RÉDUCTION DU TEMPS DE TRAVAIL
Discussion d'un projet de loi
en deuxième lecture
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion, en deuxième lecture, du projet de loi
(n° 363, 1997-1998), adopté avec modifications par l'Assemblée nationale, en
deuxième lecture, d'orientation et d'incitation relatif à la réduction du temps
de travail. [Rapport n° 365 (1997-1998).]
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le ministre.
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, vous allez donc aujourd'hui examiner pour la
deuxième fois le projet de loi d'orientation et d'incitation relatif à la
réduction du temps de travail, qui traduit l'une des priorités essentielles de
l'action du Gouvernement dans la lutte contre le chômage.
Même si la croissance est de retour, un processus rapide de réduction du temps
de travail apparaît indispensable pour apporter des solutions au problème du
chômage dans notre pays. L'ampleur du phénomène nécessite en effet que nous
nous y attaquions sur tous les terrains et par toutes les voies possibles.
Les débats que nous avons eus en première lecture ont montré que, sur le fond,
cette orientation était loin d'être récusée par l'ensemble de la majorité
sénatoriale.
Certains parmi vous ont certes remis en cause l'idée que la réduction de la
durée du travail puisse avoir un impact favorable sur l'emploi et se sont
opposés à toute incitation émanant des pouvoirs publics, y compris par la voie
d'aides financières.
Il n'en demeure pas moins qu'une majorité d'entre vous a, au contraire, estimé
que la réduction du temps de travail est une piste prometteuse - parfois même
incontournable pour l'emploi, a-t-on entendu - et qu'il convient de la
favoriser par des incitations financières appropriées, même si certains ne
partagent pas notre point de vue selon lequel un objectif clair doit être fixé
par la loi afin d'impulser un véritable et important mouvement de réduction de
la durée du travail.
Enfin, certains sénateurs de la majorité sénatoriale, comme M. Cabanel, ont
déclaré que la réduction du temps de travail constituait un mouvement
inéluctable et souhaitaient voir la Haute Assemblée lui apporter un appui
significatif.
Aussi, c'est avec regret que j'ai constaté que le texte adopté au Sénat en
première lecture et transmis à l'Assemblée nationale pour un second examen
comportait des remises en cause tellement importantes que le Gouvernement et la
majorité des députés n'ont pu les accepter et ont estimé indispensable de
réaffirmer les objectifs qui sont les leurs.
C'est donc un texte proche du projet de loi initial qui vous est soumis
aujourd'hui, mesdames, messieurs les sénateurs, enrichi d'une série
d'améliorations que j'estime pour ma part judicieuses.
Le point le plus important concerne, bien sûr, les articles 1er et 2 du projet
de loi, que l'Assemblée nationale a à la fois rétablis et complétés et qui
programment une baisse de la durée légale du travail au 1er janvier 2000 dans
les entreprises de plus de vingt salariés en appelant les partenaires sociaux à
en négocier les modalités. Sans un tel objectif, les négociations avanceront à
un rythme trop lent pour que soient perceptibles sur l'emploi les effets que
l'on peut escompter d'un tel mouvement.
Je souscris donc, bien sûr, au rétablissement de ces articles, dans la mesure
où ils sont essentiels pour fixer le cap et parvenir à un développement majeur
de la négociation sociale.
L'Assemblée nationale les a enrichis en prenant en compte la situation des
entreprises qui franchiront le seuil des vingt salariés entre 2000 et 2002 -
votre rapporteur avait évoqué cette question dans le débat - et en prévoyant
une possibilité de négociation dans le cadre de commissions paritaires
locales.
Je ne puis donc que regretter que votre commission propose de nouveau la
suppression de l'article 1er, ainsi que des modifications qui, à mon sens,
affaiblissent l'article 2.
De même, l'Assemblée nationale a rétabli en deuxième lecture, à travers
l'article 3, le principe d'une incitation financière à la réduction du temps de
travail. J'avais noté avec satisfaction, lors de nos premiers débats - j'en ai
d'ailleurs fait part à l'Assemblée nationale - que, tout en reconnaissant les
effets positifs de la loi du 11 juin 1996 pour le lancement de la négociation,
nous partagions certaines critiques à son égard, notamment quant aux conditions
trop sélectives d'accès au dispositif, à la nécessité de mettre en place un
processus dégressif pour mieux en gérer la sortie et au taux trop élevé de
l'aide accordée pour les hauts salaires.
Toutefois, votre volonté de conserver une incitation proportionnelle au
salaire et non forfaitaire, qui est confirmée par les amendements présentés par
votre commission, aboutit à la fixation de montants d'aides trop réduits pour
les bas salaires. Ainsi, au niveau du SMIC, l'aide que vous proposez
n'atteindrait que 60 % de celle qui était prévue dans le projet de loi initial,
et seulement la moitié lors de la cinquième année.
L'Assemblée nationale a, par ailleurs, rétabli les dispositions de l'article 3
concernant le mandatement, que nous avons voulu entourer des meilleures
garanties pour favoriser la négociation dans les petites entreprises dépourvues
de délégués syndicaux, ainsi que les dispositions relatives au contenu des
accords de réduction du temps de travail et au suivi paritaire de leur
application, qui me paraît essentiel pour garantir la réalité de la réduction
du temps de travail et le bon usage des fonds publics.
Elle a enfin utilement complété le texte en prévoyant d'ouvrir l'accès à
l'incitation financière aux entreprises d'armement maritime, en offrant aux
petites et moyennes entreprises la possibilité d'embaucher dans le cadre de
groupement d'employeurs et en proposant que l'Etat soutienne les efforts
qu'entreprendront les organisations syndicales pour former des salariés
mandatés à la négociation dans les petites entreprises. Ce point me paraît
important car le développement de la négociation dans les petites entreprises
est une condition essentielle du succès de la loi et cette négociation
nécessite un savoir-faire, des connaissances et une compréhension du
fonctionnement de l'entreprise mais aussi des règles juridiques qui doivent
être acquis par les salariés mandatés pour garantir des accords équilibrés.
Par conséquent, je regrette que l'amendement proposé par la commission
s'oppose à la mise en place d'un nouveau dispositif comportant ces
enrichissements et s'en tienne à une simple modification de la loi du 11 juin
1996.
J'en viens à la définition du travail effectif, qui fait l'objet de l'article
4
bis,
lequel s'inscrit, avec l'article relatif aux pauses et aux repos
quotidiens, dans le cadre de la transposition de la directive européenne de
novembre 1993 portant sur l'aménagement du temps de travail.
La volonté de l'Assemblée nationale de transposer la directive en prenant en
compte en même temps les avancées récentes de la jurisprudence, notamment
celles de la chambre sociale de la Cour de Cassation, peut être partagée, me
semble-t-il. A la suite du débat qui s'est développé sur la portée exacte de la
rédaction de l'Assemblée nationale, du moins sur celle qu'elle avait retenue en
première lecture et sur laquelle elle est revenue en deuxième lecture, vous
avez souhaité vous en tenir au texte exact de la directive européenne, et c'est
de nouveau ce qui est envisagé dans l'amendement présenté par la commission.
J'ai, quant à moi, manifesté le souhait que l'on réfléchisse à une rédaction
qui, sans remettre en cause les usages et les pratiques conventionnels qu'ont
mis en place les partenaires sociaux, en examinant au plus près la nature de
chacune des activités concernées, permette de prendre en compte les avancées
liées à l'évolution de la jurisprudence.
Je pense en outre que la rédaction qui sera finalement retenue doit être la
plus claire et la plus précise possible et ne laisser que peu de possibilités
d'interprétation susceptibles d'interrogation et d'insécurité juridique, à la
fois pour les chefs d'entreprise et pour les organisations syndicales. C'est ce
qui a conduit le Gouvernement à manifester sa préférence en deuxième lecture à
l'Assemblée nationale pour une rédaction qui était issue des travaux de la
commission des affaires culturelles, familiales et sociales et qui reprenait,
dans l'article 4
bis,
les critères issus des avancées
jurisprudentielles.
Je souhaite à cet égard que les approfondissements nécessaires soient
poursuivis avec l'ensemble des parlementaires, afin que nous parvenions à un
texte définitif qui soit, je le répète, le plus clair et le plus transparent
possible.
Disons les choses différemment : si la rédaction de notre code du travail n'a
pas été revue depuis 1942, notre jurisprudence a, je crois, réussi à très bien
« coller » à la réalité, en prenant en compte à la fois les sujétions imposées
aux salariés et les conditions de travail inhérentes aux différentes
entreprises.
La transposition de la directive constitue certes un progrès par rapport au
texte de 1942 - je tiens à le souligner - mais elle nous semble en retrait sur
certains points par rapport à la jurisprudence. Si nous adoptions le texte de
cette directive, comme on nous le propose, il serait à craindre que la
jurisprudence ne revienne en arrière sur certains points, alors qu'elle n'est
contestée aujourd'hui ni par les chefs d'entreprise ni par les organisations
syndicales. Certes, ce n'est pas facile, mais nous devons faire en sorte que le
texte qui sortira des travaux du Parlement permette de prendre en compte les
avancées les plus récentes de la jurisprudence, sans créer d'incertitude
juridique ni pour les salariés ni pour les entreprises. La notion de travail
effectif étant à la base même du calcul de la durée du travail, elle ne peut
laisser place à aucune incertitude ni à aucun doute. Il n'y a rien de pire dans
une réglementation que l'absence de transparence et l'insécurité juridique. Ce
n'est favorable ni aux uns ni aux autres.
Je ne doute pas que nous parvenions
in fine
puisque, si j'ai bien
compris, nous recherchons tous les mêmes objectifs, à trouver la solution la
plus appropriée.
L'Assemblée nationale est par ailleurs revenue aux dispositions initiales du
projet de loi concernant les repos compensateurs pour les heures
supplémentaires effectuées au-delà de trente-neuf heures, d'une part, et la
régulation des pratiques abusives en matière de travail à temps partiel,
d'autre part.
J'avais, pour ma part, apprécié que le Sénat reconnaisse le bien-fondé de
l'encadrement, par le biais d'accords de branches, des interruptions d'activité
longues ou multiples qui détériorent les conditions de vie des salariés et
qu'il complète l'article 8 du projet de loi pour prendre en compte le cas des
marins.
Je pense en outre que les restrictions rétablies par l'Assemblée nationale
concernant l'abattement en faveur des emplois à temps partiel sont tout à fait
légitimes. Je veux, à cet égard, réaffirmer que seul un meilleur encadrement
des pratiques du travail à temps partiel, rendant ce travail plus choisi et
moins subi qu'il ne l'est actuellement, permettra de réconcilier les Français
avec cette forme de travail, ce qui est mon souhait, mais à condition, je le
répète, que des garanties soient apportées et que les abus soient
sanctionnés.
Enfin, l'article 9, qui concerne la préparation de la seconde loi que nous
aurons à élaborer ensemble à l'automne 1999, a été rétabli par l'Assemblée
nationale dans une rédaction cohérente avec les articles 1er et 2 du projet de
loi.
Je souhaite, mesdames, messieurs les sénateurs, qu'aujourd'hui le débat ne se
limite pas à une opposition de principe à la plupart des dispositions qui
figurent dans le texte qui revient de l'Assemblée nationale, mais que le Sénat
accepte d'avancer dans un sens que nous estimons essentiel pour l'emploi, en ne
se bornant pas à revenir aux amendements de première lecture.
Je pense que nous pouvons encore avancer. Si j'ai peu d'espoir de faire
revenir la majorité de la Haute Assemblée sur l'article 1er du projet de loi,
je pense que, au moins, nous devrions être d'accord pour considérer que le
système d'aides financières doit être plus favorable aux entreprises à bas
salaires qu'il ne l'est actuellement, que la négociation doit être le plus
large possible et que le champ donné aux partenaires ne doit pas être
réduit.
Tel est en tout cas mon état d'esprit au moment d'aborder cette deuxième
lecture.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du
groupe communiste républicain et citoyen, et sur certaines travées du RDSE. -
M. le président de la commission des affaires sociales applaudit
également.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Louis Souvet,
rapporteur de la commission des affaires sociales.
Monsieur le président,
madame la ministre, mes chers collègues, notre assemblée examine aujourd'hui en
deuxième lecture le projet de loi d'orientation et d'incitation relatif à la
réduction du temps de travail.
C'est un texte profondément remanié que le Sénat avait adopté en première
lecture le 4 mars dernier. Il avait souhaité faire prévaloir le dialogue social
et une réduction négociée et équilibrée de la durée effective du travail sur
une baisse générale et autoritaire, ou imposée, de la durée du travail.
Cette dernière démarche lui semble, en effet, néfaste pour la compétitivité
des entreprises et, par conséquent, pour l'emploi, dangereuse eu égard à ses
conséquences sur le SMIC, porteuse enfin de dérives coûteuses du fait de son
extension probable à l'ensemble des fonctions publiques.
Tout en renonçant à demander l'urgence sur le projet de loi, le Gouvernement a
souhaité hâter le déroulement du débat du 24 mars puisqu'il a inscrit à l'ordre
du jour de l'Assemblée nationale l'examen du texte en deuxième lecture.
Dans ce contexte d'urgence de fait, l'Assemblée nationale a choisi de revenir,
pour l'essentiel, au texte adopté par elle en première lecture, y compris
s'agissant de la définition du temps de travail effectif, alors même que cette
disposition, introduite par l'Assemblée nationale en première lecture et
maintenue sans modifications en deuxième lecture, laisse planer, de l'aveu même
du Gouvernement et de la commission saisie au fond, bien des incertitudes et
emporte, du point de vue de la commission des affaires sociales du Sénat, des
effets graves et non maîtrisés.
Notre débat d'aujourd'hui sera l'occasion de mettre à nouveau en évidence
toutes les conséquences, selon nous, néfastes de ce projet de loi, lesquelles
sont chaque jour un peu plus manifestes aux yeux de nos concitoyens.
Face à ce constat, la commission des affaires sociales vous proposera, mes
chers collègues, de rétablir le texte que vous aviez voté en première lecture,
à l'issue d'un débat qui avait permis d'enrichir et de compléter les
propositions qu'elle vous avait faites.
Les débats qui ont eu lieu à l'Assemblée nationale ont mis en évidence la
cohérence du texte sénatorial et le refus,
a contrario,
de se rapprocher
d'une logique d'abaissement de la durée du travail fondé sur le volontariat, la
souplesse et la progressivité.
L'ensemble des intervenants ont reconnu que l'abaissement de la durée du
travail pouvait permettre, dans certains cas, la création d'emplois. Toutefois,
la majorité en a fait la principale mesure de sa politique de l'emploi, en
insistant sur les vertus de la contrainte et de l'obligation - je ferai un pas
dans votre direction, madame la ministre, en reconnaissant que ce n'est pas
toujours faux - mais sans afficher d'objectifs chiffrés, alors que l'opposition
mettait en avant l'impact limité de ce dispositif, son coût et ses effets
pervers s'il devait reposer sur la contrainte.
A cet égard, le rétablissement de l'article 1er a concentré les critiques, que
n'a pas atténuées l'introduction d'un report de la date d'application de la
nouvelle durée légale aux entreprises dont l'effectif aurait atteint vingt
salariés entre le 1er janvier 2000 et le 31 décembre 2001. L'ensemble des
amendements d'assouplissement, pourtant très mesurés, déposés par l'opposition
ont été repoussés par le Gouvernement et la majorité. C'est donc une attitude
intransigeante qui l'a emporté.
Le principe d'un abaissement de la durée légale du travail effectif à 35
heures à compter du 1er janvier 2002 et à compter du 1er janvier 2000 pour les
entreprises de plus de vingt salariés est donc maintenu, et ce malgré toutes
les réserves qui ont été émises par les différents intervenants.
Le Gouvernement a insisté sur la portée politique de cet article dans sa
réponse aux critiques qui ont pu lui être opposées.
Par ailleurs, l'Assemblée nationale a rétabli quasiment à l'identique les
articles 2 et 3, se contentant d'ajouter quelques précisions ou de réparer des
oublis.
L'article 3, qui définit le dispositif financier incitatif, conserve par
conséquent les défauts que lui a reconnus le Sénat : une aide forfaitaire qui
pénalise l'emploi qualifié ; un dispositif permanent qui institue durablement
des distorsions de concurrence ; des incertitudes budgétaires sur le coût du
dispositif ; des incertitudes juridiques sur l'avenir des contrats de travail
individuels ; une complexité importante du fait de la multiplicité des
majorations.
L'Assemblée nationale a décidé de supprimer l'article 3
bis,
introduit
par le Sénat, qui posait le principe d'une compensation intégrale par l'Etat,
au bénéfice de la sécurité sociale, des exonérations de charges, conformément à
l'article 5 de la loi du 25 juillet 1994. Cette suppression, si elle était
maintenue, constituerait une grave menace pour l'avenir des finances
sociales.
L'Assemblée nationale a également supprimé l'article 3
ter,
introduit
par le Sénat, relatif à l'application de la loi Robien aux entreprises du
bâtiment et des travaux publics.
L'Assemblée nationale a rétabli intégralement son texte concernant les
dispositions relatives, à l'article 5, au durcissement des conditions de
recours aux heures supplémentaires et, aux articles 6 et 7, au travail à temps
partiel.
Dans ces conditions, le dispositif relatif à l'abaissement de la durée du
travail conserve ses principaux défauts, et l'Assemblée nationale n'a pas voulu
saisir l'opportunité de la deuxième lecture pour le rendre plus compatible avec
le fonctionnement d'une économie de marché moderne.
L'essentiel du débat porte désormais sur la définition de la durée du travail
effectif, et la place que ce sujet a occupée dans votre propos, madame le
ministre, en témoigne.
La chronique de l'article 4
bis
du projet de loi laisse penser que le
Gouvernement a ouvert une boîte de Pandore. En effet, le projet de loi associe
maintenant deux démarches : la réduction de la durée légale et l'extension des
activités ou des périodes considérées comme temps de travail, c'est-à-dire la
réduction de la durée du travail productif.
Le Gouvernement a été désavoué par l'Assemblée nationale sur la définition du
travail effectif et sur le champ d'application des dispositions de la directive
93/104/CE du Conseil du 23 novembre 1993 concernant certains aspects de
l'aménagement du temps de travail, dispositions qui sont reprises dans le
projet de loi.
L'article 4
bis,
qui complète la définition de la durée du travail
effectif de l'article L. 212-4 du code du travail, a été au coeur du débat lors
de la deuxième lecture du projet de loi à l'Assemblée nationale. Cet article
est la conséquence de l'adoption, en première lecture, d'un amendement de M.
Yves Cochet qui visait à légaliser les dernières avancées de la jurisprudence
de la chambre sociale de la Cour de cassation sur cette question.
Comme je le remarquais dans mon rapport de première lecture, cet article pose
un véritable problème, car il reprend une définition très extensive de la durée
du travail effectif et, qui plus est, une définition qui est encore susceptible
d'évoluer étant donné son caractère général : « La durée du travail effectif
est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l'employeur.
»
Cette rédaction est une source d'insécurité juridique, elle constitue une
menace pour l'emploi et elle pourrait fragiliser les contrats de travail. C'est
d'ailleurs, peu ou prou, l'avis du Gouvernement. Lors du débat à l'Assemblée
nationale, le ministre a déclaré à sa majorité : « La rédaction que vous avez
adoptée a suscité de nombreuses réactions : elle est trop floue et semble de
nature à bouleverser certains usages. Nous ne devons pas laisser se développer
l'insécurité juridique, cela nuirait à l'ouverture de négociations sur la
réduction du temps de travail. »
Le ministre terminait par cette phrase : « J'en appelle à votre clairvoyance.
» Force est de constater que l'appel de M. Bernard Kouchner n'a pas été entendu
puisque la majorité de l'Assemblée nationale a voté, contre l'avis du
Gouvernement, l'amendement déposé par M. Jean Le Garrec et les membres du
groupe socialiste de préférence à celui de la commission.
Pourtant, certains membres de la majorité ont fait part de leur réserve.
M. Gérard Gouzes a confessé son trouble, déclarant que revenir au texte adopté
par l'Assemblée nationale en première lecture porterait atteinte à l'emploi en
zone rurale et irait à l'encontre de la politique de la majorité.
M. Claude Bartolone, à l'époque président de la commission des affaires
culturelles, familiales et sociales, a déclaré quant à lui qu'après avoir
entendu les interventions sur chacun des amendements « il ne savait plus lequel
des amendements apportait la meilleure solution ».
C'est donc dans la plus grande confusion qu'a été adopté l'amendement qui
revient à la définition adoptée en première lecture, sans que le Gouvernement
ait pu précisément expliquer la portée d'une telle rédaction, tandis que le
rapporteur émettait le souhait de « poursuivre la réflexion ».
La commission des affaires sociales du Sénat s'étonne que, sur un sujet aussi
important, au coeur du code du travail et des garanties que sont en droit
d'attendre les salariés comme les employeurs, Assemblée nationale et
Gouvernement fassent preuve de tant d'indécision, ne cessant de renvoyer,
depuis le 10 février, la réflexion à une lecture ultérieure. Il importe, sur un
sujet aussi grave, de faire preuve à la fois de prudence et de décision.
D'ores et déjà, le secteur du bâtiment et des travaux publics nourrit les plus
vives inquiétudes sur le sort des trajets du siège au chantier que les
entreprises prennent en charge pour leurs employés. Cette facilité devra-t-elle
être comprise dans le temps de travail ? Dans ces conditions, les entreprises
risqueraient de renoncer à transporter leurs salariés, et l'on ne voit pas ce
que ces derniers auraient à y gagner. J'ai encore reçu ce matin même deux
courriers attirant notre attention sur ce sujet.
C'est pour éviter ce genre de problème que la commission des affaires sociales
vous propose, mes chers collègues, de rétablir sa propre rédaction de l'article
4
bis,
qui reprend littéralement la définition de l'article 2 de la
directive européenne du 23 novembre 1993 : « La durée du travail effectif est
le temps pendant lequel le salarié est au travail, à la disposition de
l'employeur et dans l'exercice de son activité ou de ses fonctions. »
M. Jean Le Garrec, rapporteur à l'Assemblée nationale, avait défendu en
commission un amendement qui limitait le champ d'application des articles 4
bis
et 4
ter
à celui de la directive du 23 novembre 1993. Or cet
excellent amendement, qui avait pour objet de tenir compte de la situation
spécifique du secteur des transports routiers, n'a pas été appelé en séance
publique ; l'Assemblée nationale n'a donc pas pu se prononcer sur cet apport
important. Pour réparer cet « oubli », la commission des affaires sociales a
déposé un amendement identique à celui, fort opportun, de la commission des
affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale.
Par ailleurs, le texte voté par l'Assemblée nationale ne répond pas aux
objections mises en évidence par le Sénat.
Loin de lever les inquiétudes qui ont surgi lors de la première lecture, le
débat de deuxième lecture à l'Assemblée nationale les a confirmées, voire
amplifiées, de telle manière qu'aujourd'hui nombre des acteurs intéressés par
cette question, comme les syndicats, semblent prendre leurs distances et
attendre une clarification.
Vous-même, madame la ministre, avez reconnu dimanche dernier « qu'il n'y avait
pas de grand mouvement de soutien aux 35 heures ». Cela n'est pas très étonnant
! Nos concitoyens prennent conscience que la voie choisie par le Gouvernement
conduit à une impasse. Ils s'inquiètent de l'isolement de la démarche française
et des références idéologiques qui la sous-tendent.
Or, comme le déclarait M. Tony Blair, Premier ministre de Grande-Bretagne,
devant l'Assemblée nationale le 24 mars dernier, « l'idéologie peut être
mortelle... ce qui compte c'est ce qui marche », car, comme vous le savez,
madame la ministre, pour citer encore Tony Blair, que vous avez sûrement
beaucoup entendu ces derniers temps, « la gestion de l'économie n'est ni de
gauche ni de droite : elle est bonne ou mauvaise ».
Eh bien, notre commission considère que l'abaissement de la durée légale
hebdomadaire du travail constitue une mauvaise politique, et peu importe que
cette décision ait été prise par un gouvernement de gauche.
Les incertitudes restent importantes concernant l'impact du projet de loi sur
l'emploi. L'article 1er, qui pose le principe d'un abaissement de la durée
légale du travail, continue à préoccuper les entrepreneurs. En outre, les
différentes simulations relatives au nombre d'emplois créés du fait de ce
texte, qui ont été contestées lors du débat en première lecture, n'ont pas fait
l'objet d'un affinement.
De même, les incertitudes sur le coût budgétaire global de l'incitation
financière demeurent.
Quant aux incertitudes juridiques concernant l'effet d'une baisse du salaire
consécutive à une réduction de la durée du travail sur les contrats de travail
individuels, elles ont fait naître un trouble dans l'esprit des employeurs. Les
entrepreneurs sont en train d'intégrer le fait qu'ils pourraient être amenés à
devoir licencier des salariés qui n'accepteraient pas une remise en cause de
leur salaire, avant de pouvoir embaucher dans le cadre du nouveau
dispositif.
Enfin, les incertitudes tenant à la multiplicité des SMIC se sont transformées
en méfiance de la part des entrepreneurs, comme le montrent le ralentissement
des négociations salariales observé ces derniers mois et le très fort recours
au travail temporaire, qui enregistre une hausse de plus de 40 %. Ce constat
peut être dressé dans toutes les régions, notamment dans celle où je travaille
et dont je suis l'élu.
Le Gouvernement continue d'affirmer vouloir conjuguer un SMIC horaire en
l'état et une rémunération mensuelle minimale correspondant à l'actuel SMIC
mensualisé. Il résulterait de cette décision que les salariés payés au SMIC qui
passeraient à 35 heures seraient payés 39 heures, ce qui signifie que leur
rémunération horaire progresserait de 11,4 %, et ce alors que les salariés qui
resteraient à 39 heures percevraient un salaire sur 40 heures.
Comme le remarquait le président Fourcade, lors du débat en séance publique,
on peut douter « que l'on puisse faire coexister durablement des salariés
travaillant 35 heures payées 39 et d'autres travaillant 39 heures qui seraient
payés 40 heures ».
Dans ces conditions, le président Fourcade a pu déclarer qu'on pouvait
craindre que ce texte « n'engendre inéluctablement, sous une forme ou sous une
autre, une forte majoration du SMIC ». La commission des affaires sociales
proposera donc un amendement permettant, à travers un rapport demandé au
Gouvernement, de faire le point sur les conséquences de l'abaissement de la
durée légale du travail sur le SMIC, les grilles salariales et la rémunération
des heures supplémentaires.
Les inquiétudes des entreprises sur la compatibilité des 35 heures avec le
marché unique et l'euro n'ont pas été levées par le Gouvernement. Les
entreprises françaises pourraient avoir à supporter une détérioration de leur
compétitivité qui aurait un impact négatif sur leurs parts de marché et sur
l'emploi.
La question d'une extension des 35 heures à la fonction publique n'a pas reçu
de réponse très claire. Pourtant, cette extension aurait des conséquences
budgétaires considérables, d'autant plus que pourrait se poser la question de
la nécessité de procéder à des recrutements complémentaires afin de compenser
la baisse de la durée du travail, or vous savez comme moi que nous ne trouvons
ni infirmières ni médecins spécialisés.
Pour que la réduction du temps de travail puisse continuer à constituer une
chance pour l'emploi, la commission considère qu'il est fondamental qu'elle
conserve son caractère volontaire, souple et progressif.
Dans ces conditions, elle vous propose, de rétablir le texte que vous avez
adopté en première lecture, mes chers collègues, en intégrant les apports
importants constitués par les amendements adoptés en première lecture au Sénat
et un amendement inspiré par les débats qui ont eu lieu à l'Assemblée
nationale.
La commission vous suggère donc, de nouveau, de supprimer l'article 1er, qui
prévoit l'abaissement de la durée légale hebdomadaire du travail.
J'ai déjà évoqué l'article additionnel après l'article 1er, qui prévoit un
rapport sur les conséquences de l'abaissement de la durée légale du travail sur
le SMIC, que la commission vous propose d'adopter au travers de l'amendement n°
2.
La commission vous propose également de rétablir l'article 2 voté par le
Sénat, qui invite à la négociation et prévoit le principe d'une aide pour les
entreprises et certaines associations qui réduiraient la durée du travail
calculée en moyenne sur tout ou partie de l'année et procéderaient à des
embauches ou préserveraient des emplois. Les entreprises de plus de cinquante
salariés pourront bénéficier de cette aide à condition de signer un accord
avant le 1er janvier 2000 ; celles de moins de cinquante salariés et certaines
associations pourront signer cet accord jusqu'au 1er janvier 2002.
La commission vous propose ensuite le rétablissement de l'article 3 voté par
notre assemblée, qui « reprofile » la loi Robien. Le dispositif prévu retient
le principe d'une aide non pas forfaitaire mais proportionnelle aux salaires,
afin de ne pas pénaliser l'emploi qualifié. Il tient compte des principales
propositions d'améliorations émises à l'occasion des premiers bilans de la loi
notamment de l'évaluation de la commission des finances de l'Assemblée
nationale du mois d'avril 1997.
L'exonération sera ainsi plafonnée dans la limite d'une fois le plafond de la
sécurité sociale, lissée quant à ses taux afin de faciliter la sortie du
dispositif, limitée à cinq ans au lieu de sept dans le dispositif offensif,
plus incitative grâce à l'introduction d'une date limite - les entreprises
peuvent signer un accord jusqu'au 1er janvier 2000 ou jusqu'au 1er janvier 2002
pour les entreprises de moins de cinquante salariés - enfin, plus facilement
accessible quant aux conditions posées pour les embauches.
L'aide financière proposée par la commission est globalement moins coûteuse
pour les finances publiques que celle qui est prévue par le Gouvernement. Ce
dispositif s'inscrit, rappelons-le, dans une logique différente.
En premier lieu, le dispositif du Gouvernement s'inscrit dans un contexte de
baisse de la durée légale du travail au 1er janvier 2000 ou au 1er janvier
2002.
L'impact du projet de loi sur l'emploi repose sur une négociation généralisée
avant ces échéances. Le défaut de négociations conduirait, en effet à un «
scénario catastrophe » pour l'emploi.
Il est compréhensible, dans ces conditions, que le texte du Gouvernement
comporte une incitation financière forte à négocier.
En second lieu, la baisse de la durée légale du travail conduira à une
aggravation du coût du travail peu qualifié dès lors que le principe « 35
heures payées 39 heures » a été retenu pour les salariés payés au SMIC. Il est
compréhensible, là encore, que le Gouvernement tente de compenser cet effet par
une aide forfaitaire, voire majorée.
Le dispositif proposé par la commission, qui repose sur une négociation
librement consentie d'une réduction effective de la durée du travail, n'a pas à
répondre aux mêmes effets pervers et évite de confondre deux objectifs qui se
contredisent dans le système du Gouvernement : la création d'emplois dans le
cadre de la réduction du temps de travail et l'abaissement des charges sur les
bas salaires.
Par ailleurs, la commission vous suggère à nouveau de réaffirmer le principe
de la compensation intégrale des exonérations de charges sociales et de
reprendre également l'amendement de M. Arthuis, qui permet une application
complète de la loi Robien aux entreprises du bâtiment et des travaux
publics.
En ce qui concerne l'important article 4
bis,
relatif à la durée du
travail effectif, elle vous propose de revenir à l'article 2 de la directive du
23 novembre 1993, qui, semble-t-il, est beaucoup plus équilibré que les
différents textes envisagés par l'Assemblée nationale.
Dans un article additionnel après l'article 4, elle vous suggère de limiter,
comme le proposait M. Le Garrec, le champ d'application des articles 4
bis
et 4
ter
à celui de la directive.
La commission vous propose également de supprimer l'article 5, qui contraint
le recours aux heures supplémentaires, et de revenir à nouveau sur l'ensemble
des dispositions qui limitent le recours au travail à temps partiel ; tel est
l'objet des articles 6 et 7.
S'agissant des bilans - ce sont les articles 9 et 10 - elle vous suggère de
tirer à nouveau les conséquences de la suppression de l'article 1er et de son
refus d'envisager le développement des 35 heures dans la fonction publique.
En résumé, les propositions que je viens de vous présenter au nom de la
majorité de la commission des affaires sociales visent à nouveau à faire en
sorte que le projet de loi ne compromette ni le dialogue social ni l'équilibre
des comptes publics, mais parvienne à la fois à une réduction progressive du
temps de travail effectif et à une amélioration durable de l'emploi. La
commission vous demande, bien évidemment, de les adopter.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de
l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, trente minutes ;
Groupe socialiste, vingt-cinq minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, onze minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, neuf minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Dieulangard.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous abordons
aujourd'hui, en deuxième lecture, la discussion du projet de loi d'orientation
et d'incitation relatif à la réduction du temps de travail. Il vise à instaurer
progressivement la durée légale hebdomadaire à 35 heures.
Nos débats, en première lecture, ont déjà permis d'éclairer des divergences
sur nos conceptions de la durée du travail, sur la nature et l'objet des
aménagements que l'on peut y apporter. Mais, surtout, ils ont permis de mieux
cerner nos désaccords sur la place de la réduction du temps de travail dans une
politique globale et cohérente de lutte contre le chômage.
Cette réforme intervient, en effet, parallèlement aux mesures tendant à
améliorer le pouvoir d'achat de nos concitoyens et à encourager l'émergence
d'activités nouvelles liées à l'évolution de notre société, notamment au
travers des emplois-jeunes, pour augmenter le taux de croissance, mais surtout
pour améliorer son contenu en emplois.
La majorité sénatoriale nous a affirmé - M. le rapporteur vient de le
réaffirmer - ne pas vouloir condamner toute expérience dans le domaine de la
réduction du temps de travail. C'est ainsi qu'elle nous propose un dispositif
s'inspirant de la loi Robien.
« Reprofiler à la baisse », selon vos propres termes, monsieur le rapporteur,
un système qui, en deux ans, ne s'est finalement appliqué qu'à 1 % des 13
millions de salariés, c'est à l'évidence avoir une conception particulièrement
restrictive de l'expérimentation. C'est, par ailleurs, au moins faire preuve de
scepticisme quant à l'efficacité de la réduction du temps de travail en termes
de création d'emplois.
S'opposer à l'introduction de modalités innovantes de négociation
décentralisée, en particulier au sein des petites entreprises, c'est avoir une
approche singulièrement frileuse de l'encouragement au dialogue social et de la
« réduction négociée et équilibrée de la durée du travail », que vous appelez
de vos voeux, monsieur le rapporteur.
Pour les parlementaires socialistes, le mouvement de la réduction de la durée
du travail fait appel à un nouveau « contrat social » qui doit permettre
d'amarrer solidement à notre société nos concitoyens privés d'emploi et qui, de
ce fait, pensent avoir perdu leur place dans notre collectivité. L'urgence est
là, mes chers collègues !
Ce contrat social doit également se nouer au sein de l'entreprise puisque ce
sont les partenaires de la négociation qui vont devoir organiser une réduction
du temps de travail dégageant suffisamment de marges pour à la fois maintenir
la compétitivité des entreprises, permettre la création d'emplois et améliorer
les conditions de travail des salariés.
A cet égard, les premiers échos que nous avons des renégociations de certaines
conventions collectives sont particulièrement inquiétants. En effet, certains
responsables du patronat font feu de tout bois et utilisent les 35 heures comme
alibi.
Dans certains secteurs, de sérieuses menaces planent. Je pense, par exemple,
au chantage que tentent les représentants du secteur du grand commerce de
centre ville, qui mettent en balance la réduction du temps de travail et un
repos essentiel hebdomadaire de deux jours, ou la multiplication des opérations
de « nocturnes ». Hier, les salariés étaient dans la rue pour exprimer leurs
légitimes inquiétudes.
Ces tentatives qui, je l'espère, sont vouées à l'échec, nous démontrent de
façon flagrante que l'intervention des pouvoirs publics, et du législateur en
premier lieu, est fondamentale pour fixer les garanties indispensables au
déroulement équitable de la négociation. Il leur revient, en effet, de poser
les limites à ne pas franchir.
Aujourd'hui, nous constatons cependant sur le terrain que les employeurs
s'organisent, notamment au sein des chambres de commerce et d'industrie, les
CCI, et réfléchissent aux modalités d'application de cette loi. Nous sommes
donc loin des déclarations de guerre du mois d'octobre dernier ! Je crois,
madame la ministre, qu'il convient d'examiner certaines des questions qu'ils se
posent et qu'ils nous font connaître.
J'en viens maintenant aux termes de ce débat en deuxième lecture ; ils sont
sans surprise puisque M. le rapporteur nous propose de confirmer sa position
initiale ; il vient de nous le dire.
Les propositions de la commission des affaires sociales reviennent à un
dispositif strictement optionnel et limitatif, qui offre des incitations
financières revues à la baisse.
Elles suppriment les nouveaux aménagements apportés par nos collègues députés,
qui mettent en place des mécanismes mieux adaptés en particulier à la réalité
des petites et moyennes entreprises, où se trouvent, nous le savons tous, de
véritables gisements d'emplois.
Ainsi, l'Assemblée nationale a prévu que soit différée en 2002 l'obligation du
passage aux 35 heures pour les entreprises de moins de vingt salariés qui
franchiraient ce seuil en 2000 ou 2001. Ce délai supplémentaire devrait
permettre d'éviter un effet dissuasif et que celles-ci reportent leur projet
d'embauche.
Les députés ont également voulu faciliter le déroulement des négociations,
souvent techniques et complexes, en ouvrant aux petites unités de moins de
cinquante salariés la possibilité de se regrouper au niveau local,
départemental, professionnel ou interprofessionnel.
Cette mesure devrait permettre de répondre à la nécessité de coller au plus
près du terrain, tout en facilitant un regroupement des moyens, notamment en
termes d'expertise technique. Ce regroupement peut aussi présenter un intérêt
supplémentaire en matière de régulation de la concurrence sur des marchés
similaires ou proches.
Là encore, la commission s'oppose à cette meilleure prise en compte de la
spécificité des petites entreprises, tout comme elle a réfuté, en première
lecture, le recours au mandatement dans les entreprises dépourvues de délégués
syndicaux.
L'Assemblée nationale a également prévu que les PME de moins de trois cents
salariés puissent effectuer leurs embauches dans le cadre de groupements
d'employeurs.
Cette mesure, qui nécessitera un suivi et un encadrement précis, complète la
possibilité, déjà ouverte en première lecture aux petites unités, de percevoir
la totalité de l'incitation financière pour l'embauche d'une personne à temps
partiel.
Je regrette vivement que la commission ait décidé de s'opposer à l'ensemble de
ces dispositions qui visent, en fait, à étendre à un maximum d'entreprises le
champ de la négociation et, surtout, à la faciliter.
Mais il est vrai que c'est une ligne que vous prônez depuis le début, en
particulier dans votre contre-projet, en limitant par exemple aux entreprises
de cinquante salariés le champ d'application d'une version allégée de la loi
Robien.
Les députés de la majorité ont, par ailleurs, relayé la proposition que nous
vous avions soumise, sans succès, tendant à renforcer les moyens des
organisations syndicales qui auront en charge la responsabilité de former les
salariés mandatés appelés à négocier dans les petites entreprises. Cette
formation nous paraît, en effet, indispensable pour déboucher sur des compromis
équilibrés entre les besoins de l'entreprise, les aspirations des salariés et
l'objectif de création d'emplois.
Le domaine d'application de cette loi a, par ailleurs, été complété lors du
débat à l'Assemblée nationale par l'intégration dans son champ des personnels
des entreprises d'armement maritime et par d'indispensables précisions
concernant les institutions médico-sociales, dont les accords obéiront à des
procédures spécifiques.
J'aborderai maintenant ce qui domine nos débats depuis les travaux de la
deuxième lecture, tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat : la question aussi
délicate que fondamentale du temps de travail effectif. Elle représente une
donnée de base de toute démarche vers une réduction du temps de travail ; elle
est liée au concept même de salariat. Il est évident que c'est en fonction du
décompte de ce travail effectif que sera appréciée la diminution réelle de la
durée du temps de travail.
Ce débat a pris un relief particulier entre les deux lectures, notamment en
raison des réactions de certains employeurs qui se demandent s'il ne serait pas
judicieux de commencer par « ratisser », selon l'expression consacrée, sur
certains temps de pause ou certains temps de trajet, reconnus comme du travail
effectif par les conventions collectives.
Permettez-moi ici de faire une remarque préliminaire. Avant même de
restreindre au maximum ce concept et de revenir sur des accords collectifs ou
des usages, certains ne devraient-ils pas avant tout commencer par
comptabiliser réellement les heures supplémentaires qui, elles, ne sont pas
toujours décomptées ?
Les cadres ne sont pas les seuls concernés ; cette réalité touche, nous le
savons tous, un grand nombre d'entreprises.
M. le rapporteur nous suggère de calquer la définition du temps de travail non
pas sur la définition jurisprudentielle de la Cour de cassation, qui fait
référence à la notion de permanence, mais sur la directive européenne du 23
novembre 1993.
C'est ainsi que le temps de travail effectif serait « toute période durant
laquelle le salarié est au travail, à la disposition de l'employeur et dans
l'exercice de son activité ou de ses fonctions ».
La directive poursuit et précise - et cela est fondamental - « conformément
aux législations et aux pratiques nationales ».
Nous mesurons parfaitement l'importance d'une définition claire et précise,
qui puisse être une référence, notamment dans le cadre de la qualification par
voie conventionnelle, ou de la requalification par le juge de certains trajets,
de certaines pauses ou astreintes.
Ainsi, la Cour de cassation a considéré que les heures d'astreinte effectuées
par un veilleur de nuit dans une maison de retraite étaient bien un travail
effectif, de même que l'astreinte assurée par un gardien demeurant à son
domicile mais accomplissant régulièrement des rondes.
Dans l'exercice de travaux pénibles, lorsque la diminution des temps de pause
est liée à la réduction du temps de travail, la Cour de cassation fonde son
appréciation sur l'existence ou non d'une amélioration des conditions de
travail. Si une telle amélioration n'est pas démontrée, les heures de pause
demeurent payées comme temps de travail.
Monsieur le rapporteur, que pensez-vous de la compatibilité entre cette ligne
jurisprudentielle et la définition de la directive européenne, du moins telle
que vous la présentez. En effet, je le répète, la référence aux législations et
aux pratiques nationales me semble essentielle.
Chacun en est conscient, mes chers collègues, les spécificités de chaque
profession et grand secteur d'activités, qui trouvent leur expression dans les
conventions collectives, sont particulièrement importantes.
Les sénateurs socialistes estiment donc que la définition du travail effectif
telle qu'elle résulte des discussions à l'Assemblée nationale, en l'état actuel
des réflexions, correspond mieux à la diversité et à la réalité des usages en
vigueur. Elle semble offrir de meilleures garanties d'équité pour les salariés
dans le cadre des négociations qui vont s'ouvrir.
C'est pourquoi nous voterons contre l'amendement qui nous est soumis.
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Madame Dieulangard, me permettez-vous de vous interrompre
?
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
Je vous en prie.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Madame Dieulangard, l'article sur lequel vous faites porter
l'essentiel de votre propos, comme Mme le ministre et comme moi-même, est
effectivement au coeur du débat. A son propos, je vous renvoie à ce qu'a dit M.
Kouchner, qui est tout de même un membre du Gouvernement : il a insisté sur le
fait qu'il existait des risques importants. J'ai lu ce qu'il a dit à
l'Assemblée nationale, je ne l'ai pas inventé !
Dans ces conditions, ne me demandez pas quelle est ma définition de la durée
légale du travail, car vous le savez : il suffit de se reporter à ce qui a été
dit et au texte des amendements qui ont été déposés.
Je ne crois pas que l'on puisse dire qu'il s'agit de quelque chose d'anodin.
Cela constitue, au contraire, l'essentiel du débat.
Comme je l'ai dit voilà quelques instant, il est tout à fait anormal que le
Gouvernement n'ait pas encore pris position de manière définitive sur un sujet
aussi grave et aussi important.
Je profite du fait que j'ai la parole pour évoquer la formation des salariés
mandatés, dont vous avez parlé à l'instant. Je rappellerai simplement que vous
n'aviez pas déposé l'amendement que vous nous aviez suggéré, parce qu'il
portait sur l'article 3, sur lequel vous ne pouviez bien évidemment pas émettre
un vote positif. Par conséquent, cet amendement n'avait pas été présenté au
Sénat lors de la première lecture !
M. Alain Gournac.
Très bien !
M. le président.
Veuillez poursuivre, madame Dieulangard.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
Cet amendement a été repris par l'Assemblée nationale,...
M. Henri Weber.
Et voté !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
... et c'est l'essentiel.
Monsieur le rapporteur, je vous demandais en fait ce que vous pensiez de la
compatibilité de l'extrait de la directive européenne que vous citiez - et non
pas de l'intégralité de celle-ci - avec la jurisprudence de la Cour de
cassation.
Mme Dinah Derycke.
Très bien !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
Le Gouvernement a introduit, dans un deuxième volet, des dispositions visant à
moraliser la gestion des temps partiels et tendant, par ailleurs, à adapter le
régime d'abattement dans les entreprises qui s'engagent en faveur de la
diminution de la durée du travail.
A l'exception des dispositions relatives à l'amplitude de la journée et à la
réglementation des pauses et des interruptions dans l'optique de temps
partiels, la majorité sénatoriale défend sa propre conception du développement
du temps partiel et remet en cause les garanties mises en place dans ce projet
de loi, qu'il s'agisse, par exemple, de mieux encadrer les dépassements
manifestement excessifs de l'horaire fixé par le contrat de travail ou de
requalifier le contrat de travail en cas de recours abusif et répété à des
heures complémentaires.
En supprimant ces dispositions, en ne prenant pas les moyens pour combattre
ces dérapages, la majorité sénatoriale nous confirme qu'elle n'entend pas
lutter contre ces variations anarchiques d'horaires, au nom d'une flexibilité
accrue, dont les femmes, il faut bien le dire, sont les premières
victimes,...
M. Henri Weber.
Très juste !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
... flexibilité sans cesse réclamée par les employeurs.
Nous le voyons, la ligne de fracture qui sépare nos positions respectives au
sein de cette assemblée est claire.
La majorité sénatoriale semble développer une vision singulièrement optimiste
des temps partiels et ne souhaite pas s'associer à l'assainissement de
certaines pratiques qui se sont développées en corrélation avec la
multiplication des incitations financières qui y sont attachées.
Dans un pays qui compte plus de trois millions de chômeurs, chers collègues,
vous ne pensez pas que la réduction négociée du temps de travail soit une
politique à part entière de lutte pour l'emploi.
Les amendements que vous défendez le prouvent, qui tendent à maintenir la
réduction du temps de travail dans le champ de l'expérimentation et à en
différer l'application.
Vous récusez la plupart des mécanismes innovants mis en place à l'intention
des partenaires sociaux pour faciliter les négociations et en garantir
l'équilibre.
Par ce projet de loi volontariste, le Gouvernement, que vous représentez,
madame la ministre, s'engage résolument pour redonner l'espoir aux jeunes qui
ne parviennent pas à franchir les portes des entreprises, pour redonner
l'espoir à leur aînés, à leurs parents, souvent sans emploi, qui vivent dans la
hantise d'une plongée inexorable dans le chômage de longue durée.
En associant pleinement les partenaires sociaux, ce texte représente un pari
audacieux sur le renouveau de la démocratie sociale dans notre pays.
C'est pourquoi le groupe socialiste défendra le projet de loi tel qu'il
ressort des débats de l'Assemblée nationale et regrette vivement qu'un
consensus sur de telles urgences ne puisse se réaliser au Sénat.
(Applaudissements sur les travées socialistes et sur les travées du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Bimbenet.
M. Jacques Bimbenet.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de
loi que nous examinons aujourd'hui en deuxième lecture s'inscrit dans le cadre
de la politique sociale menée par le Gouvernement. Ce débat, qui déchaîne les
passions depuis des mois, est malheureusement au coeur de l'actualité. Tout le
monde l'a dit, le chômage est un véritable fléau pour notre société. Il est
urgent de le combattre, nous en sommes tous d'accord.
Le désespoir de nos concitoyens rend nécessaire l'intervention de la
solidarité nationale. Il est donc évident que nul ne contestera la nécessité de
mettre en oeuvre une politique tendant à créer des emplois.
Toutefois, permettez-moi, madame la ministre, d'émettre une certaine
inquiétude quant à la méthode employée. En effet, le projet de loi que vous
nous soumettez, et qui a été adopté par l'Assemblée nationale, impose un cadre
rigide.
Je ne suis pas opposé à la réduction de la durée du travail : je suis opposé à
son caractère obligatoire et autoritaire.
M. Alain Gournac.
Très bien !
M. Jacques Bimbenet.
Je suis même favorable à la réduction, dès lors qu'elle est volontaire.
En première lecture, le président de notre groupe, M. Cabanel, et M. Barnier
avaient déposé un sous-amendement tendant à favoriser la baisse de la durée du
travail jusqu'à 32 heures pour les entreprises qui pratiquent actuellement les
39 heures.
Je suis heureux que cette disposition ait été adoptée par le Sénat le 4 mars
dernier et qu'elle soit aujourd'hui reprise par la commission des affaires
sociales.
La semaine de quatre jours, largement plébiscitée tant par les salariés que
par les entreprises, a effectivement déjà fait ses preuves. Cette formule
constitue un progrès social, en améliorant la qualité de vie de ceux qui
travaillent, et, surtout, permet de créer des emplois.
Mais cette mesure nécessite une certaine adaptation de la réduction de la
durée du travail au profil des entreprises. Elle doit donc être souple,
volontaire et progressive.
C'est l'une des raisons pour lesquelles je ne peux souscrire au texte adopté
par l'Assemblée nationale.
La réduction de la durée du travail doit en effet tenir compte de la
spécificité de chaque entreprise, de la diversité du tissu économique, si l'on
veut favoriser la création d'emplois.
Je pense notamment aux petites et moyennes entreprises. Votre projet de loi,
madame la ministre, me semble dangereux pour leur activité. Les répercussions
risquent d'être catastrophiques : augmentation de leurs coûts, réduction de
leur capacité de production et affaiblissement de leur compétitivité.
M. Emmanuel Hamel.
Hélas !
M. Jacques Bimbenet.
Il me paraît préférable de favoriser le dialogue social, la négociation
collective, plutôt que de mettre en place un dispositif obligatoire,
inévitablement néfaste.
La seconde raison pour laquelle je suis défavorable au dispositif adopté par
l'Assemblée nationale concerne la définition de la notion de temps de travail
effectif.
La définition choisie par notre assemblée reprend, en termes identiques, la
rédaction de la directive européenne du 23 novembre 1993.
A l'heure où les Etats membres de l'Union européenne s'engagent dans une
véritable harmonisation des législations, il est inconcevable, me semble-t-il,
de s'éloigner de la définition européenne, qui, comme M. le rapporteur l'a
rappelé précédemment, est plus précise et présente toutes les garanties propres
à rassurer les salariés et les entreprises.
Le dispositif préconisé par notre excellent rapporteur, M. Louis Souvet, dont
je tiens à saluer ici le travail, permettra, j'en suis sûr, à la réduction de
la durée du travail de favoriser la création d'emplois. C'est la raison pour
laquelle je soutiens les propositions de la commission.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et du RPR.)
M. Alain Gournac.
Très bien !
M. le président.
La parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, après le vote
solennel du 31 mars dernier à l'Assemblée nationale, nous devons, pour la
seconde fois, débattre du projet de loi d'orientation et d'incitation relatif à
la réduction du temps de travail.
Taxé par les dirigeants du patronat d'aberration anti-économique, qualifié
tour à tour de projet nocif, autoritaire, par les parlementaires de la majorité
sénatoriale, ce texte capital du Gouvernement de la gauche plurielle, empreint
d'une démarche innovante et volontariste, est attendu par l'ensemble des
salariés, des sans-emploi, par tous ceux qui font de la lutte contre le chômage
une priorité.
Au nom du groupe communiste républicain et citoyen, j'entends réaffirmer ici
toute l'importance du projet de loi relatif aux 35 heures.
Dans un pays comptant toujours plus de trois millions de chômeurs, se servir
de la réduction du temps de travail comme d'un levier pour favoriser l'emploi
est une nécessité économique.
C'est aussi répondre aux besoins des Français qui, selon un récent sondage
Louis Harris, préfèrent à 45 % travailler moins et gagner moins, aspirant à
travailler tous, et à travailler mieux tout en gardant la maîtrise de leur
temps de travail, mais aussi de leur temps de loisir.
Les résultats des élections tant régionales que cantonales ont confirmé l'aval
des Français à la politique menée jusqu'alors par le Gouvernement et qui était
au coeur de la campagne électorale. Nous devons tous en tirer les enseignements
et maintenir fermement le cap.
Impatients, parfois mécontents, les Français, demandeurs de réformes
structurelles, désirent que celles-ci soient menées à leur terme, que la
réduction du temps de travail soit effectivement créatrice d'emplois et qu'elle
permette de rééquilibrer les pouvoirs au sein de l'entreprise. Que ce soit au
Sénat ou à l'Assemblée nationale, les parlementaires communistes ont largement
contribué à enrichir le texte, à l'amender, notamment pour qu'il soit le plus
protecteur possible des droits des salariés.
Avant de porter une appréciation globale sur le texte tel qu'il a été rétabli
par l'Assemblée nationale et d'examiner les intentions de la majorité de la
commission des affaires sociales du Sénat, qui préfère le travail d'amendements
aux artifices de procédure pour refuser votre projet de loi, madame la
ministre, je m'efforcerai de dresser le tableau des événements ayant émaillé la
période qui a suivi l'adoption du texte reprofilé en première lecture par le
Sénat. Mon objectif est de démontrer, s'il en était encore besoin, que les
capacités de la droite et du CNPF à formuler des propositions alternatives pour
l'emploi sont faibles et que tous les arguments avancés contre la réalisation
du projet de loi sont fallacieux !
De l'opposition de principe au texte sur les 35 heures, de la volonté
clairement affichée du CNPF de déstabiliser le gouvernement de M. Jospin à une
attitude apparente de dialogue, le pas a été franchi par Ernest-Antoine
Seillière.
Conscient du fait qu'au sein même de son organisation des voix discordantes
commençaient à se faire entendre et que les risques d'isolement du CNPF
allaient s'accroître, compte tenu de la situation politique actuelle, M.
Seillière a été contraint à changer de tactique.
Dans une lettre ouverte au chef du Gouvernement, le patron des patrons, dans
l'attente d'une entrevue qui, depuis, a eu lieu, demandait un délai
supplémentaire de deux ans avant la mise en oeuvre des 35 heures pour les
entreprises de plus de vingt salariés, d'une part, et des éclaircissements sur
divers points du texte, d'autre part.
Soucieux en apparence de « rendre moins inacceptable » le projet de loi, en
s'affranchissant du SMIC, en imposant comme contrepartie l'annualisation ou en
balayant les freins au développement du temps partiel et des heures
supplémentaires, M. Ernest-Antoine Seillière essayait simplement de gagner du
temps, misant à terme sur l'abandon du projet en 2002, date des prochaines
échéances électorales.
Les syndicats, l'ensemble de la classe politique et le Gouvernement ne se sont
pas trompés en refusant cette requête dont le seul objectif était de mettre à
mal la logique du projet.
Comme proposition alternative de nature à appréhender le grave problème du
chômage, le CNPF n'a été capable de formuler, depuis la conférence sur
l'emploi, qu'une ébauche « de projet pour l'espoir ». Et quel projet ambitieux
d'avenir ! « Des emplois de service rémunérés à 4 000 francs par mois, niveau
où la clientèle peut les payer », l'Etat, la solidarité nationale complétant la
rémunération si nécessaire.
Attaque en règle contre le SMIC, cette proposition n'apporte en rien une
solution ou un dynamisme au marché de l'emploi.
Refusant d'envisager une éventuelle réforme de l'assiette des cotisations
patronales, opposé à négocier sans contreparties exorbitantes une réduction du
temps de travail, le grand patronat a brandi l'arme de la dénonciation, ultime
moyen de pression sur le Gouvernement.
En février, à la veille de l'ouverture des débats à l'Assemblée nationale,
l'Association française des banques dénonçait sa convention collective, suivie
par les fabricants de sucre puis par la branche des grands magasins.
En tout, 260 000 salariés seront touchés et renvoyés, si aucun autre accord
n'intervient aux seules garanties offertes par le droit du travail.
M. Louis Souvet,
rapporteur.
C'est vrai !
M. Guy Fischer.
Fort du rapport de force en échange des 35 heures, le patronat tentera
d'obtenir un maximum de concessions dans des secteurs déjà très fortement
marqués par la flexibilité du travail !
M. Jean Chérioux.
Heureusement !
M. Guy Fischer.
Ces démonstrations de force, cette inadaptation à répondre aux attentes de
chacun me conduisent à vouloir que la loi relative aux 35 heures s'applique
rapidement, effectivement, et que les salariés mobilisés soient correctement «
armés » pour participer aux négociations très décentralisées.
Enfin, comment continuer à croire que la réduction du temps de travail, avec
le panel d'aides prévues, mettrait en péril la compétitivité des entreprises à
l'heure où celles-ci affichent avec fierté d'excellents résultats financiers et
s'apprêtent à distribuer aux actionnaires de confortables dividendes, et où, à
la Bourse, l'indice CAC 40 a gagné environ 20 % depuis le début de l'année ?
Paradoxalement, les grands groupes tels que Renault, Peugeot, Michelin,
Alcatel, Moulinex, le Crédit Lyonnais et Air France ne cessent d'annoncer de
nouveaux plans sociaux et empochent allègrement les aides de l'Etat -
chèques-départ, pré-retraites, aide de la loi Robien - et parviennent ainsi à
se restructurer à moindre coût !
Ainsi, il faudrait, d'un côté, que l'Etat s'engage pour créer de nouveaux
emplois et que, de l'autre, on accepte que les entreprises rentables
contrebalancent ces efforts en anticipant des licenciements : 22 000
licenciements pour cause économique en février et ce, pour être sûr de gagner
la course à la compétitivité.
En raison de l'actualité, la proposition faite par Robert Hue d'instaurer un
moratoire sur l'ensemble des plans de licenciements revêt une acuité
particulière. Pourquoi, en effet, ne pas mettre un frein à ces hémorragies
d'emplois ? Pourquoi ne pas commencer par appliquer les 35 heures ?
Je me félicite qu'en deuxième lecture les députés de gauche aient rétabli,
pour l'essentiel, le texte voté en première lecture le 10 février dernier,
refusant ainsi de céder aux appels du patronat et aux modifications introduites
par le Sénat.
Je pense ici particulièrement à l'article définissant le temps de travail
effectif « comme le temps durant lequel le salarié est à la disposition de
l'employeur », article important sur lequel j'aurai l'occasion de revenir
ultérieurement.
Trois atouts principaux méritent d'être notés : tout d'abord, le report en
2002 de l'horaire légal pour les entreprises franchissant entre le 1er janvier
2000 et le 31 décembre 2001 le seuil de vingt salariés afin de dissuader les
embauches programmées ; par ailleurs, l'aide financière attribuée aux
organisations syndicales représentatives pour développer la formation des
salariés mandatés, sur proposition du groupe communiste ; enfin, la possibilité
pour les entreprises de réaliser la contrepartie en embauches de la réduction
du temps de travail dans le cadre de groupements d'employeurs.
Sur ce dernier point, nous avons déposé un amendement témoignant de
l'importance que les embauches se fassent là où la réduction du temps de
travail est effective, cette idée fondamentale risquant d'être dénaturée par la
disposition incriminée.
Quelques incertitudes demeurent, notamment sur les questions salariales, les
heures supplémentaires et les modes de travail atypique. Toutefois, la version
retenue par l'Assemblée nationale emporte notre accord.
En revanche, comme en première lecture, nous nous opposerons farouchement aux
réécritures du texte proposées par la majorité de la commission des affaires
sociales du Sénat. Celle-ci remet en selle, encore une fois, la loi Robien et -
c'est plus nouveau mais non moins surprenant - entend exclure du champ de la
définition légale du temps de travail et des principes sur le repos
compensateur et les pauses un certain nombre de secteurs, dont ceux des
transports et du tourisme.
Ce n'est pas sans rappeler la demande identique formulée par le patronat des
services, demande que nous jugeons inacceptable.
Nous pensons qu'une autre utilisation de l'argent est possible, qu'une
alternative existe à la baisse des charges sociales.
Le volet défensif de la loi Robien est pernicieux. Il est primordial de cibler
et de contrôler l'utilisation des aides à l'emploi pour la réduction du temps
de travail, ces aides devant nécessairement servir l'emploi stable et décemment
rémunéré.
L'étude récente du centre des études et de l'emploi révèle que, depuis 1997,
l'intérim a littéralement explosé, constituant, dans l'automobile, « l'unique
canal de recrutement des personnels de production ».
Mesdames, messieurs de la majorité sénatoriale, vous nous proposez d'aller
encore plus loin sur la voie de la déréglementation, de la flexibilité. Pour
toutes ces raisons, et bien d'autres encore, les sénateurs du groupe communiste
républicain et citoyen rejettent vos propositions en matière de réduction et
d'aménagement du temps de travail.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe communiste
républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Gournac.
M. Alain Gournac.
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, nous revoici
donc à la case départ puisque l'Assemblée nationale a choisi, à quelques
détails près, de revenir au texte qu'elle avait adopté en première lecture.
C'est dommage, mais c'était malheureusement prévisible.
La Haute Assemblée - permettez-moi de le préciser - a soutenu et soutient la
réduction du temps de travail. Elle ne peut en revanche soutenir votre projet
de loi, madame le ministre. Nous nous opposons en effet au caractère
autoritaire et unilatéral des mesures que votre texte vise à mettre en
place.
La majorité sénatoriale vous a proposé de réserver toute sa place au dialogue
social afin de donner toute sa chance à une réduction négociée et équilibrée de
la durée effective du travail, sans risquer de compromettre la santé de nos
entreprises.
M. Emmanuel Hamel.
C'est cela qui est fondamental !
M. Alain Gournac.
Nous en connaissons tous qui ont déjà réduit le temps de travail de leurs
salariés. Elles l'ont fait sans y être contraintes, si ce n'est par la loi du
marché qui, peu ou prou, leur fait obligation de se moderniser et d'inscrire
cette modernisation dans une vision renouvelée des méthodes et des modes de
travail.
La loi Robien, dont nous proposions le reprofilage, avait pour vocation de les
y aider.
J'ai lu dans une revue du ministère de l'économie, des finances et de
l'industrie - vous voyez que j'ai de bonnes lectures et que je fais grand cas
des textes qui me sont transmis par cette administration - qu'un patron d'une
PME, déjà dans la dynamique de la réduction du temps de travail, espérait «
susciter d'autres vocations » parmi les chefs d'entreprise de sa région.
La motivation par l'exemple, la persuasion par le succès des entreprises et
l'incitation par une aide appropriée de l'Etat, voilà la méthode que nous
préconisons dans ce domaine.
De ces expériences dont cette revue fait état, fallait-il tirer une loi ou un
enseignement ?
La majorité sénatoriale, quant à elle, préfère tirer des enseignements, car
elle est persuadée que le pragmatisme en ce domaine est préférable à tout
dogmatisme.
C'est être, il est vrai, plus modeste. Or, je sais que la modestie et la
prudence sont rarement appelées à nourrir l'imaginaire collectif. Là est
peut-être le secret d'un certain entêtement à vouloir coûte que coûte imposer
autoritairement les 35 heures.
Il est vrai que c'était une promesse électorale et que le Premier ministre
souhaite la tenir : c'est, à ses yeux, une question de morale politique. J'y
souscris pleinement, mais je me demande s'il ne faudrait pas en étendre un peu
le champ.
Pourquoi, en effet, la morale politique ne serait-elle pas invoquée déjà en
amont des promesses ? Cela éviterait bien des déceptions quand elles ne sont
pas tenues, et bien des déboires quand elles le sont.
« Ce qui compte, c'est ce qui marche ». Ainsi parlait Tony Blair à la tribune
de l'Assemblée nationale, le 24 mars dernier, madame le ministre. Or, en
matière de réduction du temps de travail, ce qui marche aujourd'hui, c'est ce
qui a été librement négocié par des partenaires sociaux libres d'apprécier ce
que l'entreprise et les salariés avaient à gagner à une telle démarche.
Le consensus suppose le consentement, qui engage mieux les partenaires que la
loi. Celle-ci risque en effet d'indisposer les partenaires quand il convient
qu'ils soient de part et d'autre bien disposés.
C'est la capacité des hommes et des femmes à innover ensemble au sein de
l'entreprise qui est porteuse d'avenir et d'espoir. C'est la libre négociation
qui est source de justice, de paix sociale et d'efficacité économique. Ce sont
la liberté et la confiance réciproque qu'elle suppose qui sont modernes.
J'en suis profondément persuadé,...
M. Emmanuel Hamel.
Nous aussi !
M. Alain Gournac.
... comme je suis persuadé que la modernité de Tony Blair tient à sa liberté
de parole et d'action.
Quel socialiste français oserait en effet déclarer : « La gestion de
l'économie n'est ni de gauche ni de droite, elle est bonne ou mauvaise » ?
M. Jean Chérioux.
C'est vrai !
M. Claude Estier.
C'est votre ami Tony Blair !
M. Alain Gournac.
Eh oui ! Et il vous a bien gênés en disant cela : nous avons bien vu que les
applaudissements n'étaient pas toujours de votre côté !
M. Claude Estier.
Vous oubliez votre soutien à Margareth Thatcher et à John Major !
M. Alain Gournac.
Moi, je vous parle de Tony Blair.
Mme Joëlle Dusseau.
Et la suite ?
La gestion de M. Jospin est bonne !
M. Alain Gournac.
On ne créera pas des emplois durables et on ne fera pas reculer le chômage par
la contrainte. Contraindre, c'est braquer les partenaires sociaux.
S'il est logiquement vrai de penser que le partage du travail induira une
baisse du taux du chômage, il est psychologiquement faux de croire que les
salariés sont prêts à gagner moins.
Au regard des chiffres de la pauvreté en France, publiés récemment par
l'INSEE, on ne peut que partager le refus des salariés de voir leur pouvoir
d'achat diminuer.
Il serait d'ailleurs inconsidéré de vouloir traiter le problème du chômage
indépendamment de celui de la pauvreté. Et les interrogations de l'INSEE
relatives aux modèles britannique et néerlandais doivent être entendues comme
des mises en garde.
Il est économiquement aberrant de penser que les entreprises pourraient
maintenir les salaires des personnels en place tout en embauchant de nouveaux
salariés pour compenser les quatre heures non travaillées. Les gains de
productivité, nous le savons, sont incertains, et à tout le moins impossibles à
évaluer.
Les entreprises se demandent d'ailleurs - permettez-moi de le signaler au
passage - si les aides de l'Etat dont elles pourront bénéficier seront
assujetties à la TVA ou non. C'est une question importante, puisqu'elle
détermine le coût du passage aux 35 heures à la fois pour les entreprises et
pour l'Etat.
Madame le ministre, vous avez, avec vos amis politiques, choisi la méthode
autoritaire.
La majorité sénatoriale, par la voix de notre excellent rapporteur, M. Souvet,
vous a proposé et vous propose à nouveau une autre méthode : l'incitation et la
libre négociation. Car, au fond, nous sommes tous d'accord sur le principe, qui
n'est autre que celui de la loi Robien.
« Ce qui compte, c'est ce qui marche ». Or, ce qui marche, en l'occurrence,
marche parce qu'il marche librement. Qui peut le nier ?
Et comment le Gouvernement peut-il, dans ses publications, défendre un projet
qui substitue la voie autoritaire à l'incitation et à la libre négociation,
dont la pertinence a été vérifiée ?
Comment peut-il défendre son projet en s'appuyant sur des exemples de
réduction du temps de travail pour lesquels la libre négociation est au coeur
du dispositif ?
Comment peut-il illustrer un projet étatique par des exemples libéraux ?
La réduction du temps de travail est un élément de la solution au problème du
chômage, elle n'est pas « la » solution. L'imposer de manière autoritaire,
c'est tourner le dos à la modestie que vous préconisez, madame le ministre.
« Face au chômage, nous avons tous échoué », disiez-vous à juste titre dans
cette enceinte. Or faire une loi qui contraint, c'est prendre la partie pour le
tout, c'est prendre un élément de la solution pour la solution elle-même.
Votre loi, madame le ministre, risque d'empêcher les PME de profiter de la
dynamique de croissance qui semble se dessiner. Elle risque de porter préjudice
à l'emploi, dont celles-ci ont été, plus que d'autres, créatrices.
Notre rapporteur vous proposait un reprofilage de la loi Robien. Conjugué avec
d'autres éléments de solution qu'il faudra bien un jour examiner, comme la
baisse du coût du travail, il faisait évoluer les choses positivement, avec
efficacité et prudence, et donc avec réalisme.
Voilà pourquoi, madame le ministre, je reste en désaccord avec vous.
C'est au nom du dialogue social, en la vertu duquel je crois, c'est au nom de
la confiance que je mets dans la capacité des hommes et des femmes d'inventer
librement l'entreprise de demain que je ne voterai pas en l'état le projet de
loi de réduction autoritaire du temps de travail que vous nous proposez.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Weber.
M. Henri Weber.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, un mois après
avoir examiné en première lecture le projet de loi sur l'aménagement et la
réduction du temps de travail, je suis heureux de pouvoir reprendre ce débat
dont les enjeux ont été clarifiés ces dernières semaines.
Il y a un mois, nos collègues de la majorité sénatoriale avaient purement et
simplement vidé ce texte de sa substance. Ils lui avaient substitué un prétendu
contreprojet pour l'emploi : il s'agissait, en réalité, d'un retour à la
politique mise en oeuvre pendant quatre ans avant les providentielles élections
législatives anticipées de juin 1997, politique qui n'a pas, c'est le moins que
l'on puisse dire, obtenu les résultats escomptés en matière de lutte contre le
chômage.
Je vous rappelle, mes chers collègues, que, entre 1993 et 1997, le chômage a
malheureusement augmenté dans notre pays de 450 000 unités.
M. Emmanuel Hamel.
C'est moins qu'avant !
M. Henri Weber.
Les mêmes causes, je le crains, auraient produit les mêmes effets. Je me
félicite donc que l'Assemblée nationale ait rendu à votre texte, madame la
ministre, son contenu, et à nos concitoyens le projet pour lequel ils avaient
voté.
Plusieurs facteurs viennent aujourd'hui conforter le Gouvernement dans ses
choix.
Le premier est le bon résultat obtenu par les candidats de la majorité
plurielle aux dernières élections cantonales et régionales, et ce malgré le
caractère généralement défavorable, pour le Gouvernement en place, de ce type
de consultation intermédiaire. La gauche plurielle a gagné 431 sièges sur les 1
396 détenus avant le scrutin par la droite,...
M. Emmanuel Hamel.
Grâce au Front national !
M. Alain Gournac.
Ah oui !
M. Henri Weber.
... ce qui constitue le plus grand succès remporté par elle dans les scrutins
locaux en France depuis les victoires, d'une exceptionnelle ampleur, de 1976 et
de 1977, soit depuis vingt-deux ans.
Aux élections régionales, la gauche plurielle a obtenu la majorité dans douze
régions sur vingt-deux, même si, pour des raisons que je préfère ne pas évoquer
ici, elle n'en dirige finalement que huit à ce jour.
Ces succès prouvent, s'il en était besoin, qu'un Gouvernement qui tient ses
engagements et obtient de bons résultats conserve la confiance des Français.
Ils prouvent également que ceux-ci se reconnaissent dans les grandes mesures
décidées par le Gouvernement, l'une des plus symboliques étant la loi sur les
35 heures.
La poussée électorale de l'extrême gauche, notamment dans les circonscriptions
les plus populaires, nous incite même à penser que, en matière de réformes,
nombre de nos concitoyens nous reprochent non pas d'en faire trop, mais de ne
pas en faire assez.
Le second facteur qui nous permet d'envisager la mise en oeuvre de votre texte
avec confiance, c'est la bonne tenue actuelle de notre économie. En favorisant
l'essor de la consommation populaire, nous avons aidé la conjoncture, et la
conjoncture, bonne fille, nous aide en retour : la croissance dépasse
aujourd'hui les 3 % ; surtout, elle est tirée désormais autant par la reprise
de l'investissement et de la demande intérieure que par l'exportation. Tout
indique qu'elle sera durable.
Les entreprises, grandes et petites, réalisent des profits égaux et supérieurs
à ceux qu'elles enregistraient durant les mythiques « Trente glorieuses ».
Elles recommencent à embaucher, certes prudemment, en privilégiant d'abord
l'emploi intérimaire - M. Guy Fischer le faisait remarquer - mais le chômage a
commencé une lente décrue, qui peut s'accélérer si chacun y met du sien.
Frappés par la publication des bilans flatteurs des entreprises et par les
records répétés de la Bourse, les salariés réclament, par la voie de leurs
syndicats, leur part légitime des fruits de la croissance.
M. Emmanuel Hamel.
Ils ont raison !
M. Henri Weber.
Ils ont tout à fait raison !
Parallèlement, cette croissance retrouvée permet aux entreprises d'envisager
plus sereinement la réorganisation du travail que votre loi appelle et permet.
Nous voyons donc se mettre en place les conditions de ce grand mouvement que
vous nous proposez et dont les clés sont : plus d'emplois pour les chômeurs,
plus de temps libre pour les salariés, une meilleure organisation pour les
entreprises. C'est, en somme, le véritable partage des « fruits de la
croissance » !
Le troisième élément qui autorise aujourd'hui à être raisonnablement
optimiste, c'est ce qui se passe dans de nombreuses entreprises, sur le
terrain. Le but proclamé de votre projet de loi, madame la ministre, était de
relancer la négociation collective, passablement atone dans notre pays depuis
de nombreuses années. C'est même précisément, je voudrais le faire remarquer à
M. Gournac, à cause de cette atonie, qui est due, dans une large mesure, au
refus des organisations patronales de négocier, en raison d'un rapport de force
à elles favorables - qui les incitait à imposer leur volonté aux salariés
plutôt qu'à rechercher avec les syndicats des compromis mutuellement favorables
- que vous avez dû recourir, madame la ministre, à la loi pour impulser
l'aménagement et la réduction du temps de travail.
Tout le monde ici se souvient que la loi Robien de 1996 n'a abouti qu'à 1 500
contrats, concernant 300 000 salariés seulement, et ce malgré son caractère
très avantageux pour les chefs d'entreprise. Et encore, elle doit une partie
notable de ce résultat à la pression qu'a exercée votre projet de loi lui-même,
plus de 200 entreprises ayant conclu des accords au cours du dernier trimestre
de 1997, afin de profiter du dispositif Robien avant qu'il ne disparaisse et
pour prendre part à ce mouvement général que, grâce à votre loi, nous voyons
peu à peu apparaître.
M. Claude Estier.
Très bien !
M. Henri Weber.
Dès aujourd'hui, en effet, avant même que votre loi n'ait été définitivement
votée par le Parlement, les négociations se multiplient. Dans la tension
souvent, dans le conflit ouvert parfois, comme cela a été rappelé à cette
tribune, mais comment pourrait-il en être autrement ?
L'essentiel, madame la ministre, c'est bien qu'à nouveau on se retrouve autour
du tapis vert et qu'on discute ensemble des modalités concrètes de
l'organisation du travail, que représentants des salariés et chefs d'entreprise
recherchent ensemble les voies et les moyens du compromis dynamique que votre
loi propose : réduction du temps de travail, maintien du pouvoir d'achat des
salariés, création de nouveaux emplois.
Même le président du CNPF, M. Ernest-Antoine Seillière a retrouvé, et c'est
heureux, le chemin de Matignon. Décidément, la phase de l'attentisme prend fin,
celle des négociations commence !
La presse a relaté abondamment l'exemple d'Eurocopter, cette filiale des
groupes Aérospatiale et Dasa qui emploie 6 000 salariés en France, dans ses
établissements de Marignane et de La Courneuve. Dans cette entreprise,
direction et syndicats se sont mis d'accord pour le passage aux 35 heures dès
1999, sans aide de l'Etat, en misant sur une nouvelle organisation du travail.
La semaine de quatre jours sera la règle, avec un long week-end de trois jours
pour 85 % du personnel. Les 15 % restant travailleront trois jours et demi, sur
la base du volontariat, mercredi, jeudi, vendredi et samedi matin. Des pertes
de rémunérations inférieures à 2 %, épargnant les bas salaires, ont été
acceptées par les syndicats en échange de 360 embauches nouvelles, soit 6 % des
effectifs. Les 1 300 cadres bénéficieront, comme l'ensemble des salariés, de la
baisse des horaires, selon des modalités particulières. L'ensemble du personnel
pourra dès l'an prochain comptabiliser les dépassements d'horaires sur un
compte épargne-temps, géré sur plusieurs années.
Et il ne s'agit pas là du cas isolé d'une multinationale : la même chose vaut
pour les petites entreprises. A deux pas de chez moi, la société Véranda
Confort de Tôtes, trois salariés en 1993, trente aujourd'hui, a décidé de
passer aux 35 heures sans perte de salaire, avec embauche de cinq salariés
supplémentaires et recours aux aides de l'Etat. Les salariés travailleront cinq
jours une semaine et quatre jours la semaine suivante, récupérant un lundi ou
un vendredi sur deux.
L'accord prévoit qu'en période de pleine activité le personnel pourra être
amené à travailler six jours certaines semaines et à récupérer ces heures-là
sur d'autres périodes. « Les horaires sont plus souples et adaptés aux besoins
de l'entreprise, a déclaré son fondateur, M. Lionel Dorthé. C'est du
donnant-donnant. » Pour toutes ces raisons, ce patron de PME dynamique, d'une
ce ces PME dont certains ici se prétendent porte-parole, ne songe pas à
délocaliser, non : il considère - je le cite - la loi sur les 35 heures comme
une « bonne chose » !
Et l'on pourrait multiplier les exemples. Dans mon seul département, la
Seine-Maritime, plus de soixante entreprises ont d'ores et déjà commencé à
réduire leur temps de travail, créant ou préservant plus de 650 emplois.
Et, s'il nous est permis de regarder au-delà de nos frontières, on voit bien
que votre orientation, madame la ministre, n'est pas isolée. La majorité
sénatoriale nous donne souvent en exemple notre excellent camarade Tony Blair,
mais également les syndicats allemands, réputés sérieux, pragmatiques et
réalistes, tout le contraire de nos syndicats français, politisés et
fantasques. Ainsi, M. Klaus Zwickel, président du plus puissant syndicat
ouvrier d'Europe, l'IG Metall, que vous avez d'ailleurs reçu voilà peu, madame
la ministre, s'est non seulement félicité du passage aux 35 heures dans son
pays depuis de longues années déjà, mais a déclaré que l'objectif de son
organisation était désormais les 32 heures pour l'an 2000.
Quant au plus grand syndicat allemand, la DGB, il se prononce, pour sa part,
pour la semaine de 30 heures à cette date ! Où est l'isolement ?
Je ne parle même pas des décisions prises par nos amis italiens, que vous
récusez !
M. Jean Chérioux.
Ce n'est pas généralisé, cela se fait dans le cadre d'accords collectifs !
M. Alain Gournac.
Ce n'est pas la même chose !
M. Henri Weber.
Ce n'est pas généralisé en Allemagne, mais la DGB est une confédération
interprofessionnelle nationale.
Je ne reviendrai pas sur les arguments qu'a excellemment exposés ma collègue
Marie-Madeleine Dieulangard en réponse aux critiques de M. le rapporteur, qui,
une fois de plus, comme l'a d'ailleurs fait tout juste avant moi à cette
tribune notre collègue blairiste M. Gournac,...
M. Alain Gournac.
Cela vous gêne, hein !
M. Henri Weber.
... a déploré le recours à la loi.
Mais, sachant ce que sont les relations contractuelles en France,
pouviez-vous, madame la ministre, faire autrement que recourir à la loi ?
Probablement, si nous avions l'éternité devant nous ! Mais nous avons trois
millions de chômeurs et autant de salariés précaires qui ne peuvent attendre
que nous ayons, les uns et les autres, régénéré les relations professionnelles
dans ce pays. Il y a urgence ; les gens ne peuvent pas attendre, car ils sont
dans la difficulté. Nous avons besoin de résultats immédiats et non pas étalés
sur plusieurs décennies.
Certains ont souligné que l'aide forfaitaire à la création d'emplois - et non
plus l'aide proportionnelle aux salaires que prévoyait la loi Robien - allait «
pénaliser le travail qualifié ». On pourrait dire aussi - ce serait plus juste
- qu'elle va favoriser le travail non qualifié.
En effet, si le coût du travail dans notre pays pose un problème par rapport à
celui de nos principaux concurrents, ce n'est pas le coût du travail qualifié,
ni même celui du travail moyen, mais bien celui du travail non qualifié, qui
est en effet trop élevé et induit des effets pervers.
Votre décision de favoriser la main-d'oeuvre et les bas salaires est donc
sage, madame la ministre, et répond aux recommandations de la plupart des
économistes.
S'agissant du SMIC, notre rapporteur a rappelé la remarque de M. Jean-Pierre
Fourcade, président de la commission des affaires sociales, doutant « que l'on
puisse faire coexister durablement des salariés travaillant 35 heures payées 39
et d'autres, 39 heures payées 40. » Dans cette observation de bon sens, le mot
important est l'adverbe « durablement ».
Votre loi, madame la ministre, n'institue pas un système durable de double
SMIC. Elle crée un nouveau SMIC et prévoit des mesures transitoires en
attendant que le SMIC horaire rattrape le SMIC mensuel et que les deux
coïncident.
Pour le reste, notamment pour l'épineuse question de la définition du temps de
travail effectif, je m'en rapporte, là encore, aux arguments qu'a développés ma
collègue Marie-Madeleine Dieulangard.
Madame la ministre, avec votre loi, vous proposez au pays, pour lutter contre
le chômage et l'exclusion, un nouveau contrat social en trois termes :
réduction et aménagement du temps de travail ; maintien du pouvoir d'achat et
des droits des salariés ; création d'emplois dans les entreprises pour renouer
durablement avec le cercle vertueux de la croissance.
Le succès dépend maintenant de la bonne volonté et de la détermination des
partenaires sociaux. Les chefs d'entreprise peuvent s'en saisir - j'en ai donné
deux exemples, j'aurais pu en donner des dizaines d'autres - pour accroître la
réactivité et la productivité de leur firme tout en améliorant son climat
social, c'est-à-dire, finalement, la motivation et la mobilisation des salariés
de tous les niveaux.
Les salariés peuvent s'en saisir pour contribuer à la création d'emplois
nouveaux - qui, parmi eux, n'a pas au moins un chômeur dans sa famille ou dans
son entourage ? - et renforcer ainsi la croissance.
Nous ne doutons pas, madame la ministre, que vous saurez communiquer votre
enthousiasme et votre énergie aux partenaires sociaux, dont tout dépend
désormais. C'est pourquoi nous voterons chaleureusement votre projet de loi,
rétabli dans son esprit et dans sa lettre par l'Assemblée nationale.
(Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen, et sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Baylet.
M. Jean-Michel Baylet.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis sa
présentation officielle, en décembre dernier, le projet de loi d'orientation et
d'incitation relatif à la réduction du temps de travail a fait couler beaucoup
d'encre et beaucoup de salive, c'est le moins qu'on puisse dire.
En marge des hémicycles, on a pu mesurer l'intensité de l'affrontement entre
les partisans d'une réduction négociée et encadrée du temps de travail, et
l'aile ultra-libérale refusant en bloc, conformément à son idéologie, l'idée du
passage aux 35 heures.
En ce qui concerne les radicaux - nous l'avons déjà dit à l'occasion de la
première lecture par la voix de notre excellente collègue Joëlle Dusseau -
c'est, bien entendu, la première tendance qui recueille notre adhésion, et ce
pour deux raisons essentielles.
D'une part, la réduction du temps de travail correspond à un engagement fort
pris par le Premier ministre, Lionel Jospin, pendant la campagne des élections
législatives ; une majorité d'électeurs nous ont accordé leur confiance sur la
base d'un programme particulièrement volontariste et novateur dans le domaine
de la lutte contre le chômage. Dans le droit-fil de la loi sur l'emploi des
jeunes, le Gouvernement répond une nouvelle fois avec fidélité aux attentes des
Français.
D'autre part, nous sommes simplement convaincus que la baisse du temps de
travail est une réponse majeure au problème du chômage. Eh oui, mes chers
collègues, il existe des réalités que l'on ne peut nier !
Les progrès techniques, fort heureusement, poursuivent leur mouvement, et si
ceux-ci induisent de nouveaux emplois, il faut globalement de moins en moins de
temps pour produire toujours plus de marchandises et de services. Il suffit
donc de constater l'existence des gains de productivité pour savoir que la
baisse du temps de travail est possible.
Elle est même souhaitable, sous peine de voir le marché être l'unique
régulateur du partage du travail, avec les effets que l'on connaît, à savoir un
taux d'inactivité de 12 % et l'émiettement du travail par le développement de
contrats précaires. Dans notre pays - et, hélas ! dans beaucoup d'autres - le
partage du travail s'opère mécaniquement entre ceux qui ont tout, ceux qui ont
un peu et ceux qui n'ont rien.
Le partage du travail, pourtant, existe bel et bien ; un peu plus de
vingt-quatre millions d'individus sont actifs, tandis qu'environ quatre
millions de personnes en âge de travailler ont pour seul horizon l'attente d'un
hypothétique emploi.
En proposant un projet de loi d'orientation et d'incitation relatif à la
réduction du temps de travail, le Gouvernement souhaite inverser la tendance,
qui consiste à accepter le chômage comme irrémédiable.
Avec votre projet, et l'audace qui le caractérise, madame la ministre, vous
avez décidé de ne pas laisser le chômage perdurer dans son rôle de variable
d'ajustement au marché de l'emploi. Vous avez, au contraire, choisi d'ajuster
le temps de travail aux besoins d'activité des individus.
Certes, dans cette assemblée, nombreux - trop nombreux à mon goût ! - sont
ceux qui expriment des réticences face à cette idée. L'analyse du texte adopté
ici même en première lecture suffit pour s'en convaincre. En transformant le
projet du Gouvernement en une prolongation et une révision de la loi Robien, la
commission des affaires sociales a tenté de faire croire qu'elle était
favorable sur le principe à une baisse du temps de travail.
Vous savez très bien, mes chers collègues, que le caractère incitatif de la
version du 4 mars dernier revient à laisser la durée légale du temps de travail
en son état actuel. Si l'on veut faire baisser sérieusement le chômage, on ne
doit pas se contenter de demi-mesures : on est pour ou contre la baisse du
temps de travail ; on ne peut pas faire croire que l'on est pour en faisant
tout pour que cela n'arrive pas.
Mme Joëlle Dusseau.
Très bien !
M. Jean-Michel Baylet.
En tout cas, madame la ministre, soyez assurée une nouvelle fois que, pour
leur part, les radicaux approuvent le texte récrit dans sa version initiale par
l'Assemblée nationale.
Nous vous soutenons pour les raisons que j'ai évoquées tout à l'heure et parce
que nous sommes favorables à la reprise d'un mouvement séculaire bloqué - nous
le regrettons - depuis 1982.
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
Par qui ? Par M. Mauroy
! Dont acte !
M. Jean-Michel Baylet.
Toutefois, nous avons un regret, et je vais me permettre de vous l'exposer
brièvement.
Nous aurions souhaité, madame la ministre, que votre détermination et votre
sens du combat vous poussent à aller plus loin pour proposer dès aujourd'hui
les 32 heures et la semaine de quatre jours.
M. Philippe Marini.
Pourquoi pas zéro !
M. Jean-Michel Baylet.
Le débat s'est focalisé sur les 35 heures - à juste titre puisque l'article
1er les décrète - et les entreprises vont donc adopter assez systématiquement
ce qu'elles considèrent comme un moindre mal, à savoir les 35 heures. De ce
fait, la voie vers des baisses plus importantes, à peine entrouverte, risque de
n'attirer personne, en tout cas pas ceux qui ont le pouvoir de décision.
Or, le choix de la semaine de quatre jours, dans le cadre, naturellement, de
l'annualisation, permettrait, à mon sens, de diminuer les chiffres du chômage
de façon plus importante.
Expérimenté avec réussite dans nombre d'entreprises, ce système - que je
connais, pour ma part, très bien - présente plusieurs avantages.
Réparties sur quatre jours ou annualisées, les 32 heures résument mieux que
les 35 heures les besoins de temps dans l'entreprise et hors de l'entreprise.
Elles créeraient ainsi de nouvelles possibilités de vie civile et citoyenne.
Dans l'entreprise, elles seraient, enfin, l'occasion de mettre en place de
nouveaux modes d'organisation et de relations entre les salariés.
Puisque nous sommes aujourd'hui dans une période de croissance, qui
permettrait de « digérer » d'éventuelles déconvenues, et puisque les autres
politiques ont jusque-là échoué, pourquoi ne pas dépasser les résistances pour
avancer ensemble vers un nouveau choix de société où l'activité serait mieux
partagée au bénéfice de tous ?
En tout cas, en redonnant du travail à ceux qui en sont privés et en accordant
plus de temps libre aux autres, on créerait une nouvelle richesse commune
appelée bien-être social.
Voilà, madame la ministre, en vous assurant encore une fois de notre soutien,
la contribution, trop brièvement évoquée, des radicaux de gauche à la lutte
pour l'emploi !
(Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées
socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Marini.
M. Philippe Marini.
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, je limiterai
mon intervention à des considérations plus techniques que celles des précédents
intervenants, me référant, bien entendu, sur le plan général, aux propos tout à
fait excellents, et auxquels je souscris complètement, qui ont été tenus par
notre collègue Alain Gournac au nom de notre groupe.
Je veux en effet concentrer cette intervention sur un point particulier qui
fait l'objet de l'article 4
bis,
à savoir la définition de la durée
effective du travail.
Ce débat était inévitable pour un certain nombre de raisons.
D'abord, le droit existant, l'article L. 212-4 du code du travail, qui se
réfère à la notion de temps de travail effectif, reflète un concept qui
nécessite une interprétation plus qu'il ne traduit un contenu juridique
précis.
En effet, les tribunaux, sous le contrôle de la Cour de cassation, ont
développé, notamment ces dernières années, toute une jurisprudence
interprétative. Celle-ci se réfère le plus souvent à deux notions : en premier
lieu, la notion de travail commandé, qui a été d'une réelle utilité pour
déterminer la qualification des temps de présence au-delà de l'horaire
collectif, celui par lequel est versé le salaire mensuel contractuel ; en
second lieu, la notion, retenue par la Cour de cassation, de disposition
permanente à l'égard de l'employeur, qui a une utilité pour définir la
qualification de certains temps de présence à l'intérieur de l'horaire
collectif ou contractuel. Il s'agit des temps qui sont des temps de
disposition, temps que recouvre le salaire mensuel, mais qui ne sont pas pour
autant consacrés à l'accomplissement d'une tâche précise.
Enfin, autre élément qui nous conduit tout naturellement à ce débat : la
directive européenne du 23 novembre 1993, dont il ne faut pas oublier qu'elle a
été incorporée dans notre droit interne à la date du 23 novembre 1996. Cette
directive s'impose donc au législateur français.
Je rappelle qu'elle définit la durée effective de travail par référence à «
toute période durant laquelle le travailleur est au travail, à la disposition
de l'employeur et dans l'exercice de son activité ou de ses fonctions,
conformément aux législations et/ou pratique nationales. »
Cette notion de « à la disposition de l'employeur et dans l'exercice de son
activité ou de ses fonctions » est, en définitive, proche de celle qui a déjà
été dégagée par la jurisprudence française.
Par rapport à cela, il est tout à fait clair que le texte voté en première
lecture par l'Assemblée nationale, sur l'initiative de l'extrême gauche, tente
de donner une portée exagérément large à ladite notion.
Non seulement on va plus loin que la Cour de cassation, qui réglait des
problèmes difficiles, telles les questions d'astreinte ou de temps de veille,
mais encore on introduit dans le champ de la notion de durée effective du
travail des temps de présence que la Cour de cassation avait exclus, tels les
temps de repos.
Lorsque nous avons abordé ce sujet en première lecture, madame le ministre,
vous nous avez opposé, en particulier, la pratique de certaines professions, et
vous vous êtes référée, je crois, à l'accord du secteur du bâtiment sur les
grands déplacements.
En effet, une partie du temps de déplacement, lorsque le nombre de kilomètres
dépasse un certain seuil, est assimilée à du travail effectif par les
partenaires sociaux : s'ils en ont ainsi décidé contractuellement, c'est bien
parce qu'une telle interprétation n'aurait pas été permise par le droit commun.
Un arrêt de la Cour de cassation de 1995 a assimilé de tels temps à du travail
effectif, par référence à la notion de disposition à un cas d'espèce,
matérialisé par l'obligation faite au salarié de venir au siège social afin de
se faire transporter sur le chantier.
Je répète donc que la référence que vous avez prise est une référence très
spécifique, qui va,
a contrario,
dans le sens des thèses défendues par la majorité
sénatoriale.
Or la rédaction proposée en première lecture par l'Assemblée nationale, sur
l'initiative, je le répète, de l'extrême gauche, et qui fait disparaître
l'adjectif « permanent » - il ne s'agit plus de la « disposition permanente » -
est incohérente, me semble-t-il, avec le premier alinéa de l'article L. 212-4
du code du travail, qui exclut le temps d'habillage, de casse-croûte et de
repas, ainsi que les temps d'inaction tels qu'ils sont définis par les
différentes normes en vigueur.
En outre, et surtout, cette notion ne fait plus la différence entre les heures
incluses dans l'horaire collectif de travail, pour lesquelles existe une
présomption de qualification de temps de travail, et les heures effectuées
au-delà, dont on voit mal ce qui pourrait justifier qu'elles soient
systématiquement considérées comme du temps de travail effectif.
Bien sûr, les heures effectuées au-delà de l'horaire collectif sont des heures
commandées lorsque la charge de travail est telle que celle-ci ne peut être
réalisée qu'avec un temps supérieur. Mais de là à généraliser une telle
approche, il me semble qu'il y a une distance qu'il serait tout à fait
déraisonnable de franchir.
Je prends l'exemple des cadres qui disposent de temps d'autonomie. Si l'on
appliquait la notion retenue par l'Assemblée nationale en première lecture,
nous nous trouverions dans des situations tout à fait surprenantes.
En effet, si le texte voté en première lecture par l'Assemblée nationale était
définitivement retenu, il faudrait, pour éviter à l'employeur de payer toutes
les heures de présence d'un cadre, qu'il le sanctionne disciplinairement chaque
fois qu'il resterait au bureau au-delà de l'horaire collectif ! Autant dire que
la qualification de cadre serait remise en cause dans son principe et que l'on
se trouverait dans des situations de désorganisation des entreprises.
Pour l'ensemble de ces raisons, et en vertu de cette analyse, il me semblerait
sage d'en revenir au texte que le Sénat avait adopté en première lecture.
Je crois que la démonstration a été abondamment faite à ce sujet, et ce
d'autant plus, je le répète, qu'il existe un texte communautaire, la directive
du 23 novembre 1993, qui ouvre la voie à des évolutions pour le futur en
définissant le temps de repos minimum, dans une optique de protection de la
santé et de la sécurité.
Pour terminer sur ce sujet, je crois qu'il faudrait que l'on réfléchisse pour
l'avenir à une définition du temps de travail qui se réfère de manière négative
au temps de repos. En effet, avec les évolutions technologiques que nous
connaissons, l'autonomie sera de plus en plus grande pour un nombre croissant
de travailleurs, les organisations hiérarchiques céderont de plus en plus
souvent le pas à des organisations modulaires, et l'entreprise se matérialisera
de moins en moins par une unité de temps, de lieu et d'action. Le rapport au
temps et à la distance sera complètement différent, sinon dissous, ce qui
rendra obsolète la référence à la notion de disposition. Dans l'avenir, il
conviendrait d'anticiper sur les évolutions de l'organisation du travail.
Je rappellerai en conclusion que le texte que vous nous proposez, madame le
ministre, est en retrait sur certaines évolutions conceptuelles qui figurent
déjà dans notre droit, notamment depuis l'ordonnance qui a fixé la durée
hebdomadaire du travail à 39 heures.
Cette législation a déjà fait passer notre situation juridique, en ce qui
concerne les heures supplémentaires, d'un régime d'autorisation par
l'inspecteur du travail à un régime de simple déclaration. La durée légale, de
ce fait, n'est plus impérative, elle n'est qu'un seuil à partir duquel se
déclenchent des droits et des obligations.
En outre, la semaine comme module quasi universel a été abandonnée, ce qui
permet de se placer dans le cadre d'autres cycles, celui de l'année notamment,
et de jouer au maximum des gains de productivité dans les entreprises.
Enfin, la remise en cause de l'horaire collectif comme mode d'organisation des
temps de travail a été acquise pour en faire un simple horaire de référence,
auquel on peut aisément déroger du fait de l'organisation spécifique d'une
entreprise.
Madame le ministre, le texte que vous nous proposez est en retrait par rapport
à bien des acquis de la législation antérieure, c'est un texte de contraintes,
on l'a dit. C'est un texte qui rigidifie notre économie et l'organisation des
entreprises. C'est un texte qui recèle d'importants dangers et de graves
illusions. C'est donc un texte qui, assurément, ne peut pas recevoir l'accord
de la majorité de la Haute Assemblée.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
Monsieur le président,
madame la ministre, mes chers collègues, avant que s'achève notre deuxième
discussion générale sur ce projet de loi relatif à la réduction du temps de
travail, je souhaiterais formuler trois brèves remarques et prendre date.
En observant ce qui se passe dans les pays qui nous entourent, non seulement
la Grande-Bretagne et l'Allemagne mais aussi l'Espagne et l'Italie, je constate
que les projets du Gouvernement portent des messages qui ne vont pas dans le
sens du dynamisme de notre économie et de la capacité de notre pays à profiter
de la reprise qui s'amorce et à franchir le cap de l'euro dans quelques
semaines dans de bonnes conditions.
En effet, du projet précédent sur les emplois-jeunes, les Français ont
essentiellement compris que leurs enfants se verraient offrir une chance
nouvelle d'entrer dans la fonction publique. De fait, les « nouveaux services »
annoncés, les « emplois émergents », ne se sont traduits pour l'instant que par
des emplois dans l'éducation nationale et dans la police.
De votre projet de loi sur les 35 heures, et malgré ce qu'en ont dit les
orateurs qui m'ont précédé, les Français retiendront qu'ils peuvent travailler
moins. Les votes intervenus en première et en deuxième lecture à l'Assemblée
nationale sont, à cet égard, significatifs. Comme l'ont fait observer notre
excellent rapporteur Louis Souvet, et, à l'instant, M. Marini, non seulement le
projet de loi tend à abaisser la durée légale du travail, mais en outre, par
l'article 4
bis,
il vise à donner une définition extensive des activités
ou périodes considérées comme temps de travail ; les effets de l'abaissement de
la durée légale du travail se cumulent ainsi avec une réduction supplémentaire
du temps de travail productif.
Si l'on s'était placé, madame la ministre, dans une optique d'expansion et
d'avenir, il aurait mieux valu intégrer dans le temps de travail le temps de
formation ; cela aurait été en effet beaucoup plus utile en vue de l'adaptation
des travailleurs aux métiers de demain que la prise en compte d'un certain
nombre d'astreintes, de congés ou de repos. Mais c'est encore une question
d'idéologie qui nous sépare !
Puisque vous aviez émis un avis favorable en première lecture, puis
défavorable en deuxième lecture, sur le texte de l'Assemblée nationale, je vous
suggère, madame la ministre, de vous rallier aux propositions de la commission
des affaires sociales, qui se tiennent au plus près de la définition européenne
et pour lesquelles vous vous en étiez remise à la sagesse du Sénat en première
lecture.
J'ai en effet entendu l'argument avancé par certains, selon lequel il existe
une interprétation de la Cour de cassation - qu'il convient bien entendu de
retenir - et une directive européenne.
Mais où sommes-nous et à quelle époque ?
Nous allons le mois prochain décider d'instaurer une monnaie commune avec des
taux de change fixes : nous allons créer l'euro. Et nous disons ici que la
jurisprudence de la Cour de cassation est bien préférable aux directives
européennes ?
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
Oui !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission.
Mais on croit rêver ! Cessons de travailler
de cette manière et de rester les yeux fixés sur le rétroviseur !
Ma deuxième observation concerne l'impact du projet de loi sur l'emploi.
Vous le savez, mes chers collègues, sur le fondement des différentes
simulations macroéconomiques dont nous avons longuement parlé en première
lecture, les experts du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie
ont prévu deux scénarios.
Il y a, d'un côté, le scénario optimiste, que la direction de la prévision
qualifie de véritable « pacte pour l'emploi » : des négociations généralisées
entre les partenaires sociaux et une « modération salariale prononcée ». Quand
on sait le sens de l'euphémisme des fonctionnaires de Bercy, on voit ce que
cela veut dire !
Il y a, de l'autre côté, le scénario pessimiste : peu de négociations
préalables à l'entrée en vigueur de la nouvelle durée légale du travail, pas
d'accord de modération salariale, un effet mécanique de la baisse de la durée
légale du travail sur le niveau du SMIC.
Madame la ministre, je crains, pour ma part, que votre projet de loi, compte
tenu du contexte dans lequel il s'inscrit, ne contienne davantage les germes du
scénario pessimiste que les prémices d'un pacte pour l'emploi.
Dans mon intervention lors de la première lecture, j'avais beaucoup insisté
sur la question du SMIC et sur l'aggravation du coût du travail, notamment du
travail peu qualifié, qu'entraînera la baisse de la durée légale du travail.
Nous savons tous l'importance de cette question au regard du chômage. Or les
observations que vient de présenter à l'instant M. Weber confirment mes
craintes : nous sommes bien partis pour une augmentation de 11,4 % du SMIC et
il est clair que nombre de nos entreprises ne résisteront pas à cette
augmentation massive du coût du travail non qualifié.
J'observe également - et cette remarque vaut pour tout le Gouvernement, madame
la ministre - qu'il vous sera difficile de demander aux salariés du secteur
privé, au nom de l'emploi, de consentir des sacrifices en matière salariale
tout en accordant des hausses de pouvoir d'achat substantielles aux agents
publics, qui, eux, bénéficient de la garantie de l'emploi.
Les engagements pris par votre collègue Emile Zuccarelli à l'égard de
l'ensemble des fonctions publiques - Etat, collectivités territoriales,
hôpitaux - se traduiront par une augmentation assez sensible des rémunérations.
Il sera difficile d'éviter la contamination du secteur privé !
J'ajouterai enfin que les mesures contenues dans le présent projet de loi, qui
visent à freiner le développement du temps partiel, ne vont pas dans le bon
sens.
Bien sûr, comme Mme Dieulangard, je reconnais que, dans certains cas, il y a
eu exagération. Mais si nous avons tellement d'institutions de contrôle et de
vérification opérant des visites sur place dans les entreprises, c'est
justement pour tenter de réduire encore les quelques infractions et les
quelques facilités que s'autorisent certains chefs d'entreprise.
Cependant, je crois que si vous pouvez aujourd'hui vous glorifier, tout au
moins vous féliciter, de l'enrichissement en emplois par la croissance - avec
une croissance de 3 %, la proportion d'emplois créés est beaucoup plus forte
qu'il y a quelques années - c'est bien aux mesures tendant à favoriser le temps
partiel que vous le devez.
Aussi, les limites que vous apportez dans le recours au temps partiel dans le
projet de loi dont nous discutons me paraissent dangereuses et risquent de vous
faire revenir dans un système où la richesse en emplois en fonction du taux de
croissance retrouvera son niveau de 1993.
Enfin, ma troisième observation, et c'est la plus importante, est que votre
projet de loi est particulièrement inadapté à la situation des petites et
moyennes entreprises.
Tout le monde a bien compris qu'en fonction d'un schéma dans lequel une grande
négociation sociale au niveau des grandes entreprises est organisée pour
réduire la durée du travail, on pourrait aboutir à la création de quelques
emplois - je dis bien de quelques emplois - compte tenu de l'évolution
technologique et de l'aggravation de la compétition internationale. Mais tout
le monde a bien compris aussi que c'est au niveau des petites et moyennes
entreprises, et grâce à leur développement, à leur dynamisme et à leur
créativité que nous pourrons créer beaucoup d'emplois.
Or la réduction légale de la durée hebdomadaire du travail est tout à fait
dangereuse pour les petites entreprises, d'autant plus que vous avez retenu un
seuil très bas : vingt salariés.
Comme je l'ai dit hier lors de votre audition par la commission des affaires
sociales, la Commission des Communautés européenne considère, dans les
recommandations qu'elle adresse aux Etats membres, comme des petites
entreprises celles qui emploient moins de 250 personnes. J'ai retenu cette
référence parce que, sur ce sujet non plus, je n'ai pas trouvé de décision de
la Cour de cassation !
Je ne dis pas qu'il aurait fallu retenir le seuil de 250 salariés, je dis
seulement que le seuil de 20 personnes est particulièrement mal choisi et qu'il
aurait fallu accepter la proposition du Sénat qui visait à réserver un sort
particulier aux entreprises employant moins de 50 salariés.
Le Gouvernement, dans son projet de loi, malgré les qualifications flatteuses
dont il vient d'être l'objet, cultive donc l'exception française dans la
définition des petites entreprises, comme dans la définition du travail
effectif. Il cultive l'exception française en plaçant la réduction de la durée
légale du travail au coeur même de notre politique de l'emploi et en mobilisant
pour ce faire des crédits publics considérables.
Mais cette exception française, hélas ! fait davantage penser aux délices de
la période Ming dans la Chine ancienne qu'à la réalité de notre position
actuelle face à nos partenaires européens !
En fait, les lignes directrices pour l'emploi adoptées par le Conseil européen
de décembre 1997 n'évoquent la réduction du temps de travail qu'au détour d'un
des dix-neuf points énumérés et en plaçant résolument cette démarche dans le
cadre de négociations entre les partenaires sociaux, destinées « à promouvoir
la modernisation de l'organisation du travail et des formes de travail ». J'ai
donc été très étonné de la condamnation sans ambages de la loi Robien, loi que
nous avons votée dans cette enceinte en 1996 et qui n'a eu qu'une application
très partielle.
Mes chers collègues, si vous rencontriez aujourd'hui des représentants
syndicaux ou des dirigeants des entreprises qui ont passé des accords aux
termes de la loi Robien, vous constateriez le nouveau climat qui est né de la
mise en oeuvre d'une négociation ouverte sur la réduction du temps de travail,
sur la modération salariale et sur la réorganisation de l'entreprise. Vous
seriez - par ailleurs - frappés de la différence qui peut exister entre ces
personnes-là, avec qui l'on peut parler, et l'ensemble des autres.
En supprimant la loi Robien, en revenant à une définition de la durée légale
du travail, vous revenez aux formes très anciennes du dialogue social. Il sera
difficile de faire croire à nos concitoyens que c'est un progrès !
Face à ce constat et sur la proposition de notre excellent rapporteur, M.
Louis Souvet, la commission a proposé de rétablir le texte que vous aviez voté
en première lecture, mes chers collègues.
L'expérience de la deuxième lecture à l'Assemblée nationale, qui n'a même pas
examiné nos amendements, qui n'a accepté aucune discussion tellement, dans
cette affaire, il faut - ainsi que l'a dit M. Baylet - appliquer ce que l'on a
dit pendant la campagne électorale...
M. Philippe Marini.
Voire faire plus !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission.
... sans tenir compte de la réalité
économique et sociale du pays.
Mme Joëlle Dusseau.
M. Baylet n'a jamais dit cela !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission.
Comme l'a déclaré M. Baylet : j'ai peu
d'espoir que le Gouvernement et sa majorité acceptent de modifier
substantiellement le texte initial,...
Mme Joëlle Dusseau.
Vous extrapolez les propos de M. Baylet.
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission.
... excepté la définition du temps de
travail, car vous ne pouvez pas, madame le ministre, laisser appliquer le texte
voté contre votre avis à l'Assemblée nationale.
Comme l'a très justement souligné notre collègue Philippe Marini, il s'agit
d'un texte très dangereux pour les cadres et pour le fonctionnement de
l'entreprise.
M. Philippe Marini.
C'est un texte de régression !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission.
Mais il était bon que le Sénat dise ce qu'il
avait à dire. Un jour, selon moi très prochain, le Gouvernement et sa majorité
prendront conscience du bien-fondé des propositions de la Haute Assemblée tant
sur les emplois-jeunes que sur les 35 heures.
Ce qui nous différencie en fait de l'opposition sénatoriale et de la majorité
nationale, c'est que, nous, nous voulons réduire effectivement le chômage,
alors que, vous, vous voulez maintenir toutes les garanties dont disposent nos
concitoyens qui occupent un emploi. Nos approches sont différentes et les
résultats ne seront pas les mêmes. Seul l'avenir nous départagera.
Le fait de reprofiler la loi Robien, de revenir à une négociation ouverte et
libre, comme l'a dit M. Gournac, de ne pas porter atteinte aux mesures prises
depuis quelques années en matière de travail à temps partiel et de vouloir
mettre en oeuvre des directives européennes qui finiront par s'imposer à toutes
les entreprises de l'Union européenne va, madame le ministre, dans le sens du
progrès et non dans celui du conservatisme !
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme le ministre.
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaiterais répondre brièvement mais
fermement à certaines questions qui ont été abordées.
Monsieur le rapporteur, le Gouvernement croit non pas à la vertu de la
contrainte et de l'obligation, mais à l'engagement résolu dans le combat vers
l'emploi.
Nous estimons, comme M. Weber l'a indiqué, que, lorsque notre pays compte plus
de 3 millions de chômeurs et plus de 5 millions de personnes qui cherchent un
emploi, nous n'avons pas le droit de laisser de côté une piste qui, comme
beaucoup dans cette enceinte le reconnaissent, est un élément parmi d'autres de
la lutte contre le chômage. Et nous n'avons jamais soutenu qu'il s'agissait
d'une voie unique.
Nous n'avons pas eu non plus une attitude intransigeante vis-à-vis du Sénat.
Mais, vous l'avez dit vous-même, monsieur le rapporteur, vous suivez une autre
logique, qui est celle de la négociation. Il était par conséquent bien naturel
que, sur un texte ferme, par lequel le Gouvernement veut fixer un cap qui
lancera un grand mouvement de négociation, nous ne puissions nous mettre
d'accord.
Diverses références ont été faites à M. Blair. Je ne sais pas très bien ce que
signifie la formule : « Il n'y a pas une politique de droite et une politique
de gauche, il n'y a qu'une bonne ou une mauvaise politique ». Selon moi, tout
dépend des objectifs fixés.
Une bonne politique de droite, pour la droite, c'est une politique qui
consiste à faire en sorte que ceux qui sont sur la voie soient toujours plus
forts. Une mauvaise politique de gauche, c'est, selon moi, une politique qui
laisse les exclus sur le bord de la route.
Notre pays a besoin non pas d'idéologies dogmatiques, mais de débats d'idées
sur des valeurs qui s'opposent. Pour ma part, je ne crois à l'idéologie que
lorsqu'elle est porteuse de sens et de valeurs pour nos concitoyens.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen, et sur certaines travées du RDSE.)
Voilà ce que, dans une démocratie, nous avons intérêt à rechercher.
Par ailleurs je remarque que M. Blair, aujourd'hui, met en place un salaire
minimum ; je remarque qu'il a taxé les entreprises privatisées pour financer un
plan pour l'emploi des jeunes ; je remarque enfin qu'il vient de demander aux
entreprises de faire un effort complémentaire en matière de formation
professionnelle.
Je ne sais pas comment il qualifie une telle politique. Mais, pour moi, il
s'agit d'une bonne politique que je qualifierai de politique de gauche.
J'en viens maintenant à quelques points précis, le premier d'entre eux étant
le travail effectif.
Monsieur le rapporteur, j'ai été quelque peu étonnée que vous ayez pu dire,
successivement, d'abord que le Gouvernement avait été battu par sa majorité,
puis qu'il n'avait pas pris parti. En effet, on ne peut pas être battu si l'on
n'a pas pris parti !
En fait, nous avons pris parti dans le débat avec la majorité à l'Assemblée
nationale, qui n'est pas un débat idéologique ou dogmatique. Nous partageons en
effet les uns et les autres le même souhait : trouver une définition du travail
effectif qui prenne en compte non seulement la réalité du fonctionnement des
entreprises, mais aussi la réalité du travail ou du non-travail des
salariés.
Comme je l'ai dit tout à l'heure, ce n'est peut-être pas par hasard si, depuis
1942, on n'a pas revu la définition du travail effectif. Il est en effet très
difficile de réunir dans une formule unique l'ensemble des conditions concrètes
de travail dans les entreprises.
Je ne prendrai qu'un seul exemple, monsieur le rapporteur, pour vous montrer
que la majorité actuelle recherche la meilleure solution technique et ne
s'oppose pas sur les principes : celui de la restauration, du « casse-croûte »,
comme il est écrit dans le code du travail.
Le casse-croûte est expressément exclu du travail effectif dans le code du
travail. Cela n'a pas empêché la jurisprudence de considérer qu'à chaque fois
qu'un salarié est obligé de prendre son casse-croûte sur son lieu de travail,
en ayant un oeil sur sa machine, ou qu'il est obligé de rester à proximité de
son lieu de travail et qu'il peut être appelé à agir effectivement sur sa
machine, ce temps de restauration est du travail effectif.
S'agissant du temps de trajet, pas plus que dans les rédactions antérieures du
code du travail, il n'a jamais été question, pour l'Assemblée nationale, de
prendre en compte le temps de trajet dans le temps de travail. Cela dit, cela
n'a pas empêché la jurisprudence, parce qu'elle se fonde sur des situations
concrètes, de décider, par exemple, que le fait pour un salarié du bâtiment
d'être obligé de passer par le siège de l'entreprise avant de se rendre sur un
chantier, au lieu d'aller directement sur ce chantier, doit entraîner une prise
en compte dans le travail effectif du temps de trajet entre le siège social et
le chantier.
Ces exemples extrêmement simples montrent la complexité des situations que
nous devons regrouper dans une formule unique. Mais nous sommes tous d'accord
pour reconnaître qu'il faut s'efforcer de prendre en compte la réalité tout en
retenant les avancées d'une jurisprudence qui, au gré des années, depuis 1942,
est allée dans le sens de la garantie des salariés - et c'est heureux. Cela, je
n'entends aucune voix pour le critiquer...
M. Philippe Marini.
Il faut laisser faire la jurisprudence !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
M. Fourcade vient de
s'inquiéter que l'on ne reprenne pas une directive européenne !
M. Philippe Marini.
Ce n'est pas incompatible !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
J'en arrive à cette fameuse
directive européenne, monsieur Fourcade.
Pour certains, ne pas reprendre la directive européenne, c'est bizarre,
étonnant, voire peut-être plus, à l'aube de l'euro. Pourtant, les directives
européennes se bornent à fixer des bases.
Ainsi, des durées maximales au niveau européen sont bien supérieures à la
durée maximale française. Les directives européennes peuvent être un progrès
dans certains pays et un recul dans d'autres, particulièrement dans le
nôtre.
Le problème qui se pose à nous, c'est de prendre en compte la réalité. Ou bien
- et c'est ce que prévoit la jurisprudence - le salarié est à disposition
permanente de l'employeur pendant certaines périodes de sa vie durant
lesquelles il ne peut pas vaquer librement à ses occupations, et c'est du temps
de travail effectif, ou bien il n'est pas dans ces conditions, et ce n'est pas
du temps de travail effectif.
Il nous faut donc trouver une formulation. Je suis convaincue que nous allons
la trouver dans les jours qui viennent. Mais ce n'est pas facile, d'autant que
nous ne voulons pas que la formulation soit source d'instabilité juridique ni
pour les entreprises ni pour les salariés.
Il convient de travailler sur cette nouvelle définition puisque le Parlement a
souhaité remettre la question du travail effectif dans le champ législatif, ce
que le Gouvernement n'avait pas fait dans sa version initiale du projet de loi,
je vous le rappelle. Je suis convaincue que le travail que nous entreprenons va
nous permettre de trouver une solution.
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission.
Puis-je vous interrompre, madame le ministre
?
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Je vous en prie, monsieur le
président.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission, avec l'autorisation de
l'orateur.
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission.
Sur ce point technique - puisque c'est un
problème purement technique - qui n'a rien de politique je suis pour ma part
choqué qu'au Parlement de la République on nous explique que la source du droit
c'est la jurisprudence de la Cour de cassation ! Pour moi, ce n'est pas vrai.
La source du droit, c'est le Parlement !
La source du droit, c'est même la directive européenne, retranscrite en droit
français avec des adaptations. Je n'accepte donc pas qu'on nous dise ici, au
Parlement, que la source du droit c'est la jurisprudence de la Cour de
cassation.
En effet, vous le savez aussi bien que moi, madame le ministre, cette
jurisprudence est essentiellement mobile, et elle peut changer demain. Par
conséquent, la solution doit être trouvée devant le Parlement.
Je comprends votre recherche dans le sens de la simplicité. Mais, pour moi, la
directive européenne doit être transcrite en droit français et faire l'objet
d'un certain nombre d'ajouts.
Nous ne pouvons pas nous fier aveuglément à la jurisprudence de la Cour de
cassation, sinon il n'y a plus de séparation des pouvoirs.
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. le président.
Veuillez poursuivre, madame le ministre.
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
C'est la raison pour laquelle,
monsieur le président, il nous faut trouver une formule qui prenne en compte
les avancées de la jurisprudence car, je le répète, sans l'évolution de la
jurisprudence, dans tous les cas, le temps de casse-croûte et le temps de
trajet ne seraient pas considérés aujourd'hui comme du temps de travail
effectif.
Je souhaite, moi aussi, que nous aboutissions à une définition. Mais il y a
des millions d'entreprises, des millions de réalités concrètes, et il n'est pas
facile de les englober dans une seule formule.
Nous éprouvons quelques difficultés, mais, dès lors que nous sommes d'accord
sur le fond, je crois que nous arriverons à trouver une solution.
Mme Dieulangard a insisté sur les enjeux de la négociation.
M. Fischer a insisté sur la nécessité de l'encadrer et de contrôler le
mouvement de négociation qui va s'engager. Il a souligné - et je le fais avec
lui - les effets positifs des amendements que le groupe communiste a déposés à
l'Assemblée nationale. Ils visent, en effet, à contrôler et évaluer les
résultats des accords signés et, éventuellement, à sanctionner des sortes de
contrefaçons par rapport à la réalité des engagements.
MM. Bimbenet et Baylet se sont intéressés aux 32 heures. Je le redis ici : le
Gouvernement ne considère pas que les 35 heures représentent un objectif final.
Il est d'ailleurs significatif qu'il ait accordé une aide financière beaucoup
plus importante aux entreprises qui descendent à 32 heures. Ces 32 heures
peuvent au demeurant revêtir plusieurs formes, parmi lesquelles la semaine de
quatre jours. Je crois que nous pouvons être d'accord sur ce sujet.
J'en arrive à la négociation.
Je crois, avec M. Weber, que le temps de la négociation est arrivé.
On m'a fait observer dimanche que les 35 heures ne suscitaient pas de grands
mouvements de soutien dans les rues. Je le reconnais.
Je reconnais aussi que des inquiétudes se manifestent, car ce n'est pas
facile. Si c'était facile, on aurait fait cette réforme depuis longtemps. Je
n'ai d'ailleurs jamais dit que la réduction du temps de travail se ferait avec
une grande facilité. Existe-t-il aujourd'hui une réponse facile au chômage ? Je
ne le crois pas.
Puisque vous avez été nombreux à en parler - notamment vous, monsieur le
président Fourcade - je tiens à revenir sur le contexte salarial actuel et sur
la signification exacte de la réduction de la durée du travail.
A en croire aujourd'hui quelques membres de la majorité sénatoriale, le
Gouvernement s'apprêterait à réduire le pouvoir d'achat des salariés dans des
proportions inédites et profondément scandaleuses. Certains vont même jusqu'à
prétendre que nous nous attaquons au SMIC, qui risquerait de baisser.
Je voudrais m'expliquer très clairement, tout d'abord sur le contexte
salarial.
Il faut rappeler qu'en 1996 le pouvoir d'achat des salariés a baissé de 1,3 %
dans ce pays, en raison d'une politique d'augmentation salariale faible et de
prélèvements fiscaux et sociaux importants. Je n'ai pas entendu de voix
s'élever alors contre ce qui était non pas une modération salariale, mais une
baisse du pouvoir d'achat des salariés !
M. Henri Weber.
Si, la mienne !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Je répondais à l'argument de la
majorité sénatoriale, bien évidemment.
En 1997, le pouvoir d'achat aura augmenté d'environ 1 %. En 1998, la
croissance reviendra. Je voudrais redire à M. Fourcade ce que j'ai dit devant
la commission : bien évidemment, le contexte international est important, mais
l'ensemble des actions que le Gouvernement a réalisées pour que la consommation
redémarre, pour que la confiance revienne, est un élément majeur de cette
relance de la croissance.
Je me réjouis que, pour la première fois depuis quatre ans, la France ait un
taux de croissance supérieur de 0,5 point à la moyenne européenne, alors que,
au cours de ces quatre ans, il s'est situé entre 0,5 et 1 point en dessous.
Voilà la réalité des choses !
Une augmentation de la consommation de 5,9 % en janvier février par rapport à
l'année dernière, cela ne se fait pas tout seul ! Cela se fait grâce à une
politique rééquilibrée de prélèvements sur les salaires et sur les autres
revenus, et à une aide sur les bas salaires, qui a pris, vous le savez,
diverses formes. C'est l'une des raisons qui font que, aujourd'hui, la
croissance est là, et fortement là. Nous en sommes évidemment tous heureux.
Je vois arriver les premiers accords salariaux ; dans le contexte que je viens
de décrire, les entreprises envisagent aujourd'hui des augmentations salariales
générales de l'ordre de 2 %, de 2,5 %, voire de 3 % cette année, et une masse
salariale qui, en règle générale, - c'est d'ailleurs ce que prévoient tous les
chiffres - s'accroîtra de 4 %.
Que demandons-nous, comme le confirment toutes les études que nous avons mises
sur la table, aux salariés moyens et supérieurs ? Je ne parle pas des bas
salaires : pour eux, je le redis, le SMIC est garanti et les aides apportées
par le Gouvernement couvrent totalement la contrepartie salariale. Par
conséquent, il n'y a pas de problème.
Nous demandons aux salariés moyens et supérieurs de se mettre autour d'une
table et d'être capables d'apprécier, en fonction de ce qu'ils vont gagner en
termes d'organisation de leur vie et de moindre temps de travail, ainsi que de
créations d'emplois, s'ils sont prêts à laisser sur cette table 0,5 % ou 1 % de
leur salaire pendant un an ou deux ans - cela dépend des gains de productivité
et de la situation de l'entreprise - pour créer effectivement des emplois et
vivre mieux. Voilà le schéma tel qu'il se présente.
Eh bien ! je prends les paris que, malgré un mouvement de la négociation
collective qui pourrait être important, la hausse du pouvoir d'achat des
salariés dans notre pays sera beaucoup plus importante en 1998 qu'en 1997 et,
évidemment, sans commune mesure avec 1996 !
Par conséquent, je crois qu'il faut arrêter de nous faire des procès
d'intention. Le pouvoir d'achat des salariés a baissé pendant plusieurs années.
Il redémarre actuellement, et l'enjeu qui est devant nous est effectivement une
modération salariale, c'est-à-dire une moindre augmentation pour certaines
catégories par rapport à d'autres.
De la même manière, nous avons pris en compte la situation des petites et
moyennes entreprises par le délai, par les aides apportées à ces entreprises et
qui peuvent être plus importantes, mais aussi par les aides financières qui
sont favorables aux bas salaires et qui touchent d'abord les petites et
moyennes entreprises.
D'ailleurs - je rejoins là M. Fischer - l'Union professionnelle artisanale, la
Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles et la Confédération
générale des petites et moyennes entreprises participent avec nous à des
groupes de travail pour étudier comment certaines branches pourraient aller
vers les 35 heures. Et je me réjouis que le président Seillières, comme il l'a
dit lui-même, ait accepté de « rebrancher les fils ».
Les fils sont donc rebranchés. Je pense que le mouvement qui s'engage sur le
terrain n'y est pas pour rien. Je m'en réjouis. Cela veut dire que l'on va
retrouver des relations normales et j'espère que la négociation sera portée de
manière forte.
En ce qui concerne les cadres, disons les choses telles qu'elles sont. J'ai
les mêmes lectures que vous, monsieur Marini, et je lis aussi des juristes qui
sont les seuls à développer cette thèse dans leur profession.
La situation des cadres est assez claire.
En 1936, lorsque la durée du temps de travail a été créée, elle ne
s'appliquait pas aux cadres. Ils représentaient alors 2 % des travailleurs. Ils
sont aujourd'hui 20 % !
Il n'y a pas de raison de penser que ces cadres devraient rester à l'écart du
grand mouvement de réduction de la durée du temps de travail. D'ailleurs,
beaucoup sont intégrés dans des équipes de travail et appliquent dès maintenant
l'horaire collectif. Ils doivent être contrôlés dès maintenant, ni plus ni
moins que d'autres catégories de salariés.
Il y a d'autres catégories de cadres : les cadres dirigeants, auxquels, bien
évidemment, on ne va pas appliquer la réduction du temps de travail. Ils sont
d'ailleurs liés à l'entreprise par des contrats spécifiques.
Il y a aussi des formes de travail - le commerce ou la finance entre autres -
qui ne peuvent pas s'intégrer dans le temps de travail collectif, et c'est là
que la négociation a sa place. L'objet de la négociation est de trouver des
formes adaptées à ce type de cas.
Nous sommes l'un des rares pays où les cadres supérieurs considèrent qu'ils ne
peuvent pas quitter leur travail avant 21 heures le soir. Je ne suis pas
persuadée que nos entreprises soient pour autant plus performantes que les
entreprises allemandes ou américaines. Je vois toujours avec plaisir les
grandes tours dans les coeurs des villes américaines éteintes à 18 heures le
soir. Pourquoi avons-nous, nous, besoin de travailler plus longtemps ?
M. Philippe Marini.
Pourquoi voulez-vous les contraindre ? Laissez-les disposer de leur temps !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Les cadres ne disposent pas
plus de leur temps que les autres catégories de salariés. Quand on regarde les
sondages, on se rend compte que ce sont eux qui aspirent le plus à une
réduction du temps de travail !
M. Philippe Marini.
Pas tous !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Pas tous, peut-être, mais en
tout cas ceux qui souhaitent avoir une vie familiale et sociale normale. Et je
crois qu'ils sont nombreux dans notre pays ! Donc, pour la plupart des cadres,
le temps de travail collectif s'applique pour les autres, nous allons trouver,
à l'occasion de la négociation, des formules ouvertes.
Voilà où nous en sommes.
Je terminerai en disant, me référant aux propos de M. le président Fourcade,
qui l'a d'ailleurs très bien dit lui-même, que l'avenir nous départagera.
Monsieur le président Fourcade, selon vous, il faut voir la mine - réjouie je
pense de ceux qui ont, par la négociation, transformé l'organisation du travail
dans leur entreprise et chargé la durée du temps de travail. Ils sont
aujourd'hui 200 000 dans le cadre des accords Robien.
Je pense qu'avec ce projet de loi ils seront plusieurs millions.
Eh bien, donnons-nous rendez-vous pour voir effectivement la mine réjouie de
ceux qui travailleront moins, mais surtout celle des chômeurs qui auront réussi
à entrer dans les entreprises !
(Applaudissements sur les travées socialistes, sur celles du groupe communiste
républicain et citoyen et sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?..
La discussion générale est close.
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