M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi, je donne la parole à M. Fischer pour explication de vote.
M. Guy Fischer. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, à l'issue de nos travaux, une question me vient à l'esprit : sommes-nous vraiment en seconde lecture de ce projet de loi, sommes-nous vraiment le 8 avril ?
Au-delà de cette question, chacun conviendra que nous devons nous interroger pour savoir pourquoi la majorité sénatoriale a jugé utile de procéder, en gros, à une réécriture du texte du présent projet de loi ressemblant comme une soeur à celle qui était issue de nos travaux des 3 et 4 mars dernier.
Entre-temps, nous avons connu un ensemble de consultations électorales qui ont conduit les partis composant l'actuelle majorité sénatoriale à connaître un échec des plus retentissants, que seules quelques manoeuvres de couloir sont venues corriger.
Nous sommes donc en droit de nous demander, comme nous l'avons fait aujourd'hui encore dans le cadre de la discussion, ce qui légitime la position de la majorité sénatoriale.
On pourra nous répondre que c'est le souci de la santé de nos entreprises, confrontées au défi de la réduction du temps de travail, qui guide la démarche de la majorité.
M. Emmanuel Hamel. C'est tout à fait cela !
M. Guy Fischer. Mais l'examen de la réalité de la situation de nos entreprises ne nous permet pas de conclure qu'elles sont particulièrement en danger, eu égard à la santé florissante des marchés financiers, à l'état des marges brutes d'exploitation et des capacités d'autofinancement.
M. Hilaire Flandre. Vous avez dirigé beaucoup d'entreprises ?
M. Guy Fischer. Est-ce la gravité de la situation de l'emploi ? Si tel était le cas, il y a longtemps que les solutions que l'on nous propose encore aujourd'hui auraient fait la démonstration de leur efficacité.
Je pense, pour ma part, que, contrairement aux intentions affichées, le mouvement de soutien à la création d'emplois sous-payés et sous-qualifiés a constitué et constitue encore aujourd'hui l'une des sources essentielles de dégradation de la situation économique et sociale et l'un des vecteurs du développement du chômage.
Non, sur le fond, comme le dirait M. Fourcade, deux philosophies s'opposent (Sourires), et la position de la majorité de la commission des affaires sociales - et probablement de la majorité du Sénat - est une position purement idéologique.
Elle l'est en ce qu'elle tend à prendre en compte une aspiration assez largement partagée par les salariés de ce pays pour tenter de la retourner en faveur des entreprises et de la rentabilité des capitaux propres, qui, on le sait, est continuellement menacée par une ancienne tendance à la baisse.
Elle l'est alors même que la représentativité du CNPF, organisation qui inspire directement cette position, est aujourd'hui singulièrement remise en cause, à en juger par le nombre particulièrement réduit d'employeurs qui ont jugé utile de voter dernièrement tant aux élections consulaires qu'aux élections prud'homales. Et quand on constate le taux d'abstention aux dernières élections régionales et cantonales, on ne peut que s'inquiéter pour la citoyenneté et la démocratie !
Elle l'est, enfin, parce qu'elle n'aura de toute façon que fort peu d'écho dans le texte final du projet de loi.
A ce propos, vous me permettrez de souligner une fois de plus que le texte issu en deuxième lecture des travaux de l'Assemblée nationale était équilibré et positif et qu'il fixait un cadre acceptable à l'ouverture de la négociation collective.
Tout n'est pas écrit, toutefois, et il importe, à notre sens, de laisser effectivement à la négociation collective le soin de régler quelques questions en suspens. Je pense notamment au problème de l'application de la notion de temps de travail effectif dans certains secteurs d'activité.
Il importe aussi de faire vivre la réduction du temps de travail dans la vie même du pays et dans les conditions de travail des salariés.
Tout n'est pas fini, et nous pensons même, d'une certaine façon, que tout commence désormais.
En tout état de cause, nous ne voterons pas le texte issu des travaux du Sénat, texte qui, je n'en doute pas, n'aura que peu de rapport avec le texte final de la loi. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen ainsi que sur les travées socialistes.)
M. Emmanuel Hamel. Hélas pour l'emploi !
M. le président. La parole est à Mme Dieulangard.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, pour la deuxième fois, nous sommes contraints de voter contre un projet de loi que nous soutenions pourtant avec conviction dans sa rédaction initiale.
Il a été dit à plusieurs reprises que c'était d'abord l'idéologie qui nous séparait. Nous avons l'impression que ce qui nous sépare aujourd'hui est beaucoup plus en rapport avec la vie quotidienne des salariés !
S'agissant de la réduction du temps de travail, nous observons que l'expérience de la loi Robien a montré qu'il existe un espace de négociation sur ce point, et qu'il ne demande qu'à être développé.
On ne peut ici nous taxer d'idéologie, puisque nous reconnaissons ce fait et que nous voulons développer plus largement la réduction du temps de travail, mais en éliminant les effets pervers de la loi Robien. Je veux parler des effets d'aubaine qu'elle a générés et de son coût prohibitif pour les finances publiques.
A l'inverse, la majorité sénatoriale s'arrête au milieu du gué et entend figer la législation à cette expérience, certes intéressante mais insuffisante.
Mais nous sommes opposés également aux dispositions que la majorité du Sénat a adoptées sur des questions telles que la définition du temps de travail effectif, le refus de la moralisation du temps partiel, de la pénalisation des heures supplémentaires excessives et de la requalification des contrats à temps partiel.
C'est sur des points aussi concrets qu'apparaît entre nous un clivage, que l'on peut qualifier d'idéologique mais qui, pour des millions de salariés, est extrêmement concret. Un clivage qui se mesure en heures de présence non rémunérées, en difficultés pour assurer la vie quotidienne.
Contrairement à ce qui a été dit, nous ne méconnaissons pas la nécessité de maintenir nos entreprises au niveau de la compétitivité internationale. Nous trouvons dans la réduction du temps de travail des motifs d'inciter nos entreprises à réaliser, pour nombre d'entre elles, un indispensable effort de réorganisation et d'amélioration de la productivité. Nous parions également, parce que c'est un facteur humain indispensable, sur la réussite du dialogue social dans l'entreprise et sur la capacité de la société à se saisir sur le terrain des moyens que nous lui offrons pour faire reculer le chômage.
Le retour de la croissance ne sera qu'un feu de paille si cette croissance ne profite qu'à une petite minorité d'actionnaires et de catégories de salariés ou de professions privilégiées, tandis que la majorité serait confinée dans la précarité.
Il est indispensable de préserver une cohésion sociale suffisante et de prévenir la montée de la précarité. Nous en reparlerons bientôt : les différents projets de loi que nous présente le Gouvernement, en matière sociale notamment, visent tous cet objectif d'une société plus juste. Nous ne pouvons donc souscrire à ce qui les dénature. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Ostermann.
M. Joseph Ostermann. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi, élaboré sous le signe de l'idéologie, a été examiné par l'Assemblée nationale dans le même esprit. Aucune des nombreuses propositions et améliorations proposées par le Sénat n'a été retenue, et ce contre toute logique économique, mais également en contradiction avec la nécessaire sécurité juridique qui doit présider à l'élaboration du droit du travail.
Les économistes sont très partagés quant au nombre de créations d'emplois qui peuvent être attendues d'une réduction du temps de travail. En revanche, c'est sans ambiguïté que l'on peut affirmer que notre économie souffrira d'une baisse autoritaire et généralisée de sa compétitivité.
La seule garantie de création d'emplois dans nos PME reste la réduction des charges et l'accroissement de la flexibilité au sein des entreprises. En effet, les entreprises, dans leur grande majorité - et plus particulièrement les PME - verront augmenter fortement leurs charges ainsi que leurs contraintes en termes d'organisation de leur production à un moment où elles doivent faire face à la mise en place de l'euro.
La diminution de leur compétitivité, entraînant la baisse des commandes, aboutira inévitablement à des pertes d'emplois. L'effet sera d'autant plus néfaste que la France sera isolée parmi ses partenaires européens. Cela risque d'entraîner des distorsions de concurrence et des délocalisations massives.
De même, les dispositions entravant désormais le recours au temps partiel qui doivent prétendument « moraliser » cette forme d'organisation du travail sont à double tranchant. Certes, ces nouvelles mesures limiteront sans doute certains abus. Mais il existe des secteurs, comme ceux de la propreté ou de la restauration, dans lesquels les nouvelles contraintes d'horaires sont inapplicables, ou alors seront applicables, mais au détriment du salarié.
Concernant le « double SMIC », innovation sociale de l'année, la situation sera rapidement inextricable.
Comment faire cohabiter un salarié travaillant 35 heures payées 39 et un autre travaillant 39 heures payées 40 ?
De plus, n'est-il pas contradictoire de réduire l'accès au temps partiel alors que le nouveau SMIC va rendre cette organisation du temps de travail attrayante du point de vue du coût du travail ? Ainsi, il est aisé de calculer que les salariés bénéficiant d'une réduction du temps de travail à 35 heures payées 39 auront un coût horaire supérieur aux salariés travaillant à temps partiel et rémunérés au SMIC horaire.
Vos choix sont donc bien peu lisibles, madame le ministre.
Quant à l'aspect juridique de votre texte, je prendrai le désormais célèbre article 4 bis en exemple pour en illustrer les faiblesses.
Je crois savoir, madame le ministre, que vous êtes en désaccord avec la majorité de l'Assemblée nationale, qui a choisi d'adopter un texte extrême, riche d'incertitudes, réduisant encore davantage le temps de travail effectif des salariés.
Ne craignez-vous pas qu'une jurisprudence fluctuante ne se mette en place au détriment de tous, y compris des salariés, ainsi que l'a brillamment exposé notre collègue Louis Souvet, que je tiens à saluer pour la qualité de son travail sur ce projet de loi ?
En outre, la rédaction de l'Assemblée nationale ne correspond pas à la directive européenne.
Ce projet de loi est dangereux. Les premiers effets en sont désormais connus, à savoir : rupture du dialogue social au sein des entreprises, dénonciation de plusieurs conventions collectives, effets d'aubaine annoncés pour des emplois qui, en tout état de cause, auraient été créés, crainte d'une perte de pouvoir d'achat, durcissement anticipé des conditions de travail afin d'absorber le choc.
La majorité sénatoriale insiste et propose de nouveau, par l'intermédiaire de son rapporteur, une voie réaliste, sans contrainte inutile.
Le groupe du RPR votera le texte tel qu'il a été amendé par notre Haute Assemblée, en espérant qu'à l'avenir l'Assemblée nationale tiendra davantage compte des propositions du Sénat. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Emmanuel Hamel. Puisse-t-elle le faire !
M. le président. La parole est à M. Machet.
M. Jacques Machet. La majorité sénatoriale n'a pas voulu rejeter de manière abrupte votre projet de loi, madame le ministre, même si elle était en profond désaccord avec vos propositions en raison de leur caractère abstrait et normatif.
La réduction de la durée du temps de travail n'est concevable que dans la mesure, d'une part, où elle respecte la diversité du tissu économique français et, d'autre part, où elle renforce la capacité compétitive de nos entreprises. Sinon, il n'interviendra pas de son fait de créations d'emplois.
Il est inconcevable que l'on puisse appliquer le même schéma aux entreprises quelles que soient leurs tâches, qu'elles appartiennent à l'industrie, aux services, au secteur privé, à la fonction publique ou au monde associatif. Chaque branche économique, chaque entreprise a ses contraintes propres, ses impératifs, liés en particulier à sa place sur le marché.
La commission des affaires sociales, dont je suis membre, a eu la volonté de réaliser un travail considérable et de qualité pour que le débat soit constructif et pour que le Sénat puisse adopter des principes qui nous paraissent essentiels.
Avec mes collègues du groupe de l'Union centriste, je voudrais rendre hommage à notre rapporteur, notre collègue Louis Souvet, ainsi qu'au président de la commission, M. Fourcade, ce pédagogue né, qui a su, tout au long de ces débats, nous mettre en confiance, mais aussi à la commission d'enquête, à son président et à son rapporteur, M. Arthuis, qui ont su, de la manière la plus objective possible, exprimer notre volonté d'améliorer le projet de loi, de le réorienter et de lui donner une tournure plus réaliste. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à Mme Heinis.
Mme Anne Heinis. Je vous avais fait part, madame le ministre, lors de la première lecture de ce texte par notre Haute Assemblée, des réticences profondes que j'éprouvais vis-à-vis des 35 heures obligatoires.
Je rappelle que je ne suis pas du tout hostile au principe des 35 heures : des négociations peuvent être menées à ce sujet, à condition que ce ne soit pas une obligation.
Le problème que nous aurons à résoudre à l'avenir, c'est celui de la création d'emplois. Cela suppose la libération des initiatives et des responsabilités. Or, outre la nature obligatoire du texte, ce qui me choque profondément, c'est le côté figé de la solution retenue : on ne crée pas d'emplois, on se contente de dire que l'on va partager l'emploi existant et qu'ainsi l'on dégagera des postes.
Madame le ministre, je connais beaucoup de personnes - je vous l'assure - qui accepteraient de créer des emplois, mais à deux conditions : d'abord, bien sûr, qu'elles puissent vendre ce qu'elles fabriquent et surtout, si la première condition est remplie - et elle pourrait l'être dans bien des cas - que ne se dresse pas devant elles une montagne de difficultés telle qu'elles en soient découragées.
Ce qu'il faut, dans notre pays, c'est créer l'enthousiasme pour le travail. Or, je crains que ce texte n'accrédite l'idée qu'en définitive moins il y a de travail, mieux cela vaut, qu'il faut essayer d'en faire le moins possible, qu'on peut justifier son refus de faire un effort en se disant que ce que l'on ne fera pas d'autres le feront et qu'ainsi l'on participera à la création d'emplois.
Ce raisonnement est faux. Il se saurait en aucun cas susciter un réflexe créateur, et c'est peut-être l'une des raisons majeures pour lesquelles, personnellement, je ne pourrai pas voter ce texte.
Deux autres points me chagrinent plus particulièrement : la définition du temps de travail effectif, qui a donné lieu à de longs débats et à propos de laquelle je me rallie, bien sûr, à la position de la commission, et l'utilisation du terme « moralisation » en matière de temps partiel. Le choix de ce terme me paraît en effet assez peu judicieux, car on mélange des idées qui, prises isolément, ne sont pas fausses, pour aboutir à des contradictions.
Il est vrai qu'il y a plus de femmes que d'hommes qui travaillent à temps partiel, et il est tout aussi vrai qu'il y a des métiers dans lesquels on exploite les femmes. Mais ce qu'il faut, c'est lutter contre les excès et non pas faire une loi qui généralise dès que l'on constate un abus.
Il est faux de dire que toutes les femmes qui travaillent à temps partiel le font parce qu'elles y sont obligées.
Toutes les femmes que j'emploie travaillent à temps partiel parce qu'elles l'ont demandé et que, bien évidemment, même si cela ne m'arrangeait pas toujours, je l'ai accepté.
Plutôt que de « moraliser » comme vous voulez le faire - encore une fois, le terme est mal choisi - mieux vaudrait poursuivre sans pitié les excès. Il n'est pas judicieux de prendre des mesures générales, d'autant que les femmes, en particulier, ne le demandent pas et que cela ne va pas dans le sens des expériences positives qui sont menées dans les pays voisins.
Pour toutes les raisons qui ont été avancées par les intervenants de la majorité sénatoriale, le groupe des Républicains et Indépendants, au nom duquel je m'exprime maintenant, suivra l'avis de la commission, en remerciant son rapporteur et son président de leur contribution, contribution dont je regrette, madame le ministre, que vous ne teniez pas un compte suffisant. (Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.) M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 83:
Nombre de votants | 317 |
Nombre de suffrages exprimés | 310 |
Majorité absolue des suffrages | 156 |
Pour l'adoption | 212 |
Contre | 98 |
M. Emmanuel Hamel. Voilà un bon vote !
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