M. le président. « Art. 36. _ I. _ Au chapitre VI du titre Ier du livre VIII du code de la sécurité sociale, il est inséré un article L. 816-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 816-1 . _ Nonobstant toute disposition contraire, le présent titre est applicable aux personnes de nationalité étrangère titulaires d'un des titres de séjour ou documents justifiant la régularité de leur séjour en France. La liste de ces titres et documents est fixée par décret. »
« II. _ Le titre II du livre VIII du même code est complété par un article L. 821-9 ainsi rédigé :
« Art. L. 821-9 . _ Nonobstant toute disposition contraire, le présent titre est applicable aux personnes de nationalité étrangère titulaires d'un des titres de séjour ou documents justifiant la régularité de leur séjour en France. La liste de ces titres et documents est fixée par décret. »
Sur l'article, la parole est à M. Habert.
M. Jacques Habert. « C'est grand, c'est beau, c'est généreux, la France. »
Monsieur le ministre, mes chers collègues, cette expression souvent citée du chef d'Etat qui sans doute a le plus profondément marqué notre époque m'est, à de nombreuses reprises, revenue à l'esprit en lisant le projet de loi qui nous est soumis. Car il est particulièrement généreux dans toutes sortes de domaines, notamment dans celui dont traite l'article 36, que nous allons maintenant examiner.
Cet article prévoit en effet la suppression de la condition de nationalité pour le bénéfice du minimum vieillesse et de l'allocation aux adultes handicapés.
Il s'agit bien d'un geste extrêmement généreux pour les étrangers. A priori , nous ne pouvons aller contre, d'autant que sont visés des hommes et des femmes qui se trouvent dans une situation sans doute très difficile.
Cependant, il faut préciser, comme le souligne l'excellent avis de notre collègue Alain Vasselle, que « le minimum vieillesse est un terme générique regroupant un ensemble de prestations garantissant un revenu minimum aux personnes âgées : l'allocation aux vieux travailleurs salariés, l'allocation aux travailleurs non salariés, l'allocation aux mères de famille, l'allocation spéciale de vieillesse, la majoration de pension au titre de l'article L. 814-2, l'allocation supplémentaire du Fonds de solidarité vieillesse ».
Le coût de ces prestations est évalué à la page 33 de ce même rapport : il atteint pour chacune d'entre elles de 17 000 à 24 000 francs par an. Au total, cela représente des sommes considérables.
Celles-ci n'ont pas fait l'objet d'une évaluation rigoureuse sur laquelle nous pourrions nous fonder. Il faut le regretter.
On peut cependant estimer que le surcoût au titre du minimum vieillesse s'élèvera à environ 470 millions de francs par an, mais il y a des appréciations très supérieures. En ce qui concerne l'allocation aux adultes handicapés, il se situerait dans une fourchette de 520 à 658 millions de francs.
Même dans l'hypothèse basse, on est déjà au-delà du milliard de francs. Certains évaluent même le surcoût à environ 2 milliards de francs.
Ma question est celle-ci, monsieur le ministre : d'où seront tirés les fonds nécessaires pour couvrir ces dépenses ? Elles n'ont pas été intégrées dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 1998 et, donc, dans l'équilibre de ses comptes tel qu'il nous a été présenté.
Par ailleurs, je ne vois dans l'article 36 aucun garde-fou de nature à limiter les risques évidents de dérives et d'abus.
Enfin, permettez-moi de poser une autre question : est-il bien nécessaire, est-il bien raisonnable, est-il possible de se montrer aussi généreux ? J'observe, et nous le savons tous, qu'en aucun endroit les Français résidant à l'étranger ne bénéficient de mesures semblables. C'est un cadeau gratuit que nous faisons ici...
M. Alain Gournac. Exact !
M. Jacques Habert. ... et sans aucune réciprocité. Les Français de l'étranger, je le répète, sont très loin de bénéficier des avantages que la France accorde aux étrangers se trouvant sur son sol. Faut-il accroître encore ces avantages ?
Vraiment, monsieur le ministre, n'en faisons-nous pas trop ? On va encore creuser nos déficits en allouant à une catégorie de personnes - au demeurant parfaitement respectables - 1 milliard de francs, voire 2 milliards de francs que le Gouvernement n'a pas programmés !
Cela me fait penser à un célèbre petit village gaulois dont les habitants se plaisaient à dire : « Ils sont fous, ces Romains ! » Ne va-t-on pas s'exclamer aujourd'hui : « Ils sont fous ces Gaulois ! »
Certes, Astérix s'en tirait toujours, mais avec l'aide d'un druide, dont le nom m'échappe, ...
Mme Joëlle Dusseau. Panoramix !
M. Jacques Habert. ... et de sa potion magique.
Alors, je pose cette nouvelle question au Gouvernement : quelle est la formule de la potion magique qui nous permettra de trouver tout à coup 2 milliards de francs, et ce sur les crédits de 1998, puisque la loi qu'on nous demande de voter entrerait en vigueur dès cet été ?
Pouvons-nous, réellement, nous permettre de prendre des mesures d'une si grande générosité, alors que nous faisons si douloureusement des économies par ailleurs ?
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Jacques Habert. Je conclus avec une constatation de portée générale sur laquelle je reviendrai : au vu des dispositions sociales en faveur des étrangers que nous instituons, on pourrait croire que nous voulons absolument les attirer en France ! Elles constituent en effet une extraordinaire incitation à l'immigration.
Or - et j'en appelle ici au témoignage de nos collègues sénateurs, Français de l'étranger - partout où nous allons, nous rencontrons nombre de gens qui veulent à tout prix se rendre en France, mais uniquement, le plus souvent, pour des raisons économiques.
Au Viêt-nam, j'ai récemment reçu une famille de cinq enfants dont un handicapé qui venait d'obtenir le bénéfice du regroupement familial. Ces amis vietnamiens fort bien renseignés m'ont montré une liste, qui paraissait juste, de ce qu'ils allaient toucher, dès qu'ils mettraient le pied en France, en allocations de toutes sortes : environ 10 000 francs !
J'étais plein d'admiration pour la générosité de notre pays. Il n'en reste pas moins que nous sommes en train de créer une législation extrêmement coûteuse, car elle attirera chez nous ceux qui ont le plus besoin d'une aide matérielle.
Peut-être est-ce là que réside toute la philosophie du présent projet de loi ? J'ai pris la parole sur l'article 36 parce qu'il m'a paru particulièrement digne d'intérêt à cet égard. Ne pensez-vous pas que nous avons le devoir, monsieur le ministre, de réfléchir aux conséquences de votre générosité ? (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. M. Habert a cité le général de Gaulle. Ce n'est pas une mauvaise référence !
M. Alain Vasselle, rapporteur pour avis. En effet !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Le principe sur lequel est bâti tout le projet de loi est, en effet, celui de l'égalité.
Notre premier objectif, je l'ai dit, est de stabiliser et, le cas échéant, d'intégrer à la République les étrangers présents sur notre sol...
M. Jacques Habert. De les y attirer !
M. Jean-Pierre Chevènement. ministre de l'intérieur. ... qui le souhaiteraient.
Il faut partir des réalités : ils ont travaillé dans notre pays, ils ont cotisé, ils ont payé des impôts.
M. Jacques Habert. Ils n'ont jamais cotisé !
M. le président. Monsieur Habert, vous avez exposé votre thèse, laissez M. le ministre exposer la sienne !
Veuillez poursuivre, monsieur le ministre.
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Il faut, je crois, que vous dominiez votre passion, monsieur le sénateur, et que vous écoutiez mon argumentation : il y a une limite et elle passe entre les étrangers en situation régulière et ceux qui ne le sont pas. Ces derniers, évidemment, ne peuvent faire valoir aucun droit, si ce n'est les droits de la défense ou, s'ils sont vraiment en danger de mort, le droit d'être soignés dans nos services d'urgence.
Il n'en reste pas moins qu'une véritable égalité doit être instituée sur le plan des droits sociaux - je ne parle pas ici des droits civiques - entre citoyens français et étrangers en situation régulière.
C'est d'ailleurs une règle qui nous est imposée par les accords que nous avons souscrits dans le cadre de l'Europe.
C'est aussi conforme à la jurisprudence constante de la Cour de justice des Communautés européennes - je vous renvoie à l'arrêt Krid du 5 avril 1995.
C'est encore conforme à la jurisprudence de la Cour de cassation.
Selon cette jurisprudence, le traitement réservé aux ressortissants des Etats avec lesquels la Communauté économique européenne a conclu des accords de coopération doit être le même que celui qui est réservé aux nationaux.
M. Jacques Habert. D'accord pour les ressortissants de la CEE !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Contrairement à ce que vous avez dit, monsieur Habert, l'adoption de l'article 36 aurait donc des incidences non pas sur les comptes de la sécurité sociale mais sur le budget de l'Etat car cet article vise des prestations non contributives.
Les évaluations varient en effet mais, d'après des calculs plus fins, le surcoût s'établira vraisemblablement entre 200 millions de francs et 500 millions de francs.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Un détail !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Vous pouvez d'ailleurs reprendre les données chiffrées qui figurent au rapport d'impact publié en annexe de son rapport par M. Masson ; les principaux éléments du décompte y figurent.
Nous ne maîtrisons certes pas toutes les variables - la proportion des handicapés ou le nombre de personnes âgées qui pourront bénéficier du FNS, par exemple - ce qui explique qu'il y ait plusieurs hypothèses, mais nous ne pouvons manquer plus longtemps à nos obligations internationales sous le prétexte que nous n'aurions pas examiné dans le plus fin détail les différentes hypothèses !
La France s'honorera en tirant toutes les conséquences des principes qu'elle affirme, et c'est aussi l'objet de ce projet de loi, qui est, à certains égards, vigoureux - il doit l'être - mais, à d'autres, généreux.
J'ajoute que les caisses de sécurité sociale sont souvent condamnées, notamment par les tribunaux des affaires de sécurité sociale. Nous réaliserons donc des économies en ayant moins de frais d'astreintes !
M. le président. Par amendement n° 50, M. Vasselle, au nom de la commission des affaires sociales, propose de rédiger comme suit l'article 36 :
« I. - Au chapitre VI du titre Ier du livre VIII du code de la sécurité sociale, il est inséré un article L. 816-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 816-1. - Nonobstant toute disposition contraire et en l'absence de convention internationale de réciprocité, le présent titre est applicable aux personnes de nationalité étrangère titulaires de la carte de résident ou du titre de séjour prévu au troisième alinéa de l'article 12 de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France, ou encore d'un titre de même durée que ce dernier et conférant des droits équivalents, sous réserve d'avoir satisfait sous ce régime aux conditions prévues au premier alinéa de l'article 14 de ladite ordonnance, ainsi qu'aux personnes de nationalité étrangère titulaires d'un titre de séjour prévu par les traités ou accords internationaux et conférant des droits équivalents à ceux de la carte de résident. »
« II. - Le titre II du livre VIII du même code est complété par un article L. 821-9 ainsi rédigé :
« Art. L. 821-9. - Nonobstant toute disposition contraire et en l'absence de convention internationale de réciprocité, le présent titre est applicable aux personnes de nationalité étrangère titulaires de la carte de résident ou du titre de séjour prévu au troisième alinéa de l'article 12 de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France, ou encore d'un titre de même durée que ce dernier et conférant des droits équivalents, sous réserve d'avoir satisfait sous ce régime aux conditions prévues au premier alinéa de l'article 14 de ladite ordonnance, ainsi qu'aux personnes de nationalité étrangère titulaires d'un titre de séjour prévu par les traités ou accords internationaux et conférant des droits équivalents à ceux de la carte de résident. »
La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Alain Vasselle, rapporteur pour avis. L'article 36 est sans aucun doute l'article le plus important du présent projet de loi au regard du domaine de compétence de la commission des affaires sociales, et c'est aussi celui qui aura le plus d'incidences financières non seulement sur le budget de l'Etat, mais aussi sur le fonds de solidarité vieillesse.
A ce propos, je confirme à M. Habert que cet article n'aura pas d'incidence sur l'équilibre de la sécurité sociale, puisqu'il s'agit de dépenses non contributives.
En revanche, et M. Habert a tout à fait raison de le souligner, les prestations qui leur seront servies ne seront pas la contrepartie d'une contribution de la part des étrangers qui en seront bénéficiaires lorsqu'ils arriveront sur le sol français, puisque, encore une fois, ce sont des dépenses non contributives.
Leur financement sera notamment assuré - c'est un premier aspect - par le fonds de solidarité vieillesse, lequel prend à sa charge le minimum vieillesse depuis l'entrée en vigueur de la loi du 22 juillet 1993, loi votée sur l'initiative du gouvernement de M. Balladur.
L'adoption de l'article 36 représentera ainsi un surcoût de l'ordre de 500 millions de francs à la charge de ce fonds, sans aucune compensation financière !
En tant que président de la commission de surveillance du fonds de solidarité vieillesse, je me permets de dire que cette mesure, à laquelle s'ajoutent toute une cascade de mesures déjà prises et à venir, va fragiliser le fonds, qui, s'il n'est pas menacé à court terme, l'est à moyen et à long terme.
En effet, le fonds de solidarité vieillesse est soumis à un effet de ciseau : lorsque la conjoncture économique et sociale de la France est bonne, le fonds de solidarité vieillesse se porte bien, mais lorsque le chômage sévit et que la France va mal, le fonds de solidarité vieillesse risque un déficit chronique.
Deuxième aspect d'ordre financier : avec l'autre charge nouvelle de 600 millions de francs au titre de l'allocation aux adultes handicapés, on atteint un total de 1,1 milliard de francs.
Certains, dès lors, s'interrogent : alors que le Gouvernement cherche 1 ou 2 milliards de francs pour répondre à l'attente des chômeurs qui défilent dans la rue depuis plusieurs semaines, on parviendrait a priori sans aucune difficulté à réunir 1,1 milliard de francs nécessaires pour faire face à la dépense générée par l'attribution du minimum vieillesse et de l'AHH aux étrangers résidant sur le territoire français ?...
Quelle est, dans ces conditions, la position de la commission des affaires sociales sur l'article 36 ?
L'AHH et le minimum vieillesse sont des minima sociaux, au même titre que le revenu minimum d'insertion. M. le ministre, à la fin de sa réponse à M. Habert, a précisé que la préoccupation du Gouvernement était d'assurer l'égalité de traitement. Or, la commission des affaires sociales a eu le même souci. Elle a donc considéré que, s'agissant des minima sociaux, il fallait placer tous les bénéficiaires potentiels sur un pied d'égalité.
On ne voit en effet pas pourquoi il faudrait remplir certaines conditions, notamment l'obtention de la carte de résident, pour obtenir le RMI alors que, pour l'allocation aux adultes handicapés et le minimum vieillesse, les conditions seraient tout autres et, surtout, beaucoup moins contraignantes !
L'amendement n° 50 a pour objet d'aligner sur les conditions d'attribution du RMI les conditions d'accès des personnes étrangères arrivant sur le sol français au bénéfice du minimum vieillesse et de l'allocation aux adultes handicapés.
Je donne acte à M. le ministre - je suis obligé de le reconnaître, monsieur Habert - qu'il existe une jurisprudence constante tant de la Cour de cassation que de la Cour européenne de justice, et même du Conseil constitutionnel français.
De fait, en cas de contentieux en la matière, la CNAM, qui est chargée de verser le minimum vieillesse aux retraités, ne s'engage jamais dans une procédure car elle sait qu'elle perdra. Ce n'est donc pas en limitant des frais auxquels elle n'était pas astreinte, que nous réaliserons les économies nécessaires, monsieur le ministre !
Mais il fallait, et c'est un point que nous ne contestons pas, mettre les textes en conformité avec la jurisprudence en assurant l'égalité de traitement, et la commission des affaires sociales vous propose donc d'harmoniser les conditions d'accès aux prestations visées à l'article 36 avec celles qui régissent l'attribution du revenu minimum d'insertion.
Telles sont, mes chers collègues, les raisons qui ont conduit la commission des affaires sociales à vous faire cette proposition, qui permettra d'harmoniser l'ensemble du dispositif d'accès aux minima sociaux. Elle ne devrait pas, selon moi, soulever de difficultés en ce qui concerne son approbation et l'avis que devraient émettre M. le ministre de l'intérieur et, je n'en doute pas, l'opposition sénatoriale.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Paul Masson, rapporteur. Favorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Le Gouvernement ne peut pas émettre un avis favorable pour des raisons que M. Habert comprendra, même si je le vois lever les mains au ciel.
En effet, pour respecter le principe d'égalité rappelé par le Conseil Constitutionnel en janvier 1990, cette disposition, à savoir un délai de trois ans, devrait s'appliquer également pour les Français, c'est-à-dire, puisque cela n'aurait pas de sens s'agissant des Français résidant en France, pour les Français de l'étranger. Donc, ces Français n'auraient droit à ces prestations non contributives que trois ans après leur retour en France, ce qui serait fâcheux.
M. Alain Vasselle, rapporteur pour avis. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Alain Vasselle, rapporteur pour avis. Monsieur le ministre, on ne peut être d'accord avec ce que vous venez de dire, pour deux raisons essentielles.
D'abord, nous n'introduisons pas une notion de durée de résidence. La seule référence qui est faite concerne les titres de séjour nécessaires pour le bénéfice du revenu minimum d'insertion. Un étranger peut accéder à ce revenu en fonction non pas d'une durée de résidence sur le territoire national, mais du titre de séjour dont il est titulaire. L'accès au RMI est de droit, dans un certain nombre de cas, immédiatement lorsque l'on arrive sur le territoire national ; dans d'autres cas, cet accès est soumis à une condition de durée de résidence.
Affirmer que notre proposition consiste à limiter l'accès aux minima sociaux que sont l'AAH ou le minimum vieillesse à une condition de durée de résidence, ce n'est pas dire la vérité.
Ensuite, si notre proposition avait un caractère inconstitutionnel, le RMI, dans son application actuelle, aurait également un caractère inconstitutionnel. Or l'attribution du RMI, dans les conditions actuelles, n'a suscité jusqu'à ce jour aucun contentieux.
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Monsieur Vasselle, le RMI n'a pas le caractère d'une prestation sociale. La durée requise pour bénéficier du RMI est bien de trois ans. On peut tourner autour des mots, mais la réalité est là. Vous êtes au rouet, comme aurait dit Montaigne. En effet, il y a tout de même une jurisprudence.
M. Alain Vasselle, rapporteur pour avis. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Alain Vasselle, rapporteur pour avis. Je ne voudrais pas prolonger le débat. Monsieur le ministre, au début de votre intervention dans la discussion générale, vous avez dit : « J'ai l'impression d'assister à un dialogue de sourds. » Permettez-moi de reprendre votre formule. J'assiste, de la même manière, à un dialogue de sourds sur ce point. Je regrette que Mme Aubry ne soit pas présente, car je lui aurais demandé de reprendre les textes, afin de lui faire toucher du doigt les dispositions actuelles.
Je m'inscris en faux contre l'affirmation selon laquelle j'introduirai cette durée de résidence de trois ans. Je fais référence à la détention de la carte de résident. Vous pouvez obtenir une carte de résident sans condition de durée de résidence sur le territoire national. Dans un certain nombre de situations, la durée exigée est de trois ans mais, dans d'autres, ce n'est pas le cas. Je le dis pour que ce soit clair entre nous et pour qu'il n'y ait aucune ambiguïté sur le sujet. Que l'on ne fasse pas croire que le rapporteur que je suis veut tromper l'ensemble du Sénat en faisant des propositions qui seraient contraires à la législation française en vigueur.
Pour conclure et vous donner quelques éléments de référence, je vous invite, monsieur le ministre, à vous reporter à un livre tout à fait intéressant de Martine Aubry et Olivier Duhamel. (M. le rapporteur pour avis montre ce livre.) Si vous ne l'avez pas lu, je vous conseille de le faire. Il s'agit du Petit dictionnaire pour lutter contre l'extrême droite, paru en octobre 1995. Vous y trouverez les phrases suivantes : « Les étrangers sont toutefois exclus de deux prestations sociales qui constituent des minima : l'allocation aux adultes handicapés (AAH) et l'allocation supplémentaire du Fonds national de solidarité (FNS). S'il apparaît normal, notamment pour éviter les effets d'attraction, de ne pas accorder à la globalité des étrangers toutes les prestations d'aide sociale, il est en revanche légitime de leur laisser l'accès à celles qui sont liées à leur travail régulier dans notre pays. »
Autrement dit, Mme Aubry disait elle-même qu'elle n'était pas favorable à ce que nous étendions les dispositions que vous proposez aujourd'hui aux étrangers s'agissant de l'allocation aux adultes handicapées et du minimum vieillesse. (Très bien ! sur les travées du RPR.)
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 50.
Mme Joëlle Dusseau. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à Mme Dusseau.
Mme Joëlle Dusseau. L'article 36 vise à supprimer la condition de nationalité pour bénéficier de l'allocation aux adultes handicapés et du minimum vieillesse. Je ferai deux remarques préalables.
D'abord, ces prestations sont perçues actuellement sans condition par les Français, les réfugiés et apatrides et un certain nombre de ressortissants de pays qui ont signé une convention avec la France, même si, en fait, il n'existe aucune convention concernant l'AAH.
Si le Gouvernement a été amené à proposer l'article 36, c'est parce que, dans un certain nombre de ses décisions, la Cour de justice européenne a considéré que la pratique française était contraire au droit européen. La France a d'ailleurs été condamnée à plusieurs reprises pour non-versement et de l'AAH et du minimum vieillesse à des étrangers résidant sur son sol. Tous les étrangers qui saisissent la justice à propos d'une décision de l'administration ont gain de cause. Il leur suffit même de brandir la menace d'un contentieux pour que l'administration s'exécute tant elle est sûre d'être condamnée, non pas dans les semaines à venir - on sait que la justice est lente - mais dans les prochains mois.
En l'occurrence, il s'agit simplement d'accorder le droit français et le droit européen. Et je ne comprends pas que cet accord suscite des passions aussi importantes puisque est en cause une évidence, que la Cour de justice européenne nous rappelle et que chaque tribunal ne manquera pas de nous rappeler également.
La proposition de M. Vasselle, qui est bien conçue - chacun sait que M. Vasselle est un homme astucieux - consiste à aligner ces minima sociaux sur le RMI et donc à introduire des conditions. Cher collègue Vasselle, prétendre ne pas introduire de condition de durée relève d'un raisonnement qui, pour s'appuyer incontestablement sur le libellé, n'en demeure pas moins éloigné de la réalité. En effet, vous le savez aussi bien que moi, dans les faits, vous introduisez une notion de délai.
M. Alain Vasselle, rapporteur pour avis. Pas forcément !
Mme Joëlle Dusseau. Certes, mais vous introduisez tout de même cette notion dans un certain nombre de cas, nous sommes d'accord sur ce point.
M. Jacques Larché, président de la commission de lois. Et alors ?
Mme Joëlle Dusseau. Selon moi, le problème est moins le délai que l'inefficacité de cet amendement car il concerne un petit nombre de personnes.
En effet, pensez-vous que, actuellement, beaucoup de personnes arrivent en France alors qu'elles sont âgées de plus de soixante-cinq ans, obtiennent une carte de séjour sans aucune condition et, automatiquement, du jour au lendemain, accèdent au minimum vieillesse ? Croyez-vous, monsieur Vasselle, que, parmi les personnes immigrées qui arrivent en France, un grand nombre d'entre elles, alors qu'elles ont passé toutes les étapes pour obtenir une carte de séjour, se découvrent handicapées ? Vous savez bien que, dans l'un et l'autre cas, le nombre de personnes concernées est infinitésimal. En effet, dans 99 % des cas, la disposition proposée concerne des personnes qui sont installées en France, qui y travaillent, qui y ont vieilli, qui ont pris leur retraite, qui ont donc droit à cette allocation et qui vont en bénéficier.
Votre amendement ne se justifie pas car, dans la pratique, il ne concerne presque aucun cas.
M. Alain Vasselle, rapporteur pour avis. Ce n'est pas exact !
M. Jacques Habert. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Habert.
M. Jacques Habert. S'agissant des contentieux, vous vous référez sans doute, monsieur le ministre, à l'arrêt Mazari, rendu par la Cour de cassation le 7 mai 1991. Or, il concernait des dispositions communautaires. Mon propos allait bien au-delà. En ce qui concerne l'aspect européen, nous sommes tout à fait d'accord, c'est une question entre Bruxelles et nous.
Les personnes qui viennent d'autres pays de la Communauté ont droit, dès qu'elles arrivent en France, à ces prestations. La situation est désormais très claire. Les caisses de sécurité sociale ne doivent pas contester lesdites prestations ; d'ailleurs, elles n'essaient même plus de le faire.
Mais je pense à toutes les autres personnes, celles qui viennent du monde entier. Mme Dusseau parle d'un nombre infinitésimal. Je peux vous dire que ce n'est pas du tout le cas. Nous ne savons pas combien de personnes sont concernées.
Mme Joëlle Dusseau. Des gens âgés de soixante-sept ans !
M. le président. Madame Dusseau, je vous en prie.
Mme Joëlle Dusseau. Je ne veux pas laisser dire des contrevérités !
M. le président. Madame Dusseau, chacun a le droit de s'exprimer à son tour et dans l'ordre !
Mme Joëlle Dusseau. Oui, monsieur le président.
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Habert.
M. Jacques Habert. Une évaluation rigoureuse du coût de cette mesure a-t-elle été faite ? Je réponds : non ! En effet, vous nous parlez de 500 millions de francs, monsieur le ministre. Or plusieurs estimations existent, l'une d'entre elles s'élevant même à 2,35 milliards de francs ! Est-il sérieux de proposer une mesure aussi importante alors que le nombre de personnes concernées n'a pas été sérieusement évalué ?
Monsieur le ministre, vous prétendez que le coût de cette mesure s'élèvera à 500 millions de francs. Or, d'autres affirment qu'il représentera 1,5 milliard de francs. C'est considérable !
Faut-il se précipiter pour prendre cette mesure ? D'ailleurs, qui vous l'a réclamée avec cette urgence ? Certainement pas les Français établis hors de France, qui ne prétendent à rien de semblable ; ils constatent, une nouvelle fois, que l'on pense beaucoup plus aux étrangers en France qu'aux Français de l'étranger.
Pourquoi se précipiter pour prendre cette mesure, qui, de toute façon, va coûter au moins 500 millions de francs au budget de l'Etat, alors que nous ne disposons pas d'une évaluation exacte en la matière ? Ce n'est pas sérieux ! Monsieur le ministre, vous feriez bien de différer cette mesure.
Nous allons, bien sûr, voter l'amendement présenté par M. Vasselle, qui pallie partiellement cette situation. Il s'agit d'une disposition simple, évidente et raisonnable, à savoir reprendre les conditions qui permettent de bénéficier du RMI. Toutes les personnes visées seront traitées comme des RMIstes, ce qui est tout à fait raisonnable.
Dans quels excès, dans quels abus se lancerait-on en adoptant la disposition du projet de loi ? Je le dis pas seulement pour ceux qui siègent dans cet hémicycle. En effet, je suis sûr que la majorité de nos collègues sont convaincus. J'observe d'ailleurs qu'il n'y a guère eu de contestation. En effet, il s'agit d'un problème sérieux, qu'il faut examiner au fond. Je voudrais que l'Assemblée nationale nous entende. En effet, cette mesure n'est pas nécessaire, elle est trop généreuse.
Certes, monsieur le ministre, vous voulez être généreux comme le grand général. Mais n'allez-vous pas trop loin ? Soyons raisonnables et évaluons d'abord le coût de cette mesure !
En tout cas, la solution proposée par la commission des affaires sociales est raisonnable et pesée. Sept pages de discussions remarquablement exposées figurent dans le rapport écrit. Nous devons suivre la commission des affaires sociales et, dans un premier temps, adopter la mesure d'adoucissement présentée par M. Vasselle.
Au Sénat, aucune demande de suppression de l'article n'a été présentée. Par conséquent, nous aussi, nous sommes généreux. Nous proposons un moyen terme et l'amendement de M. Vasselle est très raisonnable.
Je demande à l'Assemblée nationale d'examiner cet amendement et d'y réfléchir. Monsieur le ministre, avec tout le respect que je vous porte, je vous prie de bien vouloir rééxaminer la disposition que vous proposez, de l'évaluer et peut-être de demander aux députés comme nous en avons eu l'exemple ce matin s'agissant du projet de loi relatif à la profession de transporteur routier, de retenir cet amendement qui me paraît tout à fait justifié et très profitable pour la France. (Applaudissements sur les travées du RPR. - M. de Bourgoing applaudit également.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 50, accepté par la commission et repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'article 36 est ainsi rédigé.
Article 37