SOMMAIRE
PRÉSIDENCE DE M. GÉRARD LARCHER
1.
Procès-verbal
(p.
0
).
2.
Organismes extraparlementaires
(p.
1
).
3.
Candidature à une commission
(p.
2
).
4.
Questions orales sans débat
(p.
3
).
TRACÉ DU TGV PENDULAIRE CLERMONT-PARIS (p. 4 )
Question de M. René-Pierre Signé. - MM. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement ; René-Pierre Signé.
CONDITIONS D'EXERCICE DU PARACHUTISME SPORTIF
EN RÉGION PARISIENNE (p.
5
)
Question de M. Jean-Jacques Robert. - MM. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement ; Jean-Jacques Robert.
RÉGIME DE LA TAXE PROFESSIONNELLE
APPLICABLE À FRANCE TÉLÉCOM ET À LA POSTE (p.
6
)
Question de M. François Lesein. - MM. Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget ; François Lesein.
LUTTE CONTRE LA TOXICOMANIE (p. 7 )
Question de M. Paul Masson. - MM. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé ; Paul Masson.
POLITIQUE EN MATIÈRE DE TOXICOMANIE (p. 8 )
Question de M. Franck Sérusclat. - MM. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé ; Franck Sérusclat.
PROBLÈMES DE LA PÊCHE AUX ABORDS
DES ÎLES ANGLO-NORMANDES ET DU COTENTIN (p.
9
)
Question de Mme Anne Heinis. - M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé ; Mme Anne Heinis.
MONTANT DE LA VIGNETTE AUTOMOBILE (p. 10 )
Question de M. Gérard Roujas. - MM. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur ; Gérard Roujas.
CONDITIONS D'INCORPORATION
DANS LES ÉCOLES DE POLICE (p.
11
)
Question de M. Christian Demuynck. - MM. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur ; Christian Demuynck.
STATUT DES ANIMATEURS DE LA MISSION
D'INSERTION DE L'ÉDUCATION NATIONALE (p.
12
)
Question de M. Yann Gaillard. - MM. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie ; Yann Gaillard.
FINANCEMENT DE L'UTILISATION
DES RESSOURCES MULTIMÉDIA
DANS LES ÉTABLISSEMENTS SCOLAIRES (p.
13
)
Question de M. André Dulait. - MM. Claude Allègre, ministre de l'éducation
nationale, de la recherche et de la technologie ; André Dulait.
5.
Nomination d'un membre d'une commission
(p.
14
).
Suspension et reprise de la séance (p. 15 )
PRÉSIDENCE DE M. JEAN DELANEAU
6.
Modification de l'ordre du jour
(p.
16
).
7.
Dépôt d'un rapport du Gouvernement
(p.
17
).
8.
Réduction du temps de travail. -
Discussion d'un projet de loi (p.
18
).
Discussion générale : Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la
solidarité.
PRÉSIDENCE DE M. RENÉ MONORY
MM. Louis Souvet, rapporteur de la commission des affaires sociales ;
Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales ; Guy
Fischer.
PRÉSIDENCE DE M. JEAN DELANEAU
MM. Alain Gournac, Daniel Hoeffel, Hubert Durand-Chastel, Bernard Plasait, Pierre Mauroy, Bernard Joly, Michel Duffour, Gérard Larcher, Pierre Hérisson.
Suspension et reprise de la séance (p. 19 )
PRÉSIDENCE DE M. JEAN FAURE
M. Bernard Seillier, Mmes Marie-Madeleine Dieulangard, Joëlle Dusseau, MM.
Jean-Jacques Robert, André Egu, José Balarello, Henri Weber, le rapporteur,
Paul Girod, Charles Descours, Mme Dinah Derycke.
Clôture de la discussion générale.
Mme le ministre, M. le président de la commission.
Renvoi de la suite de la discussion.
9.
Saisine du Conseil constitutionnel
(p.
20
).
10.
Dépôt d'une question orale avec débat
(p.
21
).
11.
Dépôt d'une proposition de loi constitutionnelle
(p.
22
).
12.
Dépôt d'une proposition de loi organique
(p.
23
).
13.
Dépôt de propositions de loi
(p.
24
).
14.
Retrait d'une proposition de loi
(p.
25
).
15.
Dépôt de propositions d'acte communautaire
(p.
26
).
16.
Dépôt d'un avis
(p.
27
).
17.
Ordre du jour
(p.
28
).
COMPTE RENDU INTÉGRAL
PRÉSIDENCE DE M. GÉRARD LARCHER
vice-président
M. le président.
La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à dix heures trente.)
1
PROCÈS-VERBAL
M. le président.
Le procès-verbal de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté.
2
ORGANISMES EXTRAPARLEMENTAIRES
M. le président.
J'informe le Sénat que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de procéder à
la désignation de sénateurs appelés à siéger au sein de trois organismes
extraparlementaires.
En conséquence, j'invite :
- la commission des affaires économiques à présenter deux candidats appelés à
siéger au sein du Conseil supérieur de l'aviation marchande et un candidat pour
siéger au sein du Conseil supérieur de la sûreté et de l'information nucléaires
;
- la commission des affaires économiques et la commission des finances à
présenter un candidat pour siéger au sein du Comité de contrôle du fonds de
soutien aux hydrocarbures ou assimilés d'origine nationale.
Les nominations des sénateurs appelés à siéger au sein de ces organismes
extraparlementaires auront lieu ultérieurement dans les conditions prévues par
l'article 9 du règlement.
3
CANDIDATURE À UNE COMMISSION
M. le président.
J'informe le Sénat que le groupe des Républicains et Indépendants a fait
connaître à la présidence le nom du candidat qu'il propose pour siéger à la
commission des affaires culturelles à la place laissée vacante par M.
Jean-Pierre Camoin, démissionnaire.
Cette candidature va être affichée et la nomination aura lieu conformément à
l'article 8 du règlement.
4
QUESTIONS ORALES SANS DÉBAT
M. le président. L'ordre du jour appelle les réponses à des questions orales sans débat.
TRACÉ DU TGV PENDULAIRE CLERMONT-PARIS
M. le président.
La parole est à M. Signé, auteur de la question n° 183, adressée à M. le
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
M. René-Pierre Signé.
Monsieur le ministre, ma question concerne une étude entreprise par la région
Auvergne avec la participation du conseil régional de Bourgogne et portant sur
le tracé du futur TGV pendulaire Clermont-Paris.
Il semblerait que les premières esquisses prévoyaient un tracé normal
Vichy-Moulins-Nevers, permettant un gain de temps appréciable de près de trente
minutes. En revanche, un second scénario envisageait une liaison directe
Clermont-Paris en évitant Vichy et Nevers. Le gain de temps serait alors de
quelque quarante minutes, mais les coûts annoncés seraient très élevés. Par
ailleurs, les conséquences seraient désastreuses pour la Nièvre.
La Nièvre est en effet un département enclavé, qui n'est actuellement traversé
par aucune autoroute. Par conséquent, la non-desserte de Nevers par le train à
grande vitesse serait néfaste pour les relations avec la région parisienne.
J'espère donc que vous pourrez me rassurer sur ce point, monsieur le
ministre.
J'avais complété ma question orale sans débat par une interrogation portant
sur les liaisons routières, plus particulièrement sur l'échange domanial
envisagé entre la route nationale 81 et la route départementale 978 en vue de
l'élargissement de la liaison Est-Ouest, traversant la Nièvre de façon médiane,
reliant Nevers à Dijon et constituant l'un des tracés essentiels pour
l'aménagement et le développement de la Nièvre.
Peut-être pourrez-vous me répondre sur ce point si mon interrogation
complémentaire vous est parvenue, monsieur le ministre ?
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
Monsieur le
sénateur, je répondrai aux deux aspects de votre question.
Concernant tout d'abord les liaisons ferroviaires, le schéma directeur
national des lignes ferroviaires à grande vitesse a prévu la réalisation des
TGV Limousin et Auvergne destinés à desservir le centre de la France. En
attendant, le Gouvernement a souhaité que soient lancées des études
d'amélioration des infrastructures existantes.
Une convention réunissant l'Etat, la SNCF et les régions Auvergne, Bourgogne
et Rhône-Alpes a été signée en 1997, en vue d'étudier l'amélioration de l'offre
ferroviaire reliant l'Auvergne à Paris au réseau TGV.
Cette étude, dont les conclusions sont attendues dans le courant de l'année,
porte tout à la fois sur les moyens d'abaisser de manière significative les
temps de parcours pour les liaisons entre Clermont-Ferrand, les principaux
pôles de l'Auvergne et Paris, sur les modalités d'accès et d'intégration au
réseau national et européen des TGV et, enfin, sur les conditions d'une
amélioration sensible des temps de parcours entre Clermont-Ferrand, Roanne et
Lyon.
L'accord des différentes collectivités intéressées par l'amélioration des
dessertes de l'ensemble de l'axe Paris - Clermont-Ferrand sera ensuite
recherché.
Je peux cependant d'ores et déjà vous préciser, monsieur le sénateur, que la
gare de Nevers jalonnera bien ce tracé puisqu'il s'agit d'une amélioration des
infrastructures existantes.
S'agissant maintenant du réseau routier, je sais l'importance que vous
attachez à l'élargissement de l'axe Est-Ouest reliant la Nièvre au reste de la
Bourgogne. Un accord de principe est intervenu en 1989 pour procéder à un
échange de domanialité entre la route nationale 81 et la route départementale
978, et un programme d'amélioration des deux liaisons a été défini.
Toutefois, il semble maintenant que l'échange de domanialité n'est plus aussi
souhaité localement. C'est pourquoi j'ai demandé à mes services de mener une
réflexion sur l'itinéraire Dijon - Nevers par la route nationale 81 et la route
départementale 978, afin de mettre en évidence, pour chacun des partenaires,
les avantages et les inconvénients de cet échange. Cette réflexion aboutira
d'ici à la fin de l'année, ce qui permettra à l'Etat et aux deux départements
de prendre une décision définitive sur ce sujet.
La réalisation de la section non concédée de l'autoroute A 77 entre
Cosne-sur-Loire et le sud de Nevers est prise en charge à 100 % par l'Etat dans
le cadre du programme spécifique d'accélération de la route nationale 7. Aux
sections à deux fois deux voies, déjà en service, qui resteront à mettre aux
normes autoroutières, comme la déviation de Cosne-sur-Loire et la section entre
Pouilly-sur-Loire et La Charité-sur-Loire, s'ajoutera, cette année, la
déviation de Nevers.
La poursuite de l'aménagement de la route nationale 7 constitue, soyez-en
certain, l'une des priorités de l'Etat pour les années à venir.
Enfin, s'agissant de la section concédée de l'autoroute A 77 entre Dordives et
Cosne-sur-Loire, les opérations de construction se déroulent conformément au
calendrier prévisionnel, avec notamment la construction des viaducs dans la
vallée du Loing et des viaducs de franchissement du canal de Briare et du canal
d'Orléans.
Les travaux généraux de la section Dordives - Briare seront achevés à
l'automne et le début de la construction des chaussées commencera à la fin de
l'été. Les travaux généraux de la section Briare - Cosne-sur-Loire débuteront
au mois de mars.
Dans ces conditions, la mise en service de la section de l'autoroute A 77
comprise entre Dordives et Briare est prévue pour la fin de l'année 1999 et la
mise en service de la section terminale entre Briare et Cosne-sur-Loire sera
décalée de quelques mois, intervenant au premier semestre 2000.
M. René-Pierre Signé.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Signé.
M. René-Pierre Signé.
Monsieur le ministre, je vous remercie des renseignements que vous m'avez
donnés.
L'avancement des travaux de la future autoroute A 77 ne peut que satisfaire le
département de la Nièvre.
Votre confirmation du fait que la gare de Nevers jalonnera bien le tracé du
TGV pendulaire Clermont-Ferrand-Paris ne peut que nous rassurer ; mais, il
faudra que les trains s'y arrêtent !
Vous avez indiqué, monsieur le ministre, que l'échange domanial était
actuellement moins souhaité localement. S'il en va ainsi de ceux qui sont
desservis par la route nationale 81, en revanche, cet échange est toujours
désiré par ceux qui sont desservis par la route départementale 978 !
Je pense que la décision sera prise en toute connaissance de cause et en
tenant compte des arguments des uns et des autres, sachant que la route
départementale 978 est l'axe central de la Nièvre. Je rappelle que ce
département est enclavé, qu'il n'est touché actuellement que de façon
tangentielle par les autoroutes et que l'autoroute A 77 passera à l'Ouest.
Quant à la route nationale 81, elle ne touchera que le Sud, alors que la route
151 est située au Nord.
Il y a donc manifestement une partie centrale qui ne serait pas desservie et
qui ne peut l'être que par la réfection et la mise aux normes de la route
départementale 978. Par conséquent, je souhaite, pour ma part, que cet échange
domanial ait bien lieu, conformément au voeu, qui n'a pas été contredit, du
conseil général.
M. Raymond Courrière.
Très bien !
CONDITIONS D'EXERCICE
DU PARACHUTISME SPORTIF EN RÉGION PARISIENNE
M. le président.
La parole est à M. Robert, auteur de la question n° 142, adressée à Mme le
ministre de la jeunesse et des sports.
M. Jean-Jacques Robert.
Monsieur le ministre de l'équipement, des transports et du logement, je me
réjouis d'avance que vous répondiez personnellement à ma question, puisque vous
exercez la cotutelle sur le domaine qui m'intéresse ici.
L'aérodrome de La Ferté-Gaucher est centre de parachutisme en Ile-de-France
depuis 1957 ; de niveau européen, il est le premier centre de parachutisme de
France.
Les choses se passaient fort bien et le parachutisme était en expansion
constante : nous fêtons cette année le bicentenaire du premier saut en
parachute en France et, en matière de chute libre en équipe, la France s'est
distinguée dans tous les championnats du monde.
Nous pensions donc pouvoir continuer ainsi.
Mais un fax émanant du centre régional de la navigation aérienne Nord et reçu
par le centre de La Ferté-Gaucher en octobre dernier, à la veille d'un
week-end, de grande fréquentation, a mis fin aux opérations de parachutisme en
limitant unilatéralement le plafond - nous sommes bien loin de la concertation
très ouverte sur laquelle vous-même et Mme le ministre de la jeunesse et des
sports fondez votre méthode de travail - de 3 800 mètres, hauteur nécessaire
pour effectuer dans de bonnes conditions des sauts dans ce centre, à 2 000
mètres.
Certes, une augmentation de trafic a eu lieu. Mais, depuis des années, nous
nous étions fort bien entendus avec le centre de la navigation aérienne, et des
dispositions avaient été régulièrement prises.
La méthode utilisée pour supprimer définitivement ce centre, qui est un leader
dans son domaine, nous paraît contestable. Dans ces conditions, monsieur le
ministre, ne pourriez-vous pas trouver une solution susceptible de permettre
l'extension des voies aériennes sans compromettre cette activité locale ?
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
Monsieur le
sénateur, vous avez raison de souligner les hautes performances réalisées par
le parachutisme français : si ma mémoire est bonne, l'an dernier, aux épreuves
de coupe du monde ou de championnat du monde, nous avons obtenu neuf médailles,
dont deux d'or et trois d'argent. Cela signifie que la pratique de ce sport est
chez nous de très haut niveau, participant ainsi au rayonnement de la France
dans ce domaine.
La pratique du parachutisme dépend, bien évidemment, des impératifs de gestion
du trafic aérien. Mme Marie-George Buffet a donc souhaité que nous nous
rapprochions afin de pouvoir répondre au mieux à votre question.
La Ferté-Gaucher est un centre important de parachutisme. Renommé au plan
national et international, il est implanté depuis de très longues années dans
le sud-est de Paris, à environ cinquante kilomètres de Roissy.
Les sauts sont effectués à la verticale du terrain de La Ferté-Gaucher, à des
niveaux de vol intermédiaires très utilisés par le trafic de Roissy et d'Orly.
Cette activité de parachutisme interfère en effet fortement avec les procédures
d'arrivée et de départ de Roissy, mais aussi d'Orly.
L'activité de ce centre a pu jusqu'à présent se dérouler convenablement dans
cette partie de la région parisienne. Cependant, on peut constater depuis
plusieurs années une très forte croissance du trafic, de l'ordre de 35 % entre
1992 et 1997 - 400 000 vols en 1997 - et de 20 % dans les deux dernières années
avec la création du centre de correspondance, le
hub
, d'Air France.
Concerné par des sauts de plus en plus nombreux au-dessus du plafond géré par
l'approche de Roissy, le centre régional de la navigation aérienne de Paris
doit coordonner la gestion de l'ensemble du trafic dans cet espace. Du fait de
plusieurs incidents de circulation aérienne, parfois sérieux, il a été
contraint d'imposer dernièrement des limitations importantes à l'activité du
centre de La Ferté-Gaucher. Je regrette comme vous, au demeurant, que cela ne
se soit pas fait dans la concertation.
Le développement d'une activité de parachutisme aussi importante ne pourra
donc plus se faire dans cette partie de la région parisienne du fait du fort
développement du transport aérien, en particulier avec la mise en service des
nouvelles pistes de Roissy à partir de 1999.
Ce constat est partagé par la fédération française de parachutisme et par les
responsables du centre de La Ferté-Gaucher, qui sont disposés, avec notre aide,
à rechercher un nouveau site.
Aussi, j'ai demandé à mes services de recherche, en liaison avec tous les
partenaires impliqués, un nouveau site permettant de concilier les besoins du
parachutisme en région parisienne et les besoins du transport aérien.
J'ai demandé qu'un rapport identifiant un nouveau site, précisant les
conditions de ce déménagement et tenant compte des calendriers de mise en
service des nouvelles pistes de Roissy soit établi rapidement. Une première
réunion en ce sens a eu lieu la semaine dernière.
En attendant les conclusions de ce rapport, j'ai demandé à mes services de
retravailler avec la fédération française de parachutisme et le centre de La
Ferté-Gaucher pour dégager en urgence, dans l'attente de ce redéploiement, les
solutions qui permettront à ce centre de maintenir une activité comparable à
celle des années précédentes.
M. Jean-Jacques Robert.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Robert.
M. Jean-Jacques Robert.
Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse. Votre connaissance du
milieu du parachutisme et du palmarès des derniers championnats du monde me
laisse à penser que vous allez surveiller attentivement ce dossier.
Je crois qu'une solution est possible, d'autant qu'on en a bien trouvé pour de
nombreux aéroports qui entourent Paris, qu'il s'agisse de Brétigny, aéroport
militaire proche des pistes d'atterrissage d'Orly, de La Ferté-Alais, où
s'exercent d'autres activités, ou encore d'Etampes.
J'ai grande confiance en ce que vous dites, mais je souhaiterais que le
dossier ne soit pas enterré, le procédé employé vis-à-vis du centre témoignant
d'un certain mépris à l'égard d'une activité qui a fait notre renommée. Je
crois que tout passe par la considération des hommes, y compris les
dispositions législatives.
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
Bien entendu
!
M. Jean-Jacques Robert.
Permettez-moi très amicalement de dire que je compte sur vous.
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
Vous pouvez !
RÉGIME DE LA TAXE PROFESSIONNELLE
APPLICABLE À FRANCE TÉLÉCOM ET À LA POSTE
M. le président.
La parole est à M. Lesein, auteur de la question n° 112, adressée à M. le
secrétaire d'Etat au budget.
M. François Lesein.
Monsieur le secrétaire d'Etat, la loi du 2 juillet 1990 portant transformation
des statuts de La Poste et de France Télécom prévoit que, depuis le 1er janvier
1994, ces deux entreprises sont assujetties à la taxe professionnelle, qu'elles
versent directement à l'Etat.
Pourtant, contrairement au droit commun, l'Etat ne reverse pas aux communes
accueillant ces établissements le produit de la taxe professionnelle. En effet,
l'Etat a considéré jusqu'à présent que les communes subissaient non pas une
perte de ressources, mais uniquement un manque à gagner.
Monsieur le secrétaire d'Etat, si l'on devait poursuivre ce raisonnement, on
refuserait à une commune accueillant des entreprises nouvelles le bénéfice de
la taxe professionnelle au motif qu'avant leur implantation la collectivité ne
prétendait à aucune ressource !
Si l'on peut comprendre que La Poste soit soumise à un régime particulier pour
des raisons liées à l'organisation des services publics et à l'aménagement du
territoire, il est, en revanche, surprenant que France Télécom, qui ne répond
pas à ces critères, bénéficie pourtant de ce régime dérogatoire. En effet,
depuis l'ouverture du marché européen et la dérégulation des
télécommunications, France Télécom est devenue une entreprise comme les autres
et, de ce fait, l'Etat, bien qu'actionnaire majoritaire, n'a pas à traiter
différemment le reversement aux communes du produit de la taxe
professionnelle.
Cette situation prive de nombreuses communes de moyens financiers importants,
causant dès lors un manque à gagner tout à fait dommageable tant aux
collectivités, souvent surendettées, qu'aux contribuables, dont les impôts
locaux pourraient être diminués d'autant.
En déposant, sur l'initiative du président de l'association des maires de
France, une proposition de loi sur ce thème, plusieurs de nos collègues ont
cherché, au mois de novembre dernier, à rééquilibrer cette situation en
suggérant des modalités de répartition différentes. Mais cette solution ne
donnait entière satisfaction, me semble-t-il, ni aux communes ni aux
départements.
Monsieur le secrétaire d'Etat, le Gouvernement est-il disposé à redistribuer
aux communes et aux départements le produit de la taxe professionnelle de
France Télécom ?
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat au budget.
Monsieur le sénateur, vous interrogez le
Gouvernement sur un sujet important : le régime de la taxe professionnelle
applicable à France Télécom et à La Poste.
Je vous répondrai en deux temps.
Je souhaite tout d'abord rappeler rapidement l'historique, auquel vous avez
fait allusion, et les raisons qui ont conduit à la situation actuelle.
Le régime actuel de la fiscalité de La Poste et de France Télécom a été défini
par la loi du 2 juillet 1990, relative à l'organisation du service public de la
poste et des télécommunications.
Ce dispositif répondait à un souci d'équité et de neutralité financière à
l'égard tant de l'Etat que des collectivités locales. A l'origine, La Poste et
France Télécom constituaient un budget annexe dont les excédents donnaient lieu
à des prélèvements au bénéfice du budget de l'Etat. Je rappelle aussi que, en
1989, la contribution des P et T, comme on disait à l'époque, au budget de
l'Etat était de l'ordre de 4 milliards de francs.
Ces prélèvements opérés par l'Etat ont été supprimés dans le cadre de cette
réforme, en contrepartie, entre autres, de l'assujetissement de La Poste et de
France Télécom aux impositions locales, avec, vous l'avez dit, affectation de
ces recettes au budget de l'Etat. Le transfert de cette ressource de l'Etat
vers les collectivités locales ne pouvait, en effet, se justifier dès lors
qu'aucun transfert de charges ne lui était associé en contrepartie.
Les collectivités locales, vous l'avez d'ailleurs relevé, n'ont donc rien
perdu dans cette affaire : elles ne percevaient rien avant le changement de
statut des deux opérateurs, et la loi de 1990 a maintenu ce principe.
En revanche, depuis 1995, lorsque le montant des impositions à la charge des
deux exploitants est devenu supérieur aux impositions versées en 1994,
actualisées en fonction de l'indice des prix à la consommation des ménages tel
qu'il ressort des hypothèses économiques annexées au projet de loi de finances,
l'excédent a été versé au fonds national de péréquation de la taxe
professionnelle.
Cette fraction des impositions profite donc aux collectivités locales, en
fonction des critères retenus pour la répartition des ressources de ce fonds de
péréquation. Ainsi, en 1996, environ 766 millions de francs ont été reversés,
et la somme s'est élevée à plus de 1,3 milliard de francs au titre de l'année
1997.
Les efforts consentis par les deux exploitants depuis l'entrée en vigueur de
la réforme pour renforcer leurs facteurs de production et étendre leurs
activités ont donc eu un impact positif sur leurs bases d'imposition et ont
principalement profité, par le biais du fonds de péréquation, aux collectivités
locales les plus pauvres ou à celles qui rencontrent des difficultés
budgétaires.
Ces principes continuent à s'appliquer et ne sont pas affectés par le
changement de statut de France Télécom, entré en vigueur au 1er janvier
1997.
J'en viens au deuxième point de ma réponse.
Vous souhaiteriez que le produit de la taxe professionnelle payé par France
Télécom et par La Poste soit désormais intégralement versé aux collectivités
locales. Permettez-moi, à cet égard, de vous présenter quelques arguments.
En premier lieu, le fait que France Télécom et La Poste assurent un service
public universel sur l'ensemble des communes de France me semble justifier le
maintien du système actuel, préférable à l'affectation du produit des impôts
locaux aux communes qui abriteraient, par chance, des équipements de ces deux
grandes entreprises.
En second lieu, une modification de l'affectation du produit de la fiscalité
locale de France Télécom aurait pour effet de priver de recettes les communes
rurales qui comptent parmi les principaux bénéficiaires des attributions du
fonds national de péréquation de la taxe professionnelle, au profit des
localités plus importantes où sont installés les principaux équipements de
France Télécom. Il y aurait là un redéploiement « à rebours ».
Enfin, je tiens à rappeler que l'Etat est le premier contributeur au produit
de la taxe professionnelle. Au travers, notamment, du plafonnement de la taxe
professionnelle en fonction de la valeur ajoutée, dont l'objet est d'atténuer
la charge résultant pour les entreprises de la hausse continuelle des taux de
cet impôt, le tiers du produit de la taxe professionnelle est aujourd'hui payé
par l'Etat, ce qui représente une charge de 50 milliards de francs.
Vous comprendrez, dans ces conditions, qu'une réforme de l'affectation du
produit de la fiscalité directe locale de La Poste et de France Télécom ne
saurait être envisagée sans que soit abordée la question d'ensemble de la
réforme de la fiscalité locale, notamment de la taxe professionnelle.
Comme vous le savez, il s'agit là de l'un des thèmes prioritaires de réflexion
du Gouvernement dans son dialogue avec les assemblées et les associations
d'élus intéressées au cours de cette année 1998, et nous aurons donc l'occasion
de débattre à nouveau de ce sujet dans le cadre de l'examen du projet de loi de
finances pour 1999.
M. François Lesein.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Lesein.
M. François Lesein.
J'ai bien compris, monsieur le secrétaire d'Etat, que l'aspect dérogatoire de
la règle applicable à cette partie de taxe professionnelle ne semblait pas vous
troubler au-delà de la raison. Mais avouez tout de même qu'il y a dérogation !
Pourquoi alimenter uniquement de cette manière le fonds national de
péréquation, alors qu'il reçoit des ressources non seulement de l'Etat, mais
aussi des communes qui sont écrêtées ?
Pourquoi déroger à la règle générale ? Cela me paraît choquant. De plus, pour
de nombreux maires et de nombreux conseils généraux intéressés, cela me paraît
confiscatoire.
Peut-être faudra-t-il faire preuve de plus de courage, monsieur le secrétaire
d'Etat, et réviser totalement le système de la taxe professionnelle, car agir
par petites étapes ne me semble pas de bonne méthode.
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Nous en reparlerons !
LUTTE CONTRE LA TOXICOMANIE
M. le président.
La parole est à M. Masson, auteur de la question n° 92, adressée à M. le
secrétaire d'Etat à la santé.
M. Paul Masson.
Monsieur le secrétaire d'Etat, la semaine dernière sont intervenues, en France
et ailleurs, un certain nombre de déclarations relatives au trafic de drogue
dans le monde.
Le 24 février, l'organe international de contrôle des stupéfiants, qui relève
de l'Organisation des Nations unies, a produit, comme chaque année, son
rapport.
Ce document, très attendu, est particulièrement alarmant. Il mérite, me
semble-t-il, un commentaire des pouvoirs publics français, car, pour la
première fois, le texte de l'organisme international dénonce « l'environnement
propice à la promotion des drogues illicites et la montée d'une culture de
tolérance. ». « Culture de tolérance » ! « Les incitations à l'usage -
poursuit-il - sapent les efforts de prévention ».
On peut relever la coîncidence : dans les vingt-quatre heures suivantes un
manifeste dit « des 111 », issus - passez-moi l'expression - des milieux «
branchés » de Paris, était publié, qui avait droit à cinq colonnes dans un
journal du soir. Ses auteurs revendiquaient tout simplement l'usage de la
drogue.
C'est un coup de pub ; ledit journal en parle. Dans le même journal, le
rapport de l'ONU n'a droit qu'à trois colonnes !
Cette provocation - car c'est une provocation, n'en doutons pas ! - a eu un
mérite inattendu : la riposte cinglante, rapide, de Mme Royal, ministre délégué
chargé de l'enseignement scolaire - elle a droit à la parole ! - qui se
prononce clairement contre toute dépénalisation de la drogue, en déclarant : «
La banalisation des interdits est dangereuse et n'aide pas les adolescents à
devenir responsables. »
Cette position sans ambiguïté d'un membre du Gouvernement me semble utile à la
clarification, car c'est vrai que nous sommes un certain nombre à ne pas y voir
très clair dans la politique gouvernementale en cette matière capitale pour
l'avenir de la France et des Français.
Nous avons, ici et là, en mémoire les petites phrases de certains ministres :
pourquoi ne pas citer Mme Voynet, Mme Guigou ? Pourquoi ne pas citer aussi M.
Lang, qui s'est manifesté, il y a encore trois jours, pour affirmer qu'il
fallait regarder la vérité en face, contredisant ainsi implicitement la
déclaration de Mme Royal ?
J'ai donc cherché à connaître l'avis du ministère de la santé, monsieur le
secrétaire d'Etat, et j'ai trouvé dans une dépêche de l'AFP un communiqué
sybillin dans lequel on indiquait que le problème n'était pas à l'ordre du
jour.
La réponse est curieuse. Mais c'est aussi tout l'intérêt de ma question !
Cette position affichée dans le communiqué me paraît difficile à soutenir,
après le rapport de l'ONU que j'ai évoqué. Il me paraît également assez
étonnant que l'on puisse dire que le problème n'est pas à l'ordre du jour après
qu'un membre éminent du Gouvernement l'a placé, au contraire, très clairement à
l'avant-scène.
Ma première question est donc simple : en votre qualité de secrétaire d'Etat à
la santé, approuvez-vous les déclarations de Mme le ministre chargé de
l'enseignement scolaire ? Cette question appelle une réponse simple.
Par ailleurs, en tant que responsable de la mission interministérielle de
lutte contre la toxicomanie, la MILT, qui est donc sous votre contrôle direct,
allez-vous présenter un nouveau plan de lutte contre la drogue à la lumière du
rapport récent de l'ONU ?
De façon plus générale, monsieur le secrétaire d'Etat - c'est peut-être
l'occasion de le dire - contre l'usage des stupéfiants, avez-vous un projet
personnel à faire partager par le Gouvernement français ? Que proposez-vous
face au développement rapide du fléau le plus pernicieux de la société moderne
?
Je rappelle que le trafic dont est issu ce fléau représente 8 % du commerce
international ; 8 % en ruinant la santé de tant de jeunes dans le monde, c'est
beaucoup ! Avez-vous un projet ?
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat à la santé.
Monsieur le sénateur, votre question, qui
est grave, appellerait une réponse longue et mesurée. Mesuré, je le serai :
long, hélas ! je ne le serai pas assez.
Bien évidemment, le rapport de l'ONU auquel vous avez fait allusion ne m'a pas
échappé ; mais je l'interprète différemment. Comme vous, je souligne la
réprobation qui se dégage du commentaire, mais j'interprète les chiffres comme
un échec absolu de la communauté internationale, comme un échec de la
répression, répression que nous poursuivons pourtant depuis des années et des
années.
Chaque année, vous le savez, l'ONU s'est engagée un peu plus dans
l'élaboration du rapport auquel vous avez fait allusion. Mais nous avons aussi
à notre disposition l'observatoire européen des toxicomanies, à Lisbonne. Les
chiffres qu'il nous livre - il l'a encore fait voilà deux mois - sont
éloquents. Le trafic augmente malgré la progression des saisies, malgré le brio
des services de police et des douanes. Et si le trafic augmente en matière de
drogues dites douces comme en matière de drogues plus dures et plus dangereuses
encore, c'est bien que la consommation augmente !
C'est là une première constatation que personne ne peut mettre en doute : cela
ne marche pas.
J'ai lu dans le même rapport que vous, monsieur Masson, que l'ONU se
félicitait de ce qui se passait au Pérou. Dans ce pays, en effet, un certain
nombre de planteurs ou de trafiquants ont été mis hors d'état de nuire. Mais il
n'est pas dit que ceux-là se sont réfugiés de nouveau en Colombie, où
l'augmentation de la production est considérable et où l'échec de la vraie
guerre déclenchée par les Etats-Unis, avec une armée véritable, des groupes
entraînés et des commandos équipés, est patent.
Cette facette de la lutte contre la toxicomanie ne me paraît guère favorable
aux idées que vous défendez, et que je défends aussi d'ailleurs.
Alors, que faire ? Vous avez posé plusieurs questions, monsieur le sénateur,
la première consistant à savoir si j'avais un projet personnel. Mais si j'avais
un projet personnel performant, monsieur Masson, je l'aurais déjà livré au
reste du monde !
En fait, personne n'a de projet performant. L'échec est l'apanage de
l'ensemble de la communauté internationale, en cette matière précise de la
répression du trafic.
Je suis bien d'accord avec vous, le chiffre de 8 % - il est même sans doute
sous-évalué, c'est peut-être 10 % - est considérable.
A mon avis - c'est non pas un projet mais un avis personnel, dont j'aimerais
pouvoir discuter plus longuement avec vous - tant qu'il n'y aura pas d'approche
économique de ce problème, l'échec sera flagrant. Il y a trop d'argent, trop
d'organisations en jeu pour pouvoir espérer maintenir dans des limites décentes
une filière structurée, une véritable armée de trafiquants. Telle est la
réalité, en Europe comme dans le reste du monde.
A cela s'ajoute le fait - j'en parlerais des heures, veuillez m'en excuser,
monsieur le président - que certains pays du tiers monde qui étaient simplement
producteurs deviennent à la fois producteurs et consommateurs. C'est vrai pour
la Turquie ; c'est singulièrement vrai aussi pour l'Afghanistan, où les
associations qui voudraient lutter contre la toxicomanie sont maintenues à
l'écart par une véritable armée, les Talibans, soutenus par le Pakistan et,
curieusement, par les Etats-Unis, et qui ont considérablement fait progresser
la production de pavot le long de cette fameuse frontière pachtoune. Maintenant
les voilà qui consomment aussi ! L'échec est donc international.
Vous vous étonnez, monsieur le sénateur, d'avoir vu la réaction de Mme
Ségolène Royale et de n'avoir pas vu la mienne. J'en suis désolé. Moi-même, je
n'ai apprécié qu'à moitié la dépêche de l'AFP qui me faisait dire que le projet
n'était pas à l'ordre du jour.
Je l'ai d'autant moins appréciée que le compte rendu analytique de la séance
du Sénat où j'ai officiellement répondu à M. Fourcade est tout autre chose que
« le projet n'est pas à l'ordre du jour ». Je réponds à M. Fourcade, qui
propose un débat, que je me félicite de son intervention puisque moi-même, au
moment de la discussion du projet de loi sur le financement de la sécurité
sociale, j'avais été amené à répondre à l'ensemble du Sénat qu'il m'intéressait
qu'il y ait un débat sur ce sujet. M. Fourcade reprenant cette idée, je ne
pouvais qu'être d'accord.
Cela étant, je ne suis pas maître de l'ordre du jour du Sénat.
Personnellement, ce débat, je le souhaite, et j'en ai parlé au ministre chargé
des relations avec le Parlement. Le Gouvernement arrêtera sans doute une date à
cet effet.
Ma prise de position, que traduit le compte rendu analytique, a donc été
résumée assez fallacieusement par la dépêche de l'AFP. Ce que j'ai dit, c'est
vrai, c'est qu'il n'était pas à l'ordre du jour de modifier la loi. Cela,
malheureusement, nous le savons !
S'agissant de la MILT, je veux vous apporter une réponse très précise,
monsieur Masson. Cette mission dépend en effet du secrétariat d'Etat à la
santé. Le plan triennal, qui va être discuté ces jours-ci, sera présenté au
cours du mois d'avril. Faisant suite au plan triennal précédent, que vous avez
mentionné au passage, il portera très précisément sur l'information.
Nous avons en effet essayé d'orienter les projets qui sont proposés aux
différents ministères composant la mission interministérielle de lutte contre
la toxicomanie vers l'information, mais aussi vers l'évaluation - je vous dirai
pourquoi - et vers la lutte contre les drogues synthétiques, en particulier
l'ecstasy, qui sont maintenant consommées très abondamment.
Une étude récente mettait ainsi en lumière que 5 % de notre jeunesse avait
consommé de l'ecstasy et que 1 % s'y adonnait régulièrement. Vous me direz que
ce n'est pas beaucoup ; en fait, ce n'est pas beaucoup et trop à la fois. En
tout cas, ces drogues synthétiques, dont on ne connaît pas la pureté, appellent
une attention particulière. Nous y veillerons.
S'agissant de l'évaluation, monsieur le sénateur - j'y reviens - j'ai réuni,
les 13 et 14 décembre dernier, au ministère de la santé, tous les intervenants
en toxicomanie, et ce quelle que soit leur attitude idéologique -
malheureusement, dans notre pays, l'attitude idéologique prime souvent sur la
réalité ! Tous ont travaillé longuement pour faire quinze propositions qui
seront discutées et prises en charge, si possible, par le plan triennal, parmi
lesquelles, en particulier, une proposition très forte d'évaluation des
projets.
Vous savez que la mission interministérielle de lutte contre la toxicomanie
doit soutenir des projets innovants. Tel n'est pas toujours le cas, et je ne
fais pas allusion au rapport de la Cour des comptes, qui a malheureusement fait
l'objet de fuites. D'ailleurs, ce n'était pas un rapport de la Cour des comptes
- il sera publié plus tard - mais une étape du rapport qui laisse la parole aux
intervenants, à ceux qui sont mis en cause. Malheureusement, on a trouvé ce
document dans les journaux.
Je m'empresse de dire aussi qu'il s'agit d'un rapport portant sur des années
antérieures et non pas sur celles auxquelles vous avez fait allusion. Ce n'est
pas un rapport sur l'état actuel de la MILT.
On y souligne que la MILT doit mettre en avant des projets innovants et que
tel n'est pas toujours le cas ; on aide des structures, et c'est sans doute une
erreur. Il y aura donc pour chaque projet une évaluation et un suivi. C'est ce
que les intervenants ont demandé précisément.
Vous aurez ce plan triennal dans le courant du mois d'avril, monsieur
Masson.
Si je n'ai pas de projet, j'émets en tout cas le souhait que le débat puisse
avoir lieu pour que nous puissions faire évoluer les choses. En effet, tant
qu'on n'aura pas proposé à notre jeunesse, mais aussi à celle de l'Europe et du
monde, un autre idéal, une autre aventure, elle risquera de continuer à
s'adonner, ce qui nous répugne, à des pratiques qui mettent en cause la santé
et qui sont très dommageables.
Il y a au moins trois catégories à distinguer : ceux qui usent de la drogue,
qui n'ont pas été informés suffisamment ; ceux qui en ont abusé, qui n'ont pas
été pris en charge suffisamment ; enfin, ceux qui en pâtissent, ceux qui en
meurent et pour lesquels il faudrait pouvoir intervenir plus massivement et
plus efficacement en amont avant qu'il ne soit trop tard.
M. Paul Masson.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Masson.
M. Paul Masson.
Comment répondre dans le cadre d'une question orale sans débat en quelque
trois minutes au développement fourni de M. le secrétaire d'Etat ?
Monsieur le secrétaire d'Etat, j'ai enregistré vos propos. Je crois que vous
et moi sommes au moins d'accord sur le fait qu'un débat s'impose. On ne peut
pas débattre à la sauvette d'une affaire d'une telle ampleur et d'une telle
résonance.
J'ai bien relevé que vous n'avez pas de projet personnel - c'est ce que vous
nous avez dit. Il est un peu ennuyeux qu'un secrétaire d'Etat à la santé n'ait
pas de projet personnel sur une matière si importante que la drogue.
J'ai bien noté également que vous allez donner à la mission interministérielle
un nouveau projet au mois d'avril, c'est un rendez-vous.
Je ne veux pas aller plus loin, monsieur le secrétaire d'Etat, sans quoi nous
pourrions poursuivre notre dialogue tout au long de la matinée.
J'attendais de vous, sur un point, une réponse toute simple : approuvez-vous
la déclaration de Mme Royal, oui ou non ? Mais si vous laissez cette question
sans réponse, on notera que vous n'avez pas d'avis !
POLITIQUE EN MATIÈRE DE TOXICOMANIE
M. le président.
La parole est à M. Sérusclat, auteur de la question n° 184, adressée à M. le
secrétaire d'Etat à la santé.
M. Franck Sérusclat.
J'aurais peut-être pu retirer ma question, compte tenu des deux réponses qu'a
déjà données M. le secrétaire d'Etat, celle qu'il vient d'apporter à l'instant
à notre collègue M. Masson et celle qui est parue dans le quotidien
Libération
récemment.
Mais il se trouve que je ne suis pas satisfait de ces réponses, et je veux
donc revenir sur les problèmes posés par la toxicomanie, en les abordant sous
un angle différent. Je souhaite ainsi montrer que les parlementaires se
préoccupent aussi de ces questions.
Il n'est pas inutile de faire un bref rappel historique de l'entrée dans nos
sociétés de produits qui ont des effets nocifs sur l'individu ou sur la société
elle-même.
Le tout premier, l'alcool, est apparu à la suite d'un événement important :
l'alliance du vin et du sang, qui a conféré au vin une place particulièrement
importante.
Puis le tabac est arrivé sous Louis XIV, accompagné d'abord d'une interdiction
d'en user, à la Cour tout au moins ; ensuite, alcool et tabac se sont
banalisés.
Ensuite sont arrivés d'autres produits comme la morphine, l'héroïne et la
cocaïne, puis le chanvre indien, et aujourd'hui nous voyons apparaître des
produits chimiques, des médicaments qui font partie de notre paysage
quotidien.
Nous constatons en définitive qu'aujourd'hui, et je vous l'ai entendu dire,
monsieur le secrétaire d'Etat, des drogues licites, alcool et tabac, à elles
seules, entraînent 100 000 morts par an. Tout est mis en oeuvre, notamment par
la publicité, pour en consommer et devenir des hommes vigoureux. Heureusement,
une loi a quand même limité la publicité de ces produits.
Quand on examine la question sous l'angle de la nocivité, on s'aperçoit que
l'alcool est nuisible non seulement pour l'individu mais aussi pour la société
puisque les accidents mortels sont quand même nombreux, dus à une conduite sous
l'empire de l'alcool, parfois aussi d'ailleurs sous psychotropes.
Monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez pris la bonne décision de supprimer
le remboursement d'un psychotrope afin d'en restreindre l'utilisation.
Si le tabac est nocif pour l'individu, il ne l'est pas trop pour la société en
général. Il n'empêche qu'il entraîne quand même quelque 100 000 morts par
an.
Le cannabis, dit-on, a une action sur la volonté ou sur l'activité en général.
Peut-être, ce n'est pas évident. En tout cas, nous n'avons pas connaissance de
décès dus à la consommation de cannabis.
Ce premier constat devrait nous amener à nous interroger : quels sont les
produits dangereux ; sur quoi faudrait-il agir pour éviter des catastrophes
humaines individuelles ou des catastrophes plus générales.
Depuis quelque temps, quand même, des efforts ont été accomplis.
En 1978, Mme Pelletier a récusé, ce qui est intéressant, la théorie de
l'escalade. Ce n'est pas parce que l'on commencerait par le cannabis qu'ensuite
l'on serait amené à consommer d'autres drogues. Il n'empêche que la législation
sur les stupéfiants prohibe l'usage du cannabis. Or, qui dit prohibition dit
trafic ! C'est aussi un autre élément dont il faut tenir compte.
En 1989, Catherine Trautmann a affirmé que le clivage entre drogues douces et
drogues dures était obsolète. Il me semble cependant que l'on ne peut pas
traiter de la même façon morphine et cocaïne, bien que, là aussi, on constate
une évolution importante : pendant très longtemps, la morphine a été considérée
comme le produit à ne jamais utiliser, sauf exception ; voilà quelques années,
on a appris que la morphine était également un médicament utile et pas
nécessairement dangereux.
En 1994, le Comité national d'éthique a publié une étude particulièrement
importante mettant en évidence, justement, le rôle différent des produits
licites et illicites et, surtout, indiquant qu'il n'existait pas de base
précise pour déterminer telle ou telle toxicité certaine et entraînant les
trois caractéristiques - accoutumance, assuétude, déchéance - des drogues qui
sont inscrites au tableau B.
En 1995, la commission Henrion a adopté la dépénalisation expérimentale à une
voix de majorité. En raison de cette situation un peu « étriquée », M. Henrion
n'a pas proposé l'application de cette mesure, mais c'était là une décision
intéressante.
Voilà ce qu'il convenait, me semble-t-il, de rappeler pour ensuite vous poser
la question au fond, monsieur le secrétaire d'Etat : la loi de 1970 est-elle
une bonne loi ?
Si, tout à l'heure, j'ai dit que je voulais quand même poser ma question,
c'est que, dans la réponse que vous avez donnée au quotidien
Libération,
je suis un peu étonné par votre préférence pour une contraventionnalisation
de la consommation du cannabis plutôt que pour sa dépénalisation. Ainsi, vous
donnez le sentiment que, pour vous, l'usage du cannabis est le fait d'un
délinquant et non pas d'un malade. Or, je crois que le recours à des drogues
diverses, licites ou illicites - les licites par plaisir peut-être, les autres
par besoin à cause d'une situation vécue difficile - est le fait d'individus
malades plutôt que de délinquants.
La délinquance résulte de la prohibition et, vous l'avez dit tout à l'heure,
la prohibition telle que nous la concevons n'a abouti à aucun résultat positif.
Par conséquent, il faudrait certainement aborder le problème autrement. Vous
l'avez fait au cours de certaines réunions auxquelles je participais et dans
lesquelles j'ai puisé une partie de mon argumentation que je vous présente
aujourd'hui, monsieur le secrétaire d'Etat.
M. François Lesein.
Très bien !
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat à la santé.
Monsieur le sénateur, que de choses dans
votre question...
Si j'ai donné l'impression en répondant à votre collègue M. Masson de ne pas
avoir de position personnelle, c'est bien la première fois qu'on m'en fait le
reproche !
Je vais en avoir une avec vous. En effet, j'avais scindé ma réponse en deux
parties, dont la première, plus technique, portait sur la Mission
interministérielle de lutte contre la toxicomanie, la MILT, sur la consommation
de nouveaux toxiques, qui est très préoccupante, qu'il s'agisse de toxiques de
synthèse ou de produits chimiques, ecstasy et autres. Quant à vous, monsieur le
sénateur, vous m'interrogez sur la loi de 1970.
L'historique que vous avez dressé des toxiques est très pertinent. Vous
rappelez, avec raison, qu'au moment de l'arrivée du tabac en Europe, cette
drogue fut interdite, mais en vain. Un ouvrage très intéressant, le
Livre
des toxiques,
raconte l'histoire des substances toxiques et, entre autres,
l'arrivée du café. A cette époque, en Europe, on consommait de la bière. On
apprend dans ce livre que les populations étaient tellement pauvres qu'en
général elles buvaient de la bière et mangeaient du pain. Parfois, pendant de
longs jours, faute de pain, elles se nourrissaient seulement de bière,
considérée comme un produit alanguissant et parfois abrutissant. Le café était
un toxique de nature complètement différente qui entraînait au travail, à la
surexcitation, etc. J'ai bien éprouvé le besoin de situer, dans le contexte,
tous ces toxiques, mais je n'en avais pas le temps, malheureusement.
Je vous répondrai sur l'évolution de notre législation.
Certains toxiques sont licites, d'autres ne le sont pas. La situation peut
évoluer. Nous avons l'habitude en France de considérer que nos propres
toxiques, ceux qu'un certain nombre de bons artisans fabriquent pour notre
usage, sont respectables. Ils sont respectés, mais ils sont très meurtriers ;
vous avez rappelé les chiffres élémentaires : quelque 100 000 à 120 000 décès
dus à l'abus de tabac ou d'alcool. Je suis chargé de la santé publique et je ne
peux pas ne pas vous approuver. C'est ainsi, les chiffres sont accablants.
Lorsque j'ai parlé, en faisant allusion à l'alcool, de réglementation, c'est
cela que je voulais dire et je vais m'en expliquer.
Je n'ai pas de position personnelle parce que je ne dois pas en avoir. Nous
avons l'habitude en France d'adopter des positions idéologiques sur ces grands
problèmes de santé publique. Or les positions idéologiques bloquent le débat.
En effet, j'ai une expérience, quelques idées sur ce sujet, mais je voudrais
surtout que le débat ne se limite pas à quelques petites phrases : j'ai
consommé du cannabis, je n'en n'ai pas consommé... et nous voilà nous
heurtant.
Il y a une réalité des toxiques légaux et illégaux dans ce pays dont il faut
débattre et je serais très heureux que ce débat ait lieu devant la Haute
Assemblée puisque vous l'avez proposé.
Mais outre les toxiques légaux et illégaux, se pose dans notre pays le
problème de la consommation de psychotropes, vous y avez fait allusion. Nous
détenons le record du monde en ce domaine avec 18 millions de boîtes vendues
par mois. C'est légal, c'est même remboursé par la sécurité sociale mais c'est
excessif et, combiné à l'alcool puisqu'il y a des polytoxicomanies, cela
produit des dégâts considérables.
Il faut donc tenir compte de tous ces éléments nouveaux comme il faut tenir
compte de l'arrivée de drogues illicites comme l'ecstasy, très ravageuse et
scandaleusement répandue. Mais il faut aussi tendre la main à ces jeunes gens
qui, à un moment donné, se livrent à ces pratiques. Il faut donc mettre en
place une surveillance médicale, car les services d'urgence des hôpitaux
accueillent des jeunes qui sont très souvent plongés dans des états de
dépression graves ou dans des délires psychotiques importants et qui ont
consommé ces drogues nouvelles. Il faut prêter attention à cela.
Je répondrai maintenant très précisément à propos de ce que
Libération
me fait dire, et que j'ai d'ailleurs dit.
Je pense qu'il s'agit d'une piste de recherche, et nous devons, dans notre
République, pouvoir en débattre sereinement : la réglementation, la
contraventionnalisation, comme vous l'avez souligné, monsieur le sénateur,
serait, à mon avis, une manière de conserver un interdit et en même temps de ne
pas criminaliser l'usage des drogues.
Pour ma part, je ne considère pas, monsieur le sénateur, que les usagers de
drogues soient des délinquants. S'ils deviennent dépendants, ce sont alors des
malades, mais j'estime, en tant que secrétaire d'Etat à la santé, qu'ils ne
sont au départ ni délinquants ni encore dépendants et malades. Nous ne pourrons
éviter, si nous débattons de tout cela, une discussion à propos des droits de
l'homme.
La contraventionnalisation, c'est de dire, comme pour l'alcool que nous
consommons si largement dans notre pays, qu'il y a des lois et des règlements à
ne pas enfreindre. Ainsi, on n'a pas le droit de se livrer à l'ivresse sur la
voie publique, et la loi sur la répression de l'ivresse publique est affichée
dans tous les cafés de France. De même, il ne faut pas vendre d'alcool aux
mineurs, il ne faut pas en consommer devant eux et si l'on a fumé deux joints,
il ne faut pas conduire un scooter, etc.
Voilà ce qui pourrait être le début de notre réflexion car je pense - mais je
peux évoluer grâce au débat - qu'il est nécessaire de maintenir un interdit.
Les chiffres cités par M. Masson sont réels. Il existe une surconsommation
massive, et l'on constate véritablement l'échec des contrôles. C'est donc une
piste de réflexion que je voulais tracer. Il y en a d'autres, par exemple la
prise en compte des expériences étrangères, que nous n'étudions pas assez : il
faut savoir ce qui s'est passé dans les pays qui ont été libéraux et qui sont
devenus répressifs, et dans les pays qui ont été répressifs et qui sont devenus
libéraux.
Pour la première fois, et je m'en suis félicité, il y a eu, au sommet de
Luxembourg, une rencontre entre les ministres de l'intérieur, les ministres de
la justice et les ministres de la santé des quinze pays de l'Union, qui a duré
trois ou quatre heures. J'espère qu'il y aura d'autres échanges de ce type.
L'absence de position internationale est une belle manière faite aux
trafiquants. Seule une position internationale nous permettra, comme je le
disais à M. Masson dans ma réponse, de prévenir ce trafic international odieux
qui dégage des bénéfices considérables.
Je suis désolé d'avoir été long, monsieur le président, et, qui plus est,
d'avoir apporté une réponse trop lapidaire sur un sujet aussi intéressant.
Cependant, le compte rendu de nos débats retracera mieux ma position que la
récente dépêche qui en a fait faussement part.
Par ailleurs, si le Gouvernement était favorable à la tenue d'un débat sur ce
thème, j'en serais le premier heureux.
M. Franck Sérusclat.
Je demande la parole.
M. le président.
Monsieur Sérusclat, je vais vous demander de faire preuve de brièveté, puisque
vous avez largement dépassé le temps de parole qui vous était imparti pour
poser votre question. Le sujet le méritait. Il mériterait également qu'un débat
soit organisé.
Cela dit, je vous donne la parole, monsieur Sérusclat.
M. Franck Sérusclat.
Monsieur le président, j'ai noté votre indulgence, et je vous en remercie. Je
serai donc très bref.
Pour moi, entendre M. Kouchner, c'est toujours une satisfaction : à chaque
fois j'apprends quelque chose. Il a ainsi cité le cas du café, qui est
effectivement très symptomatique.
J'aimerais qu'il établisse un parallélisme entre le cannabis et l'alcool. Pour
ce dernier, il y a punition lorsqu'il y a un accident commis par une personne
qui a bu. Ainsi, celui qui fumerait du haschisch sans incidence pour lui ni
nocivité pour la société ne commettrait pas un délit.
Il convient de réfléchir à cette question et je serais heureux, moi aussi,
qu'un débat soit organisé sur le sujet. A défaut, j'envisagerais de déposer une
question orale avec débat.
PROBLÈMES DE LA PÊCHE
AUX ABORDS DES ÎLES ANGLO-NORMANDES
ET DU COTENTIN
M. le président.
La parole est à Mme Heinis, auteur de la question n° 155, adressée à M. le
ministre de l'agriculture et de la pêche.
Mme Anne Heinis
Ma question s'adressait en fait à M. le ministre des affaires étrangères et
concerne la situation toujours préoccupante entre les autorités anglo-normandes
et les pêcheurs du Cotentin. Depuis le mois de septembre 1997, des réunions
techniques et professionnelles sur le thème des relations de voisinage entre
pêcheurs jersiais et normands se sont multipliées.
Cependant, il semble que la position des autorités françaises ne soit pas
suffisamment ferme face aux exigences accrues des autorités britanniques et
jersiaires, en vue de limiter, de façon drastique, l'accès des pêcheurs
français dans la baie de Granville, zone pour laquelle existe un principe de «
mer commune ».
A l'heure actuelle, le secteur de pêche exclusivement réservé à Jersey est
limité à une bande de trois miles autour de l'île anglo-normande. Les autorités
britanniques et jersiaires prétendent voir étendue cette limite à partir de
deux bancs de rochers découvrants, eux-mêmes situés en limite des trois miles
actuels, repoussant d'autant vers le Nord la limite exclusive des trois
miles.
Il faut savoir que les pêcheurs du Cotentin ont été échaudés par l'application
systématiquement défavorable de l'accord bilatéral conclu en 1992 avec
Guernesey, qui a notamment abouti à leur éviction du « haricot » de la
Schole.
Les points suivants sont les plus sensibles : le dévoiement de la délégation
de justice qui a donné lieu à une pétition du comité régional des pêches
maritimes auprès du Parlement européen, la notion de reconnaissance des
pratiques existantes, la rupture unilatérale du
modus vivendi
de 1994,
le non-respect de l'article 6 aux termes duquel les pêcheurs sont invités à se
rencontrer et la modération dans la mise en oeuvre et dans le règlement des
contestations.
Je demande donc au Gouvernement de manifester une volonté politique très
ferme, d'appuyer le travail technique effectué par la direction des pêches
maritimes par une réouverture des négociations avec Guernesey avant de
poursuivre les démarches relatives aux relations de voisinage avec Jersey.
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat à la santé.
Je vous prie tout d'abord, madame le
sénateur, d'excuser M. Louis Le Pensec, qui n'est pas à Paris ce matin et qui
m'a chargé de répondre très précisément à votre question. Je vais donc vous
lire - pardonnez-m'en - sa réponse, puisque les lieux particuliers que vous
avez cités ne souffrent pas d'approximation.
Nos relations de voisinage en matière de pêche avec les îles anglo-normandes
ont toujours été difficiles en raison de la faible distance qui sépare ces îles
de nos côtes.
En ce qui concerne Jersey, la France a toujours exigé avec beaucoup de fermeté
que la négociation en cours sur la délimitation des eaux britanniques et
françaises autour de cette île ne remette pas en cause le principe de « mer
commune » de la baie de Granville. Les droits d'accès des pêcheurs des deux
parties aux eaux de la baie de Granville doivent être maintenus, à l'exception,
bien sûr, des bandes côtières exclusives de chacun.
Notre fermeté a conduit le Royaume-Uni à accepter ces principes et à modérer
ses revendications sans chercher à profiter des récentes évolutions du droit de
la mer. Ainsi, le Royaume-Uni ne revendique pas d'étendre ses eaux exclusives
au-delà des trois milles. Il ne propose pas non plus d'abandonner la référence
appelée « laisse de basse-mer » pour mesurer la largeur de la bande côtière
exclusive à l'est de Jersey, région la plus fréquentée par les pêcheurs
français.
Au nord ou au sud de Jersey, où le Royaume-Uni souhaite partir des rochers
découvrants pour mesurer la limite des trois milles exclusifs, les pratiques de
pêche existantes seraient malgré tout reconnues à titre viager, voire
perpétuel, dans les zones qui deviendraient ainsi exclusives. Ce serait le cas
des bancs de rochers des Pater-noster et des Dirouilles que vous évoquez, au
nord de Jersey.
La discussion laisse encore ouvertes, à ce stade, un certain nombre d'options
qui devront être approuvées non seulement en fonction des contraintes découlant
des règles internationales en la matière, mais aussi de la nécessité d'assurer
un juste équilibre entre les intérêts professionnels en cause.
Le ministre de l'agriculture et de la pêche m'indique qu'il est tout à fait à
même de vous rassurer sur la détermination de la délégation française à
défendre, sans esprit de concession, des positions qui, vous le savez, ont
toujours été définies en étroite concertation avec la profession.
Enfin, s'agissant de l'accord de 1992 relatif à Guernesey et des difficultés
qu'il soulève, la volonté du Gouvernement est d'approfondir le dialogue avec le
Royaume-Uni, notamment en vue d'amender les dispositions de l'accord relatives
à la compétence en matière de poursuites. Cette volonté a été clairement
affirmée encore tout récemment, le 3 février dernier, par M. Pierre Moscovici,
ministre délégué aux affaires européennes, qui a reçu une délégation du comité
régional des pêches maritimes pour discuter de la mise en oeuvre de cet
accord.
Mme Anne Heinis.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme Heinis.
Mme Anne Heinis.
Monsieur le secrétaire d'Etat, je voudrais d'abord vous remercier d'avoir bien
voulu répondre à ma question de façon très détaillée.
Comme je l'ai dit tout à l'heure, ma question s'adressait et s'adresse
toujours à M. le ministre des affaires étrangères. M. le secrétaire général du
Gouvernement a cru devoir la transmettre au ministre de l'agriculture et de la
pêche, dont vous avez pris le relais avec beaucoup de talent. Je ne suis pas
rassurée pour autant, et je déplore les effets de cascade.
En effet, monsieur le secrétaire d'Etat, il s'agit d'un problème de relations
diplomatiques. S'il est parfaitement exact que la direction des pêches
maritimes connaît parfaitement la question, le ministère de l'agriculture et de
la pêche a donné au ministère des affaires étrangères tous les éléments en sa
possession pour pouvoir négocier avec les îles et avec le gouvernement
britannique.
Toutefois, mon inquiétude demeure, parce que je n'ai pas constaté jusqu'ici,
depuis l'accord de Jersey de 1992 - mais j'espère que cela viendra, c'est
d'ailleurs pourquoi je pose cette question aujourd'hui - de réelle volonté
diplomatique et politique de notre pays de trouver, avec les trois composants
que sont la France, la Grande-Bretagne et les îles Anglo-Normandes, une réelle
solution d'entente.
Cela se traduit, dans la pratique, par des conflits qui ont tendance à
s'aggraver entre les pêcheurs, tandis que les îles Anglo-Normandes affichent
des ambitions démesurées en matière de territoire de pêche. Si nous ne nous
battons pas pour conclure des accords convenables qui respectent les droits des
uns et des autres, les pêcheurs français seront très vite au chômage.
Ce sera aussi simple que cela pour une raison très prosaïque que vous avez
évoquée tout à l'heure, monsieur le secrétaire d'Etat : la proximité de ces
îles. L'espace est en effet très réduit entre les côtes de la Manche et les
îles Anglo-Normandes, et la baie de Granville est toute proche.
Ces eaux sont régies par un droit spécifique, et il est difficile d'exposer le
problème en quelques minutes. Mais cette question exige une grande attention si
nous voulons parvenir à véritablement défendre nos ressortissants afin que les
accords soient respectés par les îles Anglo-Normandes. Nous n'y parviendrons
qu'avec le concours du Foreign Office et du Quai d'Orsay. C'est à ce niveau que
l'affaire doit être traitée.
Ces instances disposent de tous les documents qu'il leur faut ; nous pouvons
d'ailleurs, s'il leur en manquait - ce dont je doute ! - continuer à leur
fournir des informations, aussi bien juridiques que techniques.
J'ai déjà eu l'occasion de le dire au ministre délégué chargé des affaires
européennes, M. Moscovici, mais je vous demande, monsieur le secrétaire d'Etat,
je vous supplie même, de bien vouloir répéter à votre collègue le ministre des
affaires étrangères que ce n'est pas une petite affaire, que la France n'a pas
le droit de ne pas s'occuper de ses ressortissants, que les problèmes ne
peuvent pas être réglés localement - même si les pêcheurs déploient d'immenses
efforts - et qu'ils ne peuvent être réglés que par la voie diplomatique.
Nous ne pouvons admettre de voir nos territoires de pêche disparaître et nos
pêcheurs vendre leur bateau et s'inscrire au chômage.
Je compte sur vous, monsieur le secrétaire d'Etat, pour transmettre ce message
auquel je suis très attachée. Ces pêcheurs, ils habitent la même région que
moi, je les connais, je travaille avec eux, je les rencontre, et ils attendent
beaucoup de notre Gouvernement.
M. Pierre Fauchon.
Il faut de la combativité !
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat.
Madame le sénateur, du fait de la documentation de
votre intervention, de votre ton et de votre légitime insistance, je mesure la
gravité du problème et l'urgence d'apporter des solutions. Comptez sur moi, je
transmettrai tous ces éléments d'information au Quai d'Orsay !
MONTANT DE LA VIGNETTE AUTOMOBILE
M. le président.
La parole est à M. Roujas, auteur de la question n° 103, adressée à M. le
ministre de l'intérieur.
M. Gérard Roujas.
Monsieur le ministre, sans remettre en cause les principes mêmes de la
décentralisation, je voudrais attirer votre attention sur les effets négatifs
de la fixation, par chaque département, du montant de la vignette
automobile.
M. Raymond Courrière.
Très bien !
M. Gérard Roujas.
Nous sommes bien obligés de constater que les écarts sont très importants pour
un même véhicule d'un département à l'autre.
Cela pose, certes, la question de l'égalité de nos concitoyens devant l'impôt.
Il s'agit là, je le conçois, d'un problème particulièrement difficile à
résoudre.
Mais ce système présente un autre inconvénient majeur. Il contribue, en effet,
à creuser l'écart entre départements riches et départements pauvres, et
participe ainsi à un certain déséquilibre du territoire.
Les départements dont les ressources sont les plus faibles et les moins
diversifiées se voient contraints, pour assurer l'équilibre de leur budget, de
revoir chaque année à la hausse les tarifs de la vignette automobile.
Nous entrons ainsi dans un cercle vicieux qui fait qu'une société dont le parc
automobile est important préférera faire en sorte d'immatriculer ses véhicules
dans un département où le montant de la vignette est faible, département la
plupart du temps riche, au détriment d'un département où la vignette est chère,
département le plus souvent pauvre.
M. Raymond Courrière.
Très bien !
M. Gérard Roujas.
Je vous demande donc, monsieur le ministre, de bien vouloir préciser les
solutions qui pourraient être prises afin de préserver les départements les
plus défavorisés d'un inévitable déclin.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
Monsieur le sénateur, vous venez de poser une
question très intéressante.
L'article 1599 J du code général des impôts dispose que la vignette
représentative du paiement de la taxe différentielle sur les véhicules à moteur
doit être acquise dans le département d'immatriculation du véhicule. Cette
règle est la seule qui permette la localisation de cette taxe, qui est perçue,
depuis 1984, au profit des départements.
La référence aux seules indications figurant sur le certificat
d'immatriculation est, en effet, un critère simple et incontestable pour
déterminer le taux de la taxe due et le département destinataire de la recette,
qui est celui de l'immatriculation où doit être acquise la vignette.
Il s'agit, je le rappelle, d'une ressource des départements qui est
essentielle au succès de la décentralisation.
S'agissant des véhicules appartenant à des sociétés dont le parc automobile
est important ou à des sociétés de location, celles-ci ont la possibilité de
les immatriculer au lieu de leurs établissements principaux ou secondaires, à
la condition que ces derniers soient effectivement inscrits au registre du
commerce et des sociétés.
Par ailleurs, en ce qui concerne les véhicules pris en location de longue
durée ou avec option d'achat, la carte grise est établie au nom de la société
de location propriétaire, mais elle est normalement revêtue de la mention des
nom et adresse du locataire et délivrée dans le département de ce dernier qui
est, aux termes de l'article 1599 E du code général des impôts, redevable de la
taxe différentielle au lieu et place du propriétaire.
Le Gouvernement, conscient des possibles effets pervers d'un tel système,
examine, sur l'initiative du ministre de l'économie, des finances et de
l'industrie, des solutions. Je ne pense pas que le sénateur de la Haute-Garonne
prône une recentralisation jacobine ou un mode de redistribution qui,
naturellement, porterait atteinte à la liberté de collectivités locales de
fixer le taux de leurs impôts.
Par conséquent, nous nous acheminons vers d'autres possibilités. Toutefois, le
sujet est assez difficile. De plus, c'est au sein du ministère de l'économie et
des finances qu'il est actuellement traité. J'espère que je serai en mesure de
vous apporter des éléments plus complets d'ici à quelques mois.
M. Gérard Roujas.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Roujas.
M. Gérard Roujas.
Monsieur le ministre, je voudrais vous remercier de cette communication.
D'après la fin de votre propos, je comprends que le Gouvernement est soucieux
de ce problème et que peut-être, dans les mois à venir, des propositions seront
faites qui iront dans le bon sens.
M. Raymond Courrière.
Très bien !
CONDITIONS D'INCORPORATION
DANS LES ÉCOLES DE POLICE
M. le président.
La parole est à M. Demuynck, auteur de la question n° 188, adressée à M. le
ministre de l'intérieur.
M. Christian Demuynck.
Monsieur le ministre, vous avez annoncé qu'en matière d'intervention des
forces de l'ordre devait être privilégiée une police de proximité. Je tiens à
rappeler que ce processus, qui avait déjà été engagé par vos prédécesseurs,
reste d'une nécessaire priorité.
En toute logique, pour développer l'îlotage, il faut pouvoir recruter des
gardiens de la paix pour remplacer les départs du corps de la police nationale
et permettre le maintien ou l'augmentation des effectifs.
Pour exercer les fonctions de gardien de paix, il faut bien évidemment
intégrer une école de police. Le candidat doit remplir un certain nombre de
conditions. Il doit passer une visite médicale, ainsi qu'un concours de niveau
de fin d'études secondaires. Ce dernier se décompose en épreuves de
préadmissibilité pour évaluer son profil psychologique, en épreuves
d'admissibilité comprenant une dissertation et un questionnaire de
connaissances ; puis une épreuve d'admission avec un entretien devant un jury.
Enfin, le candidat doit satisfaire à des tests sportifs.
La diversité et la difficulté de ce concours témoignent des qualités requises
pour devenir gardien de la paix. Mais, une fois l'admission définitive acquise,
le futur élève doit généralement attendre plusieurs mois avant d'obtenir des
informations précises sur son dossier, sur la date d'incorporation et sur
l'école ou le centre de formation qu'il devra rejoindre.
Aussi n'est-il pas rare que plus d'un an s'écoule entre le moment où il est
déclaré admis au concours et celui où il est affecté dans une école. Ne
serait-il pas possible de modifier les conditions de recrutement des personnels
du corps de maîtrise et d'application de la police pour raccourcir ces délais
et pour que les élèves puissent être informés de la date et du lieu de leur
affectation dès qu'ils ont réussi leur concours d'entrée ?
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
Monsieur le sénateur, je vous remercie de cette
question qui soulève un problème réel. Permettez-moi toutefois de vous apporter
un éclairage qui me semble nécessaire.
Tout d'abord, il convient de préciser que la gestion du concours de gardien de
la paix s'effectue à deux niveaux : national et régional.
Le niveau national concerne la mission du jury : choix des sujets, fixation
des seuils d'admissibilité et d'admission.
Au niveau régional, les secrétariats généraux pour l'administration de la
police, les SGAP, réalisent toutes les opérations matérielles et font passer
l'ensemble des épreuves du concours.
Le bureau central du recrutement de la police nationale, situé à
Clermont-Ferrand, est chargé, quant à lui, de centraliser la totalité des
résultats, d'établir les listes définitives d'admission des lauréats et
d'assurer leur incorporation en école de police.
Je vous rappelle, pour mémoire, que l'organisation du concours comprend
plusieurs phases.
D'abord, il y a l'ouverture du concours permettant l'inscription des candidats
dans les secrétariats généraux pour l'administration de la police. Il faut
compter trois mois pour assurer une publicité efficace du concours, à une
période de vive concurrence avec d'autres services recruteurs comme l'armée ou
la gendarmerie.
Ensuite, on procède à l'organisation de tests psychotechniques de
préadmissibilité, sur deux à trois semaines, en fonction du nombre de candidats
: la perspective d'occuper un emploi de police active constitue, en effet, un
enjeu important tant pour le candidat que pour l'administration. Ces tests sont
absolument indispensables pour des raisons sur lesquelles je n'ai pas besoin
d'épiloguer.
Se déroulent alors les épreuves d'admissibilité dans l'ensemble des
secrétariats généraux pour l'administration de la police. Cela nécessite le
tirage des sujets, la mise sous pli et l'acheminement.
Viennent ensuite les épreuves orales et sportives sur une période d'environ un
mois, ce qui requiert la mobilisation de nombreux examinateurs et moniteurs de
sport dans les SGAP.
Le bureau central du recrutement de la police nationale établit la liste
nominative d'admission des lauréats, par ordre de mérite, après vérification de
l'ensemble des notices individuelles.
Ces opérations sont, je ne vous le cache pas, extrêmement lourdes. Elles se
déroulent sur un délai moyen d'un an environ, vous avez raison de le dire, à
partir de la date d'ouverture du concours, car elles concernent près de 40 000
candidats par concours.
La phase de gestion des incorporations en école de police peut alors
commencer. Ainsi, 4 300 élèves, dois-je le rappeler, ont été incorporés en
1997.
Chaque lauréat doit faire l'objet, après enquête administrative, d'un agrément
à la fonction de policier et être déclaré apte sur le plan médical par un
médecin agréé de la police nationale. Toutes ces formalités sont entreprises
dès l'admissibilité afin de raccourcir le délai d'incorporation. Si nous
voulions les appliquer aux 40 000 candidats, cela représenterait un surcroît de
travail dont vous comprendrez aisément que nous souhaitions faire
l'économie.
Une fois réalisées ces opérations longues et complexes, mais indispensables,
les services de la police nationale ne peuvent fixer, dès la réussite au
concours, les date et lieu d'incorporation des lauréats.
Enfin, la complexité de cette gestion est accrue par la nécessaire alternance
entre l'enseignement en école et sa mise en application sur le terrain.
En tout état de cause, le taux d'occupation des écoles est tel qu'il est
difficile d'envisager une accélération des rotations des promotions.
Cependant, l'objectif de l'administration a toujours été de réduire le délai
d'attente d'entrée en école des futurs élèves gardiens de la paix - cela va
au-devant de vos aspirations, monsieur le sénateur - ce délai étant passé en
deux ans de vingt-deux mois à quinze mois. Il pourra être encore réduit grâce à
l'amélioration des logiciels de gestion informatique prenant en compte les
différents paramètres d'incorporation.
Je suis persuadé qu'il faut resserrer davantage notre réflexion pour essayer
de faire mieux encore, mais j'aimerais vous convaincre qu'il s'agit là d'un
processus inévitablement très long, du fait de sa nécessaire complexité.
M. Christian Demuynck.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Demuynck.
M. Christian Demuynck.
Monsieur le ministre, j'ai en effet ici le détail des épreuves qu'il faut
passer en vue de l'admissibilité au concours de gardien de la paix, et je vous
remercie de les avoir rappelées.
Je comprends bien la difficulté qu'il y a à organiser l'incorporation de ces
jeunes, mais ne serait-il pas possible, à partir du moment où un jeune est
admissible, de lui dire dans quel délai il sera incorporé ?
Si c'est dans douze mois, il aura ainsi un an pour essayer de trouver un
emploi avant d'entrer dans une école. C'est à mon avis l'incertitude qui est
source de problèmes à l'heure actuelle.
STATUT DES ANIMATEURS DE LA MISSION D'INSERTION
DE L'ÉDUCATION NATIONALE
M. le président.
La parole est à M. Gaillard, auteur de la question n° 187, adressée à M. le
ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
M. Yann Gaillard.
Monsieur le ministre, voilà quelques semaines, j'ai reçu à ma permanence deux
personnes que je ne connaissais pas qui m'ont appris l'existence d'un organisme
que je ne connaissais pas non plus. Elles travaillaient au CIPA, le cycle
d'insertion professionnelle par alternance du collège des Jacobins à Troyes.
Elles m'ont appris qu'elles étaient 4 animatrices-formatrices dans le
département de l'Aube ; il y en a 17 dans l'académie de Reims et 700 en
France.
Tout cela compose ce qu'on appelle la mission d'insertion de l'éducation
nationale, qui a été mise en place en 1986.
En principe, le rôle des animateurs est d'accompagner les jeunes en rupture
scolaire ou sociale pendant un an. Le
Bulletin officiel
de mars 1992 -
tout le monde sait que le c'est la bible du ministère de l'éducation nationale
- précise qu'ils doivent faire le point sur la situation des jeunes dans le
cadre scolaire et choisir, en liaison avec l'équipe éducative, les moyens les
plus appropriés à leur entrée dans la vie active.
Un texte un peu « jargonnesque » prévoit que les animateurs-coordinateurs, du
fait de leur situation relationnelle au carrefour de l'éducation nationale, des
milieux sociaux et du monde de l'entreprise, sont prédisposés à établir une
liaison entre ces différents éléments. Ils sont donc conseillers techniques en
matière d'insertion.
La réalité, hélas ! est bien moins flatteuse.
Bien que du niveau bac + 3 et même, pour certains, semble-t-il, du niveau bac
+ 4, voire bac + 5 - puisqu'il y a quatre catégories dans ce personnel et une
hors catégorie - ils vivent sur des contrats à durée déterminée d'un an
renouvelables, et ce depuis douze ans. Leur statut n'a pas connu la moindre
évolution. Alors qu'ils bénéficiaient depuis 1993 de la protection d'une grille
indiciaire, celle-ci a été supprimée en 1997. Bref, ils n'intéressent
personne.
Ils sont vaguement rattachés au syndicat général de l'éducation nationale, le
SGEN, mais aucun syndicat, étant donné leur petit nombre, n'a jugé très utile
de prendre en main leur défense, qui est évidemment tout à fait classique et
qui consiste à demander leur titularisation, ainsi que la mise en place d'une
carrière.
Pour tout dire, ce personnel, qui a en charge d'insérer les jeunes, voudrait
bien être inséré lui-même !
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Claude Allègre,
ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
Les personnels contractuels intervenant dans la mise en oeuvre de la mission
générale d'insertion de l'éducation nationale sont recrutés par les recteurs,
conformément aux dispositions exposées dans la circulaire n° 96-293 du 13
décembre 1996.
Les contrats sont conclus pour une année scolaire et sont renouvelables à la
demande des intéressés, après décision favorable du recteur, en fonction des
besoins des académies et dans la limite des crédits attribués.
Les candidats sont classés par les recteurs en fonction des titres
universitaires qu'ils détiennent ou de leur qualification professionnelle
antérieure en quatre catégories. L'indice de rémunération du candidat est
fonction de la catégorie dans laquelle celui-ci a été classé. L'arrêté du 29
août 1990 fixe les indices minimum, moyen et maximum par catégorie.
Les recteurs peuvent modifier le classement de catégorie des personnels
contractuels justifiant de nouveaux titres universitaires.
En application des dispositions législatives et réglementaires actuellement en
vigueur, la titularisation est envisageable pour ces agents contractuels par la
voie des concours externes de recrutement de personnels enseignants,
d'éducation et d'orientation des lycées et collèges. Mais ils ne remplissent
pas les conditions requises pour se présenter aux concours internes
spécifiques.
En effet, ces personnels ne sont pas recrutés en qualité de personnel
enseignant ou exerçant des fonctions d'éducation dans les établissements
d'enseignement public relevant du ministre chargé de l'éducation ou en qualité
d'agent non titulaire exerçant des fonctions d'information et d'orientation
dans les services d'information et d'orientation ou dans les établissements
publics relevant du ministre chargé de l'éducation.
Par ailleurs, les concours mis en place par le titre premier, notamment
l'article 1er de la loi n° 96-1093 du 16 décembre 1996 relative à l'emploi dans
la fonction publique et à diverses mesures d'ordre statutaire, organisés au
titre du ministère de l'éducation nationale, de la recherche et de la
technologie, sont réservés aux maîtres auxiliaires recrutés en application du
décret n° 62-379 du 3 avril 1962 et à certains agents non titulaires
remplissant les conditions fixées par cette même loi. Seuls les personnels
recrutés à titre précaire, ce qui n'est pas le cas des personnels contractuels,
peuvent bénéficier de ce dispositif.
L'élargissement du champ des bénéficiaires du dispositif permettant à certains
maîtres auxiliaires et agents non titulaires relevant de l'éducation nationale
d'accéder à certains corps de personnels de l'enseignement du second degré ne
peut résulter que de la modification par la voie législative des mesures de
résorption de l'emploi précaire mises en place par le titre premier de la loi
du 16 décembre 1996 précitée et qui concernent l'ensemble de la fonction
publique de l'Etat.
En conséquence, monsieur le sénateur, il faudrait que vous déposiez une
proposition de loi permettant l'intégration de ces personnels.
Pour ma part, je suis tout à fait conscient de leur situation. Ils sont, hélas
! un certain nombre dans l'éducation nationale à avoir été recrutés au fil du
temps, et je souhaiterais personnellement pouvoir les intégrer.
Il n'est pas impossible - ce n'est toutefois pas un engagement de ma part -
qu'intervienne une mesure qui permettrait d'en intégrer d'un coup un certain
nombre. Comme vous le soulignez, cela ne constituerait pas un gros problème
budgétaire compte tenu de leur nombre, mais l'on se heurte à des dispositions
législatives.
Comme vous le savez, l'éducation nationale a pour bible une réglementation qui
est excessivement stricte dans certains secteurs et qui, il faut bien le dire,
est toujours plus accommodante et plus souple à l'égard de personnels
enseignants que d'autres personnels dont les statuts sont, disons... beaucoup
plus exotiques.
M. Yann Gaillard.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Gaillard.
M. Yann Gaillard.
Monsieur le ministre, j'avoue que, pendant la première partie de votre
réponse, vous m'avez inquiété. En effet, nous avons eu droit à une lecture de
textes de références officielles, ce qui ne me paraissait pas correspondre à
votre tempérament bien connu.
Heureusement, à la fin de votre intervention, vous vous êtes un peu humanisé
et vous avez bien voulu, je ne dirais pas m'encourager à déposer une
proposition de loi, mais tout au moins à me faire comprendre qu'un tel geste
pourrait rencontrer une certaine sympathie de la part de vos services.
J'ai l'impression qu'effectivement différentes strates se sont superposées. Au
fil des années, ont été visés un certain nombre de corps, de missions qui,
finalement s'accumulent et parfois se contredisent. J'avais presque envie de
vous demander si cette mission d'insertion avait encore sa place dans le
nouveau dispositif que vous souhaitez mettre en oeuvre ou si vous alliez la
rattacher à autre chose.
En tout état de cause, on ne peut pas laisser des personnels, qui ont surtout
le tort d'être peu nombreux, dans l'incertitude quant à leur avenir.
FINANCEMENT DE L'UTILISATION
DES RESSOURCES MULTIMÉDIA
DANS LES ÉTABLISSEMENT SCOLAIRES
M. le président.
La parole est à M. Dulait, auteur de la question n° 181, adressée à M. le
ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
M. André Dulait.
J'ai souhaité appeler l'attention de M. le ministre de l'éducation nationale,
de la recherche et de la technologie sur le plan ambitieux, présenté comme
prioritaire, ayant pour objectif de « jeter les bases d'une nouvelle démarche
éducative s'appuyant sur les ressources du multimédia ».
Cette initiative a suscité beaucoup d'attente de la part des personnels, des
enfants et des parents d'élèves.
L'intégration des nouvelles technologies de l'information et de la
communication dans toute démarche pédagogique correspond en effet à une
nécessité que les collectivités locales ont, pour nombre d'entre elles, déjà
intégrée dans leurs actions.
A ce titre, le conseil général des Deux-Sèvres, que j'ai l'honneur de
présider, a engagé un plan net destiné à équiper rapidement les collèges du
département et à les connecter au réseau Internet tout en élargissant, en
dehors des horaires scolaires, ces équipements au monde associatif pour en
faire de véritables centres de ressources multimédia, principalement dans le
secteur rural.
Comme toujours, monsieur le ministre, l'interrogation porte avant tout sur les
moyens susceptibles d'être mis en place par le ministère de l'éducation
nationale, de la recherche et de la technologie, sachant que les collectivités
locales sont de plus en plus mises à contribution pour venir en aide
financièrement à l'Etat, qui transfère ainsi des charges lourdes sur les
contribuables locaux, charges relevant pour l'essentiel, en l'occurrence, de la
pédagogie.
Dans cet esprit, monsieur le ministre, je m'interroge sur le sens et le coût
pour les collectivités locales de la déclaration du service de presse du
ministère en date du 17 novembre 1997, selon lequel « le ministre a décidé de
mettre en place un vaste dispositif déconcentré et fédérateur d'énergies » ou
encore a décidé « d'inciter les collectivités à soutenir les projets
d'établissements utilisant les nouvelles technologies » et « l'installation
volontariste d'infrastructures en collaboration avec les collectivités locales
».
Je rappelle, monsieur le ministre, que la pédagogie relève, bien entendu, de
l'Etat. Ma question porte sur les demandes d'aides financières que nous pouvons
adresser au ministère de l'éducation nationale afin d'adapter le projet aux
réalités.
Nous aimerions savoir si le ministre de l'éducation nationale que vous êtes
sera attentif à cette demande et sur quel chapitre budgétaire nous pouvons
compter pour le développement de ces technologies.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Claude Allègre,
ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je me réjouis d'abord
de l'intérêt porté par les collectivités territoriales aux nouvelles
technologies à l'école. Je prends bonne note, avec évidemment une grande
satisfaction, du fait que le département des Deux-Sèvres est sur le point de
développer un programme qui le mettra, je l'espère, rapidement au niveau du
département du président du Sénat et qui joue un rôle moteur dans ce
domaine.
Comme vous vous en doutez, Mme Ségolène Royal, ministre délégué chargé de
l'enseignement scolaire, apportera tout son soutien à ce plan.
En ce qui concerne l'aide de l'Etat, je peux vous dire que ce dernier a
mobilisé, cette année, 500 millions de francs, débloqués sur le fonds de
privatisation de France Télécom. Ces fonds seront utilisés pour aider les
collectivités territoriales à équiper les écoles. L'aide prendra la forme d'un
taux préférentiel appliqué aux emprunts.
En outre, l'Etat a négocié avec les divers opérateurs de télécommunication des
tarifs préférentiels spécifiques pour les établissements scolaires et
universitaires.
Enfin, comme vous l'avez vous-même indiqué, si les problèmes d'équipement
relèvent des collectivités territoriales en vertu des lois de décentralisation,
la pédagogie relève de l'Etat. Par conséquent, l'Etat est en train de mettre en
place dans toutes les régions et tous les départements des centres de formation
des enseignants aux nouvelles technologies.
Il va développer un système permettant de soutenir des PME et PMI innovantes,
en vue de la création de logiciels nécessaires au développement de ces
nouvelles techniques éducatives.
La répartition des responsabilités me semble donc bien équilibré :
l'équipement relève, pour l'essentiel, des collectivités territoriales ; mais,
naturellement, dans le souci d'assurer l'égalité républicaine, l'Etat aidera
les collectivités le plus en difficultés celles qui ont du mal à suivre un
mouvement qui, il faut bien le dire, met à contribution les collectivités
territoriales pour le plus grand bien de l'éducation nationale ; par ailleurs,
l'Etat assumera pleinement ses charges pédagogiques.
Je crois que, dans les mois qui viennent, nous allons avoir à discuter d'un
point important : la maintenance des matériels, problème au traitement duquel
nous voulons apporter notre contribution. L'un des objectifs primordiaux des
lois de décentralisation était de transférer la responsabilité des collèges et
des lycées aux collectivités territoriales, ce qui nous a permis d'avoir des
établissements de très grande qualité sur l'ensemble de notre territoire. Mais
le problème de la maintenance n'a pas été très bien réglé : il faut bien le
dire, l'Etat n'assume pas toujours très bien son rôle en la matière.
Nous aurons donc à dialoguer sur ce sujet, à essayer de définir un cahier des
charges, parce que je crois que c'est un moyen d'adapter notre école au monde
moderne.
M. André Dulait.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Dulait.
M. André Dulait.
Monsieur le ministre, je vous remercie de ces éléments de réponse.
Je suis satisfait d'apprendre que nous pourrons bénéficier d'emprunts à des
taux préférentiels ; c'est un point positif.
Par ailleurs, vous avez avancé que l'inégalité de situation pourrait jouer au
bénéfice des collectivités les moins favorisées ; c'est également un élément
d'importance.
Enfin, sur le dernier point, la maintenance de ces matériels, il me semble
primordial, monsieur le ministre, que nous ne nous retrouvions pas dans la
situation que nous avons connue voilà quelques années, avec du matériel qui n'a
absolument pas été entretenu par le ministère de l'éducation nationale, qui est
devenu très rapidement obsolète et qui se trouve aujourd'hui rangé dans les
placards de nombreuses écoles primaires de notre pays.
5
NOMINATION D'UN MEMBRE
D'UNE COMMISSION
M. le président.
Je rappelle au Sénat que le groupe des Républicains et Indépendants a présenté
une candidature pour la commission des affaires culturelles.
Le délai prévu par l'article 8 du règlement est expiré.
La présidence n'a reçu aucune opposition.
En conséquence, je déclare cette candidature ratifiée et je proclame M.
Jean-Paul Bataille, membre de la commission des affaires culturelles, à la
place laissée vacante par M. Jean-Pierre Camoin, démissionnaire.
Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons
interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à seize heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures quinze, est reprise à seize heures, sous
la présidence de M. Jean Delaneau.)
PRÉSIDENCE DE M. JEAN DELANEAU
vice-président
M. le président.
La séance est reprise.
Madame le ministre, mes chers collègues, je dois vous indiquer que M. le
président du Sénat ne préside pas le début de cette séance - ce qu'il fait à
l'accoutumée lorsqu'un débat important a lieu - car il assiste à la prestation
de serment des trois nouveaux membres du Conseil constitutionnel devant le
Président de la République ; il nous rejoindra dès la fin de cette importante
cérémonie.
6
MODIFICATION DE L'ORDRE DU JOUR
M. le président.
Mes chers collègues, je vous informe que M. le président du Sénat prononcera
l'éloge funèbre de Régis Ploton, sénateur de la Haute-Loire, le mercredi 25
mars 1998, à quinze heures.
L'ordre du jour de la séance du mercredi 25 mars est modifié en conséquence.
7
DÉPÔT D'UN RAPPORT DU GOUVERNEMENT
M. le président.
J'informe le Sénat que M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier
ministre, en application de l'article 21 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984
portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat, le
sixième rapport sur les mesures prises dans la fonction publique de l'Etat pour
assurer l'application du principe d'égalité des sexes.
Acte est donné du dépôt de ce rapport.
8
RÉDUCTION DU TEMPS DE TRAVAIL
Discussion d'un projet de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 286, 1997-1998),
adopté par l'Assemblée nationale, d'orientation et d'incitation relatif à la
réduction du temps de travail. [Rapport n° 306, (1997-1998).]
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le ministre.
(Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur les travées du
groupe communiste républicain et citoyen.)
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, le texte que nous examinons aujourd'hui
revêt une importance particulière, puisqu'il concerne la priorité centrale dans
l'action du Gouvernement, la lutte contre le chômage.
Il n'est plus nécessaire, je pense, de justifier cette priorité, chacun
connaît la réalité, chacun connaît les chiffres, chacun sait ce que ces
chiffres cachent : des hommes, des femmes, des jeunes qui, pour certains, ne
croient plus que la société peut leur faire une place, des situations de
détresse et de grande fragilité, le désespoir de ceux qui sont au chômage
depuis très longtemps.
La création d'emplois et la réduction du chômage constituent, nous le savons,
l'attente majeure de nos concitoyens. Ce projet de réduction du temps de
travail en est l'un des volets, car il vise à créer des emplois mais aussi à
libérer du temps et donc à améliorer les conditions de vie de nombre de nos
concitoyens.
Je tiens à le dire d'emblée, nous n'ignorons rien ni de l'évolution du monde
ni de l'interdépendance des économies à l'heure de la mondialisation, mais nous
récusons les logiques d'impuissance. Nous sommes en effet convaincus que, en
vertu de choix clairs, une société mobilisée sur des objectifs partagés autant
qu'il est possible peut changer profondément les choses. Nous sommes convaincus
qu'il n'y a pas de fatalité du chômage dans ce pays.
Le premier levier de l'action, c'est, bien sûr, d'abord, la politique de
croissance. Vous le savez, le premier souci du Gouvernement fut de rompre avec
une politique qui ponctionnait les ménages et avait pénalisé ces dernières
années la consommation et donc la reprise de la croissance interne.
Je vous le rappelle, nous avons enregistré, ces dernières années, un taux de
croissance inférieur à celui de nos partenaires européens. Aussi le
Gouvernement a-t-il décidé de relancer la consommation, bien sûr, en suscitant
la confiance autant que faire se peut, mais aussi en augmentant le revenu de
ceux qui en avaient le plus besoin. Cela s'est traduit par l'augmentation du
montant du SMIC de 4 % en juillet dernier, par le quadruplement de la prime de
rentrée scolaire, par la revalorisation de l'allocation logement, en
particulier en direction des plus modestes.
Dans le même esprit, le Gouvernement a engagé des réformes structurelles qui
visent à mieux équilibrer les prélèvements sur les revenus du travail et du
capital et à réduire le coût du travail, notamment sur les bas salaires. Cela a
été l'une des raisons du transfert des cotisations salariales maladie vers la
contribution sociale généralisée, la CSG, ainsi que de la réforme de l'assiette
des cotisations patronales de sécurité sociale, sur laquelle nous
travaillons.
Le transfert des cotisations maladie vers la CSG a permis aux salariés, dès le
mois de janvier, de constater, sur leur fiche de paie, une augmentation de 1,1
% de leur pouvoir d'achat et à 80 % des non-salariés de bénéficier d'une
croissance ou du maintien de leur pouvoir d'achat.
Parallèlement, nous en sommes tous convaincus, la croissance doit être plus
créatrice d'emplois qu'elle ne l'a été auparavant, surtout par rapport aux
autres pays. C'est la raison pour laquelle nous avons prévu, dans la dernière
loi de finances, un certain nombre de mesures fiscales en faveur de l'aide à la
création d'entreprises et du développement de nouvelles technologies. Là aussi,
nous savons que la France enregistre un retard par rapport à d'autres pays,
notamment, bien sûr, par rapport aux pays d'Amérique du Nord. Il nous faut donc
préparer les métiers de l'avenir. De même, la recherche doit être
encouragée.
Nous devons par ailleurs continuer à prendre des dispositions spécifiques pour
aider les secteurs d'activité fortement créateurs d'emplois ; je pense bien
évidemment ici aux petites et moyennes entreprises, mais aussi au secteur du
bâtiment. Comme l'avait annoncé M. le Premier ministre, le 10 octobre dernier,
des décisions très concrètes viennent d'être prises en ce qui concerne les
formalités administratives des PME, et le mouvement va se poursuivre.
Développer les emplois de demain, c'est aussi, et nous en avons longuement
parlé ici, l'objectif du programme dit « programme pour l'emploi des jeunes ».
Il vise, à partir des besoins de notre économie, de nouvelles activités qui,
aujourd'hui, ne sont pas solvables et donc pas organisées par le marché, et
permettra ainsi à 350 000 jeunes d'anticiper les métiers de demain en répondant
avec des métiers nouveaux à des besoins aujourd'hui mal satisfaits, qu'il
s'agisse des services aux personnes, de la protection de la nature, de la
qualité de la vie, de la sécurité ou encore de la valorisation du
patrimoine.
On peut dire aujourd'hui que ce programme a bien démarré, puisque 50 000
jeunes sont d'ores et déjà embauchés et au travail, tandis que les parcours de
professionnalisation sont en marche.
Cette politique, qui vise très simplement à répondre aux besoins et à redonner
confiance, commence à porter ses fruits : la consommation a repris, alors
qu'elle était quasi étale depuis le début de 1995 dans notre pays ; la
production industrielle s'est accrue de près de 9 % en 1997 ; l'investissement
reprend aussi, comme le montrent les derniers chiffres disponibles, et les
enquêtes d'opinion auprès des chefs d'entreprise comme de l'ensemble des
Français attestent le rétablissement d'une croissance.
Nous sommes donc sur une bonne courbe de croissance. Le Gouvernement met tout
en oeuvre pour que ce mouvement soit durable. Nous espérons, bien sûr,
constater progressivement les effets de cette politique sur le chômage. La
tendance s'améliore sur les quatre derniers mois, et le chômage a baissé,
parfois fortement.
Ce sont, à nos yeux, autant d'encouragements mais, dans un domaine comme
celui-là, nous devons rester prudents, garder le cap et conforter les
engagements et les décisions qui ont déjà été pris. Chacun sait, et ce point
fait l'unanimité des organismes d'études économiques, que, même avec une
croissance annuelle de 3 %, ce qui induit la création d'environ 200 000
emplois, le chômage ne diminue que de 70 000 emplois par an. Voilà ce que nous
pouvons attendre si nous en restons là, c'est-à-dire si nous ne faisons pas
tout pour que cette croissance soit encore plus riche en emplois et si nous
n'ouvrons pas toutes les pistes possibles.
J'ai parlé des nouvelles créations d'activités, mais il me faut aussi évoquer
la réduction du temps de travail.
Bien conduite, cette réduction du temps de travail est un outil puissant de
lutte contre le chômage. Je pense d'ailleurs que cette conviction n'est pas
seulement la nôtre, et qu'elle est de plus en plus largement partagée, ainsi
que j'ai pu le constater au cours des débats à l'Assemblée nationale. Nombre
d'intervenants, et sur tous les bancs de l'hémicycle - je pense, en
particulier, à MM. Barrot et de Robien - se sont en effet clairement exprimés
en ce sens : la réduction du temps de travail est aujourd'hui un outil
indispensable à la lutte contre le chômage. Ce sentiment a également été
exprimé au sein de la commission des affaires sociales du Sénat. Même si son
rapporteur, M. Souvet, conteste la nécessité d'une loi, ce qui nous sépare sur
la méthode, et préfère, pour sa part, un « reprofilage » de la loi Robien, une
majorité de la commission des affaires sociales considère avec lui, que « la
réduction du temps de travail peut sans doute créer des emplois ou en préserver
dans certaines entreprises, en fonction du contexte propre à chacune d'elles et
qu'elle peut permettre d'améliorer les conditions de travail et ainsi
constituer un des éléments du donnant-donnant qui constitue la base de tout
accord ».
Nous sommes donc, finalement, en majorité d'accord sur le fond, même si nous
sommes en désaccord sur la méthode.
J'espère que nos débats pourront montrer que le projet de loi offre de
meilleures conditions possibles, de meilleures chances possibles pour
développer la négociation sociale dans les branches et dans les entreprises et
pour permettre une forte création d'emplois, grâce à cette réduction du temps
de travail.
Il me semble que ce constat est aujourd'hui dresséau-delà de nos frontières,
même si chacun fait référence à son histoire sociale, à ses habitudes
culturelles, pour utiliser les instruments qui lui paraissent les plus
adaptés.
Lors de la réunion du G 8 à Londres, voilà dix jours, j'ai senti la conviction
de tous, y compris des Etats-Unis, du Japon et du Canada - c'est nouveau - que
le chômage et l'exclusion menaçaient non seulement la cohésion sociale mais
aussi le bon fonctionnement de l'économie, et que lutter contre le chômage
aujourd'hui, c'était aussi lutter pour un meilleur développement économique.
Face à ce constat, l'ensemble des représentants des gouvernements présents ont
exprimé la nécessité d'envisager toutes les pistes pour réduire le chômage.
D'ailleurs, dans le relevé de décisions, vous pourrez lire, et pour la première
fois s'agissant de ces instances, la conviction que la réduction et
l'aménagement du temps de travail peuvent être, doivent être, l'une de ces
pistes. D'ailleurs, comment en être surpris ? Comment ne pas penser à réduire
le temps de travail quand on constate que, depuis 1975, notre produit national
s'est accru de 60 %, alors que le volume de travail nécessaire à cette
production n'a pas varié ? Durant le même temps, pourtant, notre population
active s'est accrue de près de 4 millions de personnes. C'est ce décalage qu'il
faut combler par la réduction du temps de travail.
Je ne reprendrai pas ici l'histoire de la réduction du temps de travail que
j'ai été amenée, avec d'autres, d'ailleurs, à retracer devant l'Assemblée
nationale, nous la connaissons, elle fait partie de notre histoire commune.
La réduction du temps de travail est bien, en effet, un processus séculaire
qui va de pair avec l'amélioration de l'efficacité de l'organisation
productive.
C'est un souhait permanent des salariés que leurs efforts pour améliorer la
productivité permettent à chacun, en définitive, de disposer de plus de temps
libre, c'est-à-dire de plus de temps pour se former, pour s'occuper de sa
famille, pour prendre des loisirs ou s'investir dans une activité associative
ou - pourquoi pas ? - politique et, au bout du compte, pour améliorer ses
conditions de vie et pour mieux vivre avec les autres au sein de la société.
Précisément, dans une société en pleine mutation et de plus en plus complexe
comme la nôtre, nous avons besoin de beaucoup de temps, pour comprendre, nous
adapter et, en définitive, pour conserver individuellement et collectivement la
maîtrise de notre avenir et tisser avec nos voisins, dans nos villes, dans nos
quartiers dans nos immeubles, des liens sûrs, pour éviter que la cohésion
sociale ne se distende.
A cet égard, je m'insurge contre ceux qui seraient tentés d'opposer les
chômeurs, qui réclament du travail, aux salariés, qui souhaitent voir diminuer
leur temps de travail. Ces deux mouvements sont profondément cohérents et ils
le sont, en tout cas, dans toute l'histoire du mouvement ouvrier et du
mouvement des travailleurs dans notre pays.
Vouloir du travail traduit un désir évidemment légitime de dignité, de
responsabilité et d'autonomie. Réduire le temps de travail pour que le travail
n'écrase pas l'individu mais, au contraire, le respecte et le libère n'en est
pas moins légitime. Nous devons nous ancrer dans ces deux traditions, qui ne
sont pas contradictoires.
En entreprenant cette démarche, nous ne faisons pas « bande à part », comme je
l'ai entendu prétendre à plusieurs reprises. Les chiffres parlent d'eux-mêmes
et ceux que je cite, parce qu'ils émanent de l'OCDE, ne sont pas contestables :
durant les quinze dernières années, c'est plutôt notre pays, qui, avec la
Grande-Bretagne et le Portugal, a été l'exception en Europe. En effet, si la
durée du travail des salariés à temps plein - je laisse de côté le travail à
temps partiel, qui pose un autre problème - a diminué en Allemagne, aux
Pays-Bas, au Danemark, en Espagne, en Italie et en Belgique, en revanche, en
France, ce mouvement de réduction du temps de travail a cessé depuis 1983,
alors même que subsistent, dans notre pays, des horaires encore très
élevés,...
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
Dont acte !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
... puisque, aujourd'hui, 12 %
des salariés travaillent encore plus de 43 heures par semaine ! Il s'agit,
aujourd'hui, de reprendre ce mouvement, qui s'est interrompu, et qui est, je le
répète, un mouvement historique que notre pays, comme tous les pays
industrialisés, a connu.
Les experts étrangers le reconnaissent : la réduction du temps de travail a
créé et a préservé des emplois. La commission d'enquête sénatoriale l'a
d'ailleurs bien exprimé en soulignant que « dans certains pays comme aux
Pays-Bas ou, dans une moindre mesure, en Allemagne, la réduction du temps de
travail a favorisé la création d'emplois et la baisse ou la modération du
chômage ». Les modèles macroéconomiques ne disent pas autre chose. Il s'agit,
en la matière, non pas de faire des prévisions, mais bien de mettre en évidence
les conditions auxquelles la réussite d'une réduction du temps de travail se
trouve suspendue, comme l'a justement rappelé la commission d'enquête. Je me
réjouis que nous nous soyons compris sur l'objectif de ces études. C'est ni
plus ni moins ce que j'ai toujours indiqué. C'est dans cet esprit qu'ont été
avancées les possibilités de créations d'emplois liées à notre démarche de
réduction du temps de travail.
L'OFCE, l'Observatoire français des conjonctures économiques, la Banque de
France, mais aussi l'organisme Rexecode proche d'une grande organisation
patronale parviennent finalement aux mêmes conclusions en partant des mêmes
hypothèses. Si nous pensons que les gains de productivité tournent autour de 3
% par an si nous testons les hypothèses d'aide du Gouvernement et aucune autre
- certains nous ont reproché d'avoir donné des hypothèses aux organismes qui
ont réalisé ces études ; quel aurait été l'intérêt de tester des hypothèses qui
ne sont pas celles du projet de loi ? - et si nous considérons qu'une
augmentation salariale de l'ordre de 0,5 à 1 % par an est acceptable, tous les
organismes aboutissent quasiment aux mêmes chiffres, qui sont, je le répète,
des hypothèses, à savoir 450 000 emplois possibles dans les entreprises de plus
de vingt salariés et 700 000 emplois pour l'ensemble des entreprises
privées.
Bien évidemment, tout dépendra de la rapidité et de la qualité de la
négociation. Nous aurions bien plus intérêt dans notre pays à débattre des
conditions dans lesquelles la réduction de la durée du travail peut créer des
emplois que de nous jeter parfois des slogans à la tête. En effet, la situation
en matière d'emploi est telle qu'il faut se mettre le plus vite possible au
travail, c'est-à-dire à une table de négociation, afin de trouver les
meilleures conditions pour créer des emplois.
M. Raymond Courrière.
Très bien !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Dans chacune de ces études, la
seule situation qui conduit à une absence de création d'emploi, mais c'est une
lapalissade, est celle dans laquelle les entreprises ne réduisent pas la durée
du travail. C'est évident !
Il est d'ailleurs intéressant de reprendre la conclusion de M. Bernd Hof,
économiste à l'institut allemand Der Deutschen
Wirtschaft
pour évaluer
notre projet. Vous le citez d'ailleurs dans le rapport de votre commission
d'enquête sénatorale. A partir de l'expérience de son pays, il déclarait : « La
réduction du temps de travail a des effets positifs sur l'emploi, mais la
compensation salariale les réduit. La réduction du temps de travail réduit la
croissance de l'économie, accroît les coûts du travail et fait augmenter les
prix. La réduction du temps de travail entraîne une baisse des déficits
publics. L'emploi et les recettes fiscales augmentent, le chômage et les
transferts sociaux diminuent. » C'est précisément tout cet enchaînement
macroéconomique que nous nous sommes attachés à prendre en compte dans notre
projet de loi pour consolider les aspects positifs et pour contrecarrer les
aspects négatifs du raisonnement de M. Bernd Hof.
Dans notre dispositif, contrairement à ce qui s'est fait en Allemagne, nous
anticipons la baisse des déficits publics sous forme d'un abattement de charges
sociales en faveur des entreprises. De la sorte, nous contenons la hausse du
coût du travail. Nous facilitons, pour les entreprises, la maîtrise de la
compétitivité et, pour les salariés, le maintien du pouvoir d'achat. Nous
évitons dès lors les effets négatifs soulignés sur les prix et sur la
croissance.
Notre projet est tout l'inverse d'une construction intellectuelle comme cela
était indiqué dans le rapport écrit de votre commission. Il s'appuie sur une
analyse économique réaliste, nourrie de l'observation de l'étranger et de
l'expérience des entreprises qui ont réduit le temps de travail. Il traduit la
volonté de créer des emplois, de réduire le chômage et d'améliorer les
conditions de vie des salariés. Il peut constituer pour les entreprises, nous
le savons bien et elles nous le disent, une opportunité de rajeunissement par
l'embauche de jeunes, et de nouvelles compétences, et une occasion
d'intervention dans leur organisation du travail pour la rendre plus
performante.
En effet, il y a dans le fond, pour les entreprises, un formidable enjeu à
repenser l'organisation du travail en fonction des nouvelles exigences du
marché au moment où ce qui fonde la performance est de moins en moins
l'intensité quantitative du travail, mais bien plus la réactivité, les
compétences, les coopérations et l'autonomie.
Je sais que certains s'interrogent : pourquoi ne pas avoir fait confiance au
mouvement spontané de la négociation ? Il faut là regarder la vérité en face.
Moi aussi, je suis convaincue que c'est par la négociation décentralisée que
nous trouverons les solutions les plus adaptées. Nous le savons. Nous savons
aussi que les réponses peuvent être différentes selon que l'on se situe dans
une industrie aux investissements lourds en croissance, qui peut avoir besoin
d'augmenter le temps de fonctionnement de ses machines, dans une entreprise de
services, où il s'agit plutôt d'adapter les horaires à la demande du public, ou
dans nombre de secteurs où il faut prendre en compte la variabilité de la
demande sur l'année ou au gré de la conjoncture. Mais partout il s'agit de
trouver les moyens d'améliorer l'organisation du travail pour qu'elle soit plus
réactive et de meilleure qualité.
De même, nous savons que les souhaits des salariés ne sont pas les mêmes en
zone rurale ou en milieu urbain, selon que l'on a de jeunes enfants et que le
domicile est ou non éloigné du lieu de travail. C'est bien la négociation qui
permettra de prendre tout cela en compte et finalement de faire en sorte que
les accords soient « gagnant-gagnant ».
Pourquoi, dans ce contexte où l'on croit à la négociation, avoir présenté un
projet de loi qui, effectivement, dans son article 1er, « affiche la couleur »,
si j'ose dire, c'est-à-dire les 35 heures au 1er janvier 2000 pour les
entreprises de plus de vingt salariés et au 1er janvier 2002 pour celles qui en
comptent moins de vingt ?
D'abord, tout simplement, il faut le constater, parce que la négociation
spontanée dans ce pays est faible. Je ne connais pas de mouvement majeur en
matière sociale dans lequel la loi n'ait pas réussi sans la négociation, mais
je ne connais pas non plus de vaste mouvement de négociation qui se soit
déroulé seul et spontanément sans un lancement par la loi. C'est ainsi ! Nous
pouvons le regretter, mais telle est l'évolution historique des relations
sociales dans notre pays.
Rappelez-vous l'accord interprofessionnel de 1995. On nous disait alors que la
réduction et l'aménagement du temps de travail étaient en marche dans notre
pays. Or, trente accords de branche ont été conclus qui, pour la plupart,
concernent des « ponts » ou des modalités dans le calcul des pauses, et non la
réduction de la durée du travail. Certes, chaque année, des milliers d'accords
portent sur le temps de travail, mais, en règle générale, ils octroient une
journée exceptionnelle de repos, ils donnent le calendrier des ponts et des
congés, et peu d'entre eux traitent le vrai problème qui est la réduction du
temps de travail.
Il a fallu attendre la loi Robien, ce qui prouve bien que la loi lance le
mouvement, pour que le mouvement de réduction de la durée du travail ait une
impulsion, certes limitée, mais qui a l'intérêt d'exister. Ainsi, on dénombre
quelque 2 000 accords concernant 210 000 salariés depuis le démarrage du
dispositif. C'est sans doute peu, mais c'est nettement mieux qu'avant.
Toutefois, il faudrait, si nous restions dans le dispositif Robien,
soixante-dix ans pour toucher tous les salariés du secteur privé. Les 3
millions de personnes inscrites à l'ANPE, les 5 millions de nos concitoyens qui
recherchent aujourd'hui un emploi souhaitent que nous avancions des réponses
plus urgentes et plus rapides.
C'est pourquoi nous avons voulu, par le texte qui est soumis à votre
assemblée, marquer notre volonté en montrant clairement et fermement un cap,
celui qui est précisé, comme je viens de le dire, dans l'article 1er.
D'abord, la durée légale du travail à 35 heures au 1er janvier 2000 pour les
entreprises dont l'effectif est de plus de vingt salariés n'est pas un
couperet, puisqu'il s'agit justement de la durée légale du travail.
Ensuite, ce n'est pas un butoir, puisque le dispositif d'aide encourage les
entreprises qui vont plus vite et plus loin, notamment vers les 32 heures.
Enfin, ce n'est pas un carcan, et je vais essayer de m'en expliquer, puisque
le champ de la négociation est ouvert et immense. A cet égard, ceux qui
critiquent ce projet de loi formulent parfois des observations contradictoires.
En effet, ils lui reprochent d'être autoritaire mais, en même temps, de ne pas
tout traiter, à savoir les heures supplémentaires, la modulation et le travail
à temps partiel dans tous ses détails.
Or, il faut choisir. Nous avons choisi une loi qui fixe le cap et qui renvoie
à une seconde loi, prévue dans un an et demi, qui tirera les conséquences de
ces négociations. En effet, nous croyons à la négociation qui, je l'espère,
sera susceptible d'écrire un code du travail plus lisible, plus simple et
apportant des garanties, et qui prendra en compte l'état de la situation
économique.
Notre projet est souple puisqu'il laisse le temps de négocier, diversifie les
entreprises en fonction de leur taille et met en place un mécanisme
d'incitation dont le montant est d'autant plus élevé que la baisse de la durée
du travail et les créations d'emplois sont fortes. J'ajoute que l'aide
forfaitaire préconisée, contrairement à l'aide proportionnelle instaurée par la
loi Robien, bénéficiera aux entreprises créatrices de main-d'oeuvre ayant de
bas salaires, ce qui n'était pas le cas auparavant. C'est d'ailleurs ce qui
explique le coût très important de la loi Robien pour les finances
publiques.
La loi indique certains thèmes de la négociation, en particulier le niveau et
les échéances de la réduction du temps de travail, le volume des créations ou
des préservations d'emplois, les modalités d'organisation du temps de travail
et les délais de prévenance. Cependant, le texte renvoie à la négociation et ne
fixe pas les modalités particulières. C'est donc bien à l'échelon de
l'entreprise que doit être négocié l'ensemble des modalités qui feront que le
niveau, en matière d'emploi, sera plus ou moins élevé.
Par ailleurs, trouver un juste équilibre et apporter aux salariés les
garanties qu'ils attendent légitimement est un enjeu important. Si certains
souhaitent aujourd'hui plus de souplesse dans l'entreprise - et je crois
qu'elle est nécessaire et plus facile à réaliser à 35 heures en moyenne
hebdomadaire qu'à 43 heures - il faut que cela se fasse avec un certain nombre
de garanties. Des délais de prévenance, un encadrement des amplitudes, une
amélioration des conditions de travail, des compensations aux travaux pénibles,
c'est bien ce que prévoient les accords qui ont été signés.
L'article 4 du projet de loi comporte des modalités supplémentaires qui
peuvent intéresser tant les entreprises que les salariés, puisqu'elles
prévoient la possibilité de mettre dans un fonds les heures entre 35 et 39
heures, et donc de développer un compte épargne-temps qui pourra être utilisé à
l'intérieur ou au-delà de l'année, dans certaines limites.
Pour faciliter la conclusion d'accords, notre projet de loi prévoient des
possibilités de mandatement. Il s'agit de tirer les conséquences d'une
situation qui n'est pas satisfaisante, mais qui est la réalité : la grande
majorité des entreprises est dépourvue aujourd'hui de délégués syndicaux, et
donc de capacités de négocier. Sans entrer dans les détails - nous y
reviendrons sans doute - je soulignerai que le mandatement que nous avons
imaginé prévoit que ceux qui négocient sont des salariés de l'entreprise, mais
prévoit en même temps des garanties par le suivi que peuvent apporter des
organisations syndicales représentatives au niveau national. J'en arrive à un
des points importans qui a été soulevé lors du débat : le problème des
salaires. C'est bien sûr aux employeurs et aux représentants des salariés de
déterminer, par la négociation, les évolutions justes pour les salariés et
cohérentes avec la situation de l'entreprise et ses perspectives, compte tenu,
bien évidemment, du niveau des salaires et des effets multiples de la réduction
du temps de travail.
Dans ce domaine, le Gouvernement a exprimé son point de vue avec une grande
constance. Compte tenu des évolutions du pouvoir d'achat des salariés au cours
des années récentes, il n'est pas souhaitable que la réduction du temps de
travail se traduise par une baisse des salaires. Nous sommes convaincus que
cela ne serait pas juste pour les salariés et que cela serait néfaste du point
de vue économique, car cela pèserait sur la consommation. Mais affirmer cela ne
veut pas dire que, dans l'avenir, nous continuerons de faire comme s'il ne
s'était rien passé. L'évolution salariale doit tenir compte du fait qu'il y a
eu effectivement réduction du temps de travail dans l'entreprise. En fonction
du niveau de celle-ci, des évolutions de productivité induites par cette
réduction du temps de travail, des aides de l'Etat, des créations d'emplois et
de la situation des salariés au regard de leur situation financière, notamment,
je suis convaincue que l'on trouvera des accords pour que ce soit l'emploi qui
soit gagnant.
S'agissant du SMIC, j'ai donné des orientations, qu'il faudra sans doute
préciser dans le débat. Je les rappellerai simplement en cet instant.
Les salariés se demandaient si la réduction du temps de travail de 39 à 35
heures s'accompagnerait d'une réduction de leur salaire lorsqu'ils sont payés
au SMIC. La réponse est « non », bien sûr. A l'inverse, les entreprises se
demandaient si le SMIC allait augmenter de 11,4 % pour tous les salariés,
quelle que soit leur durée de travail, et quel que soit le mouvement ou le
non-mouvement qui aurait lieu. Là aussi, la réponse est « non ».
M. Charles Descours.
C'est merveilleux !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Ce n'est pas merveilleux, c'est
simplement une réponse qui se veut claire, monsieur le sénateur !
Nous souhaitons simplement, comme cela avait déjà été fait en 1982, maintenir
le SMIC horaire, avec ses modalités et son contenu, qui ne sont absolument pas
modifiés, et prévoir une garantie mensuelle de rémunération pour les salariés
qui sont payés au SMIC, dont la durée du travail est réduite à 35 heures. Voilà
ce que cela signifie !
Bien évidemment, cela pose des problèmes techniques : comment traiter les
heures supplémentaires ? Comment considérer les salariés à temps partiel ?
Comment évoluera cette garantie mensuelle de rémunération ? Il s'agit
d'éléments dont nous parlons actuellement avec les organisations patronales et
syndicales et qui seront traités, comme la loi l'impose - c'est d'ailleurs bien
naturel ! - au sein de la commission nationale de la négociation collective.
Enfin, je rappellerai que c'est dans la seconde loi que seront réécrits, en
principe, les éléments sur la modulation, qui sont extrêmement complexes dans
la loi actuelle et qui fixeront définitivement le statut des heures
supplémentaires, notamment celui de la majoration entre 35 et 39 heures.
Toutefois, pour que les entreprises puissent être totalement éclairées dans
les négociations qui seront les leurs, nous avons clairement indiqué dans
l'exposé des motifs - je le redis devant vous - que la majoration entre 35 et
39 heures ne pourra pas excéder 25 %, ce qui est aujourd'hui la règle
habituelle pour les heures supplémentaires.
Je sais que certaines auraient souhaité que soit fixé dès maintenant dans la
loi l'ensemble des modalités applicables au 1er janvier 2000. Toutefois, c'est
bien à la négociation, me semble-t-il, de nous offrir des solutions, et ce sera
à la représentation nationale d'en déterminer définitivement les modalités,
même si le cap et le coût maximal sont aujourd'hui affichés pour que les
entreprises puissent travailler dans la transparence.
Cette démarche - j'en suis convaincue, mesdames, messieurs les sénateurs - est
la bonne. Elle n'impose pas, mais elle montre le cap. Elle fait confiance aux
acteurs de la négociation et elle met notre pays en mouvement.
Certains s'interrogent, et on peut le comprendre, car la réduction de la durée
du travail engendre des changements profonds dans l'entreprise pour les
salariés, pour l'organisation du travail et pour le mode de fonctionnement de
ce dernier. A nous de les rassurer et de les convaincre que ce texte est
porteur de progrès social, de progrès pour l'emploi mais aussi de progrès
économique.
L'aide que l'Etat met en place - mais nous en reparlerons sans doute - couvre
largement, au-delà même, le coût de la réduction de la durée du travail pour
les bas salaires. Il s'agit d'ailleurs, par là-même, d'une aide à la réduction
du coût du travail pour les salariés les moins qualifiés dans notre pays.
M. Henri Weber.
Très juste !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Au-delà de ce que nous pouvons
entendre sur ce coût, j'invite les entreprises à lire la loi - je me réjouis
d'ailleurs de voir que, chaque jour, elles sont plus nombreuses à le faire
-...
M. Jacques Mahéas.
Eh oui !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
... ce qui est sans doute plus
utile que d'écouter des discours parfois un peu réducteurs. Je suis convaincue
que beaucoup d'entre elles, comme certaines commencent à le faire, engageront
des négociations après avoir lu et compris la loi définitive.
Nous avons là une occasion historique de déclencher le cercle vertueux de
l'amélioration de l'emploi et des finances publiques. Et ce projet de loi
offre, à mon avis, une réponse forte à ceux qui considèrent qu'il vaut mieux
payer les gens pour travailler que pour chômer et qui rêvent d'activation des
dépenses passives.
A ceux qui souhaitent légitimement un allégement de charges, nous proposons de
le faire, mais avec l'emploi comme contrepartie et pas de manière générale, ce
qui serait extrêmement coûteux et sans effets importants.
Ce projet de loi annonce deux caps qui seront traités dans le second projet de
loi : d'une part, la volonté de développer un temps partiel choisi et non pas
subi - plusieurs articles du projet de loi vont vers cette moralisation du
travail à temps partiel - et, d'autre part, la volonté de montrer qu'il n'est
plus acceptable, alors que notre pays connaît un taux de chômage aussi
important, que certains salariés travaillent de manière permanente 43 ou 44
heures par semaine.
Certains auraient sans doute souhaité que nous réécrivions tout de suite
l'ensemble du code du travail. Mais nous avons préféré lancer un mouvement et
faire confiance à la négociation.
Je crois que, face au chômage, les Français n'accepteraient pas que nous
laissions de côté une piste majeure pour la création d'emplois. Or, la
réduction du temps de travail en est une, comme tous les pays le reconnaissent
aujourd'hui, même si chacun utilise la voie la plus conforme à sa culture et à
ses relations du travail. Nous avons une chance, là aussi, de redonner espoir à
ceux qui attendent aujourd'hui sur le bord de la route.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la réduction de la durée du travail ne se
fera ni contre les entreprises ni contre les salariés. Elle se fera en faveur
de l'emploi, conformément à l'attente majeure de nos concitoyens.
(Très bien
! et applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du
groupe communiste républicain et citoyen et sur certaines travées du
RDSE.)
(M. René Monory remplace M. Jean Delaneau au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. RENÉ MONORY
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Louis Souvet,
rapporteur de la commission des affaires sociales.
Monsieur le président,
madame la ministre, mes chers collègues, après l'Assemblée nationale, c'est
maintenant au tour du Sénat de se prononcer sur le projet de loi d'orientation
et d'incitation relatif à la réduction du temps de travail.
L'urgence n'ayant pas été demandée, je me félicite que nous soyons amenés à
discuter de ce texte en y consacrant le temps nécessaire, avant qu'il ne soit
définitivement adopté. L'importance du sujet justifie en effet pleinement un
débat sérieux et approfondi, comme vous l'avez appelé de vos voeux, madame la
ministre.
Ce débat est d'autant plus nécessaire qu'il s'est à peine esquissé jusqu'à
présent.
(Protestations sur les travées socialistes.)
Le programme du parti socialiste prévoyait certes un abaissement de la
durée légale sans diminution de salaire ; mais il précisait également que cette
démarche devrait être portée par les partenaires sociaux. Or la conférence du
10 octobre n'a donné lieu, je le rappelle, qu'à un débat de façade, le
Gouvernement s'étant contenté de réunir les partenaires sociaux pour leur
annoncer sa décision. Les travaux de la commission d'enquête sénatoriale sur
les 35 heures sont éclairants à cet égard.
M. Alain Gournac.
Merci !
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Le débat n'a pas non plus véritablement eu lieu à l'Assemblée
nationale, le Gouvernement étant resté bloqué sur ses propositions
(Protestations sur les travées socialistes),
notamment sur l'article 1er
qui baisse la durée légale à 35 heures.
M. Jacques Mahéas.
Il faut lire les gazettes !
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Il nous revient maintenant de vous faire part de nos
remarques, de nos critiques et de nos propositions, car nous gardons en effet
l'espoir de vous faire revenir sur certaines dispositions de votre projet de
loi.
M. René-Pierre Signé.
Sûrement pas !
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Tout du moins, nous souhaitons démontrer qu'il est préférable
de poursuivre dans la voie d'une autre philosophie, qui fait de la réduction du
temps de travail un outil utile dans la lutte contre le chômage, mais de
manière négociée, volontaire et constructive, et sur le long terme, à des coûts
moindres pour le budget de l'Etat.
(Exclamations sur les travées
socialistes.)
Nous partageons en effet tous, ici, le souci de faire reculer le chômage qui
s'installe chaque jour un peu plus dans notre société.
M. Jacques Mahéas.
Il faut lire les statistiques !
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Certes, nos chemins divergent, mais l'objectif est le
même.
Si le chômage semble stabilisé, voire en légère régression, on constate que
son niveau est très élevé et qu'il devient structurel, ce qui signifie qu'il se
traduit par un chômage de longue durée, qui constitue bien souvent
l'antichambre de l'exclusion.
Nous avons tous constaté les limites des politiques de traitement social du
chômage menées depuis plus de quinze ans. Il importe donc aujourd'hui
d'explorer d'autres voies. Nous sommes tous d'accord là-dessus. Nous devons le
faire rapidement, car les Français s'impatientent, mais sans précipitation,
pour ne pas engager le pays dans une voie sans issue. Or tel est, selon nous,
le risque que vous avez pris, madame la ministre.
(M. Signé
proteste.)
En inscrivant délibérément votre texte dans la continuité historique, vous
espérez ne pas avoir à en justifier la pertinence.
M. Marcel Charmant.
Oh !
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Vous avez cité à maintes reprises, à l'Assemblée nationale en
particulier, la loi de 1936 et les mesures adoptées par le Front populaire.
Peut-être peut-on rappeler, madame la ministre, que les accords de Matignon
ont donné lieu à des augmentations de salaires de 20 %, que les congés payés et
la hausse des cotisations sociales ont représenté une hausse du coût du travail
de 6 % et que la majoration du salaire horaire compensant la réduction de la
durée du travail à 40 heures a représenté un surcoût de 20 %, soit, au total,
un accroissement de plus de la moitié du coût horaire de la main-d'oeuvre en
quelques mois ?
M. Bernard Piras.
Il faut le replacer dans le contexte économique de l'époque !
M. Marcel Charmant.
Regrettez-vous les 40 heures ?
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Si vous souhaitez intervenir, faites-le, mais ne
m'interrompez pas constamment de cette manière !
M. Claude Estier.
Vous, vous ne le faites jamais ?
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Ces dispositions ont enclenché une spirale inflationniste
accompagnée d'une dévaluation ; par ailleurs, le chômage a fortement augmenté.
L'échec économique était si évident en juin 1937 que le Sénat a décidé de
mettre un terme à cette expérimentation hasardeuse, en renversant le
gouvernement Blum.
(Exclamations sur les travées socialistes.)
M. Pierre Mauroy.
Quel Sénat ? Celui de la IIIe République !
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Je crains aujourd'hui que les mêmes causes ne produisent
demain sinon les mêmes effets - le contexte est en effet très différent - du
moins des effets que nos concitoyens auront beaucoup de mal à supporter.
M. Pierre Mauroy.
La référence au Sénat de la IIIe République n'en est pas une !
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Vous avez également cité la loi du 22 mars 1841 sur le
travail des enfants. Cette référence à François Guizot est à souligner.
Elle rappelle, en effet, qu'une politique économique fondée sur la libre
entreprise peut être conciliée avec des exigences sociales.
Je ne crois pas toutefois qu'il soit opportun de s'inscrire dans une
quelconque continuité, car le monde a changé depuis 1936 et 1982 ; les
errements économiques d'alors ont pu être réparés. Or il n'est pas sûr qu'il
puisse en être de même demain, dans un contexte de guerre économique exacerbée
dans lequel les parts de marché perdues ne peuvent être reconquises et se
traduisent inéluctablement par des chômeurs en plus.
M. Raymond Courrière.
C'est un vieux discours !
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Les références aux luttes sociales et aux conquêtes ouvrières
ne suffisent plus à justifier des décisions économiques aléatoires lorsque
notre avenir dépend des nouvelles technologies et que notre destin est
étroitement lié à celui de nos voisins européens. Nous ne pouvons plus nous
permettre ce genre d'incartades.
Vous considérez, madame la ministre, que la croissance ne suffit pas à réduire
le chômage. C'est exact : elle ne peut permettre de réduire que la composante
conjoncturelle du chômage, et c'est pourquoi la reprise qui se fait sentir
aujourd'hui devrait aboutir à une baisse du chômage de quelques centaines de
milliers d'unités, mais pas plus.
Cette légère baisse ne devra rien aux 35 heures et aux emplois-jeunes. Il
reste que la France devra toujours faire face à un taux de chômage sensiblement
supérieur à celui de ses partenaires. Puis-je rappeler que le taux de chômage
français se montait à 12,2 % en décembre, contre 4,7 % aux Etats-Unis,...
M. René-Pierre Signé.
Quels emplois ?
M. Louis Souvet,
rapporteur.
... 4,9 % aux Pays-Bas, 5 % en Suisse et au Royaume-Uni, 7,1
% en Autriche, 7,4 % en Suède et au Danemark ?
M. Claude Estier.
Et combien en Allemagne ?
M. Bernard Piras.
Comparez ce qui est comparable !
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Il faudrait que vous nous expliquiez, madame la ministre,
pourquoi vous choisissez une voie que nul autre pays n'a encore empruntée,
alors que les recettes d'une lutte efficace contre le chômage sont maintenant
connues : je vous renvoie d'ailleurs, à ce sujet, à l'excellent rapport de
l'OCDE, l'Organisation de coopération et de développement économiques, sur sa
stratégie pour l'emploi.
Vous nous avez parlé du G 8, voilà un instant, et vous avez dit que tous les
gouvernements s'accordent à reconnaître que c'est bien ; néanmoins, je n'en ai
pas encore vu s'engager dans cette direction.
M. Alain Gournac.
Aucun !
M. Jacques Mahéas.
Nous sommes les précurseurs !
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Nous pensons que le chômage n'est pas une fatalité ; nous
considérons également que l'intervention de l'Etat dans l'économie et les
entreprises n'est ni une fatalité ni une obligation. Tous les pays qui
réussissent s'en remettent d'ailleurs aux partenaires sociaux et au bon
fonctionnement des marchés pour trouver des solutions de compromis n'excluant
pas des considérations d'équité et la préservation de la cohésion sociale.
Comme le déclarait récemment Tony Blair
(Exclamations sur les travées
socialistes.)
,...
M. Pierre Mauroy.
Vous avez de bonnes références !
M. Louis Souvet,
rapporteur.
J'ai de bonnes lectures et de bonnes références !
(Sourires sur les travées socialistes.)
Comme le déclarait donc récemment Tony Blair - je ne cite pas sa fonction,
monsieur le Premier ministre ! - « il faut cesser de faire comme si la
flexibilité était incompatible avec la justice sociale, comme si la flexibilité
signifiait toujours l'injustice, et la justice la rigidité ». Vous le voyez,
j'ai de bonnes lectures !
M. Alain Gournac.
Très bien !
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Or, le projet de loi que vous nous proposez d'examiner
aujourd'hui constitue l'exemple même des rigidités qui peuvent être imposées
aux entreprises.
M. René-Pierre Signé.
Non !
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Il est le reflet d'une conception administrée de l'économie,
qui ne voit de salut qu'en l'intervention de l'Etat.
M. Alain Gournac.
Très bien !
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Votre projet de loi, madame la ministre, bute sur l'article
1er qui prévoit d'abaisser la durée légale du travail à 35 heures hebdomadaires
au 1er janvier 2000 ou au 1er janvier 2002 pour les petites entreprises.
M. Henri Weber.
C'était cela ou rien !
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Cette disposition générale et uniforme est incompatible avec
la diversité des situations dans lesquelles se trouvent les entreprises ; par
ailleurs, elle court-circuite les partenaires sociaux et met les entrepreneurs
le « dos au mur » avant les négociations que vous appelez de vos voeux.
J'ai l'impression que, si vous retiriez cet article 1er, nous pourrions
trouver un accord qui satisferait à la fois les entreprises et les salariés.
(Rires sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du groupe
communiste républicain et citoyen).
M. Marcel Charmant.
Non ! Nous ne serions pas d'accord !
M. Jean Chérioux.
Et pourquoi pas ?
M. Michel Duffour.
Provocation !
M. Louis Souvet,
rapporteur.
L'article 2 invite les partenaires sociaux à négocier.
Toutefois, l'un des termes de la négociation, l'un des éléments du «
donnant-donnant » - la réduction du temps de travail - est fixé à l'avance.
D'ici à penser que l'un des partenaires sociaux devra négocier « le dos au mur
», il n'y a qu'un pas que les entreprises ont unanimement franchi !
Par ailleurs, le projet de loi, différé dans son entrée en vigueur, est
également incomplet dans son dispositif, sur des points aussi essentiels que le
contingent autorisé des heures supplémentaires, le taux exact de leur
majoration ou la nature même du SMIC et de son évolution.
Il est vrai qu'une seconde loi est censée, en 1999, tirer les conséquences des
négociations auxquelles la première loi « appelle » les partenaires sociaux. Il
reste que les entreprises ignorent la teneur exacte de la « menace législative
» qui pèse sur elles si elles s'abstiennent de négocier. Nombreux sont les
juristes qui considèrent d'ailleurs que les entreprises ont intérêt à «
attendre le second texte de loi avant de bouger », cela en dépit du dispositif
financier incitatif.
M. Henri Weber.
Ils sont incompétents !
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Peut-on dès lors considérer qu'il s'agit d'une « réduction du
temps de travail bien menée, de manière décentralisée, par la négociation »
qui, seule, selon vous, madame la ministre, « peut créer des emplois, beaucoup
d'emplois » ? Mais vous ne pouvez ignorer que, comme vous l'avez d'ailleurs dit
voilà un instant, la réduction du temps de travail ne sera efficace que sous
condition d'une forte modération salariale. Tous les spécialistes, tous les
entrepreneurs sont d'accord sur ce point, qui n'est pourtant pas précisé dans
le projet de loi dont vous nous avez parlé voilà un instant !
La commission considère que ce dispositif, qui associe une disposition
autoritaire avec une entrée en vigueur reportée et une aide financière, est à
la fois pervers et fragile.
Ce dispositif est pervers, car les articles 1er et 3 constituent une tenaille
qui doit se refermer sur les entreprises pour les amener à créer des
emplois.
M. René-Pierre Signé.
Les Français ont voté en faveur de ce programme !
M. Louis Souvet,
rapporteur.
L'abaissement de la durée légale du travail, prévu à
l'article 1er, aura pour conséquence une majoration du coût des heures
travaillées entre 35 et 39 heures.
Dès lors, l'entreprise sera confrontée en réaction au choix suivant : ne rien
faire et supporter un surcoût salarial, réduire la durée du travail et
embaucher, substituer du capital au travail, c'est-à-dire réduire le temps de
travail, voire le nombre de travailleurs, au bénéfice d'investissements
matériels - et vous connaissez, madame la ministre, le processus qui passe par
l'informatisation et la mécanisation des postes de travail et qui,
malheureusement, supprime beaucoup d'emplois ou encore augmente la productivité
du travail en réorganisant la production sans embaucher - ou, enfin,
délocaliser son site de production vers un pays plus favorable à l'esprit
d'entreprise.
Il est probable que, sans subvention, les entreprises choisiraient l'une ou
l'autre de ces solutions en fonction de leur situation propre. L'aide publique
de l'article 3 a pour objectif d'influencer ou de guider le choix de
l'entrepreneur en l'amenant à réduire la durée du travail et à embaucher.
Nombre d'entreprises pourraient s'y résoudre puisque, à terme, elles
pourraient considérer qu'elles seront de toute façon confrontées à la baisse de
la durée légale. Dans ces conditions, entrer dans le dispositif pourrait être
considéré comme un moindre mal. Ce dispositif est donc pervers puisqu'il
pourrait amener une entreprise à adopter un comportement qu'elle réprouve pour
parer à une menace encore plus grande.
Par ailleurs, ce dispositif est fragile car il est fondé sur une dynamique de
la contagion. Et, pour peu que les entreprises temporisent jusqu'au second
texte, l'abaissement de la durée légale deviendrait probablement impossible.
La commission des affaires sociales n'a pas admis le caractère autoritaire de
l'article 1er et sa préférence va à un dispositif strictement volontaire qui
évite ce genre de biais et qui est d'autant plus nécessaire que nous
démontrerons au cours du débat que, pour s'assurer du succès politique de son
projet, le Gouvernement n'hésite pas à subventionner totalement les emplois
créés lorsque le salaire est au niveau du SMIC.
Le taux de couverture des salaires des nouveaux embauchés par le montant de
l'aide est de 104 %. Cela signifie que l'entreprise fait un bénéfice en créant
des emplois : on lui demande à peine de faire des gains de productivité. Cette
mesure est, par conséquent, coûteuse, antiéconomique et anticoncurrentielle.
C'est pourquoi la commission des affaires sociales proposera un dispositif
moins coûteux et, surtout, plus vertueux économiquement.
Je ne m'appesantirai pas sur les simulations économiques. Je vous renverrai
sur ce sujet à l'excellent rapport de la commission d'enquête sénatoriale sur
les conséquences des 35 heures, présidée par notre collègue Alain Gournac et
dont le rapporteur était Jean Arthuis.
Je rappellerai seulement les limites des simulations économiques qui reposent
sur des modèles keynésiens d'économie fermée, alors que l'économie française
s'inscrit au coeur de l'Europe et de l'économie mondiale. Nous avons reçu les
études économiques de la direction de la prévision ce matin ; il était temps !
Ces études sont, à cet égard, très intéressantes, puisqu'elles mettent en avant
le caractère restrictif des hypothèses et, donc, la fragilité extrême des
simulations. Mais je laisserai au président Fourcade le soin d'en parler plus
largement.
Dans ces conditions, même si les 35 heures peuvent effectivement permettre de
créer, par le biais de subventions, 200 000 emplois nets, l'économiste
Christian Saint-Etienne considère que rien ne permet d'exclure que ce chiffre
net puisse être la résultante de 300 000 emplois créés à l'étranger et de 100
000 emplois détruits en France.
La commission des affaires sociales estime, quant à elle, que la loi Robien
avait donné des résultats prometteurs.
M. Henri Weber.
Modestes !
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Elle rappelle que cette loi a déjà concerné plus de 150 000
salariés et qu'elle était fondée sur la libre négociation. Elle aurait tout à
fait pu faire l'objet d'un reprofilage. Son auteur vous l'a proposé, madame le
ministre.
Je rappelle qu'un rapport de la commission des finances de l'Assemblée
nationale d'avril 1997 avait évoqué une baisse de la durée d'exonération, une
modification des taux, ou encore un plafonnement.
M. Henri Weber.
Il sentait la déroute !
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Plutôt que de vous engager dans cette voie, vous avez choisi
celle d'un projet riche en incertitudes, des incertitudes budgétaires,
économiques et juridiques.
J'évoquerai tout d'abord les incertitudes budgétaires.
Votre dispositif d'aide est complexe. Il associe une aide dégressive en
fonction de la date de conclusion des accords, ainsi que diverses majorations.
On peut en estimer le coût à une cinquantaine de milliards de francs en année
pleine, qui viendront s'ajouter - cela n'a rien à voir, mais cela pèse tout de
même sur les finances publiques - au coût des emplois-jeunes, soit 32 milliards
de francs en vitesse de croisière.
La commission des affaires sociales a en effet estimé le coût brut du
dispositif d'incitation prévu par le projet de loi, selon les hypothèses
retenues, dans une fourchette comprise entre 183 et 312 milliards de francs
hors majorations sur cinq ans. Ces estimations ne prennent pas en compte les
retours attendus, notamment en termes d'indemnités de chômage, mais elles
permettent d'évaluer l'ampleur de l'investissement initial.
Par ailleurs, le principe du remboursement partiel des exonérations aux
caisses de sécurité sociale, que vous évoquez dans le préambule du projet de
loi, est contraire à la loi du 25 juillet 1994 relative à la sécurité sociale,
aux termes de laquelle « toute mesure d'exonération, totale ou partielle, de
cotisations de sécurité sociale... donne lieu à compensation intégrale aux
régimes concernés par le budget de l'Etat pendant toute la durée de son
application ».
Votre projet, madame le ministre, présente des incertitudes économiques liées
au SMIC, sur lesquelles le président Fourcade vous a déjà interrogée lors de
votre audition par la commission.
Je soulignerai, quant à moi, les incertitudes juridiques liées aux
conséquences des accords collectifs sur les contrats de travail individuels.
La commission des affaires sociales a procédé à l'audition d'éminents juristes
qui lui ont confirmé qu'une remise en question du salaire à la suite d'un
accord de réduction du temps de travail constituait une modification
essentielle du contrat de travail. Dans ces conditions, les salariés concernés
seraient fondés à demander à être licenciés avec indemnités.
Je vous ai interrogée par écrit, madame la ministre, et, dans votre réponse -
dont je vous remercie - vous avez estimé que ce risque était bien réel mais
qu'il ne devrait pas se réaliser très souvent.
Toutefois, il demeure que, dans certains cas, une entreprise pourrait être
amenée à licencier des salariés, le cas échéant au travers d'un plan social,
avant de pouvoir embaucher pour satisfaire aux exigences d'emploi de votre
dispositif. Cela serait pour le moins paradoxal, vous en conviendrez, madame le
ministre.
Après avoir exposé les incertitudes de votre projet, je soulignerai en
quelques mots les raisons pour lesquelles il pourrait augmenter, à terme, le
chômage et non le réduire.
Il s'avère tout d'abord que la durée du temps de travail ne constitue pas une
cause du chômage français.
(M. Signé rit.)
La Commission européenne
estime à 39,9 heures la durée hebdomadaire du travail dans notre pays, durée
qui est largement comparable à celle de nos voisins européens. De nombreuses
enquêtes montrent d'ailleurs que la réduction du temps de travail n'est pas une
priorité pour les salariés.
M. Alain Gournac.
Cela, c'est sûr !
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Dans ces conditions, madame la ministre, on a du mal à
comprendre comment la réduction du temps de travail pourrait réduire le
chômage. Des chômeurs mal formés ou trop exigeants en termes de salaires ne
trouveront pas plus un emploi demain du fait des 35 heures ! La baisse de la
durée légale du travail devrait avant tout se traduire par une augmentation des
salaires réels, et donc, à terme, du chômage structurel. C'est d'autant plus
vrai que nombre de salariés n'ont pas encore saisi si votre projet signifiait
35 heures payées 39 ou 35 heures payées 35, ce qui, bien évidemment, n'a pas le
même impact pour notre économie.
Le chômage français est essentiellement, en effet, de nature structurelle, ce
qui signifie qu'il est lié à un problème de salaires, à des insuffisances en
termes de formation, ou encore à un système d'indemnisation qui n'encourage pas
assez la reprise d'un emploi.
On sait que le Premier ministre a exprimé sa préférence pour une société
fondée sur le travail et non sur l'assistanat. Mais on ne voit pas le début de
la grande réforme du marché du travail qui est pourtant nécessaire, comme l'ont
rappelé encore dernièrement des études de l'OCDE ou de la fondation
Saint-Simon.
Je rappellerai enfin que votre démarche paraît incompatible avec le marché
unique et l'euro. La monnaie unique implique la flexibilité du marché du
travail et le choix d'un abaissement de la durée légale va à l'encontre d'un
tel objectif.
Face à cette démarche incertaine, quelle est la position de la commission des
affaires sociales du Sénat ?
Dans sa majorité, elle a la conviction qu'un dispositif général et autoritaire
de réduction de la durée du travail n'aura pas les effets escomptés sur
l'emploi.
Certes, une comptabilité administrative pourra toujours être tenue des emplois
créés grâce à un engagement des fonds publics. Mais qu'en sera-t-il des effets
d'aubaine, des emplois détruits ou délocalisés ?
Elle considère, en revanche, comme vous l'avez rappelé, madame la ministre, en
citant une phrase de mon rapport, que, librement négociée, associée à une
souplesse indispensable à la compétitivité de l'économie, la réduction du temps
de travail peut sans doute créer des emplois ou en préserver dans certaines
entreprises en fonction du contexte qui est propre à chacune : contexte
économique, contexte social, mais aussi contexte psychologique, c'est-à-dire
volonté commune.
Telle était la philosophie de la loi quinquennale de 1993, de l'accord de 1995
entre les partenaires sociaux, ou encore de la loi Robien de 1996. Telle est la
ligne de conduite dont la majorité sénatoriale continue à s'inspirer.
Dans ces conditions, les propositions de la commission s'articulent autour de
cinq points : premièrement, suppression de l'abaissement autoritaire de la
durée légale du travail ; deuxièmement, maintien d'un dispositif incitatif à la
négociation sur l'aménagement et la réduction du temps de travail ;
troisièmement, introduction d'un délai spécifique de négociation pour les
entreprises de moins de cinquante salariés ; quatrièmement, réaffirmation du
principe de la compensation intégrale pour la sécurité sociale des exonérations
de charges ; enfin, cinquièmement, suppression des principaux obstacles
introduits par le texte au développement du temps partiel.
Les principaux amendements proposés par la commission ont ainsi pour objet de
supprimer l'abaissement autoritaire et général de la durée légale du travail à
35 heures, d'appeler les partenaires sociaux à négocier les modalités d'une
organisation du temps de travail assorties d'une réduction de la durée
hebdomadaire du temps de travail calculée en moyenne annuelle sur tout ou
partie de l'année, de prévoir que la négociation se déroule librement selon la
règle du « donnant-donnant », qu'elle laisse la possibilité de moduler le temps
de travail sur tout ou partie de l'année, et qu'elle est stimulée par le
dispositif incitatif prévu à l'article 3.
Par ailleurs, le dispositif que nous proposons tient compte de la situation
des entreprises de moins de cinquante salariés - seuil plus significatif que
vingt salariés, nous semble-t-il - afin qu'elles disposent d'un délai
supplémentaire pour négocier.
Ces amendements ont enfin pour objet d'instituer un dispositif incitatif à la
négociation.
Le dispositif proposé est un « reprofilage » de la loi Robien ; il en retient
le principe d'une aide non pas forfaitaire mais proportionnelle aux salaires,
afin de ne pas pénaliser l'emploi qualifié ; il tient compte des principales
propositions d'amélioration émises à l'occasion des premiers bilans de la loi,
notamment de l'évaluation de la commission des finances de l'Assemblée
nationale en avril 1997.
L'exonération sera ainsi plafonnée pour que les effets d'aubaine soient
réduits et lissée dans le temps pour que le coût budgétaire soit mieux
maîtrisé. Recentrée dans le temps, l'aide sera accordée pour cinq ans au lieu
de sept dans le dispositif de la loi Robien. Elle sera limitée dans le temps -
les entreprises peuvent signer un accord jusqu'au 1er janvier 2000 ou jusqu'au
1er janvier 2002 pour les entreprises de moins de cinquante salariés - et elle
sera plus facilement accessible pour ce qui est des conditions posées pour les
embauches.
Le principe de la compensation intégrale des exonérations de charge pour la
sécurité sociale est réaffirmé et les dispositions pénalisant le travail à
temps partiel sont supprimées : suppression de l'abaissement du seuil de
déclenchement des repos compensateurs liés aux heures supplémentaires,
suppression des dispositions défavorables au temps partiel à travers la
modification de l'abattement incitatif, suppression des restrictions apportées
par le projet de loi au régime des heures complémentaires pour les salariés à
temps partiel.
Enfin, la perspective d'une extension de la réduction du temps de travail dans
les fonctions publiques est écartée ; il apparaît, en revanche, tout à fait
intéressant que le Parlement soit pleinement informé du bilan du temps de
travail effectif dans l'ensemble de la fonction publique.
Par ailleurs, la commission a souhaité conserver ou compléter un certain
nombre de dispositions du projet telles que la définition du temps de travail
effectif - article 4
bis
- la détermination des temps quotidiens de
repos - article 4
ter
- ou le maintien des cotisations d'assurance
vieillesse en cas de passage au temps partiel - article 8.
En résumé, les propositions de la majorité de la commission des affaires
sociales visent à faire en sorte que le projet de loi ne compromette ni le
dialogue social ni l'équilibre des comptes publics, mais parvienne à la fois à
une réduction progressive du temps de travail effectif et à une amélioration
durable de l'emploi.
Nous entendons fonder la politique de l'avenir non pas sur la méfiance mais
sur la confiance qui devrait s'installer entre nous, non pas sur le désespoir
mais sur l'espoir que notre fonction nous recommande d'inspirer. Et notre
espoir n'a qu'un visage : celui d'une France capable d'offrir du travail à ses
enfants, afin que chacun puisse y vivre dans la dignité.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
Monsieur le président,
madame la ministre, mes chers collègues, nous aurions pu débattre aujourd'hui,
comme nous l'avons fait en 1993 et 1996, du point de savoir si la réduction
effective du temps de travail peut être créatrice d'emplois, à quelles
conditions et selon quelles modalités.
En 1993, mes chers collègues, vous vous en souvenez, nous n'étions pas très
nombreux à penser que c'était une piste à explorer.
M. Henri Weber.
Cela, c'est bien vrai !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission.
Merci de votre approbation, mon cher
collègue, mais je vous dispense de continuer.
(Sourires.)
M. Henri Weber.
Je reconnais les faits !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission.
Mais, depuis lors, les partenaires sociaux se
sont engagés dans cette voie par l'accord du 31 octobre 1995. Nous les avons
aidés et incités à aller dans ce sens par la loi du 11 juin 1996, dite loi
Robien, qui était une loi d'initiative parlementaire.
Je crains que ce débat, madame la ministre, nous ne puissions pas l'avoir
aujourd'hui, car votre projet de loi nous impose d'examiner les conséquences de
la réduction de la durée légale du travail. Il s'agit là de deux questions très
différentes.
Entre la réduction de la durée légale et celle de la durée effective du
travail, il y a une différence qui n'est pas mince : seule la première se
décrète. C'est la raison pour laquelle je crois qu'il serait faux de dire que
nous sommes d'accord sur le fond et que nous divergeons sur la méthode : c'est
sur le fond que nous sommes en désaccord.
M. Henri de Raincourt.
Très bien !
M. Henri Weber.
Oui, sur le fond aussi nous sommes en désaccord !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission.
Ce n'est qu'à la fin des années soixante-dix
que la durée effective du travail s'est approchée des 40 heures, durée légale
décrétée en 1936, quarante ans plus tôt.
M. René-Pierre Signé.
Par les socialistes !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission.
La baisse, en 1982, de la durée légale de 40
à 39 heures a, semble-t-il, plutôt freiné l'évolution à la baisse de la durée
effective. Vous l'avez vous-même noté, madame la ministre : « Notre durée
hebdomadaire du travail ne diminue plus depuis 1983. » En effet, en 1997, nous
étions encore à 38,81 heures. Est-ce un hasard ?
On n'a jamais pu démontrer que la baisse de la durée légale du travail avait
un effet positif sur l'emploi : l'expérience montre que c'est plutôt le
contraire qui s'est produit.
L'article 1er de votre texte pose donc de sérieux problèmes, madame la
ministre.
(Exclamations sur les travées socialistes).
Monsieur le président, si ce que je dis n'intéresse pas certains, je peux
m'arrêter tout de suite ; mais je pense que, au sein du Sénat de la République,
toutes les opinions peuvent s'exprimer.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et
Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées
du RDSE.)
M. Marcel Charmant.
Les nôtres aussi !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission.
Vous les exposerez à la tribune tout à
l'heure !
M. René-Pierre Signé.
La parole est encore libre !
M. le président.
Cette attitude me surprend, mes chers collègues. En général, le Sénat est une
maison tolérante et calme, et je souhaite que cela continue.
(Applaudissements sur les mêmes travées.)
M. René-Pierre Signé.
On ne va tout de même pas tout subir, non !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission.
Madame la ministre, l'article 1er de votre
texte pose de sérieux problème, disais-je. Après l'excellent exposé de mon
collègue et ami Louis Souvet, je veux en mentionner deux : celui du SMIC et
celui des fonctions publiques.
La question du SMIC est bien au coeur du projet. En fixant une nouvelle durée
légale du travail, le Gouvernement, au travers de l'article 1er, conduit
mécaniquement à poser la question du niveau du SMIC mensuel calculé sur 35
heures.
Or, l'évolution du SMIC, qui concerne directement plus de 2 millions de
salariés, mais qui « diffuse », naturellement, à une plus large échelle, est un
choix économique déterminant.
Si la réduction du temps de travail se traduit par une aggravation des coûts
salariaux, vous savez - vous l'avez dit, d'ailleurs - qu'elle entraînera une
perte de compétitivité des entreprises et une augmentation du chômage : c'est
le scénario « catastrophe » que nous craignons tous et dont les emplois les
moins qualifiés seront les premières victimes.
C'est ce que démontre l'étude du ministère de l'économie et des finances que
j'ai reçue ce matin. Dans cette étude, où le ministère a procédé à trois
simulations, il est écrit : « Pour être favorable à l'emploi, le passage aux 35
heures ne doit pas se traduire par une augmentation durable du coût du travail
qui découragerait l'embauche et dégraderait la compétitivité de l'économie
française ».
(Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et
Indépendants et du RPR.)
M. Alain Gournac.
Tout est dit !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission.
Dans la troisième simulation, qui correspond
à une majoration de 11,4 % du salaire minimum interprofessionnel de croissance,
il est démontré qu'à l'échéance de 2002 il n'y aurait pas de créations
d'emplois supplémentaires.
(Très bien ! sur les mêmes travées.)
Sur un point aussi fondamental, les explications que vous venez de nous
donner, madame la ministre, et que j'avais sollicitées de votre part en
commission ne nous ont pas convaincus.
Vous demandez aux organisations patronales et syndicales de vous donner leur
avis, de vous dire comment elles entendent faire : mais, dès lors que le projet
de loi fixe, dans son article 1er, à 35 heures la nouvelle durée légale du
travail, deux choix clairs sont possibles.
On peut laisser le SMIC horaire inchangé - c'est la règle des 35 heures payées
35 - et le choix net du partage du travail et des rémunérations.
On peut considérer, au contraire, que le passage aux 35 heures se fait sans
diminution de salaire, et on revalorise le SMIC horaire de 11,4 % - c'est la
règle des 35 heures payées 39.
Je ne dis pas que le choix était facile. Vous avez d'ailleurs vous-même
expliqué tout à l'heure, madame la ministre, que, après un certain nombre
d'années de pincement du pouvoir d'achat, parler d'une stabilisation du SMIC
horaire était difficile. Mais vous ne pouviez pas non plus ignorer que vous
alliez vous heurter à cette question inextricable en décidant, par la loi, une
forte baisse de la durée légale du travail.
De fait, vous n'avez pas choisi. Le mécanisme inédit que vous avez esquissé
conjugue en effet un SMIC horaire qui reste en l'état et une rémunération
mensuelle minimale correspondant à l'actuel SMIC mensuel.
Il en résulte que les salariés payés au SMIC qui passeront à 35 heures seront
payés 39 heures. Cela veut dire que leur rémunération horaire progressera de
11,4 %.
Vous avez, en revanche, exclu que la rémunération des salariés restant à 39
heures puisse s'accroître automatiquement de 11,4 %, auxquels s'ajouterait la
rémunération des heures supplémentaires. Vous venez de le dire, et je vous en
donne acte.
Mais je doute, et nous doutons tous ici, que l'on puisse faire coexister
durablement des salariés travaillant 35 heures payées 39 et d'autres
travaillant 39 heures qui seraient payés 40 heures, si l'on accepte votre
hypothèse sur la majoration des heures supplémentaires.
En réalité, en fixant une nouvelle durée légale du travail, je crains qu'avec
ce texte vous n'enclenchiez inéluctablement, sous une forme ou sous une autre,
une forte majoration du SMIC. Cela me semble inévitable pour deux raisons.
La première tient au fait que la priorité pour les salariés, dans leur grande
majorité, particulièrement pour ceux dont les salaires sont bas, ce n'est pas
de travailler moins, c'est de gagner plus. Les organisations syndicales l'ont
bien compris, qui nous l'ont clairement indiqué lors des auditions préalables à
l'examen du texte en commission. Je vous renvoie, à cet égard, au procès-verbal
de l'audition des représentants de la Confédération générale du travail et de
Confédération générale du travail - FO.
La seconde raison, c'est que, le mécanisme que vous voulez mettre en place ne
pouvant se maintenir durablement, vous devrez le faire évoluer. Vous devrez
faire en sorte que la rémunération minimale mensuelle, qui ne peut être qu'un
mécanisme transitoire, soit rapidement absorbée par une série de « coups de
pouce » donnés au SMIC horaire, c'est-à-dire sa revalorisation rapide de 11,4
%.
Cette opération, qui était peut-être possible en 1982, quand vous étiez
Premier ministre, monsieur Mauroy, dans le cadre de la réduction d'une heure de
la durée légale et d'une inflation à deux chiffres, comment le sera-t-elle pour
quatre heures et dans un contexte de stabilité des prix exigée par nos
engagements européens ?
En quelque sorte, en touchant à la durée légale du travail, vous créez le
problème du SMIC, donc de l'élévation du coût du travail peu qualifié. Or, vous
savez comme nous qu'une hausse de 1 % du coût du travail peu qualifié entraîne,
à terme, une baisse de 0,6 % de la demande des employeurs pour ce type de
travail.
Alors, vous devez compenser, par une aide publique spécifique, la charge que
vous créez et le risque d'un chômage accru pour cette catégorie de population
déjà très vulnérable.
Nous sommes loin d'un débat sur l'abaissement du coût du travail peu qualifié,
qui relève de mesures structurelles et pérennes ; nous sommes loin du débat sur
l'impact d'une réduction de la durée effective du travail ; nous sommes dans un
débat sur le risque d'un chômage accru résultant de la baisse de la durée
légales.
MM. Jean Chérioux et Christian de La Malène.
Très bien !
M. René-Pierre Signé.
Vous n'avez jamais pu faire baisser le chômage ; vous pouvez donner des leçons
!
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission.
Le second problème posé par l'article 1er,
c'est celui de son extension aux diverses fonctions publiques, celle de l'Etat,
celle des collectivités territoriales, celle des hôpitaux.
Certes, les cinq millions d'agents publics ne sont pas directemement
concernées par le projet de loi. Mais, d'ores et déjà, le jour même de
l'adoption du texte en première lecture par l'Assemblée nationale, le relevé de
conclusions des négociations salariales dans la fonction publique se proposait
« d'analyser les implications de la perspective des 35 heures ». La formule,
habile, est un peu alambiquée, mais la direction est donnée.
L'article 10 du projet de loi voté par l'Assemblée nationale en première
lecture va dans le même sens puisque le rapport que le Gouvernement doit
remettre dans un an au Parlement devra porter sur « les perspectives de la
réduction du temps de travail pour les agents de la fonction publique ».
Le mouvement est donc lancé, sans que l'on perçoive l'objectif visé.
S'agit-il de créer des emplois dans la fonction publique ?
A priori
non, si j'en crois tant vos déclarations, madame la ministre, que celles du
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie devant la commission des
affaires sociales.
Dans ces conditions, l'objectif est-il d'améliorer les conditions de travail
dans la fonction publique ? La réduction du temps de travail s'inscrirait alors
dans une logique de progrès social dont il me semble que la fonction publique
n'est pas le champ prioritaire compte tenu de la garantie de l'emploi dont
bénéficient ses agents et d'une évolution du pouvoir d'achat plutôt supérieure,
désormais, à celle du secteur privé.
Si l'objectif n'est pas la création d'emplois, faudra-t-il tout de même
recruter pour compenser la réduction du temps de travail ?
Quel en sera le coût pour le budget de l'Etat, pour celui de nos collectivités
locales, qui seront déjà sollicitées au titre des associations qu'elles
subventionnent, pour celui de la sécurité sociale, enfin, à travers la fonction
publique hospitalière ?
Vous le savez, madame la ministre, les dépenses induites par la fonction
publique représentent, à elles seules, 40 % des dépenses du budget général, et
la marge de manoeuvre budgétaire qu'apporte la croissance - marge dont on parle
beaucoup actuellement - est déjà partiellement hypothéquée par le financement
de l'accord salarial dans la fonction publique conclu voilà quelques jours. Là
aussi, le choix de la réduction de la durée légale du travail risque de nous
entraîner dans des complications et des aggravations de dépenses qu'il est
impossible de mesurer aujourd'hui.
Le paradoxe de votre projet de loi sera peut-être, madame la ministre, de
manquer son effet, voire d'avoir un effet contraire, à l'égard des treize
millions de salariés du secteur marchand auxquels il s'applique et d'être un
plein succès à l'égard des cinq millions d'agents publics auxquels il n'est, en
théorie, pas applicable.
M. José Balarello.
Très bien !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission.
Telle est la raison pour laquelle le
rapporteur de la commission des affaires sociales, notre excellent collègue
Louis Souvet, propose de supprimer l'article 1er du projet de loi et souhaite
inscrire la réduction du temps de travail dans la philosophie qui était celle
de la loi quinquennale de 1993, de l'accord de 1995 entre les partenaires
sociaux et de la loi de 1996.
M. Alain Gournac.
Très bonne initiative !
M. Henri Weber.
Quel immobilisme !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission.
Madame la ministre, vous avez raison de
constater qu'il existe une forme de consensus sur un point, que vous formulez
ainsi : « Bien menée, de manière décentralisée, par la négociation », la
réduction du temps de travail qui n'est « ni une solution unique ni une
solution miracle », est une « piste à ne pas négliger » de création
d'emplois.
J'ajoute que, au niveau actuel du chômage dans notre pays, il serait vain de
privilégier une piste par rapport aux autres : l'allégement des charges
sociales, notamment pour les travailleurs les moins qualifiés, l'amélioration
de la formation des jeunes, l'assouplissement des règles du code du travail et
la décentralisation des actions en faveur de l'emploi ont autant d'importance
que la réduction de la durée du travail.
C'est pourquoi le dispositif que nous proposons au Sénat d'adopter repose sur
une réduction de la durée effective du travail librement négociée par les
partenaires sociaux et assortie d'une incitation à durée limitée ; c'est la loi
Robien reprofilée.
La loi Robien - vous l'avez dit vous-même, madame le ministre - est un
dispositif qui fonctionne, qui favorise le dialogue social. Certes, ses
conséquences financières sont sans doute trop lourdes, mais elle permet de
relancer la négociation et de stimuler les partenaires sociaux.
Dès lors, mes chers collègues, pourquoi se priver d'un tel instrument ? Au vu
de l'expérience et des premiers bilans, qui étaient prévus par la loi
elle-même, cet instrument peut être stimulé, ajusté, modéré dans son coût sans
perdre son efficacité.
C'est la position qu'a retenue la commission des affaires sociales, dans sa
majorité.
M. Alain Gournac.
Très bien !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission.
La croissance revient en Europe, mes chers
collègues, sauf événement dramatique venant d'Asie - mais nous le verrons
l'année prochaine - une croissance qui, dans notre pays, s'est enrichie en
emplois grâce aux mesures prises depuis plusieurs années par les gouvernements
qui se sont succédé, et les résultats que nous enregistrons aujourd'hui sont
autant dus à l'amélioration du commerce mondial qu'à tous les dispositifs qui
ont été mis en place dans ce pays depuis 1993.
M. Alain Gournac.
Très bien !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission.
Nous sommes aujourd'hui sur une pente
d'environ 300 000 créations d'emplois par an. Ce sont là les chiffres de 1997,
rendus publics par la DARES, la direction de l'animation de la recherche, des
études et des statistiques, qui est ici représentée.
Si notre dispositif permet, comme nous le pensons, de créer ou de préserver
100 000 à 150 000 emplois supplémentaires, nous aurons fait un grand pas en
avant, et ce pour un coût moyen annuel de l'ordre de 12 à 18 milliards de
francs lorsque le dispositif fonctionnera normalement. Nous pensons ainsi
pouvoir éviter les destructions d'emplois qu'entraînerait un dispositif général
et obligatoire de baisse de la durée du travail, qui ne peut évidemment pas
tenir compte de la spécificité des situations dans chaque secteur, dans chaque
entreprise, dans chaque établissement.
Vous avez souhaité, madame la ministre, que les choses bougent. Vous avez
déploré que, dans notre pays, il revienne à la loi de les « faire bouger ».
Votre collègue M. Dominique Strauss-Kahn dans un registre voisin, constatait
et déplorait que les évolutions se fassent, dans notre pays, par « soubresauts
».
M. Alain Gournac.
Eh oui !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission.
C'est peut-être là, au-delà de la polémique
et des arguments convenus, que se situe le coeur du débat.
Je crois, pour ma part, que le Gouvernement sous-estime la maturité des
Français ; ...
M. René-Pierre Signé.
Ils sont assez lucides, quand même !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission.
... ne fait pas assez confiance à la
négociation et néglige les exigences de la construction européenne.
M. Alain Gournac.
Absolument !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission.
C'est pour ces raisons que je souhaite
vivement que la majorité sénatoriale adopte les propositions raisonnables de sa
commission des affaires sociales.
(Très bien ! et applaudissements sur les
travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union
centriste.)
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 72 minutes ;
Groupe socialiste, 61 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 52 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 44 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 32 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 29 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe,
10 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, revendication
sociale majeure, la réduction du temps de travail a de tout temps suscité une
grande hostilité du patronat, celui-ci justifiant son opposition de principe
par un argument classique qu'il n'a eu de cesse de ressortir : la perte de
compétitivité des entreprises qui en résulterait a bloqué et continue de
freiner tout progrès.
Pourtant, depuis la loi dite « des huit heures » de l'après-guerre faisant
toujours suite à de forts mouvements sociaux, l'idée de la réduction du temps
de travail a fait son chemin ; la sacro-sainte compétitivité a pu être
maintenue, que ce soit, d'une part, par voie législative, en 1936, lorsque le
Front populaire a sanctionné légalement la revendication des 40 heures en
accordant deux semaines de congés payés ou, en 1982, lorsqu'un gouvernement de
gauche a fixé à 39 heures la durée hebdomadaire du travail et en allongeant
d'une semaine les congés payés, d'autre part, par voie contractuelle
conventionnelle, notamment par les accords de Grenelle.
Bien sûr, au départ, la question se posait à l'échelle de la journée pour très
vite se déplacer à celle de la semaine.
Certains sont tentés d'aller plus loin en situant le débat à l'échelle de
l'année. Je ne surprendrai personne dans cet hémicycle en réaffirmant notre
opposition farouche à une telle dérive, porte ouverte à tous les abus. J'aurai
d'ailleurs l'occasion de revenir longuement sur ce point.
Qu'en est-il de ce processus ancien et continu ?
Bien que les cadres normatifs soient très différents d'un pays à l'autre, le
Royaume-Uni n'ayant, par exemple, de référence ni légale ni conventionnelle
relative à la durée hebdomadaire du travail, laissant le soin à l'entreprise de
régler cette question, force est tout de même de constater une certaine
homogénéité des durées effectives moyennes annuelles pour les salariés à temps
complet de la Communauté européenne puisqu'elles se situent entre 1 710 et 1810
heures, et ce en tenant compte aussi du fait que le temps partiel qui a
véritablement explosé, surtout dans les Etats d'Europe du Nord, est responsable
le plus souvent de la diversité dans les évolutions récentes.
Quoi qu'il en soit, effectivement, il convient de noter que, dans sa globalité
et sur une longue période, la durée du travail a connu une baisse
indéniable.
Toutefois, en France comme en Europe, ce thème de la réduction du temps de
travail a été supplanté par un autre thème, celui de l'aménagement du temps de
travail.
La réduction du temps de travail, conçue par les salariés et leurs syndicats
comme un facteur efficace de lutte contre le chômage et comme vecteur
d'amélioration des conditions de travail, a été dévoyée par le patronat, les
employeurs n'ayant, le plus souvent, comme seul et unique souci d'intensifier
la production afin de dégager toujours plus de profits. Pour eux, la réduction
du temps de travail est accessoire. C'est une simple mesure d'accompagnement de
la réorganisation du travail rendue nécessaire par les nouvelles contraintes du
marché.
Ainsi, depuis les années quatre-vingt, la diversification des temps travaillés
au sein même de l'entreprise et
a fortiori
de la branche, de
l'organisation du temps de travail ont rendu bien illusoire la baisse effective
du temps de travail.
Dans son rapport, Jean Le Garrec pointe cette montée en puissance de la
volonté patronale de se servir comme d'un banal prétexte des négociations sur
la réductions du temps de travail pour imposer divers aménagements de la norme
hebdomadaire.
Je souscris totalement à ce constat et, durant les débats sur le projet de loi
qui nous est soumis, je dénoncerai sans détour les effets pervers de la
modulation de la norme légale hebdomadaire sur plusieurs semaines, voire sur
l'année, du retour en force du travail de nuit ou le week-end et de
l'augmentation du temps partiel imposé.
Je n'oublierai pas, bien sûr, de mentionner les tentatives diverses du
patronat, relayé par la droite, pour modifier le système de décompte des heures
supplémentaires, leur substituer un repos compensateur ou pour imposer une
modération salariale.
Sous prétexte de crise, l'idée de la nécessaire souplesse organisationnelle
des entreprises, afin de mieux s'adapter aux fluctuations du marché, s'est
répandue, s'est imposée. Sous la pression du chômage de masse dans une période
de forte rentabilité, les atteintes au progrès social ont été justifiées dans
notre pays. Le marché du travail s'en est trouvé complètement déséquilibré, le
rapport de force employés-employeurs induisant des conditions de travail
toujours plus difficiles et des rémunérations toujours tirées vers le bas.
Au regard d'un tel état des lieux, je ne trouve pas surprenant que les
Français jugent les chefs d'entreprise peu soucieux à 61 % du bien-être des
salariés et à 55 % de l'intérêt général. Ce constat, dressé par le journal
La Croix,
témoigne bien de l'état d'esprit dans lequel se trouvent les
salariés.
Majoritairement favorables à la réduction du temps de travail, ils sont
beaucoup plus sceptiques quant aux conséquences pratiques que pourrait avoir
pour eux cette loi. Ils doutent parfois qu'elle soit réellement créatrice
d'emplois.
Je comprends tout à fait leurs craintes concernant l'inaptitude du patronat à
améliorer la situation économique et sociale de la France. Un seul exemple
suffira à étayer mon propos.
Sur l'initiative du patronat en mai 1984, une tentative de négociation sur «
l'adaptation des conditions d'emploi » n'a-t-elle pas été conduite ? L'objectif
était de pouvoir amplifier le processus de dérogation contractuelle introduite
par l'ordonnance de 1982, en étendant la flexibilité à l'ensemble de la
législation relative à la durée du travail.
Le patronat proposait de négocier l'annualisation des horaires, les heures
supplémentaires, les congés payés, le travail à temps choisi, sans toutefois
évoquer de contreparties sous forme de réduction du temps de travail.
Bien entendu, les négociations ont échoué. Toutefois, les accords
d'entreprises sur la modulation hors cadre légal du temps de travail ont
foisonné. Les salariés ont subi.
Pour notre part, c'est avec beaucoup de conviction que nous entendons apporter
notre pierre à travers ce projet de loi d'incitation et d'orientation à la
réduction du temps de travail pour que le texte demeure un projet innovant et
qu'il soit effectivement à la hauteur des attentes des Français.
La France, quatrième puissance mondiale, deuxième pays d'accueil des
investisseurs étrangers en Europe, compte tout de même toujours plus de quatre
millions de chômeurs et RMIstes, près de trois millions de salariés percevant
un bas salaire inférieur au SMIC. Notre pays a lui aussi ses
working
poors
, ses actifs pour qui travail rime malheureusement avec précarité ;
c'est le modèle anglo-saxon.
Des frontières entre chômage et emploi de moins en moins nettes, voilà la
conséquence fâcheuse de cette dérégulation.
Rien d'étonnant alors qu'un peu avant les fêtes de Noël, lorsque les privés
d'emplois ont fait irruption sur la scène sociale, une large frange de la
population ait reconnu leurs revendications comme légitimes !
Les actions convergentes menées côte à côte par les salariés et les privés
d'emplois ont permis de mettre en avant l'imbrication entre hausse des minima
sociaux et revalorisation du SMIC. Elles ont servi à faire prendre conscience
qu'il était impératif que la loi sur les 35 heures puisse se traduire par des
emplois stables.
Dans une étude récente d'
INSEE Première
, un grand quart de Français
interrogés citent le travail comme préoccupation essentielle parce qu'il
procure des revenus, mais aussi et surtout un statut social, comme synonyme du
bonheur.
Cet exemple témoigne, s'il en était encore besoin, de l'acuité du problème du
chômage, des drames qu'il génère, mais surtout de l'urgence de solutions
nouvelles.
Une croissance forte, soutenue, n'est pas à même de résorber seule le chômage.
Pour que celle-ci puisse être riche en emplois, la réduction du temps de
travail est une des pistes qui mérite d'être suivie, explorée.
Conquête sociale, moyen de travailler moins pour travailler tous, ou moyen de
travailler moins pour travailler plus ; vecteur d'amélioration des conditions
de vie familiale, associative, la réduction du temps de travail se présente
aussi et surtout comme un formidable levier pour l'emploi.
Dans le contexte social actuel, cet outil de lutte contre le chômage ne peut
être négligé.
De plus, il doit nécessairement être couplé avec d'autres mesures telles que
la prévention et le contrôle des licenciements, la relance de la consommation,
la réforme de la fiscalité taxant plus les profits financiers, la réforme des
cotisations sociales... Nous espérons que la réduction du temps de travail sera
l'occasion de voir s'affirmer d'autres choix de société, un autre partage -
plus équitable - des richesses dans notre pays.
Revendication ancienne de notre groupe politique, la réduction du temps de
travail sans diminution de salaire, inscrite dans la déclaration commune parti
communiste-parti socialiste d'avant les élections législatives, est aujourd'hui
en passe d'être confirmée légalement.
Je me félicite de cette démarche volontariste du Gouvernement. Voilà bientôt
vingt ans que le processus de réduction du temps de travail était en panne,
faute de négociations collectives.
Pour pallier le manque de dynamisme et modérer l'appétit du patronat dans sa
quête de toujours plus de flexibilité, il était primordial que l'Etat, garant
de l'ordre public social, intervienne pour inverser la tendance.
En fixant un cadre, une nouvelle durée légale du travail, une date butoir, ce
projet de loi a le mérite d'impulser les négociations, de relancer le dialogue
social.
Cherchant à moraliser le temps partiel, le recours aux heures supplémentaires,
le projet de loi entend mettre de l'ordre dans les dérives passées.
Des questions cruciales telles que le SMIC, les heures supplémentaires,
restent tout de même en suspens.
Certains points peuvent être précisés concernant le mandatement.
Je compte sur vous, madame la ministre, sur le jeu des navettes
parlementaires, pour apporter d'utiles précisions au texte, l'améliorer pour
qu'il ne puisse être aucunement dévié de son objectif principal : la création
de milliers d'emplois.
A l'Assemblée nationale, mes amis du groupe communiste et apparenté ont
largement contribué à éviter les dérapages éventuels en faisant adopter un
certain nombre d'amendements : le suivi des accords dans l'entreprise par une
commission paritaire ; le remboursement de l'aide par l'entreprise qui ne
respecte pas ses engagements ; l'assistance du salarié mandaté par un collège
lors des négociations ; le paiement du temps consacré à la négociation.
En revanche, des amendements importants à nos yeux n'ont pu être satisfaits.
Je pense notamment à ceux qui portent sur la nature de l'aide apportée aux
entreprises, sur le volet défensif prévu à l'article 3 et destiné à éviter les
licenciements, sur le niveau de rémunération des heures supplémentaires ou les
contingents d'heures supplémentaires autorisés.
Vous comprendrez, madame la ministre, mes chers collègues, que les points
évoqués précédemment seront intégrés à notre panoplie d'amendements et qu'en
temps utile nous ne manquerons pas d'intervenir pour les défendre.
De plus, étant admis que l'avenir de ce projet de loi se jouera en grande
partie lors des négociations, nous avons tenu à traiter la question de la
qualité de ces accords, de leur validité au regard des accords de branches plus
favorables, du suivi de ceux-ci, avec précision, par le biais d'autres
amendements.
Mon collègue et ami Michel Duffour interviendra d'ailleurs tout à l'heure plus
précisément sur la question des négociations collectives et du mandatement.
Enfin, pour conclure sur notre positionnement dans ce débat, j'indique que le
groupe communiste républicain et citoyen et moi-même, entendons résolument nous
opposer aux modifications substantielles apportées au projet de loi par la
majorité de la commission des affaires sociales.
Cette attitude sans surprise de la droite sénatoriale fait suite au blocage de
principe du CNPF à l'égard du texte relatif à la réduction du temps de travail,
d'une part, et à la constitution de la pseudo-commission d'enquête sur ce
thème, d'autre part.
Pourquoi le CNPF est-il parti véritablement en croisade contre les 35 heures
?
Les risques de perte de compétitivité, de délocalisations, de fuite des
investisseurs étrangers sont-ils réels ou constituent-ils de simples arguments
mensongers servant une tactique politicienne ?
Toutes ces questions trouveront naturellement une réponse au cours des
débats.
Néanmoins, j'apporte tout de suite un premier élément de réponse. Si la
réduction du temps de travail a soulevé autant de controverses, c'est qu'elle
risque non seulement de toucher aux rapports de force existant entre salariés
et employeurs, mais aussi de faire reposer le débat sur le rôle des différentes
générations, des hommes et des femmes dans la société.
Surtout, la réduction du temps de travail sans diminution de salaire touche au
très sensible problème de la répartition des richesses entre profits et
salaires.
Ainsi, lorsque Ernest-Antoine Seillière de Laborde en appelle à l'intérêt des
entreprises, il confond cet intérêt avec celui des seuls chefs d'entreprise et
gros actionnaires qui empochent les dividendes !
Fidèle à son attitude « responsable » et « constructive » déjà adoptée lors de
précédents textes - je fais référence ici aux projets de loi relatif aux
emplois-jeunes ou à celui qui portait sur le financement de la sécurité sociale
- la majorité de la commission a une fois de plus profondément dénaturé le
texte. La réduction du temps de travail n'est plus abordée comme une fin en
soi, mais comme une mesure d'accompagnement de l'annualisation et de la
flexibilité du travail.
Par ailleurs, ces messieurs admettent, contrairement au CNPF, que la réduction
du temps de travail peut être créatrice d'emplois, ils se sont donc employés à
« reprofiler » la loi Robien et à faire sauter les verrous du temps partiel,
vidant ainsi la loi de toute sa potentialité.
Le 13 février 1996, nous avions opposé à la proposition loi Robien une
question préalable...
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission.
Oui !
M. Guy Fischer.
... jugeant que ce texte allait à l'encontre du monde du travail...
Mme Hélène Luc.
Oui !
M. Guy Fischer.
... refusant l'équation : annualisation, réduction du temps de travail.
A l'époque, le rapporteur du texte, M. Souvet, doutait lui-même de
l'opportunité de son adoption. Je constate qu'aujourd'hui ses doutes se sont
dissipés.
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission.
Eh oui !
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Ce n'est pas aussi simple que cela !
M. Guy Fischer.
A l'époque, il était allé jusqu'à demander un scrutin public !
En ce qui nous concerne, dans les prochains jours, nous entendons faire
entendre une autre voix que celle de l'ultralibéralisme. Ce sera le sens de nos
sous-amendements et des articles additionnels que nous proposerons. Ils auront
au moins le mérite de faire se prononcer le Sénat sur des questions
essentielles. Ce contre-projet, imprégné par l'idée récurrente que, pour créer
des emplois, il suffirait de baisser le coût du travail, ne peut que susciter
notre rejet.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe
communiste républicain et citoyen ainsi que sur certaines travées
socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Gournac.
(Applaudissements sur les travées du
RPR.)
M. Alain Gournac.
Je me suis demandé, madame le ministre, si le dessinateur qui, dans le style
du peintre Fernand Léger, avait mis en scène pour un hebdomadaire le projet de
réduction du temps de travail à 35 heures n'avait pas, à sa manière, assez bien
saisi l'intention du Gouvernement.
C'est comme si ce dessinateur avait compris que, avec ce projet de loi sur les
35 heures, le Gouvernement avait voulu renouer avec l'histoire, notamment avec
1936, dont Fernand Léger semble parfois avoir été l'illustrateur.
M. Henri Weber.
Aucun rapport !
M. Alain Gournac.
C'est comme si ce dessinateur avait décelé que votre projet de loi était, dans
son ambition, également un pastiche des lois de 1936 relatives aux congés payés
et à la semaine de 40 heures. Or, nous sommes dans un contexte économique et
social bien différent.
(MM. Autain et Weber protestent.)
Votre collègue au Gouvernement M. Dominique Strauss-Kahn a raison de souligner
qu'en se plaçant dans une perspective de longue durée, nous assistons à une
baisse tendancielle du temps de travail dans les pays industrialisés.
Toutefois, il me semble important de préciser que, durant tout le XIXe siècle,
notamment depuis la loi du 22 mars 1841 interdisant le travail avant l'âge de
huit ans, c'est essentiellement la lutte contre l'effroyable pénibilité du
travail ouvrier qui constitue la raison première de ces réductions du temps de
travail.
La période de temps considérée par les différentes lois qui se sont succédé a
subi un élargissement progressif. Il s'agit d'abord, au XIXe siècle, de la
journée de travail, puis, dans le premier tiers du XXe siècle, de la semaine de
travail. Il s'agit ensuite de l'année de travail à travers la création et
l'extension des congés payés et, enfin, nous prenons aujourd'hui en compte la
durée de la vie active avec l'âge avancé du départ en retraite.
Cet élargissement de la durée considérée s'accompagne du passage de la prise
de conscience du caractère aliénant du travail au siècle passé à la prise de
conscience du caractère non moins alinéant du manque de travail à notre
époque.
Il est clair que ces deux prises de conscience, pour différentes qu'elles
soient, ne sont pas exclusives l'une de l'autre. Bien au contraire, elles se
conjuguent.
Dans le programme du parti socialiste, elles recevaient deux réponses claires
et distinctes.
Pour lutter contre le chômage, il fallait « créer des emplois », c'était
l'intitulé d'une rubrique.
L'objectif était de créer « 700 000 vrais emplois pour les jeunes ». Pour
lutter contre une certaine pénibilité propre à tout travail il fallait, par
ailleurs « réduire le temps de travail ». « Aujourd'hui, indiquait ce
programme, la machine permet des gains de productivité dont l'homme doit
bénéficier. Nous proposons de ramener progressivement la durée légale du temps
de travail de 39 heures à 35 heures sans diminution de salaire. »
Autrement dit, la baisse tendancielle du temps de travail qu'observe M.
Dominique Strauss-Kahn a une finalité instable et évolutive. Celle-ci était au
départ l'augmentation, pour le travailleur, de son temps de loisir, d'où les 35
heures payées 39.
Cette finalité devient à l'arrivée, sans que l'on ose toutefois la renier
entièrement, 35 heures que l'on n'ose pas payer 39, puisqu'il s'agit
d'augmenter non plus le temps de loisir des salariés, mais le nombre des
emplois.
Toute l'ambiguïté de votre démarche est là, madame le ministre, et je ne suis
pas sûr que les pays vers lesquels vous vous tournez pour conforter vos
analyses et vos décisions aient confondu les deux finalités. Au contraire,
dirai-je même.
Le « mieux vivre » pour chacun et le « plus de travail » pour tous sont des
aspirations qui se sont exprimées parallèlement - je pense notamment au
développement du temps partiel - et mises en place spontanément et sans
confusion dans ces pays.
Votre texte, dont je ne critique pas l'inspiration généreuse...
M. Ivan Renar.
C'est déjà ça !
M. Alain Gournac.
... est, en fait, brutal. Son autoritarisme semble être la seule solution que
vous ayez trouvée pour sortir de l'impasse que constitue cette confusion.
Madame le ministre, si vous n'aviez pas laissé entendre que ces deux finalités
pouvaient être recherchées simultanément, la chose eût été plus simple, le
dialogue possible et l'autoritarisme inutile.
(C'est vrai ! sur les travées du RPR.)
En effet, l'idée de la réduction du temps de travail est assez simple :
il serait possible de diminuer le chômage en partageant le travail. Si l'on
suit cette logique, une diminution du temps de travail d'environ 10 % - ce qui
équivaut au passage de 39 heures à 35 heures hebdomadaires - créerait 10 %
d'emplois supplémentaires.
La question est de savoir qui finance le coût de cette loi ?
Les salariés ? Il faudrait qu'ils acceptent une diminution de leur
rémunération à due concurrence, c'est-à-dire qu'ils abandonnent l'autre
finalité, à savoir « plus de moyens pour plus de loisirs ». Le Premier ministre
a éliminé cette solution comme anti-sociale.
Les entreprises ? Il faudrait qu'elles maintiennent les salaires des
personnels en place tout en embauchant pour compenser les quatre heures non
travaillées. M. le Premier ministre a exclu, à juste titre, cette possibilité
comme anti-économique.
Entre des mesures antisociales et des mesures anti-économiques, la marge de
manoeuvre est étroite, c'est le moins qu'on puisse dire. Le Gouvernement a
inventé un système dont le coût définitif pour le pays est difficilement
chiffrable.
L'aide de l'Etat, si elle est certaine dans son principe, est incertaine dans
son montant. Par ailleurs, les gains de productivité des entreprises qui
pourraient compenser l'augmentation des coûts du travail sont incertains
également et en tous les cas impossibles à évaluer. De plus, l'acceptation par
les salariés d'un gel des salaires, au dire des représentants des organisations
syndicales, n'est pas du tout à l'ordre du jour.
Examinons l'aide de l'Etat. Pour 1998, le dispositif devrait permettre la
création de 21 000 emplois nouveaux. En conséquence, 350 000 salariés seraient
concernés par la réduction du temps de travail. A raison de 9 000 francs de
prime par salarié passé à 35 heures, ce dispositif coûterait environ trois
milliards de francs, qui ont bien été inscrits dans la loi de finances pour
1998.
A partir de l'an 2000, mes chers collègues, la mesure devenant obligatoire
pour les entreprises de plus de vingt salariés, ce sont treize millions de
salariés qui devraient être concernés par une prime cette fois de 5 000 francs,
ce qui représenterait un coût total, par an, pour l'Etat, de soixante-cinq
milliards de francs.
Le Gouvernement affirme que cette évaluation ne prend en compte ni les
recettes engendrées par les cotisations sociales des nouveaux employés ni les
rentrées de TVA consécutives à une consommation qui serait ainsi relancée.
Mes chers collègues, je ne peux partager l'optimisme budgétaire du
Gouvernement.
Je crains que nous ne rencontrions des difficultés budgétaires en pleine
période de transition vers la monnaie unique si l'Etat commence - ce serait
d'ailleurs une première - par verser plusieurs dizaines de milliards avant de
percevoir les recettes escomptées !
Je ne crois pas que les partenaires sociaux accepteront de prendre à leur
charge le manque à gagner de la sécurité sociale dû à l'abattement des
cotisations patronales.
Quant aux gains de productivité, je ne vois pas quelles prévisions sérieuses
il est possible de faire. Dans les services ou les petits commerces, ces gains
seront, à n'en pas douter, fort réduits sinon inexistants.
M. Jean-Patrick Courtois.
Tout à fait !
M. Alain Gournac.
En revanche, dans les secteurs de productivité, pour l'essentiel, ils seront
affectés à la défense des parts de marché afin d'assurer le maintien de la
compétitivité.
Quant aux salariés, toutes les auditions que nous avons organisées avec mes
collègues de la commission d'enquête sur les conséquences des trente-cinq
heures confirment qu'ils ne souhaitent pas travailler moins, mais qu'ils
veulent gagner plus !
M. Jean-Patrick Courtois.
C'est vrai !
M. Alain Gournac.
Devant autant d'incertitudes, pourquoi ne pas adopter une attitude responsable
?
Si nous devons avoir la modestie de reconnaître que nous avons tous échoué
face au chômage - et je vous donne acte de la vôtre, madame le ministre, comme
vous prendrez sans doute acte de la mienne - nous devons continuer sur la
lancée d'une telle modestie et nous méfier dorénavant des théories et des
prévisions sur lesquelles nous fondons en la matière nos décisions.
Etes-vous sûre, madame le ministre, que la réduction autoritaire du temps de
travail exprime une telle prudence... si souvent recommandée par les experts
?
La négociation ne serait-elle pas une forme plus convenable ? Le dialogue
social autour d'une table et non pas dos au mur n'aurait-il pas plus de chances
d'aboutir à des accords susceptibles de conjuguer les deux finalités dont j'ai
parlé tout à l'heure ?
Il y a tant d'incertitudes dans l'affaire qui nous préoccupe et tant
d'assurance dans l'attitude du Gouvernement qu'il y a de quoi être troublé !
L'essentiel est à étudier, à mettre au point... mais la décision est déjà
prise.
Prenons un exemple que vous connaissez, madame le ministre, puisque je vous en
ai déjà fait part. C'est celui d'une entreprise de cent salariés qui embauche
six personnes.
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Ah oui !
M. Alain Gournac.
Cette entreprise diminue, bien sûr, son temps de travail de 10 % ! Elle va
toucher - il s'agit de la première année - 106 fois l'aide de l'Etat de 9 000
francs soit 954 000 francs. Elle touche donc, par personne embauchée, 954 000
francs divisés par six personnes, soit 159 000 francs.
M. Serge Vinçon.
Exact !
M. Alain Gournac.
Un commerce avec deux salariés qui embauche une personne - elle diminue, bien
sûr, son temps de travail de 10 % - va toucher trois fois 9 000 francs, soit 27
000 francs, ce qui fait, puisqu'il n'a embauché qu'une personne, 27 000 francs
par personne.
L'application des termes de la loi conduit à des aberrations et à des
injustices. Plus l'entreprise est grande, plus elle bénéficie de l'aide de
l'Etat... par personne embauchée.
Quand on sait que les petites et moyennes entreprises étaient celles qui
créaient véritablement de l'emploi dans le secteur marchand, on reste étonné,
très étonné même, que le texte du Gouvernement puisse les oublier avec une
inconscience qui frise la désinvolture.
Entre 1981 et 1996, en quinze ans, les établissements employant moins de
cinquante salariés ont créé 1 248 000 emplois. Or, pour créer des emplois, ces
PME ont besoin de disposer notamment de souplesse - je suis d'ailleurs heureux,
madame le ministre, de vous avoir entendu parler de souplesse pour la première
fois - dans le domaine du temps de travail.
La réduction obligatoire et uniforme de la durée légale du travail serait
particulièrement grave pour l'ensemble de ces entreprises.
Comment voulez-vous qu'une petite entreprise composée d'emplois spécialisés et
non interchangeables - un ingénieur, un contremaître, un commercial, une
secrétaire, un manutentionnaire - puisse embaucher un ingénieur pour quatre
heures, un commercial pour quatre heures, etc.
Le projet de loi que vous nous proposez risque d'empêcher les PME de profiter
pleinement de la dynamique de croissance qui semble se dessiner pour 1998. Il
risque aussi de porter préjudice à l'emploi, alors que ce sont les PME qui en
ont créé, et plus que d'autres !
Le projet de loi sur la réduction du temps de travail à 35 heures a suscité un
grand débat national. Le Sénat, en la personne, d'une part, de Louis Souvet,
notre excellent rapporteur de la commission des affaires sociales, et, d'autre
part, de Jean-Pierre Fourcade, son président, vous propose de donner à ce débat
national toute la chance de déboucher sur des accords concrets et féconds en
matière de création d'emplois.
Il vous suffirait de remplacer une volonté étatique gouvernementale par la
volonté commune des partenaires sociaux.
C'est au nom de la vertu du dialogue et de la liberté d'entreprendre que je ne
voterai pas, en l'état, le projet de loi de réduction autoritaire du temps de
travail que vous nous présentez et que je soutiendrai, bien évidemment, la
proposition de notre rapporteur.
(Applaudissements sur les travées du RPR,
des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur
certaines travées du RDSE.)
MM. Jean-Patrick Courtois et Serge Vinçon.
Remarquable !
M. le président.
La parole est à M. Hoeffel.
M. Daniel Hoeffel.
« D'orientation et d'incitation relatif à la réduction du temps de travail »,
tel est l'intitulé du projet de loi qui nous est soumis. « Réduction
autoritaire du temps de travail à 35 heures », tel est le titre du rapport de
la commission d'enquête créée par le Sénat et donc l'interprétation qu'elle
donne du projet de loi, la finalité assignée à ce texte étant prioritairement
la création d'emplois.
Est-ce le moment ? Est-ce un bon moyen ? La procédure proposée est-elle la
plus judicieuse ? Ce sont autant de questions qui sont au coeur de la
controverse que nous vivons depuis quelques mois.
Je voudrais, d'emblée, m'associer aux remerciements adressés non seulement à
la commission des affaires sociales, à son président et à son rapporteur, mais
aussi à la commission d'enquête du Sénat, à son président et à son rapporteur,
Jean Arthuis, qui ont su réaliser un travail préparatoire de grande qualité.
M. Jean Arthuis.
Merci !
M. Daniel Hoeffel.
Dans le combat mené pour l'emploi, aucun moyen susceptible de réduire le
chômage ne doit être négligé, et personne ne saurait reprocher à un
Gouvernement de considérer la réduction du temps de travail comme l'un des
remèdes possibles.
Trop de solutions proposées dans le passé pour améliorer la situation de
l'emploi ayant connu des fortunes diverses, nous devons être modestes dans
l'appréciation portée sur de nouvelles tentatives, et c'est d'une manière
dépassionnée et la plus objective possible que nous devons exprimer un
jugement.
Un texte, quel qu'il soit, doit faire l'objet, en particulier au Sénat, non
d'un rejet abrupt, mais d'une volonté d'amélioration afin de le réorienter, de
le profiler et de lui donner la vision la plus réaliste possible.
Cela suppose en premier lieu que nous évitions d'aborder la réduction du temps
de travail en nous fondant sur des considérations doctrinales. Face à des
partenaires et à des concurrents étrangers qui, quelle que soit par ailleurs
leur orientation politique, font prévaloir la réalité de la vie économique et
sociale sur les théories et sur les programmes, nous devons être pragmatiques
et garder les pieds sur terre.
Il est nécessaire, en deuxième lieu, que nous soyons une fois pour toutes
conscients que tout ce qui est lié au temps de travail ne saurait être dissocié
du contexte général de la mondialisation et de la construction européenne, qui
sont synonymes d'efforts accrus et non de relâchement de l'effort. Nous sommes
trop tributaires de ce qui se passe autour de nous pour que nous puissions agir
au niveau social, en cavalier seul.
Il faut, en troisième lieu, que la France sache à qui elle veut s'en remettre
pour définir une vision claire et constante de sa politique sociale.
Est-ce l'Etat qui doit fixer les orientations, voire les détails de la
politique sociale ? S'en remet-on au contraire à la politique conventionnelle ?
Ou encore - et c'est très souvent le cas - doit-il y avoir interférence entre
décisions étatiques et négociations paritaires ? Il faut reconnaître, à cet
égard, que la politique conventionnelle a, dans notre pays, connue dans les
années soixante, par exemple, des périodes plus fastes qu'aujourd'hui.
Il est nécessaire, dans ces conditions, que nous ne cherchions pas la solution
en cultivant sur ce plan l'exception française, en nous singularisant du point
de vue des objectifs comme des procédures.
Le fait que nous soyons l'un des pays au monde où la durée moyenne du travail
est l'une des plus faibles ne nous donne, dans la compétition internationale,
qu'une marge de manoeuvre très réduite. Et, dans ces conditions, réduire la
durée du travail à 35 heures ne saurait être considéré comme une fin de soi.
La réduction de la durée du temps de travail n'est concevable que dans la
mesure où, d'une part, elle respecte la diversité du tissu économique français
et où, d'autre part, elle préserve la capacité compétitive des entreprises
françaises. Sinon il n'y aura pas, du fait de la réduction du temps de travail,
de créations d'emplois, bien au contraire.
M. Serge Vinçon.
C'est vrai !
M. Daniel Hoeffel.
C'est parce que la commission des affaires sociales apporte sa réponse en
respectant ces objectifs, et parce qu'elle préconise un débat constructif au
niveau du Parlement, que nous approuvons les propositions raisonnables qu'elle
présente, et en particulier quelques principes qui nous paraissent essentiels.
D'abord, il faut respecter la diversité du tissu économique. Il est
inconcevable qu'on puisse appliquer le même schéma aux entreprises, quelle que
soit leur taille, leur appartenance à l'industrie ou aux services, au secteur
privé, à la fonction publique, notamment territoriale, et au monde
associatif.
M. Henri Weber.
C'est une vérité première !
M. Daniel Hoeffel.
Chaque branche économique, chaque entreprise a ses contraintes propres, ses
impératifs liés à la place qui est la sienne sur le marché.
M. Henri Weber.
Ça, personne ne le conteste !
M. Daniel Hoeffel.
La suppression du caractère obligatoire de la réduction découle de ce constat,
il est donc indispensable.
De plus, la diversité ne peut être prise en compte que dans la mesure où le
calcul de la durée du travail est fondé sur la souplesse, ce qui suppose que
l'annualisation et le temps partiel, tout en respectant un certain nombre de
règles, soient libérés des entraves qui s'opposent à leur concrétisation. C'est
d'ailleurs la souplesse qui caractérise la loi Robien et qui explique, de ce
fait, son attractivité.
Ensuite, la mise en oeuvre du projet de loi en l'état entraîne un effort
considérable sur le plan des finances publiques, et elle réduirait probablement
les moyens que les entreprises consacrent actuellement à l'amélioration de leur
compétitivité.
Le rapport Arthuis rappelle à ce propos que « même une réduction du temps de
travail réussie suppose des coûts qu'il convient, pour l'honnêteté du débat,
d'exposer aux Français ».
M. Alain Gournac.
C'est vrai !
M. Daniel Hoeffel.
L'accroissement des aides publiques entraîne des contrôles et surtout une
complexité des dispositions applicables, complexité qui constitue par elle-même
un handicap pour les entreprises, surtout les petites.
M. Alain Gournac.
Eh oui !
M. Daniel Hoeffel.
Simplicité et simplification des dispositions applicables doivent donc, sur ce
plan comme d'autres, être poursuivies sans relâche.
M. Alain Gournac.
Très bien !
M. Daniel Hoeffel.
Enfin, il faut lever l'ambiguïté quant au rôle respectif de la politique
conventionnelle et de l'intervention de la loi.
Peut-on concevoir la conclusion d'accords paritaires alors que des éléments
essentiels ne seront précisés qu'à l'occasion d'une future loi ? Il est évident
que la politique conventionnelle peut, mieux que la loi, tenir compte de la
spécificité de chaque branche d'activité. Encore faut-il - et c'est un problème
dans notre pays - que les partenaires sociaux aient la volonté d'aboutir en
tenant compte du fait que politique sociale et compétitivité sont
indissociables, ce qui, dans notre culture nationale, n'est pas encore
évident.
M. Henri Weber.
C'est tout le problème !
M. Daniel Hoeffel.
La prise en compte de ces observations pourrait réduire les inconvénients du
projet de loi qui nous est présenté, projet de loi qui, au-delà des
dispositions relatives à l'emploi, peut entraîner des conséquences sur d'autres
plans.
En effet, quelles que soient les précautions prises pour prévoir des délais
d'application variables suivant la taille des entreprises et quel que soit le
seuil fixé, n'est-il pas prévisible que les grands groupes absorberont plus
facilement les nouvelles dispositions que les PME et qu'en fait les fonds
publics contribueront surtout à la réorganisation de ces grands groupes.
M. Alain Gournac.
Bien sûr !
M. Daniel Hoeffel.
L'effet d'aubaine va nécessairement jouer et il est plus à la portée de
certains que d'autres.
Autre question : les nouvelles mesures ne vont-elles pas entraîner des
phénomènes de délocalisation internes et externes d'usines ou d'entreprises ?
N'allons-nous pas accentuer les distorsions du point de vue de la rentabilité
et de la compétitivité des entreprises par rapport aux concurrents étrangers ?
Il n'est pas facile - je le conçois - de répondre avec certitude à ces
questions parce que des facteurs objectifs et des facteurs psychologiques vont
intervenir. Mais ce qui apparaît certain, c'est qu'à un moment particulièrement
délicat de la construction européenne, à la veille de l'échéance de l'euro, à
un moment où la compétition internationale est impitoyable, les 35 heures
n'engendreront probablement pas, sur le plan de l'emploi, des résultats
concrets à la mesure de l'effort financier qui sera consenti.
M. Alain Gournac.
Très bien !
M. Daniel Hoeffel.
Puisse le débat parlementaire, notamment celui qui s'est engagé au Sénat,
contribuer à donner à une idée généreuse le contenu réaliste et adapté au
contexte actuel sans lequel elle risque d'aboutir inévitablement à une grande
désillusion.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. Alain Gournac.
Bravo !
M. Ivan Renar.
Silence Gournac !
M. le président.
La parole est à M. Durand-Chastel.
M. Hubert Durand-Chastel.
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, le chômage est
un problème crucial. Pour le réduire, des fonds publics de plus en plus
importants sont consacrés chaque année aux politiques de l'emploi. Mais, depuis
vingt ans, tous les remèdes ont échoué et le chômage n'a fait que
s'amplifier.
Bien qu'en France le chômage soit indemnisé, il n'en provoque pas moins un
traumatisme non seulement chez les personnes qui y sont confrontées, mais aussi
dans l'imaginaire collectif. Ainsi, une majorité de nos concitoyens pensent
que, au cours de leur vie professionnelle, ils connaîtront le chômage. Ce
pronostic est encore plus marqué quand ils parlent de leurs enfants.
En dépit de cette situation de l'emploi, il est frappant de constater que les
Français continuent de considérer le travail comme une valeur forte
d'intégration sociale ; plus qu'un moyen de subsistance, le travail est le lieu
de création du lien social et, à ce titre, irremplaçable.
Comme ancien industriel, et après avoir participé à la commission d'enquête
sur les effets économiques et sociaux de la réduction du temps de travail à 35
heures, je doute que le projet de loi dont nous discutons aujourd'hui permette
de créer des emplois durables ; de plus, il coûtera cher à la collectivité, et
les petites et moyennes entreprises seront les premières à faire les frais des
35 heures. Le dispositif proposé fait courir à notre pays un grand risque pour
sa position en Europe et dans le monde.
La philosophie de votre texte, madame le ministre, s'appuie sur le partage du
travail. L'idée est généreuse, mais le concept est fondé sur des hypothèses et
des calculs théoriques, alors que l'économie ne se résout pas à l'arithmétique.
Les facteurs psychologiques et humains sont primordiaux, et les leçons du passé
n'ont pas été retenues ; qu'il s'agisse de la réduction du temps de travail à
40 heures en 1936 ou des 39 heures payées 40 en 1982, les résultats n'ont pas
été probants en créations d'emplois, mais l'idéologie a la vie dure...
Faut-il donc rendre le processus de réduction du temps de travail obligatoire,
comme le prévoit l'article 1er du projet de loi ? Nous ne le pensons pas car,
comme dans le passé et pour les mêmes causes, vous allez produire les mêmes
effets.
En premier lieu, la réduction du temps de travail à 35 heures ne permettra pas
de créer des emplois durables. Le grand handicap du dispositif est l'obligation
de négocier sans connaître les conditions qui seront fixées en l'an 2000 ou
2002 selon les cas. « Négociez d'abord, la loi sera précisée ensuite... ». Une
telle méthode indispose les acteurs de la négociation. De fait, 78 % des chefs
d'entreprise regrettent la contrainte, et les syndicats de travailleurs
n'appréhendent pas tous positivement ce processus à marche forcée, même s'ils
aspirent à la réduction du temps de travail. Qu'adviendra-t-il, madame le
ministre, des accords qui n'entreront pas dans le cadre de la loi future ?
Faudra-t-il les renégocier ?
Différentes questions se posent : quel sera le nouveau régime des heures
supplémentaires, des repos compensatoires, de l'épargne-temps, du travail à
temps partiel ? Sur tous ces points, les responsables d'entreprise craignent un
durcissement de la loi, au détriment de la souplesse et de la flexibilité
qu'ils réclament pour s'adapter au mieux à un environnement économique de plus
en plus mouvant. Que dire également du SMIC à deux vitesses, sinon que cette
dualité créera des situations difficilement tenables ?
D'une façon générale, le dispositif proposé tend à compliquer encore un peu
plus notre droit du travail. L'Etat français s'est doté d'une législation
lourde et complexe. Notre code du travail, en quelques années, est devenu plus
copieux que le code civil Napoléon en deux siècles. S'il est relativement aisé
de procéder à une embauche, les règles à appliquer pour une suppression
d'emploi sont très contraignantes et susceptibles de nombreux recours ; la Cour
de cassation a souligné la complexité du droit des licenciements, qui crée une
grande insécurité juridique. Toutes ces procédures découragent l'embauche. Il
en résulte - et c'est le grand grief que je fais à notre code du travail -
qu'un chef d'entreprise retarde toute embauche en comparant ses avantages à
ceux d'une mécanisation accrue. Ainsi, en visant une plus grande protection des
salariés, par excès de réglementation on obtient l'effet inverse.
M. Alain Gournac.
Tout à fait !
M. Hubert Durand-Chastel.
Si les grandes entreprises paraissent armées pour amortir tous les changements
inhérents à la réduction obligatoire à 35 heures du temps de travail -
remarquons tout de même qu'elles licencient pour rester dans la compétition
mondiale - ce sont les petites et moyennes entreprises qui vont subir le choc
le plus rude ; pourront-elles le supporter ? Les PME constituent le vrai
réservoir d'emplois. L'état de leurs marges financières avec l'alourdissement
des coûts salariaux les obligera, dans de nombreux cas, à une compression de
leurs effectifs et non à de nouvelles embauches. Pour ces petites structures,
le rééquilibrage des postes entre eux est quasi impossible, car on ne peut
créer des fractions d'emploi ; les emplois dans les PME sont spécialisés et non
interchangeables ; il existe donc un véritable risque de cessation d'activité
dans de nombreux cas.
La solution pour les petites et moyennes entreprises aurait été la mise en
place de dispositifs favorisant l'aménagement du temps de travail, par la
modulation-annualisation négociée volontairement. La rigidité du dispositif
contraignant à une réduction hebdomadaire du temps de travail ne correspond pas
non plus à la réalité des entreprises saisonnières. Nous en avons beaucoup
d'exemples. Ainsi, l'entreprise Whirpool, fabriquant des machines à laver et à
sécher, que nous avons visitée dans le cadre de la commission d'enquête
sénatoriale, a pu accroître son activité et ses emplois grâce à des accords sur
l'annualisation du temps de travail.
M. Alain Gournac.
Très bien !
M. Hubert Durand-Chastel.
Pourquoi refuser le choix de l'annualisation et s'en tenir à la référence
figée des 35 heures hebdomadaires ?
M. Alain Gournac.
Très bien, mon cher collègue !
M. Hubert Durand-Chastel.
Madame le ministre, avec la loi des 35 heures, vous créez une inégalité entre
le secteur privé, obligé d'obtempérer, et le secteur public. Les fonctionnaires
échappent déjà aux 39 heures, selon un rapport de la direction générale de
l'administration et de la fonction publique : en effet, les experts ont recensé
que 70 % des fonctionnaires civils de l'Etat relèvent du régime dérogatoire en
matière de durée du travail. Le Gouvernement a-t-il l'intention d'étendre le
dispositif des 35 heures à la fonction publique en maintenant les dérogations
existantes et de créer les emplois nouveaux qui seraient ainsi nécessaires ?
Cette question a son importance, car il s'agira alors de nouvelles dépenses
pour les finances publiques et d'une augmentation du nombre des fonctionnaires,
qu'il conviendrait plutôt de réduire de 500 000 unités, selon le rapport de
Jean Choussat, ancien directeur du budget.
Si le coût pour les entreprises est important, le coût pour la collectivité
est considérable et peut avoir des conséquences sur le niveau des prélèvements
obligatoires, déjà trop élevé en France.
L'article 2 du projet de loi prévoit en effet des incitations financières sous
forme d'exonération de charges sociales en échange de créations d'emplois. Ce
système d'exonération, préféré aux subventions, est un choix judicieux, madame
le ministre, car il va dans le sens de l'abaissement du coût du travail
préconisé par l'OCDE Mais le coût de ces incitations exercées par l'Etat sera
très important : certaines études l'estiment à plus de 70 milliards de francs
par an. Comment les financera-t-on ?
Mon ultime reproche, madame le ministre, tient au fait qu'en rendant
obligatoire la diminution du temps de travail, vous recourrez, encore une fois,
à l'exception française. Si l'exception française fonctionnait, nos concurrents
nous imiteraient. Comme ce n'est pas le cas, il nous faut en tirer les
conséquences. Notre pays est aujourd'hui le seul à vouloir abaisser
autoritairement et de façon généralisée le temps de travail alors que déjà la
durée effective de travail sur une vie y est la plus courte des pays
industrialisés. Je souhaite que nous ayons raison contre tous ; j'avoue être
sceptique.
La Commission européenne préconise bien des incitations à la réduction du
temps de travail, mais la tendance est à l'annualisation. La flexibilité est
recherchée pour concilier le travail des salariés et la nécessité des
entreprises. La directive de 1993 fixe à quarante-huit heures la durée
hebdomadaire maximale autorisée et à quatre semaines la durée minimale des
congés payés. Le Parlement européen s'est prononcé de son côté pour un
processus non contraignant de réduction du temps de travail.
Enfin, la grosse erreur stratégique est de faire voter cette loi des 35 heures
au moment même de l'instauration de la monnaie unique européenne.
Lors du sommet européen sur l'emploi, en novembre dernier, la France n'a pas
convaincu ses partenaires de la nécessité d'une réduction autoritaire du temps
de travail pour développer l'emploi en Europe. Les documents préparatoires de
ce sommet préconisaient seulement de développer l'esprit d'entreprise, de
rendre le système fiscal plus favorable à l'emploi, d'améliorer la capacité
d'insertion professionnelle des chômeurs et de promouvoir l'adaptabilité des
entreprises par une flexibilité négociée.
Un de nos sociologues, soulevant la question du manque de travail, estime que
le déficit d'emplois est dû à la rigidité des métiers et des lois. Avec
l'accélération inédite des changements de travail à l'échelle d'une vie, c'est
non seulement l'organisation du travail qu'il faut changer mais la société tout
entière.
Le présent projet de loi risquant, au contraire, de bloquer le processus
d'évolution, avec mes collègues, je suivrai les propositions de la commission
des affaires sociales et de notre excellent rapporteur, dont l'objectif est
d'atténuer les effets les plus néfastes du dispositif et d'améliorer les
mesures susceptibles de réduire effectivement le chômage en France.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et indépendants, du RPR et
de l'Union centriste, aisni que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Plasait.
M. Bernard Plasait.
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, travailler
moins pour travailler tous, voilà donc la pierre philosophale découverte par
l'exception française à la barbe du monde entier, qui n'en revient pas d'avoir
eu la légèreté de ne pas y penser plus tôt !
Le projet de loi dont nous débattons aujourd'hui est la traduction d'un
engagement électoral, peut-être un peu hasardeux, de la majorité plurielle. En
vérité, ce texte consacre une vision malthusienne de l'économie. Il repose sur
une méconnaissance, que je crois vraiment dramatique, des réalités économiques
actuelles, notamment en ce qui concerne les moyennes, les petites et les très
petites entreprises, et il expose notre pays à de graves risques.
En effet, les partisans de la réduction autoritaire et générale du temps de
travail ont de l'activité la vision d'un gâteau à partager. Selon cette
conception « pâtissière »
(Sourires),
on calcule que, là où il y a du
travail pour 22 millions de Français travaillant chacun 1 650 heures par an, il
pourrait y en avoir pour 24 millions travaillant 1 460 heures !
M. Henri Weber.
Mais non, mais non !
M. Bernard Plasait.
Le concept de partage du travail ainsi mis en oeuvre reflète une attitude de
résignation, comme si le volume de travail était une donnée fixe à répartir.
M. Bernard Piras.
Il vaut mieux entendre ça que d'être sourd !
M. Bernard Plasait.
C'est là une approche comptable, arithmétique et malthusienne, qui témoigne,
me semble-t-il, d'une vision défaitiste de l'emploi et, au-delà, d'une vision
défaitiste de la société française et de son aptitude à faire face à l'avenir,
à relever les défis auxquelles elle est confrontée.
« Au banquet de la nature, il n'y a pas assez de couverts pour tout le monde
», disait Malthus. Il préconisait donc de partager la misère, les libéraux
répondant en substance que, au lieu de partager la misère, il valait mieux
partager l'abondance et, tout d'abord, créer l'abondance.
Aujourd'hui, on veut partager le travail. Et bien, nous, libéraux, nous
répondons qu'il faut créer le travail et non le partager.
Si le partage du travail rencontre aujourd'hui un tel succès, c'est parce que
se répand l'idée selon laquelle nos économies modernes ne sont plus capables de
créer de nouveaux emplois, et le progrès de la technique l'internationalisation
des échanges vont être de plus en plus destructeurs d'emplois.
M. Henri Weber.
Quelle erreur !
M. Bernard Plasait.
Certains des partisans du partage du travail ajoutent même qu'il n'est guère
besoin d'augmenter la production car, globalement, nos besoins marchands sont
satisfaits.
C'est méconnaître la réalité de la dynamique qui est à l'origine de la
croissance et du progrès : l'emploi crée l'emploi.
A l'instar de Jean-Baptiste Say, selon qui la production engendre sa propre
demande, nous disons que la création de richesses est la source de l'emploi,
lequel, à son tour, suscite l'activité.
M. Henri Weber.
Et que disait Bastiat ?
M. Bernard Plasait.
Cet enchaînement vertueux se vérifie dans la corrélation entre taux d'activité
et chômage. Ce sont les pays qui ont le dynamisme démographique le plus fort et
le taux d'activité le plus élevé qui ont également le taux de chômage le plus
bas.
Celui qui entreprend, celui qui travaille plus, crée davantage, crée un
surplus de richesse et génère du même coup un pouvoir d'achat supplémentaire
pour de nouveaux produits, de nouveaux services, d'où découleront les créations
de nouveaux emplois.
Les emplois nouveaux résulteront non du partage des emplois actuels mais de
l'invention de nouveaux emplois. Il s'agit non de diviser l'emploi en parts
égales mais de multiplier les créations d'emplois.
En voulant partager le travail, c'est-à-dire interdire à certains d'augmenter
leur travail, on leur interdit du même coup d'acheter le travail des autres.
Le partage du travail n'est, au bout du compte, qu'un partage forcé des
salaires, générateur de pauvreté et de chômage. Comme le dit de façon piquante
le professeur Wyploz, « cela revient à maquiller le nombre de chômeurs à temps
plein en faisant de chaque Français un chômeur à temps partiel ».
Votre projet de loi, madame le ministre, ignore purement et simplement
l'insuffisance de compétitivité dont souffre notre économie...
M. Henri Weber.
Première nouvelle !
M. Bernard Plasait.
... et qui est en grande partie due à des handicaps structurels.
En dépit des bons résultats de notre commerce extérieur,...
M. Henri Weber.
J'allais le dire !
M. Bernard Plasait.
... les performances de la France à l'exportation sont inférieures à celles
des grands pays concurrents. Sans doute alliez-vous le dire aussi, mon cher
collègue...
Notre industrie perd des parts de marché depuis 1990, la France n'ayant
réalisé que 6,3 % des exportations industrielles mondiales en 1995, contre 6,9
% cinq ans plus tôt.
La rentabilité de nos entreprises est inférieure de moitié à celle de nos
concurrentes anglo-saxonnes et hollandaises.
La situation financière des entreprises s'est dégradée et l'investissement en
a pâti. L'investissement industriel était en 1996 à son plus bas niveau
historique, et inférieur d'environ 30 % à son point haut, atteint en 1991.
A cela, il faut encore ajouter que le vieillissement de notre appareil
industriel nous fait accumuler un retard qui menace notre compétitivité et
pourrait réduire nos capacités de rebond industriel.
M. Henri Weber.
Quel pessimisme !
M. Bernard Plasait.
Est-il besoin de rappeler, mes chers collègues, que le coût du travail en
France est l'un des plus élevés et que sa progression est l'une des plus
rapides au sein du monde industrialisé ?
Pourtant, une règle d'or qu'avait édictée un rapport du Commissariat du Plan
en 1994 devrait prévaloir : le coût salarial par tête doit augmenter moins vite
que la productivité, afin que le surplus dégagé par la croissance soit
prioritairement affecté à la création d'emplois.
En outre, la France s'est singularisée par une montée continue des dépenses
collectives publiques et sociales, passées de 46 % du produit intérieur brut en
1980 à 54,5 % en 1996, alors qu'en Allemagne, malgré le coût exorbitant de la
réunification, elles n'ont progressé que de un point, passant de 48 à 49 %.
M. Henri Weber.
Et où en est le chômage allemand ?
M. Bernard Plasait.
Cela explique sans mal notre niveau record de prélèvements obligatoires.
Enfin, et alors que la durée de vie au travail est l'une des plus faibles, la
France a l'une des durées annuelles du travail les plus courtes parmi les
grands pays industrialisés.
M. Henri Weber.
Chanson !
M. Bernard Piras.
Faux !
M. Bernard Plasait.
La France, qui roule déjà moins vite que ses concurrents, espère gagner la
course en levant le pied ! Les Français travaillent, en moyenne, 1 530 heures
par an, soit beaucoup moins que les Britanniques ou les Japonais, qui
travaillent respectivement 1 735 heures et 1 919 heures par an.
M. Bernard Piras.
D'autres exemples encore !
M. le président.
Veuillez laisser parler l'orateur, s'il vous plaît !
M. Henri Weber.
Qu'il cesse de dénigrer l'économie du pays !
M. Jean Chérioux.
Ils sont sectaires !
M. Bernard Plasait.
Or, vous le savez bien, madame le ministre, les pays les moins touchés par le
chômage ne sont pas ceux qui travaillent le moins, au contraire.
Aux Etats-Unis et au Japon, on travaille davantage - respectivement 200 et 350
heures de plus qu'en France - et, pourtant, le chômage est, dans ces pays,
nettement inférieur à ce qu'il est chez nous.
A notre porte, face à un chômage qui s'aggrave, les Allemands ont qualifié d'«
erreur du siècle » leur marche vers les 35 heures et réagissent en se proposant
de « travailler plus » et de revenir aux 40 heures.
M. Pierre Mauroy.
C'est M. Kohl qui dit cela, et il va être battu !
M. Bernard Plasait.
En résumé, au sein des pays du G 7, la France est bien le pays où l'on
travaille le moins,...
M. Henri Weber.
C'est du masochisme !
M. Bernard Plasait.
... à l'exception de l'Allemagne, où le poids des prélèvements publics est le
plus élevé et où le chômage est le plus élevé, à l'exception de l'Italie, qui
n'est pas comparable.
Dans ces conditions, madame le ministre, je crois votre texte anachronique et
anti-économique, car il fait courir de graves risques à notre économie.
En premier lieu, la réduction généralisée du temps de travail se traduira par
une nouvelle montée du chômage et de l'exclusion.
Pour compenser les surcoûts liés à cette réduction de la durée du travail, il
est sûr que les entreprises, à défaut de diminuer les rémunérations,
chercheront à bloquer durablement les augmentations de salaires au cours des
prochaines années, enrayant ainsi un rouage essentiel et naturel de
l'économie.
Pis, les entreprises, contraintes d'affecter leurs progrès de productivité à
une réduction de la durée du travail et non au maintien de leur compétitivité,
risquent d'être supplantées par leur concurrentes étrangères.
Enfin, l'incidence pour les finances publiques est particulièrement
préoccupante puisque, en cinq ans, chaque emploi créé aura coûté 618 000 francs
aux contribuables.
En réalité, la mécanique est toujours la même : toute subvention donnée à un
emploi l'est au détriment d'un autre emploi. L'argent public que l'on dépense
est toujours un argent que l'on prélève.
Laissé entre les mains des entrepreneurs ou des consommateurs, ce même argent
aurait servi à investir, à acheter des produits ou des services et donc à créer
d'autres emplois.
En deuxième lieu, votre projet est inapplicable aux petites entreprises, aux
commerçants et aux artisans, déjà en proie à de très sérieuses difficultés.
Comment ne pas dénoncer un effet pervers qui se profile et dont seront
victimes les PME contraintes aux 35 heures : le développement du travail
clandestin pendant les heures dégagées par la réduction hebdomadaire du temps
de travail ? Dans cette perspective, il serait intéressant de savoir, madame le
ministre, ce que, par anticipation, vous avez prévu pour que ne se développe
pas un tel phénomène.
Enfin, je ne peux que m'associer aux remarques déjà formulées sur le caractère
autoritaire du dispositif proposé, qui attente gravement au dialogue social.
A l'heure où les entreprises ont besoin de flexibilité dans l'organisation du
temps de travail, vous voulez enfermer les emplois dans une durée
hebdomadaire.
« L'évidence a une force terrible », disait Albert Camus. Or il est évident
qu'une entreprise ne peut réduire la durée du travail et embaucher que si cela
ne handicape pas sa compétitivité.
Il n'est donc pas impossible de coupler réduction du temps de travail et
embauche supplémentaire, mais cela ne peut concerner les entreprises qu'au cas
par cas. Il s'agit alors de « flexibilité du temps de travail » et non de «
partage du travail ». C'est cette souplesse qu'il est bon d'encourager :
annualisation de la durée du travail, temps partiel, temps choisi, retraite
progressive, semaine de quatre jours, etc.
L'avenir est au temps libre et non au temps encadré.
Madame le ministre, que ne faites-vous confiance à la vie, aux hommes et aux
femmes, à la liberté ? Faites respecter la règle du jeu, incitez, favorisez,
mais surtout n'obligez pas !
Travailler moins ? Travailler 35 heures ? Bien sûr, si c'est possible, si
c'est utile ! Mais aussi si c'est souhaité. Si le souhait du salarié est, au
contraire, de travailler plus, ...
M. Bernard Piras.
Ben voyons ! Et les chômeurs ?
M. Bernard Plasait
... pour gagner davantage, pour le bien de sa famille, de grâce, madame le
ministre, ne décidez pas de son bonheur à sa place.
M. Bernard Piras.
Et les chômeurs ?
M. Bernard Plasait.
Favorisez au contraire son désir de travail.
M. Pierre Mauroy.
S'il avait fallu vous attendre !
M. le président.
Monsieur Mauroy, les quatre orateurs de votre groupe disposent d'une heure
pour répondre à la majorité sénatoriale. Alors, laissez-la parler si vous
voulez qu'elle vous laisse parler tout à l'heure !
M. Jean Chérioux.
On en fera autant, attention !
(Sourires.)
M. le président.
Veuillez poursuivre, monsieur Plasait.
M. Bernard Plasait.
C'est l'activité qui crée l'activité et donc l'emploi. Ici, madame le
ministre, les intérêts particuliers rejoignent l'intérêt général.
Telles sont les raisons pour lesquelles j'approuve sans réserve les
propositions de nos excellents collègues M. Louis Souvet, rapporteur de la
commission des affaires sociales, et M. Jean-Pierre Fourcade, président de la
même commission, qui choississent la voie du progrès qu'ambitionne, pour notre
pays, la majorité sénatoriale.
Dans
La tragédie du pouvoir,
Alfred Sauvy qualifia la réduction de la
durée du travail de 1936 « d'erreur d'une dimension exceptionnelle ».
M. Jean Chérioux.
Et Sauvy était un homme de gauche !
M. Bernard Plasait.
Ce fut « le geste le plus généreux, le plus étourdi et le plus dommageable de
notre histoire économique » écrit-il, alors qu'il ne passait pas pour être un
économiste de droite.
M. Alain Gournac.
Ça non ! Pas du tout
M. Bernard Plasait.
Hélas, cette leçon n'est pas entendue.
M. Henri Weber.
Bien sûr que si ! Et à cent pour cent !
M. Bernard Plasait.
Et, avec votre texte, madame le ministre, je crains beaucoup que l'histoire ne
se répète.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains
et Indépendants, du RPR, de l'Union centriste ainsi que sur certaines travées
du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Mauroy.
M. Pierre Mauroy.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la réduction
du temps de travail est une évolution historique, je dirai naturelle, liée à la
découverte de techniques nouvelles, à l'augmentation de la productivité, liée
aussi à la marche de l'humanité vers le progrès et vers une meilleure qualité
de la vie.
Certains peuvent en douter, mais qu'ils ouvrent un livre d'histoire et ils
verront que, depuis plus d'un siècle, la durée du travail n'a cessé de baisser
dans notre pays.
Ce fut d'abord le décret du 9 septembre 1848, instituant la durée maximale de
travail quotidienne à 12 heures, puis la loi du 23 avril 1919, ramenant cette
durée à 8 heures, avancée considérable que nous célébrons tous, d'une certaine
manière, lors de la fête symbolique du 1er mai, qui est la fête des
travailleurs, mais aussi la fête de la diminution du temps de travail.
Enfin, pardonnez-moi de vous contrarier sur ce point, monsieur Plasait, ce
furent les lois de 1936 sur les congés payés et la semaine de 40 heures, deux
mesures qui font encore aujourd'hui du Front populaire un gouvernement mythique
pour les Françaises et les Français.
(Applaudissements sur les travées
socialistes ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen.)
M. Jean Chérioux.
Il a mal terminé, ce gouvernement ! Il a terminé à Vichy, en juillet 1940.
M. Guy Fischer.
Oh !
M. Pierre Mauroy.
En 1982, l'ordonnance de janvier a permis de passer de 40 heures à 39 heures,
avec, déjà, l'objectif affiché des 35 heures. En un siècle, la durée du travail
est passée de 2 945 heures en 1870 à 1 543 de nos jours. Ainsi, on a travaillé
moins, produit davantage et, surtout, donné des espaces de liberté, de loisirs,
de culture au plus grand nombre.
M. Hilaire Flandre.
Pour le travail au noir !
M. Pierre Mauroy.
Chaque fois, mes chers collègues, dans le contexte de l'époque, la réduction
du temps de travail était une utopie. Mais, dans ce domaine, chaque fois,
l'histoire a rejoint l'utopie.
M. Alain Gournac.
L'utopie « négociée » !
M. Pierre Mauroy.
Voilà la réalité, et c'est le sens de mon intervention.
Et vous voudriez arrêter ce mouvement ? Vous avez mis en place une commission
d'enquête qui, en dépit de tous ses efforts, n'est pas parvenue, loin s'en
faut, à démontrer l'inutilité de la réduction du temps de travail. Et,
pourtant, la commission des affaires sociales du Sénat, comme vient de nous
l'expliquer son rapporteur, a carrément rayé d'un trait de plume l'inscription
dans la loi de l'abaissement de la durée du travail à compter du 1er janvier
2000 ou du 1er janvier 2002.
Nous regrettons cette attitude. Nous la regrettons, parce que ces thèmes de
libération, d'émancipation, de mieux-vivre méritent mieux que les excès, voire
les contrevérités que l'on nous assène depuis plusieurs semaines, ici ou là
d'ailleurs. Je la regrette, parce que le Sénat mérite mieux, sauf à vouloir se
figer dans une image réductrice qui a été la sienne au cours de la IIIe
République.
Avec beaucoup de conviction, Mme Martine Aubry vient de nous présenter son
projet de loi. Il s'agit aujourd'hui d'amplifier et de prolonger la dynamique
historique de réduction du temps de travail.
Et cela, mes chers collègues, ne peut se faire sans la loi. Sous l'impulsion
de l'Etat et de la représentation nationale, le recours à la loi est la
nécessité ainsi que la tradition du droit social français. Dans d'autres pays,
sans la loi, par le jeu du rapport de force entre patronat et organisations
syndicales, le temps de travail est plus faible qu'en France. C'est le cas en
Allemagne, en Suède, en Belgique, au Danemark et aux Pays-Bas. D'autres pays,
au contraire, ne parviennent pas à une telle avancée, mais c'est la traduction
d'un rapport de force. En France, c'est avec la loi et cela a toujours été avec
la loi. S'il n'y avait pas eu de lois, nous n'aurions pas ces avancées
historiques.
La loi serait-elle donc un carcan inutile, la marque d'un autoritarisme
dépassé ? Ceux qui le proclament se trompent. Car l'Etat est dans son rôle en
voulant une loi sur la durée du travail. Il est dans son rôle en provoquant
l'élan nécessaire pour créer une dynamique de négociation. Il est dans son rôle
en s'attaquant avec audace au chômage de masse qui frappe cruellement notre
société et en recherchant la création d'emplois.
La droite elle-même, après avoir, en pure perte, de 1993 à 1995, offert plus
de 80 milliards de francs, de « cadeaux » diraient certains, aux entreprises
sans véritable incidence en termes d'emplois, a compris l'intérêt d'une loi.
Ainsi, elle a voté en 1996 la loi Robien, pour lancer la négociation dans
l'entreprise sur le temps de travail, loi dont nous avons, par ailleurs,
souligné les insuffisances notoires et le coût excessif.
Justement, l'inspiration de la loi présentée aujourd'hui par Mme Martine
Aubry, son esprit même, est de favoriser la création d'emplois. Certes, nous le
savons bien, les 35 heures ne sont pas une solution miracle. Mais là où nous en
sommes, avec un chômage massif, même s'il a tendance à se stabiliser, avec l'un
des plus faibles taux d'activité des moins de vingt-cinq ans et des plus de
cinquante-cinq ans parmi les pays industrialisés, faudrait-il ne rien tenter
qui soit à la mesure du problème posé ?
Faudrait-il renoncer à résorber le chômage, alors que nous savons que la
croissance, qui est pourtant le meilleur remède, ne suffira pas, même si elle
s'annonce plus forte que prévu maintenant ?
La réduction du temps de travail est une pièce maîtresse dans le dispositif
d'ensemble ambitieux et cohérent que le gouvernement de M. Lionel Jospin
construit depuis plusieurs mois : les mesures pour relancer la croissance et la
consommation, la mise en place des emplois-jeunes et le prochain projet de loi
contre l'exclusion.
La réduction du temps de travail, mes chers collègues, crée des emplois. Les
études les plus sérieuses, et concordantes, montrent que, dans une conjoncture
économique difficile, le passage de 40 heures à 39 heures et la cinquième
semaine de congés payés avaient créé environ 140 000 emplois en cinq ans. Les
études menées récemment s'accordent sur le fait que les 35 heures créeront des
centaines de milliers d'emplois avec le temps : 300 000 pour les uns, 700 000
pour les autres ou davantage encore. Mais, bien entendu, et c'est là
l'essentiel, tout dépendra de l'ardeur et de la volonté de mener ce combat.
M. Henri Weber.
Exactement !
M. Pierre Mauroy.
La clé du succès est dans le dialogue social et non dans son rejet.
M. Ivan Renar.
Evidemment !
M. Henri Weber.
Et dans le dialogue entreprise par entreprise !
M. Hilaire Flandre.
Lâchez-nous les baskets !
M. Pierre Mauroy.
L'esprit de cette loi est justement d'ouvrir largement le champ de la
concertation pour faciliter la rénovation de notre système de négociation
collective. En ce sens, elle est une chance pour les entreprises, pour les
syndicats, pour les salariés, si les uns et les autres - et c'est le pari qui
est lancé - assument la responsabilité qui leur est confiée.
C'est toute l'intelligence de ce texte que de prendre en compte de manière
souple la diversité du monde du travail et d'adapter son système d'incitation à
la spécificité de chaque branche, voire de chaque entreprise.
Les aides prévues sous forme d'allégements de charges sociales offrent pour
l'entreprise le double intérêt de la simplicité et d'une réelle efficacité. Je
rappellerai un exemple bien connu : pour une entreprise de main-d'oeuvre qui
réduira la durée du travail de 10 % et augmentera de 7 % ses effectifs, les
allégements de charges couvriront la totalité des coûts salariaux
supplémentaires sur la base du SMIC.
La réduction du temps de travail constitue ainsi, pour les entreprises, une
occasion, et une grande occasion, de s'adapter, voire de se renouveler en
recherchant une plus grande efficacité. Elle leur donne aussi la chance
d'ouvrir un réel dialogue et de contribuer à la recherche d'une paix sociale
souhaitée.
Ce projet de loi offre également aux organisations syndicales une opportunité
évidente de se renforcer et de reprendre toute leur place et leur légitimité
dans les relations du travail. La loi Robien,...
M. Alain Gournac.
Ah !
M. Pierre Mauroy.
... à l'échelle qui était la sienne, a démontré la validité d'un processus de
réduction du temps de travail fondé sur la négociation. Elle a contribué ainsi
à conforter le rôle de l'action syndicale, ce dont témoignent d'ailleurs les
organisations syndicales.
C'est pourquoi elles apprécient le texte dont nous débattons aujourd'hui, qui
est d'une tout autre ampleur et qui est, lui, à la mesure des problèmes
posés.
Le projet de loi que vous défendez, madame la ministre, répond enfin à une
attente extrêmement forte des salariés. J'ai lu avec un grand intérêt les
enquêtes dont fait état, dans son excellent rapport, M. Jean Le Garrec : en
1997, 60 % des Français étaient convaincus des effets positifs de la réduction
de la durée du travail en matière de création d'emplois, et ils étaient plus
nombreux encore à se fier à ce processus plutôt qu'à une réduction des charges
sociales des employeurs. Il est donc légitime, urgent et juste de satisfaire
cette aspiration de nos concitoyens, d'entendre leur souci d'une solidarité
collective et d'un engagement partagé dans la lutte contre le chômage.
La loi votée, chacun sera placé en situation de contribuer au renouvellement
de l'entreprise, à l'amélioration de la relation sociale, en défendant au mieux
les intérêts de chacun. L'intérêt supérieur du pays, mes chers collègues, est
dans cette loi.
Je n'ignore pas les inquiétudes qui se sont manifestées du côté des chefs
d'entreprises, mais ils sont, eux aussi, concernés par le chômage, qui est la
cause de tous les maux que nous dénonçons, violence, exclusion, drogue.
Pourquoi se déroberaient-ils alors à l'effort d'imagination et de dialogue qui
leur est demandé ? Ils sont chefs d'entreprise et citoyens de notre pays.
Il est vrai que M. Seillière et les responsables du CNPF ne semblent pas prêts
à faire un tel effort. Je voudrais leur dire que la dénonciation ne peut tenir
lieu de réflexion, que l'accusation ne masque pas l'absence de propositions. Je
prends même le pari que ceux qui ont voulu diaboliser la réduction du temps de
travail pour discréditer le Gouvernement seront, demain, désavoués s'ils
persistent à refuser tout dialogue. (
Applaudissements sur les travées
socialistes ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen.
)
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
Très bien !
M. Pierre Mauroy.
Le CNPF, certes, a une tradition de contestation à l'égard de la gauche. Mais
il a aussi une tradition de respect de la loi.
M. Henri Weber.
C'est vrai !
M. Pierre Mauroy.
J'espère qu'il saura prendre les mesures, et peut être les prend-il déjà, pour
amorcer le combat le plus décisif de cette fin de siècle, le combat contre le
chômage.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, pour la
première fois depuis des années, les conditions économiques permettent
d'envisager une politique offensive de création d'emplois. La croissance
revient. J'ignore pourquoi vous avez voulu caricaturer la situation actuelle,
monsieur Plasait. Vous ne pouvez me démentir lorsque je dis que la croissance
revient. Notre balance extérieure est largement excédentaire.
Plusieurs sénateurs du RPR.
Les clignotants sont au vert !
M. Pierre Mauroy.
Les marges des entreprises sont reconstituées. L'investissement industriel
progressera fortement cette année. Le chômage s'est stabilisé pour la première
fois depuis longtemps.
M. Philippe Marini.
Tout va bien !
M. Pierre Mauroy.
Vous vous êtes trompé de gouvernement. Vous parliez des gouvernements
précédents, et non de celui d'aujourd'hui, permettez-moi de vous le dire !
M. Philippe Marini.
Nous sommes sur la crête !
M. Alain Gournac.
On voit le bout du tunnel !
M. Pierre Mauroy.
Je sais que cela ne vous fait pas plaisir, mes chers collègues, mais c'est la
réalité. Tous les Français en sont d'accord. D'ailleurs, ceux qui, parmi vous,
sont plus raisonnables sur ce plan-là l'acceptent, en disant que cela va sans
doute durer ainsi jusqu'à la fin de la mandature, comme je l'ai entendu dire
par une personnalité de droite, et non des moindres.
Devrions-nous laisser passer cette embellie - selon certains, elle devrait
durer - sans en amplifier les effets, sans exprimer notre solidarité avec ceux
qui n'ont pas de travail et qui vivent dans l'angoisse, parfois même dans
l'exclusion ? Devrions-nous la laisser passer sans avancer dans la voie de la
justice sociale ? Devrions-nous, alors que l'Europe, grâce à l'initiative du
Premier ministre, M. Lionel Jospin, s'est saisie au sommet de Luxembourg de la
question de l'emploi, renoncer à toute capacité d'initiative ?
Voilà près d'un an, les Français ont choisi un programme qui plaçait les 35
heures au coeur de l'action pour l'emploi.
M. Henri Weber.
C'est exact !
M. Pierre Mauroy.
Ce programme, le Gouvernement, notamment Mme Aubry, le réalise avec
intelligence, pragmatisme et avec une très grande volonté.
Vous sentez bien, mes chers collègues, que c'est la volonté du pays. C'est la
volonté de nos concitoyens et c'est aussi leur espoir.
M. François Autain.
Bien sûr !
M. Philippe Marini.
C'est la pensée unique !
M. Pierre Mauroy.
Le Sénat peut-il l'ignorer ? Le Sénat peut-il s'opposer lorsqu'il s'agit d'une
telle avancée sociale ?
Bien sûr, la vie politique est faite d'adhésion et de refus. Cependant,
peut-on, mes chers collègues, au-delà de nos problèmes politiques, nier, sans
risque, le mouvement historique de la réduction du temps de travail ? Le nier,
c'est nier le progrès ! C'est nier l'aspiration à mieux vivre ! C'est nier
l'avenir ! En tout cas, les sénateurs socialistes, et, plus largement, les
sénateurs de gauche, sont fidèles aux engagements qu'ils ont pris devant les
Françaises et les Français. La réduction du temps de travail est conforme à
l'intérêt du pays, elle est déjà inscrite dans le projet d'une société plus
solidaire et plus moderne.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées
socialistes, sur celles du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que
sur certaines travées du RDSE.)
M. Alain Gournac.
C'est bien, mais c'est un discours que l'on a déjà entendu !
M. Philippe Marini.
On se croirait sous la IIIe République !
M. le président.
La parole est à M. Joly.
M. Bernard Joly.
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, comme vient de
le dire M. Pierre Mauroy, depuis le début du XIXe siècle, le temps de travail
individuel diminue. Compte tenu de l'accroissement de la population, le pays ne
travaille pas moins, mais chaque Français effectue une durée de travail
journalière, hebdomadaire ou annuelle moins importante.
L'annualisation du temps de travail qui suivit s'accommodait de dérogations
obtenues par négociations, ce qui était la reconnaissance de réalités
incontournables.
Le premier texte soucieux du contexte économique est la loi quinquennale de
1993 relative au travail, à l'emploi et à la formation professionnelle. Il a
beaucoup facilité le travail à temps partiel, qui a gagné quatre points grâce,
notamment, aux incitations. Enfin, voilà un an et demi, la loi Robien mettait
en place un système expérimental de réduction du temps de travail assortie
d'embauches pouvant donner lieu, par l'Etat, à des compensations partielles des
cotisations salariales à la charge de l'employeur.
L'intérêt de ces dispositions réside dans la large marge de manoeuvre laissée
aux entreprises dans la recherche de solutions adaptées à chaque situation par
la négociation avec les salariés et les organisations syndicales.
Jusqu'au projet de loi que vous nous proposez aujourd'hui, madame le ministre,
la négociation décentralisée avait été privilégiée pour trouver une flexibilité
de l'emploi articulant la dimension sociale et la dimension économique.
L'objectif essentiel est de concilier le travail des salariés et la nécessité
de l'entreprise, et de trouver des horaires qui conviennent à chacun.
Aucun de ces textes n'a trouvé sa justification dans une incidence sur le taux
de chômage. Pourtant, c'est bien ce que l'on prétend par le présent projet de
loi, bien que, à ce jour, aucune corrélation n'ait été établie entre le temps
de travail et le taux de chômage.
En Espagne, pays où la durée hebdomadaire du travail est de 40,7 heures, le
taux de chômage atteint 21 %. En Finlande et en Grèce, on travaille 40,3 heures
par semaine, mais le taux de chômage est de 16 % en Finlande, contre seulement
10 % en Grèce.
La baisse de la durée du travail a parfois été de pair avec le fléchissement
du chômage : c'est le cas en Allemagne, en Belgique et aux Pays-Bas. Mais on
note aussi que la baisse de la durée du travail a parfois, au contraire,
entraîné une hausse du chômage, comme en Espagne et en Italie.
S'agissant de la Grande-Bretagne où les résultats semblent meilleurs, il est
bon d'avoir présent à l'esprit que la population active est en baisse
constante, alors que, dans notre pays, elle augmente dans les mêmes proportions
: soit deux points et demi en moins d'un côté et deux points et demi en plus de
l'autre. Cela méritait d'être précisé.
Toutefois, on peut retenir certains éléments communs dans les pratiques
européennes en matière de durée du travail.
Le module de la semaine classique tend à disparaître : désormais, 31 % des
salariés européens ont des horaires atypiques ; en Italie, le débat porte non
seulement sur la réduction du temps de travail, mais aussi sur le travail le
dimanche.
Par ailleurs, le dialogue social est totalement décentralisé. La négociation
se fait à l'échelon des branches, des acteurs, des entreprises.
Enfin, la tendance générale est à l'annualisation du temps de travail, qui
offre un espace d'organisation plus recevable à bien des égards.
Le dernier dispositif mis en place à la mi-1996 permet tout cela. Plus de 1
500 conventions ont été signées. Dans une conception négociée et dynamique, ces
accords donnent satisfaction aux partenaires concernés. Le coût des emplois
sauvés ou créés, si mes chiffres sont exacts, se situe entre 24 000 et 65 000
francs, soit trois fois moins que le coût d'un chômeur et deux fois moins qu'un
emploi-jeune.
Face au mauvais procès fait aux entrepreneurs de ne s'attacher qu'aux
avantages incitatifs en faisant fi des contreparties, il convient de mettre en
avant le fait que ceux qui ont eu recours aux dispositions de la loi Robien ont
largement rempli leur contrat avec un accroissement d'emplois de 11,4 %.
En même temps, cette flexibilité est bien liée à toute une série d'activités
économiques et, en particulier, adaptée à l'industrie française la plus
importante en matière d'emploi, je veux parler du tourisme. Cette flexibilité
peut être très demandée par certaines entreprises et par leur personnel dans le
cas d'un passage à une moyenne de quatre jours par semaine, modulée soit par
des périodes de trois jours et des périodes de cinq jours, soit par des
périodes bloquées de congés.
Ce passage négocié avec diminution de salaire et recrutements correspondants a
été largement expérimenté. Vous connaissez, je pense, les thèses de M.
Larrouturou et les expériences qui ont été menées avec augmentation des
recrutements, satisfaction des personnels et augmentation de la
compétitivité.
Cela est d'autant plus important dans le monde moderne que le travail des
techniciens, des cadres et des ingénieurs se mesure non en heures, mais en
innovation, et que ce type de travail augmente.
M. Pierre Laffitte.
Très bien !
M. Bernard Joly.
Qu'il eût fallu peaufiner un texte perfectible, nul n'en disconvient. Mais
pourquoi le balayer en raison, notamment, de son caractère provisoire ? Il
était expérimental, et l'expérience n'a pas mal réussi.
Dans le « reprofilage » des aides de la loi Robien proposé par notre
commission des affaires sociales, auquel je souscris, j'aurais aimé une
incitation à l'adresse du système bancaire, afin qu'il soit plus réceptif aux
besoins des entreprises. De nombreux dirigeants de PME prétendent que les
garanties demandées pour les prêts ne tiennent pas compte des carnets de
commande ou que les renégociations d'emprunts sont titanesques. En résumé, on
peut trouver de l'argent quand on n'en a pas besoin.
Au lieu, donc, d'une amélioration fondée sur l'observation d'une situation
vécue, nous sommes devant une réduction autoritaire du temps de travail qui
indispose de toutes parts. Les détracteurs sont non pas des émules du CNPF,
mais des dirigeants de PME-PMI, qui sont le vivier de l'économie nationale. Ce
sont, en effet, ces structures moyennes qui constituent le potentiel d'emplois
et d'activités. Ces chefs d'entreprise, globalement, ne veulent pas de ce
texte.
M. Henri Weber.
Et alors ?
M. Bernard Joly.
Les critiques sont variées : le travail au noir va connaître une embellie avec
une demi-journée supplémentaire qui lui sera consacrée,...
M. Pierre Mauroy.
Oh !
M. Bernard Joly.
... les améliorations de productivité se feront au profit de machines, les
heures supplémentaires augmenteront de 188 heures majorées à 25 %, le coût
horaire de la main-d'oeuvre s'accroîtra de 15 % et la production baissera de 10
%. Par ailleurs, le SMIC a crû bien plus que les salaires moyens, au point de
rattraper les premières catégories de salariés ; ainsi, le nombre de personnes
concernées augmente à chaque réajustement alors que le nombre d'emplois de ces
catégories devrait diminuer avec la désindustrialisation de notre société.
Selon certains travaux, une augmentation de un point du SMIC engendrerait même
un demi-point de chômage. Qu'adviendrait-il, dans le cas de la réduction du
temps de travail que nous examinons, si la solution consiste à payer 39 heures
pour 35 heures de travail ? Ni les salariés ni les entreprises ne doivent faire
les frais d'une expérience hasardeuse.
L'Etat doit initier, impulser, susciter, mais ne doit en aucun cas se
substituer aux acteurs. C'est pourtant ce qu'il fait. Comment peut-on envisager
de décider, aujourd'hui, ce qui est bon pour l'ensemble d'un pays en matière
d'organisation du temps, pour lequel un ministère avait été spécialement créé
en 1981 ?
Si un seuil de revenu minimum doit être garanti par la collectivité en cas de
défaillance, au-delà des choix individuels doivent prévaloir. Les dispositifs
doivent constituer des accompagnements dans le respect des règles de la société
au premier rang desquelles figure le bon fonctionnement de ladite société. Ce
projet inverse les termes. Je ne peux donc y souscrire tel qu'il nous est
présenté.
(Applaudissements sur certaines travées du RDSE, sur les travées
des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Duffour.
M. Michel Duffour.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce projet de
loi est un texte capital, comme mon collègue et ami M. Guy Fischer l'a rappelé
dans son intervention. Il s'agit, en effet, de réussir, après la création des
emplois-jeunes, la seconde réforme de structure du Gouvernement. A l'évidence,
le processus amorcé peut s'inscrire dans l'histoire des avancées sociales, à
l'image de la loi de 1906 instituant le repos dominical obligatoire, de la loi
de 1919 sur la journée de huit heures, de la grande loi de 1936, comme cela a
été dit à plusieurs reprises, instituant la semaine de quarante heures et les
deux semaines de congés payés.
Le devenir des 35 heures se jouera dans les négociations de branche et
d'entreprise. Compte tenu des positions du patronat, la partie va être rude.
Nous ne faisons pas du patronat un bloc. Le dialogue n'aura pas forcément la
forme brutale prônée par les instances du CNPF.
Il n'en demeure pas moins que la pensée unique est si présente chez nos chefs
d'entreprise - nous dirons, à leur décharge, qu'ils ne sont pas les seuls à
avoir le dogme de la rentabilité comme unique référence idéologique - que
l'idée selon laquelle il faut penser le devenir et l'efficacité de l'outil de
travail en lien avec la promotion des individus et l'intervention citoyenne
aura du mal à faire son chemin.
L'analyse de 1 400 accords signés dans le cadre du dispositif Robien donne
une indication des enjeux. L'organisation de la production a été au centre des
discussions dans trois négociations sur quatre. C'est normal. Mais dans plus
d'un cas sur deux il s'agit seulement de moduler le temps de travail en
fonction des fluctuations de l'activité. C'est seulement dans un cas sur six
que l'on imagine pouvoir amorcer des économies sur le coût des équipements en
les utilisant plus.
Aucun accord recensé ne mentionne un débat sur les autres coûts, les charges
d'intérêt, les coûts de structure.
Systématiquement, l'approche consistant à faire des économies sur la
main-d'oeuvre prime sur la réflexion autour des projets de développement.
Ce projet de loi, par son ampleur et ses ambitions, va donc heurter bien des
raisonnements.
Tout doit donc être fait pour aider à l'élargissement du débat, pour conforter
l'aspiration au dialogue, pour développer l'échange démocratique.
Ce projet de loi, a-t-il été souvent dit, ne peut être mis en oeuvre de
manière mécanique.
Il est certain que l'organisation du travail est beaucoup plus complexe que
jadis. La souplesse permettant l'adaptation est donc une voie obligée. Mais la
gauche n'a aucun intérêt à jouer avec les mots. Nous sommes bien d'accord avec
vous, madame la ministre, lorsque vous affirmez refuser toute « flexibilité
portant atteinte au droit du travail ».
La recherche de flexibilité a une histoire et l'expérience des quinze
dernières années marque beaucoup de consciences. Le code du travail n'a cessé,
depuis le début des années quatre-vingt, d'évoluer dans le sens souhaité par le
patronat. Cette inflexion est réversible.
Pour que le projet de diminution du temps de travail et de création d'emplois
atteigne son but, il faut une participation confiante des salariés, la
certitude pour eux d'être protégés, une législation plus bienveillante pour les
organisations syndicales, une liberté d'information permettant aux acteurs du
dialogue d'être à armes égales.
Le projet de loi amorce des pas en cette direction. Nous aimerions que leur
portée soit renforcée.
Nous nous félicitons de l'amélioration du texte en première lecture de façon à
créer un cadre et un socle assez solide favorisant les négociations.
Nous approuvons le fait que les salariés aient obtenu des droits nouveaux pour
suivre la mise en place des accords de réduction du temps de travail et que des
instances paritaires spécifiquement créées à cet effet voient le jour. Nous
nous réjouissons de ce qu'une organisation syndicale ou son représentant puisse
saisir l'autorité administrative en cas de difficulté d'application d'un
accord, que le salarié mandaté soit accompagné, lors des séances de
négociation, par un salarié de l'entreprise choisi par lui ou encore que le
salarié mandaté à la négociation de l'accord ainsi qu'aux réunions nécessaires
pour son suivi soit payé comme étant en temps de travail. Madame la ministre,
j'ai pris bonne note de votre engagement pris à l'Assemblée nationale de
préciser les droits pour les salariés mandatés lors de la deuxième lecture.
C'est en effet, à mon avis, une question sur laquelle il nous faut avancer
rapidement.
Nous estimons nécessaire de renforcer à court terme le cadre juridique et les
conditions dans lesquelles ces négociations vont se dérouler.
Nous avions jugé négativement l'accord interprofessionnel du 31 octobre 1995
permettant la signature d'accords collectifs dans les entreprises dépourvues de
délégué syndical. Je rappelle que cet accord a été intégré dans le code du
travail par la loi Juppé du 12 novembre 1996 contre l'avis des partis de gauche
et de nombreux observateurs du droit du travail. Aujourd'hui, ce texte devient
un instrument majeur de la négociation de la réduction du temps de travail et -
nous ne le cachons pas - cela nous inquiète.
Dans ces conditions, la question de l'élargissement des pouvoirs des salariés
et de leurs organisations syndicales se pose. Nous avons déposé plusieurs
amendements pour signifier notre souci de progresser dans cette direction. Ces
organisations doivent participer à des réunions d'information même là où elles
ne sont pas représentées. La transparence et le contrôle doivent aussi être
développés, en s'appuyant sur la population et les élus. Nous proposons que les
aides prévues à l'article 39-1 soient attribuées après avis conforme du comité
départemental de la formation professionnelle, de la promotion sociale et de
l'emploi, le CODEF, et du comité départemental de financement des entreprises,
le CODEFI, sur la base d'un rapport de l'inspection du travail.
La démocratisation de la négociation collective implique d'ores et déjà, selon
nous, que seule une représentativité majoritaire puisse valider un accord après
consultation du personnel et que l'on abaisse les seuils pour la mise en place
des institutions représentatives ; elle appelle un renforcement de la
protection des représentants du personnel, l'institution de règles de
transparence, d'informations et de bonne foi dans la négociation, ainsi que la
suspension de toute aide ou exonération en cas d'absence de représentation élue
et syndicale du personnel.
Le champ de la démocratie est considérable. Nous pensons qu'il faut, avec
beaucoup de courage, l'occuper. Tout le dispositif du Gouvernement en dépend.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe communiste
républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Gérard Larcher.
(Applaudissements sur les travées du
RPR.)
M. Gérard Larcher.
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, je pense que
l'on ne pourra me reprocher, dans cet hémicycle, de ne pas être ouvert à une
réflexion sur l'aménagement du temps de travail.
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission.
Certes !
M. Gérard Larcher.
En 1993, M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires
sociales, et moi-mêmes avons été à l'origine des premières expérimentations sur
la réduction négociée du temps de travail à travers un amendement adopté par le
Sénat lors de la discussion de la loi quinquennale relative au travail, à
l'emploi et à la formation professionnelle, après un débat assez passionné au
sein de cet hémicycle, débat au cours duquel la gauche de cette assemblée
s'était montrée particulièrement dogmatique, tout comme elle l'a été lors de la
discussion de la proposition de loi Robien.
Nous avions pensé à l'époque que, si l'aménagement du temps de travail pouvait
être un outil en faveur de la lutte contre le chômage, il n'était néanmoins
qu'un outil parmi d'autres qui devait être exploré et qu'il convenait
d'expérimenter.
L'expérimentation s'est d'ailleurs révélée plutôt positive.
Notre premier devoir de politiques, dans la diversité de nos sensibilités,
consiste à ne pas faire rêver, surtout dans ce domaine si sensible.
MM. Jean Chérioux et Serge Vinçon.
Eh oui !
M. Gérard Larcher.
Il consiste à répéter encore et toujours que ni l'emploi ni la croissance ne
se décrètent, mais qu'il nous faut faire de ces deux objectifs nos priorités,
en sachant que si l'une, la croissance, est indispensable à l'autre, l'emploi,
la seule croissance - et je me réjouis comme chacun d'entre vous, mes chers
collègues, de la voir au rendez-vous de ce début d'année - même si elle
atteignait 5 % par an, ne pourrait permettre à elle seule d'apporter une
réponse à plus de 3 millions de nos concitoyens qui sont aujourd'hui exclus de
l'emploi.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Alain Gournac.
C'est la réalité !
M. Gérard Larcher.
En 1993, nous disions - cela est d'ailleurs toujours vrai - qu'il serait
fallacieux de faire croire aux Français qu'une réduction de la durée du temps
de travail pourrait être mise en oeuvre sans, à tout le moins, une
stabilisation de la masse salariale et, de fait, une réduction modulée dans la
durée d'un certain nombre de salaires.
On ne peut pas imaginer d'abaisser de 11 % la durée du temps de travail tout
en maintenant systématiquement tous les salaires à un niveau comparable. Toute
affirmation contraire me paraît être source de désillusion future.
Nous disions à cette époque que la solution à nos difficultés économiques et
sociales ne pouvait provenir d'une réduction massive, uniforme et surtout
autoritaire de la durée du temps de travail.
M. Serge Vinçon.
C'est vrai !
M. Gérard Larcher.
Eh bien, aujourd'hui comme il y a quatre ans, nous ne voulons pas être des
illusionnistes. Oui - et cela m'a parfois d'ailleurs différencié d'un certain
nombre de mes amis - je suis pour un aménagement du temps de travail à 32
heures ou à 35 heures, mais je suis favorable à un aménagement du temps de
travail négocié librement...
M. Alain Gournac.
Oui, librement !
M. Gérard Larcher.
... entre les partenaires sociaux, entreprise par entreprise, avec de fortes
incitations financières et fiscales. Je crois très sincèrement qu'une réduction
du temps de travail autoritaire et systématique, indifférenciée malgré la
diversité des entreprises, est une erreur économique et sociale et que, pour
s'en sortir, les entreprises comme les services de l'Etat devront trouver des «
marges de souplesse » qui ne seront pas dans ce texte.
Madame le ministre, votre texte me paraît être une approche trop idéologique
et pas assez économique.
Certes, ce projet figurait dans le programme électoral du parti socialiste.
Mais la priorité devrait être au dialogue social plutôt qu'à l'uniformité et à
la réglementation autoritaire. Et si j'ai un reproche majeur à adresser au
patronat et aux syndicats, à l'exception notable de la CFDT, c'est qu'ensemble
ils n'ont pas joué le jeu de l'accord de l'automne 1995 signé sous l'égide de
M. Alain Juppé.
M. Henri Weber.
C'est tout le problème !
M. Alain Gournac.
Eh oui !
M. Gérard Larcher.
Oui, imposer ainsi les 35 heures, c'est faire une erreur de fond sur
l'appréciation des vrais leviers de l'emploi. La résorption du chômage
nécessite aussi une politique qui favorise l'investissement, la valorisation
des outils de travail, l'allégement des contraintes administratives et la
recherche d'un coût salarial nous laissant des marges de compétitivité.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR.)
Pour améliorer la situation de l'emploi, il faut rendre l'investissement plus
attractif. Aujourd'hui, dans notre pays, la majorité des usines tournent à
nouveau à pleine capacité, ce dont nous pouvons nous réjouir. Mais, pour
embaucher, il faudrait en fait favoriser les dépenses d'équipement en France
même et non ailleurs, que ce soit en Europe, en Asie ou en Amérique ! Voilà
pourquoi je m'inquiète de certaines rumeurs quant à l'éventualité d'un impôt
sur l'outil de travail qui se profilerait pour l'automne prochain.
Les contraintes que vous allez faire peser sur les entreprises, madame le
ministre, vont à mon avis conduire certaines d'entre elles, souvent contre la
volonté initiale, à opérer des délocalisations pour demeurer compétitives.
D'ailleurs, ne le font-elles pas déjà, dans la situation actuelle ?
M. Henri Weber.
Pas trop !
M. Gérard Larcher
Il est évident que le développement de l'emploi passe par une modération du
coût du travail et par une meilleure valorisation du savoir-faire des
salariés.
La France et l'Europe - M. Hoeffel le rappelait tout à l'heure - sont
confrontées à la grande vague de la globalisation des marchés. Elles n'ont pas
la possibilité de s'y opposer, mais peuvent judicieusement se positionner. Les
travailleurs français sont aujourd'hui en concurrence avec les travailleurs
d'Asie et d'Amérique, non pas à cause des intentions plus ou moins
malveillantes des industriels, mais à cause des consommateurs eux-mêmes, qui
imposent, par leurs choix journaliers, une logique économique implacable.
M. Henri Weber.
Et alors ?
M. Gérard Larcher.
A propos de coût social, je souhaiterais, madame le ministre, connaître les
prévisions de croissance de la contribution sociale généralisée pour combler le
déficit de la sécurité sociale créé par le refus du Gouvernement de respecter
la loi du 24 juillet 1994 l'obligeant à compenser toute exonération des charges
sociales.
Je m'interroge aussi sur le niveau de préparation technique des modalités
d'application des 35 heures.
M. le président de la commission des affaires sociales a évoqué tout à l'heure
le SMIC, et je n'y reviendrai donc pas. Je dirai simplement que je partage à ce
sujet les interrogations qu'il a formulées.
Le temps partiel est source de création d'emplois ; il permet à certains
salariés, à leur demande, de mieux organiser leur temps de travail, et il est
donc étonnant, madame le ministre, que vous dressiez des barrières à cet
égard.
Ainsi, alors qu'un certain nombre d'autres gouvernements européens, y compris
des gouvernements socio-démocrates, n'hésitent pas à adopter cette voie, vous
rigidifiez le recours au travail à temps partiel pour en réduire, en fait,
l'usage.
M. Alain Gournac.
Très bien !
M. Gérard Larcher.
C'est oublier que le temps partiel est bien souvent le premier pas d'une
insertion professionnelle...
M. Jean Chérioux.
C'est vrai !
M. Gérard Larcher.
... ou la solution pour une personne - je pense notamment aux mères d'enfants
en bas âge, aux salariés en retraite progressive - de continuer à exercer une
activité professionnelle.
Mme Dinah Derycke.
Pas du tout !
M. Gérard Larcher.
En outre, on sait que le développement du temps partiel a des effets positifs
sur l'emploi. L'exemple des Pays-Bas est à méditer à cet égard. Pourquoi donc
décourager les acteurs économiques d'y recourir ?
A titre d'exemple, j'évoquerai un secteur qui me paraît particulièrement
menacé, dans lequel le nombre d'emplois non qualifiés nécessaires pour répondre
aux problèmes que nous rencontrons dans nos villes est particulièrement
important : le secteur de la propreté-nettoyage.
Il existe un accord de branche dans ce secteur qui emploie quelque 250 000
salariés en France : il prévoit le transfert des personnels lorsqu'un marché
est gagné par une autre entreprise.
Que se passera-t-il si ces nouveaux personnels font passer à l'entreprise la
barre des vingt salariés au-delà de laquelle la réforme sera appliquée dès l'an
2000 ?
Que se passera-t-il si les nouveaux personnels transférés bénéficient des 35
heures, mais pas ceux qui sont dans l'entreprise qui les intègre ?
Les vacations des personnels des entreprises de propreté ne pouvant se
dérouler qu'en dehors des heures de bureau, comment respecter le délai maximal
de deux heures entre deux vacations...
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Ce sont des exceptions !
M. Gérard Larcher.
... si celles-ci ne peuvent être effectuées que tôt le matin et tard le soir ?
La solution serait de permettre aux salariés de ne faire qu'une seule vacation
par jour !
M. Alain Gournac.
Oui !
M. Gérard Larcher.
Je souhaite qu'il soit prévu, à cet égard, un certain nombre de dérogations et
d'adaptations pour répondre à cette préoccupation spécifique.
M. Henri Weber.
C'est le bon sens même !
M. Gérard Larcher.
Mais, à côté de la modulation de la répartition du temps de travail, qui peut
être un outil,...
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Cela figure déjà dans la loi
!
M. Gérard Larcher.
... il nous faut réfléchir aux facteurs de compétitivité qui sont les leviers
essentiels pour développer l'emploi et s'interroger sur les entraves réelles à
l'emploi.
Quelle est la durée annuelle du travail dans le monde ? Les statistiques dont
je vais faire état proviennent de deux sources : Eurostat et la DG XII. Aux
Etats-Unis, elle est de 1 951 heures ; au Japon, de 1 919 heures ; au
Royaume-Uni, de 1 723 heures ; en France, de 1 529 heures ; en Allemagne, de 1
508 heures.
Quel est le poids des cotisations sociales en pourcentage du salaire ? En
Irlande, il est de 20 % ; aux Etats-Unis, de 21 % ; au Royaume-Uni, de 22 % ;
en Allemagne, de 35 %. La France est en tête avec l'Italie, avec le double du
Royaume-Uni !
Quel est le coût réel de la main-d'oeuvre dans l'industrie ? Quand il est de
110 au Royaume-Uni, il est de 135 aux Etats-Unis, de 150 en France. Seule
l'Allemagne nous devance aujourd'hui, avec 158. Or on connaît aujourd'hui la
situation sociale et économique de nos amis allemands !
Que représentent les prélèvements obligatoires, en pourcentage du PIB ? En
1996, ils étaient, aux Etats-Unis, de 27,9 % ; en Allemagne, de 38,2 % ; au
Royaume-Uni, de 35,3 % ; en France, de 45,7 %.
Et permettez-moi de citer quelques chiffres comparatifs sur l'emploi, ainsi
que, sujet qui nous préoccupe tous quelles que soient les formations politiques
auxquelles nous appartenons, sur le taux d'activité des jeunes de quinze à
vingt-quatre ans : aux Etats-Unis, ce taux est de 65,5 % ; en Allemagne, de
55,7 % ; au Royaume-Uni, de 70,7 % ; en France, de moins de 30 %.
M. Henri Weber.
Eh oui !
M. Gérard Larcher.
Quel est le taux des emplois de type administratif ? Aux Etats-Unis, il est de
15,4 % ; en Allemagne, de 15,7 % ; au Royaume-Uni, de 14,4 % ; en France, de
24,5 %.
M. Henri Weber.
Qu'est-ce que cela prouve ?
M. Gérard Larcher.
Comparons maintenant les formalités nécessaires pour créer une entreprise en
France, en Irlande et en Grande-Bretagne : en France, il faut de dix à vingt et
un documents et, en moyenne, de un à cent cinq jours.
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Qu'avez-vous fait depuis cinq
ans ?
M. Gérard Larcher.
En Irlande, il faut de deux à six documents et de un à vingt-six jours ; en
Grande-Bretagne, il faut de quatre à huit documents et de un à quarante-deux
jours.
M. Henri Weber.
C'est aujourd'hui que vous vous en rendez compte ?
M. Gérard Larcher.
Voilà quelques-uns des constats, madame le ministre, mes chers collègues, dont
nous partageons tous la responsabilité.
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Ah, quand même !
M. Gérard Larcher.
Il n'est pas question de jeter des statistiques à la figure du gouvernement
actuel.
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
C'est bien de le reconnaître
!
M. Gérard Larcher.
... pas plus qu'on ne peut le faire à l'égard des gouvernements précédents.
Mais il existe d'autres clés pour lutter contre le chômage, contre nos
rigidités à l'égard de l'emploi, et ces clés, il faut aussi les actionner.
Le découplage des politiques économiques et sociales n'est pas l'horreur
absolue, mais devrait permettre de retrouver une dynamique, ce qui n'exclut
nullement une politique sociale hardie de justice et de compensations sociales
: je pense à l'impôt négatif, à l'aide spécifique aux plus défavorisés et aux
jeunes en insertion professionnelle, je pense au logement et au niveau de
protection sociale.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du
RPR).
Comme vous, madame le ministre, je souhaite lutter contre le chômage et
utiliser tous les outils possibles, parmi lesquels la réduction du temps de
travail.
Notre collègue Louis Souvet a fourni un travail de réflexion approfondi et des
propositions que nous soutiendrons. Ce sont d'ailleurs les gouvernements
d'Edouard Balladur et d'Alain Juppé qui ont ouvert le chemin de l'adaptation du
temps de travail, et je suis de ceux qui ont soutenu tant les amendements de la
loi quinquennale que la proposition de loi de notre collègue Gilles de
Robien.
Certes, aujourd'hui, il fallait avancer sur ce chemin d'une manière plus
déterminée - car nous n'avions pas été assez déterminés - ...
M. Henri Weber.
C'est le moins que l'on puisse dire !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission.
Ils ont voté contre. Qu'ils se taisent !
M. Gérard Larcher.
... mais un texte trop généraliste et autoritaire tel que celui-ci ne
correspond pas à la diversité de la situation de nos entreprises. Certaines,
les plus grandes d'entre elles, apprivoiseront ce texte ou « braconneront à la
marge », utilisant les effets d'aubaine.
(Très bien ! sur les travées du
RPR.)
En douceur, avec professionnalisme, ce texte peut même leur permettre
d'organiser de manière différente leur productivité.
Celles-ci ne m'inquiètent pas trop car, de toute façon, elles devront obéir à
la logique des coûts et de la concurrence et, n'en doutons pas, si nécessaire,
elles iront produire ailleurs car elles n'auront pas d'autre choix.
Celles qui m'inquiètent le plus, ce sont nos petites et moyennes entreprises,
qui sont aujourd'hui le dynamisme de l'emploi et la trame du territoire. Elles
risquent, pour les plus fragiles ou les plus nouvelles d'entre elles, de se
recroqueviller, de rechercher toutes les voies pour maîtriser leurs coûts en
débauchant, en ne remplaçant pas. J'en sens d'ailleurs les prémices.
Madame le ministre, le marché ignore la loi, les idéologies et nos débats. Il
est aujourd'hui mondial ; il n'est ni apprivoisable ni « décrétable ». Face à
lui, nous n'avons qu'une seule alternative,...
M. Henri Weber.
Nous soumettre !
M. Gérard Larcher.
... le gagner.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains
et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Hérisson.
M. Pierre Hérisson.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, c'est non pas
la réduction de la durée du travail en tant que telle que nous rejetons, mais
bien l'application que le Gouvernement fait de cette évolution.
Nous ne sommes pas
a priori
contre la réduction du temps de travail, et
nous l'avons prouvé dans le passé en votant l'article 39 de la loi quinquennale
du 30 mars 1994 relative au travail, à l'emploi et à la formation
professionnelle, et en votant la loi Robien du 11 juin 1996, tendant à
favoriser l'emploi par l'aménagement et la réduction conventionnelle du temps
de travail.
C'est la raison pour laquelle, avec mes collègues du groupe de l'Union
centriste et avec la majorité sénatoriale tout entière, nous ne pourrons que
soutenir aujourd'hui le rapporteur de la commission des affaires sociales en
adoptant l'ensemble des amendements qu'il proposera au nom de la commission,
souhaitant ainsi marquer une position qui soit en phase avec les réalités
économiques de notre pays.
Nous voterons donc la suppression de l'article 1er pour supprimer, par là
même, le caractère obligatoire et autoritaire de la réduction de la durée du
travail, que nous jugeons totalement irréaliste, principalement en raison de la
diversité des entreprises qui fait la richesse du système économique dans notre
pays.
Une loi carcan telle que celle que vous nous proposez n'a aucune chance de se
solder par la réussite. C'est pourquoi nous avons choisi de l'assouplir en
favorisant la négociation, l'annualisation, la flexibilité, le temps partiel,
la protection des petites et moyennes entreprises, qui jouent un rôle
considérable dans l'économie française et qui constituent, sans aucun doute, le
terreau de l'emploi de demain.
Quelle définition peut-on retenir pour la petite et moyenne entreprise pour
demain : vingt salariés, cinquante salariés, ou deux cent cinquante salariés ?
C'est là une vraie question.
La réduction de la durée légale du travail doit s'inscrire dans une logique
d'annualisation du temps de travail pour répondre à une meilleure répartition
de celui-ci sur l'année calendaire.
C'est la raison pour laquelle il convient de quitter le module hebdomadaire
pour aller vers un module annuel. Les entreprises du bâtiment et des travaux
publics sont disposées aujourd'hui à prendre les risques de l'expérimentation
dans ce domaine.
Le système de l'aménagement-réduction du temps de travail doit permettre
d'atteindre un équilibre entre les besoins de souplesse des entreprises et les
conditions de vie des salariés, et il impose des solutions différenciées selon
les branches et les entreprises.
Dès lors que le projet de loi est particulièrement rigide en ce qui concerne
l'objectif des 35 heures, il nous a paru essentiel d'équilibrer le cadre
général des négociations. Cela ne peut passer que par l'annualisation,
revendication principale des chefs d'entreprise qui souhaitent sincèrement
s'engager dans une démarche d'aménagement-réduction du temps de travail, dans
l'intérêt mutuel des entreprises et des salariés.
La notion moderne d'aménagement du temps de travail est devenue une composante
majeure de tout discours macro-économique et s'impose aujourd'hui aux décideurs
pour orienter leur stratégie d'entreprise.
Il s'agit désormais, sinon de vaincre la crise, du moins d'adapter au mieux
les ressources humaines au nouvel ordre économique, mais également aux
aspirations individuelles des salariés. Il s'agit d'évoluer vers une culture
d'entreprise qui gère la ressource humaine comme un investissement à long
terme.
Une forte réduction de la durée individuelle n'est pas en elle-même suffisante
pour créer de nouveaux postes de travail.
Pour les entreprises dont l'activité est très saisonnière, les horaires
variables permettront non seulement d'éviter le surcoût des heures
supplémentaires, mais surtout de rester à flot, c'est-à-dire de rester dans la
course et de ne pas licencier pour, ensuite, déposer le bilan.
Les débats sur la flexibilité, la réduction du temps de travail, le partage du
travail et le temps choisi ont traversé le champ public de façon récurrente
jusqu'à s'imposer comme un paramètre premier de toute réflexion prospective sur
le devenir de nos sociétés.
Faute d'entraîner une création nette d'emplois par une croissance soutenue, il
s'agit désormais de prévenir le chômage par une politique d'aménagement du
temps de travail adaptée.
Dans cette logique, il faut noter l'expansion sensible, dans notre pays, du
temps partiel, décliné sur des formes variables et favorisé notamment par
certaines dispositions de la loi quinquennale du 30 mars 1994, qui concerne
aujourd'hui près de 3,2 millions de salariés, soit près de 14 % de la
population active salariée. Le développement du temps partiel aurait ainsi
permis la création de 115 000 emplois en l'espace de vingt-quatre mois.
Le temps partiel doit toutefois rester du temps partiel et non tendre vers le
temps plein ; c'est cette notion que nous voulons protéger en soutenant les
amendements de la commission des affaires sociales. Avec le passage aux 35
heures, la limite supérieure du temps partiel passe de 32 à 28 heures ; à 29
heures, on n'est donc plus dans le temps partiel. Cela n'a guère de sens.
Il faut donc modifier la définition du travail à temps partiel pour la
conformer à la définition de bon sens donnée par la directive européenne du 15
décembre 1997, selon laquelle sont considérés comme horaires à temps partiel
les horaires inférieurs à la durée légale du travail.
La commission des affaires sociales et son rapporteur ont donc opté pour un
reprofilage de la loi Robien et, avec la majorité sénatoriale tout entière,
nous approuvons et soutenons ce choix.
Les entreprises craignent davantage les conséquences du coût des 35 heures que
la réorganisation du travail qu'elles impliquent. Nous savons tous que la
réussite de votre loi, madame le ministre, dépend des importants sacrifices
salariaux qui vont être demandés aux salariés en général, et surtout aux
salariés à revenus moyens et aux cadres.
En l'état, votre loi va indéniablement accroître le coût du travail et sera
donc, à terme, destructrice d'emplois : l'objectif inverse de celui que vous
cherchez à atteindre.
Réduire la durée du travail diminue la production par individu. Cette baisse
de la productivité entraîne un coût qui peut être supporté soit par les
salariés s'ils acceptent, en échange d'un temps de travail réduit, un salaire
mensuel plus bas, soit par les entreprises si elles diminuent leurs marges,
soit encore par le consommateur si les entreprises répercutent la hausse des
coûts dans les prix. Ce coût peut être diminué, à l'échelle de l'entreprise,
par une hausse induite de la productivité du travail ou d'autres facteurs de
production.
Telle est la problématique de la réduction du temps de travail.
Puis-je encore me permettre de rappeler quelques règles de trois, madame le
ministre ?
Réduire la durée du travail est coûteux. Un passage généralisé, imposé et
effectué par tous de 39 à 35 heures - c'est-à-dire correspondant à une baisse
de 10 % de la durée du travail - conduirait à la création de quelque deux
millions d'emplois et à une baisse d'un million et demi du nombre des chômeurs.
C'est donc une très bonne piste.
Mais à une telle baisse de la durée du travail est associé un coût, que l'on
peut estimer à plusieurs dizaines de milliards de francs par an, ce qui
correspond à 10 % de la masse salariale.
Qui va devoir prendre en charge ce coût ? Ce peut être les salariés, qui ne
recevront alors aucune compensation salariale ; les entreprises, qui
augmenteront probablement leurs prix, d'environ 6 % ; ou bien encore l'Etat,
qui accroîtra son déficit.
Toutes les études faites - dont celle qu'avait réalisée l'OFCE en 1993 -
démontrent que la réduction de la durée du travail est indissociable d'une
baisse des revenus des salariés en place.
En résumé, les 35 heures ne sont possibles et créatrices d'emplois qu'avec une
loi souple, privilégiant la négociation et l'aménagement du temps de travail,
surtout si les salariés acceptent des sacrifices et si les employeurs sont
d'accord, de leur côté, pour revoir le fonctionnement de leurs entreprises.
Les salariés sont-ils prêts à être payés moins pour que d'autres travaillent
plus ? C'est peu probable, et c'est la véritable question, car il n'y a qu'une
certitude : les entreprises françaises ne peuvent pas produire plus cher que
leurs voisins, sous peine de mettre la clef sous la porte et, par voie de
conséquence, de voir les salariés se retrouver au chômage.
(Applaudissements
sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et
Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les
reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures trente, est reprise à vingt et une
heures trente-cinq, sous la présidence de M. Jean Faure.)
PRÉSIDENCE DE M. JEAN FAURE
vice-président
M. le président.
La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée
nationale, d'orientation et d'incitation relatif à la réduction du temps de
travail.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Seillier.
M. Bernard Seillier.
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, je crois qu'on
peut distinguer une double inspiration dans les tentatives d'augmenter les
emplois offerts en diminuant la durée légale du travail. Cette double
inspiration marque tant la loi Robien que la vôtre, madame le ministre.
La première est d'ordre mécanique. Un peu comme la fission nucléaire produit
de l'énergie en multipliant le nombre d'atomes par division, la division du
travail pourrait de la même manière produire du travail.
Les diverses expériences montrent les limites de cette mécanique, en partie
vraie toutefois, comme l'expérience de la loi Robien, dans certaines conditions
d'application en a déjà apporté la preuve. Elle n'est pas toutefois une loi
universelle, susceptible de validation pour tous les types d'entreprises.
L'autre inspiration est d'ordre éthique. Devant le drame de la fracture
sociale créée par le niveau de chômage, chacun aurait le devoir de faire une
place au travail à d'autres qui en sont privés. Cette inspiration est
stimulante, mais pourrait être inquiétante.
Elle est stimulante en ce qu'elle réintroduit un mobile moral dans la vie
économique. Il y a là une petite flamme qui se rappelle à nous au sein de la
compétition universelle imposée par les lois d'un utilitarisme économique
obnubilé par la richesse matérielle.
Aurait-on à ce point oublié la finalité humaine de l'économie que l'on doive
s'émerveiller d'une odeur de générosité subitement distillée sur les lois
d'airain de la concurrence systématique ?
On se prend à rêver d'une organisation de la production et des échanges qui
favoriserait l'accès de chacun à la vie économique et sociale et nous ferait
oublier la notion même d'exclusion et de chômage. Une société idéale, autrement
dit.
Mais, hélas ! l'état des lieux nous arrache à la vision utopique. Les
difficultés s'accumulent sur le trajet qui conduirait du fond de la crevasse
jusqu'aux cimes convoitées. Personne, même parmi les plus fervents défenseurs
des vertus de l'abaissement de la durée légale du travail, n'en attend des
miracles.
Le débat se réduit finalement aux moyens de mise en oeuvre de l'instrument :
plus ou moins de contrainte, plus ou moins d'incitation, plus ou moins grande
taille des entreprises concernées ; on le constatera au cours des débats.
Cependant, la connotation morale d'un aspect au moins de l'inspiration mérite
que l'on s'y attache car, comme toute valeur, elle est à prendre au sérieux.
D'abord, parce qu'il y a quelque chose de juste en elle. Ensuite, parce qu'une
valeur morale peut aussi devenir folle, et c'est ce qui peut être inquiétant.
Enfin, parce qu'elle exige d'être bien située et régulée dans la hiérarchie des
valeurs dont vit une société.
Il y a incontestablement quelque chose de profondément juste dans le désir de
partager le travail. C'est même le ressort élémentaire d'une vie sociale
harmonieuse, telle qu'on doit la souhaiter, conforme à la justice. Mais d'où
vient un tel désir qui n'est pas naturel ? Il vient des fondements
philosophiques, culturels et religieux les plus anciens, je veux dire
l'inspiration judéo-chrétienne de nos sociétés, et l'ambition de son
universalisation au siècle des Lumières avec les déclarations universelles.
On retrouve donc là la trace de cette aspiration, cultivée depuis la loi
mosaïque, de l'amour de l'autre comme soi-même, mais constamment affrontée à
une organisation sociale qui la rend trop souvent inopérante, méprisée ou
pervertie au niveau de sa mise en oeuvre collective.
Nos régimes de protection sociale résultent directement de cette inspiration,
mais ils ne sont pas à l'abri d'une perversion quand, parfois, heureusement
très rarement, ils protègent et donc encouragent des comportements injustes,
qui portent atteinte notamment aux droits de l'être humain à vivre et à vivre
prioritairement dans une famille. Nous aurons l'occasion d'en reparler dans un
futur projet de loi déjà annoncé.
Alors, quand, aujourd'hui, j'aperçois la même inspiration altruiste dans la
volonté de partager le travail, je m'interroge sur les garanties que nous
prenons pour ne pas pervertir sa traduction dans notre législation.
S'il y a un élément positif dans cette aspiration à traduire dans notre
organisation collective une incitation à partager le travail, la question doit
être toutefois posée de savoir si les moyens utilisés sont satisfaisants.
Je crois qu'il est difficile de porter un jugement complet et définitif. De
nombreuses critiques ont été formulées quant au réalisme technique et pratique
de la mesure.
Je m'interrogerai ici sur l'autre aspect que j'ai soulevé. Le mobile moral du
partage du travail peut-il être aussi facilement que cela mis en oeuvre ?
Il apparaît d'abord comme pratiquement inaccessible à une décision
individuelle. Aucune personne n'est pratiquement en mesure de pouvoir décider
et de pouvoir aujourd'hui librement et isolément partager son travail. La voie
la plus féconde, et pratiquement la seule qui ait été mise en oeuvre jusqu'à
maintenant, est celle du partage des revenus par les mécanismes de
redistribution. Ainsi s'explique notre protection sociale.
Je ne crois pas qu'on puisse progresser en matière de solidarité sociale
autour de la notion de partage du travail, si l'on écarte la notion de partage
des revenus. Or le sujet est extrêmement sensible comme chacun a pu ou pourra
s'en rendre compte à l'avenir. Outre les difficultés qui résultent des
interférences entre minima sociaux et revenu minimum - SMIC et RMI, notamment -
que dire de la tyrannie du travail qui pèse sur les emplois des cadres ? Le
divorce croissant entre les conditions de travail des cadres et dirigeants, et
celles qui s'appliquent à des tâches quantifiables, donc sécables et
physiquement limitables en durée, ne constitue-t-il pas la source d'une autre
facture qui n'a pas encore révélé ni son ampleur ni toute sa problématique, au
sein même du milieu du travail ?
Quelle issue possible à l'isolement des cadres dans une position de plus en
plus extralégale
de facto
au plan de la durée du travail ?
On commence à constater la désaffection pour des emplois trop contraignants
intellectuellement, pyschologiquement et physiquement. La menace qui apparaît
là est alors l'impossibilité à satisfaire les offres de travail. Certaines
formations et qualifications difficiles commencent à être délaissées. On
observe ce phénomène aux Etats-Unis depuis plusieurs années et déjà en
France.
Plusieurs branches professionnelles éprouvent des difficultés à recruter le
personnel qualifié dont elles ont besoin, et doivent faire appel à des diplômés
de pays comme l'Inde. Le phénomène était récemment signalé dans la presse à
propos de l'industrie des semi-conducteurs. Où se trouvera, pour les fonctions
d'encadrement, le point d'équilibre entre le consentement à l'effort et la
rémunération de celui-ci ? Une diminution de la durée légale du travail durcira
encore le phénomène car elle est bien souvent tout simplement inapplicable pour
l'encadrement. C'est un vrai problème.
Par ailleurs, quand on ausculte la réalité actuelle de l'entreprise, on est
frappé par des évolutions rapides susceptibles de modifier considérablement
l'organisation générale du travail. Délocalisations, sous-traitance accrue,
ateliers flexibles avec télétravail, tout concourt à faire passer la structure
du tissu économique d'une cartographie statique à une image dynamique en
déconstruction et recomposition constantes.
Or ce dynamisme paraît très largement étranger à tout souci éthique et comme
incapable de l'intégrer quelle que soit la bonne volonté des responsables ; il
y a un véritable divorce.
Nous nous heurterions ainsi, non seulement aux rigidités physiques déjà
largement signalées, qui rendraient peu efficaces le levier de la durée légale
du travail pour créer des emplois, mais, en outre, à un déphasage complet entre
le mobile moral du partage et le mécanisme interne de la vitalité économique,
qui serait de plus en plus engendrée par les combinaisons infinies de la
technologie, notamment de l'électronique à travers les ressources de
l'informatique et des télécommunications sans laisser de place à un souci
éthique et parfois même pour lui échapper.
Le mouvement économique serait devenu comme « an-anthrope », si vous me
permettez ce néologisme, signifiant « sans homme » comme on dit « athée : sans
dieu ». Comble du paradoxe, l'économie achèverait son évolution vers l'absence
de finalité morale sous couvert d'un anthropomorphisme croissant de sa
structure apparente et, pourrait-on dire, de sa génétique. Le réseau Internet
n'est-il pas un symbole très fort par son maillage de neurones de ce phénomène
qui menace d'instrumentaliser notre propre humanité, en faisant de chacun de
nous un membre du cybermonde ?
Chaque ordinateur personnel n'est-il pas un neurone du grand cerveau mondial !
Et j'utilise moi aussi un de ces appareils. Nos méthodes et nos techniques
législatives risquent d'être largement inopérantes devant l'évolution amorcée
et qui se développe en échappant à notre contrôle.
C'est pourquoi, dans un tel contexte, il ne faudrait pas culpabiliser les
salariés qui ont un emploi ou les chefs d'entreprise comme s'ils étaient
partiellement responsables du chômage. On risquerait fort d'accroître encore un
peu plus la démoralisation de notre société. C'est en ce sens que je disais que
la démarche pouvait être inquiétante si elle était mal conduite.
On doit, au contraire, stimuler leur courage et leur engagement éthique. S'il
y a une légitime interrogation morale à cultiver, elle doit d'abord porter
traditionnellement sur l'usage que nous faisons de notre richesse, et, ensuite,
de manière plus moderne, sur l'effort d'imagination auquel nous devons nous
astreindre pour refinaliser le dynamisme économique au service de l'homme,
alors qu'il menace de nous échapper.
Où se situe le lieu de ce discernement ?
Tout d'abord dans la conscience individuelle, car c'est là que se noue et se
conclut tout débat moral, mais encore aujourd'hui au niveau d'un effort
collectif conséquent pour mettre à jour l'anthropologie qui sous-tend nos
conduites.
C'est d'abord à l'éducation nationale de nourrir ce débat essentiel au seuil
du xxie siècle.
Gardons-nous de vivre dans une sorte de « fidéisme anthropologique », comme si
le concept d'humanité sur lequel nous avons construit nos institutions modernes
était indestructible, et même autorégénéré indépendamment de tout effort de
notre part.
Hélas ! ou plutôt tant mieux, il n'en est rien, et, aujourd'hui, la
spécificité de l'humanité qui est la nôtre risque de nous devenir plus
étrangère que nos oeuvres et nos machines, et ne peut pas être réinvestie
culturellement sans notre volonté. Elle risque fort d'être évanescente derrière
notre dépense d'énergie consacrée uniquement à nos techniques.
C'est bien en partie par le débat qu'elle a ouvert en 1996 et l'interrogation
qu'elle suscite aujourd'hui que la notion de partage de travail est
intéressante. Elle nous donne l'occasion d'un débat fondamental. Elle
risquerait d'être dangereuse si elle recouvrait seulement un moralisme, exogène
à la personne humaine, imposé de l'extérieur, artificiellement comme tout
moralisme.
En revanche, elle demeure potentiellement féconde si elle nous conduit à nous
interroger sur nos vraies responsabilités en cette fin de siècle par rapport à
l'organisation économique et politique de notre vie sociale, bien au-delà du
seul problème de la durée légale du travail, et surtout si elle permet de
déclencher une véritable mobilisation des volontés.
Je crois que c'est par la conscience de la gravité de l'enjeu que notre
commission des affaires sociales a adopté la position qui est la sienne devant
votre projet de loi, madame le ministre.
La vertu primordiale de ce texte amendé est de faire une place fondamentale au
dialogue dans l'entreprise.
En effet, si l'éducation nationale doit s'attacher à ce que l'anthropologie
sous-jacente à l'humanisme dont nous nous réclamons ne devienne pas un simple
fantôme sans consistance, un lieu privilégié de l'application de nos
convictions est bien l'entreprise et la vie sociale, tout comme la vie
politique doit être l'occasion d'une réflexion fondamentale et globale.
C'est bien pourquoi je salue le travail de notre collègue M. Louis Souvet,
rapporteur de ce projet de loi, et l'orientation donnée à nos travaux pour le
président de la commission des affaires sociales, M. Jean-Pierre Fourcade.
Je crois qu'ils ont su, l'un et l'autre, dégager les éléments prometteurs
d'une dynamique de négociation, en écartant les rigidités excessives qui
risquaient de conduire à l'effet inverse de celui qui était recherché.
Si un point doit être mis en lumière, c'est bien l'enjeu considérable du débat
autour du travail dans le monde actuel, et pas seulement, loin de là, sur la
durée du travail. C'est toute notre éthique sociale et sa problématique globale
qui apparaissent en filigrane.
Il est vraisemblable que le chômage n'est qu'un symptôme d'un mal plus grave :
un développement qui non seulement nous échappe, mais qui fait de nous les
éléments résiduels d'une physique autonome de plus en plus « ananthrope »,
selon le mot que j'ai proposé.
Dans un tel contexte, toute interrogation morale peut être une trace
d'humanité. Faisons en sorte de ne pas la pervertir dans un moralisme qui
susciterait une nouvelle réaction idéologique, et donc une aggravation de
l'exclusion de l'humanité de son propre univers. Mais gardons-nous aussi, en
sens inverse, de croire que l'évolution que nous subissons n'offre aucune prise
à une réorganisation plus éthique et mieux partagée de notre vie économique et
sociale.
Faisons en sorte pour cela qu'une chance soit donnée au dialogue social non
seulement pour se partager l'existant, mais encore et surtout pour recréer une
économie inventive matériellement et simultanément féconde en satisfactions
éthiques. Car de celle-ci aussi l'être humain a besoin pour donner un sens plus
complet à son travail.
Efforçons-nous de susciter des vocations d'entrepreneurs qui soient non
seulement des producteurs mais aussi des créateurs d'harmonie sociale. Cela
suppose de savoir encourager les initiatives locales, par l'incitation mais
aussi par la liberté.
En tout état de cause, ces vocations naîtront et se développeront sur la
planète un jour ou l'autre, car il n'y a pas d'autre voie pour l'humanité.
Rêvons que notre pays soit l'un de ceux qui auront l'audace et la possibilité
d'offrir des exemples en ce domaine.
Je crois que le texte proposé par la commission des affaires sociales est
marqué par cette orientation.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR, de
l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à Mme Dieulangard.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dans notre
pays, le chômage est le quotidien pour 3 400 000 millions de nos concitoyens,
et le pourcentage des chômeurs de longue durée atteint désormais 37 %.
La précarité, l'incertitude et la vulnérabilité touchent 3 millions de
salariés ; la peur de perdre son emploi est profondément ancrée dans l'ensemble
de la population.
Un observateur soulignait, la semaine dernière, dans une enquête sur le moral
des Français, que, chez un bon nombre d'actifs, la « mémoire de crise » a
désormais remplacé ce qui fut pour leurs aînés « une mémoire de prospérité
».
Comment s'étonner de la frilosité des comportements en matière de consommation
? Comment s'étonner des graves symptômes qui révèlent des failles dans notre
cohésion sociale ?
Il convient d'explorer toutes les politiques susceptibles de créer de
l'emploi.
C'est à ce titre que nous débattons aujourd'hui de la réduction de la durée du
travail. Il s'agit d'un projet essentiel porté par la majorité élue voilà neuf
mois.
Monsieur le rapporteur, vous avez parfaitement raison, c'est un engagement
clair et résolu pris par les forces de gauche devant les Français. Mieux qu'un
sondage d'opinion, leur vote a manifesté leur volonté d'engager le pays dans
cette voie, jusqu'ici expérimentale, afin de combattre ce qui figure au premier
rang de leurs angoisses : le chômage.
Si les analyses chiffrées dont nous venons d'avoir connaissance témoignent
d'un redémarrage de la production industrielle, de capacités records
d'autofinancement des entreprises, d'un « léger frémissement » de la
consommation intérieure, si tous ces indices attestent que la croissance est au
rendez-vous et qu'elle peut s'enrichir en emplois, nous savons bien qu'à 3 %
elle ne permet de diminuer que de 70 000 le nombre de demandeurs d'emploi.
Pourtant, la réduction de la durée du travail, qui n'est pas à proprement
parler un thème nouveau, ne peut être appréhendée comme le seul instrument de
la lutte contre le chômage.
C'est pourquoi le Gouvernement s'est attaché, dès le mois de juillet, à
augmenter le pouvoir d'achat des Français en revalorisant le SMIC, l'allocation
de rentrée scolaire et les aides au logement. Plus structurellement, il a
organisé le transfert des cotisations maladie sur la CSG.
Par ailleurs, à travers les emplois-jeunes, il encourage l'émergence
d'activités nouvelles liées à des besoins résultant des évolutions de notre
société sur lesquelles, on peut le dire, peu de réflexions avaient été
engagées, sinon pour apporter des réponses ponctuelles.
La réduction du temps de travail s'inscrit donc dans une politique globale et
volontariste.
Le Gouvernement que vous représentez, madame la ministre, et la majorité à
laquelle nous appartenons proposent d'organiser le passage progressif de la
durée légale hebdomadaire à 35 heures.
Ce choix est éminemment politique, car les objectifs qui l'inspirent touchent
aux fondements essentiels de notre relation au travail.
Certes, ce débat est longtemps resté confiné à d'obscures discussions entre
économistes et responsables politiques. Les partenaires sociaux n'en ont pas
fait un sujet majeur de leurs négociations. Mais, aujourd'hui, les Français
s'en emparent et leurs attentes sont grandes. Ils manifestent majoritairement
leur volonté de participer à ce mouvement, à condition qu'il s'accompagne de
créations d'emplois. Les chômeurs, tout récemment encore, en ont fait un axe
central de leurs revendications.
Par cette loi, vont donc s'amorcer de profondes mutations pour notre société.
Je voudrais les évoquer.
Le passage aux 35 heures doit permettre, tout d'abord, de mieux partager le
travail. Permettez-moi, monsieur Seillier, d'y revenir.
Je sais que cette conception suscite encore des controverses, mais les faits
sont là : en 20 ans, de 1974 à 1994, on a enregistré une diminution du volume
total des heures travaillées de 38 milliards à 34 milliards, alors que,
parallèlement, la population active passait de 22 millions à plus de 24
millions de personnes.
Dans cette configuration, une certaine forme d'un partage sauvage du travail
s'est développée entre ceux qui ont un emploi et ceux qui n'en ont pas, entre
ceux qui font des heures supplémentaires - soit l'équivalent de 230 000 emplois
à temps plein - et ceux - surtout celles devrais-je dire - qui se voient
imposer des formules contraignantes de temps partiel, que vous entendez
moraliser dans ce texte, madame la ministre.
Les dispositions qui sont soumises à notre discussion fixent la durée légale
hebdomadaire à 35 heures, à l'horizon 2000 ou 2002, selon la taille de
l'entreprise.
Elles proposent des incitations financières sous forme d'allégement de charges
sociales, qui lient réduction du temps de travail et embauches compensatrices
et qui sont calculées de façon forfaitaire afin de favoriser les entreprises où
les salaires sont proches du SMIC. C'est ici un des points de désaccord avec la
majorité de cette assemblée.
Les travaux à l'Assemblée nationale ont permis des aménagements modulant les
aides selon l'effort consenti par les entreprises, la main-d'oeuvre concernée,
les handicapés par exemple, l'amplitude de la réduction du temps de travail et
les embauches correspondantes.
Le contrôle de l'administration du travail sur le recours au volet défensif
est par ailleurs renforcé.
Je ferai quelques remarques sur ce que nous avons entendu de la part d'acteurs
économiques dans le cadre de nos travaux préparatoires.
Certains ont souligné qu'il était périlleux pour l'entreprise de diminuer la
capacité de travail de salariés expérimentés et de la reporter sur de nouveaux
venus, des jeunes par exemple.
Ces difficultés sont bien réelles, mais ces craintes font toutefois
singulièrement l'impasse sur l'importance et la nécessité de la formation et du
transfert des savoir-faire entre générations, ainsi que sur la nécessité de
veiller à l'équilibre de la pyramide des âges au sein de l'entreprise.
Je lisais dernièrement un commentaire sur cette question où il était rappelé
que l'arrivée importante de main-d'oeuvre d'origine étrangère dans nos
entreprises durant les « trente glorieuses » ne semblait pas avoir provoqué de
telles appréhensions quant aux capacités d'apprentissage des nouveaux venus.
Dans les faits, la véritable question qui se pose ici est de savoir comment
planifier une réduction du temps de travail qui laisse une marge suffisante
pour optimiser le recours à des embauches compensatrices.
C'est sur ce point que se réalisera ce que M. Favereau, que la commission
d'enquête a entendu, appelle un nouveau « contrat social ».
Cela dépendra du contenu des négociations, et c'est parce que celles-ci seront
particulièrement complexes que nous souhaitons encourager et soutenir la
formation des négociateurs. C'est pourquoi nous déposerons un amendement en ce
sens lors de la discussion des articles.
Au-delà du contenu des négociations, l'efficacité de la réduction du temps de
travail nécessitera un suivi rigoureux des accords ainsi que le renforcement et
le maintien de la demande afin de garantir le coût unitaire de la
production.
Différentes évaluations ont tenté de chiffrer, en termes d'emplois, l'impact
du passage aux 35 heures.
La majorité d'entre elles prévoient bien la création d'emplois dans une
fourchette, il est vrai particulièrement large, de 200 000 à 600 000. Toutefois
elles soulignent toutes que l'ampleur de la création d'emplois dépendra
essentiellement de la faculté des entreprises à se réorganiser.
C'est le deuxième aspect que je voulais aborder.
En effet, il ressort du bilan d'un an d'application de la loi Robien que plus
des trois quarts des entreprises ayant signé un accord ont déclaré avoir
procédé à une remise à plat de leur organisation.
Ces changements sont naturellement fonction des secteurs économiques concernés
et interviennent, par exemple, sur l'allongement des durées d'ouverture ou de
l'utilisation d'équipements ou de variations saisonnières.
Dans cette perspective, on peut comprendre certaines appréhensions, notamment
de petites entreprises, pour qui de telles opérations peuvent paraître
difficiles.
C'est la raison pour laquelle l'Assemblée nationale a prévu qu'elles pourront
bénéficier d'un dispositif d'appui permettant la prise en charge par l'Etat
d'une partie des frais liés aux études préalables. Il est indiqué que les
régions pourront s'associer à cet accompagnement. On ne peut que regretter que
M. Séguin utilise cette dernière disposition à des fins polémiques dans le
cadre de la campagne électorale.
Cette réorganisation, facilitée par la diminution du temps de travail, peut
être une occasion unique d'améliorer leur productivité, avec le soutien
important de l'Etat, il faut le rappeler.
Si vous le permettez, je ferai référence à un exemple très local : l'accord
que vient de signer la coopérative des paludiers qui exploite et commercialise
le célèbre sel de Guérande. Cette profession traditionnelle que l'on croyait
moribonde, enregistre désormais un chiffre d'affaires de 53 millions de francs.
Ils viennent de faire passer 33 de leurs 42 salariés à 35 heures payées 39, et
trois emplois ont été créés à la production et dans le secteur
administratif.
Cet exemple démontre qu'aucun secteur économique n'est par nature exclu de ce
mouvement et que même les petites entreprises y participent activement.
A cet égard, vous avez souhaité, madame la ministre, que de toutes petites
unités puissent embaucher un salarié à temps partiel tout en bénéficiant de
l'intégralité de l'allégement des charges sociales équivalant au recrutement
d'une personne à temps plein.
Sur un troisième aspect du projet de loi, je rappellerai que, lors de la
conférence nationale du 10 octobre dernier, le Premier ministre indiquait que
c'était « à la négociation sociale de déterminer, au niveau pertinent, le plus
souvent au niveau le plus décentralisé, les modalités adaptées et de fixer
l'équilibre des intérêts ».
Pour des raisons que nous connaissons, la démarche conventionnelle n'est pas
ce qui caractérise nos relations sociales.
Pourtant, le Gouvernement entend bien associer pleinement les partenaires
sociaux à la mise en oeuvre de la réduction du temps de travail dans
l'entreprise.
C'est à l'évidence un gage d'efficacité. C'est également un pari audacieux sur
le renouveau de la démocratie sociale dans notre pays, qu'avaient initiée les
lois Auroux, car le projet de loi, par son envergure, incite à une mobilisation
générale.
Cela peut permettre de combattre la sous-représentation syndicale dans
l'entreprise que nous sommes nombreux à déplorer. Nous avons appris, au cours
d'auditions récentes, que 80 % des accords Robien avaient donné lieu à la
désignation d'un délégué syndical dans les conditions de droit commun.
Mais après tout, n'est-ce pas de telles conséquences que redoute une partie du
patronat français ?
Si l'objet légitime de notre débat aujourd'hui est bien la réduction du temps
de travail comme politique de lutte contre le chômage, nous ne devons pas et
nous ne pouvons pas ignorer les enjeux de civilisation qu'elle sous-tend.
Nous travaillons à mi-temps par rapport aux salariés d'il y a cent cinquante
ans, et ce mouvement se prolonge et continuera de se prolonger.
Nous devons trouver du sens ailleurs que dans le travail. Nous ne devons pas
l'oublier dans notre manière de concevoir nos cités, l'habitat, l'offre
culturelle, la dynamique associative.
Cet aspect, je le sais, est parfois abordé avec ironie. Il est néanmoins
urgent que notre société se prépare à accueillir ce temps libéré afin qu'il
puisse signifier épanouissement, citoyenneté et lien social.
J'en viens maintenant à ce qui fait l'originalité de la démarche du
Gouvernement.
Le dispositif que vous nous proposez, madame la ministre, allie à la fois la
loi et le contrat.
L'article 1er du projet de loi consacre la démarche législative qui
cristallise les commentaires les plus excessifs et caricaturaux de l'opposition
sur le prétendu autoritarisme de cette réforme.
Rappelons certaines données : dans notre pays, c'est le législateur,
démocratiquement élu, qui détermine la durée légale du travail.
Il s'agit en effet d'une norme, d'un repère essentiel dans notre droit du
travail, même si, depuis quelques années, différentes modulations sont venues
en aménager l'application.
Je trouve donc particulièrement choquantes certaines déclarations, dont celle
de l'emblématique UIMM, l'Union des industries métallurgiques et minières, qui
estime que cette loi est une « immixtion de l'Etat qui s'apparente à une
nationalisation des rapports sociaux... puisqu'elle enferme les négociations
dans un carcan ».
Que des représentants du patronat aient une si piètre opinion du rôle de
l'Etat et du législateur dans les rapports sociaux ne me surprend pas vraiment
; elle ne varie malheureusement guère selon les époques.
En revanche, je m'interroge sur la conception qu'ont certains parlementaires
de leurs responsabilités et de leur place dans le fonctionnement démocratique
du pays.
C'est en effet à la loi républicaine de fixer en amont une finalité ainsi
qu'un cadre parce que la réduction du temps de travail met en jeu une
solidarité nationale et l'intervention de l'ensemble des acteurs sociaux.
Ce sera à la seconde loi de tirer, en aval, les enseignements des deux années
d'application des dispositifs mis en place.
Nous doutons fortement que les lois du marché encouragent spontanément cette
dynamique indispensable ; des expériences récentes nous en ont convaincus.
Mes chers collègues, nous avons pu mesurer concrètement ces obstacles.
Souvenez-vous que c'est notamment en prenant acte des retards enregistrés dans
l'application de l'accord interprofessionnel de 1995 que les initiateurs de la
loi Robien ont engagé un débat au Parlement.
Vous avez voulu, madame la ministre, appuyer ces négociations au plus près des
entreprises pour une meilleure perception de chaque situation, ainsi que pour
une approche plus fine des aspirations des salariés.
Ainsi, afin de pallier l'absence de représentation du personnel dans bon
nombre d'entreprises, vous avez amélioré la formule du mandatement, notamment
en prévoyant que le salarié mandaté sera accompagné d'un collègue et qu'une
commission de suivi vérifiera la mise en oeuvre de l'accord.
Le mandatement constitue un dispositif clé, délicat et fragile, mais qui peut
s'avérer riche de potentialités.
Il place en tout cas les organisations syndicales face à une énorme
responsabilité à l'égard des salariés qu'elles vont mandater. Elles devront les
accompagner, les soutenir, les former.
Confrontées à des situations complexes et diverses, elles devront, en tout
état de cause, avoir le souci du maintien de la cohésion et veiller à ce que ne
se développent pas de micro-corporatismes. Elles devront s'engager pour
favoriser au contraire l'émergence de solidarités nouvelles.
Notre débat va nous permettre de revenir sur l'ensemble des dispositions du
texte et sur les positions défendues par la majorité de cette assemblée.
Madame la ministre, ce projet de loi est audacieux, parce que vous avez le
courage d'organiser les conditions d'une grande négociation sociale qui doit
déboucher sur des créations d'emplois, ainsi que sur un vaste mouvement
social.
Nous sommes à vos côtés, nous vous soutenons dans cette assemblée et nous
serons sur le terrain pour faciliter la mise en oeuvre de votre texte. Nous
voterons bien sûr contre les propositions de la majorité du Sénat.
(Applaudissements sur les travées socialistes, sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. le président.
La parole est à Mme Joëlle Dusseau.
Mme Joëlle Dusseau.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le débat qui a
eu lieu à l'Assemblée nationale, les travaux de notre commission des affaires
sociales, ainsi que la discussion générale que nous venons de commencer ont
largement porté sur l'efficacité des 35 heures, en fait, sur la corrélation
entre la réduction de la durée du travail et le taux de chômage, sur la
capacité de la réduction du temps de travail à faire baisser durablement et de
manière significative le taux de chômage.
La question, quelles que soient les formes que le débat ait prises, est
capitale. L'ensemble du monde est frappé depuis vingt-cinq ans maintenant par
une crise de mutation sans précédent par sa durée et son ampleur. Cette crise a
accru les écarts entre les pays, entre les hommes. Elle a enrichi les pays
riches, jeté dans une misère accrue un certain nombre de pays ; c'est le cas de
l'Afrique noire. Même les pays émergents en Asie du Sud-Est, dont on vantait
naguère le miracle économique, ont montré leur fragilité.
Entre les hommes, au sens générique du terme - on me permettra cette
expression à quelques jours du 8 mars, la fête des femmes
(Sourires) -,
la crise a creusé les écarts, créant une société non à deux mais à trois
vitesses, jetant dans le dénuement, et de plus en plus souvent à la rue, non
seulement des couches sociales fragilisées et démunies, mais aussi des salariés
qui, par leur formation et leur carrière, se pensaient à l'abri des aléas de
l'existence. Rares sont ceux qui, aujourd'hui, sont à l'abri de ces aléas.
Le chômage gangrène les sociétés - et la nôtre - et nous savons à quelles
misères physiques et psychologiques il mène, à quelle destruction des individus
il aboutit et, si je ne prenais qu'un exemple, au-delà de ce que nous
connaissons les uns et les autres à travers nos collectivités locales et nos
contacts quotidiens, je prendrais celui de cette trentaine de chômeurs qui,
voilà un mois, à Quimper, se sont vendus à la criée, s'imposant une terrible
foire aux gueux avec trois chômeuses improvisées commissaires-priseurs et
crieuses déclinant les
curriculum vitae
et les qualités de chacun
d'entre eux !
Tout à l'heure, M. Seillier a utilisé un mot rare en parlant d'une société ou
d'un monde « ananthrope ».
Mes chers collègues, dans un certain nombre de secteurs, nous avons déjà mis
en place une société non pas sans hommes, mais où les hommes n'ont pas le rang
d'humain.
M. René-Pierre Signé.
Bravo !
Mme Joëlle Dusseau.
Nous savons donc - le savons-nous vraiment ? - que s'attaquer au chômage est
une nécessité absolue. Mais - et je reviens là au débat que nous avons eu à de
nombreuses reprises - y a-t-il corrélation entre durée du travail et taux de
chômage ?
Non, répond résolument le rapport de la commission d'enquête sénatoriale sur
la réduction du temps de travail, qui présente des tableaux rapprochant
notamment la durée annuelle moyenne effective du travail par salarié et le taux
de chômage par pays, oubliant au passage toute une série de paramètres.
Un certain nombre de députés ont adopté cette position. En revanche, d'autres
parlementaires, qui représentent ici la majorité sénatoriale, reconnaissent que
la réduction du temps de travail est créatrice d'emplois. Je partage bien sûr
leur avis et je ne comprends pas l'aspect systématique de certaines conclusions
du rapport Arthuis.
Dans tous les pays développés, le temps de travail moyen sur l'année et sur la
vie a fortement diminué. Dans cette évolution historique générale, selon les
pays, la référence au chômage, la nature même du chômage, est différente. Les
caractéristiques de la population salariée le sont aussi. De toute façon, on
sait bien que l'évolution technologique, qui ne fait et ne fera que
s'accroître, a entraîné, entraîne et entraînera une diminution évidente du
besoin de main-d'oeuvre. Et ce phénomène ne fera que s'amplifier.
Pour ma part, à la question : « la réduction du temps de travail est-elle
créatrice d'emplois ? », non seulement je réponds oui, mais je crois que c'est
la solution majeure, celle qui peut globalement apporter le plus d'emplois, au
point que j'aurais été partisan d'une réduction plus massive - 32 heures le
plus vite possible, semaine de 4 jours - susceptible de créer plus massivement
des emplois - car, à mon avis, il y a là une des limites du projet de loi.
Il est prévu de créer 700 000 emplois selon l'hypothèse haute, dont 450 000
dans des entreprises de plus de 20 salariés, et 100 000 à 250 000 dans les
hypothèses basses. En tout état de cause, même avec l'hypothèse haute, nous
sommes loin du compte, loin des 3 millions de chômeurs.
Il existe, bien sûr, d'autres pistes de création d'emplois. Mais, si l'on ne
veut pas se résigner à admettre la situation intolérable de millions de nos
concitoyens, la situation inhumaine de centaines de milliers d'entre eux, une
réduction du temps de travail plus massive aurait été souhaitable. Et tant pis
si M. Seillière a dit que, en se focalisant sur les chômeurs, on se concentrait
sur « l'infirmerie » ! Ce terme en dit long sur le regard citoyen que le CNPF
porte sur la société.
M. René-Pierre Signé.
C'est honteux !
Mme Joëlle Dusseau.
Deuxième thème de débat : la négociation.
Grosso modo,
les adversaires
du projet de loi - là, bien sûr, on retrouve la majorité de la commission des
affaires sociales - disent : « Si c'était négocié, ce serait bien ; ça ne l'est
pas, ce sera sans effet. » Le rapport Arthuis, également, n'hésite pas à titrer
: « La réduction du temps de travail imposée n'est pas la réduction du temps de
travail négociée. » Qui l'eût cru ? Alors,
quid
de la négociation ?
Je dirai un mot de la loi Robien, c'est une référence dans notre assemblée
puisque M. le rapporteur et le président Fourcade se sont résolument prononcés
dans ce sens, présentant ici même une loi Robien améliorée, « reprofilée »,
pour reprendre leur mot.
Ce qui m'étonne, ce sont les bilans pour le moins approximatifs de cette loi
tant vantée et si coûteuse.
Si l'on suit le rapport de la DARES, la direction de l'animation, de la
recherche, des études et des statistiques, avec 1 442 conventions signées en
novembre dernier, environ 400 défensives et 1 000 offensives, 150 000 salariés
auraient été touchés par la réduction du temps de travail, soit entre 17 000 et
20 000 emplois créés ou maintenus. Il semble difficile d'envisager
qu'aujourd'hui avec 2 000 conventions signées, c'est-à-dire 600 de plus, on en
soit aux alentours de 70 000 emplois maintenus ou créés.
Il serait bon d'examiner plus attentivement les chiffres. Je rappellerai qu'il
s'agit, en tout état de cause, d'intentions de création d'emplois dans l'année
et non pas d'emplois créés effectivement.
Outre le coût, ces incertitudes sur les emplois effectivement créés ou à créer
devraient amener à réfléchir, non seulement le Gouvernement mais aussi la
majorité sénatoriale, qui s'appuient si fortement sur la loi Robien.
Je tiens pourtant à dire, madame la ministre, que je suis, comme mes amis
radicaux, fortement attachée à la solution négociée. Des incitations très
fortes à la réduction du temps de travail et aux négociations auraient eu, de
loin, ma préférence.
Comme beaucoup, je regarde avec intérêt et souvent envie ce qui se passe dans
d'autres pays comme d'Allemagne, les Pays-Bas ou les pays nordiques. Oui,
j'aurais préféré la négociation, avec valeur d'entraînement et d'exemple,
accompagnée d'une réduction plus massive du temps de travail.
Mais force est de constater que notre pays a une culture différente, une
faiblesse numérique historique des syndicats ouvriers, une dureté non moins
historique du patronat et des logiques d'affrontement liées à une tradition de
type révolutionnaire.
Chaque grand moment révolutionnaire et chaque grand mouvement social a posé,
depuis la Révolution française, avec la suppression des corporations, la
question des rapports entre le patronat et le salariat.
Prenons notre pays comme il est ! On ne peut pas ni refaire l'histoire ni
faire l'impasse sur ce qui est notre tradition intrinsèque.
Il est d'ailleurs surprenant de voir la constance d'un certain type
d'argumentation du patronat et de la droite. A la charnière du siècle, au
moment du grand combat pour la journée de 8 heures, selon la droite et le
Comité des forges, le fait de libérer du temps et d'augmenter les salaires
allait développer un seul poste de dépenses : la consommation d'alcool, ou
plutôt d'absinthe, comme on disait à l'époque. L'assommoir, conséquence de
l'augmentation des salaires ou de la baisse du temps de travail ! Et
aujourd'hui, on entend la droite et le CNPF soutenir que si l'on baisse la
durée du travail, le temps libéré va se transformer en travail au noir.
Moralité : ne réduisons pas la durée du travail !
On le voit, le niveau de l'argumentation n'a pas changé. J'ai d'ailleurs été
très frappée par la référence du rapporteur à Guizot. Ni la formule «
Enrichissez-vous ! » ni la loi de 1841 sur le travail des enfants ne me
paraissent à la pointe des conceptions sociales !
Devant une telle situation, il n'y avait malheureusement pas d'autre solution
que d'imposer des dates butoirs pour le passage obligatoire aux 35 heures. Au
demeurant, votre projet, madame la ministre, laisse un champ important à la
négociation.
En conclusion, je voudrais vous faire part à la fois des interrogations et du
soutien des sénateurs radicaux de gauche.
Les interrogations portent d'abord sur le résultat effectif de la loi.
On connaît la lourdeur des mécanismes de mise en place. Aujourd'hui, sur un
sujet qui vous tient particulièrement à coeur, tout comme à nous, les
emplois-jeunes, on constate que seulement 40 000 emplois ont été créés,
essentiellement au ministère de l'intérieur et dans l'éducation nationale.
Or la mise en place des 35 heures va être par nature extrêmement longue. En
1998, environ 20 000 emplois pourraient être raisonnablement créés,
correspondant aux 3 millions de francs du budget, et il paraît difficile
d'espérer beaucoup mieux. Quelles que soient les estimations des effets de la
loi, les seuils de 2000 et de 2002 nous renvoient à un délai d'au moins cinq
ans pour la voir s'appliquer partout.
Une deuxième question est celle de la durée non seulement légale mais
effective du travail ; je ne la développerai pas en cet instant.
S'ajoutent aussi une série de questions techniques. Ainsi, j'avoue avoir eu un
peu de mal à assimiler le mécanisme du double SMIC et je ne suis pas sûre d'y
être totalement parvenue.
M. Jean-Jacques Robert.
Nous non plus !
M. Henri de Raincourt.
Vous n'êtes pas la seule !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Cela ne m'étonne pas. Vous
n'êtes nullement en cause madame Dusseau !
Mme Joëlle Dusseau.
Se pose aussi le problème de tout le champ des salaires proches du SMIC, qui
risquent un écrasement vers le bas, celui du temps partiel, celui de la
fonction publique ainsi que celui - et là, une fois n'est pas coutume, je
rejoins l'interruption de M. Chérioux - des associations financées sur fonds
publics.
Mais je veux vous dire aussi, madame la ministre, la confiance que m'inspire
ce projet, qui ouvre la porte à la nécessaire et forte réduction du temps de
travail, seule mesure susceptible de créer massivement des emplois. J'espère
pour ma part que sa mise en place, dans les mois à venir, aura valeur
d'expérimentation. La loi de 1999 devra impérativement tenir compte de cette
expérimentation.
(Applaudissements sur certaines travées du RDSE, sur les
travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et
citoyen.)
M. René-Pierre Signé.
C'est sans réplique !
M. le président.
La parole est à M. Robert.
M. Jean-Jacques Robert.
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, rapportant
habituellement l'avis de la commission des affaires économiques et du Plan sur
le budget des PME, du commerce et de l'artisanat, je voudrais vous livrer
quelques réflexions sur les effets de ce projet de loi relatif à la réduction
du temps de travail pour des entreprises qui ont peu de points communs avec les
très grandes entreprises, lesquelles sont également pour nous une source de
fierté.
Le Gouvernement veut créer des emplois. C'est une volonté que, bien entendu,
nous partageons. Je crains cependant que, du fait de la méthode utilisée, de
nouvelles difficultés ne viennent s'ajouter à celles que, déjà, nous n'arrivons
pas à surmonter.
Ainsi, peut-on croire encore que le succès, en matière de création d'emplois,
soit lié à des avantages financiers, tels qu'on en a accordés jusqu'à présent
et qui pèsent si lourdement sur les finances publiques ? Après les 150 000
francs par an de la loi Robien, des sommes presque aussi importantes seraient
accordées, en application de ce texte, pour un seul emploi créé.
Peut-on penser que nos entreprises pourront retrouver leurs petits dans le
magma des aides qu'on ne cesse d'accumuler ?
Peut-on admettre que le débat qui va inévitablement s'instaurer dans chaque
entreprise - et que vous souhaitez - favorisera le climat de sérénité qui est
nécessaire pour bien fabriquer, bien vendre la production, avoir une bonne
activité commerciale ?
Une fois de plus, le temps du chef d'entreprise sera dévoré par des tâches
pour le moins usantes.
La notion de nombre d'heures travaillées est-elle encore au goût du jour ? La
production moderne ne doit-elle pas plutôt s'analyser comme le résultat de
l'accomplissement d'une mission donnant lieu à une rémunération ?
Les contrôles des inspecteurs du travail sur les horaires, notamment lorsqu'il
s'agit de cadres, ne relèveraient-ils pas d'un combat d'arrière-garde ?
En tout cas, de tels contrôles présagent mal de l'ambiance dans laquelle va
commencer à s'appliquer votre projet de loi, madame le ministre.
L'heure supplémentaire, qui sera désormais comptabilisée à partir de 35
heures, correspond-elle à un allégement des charges ? Sûrement pas ! Je puis
pourtant vous assurer qu'elle aura la préférence de l'entreprise par rapport à
toute embauche nouvelle.
Les entreprises ont déjà préparé - et je suis persuadé que vous ne l'ignorez
pas - leurs réponses : développement du recours à l'intérim, contrats à durée
déterminée, travail à façon extérieur à l'entreprise, sous-traitance. Tout cela
débouche, contrairement à vos espérances et aux nôtres, sur l'insécurité de
l'emploi et sur l'appauvrissement des intéressés, qui ne participeront plus à
la vie de l'entreprise. Dans bien des cas, cela ne peut que se traduire par
l'exploitation des sous-traitants : tentation inévitable pour le donneur
d'ordres et conséquence inéluctable d'une nouvelle et regrettable
réglementation tatillonne.
Voilà donc des charges et des contraintes nouvelles qui contrarieront vos
ambitions.
A mes yeux, il n'est pas d'autre solution que celle qui consiste à alléger les
charges de l'entreprise : c'est seulement là que se trouve la source de la
création d'emplois.
Faut-il rappeler que, lorsqu'un salarié perçoit 6 000 francs de rémunération,
l'employeur, lui, doit verser 10 000 à 10 500 francs, compte tenu des charges
sociales ?
Reportons-nous quelques années en arrière : à l'origine de la législation
sociale, les cotisations salarié et employeur étaient uniquement destinées aux
besoins sociaux du salarié et de sa famille directe. Au fil des années, on a
fait peser sur ce tandem de cotisants tout le poids nouveau de la solidarité
nationale, en progression régulière et quasi incontrôlable. C'est du reste ce
qui explique votre initiative récente de développer l'utilisation antérieure de
la CSG assise sur le revenu, ce qui revient à créer une TVA sociale.
Connaissant nos habitudes, j'ai tout lieu de craindre un dérapage, qui
conduira à un relèvement automatique de ces taxes en fonction des besoins.
Pourquoi ne pas détacher l'entreprise et son capital humain du devoir de
solidarité nationale ? Si l'on s'engageait dans cette voie, les charges payées
au titre de l'entreprise serviraient seulement à assurer les salariés cotisants
et leur famille. En revanche, la contribution nationale prendrait en charge, à
travers l'impôt, la solidarité à l'égard de tous les non-cotisants. Les
charges, ramenées au seul effort des entreprises, diminueraient, ce qui ne
pourrait qu'être favorable à l'embauche.
(Applaudissements sur les travées
du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Egu.
M. André Egu.
Madame le ministre, avec vos amis, vous aimez faire rêver les Français : déjà,
en 1981-1983, il s'agissait de travailler moins et de travailler mieux ; cela
résonne encore dans les oreilles de tous nos compatriotes !
En 1936, la grande victoire sociale pour tous les salariés français a été
suivie, malheureusement, de conséquences dramatiques au regard du chômage.
Mme Joëlle Dusseau.
Absolument pas ! Le chômage n'a pas augmenté !
M. André Egu.
Après notre collègue M. Bernard Plasait, je vous conseille de relire Alfred
Sauvy.
Aujourd'hui, beaucoup de nos compatriotes, après vous avoir entendue, pensent
qu'il faut travailler encore moins pour gagner autant, sinon plus. Si vos
intentions sont louables - réduire le chômage, nous le voulons tous - l'échec
risque d'être une nouvelle fois au bout du chemin.
La France, gouvernée à votre manière, c'est-à-dire à gauche, sera encore
trompée car, dès que l'on aborde les débats économiques et sociaux, les rêves
et les idéologies dominent les projets.
Vous n'analysez pas les réalités de la mondialisation, de la concurrence
européenne acharnée et de la guerre économique à partir des mêmes données que
celles qui nous ont été fournies par certains experts.
Le monde des entreprises et des travailleurs indépendants courbe le dos,
beaucoup se demandant à quelle sauce ils vont être dévorés ! Vous vous
réjouissez des performances de nos entreprises petites, moyennes ou grandes.
Nous aussi ! Malheureusement, celles qui réussissent, gagnent de l'argent et
des parts de marché sont parfois montrées du doigt. Il reste que, globalement,
les entreprises françaises font moins de bénéfices que leurs concurrentes
étrangères. Le résultat, dans cinq ou dix ans, ne pourra donc qu'être négatif,
et ce sont tous nos jeunes, tous nos demandeurs d'emploi et tous nos salariés
qui paieront le prix des erreurs d'aujourd'hui.
Selon les experts, nous n'avons pas encore fini de payer les dégâts provoqués
par les mesures prises entre 1981 et 1985 : un million de chômeurs
supplémentaires et un recul industriel sans précédent.
Certains experts - ce ne sont sans doute pas les vôtres - considèrent que le
choc sera encore plus fort quand il faudra absorber les 35 heures payées 39. Il
ne fait pas de doute que les conséquences sur le chômage et la compétitivité
seront au moins aussi néfastes. Et vous ne pourrez plus avoir recours aux
dévaluations pour absorber le choc !
De surcroît, la concurrence est beaucoup plus dure qu'il y a quinze ans.
J'estime que, dans un pays moderne et ouvert sur le monde, votre projet de
loi, par les contraintes excessives qu'il induit, est ringard et dépassé.
Votre méthode autoritaire de gestion de l'économie, en imposant des règles
insupportables aux créateurs et aux chefs d'entreprises - alors que ceux-ci
aspirent au contraire à plus de liberté, à un allégement des procédures - a
déjà eu de redoutables effets psychologiques.
Vous le savez, dans leur immense majorité, ces chefs de petites et moyennes
entreprises sont hostiles à votre texte mais, contraints et forcés, ils seront
obligés de l'appliquer. Et l'on peut vous faire confiance, ceux qui ne le
feront pas seront montrés du doigt et culpabilisés, comme ils le sont déjà.
Toutes ces femmes et tous ces hommes de terrain, qui ont le savoir-faire,
l'expérience et le courage nécessaires pour réussir - c'est dur de créer une
entreprise - ou pour se maintenir, même difficilement, ont dû travailler non
pas 35 heures mais souvent plus de 60 heures par semaine en moyenne pour les
artisans et les commerçants, 58 heures pour les agriculteurs, 53 heures pour
les travailleurs indépendants et les professions libérales !
Quant aux chefs de PME et des PMI, c'est une présence de tous les instants qui
les a contraints, malgré eux, à entraîner leurs cadres, qui savaient que la
réussite de l'entreprise les obligeait à travailler plus de 39 heures, et ce
dans l'illégalité totale. Aujourd'hui, on sait que les contrôles vont sévir.
Mais, croyez-le bien, beaucoup d'entreprises seront incapables de payer de
nouveaux cadres travaillant 35 heures payées 39 heures. Vos leçons, vos
messages d'organisation, de productivité et d'adaptation, sachez qu'il y a
longtemps qu'ils sont mis en pratique, et nos performances n'ont rien à envier
à celles de nos voisins. Les grosses entreprises industrielles, quant à elles,
accroissent tellement leur productivité qu'elles détruisent plus d'emplois
qu'elles n'en créent. C'est le résultat que nous constatons aujourd'hui, mais
j'affirme qu'un tel projet, élaboré sans consensus et sans dialogue véritable
avec les experts, et surtout avec les entreprises, c'est-à-dire sans un grand
débat national préparatoire avec tous les acteurs économiques, est voué à
l'échec.
Pourtant, les conditions macro-économiques, grâce à l'action de vos
prédécesseurs et grâce au contexte actuel, tant européen que mondial, n'ont
jamais été aussi favorables. Ce coup de frein que vous allez donner n'arrêtera
pas d'un coup la machine économique mais, dans les années qui viennent, la
production commencera à stagner, puis baissera ; les richesses à redistribuer
se feront plus rares et des emplois disparaîtront. Que voulez-vous, moins on
travaille, moins on produit ! La France détiendra le record mondial de la
faible durée du travail, avec ses 35 heures obligatoires par semaine.
Les gros investisseurs étrangers qui, pour des raisons commerciales et
diplomatiques, ne disent rien pour l'instant, sauront demain, à coup sûr,
préférer à la France d'autres pays européens pour s'installer.
M. Guy Allouche.
Comme Toyota !
M. André Egu.
En effet, il ne faut pas rêver : pour l'instant, ce n'est pas mal, mais cela
ne va pas durer.
Quant aux jeunes Français parmi les plus dynamiques et les plus diplômés, ils
iront vers des espaces de plus grande liberté où les charges fiscales et
sociales sont moins lourdes. Le mouvement est déjà amorcé et, comme le disait
un jeune qui a déjà quitté la France, « notre pays ne sera qu'une destination
de voyage et de vacances ».
Quant aux délocalisations des usines de sous-traitance ou à forte
main-d'oeuvre, je vous donne rendez-vous dans quelques années pour en faire le
bilan, car nous savons que, dans nos régions, des contacts ont d'ores et déjà
été pris pour les années qui viennent.
Dernièrement, lors d'un débat avec des artisans et des chefs de petites
entreprises des autres pays de l'Union européenne, un responsable allemand nous
a affirmé qu'il n'était pas question, dans la très grande majorité des
entreprises, surtout des PME et des PMI, d'arriver avant très longtemps aux 35
heures, et qu'il y avait, par-ci par-là, de grandes entreprises qui, pour ne
pas faire disparaître trop d'emplois, avaient été obligées d'appliquer cette
méthode. Il a ajouté, ce qui nous a plu, avec beaucoup d'humour et d'ironie : «
Quand vous aurez terminé votre révolution économique, technique et sociale,
vous nous inviterez pour nous expliquer comment les PME et des PMI, les
commerçants et les artisans ont réussi à faire de tels gains de productivité et
d'organisation pour produire en 35 heures ce que nous sommes simplement
capables de faire en 40 heures, voire en 45 heures. Dans votre système, il est
aberrant de vouloir faire passer le salarié d'une grande entreprise et le
boulanger sous la même toise. »
Alors, nous sommes en droit de nous poser la question : comment faire ?
Premièrement, ce n'est pas avec une augmentation de l'impôt sur leurs
bénéfices que les sociétés pourront embaucher ; elles investiront peut-être,
mais ce sera pour diminuer les effectifs et non pas pour créer des emplois.
N'oublions pas que la finalité de l'entreprise est de créer non pas des
emplois, mais des services et des produits pour les consommateurs. Ce sont les
consommateurs qui commandent le meilleur produit au meilleur prix ; les emplois
viennent après.
Deuxièmement, il faut, et le plus vite possible, baisser les charges sur les
bas salaires pour faciliter les embauches et ne pas pénaliser le coût du
travail. C'est la meilleure méthode pour aider les moins qualifiés à trouver du
travail.
Troisièmement, il faut simplifier la vie de tous les responsables
d'entreprises, petites ou grandes, qui croulent sous les contraintes, les
règlements et les procédures. Il faut créer un véritable climat de confiance et
de liberté, qui n'existe plus aujourd'hui.
Quatrièmement, dans votre projet de loi, madame le ministre, vous passez
complètement la formation à la trappe, alors qu'elle devrait être intégrée dans
votre stratégie et dans celle des entreprises. Il ne faut pas oublier que des
centaines de milliers de jeunes détenteurs de diplômes, souvent de haut niveau,
ne débouchant sur aucun emploi disponible, seront, pour les années à venir, une
bombe à retardement. Ces jeunes ont besoin d'une autre culture tournée vers
l'économie, les métiers et les qualifications techniques. Il convient de former
ceux qui le veulent à être aptes à créer des entreprises, car, aujourd'hui
seulement un jeune sur vingt désireux de créer une entreprise a les capacités
de mener son projet à terme.
La France a un énorme déficit de créateurs d'entreprises, ce n'est pas votre
projet de loi qui suscitera des vocations !
On oublie trop en France que, si la dignité de l'homme passe par l'éducation,
les loisirs et la culture, elle passe aussi et surtout par le travail. Celui
qui travaille plus que les autres a beaucoup plus de chances de réussir, et le
reste lui sera donné par surcroît.
Une France qui travaille plus et mieux que les autres, c'est une France qui
gagne !
Pour conclure, je vous livre les réflexions d'un spécialiste néerlandais
relevées dans un grand journal français.
Premièrement, l'erreur de méthode pour imposer les 35 heures n'a d'égale que
l'erreur de fond sur l'appréciation des vrais leviers de l'emploi.
Deuxièmement, il est de bon ton d'invoquer l'exemple des Pays-Bas, ce voisin
du Nord qui s'attache depuis plus de dix ans au problème du chômage. La
démarche suivie aux Pays-Bas s'oppose, en fait, radicalement à la méthode
dirigiste adoptée en France par un Etat solitaire et donneur de leçons.
L'approche néerlandaise est réellement tripartite. Le Gouvernement, les
syndicats et les entreprises ont beaucoup travaillé et s'engagent ensemble sur
la voie de la modération salariale et de la flexibilité de l'emploi. Ils font
un effort considérable sur le temps partiel. L'Etat, chez nous, devrait donner
l'exemple en la matière.
Troisièmement, toujours selon ce spécialiste, si nous transposions la méthode
dans l'Hexagone en y ajoutant la créativité française, une éducation, des
technologies de pointe et beaucoup de formations qualifiantes, le résultat
serait autrement plus efficace que sous le diktat archaïque de votre projet de
loi sur la réduction du temps de travail.
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Le diktat ?
M. André Egu.
Pour terminer, je veux remercier le président de la commission des affaires
sociales, notre rapporteur, ainsi que les membres de la commission d'enquête :
les propositions du Sénat, faites de sagesse et de réalisme, ont notre faveur
et nous les voterons sans restriction.
(Applaudissements sur les travées de
l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Balarello.
M. José Balarello.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le problème du
chômage est suffisamment grave pour devoir être abordé sans dogmatisme, sans
certitudes et sans prétention.
C'est ce à quoi je vais m'essayer, ayant été, à titre professionnel ou par mes
fonctions électives, au contact d'entreprises privées ou publiques, petites ou
grandes, durant de nombreuses années.
Il est nécessaire, avant d'examiner le projet de loi, de rappeler quelques
réalités.
La durée hebdomadaire effective du travail des salariés à temps complet a
diminué de cinq heures entre 1945 et 1995, passant d'environ 44 heures à 39
heures, mais, dans le même temps, la durée annuelle effective du travail a
diminué davantage, précisément de 22 %, en raison de l'allongement des congés
payés et, dans une moindre mesure, de la progression du temps partiel.
L'ordonnance du 16 janvier 1982, qui diminue la durée hebdomadaire du travail
par voie autoritaire, la faisant passer de 40 heures à 39 heures sans perte de
salaire, n'a pas empêché, en période de récession, la progression rapide du
chômage. Selon le Commissariat du Plan, cette réduction entraîna même une perte
de compétitivité et de profitabilité des entreprises.
Nos voisins européens, qui se sont également essayés à la réduction du temps
de travail en période de crise économique, se sont heurtés à des résultats
semblables, que ce soit au Royaume-Uni ou en Allemagne, où le cas de
Volkswagen, souvent monté en épingle, n'est pas plus probant. A cet égard, je
rappelle qu'en 1993, dans cette entreprise, la durée hebdomadaire du travail a
été réduite de 20 %, pour atteindre 28,8 heures. Les salaires annuels ont,
parallèlement, diminué de 15 %, mais les effectifs sont, eux, passés de 118 000
en 1992 - avant la réduction du temps de travail - à 95 000 en 1996.
En revanche, aux Etats-Unis, où la durée du travail n'a pas diminué, le taux
de chômage, après un pic de 9,5 % en 1983, a été ramené, en juin 1997, à 5 %.
N'étant pas un admirateur béat du modèle américain, je relativiserai ce chiffre
en rappelant que c'est la croissance très soutenue pendant six années
consécutives qui a permis cette baisse du taux de chômage et la création de 12
millions d'emplois. On sait par ailleurs que les Américains stimulent la
production de leurs entreprises par une très forte demande intérieure financée
par le crédit, 19 % des revenus des ménages américains étant affectés au
remboursement des dettes de consommation alors que, en France, les réflexes
sont différents.
Cela étant, M. Florin Aftalion, professeur à l'ESSEC, remarque que, en mettant
en rapport sur un graphique le taux de chômage et le nombre d'heures ouvrées
par an et par personne ayant un emploi pour ce qui est pays les plus
industrialisés, on observe qu'il existe une relation inverse entre temps de
travail et chômage.
Les comparaisons internationales montrent en effet que ce sont les pays où la
durée du travail est la plus élevée qui ont le taux de chômage le plus bas. Or
la France est non seulement l'un des pays où la durée du travail est la plus
courte sur l'année mais aussi l'un de ceux où l'entrée sur le marché du travail
est la plus tardive, et la sortie la plus rapide, ce qui fait que la durée
totale du travail dans une vie y est plus courte qu'ailleurs. Cela nous posera
des problèmes pour le paiement des retraites. En moyenne, un salarié japonais
travaillera 71 123 heures, un salarié anglais 56 918 heures et un salarié
français 49 507 heures.
Parallèlement, la France a l'une des durées annuelles du travail les plus
faibles parmi les grands pays industrialisés. Ainsi, en 1995, on y relevait 1
631 heures de travail, soit 321 heures de moins qu'aux Etats-Unis et 267 heures
de moins qu'au Japon. Parmi les pays du G 7, seule l'Allemagne a une durée
annuelle effective du travail inférieure à la nôtre.
C'est cette réalité que le texte que vous nous proposez, madame la ministre,
va encore aggraver. Or le phénomène de la mondialisation étant un fait acquis,
il est certain que la France ne pourra pas se singulariser longtemps. Nos
cotisations sociales employeur-salarié sont déjà plus élevées qu'ailleurs et
atteignent 19,3 % du produit intérieur brut, contre 15,4 % en Allemagne, 13 %
en Italie et 6,2 % en Grande-Bretagne. De surcroît, comme chacun le sait, notre
fiscalité est la plus élevée de tous les pays européens.
Les risques sont donc grands d'assister non seulement à la délocalisation de
nos entreprises vers les pays où la main-d'oeuvre est bon marché, les coûts de
production faibles et où l'on travaille plus, mais aussi à la fuite des
cerveaux et des jeunes diplômés, largement commencée d'ailleurs, vers des pays
où la fiscalité est restée raisonnable.
C'est dans ce contexte que le Gouvernement nous présente le présent projet de
loi visant à la réduction de la durée légale du temps de travail à 35 heures,
sans perte de salaire, applicable d'abord aux entreprises au-dessus d'un seuil
de vingt salariés à date fixe au 1er janvier 2000, ensuite à toutes les
entreprises dès le 1er janvier 2002, avec, en prime, une aide pour celles qui
anticiperont et embaucheront avant ces dates.
Selon le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, le scénario
le plus crédible de l'application des 35 heures verrait la création de 200 000
à 250 000 emplois.
Selon la même source, l'effet des 35 heures sur les finances publiques serait
globalement nul, parce que, en dehors du « démarrage » nécessitant les 3
milliards de francs prévus au budget de 1998, le rendement en termes d'impôts -
impôt sur le revenu et TVA - et les cotisations sociales générées par les
nouveaux emplois créés compenseraient le coût des aides, surtout s'il y a gain
de productivité et diminution de l'assurance chômage.
En outre, l'aide apportée aux entreprises pour l'embauche de nouveaux salariés
en application de l'article 3 du présent projet de loi a un caractère
forfaitaire qui favorise particulièrement les entreprises de main-d'oeuvre et
les bas salaires, puisqu'un montant moyen d'aide annuelle de 7 000 francs sur
cinq ans et par salarié correspond à 3,3 % du coût du travail pour un salaire
de 12 000 francs brut mais à plus de 5,7 % pour un salaire mensuel de 7 000
francs.
Il s'agit, madame la ministre, d'un montage apparemment logique. Comme la
réduction de la durée légale concernera à terme un champ potentiel de plus de
13 millions de salariés, dont environ 9 millions dans les entreprises de plus
de vingt salariés, c'est un très gros pari que vous tentez là. Vous pensez, en
effet, que la réduction du temps de travail s'accompagnera d'une réorganisation
du travail et de la production. Vous affirmez, fort justement d'ailleurs,
qu'une réorganisation de la production visant à maintenir ou à accroître la
durée d'utilisation des équipements industriels ou la durée d'ouverture des
services est un facteur important pour la réussite économique de la réduction
du temps de travail avec gains de productivité de 3 % à 5 %, nonobstant une
durée du travail réduite de 10 p. 100.
Telles sont les analyses faites par le Gouvernement, sans doute aidé par des
économistes éminents mais dogmatiques, et très éloignés des réalités, que j'ai
connues, des petites et moyennes entreprises et des petites et moyennes
industries, des entrepreneurs, des artisans, des agriculteurs confrontés aux
fins de mois difficiles, à la recherche des marchés, aux agios, à une politique
bancaire qui, après avoir fait des folies dans l'immobilier, ne prend plus
aucun risque. Les analyses du Gouvernement sont très éloignées des
entrepreneurs plus ou moins capables, des salariés plus ou moins motivés, avec
les impayés temporaires ou définitifs, les clients de mauvaise foi, les
redressements judiciaires qui n'en finissent plus et se multiplient. Or, vous
le savez, ce sont dans ces petites et moyennes entreprises que résident les
gisements d'emplois. Votre réforme risque de les décourager alors qu'elles sont
déjà confrontées, dans certaines régions frontalières, à la concurrence
européenne.
Je citerai une anecdote. Je suis maire d'une commune frontalière, située à
quelques kilomètres de la province italienne de Cuneo, dans le Piémont, où le
taux de chômage est inférieur à 4 p. 100.
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Grâce aux PME !
M. José Balarello.
Je me suis demandé pour quelle raison le taux de chômage y est à un niveau si
faible. Le président du conseil provincial m'a indiqué qu'il existait un très
grand nombre de PME et de PMI, un tissu d'entreprises familiales, dans
lesquelles les personnes concernées ne font pas 39 ou 40 heures, mais beaucoup
plus. A l'heure actuelle, elles viennent même concurrencer les artisans du
département des Alpes-Maritimes, notamment ceux de ma commune. Ces personnes
sont disponibles le samedi, le dimanche et les jours de fête, notamment
lorsqu'une machine est en panne.
Les chiffrages évoqués par vos services en matière de créations d'emplois
relèvent de simulations macroéconomiques, assorties d'hypothèses, de conditions
et de réserves multiples qui se heurtent aux observations sur le terrain.
D'ailleurs, les auditions qui ont été consignées dans le rapport
Gournac-Arthuis de la commission d'enquête sénatoriale sont édifiantes
s'agissant de ce que pensent les partenaires sociaux, notamment les
agriculteurs. Selon que les conditions seront ou non réunies - vous l'avez dit
- les résultats peuvent être inversés.
Peu d'entreprises sont aujourd'hui en situation de pouvoir continuer à
réaliser des gains de production tout en réduisant la durée du temps de travail
de leurs salariés. Par ailleurs, celles qui ont des marges de développement
n'ont guère intérêt à consommer toutes leurs réserves de productivité pour
financer une réduction de la durée du temps de travail.
Comme l'a indiqué M. le président Fourcade à cette tribune, la réduction du
temps de travail sans perte de salaire entraîne une augmentation du coût
salarial du SMIC de 11,4 %, qui sera en partie compensée par les aides
publiques mais seulement s'il y a création d'emplois.
Or, notre économie étant ouverte, une telle augmentation des coûts salariaux
ne peut que nuire à la compétitivité de nos entreprises sur le marché
international, de surcroît dans un contexte de baisse générale des prix de
vente du secteur industriel, alors même que un français sur quatre travaille
pour l'exportation.
Je terminerai en attirant votre attention, madame la ministre, sur le fait
qu'aux termes de ce projet de loi de vastes zones d'ombre demeurent sur des
points cruciaux. Certes, vous nous avez indiqué que ces points seraient réglés
par une seconde loi en 1999.
La disposition la plus préoccupante concerne le régime des heures
supplémentaires.
Abaisser la durée légale du travail à 35 heures, cela signifie que c'est à
partir de ce seuil que se calcule les heures supplémentaires. Les entreprises
qui, pour maintenir leur production en période de surchauffe, continueront à
faire travailler leurs salariés 39 heures compléteront la rémunération de base
calculée sur 35 heures par quatre heures supplémentaires majorées à 25 %. A
production inchangée et sans gains de productivité, les coûts salariaux
augmenteront de 2,6 % alors que les entreprises n'auront pas suffisamment de
travail en année pleine pour embaucher.
Par ailleurs, le texte ne fait aucune référence à l'annualisation, qui serait
pourtant la solution la plus adaptée à de nombreuses professions, en permettant
d'adapter les besoins de production et de services sur l'année en fonction
d'une demande souvent fluctuante ou saisonnière.
Par ailleurs, vous ne parlez pas de l'apprentissage et de la formation
professionnelle, alors que votre système, madame la ministre, ne pourra
fonctionner que grâce à des personnes très bien formées, les autres faisant les
frais du système.
Enfin, pourquoi ne pas poursuivre dans le système consensuel de la loi Robien
du 11 juin 1996 ? En effet, vous l'avez dit, elle a abouti à 2 000 accords
d'entreprise. Elle permettait aux entreprises le pouvant, et à elles seules, de
diminuer la durée du travail. Elle ne l'imposait pas aux autres,
malheureusement les plus nombreuses parmi les PME, notamment dans le secteur du
bâtiment, qui pouvaient rester en dehors du système.
De véritables perspectives pour le développement des négociations sur
l'aménagement et la réduction du temps de travail étaient ouvertes, et votre
Gouvernement n'avait qu'à « reprofiler » le texte de la loi de 1996, comme l'a
indiqué le rapporteur de la commission des affaires sociales, M. Souvet. Or,
vous avez privilégié un dispositif autoritaire contestable, fondé sur des
données on ne peut plus fragiles. Enfin, qu'en est-il du travail à temps
partiel ? Ce genre de travail ne concerne que 16,6 % des emplois en France,
alors qu'il représente 20 % à 25 % de l'emploi de certains pays d'Europe -
Pays-Bas, Danemark, Suisse, Norvège et Royaume-Uni - et touche aux Pays-Bas 67
% des femmes et en Suède 44 %.
Il est, à l'évidence, une voie nouvelle à la création d'emplois. Il répond à
un besoin de flexibilité des entreprises, tout en permettant aux salariés de
disposer de temps selon leurs
desiderata
et leurs impératifs financiers,
et aux mères de famille de s'occuper de leurs enfants.
Pourtant, l'article 6 du présent projet de loi, qui modifie l'article L.
322-12 du code du travail, pénalise cette solution en disposant que
l'exonération des charges sociales de 30 % ne serait plus accordée que pour des
contrats conclus pour un horaire hebdomadaire compris entre 18 et 32 heures.
Que comptez-vous faire sur ces différents sujets ?
Nous aurions souhaité également que le Gouvernement examine l'hypothèse de la
semaine de quatre jours préconnisée par M. Larrouturou dans son livre
35
heures : le double piège.
Une enquête CSA-
La Vie
des 3 et 5 mai 1997 relève, en effet, que 67 %
des Français seraient prêts à travailler un jour de moins par semaine en
acceptant une baisse de salaire de 5 %.
Les solutions ne manquent donc pas à l'aménagement du temps de travail et les
Français sont, dans leur grande majorité, prêts à accepter des réductions de
temps de travail et de salaire si la conséquence est la création d'emplois. Il
faut néanmoins considérer que toutes les entreprises françaises ne sont pas en
mesure d'affecter une partie de leurs gains à la création d'emplois. Aussi, un
projet de loi autoritaire, élaboré sans véritable concertation avec les
partenaires sociaux, comme celui qui nous est proposé, risque de compromettre
l'existence de nombreuses petites et moyennes entreprises dont la santé
économique est précaire et la rentabilité marginale. C'est la raison pour
laquelle je suivrai les propositions de la commission des affaires sociales.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR
et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Weber.
(Applaudissements sur les travées
socialistes.)
M. Henri Weber.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, j'ai écouté
attentivement les orateurs de la majorité sénatoriale qui se sont exprimés
jusqu'à présent. J'ai retrouvé sans peine dans leurs propos les trois types
d'arguments que les conservateurs opposent invariablement depuis deux siècles
aux grandes réformes sociales défendues par la gauche.
M. William Chervy.
Eh oui !
M. Henri Weber.
Le premier de ces arguments, c'est celui de l'effet pervers. Il a été défendu,
entre autres orateurs, par le rapporteur, M. Louis Souvet, et par M.
Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales, avec un
talent digne d'une meilleure cause.
(Sourires sur les travées
socialistes.)
Le projet de loi que vous nous présentez, madame la ministre,
produirait, selon ces excellents collègues et quelques autres, un effet
exactement contraire à celui que vous recherchez : loin de créer des emplois,
il en détruirait en grand nombre et accroîtrait le chômage, car il augmente le
coût du travail, de 11,4 %, et sa rigidité ; cela suffirait pour mettre les
entreprises en difficulté.
Le deuxième de ces arguments classiques, c'est celui de l'inanité ou de la
vanité de la réforme. Il est sensiblement différent du précédent. Il a été
développé tout à l'heure, notamment par MM. Hubert Durand-Chastel et Alain
Gournac.
La loi sur les 35 heures est vaine et inutile, ont-ils soutenu. Elle ne créera
aucun emploi, car les chefs d'entreprise s'arrangeront pour produire autant,
voire davantage, avec les mêmes effectifs. On aurait pu obtenir un résultat
bien meilleur et à moindres frais en laissant faire le cours spontané des
choses.
Le troisième argument, c'est celui de la mise en péril de certains acquis.
L'aménagement et la réduction du temps de travail constituent sans doute une
arme efficace contre le chômage, ont reconnu MM. Gérard Larcher et Daniel
Hoeffel. Mais il aurait fallu procéder par la négociation, et non par la
contrainte. En recourant à la loi, le Gouvernement ruine l'efficacité de la
mesure et met en péril d'autres acquis précieux : la croissance retrouvée, par
exemple, l'augmentation des salaires, désormais possible, et la négociation
collective entre partenaires sociaux.
Ces trois types d'arguments sont, je le répète, d'un grand classicisme. Le
grand Albert Hirschman a montré qu'ils ont été successivement invoqués à chaque
étape de notre développement démocratique : au XVIIIe siècle contre
l'affirmation des droits civils et des libertés individuelles, au XIXe siècle
contre l'extension des droits politiques et le suffrage universel, au XXe
siècle contre la reconnaissance des droits sociaux et économiques et
l'avènement de l'Etat-providence. Ces trois types d'arguments ne sont pas plus
pertinents aujourd'hui, contre la réduction du temps de travail,
qu'autrefois.
Madame la ministre, le projet de loi que vous nous proposez n'est pas ce lourd
boulet que certains orateurs ont décrit. Le chiffre de 11,4 % d'augmentation du
coût du travail qu'ils ont avancé est fantaisiste. Il ne tient pas compte des
progrès de la productivité du travail, 2 % par an en moyenne, et beaucoup plus
dans l'industrie.
Monsieur le rapporteur, si mon information est exacte, vous avez exercé des
fonctions chez Peugeot. Or, dans cette entreprise - j'en parlais avec M.
Saint-Geours voilà peu, l'augmentation de la productivité s'élevera, cette
année, à 12 %, non pas à 2 % ou à 5 %.
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Monsieur Weber, me permettez-vous de vous interrompre ?
M. Henri Weber.
Volontiers, monsieur le rapporteur.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Louis Souvet,
rapporteur.
On ne parle bien que de ce que l'on connaît bien, monsieur
Weber. Une telle augmentation résulte d'une remise en cause complète des
fabrications, pour obtenir une diminution de 25 % du prix de fabrication. Cette
remise en cause part du fait que dans une même usine on fabriquait des
véhicules Citroën, des véhicules Peugeot, et peut-être d'autres encore.
Cela n'est pas tout à fait aussi simple que ce que vous dites, même si vous
avez des contacts avec M. Saint-Geours.
M. le président.
Veuillez poursuivre, monsieur Weber.
M. Henri Weber.
J'affirme, monsieur le rapporteur, que le chiffre avancé d'une augmentation de
11,4 % du coût du travail n'est pas raisonnable. D'abord, il fait abstraction
de l'augmentation de la productivité du travail, qui atteint 2 % en moyenne, et
beaucoup plus dans l'industrie, notamment dans l'industrie automobile. Ensuite,
il fait abstraction des aides financières accordées aux entreprises qui
appliqueront les 35 heures hebdomadaires avant l'échéance, aides dont on a
beaucoup parlé ici et qui s'étagent de 9 000 à 15 000 francs et davantage par
salarié, selon les cas. Enfin, il fait abstraction de la modération salariale,
qui est effective depuis nombre d'années dans notre pays et qui explique
d'ailleurs que les entreprises aient reconstitué leurs marges bénéficiaires.
Celles-ci sont supérieures à ce qu'elles étaient avant la crise, c'est-à-dire
avant 1973, en raison précisément, dans une large mesure, de cette modération
salariale qui est appelée à perdurer si le passage à la semaine de 35 heures
s'accompagne d'une amélioration des conditions de travail et de la création de
nouveaux emplois.
Votre texte, madame la ministre, n'est pas non plus ce carcan qui imposerait à
tous et tout de suite une même norme édictée d'en haut. Il ouvre une période de
négociations qui durera deux ans pour les entreprises de plus de vingt salariés
et quatre ans pour les autres. Au cours de cette période, les modalités de la
réduction et de l'aménagement du temps de travail seront définies par les
partenaires sociaux. Ces modalités pourront prendre des formes variées selon
les secteurs, les métiers et les niveaux de qualification : semaine de 35
heures, a-t-on dit, semaine de quatre jours, journées de repos supplémentaires,
année sabatique, compte épargne temps, ... Il s'agit de surcroît - cela a été
souligné à plusieurs reprises - d'une réduction de la durée légale du temps de
travail, qui admet, comme aujourd'hui, le recours à un volant d'heures
supplémentaires.
Si votre projet de loi dresse, heureusement, de nombreux garde-fous contre le
retour du travail taillable et corvéable à merci, il n'est pas hostile à des
aménagements négociés des horaires et de l'organisation du travail, comme les
contrats passés dans le cadre de la loi Robien en donnent de nombreux
exemples.
Ce texte ne compromet pas la compétitivité retrouvée de nos entreprises.
Certains orateurs ont affirmé que le coût du travail dans notre pays est
exorbitant et la législation sociale dissuasive. Ces allégations ne sont pas
exactes : le coût du travail, en France, se situe dans la moyenne des pays de
l'OCDE. Il est nettement plus élevé en Allemagne, en Belgique et dans les pays
scandinaves ; il est à peu près équivalent en Grande-Bretagne et en Espagne,
mais ce ne sont pas des idéaux sociaux que nous visons.
Mais si le coût moyen du travail se situe, en France, dans la norme des pays
comparables, le coût du travail non qualifié, c'est vrai, est trop élevé. C'est
pourquoi je me félicite, avec le groupe socialiste, de ce que l'aide accordée
par votre projet de loi, madame la ministre, privilégie à juste titre les
entreprises de main-d'oeuvre employant principalement des salariés peu
qualifiés et puisse aussi se lire comme un allégement des charges sur le
travail non salarié mais avec, pour contrepartie, 10 % de réduction de la durée
du travail et 6 % au moins de créations d'emplois.
Mes chers collègues, notre coût du travail et notre haut niveau de protection
sociale ne nuisent pas à notre économie. Notre balance commerciale est
excédentaire depuis des années et a atteint, en 1997, un record de 174
milliards de francs. Notre pays se situe au troisième rang dans le monde pour
l'accueil des investissements étrangers, derrière les Etats-Unis et dans la
roue de la Grande-Bretagne. Vous avez encore pu prendre connaissance tout
récemment, mes chers collègues, des chiffres de créations d'emplois - 24 000 -
et des investissements pour l'année en cours.
L'épargne internationale, les investisseurs étrangers plébiscitent notre
économie au moment même où certains parlementaires et certains patrons français
la dénigrent, ce qui n'empêche d'ailleurs pas ces derniers d'investir, puisque
l'investissement industriel devrait, selon l'INSEE, augmenter de 10 % en 1998
contre 1 % en 1997, avant la loi sur les 35 heures.
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Merci patron !
M. Henri Weber.
Je le rappelle à mes collègues séduits par la thèse de l'effet pervers : le
coût du travail et la législation sociale ne sont qu'un élément, parmi beaucoup
d'autres, de la compétitivité des entreprises et de la décision d'investir.
Entrent également en ligne de compte le niveau de la demande, la qualité de la
main-d'oeuvre, celle des infrastructures, des moyens de communication, du cadre
de vie, le niveau de la recherche... Or, sur tous ces éléments, nous atteignons
à l'excellence. C'est pourquoi, massivement, l'épargne et l'investissement
étrangers viennent se fixer dans notre pays.
Madame la ministre, certains vous ont reproché de vouloir partager le travail
au lieu de le démultiplier. C'est un faux procès. Le partage du travail existe
déjà dans notre pays, mais il est subi et non maîtrisé. Il se fait - vous le
savez bien - au détriment des moins de 25 ans et des plus de 55 ans. C'est un
partage du travail qui est de type générationnel. Au Japon, que M. Plasait a
cité en exemple, le partage du travail se fait aussi, mais, cette fois, au
détriment des femmes.
Vous nous proposez, madame la ministre, un partage du travail moins injuste,
moins absurde, voulu et non subi, conscient et organisé, nullement
contradictoire avec le développement de l'activité globale, bien au
contraire.
Certains ont évoqué Alfred Sauvy et le Front populaire. Mais précisément,
comment ne pas voir que vous avez lu Sauvy et médité l'expérience de 1936, au
demeurant glorieuse, comme l'a rappelé Pierre Mauroy, et qui reste fortement
gravée dans l'imaginaire populaire de ce pays ?
Le coût horaire du travail, en juin 1936, a été augmenté de 50 % : 20 %
d'augmentation des salaires à la suite des accords de Matignon, 20 %
d'augmentation au titre du passage de la semaine de 48 heures à 40 heures - il
s'agissait alors non pas d'une réduction de la durée légale du travail mais de
la durée effective, avec interdiction de pratiquer plus d'une heure
supplémentaire par jour, sauf dérogation pour les travaux urgents et
exceptionnels - 5 % d'augmentation pour les congés payés et le reste en
cotisations sociales.
Comment peut-on sérieusement comparer ce traitement de choc avec le dispositif
prudent, subtil et informé que nous propose aujourd'hui le Gouvernement ? Une
telle comparaison renvoie soit à l'ignorance, soit à la mauvaise foi. Il n'y a
en effet aucune commune mesure entre les propositions actuelles et les mesures
qui ont été prises en juin 1936, dont nous avons en effet médité toutes les
leçons pour tendre au même objectif sans faire un certain nombre d'erreurs
économiques commises à cette époque.
M. Guy Allouche.
Très bien !
M. Henri Weber.
Plusieurs orateurs en ont appelé au pragmatisme, madame la ministre, et vous
ont mise en garde contre tout
a priori
doctrinal ou idéologique. Mais
comment ne pas voir que leur analyse des causes du chômage français est
elle-même éminemment idéologique et fort peu pragmatique ?
A écouter la plupart des orateurs qui m'ont précédé à cette tribune, la raison
principale du chômage structurel en France résiderait dans le niveau trop élevé
du coût du travail et des contraintes pesant sur les entreprises. Qui ne
reconnait là le vieux postulat libéral ? L'un des orateurs a eu au moins
l'honnêteté de citer Jean-Baptiste Say. C'est la vieille idéologie libérale,
dans ce qu'elle a de plus simpliste, qui est exposée là !
Mais, mes chers collègues, pourquoi ne pas invoquer aussi et surtout la
politique macroéconomique calamiteuse appliquée au cours des sept dernières
années, politique qui a étouffé notre croissance par des taux d'intérêt
dissuasifs et des taux de change surévaluant le franc pour le maintenir à
l'étalon mark ? Ce contresens absolu a eu pour conséquence le taux de
croissance anormalement bas - 1,5 % - de notre économie pendant sept ans. Nous
avons en effet accumulé un retard considérable de ce point de vue. Il s'agit là
d'une cause majeure du chômage, qui n'a donc pas à être recherchée,
contrairement à ce que prétendent, dans leur sempiternel refrain, les libéraux
en manque d'imagination, dans les charges sociales et les contraintes.
La thèse de l'inanité, que j'évoquais tout à l'heure, ne résiste pas davantage
à l'analyse. Les expériences étrangères et toutes les études disponibles
indiquent que la réduction sensible de la durée du travail, dans un contexte de
reprise économique, lorsque les carnets de commandes sont pleins et que l'Etat
accorde des incitations financières substantielles, est créatrice d'emplois.
Elle peut même l'être fortement si les négociations entre partenaires sociaux
ont lieu dans un esprit gagnant-gagnant.
En Allemagne, la réduction du temps de travail dans la métallurgie,
l'imprimerie et le bois entre 1985 et 1995 a permis de sauver 700 000 emplois,
selon le Bureau fédéral du travail, qui est l'équivalent de notre ANPE. Les
pays d'Europe du Nord - ils ont été cités abondamment et fort imprudemment -
qui ont réussi à diminuer sensiblement leur chômage sans plonger dans le même
temps, comme la Grande-Bretagne ou les Etats-Unis, un tiers de leur population
dans la grande pauvreté sont parvenus, eux aussi, à réduire le temps de travail
: par l'institution des congés parentaux et des congés de formation au
Danemark, par l'essor du temps partiel choisi aux Pays-Bas. En France même,
l'expérience des accords Robien, si âprement combattus par le CNPF et par une
partie de la droite parlementaire ici même
(Vives protestations sur les
travées du RPR et des Républicains et Indépendants)...
M. Charles Descours.
Vous n'avez pas voté la loi Robien ! C'est nous qui l'avons votée !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission.
Vous ne l'avez pas votée, monsieur Weber !
C'est le geai paré des plumes du paon !
M. Henri Weber.
Demandez à M. de Robien ce qu'il en pense !
M. Charles Descours.
Vous n'avez pas voté la loi Robien, monsieur Weber !
M. Henri Weber.
Je vous renvoie à l'intervention de M. de Robien à l'Assemblée nationale,
intervention au cours de laquelle il a rappelé à ses collègues de la droite
parlementaire les résistances qu'il a dû affronter.
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission.
Ne vous flattez pas de ce que vous avez
rejeté !
M. Henri Weber.
A ce jour, 30 000 emplois ont été sauvés ou créés par la signature de 1 500
accords concernant 300 000 salariés.
Reste l'argument de la mise en péril. Le recours à la loi, nous a-t-il dit,
détériorera le climat social et ruinera durablement l'avenir des négociations
collectives dans notre pays.
Le Gouvernement aurait certainement préféré aboutir à la réduction du temps de
travail par la négociation plutôt que par la loi. Mais la France n'est pas le
Danemark ou l'Allemagne. Au Danemark, par exemple, 80 % des salariés et des
patrons sont respectivement regroupés dans un syndicat unique. Les acteurs
économiques et sociaux sont organisés au sein d'institutions puissantes,
disciplinées et obéies. En conséquence, les relations sociales y régnant sont
qualitativement différentes de celles qui existent dans notre pays.
Les relations sociales sont telles, en France, que les partenaires sociaux -
vous le savez bien et nous le déplorons autant que vous - ne négocient vraiment
que sous la contrainte d'une crise majeure : 1936, 1945, 1968... « En France »,
disait le général de Gaulle, « il faut une révolution pour faire des réformes
». Je l'évoquais à l'instant, le dispositif Robien, pourtant fort avantageux
pour les entreprises, n'a abouti, en novembre 1997, qu'à 1 500 conventions
concernant 300 000 salariés seulement.
Le bilan de l'accord national interprofessionnel de 1995 est encore plus
décevant : on relève une trentaine d'accords, aux effets très limités, sur
quatre cents branches concernées.
C'est en raison de cette anomie des rapports sociaux, de cette carence de la
négociation contractuelle que le Gouvernement s'est résolu à recourir à la voie
législative en deux temps : d'abord une loi d'incitation puis une loi dite «
balai ».
Comme vous nous l'avez rappelé, madame la ministre, il s'agit de donner une
impulsion à des négociations actuellement au point mort. Si l'on n'était pas
passé par la loi, il y a malheureusement fort à parier qu'il ne se serait rien
produit du tout.
Telle est la réalité sociale de notre pays, que nous sommes les premiers à
déplorer. Mais il existe des causes historiques à cette situation, et ce n'est
pas en quelques années que nous y remédierons.
Loin d'ouvrir les vannes à une flexibilité sans entraves à l'anglo-saxonne,
votre projet de loi, madame la ministre, prend soin de prémunir les salariés
contre la surexploitation et l'arbitraire.
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission.
C'est Zola !
M. Henri Weber.
La durée minimale de travail est relevée de 16 heures à 18 heures, afin de
lutter contre les contrats à temps partiel trop courts et plus souvent subis
que choisis.
Des mesures contre les journées « hachées » sont également prévues : l'article
7 limite les coupures à une par jour, d'une durée maximale de deux heures.
Le seuil de déclenchement du repos compensateur est abaissé de 42 heures à 41
heures. Le fait que ce repos doive être pris dans les deux mois, l'instauration
d'un repos quotidien d'au moins onze heures consécutives ou l'obligation de
requalifier un contrat à temps partiel lorque l'horaire effectif sera supérieur
à l'horaire prévu pendant douze semaines sont autant de garanties apportées aux
salariés contre tout risque de remise en cause en profondeur des acquis
sociaux.
Notre collègue Marie-Madeleine Dieulangard a indiqué à juste titre que au-delà
de la lutte pour l'emploi et contre le chômage, il y a, dans cette bataille
pour la réduction du temps de travail, un enjeu de civilisation.
Notre démocratie se développe depuis deux siècles par étapes : tout d'abord,
au xviiie siècle, une étape d'affirmation des droits civils et des libertés
individuelles ; puis, au xixe siècle, une étape de lutte pour les droits
politiques, symbolisée par la bataille pour le suffrage universel ; ensuite, au
xxe siècle, le développement et l'affirmation des droits économiques et
sociaux, symbolisés par l'instauration, en 1945-1950, de l'Etat providence.
Le développement de notre démocratie connaît maintenant une quatrième étape :
la bataille pour la réduction du temps de travail, la bataille pour la
civilisation du temps libéré et du temps choisi, car une véritable démocratie
ne peut fonctionner efficacement que si les citoyens ont le temps de prendre en
charge leurs affaires. C'est en effet dans la logique de notre démocratie que
s'inscrit l'objectif d'une société dans laquelle le temps de labeur, le temps
de travail contraint, le temps de travail routinier sera plus court, pour
chacun, que le temps libre.
Madame la ministre, votre loi est à la fois volontariste et réaliste. Elle a
tiré les leçons du passé - du Front populaire de 1936, du passage aux 39 heures
en 1982... - ainsi que des expériences étrangères. Elle peut, avec les autres
mesures édictées par le gouvernement de Lionel Jospin, créer des emplois, et
même beaucoup d'emplois. Cela dépendra de la volonté et de la capacité des
salariés de s'en saisir et d'en faire leur affaire. Cela dépendra aussi de
l'intelligence des chefs d'entreprise - dont, moi, je ne doute pas - qui
peuvent également y trouver leur compte, pour accroître la productivité et la
réactivité de leur établissement tout en améliorant son climat social.
C'est un véritable nouveau Contrat social que vous proposez au pays, et dont
les termes sont la réduction et l'aménagement du temps de travail, le maintien
du pouvoir d'achat, la création d'emplois dans les entreprises, pour renouer
durablement avec le cercle vertueux de la croissance. Ce nouveau contrat, nous
l'approuvons pleinement, et c'est pourquoi nous voterons contre le texte de
circonstance que veut lui substituer la majorité sénatoriale.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission.
Monsieur Weber, avez-vous lu le rapport de la
commission des affaires sociales ? Permettez-moi de vous le remettre : vous y
trouverez des chiffres incontestables et plus récents que ceux que vous avez
évoqués.
(M. le président de la commission remet à l'orateur, qui regagne sa place, le
rapport de M. Souvet, fait au nom de la commission des affaires
sociales.)
M. le président.
La parole est à M. Paul Girod.
M. Paul Girod.
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, je viens
d'entendre avec intérêt l'intervention passionnée de notre collègue Henri
Weber. J'aimerais partager son enthousiasme ! J'aimerais pouvoir dire que le
moment est effectivement venu, compte tenu de l'état de notre économie, de
l'environnement dans lequel nous travaillons et de ce qu'est la richesse
nationale, d'envisager des mesures du style de celles qui nous sont proposées.
Or, madame le ministre, je crains que nous ne soyons en réalité devant une
illusion. Cette illusion est belle, certes, mais c'est néanmoins une
illusion.
Très honnêtement, je ne crois pas que, malgré tous les appels qui sont lancés
ici ou là aux entreprises pour que, dans la mesure où la loi serait moins
contraignante qu'il n'y paraît, elles entreprennent, au moment même où elles
ont à relever des défis de concurrence internationale majeurs, de négocier, de
négocier tous azimuts, de négocier plus ou moins sous la pression et face à des
syndicats mobilisés sur cette affaire, je ne crois pas, dis-je, que tel soit
leur premier souci : elles n'en ont ni le temps ni les moyens.
Je crains beaucoup que le texte qui nous est soumis ne créé un certain nombre
de rigidités supplémentaires dans notre droit du travail actuel. Or celui-ci
comporte déjà, par rapport à celui d'autres pays, énormément de rigidités que
ces derniers ignorent. N'est-ce pas, d'ailleurs, l'une des raisons pour
lesquelles nos jeunes trouvent plus facilement du travail à Londres qu'à Paris
et que nos cerveaux sont en train de quitter notre pays ? Je ne parle même pas
du système astucieux qui consiste à mettre à la porte un chercheur
international âgé de soixante-cinq ans pour constater ensuite avec effarement
que les Américains lui ont offert un laboratoire énorme pour lui tout seul,
tout simplement parce qu'il a, lui, encore beaucoup de choses à faire alors que
des raisons doctinales nous ont conduits à le pousser dehors !
Outre les rigidités évidentes qui figurent dans la loi, je crains aussi que,
certaines autres rigidités moins claires ne commencent à se mettre en place
subrepticement, en particulier celles qui ont provoqué les drames de 1936 et,
probablement, une partie des difficultés de 1982. Je veux parler de ce qui se
profile dans la seconde loi et qui va découler de la limitation des heures
supplémentaires.
Madame le ministre, je suis tous les jours sur le terrain face à des petits
artisans, à des petits industriels, à des commerçants, à des gens qui
cherchent, quelquefois désespérément, des travailleurs qualifiés pour occuper
certains postes. Qu'on leur dise que la trente-sixième, la trente-septième, la
trente-huitième et la trente-neuvième heures coûteront 25 % de plus dans
quelques années, c'est un inconvénient, mais il n'est peut-être pas énorme.
Mais qu'on leur dise qu'ils ne pourront plus recourir à un certain nombre
d'heures supplémentaires, celles qui correspondent aux heures qui sont déjà
effectivement travaillées, ne peut que les conduire à l'évidence, eux qui n'ont
déjà pas suffisamment des spécialistes et qui sont donc freinés dans leur
processus d'exploitation, soit à une baisse vertigineuse de leur production -
puisqu'ils ne pourront trouver personne pour accomplir la tâche que l'on
empêchera le spécialiste de faire - soit à des blocages définitifs et à des
pertes de marché.
Croyez-vous franchement que les années qui nous séparent de l'an 2000 soient
utilement consacrées à ajouter des difficultés à la gestion de nos entreprises
? Pour ma part, je n'en suis pas du tout persuadé. Je crois que nous ferions
beaucoup mieux de les libérer, sur le plan des charges peut-être et assurément
en tout cas sur le plan des contraintes, pour leur permettre de s'adapter.
On nous dit que la loi à venir permettra, en réalité, d'assouplir la gestion
des périodes de travail : on annualisera sans le dire. Fort bien ! Je constate
cependant que cela ne peut passer, ici ou là, que par une modération salariale
et par quelques compensations.
On a cité l'exemple d'une société implantée à Amiens, qui a reçu la visite de
notre commission d'enquête. La réduction du temps de travail y a été mise en
place, avec des modulations horaires tout au long de l'année. Mais cette
réduction du temps de travail ne peut fonctionner pour les personnels, que dans
la mesure où le service des ressources humaines se transforme en office de
placement pendant les périodes où l'entreprise est moins active et où l'on
répartit les employés dans d'autres entreprises pour qu'ils puissent trouver
des revenus complémentaires !
Dois-je comprendre que, pour réussir les 35 heures, l'entreprise qui va les
mettre en place va « manger » le travail des autres dans les autres entreprises
? Où seront les créations d'emplois nets avec ce système ? Je crains que ce ne
soit pas la voie de l'avenir !
C'est une des raisons pour lesquelles je pense qu'autant on peut élaborer des
lois incitatives, autant on peut mettre en place quelques dispositifs
financiers pour amorcer un certain nombre de phénomènes nouveau dans notre
économie - et probablement doivent-ils aller vers une réduction du temps de
travail choisie, supportée et à laquelle les entreprises peuvent s'adapter -
autant je ne crois pas, pour ma part, aux règles normatives dans un domaine
aussi délicat.
L'économie, c'est d'abord la vie ; la vie, c'est d'abord l'activité, et non la
rigidité. Aussi, je crois que la commission des affaires sociales a été bien
inspirée en supprimant les dispositions trop rigides qui nous étaient
proposées.
Quoi qu'il en soit, j'espère que, si des négociations doivent s'engager ici ou
là, elles seront aussi fructueuses que possible et qu'elles ne seront pas
généralisées d'autorité à des entreprises qui ne pourront pas ou qui n'auraient
pas pu se mettre en conformité avec des objectifs auxquels vous rêvez et que je
crois plus nocifs que constructifs.
(Applaudissements sur certaines travées
du RDSE, sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Descours.
M. Charles Descours.
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, j'évoquerai ce
projet de loi en qualité de rapporteur de la loi de financement de la sécurité
sociale, approuvant par ailleurs de ce que beaucoup de mes collègues ont dit
sur l'ensemble du présent texte.
Madame le ministre, le « trou de la sécu » est quasiment devenu, vous le
savez, un thème pour les chansonniers. Depuis vingt ans, nos concitoyens se
sont habitués à son existence, comme s'il s'agissait d'une sorte de fatalité.
Or s'élever contre cette dégradation permanente, c'est préserver notre système
de protection sociale, auquel nos concitoyens sont légitimement attachés.
Les gouvernements précédents s'étaient courageusement attelés à ce
problème.
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
En effet !...
M. Charles Descours.
Le gouvernement de M. Juppé, entre autres, a, par ordonnances, redonné une
structure au fonctionnement de la sécurité sociale, et vous n'y avez d'ailleurs
que peu touché ou pas du tout touché.
Le gouvernement de M. Balladur, quant à lui, a modifié le régime des retraites
pour les travailleurs du secteur privé et a fait voter, le 29 juillet 1994, une
loi courageuse obligeant l'Etat à prendre ses responsabilités, en prévoyant que
toute mesure d'allégement des charges serait compensée par l'Etat. M. le
rapporteur et M. le président de la commission y ont fait allusion.
La portée financière de cette loi est majeure, l'Etat remboursant ainsi
désormais à la sécurité sociale près de 50 milliards de francs chaque année.
Jusqu'à présent, cette loi a été respectée.
Mais, dans le présent projet de loi, madame le ministre, on ne trouve nulle
référence à cet engagement de l'Etat. Pis, dans l'exposé de motifs de ce texte,
nous apprenons même que les aides accordées par l'Etat aux entreprises pour les
encourager à anticiper d'un an ou deux la réduction du temps de travail seront,
en réalité, financées par la sécurité sociale. En effet, ces aides prendront la
forme d'allégements de charges sociales qui ne seront que « partiellement
compensés par l'Etat ». A quelle hauteur ? Bien entendu, ni les partenaires
sociaux ni les parlementaires ne le savent, alors que nous allons être appelés
à nous prononcer définitivement dans quelques jours sur ce projet de loi
relatif aux 35 heures.
Le Gouvernement nous affirme que les modalités de compensation seront étudiées
dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1999,
soit dans un an. Or le coût pour la sécurité sociale peut être très élevé, dans
la mesure où l'aide accordée aux entreprises sera attribuée pendant cinq ans
pour chaque salarié bénéficiant des 35 heures. L'allégement de cotisations
pourrait ainsi atteindre 14 000 francs par personne et par an, soit au total 70
000 francs par salarié.
C'est sans doute pourquoi le parlementaire d'opposition que je suis, madame le
ministre, a été rejoint dans son analyse par tous les conseils d'administration
des caisses maladie, famille et vieillesse - où il n'y a pas que des
représentants de l'opposition, loin de là - qui se sont prononcés contre ce
projet de loi sur les 35 heures à une écrasante majorité, que ce soit les
syndicats de salariés ou les employeurs.
Il y a là une inquiétude que, je n'en doute pas, vous allez dissiper, madame
le ministre, car votre projet n'a été compris ni par les parlementaires de
l'opposition ni par les partenaires sociaux.
Enfin, au cours des négociations qui viennent d'avoir lieu entre les syndicats
de fonctionnaires et le Gouvernement, nous avons eu la surprise d'entendre M.
Zuccarelli dire que la réduction du temps de travail pouvait, à terme,
s'appliquer à cette catégorie de personnels.
Sans m'étendre sur le cas des fonctionnaires de l'Etat, ni même sur celui des
membres de la fonction publique territoriale, dont M. Fourcade a parlé, je
voudrais vous demander, madame le ministre, comment vous pensez appliquer cette
mesure dans les hôpitaux sans grever le budget de la sécurité sociale. En
effet, je rappelle - mais chacun le sait dans cet hémicycle - que la charge
salariale représente de 65 % à 70 % du budget total des hôpitaux. Cette masse
financière pèse sur le budget de la sécurité sociale et, si l'on réduit le
temps de travail, comment faire pour que cette charge ne soit pas alourdie, et
donc que le déficit de l'assurance maladie ne soit pas creusé d'autant ?
Direz-vous aux infirmières ou aux aides-soignantes qu'elles doivent améliorer
leur productivité alors qu'elles sont souvent surchargées de travail, comme
nous le constatons tous dans nos hôpitaux ? Sinon, dans la mesure où il n'y a
pas de gain de productivité possible, c'est bien à la sécurité sociale que vous
transférerez cette charge, madame le ministre, au risque de voir s'approfondir
d'une façon considérable le trou de la sécurité sociale !
Je voudrais, pour conclure et pour calmer un peu l'enthousiasme que j'ai
entendu s'exprimer ici et là cet après-midi, vous lire, mes chers collègues,
quelques extraits d'un article paru ce soir dans un journal qui n'est
généralement pas considéré comme étant l'organe du RPR,
Le Monde.
Il en
résulte que les salariés sont moins enthousiastes - c'est le moins que l'on
puisse dire ! - que les membres de l'opposition sénatoriale : « Les réticences
ou le doute semblent augmenter à mesure que se rapproche la perspective d'une
mise en place de la réduction du temps de travail... Toujours est-il que les
salariés du privé redoutent de plus en plus les conséquences de l'instauration
des 35 heures. Ce qui ressemble à de la méfiance, exprimée globalement par une
moitié d'entre eux, se focalise sur le niveau de salaire... » - parce qu'ils ne
sont quand même pas des « gogos » : ils se rendent bien compte que les 35
heures payées 39, cela ne peut pas passer, et ils savent bien que leurs
salaires vont baisser, ce qu'ils refusent - « ... et la charge de travail,
l'idée d'un double impact négatif étant bien ancrée dans l'opinion. A coup sûr,
ensuite, les querelles chiffrées n'ont fait qu'aggraver la part du doute. Quand
il sont interrogés sur l'effet pour les entreprises, les sondés du privé
croient de moins en moins à l'éventualité de la création d'emplois. »
Alors, mes chers collègues de l'opposition sénatoriale, que le doute qui
saisit notre pays et les salariés - dont, je crois, le bon sens est partagé, je
l'espère, par nous qui sommes les élus du peuple - vous invite à faire preuve
de plus de décence dans vos propos que je ne l'ai entendu cet après-midi et ce
soir.
Madame le ministre, je vois que vous lisez cet article du
Monde ;
c'est
bien, nous avons donc les mêmes références.
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Mais moi, je lis les deux
paragraphes !
M. Charles Descours.
Madame le ministre, moi, j'ai lu les deux bons ! Vous vous référerez aux
autres en me répondant.
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Vous n'avez lu que le premier
!
M. Charles Descours.
Chacun son truc !
(Rires.)
Cela montre qu'il y a un doute.
Je le répète, il faut faire preuve d'un peu plus de décence, dans les propos
que l'on tient.
Voilà ce que je voulais dire, madame le ministre, comme rapporteur de la loi
de financement de la sécurité sociale. Je serais heureux qu'en nous répondant
dans quelques instants vous rassuriez non seulement les sénateurs de la
majorité de la Haute Assemblée mais également les conseils d'administration des
caisses, qui, vous le savez, sont très inquiets des conséquences de cette loi
pour assurer l'équilibre des régimes qu'ils sont chargés d'administrer.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de
l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à Mme Derycke.
Mme Dinah Derycke.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, « rien ne
coûtera jamais aussi cher à l'économie et à la société française qu'un chômage
de 13 %, et peut-être sommes-nous dans une situation où le plus grand risque
serait de n'en prendre absolument aucun ». Cette phrase a été prononcée, devant
la commission d'enquête sénatoriale, par un professeur de sciences économiques
à Paris-X Nanterre et directeur au CNRS. Elle résume bien le sentiment de la
plupart de nos compatriotes pour qui le chômage et donc l'emploi constituent la
première préoccupation, tant il est vrai que le chômage de masse, tel qu'il
existe aujourd'hui, gangrène notre économie, nuit à son développement,
désagrège le tissu social. Il pourrait, à terme, saper notre démocratie.
Ce constat, nous le partageons tous. Mais, au-delà des mots, il faut
aujourd'hui des actes.
La lutte contre le chômage par le développement de l'emploi doit constituer la
priorité absolue, non pour des raisons idéologiques, ni même de seule justice
sociale, mais pour l'avenir même de notre pays et de notre jeunesse.
Force est de constater que, depuis quinze ans, de nombreuses politiques ont
été menées par les gouvernements successifs ; elles ont toutes échoué.
Ces mesures pragmatiques n'étaient certes pas inutiles, comme le traitement
social du chômage ou les contrats aidés. Mais elles n'ont pas eu sur l'emploi
les effets escomptés.
D'autres mesures sont plus idéologiques ; je pense à la suppression
administrative de licenciement dont le CNPF demandait qu'on le libère en
contrepartie de la création de 300 000 emplois. Ces mesures n'ont eu, malgré
les promesses patronales, aucune traduction en termes d'emplois.
Le formidable effort de formation qu'a consenti la nation a permis d'augmenter
l'« employabilité » des travailleurs mais n'a pas eu, non plus, d'incidence
quantitative sur la création d'emplois.
Toutefois, ces efforts n'ont pas été vains. L'élévation du niveau de formation
de notre population nous permet, aujourd'hui, d'envisager avec optimisme la
reprise qui s'amorce. A cet égard, le choix opéré par de plus en plus
d'investisseurs étrangers de s'établir en France tient beaucoup à la qualité de
notre main d'oeuvre, à la qualité des femmes et des hommes de notre pays que
nous avons su former.
Aujourd'hui, le retour de la croissance, même modéré nous permet de mener une
politique de l'emploi offensive. Depuis le mois de juin, le Gouvernement s'y
est employé activement, notamment par la relance de la consommation et de la
demande intérieure, et la mise en place du dispositif emplois-jeunes.
La réduction du temps de travail constitue un outil supplémentaire. Cette voie
n'est pas nouvelle, mais sa perception a beaucoup évolué.
L'amélioration de la qualité de la vie qui nourrissait, à juste titre, chez de
nombreux salariés l'aspiration à la diminution du temps de travail, a cédé le
pas à l'idée d'un partage du travail afin que nul n'en soit exclu.
L'accord interprofessionnel du 31 octobre 1995 s'inscrivait déjà dans cette
logique. Malheureusement, si les trop rares accords conclus dans son
prolongement ont mis en oeuvre l'aménagement du temps de travail, l'effet en
termes d'emplois a été quasiment nul, cette préoccupation n'étant pas ressentie
par les partenaires sociaux comme une composante majeure des accords.
La loi du 11 juin 1996, dite loi Robien, a eu en ce domaine des effets plus
positifs quoique limités. Le coût en est élevé, l'aide de l'Etat se révélant
supérieure au point d'équilibre nécessaire.
De plus, l'absence d'aide structurelle à la sortie du dispositif ainsi que
l'absence de contrainte dans le temps ont eu pour conséquence que les accords
dit « offensifs » ont principalement été le fait d'entreprises qui, de toute
manière, auraient augmenté leurs effectifs, ce que nous appelons l'effet
d'aubaine.
Cette expérimentation est néanmoins intéressante et nous pouvons en tirer
quelques enseignements propres à consolider un autre dispositif plus
sensiblement créateur d'emplois. C'est ce que vous avez su faire, madame la
ministre.
C'est ainsi qu'il faut afficher la volonté de réduire la durée légale du
travail, faute de quoi les accords resteront relativement peu nombreux.
De même, l'aide apportée par l'Etat doit être évaluée au plus juste afin que
les coûts unitaires n'augmentent pas - c'est une condition indispensable - et
que les finances publiques ne supportent pas de charges indues. Entre gains de
productivité et augmentation de la masse salariale due aux nouvelles embauches,
il faut trouver le juste équilibre dans l'appréciation du montant des aides
publiques nécessaires pour préserver la compétitivité des entreprises.
Une attention toute particulière doit être apportée aux secteurs d'activité
dans lesquels les bas salaires dominent. Le choix d'abattements de charges
uniformes plutôt que proportionnels et accrus pour les bas salaires va dans ce
sens.
De même, l'annonce d'une aide structurelle au terme du dispositif supprime un
aléa non négligeable existant dans la loi Robien.
La majorité du Sénat récuse ces orientations et nous propose de réaménager
cette loi en supprimant toute contrainte dans le temps et en diminuant le
coût.
Qui peut croire que les entreprises qui n'ont pas négocié d'accords depuis
juin 1996, alors qu'elles en avaient toute latitude et que les avantages
attachés à la loi Robien étaient très intéressants, au point même que la
majorité sénatoriale les trouve elle-même aujourd'hui excessifs, se
précipiteront pour conclure des accords dans la mesure où l'on réduirait ces
avantages ? Cette proposition n'est pas crédible.
De fait, la loi Robien ne s'est pas développée car il n'y avait pas
d'orientation claire sur l'avenir de la durée du travail.
Si l'article 1er du projet de loi était supprimé, cette absence d'orientation
et ses effets réducteurs subsisteraient, d'autant que le champ d'application de
la loi, par l'élèvement du seuil d'application à cinquante salariés, se
trouverait fortement réduit.
La proposition de la majorité de la commission des affaires sociales, si elle
est intéressante en ce qu'elle reconnaît que la réduction du temps de travail
est créatrice d'emplois, n'est toutefois pas à la hauteur de l'enjeu actuel.
Elle ne tient pas compte du nouvel environnement économique que constitue le
retour de la croissance, retour qui crée les conditions favorables à la
diffusion d'une réduction du temps de travail.
L'idée que cette réduction doit être librement négociée sans contrainte de
l'Etat est séduisante, mais elle a déjà été appliquée et elle a échoué.
Par ailleurs, nous regrettons également que la majorité de la commission des
affaires sociales ait cru bon de supprimer les articles relatifs à ce qu'il est
convenu d'appeler la moralisation du temps partiel.
Aujourd'hui, le temps partiel n'a rien du temps choisi. En réalité, la
croissance des emplois à temps partiel a été le corollaire du chômage.
Contrairement aux autres pays européens, où le taux de l'activité féminine
était totalement différent, le travail à temps partiel est un phénomène récent
en France. En effet, en 1980, on comptait 1,5 million d'actifs à temps partiel
contre 3,5 millions aujourd'hui. Le temps partiel n'est pas en France, comme il
l'a été aux Pays-Bas où le taux de l'activité féminine était très bas, une
composante de la croissance de l'activité féminine.
Le temps partiel est un temps de crise.
Il est devenu de fait une forme de sous-emploi réservée aux femmes, lequel
crée un processus de paupérisation invisible mais bien réel.
Le sous-emploi débouche nécessairement sur des sous-salaires très proches des
revenus de l'assistanat.
Mme Joëlle Dusseau.
Très bien !
Mme Dinah Derycke.
Contrairement à ce que l'on veut faire croire, les conditions dans lesquelles
s'exerce ce temps partiel subi ne permettent pas de concilier vie
professionnelle et vie familiale du fait des horaires éclatés et de la
disponibilité sans limite exigée de ces salariées.
En ce domaine, réduire les abus et limiter les mesures trop incitatives
correspondent à une attente forte des femmes, qui, rappelons-le, constituent 85
% des temps partiels subis et non choisis.
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
C'est vrai !
Mme Joëlle Dusseau.
Excellent !
Mme Dinah Derycke.
Le projet de loi présenté par le Gouvernement est ambitieux mais également
audacieux. Le succès est à portée de main, pour autant que les partenaires
sociaux s'en saisissent avec la volonté de réduire le chômage dont les coûts
humain, social, financier et économique deviennent exorbitants pour notre
économie et notre pays.
Même si nous éprouvons aujourd'hui quelques difficultés à l'apprécier, il est
plus que probable que cette loi contribuera à terme à une évolution positive
des relations au sein même des entreprises. Elle modifiera aussi en profondeur
les modes et les conditions de vie de nos concitoyens.
Comme vous, madame la ministre, nous sommes convaincus que les conditions
existent aujourd'hui pour faire reculer massivement le chômage. Il y faut de la
volonté, vous l'avez. Dans ce combat, nous serons, nous sommes à vos côtés.
(
Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes, sur celles du
groupe communiste républicain et citoyen ainsi que sur certainees travées du
RDSE.
)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme le ministre.
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Monsieur le président, je
souhaite répondre aux intervenants dans la discussion générale, ainsi, bien
sûr, qu'à M. le rapporteur et M. le président de la commission des affaires
sociales. J'essaierai de ne pas être trop longue, tout en apportant
suffisamment de précisions pour, peut-être, nous permettre d'être plus concis
lors de l'examen des articles.
Je voudrais remercier la grande majorité des intervenants du sérieux et de
l'intérêt dont ils ont fait preuve, et d'abord ceux qui soutiennent le texte du
Gouvernement et qui se sont exprimés au nom de leur groupe, Pierre Mauroy, Guy
Fischer, Joëlle Dusseau.
J'ai également particulièrement apprécié, au-delà des interventions du
président et du rapporteur de la commission, certaines interventions qui
visaient à replacer ce thème de la réduction du temps de travail dans un choix
de société, face à un vrai problème, le chômage, et par rapport à un mouvement
historique ; je veux parler plus particulièrement des interventions de MM.
Daniel Hoeffel, Bernard Seillier ou Bernard Joly, qui se sont intéressés
justement à ce débat, peut-être de manière plus approfondie.
Je relèverai d'abord nos points d'accord. Pratiquement, tout le monde s'est
accordé à dire que la réduction de la durée du travail pouvait être - certains
ont même dit « devait être » - un des moyens de réduire le chômage dans notre
pays. Je crois que personne ici ne pense que c'est une solution miracle, ou
qu'en tout cas c'est la seule solution qui permettra de résoudre le chômage.
Mais il y a, je crois, une très forte majorité pour penser que c'est une
solution parmi d'autres, même si, bien évidemment, il faut d'abord faire en
sorte que la croissance soit la plus forte possible et s'engager aussi vers la
recherche des nouveaux métiers et le soutien aux petites et moyennes
entreprises.
C'est ce qu'a fait le Gouvernement, notamment en prenant un certain nombre de
dispositions dans la loi de finances de 1998 sur le capital risque, sur l'aide
à la recapitalisation des PME, et ce n'est qu'un début par rapport au vaste
programme que nous avons mis en place pour réduire les lourdeurs qui pèsent
aujourd'hui sur toutes les entreprises, notamment les petites et moyennes
entreprises.
Je pense que nous sommes également d'accord pour dire que, sous certaines
conditions - c'est d'ailleurs ce qui est écrit dans les rapports des experts
économiques - la réduction de la durée du travail peut créer des emplois,
beaucoup d'emplois même.
Mme Dusseau aurait préféré que l'on aille plus loin, jusqu'aux 32 heures. Je
lui dirai que l'aide mise en place par l'Etat pour les entreprises qui vont
jusqu'aux 32 heures est beaucoup plus incitative que pour celles qui s'arrêtent
aux 35 heures. Mais je crois qu'il fallait effectivement avancer par étapes.
Que pensent les principaux intéressés de la réduction de la durée du travail
?
Je n'ai jamais caché que certains pouvaient éprouver des difficultés, des
inquiétudes, notamment les chefs d'entreprises. Je l'ai dit moi-même tout à
l'heure : il est bien évident qu'on ne réduit pas la durée du travail sans
bouleverser profondément l'organisation du travail dans l'entreprise, sans
changer des éléments fondamentaux de cette organisation.
Peut-être est-ce une opportunité. Mais il est normal que les changements
suscitent des inquiétudes. A nous, au lieu de les entretenir, d'essayer
d'apporter des éclaircissements. Ainsi, au lieu de pérenniser ces inquiétudes,
celles-ci deviendront peut-être des opportunités.
Je dirais très amicalement à M. Descours que, si des salariés doutent - comme
beaucoup - des effets de la réduction de la durée du travail, j'aurais aimé
qu'il lise également le paragraphe précédent de l'article qu'il a cité et qui
indique que les salariés du secteur public comme du secteur privé se sentent de
plus en plus concernés par la réduction de la durée du travail, et ce quelle
que soit leur classe d'âge.
Nous sommes avec ces études dans la réalité des choses : aujourd'hui, chacun
considère qu'on ne peut laisser aucune piste de côté, que les 35 heures sont
sans doute une voie possible, mais qu'il convient de remplir un certain nombre
de conditions pour y arriver.
Que chacun se pose des questions, c'est normal. Ce débat doit les éclairer.
Je reviendrai maintenant sur un grand débat : avec ce projet de loi, avec les
35 heures, y aura-t-il plus de souplesse dans les entreprises et
qu'entendons-nous par ce terme ?
Mme Dieulangard a bien montré comment la réduction de la durée du travail
pouvait être une opportunité pour les entreprises de faire évoluer
l'organisation du travail.
Dans notre esprit, la réduction de la durée du travail, ce n'est pas seulement
l'annualisation des horaires, comme certains le laissent à penser.
Pour certaines entreprises du secteur saisonnier, l'annualisation est
effectivement l'une des conditions d'un meilleur fonctionnement. Pour beaucoup
d'autres, la souplesse, c'est une meilleure utilisation des équipements, c'est
une meilleure ouverture au public ; c'est aussi, pour les salariés, plus de
qualification, d'autonomie, de polyvalence ; c'est enfin une pyramide des âges
mieux équilibrée.
L'ensemble de ces éléments doit être pris en compte. On ne doit pas se borner
à une vision dérégularisatrice de la souplesse, que l'on a parfois appelée «
flexibilité ».
C'est bien la souplesse au sens total du terme qui permet aux facteurs de
production dans l'entreprise de mieux travailler ensemble pour mieux répondre
aux besoins des clients.
Ces souplesses - je voudrais ainsi répondre notamment à M. Fischer, qui s'en
inquiétait - ne doivent pas être dérégulatrices, elles doivent comporter un
certain nombre de garanties.
Aujourd'hui - M. Hoeffel l'a très bien montré - nous sommes confrontés à la
nécessité de rechercher des souplesses qui ne portent pas atteinte aux
conditions de vie des salariés et qui soient accompagnées de nouvelles
sécurités.
Je ne crois pas aux rigidités, je ne crois pas non plus à la flexibilité
dérégulatrice.
Nous mettons dans la réduction de la durée du travail une ambition que nous
trouvons déjà ailleurs dans le code du travail : il s'agit de trouver des modes
de fonctionnement en commun qui permettent la souplesse nécessaire à
l'entreprise, mais qui apportent des nouvelles sécurités aux salariés.
Nous savons tous très bien que des salariés angoissés pour l'avenir ne peuvent
pas développer toutes leurs capacités dans l'entreprise. Nous savons également
qu'on accepte la mobilité d'autant plus qu'on y est préparé. Nous savons enfin
que cette souplesse est au coeur du débat sur la durée du travail.
J'ai entendu MM. Balarello et Gournac dire : vous êtes contre l'annualisation
du temps de travail. Je voudrais leur répondre que quand on rédige un projet de
loi, on ne recopie pas le code du travail, et que l'article L. 212-2-1 de ce
code précise :
« Dans la perspective du maintien du développement de l'emploi, les employeurs
et les organisations de salariés fixent les conditions d'une nouvelle
organisation du travail résultant d'une répartition de la durée du travail sur
tout ou partie de l'année, assortie notamment d'une réduction collective de la
durée du travail...
« Ces conventions ou accords tiennent compte de la nature saisonnière de
certaines activités et prévoient le calendrier et les modalités de mise en
oeuvre ; ils fixent les garanties collectives et individuelles applicables aux
salariés concernés. « Ils peuvent prévoir une répartition de la durée du
travail sur tout ou partie de l'année. »
Ils prévoient une majoration des salaires et, par ailleurs, ils appellent au
respect des durées maximales quotidiennes et hebdomadaires.
Enfin, ils doivent fixer le programme indicatif de cette répartition.
Cet article s'inscrit parfaitement dans la logique du Gouvernement : une
modulation sur l'année, oui, mais à condition qu'elle comporte un certain
nombre de garanties.
Or ces garanties sont d'autant plus fortes lorsqu'on est à 35 heures en
moyenne que l'on prévoit autant que faire se peut les périodes de forte et de
basse durée du travail, les modalités de paiement et des délais pour prévenir
les salariés en cas de modifications des horaires, sauf circonstances
exceptionnelles évidemment.
Cette modulation sur l'année comportant des garanties sociales, c'est l'esprit
qui nous anime. Ainsi, l'article 4 du projet de loi prévoit des modalités
complémentaires de modulation sur l'année permettant de stocker les heures
entre 35 et 39 heures sur un capital-temps. Et, comme Henri Weber l'a bien
montré, cela permet d'atteindre une autre souplesse que peuvent souhaiter les
salariés - je pense notamment aux cadres - et qui peut aussi être utile aux
entreprises.
Arrêtons donc de nous battre sur des slogans. Toutes les entreprises n'ont pas
besoin de l'annualisation. Une annualisation dérégulée n'a pas de sens. Une
modulation sur l'année, négociée, avec des contreparties et des conditions de
vie améliorées, constitue une bonne solution pour beaucoup d'entreprises.
Je remarque d'ailleurs que 40 % des accords Robien prévoient des modulations.
Je remarque aussi que les syndicats qui ont signé le plus grand nombre de ces
accords sont la CGT et la CFDT, organisations dont on ne peut pas dire qu'elles
ne prennent pas en compte les intérêts des salariés.
Voilà ce que je souhaitais dire sur la souplesse. J'en arrive aux coûts et aux
salaires.
J'indiquerai, si la majorité sénatoriale me le permet, qu'il faut choisir dans
l'argumentaire : on ne peut pas nous reprocher à la fois d'accroître le coût du
travail de manière considérable et de provoquer des baisses de salaire
inacceptables et très importantes.
C'est l'un ou l'autre ! Dans les faits, c'est ni l'un ni l'autre ! La vérité,
c'est que la mise en place d'un système d'aides incitatives, comme l'a fait le
Gouvernement, permet aux entreprises à bas salaires d'annuler le coût de la
réduction du temps du travail - c'est notamment le cas de celles qui ont des
salariés payés au Smic - ou de le réduire considérablement.
Par ailleurs, nous le savons, grâce à cette organisation du travail, les
entreprises réaliseront des gains de productivité.
A ce propos, je vous renvoie au dossier que nous avons transmis à votre
commission, qui contient des exemples précis : les entreprises versant des bas
salaires et employant des salariés payés au SMIC verront le coût de l'embauche
largement « consolidé » par les aides que l'Etat peut apporter.
M. Gournac a affirmé que ces aides étaient fantaisistes et qu'elles étaient
mal connues. Je le renvoie très volontiers au projet de loi. Je le renvoie
aussi à la proposition de loi qui a été présentée par les groupes du RPR et de
l'UDF voilà trois semaines à l'Assemblée nationale ! Notre projet de loi qui,
je l'espère, deviendra une loi lui semblera d'une simplicité biblique par
rapport au texte présenté par l'opposition à l'Assemblée nationale.
J'ai également entendu certains dire que les salariés devraient faire des
sacrifices inacceptables et enregistreraient des pertes de leur pouvoir
d'achat. Nous n'en sommes pas là !
J'aurais d'ailleurs aimé que ceux qui, aujourd'hui, s'élèvent pour soutenir
les salariés aient fait la même chose en 1996. A cette époque, en effet, du
fait des prélèvements fiscaux, de l'augmentation des cotisations sociales ou de
la CSG, la perte de pouvoir d'achat des salariés a été de 1,2 %. Et, en 1997,
malgré le retour de la croissance, l'augmentation du pouvoir d'achat n'a pas
atteint 1 %.
Qu'arrivera-t-il en 1998 ? Nous entrons dans une période où la croissance est
en train de revenir, où l'augmentation naturelle des salaires devrait être plus
importante, nous entrons dans une période où le Gouvernement a non seulement
cessé d'augmenter les prélèvements pesant sur les salariés, mais a transféré du
pouvoir d'achat vers eux, notamment par le basculement des cotisations maladie
vers la CSG.
Nous sommes donc aujourd'hui dans une situation extrêmement différente, où les
négociations salariales dans les entreprises s'articulent autour
d'augmentations générales situées entre 2,5 % et 3 %, voire 3,5 %. Par
conséquent, si nous demandons aux salariés qui disposent de revenus moyens ou
supérieurs, en fonction de l'intérêt que présente l'accord au regard de leurs
conditions de vie mais surtout de l'emploi, d'accepter une modération des
augmentations de salaires futures comprises entre 0,5 % et 1 % par an dans les
deux ou trois années qui viennent - ce sont les hypothèses de la Banque de
France et de l'OFCE - je ne crois pas que l'on puisse prétendre qu'il s'agit
d'un sacrifice inacceptable, encore moins d'une baisse de salaire ou d'une
perte de pouvoir d'achat.
Telle est la réalité. On a le droit d'être en désaccord avec nos propositions,
mais il convient également, sur un sujet aussi difficile, de regarder les faits
tels qu'ils sont. Ensuite, chacun fait son choix.
Pour ma part, je fais partie de ceux qui pensent que ce qui est inacceptable
aujourd'hui, c'est le chômage, c'est l'exclusion. Par conséquent, j'estime
qu'il faut demander aux entreprises de consentir des efforts pour réorganiser
le travail, pour faire une place aux jeunes, pour les former par
l'apprentissage ou par la formation en alternance, pour leur ouvrir les portes
des entreprises.
Il faut aussi que les salariés, qui, encore une fois, sont mieux traités
aujourd'hui, et c'est heureux, qu'ils ne l'ont été ces dernières années,
acceptent, lorsque leurs revenus sont moyens ou supérieurs, une modération des
augmentations salariales futures.
Voilà quel est le projet du Gouvernement et voilà ce qui est repris dans les
hypothèses des groupes économiques et sociaux.
Je voudrais également dire, à la suite de Mme Dinah Derycke, que le coût du
dispositif que nous mettons en place est bien inférieur à celui de la loi
Robien.
Tout d'abord, nous mettons en place des aides forfaitaires et non pas
proportionnelles, ce qui favorise donc les bas salaires et représente par là
même un coût moins élevé. Ensuite, l'ensemble des simulations macroéconomiques
aboutissent aujourd'hui au même constat : le montant de l'aide qui équilibre
les comptes publics est de l'ordre de 1 point de cotisation sociale par baisse
d'une heure, soit 4 points de baisse de cotisation sociale pour 4 heures de
moins, ce qui équivaut à peu près à 5 000 francs par an et par salarié.
C'est le montant que nous retenons pour l'aide structurelle à la fin du
dispositif d'aide que nous mettons en place pour la réduction de la durée du
travail.
En conséquence, le coût net par emploi créé dans le dispositif présenté
aujourd'hui, puisque nous sommes au-delà de ces 5 000 francs pendant les
premières années, sera de l'ordre de 20 000 francs par an en moyenne sur les
cinq premières années alors que, en application de la loi Robien, il s'agissait
de 40 000 à 50 000 francs. Nous aboutissons donc à un coût de moitié inférieur
environ au coût de la loi Robien.
Par ailleurs, au terme de ces cinq ans, l'aide structurelle mise en place
correspondra, en fait, à la réaffectation aux entreprises, par une baisse du
coût du travail, notamment pour les bas salaires, des sommes qui entreront dans
les caisses publiques - sécurité sociale, budget, UNEDIC - du fait de créations
d'emplois engendrées grâce à la réduction de la durée du travail.
Ce raisonnement, aucun organisme économique, public ou privé, ne le
conteste.
J'en arrive à la question du mandatement.
M. Fischer a rappelé, à juste raison, les avancées réalisées par les
amendements votés à l'Assemblée nationale qui permettent de prévoir que le
salarié mandaté pourra être accompagné dans la négociation ; que les heures de
négociation seront payées, qu'il y aura un suivi des accords par une commission
paritaire et que des sanctions pourront être mises en oeuvre si les entreprises
- volontairement - n'appliquaient pas les engagements qu'elles ont pris.
C'est avec juste raison, je crois, que M. Mauroy et Mme Dieulangard ont
insisté sur le fait que l'implantation syndicale étant faible dans notre pays,
le mandatement permettrait le premier établissement d'une organisation
syndicale. Je sais que la CFDT l'a souligné devant la commission des affaires
sociales du Sénat. C'est effectivement une bonne chose, me semble-t-il, que
l'organisation syndicale entre dans l'entreprise sur un sujet positif, sur un
sujet de négociation ; c'est là une bonne façon de s'implanter dans les
entreprises.
En ce qui concerne le travail à temps partiel, je dirai également clairement
les choses.
Je suis personnellement favorable au développement du travail à temps partiel,
à condition qu'il ressemble à ce qui existe dans d'autres pays ; je pense aux
Pays-Bas et aux pays nordiques.
Or, ni aux Pays-Bas ni dans les pays nordiques, on n'accepterait que le
contrat de travail d'une salariée à temps partiel - en France, comme l'a
rappelé Mme Derycke, ce sont surtout les femmes qui sont concernées - soit
effectivement de dix heures et que l'on puisse de semaine en semaine - en
fonction même pas de la conjoncture mais de l'afflux de clientèle, dans un
commerce par exemple - appeler cette personne à domicile et lui demander de
venir travailler trois ou quatre heures supplémentaires. Nulle part aux
Pays-Bas ou dans les pays du Nord, on n'accepterait qu'une personne non payée
soit à disposition, sans pouvoir, comme c'est le cas aujourd'hui en France,
dans certains cas, refuser d'effectuer des heures supplémentaires, au risque de
voir son contrat rompu. Voilà la réalité !
Si, aujourd'hui, le travail à temps partiel est mal vu dans notre pays, c'est
parce qu'il a souvent été subi, entraînant des réactions de rejet de la part
des salariés.
Je me réjouis de ce que certaines organisations patronales et syndicales aient
négocié des accords - je pense au secteur de la propreté - qui rendent
impossibles de telles pratiques et professionnalisent ce travail, qui devient
mieux perçu par les salariés que ce n'était le cas auparavant.
Aussi, mesdames, messieurs les sénateurs, en le moralisant, nous ne luttons
pas contre le travail à temps partiel, nous faisons en sorte qu'il soit accepté
en le soumettant au respect de certaines règles en faveur des salariés.
C'est en ce sens que nous prévoyons un certain nombre de dispositions qui
visent à proratiser les aides qui y sont consacrées, mais aussi à limiter les
heures complémentaires, à limiter les interruptions entre deux périodes de
travail, interruptions qui sont aujourd'hui les éléments les plus nocifs pour
les conditions de vie des salariés.
J'en viens aux petites et moyennes entreprises.
M. Gournac a dit que les oublier c'est faire preuve d'une inconstance qui
touche à la désinvolture. Il n'a sans doute pas lu le projet de loi.
Pour les PME, nous proposons d'allonger la durée de négociation de deux ans,
ce qui fait une durée totale de quatre ans. Nous prévoyons qu'elles pourraient
bénéficier, en plus des 9 000 francs de base, de 1 000 francs supplémentaires
dès lors qu'elles consentiraient un effort accru en matière d'emploi. Nous
avons prévu une aide au financement de l'ingénierie qui les aidera à réfléchir
à l'organisation du travail et la plupart d'entre elles seront éligibles à
l'aide structurelle complémentaire que nous mettons en place dans les
industries de main-d'oeuvre et dont le montant sera de 4 000 francs la première
année. Telle est la réalité des choses.
Il n'est donc pas très étonnant qu'aujourd'hui un certain nombre de branches
de l'artisanat ou même la FNSEA - le président Luc Guiot l'a dit cet après-midi
- souhaitent s'engager dès maintenant dans la réduction du temps de travail
afin de trouver les bonnes formules de telle sorte que la loi qui sera votée
dans deux ans pour fixer les dispositions définitives détermine un certain
nombre de mécanismes favorables aux petites et moyennes entreprises ;
personnellement, je m'en réjouis.
J'ajouterai, pour répondre à une ou deux questions précises de M. Gérard
Larcher, que les entreprises de la propreté ont signé, le 17 octobre 1997, un
accord - j'en ai parlé tout à l'heure - qui ne sera absolument pas remis en
cause parce que les dispositions particulières qu'il prévoit touchent à la
régulation de la journée de travail et des pauses et s'inscrivent totalement
dans l'esprit du projet de loi.
En ce qui concerne les cadres, je rejoins ce qu'a dit M. Seillier :
aujourd'hui, dans notre pays ils souhaitent voir réduire leur temps de travail.
Toutefois, nous savons bien qu'il est tout à fait vain de souhaiter appliquer
la réduction de la durée du travail à certains d'entre eux - je pense aux
cadres dirigeants - et que pour d'autres, notamment dans le secteur commercial,
dans le secteur financier ou des placements financiers, il faut trouver des
modalités particulières, lesquelles pourront s'appuyer sur le système
épargne-temps que nous mettons en place. Enfin, il n'y a pas de raison que les
cadres des services techniques et administratifs ne se voient pas appliquer la
réduction du temps de travail à l'instar des autres salariés.
Pour ma part, je souhaite que la négociation nous ouvre des voies qui nous
permettront, dans la seconde loi, de fixer définitivement les horaires de
travail pour les cadres.
Voilà les réponses que je tenais à apporter à vos questions. Je terminerai mon
propos en parlant de nos désaccords.
Tout d'abord - M. Henri Weber l'a dit aussi - nous avons de nouveau entendu ce
soir des propos qui ont toujours été tenus lorsque les gouvernements ont voulu
réduire la durée du temps de travail dans notre pays. Nous avons entendu aussi
des arguments qui avaient déjà été avancés lors de la mise en place des lois
Auroux en 1981, et selon lesquels la nouvelle législation devait entraîner les
entreprises dans le gouffre. Dieu merci, il n'en a rien été !
La négociation au sein de l'entreprise, qui devait allumer une sorte
d'incendie effrayant, est aujourd'hui considérée comme l'un des éléments ayant
permis aux salariés de mieux comprendre le fonctionnement économique de leur
entreprise et de mieux défendre les intérêts de celle-ci.
Je voudrais, à titre anecdotique, parce qu'elle me rappelle un propos que j'ai
entendu tout à l'heure, citer la déclaration faite en 1848 à la chambre des
députés par le citoyen Bernard à propos de la limitation de la durée du travail
à douze heures. Je reprends le
Journal officiel
de l'époque : « S'est-on
bien rendu compte de la situation de l'ouvrier ? Je ne le pense pas. Les bons
ouvriers ne sont pas ceux qui réclament le vote de la loi que nous discutons.
Les bons ouvriers ont toujours en vue d'avoir du travail et d'en avoir
longtemps, d'en avoir beaucoup ; ils ne se plaignent jamais de l'excès. » Déjà,
en 1848, on entendait de tels propos, comme on pouvait entendre évoquer la
fameuse exception française, très présente tout au long des débats
parlementaires, mais qui semble beaucoup moins évidente pour ceux qui nous
regardent de l'étranger.
En 1936, Pierre Valette-Viallard déclarait : « Ce projet est certainement le
plus grave que nous ayons discuté depuis longtemps. Même s'il ne doit pas être
mortel pour nos industries qui travaillent pour le marché intérieur, il causera
la ruine de l'ensemble de celles qui exportent. » Les arguments sont un peu
toujours les mêmes !
Permettez-moi de m'arrêter quelques instants sur cette prétendue exception
française dont on entend beaucoup parler.
N'oublions pas la réalité des chiffres. Je ne prendrai pas ceux qui
m'arrangent le plus car, à ce moment-là, je prendrais la durée moyenne du
travail dans les pays voisins, et l'on se rendrait compte que la France se
place juste derrière l'Irlande, la Grande-Bretagne, le Portugal et la Grèce, et
que tous les autres sont derrière elle. Je me référerai plutôt à une notion qui
m'est moins favorable, mais qui me paraît plus intéressante dans notre débat, à
savoir la durée annuelle habituellement travaillée par les salariés à temps
plein, si bien que je laisse de côté le travail à temps partiel. En faisant
référence aux statistiques d'Eurostat, nous voyons que la France a toujours
devant elle le Royaume-Uni, l'Irlande, le Portugal, qu'elle est quasiment à
égalité avec l'Espagne, que tous les autres pays sont derrière elle : le
Luxembourg, la Belgique, l'Italie, l'Allemagne, les Pays-Bas, le Danemark.
Arrêtons donc de parler de l'exception française ; elle n'existe pas.
Je le répète, ces dernières années - les statistiques le montrent - notre pays
n'a pas enregistré de réduction de la durée du travail alors que ce débat est
ouvert dans de nombreux pays, même si c'est sous des formes différentes de chez
nous. Ainsi, en Italie, les syndicats, pour nombre d'entre eux, ne souhaitent
pas recourir à une loi. En Autriche, une discussion tripartite a été proposée.
Aux Pays-Bas, c'est déjà fait.
En ce qui concerne l'Allemagne, je répéterai que nous devrions trier les
conséquences des expériences qu'elle a menées. Il y en a eu de bonnes et de
mauvaises. L'étude que vient de publier l'office du travail montre que, lorsque
la durée du travail est passée de 40 à 38,5 heures, 800 000 emplois ont été
créés. Cette diminution n'est d'ailleurs contestée ni par le patronat, ni par
les syndicats. C'est en fait la réduction du temps de travail dans l'industrie
métallurgique qui est remise en cause parce qu'elle a donné lieu,
parallèlement, à une forte augmentation des salaires, ce qui a pesé sur la
compétivité des entreprises.
Comme nous l'avons dit tout à l'heure, ainsi que M. Weber, ce n'est pas à cela
que nous tendons aujourd'hui. Nous faisons en sorte qu'il ne soit aucunement
porté atteinte à la compétitivité des entreprises.
A ce propos, je voudrais dire également que le rapport entre les prélèvements
obligatoires et le chômage nécessiterait une étude un peu plus approfondie.
Aux Pays-Bas, où les prélèvements obligatoires, malgré une baisse ces
dernières années, restent parmi les plus élevés d'Europe, le chômage est le
plus bas d'Europe. En Espagne, en revanche, où les prélèvements obligatoires
sont très bas, le chômage est l'un des plus élevés d'Europe.
Efforçons-nous d'avoir des débats fondés sur des études plus approfondies,
tout le monde y gagnera, notamment la démocratie. Nous avons tous échoué sur le
problème du chômage ; nous n'avons donc pas le droit de laisser de côté une
piste qui se présente.
Parmi les sujets qui nous opposent, j'ai relevé aussi le travail au noir,
auquel on fait allusion chaque fois que l'on parle de réduction de la durée du
travail ; il en a d'ailleurs été question également quand on a supprimé
l'allocation de garde d'enfant à domicile, l'AGED.
On a évoqué l'Italie tout à l'heure. Il est vrai qu'en Italie le réseau des
PME et le soutien local ont développé une formidable activité, notamment dans
le nord du pays. Mais il faut aussi savoir que ces entreprises démarrent très
souvent par du travail au noir ; c'est seulement lorsqu'elles se sont fait une
clientèle qu'elles rentrent dans le « monde légal ».
Je ne dis pas que je souhaite une telle situation, mais on ne peut pas vouloir
à la fois faire entrer tout le monde dans une norme absolue, tout de suite, et
faire émerger le mouvement. J'ai fait voter à plusieurs reprises des lois sur
le travail illégal, j'entends le combattre, mais je pense qu'on ne doit pas
nier une certaine souplesse qui, dans d'autres pays, est considérée comme une
bonne chose.
J'en terminerai en disant que je ne crois pas, monsieur Girod, monsieur Egu,
aux délocalisations comme conséquence des 35 heures.
Lorsque j'ai négocié le dossier de l'arrivée de Toyota en France, les 35
heures étaient annoncées. Les entreprises sont réalistes : elles ne parlent pas
par slogans ; elles lisent la loi, elles considèrent les aides de l'Etat et
elles calculent ; si elles voient qu'elles y gagnent, eh bien ! elles
viennent.
Nous continuerons à être un pays vers lequel les investisseurs étrangers se
dirigent.
J'ai rencontré, voilà dix jours, les grandes entreprises américaines
installées en France. Aussi, certains des propos que j'ai entendus tout à
l'heure m'ont profondément étonnée parce que j'ai constaté qu'une entreprise
sur quatre en était déjà aux 35 heures. Pour le reste, j'ai été l'objet de
questions précises. Ce qui m'a beaucoup frappée - Pierre Mauroy le sait dans le
Nord, où nous accueillons beaucoup d'entreprises étrangères - c'est que
l'appréciation qui est portée aujourd'hui sur la France ne concerne pas nos
prélèvements obligatoires qui seraient trop élevés, mais qu'elle vise notre
réseau d'éducation et de santé qui, grâce aux services publics, fonctionne
bien, mais aussi nos réseaux de chemin de fer et de transport qui sont en bon
état. Ces services publics, que l'on critique tant, sont un atout considérable
pour l'arrivée des entreprises étrangères dans notre pays.
(M. Allouche
applaudit.)
M. Pierre Mauroy.
Et elles viennent !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Quand les entreprises
américaines que j'ai rencontrées me disent qu'à Detroit, grande ville
industrielle des Etats-Unis, elles financent les écoles élémentaires parce que
l'école publique est inexistante et qu'elles auront besoin de recruter des
salariés formés, je me demande quelle véritable comparaison on peut faire avec
la France ?
J'ajouterai, pour conclure sur ce sujet, qu'une étude très intéressante vient
d'être réalisée sur la champ des services publics dans les différents pays. Si
l'on examine l'éducation et la santé, qui sont très largement privés aux
Etats-Unis, on constate que 10 % de la population active française travaillent,
généralement au sein du secteur public, dans ces secteurs, contre 11,4 % aux
Etats-Unis. La réalité, c'est aussi cela ! On peut toujours refuser de la voir,
mais elle est là !
D'ailleurs, aujourd'hui, un certain nombre d'entreprises américaines se
demandent peut-être si elles n'ont pas intérêt à venir dans un pays où les
services publics sont susceptibles de créer un environnement favorable à leur
développement, même si l'on peut toujours faire mieux en termes d'efficacité
des services publics, pour les rendre plus performants.
Certains disent qu'il faut laisser de côté la réduction de la durée légale du
travail ou, du moins, se contenter d'attendre les négociations.
Malheureusement, dans ce pays, Pierre Mauroy l'a dit, quand l'Etat ne lance pas
un grand mouvement de négociation, celle-ci n'est que parcellaire.
Pierre Mauroy a eu raison de dire que la loi n'est pas un carcan inutile ou la
marque d'un autoritarisme dépassé, et que ceux qui le proclament se trompent.
L'Etat est dans son rôle en voulant une loi sur la durée du travail, en
provoquant l'élan nécessaire pour créer une dynamique de négociation. C'est
exactement ce que nous faisons.
Mais qu'on ne nous reproche pas à la fois de faire une loi trop autoritaire
et, en même temps, de ne pas tout y prévoir. Si nous ne voulons pas tout
réglementer, c'est parce que, s'agissant notamment des cadres, du temps
partiel, des heures supplémentaires, de la modulation, nous souhaitons nous
inspirer des négociations pour en intégrer les conclusions dans le texte qui
sera présenté à la fin de 1999.
Mais nous affichons la couleur. Nous disons d'emblée que les durées de travail
longues seront taxées ; cela figure dans le texte. Le temps partiel totalement
subi devra devenir un temps partiel où le choix entrera beaucoup plus en ligne
de compte. De même, les heures supplémentaires effectuées à partir de 35 heures
et jusqu'à 39 heures seront payées avec une majoration de 25 %. Les entreprises
feront leurs calculs !
Autrement dit, nous jetons un certain éclairage sur le paysage et nous
attendons de la négociation collective, à laquelle nous croyons, les solutions
permettant à notre pays de réaliser une véritable avancée en la matière.
M. Egu m'a traitée à la fois de « ringarde » et d'« archaïque » mais je dois
lui avouer que, très franchement, je ne perçois pas les pistes qu'ouvrirait
aujourd'hui l'opposition. La réduction du coût du travail a été mise en oeuvre
ces dernières années : elle coûte chaque année 40 milliards de francs à l'Etat
! Mais elle n'a donné lieu qu'à la création de 40 000 ou 45 000 emplois.
Mesurez le coût de ce dispositif par rapport au nombre d'emplois créés !
Nous, nous réduisons à la fois la durée du travail et son coût, notamment pour
les entreprises à bas salaires, mais nous conditionnons cette baisse du coût du
travail à la création effective d'emplois. Cela signifie que le coût supporté
par l'Etat sera, globalement et pour chaque emploi créé, beaucoup moins
important.
Je vous demande de voir, dans tous mes propos, à la fois beaucoup de modestie
et beaucoup de détermination. A partir du moment où nous sommes d'accord pour
considérer que la réduction du temps de travail peut créer des emplois, c'est à
nous de faire preuve de pédagogie et d'expliquer dans quelles conditions le
processus peut s'enclencher. Nous n'avons pas le droit, vu le coût social et
financier du chômage, d'attendre que la négociation veuille bien s'engager,
alors que nous savons qu'elle peut être porteuse d'espoir dans notre pays.
Tel est, mesdames, messieurs les sénateurs, l'esprit de ce projet de loi. Le
Gouvernement y indique résolument un cap, mais il laisse à la négociation le
soin de fixer, avec la souplesse requise, les modalités de la réduction de la
durée du travail.
Il y a aussi là un enjeu de civilisation, ainsi que Marie-Madeleine
Dieulangard l'a souligné. Il s'agit tout simplement, par cette loi, de remettre
le pays en mouvement sur une des pistes majeures de la création d'emplois. Il
s'agit aussi de faire confiance à la négocation et à ceux qui la portent. C'est
à cet élan que le Gouvernement et l'ensemble de la majorité convient
aujourd'hui notre pays.
On a beaucoup critiqué l'expérience de 1936. Il est vrai que, à l'époque, les
conditions économiques n'ont pas été totalement prises en compte. Aujourd'hui,
il en va tout autrement, et nous avons pleinement intégré l'environnement
économique dans nos propositions. Cela étant, devant l'afflux des citations
d'économistes libéraux, je ne résiste pas au plaisir de vous citer Léon Blum,
qui reste, à mes yeux, comme à ceux de Pierre Mauroy, une des grandes figures
de notre histoire commune.
Voici donc ce que, le 31 décembre 1936, Léon Blum disait à propos de la
réduction de la durée du travail : « Il est revenu un espoir dans notre pays,
un goût du travail, mais aussi un goût de la vie. La France a une autre mine et
un autre air. Le sang court plus vite dans un corps rajeuni. »
C'est ce que nous recherchons avec ce texte sur la durée du travail.
(Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen. - Mme Dusseau applaudit également.)
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission.
Madame le ministre, malgré votre talent et
votre détermination, vous ne nous avez pas convaincus.
Il est un point sur lequel nous pouvons nous mettre d'accord assez vite, c'est
l'utilité de la réduction du travail comme facteur de création d'emplois.
Nous avons entendu les critiques que vous formulez à propos de la loi Robien.
Nous sommes prêts à « reprofiler » cette loi de manière à en réduire le coût
pour les finances publiques et à réunir ainsi les conditions propres à nous
permettre de poursuivre dans cette voie.
Il est en revanche deux points sur lesquels notre désaccord est important.
Le premier est lié à la contradiction dont le Gouvernement n'arrive pas à
sortir et qui tient à la promesse, inscrite dans le programme du parti
socialiste, d'une réduction de la durée du travail à salaire constant. Or il
est techniquement impossible de réduire la durée du travail en majorant le SMIC
de 11,4 % sans exiger en contrepartie une très grande modération salariale.
Vous êtes prise dans cette contradiction, madame la ministre, et le fait
d'avoir retenu la méthode de la réduction législative de la durée du travail
vous oblige à de pénibles contorsions, nous l'avons bien perçu tout au long du
débat.
En effet, soit c'est 35 heures payées 35, et il y a un partage réel du
travail, soit c'est 35 heures payées 39, et il y a alors une majoration des
charges qui, toutes les analyses économiques le montrent, rendront caduque
l'opération à laquelle vous nous invitez à procéder.
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Je suis entre les deux !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission.
Cette contradiction, vous essayez habilement
d'en sortir, mais vous n'y parvenez pas. Vous nous dites vous situer au milieu.
Cela signifie qu'il y aura un peu de majoration du coût du travail et un peu de
création d'emplois. Nous risquons ainsi de passer une fois de plus à côté de
l'objectif auquel nous sommes tous attachés.
J'en viens au second point de désaccord.
Ce que vous venez de dire nous a, en vérité, un peu inquiétés. Vous parlez du
rôle de l'Etat. M. Mauroy avec son talent et son élan habituels, auxquels nous
sommes tous très sensibles, nous a expliqué qu'il fallait que l'Etat avance.
Madame la ministre, monsieur Mauroy, c'est bien joli de regarder l'histoire,
d'évoquer 1936, de citer Léon Blum, mais permettez-nous de nous occuper de
géographie et de prospective !
Nous sommes dans l'Union européenne. Dans quelques semaines, nous allons
franchir un nouveau pas dans la voie de l'union monétaire. Et vous nous
proposez de nous engager et d'engager nos entreprises dans une direction qui
est contraire à celle que suivent tous nos partenaires !
Nous avons donc quelques raisons d'être inquiets ! Selon nous, tout ce que
vous avez dit sur la nécessité de contrôler, de moraliser, d'organiser va
complètement à l'encontre de l'objectif européen auquel nous sommes tous ou
presque, ici, attachés.
En fait, vous négligez gravement la perspective européenne, et l'intervention
de M. Weber était tout à fait significative à cet égard : à l'entendre, nous
étions revenus à un pays à frontières fermées. C'était presque Méline !
Ces deux points de désaccord expliquent que nous ne puissions accepter
l'article 1er de votre texte, qui crée une obligation légale aux conséquences
économiques majeures. C'est cette obligation légale qui risque fort de nous
faire passer à côté de l'objectif sur lequel nous sommes tous d'accord : la
réduction du chômage.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et
Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président.
La suite du débat est renvoyée à la prochaine séance.
9
SAISINE DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL
M. le président.
M. le président du Sénat a reçu de M. le président du Conseil constitutionnel
une lettre par laquelle il informe le Sénat que le Conseil constitutionnel a
été saisi le 3 mars 1998, en application de l'article 61, alinéa 2, de la
Constitution, par plus de soixante sénateurs d'une demande d'examen de la
conformité à la Constitution de la loi relative au fonctionnement des conseils
régionaux.
Acte est donné de cette communication.
Le texte de la saisine du Conseil constitutionnel est disponible au bureau de
la distribution.
10
DÉPÔT D'UNE QUESTION ORALE AVEC DÉBAT
M. le président.
J'informe le Sénat que j'ai été saisi de la question orale avec débat suivante
:
M. Franck Sérusclat souhaite interroger M. le ministre de l'économie, des
finances et de l'industrie sur l'Accord multilatéral sur l'investissement,
l'AMI.
L'AMI est un accord visant à déréguler les investissements mondiaux, après le
GATT, qui a dérégulé le commerce mondial. Cet accord de près de 190 pages est
élaboré depuis deux ans, dans un grand secret, non pas par les gouvernements
des pays du monde entier, mais par des experts du commerce international des
vingt-neuf pays les plus riches de la planète, uniquement dans le cadre de
l'OCDE. Il devait être signé les 27 et 28 avril 1998 par les ministres des
vingt-neuf pays membres de l'OCDE, mais la mobilisation a, semble-t-il, permis
de repousser cette date.
M. Renato Ruggiero, directeur général de l'OMC, a décrit ainsi la nature de
l'accord : « Nous écrivons la constitution d'une économie mondiale unifiée
».
Au niveau communautaire également, le secret l'entoure. Le Royaume-Uni, qui
préside actuellement l'Union européenne, est chargé de représenter une position
commune, mais il ne semble pas en exister.
Le but de l'AMI serait de parvenir à une délocalisation généralisée des
investissements. Cet accord ne donnerait que des droits aux investisseurs et
que des devoirs aux Etats, transférant à des personnes privées la souveraineté
de la puissance publique. Les entreprises se trouveraient dans la position
d'imposer leur volonté aux Etats.
Tous les domaines dans lesquels une quelconque politique étatique existe
seraient menacés par cet accord : emploi de main-d'oeuvre, préservation de
l'environnement, plafonnement de participation dans des secteurs vitaux de
l'économie,... Seraient menacés le salaire minimum, les subventions à l'emploi,
aux régions...
Cette menace viendrait du droit qu'auraient les investisseurs s'estimant lésés
de saisir un tribunal
ad hoc
et d'exiger des compensations ou
l'abrogation de la législation nationale ou communautaire gênante : le principe
du traitement national, la clause de la nation la plus favorisée, le principe
d'intégration économique régionale fondant l'Union européenne seraient rendus
inapplicables, le principe de l'exception culturelle serait balayé, ainsi que
tous les systèmes d'aides, de quotas du secteur audiovisuel.
M. Franck Sérusclat aimerait connaître la position du Gouvernement français,
savoir à quelles conditions il serait prêt à signer cet accord, ou s'il ne
faudrait pas rejeter l'ensemble de l'AMI puisqu'il menacerait toute législation
étatique et remettrait en cause la notion même de souveraineté nationale. (N°
14).
Conformément aux articles 79 et 80 du règlement, cette question orale avec débat a été communiquée au Gouvernement et la fixation de la date de la discussion aura lieu ultérieurement.11
DÉPÔT D'UNE PROPOSITION
DE LOI CONSTITUTIONNELLE
M. le président.
J'ai reçu de MM. Daniel Millaud, Marcel Henry et Simon Loueckhote une
proposition de loi constitutionnelle tendant à modifier l'article 65 de la
Constitution.
La proposition de loi constitutionnelle sera imprimée sous le numéro 319,
distribuée et renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de
législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale,
sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les
conditions prévues par le règlement.
12
DÉPÔT D'UNE PROPOSITION
DE LOI ORGANIQUE
M. le président.
J'ai reçu de MM. Daniel Millaud, Marcel Henry et Simon Loueckhote une
proposition de loi organique tendant à modifier les articles 1er et 2 de la loi
organique n° 94-100 du 5 février 1994 sur le Conseil supérieur de la
magistrature.
La proposition de loi organique sera imprimée sous le numéro 318, distribuée
et renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sous réserve de
la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions
prévues par le règlement.
13
DÉPÔT DE PROPOSITIONS DE LOI
M. le président.
J'ai reçu de Mmes Nicole Borvo, Marie-Claude Beaudeau, M. Jean-Luc Bécart, Mme
Danielle Bidard-Reydet, MM. Jean Dérian, Michel Duffour, Guy Fischer, Pierre
Lefebvre, Paul Loridant, Mme Hélène Luc, MM. Louis Minetti, Robert Pagès, Jack
Ralite, Ivan Renar et Mme Odette Terrade une proposition de loi relative à
l'accès à l'activité de conducteur et à la profession d'exploitant de taxi.
La proposition de loi sera imprimée sous le numéro 320, distribuée et renvoyée
à la commission des affaires économiques et du Plan, sous réserve de la
constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues
par le règlement.
J'ai reçu de MM. Jean-Pierre Raffarin, Nicolas About, Mme Janine Bardou, MM.
Christian Bonnet, James Bordas, Joël Bourdin, Philippe de Bourgoing, Jean
Boyer, Louis Boyer, Jean-Claude Carle, Marcel-Pierre Cléach, Jean Clouet,
Charles-Henri de Cossé-Brissac, Jean Delaneau, Ambroise Dupont, Jean-Paul Emin,
Jean-Paul Emorine, Jean-Pierre Fourcade, Mme Anne Heinis, MM. Charles Jolibois,
Jean-Philippe Lachenaud, Jacques Larché, Roland du Luart, Serge Mathieu,
Philippe Nachbar, Michel Pelchat, Jean Pépin, Bernard Plasait, André Pourny,
Henri de Raincourt, Charles Revet, Henri Revol, François Trucy, Michel
Alloncle, Honoré Bailet, Henri Belcour, Jean Bernard, Roger Besse, Jean Bizet,
Paul Blanc, Yvon Bourges, Jean-Pierre Camoin, Gérard César, Jean-Patrick
Courtois, Luc Dejoie, Jacques Delong, Charles Descours, Michel Doublet, Daniel
Eckenspieller, Hilaire Flandre, Bernard Fournier, Philippe François, Yann
Gaillard, Patrice Gélard, Alain Gérard, François Gerbaud, Alain Gournac, Adrien
Gouteyron, Emmanuel Hamel, Bernard Hugo, Jean-Paul Hugot, Roger Husson, André
Jourdain, René-Georges Laurin, Dominique Leclerc, Jacques Legendre,
Jean-François Le Grand, Jacques de Menou, Lucien Neuwirth, Alain Pluchet, Roger
Rigaudière, Michel Rufin, Jean-Pierre Schosteck, Martial Taugourdeau, Serge
Vinçon, Philippe Arnaud, Denis Badré, Jacques Baudot, Michel Bécot, Jean
Cluzel, André Dulait, André Egu, Rémi Herment, Claude Huriet, Michel Mercier,
Jean Pourchet, Henri Collard, Fernand Demilly, Jacques Rocca Serra et Philippe
Darniche une proposition de loi pour la défense et la valorisation de la
profession d'artisan boulanger-pâtissier.
La proposition de loi sera imprimée sous le numéro 321, distribuée et renvoyée
à la commission des affaires économiques et du Plan, sous réserve de la
constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues
par le règlement.
14
RETRAIT D'UNE PROPOSITION DE LOI
M. le président.
J'ai reçu une lettre par laquelle M. Jean-Pierre Raffarin déclare retirer la
proposition de loi tendant à protéger et valoriser la qualité artisanale (n°
127, 1997-1998) qu'il avait déposée au cours de la séance du 27 novembre
1997.
Acte est donné de ce retrait.
15
DÉPÔT DE PROPOSITIONS
D'ACTE COMMUNAUTAIRE
M. le président.
J'ai reçu de M. le Premier ministre la proposition d'acte communautaire
suivante, soumise au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article
88-4 de la Constitution :
- décision du Conseil concernant la conclusion de l'accord entre la Communauté
européenne et le Turkménistan sur le commerce des produits textiles.
Cette proposition d'acte communautaire sera imprimée sous le numéro E 1025 et
distribuée.
J'ai reçu de M. le Premier ministre la proposition d'acte communautaire
suivante, soumise au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article
88-4 de la Constitution :
- proposition de directive du Conseil régissant le traitement fiscal des
véhicules à moteur de tourisme transférés définitivement dans un autre Etat
membre dans le cadre d'un transfert de résidence ou utilisés temporairement
dans un Etat membre autre que celui où ils sont immatriculés.
Cette proposition d'acte communautaire sera imprimée sous le numéro E 1026 et
distribuée.
16
DÉPÔT D'UN AVIS
M. le président.
J'ai reçu de M. Philippe Marini un avis présenté au nom de la commission des
finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation sur la
projet de loi, modifié par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, portant
réforme de la réglementation comptable et adaptation du régime de la publicité
foncière (n° 241, 1997-1998).
L'avis sera imprimé sous le numéro 322 et distribué.
17
ORDRE DU JOUR
M. le président.
Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment
fixée au mercredi 4 mars 1998, à quinze heures ;
Suite de la discussion du projet de loi (n° 286, 1997-1998), adopté par
l'Assemblée nationale, d'orientation et d'incitation relatif à la réduction du
temps de travail ;
Rapport (n° 306, 1997-1998) de M. Louis Souvet, fait au nom de la commission
des affaires sociales.
Aucun amendement n'est plus recevable.
Délai limite pour le dépôt des amendements
Conclusions de la commission des affaires sociales (n° 257 rectifié,
1997-1998) sur :
- la proposition de loi de M. Michel Moreigne et plusieurs de ses collègues
visant à étendre aux centres de santé gérés par la Mutualité sociale agricole
la subvention prévue à l'article L. 162-32 du code de la sécurité sociale (n°
43, 1996-1997) ;
- la proposition de loi de M. Georges Mouly et plusieurs de ses collègues
visant à étendre aux centres de soins infirmiers gérés par la Mutualité sociale
agricole la subvention prévue à l'article L. 162-32 du code de la sécurité
sociale (n° 377, 1996-1997).
Délai limite pour le dépôt des amendements : mercredi 4 mars 1998, à dix-sept
heures.
Conclusions de la commission des affaires sociales (n° 303, 1997-1998) sur la
proposition de loi de M. Jean Delaneau et plusieurs de ses collègues visant à
élargir les possibilités d'utilisation des crédits obligatoires d'insertion des
départements (n° 250, 1997-1998).
Délai limite pour le dépôt des amendements : mercredi 4 mars 1998, à dix-sept
heures.
Personne ne demande la parole ?...
La séance est levée.
(La séance est levée le mercredi 4 mars 1998, à zéro heure vingt.)
Le Directeur
du service du compte rendu intégral,
DOMINIQUE PLANCHON
NOMINATION D'UN MEMBRE
D'UNE COMMISSION PERMANENTE
Dans sa séance du mardi 3 mars 1998, le Sénat a nommé M. Jean-Paul Bataille à la commission des affaires culturelles, à la place laissée vacante par M. Jean-Pierre Camoin, démissionnaire.
MODIFICATIONS AUX LISTES
DES MEMBRES DES GROUPES
GROUPE DES RÉPUBLICAINS ET INDÉPENDANTS
(42 membres au lieu de 41)
Ajouter le nom de M. Louis Grillot.
RÉUNION ADMINISTRATIVE DES SÉNATEURS
NE FIGURANT SUR LA LISTE D'AUCUN GROUPE
(10 au lieu de 11)
Supprimer le nom de M. Louis Grillot.