engagent ne risque de se heurter à l'invocation de
l'exonération pour risque de développement n'auront qu'à se référer au droit
français classique, tel qu'il résulte de la jurisprudence. En effet, le droit
dont elles disposaient jusqu'à présent est maintenu.
Madame la ministre, vous avez bien voulu le rappeler en maintes circonstances,
et encore tout à l'heure. Je lis l'une de vos déclarations : « En l'état actuel
de notre droit positif, les victimes bénéficient d'une garantie de sécurité
absolue, garantie qui n'est pas susceptible d'être battue en brèche par le
caractère indécelable du vice. Cette garantie continuera à s'appliquer dès lors
que la victime se placera sur le terrain du droit national. ».
Il est donc à prévoir que, dans les actions à venir, les justiciables
invoqueront tel article du code civil - ils commenceront par celui qu'ils
voudront - et, à titre subsidiaire, tel autre. En effet, s'ils se heurtent à
une difficulté, ils reviendront ainsi au droit classique.
J'ai tenu les même propos à cette tribune, au nom de la commission des lois. A
l'Assemblée nationale, M. Forni, au nom de la commission des lois, a tenu lui
aussi les mêmes propos. Il n'y a donc pas de divergence d'interprétation sur ce
maintien intégral de notre système juridique en matière de responsabilité du
fait des produits, tel qu'il existe actuellement et, je le répète, dans les
deux ordres de juridiction.
Il résulte de cette situation que toute victime sera en présence d'un choix
entre ces deux voies. Cette démarche est un peu archaïque et la commission des
lois aurait souhaité l'éviter. Cela nous ramène, pour les historiens du droit,
au système du droit romain dans lequel existaient des actions différentes,
chacune ouvrant certaines possibilités mais étant soumise à des procédures
particulières. On était à chaque fois dans des logiques différentes.
Coexisteront donc deux logiques différentes.
En premier lieu, il y aura la voie qui consiste à invoquer la directive : ce
sont les futurs articles 1386 et suivants de notre code civil. Elle présentera
l'avantage de la simplification puisque l'on ne distinguera pas entre le
contractuel et le non-contractuel. On aura une responsabilité de plein droit,
encore que cela ne me semble pas si évident que cela ; j'attends de voir quelle
sera la jurisprudence sur ce point. Mais on disposera de des délais plus courts
que dans le droit classique et on aura la possibilité d'invoquer l'exonération
pour le risque de développement, c'est-à-dire que le producteur pourra tenter
de faire la preuve qu'il ne pouvait pas savoir que le produit qu'il a mis sur
le marché présentait un danger en l'état des connaissances de l'époque.
En second lieu, il y aura l'action classique telle qu'elle existe
actuellement. Elle est plus compliquée puisqu'elle ne se présente pas de la
même façon selon que l'on est dans une relation contractuelle, que l'on est
l'acheteur ou la victime du produit sans l'avoir acheté : situations
délictuelles ou quasi délictuelles. Cela est assez compliqué, mais un juriste
rôdé à son métier n'y trouvera pas grande difficulté.
Dans ce cas, au travers de cette complication, la responsabilité sera
parfaitement établie, la jurisprudence consacrant non pas une obligation de
résultat - une telle obligation, en matière de santé, pourrait être
l'obligation de guérir, ce qui n'existe pas - mais une obligation de sécurité,
c'est-à-dire l'obligation de ne pas mettre en circulation des produits ne
présentant pas des conditions de sécurité satisfaisantes.
Quoi qu'il en soit de cette distinction que j'ai cru nécessaire de rappeler
pour montrer le caractère quelque peu relatif et peut-être symbolique de notre
débat, seuls trois articles de la proposition de loi restent en discussion,
puisque l'Assemblée nationale a confirmé la plupart des solutions retenues par
le Sénat : la question de la mise en circulation unique ou multiple, la
question de la prise en compte ou de la non-prise en compte des sous-traitants
dans le domaine du bâtiment et, enfin, la question de savoir si l'exonération
pour risques de développement bénéficiera ou non aux produits de santé.
S'agissant de la mise en circulation unique ou multiple, la question est tout
à fait simple, et j'avoue ne pas très bien comprendre la position de
l'Assemblée nationale.
L'idée est que des délais courent à partir de la mise en circulation. Ainsi,
le délai de la responsabilité est de dix ans, ce qui, pour certains produits,
peut paraître court ; mais, compte tenu de l'accélération de la production et
du flux tendu, cette durée paraît tout de même, dans la plupart des cas,
satisfaisante.
La question, comme toujours en matière de délai, est de savoir quel est le
point de départ. Les responsabilités cumulées des producteurs, des grossistes
et des vendeurs détaillants, que nous avions admises, aboutissent à la
nécessité de plusieurs points de départ. En effet, il serait tout à fait
curieux et, de plus, extrêmement injuste de réduire le délai accordé au dernier
acquéreur, c'est-à-dire l'utilisateur, sous prétexte que le produit aurait été
conservé pendant un certain nombre d'années chez le producteur ou chez le
grossiste. Cela ne correspondrait pas du tout, à mon avis, à l'esprit du
texte.
Il est évident que le délai court à compter du moment où le produit a été mis
réellement en circulation dans le public pour la dernière fois, et c'est la
raison pour laquelle nous vous demanderons, mes chers collègues, par un
amendement qui sera d'ailleurs le seul que j'aurai à présenter, de rétablir la
pluralité des mises en circulation.
Par ailleurs, une question assez obscure concerne le secteur de la
construction. Je rappelle que, d'une manière générale, la directive ne
s'applique pas aux immeubles. Cependant, elle peut s'appliquer aux meubles qui
sont incorporés à ceux-ci, ce qui crée un problème. On a admis que les
professionnels, ou plutôt, puisque l'Assemblée nationale a préféré cette
formule - les raisons de cette préférence me paraissent contestables, mais peu
importe, ce point ne me gêne pas - « les personnes » qui sont soumises aux
prescriptions des articles 1792 et suivants relatifs aux garanties biennale et
décennale échapperaient à ce système de responsabilité, et ce afin de ne pas
compliquer davantage leur situation.
Dans l'esprit du Sénat, à partir du moment où cette exception était admise en
faveur des constructeurs en général, elle devait jouer, qu'il s'agisse d'un
constructeur à titre principal ou d'un sous-traitant. En effet, ce qui explique
cette différence de traitement, ce sont les techniques mises en oeuvre. Or, que
l'on recoure à ces techniques de construction en qualité d'entrepreneur
principal ou en qualité de sous-traitant, le travail est le même. On ne voit
donc pas pourquoi il y aurait deux régimes différents.
Cela étant, il nous semble que l'Assemblée nationale, contrairement à ce
qu'elle a cru, n'exclut pas totalement les sous-traitants : elle a souhaité en
effet limiter cette exclusion aux personnes dont la responsabilité peut être
recherchée sur le fondement des articles 1792 à 1792-6 et 1646-1 du code civil.
Or les sous-traitants eux-mêmes, en vertu de l'article 1792-4 du même code,
peuvent être exposés aux alinéas de l'article 1792 et, dans ces conditions, ils
remplissent bien la condition nécessaire pour bénéficier de cette exclusion.
Telle est, en tout cas, notre interprétation. C'est la raison pour laquelle,
sur ce point, qui relève d'ailleurs plus d'une querelle d'école que d'une
querelle concrète, il nous a semblé raisonnable de ne pas modifier la rédaction
de l'Assemblée nationale, étant entendu, cependant, que nous croyons pouvoir
l'interpréter différemment.
Reste enfin la question des risques de développement. Mais, comme je pense que
nous en parlerons tout à l'heure, « au corps à corps »
(sourires),
si je
puis dire,...
M. Charles Descours.
C'est peut-être excessif !
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
... même si ce sera naturellement avec toute la sérénité
voulue, je réserve mes explications sur ce point pour la suite de notre
discussion, soucieux de ne pas lasser votre attention, mes chers collègues,
surtout l'attention de ceux qui me seraient le moins favorables, à supposer
qu'il y en ait parmi vous - mais il faut tout craindre dans ce genre d'affaires
!
Je dirai simplement que la commission des lois a examiné les amendements avec
toute la considération qu'ils méritaient et en a longuement débattu.
Il lui a semblé que la nécessité de distinguer les produits de santé des
autres reposait tant sur une raison de fait, compte tenu de l'ampleur des
risques engendrés par les produits de santé, que sur une raison de droit, dont
je m'expliquerai tout à l'heure.
Compte tenu de ces deux raisons, la commission des lois, à une large majorité
- j'ai le regret de le dire à nos collègues et amis de la commission des
affaires sociales - n'a pas cru pouvoir retenir leur amendement.
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
Nous verrons si la même
majorité se retrouve tout à l'heure !
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
C'est sous le bénéfice de ces observations, mes chers
collègues, que la commission des lois vous invite à adopter les articles
restant en suspens, sous réserve de l'adoption de l'amendement auquel j'ai fait
allusion et sur lequel je reviendrai dans un instant.
M. le président.
La parole est à M. Huriet.
M. Claude Huriet.
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, en deuxième
lecture, le Sénat est aujourd'hui appelé à confirmer son vote de première
lecture sur l'importante question de la responsabilité du fabricant en matière
de risques de développement.
En première lecture, l'Assemblée nationale avait adopté un texte qui nous
paraissait bon. Elle a cru devoir y renoncer - temporairement, je l'espère -
sur l'initiative du Gouvernement, qui a proposé que seuls les fabricants de
produits de santé soient responsables d'éventuels défauts que l'état des
connaissances ne permettait pas de prévoir au moment de la mise sur le
marché.
Je m'adresserai d'abord à M. le rapporteur pour lui confirmer qu'il n'est
question pour aucun d'entre nous d'abaisser le niveau de sécurité et de
protection du consommateur.
Le travail largement engagé ou soutenu par la commission des affaires sociales
du Sénat démontre, si nécessaire, le contraire. Voilà des années que, à travers
nos travaux parlementaires, nous avons pour objectif de renforcer la sécurité
sanitaire des consommateurs. Pourquoi, dans une opportunité pareille, serions
nous amenés à changer d'attitude ?
Le Gouvernement avait déjà proposé, sans succès, cet amendement en première
lecture. Je souhaite que nous confirmions aujourd'hui notre opposition à un
texte qui présente des inconvénients redoutables pour la santé de nos
concitoyens. En effet, il compromet, quoi que vous en disiez, la recherche et
l'innovation dont bénéficient les malades. En outre, il peut légitimement être
interprété comme un signe que le Gouvernement veut remettre à plus tard le
règlement de l'importante question de l'aléa thérapeutique.
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
Très bien !
M. Claude Huriet.
Madame le ministre, vous venez de dire à l'instant - acte doit vous en être
donné - que le Gouvernement s'emploie à apporter une réponse à l'aléa
thérapeutique. C'est, à ma connaissance, un
scoop
car, jusqu'à présent,
malgré des initiatives parlementaires très diverses prises tout récemment
encore à l'Assemblée nationale, je n'avais pas acquis la conviction que le
Gouvernement cherchait enfin à apporter, dans les mois qui viennent, une
réponse à l'aléa thérapeutique.
A l'Assemblée nationale, la question des compétences de ces dispositions sur
la recherche et les progrès thérapeutiques a d'ailleurs été largement débattue,
notamment sur l'initiative de Mme Catala, auteur de la proposition de loi, et
de M. Forni, rapporteur de la commission des lois.
La réflexion sur ce point crucial est particulièrement importante, notamment
en matière de traitement de maladies graves telles que le sida ou les cancers,
où rien ne doit retarder ni compromettre l'accès des maladies aux nouvelles
possibilités thérapeutiques. Tel est l'objet de l'autorisation temporaire
d'utilisation, l'ATU.
Le code de la santé publique prévoit, en son article L. 601-2, que des
médicaments peuvent être utilisés à titre exceptionnel dès avant le stade de
l'autorisation de mise sur le marché, l'AMM, pour traiter des maladies graves
ou rares lorsqu'il n'existe pas de traitement approprié et que l'efficacité de
ces nouveaux médicaments est fortement présumée au vu des résultats d'essais
auxquels il a été procédé en vue de l'obtention de l'AMM.
Ces médicaments se voient délivrer une autorisation temporaire d'utilisation,
qui est accordée à condition qu'elle soit sollicitée dans le cadre d'un
protocole thérapeutique.
Cette procédure est très importante pour certains malades, qui bénéficient
ainsi des plus grandes innovations thérapeutiques dans les meilleurs délais. Ce
fut récemment le cas pour l'application de la trithérapie dans le traitement du
sida.
Vous avez indiqué à l'Assemblée nationale, madame le ministre, que le régime
de responsabilité applicable aux autorisations temporaires d'utilisation
n'était en aucun cas modifié par la transposition de la directive, et vous avez
fait référence à la loi du 20 décembre 1988 - mon collègue Franck Sérusclat et
moi-même avons quelques raisons de bien la connaître ! - qui prévoit un régime
de responsabilité sans faute du fabricant.
Permettez-moi de vous dire, madame le ministre, que tel n'est pas le cas. En
effet, les autorisations temporaires d'utilisation n'entrent pas dans le champ
d'application de cette loi sur la recherche biomédicale. Elles sont soumises
aux mêmes règles que celles qui s'appliquent aux médicaments ayant obtenu une
autorisation de mise sur le marché.
La loi du 20 décembre 1988 s'applique aux seules recherches biomédicales et
non aux médicaments sous ATU, tels que les trithérapies.
L'adoption par le Sénat du texte voté par l'Assemblée nationale à l'article 12
bis
aurait donc des conséquences très graves pour de nombreux malades
atteints de pathologies au pronostic redoutable en l'absence de nouvelle
thérapie.
Comment, en effet, l'Etat pourra-t-il demander à l'industrie de consentir à
mettre sur le marché, de façon anticipée, des médicaments innovants alors que
les fabricants seront déclarés responsables par avance de tout dommage ?
M. Charles Descours.
Evidemment !
M. Claude Huriet.
On ne peut pas à la fois souhaiter que l'industrie innove, exiger d'elle un «
comportement citoyen » en faveur de malades et la considérer comme responsable
de tout risque de développement.
Ma deuxième réflexion concerne la question lancinante de l'indemnisation de
l'aléa thérapeutique.
Les questions du risque de l'innovation et de l'aléa sont étroitement liées.
L'aléa médical est, à l'évidence, plus susceptible de résulter de
thérapeutiques innovantes que de thérapeutiques qui ne le sont pas, et nul ne
conteste que toute victime d'un dommage peut prétendre obtenir réparation.
En proposant cet amendement à l'Assemblée nationale, madame le ministre,
peut-être avez-vous souhaité rassurer les assocations de victimes d'aléas
thérapeutiques, notamment celles de l'hépatite C post-transfusionnelle.
A ce propos, permettez-moi de vous poser une question qui est essentielle à
mes yeux et qui ne laisse pas les victimes indifférentes : compte tenu de
l'ampleur de la dissémination du virus de l'hépatite C par voie
transfusionnelle, qui paiera, madame le ministre ?
M. Charles Descours.
Bonne question !
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Excellente question !
M. Claude Huriet.
Les établissements de transfusion sanguine, qui sont désormais assurés
exclusivement pour les risques encourus par les donneurs et non plus par les
receveurs ?
M. Charles Descours.
Cinquante milliards !
M. Claude Huriet.
Ce qui importe aux personnes atteintes par le virus de l'hépatite C, ce n'est
pas de savoir que les centres de transfusion seront qualifiés de responsables,
alors même que, jusqu'en 1990, aucun test ne permettait de détecter la présence
du virus dans le sang et que les établissements n'auront pas les financements
nécessaires ; ce qui leur importe avant tout, c'est d'obtenir une juste
indemnisation pour les dommages subis.
On le voit, le risque de développement ne concerne pas la seule industrie
pharmaceutique - dont nul ne doit ignorer la contribution aux progrès de la
médecine - mais il concerne tous ceux qui, entreprises privées ou structures
publiques, y apportent une large part.
A ce titre, l'amendement du Gouvernement doit être combattu, au nom de la
santé publique et non pour défendre tels ou tels intérêts particuliers.
M. Charles Descours.
Exactement !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
Très juste !
M. Claude Huriet.
Pour toutes ces raisons, je m'associe évidemment à l'amendement que M.
Jean-Pierre Fourcade défendra tout à l'heure au nom de notre commission des
affaires sociales.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste,
du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Charmant.
M. Marcel Charmant.
Monsieur le président, Madame le garde des sceaux, mes chers collègues, il
n'est pas utile de revenir sur l'historique de la transposition de la directive
européenne de 1985 instituant une nouvelle responsabilité du fait des produits
défectueux. Chacun ici sait le retard pris par la France en ce domaine : nous
sommes aujourd'hui le seul pays de la Communauté à ne pas avoir procédé à la
transposition, et nous sommes d'ailleurs menacés d'une très lourde
condamnation.
Il convient, à ce stade du débat, de rappeler plusieurs points.
D'abord, la transposition ne se substitue pas à notre propre régime de
responsabilité. Une fois la directive transposée, il sera toujours loisible à
une victime d'obtenir réparation sur la base des principes de notre droit
national. La présente proposition de loi ne peut dont être ressentie comme un
affaiblissement de la protection des consommateurs.
Ensuite, il convient de se souvenir que, lorsque la directive a été adoptée,
la règle de l'unanimité prévalait. Elle est donc le résultat d'un compromis non
seulement entre les Etats membres, mais aussi entre les intérêts de l'industrie
et des consommateurs.
Enfin, il est manifeste que cette directive visait les produits industriels de
consommation courante et non des produits plus spécifiques, notamment ceux qui
ont trait à la santé. Or le débat d'aujourd'hui porte principalement sur ce
point.
Lors de la première lecture, ici, au Sénat, nous avions engagé le débat sur le
lien existant entre ce texte et certaines dispositions législatives sur l'aléa
thérapeutique. C'est parce que nous avions perçu cette volonté dans votre
intervention, madame la ministre, que nous avions alors soutenu votre
amendement à l'article 12.
Nous ne saurions accepter le texte qui nous est proposé aujourd'hui sans
réflexion, sans débat et en l'absence d'assurances de votre part sur cette
question. C'est dans cet esprit que, fidèles à notre position, nous proposerons
un amendement précisant un calendrier de travail sur l'aléa thérapeutique et
sur son lien avec la présente proposition de loi. Mon ami François Autain aura
l'occasion de développer ce point.
Quoi qu'il en soit, je voudrais attirer votre attention sur le fait que, si le
texte qui nous est soumis était adopté en l'état, nous ferions bénéficier tous
les producteurs du principe de l'exonération pour risques de développement à
l'exception des professionnels des produits de santé, alors que, pour eux, la
mise sur le marché répond à des dispositions très précises et ne peut se faire
sans autorisation de l'Etat.
Par ailleurs, il convient de noter que les risques qui pèsent sur nos
concitoyens dans le domaine de la santé peuvent résulter de bien d'autres
produits que les produits médicaux. Cela doit nous conduire à une réflexion
plus large, dépassant le cadre de la présente proposition de loi. Si un régime
particulier de responsabilité doit être recherché, nous ne pouvons pas faire,
en effet, l'économie d'un débat sur le mode d'indemnisation des risques
sériels.
Un autre point reste en débat entre l'Assemblée nationale et le Sénat, au
sujet de la notion de mise en circulation.
Dans un souci de sécurité juridique, nous considérons qu'il ne peut y avoir
qu'une seule mise en circulation, correspondant au moment précis où le
producteur s'est dessaisi du produit. Aussi, nous ne partageons pas la solution
proposée par M. le rapporteur, qui estime qu'il doit y avoir autant de mises en
circulation que d'interventions des professionnels.
Nous arrivons au terme des délais qui nous ont été impartis pour transposer la
directive européenne. Depuis 1992, le Parlement et les gouvernements successifs
n'ont pas réglé les problèmes posés par la transposition de cette directive. Ne
serait-il pas sage d'en rester à la position adoptée par la quasi-totalité des
pays de la Communauté, c'est-à-dire au principe d'exonération de responsabilité
pour risques de développement, et de mettre en chantier la loi sur l'aléa
thérapeutique, si fortement réclamée ? On peut se poser légitimement la
question. Puisse notre débat d'aujourd'hui nous permettre d'y apporter la bonne
réponse. Vos propos, madame la ministre, seront déterminants.
(Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Cabanel.
M. Guy Cabanel.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, la
proposition de loi qui parvient aujourd'hui en deuxième lecture devant le Sénat
a déjà une longue histoire, chacun la connaît ici.
Sur les détails du cheminement de ce texte, je ne souhaite pas revenir. Je
note cependant dès à présent que, tout au long des péripéties de la
transposition française de la directive de 1985, le problème de l'exonération
éventuelle des producteurs en cas de dommage causé par un risque de
développement a, à lui seul, donné lieu à l'essentiel des désaccords et à la
relative paralysie législative que nous connaissons.
Aujourd'hui, à nouveau, ce problème resurgit avec l'adoption, par l'Assemblée
nationale, d'un amendemeent du Gouvernement précédemment rejeté par le
Sénat.
Du texte initial, il ne reste plus véritablement en débat que le problème de
l'exonération des producteurs de produits dits de santé. C'est un point
délicat, lourd de conséquences pour l'industrie pharmaceutique et pour celle,
naissante, des biotechnologies, mais aussi pour les patients traités par ces
produits.
Ce débat témoigne d'un légitime souci de voir une indemnisation des préjudices
garantie par la loi. Ce souci est compréhensible, il explique à l'évidence la
démarche de l'Assemblée nationale, qui a adopté le nouvel article 12
bis
de la proposition de loi.
Selon cet article, le producteur ne peut invoquer la clause d'exonération pour
les risques de développement prévue par la directive européenne lorsque le
dommage a été causé par un élément du corps humain, par les produits qui sont
issus de celui-ci ou par tout autre produit de santé destiné à l'homme à
finalité préventive, diagnostique ou thérapeutique.
L'article ainsi rédigé est lourd de conséquences. Il appelle, de ma part,
plusieurs réflexions.
En premier lieu, il m'apparaît qu'il comporte des expressions susceptibles
d'engendrer des confusions : je veux parler de notions obscures telles que
celle de producteur d'un élément du corps humain ou des produits issus de
celui-ci. Qui veut-on ou qui peut-on désigner par ces expressions ? Le donneur
d'organes lui-même, le praticien qui procède à l'extraction de l'élément du
corps humain, ou encore celui qui le conditionne, le transporte, ou enfin le
chirurgien qui le transplantera chez le receveur ?
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
C'est vrai !
M. Guy Cabanel.
Qui sera responsable en cas de dommage indécelable lors de la mise en
circulation, mais révélé ultérieurement ?
Ce point me paraît fondamental et mériterait d'être éclairci dans le débat de
ce jour, ou peut-être à l'occasion d'un autre débat spécifique, si l'on retient
la proposition de nos collègues MM. Charmant et Autain. Cette question
essentielle appelle en tout cas des éclaircissements car, à défaut, c'est la
jurisprudence qui tranchera et non le législateur.
Par ailleurs, refuser l'exonération pour risques de développement aux
producteurs de la pharmacie place ce secteur industriel français en fâcheuse
position vis-à-vis de ses concurrents européens. Sur les quatorze Etats membres
qui ont transposé la directive dans leur législation nationale, seuls trois ont
choisi la responsabilité des producteurs pour risques de développement : le
Luxembourg, qui ne possède pas de force industrielle en ce domaine et ne prend
donc aucun risque, la Finlande, où existe un système d'indemnisation par l'Etat
- ce qui n'est pas le cas chez nous, et l'on ne peut que s'en féliciter, parce
que la notion de risque est étendue - et, enfin, l'Espagne pour les produits
alimentaires et pharmaceutiques, ce pays ayant cependant choisi de fixer
parallèlement un plafond d'indemnisation.
La France se trouverait donc, si le Sénat confirmait la voie choisie par
l'Assemblée nationale, en situation de faire planer le risque d'une sanction
indéfinie sur l'un de ses secteurs d'activité les plus performants, en le
soumettant à une responsabilité quasiment illimitée.
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
C'est le cas actuellement !
M. Guy Cabanel.
Non, ce n'est pas le cas actuellement, cela se plaide !
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
C'est plaidé, et même jugé !
M. Guy Cabanel.
Non, pas actuellement ! Vous renforcez la législation, monsieur le rapporteur
: placé à un carrefour, vous faites un choix particulier, et je le respecte,
mais permettez-moi de poursuivre mon exposé.
La France se trouverait donc amenée à supporter un tel risque. A titre de
référence, je rappellerai simplement un moment très douloureux de l'histoire
médicale française, celui de l'indemnisation des victimes du sida par
contamination sanguine. Dans ce cas, les montants d'indemnisation se sont
élevés, en moyenne, à 1,5 million de francs par dossier, et il est d'ores et
déjà admis que ces décisions font figure de précédent en matière
d'indemnisation pour produit défectueux. On peut donc se préparer à affronter
un risque difficile à couvrir, que - certainement - les compagnies d'assurance
refuseront de couvrir pour les producteurs.
Nous voici donc en passe de fragiliser une industrie qui travaille à
l'amélioration de notre santé à tous, dans la seule perspective - tout à fait
respectable au demeurant - d'indemniser certaines victimes. Je souligne en
effet qu'en matière scientifique, particulièrement dans le domaine de la santé,
le risque « zéro » n'existe pas ; il serait important d'en persuader nos
concitoyens, c'est le plus grand service que nous pourrions leur rendre. Dès
lors, il ne saurait être question, dans la proposition en discussion, de
favoriser une meilleure sécurité des produits pharmaceutiques. D'ailleurs, la
mise sur le marché de ces produits est rigoureusement encadrée et suivie sur le
plan de la pharmacovigilance.
Ainsi, l'esprit de l'article 12
bis
se borne à confirmer l'assurance
donnée aux victimes d'une indemnisation en cas de défaut de sécurité
pratiquement reconnu indécelable, compte tenu des obstacles que l'on met sur la
voie d'une autorisation de mise sur le marché, et ce désir d'indemnisation
expose à une menace bien réelle la poursuite de la recherche dans l'industrie
pharmaceutique française.
Nous allons créer une exception française supplémentaire : nous serons les
seuls à mettre l'industrie pharmaceutique en face de ce risque, alors que les
autres pays ont appliqué la directive dans des conditions de prudence tout à
fait différentes.
On m'objectera sans doute que les entreprises visées se borneront, pour
répondre aux risques d'indemnisation, à souscrire une assurance «
responsabilité civile produits » étendue aux risques de développement. C'est
faire abstraction d'une double expérience en ce domaine, je vous demande d'être
attentifs à cet égard : d'une part, en Allemagne, les primes d'assurance se
sont révélées extrêmement onéreuses, notamment pour les PME de l'industrie
pharmaceutique, qui s'en sont trouvées dangereusement pénalisées ; d'autre
part, les sociétés d'assurance peuvent refuser de couvrir un tel risque ;
semblable incident s'est déjà produit en France pour les centres de transfusion
sanguine, entraînant parfois des situations de quasi-faillite, au cours des
années passées.
Il est donc permis de s'interroger sur les conséquences de la transposition de
cette directive. Je comprends parfaitement qu'il soit temps de prendre une
décision, mais je voudrais quand même vous mettre en garde, mes chers
collègues, car cette décision n'est pas sans importance.
Aux Etats-Unis, le refus de ce type de couverture est de plus en plus
fréquemment rencontré et menace les entreprises les plus innovantes, car ce
sont les plus fragiles.
Il existe pourtant une parade à un tel obstacle : je veux parler de la
fixation d'un plafond d'indemnisation. Semblable solution, je le reconnais
d'emblée, ne fait pas partie de la tradition juridique française. Elle offre
pourtant l'avantage de répondre au problème de l'indemnisation tout en
l'insérant dans des limites raisonnables et connues par avance. Les compagnies
d'assurance ne peuvent ainsi se dégager au motif que le risque est trop
important.
Mais une autre solution est également envisageable. En France, par
l'autorisation de mise sur le marché délivrée aux produits pharmaceutiques et
par le rôle primordial de la pharmacovigilance et de l'Agence du médicament,
l'Etat intervient en amont et en aval de la commercialisation du médicament. Il
conviendrait de tirer les conséquences de son intervention sur le plan de
l'indemnisation en cas de dommage.
Les frais d'indemnisation des victimes devraient donc être répartis à parts
égales ou solidairement entre les deux intervenants que sont à la fois l'Etat
et la société productrice du médicament. Cette voie médiane présenterait
l'avantage de répondre à la double exigence d'offrir une réparation raisonnable
à la victime d'un produit de santé en cas de risque de développement, tout en
maintenant les chances de l'innovation indispensable dans l'industrie
pharmaceutique française.
On le voit, des solutions existent qui pourraient éviter de faire de
l'industrie pharmaceutique le bouc émissaire de la nouvelle législation. J'ai
donc déposé un amendement qui définit cette responsabilité partagée pour les
produits pharmaceutiques. La discussion sur ce point permettra de prendre date
pour l'avenir. En effet - et je rejoins là les propos qui ont été tenus tout à
l'heure par certains orateurs - il m'apparaît que le débat d'aujourd'hui sur le
sujet précis des produits de santé ne fait que révéler un besoin beaucoup plus
global de réparation des victimes d'accidents « médicaux ».
Contrairement à ce que certains peuvent penser, il est très difficile de
séparer le médicament lui-même et les risques intrinsèques à sa molécule des
conditions d'utilisation, des erreurs qui peuvent être commises, du non-respect
de certaines règles de pharmacovigilance. C'est pourquoi, madame la ministre,
j'incite le Gouvernement à étudier très attentivement ce problème de fond.
Je note que, quelle que soit l'issue des travaux parlementaires, ils auront un
mérite non négligeable, celui de mettre en évidence la nécessité de procéder
enfin à l'examen d'un projet de loi relatif à l'aléa thérapeutique, attendu
depuis si longtemps.
(Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union
centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Bimbenet.
M. Jacques Bimbenet.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, la
proposition de loi que nous avons à examiner aujourd'hui en deuxième lecture -
tout le monde le sait, maintenant - transpose une directive de 1985 qui -
faut-il le rappeler ? - a déjà fait l'objet d'un examen parlementaire entre
1990 et 1992. Mais, à cette époque, les conclusions de la commission mixte
paritaire n'avaient pas été reprises par le Gouvernement pour adoption
définitive par les deux chambres. Déjà, le problème de l'exonération des
producteurs pour risques de développement avait constitué l'obstacle à la
traduction du texte communautaire dans notre droit.
Et pourquoi ne pas rappeler également qu'au moment de l'élaboration de la
directive elle-même, soit à partir de 1974, aucun accord n'avait pu être
trouvé, à chacun des niveaux de décision des institutions communautaires, sur
le point de la responsabilité des producteurs pour risques de développement
?
Autant dire que la controverse ne date pas d'hier et qu'elle souligne la
difficulté du sujet. De cette impossibilité de s'accorder est né le principe de
l'option ouverte aux Etats membres, qu'il nous reste à examiner aujourd'hui.
Un amendement du Gouvernement, refusant l'exonération des producteurs de
produits de santé pour les dommages causés par ce qu'il est convenu d'appeler
les « risques de développement », a en effet été adopté par l'Assemblée
nationale. L'amendement avait, en première lecture, été rejeté par notre
assemblée. Il fait maintenant l'objet d'une divergence de positions entre la
commission des lois, qui le soutient, et la commission des affaires sociales,
qui voudrait le supprimer.
Cette situation appelle, de ma part, un certain nombre de réflexions.
En premier lieu, je voudrais souligner que la décision du Gouvernement d'opter
en faveur d'une responsabilité de certains producteurs pour risques de
développement doit répondre à des conditions de forme prévues à l'article 15 de
la directive. Celui-ci énonce en effet que : « l'Etat membre qui souhaite
introduire » - une telle mesure - « communique à la Commission le texte
envisagé. Celle-ci en informe les autres Etats membres. L'Etat membre concerné
surseoit à prendre la mesure envisagée pendant un délai de neuf mois ». En cas
de silence de la Commission pendant trois mois, l'Etat membre peut alors
prendre la mesure envisagée.
On le voit, il n'est donc pas prévu par les dispositions de la directive
qu'une semblable décision soit prise sur le champ. Le formalisme assez
inhabituel requis par la directive dans le cadre de cette disposition souligne
en lui-même son importance.
D'ailleurs, seule une petite minorité d'Etats membres de l'Union européenne
ont choisi de faire ainsi usage de l'option en faveur de la responsabilisation
des producteurs pour risques de développement. Il s'agit, je le répète après
d'autres, du Luxembourg, de la Finlande, et de l'Espagne pour certains produits
seulement. La France souhaiterait donc se joindre à ces quelques Etats.
D'ores et déjà se pose avec évidence le problème de la discrimination à
rebours pour les sociétés de l'industrie pharmaceutique française. En effet, si
nous adoptons une telle disposition, nous prenons le risque très réel d'exposer
ce secteur d'activité à une situation moins favorable que celle de ses
concurents européens. On le sait, les entreprises de la santé, très conscientes
de ce danger, envisagent dès à présent de délocaliser leurs unités dans des
lieux plus avantageux. Avouons que parvenir à une telle extrémité ne semble pas
très opportun !
Par ailleurs, nous savons également aujourd'hui que les sociétés d'assurance -
on l'a dit - refuseront d'assurer le risque de développement, au motif légitime
que celui-ci n'est pas quantifiable.
M. Pierre Fauchon.
rapporteur.
Cela fait quinze ans qu'elles le disent !
M. Jacques Bimbenet.
Nous allons donc au-devant d'une situation dans laquelle les firmes
pharmaceutiques seraient tenues de procéder personnellement à l'indemnisation
des victimes. Cette solution ne peut être considérée sérieusement. Aucune
entreprise ne résisterait économiquement à une demande de réparation d'un
risque sériel. Quant aux petites et moyennes firmes de l'industrie
pharmaceutique, leur solvabilité serait immédiatement mise en cause.
J'ajoute qu'étant donné la tendance actuelle à la « victimisation », dénoncée
par le Conseil d'Etat dans son dernier rapport, il est à craindre que la
position choisie par l'amendement du Gouvernement n'engendre un phénomène
d'incitation à la demande d'indemnisation.
Ne nous y trompons pas : en fin de compte, les victimes ne seraient pas
indemnisées dans leur totalité et bien des sociétés déposeraient rapidement
leur bilan.
Graves sont les dangers qui menacent donc, derrière les meilleures intentions
! Alors que nul ne conteste le besoin de procéder à l'élaboration d'un système
de réparation complet et homogène en cas d'accident thérapeutique, il apparaît
que la disposition hâtive du Gouvernement ne figure pas dans le contexte
législatif adéquat.
Madame le garde de sceaux, combien de parlementaires ont déjà réclamé un
projet, combien ont déjà rédigé une proposition de loi sur l'aléa thérapeutique
?
Aujourd'hui, il semble que la réflexion sur ce sujet soit suffisamment avancée
pour que se dégage un consensus : seule la création d'un fonds d'indemnisation
permettra de répondre à la demande de réparation des risques sériels ou
individuels de victimes d'accidents thérapeutiques.
Pour ma part, j'estime qu'un tel fonds devrait être alimenté de façon
tripartite par les industriels de la pharmacie, à l'origine du risque, les
assureurs, qui bénéficieront des assurances de base correspondant à la
responsabilité objective des producteurs, et l'Etat, qui est directement
impliqué de par la délivrance de l'autorisation de mise sur le marché des
produits pharmaceutiques, mais aussi de par ses décisions en aval du système de
pharmacovigilance. La participation de l'Etat pourrait, par exemple, prendre la
forme d'une augmentation de la cotisation sociale généralisée.
Dans un tel système, on le voit, la charge de la réparation ne pèserait
lourdement sur aucun des secteurs considérés et les victimes verraient enfin
leur droit à réparation légalement reconnu.
Mes chers collègues, la directive de 1985 n'a pas été conçue pour régler
l'importante question de l'aléa thérapeutique. Ne nous laissons pas attirer
aujourd'hui par le miroir aux alouettes de l'indemnisation des risques de
développement par les seuls producteurs de l'industrie pharmaceutique;
réclamons sans plus attendre que s'engage, au sein de notre Parlement, sur
l'ensemble de l'aléa thérapeutique, un débat large et exhaustif, qui seul sera
à même de répondre de façon satisfaisante à un problème dont l'actualité se
fait chaque jour plus évidente.
(Très bien ! et applaudissement sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur
les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union
centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Pagès.
M. Robert Pagès.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous nous
apprêtons aujourd'hui à transposer définitivement dans le droit français la
directive 85-374, et ainsi à régler un contentieux qui dure depuis près de dix
ans entre le Gouvernement français et l'Union européenne.
Le texte qu'il nous revient d'examiner en deuxième lecture est sensiblement le
même que celui qu'a adopté le Sénat, le 5 février dernier.
A l'époque, le groupe communiste républicain et citoyen avait été le seul à
s'être exprimé contre. Or, force est de constater que les raisons essentielles
qui avaient motivé ce vote sont toujours présentes après réexamen par
l'Assemblée nationale.
Tout d'abord, l'introduction des éléments et produits du corps humain dans le
champ d'application du régime de la responsabilité du fait des produits
défectueux nous paraissait de nature à en faire des produits commerciaux et
industriels sans que soit reconnue leur spécificité.
En outre, la possibilité donnée au producteur de s'exonérer de sa
responsabilité pour risques de développement dans le cas où le défaut n'a été
décelé qu'après la mise en circulation du produit contribuait, selon nous, à
affaiblir les droits du consommateur et se trouvait en contradiction avec la
jurisprudence française telle qu'elle a évolué jusqu'à présent.
A cet égard, je m'interroge, d'ailleurs, sur la coexistence de deux sources de
droit, l'une jurisprudentielle, l'autre communautaire, dès lors qu'elles sont
opposées.
Il est à craindre que la jurisprudence française ne se trouve, à terme,
fragilisée face au droit normatif, comme notre collègue Pierre Fauchon l'avait
exposé, en première lecture, au nom de la commission des lois.
Dans l'immédiat, la confusion dans l'application des textes risque de se faire
aux dépens des consommateurs et des victimes. La liberté de choix ne me paraît
pas présenter de progrès ; elle tend, au contraire, à rendre plus complexe une
législation qui l'était déjà trop.
Nous regrettons d'autant plus le maintien du cas d'exonération de la
responsabilité du producteur dans l'hypothèse où l'état des connaissances
scientifiques et techniques ne permet pas de déceler le défaut au moment de la
mise en circulation du produit que la directive européenne elle-même laisse
libre chaque Etat d'y déroger ou non.
L'argument principal en faveur de l'irresponsabilité du producteur,
c'est-à-dire la défense des intérêts économiques de nos entreprises et le souci
d'éviter des distortions de concurrences avec les autres pays de la Communauté,
semble avoir prévalu sur la protection renforcée des consommateurs. Or,
l'expérience le montre, notre économie peut être compétitive sans cette
exonération pour risques de développement.
Dans une économie moderne, d'autres critères de développement que les seuls
paramètres économiques et financiers devraient pouvoir être mis en avant. Il
est, selon nous, de la responsabilité de l'Etat de mettre les acteurs de la vie
économique devant leurs propres responsabilités. La course au profit est
aveugle, nous le savons tous. C'est pourquoi les pires dérives sont possibles
si nous n'y prenons garde.
Les parlementaires communistes ont visiblement échoué à faire passer ce
message ; cependant, nous appelons le Gouvernement à rester vigilant sur
l'application de l'article 12.
En revanche, nous nous réjouissons de voir que l'Assemblée nationale a
finalement choisi de soumettre les produits de santé au principe de
l'obligation complète de sécurité.
Sur un sujet si sensible, il est essentiel que les deux assemblées réussissent
à se retrouver sur un compromis qui reconnaisse, en outre, la spécificité des
produits de santé sans que soit remise en cause la structure globale du
texte.
Bien évidemment, nous aurions préféré, quant à nous, que la responsabilité du
producteur soit reconnue en toutes circonstances.
En tout cas, nous ne pourrons transiger dans le domaine de la santé. Les
victimes ne comprendraient pas que l'on sacrifie les exigences de santé
publique et d'indemnisation des victimes sur l'autel de la performance de nos
industries pharmaceutiques, dont les marges de manoeuvre sont d'ores et déjà
importantes. Je rappelle en effet que ces industries ont pu prospérer jusqu'ici
malgré la législation actuelle, qui admet la responsabilité du producteur.
Nous estimons que ces industries, plus que d'autres peut-être, doivent assumer
pleinement leur responsabilité sociale au même titre que leur responsabilité
économique.
Notre devoir de législateur est de garder à l'esprit les tragédies du passé
afin que, de nouveau, des personnes ne se trouvent désemparées au milieu d'une
nébuleuse juridique, comme le furent les premières victimes du sang contaminé
dans les années quatre-vingt.
M. Claude Huriet.
Il s'agissait de produits d'origine humaine !
M. Robert Pagès.
Cela dit, les raisons avancées pour défendre cet alinéa pourraient être
retenues, me semble-t-il, pour d'autres produits qui présentent des risques
tout aussi inquiétants. Je pense ici, par exemple, à l'amiante.
Enfin, je ne voudrais pas terminer mon propos, mes chers collègues, sans me
désoler devant vous de la situation dans laquelle nous nous trouvons.
La France est toujours sous la menace d'une sanction pouvant aller, m'a-t'on
dit, jusqu'à 4 millions de francs par jour. Peut-on légiférer en toute sérénité
lorsque nous savons, par ailleurs, qu'une épée de Damoclès est suspendue
au-dessus de nos têtes et menace de tomber si le Parlement ne vote pas ce texte
dans les plus brefs délais ?
Certains voudront utiliser cet argument pour presser le Parlement et éviter la
mise en place d'une commission mixte paritaire si le Sénat n'est pas d'accord
avec l'Assemblée nationale.
Pour sa part, le groupe communiste républicain et citoyen jugera le texte au
regard des enjeux qu'il contient et déterminera son vote en fonction du
résultat des travaux de la Haute Assemblée.
(Applaudissements sur les
travées du groupe communiste républicain et citoyen. - M. le rapporteur
applaudit également.)
M. le président.
La parole est à M. Descours.
M. Charles Descours.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, si je
me permets d'intervenir à cette tribune, c'est parce que la commission des
affaires sociales se préoccupe depuis fort longtemps - au moins depuis huit ans
- de sécurité sanitaire et de santé publique, au travers de plusieurs textes de
loi portant sur le sang, l'Agence française du médicament, l'Etablissement
français public des greffes et, tout récemment, sous deux gouvernements
successifs, celui de M. Juppé et celui de M. Jospin, au travers d'une
proposition de loi portant sur la sécurité alimentaire et les produits de
santé.
Nous sommes donc fondés - je le dis à nos collègues de la commission des lois
- à nous exprimer, au moins autant que d'autres, sur ce sujet.
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Oh oui !
M. Jacques Machet.
Très bien !
M. Charles Descours.
Je voudrais dire d'emblée ce que vous-même, madame le ministre, avez relevé, à
savoir que dans toute activité humaine le risque zéro n'existe pas, tout
particulièrement quand il s'agit de problèmes thérapeutiques.
Or, si le risque zéro n'existe pas, l'on voit bien que l'amendement du
Gouvernement supprimant, pour les seuls produits de santé, la cause
d'exonération dite des risques de développement pénalise particulièrement les
laboratoires pharmaceutiques français.
En effet, un producteur pharmaceutique sera considéré comme responsable, même
si « l'état des connaissances scientifiques et techniques au moment où le
produit a été mis en circulation ne lui a pas permis de déceler l'existence de
défauts », aux termes de l'amendement du Gouvernement.
Excusez-moi, monsieur le rapporteur, de me placer sur le terrain du droit, ce
qui n'est pas mon métier, mais je voudrais tout de même rappeler à la
commission des lois que la faute, me semble-t-il, doit être distinguée de
l'aléa qui est inhérent à la notion même de médecine et de médicament. La
suppression de cette cause d'exonération ainsi envisagée reviendrait à ne pas
distinguer la faute, qui doit être punie, de l'aléa qui est inhérent à la
notion de médicament.
En effet, un médicament est essentiellement le résultat d'un équilibre entre
le bénéfice et le risque.
M. Claude Huriet.
Très bien !
M. Charles Descours.
Son existence est subordonnée à l'obtention d'une autorisation de mise sur le
marché - je reviendrai sur ce point - qui n'est accordée que lorsque le produit
présente un rapport bénéfice-risque favorable au patient en l'état des
connaissances scientifiques et techniques. Nous avons aujourd'hui abandonné des
thérapies qui avaient paru très importantes dans le passé, notamment en matière
de cancérologie.
Les médicaments ont, par nature, des effets indésirables. Chacun sait qu'un
antimitotique n'est efficace que s'il entraîne une chute des globules rouges -
leucopénie - importante qui, parfois, entraîne une aplasie, c'est-à-dire la
mort du malade. C'est parce qu'on prend le risque de cette mort que l'on a une
chance de sauver le malade. Si l'on ne prend pas le risque de cette mort, les
malades continueront à mourir du cancer.
L'autorisation de mise sur le marché et la pharmacovigilance aident à
apprécier le bon rapport bénéfice-risque, mais il ne faut pas aller au-delà et
confondre l'aléa thérapeutique avec la faute.
Cet amendement entraîne, en outre, des effets négatifs pour la santé publique
d'abord, pour la recherche hospitalo-universitaire ensuite, mais aussi, bien
sûr, pour la compétitivité de l'industrie pharmaceutique française.
Je veux dire un mot, après l'intervention de notre collègue M. Pagès, sur
l'industrie pharmaceutique française.
On peut peut-être le déplorer, mais cette industrie est désormais
multinationale, et le premier groupe français n'intervient qu'en dixième ou
douzième position. Aujourd'hui, les filiales françaises des groupes étrangers -
américains notamment, britanniques, voire allemands - réalisent un chiffre
d'affaires supérieur à celui du premier groupe français. Il nous faut donc
essayer de défendre les industries pharmaceutiques françaises - il n'y en a
plus beaucoup - dans un pays, où, mon cher collègue, la puissance publique
contingente et réglemente le prix du médicament, contrairement à ce qui se
pratique en Allemagne, où il est libre.
La suppression de l'exonération conduirait à pénaliser l'industrie
pharmaceutique française, en particulier, qui se verrait infliger sur son
marché principal des risques peut-être rarissimes, mais catastrophiques et
imprévisibles, alors que ses grands concurrents, surtout américains, sont
exonérés sur leur marché de toute responsabilité pour risque de développement.
C'est le
state of the art defense.
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Je conteste absolument cette interprétation, qui ne
correspond pas à la réalité. MM. Pagès et Cabanel l'ont dit tout à l'heure !
Monsieur Descours, me permettez-vous de vous interrompre ?
M. Charles Descours.
Je vous en prie.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
M. le rapporteur sait
tout. C'est merveilleux !
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Non, monsieur Fourcade ! Je me permets simplement de vous
renvoyer à un document publié par les services d'études du Sénat ; je ne crois
pas pouvoir trouver de meilleure source ! Vous constaterez à la lecture de ce
document, dont je ne suis pas l'auteur mais que j'ai pris la peine de lire - je
suis peut-être le seul - qu'il est inexact de soutenir que le risque de
développement est une cause d'exonération aux Etats-Unis. Je me permets de le
signaler à M. Descours.
Je vous invite les uns et les autres à lire ce document que je tiens à votre
disposition. Il est important car on invoque sans cesse cette référence aux
Etats-Unis, à tort sur ce point, selon moi.
M. le président.
Veuillez poursuivre, monsieur Descours.
M. Charles Descours.
En tout cas, vous serez d'accord avec moi, monsieur le rapporteur, pour
reconnaître que l'éventuelle suppression de cette exonération pourrait
contraindre les laboratoires français à retarder ou à renoncer à lancer dans
notre pays certains produits de pointe à une époque caractérisée par
l'accélération du développement des produits actifs et innovants.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Il n'y a pas de suppression puisque cela n'existe pas actuellement !
M. Charles Descours.
Nous sommes donc opposés au texte résultant de l'amendement du
Gouvernement.
Les laboratoires étrangers renonceraient également à ces lancements de
médicaments en France mais en seraient beaucoup moins pénalisés. Il en
résulterait donc un handicap réel pour l'industrie française, notamment pour
les PME - je répète que la plupart des laboratoires pharmaceutiques français, à
part un groupe peut-être, sont tous ou quasiment tous des PME - ainsi que des
risques de délocalisation. Rhône-Poulenc vient de racheter Rorer. Quel intérêt
aurait ce groupe à développer une molécule en France et à ne pas le faire aux
Etats-Unis, en Pennsylvanie ? Aucun. Evidemment, si l'on maintient ce texte,
Rhône-Poulenc ira développer cette molécule en Pennsylvanie !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
C'est évident !
M. Charles Descours.
L'article 12
bis
en l'état entraînerait, en outre, la non-assurabilité
des industries de santé. Or une activité économique fondée sur des risques non
assurables n'est pas viable.
Mais je voudrais, au-delà de l'industrie pharmaceutique qui a l'air de
passionner nos collègues, parler des effets négatifs pour les patients.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Que nous sommes tous...
M. Charles Descours.
Les consommateurs - excusez-moi de ce terme, mais nous sommes tous des
consommateurs potentiels - les patients français seraient dans l'impossibilité
de bénéficier aussi rapidement que leurs voisins des innovations thérapeutiques
majeures ou se trouveraient contraints de se faire soigner, dans certains cas,
à l'étranger.
Monsieur Dreyfus-Schmidt, vous qui êtes voisin de la Suisse, vous auriez
peut-être la possibilité d'aller chercher en Suisse des produits qu'il ne
serait pas possible d'acheter en France. Cela s'est fait dans le passé ; je ne
suis pas pour que cela continue et que s'instaure ainsi une médecine de riches
qui pourraient se rendre en Suisse et une médecine de pauvres qui ne pourraient
pas y aller.
(Marques d'approbation sur les travées du RPR et de l'Union
centriste.)
On peut même redouter que certaines molécules innovantes ne soient jamais
disponibles en France. De nouvelles stratégies thérapeutiques ouvrent
d'immenses espoirs de progrès, telle que la thérapie génique. Claude Huriet,
que j'ai modestement aidé dans cette affaire, sait mieux que quiconque qu'elles
seraient particulièrement pénalisées. Quand nous allons nous lancer dans la
thérapie génique, nous allons avoir des risques terribles. Faut-il ne pas les
prendre ?
En outre, cela compromettrait sérieusement le développement des médicaments
dits orphelins pour les maladies rares. Avec Claude Huriet, nous participerons
ici-même, le 7 mai prochain, à un colloque sur les maladies dites orphelines.
Je ne vois pas très bien comment ces maladies, qui sont des maladies génétiques
frappant des enfants d'une manière dramatique - qui se plaignent d'ailleurs
d'être mal soignés - pourront être traitées si nous n'avons pas la possibilité
de prendre des risques thérapeutiques.
Enfin, il y a des effets négatifs pour la recherche
hospitalo-universitaire.
Je citerai une communication du Gouvernement sur la politique en matière de
médicament, en date du 18 février 1998 :
« La localisation des activités de développement d'une molécule est largement
tributaire du choix du pays d'enregistrement. » C'est vrai.
« La conduite des essais cliniques sur des molécules innovantes est
essentielle pour la recherche hospitalo-universitaire, tant pour l'acquisition
de connaissances scientifiques que pour son financement. Sur les 14 milliards
de francs investis en 1995, en recherche et développement, par l'industrie
pharmaceutique en France, près d'un tiers est versé à la recherche
hospitalo-universitaire pour le développement clinique des nouvelles molécules.
»
L'industrie pharmaceutique, malheureusement, se substitue à l'Etat ; sous tous
les gouvernements, la recherche dans les CHU est le parent pauvre. Les budgets
sont ridicules et il faut bien que l'industrie pharmaceutique se substitue à
l'Etat pour que nos chercheurs soient à la hauteur de leurs collègues
étrangers.
Enfin, et je m'adresse encore à la commission des lois, le risque sériel,
comme le recommande le Conseil d'Etat - vous voyez, monsieur le rapporteur, que
j'ai de bonnes lectures - doit être pris en charge au nom du principe de
solidarité.
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Absolument !
M. Charles Descours.
Si le principe d'une indemnisation des victimes des aléas thérapeutiques est
légitime, il doit relever de la collectivité.
A ce propos, le Conseil d'Etat, dans son rapport de 1998, intitulé «
Réflexions sur le droit de la santé », affirme : « lorsqu'une infection frappe
un grand nombre de personnes - on parle alors de risques sériels, comme dans le
cas de l'hépatite C - sans qu'aucune faute soit imputable à quiconque, il est
souhaitable que l'indemnisation des dommages soit prise en charge au nom du
principe de solidarité qui est du ressort du législateur, de préférence au
principe de responsabilité qui est du ressort du juge ».
Cette indemnisation des risques sériels catastrophiques ne doit pas être
traitée dans le droit commun de la responsabilité des produits. A cet égard, je
partage tout à fait ce qui a été dit sur presque toutes les travées de notre
assemblée.
Nous devons prévoir une loi spécifique pour l'aléa thérapeutique qui entre
dans le cadre de la réflexion menée par le secrétaire d'Etat à la santé, ainsi
qu'il l'a dit lors du colloque que Jean-Pierre Fourcade, Claude Huriet et
moi-même avons organisé récemment au Sénat.
Le problème est que l'indemnisation des centaines de milliers de personnes
contaminées par l'hépatite C à cause des transfusions coûtera de 40 milliards à
50 milliards de francs. Je ne suis pas sûr que M. Kouchner parvienne à
convaincre M. Strauss-Kahn...
Enfin, l'amendement remet en cause l'autorité de l'Etat en matière de santé
publique. La sécurité des produits et la protection des consommateurs sont des
objectifs prioritaires et essentiels. Le Premier ministre l'a dit dans sa
déclaration de politique générale. Il a fait voter la loi sur la sécurité
sanitaire.
Ces objectifs sont à la base de la réglementation rigoureuse qui s'applique
aux produits de santé et des contrôles exécutés par l'Agence du médicament,
avant la délivrance par l'Etat d'une autorisation de mise sur le marché et
après cette mise sur le marché.
Je crois qu'aujourd'hui l'Agence du médicament, de même que celle que nous
sommes en train de mettre en place pour les produits de santé, est reconnue
dans le monde entier au point de vue sanitaire ; elle évite aux laboratoires de
demander une AMM au laboratoire de Londres.
Cette autorisation engage l'autorité de l'Etat et atteste que le produit
présente des garanties maximales de sécurité, condition
sine qua non
pour sa mise sur le marché, avec pour critère principal le rapport
bénéfice-risque pour le patient. L'Etat ne peut pas se dégager de la
responsabilité afférente à ses propres décisions.
Il me paraît inacceptable vis-à-vis de la population que l'Etat se dégage de
ses responsabilités en mettant exclusivement à la charge des industries de la
santé la responsabilité de risques imprévisibles associés à l'usage des
médicaments.
Je suis très sincèrement convaincu, monsieur le président, madame le garde des
sceaux, mes chers collègues, que nous devons voter la suppression de cet
amendement, compte tenu des problèmes de santé publique et de sécurité
sanitaire, comme vous le demandera tout à l'heure M. Jean-Pierre Fourcade en
présentant son amendement que je soutiendrai.
(Applaudissements sur les
travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union
centriste.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Ce n'est pas un amendement, c'est un article !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les
sénateurs, je ne répondrai pas maintenant à tous les intervenants ; je
reviendrai plus en détail, lors de la discussion des articles, sur un certain
nombre de questions qui ont été évoquées ici.
Cependant, je voudrais d'ores et déjà répondre à une question à laquelle vous
avez tous fait allusion ou que vous avez posée directement : qui paiera, en cas
de dommages en série affectant un grand nombre de victimes et résultant d'un
vice non décelable en l'état des connaissances scientifiques ? C'est une vraie
question que l'on ne peut évidemment pas éluder et que, je crois, il nous faut
aborder en regardant les choses en face.
Indépendamment du texte que nous examinons aujourd'hui, cette question se pose
déjà, et le texte que nous examinons n'est en aucune façon responsable de son
aggravation.
La Cour de cassation a une jurisprudence bien établie qui fait peser une
responsabilité objective sur le producteur. Ainsi, la responsabilité des
producteurs en matière de contamination par le virus de l'hépatite C est
reconnue, comme le confirme un arrêt du 9 juillet 1996. Nous sommes donc déjà
dans cette situation.
Par ailleurs, le Conseil d'Etat, lui aussi, a étendu aux dommages causés par
l'administration de produits issus du corps humain la notion de responsabilité
pour risque, si bien que les fabricants de produits sanguins sont, de fait,
soumis à une obligation de résultat en ce qui concerne la qualité de leurs
produits. Ainsi, indépendamment de la transposition de la directive, ce sont
actuellement les centres de transfusion sanguine qui indemnisent les victimes,
contrairement à ce que j'ai cru comprendre des propos de M. Huriet.
Selon moi, la réponse à la question « qui paiera ? », qui est une vraie
question, devra donc être apportée par un autre texte, après avoir engagé une
réflexion spécifique sur l'indemnisation des risques sériels.
M. Jean-Jacques Hyest.
C'est tout le problème !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
Je demande la
parole.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des affaires sociales.
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
Madame la ministre, je
ne voulais pas prendre la parole avant de présenter l'amendement n° 3, mais il
y a eu tellement d'arguments, tellement d'invocations à des arrêts de la Cour
de cassation que je me sens obligé d'intervenir dans la discussion générale.
Tout d'abord, en tant que président de la commission des affaires sociales, je
suis très choqué que le problème de l'aléa thérapeutique soit traité par le
biais d'une modification du code civil alors que, depuis huit ans, nous
travaillons avec les gouvernements successifs, au gré des alternances, pour
essayer d'aboutir à un texte. Mais l'élaboration d'un tel texte achoppe depuis
quelques années sur deux difficultés principales.
La première difficulté tient à la définition du concept de l'aléa
thérapeutique. Une définition est facile à trouver pour un médicament comme
l'aspirine, elle est en revanche très difficile à dégager pour les éléments du
corps humain et encore plus difficile à donner pour les produits résultant du
développement des technologies nouvelles, notamment des biotechnologies et des
thérapies géniques. La définition juridique du concept de l'aléa thérapeutique
suppose donc un approfondissement qu'en dépit de la science et de la
connaissance médicale parfaite des hauts magistrats de la Cour de cassation
nous ne sommes pas encore parvenus à bien cerner.
La seconde difficulté résulte de la bataille formidable que se livrent depuis
plusieurs années le ministre de l'économie et des finances, d'une part, et les
compagnies d'assurance, d'autre part, pour déterminer les critères selon
lesquels s'effectuera le partage de l'indemnisation.
Tout à l'heure, mon ami et collègue M. Jacques Bimbenet a parlé d'un fonds qui
serait alimenté de plusieurs façons. Mais voilà des années que nous discutons
de cette affaire avec des interlocuteurs successifs sans trouver de
solution.
Il est clair que, sur cette question, l'Etat a une tendance naturelle à «
refiler le bébé », si j'ose dire, aux compagnies d'assurance et, inversement,
les compagnies d'assurance ont une tendance naturelle à demander que l'Etat
prenne en charge la totalité de l'indemnisation, comme il a été contraint de le
faire à la suite de l'affaire de la transfusion sanguine - nous l'avons tous
regretté ici et nous en avons parlé bien longtemps - ou pour les problèmes liés
aux greffes de moelle. L'Etat a tendance à agir ainsi parce que la Cour de
cassation l'y incite, parce qu'il n'existe pas de texte sur l'aléa
thérapeutique.
Tels sont les deux problèmes.
Que l'on aborde ce sujet essentiel pour l'accroissement de nos activités en
matière de recherche et de développement scientifique et pharmaceutique par le
biais d'une modification du code civil, alors que la directive européenne
laisse la possibilité de le faire ou de ne pas le faire
(M. Charles Descours
fait un signe d'approbation),
me paraît sur le plan de la forme - comment
dirai-je pour ne pas offusquer mon éminent ami, M. le rapporteur de la
commission des lois ? - relever de l'apparence.
On en revient à Platon et au mythe de la caverne, on croit régler un problème
en insérant quelques dispositions dans le code civil, alors qu'il s'agit d'une
question de fond sur laquelle nous devons réfléchir encore. Il convient en
effet de dégager un accord entre l'Etat, qui autorise la mise sur le marché
dans notre pays, et les compagnies d'assurance, qui doivent financer un certain
nombre de conséquences.
Là est le vrai problème, le reste n'est qu'apparence ! C'est la raison pour
laquelle la commission des affaires sociales, dans sa majorité, a estimé qu'il
n'était pas convenable d'attaquer un tel problème par un si petit côté, par une
modification du code civil.
(Applaudissements sur les travées des
Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
C'est bien parce que je pense que ce n'est pas en
modifiant le code civil qu'on va régler le problème de l'indemnisation des
victimes qui se pose depuis si longtemps que j'estime que ce n'est ni le lieu
ni le moment de le traiter ! En l'occurrence, il s'agit de responsabilité et le
texte que je défends ne fait qu'inscrire dans la loi un dispositif que la
jurisprudence a déjà rendu intangible.
Monsieur Fourcade, en effet, ne confondons pas les débats !
(Très bien ! et
applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
A mon tour, je voudrais dire à notre excellent et éminent
collègue M. Fourcade, en mon nom personnel et au nom de la commission des lois,
qu'il ne pose pas le problème dans ses termes réels, d'après le propos qu'il
vient de tenir.
Aujourd'hui, nous sommes obligés de transposer une directive qui règle la
question de la responsabilité des produits d'une manière générale et nous ne
prétendons nullement régler le problème de l'aléa thérapeutique pour lequel,
nous en sommes tout à fait d'accord avec vous, il faut trouver une solution
globale.
Cette question n'est pas de notre responsabilité en l'occurrence et je
reconnais bien volontiers que vous assumez très bien votre tâche. Je profite
d'ailleurs de l'occasion qui m'est offerte pour rendre hommage aux actions
incessantes que vous menez, les uns et les autres, à ce sujet.
Mais, monsieur Fourcade, ce qu'il ne faut pas nous dire, c'est : on modifie le
code civil pour régler le problème.
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
Mais si !
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Mais non ! On ne modifie pas le code civil. Je vous prie
d'écouter un instant le juriste que je suis !
La jurisprudence actuelle n'admet pas l'exonération de la responsabilité pour
risques de développement sur ce problème qui se pose depuis une dizaine
d'années : ni la juridiction administrative ni la juridiction de la Cour de
cassation ne l'admettent.
On ne modifie donc pas le code civil sur le point qui vous intéresse, monsieur
Fourcade.
Je reconnais cependant avec vous, et je le redirai tout à l'heure, que le
développement de la science, des techniques et de la thérapeutique pose un
problème, mais sa solution ne réside pas dans le débat d'aujourd'hui.
(M.
Charles Descours s'exclame.)
Voilà vingt ans qu'il en est ainsi, monsieur Descours ! Ce n'est pas
nouveau.
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
Je demande la
parole.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des affaires sociales.
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
Nos points de vue se
rapprochent et je m'en félicite, madame la ministre, monsieur le rapporteur,
mais je n'accepte pas que, devant le Sénat de la République, on m'explique que
le droit est fait par la Cour de cassation ou par le Conseil d'Etat et que le
Parlement n'a rien à faire !
(Applaudissements sur les travées des
Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
Je ne l'accepte pas, et c'est la raison pour laquelle je présenterai tout à
l'heure l'amendement n° 3.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
C'est un autre argument !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
C'est un argument
important.
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
C'est un autre débat !
M. Jean Chérioux.
Monsieur Fauchon, les arrêts de règlement, cela n'existe plus depuis la
Révolution !
M. Guy Cabanel.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Cabanel.
M. Guy Cabanel.
Je tiens à répondre à M. le rapporteur qui a dit qu'une étude du Sénat - et
Dieu sait si les conclusions de ces études sont sûres ! - a permis de montrer
qu'il ne s'agissait pas de résoudre le problème de l'aléa thérapeutique en
modifiant le code civil.
Il est vrai que le droit s'applique et qu'il a été arrêté par la Cour de
cassation, ce que je ne conteste pas. Mais aujourd'hui, alors qu'une directive
ouvre une possibilité et que le climat change dans dix Etats européens, nous
optons pour une exception française en confirmant notre droit. Voilà pourquoi
j'ai déposé un amendement.
En effet, si le premier alinéa du fameux article 12
bis
est supprimé,
il sera nécessaire de combler ce vide par un partage des responsabilités entre
l'Etat et les producteurs, ce qui est logique dans la tradition française où
l'Etat est très engagé dans le contrôle des médicaments, beaucoup plus que dans
d'autres pays, ce dont je me félicite. Puisque nous pouvons nous engager dans
cette voie, faisons-le.
Je ne critique pas les propos qui ont été tenus par les uns et par les autres.
Mes chers collègues, je vous mets en garde : dix Etats européens choisissent
une voie différente de la nôtre, ce qui présente des risques. Mais nous
devrions parvenir à dégager une solution raisonnable.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
J'informe le Sénat que la commission des lois constitutionnelles, de
législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale
m'a fait connaître qu'elle a d'ores et déjà procédé à la désignation des
candidats qu'elle présentera si le Gouvernement demande la réunion d'une
commission mixte paritaire en vue de proposer un texte sur la proposition de
loi actuellement en cours d'examen.
Ces candidatures ont été affichées pour permettre le respect du délai
réglementaire.
Nous passons à la discussion des articles.
Je rappelle qu'aux termes de l'article 42, alinéa 10, du règlement, à partir
de la deuxième lecture au Sénat des propositions de loi, la discussion des
articles est limitée à ceux pour lesquels les deux chambres du Parlement n'ont
pas encore adopté un texte identique.
Article 6