M. le président. Par amendement n° 67 rectifié, M. Dreyfus-Schmidt propose, après l'article 3, d'insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - La carte de séjour temporaire peut être retirée temporairement à tout employeur, titulaire de cette carte, en infraction avec l'article L. 341-6 du code du travail. Un récépissé faisant mention des raisons du retrait lui est remis. Le retrait peut devenir définitif si intervient une condamnation telle que prévue au 10e alinéa de l'article 25 de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France. A défaut, elle est restituée à l'intéressé.
« II. - Le dernier alinéa de l'article 12 de la même ordonnance est abrogé. »
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je voudrais convaincre le Gouvernement puisque je n'espère plus convaincre le Sénat. Encore que, sait-on jamais ; c'est même pourquoi j'ai rectifié l'amendement n° 67 que j'avais présenté à l'article 3 afin qu'il ne tombe pas du fait de l'adoption de l'amendement n° 5, en vérité sans rapport autre que formel avec mon amendement.
M. le ministre nous a dit hier qu'il ne resterait que deux cas susceptibles de voir renaître des « sans-papiers » : celui des étrangers polygames et celui d'étrangers employant des immigrés en situation irrégulière.
Nous demandons, nous, d'abord qu'il ne puisse plus y avoir de « sans-papiers » du tout, ensuite qu'ait une cohérence interne l'ordonnance du 2 novembre 1945 telle qu'elle est.
En effet, l'ordonnance dispose, et ce depuis fort longtemps, dans l'article 25 : « N'est pas expulsable l'étranger qui réside régulièrement en France sous couvert de l'un des titres de séjour prévus par la présente ordonnance » - c'est-à-dire temporaire ou non - « ou les conventions internationales, qui n'a pas été condamné définitivement à une peine au moins égale à un an d'emprisonnement sans sursis ».
Il a été ajouté ensuite une exception aux termes de laquelle, par dérogation au texte du septième alinéa dont je viens de donner lecture : « Peut être expulsé tout étranger qui a été condamné définitivement à une peine d'emprisonnement sans sursis, d'une durée quelconque, pour une infraction prévue ou réprimée par, notamment, l'article L. 364-3 du code du travail. »
Enfin, au mois de mai dernier, il a été ajouté à l'article 12 de la même ordonnance cette disposition : « La carte de séjour temporaire peut être retirée à tout employeur titulaire de cette carte » - évidemment, autrement, on ne pourrait pas la lui retirer : c'est une curieuse rédaction - « en infraction avec l'article L. 341-6 du code du travail ». Vous me direz qu'il ne s'agit plus de l'articleL. 364-3. Si, parce que l'article L. 364-3 visé à l'article 25 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 prévoit : « Toute infraction aux dispositions du premier alinéa de l'article L. 341-6 - celui qui est visé par l'article 12 - est puni de trois ans d'emprisonnement et de 30 000 francs d'amende. L'amende est appliquée autant de fois qu'il y a d'étrangers concernés. »
Quant à cet article L. 341-6, il dispose : « Nul ne peut, directement ou par personne interposée, engager, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France. »
Vous le voyez, c'est le même cas. La même ordonnance prévoit qu'on ne peut expulser l'étranger qui emploie un irrégulier que s'il est condamné à une peine de prison ferme, quelle qu'en soit la durée et que, pour la même infraction prétendue mais sans aucun jugement l'administration peut retirer le titre de séjour.
Il y a là une incohérence d'abord parce que - je le répète - si celui auquel on retire la carte est inexpulsable en vertu de l'article 25 de l'ordonnance du 2 novembre 1945, on va à nouveau se retrouver avec des gens qui seront inexpulsables, qui seront sans papiers et qui seront condamnés à ne pouvoir ni se nourrir ni nourrir leur famille. C'est précisément ce que nous ne voulons plus et ce que, je l'espérais, personne ne devrait plus vouloir.
Ne me dites pas, monsieur le ministre, qu'employer un irrégulier, c'est grave. Si c'est grave, l'intéressé sera condamné à au moins un jour d'emprisonnement.
Ne me dites pas qu'il s'agit de lutter contre les filières ! Il est évident que lorsque ceux qui organisent des filières de travail clandestin, esclavagistes modernes s'il en est, sont arrêtés, ils sont condamnés à plus d'un jour de prison ferme !
Nous vous invitons donc avec beaucoup d'insistance, monsieur le ministre, à accepter notre amendement qui, d'ailleurs, fait un pas vers vous en acceptant dans ce cas le retrait provisoire du titre de séjour, jusqu'à ce que la juridiction pénale ait statué.
Vous ne pouvez pas accepter que l'administration, avec ses dysfonctionnements, dénoncés il y a encore un instant par M. Gélard, puisse retirer un titre de séjour sans qu'il y ait constatation judiciaire de la réalité de l'infraction et sans qu'il y ait condamnation à au moins un jour de prison ferme. Ce n'est pas nous qui l'avons demandé, c'est la majorité sénatoriale et l'ancienne majorité à l'Assemblée nationale, en votant la loi Pasqua.
M. Charles Pasqua. Selon les cas, ou je suis le diable, ou je suis l'ange de bonté, et pour les mêmes textes !
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Paul Masson, rapporteur. Chacun reconnaît à notre collègue d'avoir de la suite dans les idées, et c'est tout à fait à son honneur !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Vous aussi d'ailleurs, hélas !
M. Paul Masson, rapporteur. J'observe, mon cher collègue, que nous avons déjà entendu hier, à propos de l'amendement tendant à insérer un article additionnel avant l'article 1er, les arguments que vous avez développés aujourd'hui, avec talent, à l'appui de cette thèse.
J'ai déjà exposé hier une position inverse, je ne vais pas reprendre ici le fond du problème.
J'observe tout de même que nous sommes dans une matière éminemment sensible. Combien de fois avons-nous entendu, sur les travées situées à la gauche de notre hémicycle, les reproches qui nous étaient faits de ne rien entreprendre contre ce que l'on appelle le travail au noir, ou de ne s'occuper que des petits, des sans-grade, sans rien faire contre les employeurs ? Cet argument a été développé à longueur d'année.
Aujourd'hui, nous sommes en présence d'un dispositif prévu par l'article L. 341-6 du code du travail : « Nul ne peut directement, ou par personne interposée, engager, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France. » Ce dispositif n'est pas neutre !
Monsieur Dreyfus-Schmidt, vous dites que l'administration n'a pas le droit de prendre une décision sanctionnant l'intéressé.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Vous déformez mes propos !
M. Paul Masson, rapporteur. Vous ajoutez que, si elle peut la prendre, ce n'est qu'à titre temporaire.
Je le rappelle une fois encore, ces dispositions, qui ont été introduites par la loi du 24 avril 1997, ont été soumises au Conseil constitutionnel...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je n'ai pas dit que c'était anticonstitutionnel !
M. Paul Masson, rapporteur. ... et celui-ci a considéré qu'elles n'étaient pas entachées d'une disproportion manifeste, c'est-à-dire que la mesure administrative définitive, et non temporaire, comme vous le suggérez, n'était pas soumise à censure.
Ainsi, l'administration a le pouvoir, sous le contrôle du juge administratif bien entendu, d'infliger des sanctions administratives. Ce n'est nullement contraire au droit !
Je ne comprends pas la raison pour laquelle, par une malice persévérante, monsieur Dreyfus-Schmidt, vous voulez à tout prix restreindre les pouvoirs attribués par la loi à l'administration.
Mon cher collègue, la disposition figurant dans la loi de 1997 était opportune. Elle est effectivement grave, parce qu'elle prive l'employeur étranger de son titre de séjour, mais c'est une mesure efficace. En effet, si l'intéressé sait qu'il est sous le coup de cette censure de l'administration, il veillera à ne pas se mettre dans une situation de fraude ou de trafic. (M. Dreyfus-Schmidt proteste.)
L'amendement n° 67 rectifié affaiblit les dispositions qui ont été prises pour lutter contre le travail au noir. Il affaiblit également le pouvoir administratif en la matière, qui a été reconnu d'une façon claire et définitive par une décision du Conseil constitutionnel du 22 avril 1997.
La commission émet un avis défavorable sur cet amendement, et je demande à la Haute Assemblée de suivre cette position.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, il est bientôt dix-sept heures et nous en sommes encore à l'article 3. Il est vrai que cet amendement aurait dû ne plus avoir d'objet du fait de l'adoption de l'amendement n° 5 de la commission tendant à supprimer l'article 3. Mais il a été transformé en un amendement tendant à insérer un article additionnel après l'article 3.
M. Dreyfus-Schmidt sait combien j'apprécie les joutes, notamment celles qui peuvent quelquefois nous conduire, au conseil municipal de Belfort, jusqu'à une heure du matin. Mais avant de donner mon avis sur son amendement, je voudrais interroger le Sénat pour savoir s'il serait disposé à bien vouloir siéger demain soir, faute de quoi nous devrons poursuivre l'examen de ce texte la semaine prochaine.
Il nous faut bien mesurer le temps dont nous disposons et qui nous est compté, puisque nous ne siégerons pas ce soir.
S'agissant de l'amendement n° 67 rectifié, rien ne s'est jamais opposé à la coexistence de sanctions administratives et de sanctions judiciaires, pénales en l'occurrence.
Le Gouvernement souhaite réprimer efficacement les filières d'immigration clandestine. La sanction prévue est immédiate, mais elle est placée sous le contrôle du juge, et des instructions ont été données aux préfets pour que, dans l'hypothèse où les tribunaux viendraient à relaxer les intéressés, leur titre de séjour leur soit rendu.
Adopter cet amendement reviendrait à donner un signe qui ne correspond pas à la volonté du Gouvernement. Je souhaite donc que vous retiriez cet amendement, monsieur Dreyfus-Schmidt.
De plus, le dispositif actuel est non seulement constitutionnel, mais également parfaitement légal et efficace. En outre, il fonctionne de manière satisfaisante.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Il a été fait allusion au rythme de nos travaux. Je note à ce sujet que certains d'entre nous semblent être « des mangeurs de temps ». A eux de voir s'ils peuvent continuer cette activité dévorante ! (Sourires.)
Pour notre part, nous sommes tout à fait décidés à mener cette affaire à son terme. Comme nous n'avons pas prévu de séance de nuit jeudi soir, il faudra envisager une autre séance dans le courant de la semaine prochaine, si tant est que nous ne parvenions pas, avant demain, vingt heures, à achever l'examen de ce projet de loi.
Il suffirait d'une légère accélération dans le déroulement de notre discussion. Je n'indique pas de quel côté de l'hémicycle elle doit venir !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole.
M. le président. Maintenez-vous l'amendement n° 67 rectifié, monsieur Dreyfus-Schmidt ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Monsieur le président, je souhaite, dans un premier temps, expliquer mon vote ; je dirai ultérieurement si je retire cet amendement.
M. le président. Pour qu'il y ait explication de vote, il faut qu'il y ait vote, donc que l'amendement soit maintenu !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Vous le saurez tout à l'heure, monsieur le président. Mais, pour l'instant, je vais expliquer mon vote, comme j'y ai droit.
Monsieur le président, vous pourriez également contrôler de quel côté de l'hémicycle on parle le plus, rapporteur et président de la commission inclus !
M. le président. De quel côté dois-je compter le Gouvernement ? (Sourires sur les travées du RPR.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Avec nous, bien sûr !
Je me dois dès maintenant de dire à M. le ministre que, si les séances du conseil municipal de Belfort durent souvent longtemps, ce n'est pas à cause de joutes entre lui et moi. Nous en sommes bien d'accord ! (Sourires.)
Par ailleurs, je tiens à dire et à répéter que nous soutenons le Gouvernement dans sa lutte contre le travail clandestin, contre ceux qui l'organisent et contre les filières.
Mais, monsieur le ministre, vous ne nous avez pas dit ce qui se passerait, sous le contrôle du juge bien évidemment, si l'intéressé, pour avoir employé une femme de ménage en situation irrégulière, était condamné à 100 francs d'amende.
L'administration aurait le droit de retirer à cet employeur son sitre de séjour. Ce serait légal ! Vous ne nous avez pas répondu avec précision sur ce point, monsieur le ministre, M. le rapporteur non plus, mais ce n'est pas lui que je voulais convaincre !
Cet employeur étranger condamné à 100 francs d'amende se verrait retirer son titre de séjour. Dès lors, s'il est au surplus inexpulsable, vous aurez fabriqué un « sans-papier » de plus. Sinon, il sera expulsé parce qu'on lui aura retiré sa carte de séjour et il sera loin lorsque, deux ans ou trois ans plus tard, le Conseil d'Etat finira par statuer.
La situation étant ce qu'elle est, j'espère que, si nous n'avons pas convaincu le Gouvernement, nous arriverons à convaincre nos collègues de l'Assemblée nationale, qui auront le dernier mot. Voilà pourquoi nous ne retirons pas notre amendement.
Mme Joëlle Dusseau. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à Mme Dusseau.
Mme Joëlle Dusseau. Il est mauvais d'englober dans le travail clandestin des situations extrêmement différentes.
Que l'on doive, avec une extrême rigueur, rechercher et condamner les personnes qui mettent en place les ateliers clandestins ; que l'on doive, avec une extrême rigueur, rechercher et condamner les entreprises qui emploient de manière systématique - et l'administration en connaît - des travailleurs au noir et des travailleurs clandestins, c'est évident. Mais assimiler à ce comportement l'attitude d'une personne - ce peut être vous, moi ou un étranger - qui, pour faire garder son enfant une soirée ou pour faire repeindre sa cuisine,...
M. Jean Chérioux. Au noir !
Mme Joëlle Dusseau. Au noir, je vous l'accorde !
M. Michel Mercier. Attention, madame Dusseau !
Mme Joëlle Dusseau. Non, je n'ai pas de carte de séjour ! Pas encore ! Mais cela viendra peut-être !
Assimiler à un tel comportement, disais-je, celui qui fait appel ponctuellement à une aide extérieure sans contrôler le titre de séjour me paraît tout à fait anormal. (Exclamations sur les travées du RPR.)
Certes, celui qui, Français ou étranger, emploie une baby-sitter sans vérifier sa carte de séjour est coupable. Certes, il est condamnable. Cela nous paraît normal.
Mais qu'une personne qui aura fait appel à une baby-sitter sans contrôler, comme c'est généralement le cas, la carte de séjour de celui ou de celle qui vient pour garder ses enfants soit condamnée et que, condamnée, elle perde sa carte de séjour pour ce type de fait, assimilable alors à la création d'un atelier clandestin ou d'une entreprise employant systématiquement des immigrés sans papiers, cela me paraît tout à fait anormal.
M. Jean Chérioux. Et l'égalité devant la loi ?
Mme Joëlle Dusseau. De toute façon, ôter leur carte de séjour à des personnes qui, n'étant pas condamnées à des peines d'emprisonnement parce que justement leur délit est plus que mineur, ne sont pas expulsables, revient, du même coup, à créer de nouveaux cas de « non-régularisables non-expulsables ».
J'aurais préféré, pour ma part, la suppression de l'article 15 mais, dans une démarche de repli par rapport à ma position initiale, je voterai l'amendement du groupe socialiste.
M. Jean-Pierre Fourcade. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Fourcade.
M. Jean-Pierre Fourcade. Je suis très étonné de constater, à l'occasion de ce débat passionnant, que ceux qui ont combattu avec la dernière énergie pour que le Gouvernement revienne sur les dispositions permettant de faciliter le travail à domicile dans un cadre familial nous disent aujourd'hui qu'il faut assouplir les sanctions qui existent pour lutter contre le travail clandestin. (Mais non ! sur les travées socialistes.)
M. Jean-Pierre Fourcade. C'est fantastique d'entendre cela ici. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR. - Exclamations sur les travées socialistes.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ce n'est pas du tout cela !
M. Jean-Pierre Fourcade. Monsieur Dreyfus-Schmidt, votre amendement se heurte à un point de fait et M. le ministre l'a parfaitement exposé, je lui rends cette justice.
Mme Joëlle Dusseau. Quand Fourcade et Chevènement sont d'accord, cela m'inquiète ! (Sourires.)
M. Jean-Pierre Fourcade. C'est tout autre chose de constater l'existence d'un atelier de travail clandestin, de retirer immédiatement la carte de travail et d'engager une procédure judiciaire qui ira jusqu'au Conseil d'Etat et qui va durer trois ans.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Quatre ans !
M. Jean-Pierre Fourcade Ou bien nous voulons réprimer le travail clandestin, ou bien nous ne le voulons pas.
C'est la raison pour laquelle je voterai contre l'amendement de M. Dreyfus-Schmidt. (Bravo ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR. - M. Dreyfus-Schmidt proteste énergiquement.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ? ...
Je mets aux voix l'amendement n° 67 rectifié, repoussé par la commission et par le Gouvernement.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article additionnel avant l'article 4