SOMMAIRE
PRÉSIDENCE DE M. JEAN FAURE
1.
Procès-verbal
(p.
0
).
2.
Remplacement d'un sénateur décédé
(p.
1
).
3.
Entrée et séjour des étrangers en France et droit d'asile
(p.
2
).
Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgenceDiscussion générale : MM.
Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur ; Paul Masson, rapporteur de
la commission des lois ; Alain Vasselle, rapporteur pour avis de la commission
des affaires sociales ; Jacques Larché, président de la commission des lois ;
Guy Allouche, Mme Joëlle Dusseau.
Suspension et reprise de la séance (p. 3 )
MM. Michel Duffour, Charles Pasqua, le ministre, Claude Huriet, André Maman,
Christian Bonnet, Jean-Pierre Fourcade, Michel Dreyfus-Schmidt.
Renvoi de la suite de la discussion.
4.
Communication de l'adoption définitive de propositions d'acte communautaire
(p.
4
).
5.
Dépôt de projets de loi
(p.
5
).
6.
Dépôt de propositions de loi
(p.
6
).
7.
Dépôt de rapports
(p.
7
).
8.
Ordre du jour
(p.
8
).
COMPTE RENDU INTÉGRAL
PRÉSIDENCE DE M. JEAN FAURE
vice-président
M. le président.
La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à quinze heures cinq.)
1
PROCÈS-VERBAL
M. le président.
Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.
2
REMPLACEMENT D'UN SÉNATEUR DÉCÉDÉ
M. le président. M. le ministre des affaires étrangères a fait connaître à M. le président du Sénat que, en application de l'article L.O. 320 du code électoral, M. André Gaspard est appelé à remplacer, en qualité de sénateur représentant les Français établis hors de France, Pierre Croze, décédé le 19 janvier 1998.
3
ENTRÉE ET SÉJOUR DES ÉTRANGERS
EN FRANCE ET DROIT D'ASILE
Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 188, 1997-1998),
adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif à
l'entrée et au séjour des étrangers en France et au droit d'asile. [Rapport n°
224 (1997-1998) et avis n° 221 (1997-1998).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les
sénateurs, le projet de loi RESEDA, relatif à l'entrée et au séjour des
étrangers en France et au droit d'asile, adopté en première lecture par
l'Assemblée nationale, est aujourd'hui soumis à votre examen.
Il nous permettra d'approfondir le dialogue sur l'idée que nous nous faisons,
les uns et les autres, de la France tant il est vrai que, si l'immigration est
souvent la source d'un débat passionné, c'est probablement parce qu'elle touche
à l'idée que chacun de nous se fait de notre identité nationale.
Je souhaite pourtant que ce soit l'occasion, un instant de raison, de
réfléchir sereinement à ce qui pourrait fonder durablement la politique de
notre pays en cette matière.
Tel est le souhait du Gouvernement, qui est d'ailleurs renforcé dans sa
conviction par l'avis émis par le Haut Conseil à l'intégration, présidé par Mme
Simone Veil, qui, dès le 3 octobre dernier, s'était « félicité de l'approche
équilibrée et concrète adoptée par le projet de loi qui place le respect de
l'individu et de sa famille au centre de ses préoccupations et cherche à lutter
contre les procédures administratives inutiles ou excessivement rigides,
notamment en matière de regroupement familial, et cela sans perdre de vue la
nécessité de lutter contre l'immigration irrégulière. »
Je l'ai souligné à plusieurs reprises, il s'agit de sortir l'immigration du
débat piégé qui fait rage depuis une quinzaine d'années, depuis qu'une extrême
droite ressurgie de l'abîme occupe de nouveau une certaine place sur
l'échiquier politique.
M. Jean-Pierre Schosteck.
Très Bien !
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
Il est urgent d'en finir avec les amalgames et
les surenchères, qui d'ailleurs dissimulent souvent, je le crois, un consensus
implicite entre la droite et la gauche républicaines sur un certain nombre de
principes. Je ne veux pas dire qu'il n'y ait pas place pour un débat légitime,
mais enfin aucun groupe politique, au Sénat comme à l'Assemblée nationale, ne
s'oppose à la maîtrise des flux migratoires !
Qui ne souhaite le rayonnement international de la France et ne reconnaît la
nécessité de son ouverture au monde ?
Qui refuse que les étrangers durablement établis sur notre sol voient leur
situation stabilisée ?
Quelqu'un, enfin, préconise-t-il de priver les étrangers des garanties de
l'Etat de droit, qui s'appuient sur notre conception commune de la République
?
Le Gouvernement a donc voulu définir une politique généreuse mais ferme dans
le domaine de l'immigration.
Ce faisant, il a pris le risque de mécontenter aussi bien les tenants d'une
conception ethnique de la nation que les partisans, calculateurs ou naïfs, de
l'ouverture des frontières.
Ai-je besoin de rappeler que cette législation nouvelle sur l'immigration, qui
est en fait une reprise de l'ordonnance de 1945 à partir d'un certain nombre
d'idées clairement énoncées - le rappel au droit du sol bien entendu, mais
aussi le droit de vivre en famille, le droit d'asile pleinement reconnu -,
ai-je besoin de rappeler, dis-je, que cette législation s'articule en réalité
dans un contexte plus vaste, puisque nous entendons à la fois prendre des
mesures réglementaires et inscrire notre projet dans une vision d'ensemble,
celle du codéveloppement entre la France et un certain nombre de pays du sud,
en particulier ceux de l'espace francophone ?
Il est utile d'avoir en tête quelques chiffres importants.
Vous savez que, chaque année, 85 millions d'étrangers viennent en France.
A ce propos, il faut distinguer le droit d'entrée, conféré par les visas, qui
peuvent aller jusqu'à trois mois, et le droit de séjour. En 1996, 78 000 titres
de séjour supplémentaires ont été attribués. L'acquisition de la nationalité,
c'est autre chose encore.
Il n'est pas mauvais de rappeler non plus que, bon an mal an, un peu moins de
100 000 étrangers s'installent sur notre sol, tandis qu'un nombre à peu près
équivalent d'étrangers présents légalement en France, souvent depuis longtemps,
accèdent à la nationalité française, de sorte que le nombre d'étrangers vivant
légalement en France est pour ainsi dire stable depuis les années trente.
Parce que la France est un pays ouvert sur le monde, on doit prendre garde à
l'image que renvoie vers l'extérieur la politique que nous menons.
Il ne fait guère de doute que cette image a été gravement atteinte entre 1996
et 1997. La politique gesticulatoire qui a caractérisé cette période a porté
atteinte à cette image.
Dois-je rappeler l'évacuation, fortement médiatisée, de l'église
Saint-Bernard, après une trop longue période de pourrissement ? Dois-je évoquer
le projet de loi, présenté par mon prédécesseur, qui visait à faire déclarer le
départ des hébergés par les hébergeants ?
M. Michel Caldaguès.
Ça commence bien pour ce qui est de la sérénité du débat !
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
Je rappelle ces faits, car on aurait pu en faire
l'économie, monsieur le sénateur.
(Exclamations sur les travées du RPR.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Laissez parler le ministre !
M. Raymond Courrière.
Il n'y a que la vérité qui blesse !
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
Ce rappel des faits est nécessaire, pour montrer
que j'ai trouvé à mon arrivée au ministère de l'intérieur un passif qu'il
s'agit de solder.
(Protestations sur les mêmes travées.)
M. Michel Caldaguès.
Que sera-ce après votre départ ?
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
Il est clair que cette politique a eu un certain
nombre de résultats, je ne le nie pas, par exemple d'aboutir à ce que le nombre
d'Africains poursuivant des études dans les universités françaises a diminué de
20 000 depuis quelques années. Mais était-ce là l'objectif souhaité ?
Chacun comprend que ces problèmes sont complexes ; il faut les traiter avec
doigté.
De plus, la gestion maîtrisée des flux migratoires n'a de sens que si nous
l'inscrivons dans la perspective du codéveloppement.
Dans le rapport d'étape sur les migrations et le codéveloppement qu'il a remis
au Premier ministre, le professeur Sami Naïr propose d'aborder cette question
en associant les principaux acteurs concernés : les Etats - surtout ceux du
Maghreb et de l'Afrique francophone - pour la gestion commune des flux, bien
nécessaire, les entreprises privées pour la formation de cadres et de
travailleurs qualifiés, les universités, le mouvement associatif et, enfin, les
collectivités territoriales dans le cadre de la coopération décentralisée. Des
propositions concrètes ont été faites, sur lesquelles il reste au Gouvernement
à trancher pour poser les jalons d'une grande politique de codéveloppement.
Nous ne devons jamais perdre de vue que le but de notre politique est
l'intégration. J'ai évoqué la stabilisation des étrangers vivant en situation
régulière, mais il s'agit aussi de leur intégration, s'ils la souhaitent, à la
République.
Or, que ce soit en matière d'emploi, de logement ou, comme le soulignait le
Président de la République lui-même, d'accès aux lieux de loisirs, des
pratiques discriminatoires se développent. Il nous faut les combattre
énergiquement.
L'intégration exige, vis-à-vis de la société tout entière, l'égalité des
droits et des devoirs. Elle exige aussi la fierté de l'appartenance nationale.
Si l'on perd le sens de la nation, on perd en même temps toute capacité
d'intégration.
Certes, le chômage de masse, avec son cortège de difficultés à vivre et les
déséquilibres sociaux qu'il engendre, met à mal cette capacité d'intégration.
C'est pour cette raison que le Gouvernement entend définir les termes d'une
politique d'immigration équilibrée, permettant à la « machine à intégrer » de
fonctionner.
Pour résumer simplement ce qui fait l'essence de notre politique en la
matière, je dirai qu'il s'agit de proportionner l'admission au séjour aux
besoins de la France et à sa capacité à intégrer.
Bien sûr, il convient de replacer cette politique dans un cadre international.
Je passerai très rapidement sur les accords particuliers qui nous lient à
l'Algérie et à la Tunisie. Nous assistons d'ailleurs à un mouvement général
d'harmonisation vers le régime de droit commun.
Cependant, c'est surtout dans un cadre européen que le présent projet
s'inscrit.
Sur le plan opérationnel, il trouve place, d'abord, dans l'application de la
convention de Schengen. Ainsi que j'aurai l'occasion de vous le préciser lors
de l'examen des articles, ses dispositions sont en tous points compatibles avec
les engagements que nous avons souscrits avec nos partenaires européens.
Les éléments les plus importants concernent : premièrement, le contrôle aux
frontières extérieures ; deuxièmement, la levée progressive des contrôles aux
frontières intérieures, qui nécessite une coopération policière et judicaire
efficace, les Etats conservant la possibilité de faire jouer la clause de
sauvegarde ; troisièmement, la détermination de l'Etat compétent pour l'examen
des demandes d'asile, domaine régi par la convention de Dublin, entrée en
vigueur le 1er septembre 1997 ; quatrièmement, le « système d'information
Schengen », composé d'un système central et de systèmes nationaux, encadrés
quant aux informations à recueillir et aux conditions de signalement ;
cinquièmement, la délivrance de visas Schengen communs de court séjour ; enfin,
sixièmement, les dispositifs de coopération policière destinés à lutter contre
la délinquance transfrontalière.
Par ailleurs, il est faux de prétendre que le projet de loi reseda
s'écarterait sensiblement des dispositions en vigueur chez nos principaux
partenaires. J'aurai certainement l'occasion d'y revenir et de vous montrer que
nous allons, au contraire, tout à fait dans le sens des dispositions qui
existent déjà, notamment en matière d'asile, dans les pays voisins.
Il en va de même pour les dispositions concernant la vie privée et familiale,
qui ne font que reprendre l'article 3 et surtout l'article 8 de la convention
européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales,
conclue dans le cadre du Conseil de l'Europe.
Mais je voudrais aussi vous faire part d'une importante préoccupation qui
résulte de développements européens récents. En effet, le passage prévu par le
traité d'Amsterdam des questions de l'asile et de l'immigration du troisième au
premier pilier et la perspective du passage, dans cinq ans, au vote à la
majorité qualifiée et à la codécision, avec le Parlement européen, posent, à
mes yeux, un problème grave, souligné par la décision du Conseil
constitutionnel du 31 décembre 1997. Il s'agit là d'un transfert de
souveraineté d'une importance considérable, comme l'a souligné le Conseil
constitutionnel, si l'on est attentif aux différences importances qui existent
entre les traditions nationales à l'intérieur de l'Union européenne et surtout
à la cartographie de l'immigration : en Allemagne, il y a surtout des Turcs et
des Kurdes, en France, surtout des Maghrébins et, en Grande-Bretagne, surtout
des ressortissants des pays du sous-continent indien.
Je suis surpris qu'une décision aussi lourde de conséquences ait été prise
sans véritable débat, le 5 février 1996, dans le secret d'un comité
interministériel tenu à Matignon et dans l'espoir de contreparties qui n'ont
pas été obtenues : à la fois un droit d'initiative partagé entre la Commission
et les Etats et un rôle accru des Parlements nationaux.
Quand on adopte une vue d'ensemble de la négociation du traité d'Amsterdam, on
doit bien constater que, sur aucun point, la diplomatie française n'a atteint
les objectifs qu'elle s'était fixés, que ce soit en matière de repondération
des voix au Conseil, en matière de réduction du nombre des commissaires, afin
de rendre l'élargissement compatible avec un fonctionnement plus efficace des
institutions européennes, en matière de politique étrangère et de sécurité
commune - je crois que « Monsieur PESC » n'existera jamais - ou dans le domaine
de l'Union de l'Europe occidentale, qu'il s'agissait de « camper » face à
l'OTAN.
Ce débat est aussi l'occasion de replacer cette question de la
communautarisation de l'asile et de l'immigration, principal résultat de cette
négociation, dans le cadre d'ensemble de la politique menée naguère, en tout
cas dans le cadre des objectifs que s'était fixé le gouvernement de M.
Juppé.
Je suis assez étonné que l'opposition d'aujourd'hui, majorité au Sénat, si
attentive à la maîtrise des flux migratoires - que n'ai-je entendu à
l'Assemblée nationale ! -, soit restée muette sur ce sujet, comme si la
communautarisation allait résoudre un certain nombre de problèmes plus
efficacement qu'une législation nationale, à propos de laquelle on peut
évidemment discuter.
Dans ce contexte, le Gouvernement a entendu agir vite pour solder le passif de
la politique antérieure et poser les bases d'une législation équilibrée et
juste, afin de sortir la question de l'immigration d'un débat piégé.
Par circulaire en date du 24 juin 1997, j'ai invité les préfets à réexaminer
la situation de certaines catégories d'immigrés en situation irrégulière. Il
s'agit non pas d'une opération de régularisation générale, mais d'un réexamen
de situations sur critères, visant à régler les problèmes issus des
incohérences de la législation actuelle et à mettre fin à la situation
intolérable ou inextricable dans laquelle se trouvaient certains étrangers
présents sur notre territoire. Le processus est en cours et j'ai toutes les
raisons de penser qu'il s'achèvera à la fin du mois d'avril 1998.
Dans le même temps, M. le Premier ministre a demandé à M. Patrick Weil,
directeur de recherche au CNRS et professeur à l'Institut d'études politiques
de Paris « d'analyser la situation présente et de proposer des règles simples,
réalistes et humaines pour l'entrée et le séjour des étrangers, propres à
garantir une intégration réussie dans la République à ceux qui le souhaitent et
en remplissent les conditions, et de nature à faire obstacle aux flux
d'immigration illégale et aux filières de travail clandestin ».
Je l'ai dit tout à l'heure, la mise en oeuvre des recommandations du rapport
avance à un bon rythme.
Pour redonner son statut d'exception au droit d'asile, il était nécessaire
d'améliorer les procédures. En dehors des modifications proposées dans le
projet de loi qui vous est soumis, plusieurs mesures sont déjà décidées et
mises en application.
L'objectif d'un entretien individualisé à l'OFPRA, l'Office français de
protection des réfugiés et apatrides, pour chaque demandeur sera atteint dans
le courant de cette année, dès la mise en oeuvre de la clause de cessation,
dont nous allons débattre à l'acticle 30.
La commission des recours va voir son fonctionnement amélioré sous l'autorité
d'un nouveau président.
La politique d'accueil des demandeurs d'asile fait l'objet d'un examen
minutieux par Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité, avec laquelle je
me suis entretenu ce matin même.
Pour mieux garantir la liberté de circulation, il fallait revoir aussi la
politique des visas ; je rappelle que 1 700 000 visas sont délivrés chaque
année.
M. le Président de la République lui-même, dans les voeux qu'il a prononcés
voilà quelques jours devant le corps diplomatique a fait sienne cette
orientation : « Nous avons conscience de la densité des relations humaines qui
rendent si féconds et si attachants nos rapports avec nos partenaires du
continent africain et de l'Océan indien (...) A ma demande, des instructions
ont été diffusées pour rendre plus souple la délivrance des visas aux étudiants
et aux chercheurs, qui sont le ferment d'un enrichissement mutuel de nos
cultures, mais aussi à tous les milieux professionnels qui souhaitent
travailler avec la France. »
Comment ne pas se réjouir d'un tel concours ?
M. Désiré Debavelaere.
Qu'ils repartent chez eux quand ils ont fini !
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
Un travail en commun a, par ailleurs, été
entrepris par les services concernés du ministère des affaires étrangères et de
mon ministère pour améliorer la coordination des actions de contrôle de la
circulation transfrontalière.
Pour mieux respecter la vie familiale, les propositions du rapport Weil ont
également fait l'objet de décisions.
La simplification tendant à confier à l'Office des migrations internationales
le dépôt direct des demandes de regroupement familial est en cours d'extension
à de nouveaux départements. La politique d'accueil des familles rejoignantes
fait l'objet d'un réexamen d'ensemble par Mme la ministre de l'emploi et de la
solidarité.
La simplification du travail des administrations, pour mieux accueillir les
usagers, est aussi à l'ordre du jour. Par exemple, la réalisation d'un document
recensant l'ensemble des titres existants est décidée.
Il convient aussi d'améliorer les dispositifs d'éloignement des étrangers en
situation irrégulière. Pour cela, les centres de rétention seront dotés d'un
statut réglementaire.
Les propositions du rapport qui visent à prévenir le travail irrégulier font
l'objet d'un examen qui ne se limite pas à la politique de l'immigration. C'est
donc dans l'ensemble de la politique de l'emploi et dans le système
d'indemnisation du chômage que des mesures doivent être prises.
Néanmoins, le démantèlement des filières de l'emploi clandestin sera l'une des
priorités de la future « police aux frontières », l'actuelle direction centrale
du contrôle de l'immigration et de la lutte contre l'emploi des clandestins, la
DICCILEC, au travail de laquelle je veux rendre hommage.
Pour développer les échanges intellectuels, plusieurs mesures sont déjà prises
par M. le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la
technologie. Une mission doit remettre ses conclusions à la fin de ce mois sur
les moyens de promouvoir l'offre française de formation à l'étranger. Les
élèves des lycées français à l'étranger pourront, l'année du baccalauréat,
procéder à leur préinscription à l'université française dans les mêmes
conditions que les bacheliers français.
M. André Maman.
Très bien !
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
Ce sont de petites mesures, simples et
pratiques. Il faut savoir les prendre !
La politique des bourses aux étudiants étrangers sera revue. Les étudiants
étrangers pourront travailler à mi-temps dès la première année d'études. Pour
faciliter l'emploi de certains étrangers hautement qualifiés, l'ajout d'un
critère d'intérêt technologique et commercial de l'entreprise au critère
traditionnel de la situation de l'emploi est étudié.
De telles mesures peuvent, certes, paraître modestes, mais elles dessinent
bien le cadre dans lequel nous entendons agir.
Je ne reviens que très brièvement sur la politique de codéveloppement. Il y a
beaucoup à faire pour permettre, par exemple, à une grande chaîne hôtelière qui
projette de construire un hôtel dans un pays d'Afrique de former en France son
personnel pendant le temps qu'il faudra - six, douze ou dix-huit mois -, avant
de le mettre au travail dans des conditions qui seront...
(Protestations sur les travées du RPR.)
M. Philippe François.
C'est la porte ouverte aux clandestins !
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
Mais, justement, c'est cela le codéveloppement !
Il s'agit précisément d'organiser des flux en relation avec des investissements
français qui se réalisent dans un certain nombre de pays. Il s'agit d'envisager
les choses sous un angle positif.
M. Philippe François.
Je rêve !
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
Je pourrais évoquer les projets de coopération
décentralisée des collectivités territoriales que nous entendons soutenir,
...
M. Charles Pasqua.
Bien !
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
... de même que les incitations que nous
souhaitons apporter à l'investissement productif de l'épargne des migrants.
Tout cela doit nous permettre de mieux définir notre politique de coopération,
de la réorienter, de peser aussi sur les axes de la politique européenne
définis dans le cadre de la convention de Lomé.
J'en arrive, mesdames, messieurs les sénateurs, au projet de loi lui-même et
aux objectifs qu'il doit permettre d'atteindre.
Quels sont ses grands objectifs ?
Il s'agit, tout d'abord, de stabiliser les immigrés en situation régulière et
les intégrer, s'ils le veulent, à la République.
M. Dominique Braye.
Et s'ils ne le veulent pas, qu'est-ce qu'on fait ?
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
Il s'agit, ensuite, d'affirmer l'ouverture de la
France au monde, dans le souci même de l'intérêt national.
Enfin, il s'agit de maîtriser les flux migratoires, dans le respect des droits
des étrangers.
Pour ce qui est du premier objectif, je rappellerai d'abord que la carte de
résident de dix ans avait été approuvée à l'unanimité de l'Assemblée nationale
en mai 1984. Le Gouvernement ne l'a pas modifiée sensiblement.
Un amendement voté par l'Assemblée nationale a cependant consacré cet objectif
en prévoyant qu'elle serait attribuée de plein droit, en plus des cas énoncés à
l'article 15 de l'ordonnance du 2 novembre 1945, aux étrangers bénéficiaires
d'une carte de séjour temporaire de plein droit lorsqu'ils justifient de cinq
années de résidence régulière ininterrompue en France.
La création d'un titre spécifique « retraité » a pour objet de répondre au
souhait de nombreux travailleurs âgés de toucher leur retraite dans leur pays
d'origine, en conservant les avantages sociaux qu'ils ont acquis par une vie de
travail. Qui donc y verra un inconvénient ?
M. Dominique Braye.
Personne !
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
La carte de séjour temporaire portant la mention
« vie privée et familiale » s'inscrit dans la reconnaissance pleine et entière
du droit de vivre en famille.
Elle vise aussi à mettre un terme à cette situation d'étrangers ni expulsables
ni régularisables qui est particulièrement ubuesque.
Elle procède d'une convention que nous avons signée, permettez-moi de vous le
rappeler, le 4 novembre 1950 : la convention européenne de sauvegarde des
droits de l'homme et des libertés fondamentales.
J'ajoute que le projet de loi prévoit de reconnaître à ces « ni expulsables ni
régularisables », dans les mêmes conditions, le droit au séjour par
l'attribution d'une carte de séjour temporaire. Il ne s'agit donc pas d'une
ouverture à je ne sais quels débordements. Il s'agit tout simplement
d'attribuer un titre de séjour aux personnes qu'il ne nous est pas possible, de
par nos engagements internationaux, de reconduire à la frontière.
Le projet de loi présenté par le Gouvernement est donc un projet de loi de
clarification.
Dans le même esprit, l'Assemblée nationale a, par voie d'amendement, réduit la
durée de séjour ouvrant droit à une carte de séjour temporaire. L'articulation
de cette disposition avec l'ensemble de l'ordonnance demande sans doute à être
approfondie.
La carte de séjour temporaire sera attribuée aux conjoints de Français dès le
mariage, sans que la condition d'entrée régulière puisse leur être opposée. La
suspicion du mariage blanc ne doit pas tourner à l'obsession !
M. Dominique Braye.
Ah, les mariages blancs !
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
Je vous signale qu'à peine quelques dizaines de
cas par an font l'objet de procédures : soixante-sept si je me souviens bien
!
M. Robert Pagès.
C'est marginal !
M. Jean Chérioux.
Soixante-sept cas relevés !
M. Dominique Braye.
Ce sont les cas reconnus ! Et les autres ?
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
En évoquant ces problèmes, je réveille je ne
sais quels vieux démons, peut-être le démon de midi...
(Sourires.)
Quoi qu'il en soit, mesdames, messieurs les sénateurs, à peine quelques
dizaines de cas par an font l'objet de procédures. Il faut donc conserver à ce
problème l'échelle qui est la sienne, l'échelle microscopique !
En tout état de cause, l'Assemblée nationale a tenu à ce que le procureur
conserve jusqu'au jour du mariage la possibilité de s'opposer à celui-ci.
MM. Dominique Braye et Michel Caldaguès.
Il ne le fait jamais !
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
Quant à l'assouplissement des conditions du
regroupement familial, il répond à un souci de simple humanité difficile à
contester.
Le deuxième objectif est d'affirmer l'ouverture de la France au monde dans le
respect de ses intérêts.
La motivation du refus deviendra obligatoire pour un petit nombre de
catégories, celles qui auraient droit au séjour, ou bien pour certaines
catégories d'étudiants,...
M. Dominique Braye.
Et les faux étudiants ?
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
... ou bien pour les anciens combattants, ou
encore pour les anciens de la légion étrangère titulaires du certificat de
bonne conduite.
M. Jean-Pierre Schosteck.
Très bien !
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
La suppression du certificat d'hébergement et
son remplacement par une simple attestation d'accueil m'a semblé une mesure de
sagesse. J'ai en effet interrogé les services du ministère de l'intérieur et
tous m'ont affirmé que ce certificat n'avait aucune utilité en matière de
contrôle : avec 160 000 certificats d'hébergement, 1 800 000 visas, contre 85
millions d'entrées, ce document était tout à fait inutile.
Une attestation d'accueil permettra d'atteindre l'objectif initialement
recherché, à savoir la diminution du niveau de ressources exigé des demandeurs
de visa ayant une famille disposée à les accueillir en France.
La création d'une carte de séjour temporaire mention « scientifique » répond à
l'objectif que rappelait M. le Président de la République dans ses voeux de
nouvel an aux membres du corps diplomatique.
S'y ajoute une carte de séjour temporaire introduite par amendement à
l'Assemblée nationale destinée aux artistes professionnels étrangers titulaires
d'un contrat de plus de trois mois avec un professionnel du spectacle, une
entreprise ou un établissement culturel.
Avec le présent projet de loi, c'est aussi le droit d'asile que nous entendons
consacrer.
C'est dans le cadre d'une grande loi sur l'asile que prendra place l'asile
constitutionnel, qui s'étendra aux victimes de persécutions infligées par des
autorités non étatiques. Je précise que nous ne faisons là qu'aller à la
rencontre de la plupart des pays européens, dont c'est déjà la
jurisprudence.
S'ajoutera à ce droit le droit d'asile territorial, déjà reconnu par certains
de mes prédécesseurs, notamment à des réfugiés algériens, droit qui devra,
naturellement - mais les termes d'un amendement voté à l'Assemblée nationale le
précise - s'exercer « dans des conditions compatibles avec les intérêts du pays
».
Le troisième objectif consiste à maîtriser les flux migratoires dans le
respect des droits des étrangers.
La maîtrise des flux migratoires est une nécessité reconnue par tous. Mais,
lorsqu'on passe aux travaux pratiques, les opinions divergent !
La mesure la plus importante en la matière est l'aggravation des sanctions à
l'encontre des filières organisées : les peines de prison passeront de cinq à
dix ans et les peines d'amende de 250 000 francs à 5 millions de francs.
Par ailleurs, la durée de la rétention administrative est allongée de deux
jours, mesure qui était nécessaire car, vous le savez, la loi ne s'applique pas
convenablement dans ce domaine.
L'étranger en situation irrégulière pourra donc voir sa rétention prolongée
une deuxième fois dès lors qu'il fera obstruction à son identification, par
exemple lorsqu'il aura détruit ses documents de voyage.
Cela nous permettra, me semble-t-il, d'être plus efficaces. En effet, si nous
sommes plus libéraux du point de vue de l'entrée des étrangers en France, nous
entendons, dans le même temps, faire en sorte que la loi de la République
s'applique.
La reconduite des étrangers condamnés à une peine complémentaire
d'interdiction du territoire français fait l'objet de dispositions destinées à
créer un système d'information entre l'administration pénitentiaire et les
services du ministère de l'intérieur.
On peut s'étonner au passage que près de la moitié des étrangers dans cette
situation aient été remis dans la nature, à l'air libre, sans que la police ait
été prévenue. Il n'en sera plus ainsi à l'avenir dès lors, bien entendu, que
les cas d'interdiction auront été clairement précisés.
Par ailleurs, tous ceux qui ont des attaches solides en France ne pourront
pas, dès lors, naturellement, qu'ils n'ont pas commis de crime ou de délit
gravissime, faire l'objet d'une interdiction du territoire français.
Je propose d'ailleurs d'harmoniser la protection contre l'expulsion et contre
l'interdiction du territoire français pour les catégories d'étrangers qui ont
des liens avec la France. Le juge prononçant une peine complémentaire à
l'encontre d'un étranger bénéficiaire de cette protection devra la justifier,
tant à l'égard de la gravité des faits qu'au regard de la situation personnelle
et familiale de l'étranger. Il s'agit donc bien, là aussi, de maîtriser les
flux migratoires dans le respect des droits des étrangers.
Je vais conclure, mesdames, messieurs les sénateurs.
La volonté du Gouvernement a sincèrement été, croyez-le, de calmer le jeu sur
cette question excessivement passionnée depuis une quinzaine d'années. Je ne
reviens pas sur les raisons de cette passion, mais je pense que la Haute
Assemblée est capable de prendre de la hauteur. Du moins, je veux
l'espérer...
M. Dominique Braye.
C'est ce que l'on fait !
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
Ce projet de loi est juste et équilibré. Il est
compris, je le crois, d'un grand nombre de nos concitoyens.
Il s'agit de donner à notre pays les moyens de maîtriser son avenir en
affirmant qu'à travers une France sûre d'elle-même nous sommes aussi
responsables vis-à-vis du monde.
Il nous revient de « penser mondial » et de combattre l'injustice à l'échelle
internationale. C'est un autre problème, car l'immigration n'est que la pointe
émergée d'un iceberg beaucoup plus vaste et qui touche aux relations
internationales et à l'inégalité des rapports Nord-Sud.
Nous avons le souci de préserver l'existence concrète de la France, de «
caréner » la République pour les années qui viennent.
Je suis sûr que le Sénat y sera sensible, et je ne doute pas que ses débats
contribueront à approfondir la compréhension que nos concitoyens ont de ce
sujet difficile. Il est temps de rompre avec une logique excessivement
gesticulatoire
(Exclamations sur les travées du RPR)
qui fait de l'immigration la source
de tous les maux ou, au contraire, de l'immigré, le substitut d'un prolétariat
rédempteur.
Les problèmes ne se posent pas en ces termes. Il faut définir des règles
justes et équilibrées. Mettons-nous d'accord sur ces règles et faisons-les,
ensuite, prévaloir.
M. Jean Chérioux.
Et appliquer !
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
La France, puisque c'est d'elle qu'il s'agit,
doit se donner la politique généreuse mais ferme qui lui permettra non
seulement de rester une grande nation organisée dans un monde troublé et
traversé de graves déséquilibres démographiques, économiques et politiques,
mais aussi de faire vivre son modèle républicain, celui d'une nation fondée non
pas sur l'origine ethnique, mais sur la citoyenneté et la volonté d'un avenir
partagé.
(Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. Dominique Braye.
Venez dans les banlieues et vous verrez !
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
(Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Louis Althapé.
Enfin du réalisme !
M. Paul Masson,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Monsieur le
président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà moins d'un an,
j'avais l'honneur de présenter à notre assemblée la vingt-quatrième révision de
l'ordonnance de 1945.
Chacun se souvient ici de nos nombreuses heures de débats, en séance et en
commission, à la fois passionnés et minutieux.
Le Conseil constitutionnel retint la quasi-totalité d'un texte qui innovait
fortement en une matière éminemment délicate.
Avec cette loi du 24 avril 1997, nous avions la faiblesse de penser avoir
trouvé un passage étroit à travers les passions qui obscurcissent chez nous les
débats sur l'immigration.
Mes chers collègues, c'était une erreur. Nous nous trouvons aujourd'hui devant
un nouveau texte pour mettre une vingt-cinquième fois en chantier l'ordonnance
de 1945 !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Il ne fallait pas dissoudre !
M. Dominique Braye.
Monsieur Dreyfus-Schmidt !
M. Paul Masson,
rapporteur.
Certes, des élections eurent lieu, qui mirent en place une
nouvelle majorité et un nouveau gouvernement.
Faut-il pour autant considérer, monsieur le ministre, que cette initiative
gouvernementale engagée dans la précipitation dès le lendemain même de la
passation des pouvoirs...
M. Marcel Charmant.
Cela fait tout de même neuf mois !
M. Paul Masson,
rapporteur.
... correspond bien à ce qu'attendait la majorité de ceux
qui, par leur vote, voulaient alors exprimer leur volonté de changement ?
La plus urgente des décisions attendues était-elle d'engager immédiatement
cette vingt-cinquième réforme ?
Permettez-moi d'en douter.
On aurait pu imaginer qu'une réflexion de fond - et semble-t-il, monsieur le
ministre, vous la souhaitez - puisse être engagée sur la politique de
l'immigration afin de se donner un peu de temps et de recul.
Dans sa déclaration de politique générale, le Premier ministre n'évoquait-il
pas une législation « rendue complexe, parfois incohérente et surtout
incompréhensible par trop de modifications successives ». Je dois dire que, à
cet égard, la logique du Premier ministre est imparable !
(Rires sur les travées du RPR.)
Aujourd'hui, vous allez rendre la législation un peu plus opaque, un peu
plus complexe, avec une vingt-cinquième modification. Vous-même, monsieur le
ministre, n'avez-vous pas évoqué la mise en chantier, immédiate, disiez-vous,
d'une réflexion d'ensemble sur les problèmes de l'immigration en vue de la
refonte de la législation ?
Réflexion d'ensemble, refonte... voilà deux expressions qui pouvaient faire
illusion. Mais celle-ci ne dura pas ! En effet, pour des raisons qui nous
paraissent relever plus de l'opportunité que du fond, vous avez été chargé de
bâtir un texte sans la moindre concertation préalable, au prix d'une
dialectique qui devait vous permettre de dégager le Premier ministre des
promesses non tenues, sans effrayer pour autant une opinion publique
particulièrement rétive sur un tel sujet.
Une mission d'étude a été confiée à M. Patrick Weil. Celui-ci a déposé, dès le
31 juillet, les conclusions de son rapport : il s'agit de partir de la loi
telle qu'elle est, et de dire les résultats tels qu'ils sont. Il n'est plus
question d'abrogation, pas plus qu'il n'est question de refonte !
Grâce à une fausse symétrie, que l'on retrouve d'ailleurs dans tout le texte,
vous vous efforcez de démontrer que le Gouvernement engage une nouvelle
politique fondée sur l'équilibre « entre la fermeté et la dignité », comme
l'écrit le rapporteur de l'Assemblée nationale.
Pour les besoins de la cause, le vieux texte de l'ordonnance de 1945 est
réhabilité.
Grâce, monsieur le ministre, à votre plume républicaine - mais vous ne pouvez
avoir qu'une plume républicaine
(Sourires.)
- l'exposé des motifs du projet de loi rappelle opportunément
que ce texte est marqué de l'esprit du Conseil national de la Résistance et
qu'il est soutenu par une inspiration progressiste fondamentale. Cela, nous,
nous le savons depuis longtemps !
M. Paul Loridant.
Oh, monsieur le rapporteur !
M. Paul Masson,
rapporteur.
Ces fausses fenêtres ne firent pas longtemps illusion dans
vos rangs.
M. Marcel Charmant.
Quel « métaphoriste » !
M. Paul Masson,
rapporteur.
Par exemple, le groupe d'information et de soutien des
travailleurs immigrés, que vous connaissez, monsieur le ministre, a pu écrire
dans son rapport de novembre 1997 que « la démarche gouvernementale s'apparente
à un rideau du fumée ».
Pour des raisons symétriques, la majorité sénatoriale partage ce sentiment,
car, derrière quelques mesures qui tendent à renforcer le dispositif actuel -
nous y reviendrons - vous proposez un ensemble de dispositions qui faciliteront
en fait l'immigration irrégulière et multiplieront les facteurs de fraudes.
Ajoutons que l'examen du présent projet de loi va se conclure à quelques
semaines de l'ouverture d'une nouvelle campagne électorale. Fallait-il nourrir
d'une passion nouvelle un débat empoisonné ?
Est-ce rendre service à la cause du consensus, qui vous est cependant si
chère, monsieur le ministre, que de persévérer une fois encore dans cette
guérilla sans fin, allumée en 1981, renforcée en 1982, ravivée en 1988, et qui,
depuis, épuise l'immense réserve de bons sens et de patience d'un peuple las de
ses épisodes stériles ?
Il paraît que le Gouvernement a demandé l'urgence pour éviter le télescopage
avec les élections prochaines. Avouez, monsieur le ministre, que c'est une
réussite.
(Rires sur les travées du RPR.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Vous avez fait ce qu'il fallait pour cela !
Mme Joëlle Dusseau.
Vous osez parler de télescopage ?
Mme Hélène Luc.
Vous ne manquez pas d'audace !
M. Raymond Courrière.
C'est le pompier pyromane !
M. Paul Masson,
rapporteur.
Avec l'urgence, vous amputez le débat parlementaire, vous
radicalisez nos échanges. Il y a, monsieur le ministre, une incontestable,
fondamentale et troublante contradiction dans vos propos. Tenir un discours
élevé, comme celui que vous tenez, trouver des accents forts pour rappeler les
vertus de la nation, ses exigences, ses traditions de générosité et présenter à
l'appui de ce discours un texte entièrement d'opportunité, cela me paraît
difficilement conciliable.
(Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Dominique Braye.
Bravo !
M. Paul Masson,
rapporteur.
Où est l'urgence, si ce n'est dans la nécessité de mieux
contrôler l'immigration irrégulière ?
Il faut bien le dire, vos appels à la construction d'un consensus républicain
auraient une autre force, votre souci d'élever le débat aurait une autre
allure, votre volonté d'engager une discussion loyale et mesurée aurait plus de
crédibilité, si l'urgence n'était pas au bout de ce texte.
Sans entrer dans l'analyse d'un débat technique, que nous aurons mardi
prochain, je voudrais relever les trois dangers que, selon moi, porte en lui un
tel projet de loi.
Premièrement, la plupart des dispositions du texte conduisent à un
affaiblissement marqué du dispositif en vigueur et à une régression sensible
des moyens de lutte contre l'immigration irrégulière. Un appel d'air en
résultera, dont l'ampleur est certaine. Et cet appel d'air, vous le provoquez
par un affichage volontaire ou involontaire, mais intempestif de certaines
mesures à forte connotation politique.
Deuxièmement, le projet de loi bouleverse fondamentalement la notion de droit
d'asile dans l'Union européenne.
Troisièmement, enfin, le projet de loi éloigne encore un peu plus le
dispositif législatif et réglementaire français des textes qui régissent cette
matière chez tous nos voisins européens.
Je reprends, sans trop insister, ces trois points.
S'agissant de l'affaiblissement très marqué du dispositif, je voudrais, sans
entrer dans le détail, simplement marquer ici les nouvelles brèches ouvertes
dans l'ordonnance de 1945.
En ce qui concerne les visas, acte de souveraineté par excellence, le nouveau
texte obligera les postes diplomatiques et consulaires à motiver certains
rejets, et ce contrairement aux traditions les plus établies de notre droit.
Les certificats d'hébergement, créés en 1982, seront supprimés.
De nouvelles catégories de cartes de séjour temporaires seront créées : une
catégorie « scientifique », une catégorie « vie privée et familiale » et une
catégorie « profession artistique et culturelle ».
Ces adjonctions contribueront, évidemment, à rendre un peu moins lisible
l'ordonnance de 1945 et un peu plus complexe le régime des titres de séjour.
L'article 4 du projet de loi aménage les cas de délivrance de plein droit de
la carte de séjour temporaire. Une nouvelle rubrique « vie privée et familiale
» est créée. On ouvre ainsi un nouveau cas d'attribution en faveur de
l'étranger qui n'entre dans aucune des catégories habituelles d'attribution de
la carte. L'appel d'air produit par un tel texte est facile à imaginer.
On affaiblit la répression de l'immigration clandestine en élargissant le
cercle des personnes protégées contre l'incrimination pour aide aux séjours
irréguliers. On complique les procédures concernant l'interdiction
administrative du territoire et l'assignation à résidence.
L'article 17 du projet de loi assouplit les conditions des regroupements
familiaux. Je citerai, entre autres mesures, la réduction de la durée du séjour
régulier exigée d'un étranger demandant à être rejoint par sa famille, la
souplesse introduite dans l'appréciation des ressources exigées, les conditions
de vérification de la nature du logement et les facilités accordées à un
étranger qui fait venir sa famille en dehors du regroupement familial.
Soulignons, enfin, monsieur le ministre, la mise à mal du malheureux article
35
bis
de l'ordonnance, relatif à la rétention administrative.
(M. Dreyfus-Schmidt sourit.)
On sait combien ce texte a fait couler d'encre et user de salive depuis
dix ans ! On connaît le parcours du combattant organisé en dix jours au profit
ou au détriment d'un étranger qui, la plupart du temps, ne maîtrise pas notre
langue ; c'est la logique française ! Et voilà que l'Assemblée nationale
complique encore un peu plus les procédures. On multipliera ainsi les risques
d'annulation pour vice de forme. Et cela n'est pas innocent, croyez-moi,
monsieur le ministre, lorsqu'on est un peu informé des conditions dans
lesquelles se déroulent certaines de ces audiences dites du 35
bis.
M. Dominique Braye.
Effectivement, ce n'est pas innocent !
M. Paul Masson,
rapporteur.
Les dispositions des articles 35 et 36 du texte remettent en
cause les conditions d'attribution de certaines prestations sociales pour les
détenteurs de la carte « retraite » et la suppression de la condition de
nationalité pour le versement des prestations du Fonds national de solidarité
et l'allocation aux adultes handicapés. M. Vasselle, rapporteur pour avis de la
commission des affaires sociales, vous demandera les incidences financières de
ces mesures.
A l'évidence, et sans être exhaustif, je dirai que toutes ces dispositions
affaibliront le dispositif des lois de 1993 et de 1997. Vous l'avez dit,
monsieur le ministre, à l'Assemblée nationale : « Eh bien oui ! il y aura un
peu plus d'étrangers en France. » Seront-ils clandestins ou non, monsieur le
ministre ?
M. Dominique Braye.
Clandestins pendant un petit moment !
M. Paul Masson,
rapporteur.
La dérive du droit d'asile fait l'objet du titre II de ce
projet de loi. Vous voulez élaborer une grande loi relative au droit d'asile.
Chacun veut faire sa grande loi. Vous aurez la vôtre !
Vous instaurez deux nouvelles formes d'asile : d'une part, l'asile
constitutionnel et, d'autre part, l'asile territorial.
Les autorités de la République ont, et depuis longtemps, le droit de donner
asile à tout étranger persécuté, notamment en raison de son action en faveur de
la liberté, mais pas uniquement pour ce motif. Jusqu'à présent, les décisions
prises autour de cette notion volontairement imprécise de « combattants de la
liberté » avaient été générées par des situations isolées, toujours
exceptionnelles et éminemment diverses. Cas par cas, sans être enfermés dans
une quelconque réglementation, les pouvoirs publics français aménagent des
situations délicates avec le minimum de réactions diplomatiques.
Dès lors pourquoi introduire dans la loi ce qui est déjà dans la Constitution
? Quelle portée pratique aura la simple reconnaissance législative d'un droit
constitutionnel ?
Ainsi, votre texte va faire coexister deux droits d'asile : le premier accordé
selon les critères de la convention de Genève et le second, l'asile dit
constitutionnel. Il est évident que le statut de réfugié accordé aux
combattants de la liberté ne sera pas nécessairement établi sur la base des
critères de la convention de Genève. Il ne l'a jamais été, et c'est tout ce qui
lui donne sa force et son originalité. Le statut délivré officiellement à ce
titre ne sera pas opposable aux autres Etats adhérant à cette convention. J'ai
reçu toutes les confirmations à cet égard. Voilà qui ne simplifiera pas les
choses !
Ce dispositif nouveau n'apporte, selon moi, aucune protection supplémentaire
au demandeur d'asile. Il complique singulièrement l'interprétation des textes,
ouvre de nouvelles procédures, allonge les délais, multiplie les moyens, en
permettant ainsi aux demandeurs abusifs - il y en aura, monsieur le ministre,
vous le savez, on ne fait pas d'angélisme - de se réfugier dans les plus
complexes des contentieux afin de s'installer durablement dans le pays, ce
qu'ils cherchent avant tout.
Mais il y a pire encore avec l'asile territorial. Dois-je rappeler qu'il est
pratiqué tous les jours, sous votre responsabilité ? Vous le savez très bien,
même mieux que personne.
L'asile territorial est aujourd'hui accordé sur la base d'une circulaire
volontairement non publiée, afin de conserver toute la souplesse et toute la
discrétion au système.
Tel qu'il est prévu dans les articles 26 et 31 du projet de loi, le dispositif
nouveau apparaît essentiellement comme un droit de recours pour les déboutés du
droit d'asile, sans aucune valeur ajoutée pour ceux qui en bénéficient déjà ou
qui espèrent en bénéficier.
Où est l'intérêt d'officialiser une pratique simple et bien établie, dont
bénéficient environ 300 personnes par an ?
Avec ce nouveau dispositif, les procédures auxquelles pourrait accéder un
demandeur d'asile, sincère ou non, seront multipliées. Rien n'empêchera le
débouté du statut de réfugié de tenter une nouvelle chance. Il bénéficiera
d'une autorisation provisoire de séjour pour couvrir la durée de cette nouvelle
période d'instruction. En cas de refus, il saisira le tribunal administratif,
peu préparé à ce genre de dossiers.
A l'évidence, la France deviendra l'instance d'appel offerte aux déboutés du
droit d'asile dans les autres pays européens. Par l'introduction dans le droit
interne français d'une nouvelle catégorie juridiquement définie d'« asile
territorial », vous incitez à la candidature tous les demandeurs d'asile
déboutés des quatorze autres pays de l'Union européenne, qui, en revendiquant
cette procédure, échapperont ainsi aux règles du traité de Dublin.
Tout cela pourquoi ? Par simple volonté de légiférer sur une procédure qui,
vous le savez bien, fonctionne aujourd'hui parfaitement entre votre ministère,
celui des affaires étrangères, l'OFPRA et la commission des recours. Pour un
effet d'annonce, dont les conséquences diplomatiques sont imprévisibles, et
cela aussi vous le savez.
Par l'introduction de ces deux notions d'asile, vous modifiez sensiblement la
notion de réfugié en brouillant les cartes, chez nous et chez nos
partenaires.
Mon troisième commentaire, monsieur le ministre, sera peut-être plus
surprenant encore. Il concerne la dimension européenne, qui est singulièrement
absente des réflexions gouvernementales sur l'immigration. Chacun s'accorde à
penser que la maîtrise des flux migratoires et la lutte contre l'immigration
irrégulière s'inscrivent de plus en plus dans le cadre d'une coopération
européenne.
Un récent rapport de l'Institut national d'études démographiques rappelle que,
depuis 1989, le solde migratoire de l'Europe est devenu le facteur principal de
la croissance démographique des quinze pays de l'Union. Depuis dix ans, des
réflexions s'organisent entre les Etats et au sein de la Commission pour
analyser et contrôler ces flux migratoires.
Enfin, il y a le traité d'Amsterdam, auquel vous avez fait allusion. Selon ce
texte, dans cinq ans, la Commission de Bruxelles aura le monopole de
l'initiative pour la politique commune de l'asile, de l'immigration et de la
libre circulation des personnes.
La Cour de justice des Communautés, en application de l'article 173 du traité,
deviendra compétente pour juger des recours préjudiciels ou des procédures
d'interprétation engagées par les Etats membres ou par la Commission. Si nous
ratifions le traité, tout le droit que vous fabriquez en ce moment sera alors
sous l'emprise de la Cour de justice internationale. Y avez-vous pensé ?
Nous allons - quand ? comment ? - nous engager dans une procédure de révision
constitutionnelle pour savoir si nous acceptons que, par de nouvelles
délégations de souveraineté, notre politique d'immigration soit supervisée par
la Commission de Bruxelles. Nous allons donc avoir, dans quelques mois, et vous
le savez mieux que personne, monsieur le ministre, un sévère débat sur le
sujet.
Votre texte est cependant construit comme si tous ces débats passés, présents,
futurs n'existaient pas. Il semble que le Gouvernement ait paradoxalement
choisi la voie de la France seule, enfermée dans son superbe isolement. Il y
aurait urgence, paraît-il, à renforcer notre singularité au coeur d'un système
où nous multiplions la complexité, sans doute pour nous distinguer de nos
voisins. Vos juristes, monsieur le ministre, auraient en l'espèce gagné en
prudence s'ils s'étaient avisés de faire du droit comparé : on apprend aussi
parfois en regardant chez les voisins !
Il semble que le Gouvernement n'arrive pas à sortir d'une logique hexagonale
sur un problème de dimension européenne qui, n'en doutons pas, sera le problème
majeur des vingt prochaines années.
Accordons-nous à constater que certaines dispositions du projet de loi sont
valables et seront retenues par la commission des lois. Elles sont peu
nombreuses, mais intéressantes. Je citerai, sans être exhaustif, la
simplification du régime de séjour des ressortissants communautaires,
l'accroissement des sanctions de l'aide au séjour irrégulier lorsque cette aide
provient de bandes organisées et surtout l'article 19 du projet de loi, qui
prévoit d'allonger le délai total de la rétention administrative, en le portant
de dix à douze jours. J'irai même plus loin que vous à cet égard, monsieur le
ministre, et, cherchant à vous satisfaire, je proposerai au Sénat de porter à
quatorze et même à seize jours ce délai.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Cette modération vous honore !
M. Paul Masson,
rapporteur.
En revanche, l'article 34 est totalement inutile, monsieur le
ministre. En effet, le dispositif proposé, qui vise à instituer un dossier
individuel d'identification des étrangers incarcérés, existe déjà. C'est un bon
exemple de cette technique des fausses fenêtres que le texte ouvre, en
trompe-l'oeil, pour renforcer ses effets de symétrie.
Telles sont, monsieur le ministre, les observations que je me permets de faire
en introduction à ce débat.
Au moment de conclure, je voudrais une fois encore revenir sur ce qui nous
motive et nous rassemble pour affirmer notre opposition.
Nous savons très bien ce que le peuple français doit à toutes ses différences,
à toutes ses composantes, qu'elles soient du nord ou du sud de l'Europe,
qu'elles viennent des pays slaves, des pays du Maghreb ou des pays d'Amérique
du Sud.
Croiriez-vous un seul instant, monsieur le ministre, que les membres de cette
assemblée seraient insensibles au message universel que la France a toujours
transmis, au-delà de ses frontières ? Nos collègues représentant ici les
Français de l'étranger sont, me semble-t-il, parmi les mieux placés pour
définir le nouveau sens de notre histoire de France, celui du XXIe siècle.
J'ai eu personnellement l'immense chance de partager une petite part de
l'aventure africaine de la France. Je n'ai jamais considéré que le confinement
était la bonne expression d'un peuple qui a porté aux quatre coins du monde le
savoir et l'universalité d'un message que les peuples dominés ont longtemps
entendu. Le général de Gaulle n'a-t-il pas trouvé en Afrique les forces du
recours ?
M. René-Georges Laurin.
Très bien !
M. Paul Masson,
rapporteur.
Comment oublier le message de Brazzaville ? Ce dernier
était-il de droite ou de gauche ? En vérité il était celui de la France
libérée.
Nous ne voulons pas que cette politique d'intégration réussie pendant tant
d'années soit aujourd'hui compromise. C'est pourquoi nous devons dénoncer les
effets d'annonce que votre texte provoque, effets appuyés par le voyage de
Bamako.
Vous estimez que « ce qui nous fait défaut, c'est la volonté d'intégrer de
nouvelles générations de parents étrangers ». Pourquoi, aujourd'hui, le peuple
se met-il à douter dans son fondamental bon sens, des vertus de l'intégration ?
Tout simplement parce que le peuple est persuadé que l'immigration n'est plus
maîtrisée et parce qu'il constate que le système s'emballe. En ce moment même,
en engageant ce débat, en le poursuivant à travers le tohu-bohu de nos
discordes, nous ajoutons à ce trouble des braves gens et nous affaiblissons
encore leur volonté d'intégration.
Bien que vous vous en défendiez, et pour des raisons de pure opportunité, le
Gouvernement a choisi la voie de l'affrontement. Je le regrette beaucoup. Notre
pays, dans toutes ses traditions, mérite mieux qu'un débat sans recul dans
lequel la manoeuvre politicienne prime singulièrement le problème de fond. Il
est infiniment triste, mes chers collègues, que le Gouvernement n'ait pas voulu
apprécier toutes les conséquences avant de lancer cette nouvelle loi, sans
concertation, comme s'il avait lancé une brassée de bois sec dans le brasier de
nos affrontements.
Voilà un an, la majorité sénatoriale a clairement pris position sur un texte
dont l'encre est à peine sèche, et dont tous les décrets d'application n'ont
pas été pris.
Il n'y a aucune raison pour que cette majorité se déjuge aujourd'hui. Nous
persévérerons dans notre conviction : il n'y aura plus d'intégration possible
si l'immigration clandestine continue à se développer en France.
Votre texte, monsieur le ministre, est, dans sa majeure partie, ou laxiste ou
inopportun. Il ne construit rien, il multiplie les procédures refuges
permettant aux clandestins d'attendre de nouvelles régularisations à venir,
celles qui résulteront de la circulaire qui succédera à celle du 24 juin
1997.
J'ai été mandaté par la commission des lois pour rejeter la plupart des
articles de ce texte. Dans le débat, je défendrai un à un une trentaine
d'amendements de suppression en m'efforçant de ne jamais céder à la polémique,
mais sans rien cacher, à aucun moment, des funestes conséquences de votre
texte, monsieur le ministre. Et je demanderai à notre majorité d'affirmer, sur
chacun des points exposés, des positions claires, cohérentes et déterminées.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et
Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées
du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Alain Vasselle,
rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales.
Monsieur le
président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Parlement se trouve
une nouvelle fois saisi d'un texte modifiant l'ordonnance du 2 novembre 1945
relative à l'entrée et au séjour des étrangers en France.
Le projet de loi présenté par le Gouvernement revient pour une large part sur
les modifications introduites par la loi du 24 août 1993 relative à la maîtrise
de l'immigration et aux conditions d'entrée, d'accueil et de séjour des
étrangers en France, complétée voilà peu, comme vient de la rappeler M. le
rapporteur, par la loi du 24 avril 1997, portant diverses dispositions
relatives à l'immigration.
La commission des affaires sociales avait souscrit aux objectifs poursuivis
par la loi du 24 août 1993 : réprimer l'immigration clandestine en France,
décourager l'arrivée de nouveaux flux d'immigrants, mais aussi éviter les
détournements de procédure, qui constituent des obstacles importants à la
maîtrise des flux migratoires.
La politique de lutte contre l'immigration clandestine a en effet aussi pour
objectif de permettre l'intégration des étrangers qui sont régulièrement
installés ou admis sur notre sol, insertion dont chacun connaît aujourd'hui les
difficultés. Or cette politique d'insertion des populations immigrés ne peut
réussir sans une réelle maîtrise des flux d'immigration sur notre
territoire.
La commission des affaires sociales a fait le choix d'examiner de manière
pragmatique et constructive les dispositions du projet de loi sur lesquelles
elle était amenée à émettre un avis.
Elle a considéré qu'il convenait en effet d'apporter des solutions aux
problèmes qui se posent effectivement et d'éviter parallèlement une
distribution trop généreuse des prestations sociales aux personnes de
nationalité étrangère, afin de ne pas entraîner un effet d'appel auprès des
candidats à l'immigration.
Nul ne peut ignorer, en effet, l'attrait que peut susciter dans de nombreux
pays notre système de sécurité sociale. Or, comme le soulignait fort justement
M. Michel Rocard, ancien Premier ministre, « la France ne peut accueillir toute
la misère du monde ».
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Allez jusqu'au bout de la citation !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Cette phrase est non pas de Michel Rocard, mais de Péguy !
M. Jean Chérioux.
Ell a été reprise par Rocard !
M. Alain Vasselle,
rapporteur pour avis.
Effectivement !
La commission des affaires sociales s'est plus particulièrement intéressée aux
articles 8, 34
bis,
34
ter,
35 et 36 du projet de loi qui
modifient la législation sociale ou qui auront des conséquences directes sur
les comptes sociaux. Ces dispositions découlent pour l'essentiel des
propositions qui ont été formulées par M. Weil dans son rapport remis à M. le
Premier ministre en juillet dernier.
Sur les articles 34
bis,
34
ter,
35 et 36 du projet de loi, la
commission des lois s'en est remise à l'avis de la commission des affaires
sociales, ce dont nous la remercions.
Il convient néanmoins de souligner au préalable que d'autres articles du
projet de loi, notamment les articles 4 et 5 qui élargissent les conditions
d'accès à une carte de séjour temporaire, et l'article 17 qui assouplit
sensiblement les conditions d'accès au regroupement familial, sont susceptibles
d'accroître de manière indirecte les charges pesant sur les organismes de
protection sociale.
En facilitant l'entrée et le séjour des étrangers en France, le projet de loi
crée de nouveaux bénéficiaires des droits sociaux. L'impact financier sur la
protection sociale de ces dispositions - je confirme à cet égard le propos tenu
tout à l'heure par M. le rapporteur - n'a pas été évalué par le Gouvernement,
mais il pourrait ne pas être négligeable, notamment s'agissant des prestations
familiales. Sur ce point, je n'ai pu obtenir ni de vous, monsieur le ministre,
lors de votre audition par la commission des lois, ni de Mme Aubry, par
l'intermédiaire de son cabinet et de ses conseillers techniques, des
informations sur les incidences financières qui résulteront de ces
dispositions. On a l'impression de naviguer à vue...
M. Dominique Braye.
Et pour cause !
M. Alain Vasselle,
rapporteur pour avis.
Au moment même où le Gouvernement place sous
condition de ressources les allocations familiales en arguant du déficit de la
branche famille, force est de constater qu'il va parallèlement faciliter
l'entrée et le séjour de nouveaux bénéficiaires des prestations familiales.
Est-ce un bon moyen de maîtriser le déficit de la branche famille ?
S'agissant des dispositions sociales, le projet de loi comporte deux volets
que j'examinerai successivement : d'une part, la création d'une carte de séjour
de retraité et les droits afférents à cette carte et, d'autre part, la
suppression de la condition de nationalité pour l'accès aux prestations non
contributives que sont le minimum vieillesse et l'allocation aux adultes
handicapés, l'AAH.
L'article 8 du projet de loi instaure un nouveau titre de séjour : une carte
de séjour portant la mention « retraité » qui serait délivrée aux étrangers
titulaires d'une pension contributive de vieillesse et ayant séjourné en France
sous couvert d'une carte de résident. Cette nouvelle carte leur permettrait,
ainsi qu'à leur conjoint, de résider à l'étranger et d'entrer librement sur le
territoire français afin d'y séjourner temporairement. La carte de séjour «
retraité » serait valable dix ans et renouvelable de plein droit. Elle
n'ouvrirait pas droit à une activité professionnelle.
Le texte proposé initialement par le Gouvernement à l'article 35 permettait en
outre à un titulaire d'une carte de séjour « retraité » souffrant d'une
pathologie grave de bénéficier des prestations de l'assurance maladie lors de
ses séjours en France.
L'Assemblée nationale a modifié de manière importante ce dispositif. Elle a
tout d'abord introduit dans le code de la sécurité sociale un article L.
161-25-3 subordonnant, pour les titulaires d'une carte de séjour « retraité »,
le bénéfice des prestations de l'assurance maladie, lors de leurs séjours en
France, à quinze années de cotisations et à la nécessité de soins immédiats.
Elle a également créé une cotisation d'assurance maladie prélevée sur les
pensions de ces personnes.
Le principe de l'institution d'une carte de séjour « retraité » semble
acceptable puisque celle-ci vise, selon le Gouvernement, à faciliter le retour
définitif des retraités étrangers dans leur pays d'origine. Nous ne pouvons
qu'approuver cet objectif.
Toutefois, pour la commission des affaires sociales, il convient d'encadrer
plus strictement les modalités d'accès à cette carte et de simplifier le
dispositif d'accès aux prestations de l'assurance maladie qui l'accompagne.
On remarquera tout d'abord qu'il suffit seulement d'avoir un trimestre validé
pour ouvrir des droits à la retraite et que 200 heures de travail rémunérées au
SMIC, soit environ un mois de travail, valident un trimestre. Dans la rédaction
actuelle de l'article 8, tout étranger ayant travaillé 200 heures en France au
cours de sa vie et titulaire d'une carte de résident pourra donc bénéficier de
la carte de séjour de retraité. On conviendra que cela ne semble guère
contraignant et paraisse peu acceptable !
Du point de vue de l'accès au droit aux prestations sociales, cette nouvelle
carte pose un problème inédit : elle autorise, en effet, le séjour sur le
territoire français tout en prévoyant explicitement la résidence à l'étranger
du bénéficiaire. Or l'article L. 311-7 du code de la sécurité sociale
subordonne, pour les personnes de nationalité étrangère, le bénéfice de
prestations sociales à la résidence en France.
Il apparaît donc qu'en l'état actuel du droit les titulaires de la carte de
retraité ne pourraient bénéficier des prestations sociales lors de leurs
séjours temporaires en France.
Consciente de cette difficulté, l'Assemblée nationale a introduit un
dispositif d'accès aux prestations en nature de l'assurance maladie complexe,
ambigu et source de contentieux. Elle a entendu réserver l'accès à ces
prestations aux retraités ayant cotisé au moins quinze ans et dont l'état vient
à nécessiter des soins immédiats.
Elle a, par conséquent, créé deux catégories de bénéficiaires de la carte de
séjour de retraité : ceux qui auraient droit aux prestations d'assurance
maladie et qui se verraient dès lors prélever une cotisation maladie, et ceux
qui n'y auraient pas droit et se trouveraient exclus de toute couverture
maladie lors de séjours qui peuvent pourtant durer jusqu'à un an.
En pratique, ce dispositif semblait difficilement applicable et a suscité bien
des interrogations de la part des responsables des différentes caisses de
sécurité sociale que j'ai auditionnés, lesquels m'ont d'ailleurs indiqué que
nos collègues de l'Assemblée nationale n'avait pas jugé bon, semble-t-il, de
les entendre.
Il n'apparaît ni raisonnable ni responsable d'autoriser, en vertu d'un titre
de séjour, les séjours répétés en France de personnes étrangères sans prévoir
de manière concomitante leur couverture par l'assurance maladie. Lorsqu'elles
séjourneront en France, ces personnes, si elles sont démunies de ressources,
auront de toute façon la possibilité de se faire soigner et la collectivité
devra de toute manière, par le biais de l'aide médicale d'Etat ou de créances
hospitalières, en supporter le coût.
De même, prévoir la prise en charge par l'assurance maladie des titulaires de
la carte de retraité justifiant de quinze années de cotisations « si leur état
vient à nécessiter de soins immédiats » paraît inutile, difficile à mettre en
pratique et, là encore, source potentielle de contentieux multiples.
On peut également s'interroger sur le sens exact et la portée de la cotisation
d'assurance maladie introduite par l'Assemblée nationale aux articles 34
bis
et 34
ter
. La rédaction retenue est pour le moins imprécise
et peut faire l'objet de plusieurs interprétations : s'agit-il d'une cotisation
prélevée sur l'ensemble des étrangers retraités résidant à l'étranger, ou
seulement sur les pensions des titulaires de la carte de séjour de retraité, ou
seulement encore sur les pensions de ceux qui, parmi ces derniers, sont
susceptibles de bénéficier des prestations d'assurance maladie ? Le texte ne
permet pas de le savoir, et personne, au sein des services de Mme Aubry ou des
caisses de sécurité sociale, n'a su répondre à ces questions au cours de toutes
les auditions auxquelles j'ai pu procéder.
En réalité, la cotisation d'assurance maladie sur les pensions françaises des
étrangers résidant à l'étranger existe déjà, et la disposition adoptée par
l'Assemblée nationale est parfaitement redondante. En effet, qu'elles soient de
nationalité étrangère ou française, toutes les personnes retraitées domiciliées
fiscalement à l'étranger voient déjà leurs pensions faire l'objet d'une
cotisation d'assurance maladie : ce principe a été réaffirmé dans la loi de
financement de la sécurité sociale pour 1998, qui a maintenu cette
cotisation.
Pour toutes ces raisons, la commission des affaires sociales vous propose un
dispositif simplifié, clarifié et plus strictement encadré.
L'accès à la carte de séjour de retraité ne se ferait plus qu'au bout de
quinze années de cotisations, ce qui éviterait les risques d'abus.
Parallèlement, les titulaires de cette carte pourraient bénéficier de plein
droit des prestations d'assurance maladie sans limitation, ce qui n'est pas le
cas dans la rédaction actuelle, notamment sans la référence à « la nécessité de
soins immédiats », que le texte vise précisément.
La cotisation d'assurance maladie instaurée par l'Assemblée nationale serait
supprimée dans la mesure où elle existe déjà.
Le projet de loi comporte enfin une autre disposition relative aux retraités
étrangers : l'article 35 prévoit la suppression de l'obligation de résidence en
France pour la perception de retraites par les personnes de nationalité
étrangère.
Même si rien n'empêche, en pratique, le versement des retraites aux retraités
étrangers vivant dans des pays étrangers, le droit antérieur prévoyait
l'obligation pour la personne étrangère de résider en France au moment de sa
première demande de liquidation de sa retraite. Le droit antérieur constituait
donc un obstacle au retour du travailleur retraité dans son pays d'origine, et
la modification proposée par le Gouvernement à travers l'article 35 apparaît
bienvenue.
Quant à l'article 36, certainement l'article le plus sensible aux yeux de la
commission des affaires sociales, il supprime la condition de nationalité pour
l'accès au minimum vieillesse et à l'allocation aux adultes handicapés. Il
constitue le second volet social de ce projet de loi.
L'Assemblée nationale n'a apporté aucune modification au dispositif présenté
par le Gouvernement.
Cet article tend à apporter une solution à un problème juridique d'une très
grande complexité : le bénéfice du minimum vieillesse et de l'AAH est
aujourd'hui réservé aux nationaux, aux ressortissants de l'Union européenne et
de l'espace économique européen ainsi qu'aux ressortissants de pays ayant passé
une convention de réciprocité avec la France. Or cette disposition a été jugée
contraire au droit européen par la Cour de justice des Communautés européennes,
qui a estimé qu'il n'y avait pas lieu de priver du bénéfice de ces prestations
non contributives les ressortissants de pays qui ont signé un accord de
coopération ou d'association avec la Communauté européenne. C'est notamment le
cas, pour citer quelques exemples, des pays du Maghreb, de la Turquie, ou
encore de certains pays d'Europe centrale et orientale.
En outre, le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 22 janvier 1990, a
eu une position encore plus tranchée dans la mesure où il a considéré que
l'exclusion des étrangers résidant régulièrement en France du bénéfice de
l'allocation supplémentaire - c'est-à-dire le deuxième étage du minimum
vieillesse - dès lors qu'ils ne peuvent se prévaloir d'engagements
internationaux ou de règlements pris sur leur fondement méconnaissait le
principe d'égalité.
De plus, la jurisprudence communautaire est aujourd'hui strictement appliquée
par les tribunaux français, et les caisses de sécurité sociale qui refusent,
sur le fondement du droit en vigueur, le versement aux étrangers couverts par
un accord communautaire du minimum vieillesse et de l'allocation aux adultes
handicapés se voient systématiquement condamnées.
En pratique, les caisses accordent quasi systématiquement ces droits dès
l'ouverture par les intéressés d'un contentieux... qu'elles sont d'ailleurs
assurées de perdre compte tenu de la jurisprudence constante en la matière.
En supprimant la condition de nationalité, l'article 36 du projet de loi met
donc fin à un imbroglio juridique et assure la conformité du droit français au
droit communautaire. De ce point de vue, monsieur le ministre, nous n'avons pas
de critiques à formuler.
Toutefois - j'avais appelé votre attention sur ce point en commission,
monsieur le ministre, et j'espère que, depuis, vous avez pu en parler à Mme
Aubry - la suppression de la condition de nationalité proposée par le
Gouvernement ne s'accompagne d'aucun garde-fou propre à limiter les risques de
dérives et d'abus et susceptible d'éviter les incitations à l'immigration.
En effet, dans la rédaction actuelle du texte, tout étranger titulaire d'un
titre de séjour pourrait bénéficier, dès son arrivée sur le sol français, du
minimum vieillesse et de l'AAH. Cela est-il acceptable ? Je ne le pense pas.
M. Guy Allouche.
Dix minutes ! En tant que rapporteur pour avis, monsieur Vasselle, votre temps
de parole est limité à dix minutes.
(Protestations sur les travées des
Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. Alain Vasselle,
rapporteur pour avis.
J'en ai presque terminé, mon cher collègue, je vous
rassure.
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
Laissez parler M.
Vasselle ! C'est grotesque de l'interrompre : tout ce qu'il dit est important
!
M. Claude Estier.
C'est le règlement !
M. Alain Vasselle,
rapporteur pour avis.
Cela vous gêne que je vous donne un certain nombre
d'informations ? Je suis là pour éclairer notre assemblée !
La commission des affaires sociales vous propose donc d'aligner le régime du
minimum vieillesse et de l'AAH sur celui qui prévaut aujourd'hui pour le
bénéfice du revenu minimum d'insertion. D'ailleurs, je crois savoir, monsieur
le ministre, que vous ne n'y seriez pas défavorable, tout au moins
personnellement car je ne sais pas quelle sera la position du Gouvernement.
En exigeant, pour le bénéfice du minimum vieillesse et de l'AAH, les titres de
séjour demandés pour le RMI, on instaure
de facto,
dans la plupart des
cas, une condition de durée de résidence régulière et ininterrompue de trois
ans pour l'obtention de ces prestations non contributives.
L'introduction, pour le bénéfice du minimum vieillesse et de l'AAH, des
critères qui prévalent aujourd'hui pour l'obtention par les personnes de
nationalité étrangère du RMI présenterait un triple avantage, et j'en termine
par là, rassurant ainsi M. Allouche...
M. Guy Allouche.
Je ne suis pas inquiet !
M. Charles Pasqua.
Ce n'est pas M. Allouche qui préside !
M. Alain Vasselle,
rapporteur pour avis.
Je vous remercie, monsieur Pasqua, de nous le
rappeler.
L'introduction des critères d'obtention du RMI présenterait, disais-je, trois
avantages.
Tout d'abord, elle permettrait de limiter sensiblement les risques que
pourrait susciter une législation trop généreuse tout en réglant le problème
des étrangers présents depuis un certain temps sur notre territoire.
Ensuite, elle limiterait le coût très élevé de ces mesures - j'ai d'ailleurs
eu beaucoup de mal à obtenir des chiffres - évalué à 500 millions de francs
pour le fonds de solidarité vieillesse et à 300 millions de francs pour l'Etat
; le coût global pour la collectivité pourrait, il est vrai, être minoré pour
partie dans la mesure où certaines des personnes concernées sont déjà
bénéficiaires du RMI.
Enfin, la rédaction que propose la commission des affaires sociales
présenterait l'avantage de simplifier considérablement l'état du droit existant
en instituant, s'agissant des personnes de nationalité étrangère, exactement
les mêmes conditions d'accès pour les trois minima sociaux que sont le RMI, le
minimum vieillesse et l'AAH.
Telles sont, mes chers collègues, les observations que je souhaitais formuler
sur ce texte, observations qui trouveront leur traduction dans les amendements
que je vous proposerai au nom de la commission des affaires sociales. Je ne
doute pas, monsieur le ministre, compte tenu du caractère technique de nos
propositions et de leur pertinence - que vous avez reconnue en commission -,
que vous saurez y adhérer et que vous entendrez donner raison au Sénat, qui,
par son travail de réflexion, aura fait oeuvre utile pour notre pays.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Monsieur le
président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'année dernière - vous
en avez le souvenir - nous débattions déjà d'un projet de loi relatif à
l'entrée et au séjour des étrangers. De ce débat, qui a duré de longues heures
et pour lequel nous avions su persuader le gouvernement que nous soutenions de
renoncer à l'urgence, il nous reste une mémoire très vive.
Nous avons entendu les rapports excellents et approfondis de nos amis MM. Paul
Masson et Alain Vasselle. Grâce à eux, nous sommes en mesure de porter sur les
dispositions qui nous sont proposées un jugement équilibré et serein.
L'an dernier, les amendements adoptés par le Sénat avaient notamment permis -
il faut se le rappeler particulièrement - d'asseoir la constitutionnalité des
dispositions votées, constitutionnalité qui a été confirmée à 95 % par le
Conseil constitutionnel.
Fallait-il à nouveau remettre sur le métier cet ouvrage, qui ressemble un peu
à une veille tapisserie si souvent ravaudée - j'ai nommé l'ordonnance de 1945
?
A l'intérieur du cadre juridique que nous avions fixé, monsieur le ministre,
vous pouviez déjà agir, et vous ne vous en êtes d'ailleurs pas privé en prenant
une circulaire de régularisation sur la mise en oeuvre de laquelle le Sénat a
créé une commission d'enquête.
Dès lors, le texte que vous nous soumettez était-il nécessaire ? Etait-il
opportun ? Etait-il urgent ?
J'eusse aimé, monsieur le ministre, que vous nous invitiez à une réflexion
d'ensemble à laquelle nous aurions su nous associer. Il n'en est rien. Nous
sommes saisis d'un nouveau texte de circonstance, « fabriqué » peut-être pour
répondre en partie aux exigences de quelques grandes consciences qui
constituent ce qu'il est convenu d'appeler la gauche morale... comme s'il y en
avait une autre.
Il vous appartient sans doute, monsieur le ministre, tout comme au
Gouvernement, de déterminer l'ordre de nos travaux et de nous soumettre en
priorité les textes qui, dans l'instant, vous semblent les plus urgents. Je ne
suis pas persuadé que vos choix correspondent à l'intérêt national.
Pourquoi ces discussions concomitantes sur la nationalité et sur l'immigration
? Je le sais, vous les auriez souhaité plus rapides, je n'ose pas dire quelque
peu bâclées. L'affaire est manquée !
Etait-il nécessaire de légiférer à nouveau ? Hier, une loi, aujourd'hui, une
loi, demain, une autre loi.
Cette manière d'agir est génératrice, faute de réflexion d'ensemble, de
complexité, de contrariété et, pour reprendre le mot de Paul Masson,
d'affrontements.
De toute manière - puissiez-vous en tirer la leçon - vous aurez sans doute
compris qu'il ne suffit pas de décréter l'urgence pour accélérer le cours des
choses.
Vous prenez conscience, vous nous l'avez dit, que la promulgation de ces
textes coïncidera - vous vouliez l'éviter, pourquoi ? - avec la campagne
électorale qui s'annonce. Peut-être ces textes fourniront-ils à l'opinion
publique, entre autres éléments, matière à jugement sur l'action que vous avez
entreprise et sur le constat sévère que, nous le savons par expérience, cette
opinion est capable d'émettre sur les discordances qu'elle constate entre ce
qui a été promis et ce qui aura été réalisé.
Dans le domaine qui nous préoccupe aujourd'hui, vous vous êtes laissé aller
parfois à des promesses inconsidérées. Chaleur des meetings, avez-vous dit
gentiment en commission...
On vous réclame encore, ici et là, l'abrogation des lois Pasqua et Debré. Vous
avez compris, et c'est à votre honneur, qu'une telle orientation n'était guère
envisageable. Pour vous en « tirer » - je m'excuse d'employer ce terme - et ce
n'était pas commode, vous avez jugé expédient de demander un rapport qui a
servi de base à vos travaux et dont on a, ici et là, loué l'auteur, vanté les
mérites, la modération. Je dois dire que, de cette modération, la commission
des lois ne garde pas un souvenir particulièrement vif.
(Sourires.)
Une telle tâche dépassait très nettement la capacité du sociologue averti à
qui on a confié le soin d'établir ce rapport. A côté de quelques remarques qui
paraissent marquées du sceau d'un bon sens dont il est facile de faire étalage
transparaît une certaine inculture juridique.
A qui fera-t-on croire, dans ces termes en tout cas, qu'il est besoin d'une
loi pour attirer en France des étudiants et des chercheurs ? Une directive
administrative intelligente - ce n'est quand même pas impossible ! - peut y
suffire et quelques crédits supplémentaires seraient évidemment les
bienvenus.
Je vous reprocherai donc, monsieur le ministre, la façon dont vous abordez, à
votre tour, ce problème.
Pourtant, nous sommes, vous et nous, nous le savons, confrontés à de très
graves et très lourdes questions.
La pression de l'immigration est un fait, mais au nom de quels critères les
mouvements qui en découlent doivent-ils être appréciés ? Nous n'en savons rien
et ce texte ne nous aide pas à le découvrir, peut-être pas plus que ceux qui
l'ont précédé.
Existerait-il un droit à l'immigration et un devoir d'accueil ?
L'intérêt national doit-il être l'élément déterminant de choix que l'on opère
en fonction de critères économiques, de critères démographiques, eux-mêmes liés
de façon très substantielle au sentiment que nous avons de l'avenir de la
nation ?
Quelles relations doit-on établir entre notre politique et la francophonie
?
Je suis, vous le savez, favorable à cette politique. J'espère que le
Gouvernement l'est aussi, même si l'éminent savant à qui on a confié
l'éducation nationale nous affirme, du haut de sa sagesse, que l'anglais ne
doit plus être tenu pour une langue étrangère. Je lui suggère de soumettre
cette appréciation un peu rapide, au cours d'un prochain voyage, à nos cousins
du Québec...
(Sourires sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. Adrien Gouteyron.
Très bien !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Enfin, dernière appréciation,
importante, sur les vocables que nous utilisons avec une sorte de facilité
acquise : la France, terre d'asile ? Elle l'a été, mais, dans un monde
caractérisé par une capacité de circulation des hommes, des idées et des
conflits, qui bouleverse les rapports entre les nations, comment peut-elle le
demeurer, à quel prix et dans quelles conditions ?
De l'assimilation républicaine et contraignante, nous sommes passés à
l'intégration, comme si nous avions honte d'utiliser une idée-force qui,
pourtant, nous a, au cours des siècles, permis de nous constituer en nation.
L'apparition de certaines formes de communautarisation met en cause aussi bien
l'assimilation, dont je regrette qu'elle ne soit pas recherchée, que
l'intégration des étrangers et la cohésion nationale.
La revendication du droit à la différence glisse parfois et conduit à des
solidarités ethniques, culturelles ou communautaires spécifiques. Des
manifestations d'aspiration intégriste peuvent apparaître, et elles sont
préoccupantes.
Le droit à la différence, trop souvent exacerbé par les médias et par
certaines associations, remet gravement en cause la cohésion nationale.
Pour une certaine part, cette évolution résulte - il faut le dire - de la
dégradation des mécanismes auxquels nous pouvions normalement avoir recours. Il
y a un dysfonctionnement dans le système scolaire.
Croyez-vous que la situation de notre marché de l'emploi et les conditions
actuelles d'assimilation - ou d'intégration - des immigrés dans notre société
soient des éléments propres à faciliter l'apparition de conditions nouvelles
?
Une législation qui se veut libérale sur le droit d'asile et la délivrance
d'autorisations provisoires de séjour facilitent l'implantation durable de
personnes entrées irrégulièrement sur notre sol.
Vous avez été incapable, comme votre collègue Mme Aubry, ministre de l'emploi,
de nous dire le coût que tout cela entraîne. Nous avons essayé de le chiffrer.
Eh bien, nous constatons - cela vient de vous être dit - que cela correspond
pratiquement, chiffre pour chiffre, aux allocations familiales dont vous avez
privé 400 000 familles françaises !
M. Henri de Raincourt.
Eh bien ! C'est du beau !
M. Dominique Braye.
Le choix est fait !
M. René-Georges Laurin.
C'est vrai !
M. Guy Fischer.
Quel amalgame !
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
C'est absolument faux ! Il ne faut pas dire
n'importe quoi !
Mme Joëlle Dusseau.
C'est scandaleux !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
La réaffirmation du nécessaire
exercice effectif des responsabilités de l'Etat en la matière s'impose au
regard de la capacité matérielle d'accueillir les personnes. Vous le savez
mieux que quiconque, monsieur le ministre, vous qui avez en charge cette
tentative de régularisation à laquelle je faisais allusion tout à l'heure.
La perspective de la ratification du traité d'Amsterdam, dont le Conseil
constitutionnel, saisi par le Président de la République et le Premier
ministre, vient d'indiquer qu'elle nécessite une révision de la Constitution,
conduit à s'interroger sur la bonne coordination des calendriers européens,
constitutionnel et législatif.
La révision de la Constitution rendue nécessaire nous sera soumise... à la
condition toutefois que M. le Premier ministre veuille bien relire
attentivement la Constitution et prendre acte des prérogatives qu'elle lui
attribue en son article 89.
Je vous l'ai dit en commission, et j'ai noté que vous avez quelque peu changé
de propos : que l'on veuille bien nous faire grâce de toutes ces accusations
qui vous arrangent ! Ce que nous pensons en la matière nous est dicté non pas
par les prises de position d'une fraction de l'opinion publique, mais par la
conception que nous avons de l'intérêt national.
Nous vous le redisons : ce texte n'était ni urgent, ni nécessaire, ni
opportun.
Il nous eût été facile, mes chers collègues, de le rejeter en bloc. Telle
n'est pas la position que la commission des lois, sur la proposition de son
rapporteur, a adoptée. Nous l'avons étudié article après article, et la
démonstration est faite : il ne correspond en rien à vos déclarations de
principe.
Ce n'est pas une modération apparente qui le caractérise, mais la volonté à
peine dissimulée de vous orienter vers la reconnaissance de ce droit à
l'immigration que vous affirmez condamner et que certains de vos amis
continuent à réclamer.
Mme Joëlle Dusseau.
Qui réclame cela ?
M. Jacques Larcher,
président de la commission des lois.
Mes chers collègues, le refus que
vous lui opposerez n'est marqué, et vous devez le dire, ni de racisme ni de
xénophobie.
M. Raymond Courrière.
Par peur du Front national !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Il traduit simplement notre volonté
d'adapter la venue d'étrangers sur notre sol à notre capacité d'accueil. Il
traduit aussi cette autre volonté : maintenir l'unité profonde de notre nation
et faire en sorte que tous ceux qui y vivent y connaissent une existence
paisible.
Dans un très beau film sans complaisance, un film américain, sur la guerre du
Viêt Nam, on voit des immigrés mobilisés revenus au pays évoquer au cours d'une
beuverie leurs souffrances inutiles. Pourtant ils entonnent ce vieux chant
traditionnel
God bless America
, « Dieu bénisse l'Amérique ».
Nous sommes capables, je crois, en tant que nation souvent exemplaire, de
provoquer des adhésions aussi profondes.
Pour ma part, j'ai vu des Vietnamiens échappés de l'« enfer rouge » venir nous
remercier de ce que la France avait fait pour eux. A ce moment, j'ai ressenti
ce que pouvait être la lente et magnifique affirmation au cours des siècles de
notre communauté en tant que nation.
Je ne pense pas, monsieur le ministre, que, par le projet de loi que vous nous
proposez, vous apportiez votre contribution - je l'aurais souhaité - à cette
oeuvre nécessaire. C'est pourquoi nous proposons à la Haute Assemblée de bien
vouloir le refuser.
La politique de l'immigration méritait mieux qu'un projet de loi confus et
prématuré. C'est ce qu'ont mis particulièrement en lumière les rapports très
argumentés de nos collègues, qui n'ont conclu au rejet de ce texte ou à
l'amendement de plusieurs de ses dispositions qu'au terme d'un examen
scrupuleux traduisant parfaitement la conviction de la commission des lois.
Bien évidemment, mes chers collègues, je ne peux que soutenir avec force les
propositions qu'ils vous ont faites et vous demander de les adopter.
(Bravo ! et vifs applaudissements sur les travées des Républicains et
Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
- groupe du Rassemblement pour la République, 72 minutes ;
- groupe socialiste, 61 minutes ;
- groupe de l'Union centriste, 52 minutes ;
- groupe des Républicains et Indépendants, 44 minutes ;
- groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 32 minutes ;
- groupe communiste républicain et citoyen, 29 minutes ;
- réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun
groupe, 10 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons
aujourd'hui besoin d'une approche apaisée et renouvelée de la question de
l'immigration.
M. Jean Chérioux.
C'est bien vrai.
M. Henri de Raincourt.
C'est réussi !
M. Guy Allouche.
Depuis près de vingt ans, l'immigration n'est traitée dans le débat public
qu'avec haine ou passion, exaltation ou stigmatisation. Elle est devenue une
sorte de marchandise politique, une malédiction pour les immigrés, dès le
moment où, dans leurs compétitions, certains partis politiques se sont servis
de cette masse humaine.
Il est grand temps de rompre avec la vision de l'immigré ennemi, de l'immigré
clandestin potentiel, voire délinquant. Le temps est venu de considérer les
étrangers installés en France et ceux qui aspirent à y entrer régulièrement non
comme des voleurs d'espace et d'identité, mais comme des êtres humains en quête
du simple droit de vivre dignement.
En France, comme dans la plupart des pays, le statut des étrangers n'a pas
toujours été un modèle de conformité aux Droits de l'homme et aux libertés
publiques, notamment dans les périodes de conflit ou de crise.
Quand le chômage et la précarité déstabilisent des millions de foyers, la
curiosité cède le pas à la peur, la méfiance à l'hostilité. L'étranger est vite
perçu comme une menace, sur laquelle sont détournés les ressentiments.
De 1980 à 1997, des lois Bonnet, sécurité et liberté, aux lois
Pasqua-Méhaignerie-Debré, la France s'est enfermée dans cette logique
répressive, sous prétexte de maîtriser les flux migratoires.
(Protestations sur les travées du RPR.)
M. Dominique Braye.
Et nous en sommes fiers !
M. Jean Chérioux.
Imitez la sérénité de votre prédécesseur !
M. Guy Allouche.
La systématisation des contrôles, la suspicion permanente attachée à
l'étranger et la mise en cause de tout processus d'intégration n'ont jamais
endigué, encore moins éradiqué l'immigration clandestine ; loin s'en faut !
A l'heure de la mondialisation, la maîtrise des flux migratoires est
nécessaire. Nul ne peut contester à un gouvernement le droit de la
rechercher.
Croire à l'« immigration zéro » - ce mythe ! - c'est entretenir l'illusion que
cette maîtrise doit s'opérer par l'élévation de barrières, c'est prendre le
risque de décevoir davantage les Français en difficulté.
Toutes les stratégies de répression ont échoué ; les poursuivre, les aggraver,
serait faire peser des menaces sur l'ensemble des libertés fondamentales.
On ne saurait donc reprocher au gouvernement de Lionel Jospin...
M. Dominique Braye.
Oh si, que de reproches à lui faire !
M. Guy Allouche.
... de ne pas avoir fait diligence pour atteindre l'objectif annoncé :
procéder à un toilettage de la législation pour en faire disparaître les
dispositions les plus contestables, dont l'effet pratique est de fabriquer des
sans-papiers, des irréguliers, voire des clandestins. L'actualité est là pour
nous rappeler ce constat.
Monsieur le rapporteur, vous avez employé un ton modéré - c'est votre
habitude, je le reconnais et je le salue - un ton modéré... quant à
l'expression, mais pas sur le fond.
(Exclamations sur les travées du RPR.)
M. Jean Chérioux.
Vous êtes un éternel donneur de leçons !
M. Guy Allouche.
Cela fait longtemps que je n'enseigne plus, monsieur Chérioux !
(Sourires.)
Vous avez déploré la précipitation avec laquelle le Gouvernement avait engagé
cette réforme.
La nouvelle majorité issue du scrutin du mois de juin 1997 n'a pas pour
mission - et encore moins pour vocation - de répondre aux souhaits et aux
aspirations de l'opposition.
M. Dominique Braye.
Mais 76 % des Français l'ont dit aussi !
M. Guy Allouche.
Ajouterai-je que j'ai l'intime conviction que le calendrier n'aurait en rien
changé votre opposition systématique ?
Quant au procès en inefficacité du dispositif proposé que vous entendez
instruire, croyez-vous, monsieur le rapporteur, que vos échecs dans ce domaine
vous autorisent encore à prononcer de telles sentences ?
M. Pierre Mauroy.
Très bien !
M. Guy Allouche.
Avec la loi de 1993 dite loi Pasqua, on allait voir ce qu'on allait voir ! Eh
bien, oui, on a vu !
M. Dominique Braye.
Comme le chômage avec Mitterrand !
M. Guy Allouche.
Quand vous proposiez coup sur coup deux réformes, l'une en 1993 et l'autre en
1997 pour réformer celle de 1993, c'était peut-être, dans votre esprit, pour
apaiser ! Mais quand c'est la gauche qui veut rester fidèle aux engagements
pris devant le peuple souverain et approuvés par lui, c'est pour provoquer un
affrontement !
M. Josselin de Rohan.
Quels engagements ? Ceux du Zénith, ou d'autres engagements ?
M. Dominique Braye.
Faites un référendum !
M. Guy Allouche.
Vous ne voulez pas vous déjuger, avez-vous dit. C'est votre droit !
M. Dominique Braye.
Consultez le peuple !
M. Pierre Mauroy.
C'est au Président de la République d'en décider !
M. Guy Allouche.
Pour notre part, nous préférons entendre et suivre la voix haute et claire du
suffrage universel...
M. Jean Chérioux.
Celle des socialo-lepénistes !
M. Dominique Braye.
C'est ce qu'on demande : un référendum !
M. Claude Estier.
Il y a eu des élections, et vous les avez perdues !
M. Guy Allouche.
... bien plus que la voix sourde du Sénat.
(Vives protestations sur les travées du RPR. - Exclamations sur les travées
socialistes.)
J'espère que vous décompterez de mon temps de parole toutes ces
interruptions, monsieur le président ?
M. le président.
Poursuivez, monsieur Allouche, ne vous laissez pas impressionner.
M. Claude Estier.
Il n'y a pas de quoi, c'est bien vrai !
M. Jean Chérioux.
Assez de leçons !
M. Guy Allouche.
L'une des caractéristiques de ce projet de loi, c'est l'esprit de rupture en
profondeur avec la situation antérieure.
On ne soulignera jamais assez la logique contestable qui conduit à empiler
sans fin les verrous législatifs et les mesures de contrôle dès que le moindre
soupçon de fraude apparaît, et ce avec une efficacité marginale de plus en plus
réduite.
M. Dominique Braye.
Supprimez les verrous !
M. Guy Allouche.
Le rapport Sauvaigo en est le plus bel exemple.
Les promoteurs de cette politique se sont peu souciés de la très nette
dégradation de l'image de la France dans le monde, particulièrement dans sa
sphère d'influence tradionnelle. Le recours à des méthodes se situant à la
lisière de la violation des droits de l'homme a fortement entamé la crédibilité
de notre pays, qui doit pouvoir se poser en exemple s'il entend exercer une
magistrature morale en la matière.
J'ajoute, pour le souligner, que l'orientation définie par les gouvernements
de 1986, de 1993 et de 1995 a eu pour seul effet tangible de conforter le
mouvement extrémiste qui place l'immigration au centre de son discours, sans
que les résultats sur le terrain soient convaincants.
M. Dominique Braye.
Cela vous arrange : cela vous permet d'avoir la majorité aujourd'hui !
M. Guy Allouche.
Les stastitiques sont assez édifiantes !
Nous avons aussi remarqué - et je ne m'en plaindrai pas - que la plupart de
ceux qui avaient participé à la rédaction du rapport Sauvaigo ont été
sévèrement battus aux dernières législatives.
(Très bien ! et
applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du
groupe communiste Républicain et Citoyen. - Mme Dusseau applaudit
également).
A commencer par Mme Sauvaigo elle-même !
(Rires sur les
mêmes travées.)
Chers collègues, dans ce domaine précisement, la surenchère démagogique et
xénophobe n'est jamais gage de succès !
M. Pierre Mauroy.
Très bien !
M. Josselin de Rohan.
Dites donc : le Front national, vous connaissez ?
(Rires sur les travées du
RPR.)
M. Dominique Braye.
Le Front national, vous ne connaissez pas ?
M. Paul Blanc.
Ils sont associés !
M. Guy Allouche.
Tout cela ne semble pas avoir servi de leçon.
Lors du débat à l'Assemblée nationale, nombreux encore ont été ceux qui ont «
hurlé avec les loups », reprenant à leur compte tous les propos xénophobes de
l'extrême droite
(Exclamations sur les travées du RPR),
se transformant
ainsi en « concessionnaires » du FN.
(Vives protestations sur les mêmes
travées.)
M. Dominique Braye.
Vos alliés objectifs !
M. Alain Vasselle.
C'est vous les concessionnaires !
M. Jean Chérioux.
Vous devez certains de vos élus au Front national.
M. Dominique Braye.
Vous êtes les élus du Front national, et nous du RPR !
M. Charles Descours.
C'est vous les concessionnaires !
M. Dominique Braye.
Oui, ce sont vos alliés objectifs !
M. le président.
Monsieur Allouche, ne vous étonnez pas d'être interrompu si vous provoquez vos
collègues.
(Protestations sur les travées socialistes. - Exclamations sur
les travées du RPR.)
M. Jean Chérioux.
Provocateur !
M. Alain Vasselle.
Arrêtez la provocation !
M. le président.
Cela étant, exprimez-vous en toute liberté.
(Nouvelles exclamations sur les
travées du RPR.)
La parole est à M. Allouche, et à lui seul, mes chers collègues.
M. Guy Allouche.
Monsieur le président, s'il vous plaît, ne guidez pas mon expression : je suis
libre de m'exprimer comme je l'entends à cette tribune.
(Très bien ! sur les
travées socialistes.)
M. Dominique Braye.
Et nous, nous sommes libres de répondre !
M. Guy Allouche.
D'ailleurs, nous croyons savoir, monsieur le ministre, que vous avez pris soin
de relever lors de ce débat à l'Assemblée nationale un grand nombre de ces
déclarations de députés de l'opposition. Il paraît que c'est un véritable
florilège !
L'expérience a depuis longtemps enseigné que ce ne sont pas les compromis - et
encore moins les compromissions - qui feront reculer l'extrême droite, mais
l'affirmation et la défense de principes républicains, de convictions fortes,
qui l'ébranleront et le mettront en échec.
Il est devenu impératif de définir, selon une approche pacifiée, une gestion
de l'immigration qui soit acceptée par la très grande majorité des Français.
M. Dominique Braye.
Pourtant, 76 % des Français refusent ce que vous proposez.
M. Paul Blanc.
Faites un référendum !
M. Guy Allouche.
Monsieur Braye...
M. Dominique Braye.
Je répète : 76 % des Français refusent vos propositions.
M. Raymond Courrière.
Arrêtez de brailler !
M. Guy Allouche.
Si vous voulez que je reste correct à votre égard, monsieur Braye, laissez-moi
m'exprimer.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Monsieur le président, inscrivez M. Braye dans la discussion générale !
M. Gérard Larché.
M. Braye, il est gentil : il est des Yvelines !
(Rires.)
M. le président.
Mes chers collègues, veuillez faire preuve de quelque tolérance. Quelle que
soit la nature des propos qui vous sont infligés
(Rires sur les travées du
RPR),
vous devez les écoutez.
Poursuivez , monsieur Allouche.
M. Guy Allouche.
Avec ce projet de loi, le Gouvernement entend restaurer ces principes et ces
valeurs républicaines.
Consulté, le Haut Conseil à l'intégration, présidé par Mme Simone Veil, s'est
félicité « de ce projet de loi qui place le respect de l'individu et de la
famille au centre des préoccupations ».
Interrogée par la commission des lois de l'Assemblée nationale, Mme Veil a
déclaré : « Le projet du Gouvernement revêt un caractère cohérent et équilibré
qu'il serait risqué de remettre en cause. » De même, le Conseil d'Etat n'a
trouvé aucune disposition portant atteinte aux libertés individuelles dans ce
projet de loi.
Voilà pour l'esprit de rupture profonde avec les législations antérieures !
Redéfinir les termes du débat sur l'immigration passe par l'équilibre à
trouver entre, d'un côté, une approche univoque, obnubilée par l'immigration
irrégulière, multipliant les restrictions, les contrôles, les mesures
répressives et, de l'autre, une vision angélique prônant une ouverture totale
des frontières, associé à un droit au séjour généralisé.
Cet équilibre repose sur quelques idées-forces, souvent invoquées, mais
souvent aussi malmenées. Ainsi, l'entrée et le séjour sur le territoire doivent
faire l'objet d'un régime juridique équitable, débarrassé des contraintes qui
limitent la liberté de circulation, respectueux des droits des individus et des
familles, soucieux de l'intérêt national.
Parallèlement, parce que la crédibilité de la loi en dépend, il faut ajuster
les moyens de prévention et de répression de l'immigration irrégulière, qui
doivent devenir plus sélectifs pour être plus efficaces. Il n'y a pas lieu de
confondre, dans un même ensemble, l'étranger ayant un droit au séjour et celui
qui en est dénué. Il faut aussi différencier les traitements dont relève
l'étranger en situation administrative irrégulière des traitements applicables
à celui qui est délinquant !
Toutes les statistiques sur les étrangers montrent les méfaits d'une politique
qui applique de manière indifférenciée les mêmes règles à tous les étrangers.
Sous couvert de lutter contre l'immigration irrégulière, phénomène réel mais,
somme toute, marginal par rapport à l'immigration régulière, c'est, en fait,
l'ensemble des étrangers en situation régulière qui sont déstabilisés.
Le Gouvernement, tirant vite les enseignements de ces vingt dernières années,
s'est rangé à la démarche pragmatique et non idéologique prônée par le rapport
de M. Weil.
Monsieur le président de la commission des lois, vous disiez il y a un instant
que le rapport de M. Weil ne trouvait pas grâce à vos yeux ni d'ailleurs aux
yeux de la majorité des membres de la commission des lois...
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Me permettez-vous de vous
interrompre, monsieur Allouche ?
M. Guy Allouche.
Je vous en prie.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des lois, avec l'autorisation
de l'orateur.
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Ce que j'ai noté, ce que nous avons
tous noté en commission, c'est... - je cherche un mot gentil - l'assurance
plutôt malvenue et une certaine tonalité dans la présentation de ce rapport qui
m'ont conduit, vous l'avez souligné - et c'est la seule fois où j'ai eu à
intervenir - à rappeler à l'esprit convivialité qui règne habituellement entre
nous.
M. le président.
Veuillez poursuivre, monsieur Allouche.
M. Guy Allouche.
Monsieur le président, je ne saurais désavouer cette remarque.
(Ah ! sur les travées du RPR.)
Mais je veux ajouter que toute autre
personnalité qualifiée désignée par le Gouvernement n'aurait pas davantage
trouvé grâce à vos yeux.
M. Jacques Larché,
président de la commisison des lois.
C'est faux !
M. Guy Allouche.
Le rapport de M. Weil a été approuvé par le Haut Conseil à l'intégration et
par la Commission nationale consultative des droits de l'homme.
Permettez-moi d'ajouter que j'estime pour ma part que, entre le rapport
Sauvaigo et le rapport Weil, il n'y a pas photo !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Je n'ai pas eu à choisir !
M. Guy Allouche.
Sans aller jusqu'à l'abrogation formelle des lois Pasqua-Debré - en réalité de
l'ordonnance du 2 novembre 1945, « tapisserie ancienne », selon M. le président
de la commission des lois - sur laquelle le Gouvernement s'est longuement
expliqué, ce dernier a, en plus de certaines harmonisations formelles, dû
recourir à des abrogations partielles significatives de dispositions issues des
lois de 1993 et 1997.
Je veux relever la suppression de l'interdiction administrative du territoire,
de la rétention judiciaire, l'abandon du refus du regroupement familial au
motif que les conditions matérielles ne sont pas réunies lors de l'accueil de
la famille, la remise en cause du retrait du titre de séjour en cas d'entrée de
la famille, hors regroupement familial.
Sans entrer dès à présent dans le détail du projet de loi - l'examen des
articles nous en fournira l'occasion - je veux rappeler les principales
dispositions de ce texte.
Il s'agit tout d'abord de simplifier les formalités aux frontières et,
au-delà, de faciliter l'accès au territoire français. Il n'est pas excessif de
considérer que, depuis une dizaine d'années, l'entrée en France est devenue,
pour beaucoup d'étrangers, qu'ils soient professionnels, chercheurs,
enseignants, voire simples visiteurs, une véritable course d'obstacles semée de
procédures tatillonnes et bureaucratiques qui contribuent à donner de notre
pays une image peu avantageuse.
La deuxième orientation vise à garantir une meilleure intégration des
étrangers ayant vocation à s'installer durablement en France, ces dernières
années ayant été, hélas ! caractérisées par une fragilisation de leur
situation.
Le troisième axe renforce les garanties offertes aux étrangers. La suspicion
généralisée à l'encontre des étrangers, systématiquement considérés comme des
clandestins en puissance, a progressivement conduit à un grignotage de leurs
droits et de leurs garanties. Le projet de loi vise à inverser cette
tendance.
Enfin, la dernière orientation du titre Ier est le souci de rendre plus
efficaces les outils de lutte contre l'immigration irrégulière. Nous
retrouvons, là aussi, cette notion d'équilibre entre l'indispensable respect de
la dignité humaine lors de l'accueil, du séjour et, même, dans la situation de
non-admission, une plus grande justice dans l'approche juridique de
l'immigration et une très nette fermeté à l'égard de l'immigration irrégulière
: celle-ci doit être traitée de manière plus efficace et ne pas se limiter à
des peines d'emprisonnement.
Nous avons aussi noté une farouche détermination du Gouvernement dans la lutte
contre les « passeurs » professionnels, les filières d'immigration clandestine,
sans oublier les dirigeants d'ateliers clandestins, « ces esclavagistes des
temps modernes ».
Le titre II vise à renforcer le droit d'asile.
Les nouvelles dispositions constituent une avancée incontestable, qui tient
compte de l'évolution et de la situation politique d'un grand nombre de pays et
de leurs pratiques démocratiques. On pourrait se féliciter du fait que la
diminution régulière des demandes d'asile, en France en particulier, reflète
l'amélioration de la situation des droits de l'homme dans le monde. Mais la
sécheresse des chiffres ne saurait occulter les difficultés auxquelles les
demandeurs d'asile peuvent être confrontés dans leur démarche.
Sans plus attendre, je tiens à saluer le travail remarquable effectué par
l'ensemble des personnels de l'Office français de protection des réfugiés et
apatrides, l'OFPRA.
Certes, l'OFPRA a pour mission d'appliquer strictement la législation et les
conventions en vigueur, mais je veux souligner - parce que cela nous est
toujours signalé - que les personnels ne font jamais abstraction de la détresse
humaine des demandeurs d'asile lors de l'examen des demandes. Je veux leur
témoigner toute ma gratitude.
Notre législation en la matière est fondée sur un double engagement : le
préambule de la Constitution de 1946 et la Convention de Genève de 1951.
L'OFPRA et la Commission des recours des réfugiés se sont vu confier le soin de
reconnaître aux étrangers qui la sollicitent la qualité de réfugié. Je rappelle
que les décisions rendues par cette commission, qui est une instance
juridictionnelle, relèvent en cassation du Conseil d'Etat.
Cependant, force est de constater que la jurisprudence administrative et la
pratique ne permettent pas d'appréhender toutes les situations d'étrangers
susceptibles de trouver un refuge légitime dans notre pays. Parmi ces derniers,
figurent au premier plan des personnes qui justifient craindre dans certains
Etats des persécutions de la part de tiers. Or, dans la mesure où ces
persécutions n'émanent pas des autorités légales et ne sont ni encouragées ni
tolérées par celles-ci, ces personnes, en vertu d'une jurisprudence solidement
établie depuis 1983, ne sont pas éligibles au statut de réfugié de la
Convention de Genève.
Pour combler cette lacune en donnant sa pleine application au droit d'asile,
qui serait ainsi renforcé, le projet de loi franchit une étape en consacrant
dans la loi les principes résultant du préambule de la Constitution de 1946.
Cette extension du champ des réfugiés ne saurait, hélas ! à elle seule,
appréhender toutefois l'ensemble des situations dans lesquelles les étrangers
souffrent de la violence qui prévaut dans leur pays. C'est la raison pour
laquelle une nouvelle disposition offre la possibilité au ministre de
l'intérieur d'accorder l'asile territorial à un étranger qui serait exposé dans
son pays à des traitements inhumains ou à des risques majeurs pour sa sûreté
personnelle.
Loin de se contenter de légaliser des pratiques déjà existantes, cette
reconnaissance de l'asile territorial prolonge le dispositif en faveur de
l'attribution du statut de réfugié, puisque le directeur de l'OFPRA et le
président de la Commission des recours des réfugiés pourront saisir le ministre
de l'intérieur des cas de rejet du statut de réfugié qui leur semblent pouvoir
relever de l'asile territorial.
Par ces dispositions, la France restera l'exemple, la référence, fidèle à son
image dans le monde depuis deux siècles.
Enfin, un triple souci de renforcement des droits des étrangers, d'efficacité
administrative et d'égalité de traitement entre les étrangers et les nationaux
inspire les dispositions qui figurent dans le titre III et qui sont reprises du
rapport Weil. Je ne les énumérerai pas, nous les traiterons lors de l'examen
des articles. Cependant, je tiens à souligner que l'une des dispositions
contenue dans l'article 36 du projet de loi met fin à des discriminations entre
ressortissants étrangers et nationaux, discriminations condamnées à plusieurs
reprises par la Cour de justice des Communautés européennes.
Je citerai volontiers une troisième fois Mme Veil, qui, devant la commission
des lois de l'Assemblée nationale, a déclaré, au nom du Haut Conseil à
l'intégration qu'elle préside : « Le Haut Conseil approuve le versement, sans
condition de nationalité, de l'allocation aux adultes handicapés et de
l'allocation supplémentaire du Fonds national de solidarité, ainsi que la
suppression de l'obligation de résidence pour la demande de liquidation de leur
pension de retraites par des étrangers. »
Si je rappelle cela, mes chers collègues, c'est parce que je veux encore
croire que des collègues cesseront d'affirmer que nos immigrés réguliers sont
avant tout des « allocataires ».
Dans son rapport, M. Vasselle fait état de certaines dispositions du droit
social actuel. J'ai envie de dire à M. Vasselle : mais à quoi servons-nous ?
Qui légifère ? Qui fait le droit ? Si ce qu'il dit était vrai, pensez-vous que
le Conseil d'Etat aurait « laissé passer » - pardonnez-moi cette expression -
de telles dispositions contraires au droit, à la Constitution... ?
M. Charles Pasqua.
Le Conseil d'Etat donne un avis.
M. Jean Chérioux.
Si le Conseil d'Etat compte autant, nous n'avons plus rien à faire !
M. Guy Allouche.
Mes chers collègues, je voudrais que tout le monde comprenne que les minima
sociaux ne sont jamais versés aux irréguliers. Cela n'existe pas !
M. Jean-Pierre Schosteck.
Méfiez-vous de ce type d'affirmation !
M. Guy Allouche.
Cessons de véhiculer des propos qui entretiennent le trouble dans la
population !
Paradoxalement, il a été constaté - par nous-mêmes aussi - que la fermeture
des frontières génère l'installation quasi définitive des immigrés.
Qui veut, en effet, prendre le risque, en retournant chez lui, de ne plus
pouvoir revenir - je parle des immigrés réguliers ?
Loin d'être dissuasives, les barrières ont rigidifié les flux. Quand on ouvre
nos portes, à certaines conditions, la mobilité de la main-d'oeuvre est plus
grande et l'installation des familles très limitée.
M. Dominique Braye.
Utopie angélique !
M. Guy Allouche.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, maîtriser les flux migratoires
c'est nécessairement agir aussi sur les causes des migrations. Vous avez
coutume de dire, monsieur le ministre, que « les problèmes du Sud se règlent au
Sud ».
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
D'abord !
M. Guy Allouche.
D'abord, oui.
La formule est juste. Qu'il me soit permis cependant d'ajouter : oui, mais
avec des aides et des moyens venant seulement du Nord.
M. Charles Pasqua.
Au Sud, sans perdre le Nord !
(Sourires.)
M. Dominique Braye.
On ferait mieux de régler d'abord nos problèmes !
M. Guy Allouche.
Monsieur Pasqua, vous savez que je suis doublement du Nord : originaire
d'Afrique du Nord et élu du département du Nord !
M. Raymond Courrière.
Très bien !
M. Pierre Mauroy.
Alors, il ne perd pas le Nord !
M. Guy Allouche.
Et je ne perds pas le Nord, comme le dit M. Pierre Mauroy !
Ce projet de loi amorce une reconfiguration de la coopération de la France
avec les pays exportateurs de main-d'oeuvre. Le récent voyage de M. le Premier
ministre au Maroc, au Sénégal et au Mali avait pour thème central le
codéveloppement.
M. Charles Pasqua.
C'est un beau succès !
M. Guy Allouche.
Nous savons qu'un rapport sur une politique de codéveloppement rédigé par l'un
de vos collaborateurs, Sami Naïr, vient d'être remis au Gouvernement.
Il est évident que, si l'on veut convaincre les immigrés de rester chez eux,
ou d'y retourner dans les meilleurs délais, il faut engager une politique
active de développement des pays du Sud et faire de l'immigration régulière un
vecteur positif de développement de ces pays.
Monsieur le ministre, il serait souhaitable, et j'en formule la demande, qu'au
cours de cette année 1998 nous ayons l'occasion de débattre de cette question
du codéveloppement. Loin des passions, loin des clichés et des préjugés, ce
débat nous permettrait d'avoir une vision aussi exacte que possible de la
réalité des raisons des migrations et des moyens que notre pays, avec d'autres,
et notamment l'Union européenne, pourrait mettre en oeuvre.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, en rappelant l'esprit et les
principales dispositions du projet de loi, je voulais mettre en lumière le
compromis réalisé entre le respect des droits des personnes et la recherche de
l'efficacité optimale. Ce projet de loi change en profondeur les conditions
d'accueil des étrangers et le traitement de la question de l'immigration. Vous
ne serez pas surpris d'apprendre que le groupe socialiste du Sénat, au nom
duquel je m'exprime, approuve toutes ces avancées parce qu'il forme l'espoir
que l'opinion publique, dans sa grande majorité, acceptera, elle aussi, le
contenu de cette réforme,...
M. Dominique Braye.
Ah bon ? Ça c'est une nouvelle !
M. Guy Allouche.
... que l'immigration cessera d'être, de façon récurrente, un abcès de
fixation du débat politique.
M. Dominique Braye.
Vous vous y prenez mal !
M. Guy Allouche.
Les préoccupations des Français sont autres : les questions économiques et
sociales, les problèmes liés à la jeunesse, dont on mesure chaque jour l'acuité
et qui soulèvent tant d'inquiétude, doivent être au coeur de nos
préoccupations,...
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Ils n'y sont pas !
M. Guy Allouche.
... loin d'un débat souvent qualifié de politicien et dont nous savons tous à
qui il profite !
M. Dominique Braye.
Ça, c'est urgent !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Cela vous arrange bien !
M. Guy Allouche.
C'est une évidence que de rappeler que le problème majeur de la France,
actuellement, est non pas l'immigration, qui reste, comme l'a dit M. Stasi, une
chance bien plus qu'une menace, mais bien la montée du chômage, l'aggravation
de la précarité et des inégalités sociales.
M. Alain Vasselle.
Vous avez là beaucoup à faire !
M. Dominique Braye.
C'est là-dessus qu'il fallait légiférer ! C'est le projet de loi sur
l'exclusion qu'il fallait mettre à l'ordre du jour, pas le texte sur
l'immigration.
M. Guy Fischer.
C'est vous qui l'avez sabordé.
M. Charles Pasqua.
Monsieur Fischer, ça, c'est la meilleure !
M. Dominique Braye.
Reconnaissez tout de même que l'urgence était là.
M. Guy Allouche.
Cependant, rien ne serait plus absurde que de vouloir opposer une éthique de
conviction à une éthique de responsabilité. Notre soutien au Gouvernement est
acquis, vous le savez, monsieur le ministre, mais nous n'entendons pas pour
autant faire taire certaines divergences. C'est pourquoi nous avons déposé
quelques amendements.
M. Jean Chérioux.
Des amendements d'éthique ou des amendements de conviction ?
M. Guy Allouche.
Nous sommes toujours convaincus de la nécessité d'aller plus avant sans pour
autant porter atteinte à l'équilibre du projet. Nous souhaitons que le
Gouvernement accepte d'autres abrogations, à tout le moins d'autres
modifications de fond.
Respectueux de l'Etat de droit, attachés à la protection des personnes et à
leurs libertés, et sans mettre en cause l'administration et ses personnels
compétents et dévoués, nous devons nous préserver de l'arbitraire
administratif, qui « a gagné du terrain » ces dernières années. En la matière,
il nous revient de redonner à la justice judiciaire, gardienne des libertés,
aux termes mêmes de la Constitution, la plénitude de son autorité.
De même, nous sommes soucieux de voir respecter la jurisprudence du Conseil
constitutionnel pour ce qui concerne la durée de la rétention administrative.
Certes, je n'ignore pas que le Gouvernement a retenu la suggestion du Conseil
d'Etat, qui, entre les dix jours actuels et les quatorze jours proposés, estime
que la rétention peut passer à douze jours. Nous en débattrons plus longuement
lors de la discussion de l'article auquel se rattache cette disposition, et je
m'efforcerai de vous convaincre.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Oh là !
M. Jean-Pierre Schosteck.
Ce sera difficile !
M. Guy Allouche.
Autant je suis convaincu de la nécessité de reconduire à la frontière,
d'éloigner du territoire national ceux qui n'ont pas vocation à y demeurer,
autant je doute que ces deux jours supplémentaires suffisent pour ce faire.
M. Jean-Pierre Schosteck.
Oui, nous aimerions avoir une réponse sur ce point.
M. Guy Allouche.
Pour conclure, monsieur le ministre, mes chers collègues, je dirai que la
sortie de l'impasse dans laquelle la France se trouve depuis une quinzaine
d'années passe d'abord par le changement du discours public. Aucune innovation
de l'action ne pourra faire l'économie de la vérité.
Alors que les conjoncturistes prévoient que, dans dix ou quinze ans au plus
tard, la France devra faire appel à de nouvelles vagues d'immigration, il est
urgent d'oser dire clairement que l'immigration ne sera jamais arrêtée.
Contrôlée, elle restera ouverte, dans le respect de nos valeurs et pour la
défense de nos intérêts, de façon limitée aux familles, aux conjoints, aux
réfugiés et à quelques dizaines de milliers d'étrangers qualifiés.
L'immigration est un grand sujet pour l'avenir, en aucun cas un problème du
passé. Cessons de regarder l'immigré comme un danger, considérons-le avant tout
comme un être humain digne de respect, qui peut être une richesse et un
défi.
Le Gouvernement a eu raison de changer, et vite, l'orientation de la politique
de l'immigration. Exprimées en termes de simple protection des flux
migratoires, les politiques menées en 1986, 1993 et 1997, essentiellement
répressives, ne pouvaient pas réussir parce qu'elles étaient sans avenir.
Le Gouvernement actuel - vous notamment monsieur le ministre considère que
l'une des solutions est à rechercher non pas au sein d'une forteresse que nul
n'assiège, mais dans une politique de codéveloppement durable entre le Nord et
le Sud. Il a choisi de passer d'une stratégie défensive, marquée par le souci
de nous protéger de la venue des étrangers, à une politique positive, digne,
parce que fondée sur les valeurs de la République, mais ferme.
C'est cette politique, porteuse d'avenir, que nous entendons soutenir.
(Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. le président.
La parole est à Mme Dusseau.
Mme Joëlle Dusseau.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la majorité
sénatoriale garde donc la même tactique.
Après le dépôt d'une motion référendaire sur la loi relative à la nationalité,
après la quasi-suppression, article par article, de cette même loi afin de
revenir à la loi Méhaignerie, vous avez décidé, mes chers collègues,
d'entreprendre une démarche similaire à propos de la loi sur le séjour et
l'entrée des immigrés en France et de revenir aux lois Pasqua et Debré.
M. Dominique Braye.
Bien sûr, on les a votées !
M. Jean Chérioux.
C'est logique !
M. Josselin de Rohan.
On ne va pas se déjuger !
Mme Joëlle Dusseau.
C'est une des spécificités du débat politique français : alors que nous sommes
tous d'accord sur le fait qu'il faut intégrer les étrangers présents sur notre
territoire et réguler nos flux migratoires pour aboutir à une immigration
clandestine zéro, les fantasmes, les calculs politiques, les
a priori
démentis par les faits conduisent la majorité sénatoriale à des positions que
je juge inquiétantes.
Oser dire, comme vous le faites, que la gauche agite le spectre du Front
national pour mieux affaiblir la droite relève d'une attitude sur laquelle on
ne peut que s'interroger.
Remettre en place la loi Debré, n'est-ce pas donner des gages au Front
national et donc tenter de récupérer son électorat ?
On ne peut que se poser une telle question.
M. Josselin de Rohan.
Vos amis sont élus avec leurs voix.
M. Jean-Pierre Schosteck.
Oui, soixante-dix !
Mme Joëlle Dusseau.
Cette tactique est d'autant plus étonnante qu'elle n'a pas été payante sur le
plan électoral, loin s'en faut, ...
M. Jean-Pierre Schosteck.
Si, pour vous !
Mme Joëlle Dusseau.
... comme l'ont montré les résultats des élections législatives, deux mois
après le vote de la loi Debré.
(Exclamations sur les travées du RPR.)
M. Jean-Patrick Courtois.
Vous avez raison, madame, pour nous, ce ne fut pas payant ! Mais pour vous, si
!
M. Jean Chérioux.
C'est un aveu !
Mme Joëlle Dusseau.
Et pourtant, on pouvait espérer que la droite sénatoriale, et la droite en
général, aurait compris combien certaines dispositions de ces lois sont
dangereuses.
(Protestations sur les mêmes travées.)
Soit ces dispositions constituent une atteinte à l'état de droit, soit
elles créent des catégories d'immigrés ni expulsables ni régularisables, soit,
sous prétexte de lutter contre l'immigration clandestine, ce sur quoi tout le
monde est d'accord, elles rendent plus difficiles, plus dures, plus incertaines
les conditions de vie des immigrés en situation régulière.
Je voudrais prendre un exemple un peu marginal, et aujourd'hui hors sujet.
M. Jean Chérioux.
Il ne peut être que marginal !
Mme Joëlle Dusseau.
Il porte sur les certificats d'hébergement.
Les dispositions les concernant - je me rappelle les longs débats que nous
avons eus à ce sujet à deux reprises - ont été considérablement durcis par la
loi Debré.
On a en effet oscillé entre le système antérieur à la loi Debré, avec
signature donnée par les maires, et celui qui fut adopté l'an dernier, selon
lequel l'accord ou le refus dépendait de l'administration préfectorale,
l'Office des migrations internationale, l'OMI, devant apprécier par des visites
sur place les conditions d'accueil, qui devaient être considérées comme «
normales ».
Au moment où sept millions de personnes vivent au-dessous du seuil de pauvreté
en France, je laisse à penser combien la notion de « normalité » peut varier
d'une catégorie sociale à l'autre !
C'est à cela, mes chers collègues, que vous voulezrevenir.
De même, vous voulez en revenir à l'obligation faite à l'étranger hébergé de
remettre le certificat d'hébergement aux services de police lors de sa sortie
du territoire. C'est cela, la loi Debré : une vision administrative,
tatillonne, réglementaire, policière, du séjour des visiteurs étrangers.
(Protestations sur les travées du RPR.)
C'est cela que vous voulez remettre en place !
M. Dominique Braye.
Et bien d'autres choses encore !
Mme Joëlle Dusseau.
Enfin, en rétablissant le texte de la loi Debré, mes chers collègues, vous en
revenez à la notion de fichier d'hébergeants, dont vous savez à quel point elle
a été l'objet d'une controverse et combien elle peut être dangereuse.
(Exclamations sur les travées du RPR.)
Etes-vous bien sûrs, les uns et les autres, au moment où vous allez voter
vos amendements de suppression, que vous souhaitez revenir à la situation
antérieure, c'est-à-dire à cela ?
M. Dominique Braye.
Oui !
M. Jean-Pierre Schosteck.
Oui, sans aucun doute !
Mme Joëlle Dusseau.
Sur cette question, d'ailleurs, monsieur le ministre, je voudrais vous dire à
quel point je suis satisfaite que vous ayez suivi les propositions de
l'Assemblée nationale.
M. Charles Pasqua.
Vous avez une groupie, monsieur le ministre !
(Rires.)
Mme Joëlle Dusseau.
A l'origine, ces certificats avaient été conçus pour faciliter les visites des
étrangers en France. Il avait même été dit en 1982 que le certificat
d'hébergement devait permettre à des étrangers à revenus modestes d'obtenir
plus facilement un visa.
M. Dominique Braye.
Et de pouvoir bénéficier des allocations familiales !
Mme Joëlle Dusseau.
Le moins que l'on puisse dire, c'est que, entre les refus des maires du Front
national et la gestion administrative de centaines de milliers de cas, on
oscillait entre un Charybde politique et un Scylla administratif, avec une
efficacité quasiment nulle.
Je crois donc que l'initiative de l'Assemblée nationale a été bénéfique, et
votre accord pour cette modification, sage.
M. Jean Chérioux.
Saluez, monsieur le ministre, saluez !
Mme Joëlle Dusseau.
Il est un certain nombre d'autres points de votre texte sur lesquels je veux
vous dire mon accord, monsieur le ministre. Il s'agit, selon moi, en l'espèce,
de véritables avancées non seulement par rapport à la situation législative
dont vous avez hérité - encore qu'elle n'ait guère eu le temps de passer dans
les faits, s'agissant de la loi Debré, grâce à la diligence du Président de la
République - mais aussi par rapport à la situation antérieure.
En ce qui concerne le droit d'asile, au titre duquel, nous le savons, les
entrées dans notre pays ont diminué de manière drastique au cours des dernières
années, je voudrais saluer une modification qui me paraît importante : la
notion, un peu littéraire mais fort belle, de « combattants de la liberté »,
...
(Sourires sur les travées du RPR.)
M. Dominique Braye.
L'angélisme le plus complet !
Mme Joëlle Dusseau.
... qui étend le bénéfice du droit d'asile aux hommes et aux femmes courant
des risques majeurs dans leur pays, que ces risques soient ou non liés au
gouvernement en place.
M. Josselin de Rohan.
Dans quels pays ?
Mme Joëlle Dusseau.
Permettez-moi, ici et en cet instant, d'avoir une pensée pour ce qui se passe
en Algérie,...
M. Dominique Braye.
C'est trop facile ! C'est indigne !
Mme Joëlle Dusseau.
... où la barbarie aveugle est passée de l'assassinat individuel
d'intellectuels, de journalistes, d'hommes et de femmes qui prenaient le risque
d'affirmer simplement leur attachement à la liberté,...
M. Dominique Braye.
Trop facile !
Mme Joëlle Dusseau.
... à des assassinats collectifs toujours plus monstrueux et horribles.
M. Dominique Braye.
Indigne !
Mme Joëlle Dusseau.
Permettez-moi d'évoquer aussi le sort des femmes d'Afghanistan, martyrisées,
lapidées, oubliées.
M. Dominique Braye.
C'est indigne d'utiliser de tels arguments !
Mme Joëlle Dusseau.
Oui, il est temps que notre pays réaffirme que les droits de l'homme ne sont
pas un slogan creux pour discours officiels, mais qu'ils sont une réalité
vivante.
(Très bien ! et applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur
les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et
citoyen.)
M. Jean Chérioux.
Vous étiez moins émue devant les Français d'Algérie quand ils sont rentrés
parce qu'ils n'avaient que le choix entre la valise et le cercueil !
Mme Joëlle Dusseau.
Autre point sur lequel je suis d'accord : la facilitation de l'accueil des
étudiants et des chercheurs,...
Mme Nelly Olin.
Oh, ça !
Mme Joëlle Dusseau.
... de tout ce qui permet de multiplier les échanges scientifiques et
professionnels. Cette ouverture au monde des étudiants, qui constitue un retour
à nos traditions, est, de plus, conforme aux intérêts de la France. On le sait
bien, les étudiants et les chercheurs d'aujourd'hui seront, demain, une fois
revenus chez eux,...
M. Jean Chérioux.
Ils ne veulent pas y retourner !
Mme Joëlle Dusseau.
... les cadres qui entretiendront des liens privilégiés avec notre pays.
J'exprimerai la même satisfaction en ce qui concerne l'âge, le minimum
vieillesse et les retraités.
La possibilité qui est offerte à ces derniers de percevoir leur retraite dans
leur pays d'origine et d'avoir un titre de séjour pour circuler en France - où
ils ont vécu parfois pendant des décennies, où ils comptent des amis et,
souvent, des membres de leur famille, notamment des enfants - me paraît tout à
fait positive. Sur ce point, vous avez même convaincu la majorité sénatoriale,
monsieur le ministre, ce qui n'est pas peu !
En revanche, je crois que certaines remarques techniques formulées par la
commission des affaires sociales ne sont pas dépourvues d'intérêt.
M. Jean Chérioux.
Ah !
Mme Joëlle Dusseau.
Des modifications positives sont aussi intervenues en ce qui concerne le
regroupement familial. En respectant l'esprit plutôt que la lettre des
conditions exigées des demandeurs en termes d'emploi et de logement, on fait
oeuvre d'humanité, ou simplement de bon sens, sans tomber dans le laxisme.
Je suis plus réservée sur l'exigence minimale du SMIC eu égard, d'abord, à
l'importance de ce que l'on appelle les « travailleurs pauvres », dans les pays
développés ; on sait que, en France, nombre de salariés ont un revenu inférieur
au SMIC. De plus, cette disposition ignore le fait que le conjoint entrant en
France peut alimenter le budget de la famille. Elle prend donc, à mon avis,
trop en compte le revenu initial de la personne qui fait venir sa famille.
Pour autant, ces avancées font-elles des lois Pasqua-Debré une coquille vide,
comme l'affirme le Gouvernement ? Je ne le crois pas. Pour ma part, c'est vrai,
j'aurais préféré l'abrogation de ces lois, ne serait-ce que sur un plan
symbolique, qui n'est pas forcément négligeable.
Je sais bien que, selon Gérard Gouzes, cela aurait représenté un chantier
législatif considérable : il aurait fallu refondre entièrement la législation,
travail de titan, selon lui. Par conséquent, dit-il et dites-vous, monsieur le
ministre, mieux valait « toiletter » les lois précédentes. Mais, à ne faire
qu'un toilettage des lois, on risque des oublis, ou on laisse en place des
dispositifs pour le moins discutables.
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
Madame Dusseau, me permettez-vous de vous
interrompre ?
Mme Joëlle Dusseau.
Je vous en prie, monsieur le ministre.
M. le président.
La parole est à M. le ministre, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
Je n'ai jamais employé le terme de « toilettage
». Je l'entends dans votre bouche, après l'avoir entendu dans la bouche
d'autres orateurs, mais je considère que ce terme n'est pas approprié.
Mme Joëlle Dusseau.
Monsieur le ministre, je retire ce terme très volontiers. Je croyais l'image
propre à faire comprendre ma pensée : on garde le cadre de la loi initiale en
ôtant les éléments qui paraissent les plus négatifs. Cette formulation vous
convient-elle mieux ?
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
Le terme toilettage s'applique à la gent
canine.
(Sourires.)
Mme Joëlle Dusseau.
Et féline !
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
S'agissant des lois dites « Pasqua » et « Debré
» - que l'on rapproche quelquefois abusivement, car, autant que je m'en
souvienne, M. Pasqua n'a pas jugé particulièrement utile de compléter son
dispositif ! - j'en réforme les aspects qui avaient été « pointés » par M.
Lionel Jospin pendant la campagne électorale ou, après qu'il fut devenu Premier
ministre, dans son intervention de politique générale ; c'est celle-ci qui
constitue le cadre dans lequel je me suis situé puisqu'il rassemble par
définition l'ensemble des partis de la majorité.
M. Charles Pasqua.
... plurielle !
(Sourires.)
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
Plurielle, en effet.
M. le président.
Veuillez poursuivre, madame Dusseau.
Mme Joëlle Dusseau.
Selon M. Gérard Gouzes, donc, mieux vaut réformer - puisque tel est le terme
qui convient - les lois précédentes. Toutefois, à se contenter d'une réforme de
ces lois, on risque des oublis ou on laisse en place des dispositifs pour le
moins discutables. C'est pourquoi j'aurais, pour ma part, préféré la solution
consistant à abolir ces deux lois, même s'il est un peu abusif, ainsi que vous
l'avez dit fort justement, monsieur le ministre, de les rapprocher. Pour
autant, je n'ai pas déposé d'amendement en ce sens.
Par ailleurs, je l'ai dit la semaine dernière, je regrette profondément que le
Gouvernement ait adopté une position frileuse concenant la loi sur la
nationalité et refusé de revenir à la loi de 1973. En effet, un certain nombre
de points me gênent, qui figuraient dans les lois précédentes et que vous
n'avez pas voulu supprimer, monsieur le ministre.
La loi Debré, par exemple, a prévu qu'il serait procédé à un relevé
systématique des empreintes digitales des détenteurs de carte de séjour et d'en
organiser le traitement automatisé. Un recours avait été déposé devant le
Conseil constitutionnel, qui n'avait accepté le principe d'un tel relevé
qu'avec des réserves.
Certes, cette disposition n'a pas été appliquée, le gouvernement précédent
n'ayant pas eu le temps de prendre les décrets d'application. Mais ces
dispositions figurent toujours dans le texte de l'ordonnance et elles me
paraissent particulièrement pernicieuses. C'est pourquoi je vous demande ce que
vous ferez sur ce point précis ; je compte, de toute façon, déposer un
amendement de suppression de cet article sur le relevé automatique des
empreintes digitales.
M. Josselin de Rohan.
Nous ne le voterons pas !
Mme Joëlle Dusseau.
Oh ! j'ai l'habitude d'être minoritaire dans notre assemblée, mon cher
collègue !
(Rires.)
En ce qui concerne la commission du titre de séjour, il est bon qu'elle ait
été rétablie, à l'initiative de l'Assemblée nationale. Cependant, en ne lui
donnant qu'un rôle consultatif, on abroge « Debré » pour en revenir à « Pasqua
». Il aurait été plus judicieux de revenir à la loi Joxe et de donner à la
commission un pouvoir délibératif. De plus, le fait que, sur les trois membres
de cette commission, l'un soit désigné par le préfet amoindrit encore son rôle
; je le regrette.
La rétention administrative est prolongée de deux jours dans certains cas, ce
qui est contestable, y compris au regard de la jurisprudence du Conseil
constitutionnel.
En revanche, ce projet de loi renforce les garanties de procédure en
obligeant, notamment, les procureurs de la République à informer du lieu de
détention la famille, les conseils, le consulat, et en autorisant le détenu à
bénéficier d'un conseil dès la première heure ; cela me paraît positif.
S'agissant de la possibilité, maintenue dans la loi, de retirer sa carte de
séjour à l'étranger qui emploie un travailleur immigré n'ayant pas lui-même de
carte de séjour, s'il faut lutter fermement contre le travail illégal, il faut
distinguer les situations.
L'expression « travail illégal » recouvre des réalités totalement différentes.
Il me paraît difficile d'amalgamer l'entreprise clandestine, celui qui va
repeindre l'appartement de son voisin et qui est payé au noir et celui qui
emploie au noir une femme de ménage ou une baby-sitter. C'est, bien sûr, à ce
type de travail clandestin que je pense ici. Il est condamnable ; chacun de
nous le condamne. Il est punissable par la loi, et c'est tant mieux, même s'il
n'est pas toujours facile de savoir si la personne que vous faites travailler
ainsi a ou non une carte de séjour en règle.
M. Jean Chérioux.
On sait bien si elle est inscrit à la sécurité sociale !
Mme Joëlle Dusseau.
Cependant, ajouter à la condamnation, nécessaire et générale, de la faute, une
seconde condamnation, le retrait de la carte de séjour, ne me paraît pas
justifié. Je l'ai condamné voilà un an ; je ne l'approuve pas plus
aujourd'hui.
Enfin, je tiens à attirer votre attention sur la référence récurrente dans le
texte - aussi récurrente qu'imprécise, car laissée à l'appréciation de
l'administration - au « trouble à l'ordre public », ou à la « menace à l'ordre
public ». Cette notion existait dans les textes antérieurs, mais elle s'est
généralisée avec les lois de 1993 et de 1997.
Il nous serait à tous assez insupportable que notre sort soit lié à des
notions aussi floues. Qu'est-ce qui, aujourd'hui, constitue une « menace à
l'ordre public » ? Et qu'en sera-t-il demain ?
Pour ma part, j'estime qu'il y a la loi, que l'on doit respecter, et la
justice, qui s'applique quand on ne respecte pas la loi. Ce fondement de l'état
de droit doit s'appliquer à tous ceux qui vivent régulièrement sur notre
territoire, d'autant que, on le sait bien, les immigrés d'aujourd'hui sont les
Français de demain, eux-mêmes souvent, leurs enfants presque toujours.
Dans ce domaine comme dans les autres, je suis attachée à l'égalité devant le
droit. Or, ici, ceux qui sont inégaux devant le droit, ce sont les plus
faibles.
Sur ce point aussi, j'ai exprimé mon opposition lors de la discussion de la
loi Debré. Je n'ai pas changé d'avis.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat sur l'immigration en
France a pris, en quelques années, un tour passionné, tant au Parlement que
dans le pays.
M. Jean Chérioux
Grâce à qui ?
Mme Joëlle Dusseau.
Grâce à vous, sûrement, monsieur Chérioux, il n'y a qu'à vous entendre !
M. Jean Chérioux.
Absolument pas !
Mme Joëlle Dusseau.
Derrière nos affrontements verbaux, il y a la crise, d'une part, et le vote
Front national, d'autre part. Et pourtant, nous savons bien à quel point, plus
que d'autres pays européens sûrement, la France a été faite de vagues
migratoires, à quel point cette diversité a renforcé son rayonnement et son
unité.
Zola serait-il aussi français s'il n'était né de parents italiens, ce que
d'aucuns ont su lui rappeler à l'époque ? Et Dumas ne doit-il pas une partie de
son fabuleux talent au fait qu'il avait une grand-mère haïtienne ?
M. Charles Descours.
Et Gambetta ?
(Rires sur les travées du RPR.)
Mme Joëlle Dusseau.
Cette intégration si fructueuse pour nous tous passe par des règles ; il faut
les respecter. Elle passe par une évidente et nécessaire maîtrise de
l'immigration, qui en douterait ? Elle passe aussi par un attachement très
ferme au respect du droit.
Votre projet de loi comporte un certain nombre d'avancées, que je salue,
monsieur le ministre. Il suscite aussi, en ce qui me concerne, sur un certain
nombre de points importants, des interrogations et des réserves ; j'aurai
l'occasion d'y revenir au cours de la discussion des articles.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pendant quelques
instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures quarante, est reprise à dix-sept
heures cinquante-cinq.)
M. le président.
La séance est reprise.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Duffour.
M. Michel Duffour.
Monsieur le ministre, vous avez souligné, en présentant votre projet de loi
dans plusieurs articles de presse, que « l'attitude du Gouvernement a consisté
à ne pas jeter de l'huile sur le feu ».
« Tous les maximalismes, avez-vous écrit, concourent à nourrir les fantasmes
sur le sujet de l'immigration, propice à toutes les chimères. Il vaut mieux
traiter de ces problèmes d'une manière responsable en faisant appel à la
raison. »
Vous savez que les parlementaires communistes, dans leur grande majorité,
attendaient de votre part des signes plus forts. Cela étant dit, nous pensons
comme vous qu'il est sage de se départir de tout parti pris et de penser les
solutions sur le long terme.
Les passions soulevées par le thème de l'immigration soulignent combien cette
question en appelle à l'idée que l'on se fait de la France, de ses atouts, de
son avenir.
Le souvenir du débat sur la nationalité est encore frais dans cet hémicycle et
nous restons effrayés par certains des amalgames qu'il a dévoilés. Vous avez,
mesdames, messieurs, censuré un texte par manque de confiance dans les atouts
de notre peuple.
Nous croyons, nous, en la capacité de la République à surmonter ses retards et
ses inadaptations, et à intégrer ceux qui sont sur notre sol et souhaitent se
fondre dans le creuset commun.
C'est cette question que nous allons, pour l'essentiel, de nouveau aborder.
D'autres défis considérables peut-être nous guettent. Des tragédies à
l'échelle de continents peuvent provoquer des migrations de masse. Mais
abordons le sujet sans fantasmes. Il est vain de jouer les Cassandre et d'être
un chantre du libéralisme. La financiarisation de l'économie mondiale cause en
effet plus de dégâts que les variations climatiques. La Thaïlande a ainsi
annoncé avant-hier l'expulsion prochaine d'un million d'étrangers.
Mettons donc fin au discours hypocrite qu'on entend trop souvent à droite et
qui feint de croire qu'un libéralisme économique à tous crins peut se conjuguer
à une quasi-fermeture des frontières.
Notre pays doit consacrer toute son énergie à l'émergence de nouvelles
coopérations entre les peuples, à la promotion en tous domaines d'un effort
d'intégration des populations les plus vulnérables, à faire respecter nos
meilleures traditions en matière d'accueil et d'aide.
La révolte, voilà dix-huit mois, d'une poignée d'hommes et de femmes devant
l'injustice faite à des étrangers privés de papiers et d'avenir, puis
l'exceptionnelle mobilisation du printemps contre l'article 1er de la loi Debré
ont été une chance pour la France.
Le réveil a été douloureux pour une partie de la classe politique mais le
sursaut a été salutaire. Ce mouvement a réaffirmé qu'en dépit de tentations de
repli l'idée est forte dans notre peuple que tous ceux qui vivent sur ce sol,
qui y ont été accueillis, qui le respectent, doivent être considérés comme
étant de ce sol.
C'est bien pourquoi nous estimons que le moment est venu de concevoir une
politique nouvelle et ambitieuse en matière d'immigration. L'abrogation des
lois d'août 1993 et d'avril 1997 est apparue à beaucoup, dont nous sommes,
comme un passage obligé. Nous avons entendu, monsieur le ministre, votre souci
de ne pas placer durablement l'immigration au centre du débat politique et vos
craintes d'un vide juridique. Mais là n'était pas notre intention. Il nous
paraît indispensable d'inverser les tendances, s'agissant des points sur
lesquels, sous la pression forte de thèmes chers à l'extrême droite, des
responsables de grands partis politiques en sont venus à prendre le contre-pied
de mesures qu'ils avaient eux-mêmes votées. La crédibilité de notre pays en a
été affectée. Des personnes que rien ne poussait à la clandestinité y ont
versé. C'est une remise à plat d'ensemble que nous appelions de nos voeux. Nous
sommes partie prenante pour ce travail.
Le Gouvernement a hérité, en juin, d'un lourd passif. Comment oublier que
l'arsenal législatif « musclé » mis en place s'est trouvé constamment aux
limites de l'atteinte aux droits de l'homme ?
(Protestations sur les travées
du RPR.)
M. Jean Chérioux.
Vous êtes, vous, un spécialiste des droits de l'homme !
M. Michel Duffour.
Aux limites, ai-je dit. Mais j'ai entendu certains d'entre vous se féliciter
de n'avoir pas été censurés à l'époque. Cela signifie bien que vous craigniez
bien d'être aux limites et que vous avez flirté avec celles-ci...
(Nouvelles
protestations sur les mêmes travées.)
M. Jean-Pierre Schosteck.
Vous avez été longtemps des thuriféraires s'agissant de ce type de
comportement !
M. Michel Duffour.
... alors que, dans le même temps, aucune idée neuve n'a amélioré notre
politique de coopération avec les pays du Maghreb et de l'Afrique noire ou que
la fermeté vis-à-vis du travail clandestin - qui ne concerne pas que les seuls
travailleurs immigrés - n'a été que tiédeur et complaisance pour cause de
flexibilité, de déréglementation et de compressions salariales.
L'objectif d'« immigration zéro », irréaliste et inefficace, a été un leurre,
mais a pesé sur les esprits et a fait passer ce qui était marginal pour
l'essentiel.
Tout cela a contribué à entretenir une atmosphère malsaine, dont l'extrême
droite fait son miel.
Le projet de loi est donc, selon nous, une avancée sensible par rapport à la
législation antérieure. Un grand nombre de mesures auront des effets bénéfiques
par une approche plus réaliste et plus soucieuse du respect des droits de
l'homme pour l'entrée et le séjour des étrangers sur notre territoire.
Dans le même temps, ce texte suscite des réserves au sein de notre groupe. Les
limites volontaires qu'il s'assigne, l'absence de mesures concomitantes sur le
codéveloppement, qui fait par ailleurs l'objet de travaux, mais qui manque dans
cet exposé, vos références au travail mené conjointement avec vos collègues
chargés de l'emploi, de l'éducation, des affaires étrangères, mais qui ne sont
pas matérialisées font d'autant ressortir le traitement parcellaire de mesures
de sécurité, certes indispensables, mais qui ne relèvent pas des seuls immigrés
ou le manque de contrepoids à une administration qui n'a rien à craindre d'une
collaboration avec des associations ou d'autres structures.
Tout cela empêche d'adhérer pleinement à ce texte, qui aurait pu remettre plus
en cause, de manière précise et concrète, ce que l'on considère, dans
l'ordonnance de 1945 revue et corrigée par les lois Pasqua et Debré, comme des
éléments de défiance vis-à-vis de la population étrangère.
Nous présenterons des amendements sérieux, mais en nombre limité. Nous
souhaitons être entendus, monsieur le ministre.
La plupart des élus de notre groupe détiennent un mandat dans des villes où
l'immigration est importante. Je ne prétends pas que cet ancrage suffise à
juger du vrai et du faux, mais on ne peut nous suspecter d'irréalisme. Nous
travaillons dans des quartiers avec des associations d'immigrés, composées le
plus souvent de gens admirables ; nous épaulons des jeunes en quête de
reconnaissance ; nous promouvons des actes forts d'intégration ; nous
n'ignorons pas la montée d'idées xénophobes dans une partie de la population,
mais nous y résistons.
Le projet de loi qui nous est proposé, enrichi par les amendements qui ont été
adoptés à l'Assemblée nationale, nous convient sur plusieurs points.
La suppression des certificats d'hébergement, l'obligation de motiver le refus
de visas pour des catégories qui remplissent les conditions requises pour
l'obtention d'un titre de séjour sont des mesures positives. Bien que nous
ayons le souci de ne pas voir se multiplier des titres temporaires pouvant
priver, à terme, certains étrangers d'une carte de résident plus stable, nous
nous félicitons tout particulièrement de la création d'un titre de séjour « vie
privée ou familiale », qui donnera plus de souplesse à la régularisation des
situations inextricables, d'un accès au droit de séjour pour les malades et,
bien évidemment, d'une carte de dix ans pour les retraités.
Même si nous estimons que les aléas du marché du travail et la cherté du
logement font de tout verrou opposé au regroupement familial un obstacle
souvent inhumain, les mesures d'assouplissement prévues par le projet de loi
sont appréciables. Le projet enrichit la notion d'asile. Cela correspond à la
vocation de la France. Nous espérons que l'application de ces principes sera à
la hauteur des attentes. Monsieur le ministre, nous approuvons votre sévérité à
l'encontre des bandes qui vivent de l'immigration clandestine et s'enrichissent
par le commerce du malheur et, dans le même mouvement, le refus de sanctionner
la démarche d'un proche ou d'une association venant en aide de manière non
lucrative à un étranger en situation irrégulière.
Je n'énumère pas nos réserves. Nous les exposerons par quelques amendements.
Toutes les demandes de visa déboutées devraient, selon nous, comporter les
motivations de refus. Le travail pour les consulats deviendra-t-il trop lourd ?
Probablement, mais la mesure peut être progressive. La France est souveraine,
nous dit-on, dans l'octroi ou non de ses visas. Mais l'image de notre pays, si
nous donnons l'exemple d'une plus grande transparence, n'en sera-t-elle pas
largement bénéficiaire ?
Si le rétablissement de la commission départementale de séjour est une mesure
positive, le texte en l'état reste insuffisant. En effet, nous estimons, comme
de nombreuses personnalités, que son avis, lorsqu'il est positif, devrait lier
le préfet. Est-ce une mesure de défiance envers l'administration ? Nullement.
Il reste qu'il faut éviter de la rendre trop omniprésente et puissante. M.
Stéphane Hessel qui a pris, par ailleurs, position pour le projet de loi admet
avoir une inquiétude sur la grande marge d'appréciation laissée aux
administrations. « Même empreintes de la meilleure volonté du monde, nous
savons bien qu'elles sont parfois tatillonnes », a-t-il écrit dans
Le Nouvel
Observateur.
Enfin, nous souhaitons une législation entièrement fondée sur les droits, et
non sur les interdictions. Si l'allongement du délai de recours concernant un
arrêté de reconduite à la frontière et, en particulier, l'institution d'un
délai de sept jours lorsque cet arrêté est notifié par voie postale sont des
mesures positives, nous ne comprenons toujours pas les raisons de
l'augmentation de la durée de rétention. Fallait-il également maintenir tous
ces rappels sur les fouilles et contrôles d'identité ? Cette interrogation
n'est pas motivée par un doute sur le bien-fondé des efforts à fournir contre
les grands délinquants. Mais ce n'est pas de cela qu'il s'agit, on le sait
bien. En l'occurrence, ce sont des jeunes, des jeunes de souche immigrée qui
sont, en règle général, harcelés. Nous préférerions légiférer en partant d'une
réflexion fondée sur la citoyenneté, l'égalité et défendant les droits en les
faisant respecter.
La machine française à intégrer a-t-elle des ratés ? Sans aucun doute ! Il est
dur d'intégrer quand 11 % de la population vit dans une grande pauvreté. Un
immense effort est à faire en tous domaines. Nous pensons que ce Gouvernement,
à la différence de ceux qui l'ont précédé, en a la volonté.
Nous souhaitons la mise en place rapide d'une politique de codéveloppement.
Elle ne réussira que si l'ambition de faire du neuf est au rendez-vous. Il ne
suffira pas de juxtaposer des projets. Comme l'indique avec raison votre
conseiller, M. Sami Naïr, « il faut passer d'une politique classique d'aide ou
de coopération à des stratégies communes de codéveloppement avec un certain
nombre de pays, surtout ceux de l'espace francophone ». Cela demande, bien
évidemment, de changer des habitudes.
Notre pays ne manque pas d'atouts pour imaginer une politique neuve dans le
domaine de l'immigration, une politique responsable, hardie dans ses efforts
d'intégration, respectueuse des droits et des devoirs de chacun. Une partie de
nos concitoyens, c'est vrai, qui se sentent délaissés, ne croient plus que l'on
puisse bâtir du neuf, reprennent des thèmes de peur, de repli, ressassés par
l'extrême droite. Heureusement, notre peuple, ce sont aussi des citoyens qui se
dévouent dans des associations, des syndicats, des mouvements caritatifs ou
qui, tout simplement, font acte de solidarité au jour le jour avec les plus
démunis, les plus faibles, dans leurs activités professionnelles. La vraie
majorité de ce pays, n'en déplaise à la droite, est de ce côté-là. Il est
indispensable de s'appuyer sur ce potentiel de dynamisme pour aller de
l'avant.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen,
ainsi que sur les travées socialistes et sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Pasqua.
(Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Jean-Pierre Schosteck.
Enfin des choses sérieuses !
M. Claude Estier.
Pasqua : le retour !
(Rires.)
M. Charles Pasqua.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est une
tradition que tous les anciens ministres de l'intérieur respectent à observer
une sorte de délai de viduité et à ne rien faire qui puisse gêner dans
l'exercice de ses fonctions, dont on connaît les difficultés et les
contraintes, celui qui vous a succédé. Cette tradition, je l'ai moi-même
respectée. Ce délai est aujourd'hui largement écoulé. Je monte à la tribune à
la demande du groupe du Rassemblement pour la République, compte tenu des
fonctions qui furent les miennes, pour souligner et dénoncer les dangers que
les textes qu'il vous appartient de défendre, monsieur le ministre, au nom de
M. Jospin, font peser sur l'avenir de la nation et de la République.
Le Gouvernement a choisi de proposer de modifier la législation sur
l'immigration, le droit d'asile et la nationalité. N'avait-il donc pas d'autre
priorité ?
M. Alain Vasselle.
Il faut poser la question !
M. Charles Pasqua.
Et vous-même, monsieur le ministre, n'avez-vous pas d'autres préoccupations,
d'autres soucis ? Le chômage, la précarité, l'exclusion, les violences, la
monté de l'anarchie... ces problèmes-là sont d'une autre gravité.
M. Alain Vasselle.
Tout à fait !
M. Charles Pasqua.
Ils nuisent aux droits fondamentaux, ils compromettent la vie de millions de
gens.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Cela vous va bien !
M. Charles Pasqua.
Voilà la réalité. Ce que les Français vivent est autrement plus important que
le désir du Gouvernement de satisfaire à l'idéologie et à la démagogie.
(Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Dominique Braye.
Bravo !
M. Charles Pasqua.
Non pas que les problèmes liés aux conditions d'entrée et de séjour des
étrangers en France soient ignorés des Français.
Voilà bientôt vingt ans que la question de l'immigration a envahi notre vie
politique. Au même moment, ou presque, notre pays sortait d'une longue période
de croissance, les « Trente glorieuses », pour entrer dans une crise qui allait
se révéler tout aussi durable. La mise en parallèle de ces deux phénomènes
allait donner naissance à une force politique nouvelle, aux arguments sommaires
et au discours brutal...
M. Alain Vasselle.
Eh oui !
M. Charles Pasqua.
... force dont la pérennité, si elle doit beaucoup à la malice politique -
vous voyez ce que je veux dire, monsieur le ministre - démontre cependant
l'ampleur du problème de l'immigration, parce qu'il se situe au centre de
celui, plus large, d'une identité française malmenée de toutes parts.
Nous sommes en effet, ici, au coeur de l'idée que l'on peut se faire de la
nation française, sur laquelle, je le sais, monsieur le ministre, nous n'avons
pas, vous et moi, une conception radicalement différente.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Une valeur commune !
M. Charles Pasqua.
Mais les idées sont une chose, et les projets de loi issus des délibérations
gouvernementales en sont une autre. Celui que vous nous présentez, au nom du
Premier ministre, va radicalement à l'encontre de cette conception, appelons-la
« républicaine », pour en privilégier une autre que l'on peut qualifier de «
communautariste ».
Certes, on n'y va pas aussi franchement que Jacques Attali, qui, dans
Le
Monde
du 4 mars 1997 - vous voyez que je ne remonte pas aux calendes
grecques - écrivait que « l'avenir sera en fait à la multi-appartenance
»,...
M. Christian Poncelet.
Voilà !
M. Charles Pasqua.
... « facteur de tolérance, et même à la multi-allégeance, facteur de
démocratie ».
M. Josselin de Rohan.
C'est un aveu !
M. Charles Pasqua.
Je pense que vous ne partagez pas les propos éthérés de M. Attali. Mais quoi
que l'on en dise, c'est pourtant bien à ce type d'opinion que ce projet de loi
donne satisfaction.
MM. Josselin de Rohan et Philippe François.
Eh oui !
M. Charles Pasqua.
Deux voies, et deux voies seulement, s'ouvrent depuis toujours à la France,
s'agissant des étrangers qui souhaitent s'installer sur son sol : celle de
l'assimilation et celle du fractionnement en communautés.
Je sais bien que l'on n'ose plus employer le terme « assimilation » et que
l'on préfère celui d'« intégration ». Mais les deux ne se confondent pas, vous
le savez : l'intégration se satisfait d'une juxtaposition paisible ;
l'assimilation suppose au contraire un mélange plus intime, dans lequel les
apports nouveaux prennent, en quelque sorte, la nature de ce à quoi ils sont
incorporés. Un grand écrivain ne disait-il pas d'ailleurs qu'« émigrer, ce
n'est pas seulement changer de pays, c'est changer d'histoire » ?
« La France marche au mélange », avez-vous déclaré devant l'Assemblée
nationale, monsieur le ministre. Je note d'ailleurs que vous étiez beaucoup
plus disert et pédagogue à l'Assemblée nationale que dans cet hémicycle.
(Sourires.)
Mais je reconnais qu'il s'agissait du premier examen du
texte. En tout cas, je crains que le mélange que l'on nous concocte ne se
révèle à terme explosif.
Eh oui ! l'assimilation est la politique traditionnelle de la France, ce qui
expliquait - vous le savez bien - son droit de la nationalité. Assimilation
dont l'école et l'armée, à qui l'on doit le droit du sol en même temps que le
service militaire, en 1889, étaient les bras séculiers.
Curieusement, dans les déclarations du Gouvernement, on n'emploie jamais ce
mot auquel on préfère celui d'« intégration ». « Le vrai sujet, »
déclariez-vous, monsieur le ministre, en présentant votre projet de loi, «
c'est l'intégration, c'est l'accès à la citoyenneté ». Vous paraphrasant, je
dirai, pour ma part, que le vrai problème, c'est l'assimilation, c'est-à-dire
l'accès à la nationalité, dont la citoyenneté, selon notre Constitution, est
indissoluble.
(Très bien ! sur les travées du RPR.)
Je crains que ce ne
soit avec ce principe que tendent à rompre les textes qui nous sont
proposés.
On a abandonné la référence nationale, le modèle français, au profit d'un
principe humanitaire universel, comme si la France, terre d'asile de par sa
volonté propre, avait du même coup la vocation et le devoir d'accueillir tous
les êtres humains qui ont de bonnes raisons - nul ne le conteste - de ne pas se
sentir à l'aise chez eux.
Droits nouveaux, automatiques, offerts de manière assez floue, mais très
large, de plein droit, à de nouvelles catégories d'étrangers, pour des motifs
politiques, sanitaires ou sociaux, droits joints à l'élargissement sans limite
du regroupement familial, le tout cumulé avec le code de la nationalité le plus
favorable aux étrangers de toute l'Union européenne, voilà qui va faire de
notre pays une nouvelle frontière pour tous les malheureux, un havre pour tous
les infortunés de la terre.
M. Alain Vasselle.
Eh oui !
M. Charles Pasqua.
Quand on sait que le nombre de candidats potentiels à l'immigration se
chiffre, disons, par millions, on voit où peut conduire, le monde étant ce
qu'il est, la moindre concession à une utopie, c'est-à-dire à un monde
imaginaire que Romain Rolland, qui était plutôt de votre bord politique,
monsieur le ministre, décrivait déjà ainsi : « paix universelle, fraternité
mondiale, progrès scientifique, droits de l'Homme, égalité naturelle », en le
qualifiant lui-même « d'utopie à la française ».
Monsieur le ministre, on a parfaitement le droit d'espérer que le xxie siècle
verra cette utopie devenir réalité ; mais peut-on raisonnablement y croire ? Si
oui, alors il faut voter votre projet de loi des deux mains et, plus encore,
renoncer à notre force de frappe, démanteler notre armée, recycler la police,
et ainsi de suite !
Le doute est cependant permis, convenez-en.
M. Josselin de Rohan.
Eh oui !
M. Charles Pasqua.
Dès lors, il faut maintenir les règles qui permettent à notre pays
d'accueillir qui il veut et non pas qui le veut.
M. Alain Vasselle.
Très bien !
M. Charles Pasqua.
Ces règles permettaient d'ailleurs d'accueillir autant d'étrangers que nous le
souhaitions, et un gouvernement de gauche pouvait les appliquer différemment
d'un gouvernement de droite.
M. Alain Vasselle.
Tout à fait !
M. Charles Pasqua.
Mais la France, en toute hypothèse, conservait la maîtrise de sa politique
d'immigration, alors qu'elle risque d'être condamnée à subir celle des
autres.
On inverse la charge de la preuve, et tout étranger est désormais présumé
souhaité sur le territoire national.
(M. le rapporteur opine.)
Cela n'a
jamais été la tradition de la France, ni sous la monarchie ni sous la
République, quel que soit son numéro d'ordre.
On fait semblant de croire, monsieur le ministre, que la tradition de la
France, sa raison d'être, comme vous l'avez dit vous-même, je crois, serait
d'accueillir toujours et encore de nouveaux arrivants qu'il conviendrait de
transformer par un coup de baguette magique en bons citoyens français. La
preuve que notre nation serait éternelle et notre république vivante, un peu
comme une religion, serait ainsi leur capacité à recruter toujours plus de
nouveaux fidèles.
« Voilà le vrai sujet : la France croit-elle encore suffisamment en son
destin, a-t-elle encore assez de confiance en elle-même, est-elle encore
capable de donner sens à son histoire pour continuer à intégrer de nouveaux
Français ? », avez-vous dit au Palais-Bourbon, monsieur le ministre.
Je rappelle qu'il s'agit d'un texte sur l'immigration et non sur la
nationalité. Il parle donc bien d'étrangers qui souhaitent venir chez nous en
plus de ceux qui sont déjà sur notre territoire. Il parle donc -
reconnaissez-le, monsieur le ministre - d'une nouvelle vague d'immigration qui
serait tout à l'honneur de la France dans l'esprit du gouvernement auquel vous
appartenez.
En théorie, d'ailleurs, peut-être y aurait-il bien de la reconnaissance à
attendre pour la France si elle entendait devenir tout à la fois le refuge, le
lazaret et le
home
d'enfants de l'humanité tout entière ! Mais en
pratique, on voit bien les conséquences dévastatrices qu'aurait ne serait-ce
que le début du commencement de l'application de ces libéralités dans un pays
déjà traumatisé par la situation actuelle. Et en la matière, je ne crois pas
que l'on puisse guérir le mal par le mal ; le mal, par lui-même, est déjà grand
!
M. Philippe François.
Tout à fait !
M. Charles Pasqua.
Peut-être le Gouvernement ne s'en rend-il pas bien compte, mais c'est une
mécanique infernale qui est en train de se monter.
Premier temps, on ouvre grandes toutes les portes : droit d'asile accordé
désormais non plus à des individus mais, de fait, à des populations entières,
droit aux soins, droit pour quiconque aura travaillé si peu que ce soit en
France d'y prendre sa retraite, droit aux études.
Deuxième temps, le droit au regroupement familial, avec droit au travail, est
accordé en même temps que le droit au séjour ; les conditions de ressources, de
logement deviennent dérisoires ; les contrôles sont supprimés.
Mme Joëlle Dusseau.
Ce n'est pas vrai !
M. Charles Pasqua.
Troisième temps, l'accès automatique à la nationalité dès lors que naît un
enfant sur notre territoire, conséquence naturelle du regroupement familial,
vient couronner le tout. On voit mal ce qui dissuaderait dans ces conditions
les candidats à l'émigration ! Ces lois seront au contraire perçues comme un
appel par tous ceux que la misère pousse à s'expatrier.
M. Alain Vasselle.
Eh ! oui !
M. Charles Pasqua.
Le projet de loi relatif à l'entrée et au séjour des étrangers en France et au
droit d'asile constitue ainsi une excellente illustration des illusions comme
des contradictions du gouvernement auquel vous appartenez. Vous qui êtes, je le
sais, un ministre authentiquement républicain, vous êtes conduit à donner des
gages à une majorité plurielle, mais ô combien singulière dans ses erreurs, et
à céder à des tentations électoralistes que, j'en suis sûr, dans le fond de
votre coeur, vous devez déjà regretter tant ce gouvernement s'est trompé dans
l'ordre des priorités.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du
RPR et de l'Union centriste.)
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
Monsieur Pasqua, me permettez-vous de vous
interrompre ?
M. Charles Pasqua.
Je vous en prie.
M. le président.
La parole est à M. le ministre, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
Je voudrais dire à M. Pasqua que je l'écoute
toujours avec beaucoup d'intérêt, surtout quand il cite les discours que j'ai
prononcés à l'Assemblée nationale.
(Sourires.)
J'ai parlé, en effet, de la capacité de la France à intégrer des étrangers qui
sont déjà en France ; je n'ai pas du tout évoqué une nouvelle vague
d'immigrants, et j'ai dit tout à l'heure que notre politique devait consister à
proportionner l'admission au séjour aux besoins du pays et à sa capacité
d'intégration, le cas échéant.
M. Dominique Braye.
La capacité est déjà dépassée !
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
C'est dire à quel point je me tiens près des
réalités.
J'écoute néanmoins M. Pasqua avec plaisir - je dois le dire - car, pour
raconter des histoires marseillaises, il n'a pas d'égal !
(Rires et
applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées
du RDSE. - Protestations sur les travées du RPR.)
M. Dominique Braye.
C'est inadmissible !
M. le président.
Veuillez poursuivre, monsieur Pasqua.
M. Charles Pasqua.
Monsieur le ministre, vous avez décidément plus mal fini que vous n'aviez
commencé votre propos. Ce genre d'humour me paraît déplacé à la fois dans la
bouche d'un membre du Gouvernement et dans cette assemblée.
M. Philippe François.
Tout à fait !
M. Alain Vasselle.
Surtout dans le contexte !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
On a de l'humour, au Sénat !
M. Charles Pasqua.
Surtout vous, monsieur Dreyfus-Schmidt !
(Rires sur les travées du RPR.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Merci !
M. Charles Pasqua.
J'ai pour vous de l'estime et de la considération, monsieur le ministre, mais
je regrette de ne pouvoir étendre cette estime au texte que vous présentez.
Cela étant, j'avais relevé moi-même que, s'agissant de l'intégration, je
faisais référence aux propos que vous avez tenus à l'Assemblée nationale ;
j'avais noté également que vous avez tenus ces propos à l'occasion de l'examen
d'un texte consacré aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en
France. Il s'agit d'un texte concernant l'immigration.
Mais je ne vous soupçonne pas de mauvaises intentions, monsieur le ministre.
Je crains malheureusement que vous ne soyez dans un mauvais attelage. Mais
cela, c'est un autre problème !
(Rires et applaudissements sur les travées du RPR.)
Je disais donc que la société française, malade d'une trop longue crise
sociale et économique, est condamnée à subir un appel d'air favorisant une
immigration nouvelle qui va aggraver ce terrible malaise. Ce débat national -
justement passionné, car le sujet est essentiel - est conduit en toute
irréalité - notre excellent rapporteur M. Masson le faisait d'ailleurs
remarquer tout à l'heure - puisque, dans le même temps, la France signe des
engagements dans lesquels elle se départit de sa souveraineté en la matière.
Je reconnais bien volontiers que ces engagements ont été également pris par
d'autres avant vous ; mais cela n'enlève rien à la responsabilité de ce
gouvernement-ci, qui les a fait siens.
M. Paul Masson,
rapporteur.
Très bien !
M. Charles Pasqua.
Calcul politique, risque pour la communauté nationale, renoncement aux
prérogatives de la France : voilà bien, dans l'ordre, la combinaison que nous
prépare le Gouvernement.
M. Josselin de Rohan.
Eh oui !
M. Charles Pasqua.
En ce qui concerne tout d'abord le calcul politique, le projet de loi qui nous
est proposé se veut une loi refondatrice de la politique d'immigration ; mais
ce n'est qu'un texte de circonstance ! C'est vrai, on eût pu placer ce débat en
dehors des joutes électoralistes ; mais il eût fallu que le Gouvernement le
présentât après les prochaines échéances du printemps. Mais non ! Digne
successeur, sur ce point, de François Mitterrand, M. Jospin continue à
alimenter l'allié naturel et solide que constitue, pour lui, le Front national.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union
centristre, ainsi que sur certaines travées des Républicains et Indépendants. -
Protestations sur les travées socialistes.)
M. Claude Estier.
Assez !
M. Jean-Pierre Schosteck.
Vous leur devez soixante-dix députés !
M. Dominique Braye.
On comprend que cela vous dérange.
M. Claude Estier.
Ecoutez M. Blanc !
M. Charles Pasqua.
Le jeu est terriblement dangereux ; c'est celui qui marque les épousailles des
vierges effarouchées et des démons maléfiques.
(Rires sur les travées du
RPR.)
Bref, c'est celui qui, naguère comme aujourd'hui, joue tant et si
bien avec la République qu'il finit par la mettre en danger.
Il fallait donc s'attaquer aux lois dites « Pasqua-Debré » pour continuer à
alimenter le fonds de commerce de l'extrême-droite...
M. Alain Vasselle.
Tout à fait !
M. Charles Pasqua.
... et, dans le même temps - miracle de la dialectique socialiste ! - donner
des gages à l'extrême-gauche. M. le ministre de l'intérieur s'est retrouvé
embarqué dans la machine électorale de M. le Premier ministre ; il a essayé -
je n'en doute pas - de garder l'essentiel ; il n'a pu sauver que l'accessoire
et n'a pu produire qu'un texte dont les velléités républicaines maquillent mal
l'affaissement de la volonté nationale.
(Très bien ! et applaudissements sur
les travées du RPR et de l'Union centriste ainsi que sur certaines travées des
Républicains et Indépendants.)
A l'identique, comme en 1981 et en 1988, sur ce sujet si grave, on a cédé aux
caricatures et aux images stéréotypées de la gauche moralisante. Peu importe
les réalités des lois dites « Pasqua-Debré », peu importe leur efficacité, peu
importe le sentiment véritable des Français que nul n'ignore, il faut
s'attaquer à des symboles, au risque de déstabiliser l'action de l'Etat et
d'obérer l'avenir du pays.
C'est ainsi qu'un républicain d'ordre comme vous, monsieur le ministre de
l'intérieur, de calcul en illusion et d'illusion en gage, en vient à cautionner
une opération de ce type. L'orchestration de celle-ci - car M. Jospin sait, à
défaut d'autre chose, faire de la propagande - a commencé avec l'opération des
« sans-papiers ».
Revenons, mes chers amis de la majorité sénatoriale, à un peu de réalisme
politique et ne nous laissons pas piéger par les mots de l'adversaire. «
Sans-papiers », c'est le mot de gauche pour désigner un clandestin. Mais vous
noterez qu'il a une connotation tout autre : il indique que le clandestin a
comme été privé d'un droit, ou qu'il aurait perdu un statut, comme un sans-abri
ou un sans-emploi.
(Marques d'approbation sur les travées du RPR.)
Lorsque l'on a compris cela, on a compris le fond de la philosophie socialiste
sur cette question !
(Applaudissements sur les mêmes travées.)
M. Dominique Braye.
Bravo !
M. Charles Pasqua.
Je reconnais que c'est parfaitement le droit de nos collègues socialistes,
d'ailleurs !
Il y a un droit à l'immigration et il y a un devoir pour la France de
l'accueillir. Eh bien ! moi, je pense qu'il y a un droit pour la France comme
pour tous les pays du monde de concevoir l'immigration en fonction de son
intérêt propre et de celui de ses nationaux !
C'est à la France et à elle seule de décider librement du nombre et de la
qualité des étrangers qu'elle souhaite accueillir. Tel est le principe avec
lequel vous allez rompre.
M. Alain Vasselle.
Eh oui !
M. Charles Pasqua.
Calcul politique, risque pour la communauté nationale ensuite : nous
subissons, en effet, une forte pression migratoire, et celle-ci ira
croissant.
Aujourd'hui moins encore qu'hier, je le redis, l'espoir d'une vie meilleure,
qui est le moteur de l'émigration pour des raisons diverses, ne peut trouver
son débouché naturel dans notre pays. Tout simplement parce que la crise
sociale, le chômage de masse plongent la France dans de terribles risques
d'implosion de toutes ses institutions sociales.
Regardons en face cette réalité du chômage de masse, regardons en face les
sept millions de personnes sans emploi ou en sous-emploi, regardons en face la
situation dans nos villes, dans nos banlieues, dans nos écoles. Ayons ce
courage-là, et déjà l'on comprendra mieux les risques d'ajouter à nos problèmes
déjà considérables ceux de tous les autres réunis.
Pour prendre sa part, toute sa part, aux malheurs du monde par son action dans
les pays éprouvés, la France ne saurait pour autant ouvrir son territoire à
toutes les populations concernées. Telle n'est peut-être pas votre intention,
mais tel sera le résultat des lois que vous nous présentez, monsieur le
ministre.
La pression migratoire à laquelle nous sommes confrontés nécessite plus que
jamais une politique qui agisse à la source du flux comme à son arrivée, ainsi
que l'ont dit un certain nombre de nos collègues.
Sur ce point, nous sommes tous d'accord : la pression migratoire exige une
véritable aide au développement dans les pays d'origine ; mais elle a de même
besoin d'un sas tout aussi véritable chez nous pour dissuader l'immigration que
nous ne souhaitons ni ne pouvons accueillir et,
a fortiori,
pour
endiguer l'immigration clandestine.
Sans vouloir entrer dans un détail inutile, qu'il ne m'appartient d'ailleurs
pas d'examiner, je me dois cependant, à la suite du président de la commission
des lois, M. Jacques Larché, de notre excellent rapporteur, M. Masson, et de M.
Vasselle, de signaler les dispositions qui, dans le projet du Gouvernement,
vont faire sauter les verrous que nous avions placés pour juguler les entrées
abusives sur le territoire.
L'instauration d'une carte de séjour de plein droit au titre du regroupement
familial donnant droit à l'exercice d'une activité professionnelle va d'autant
plus favoriser l'immigration que le conjoint irrégulier sera ainsi régularisé
et aura droit au travail.
Après la création de cette carte de situation personnelle et familiale
s'appuyant sur l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits
de l'homme et des libertés fondamentales, vous verrez, soyez-en certains,
multiplier les recours. En pratique, arguant des droits à la vie de famille et
des droits de l'enfant, tout irrégulier ayant une famille aura vocation à
l'installer dans notre pays. Je ne dis pas que cela n'est pas humainement
généreux, je dis que cela n'est adapté ni aux difficultés de la nation ni à
l'ampleur des pressions migratoires.
Tout se passe comme si, par une large ouverture de notre droit, le projet de
loi s'employait à réduire le nombre des clandestins... en en faisant des
réguliers. Ainsi faut-il dénoncer cette très grave perversion du droit
républicain, qui reconnaît que, désormais, conjoints, séparés ou non, frères et
soeurs, concubins, associations, ont le droit d'aider à l'entrée irrégulière
sur notre territoire.
En fait, le Gouvernement met en place un droit massif au regroupement familial
qui est étendu à tous les enfants des conjoints, ce qui ne manquera pas
d'étendre les possibilités dans le cas de polygamie dans le pays d'origine et
de poser de multiples problèmes d'interprétation des délégations d'autorité
parentale.
Ainsi, un étranger entré avec un visa touristique et ayant, pendant son
séjour, épousé une Française aura le droit de travailler, ce qui va évidemment
multiplier les fraudes au mariage.
L'instauration d'une carte de séjour pour les chercheurs peut être une bonne
chose pour attirer des scientifiques de haut niveau dans notre pays, mais une
définition trop générale entraînera une multiplication des étudiants qui
poursuivent leurs études... sans jamais les rattraper.
(Sourires.)
Un thésard de complaisance pourra s'installer en France avec sa famille, puis
arguer de cette implantation familiale pour rester sur notre territoire. On
n'osera évidemment pas contrôler le sérieux de ces chercheurs, on n'osera
évidemment pas définir les disciplines où nous avons de vrais besoins, on
n'osera évidemment pas avoir une politique intelligente de quotas dans ce
domaine, qui s'y prête pourtant tout à fait.
L'instauration d'une carte de séjour pour les étrangers malades - M. Vasselle
le rappelait tout à l'heure - va multiplier les charges sociales que nous
supportons...
M. Alain Vasselle.
Eh oui !
M. Charles Pasqua...
et aggraver les ressentiments de la population française à l'égard du poids
social de l'immigration. Est-ce ce que l'on souhaite ?
M. Alain Vasselle.
Eh oui !
M. Charles Pasqua.
J'ai, moi, le courage de dire avec mes amis que, au-delà de son aspect
apparemment humanitaire, cette disposition pose un problème de santé publique :
le devoir de la République est de protéger l'environnement sanitaire de ses
citoyens - c'est ce qui ressort de tous les grands débats républicains de la
IIIe République - mais la France n'a ni vocation ni intérêt à devenir l'hôpital
du monde, et il n'est pas sérieux, et je pèse mes mots, de limiter les cas
d'exclusion uniquement à la peste, au choléra et à la fièvre jaune, tandis que
d'autres pandémies nous menacent.
Les cartes de séjour pour les familles, les chercheurs, les malades, les
retraités vont provoquer un fantastique appel d'air pour l'immigration. Or
notre modèle républicain, miné par tous nos renoncements collectifs - et
d'abord par cette vision malthusienne qui nous a fait renoncer à la croissance
économique et démographique et nous a plongés dans la récession économique et
la régression sociale - notre modèle républicain, hélas ! ne peut pas le
supporter.
Dans le même temps, les moyens de défense de l'Etat contre l'immigration
clandestine sont affaiblis : le renouvellement de la carte de résident ne peut
plus être refusé pour un problème d'ordre public. C'est dire que le petit voyou
étranger peut prospérer sur notre sol. Les délais de recours sont allongés et
l'appel du procureur pour suspendre la fin de la rétention est supprimé. Les
moyens du procureur pour s'opposer aux mariages blancs sont annihilés. Les
refus de visa par l'administration devront être motivés.
Finalement, l'abrogation des lois votées par la majorité RPR-UDF en 1993 et en
1996 eût été plus nette et plus franche que ce démembrement en règle des
dispositifs de sûreté que nous avions mis en place, mais c'eût été trop visible
pour les Français. M. Jospin a donc préféré le camouflage, mais la réalité est
là !
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants et de l'Union centriste.)
Enfin, la modification de la loi de 1952 relative à l'OFPRA en véritable loi
relative à l'asile afin de modifier l'ordonnance de 1945 est inutile et
dangereuse. L'extension massive de la qualité de réfugié « à toute personne
persécutée en raison de son action en faveur de la liberté », au sens de la
convention de Genève, ouvre notre territoire à tous les ressortissants des pays
en proie à des troubles très graves. Et l'on comprend parfaitement que ceux-ci
aient l'ambition de venir chez nous !
En Algérie, aujourd'hui, le simple fait de tenter de circuler est une action
en faveur de la liberté, et tous les Algériens ont donc vocation à bénéficier
du statut de réfugié !
A Mme Dusseau, qui évoquait tout à l'heure la situation dans ce pays, je tiens
à dire que les événements actuels en Algérie sont effectivement insupportables
à la conscience humaine. Nous sommes donc en droit d'attendre du gouvernement
français qu'il ne se contente pas de regarder ce que fait l'Union européenne,
mais qu'il prenne lui-même un certain nombre d'initiatives.
(Applaudissements sur les mêmes travées.)
Je vais lui en suggérer une, et je pense que, sur de tels sujets, il ne doit
pas y avoir de clivage politique : en Algérie, au nom de l'islam, on assassine,
on tue, on massacre. La première mesure à prendre, et qui pourrait commencer à
peser sur la conscience des islamistes eux-mêmes, serait une condamnation de
ces agissements par les plus hautes autorités religieuses de l'islam, une sorte
de
fatwa
qui serait lancée contre les auteurs des massacres.
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
MM. Paul Masson, et Serge Vinçon,
rapporteurs.
Très bien !
M. Charles Pasqua.
Si l'on obtenait des plus hautes autorités religieuses - celles qui comptent
dans le monde, depuis l'Arabie Saoudite jusqu'à l'université al-Azhar du Caire
- qu'elles prononcent une telle condamnation...
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
Mais c'est le cas !
M. Charles Pasqua.
... ce serait un progrès et cela apporterait un peu de réconfort.
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
Monsieur Pasqua, m'autorisez-vous à vous
interrompre de nouveau ?
M. Charles Pasqua.
Mais certainement, monsieur le ministre !
M. le président.
La parole est à M. le ministre, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
Vous évoquez un point, monsieur Pasqua, qui ne
m'a pas échappé.
S'agissant de l'université al-Azhar, ses plus hautes autorités ont été très
claires sur ce sujet. On peut regretter que d'autres ne se soient pas exprimées
avec autant de force, mais, en ce qui concerne cette université du Caire, je
voudrais que les choses soient tout à fait claires.
M. le président.
Monsieur Pasqua, veuillez poursuivre, je vous prie.
M. Charles Pasqua.
Très bien, monsieur le ministre ! Mais le Gouvernement serait bien inspiré de
demander à ses diplomates de faire des démarches du même ordre en direction de
toutes les autorités religieuses musulmanes. Ce serait certainement un élément
positif, un élémént de réconfort pour tous.
(Applaudissements sur les
travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Je reviens au texte de projet de loi pour relever que l'asile territorial
accède au niveau législatif, avec une définition très large qui permettra de
casser devant le juge administratif toute décision de refus de l'Etat.
Je pense qu'il aurait fallu conserver à ce statut son fondement purement
régalien.
La majorité rompt ainsi des équilibres fragiles par un texte que je
qualifierai d'abord d'inutile et ensuite de dangereux, comme d'autres l'ont
fait avant moi.
Le Gouvernement souhaiterait-il susciter une immigration de qualité et
intégrer les nouveaux arrivants dans notre République par des mesures
apparemment généreuses ? Il va, en fait, dans cette réalité que les Français
vivent quotidiennement, multiplier les mariages blancs, les faux étudiants et
les vrais malades, les aides au séjour irrégulier, les arrivées parafamiliales
qui vont saturer nos hôpitaux, nos écoles et nos banlieues, et achever la
déshérence de notre société et le désarroi de nos concitoyens en fondant un
quasi-droit à l'immigration, totalement inadapté aux volontés de notre pays
comme aux réalités du monde de demain.
C'est pour cela que les comparaisons avec le passé sont fausses. Nos immigrés
n'arrivent pas, comme les Italiens ou les Polonais naguère,...
M. Philippe François.
Très bien !
M. Charles Pasqua.
... dans de fortes cités ouvrières structurées par le plein emploi, le service
militaire, les hussards noirs, les syndicats, les églises voire le parti
communistes...
(Sourires.)
M. Ivan Renar.
Eh oui !
M. Charles Pasqua.
Ils arrivent avec des cultures, des moeurs plus profondément différentes dans
des villes déstructurées par le chômage de masse, l'incivisme, la
ghettoïsation, la violence.
Naguère l'assurance du formidable creuset républicain, aujourd'hui la menace
du multiculturalisme et de la nation éclatée : voilà toute la différence !
Le premier devoir du républicain est la lucidité. Notre société est malade,
n'aggravons pas ses maux par de nouveaux flux migratoires incontrôlés, sauf à
vouloir jouer les apprentis sorciers !
Je le redis haut et fort : l'immigration n'est pas un droit, la République est
ouverte, mais elle doit, sous peine de se perdre elle-même, limiter les flux
migratoires à ses besoins et non aux besoins des étrangers. L'épicentre de la
République, c'est l'intérêt national et rien d'autre : voilà la vérité qui doit
être répétée aux Français.
(Applaudissements sur les travées du RPR, ainsi
que sur certaines travées des Républicains et Indépendants et de l'Union
centriste.)
M. Philippe François.
Parfaitement !
M. Charles Pasqua.
Quand il s'agit d'ouverture de la France sur le monde, de liberté et de
générosité, nous autres gaullistes n'avons aucune leçon à recevoir de
quiconque. Mais nous avons quelques titres à en donner lorsqu'il s'agit
d'intérêt supérieur de la nation !
Celui-ci étant en jeu, vous l'avez bien compris, monsieur le ministre, nous ne
voterons pas le texte du Gouvernement,...
Mme Joëlle Dusseau.
Mauvais suspense !
M. Charles Pasqua.
... fruit d'un impossible compromis entre ceux qui croient encore en la France
et ceux qui ne croient plus à la République. Drôle de pâté que l'on nous
propose là !
Calcul politique, risque pour la communauté nationale, renoncement aux
prérogatives de la France enfin.
Vous pourriez, monsieur le ministre, je n'en doute pas, souscrire à ce que je
disais en 1993, lorsque j'étais à votre place : « La France est un pays qui
entend garder la maîtrise de son identité. Elle entend définir par elle-même la
situation, la qualité, l'origine de ceux qui sont ou qui seront associés à la
communauté nationale, dans l'esprit des valeurs de sa République dans le cadre
de sa propre Constitution... ».
Et c'est ici que notre débat prend peut-être une tonalité solennelle et
historique, car on peut légitimement se demander si ce ne sera pas le dernier
du genre, puisque le traité d'Amsterdam placera, d'ici à cinq ans, la
définition du droit d'asile, la politique des visas et les conditions d'entrée
et de séjour dans notre pays entre les mains de la majorité de nos partenaires
européens. Ce transfert de compétences à la Communauté ne manquera d'ailleurs
pas de poser des problèmes de conscience aux belles âmes de la majorité.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Pas à vous ?...
M. Charles Pasqua.
A moi ? Non ! Moi, monsieur Dreyfus-Schmidt, j'ai beaucoup de défauts, vous
les connaissez certainement, et vous ne manquerez pas de les énumérer
éventuellement
(Sourires)
, mais il y a une qualité que vous me
reconnaîtrez peut-être : je suis fidèle à mes idées et je n'ai pas l'habitude
de changer d'idées comme de chemise ni de retourner ma veste !
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Moi non plus !
M. Charles Pasqua.
Ce transfert de compétences à la Communauté ne manquera pas de poser des
problèmes de conscience lorsque droit d'asile et procédure de rétention des
clandestins seront alignés sur la moyenne des pratiques de nos partenaires
européens. Alors, permettez-moi de vous le dire avec un petit sourire, vous
regretterez la modération des lois « Pasqua-Debré » !
(Rires sur les mêmes travées.)
M. Henri de Raincourt.
Eh oui !
M. Charles Pasqua.
Allons-nous adopter le dispositif allemand, sachant que l'Allemagne refuse
massivement l'asile et prévoit des internements pour les clandestins d'une
durée de six mois à douze mois ? Allons-nous adopter la rétention à l'anglaise,
sans limitation de durée ni justification ?
M. Christian Poncelet.
Exact !
M. Charles Descours.
Tout à fait !
M. Charles Pasqua.
Je serai, comme nous tous, intéressé, le moment venu, par les choix et les
explications de nos collègues socialistes : vont-ils mettre un mouchoir sur
leur bonne conscience de gauche ou sur leur bonne conscience européiste ?
(Rires sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Paul Masson,
rapporteur.
Ce sont de belles âmes !
M. Charles Pasqua.
Entre deux idéaux, il faudra en sacrifier un. Beau débat en perspective !
(Nouveaux rires sur les mêmes travées.)
En ce qui nous concerne, nous n'avons pas ce genre de problème.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Tiens ?
M. Charles Pasqua.
Pour les gaullistes, la hiérarchie des valeurs est limpide : d'abord, encore
et toujours, la souveraineté nationale !
(Marques d'approbation sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. Philippe François.
Eh voilà !
M. Charles Pasqua.
C'est pourquoi je ne partage pas le sentiment de certains, qui voient dans le
traitéd'Amsterdam un garde-fou contre vos projets. Je n'approuve pas les
projets du Gouvernement, il s'en faut de beaucoup, mais je ne saurais dénier à
un Gouvernement français légitimement installé le droit de légiférer en la
matière.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Ce n'est pas gentil pour le Président de la République !
M. Charles Pasqua.
En effet, ce qui touche à la nationalité et à l'immigration touche à l'âme
même de la nation et au coeur de la souveraineté. C'est pour cela que nos
débats sont vifs, passionnés, mais éminemment respectables sur ce sujet.
Tout transfert de souveraineté, s'agissant de l'âme même de la nation, est du
ressort du peuple français tout entier.
M. Philippe François.
Très bien !
M. Charles Pasqua.
Ce sont les citoyens français, de toutes origines mais qui pensent que le
cadre collectif de leur destin s'appelle la nation, qui peuvent seuls approuver
ou désapprouver ce transfert de souveraineté.
Car il s'agit de transférer définitivement, d'abandonner, pour parler franc,
notre souveraineté en la matière, sans qu'il soit possible jamais de revenir
sur cet engagement. On nous dit qu'il s'agit là de vétilles. Nos débats, comme
le bon sens même pour qui connaît un peu les Français, témoignent du
contraire.
Voilà pourquoi, monsieur le ministre de l'intérieur, plus encore que de savoir
qui a raison sur l'immigration, ce qui importe c'est que nous puissions en
débattre souverainement dans notre pays et dans ses assemblées parlementaires,
comme nous le faisons. Il importe que soit dissipée cette atmosphère irréelle
qui pèse sur un débat national contredit par un traité qui lui enlève sa raison
d'être. La représentation nationale refuse d'être un théâtre d'ombres qui
joueraient la tragi-comédie d'une nation morte. Et parce que le peuple de
France tient à son âme, je suis persuadé que nous sommes en accord profond avec
lui !
Monsieur le président, mes chers collègues, le problème de l'immigration,
comme celui de la nationalité, qui est son corollaire, ont dans notre pays une
dimension particulière.
Nous le devons à notre histoire, que nous avons voulue impériale sur presque
tous les continents et, d'abord, en Afrique. Nous le devons à notre idéal
républicain, qui a voulu que tous ceux qui combattaient pour la liberté, contre
l'oppression, puissent trouver refuge sur notre territoire. Nous le devons,
plus récemment, à une vocation humanitaire, qui trouve souvent son prolongement
dans l'accueil des réfugiés chez nous.
Toutes ces raisons sont bonnes et toutes ces causes sont nobles. On n'imagine
pas un pays comme le nôtre renier son histoire, bafouer son idéal, mépriser
toute humanité au point de se cadenasser à double tour. La France n'est pas -
ne peut pas être - la Cité interdite.
Les lois que vous démantelez, monsieur le ministre, ne revenaient sur aucune
de ces traditions qui sont à l'honneur de notre pays.
Mais la France ne saurait davantage tenir table ouverte, en offrant à tous
les invités potentiels une sorte de mieux-disant social et familial.
Je ne parle même pas là des clandestins, qu'une régularisation devenue
classique dès que le parti socialiste reprend le pouvoir encourage de nouveau !
Je parle tout simplement de tous ceux qui sont à la recherche de conditions de
vie plus décentes et qui croient, de bonne foi, qu'ils sont les bienvenus chez
nous.
Alors, monsieur le ministre, beaucoup d'eau a coulé sous les ponts depuis que
l'Assemblée nationale a examiné votre projet de loi. Le calcul politique s'est
éventé, le risque pour la cohésion nationale est apparu évident aux yeux de
tous les Français et la contradiction entre ce projet et les engagements
européens du Gouvernement est maintenant manifeste.
Alors, qu'allons-nous faire ? Tout gouvernement digne de ce nom retirerait un
texte qui cumule tant de contradictions et recèle tant de dangers.
M. Henri de Raincourt.
Evidemment !
M. Charles Pasqua.
Et on ne voit pas pourquoi ce gouvernement s'obstinerait à ne pas prendre en
compte l'opinion des Français sur ce sujet, quand il lui cède dans bien
d'autres domaines !
Mais il ne le fera pas. Il ne le fera pas pour sacrifier à un rite obsolète,
qui est de plus en plus étranger, c'est le cas de le dire, à nos concitoyens.
Le Gouvernement prend ainsi le risque d'alimenter la zizanie entre les
Français, entre les Français et les étrangers, entre les étrangers eux-mêmes, à
un moment, vous le savez, où les problèmes économiques et sociaux ont déjà trop
tendance à les opposer les uns aux autres.
M. Maurice Blin.
Absolument !
M. Charles Pasqua.
Voilà pourquoi la majorité sénatoriale - vous le constaterez à l'écoute des
orateurs suivants - combattra pied à pied votre projet et, en définitive, le
rejettera dans son ensemble.
Vous passerez outre, et l'Assemblée nationale aura le dernier mot,
pensez-vous.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Heureusement !
M. Charles Pasqua.
Mais, sur une question aussi grave, dont les conséquences peuvent être
immédiates, nous ne saurions en rester là.
Notre Constitution donne au Président de la République, garant de l'intégrité
de notre territoire...
M. Claude Estier.
Le négociateur du traité d'Amsterdam !
M. Charles Pasqua.
Cela ne va pas vous gêner, ce que je dis, monsieur Estier, calmez-vous !
Je recommence, afin que rien ne vous échappe : notre Constitution donne au
Président de la République, garant de l'intégrité de notre territoire, le droit
de vous demander d'y réfléchir à deux fois, monsieur le ministre. C'est le
moins que l'on puisse faire, pour débuter.
Sur ce problème-là, nous ne pouvons attendre simplement que les faits nous
donnent raison, car il sera trop tard, le mal sera fait !
Ne doutez donc pas, monsieur le ministre, que ce combat ne fait que
commencer.
M. Dominique Braye.
Bravo !
M. Charles Pasqua.
En ce qui nous concerne, nous, Rassemblement pour la République, nous le
disons de la façon la plus claire et la plus nette ce que vous faites, nous
nous y opposerons avec force et, dès que les circonstances le permettront, nous
déferons ce que vous aurez fait, car ce que fait le gouvernement Jospin, au nom
duquel vous vous exprimez, est contraire à l'intérêt du pays et à la
personnalité de la France !
(Bravo ! et vifs applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Huriet.
M. Claude Huriet.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, si notre
pays s'est acquis, aux yeux du monde, l'image d'une terre d'accueil, c'est que
l'immigration est un phénomène ancien et fortement lié à notre propre
histoire.
Cette tradition, cette histoire, nous ne pouvons les renier.
Le groupe de l'Union centriste est pour l'immigration, mais pour une
immigration maîtrisée. Il est donc favorable au maintien des lois Pasqua-Debré
et hostile à ce projet de loi, qui comporte un grave risque de déstabilisation
du corps social.
Les motifs pour lesquels nous sommes opposés à ce texte seront développés par
mon collègue et ami Michel Mercier.
Il me revient de développer les raisons qui plaident en faveur d'une politique
d'immigration dans notre pays, qui ne peut être dissociée d'une politique
d'aide aux pays en développement.
Deux éléments moteurs contribuent aux mouvements de populations à travers le
monde : la fascination qu'exercent nos richesses sur les pays pauvres, qui
rêvent à un moderne Eldorado, et le développement économique des pays
industrialisés, qui, malgré l'accroissement des investissements matériels et de
la productivité, ont des besoins de main-d'oeuvre qu'ils pourront, d'ici peu,
de moins en moins satisfaire.
La réponse au premier « moteur » de l'immigration est l'aide au développement,
qui se heurte, hélas ! à l'égoïsme des pays riches, à l'absence d'organisation
des pays en développement et à la faiblesse des Etats, où règnent trop souvent
la concussion et le clientélisme.
Les réponses au second moteur - le développement économique et la satisfaction
des besoins de main-d'oeuvre - se situent à deux niveaux qui concernent, l'un
et l'autre, la démographie, trop souvent absente des réflexions et des prises
de position idéologiques ou passionnelles sur l'immigration.
La France et l'Europe vieillissent. La France et l'Europe souffrent du mal
chronique, insidieux de la dénatalité. La France et l'Europe devront faire
appel à l'immigration, une immigration réfléchie, maîtrisée, dont
l'indispensable corollaire est l'intégration ou, mieux, l'assimilation.
L'échéance est proche, très proche. Avant huit ans, selon l'INSEE,
interviendra un phénomène exceptionnel, en temps de paix tout au moins, et
durable : la baisse de la population active, avec toutes les conséquences
sociales et économiques que l'on peut d'ores et déjà prévoir. Cette échéance
concerne également l'Europe, à quelques nuances près : une étude effectuée à la
demande de la Commission européenne conclut que, pour la seule branche santé,
sans parler des retraites, sous l'effet du vieillissement, il faudrait majorer
le taux de cotisation de 50 % ou diminuer les remboursements de plus de 30 %.
C'est impensable !
Ce qu'il est nécessaire et urgent de dire, c'est que la baisse de la
population active, qui peut paraître, aux yeux de certains, qui se bercent
d'illusions, comme la réponse au drame du chômage, risque de tourner en
quelques années à la catastrophe, car l'accroissement de la productivité ne
saurait constituer « le » remède.
Dans son tout dernier rapport consacré à « la construction démographique de
l'Union européenne », l'INED, l'Institut national d'études démographiques,
souligne : « Jusqu'à la fin des années quatre-vingt, la croissance de la
population des quinze Etats de l'Union reposait d'abord sur l'accroissement
naturel - la différence entre les naissances et les décès -, le solde
migratoire - la différence entre immigration et émigration - ne constituait
qu'un apport secondaire.
« Depuis 1989, au contraire, le solde migratoire est devenu le facteur
principal de la croissance. Ce renversement est surtout le résultat d'une
longue évolution démographique. Au fil des ans, l'écart entre les deux facteurs
s'est constamment réduit, en raison de la baisse du taux d'accroissement
naturel divisé par huit entre les années soixante et les années
quatre-vingt-dix. »
Ainsi, dans des circonstances certes différentes de celles que la France a
connues après les deux dernières guerres, qui l'ont amenée à faire appel à une
main-d'oeuvre étrangère - celle-ci s'est d'ailleurs bien intégrée, car elle en
avait la volonté - pour contribuer à sa reconstruction, notre pays, nos pays
sont confrontés désormais à une situation nouvelle, qui est non pas
conjoncturelle mais bien structurelle.
Il est donc impératif de mettre en oeuvre une politique d'immigration fondée,
selon les termes du traité d'Amsterdam, sur « la maîtrise concertée des flux
migratoires », car seule une maîtrise concertée peut éviter des mouvements
brutaux de population d'un Etat membre à un autre et contribuer à ce qui
constitue le facteur premier de la réussite d'une politique d'immigration, à
savoir l'intégration ou, mieux, l'assimilation.
Qu'on la considère comme une chance, comme une nécessité ou encore comme un
devoir, l'immigration ne doit pas être un facteur de déstabilisation de notre
nation.
Nous considérons que les dispositions inscrites dans le projet du Gouvernement
vont à l'encontre de cet objectif. C'est la raison pour laquelle nous voterons
contre ce projet de loi et pour les amendements qui nous seront proposés par
nos commissions.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains
et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Maman.
M. André Maman.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de
loi relatif à l'entrée et au séjour des étrangers en France et au droit d'asile
qui est soumis à l'approbation de notre assemblée constitue la vingt-sixième
modification apportée aux dispositions de l'ordonnance du 2 novembre 1945 qui
régit la matière, et cette modification intervient quelques mois seulement
après la mise en place de la loi Debré.
En proposant ce changement dans un délai aussi bref et en déclarant de
surcroît l'urgence sur le texte, le Gouvernement a remis sur le tapis le
problème de l'immigration, en en faisant l'une de ses priorités politiques
affichées. Pour quelles raisons l'a-t-il fait ? D'autres l'ont dit mieux que
moi.
Monsieur le ministre, je vous ai entendu dire que, « parler des étrangers,
c'était aussi une autre manière de parler de la France ». En prononçant ces
mots, vous évoquiez la diversité naturelle du peuple français, et je pense que
vous aviez raison. Je suis d'accord avec vous sur cette prémisse, mais, en même
temps, je suis absolument persuadé que l'on ne peut pas légiférer sur la
situation des étrangers sans prendre en compte - concrètement - la situation de
la France.
De ce point de vue, il me semble que votre texte, que vous juger équilibré,
répond plus à une conception angélique de l'hospitalité qu'à une prise en
compte sérieuse des réalités de la France. La République doit être généreuse -
nous en convenons tous - mais elle ne peut pas donner plus que ce qu'elle a.
En effet, la législation sur l'entrée et le séjour des étrangers en France a
un caractère essentiellement contingent, c'est-à-dire indissociable du contexte
social et économique dans lequel elle s'inscrit. Il s'agit donc de juger ce que
prévoit votre projet de loi et d'apprécier le contexte dans lequel celui-ci va
prendre place.
Votre texte, que je résume à grands traits, entend : assouplir les conditions
du regroupement familial ; élargir le droit d'asile en étendant le statut de
réfugié à ceux qui sont menacés par des autorités non étatiques ; supprimer des
formalités - jugées inutilement vexatoires - portant sur la circulation des
étrangers ; créer de nouvelles cartes de séjour temporaires, dites «
personnelles et familiales » ; faciliter l'octroi des visas, en introduisant
l'obligation de motivation en cas de refus, enfin étendre aux étrangers les
derniers droits sociaux dont ils ne bénéficiaient pas, à savoir l'allocation
aux adultes handicapés et la prestation du Fonds national de solidarité.
Je note d'ailleurs incidemment, en tant que sénateur représentant les Français
établis hors de France, que les Français de l'étranger, eux, sont exclus de la
plupart des prestations sociales auxquelles les étrangers de France ont
droit.
M. Jacques Habert.
C'est regrettable !
M. André Maman.
Mais cela est un autre débat !
Il me paraît évident, monsieur le ministre, que ces nouvelles possibilités
d'entrée régulière - qui sont généreuses quant à leur principe - favoriseront
de nouveaux courants migratoires et que les dispositions de votre projet de loi
iront finalement à l'encontre des efforts soutenus par tous les gouvernements -
ceux de Mme Cresson et de M. Rocard compris - pour maîtriser les flux
migratoires.
Il me paraît également certain que ces mesures créeront des charges nouvelles
pour notre communauté et qu'elles engendreront, dans bien des cas, de nouveaux
contentieux. Toutes choses dont notre pays n'a vraiment pas besoin !
Je crois, en effet, monsieur le ministre, au-delà de toutes querelles
idéologiques, que votre texte est inopportun pour une raison très simple : il
est complètement inadapté aux réalités du moment.
Les exemples tirés de l'observation de notre propre pays aussi bien que de
celle de nos partenaires européens, en témoignent : l'heure n'est vraiment pas
à l'élargissement de l'immigration de droit, ni à l'extension du droit
d'asile.
Au plan européen, M. Pasqua l'a souligné, je ne puis que vous renvoyer aux
dernières déclarations, plutôt fermes, du socialiste allemand Gerhard Schroder
- je ne les citerai pas tant elles sont excessives - ou bien au système
britannique, lequel prévoit, à la grande satisfaction du
New Labour
, que
la durée de rétention administrative peut être étendue « aussi longtemps que
nécessaire ».
J'ajoute, pour en terminer avec l'Europe, que le traité d'Amsterdam, s'il est
ratifié, risque d'avoir des conséquences importantes sur le sujet qui nous
occupe, puisque le troisième pilier de ce traité induit que soit rapidement
mise en oeuvre une directive sur la circulation des personnes, qui sera, de
toute évidence, différente et nettement plus restrictive que votre projet.
Au plan national, enfin, je ne pense pas qu'un pays qui compte plus de trois
millions de chômeurs, et où un grand nombre de nos compatriotes vivent
malheureusement en dessous du seuil de pauvreté, soit en mesure, avec des
systèmes de solidarité dangereusement déséquilibrés, de supporter les lourdes
conséquences de la législation nouvelle que vous lui proposez.
Monsieur le ministre, je ne doute nullement de la sincérité de votre vision
d'une République généreuse et ouverte sur le monde qui l'entoure. Toutefois,
compte tenu des raisons que je viens d'évoquer, les sénateurs non inscrits
n'approuveront pas le texte proposé par le Gouvernement et se rallieront aux
amendements de la commission des lois du Sénat.
(Applaudissements sur les
travées des Républicains et Indépendants, du RPR, de l'Union centriste. - MM.
Durand-Chastel et Habert applaudissement également.)
M. le président.
La parole est à M. Bonnet.
M. Charles Pasqua.
Encore un ministre de l'intérieur ! Vous en avez deux ce soir, monsieur le
ministre !
M. Ivan Renar.
C'est l'hommage du vice à la vertu !
M. Christian Bonnet.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, lors du long
débat qui s'est déroulé à l'Assemblée nationale, vous avez dit : « Il n'est pas
mauvais d'avoir un peu de passion. » Je saurai maîtriser celle qui m'habite, en
un domaine dont je connais la complexité pour avoir eu à en connaître, à votre
place, il y a quelque vingt ans, à un moment où l'on ne parlait guère de qui
vous savez, dont je me suis toujours interdit de prononcer le nom pour ne pas
lui faire de publicitéqui me mettra, je veux le croire, à l'abri des
accusations d'opportunisme politicien.
Sans remonter jusqu'à l'ordonnance de 1945, il n'est sans doute pas inutile de
mentionner les principales étapes législatives qui ont marqué les vingt
dernières années en matière d'immigration.
En 1980, paraissait au
Journal officiel
une loi destinée à donner aux
pouvoirs publics les moyens de lutter contre l'immigration clandestine. Dès
1981, un texte emportait son abrogation.
En 1986, était votée, sur l'initiative de M. CharlesPasqua, une seconde loi
visant à sanctionner l'immigration clandestine. Dès 1989, l'alternance aidant,
elle se voyait émasculée.
A la faveur d'une nouvelle alternance, un texte, défendu cette fois par votre
immédiat prédécesseur, voyait le jour. Mais, derechef, un gouvernement à
direction socialiste s'attache, aujourd'hui, à le mutiler.
Une telle obstination dans l'erreur a, me semble-t-il, quelque chose de
pathétique, d'autant qu'à cette législation, par trois fois réductrice des
moyens de lutter contre l'immigration irrégulière, sont venues s'ajouter, par
trois fois là encore, de funestes opérations de régularisation.
La première - celle de 1989 - portait officiellement sur 130 000 personnes.
La seconde, moins claironnée, plus limitée, en a intéressé 14 000 en 1991.
Quant à celle qui est actuellement en cours, la seule chose que l'on puisse en
dire aujourd'hui est que le Gouvernement en avait mal évalué la portée puisque
les dossiers déposés sont en nombre trois fois supérieur aux prévisions qui
avaient été faites.
Et, comme pour couronner l'édifice, est intervenue, au coeur même d'un pays
d'émigrants, la stupéfiante déclaration de Bamako !
Monsieur le ministre, j'ai toujours eu pour vous l'estime qu'appelle un homme
public intègre, patriote et habité par le sens de l'Etat. Mais force m'est
d'avouer que je demeure interdit face au phénomène de dédoublement de
personnalité dont vous nous donnez le spectacle.
Est-ce le même homme qui déclarait, le 22 août dernier, sur les ondes de RTL :
« Il faut cesser de mettre l'immigré au coeur du débat public »... et qui,
aujourd'hui, l'y place ?
Est-ce le même homme qui, sur la même radio, le 26 octobre, affirmait - dans
l'un et l'autre cas, comme le plus souvent, je vous écoutais le stylo à la main
- : « Il faut savoir opposer les droits de la nation aux droits de l'homme »...
et qui, aujourd'hui, paraît privilégier les seconds par rapport aux premiers
?
M. André Maman.
Très bien !
M. Christian Bonnet.
Est-ce le même homme qui, avant-hier, reconnaissait dans un entretien accordé
à un grand journal du matin : « La machine à intégrer ne réussit plus aussi
bien » ... et qui défend aujourd'hui des mesures propres à en accentuer les
ratés ?
Comment ne pas stigmatiser les contradictions entre les intentions affichées
et leur traduction dans les textes, entre un diagnostic apparemment lucide et
la prescription d'un remède propre à aggraver le mal ?
A la vérité, monsieur le ministre, le projet dont nous sommes appelés à
débattre m'apparaît mal dénommé.
« Entrée et séjour des étrangers en France ». Ne serait-ce pas plutôt : « De
l'extension des droits des immigrés en France » qu'il faudrait dire ?
En effet, comment ne pas relever que votre projet conduit à la dépénalisation
de l'entrée irrégulière, qu'il alourdit inconsidérément, par l'assouplissement
des conditions de revenu et de logement, la définition du regroupement
familial, qu'il rompt avec une jurisprudence constante en matière de droit
d'asile, qu'il légalise des notions impossibles à cerner en droit, telles que «
combattant de la liberté », ou encore « vie personnelle et familiale », qu'il
contraint les agents consulaires à motiver, dans un certain nombre de cas, les
refus de visas, fût-ce dans des pays où la notion même d'état civil n'existe
pas et où l'authenticité des documents fait dès lors problème ?
S'il fallait d'un mot, d'un seul, qualifier un projet qui mesure toujours à
l'appareil d'Etat les moyens de lutter contre les clandestins, celui qui vient
tout naturellement à l'esprit est « irréaliste ».
Irréaliste, ce texte l'est, tel le reniement de Pierre, triplement.
Irréaliste, il l'est au regard des populations des pays sous-développés.
Irréaliste, il l'est encore en considération de la situation présente en
France.
Irréaliste, il l'est enfin par rapport à l'attitude de nos principaux
partenaires en la matière.
Tout d'abord, comment un ministre aussi averti que vous l'êtes pourrait-il
ignorer que si « la France marche au mélange » - affirmation pour le moins
audacieuse ! - l'immigration, elle, marche au symbole - vérité, celle-là,
d'expérience ?
Oui... toute loi du type de celle que vous nous présentez - et plus encore
toute opération de régularisation - résonne presque instantanément aux oreilles
de centaines de milliers de malheureux de par le monde comme une incitation à
venir chercher chez nous un apaisement illusoire aux problèmes qu'ils
rencontrent chez eux.
Ainsi en va-t-il de l'affirmation de Bamako suivant laquelle c'en est fini de
l'ère des charters !... Depuis le premier, qui remonte à 1985, jusqu'au plus
récent, seuls une quarantaine avaient été affrêtés. Mais le nombre ne faisait
rien à l'affaire, tout était dans le signe que recevaient, à l'atterrissage au
pays, des peuples marchant, eux, à l'image.
J'entends bien que, si s'afficher patriote apparaît passé de mode - hormis
pour vous, et hormis dans les stades - il est aujourd'hui de bon ton de
s'afficher humaniste.
Humanisme, hospitalité, tels sont les mots clés du discours des belles âmes
des quartiers patriciens, discours qui fait irrésistiblement penser à ce
passage où Tocqueville stigmatise « ces gens qui n'étaient point mêlés
journellement aux affaires » et qui « s'occupaient cependant des matières qui
ont trait au Gouvernement et dont, dans l'éloignement presque infini où ils
vivaient de la pratique, aucune expérience ne venait tempérer les ardeurs du
naturel ».
(Sourires.)
Irréaliste, votre projet l'est tout autant à l'égard de nos compatriotes
et des étrangers vivant régulièrement en France.
Ces derniers, ne vous y trompez pas, sont foncièrement hostiles à toute mesure
susceptible d'engendrer une confusion entre eux et des clandestins acculés à la
délinquance pour subsister, confusion que certaines résurgences du racisme sont
trop heureuses d'exploiter.
Ce racisme, que nous condamnons, tout comme vous, sans appel, il se nourrit de
trois facteurs.
Le premier est la multiplication des incantations anti-racistes, dont M. Jean
Daniel a fort bien dit - je le cite - « qu'elles n'ont fait, jusqu'à présent,
que multiplier les racistes ».
Le deuxième réside dans le fait que, de plus en plus nombreux, nos
compatriotes prennent la mesure du poids des allocations servies à de nouveaux
venus... poids que votre projet va alourdir encore par l'attribution de
prestations non contributives pour un montant estimé - estimé ! - à quelque 500
millions de francs. M. le président Fourcade vous en parlerait plus savamment
que moi.
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
Puis-je me permettre de
vous interrompre, monsieur Bonnet ?
M. Christian Bonnet.
Je vous en prie.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des affaires sociales, avec
l'autorisation de l'orateur.
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
Je remercie M.
Christian Bonnet d'avoir cité les travaux de la commission des affaires
sociales et d'avoir donné ce chiffre de 500 millions de francs.
Encore ce chiffre est-il partiel.
Si nous ajoutons les conséquences de l'élargissement du droit au regroupement
familial, celles de la suppression de la condition de nationalité pour
l'attribution du minimum vieillesse et le problème de l'allocation aux adultes
handicapés, nous dépassons cette somme. Selon l'étude d'impact qui a précédé ce
texte, c'est négligeable ; je pense, moi, que la dépense est de plusieurs
milliards de francs.
La question que je vous pose alors, monsieur le ministre, est la suivante :
allez-vous accepter les amendements que la commission des affaires sociales
vous proposera pour tenter de limiter les dégâts en alignant les conditions
d'accès aux minima sociaux et au fonds vieillesse dans des conditions
satisfaisantes ?
Si vous ne les acceptez pas, vous serez obligé, demain, après-demain, ou dans
quelques semaines, de présenter au Parlement un projet de loi de financement
rectificatif de la sécurité sociale. En effet, le projet de loi de financement
de la sécurité sociale que nous avons adopté il y a quelques semaines fixe des
prévisions de recettes, des objectifs de dépenses et une hypothèse de déficit.
La Constitution vous oblige à nous présenter un projet de financement
rectificatif dès lors que ces objectifs et ces prévisions sont remis en
cause.
J'espère que les sages du Conseil constitutionnel, qui en sont les gardiens,
feront appliquer la Constitution, car on ne peut, aujourd'hui, légiférer en
matière de prestations sociales, ouvrir des droits nouveaux, prétendre, dans
une étude d'impact, que cela n'aura aucune conséquence - alors que nous savons
parfaitement que cela viendra aggraver la situation de nos comptes sociaux - et
rester impassible devant cette aggravation des charges sociales.
Je vous remercie, monsieur Bonnet, de m'avoir permis de vous interrompre.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR
et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
Je voudrais répondre à M. Fourcade que le
chiffrage par milliards de francs auquel il a procédé me paraît tout à fait
fantasmatique. L'étude d'impact elle-même n'évoquait d'ailleurs que quelques
centaines de millions de francs, dont il convenait de déduire le montant du
RMI, qui ne serait plus versé.
De quoi s'agit-il ?
Vous avez d'abord évoqué le regroupement familial. Dois-je rappeler que ce
dernier a été instauré en 1978 ?
M. Christian Bonnet.
En 1976 !
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
En 1976, effectivement, monsieur Bonnet. M.
Giscard d'Estaing était alors Président de la République et M. Chirac était
Premier ministre.
A l'époque, ce regroupement familial concernait près de 100 000 personnes par
an, pour atteindre naturellement - par un phénomène d'entropie, si je puis dire
- à peu près 40 000 personnes par an à la fin des années quatre-vingt et 13 000
l'an dernier.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Grâce aux lois Pasqua.
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
La raison en est très simple. L'arrêt de
l'immigration de travail depuis 1974 a fait que, naturellement, le regroupement
familial, comme une vague, tend de lui-même à s'étaler, à s'amortir. Par
conséquent, nous sommes à la fin de ce processus et la situation, aujourd'hui,
n'a absolument rien de comparable à celle qui prévalait il y a une dizaine
d'années et, plus encore, il y a une vingtaine d'années !
Le très modeste assouplissement des conditions du regroupement familial, dont
je rappelle qu'il consiste à apprécier le SMIC non plus sur une base mensuelle
mais sur une base susceptible de varier dans l'année, parce qu'il peut y avoir
un licenciement et une reprise de travail - c'est un exemple - ou bien parce
qu'on oblige la personne « hébergeante » à mettre le logement nécessaire - un
cinq-pièces, par exemple - à disposition au moment de l'arrivée de la famille
et non pas six mois auparavant, ce modeste assouplissement, donc, ne saurait
avoir que des conséquences extrêmement faibles.
J'en viens à une question plus importante du point de vue du coût financier :
celle de l'extension de l'allocation aux adultes handicapés et des prestations
du fonds national de solidarité aux étrangers en situation régulière.
Je tiens à préciser que seuls les étrangers en situation régulière pourront y
avoir accès. Mais il s'agit là d'un principe qui figurait déjà dans notre
législation, sinon au moment de l'ordonnance de 1945 du moins dans les années
qui ont suivi, et qui a été appliqué quasiment complètement, dans tous les
domaines, aux étrangers en situation régulière ; j'insiste à nouveau, car les
étrangers en situation irrégulière ne bénéficient pas, naturellement, de droits
sociaux, lesquels sont, de par la jurisprudence de la Cour de justice des
Communautés européennes, les mêmes pour les Français et les étrangers en
situation régulière, cela dans toute l'étendue de l'Union européenne. Nous ne
faisons donc qu'appliquer une réglementation européenne.
Je regrette de vous le dire, mais, apparemment, ce point vous a échappé : le
projet de loi, de ce point de vue-là, ne fait que clarifier et mettre en totale
harmonie la jurisprudence européenne et le droit que nous appliquons.
De ces 300 ou 400 millions de francs - je ne sais plus - il conviendra de
déduire le montant du RMI versé à ces handicapés adultes ou à ces personnes
âgées, à ces vieux travailleurs, dont je dois quand même rappeler qu'ils ont
cotisé, et souvent pendant de très longues années.
Nous ne devons pas oublier que ces générations de travailleurs immigrés ont
joué un grand rôle dans la reconstruction et le développement de la France. Il
est, après tout, bien normal qu'ils puissent disposer des mêmes droits que les
Français.
J'ai voulu ramener ce sujet à ses véritables proportions, parce que j'ai
entendu un orateur prétendre tout à l'heure que ce que nous avions dépensé
était supérieur à ce que représentait le plafonnement des allocations
familiales.
Cela n'a absolument rien à voir, je tiens à le dire. Cessons de fantasmer !
Parlons de choses sérieuses, essayons d'être objectifs et laissons parler le
langage de la raison !
Je souhaite véritablement que ce débat garde le ton tout à fait élevé qu'il a
eu jusqu'à présent et que ne soit pas dépeint un paysage qui ne correspond pas
à la réalité.
M. Pasqua a peut-être été blessé par le fait que j'évoquais tout à l'heure des
histoires marseillaises, mais je les aime beaucoup !
M. Charles Pasqua.
J'espère bien !
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
Je pensais d'autant moins le vexer qu'il n'est
pas de Marseille ! Sa vocation, non pas universelle, mais hexagonale, est bien
établie.
(Rires.)
J'entendais simplement dire par là qu'il avait un grand talent oratoire. Mais,
puisque c'est à la mode, je lui exprime mes regrets s'il a été blessé.
(Exclamations sur les travées du RPR. - M. Guy Allouche applaudit.)
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Sinon, ce serait du racisme !
M. Charles Pasqua.
Nous sommes en pleine repentance !
M. le président.
Veuillez poursuivre, monsieur Bonnet.
M. Christian Bonnet.
Je reprends donc le cours de mon propos.
J'évoquais le caractère triplement irréaliste de votre texte, monsieur le
ministre, au regard des réactions des populations des pays sous-développés et
de la situation actuelle en France. J'en venais aux sources qui alimentent le
racisme : la multiplication des incantations antiracistes et le fait que, de
plus en plus nombreux, nos compatriotes prennent la mesure du poids des
prestations sociales versées.
La troisième des sources qui alimentent la xénophobie est la dégradation du
climat qui prévaut dans certains quartiers connaissant, avez-vous dit le 7
janvier sur Europe 1, « des changements de population » - ah ! qu'en termes
délicats ces choses-là sont dites - et où, organisés en bandes, ceux que l'on
dénomme pudiquement « les jeunes » - mais ceux qui y vivent savent quelle
réalité cette appellation recouvre le plus souvent - se livrent à des
débordements, à des délits, à des violences de nature à tétaniser les habitants
qui, souvent âgés et le plus souvent modestes, n'ont pas la possibilité de
gagner un havre plus hospitalier.
Car l'immigration, il y a des médias qui en glosent, mais aussi des Français
qui la vivent.
Il y a non seulement des donneurs de leçons, mais aussi des policiers sur le
qui-vive, des enseignants stressés, des facteurs, voire des pompiers malmenés,
des conducteurs de bus attaqués, dans des secteurs qualifiés pudiquement de «
difficiles » et dont le « politiquement correct » interdit de préciser quelle
est la population dominante.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Interdit par qui ?
M. Christian Bonnet.
Irréaliste, votre projet l'est enfin si l'on considère l'attitude de nos
principaux partenaires, apparemment plus sensibles à cette vérité qu'à
l'affaissement de la population vieillissante de l'Europe auquel correspond une
formidable explosion des naissances là où prospèrent d'autres civilisations que
la sienne.
Comme j'ai déjà eu l'occasion de le rappeler, voilà peu, à votre collègue Mme
Elisabeth Guigou, il en va de l'immigration comme d'un alcaloïde : à dose
modérée, elle est un stimulant, à dose massive, et doublement étrangère à notre
culture, elle est susceptible d'altérer une identité qui n'est plus aussi
robuste qu'elle le fut.
L'immigration dans nos vieux pays ne peut s'entendre désormais en termes
quantitatifs.
L'Autriche a un chancelier socialiste, la Grande-Bretagne un gouvernement
néo-travailliste, l'Allemagne un gouvernement chrétien-démocrate, l'Italie un
gouvernement... « pluriel » : aucune de ces nations ne régularise à tout va ses
immigrés clandestins. Toutes adoptent, au contraire, des dispositions
restrictives.
Et, pendant ce temps, la France se livre à une comptabilité dérisoire
d'apothicaire pour savoir si la rétention doit être fixée à douze jours au lieu
de dix, quand nos voisins européens pratiquent des durées de plusieurs mois,
souvent renouvelables, et dans le cas de la Grande-Bretagne, pays de
l'
habeas corpus, as long as necessary,
tant que la véritable identité
n'a pas été déclinée, comme le rappelait tout à l'heure un orateur.
Que voilà bien une exception française que de prétendre pouvoir, en douze
jours, maîtriser l'organisation de l'anonymat face à un étranger déterminé à
vivre en France - quitte à avaler, s'il en avait un, le titre d'identité de son
pays d'origine - qui ne parle pas notre langue et qui bénéficie de la mauvaise
volonté, vous le savez, monsieur le ministre, de trop de consulats des pays
d'origine !
En vérité, comme l'a fort bien dit Gil Robles, président du Parlement européen
: « c'est au niveau européen que ce problème doit être discuté et réglé ».
Et, de fait, une politique d'immigration limitée à un pays d'une union où la
libre circulation est la règle n'a pas de sens. Qui pourrait encore en douter
après l'explosion du problème kurde ?
Aussi bien, le groupe des Républicains et Indépendants est-il favorable à la
ratification du traité d'Amsterdam, dans la mesure où il est susceptible, hélas
! à échéance de cinq ans seulement, de mettre un terme au laxisme d'exception
que vous nous proposez en matière d'immigration et de droit d'asile, étant
observé, je le précise, que le transfert de compétences se fera suivant la
règle de l'unanimité, ce qui permettra à la France de faire entendre sa voix
et, le cas échéant, ses réserves, voire ses refus.
Que les solutions au problème - majeur, ne nous y trompons pas ! - posé par
l'immigration ne soient pas évidentes, je vous l'accorde bien volontiers,
monsieur le ministre.
Aide au retour en 1978, aide publique à la réinsertion en 1984, réinsertion
aidée en 1991 : aucune de ces formules n'a permis d'engendrer des retours
significatifs dans les pays d'origine.
Si, de toute évidence, s'impose avec ces derniers une politique de coopération
axée sur leur développement, les suggestions du rapport Naïr se heurtent au peu
d'inclination manifestée par les étrangers formés en France pour retourner
exercer leur activité là où ils sont nés, alors que, au contraire - c'est un
exemple parmi d'autres - se pressent en France les médecins titulaires de
diplômes étrangers non communautaires. Le
Journal officiel
du 25 juillet
1997, pages 11131 à 11138, est, à cet égard, éloquent.
Oui, le problème est complexe.
Mais alors, pourquoi l'aggraver par des mesures qui risquent d'avoir un effet
dévastateur ?
Votre projet exacerbe encore, s'agissant des textes, une complexité qui fait
penser à « cet écheveau de fils embrouillés par un chat » dont parlait Victor
Hugo. Il va, de ce fait, alimenter la perplexité des magistrats, nourrir le
découragement des forces de police et de gendarmerie, et faire les beaux jours
des experts en détournement de la loi républicaine.
Ainsi l'homme de rigueur, l'homme d'autorité que vous êtes consacre-t-il,
paradoxalement, une conception rousseauiste de la société, une éthique de la
complaisance, liées à un phénomène que l'on a pu qualifier, très justement, de
« caritatif médiatique ».
Le groupe des Républicains et Indépendants s'en alarme et, tant il est vrai
que les faits ne cessent pas d'exister parce qu'on veut les ignorer, c'est avec
détermination qu'il combattra un projet à ses yeux néfaste pour la cohésion
nationale.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et
Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
Je me permets de vous signaler, mon cher collègue, que l'ensemble de
l'hémicycle souhaite écouter M. le Premier ministre, qui doit s'exprimer durant
le journal de vingt heures de TF 1.
Bien entendu, il n'est pas question pour moi de limiter en quoi que ce soit
votre expression. Je tenais simplement à vous avertir de la tentation que
pourraient avoir certains de quitter l'hémicycle pour aller entendre M. le
Premier ministre.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Mais je tiens, moi aussi, à l'écouter, monsieur le président.
Vous pourrez donc m'interrompre quand il en sera temps. Je reprendrai mon
intervention lors de la prochaine séance.
M. le président.
Mais je ne me permettrai pas de vous interrompre ainsi, mon cher collègue.
De toute façon, vous disposez de trente minutes.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Eh bien, nous allons essayer de « passer » !
Il est vrai que, lorsque s'expriment deux rapporteurs appartenant à la
majorité sénatoriale, puis le président de la commission des lois, qui y
appartient également, et que, de surcroît, certains membres de la même majorité
interrompent d'autres membres de ladite majorité, cela fait évidemment un grand
temps de parole pour la majorité sénatoriale !
M. Charles Pasqua.
Cela fait un beau débat !
(Sourires.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Cela fait surtout partie des conditions de travail difficiles qui ont cours
dans cette maison !
C'est hier que nous avons entendu le rapport verbal de notre rapporteur et
c'est tout à l'heure qu'a été mis en distribution son rapport écrit. Les
conditions sont telles qu'il a été obligé de l'écrire juste avant les débats en
commission. Qu'importe, tant il était certain d'être suivi sur toutes ses
propositions par la majorité sénatoriale.
Dès lors, il aurait pu faire ce travail il y a longtemps ; cela aurait permis
d'aller plus vite.
Mais le Sénat ne veut pas aller plus vite, M. Pasqua nous l'a dit tout à
l'heure très clairement : on fera tout ce qu'on pourra pour faire durer les
choses ! Et d'annoncer une demande, par le Président de la République, de
deuxième délibération à cet effet !
M. Charles Pasqua.
C'est ce que vous avez compris !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Nous ne tenons pas, nous, à un tel débat, c'est vrai. Il y a d'ailleurs une
contradiction de votre part à nous reprocher de faire en sorte qu'il ait lieu
juste avant les élections, alors que cela, c'est votre méthode à vous !
Lorsque, par hasard, les élections ne sont pas prévues tout de suite après, le
Président de la République dissout. C'est ainsi que les débats sur la loi Debré
se sont effectivement trouvés précéder immédiatement les élections !
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Charles Pasqua.
Remerciez-nous !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Mais certainement !
Car, très souvent, vous vous trompez ! Après le vote de la loi « sécurité et
liberté », en effet, la gauche l'a emporté. Après le vote de la loi Debré, il
en a été de même. Vous ne vous en êtes pas moins employés ici à retarder les
choses, et vous l'avez reconnu les uns et les autres, en particulier M. le
président de la commission des lois. Et vous vous apprêtez à continuer à le
faire !
Or il vaut mieux l'avoir ici, ce débat, que de laisser sans réponse les
arguments de l'extrême droite qui développent la xénophobie et le racisme. Il
est nécessaire que les étrangers qui vivent sur notre sol depuis longtemps
n'aient pas une situation précaire, c'est-à-dire celle dans laquelle les lois
Pasqua et Debré en placent beaucoup.
La gauche, elle, débat. Si, au sein de la majorité sénatoriale, vous êtes
quasiment tous d'accord, à l'Assemblée nationale, des amendements ont été
déposés par des membres de la majorité nationale, que le Gouvernement a
acceptés.
M. Charles Pasqua.
Oh non ! Pas tous !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Quel est le but ? Le but, M. le Premier ministre l'a dit, M. le ministre de
l'intérieur l'a répété, c'est une loi « généreuse mais ferme », c'est-à-dire -
et c'est ce que nous, Gouvernement et majorité gouvernementale, nous attendons
d'une loi - une loi juste.
On a fait appel à mon témoignage à propos de l'urgence. Il est vrai que, en
général, nous y sommes opposés.
Mais lorsqu'on voit que les amendements présentés par le rapporteur consistent
seulement à demander la suppression pure et simple de tous les articles, le
moins que l'on puisse dire, c'est qu'il n'y a pas un apport extrêmement
important à la construction d'une nouvelle loi, et d'une loi juste !
M. Paul Masson,
rapporteur.
C'est notre droit !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Nous regrettons toujours l'urgence, mais nous comprenons parfaitement que le
Gouvernement, en l'occurrence, l'ait demandée. En effet, qu'apporterait de plus
de votre part une lecture supplémentaire ?
Cela dit, qu'espérait le Gouvernement, et qu'espère-t-il encore ? Il nous l'a
dit : un consensus. Puissiez-vous être entendu, monsieur le ministre !
M. Henri de Raincourt.
Ça ne risque pas !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Vous voyez, monsieur le ministre !
Et vous avez entendu ce que nous a dit tout à l'heure M. Pasqua : « Impossible
compromis. » M. Pasqua a, si j'ose dire, déclaré la guerre en annonçant qu'on
allait sortir la grosse artillerie.
Permettez-moi de dire que ce consensus n'est malheureusement pas possible,
parce que - et je voudrais que personne ne se méprenne sur ce que je vais dire
- la droite reste toujours la droite.
MM. Christian Bonnet, Henri de Raincourt et Charles Ceccaldi-Raynaud.
Heureusement !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Quoi que vous fassiez, monsieur le ministre, quels que soient vos efforts, nos
efforts, elle nous traitera de laxistes parce qu'elle pense que cela sert ses
intérêts. Oh ! ce n'est pas nouveau.
On nous dit sans cesse - c'est le refrain habituel de M. Bonnet, et nous
venons de l'entendre à nouveau - que l'immigration n'est plus de même nature
que celle d'« avant ». Les émigrés seraient maintenant des gens inassimilables.
Nous lui avons dit déjà combien nous étions choqués d'entendre de pareils
propos : un homme est un homme, d'où qu'il vienne.
Monsieur Bonnet, rappelez-vous : avant la guerre, on disait des Polonais la
même chose que ce que, aujourd'hui, vous dites d'autres.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Cela ne prouve rien !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Ralph Schor dans son ouvrage
L'Opinion française et les étrangers,
1919-1939,
rapporte ainsi : « En avril 1925, un Polonais, injustement
accusé du meurtre d'une fillette dans la région de Dombasle, en
Meurthe-et-Moselle, faillit être lynché par une foule partagée entre
l'indignation et la fureur ; la découverte et les aveux du véritable assassin
ne calmèrent pas les esprits. »
Et plus loin : « En septembre 1925, le procureur de la République de Béthune
observait que ses administrés étaient "trop habitués à voir les Polonais
commettre une foule de délits et de crimes". »
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
N'assimilez pas !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
A l'époque, c'étaient les Polonais, « les Polacks », « les Ritals », et je
sais bien encore !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Vous oubliez les Corses !
(Rires.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Voici ce que disait, par exemple, ici même, un sénateur, le 6 avril 1925 : «
Il n'y a pas un pays au monde où les étrangers soient aussi mal surveillés, où
» - passez-moi le mot - » tous les résidus de l'étranger puissent venir aussi
massivement sans être inquiétés. »
M. Charles Pasqua.
Il était de gauche ?
(Sourires.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Oh non ! Il s'appelait Gaston Japy. Il était sénateur du Doubs et membre de
l'Union républicaine. Dans le dictionnaire des parlementaires, on évoque l'une
de ses interventions dans laquelle « il s'élève avec violence contre la loi des
huit heures, qui, selon lui, ne fera qu'inciter les ouvriers à la paresse et à
la débauche et conduira l'économie française à la ruine ».
Vous voyez bien que la droite, décidément, reste la droite !
(Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
Il était du Territoire de Belfort !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Il s'agit là de Gaston Japy, né à Dampierre-sous-Bois dans le Doubs, aux
portes de Breaucourt, cité du Territoire de Belfort, d'où, effectivement, est
originaire la famille et où il est mort.
Tout le monde connaît cette famille de riches industriels pour ce qu'elle a
donné à la France, en particulier au président Félix Faure...
(Sourires.)
Mais revenons à notre présent débat.
Il doit être enrichissant. Nous savons le respect que vous avez, à juste
titre, monsieur le ministre, pour les débats parlementaires.
Dans mon intervention, j'examinerai d'abord les améliorations qui sont
apportées par le projet de loi, pour évoquer ensuite celles qu'il est encore
possible d'y apporter.
En vérité, mon ami Guy Allouche a dressé tout à l'heure la liste des
améliorations apportées par le texte, comme l'avait d'ailleurs également fait
le rapporteur du texte à l'Assemblée nationale, notre ami Gérard Gouzes. Je ne
veux pas la reprendre en détail, ne serait-ce que pour éviter de vous
compromettre en vous apportant un appui franc et massif.
Il reste qu'emportent notre accord la suppression de l'interdiction
administrative du territoire, la possibilité de demander le relèvement d'un
arrêté de reconduite à la frontière depuis la France, l'abrogation du refus de
regroupement familial lorsque les conditions ne sont plus réunies lors de
l'accueil de la famille, la suppression du retrait du titre de séjour en cas de
venue de la famille hors regroupement familial, la suppression du recours
suspensif du procureur - oui, parfaitement, monsieur Pasqua ! -, les décisions
du juge judiciaire relatives à la prolongation de la rétention administrative,
la suppression du certificat de logement, etc.
Notre rôle est maintenant d'essayer, si c'est possible, d'améliorer encore la
loi, ...
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Dans quel sens ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
... car c'est au législateur qu'il appartient, en dernière analyse, de la
faire.
Bien sûr, nous trouvant au Sénat, nous ne nourrissons aucune illusion. Si nous
formulons des remarques ou des propositions, c'est pour essayer de vous
convaincre, vous, monsieur le ministre, de convaincre le Gouvernement et,
au-delà, de convaincre l'Assemblée nationale, qui aura bien entendu le dernier
mot. Nous savons bien que, ici, aucun de nos amendements, quel qu'il soit, ne
sera adopté.
M. Henri de Raincourt.
Ne soyez pas pessimiste !
(Sourires.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Bien entendu, nous sommes et serons responsables. Il n'y a pas, au groupe
socialiste, pas plus que dans d'autres groupes parlementaires,
d'irresponsables. Et nous ne sommes pas irréalistes, pas plus que vous ne
l'êtes vous-même, monsieur le ministre, même si, en une litanie, M. Bonnet vous
a dit et répété tout à l'heure que vous étiez « irréaliste ».
M. Christian Bonnet.
Parfaitement !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Vous voyez, quoi que vous fassiez, monsieur le ministre, vous serez incompris
! La recherche d'un consensus qui vous anime est, vous le constatez, rejetée
ici, comme elle l'a été à l'Assemblée nationale.
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
Monsieur Dreyfus-Schmidt, m'autorisez-vous à
vous interrompre ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je vous en prie, monsieur le ministre.
M. le président.
La parole est à M. le ministre, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
Le Gouvernement cherche un consensus
républicain, c'est vrai, mais il le cherche avant tout, je dois le dire, dans
le pays. C'est la raison pour laquelle je me sens parfaitement à l'aise, même
si je n'arrive pas à convaincre M. Bonnet. Mais est-ce que je l'espérais
vraiment ? Non !
Je l'ai écouté, comme toujours, avec intérêt.
Je lui donnerai un exemple, celui des migrants kurdes, qui affaiblit
considérablement sa démonstration quant à l'intérêt qu'il y aurait à
communautariser l'immigration.
J'ai entendu M. Pasqua évoquer les rigueurs des législations allemande ou
britannique. Mais regardez ce qui se passe en Italie, en Grèce, ou dans
d'autres pays encore... Mais c'est un autre sujet, et je ne veux pas
interrompre plus longtemps votre propos, monsieur Dreyfus-Schmidt, d'autant que
vous avez peu de temps !
M. le président.
Veuillez poursuivre, monsieur Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je dois souligner les réformes que vous proposez concernant le droit d'asile
et qui, évidemment, attirent notre attention et recueillent notre soutien.
Mais, dans ce débat, il y a pour nous une difficulté particulière du fait du
caractère équilibré, comme vous le dites, de votre projet.
Il est équilibré entre, sans doute, la fermeté et la générosité puisque c'est
une loi « ferme et généreuse ». Quand un équilibre est fragile, à peine y
touche-t-on qu'on le déséquilibre ! Si nous proposons de revenir sur certaines
dispositions, soit fermes, soit généreuses, nous le déséquilibrons, et si nous
proposons d'ajouter d'autres dispositions, soit fermes, soit généreuses, nous
le déséquilibrons aussi. Nous ne proposerons donc des améliorations que d'une
main tremblante.
C'est après des discussions sereines et approfondies au sein du groupe
socialiste que celui-ci a décidé de déposer onze amendements.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
C'est beaucoup !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Ces amendements sont fondés sur notre volonté évidemment commune avec tous nos
amis, où qu'ils siègent, de fortifier l'état de droit et de faire en sorte que
l'administration, qui agit, soit contrôlée - on ne peut à la fois sérieusement
agir et se contrôler soi-même - par le juge, qui est le gardien des libertés
aux termes de notre Constitution.
Mais il faut aussi, bien entendu, que le pouvoir du juge soit lui-même
limité.
Ces amendements, je vais vous en donner la primeur, monsieur le ministre.
D'abord, nous souhaitons qu'il ne soit pas exigé de ceux qui sont autorisés à
bénéficier du regroupement familial d'être, en plus, en possession d'un visa,
évidemment inutile.
Ensuite, par un amendement que je qualifierai de « tout bête », nous
demanderons qu'il ne puisse y avoir de retrait d'un titre de séjour pour d'une
personne inexpulsable. Si une telle disposition avait existé, il n'y aurait pas
eu de sans-papiers. Si nous voulons éviter qu'il y en ait de nouveaux,
inscrivons cette disposition dans la loi.
Un autre amendement concerne la « menace à l'ordre public ». Après tout,
est-il important de préciser qu'il doit s'agir d'une menace grave s'il y a
vraiment menace à l'ordre public ? Nous n'allons pas aussi loin que votre
conseiller, M. Sami Naïr, qui, dans un article paru dans
Le Monde,
que
nous avons apprécié, a souhaité que la menace à l'ordre public soit qualifiée
de « grave ». Nous demandons seulement qu'elle soit « dûment justifiée », afin
que la justice puisse exercer son contrôle.
Par ailleurs, et par souci de cohérence entre les articles 12 et 15
ter
de l'ordonnance de 1945, d'une part, et l'article 25, d'autre part, nous
souhaitons qu'un étranger régulièrement établi ne puisse se voir retirer
définitivement son titre de séjour pour avoir employé un clandestin que si cela
a entraîné sa condamnation à une peine de prison sans sursis, quelle qu'en soit
la durée, comme le prévoit, précisément, l'article 25.
Nous demanderons aussi le rétablissement de la commission du séjour des
étrangers.
Nous demanderons, et c'est un minimum, que soient inscrites dans la loi les
réserves d'interprétation du Conseil constitutionnel selon lesquelles celui qui
a été placé en rétention administrative puis libéré ne peut y être replacé
qu'une seule fois.
Nous essaierons aussi de vous convaincre, monsieur le ministre, qu'il est
indispensable de revenir à la situation « ante Pasqua », et je regrette
l'absence de M. Pasqua, car j'aurais voulu qu'il m'entende !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Mais je suis là, moi !
(Rires)
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Alors, mon cher collègue, vous rappellerez à M. Pasqua, qui aujourd'hui
prétend qu'il y a mieux à faire, qu'il n'a rien eu de plus pressé, lorsqu'il
est arrivé au pouvoir en 1986, que de faire voter une loi sur l'entrée, la
circulation et le séjour des étrangers, et qu'il n'a rien eu de plus pressé,
lorsqu'il y est revenu en 1993, que de faire inscrire à l'ordre du jour du
Parlement un nouveau projet de loi sur l'entrée, la circulation et le séjour
des étrangers !
Puis, comme le Conseil constitutionnel avait annulé certaines dispositions de
la première loi Pasqua de 1993, il y en a eu une seconde, qui portait, sauf
erreur de ma part, la date du 30 décembre.
Nous demanderons donc qu'un étranger irrégulier soit conduit devant le
président du tribunal ou son délégué au bout de vingt-quatre heures et non pas
seulement après quarante-huit heures.
De 1981 à 1983, en effet, il a été considéré qu'il n'y avait pas de raison
qu'un étranger, fût-il en situation irrégulière, soit plus mal traité que le
criminel ou le délinquant grave, lequel ne peut être mis en garde à vue - en
règle générale - que pendant vingt-quatre heures avant d'être déposé à un juge.
C'est l'
habeas corpus
.
Nous demandons donc le retour au système des vingt-quatre heures plus six
jours, soit sept jours, afin que ne figure plus dans l'ordonnance le système
des quarante-huit heures plus cinq jours, soit sept jours, le total, vous le
voyez, étant le même.
Nous proposerons aussi que les tribunaux ne puissent, quelle que soit la peine
qu'ils prononcent, l'assortir d'une interdiction de séjour si les condamnés ont
des liens forts avec la France, tels ceux qui sont en France depuis l'âge de
dix ans, qui ne sont jamais retournés dans leur pays, qui n'en connaissent pas
la langue, qui ont toute leur famille en France - famille dont beaucoup de
membres peuvent être Français.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Vous déséquilibrez complètement le texte !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Enfin, vous le savez, nous sommes nombreux à estimer que, pour le Conseil
constitutionnel, la durée de la rétention administrative ne peut être encore
prolongée. Après la seconde délibération qui aura sans doute lieu, la majorité
sénatoriale et la minorité à l'Assemblée nationale saisiront vraisemblablement
le Conseil constitutionnel. Mais le Gouvernement ne pourrait-il pas le faire
lui-même ?
Nous savons bien, monsieur le ministre, que vous n'avez aucune intention de
violer la Constitution. Pourquoi donc ne pas vous en remettre au Conseil
constitutionnel ? Nous vous le demandons.
En ce qui concerne le traité d'Amsterdam, je remercie M. Bonnet d'avoir ramené
le problème à ses justes proportions. La question sera tranchée à l'unanimité
dans cinq ans, ce qui nous laisse le temps de convaincre nos partenaires de la
justesse de notre position.
Monsieur le ministre, nous ne doutons pas de votre écoute. Vous pouvez
vous-même compter sur nous : nous voterons contre le texte tel qu'il sortira
des travaux du Sénat !
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi
que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
4
COMMUNICATION DE L'ADOPTION DÉFINITIVE
DE PROPOSITIONS D'ACTE COMMUNAUTAIRE
M. le président.
J'ai reçu de M. le Premier ministre une communication, en date du 20 janvier
1998, l'informant que :
- la proposition d'acte communautaire E 889 - « rapport de la Commission au
Conseil présenté conformément à l'article 2 de la décision du Conseil
92/545/CEE du 23 novembre 1992 (application d'une mesure dérogatoire à
l'article 21 de la sixième directive [77/388/CEE] en matière d'harmonisation
des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre
d'affaires). Proposition de décision du Conseil autorisant le Royaume des
Pays-Bas à proroger l'application d'une mesure dérogatoire à l'article 21 de la
sixième directive (77/388/CEE) du Conseil du 17 mai 1977 en matière
d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le
chiffre d'affaires (secteur de la confection) » - a été adoptée définitivement
par les instances communautaires par décision du Conseil du 19 décembre 1997
;
- la proposition d'acte communautaire n° E 917 : « proposition de décision du
Conseil autorisant le Royaume-Uni à proroger l'application d'une mesure
dérogatoire à l'article 28
sexies,
paragraphe 1, de la sixième directive
(77/388/CEE) du Conseil du 17 mai 1977 en matière d'harmonisation des
législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires
(prescription de la valeur normale retenue comme base d'imposition des
acquisitions intracommunautaires de biens entre personnes liées) » a été
adoptée définitivement par les instances communautaires par décision du Conseil
du 19 décembre 1997.
5
DÉPÔT DE PROJETS DE LOI
M. le président.
J'ai reçu de M. le Premier ministre un projet de loi autorisant l'approbation
de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement
de la République de Moldavie sur l'encouragement et la protection réciproques
des investissements.
Le projet de loi sera imprimé sous le numéro 230, distribué et renvoyé à la
commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous
réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les
conditions prévues par le règlement.
J'ai reçu de M. le Premier ministre un projet de loi autorisant l'approbation
de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement
de la République d'Inde sur l'encouragement et la protection réciproques des
investissements.
Le projet de loi sera imprimé sous le numéro 231, distribué et renvoyé à la
commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous
réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les
conditions prévues par le règlement.
J'ai reçu de M. le Premier ministre un projet de loi autorisant l'approbation
de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement
de Géorgie sur l'encouragement et la protection réciproques des
investissements.
Le projet de loi sera imprimé sous le numéro 232, distribué et renvoyé à la
commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous
réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les
conditions prévues par le règlement.
J'ai reçu de M. le Premier ministre un projet de loi autorisant l'approbation
de la convention entre le Gouvernement de la République française et le
Gouvernement de la Fédération de Russie en vue d'éviter les doubles impositions
et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le
revenu et sur la fortune (ensemble un protocole).
Le projet de loi sera imprimé sous le numéro 233, distribué et renvoyé à la
commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de
la nation, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale
dans les conditions prévues par le règlement.
6
DÉPO^T DE PROPOSITIONS DE LOI
M. le président.
J'ai reçu de MM. Jean-Paul Delevoye, Luc Dejoie, Christian Demuynck, Patrice
Gélard, René-Georges Laurin, Michel Rufin et Jean-Pierre Schosteck une
proposition de loi relative aux pouvoirs de police des maires en matière de
messages écrits ou illustrés à caractère violent, pornographique ou de nature à
porter gravement atteinte à la dignité humaine.
La proposition de loi sera imprimée sous le numéro 228, distribuée et renvoyée
à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage
universel, du règlement et d'administration générale, sous réserve de la
constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues
par le règlement.
J'ai reçu de Mme Gisèle Printz, M. Roger Hesling, Mme Dinah Derycke, MM. Guy
Allouche, Pierre Mauroy, Paul Raoult, Léon Fatous, Roland Huguet, Daniel
Percheron, Michel Sergent et les membres du groupe socialiste et apparentés une
proposition de loi relative à la prévention des risques miniers après la fin de
l'exploitation.
La proposition de loi sera imprimée sous le numéro 229, distribuée et renvoyée
à la commission des affaires économiques et du Plan, sous réserve de la
constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues
par le règlement.
7
DÉPO^T DE RAPPORTS
M. le président.
J'ai reçu de M. James Bordas un rapport fait au nom de la commission des
affaires culturelles sur sa proposition de résolution (n° 65, 1997-1998)
présentée en application de l'article 73
bis
du règlement, sur la
proposition de décision du Parlement européen et du Conseil relative au
cinquième programme-cadre de la Communauté européenne pour des actions de
recherche, de développement technologique et de démonstration (1998-2002) et la
proposition de décision du Conseil relative au cinquième programme-cadre de la
Communauté européenne de l'énergie atomique (Euratom) pour des activités de
recherche et d'enseignement (1998-2002) (n° E-847).
Le rapport sera imprimé sous le numéro 225 et distribué.
J'ai reçu de M. Pierre Fauchon un rapport fait au nom de la commission des
lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et
d'administration générale sur la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée
nationale, relative à la responsabilité du fait des produits défectueux (n°
260, 1996-1997).
Le rapport sera imprimé sous le numéro 226 et distribué.
J'ai reçu de M. Jean-François Le Grand, rapporteur pour le Sénat, un rapport
fait au nom de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur
les dispositions restant en discussion du projet de loi tendant à améliorer les
conditions d'exercice de la profession de transporteur routier.
Le rapport sera imprimé sous le numéro 227 et distribué.
8
ORDRE DU JOUR
M. le président.
Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment
fixée au jeudi 22 janvier 1998 :
A neuf heures trente :
1. Discussion, en deuxième lecture, de la proposition de loi (n° 207,
1997-1998), adoptée avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième
lecture, relative au fonctionnement des conseils régionaux.
Rapport (n° 214, 1997-1998) de M. Paul Girod, fait au nom de la commission des
lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et
d'administration générale.
Aucun amendement n'est plus recevable.
2. Suite de la discussion du projet de loi (n° 188, 1997-1998), adopté par
l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif à l'entrée et au
séjour des étrangers en France et au droit d'asile.
Rapport (n° 224, 1997-1998) de M. Paul Masson, fait au nom de la commission
des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du
règlement et d'administration générale.
Avis (n° 221, 1997-1998) de M. Alain Vasselle, fait au nom de la commission
des affaires sociales.
Aucune inscription de parole dans la discussion générale n'est plus
recevable.
Délai limite pour le dépôt des amendements : lundi 26 janvier 1998, à dix-sept
heures.
A quinze heures et, éventuellement, le soir :
3. Eventuellement, suite de l'ordre du jour du matin.
4. Déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, sur la réforme de la
justice.
Aucune inscription de parole dans ce débat n'est plus recevable.
Personne ne demande la parole ?...
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-neuf heures cinquante.)
Le Directeur
du service du compte rendu intégral,
DOMINIQUE PLANCHON
REMPLACEMENT D'UN SÉNATEUR
M. le ministre des affaires étrangères a fait connaître à M. le président du Sénat qu'en application de l'article L.O. 320 du code électoral, M. André Gaspard est appelé à remplacer, en qualité de sénateur représentant les Français établis hors de France, M. Pierre Croze, décédé le 19 janvier 1998.
MODIFICATION AUX LISTES
DES MEMBRES DES GROUPES
RÉUNION ADMINISTRATIVE DES SÉNATEURS
NE FIGURANT SUR LA LISTE D'AUCUN GROUPE
(10 au lieu de 9)
Ajouter le nom de M. André Gaspard.
NOMINATIONS DE RAPPORTEURS
COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES
M. Ivan Renar a été nommé rapporteur de la proposition de loi n° 141
(1997-1998) de Mme Hélène Luc et plusieurs de ses collègues relative à
l'enseignement de la langue et de la culture arméniennes.
Mme Hélène Luc a été nommée rapporteur de la proposition de loi n° 143
(1997-1998) de M. Ivan Renar et plusieurs de ses collègues tendant à
reconnaître aux communes le droit de moduler les tarifs des écoles municipales
de musique et de danse en fonction des ressources des familles.
COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES,
DE LA DÉFENSE ET DES FORCES ARMÉES
Mme Paulette Brisepierre a été nommée rapporteur du projet de loi n° 203
(1997-1998) autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la
République française et le Gouvernement de la République de Namibie sur la
coopération culturelle, scientifique et technique.
M. Hubert Durand-Chastel a été nommé rapporteur du projet de loi n° 204
(1997-1998) autorisant l'approbation de la convention d'entraide judiciaire en
matière civile entre le Gouvernement de la République française et le
Gouvernement de la République fédérative du Brésil.
DÉLAI LIMITE POUR LE DÉPÔT DES AMENDEMENTS
À UNE PROPOSITION DE RÉSOLUTION
En application de l'article 73
bis,
alinéa 7, du règlement, la
commission des affaires culturelles a fixé au
lundi 2 février 1998,
à
17 heures,
le délai limite pour le dépôt des amendements à la
proposition de résolution qu'elle a adoptée sur la proposition de décision du
Parlement européen et du Conseil relative au cinquième programme-cadre de la
Communauté européenne pour des actions de recherche, de développement
technologique et de démonstration (1998-2002) et la proposition de décision du
Conseil relative au cinquième programme-cadre de la Communauté européenne de
l'énergie atomique (EURATOM) pour des activités de recherche et d'enseignement
(1998-2002) (n° E 847).
Le rapport n° 225 (1997-1998) de M. James Bordas sera mis en distribution le
vendredi 23 janvier 1998.
Les amendements devront être déposés directement au secrétariat de la
commission des affaires culturelles et seront examinés par la commission lors
de sa réunion du
mercredi 4 février 1998,
à
9 h 30.
Le Directeur du service du compte rendu intégral, DOMINIQUE PLANCHON QUESTIONS ORALES REMISES À LA PRÉSIDENCE DU SÉNAT (Application des articles 76 à 78 du réglement)
Mission des SAFER
166.
- 21 janvier 1998. -
M. René-Pierre Signé
rappelle à
M. le ministre de l'agriculture et de la pêche
que la loi n° 90-85 du 23 janvier 1990 complétée par le décret du 18 août 1993
prévoit et organise le concours technique des sociétés d'aménagement foncier et
d'établissement rural (SAFER) aux collectivités. Toutefois ce concours demeure
trop limité, en raison de la définition trop restrictive de la mission assignée
aux SAFER relativement à la rétrocession des terres agricoles. Il en est ainsi,
en particulier, de l'impossibilité encore faite aux communes, dans le cadre de
ce type de procédures, de préempter des parcelles pour les destiner à des
projets d'aménagement et de développement d'intérêt collectif. Il lui demande
s'il envisage d'élargir la mission des SAFER dans ce domaine, approfondissant
ainsi la démarche adoptée en 1990.
Calcul du financement des établissements de santé
167. - 21 janvier 1998. - M. Philippe Richert attire l'attention de M. le secrétaire d'Etat à la santé sur les calculs des points ISA (indice synthétique d'activités) dans le cadre du PMSI (programme de médicalisation des systèmes d'information) et leurs répercussions sur le financement par dotation globale des établissements de santé. En effet, les points ISA servent actuellement de support au processus d'allocation des ressources pour les établissements d'hospitalisation comportant au moins cent lits de court séjour, dont certains, au fil des années, restent manifestement sous-dotés, malgré les efforts de péréquation mis en place par le PMSI. Le rapport détaillé du PMSI de la valeur des points ISA de tous les hôpitaux de France, annexé au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1998, répertorie près de six établissements dont la valeur des points ISA est inférieure à dix (résultats PMSI 1996). Le département du Bas-Rhin s'illustre en ayant sur son territoire l'établissement le plus sous-doté de France, l'hôpital de Neuenberg. Sans remettre en cause l'ensemble du dispositif, il souhaiterait connaître le procédé par lequel le ministre envisage de pallier les sous-dotations constatées par le PMSI. Envisage-t-il des mesures incitatrices auprès des agences régionales de l'hospitalisation (ARH) afin que les inégalités de traitement soient corrigées ?