SOMMAIRE


PRÉSIDENCE DE M. JEAN FAURE

1. Procès-verbal (p. 0 ).

2. Remplacement d'un sénateur décédé (p. 1 ).

3. Entrée et séjour des étrangers en France et droit d'asile (p. 2 ).
Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgenceDiscussion générale : MM. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur ; Paul Masson, rapporteur de la commission des lois ; Alain Vasselle, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales ; Jacques Larché, président de la commission des lois ; Guy Allouche, Mme Joëlle Dusseau.

Suspension et reprise de la séance (p. 3 )

MM. Michel Duffour, Charles Pasqua, le ministre, Claude Huriet, André Maman, Christian Bonnet, Jean-Pierre Fourcade, Michel Dreyfus-Schmidt.
Renvoi de la suite de la discussion.

4. Communication de l'adoption définitive de propositions d'acte communautaire (p. 4 ).

5. Dépôt de projets de loi (p. 5 ).

6. Dépôt de propositions de loi (p. 6 ).

7. Dépôt de rapports (p. 7 ).

8. Ordre du jour (p. 8 ).



COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. JEAN FAURE
vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures cinq.)

1

PROCÈS-VERBAL

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

2

REMPLACEMENT D'UN SÉNATEUR DÉCÉDÉ

M. le président. M. le ministre des affaires étrangères a fait connaître à M. le président du Sénat que, en application de l'article L.O. 320 du code électoral, M. André Gaspard est appelé à remplacer, en qualité de sénateur représentant les Français établis hors de France, Pierre Croze, décédé le 19 janvier 1998.

3

ENTRÉE ET SÉJOUR DES ÉTRANGERS
EN FRANCE ET DROIT D'ASILE

Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 188, 1997-1998), adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif à l'entrée et au séjour des étrangers en France et au droit d'asile. [Rapport n° 224 (1997-1998) et avis n° 221 (1997-1998).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi RESEDA, relatif à l'entrée et au séjour des étrangers en France et au droit d'asile, adopté en première lecture par l'Assemblée nationale, est aujourd'hui soumis à votre examen.
Il nous permettra d'approfondir le dialogue sur l'idée que nous nous faisons, les uns et les autres, de la France tant il est vrai que, si l'immigration est souvent la source d'un débat passionné, c'est probablement parce qu'elle touche à l'idée que chacun de nous se fait de notre identité nationale.
Je souhaite pourtant que ce soit l'occasion, un instant de raison, de réfléchir sereinement à ce qui pourrait fonder durablement la politique de notre pays en cette matière.
Tel est le souhait du Gouvernement, qui est d'ailleurs renforcé dans sa conviction par l'avis émis par le Haut Conseil à l'intégration, présidé par Mme Simone Veil, qui, dès le 3 octobre dernier, s'était « félicité de l'approche équilibrée et concrète adoptée par le projet de loi qui place le respect de l'individu et de sa famille au centre de ses préoccupations et cherche à lutter contre les procédures administratives inutiles ou excessivement rigides, notamment en matière de regroupement familial, et cela sans perdre de vue la nécessité de lutter contre l'immigration irrégulière. »
Je l'ai souligné à plusieurs reprises, il s'agit de sortir l'immigration du débat piégé qui fait rage depuis une quinzaine d'années, depuis qu'une extrême droite ressurgie de l'abîme occupe de nouveau une certaine place sur l'échiquier politique.
M. Jean-Pierre Schosteck. Très Bien !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Il est urgent d'en finir avec les amalgames et les surenchères, qui d'ailleurs dissimulent souvent, je le crois, un consensus implicite entre la droite et la gauche républicaines sur un certain nombre de principes. Je ne veux pas dire qu'il n'y ait pas place pour un débat légitime, mais enfin aucun groupe politique, au Sénat comme à l'Assemblée nationale, ne s'oppose à la maîtrise des flux migratoires !
Qui ne souhaite le rayonnement international de la France et ne reconnaît la nécessité de son ouverture au monde ?
Qui refuse que les étrangers durablement établis sur notre sol voient leur situation stabilisée ?
Quelqu'un, enfin, préconise-t-il de priver les étrangers des garanties de l'Etat de droit, qui s'appuient sur notre conception commune de la République ?
Le Gouvernement a donc voulu définir une politique généreuse mais ferme dans le domaine de l'immigration.
Ce faisant, il a pris le risque de mécontenter aussi bien les tenants d'une conception ethnique de la nation que les partisans, calculateurs ou naïfs, de l'ouverture des frontières.
Ai-je besoin de rappeler que cette législation nouvelle sur l'immigration, qui est en fait une reprise de l'ordonnance de 1945 à partir d'un certain nombre d'idées clairement énoncées - le rappel au droit du sol bien entendu, mais aussi le droit de vivre en famille, le droit d'asile pleinement reconnu -, ai-je besoin de rappeler, dis-je, que cette législation s'articule en réalité dans un contexte plus vaste, puisque nous entendons à la fois prendre des mesures réglementaires et inscrire notre projet dans une vision d'ensemble, celle du codéveloppement entre la France et un certain nombre de pays du sud, en particulier ceux de l'espace francophone ?
Il est utile d'avoir en tête quelques chiffres importants.
Vous savez que, chaque année, 85 millions d'étrangers viennent en France.
A ce propos, il faut distinguer le droit d'entrée, conféré par les visas, qui peuvent aller jusqu'à trois mois, et le droit de séjour. En 1996, 78 000 titres de séjour supplémentaires ont été attribués. L'acquisition de la nationalité, c'est autre chose encore.
Il n'est pas mauvais de rappeler non plus que, bon an mal an, un peu moins de 100 000 étrangers s'installent sur notre sol, tandis qu'un nombre à peu près équivalent d'étrangers présents légalement en France, souvent depuis longtemps, accèdent à la nationalité française, de sorte que le nombre d'étrangers vivant légalement en France est pour ainsi dire stable depuis les années trente.
Parce que la France est un pays ouvert sur le monde, on doit prendre garde à l'image que renvoie vers l'extérieur la politique que nous menons.
Il ne fait guère de doute que cette image a été gravement atteinte entre 1996 et 1997. La politique gesticulatoire qui a caractérisé cette période a porté atteinte à cette image.
Dois-je rappeler l'évacuation, fortement médiatisée, de l'église Saint-Bernard, après une trop longue période de pourrissement ? Dois-je évoquer le projet de loi, présenté par mon prédécesseur, qui visait à faire déclarer le départ des hébergés par les hébergeants ?
M. Michel Caldaguès. Ça commence bien pour ce qui est de la sérénité du débat !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Je rappelle ces faits, car on aurait pu en faire l'économie, monsieur le sénateur. (Exclamations sur les travées du RPR.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Laissez parler le ministre !
M. Raymond Courrière. Il n'y a que la vérité qui blesse !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Ce rappel des faits est nécessaire, pour montrer que j'ai trouvé à mon arrivée au ministère de l'intérieur un passif qu'il s'agit de solder. (Protestations sur les mêmes travées.)
M. Michel Caldaguès. Que sera-ce après votre départ ?
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Il est clair que cette politique a eu un certain nombre de résultats, je ne le nie pas, par exemple d'aboutir à ce que le nombre d'Africains poursuivant des études dans les universités françaises a diminué de 20 000 depuis quelques années. Mais était-ce là l'objectif souhaité ?
Chacun comprend que ces problèmes sont complexes ; il faut les traiter avec doigté.
De plus, la gestion maîtrisée des flux migratoires n'a de sens que si nous l'inscrivons dans la perspective du codéveloppement.
Dans le rapport d'étape sur les migrations et le codéveloppement qu'il a remis au Premier ministre, le professeur Sami Naïr propose d'aborder cette question en associant les principaux acteurs concernés : les Etats - surtout ceux du Maghreb et de l'Afrique francophone - pour la gestion commune des flux, bien nécessaire, les entreprises privées pour la formation de cadres et de travailleurs qualifiés, les universités, le mouvement associatif et, enfin, les collectivités territoriales dans le cadre de la coopération décentralisée. Des propositions concrètes ont été faites, sur lesquelles il reste au Gouvernement à trancher pour poser les jalons d'une grande politique de codéveloppement.
Nous ne devons jamais perdre de vue que le but de notre politique est l'intégration. J'ai évoqué la stabilisation des étrangers vivant en situation régulière, mais il s'agit aussi de leur intégration, s'ils la souhaitent, à la République.
Or, que ce soit en matière d'emploi, de logement ou, comme le soulignait le Président de la République lui-même, d'accès aux lieux de loisirs, des pratiques discriminatoires se développent. Il nous faut les combattre énergiquement.
L'intégration exige, vis-à-vis de la société tout entière, l'égalité des droits et des devoirs. Elle exige aussi la fierté de l'appartenance nationale. Si l'on perd le sens de la nation, on perd en même temps toute capacité d'intégration.
Certes, le chômage de masse, avec son cortège de difficultés à vivre et les déséquilibres sociaux qu'il engendre, met à mal cette capacité d'intégration. C'est pour cette raison que le Gouvernement entend définir les termes d'une politique d'immigration équilibrée, permettant à la « machine à intégrer » de fonctionner.
Pour résumer simplement ce qui fait l'essence de notre politique en la matière, je dirai qu'il s'agit de proportionner l'admission au séjour aux besoins de la France et à sa capacité à intégrer.
Bien sûr, il convient de replacer cette politique dans un cadre international. Je passerai très rapidement sur les accords particuliers qui nous lient à l'Algérie et à la Tunisie. Nous assistons d'ailleurs à un mouvement général d'harmonisation vers le régime de droit commun.
Cependant, c'est surtout dans un cadre européen que le présent projet s'inscrit.
Sur le plan opérationnel, il trouve place, d'abord, dans l'application de la convention de Schengen. Ainsi que j'aurai l'occasion de vous le préciser lors de l'examen des articles, ses dispositions sont en tous points compatibles avec les engagements que nous avons souscrits avec nos partenaires européens.
Les éléments les plus importants concernent : premièrement, le contrôle aux frontières extérieures ; deuxièmement, la levée progressive des contrôles aux frontières intérieures, qui nécessite une coopération policière et judicaire efficace, les Etats conservant la possibilité de faire jouer la clause de sauvegarde ; troisièmement, la détermination de l'Etat compétent pour l'examen des demandes d'asile, domaine régi par la convention de Dublin, entrée en vigueur le 1er septembre 1997 ; quatrièmement, le « système d'information Schengen », composé d'un système central et de systèmes nationaux, encadrés quant aux informations à recueillir et aux conditions de signalement ; cinquièmement, la délivrance de visas Schengen communs de court séjour ; enfin, sixièmement, les dispositifs de coopération policière destinés à lutter contre la délinquance transfrontalière.
Par ailleurs, il est faux de prétendre que le projet de loi reseda s'écarterait sensiblement des dispositions en vigueur chez nos principaux partenaires. J'aurai certainement l'occasion d'y revenir et de vous montrer que nous allons, au contraire, tout à fait dans le sens des dispositions qui existent déjà, notamment en matière d'asile, dans les pays voisins.
Il en va de même pour les dispositions concernant la vie privée et familiale, qui ne font que reprendre l'article 3 et surtout l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, conclue dans le cadre du Conseil de l'Europe.
Mais je voudrais aussi vous faire part d'une importante préoccupation qui résulte de développements européens récents. En effet, le passage prévu par le traité d'Amsterdam des questions de l'asile et de l'immigration du troisième au premier pilier et la perspective du passage, dans cinq ans, au vote à la majorité qualifiée et à la codécision, avec le Parlement européen, posent, à mes yeux, un problème grave, souligné par la décision du Conseil constitutionnel du 31 décembre 1997. Il s'agit là d'un transfert de souveraineté d'une importance considérable, comme l'a souligné le Conseil constitutionnel, si l'on est attentif aux différences importances qui existent entre les traditions nationales à l'intérieur de l'Union européenne et surtout à la cartographie de l'immigration : en Allemagne, il y a surtout des Turcs et des Kurdes, en France, surtout des Maghrébins et, en Grande-Bretagne, surtout des ressortissants des pays du sous-continent indien.
Je suis surpris qu'une décision aussi lourde de conséquences ait été prise sans véritable débat, le 5 février 1996, dans le secret d'un comité interministériel tenu à Matignon et dans l'espoir de contreparties qui n'ont pas été obtenues : à la fois un droit d'initiative partagé entre la Commission et les Etats et un rôle accru des Parlements nationaux.
Quand on adopte une vue d'ensemble de la négociation du traité d'Amsterdam, on doit bien constater que, sur aucun point, la diplomatie française n'a atteint les objectifs qu'elle s'était fixés, que ce soit en matière de repondération des voix au Conseil, en matière de réduction du nombre des commissaires, afin de rendre l'élargissement compatible avec un fonctionnement plus efficace des institutions européennes, en matière de politique étrangère et de sécurité commune - je crois que « Monsieur PESC » n'existera jamais - ou dans le domaine de l'Union de l'Europe occidentale, qu'il s'agissait de « camper » face à l'OTAN.
Ce débat est aussi l'occasion de replacer cette question de la communautarisation de l'asile et de l'immigration, principal résultat de cette négociation, dans le cadre d'ensemble de la politique menée naguère, en tout cas dans le cadre des objectifs que s'était fixé le gouvernement de M. Juppé.
Je suis assez étonné que l'opposition d'aujourd'hui, majorité au Sénat, si attentive à la maîtrise des flux migratoires - que n'ai-je entendu à l'Assemblée nationale ! -, soit restée muette sur ce sujet, comme si la communautarisation allait résoudre un certain nombre de problèmes plus efficacement qu'une législation nationale, à propos de laquelle on peut évidemment discuter.
Dans ce contexte, le Gouvernement a entendu agir vite pour solder le passif de la politique antérieure et poser les bases d'une législation équilibrée et juste, afin de sortir la question de l'immigration d'un débat piégé.
Par circulaire en date du 24 juin 1997, j'ai invité les préfets à réexaminer la situation de certaines catégories d'immigrés en situation irrégulière. Il s'agit non pas d'une opération de régularisation générale, mais d'un réexamen de situations sur critères, visant à régler les problèmes issus des incohérences de la législation actuelle et à mettre fin à la situation intolérable ou inextricable dans laquelle se trouvaient certains étrangers présents sur notre territoire. Le processus est en cours et j'ai toutes les raisons de penser qu'il s'achèvera à la fin du mois d'avril 1998.
Dans le même temps, M. le Premier ministre a demandé à M. Patrick Weil, directeur de recherche au CNRS et professeur à l'Institut d'études politiques de Paris « d'analyser la situation présente et de proposer des règles simples, réalistes et humaines pour l'entrée et le séjour des étrangers, propres à garantir une intégration réussie dans la République à ceux qui le souhaitent et en remplissent les conditions, et de nature à faire obstacle aux flux d'immigration illégale et aux filières de travail clandestin ».
Je l'ai dit tout à l'heure, la mise en oeuvre des recommandations du rapport avance à un bon rythme.
Pour redonner son statut d'exception au droit d'asile, il était nécessaire d'améliorer les procédures. En dehors des modifications proposées dans le projet de loi qui vous est soumis, plusieurs mesures sont déjà décidées et mises en application.
L'objectif d'un entretien individualisé à l'OFPRA, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, pour chaque demandeur sera atteint dans le courant de cette année, dès la mise en oeuvre de la clause de cessation, dont nous allons débattre à l'acticle 30.
La commission des recours va voir son fonctionnement amélioré sous l'autorité d'un nouveau président.
La politique d'accueil des demandeurs d'asile fait l'objet d'un examen minutieux par Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité, avec laquelle je me suis entretenu ce matin même.
Pour mieux garantir la liberté de circulation, il fallait revoir aussi la politique des visas ; je rappelle que 1 700 000 visas sont délivrés chaque année.
M. le Président de la République lui-même, dans les voeux qu'il a prononcés voilà quelques jours devant le corps diplomatique a fait sienne cette orientation : « Nous avons conscience de la densité des relations humaines qui rendent si féconds et si attachants nos rapports avec nos partenaires du continent africain et de l'Océan indien (...) A ma demande, des instructions ont été diffusées pour rendre plus souple la délivrance des visas aux étudiants et aux chercheurs, qui sont le ferment d'un enrichissement mutuel de nos cultures, mais aussi à tous les milieux professionnels qui souhaitent travailler avec la France. »
Comment ne pas se réjouir d'un tel concours ?
M. Désiré Debavelaere. Qu'ils repartent chez eux quand ils ont fini !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Un travail en commun a, par ailleurs, été entrepris par les services concernés du ministère des affaires étrangères et de mon ministère pour améliorer la coordination des actions de contrôle de la circulation transfrontalière.
Pour mieux respecter la vie familiale, les propositions du rapport Weil ont également fait l'objet de décisions.
La simplification tendant à confier à l'Office des migrations internationales le dépôt direct des demandes de regroupement familial est en cours d'extension à de nouveaux départements. La politique d'accueil des familles rejoignantes fait l'objet d'un réexamen d'ensemble par Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.
La simplification du travail des administrations, pour mieux accueillir les usagers, est aussi à l'ordre du jour. Par exemple, la réalisation d'un document recensant l'ensemble des titres existants est décidée.
Il convient aussi d'améliorer les dispositifs d'éloignement des étrangers en situation irrégulière. Pour cela, les centres de rétention seront dotés d'un statut réglementaire.
Les propositions du rapport qui visent à prévenir le travail irrégulier font l'objet d'un examen qui ne se limite pas à la politique de l'immigration. C'est donc dans l'ensemble de la politique de l'emploi et dans le système d'indemnisation du chômage que des mesures doivent être prises.
Néanmoins, le démantèlement des filières de l'emploi clandestin sera l'une des priorités de la future « police aux frontières », l'actuelle direction centrale du contrôle de l'immigration et de la lutte contre l'emploi des clandestins, la DICCILEC, au travail de laquelle je veux rendre hommage.
Pour développer les échanges intellectuels, plusieurs mesures sont déjà prises par M. le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Une mission doit remettre ses conclusions à la fin de ce mois sur les moyens de promouvoir l'offre française de formation à l'étranger. Les élèves des lycées français à l'étranger pourront, l'année du baccalauréat, procéder à leur préinscription à l'université française dans les mêmes conditions que les bacheliers français.
M. André Maman. Très bien !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Ce sont de petites mesures, simples et pratiques. Il faut savoir les prendre !
La politique des bourses aux étudiants étrangers sera revue. Les étudiants étrangers pourront travailler à mi-temps dès la première année d'études. Pour faciliter l'emploi de certains étrangers hautement qualifiés, l'ajout d'un critère d'intérêt technologique et commercial de l'entreprise au critère traditionnel de la situation de l'emploi est étudié.
De telles mesures peuvent, certes, paraître modestes, mais elles dessinent bien le cadre dans lequel nous entendons agir.
Je ne reviens que très brièvement sur la politique de codéveloppement. Il y a beaucoup à faire pour permettre, par exemple, à une grande chaîne hôtelière qui projette de construire un hôtel dans un pays d'Afrique de former en France son personnel pendant le temps qu'il faudra - six, douze ou dix-huit mois -, avant de le mettre au travail dans des conditions qui seront... (Protestations sur les travées du RPR.)
M. Philippe François. C'est la porte ouverte aux clandestins !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Mais, justement, c'est cela le codéveloppement ! Il s'agit précisément d'organiser des flux en relation avec des investissements français qui se réalisent dans un certain nombre de pays. Il s'agit d'envisager les choses sous un angle positif.
M. Philippe François. Je rêve !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Je pourrais évoquer les projets de coopération décentralisée des collectivités territoriales que nous entendons soutenir, ...
M. Charles Pasqua. Bien !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. ... de même que les incitations que nous souhaitons apporter à l'investissement productif de l'épargne des migrants.
Tout cela doit nous permettre de mieux définir notre politique de coopération, de la réorienter, de peser aussi sur les axes de la politique européenne définis dans le cadre de la convention de Lomé.
J'en arrive, mesdames, messieurs les sénateurs, au projet de loi lui-même et aux objectifs qu'il doit permettre d'atteindre.
Quels sont ses grands objectifs ?
Il s'agit, tout d'abord, de stabiliser les immigrés en situation régulière et les intégrer, s'ils le veulent, à la République.
M. Dominique Braye. Et s'ils ne le veulent pas, qu'est-ce qu'on fait ?
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Il s'agit, ensuite, d'affirmer l'ouverture de la France au monde, dans le souci même de l'intérêt national.
Enfin, il s'agit de maîtriser les flux migratoires, dans le respect des droits des étrangers.
Pour ce qui est du premier objectif, je rappellerai d'abord que la carte de résident de dix ans avait été approuvée à l'unanimité de l'Assemblée nationale en mai 1984. Le Gouvernement ne l'a pas modifiée sensiblement.
Un amendement voté par l'Assemblée nationale a cependant consacré cet objectif en prévoyant qu'elle serait attribuée de plein droit, en plus des cas énoncés à l'article 15 de l'ordonnance du 2 novembre 1945, aux étrangers bénéficiaires d'une carte de séjour temporaire de plein droit lorsqu'ils justifient de cinq années de résidence régulière ininterrompue en France.
La création d'un titre spécifique « retraité » a pour objet de répondre au souhait de nombreux travailleurs âgés de toucher leur retraite dans leur pays d'origine, en conservant les avantages sociaux qu'ils ont acquis par une vie de travail. Qui donc y verra un inconvénient ?
M. Dominique Braye. Personne !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. La carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » s'inscrit dans la reconnaissance pleine et entière du droit de vivre en famille.
Elle vise aussi à mettre un terme à cette situation d'étrangers ni expulsables ni régularisables qui est particulièrement ubuesque.
Elle procède d'une convention que nous avons signée, permettez-moi de vous le rappeler, le 4 novembre 1950 : la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
J'ajoute que le projet de loi prévoit de reconnaître à ces « ni expulsables ni régularisables », dans les mêmes conditions, le droit au séjour par l'attribution d'une carte de séjour temporaire. Il ne s'agit donc pas d'une ouverture à je ne sais quels débordements. Il s'agit tout simplement d'attribuer un titre de séjour aux personnes qu'il ne nous est pas possible, de par nos engagements internationaux, de reconduire à la frontière.
Le projet de loi présenté par le Gouvernement est donc un projet de loi de clarification.
Dans le même esprit, l'Assemblée nationale a, par voie d'amendement, réduit la durée de séjour ouvrant droit à une carte de séjour temporaire. L'articulation de cette disposition avec l'ensemble de l'ordonnance demande sans doute à être approfondie.
La carte de séjour temporaire sera attribuée aux conjoints de Français dès le mariage, sans que la condition d'entrée régulière puisse leur être opposée. La suspicion du mariage blanc ne doit pas tourner à l'obsession !
M. Dominique Braye. Ah, les mariages blancs !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Je vous signale qu'à peine quelques dizaines de cas par an font l'objet de procédures : soixante-sept si je me souviens bien !
M. Robert Pagès. C'est marginal !
M. Jean Chérioux. Soixante-sept cas relevés !
M. Dominique Braye. Ce sont les cas reconnus ! Et les autres ?
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. En évoquant ces problèmes, je réveille je ne sais quels vieux démons, peut-être le démon de midi... (Sourires.)
Quoi qu'il en soit, mesdames, messieurs les sénateurs, à peine quelques dizaines de cas par an font l'objet de procédures. Il faut donc conserver à ce problème l'échelle qui est la sienne, l'échelle microscopique !
En tout état de cause, l'Assemblée nationale a tenu à ce que le procureur conserve jusqu'au jour du mariage la possibilité de s'opposer à celui-ci.
MM. Dominique Braye et Michel Caldaguès. Il ne le fait jamais !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Quant à l'assouplissement des conditions du regroupement familial, il répond à un souci de simple humanité difficile à contester.
Le deuxième objectif est d'affirmer l'ouverture de la France au monde dans le respect de ses intérêts.
La motivation du refus deviendra obligatoire pour un petit nombre de catégories, celles qui auraient droit au séjour, ou bien pour certaines catégories d'étudiants,...
M. Dominique Braye. Et les faux étudiants ?
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. ... ou bien pour les anciens combattants, ou encore pour les anciens de la légion étrangère titulaires du certificat de bonne conduite.
M. Jean-Pierre Schosteck. Très bien !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. La suppression du certificat d'hébergement et son remplacement par une simple attestation d'accueil m'a semblé une mesure de sagesse. J'ai en effet interrogé les services du ministère de l'intérieur et tous m'ont affirmé que ce certificat n'avait aucune utilité en matière de contrôle : avec 160 000 certificats d'hébergement, 1 800 000 visas, contre 85 millions d'entrées, ce document était tout à fait inutile.
Une attestation d'accueil permettra d'atteindre l'objectif initialement recherché, à savoir la diminution du niveau de ressources exigé des demandeurs de visa ayant une famille disposée à les accueillir en France.
La création d'une carte de séjour temporaire mention « scientifique » répond à l'objectif que rappelait M. le Président de la République dans ses voeux de nouvel an aux membres du corps diplomatique.
S'y ajoute une carte de séjour temporaire introduite par amendement à l'Assemblée nationale destinée aux artistes professionnels étrangers titulaires d'un contrat de plus de trois mois avec un professionnel du spectacle, une entreprise ou un établissement culturel.
Avec le présent projet de loi, c'est aussi le droit d'asile que nous entendons consacrer.
C'est dans le cadre d'une grande loi sur l'asile que prendra place l'asile constitutionnel, qui s'étendra aux victimes de persécutions infligées par des autorités non étatiques. Je précise que nous ne faisons là qu'aller à la rencontre de la plupart des pays européens, dont c'est déjà la jurisprudence.
S'ajoutera à ce droit le droit d'asile territorial, déjà reconnu par certains de mes prédécesseurs, notamment à des réfugiés algériens, droit qui devra, naturellement - mais les termes d'un amendement voté à l'Assemblée nationale le précise - s'exercer « dans des conditions compatibles avec les intérêts du pays ».
Le troisième objectif consiste à maîtriser les flux migratoires dans le respect des droits des étrangers.
La maîtrise des flux migratoires est une nécessité reconnue par tous. Mais, lorsqu'on passe aux travaux pratiques, les opinions divergent !
La mesure la plus importante en la matière est l'aggravation des sanctions à l'encontre des filières organisées : les peines de prison passeront de cinq à dix ans et les peines d'amende de 250 000 francs à 5 millions de francs.
Par ailleurs, la durée de la rétention administrative est allongée de deux jours, mesure qui était nécessaire car, vous le savez, la loi ne s'applique pas convenablement dans ce domaine.
L'étranger en situation irrégulière pourra donc voir sa rétention prolongée une deuxième fois dès lors qu'il fera obstruction à son identification, par exemple lorsqu'il aura détruit ses documents de voyage.
Cela nous permettra, me semble-t-il, d'être plus efficaces. En effet, si nous sommes plus libéraux du point de vue de l'entrée des étrangers en France, nous entendons, dans le même temps, faire en sorte que la loi de la République s'applique.
La reconduite des étrangers condamnés à une peine complémentaire d'interdiction du territoire français fait l'objet de dispositions destinées à créer un système d'information entre l'administration pénitentiaire et les services du ministère de l'intérieur.
On peut s'étonner au passage que près de la moitié des étrangers dans cette situation aient été remis dans la nature, à l'air libre, sans que la police ait été prévenue. Il n'en sera plus ainsi à l'avenir dès lors, bien entendu, que les cas d'interdiction auront été clairement précisés.
Par ailleurs, tous ceux qui ont des attaches solides en France ne pourront pas, dès lors, naturellement, qu'ils n'ont pas commis de crime ou de délit gravissime, faire l'objet d'une interdiction du territoire français.
Je propose d'ailleurs d'harmoniser la protection contre l'expulsion et contre l'interdiction du territoire français pour les catégories d'étrangers qui ont des liens avec la France. Le juge prononçant une peine complémentaire à l'encontre d'un étranger bénéficiaire de cette protection devra la justifier, tant à l'égard de la gravité des faits qu'au regard de la situation personnelle et familiale de l'étranger. Il s'agit donc bien, là aussi, de maîtriser les flux migratoires dans le respect des droits des étrangers.
Je vais conclure, mesdames, messieurs les sénateurs.
La volonté du Gouvernement a sincèrement été, croyez-le, de calmer le jeu sur cette question excessivement passionnée depuis une quinzaine d'années. Je ne reviens pas sur les raisons de cette passion, mais je pense que la Haute Assemblée est capable de prendre de la hauteur. Du moins, je veux l'espérer...
M. Dominique Braye. C'est ce que l'on fait !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Ce projet de loi est juste et équilibré. Il est compris, je le crois, d'un grand nombre de nos concitoyens.
Il s'agit de donner à notre pays les moyens de maîtriser son avenir en affirmant qu'à travers une France sûre d'elle-même nous sommes aussi responsables vis-à-vis du monde.
Il nous revient de « penser mondial » et de combattre l'injustice à l'échelle internationale. C'est un autre problème, car l'immigration n'est que la pointe émergée d'un iceberg beaucoup plus vaste et qui touche aux relations internationales et à l'inégalité des rapports Nord-Sud.
Nous avons le souci de préserver l'existence concrète de la France, de « caréner » la République pour les années qui viennent.
Je suis sûr que le Sénat y sera sensible, et je ne doute pas que ses débats contribueront à approfondir la compréhension que nos concitoyens ont de ce sujet difficile. Il est temps de rompre avec une logique excessivement gesticulatoire (Exclamations sur les travées du RPR) qui fait de l'immigration la source de tous les maux ou, au contraire, de l'immigré, le substitut d'un prolétariat rédempteur.
Les problèmes ne se posent pas en ces termes. Il faut définir des règles justes et équilibrées. Mettons-nous d'accord sur ces règles et faisons-les, ensuite, prévaloir.
M. Jean Chérioux. Et appliquer !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. La France, puisque c'est d'elle qu'il s'agit, doit se donner la politique généreuse mais ferme qui lui permettra non seulement de rester une grande nation organisée dans un monde troublé et traversé de graves déséquilibres démographiques, économiques et politiques, mais aussi de faire vivre son modèle républicain, celui d'une nation fondée non pas sur l'origine ethnique, mais sur la citoyenneté et la volonté d'un avenir partagé. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Dominique Braye. Venez dans les banlieues et vous verrez !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Louis Althapé. Enfin du réalisme !
M. Paul Masson, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà moins d'un an, j'avais l'honneur de présenter à notre assemblée la vingt-quatrième révision de l'ordonnance de 1945.
Chacun se souvient ici de nos nombreuses heures de débats, en séance et en commission, à la fois passionnés et minutieux.
Le Conseil constitutionnel retint la quasi-totalité d'un texte qui innovait fortement en une matière éminemment délicate.
Avec cette loi du 24 avril 1997, nous avions la faiblesse de penser avoir trouvé un passage étroit à travers les passions qui obscurcissent chez nous les débats sur l'immigration.
Mes chers collègues, c'était une erreur. Nous nous trouvons aujourd'hui devant un nouveau texte pour mettre une vingt-cinquième fois en chantier l'ordonnance de 1945 !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il ne fallait pas dissoudre !
M. Dominique Braye. Monsieur Dreyfus-Schmidt !
M. Paul Masson, rapporteur. Certes, des élections eurent lieu, qui mirent en place une nouvelle majorité et un nouveau gouvernement.
Faut-il pour autant considérer, monsieur le ministre, que cette initiative gouvernementale engagée dans la précipitation dès le lendemain même de la passation des pouvoirs...
M. Marcel Charmant. Cela fait tout de même neuf mois !
M. Paul Masson, rapporteur. ... correspond bien à ce qu'attendait la majorité de ceux qui, par leur vote, voulaient alors exprimer leur volonté de changement ?
La plus urgente des décisions attendues était-elle d'engager immédiatement cette vingt-cinquième réforme ?
Permettez-moi d'en douter.
On aurait pu imaginer qu'une réflexion de fond - et semble-t-il, monsieur le ministre, vous la souhaitez - puisse être engagée sur la politique de l'immigration afin de se donner un peu de temps et de recul.
Dans sa déclaration de politique générale, le Premier ministre n'évoquait-il pas une législation « rendue complexe, parfois incohérente et surtout incompréhensible par trop de modifications successives ». Je dois dire que, à cet égard, la logique du Premier ministre est imparable ! (Rires sur les travées du RPR.)
Aujourd'hui, vous allez rendre la législation un peu plus opaque, un peu plus complexe, avec une vingt-cinquième modification. Vous-même, monsieur le ministre, n'avez-vous pas évoqué la mise en chantier, immédiate, disiez-vous, d'une réflexion d'ensemble sur les problèmes de l'immigration en vue de la refonte de la législation ?
Réflexion d'ensemble, refonte... voilà deux expressions qui pouvaient faire illusion. Mais celle-ci ne dura pas ! En effet, pour des raisons qui nous paraissent relever plus de l'opportunité que du fond, vous avez été chargé de bâtir un texte sans la moindre concertation préalable, au prix d'une dialectique qui devait vous permettre de dégager le Premier ministre des promesses non tenues, sans effrayer pour autant une opinion publique particulièrement rétive sur un tel sujet.
Une mission d'étude a été confiée à M. Patrick Weil. Celui-ci a déposé, dès le 31 juillet, les conclusions de son rapport : il s'agit de partir de la loi telle qu'elle est, et de dire les résultats tels qu'ils sont. Il n'est plus question d'abrogation, pas plus qu'il n'est question de refonte !
Grâce à une fausse symétrie, que l'on retrouve d'ailleurs dans tout le texte, vous vous efforcez de démontrer que le Gouvernement engage une nouvelle politique fondée sur l'équilibre « entre la fermeté et la dignité », comme l'écrit le rapporteur de l'Assemblée nationale.
Pour les besoins de la cause, le vieux texte de l'ordonnance de 1945 est réhabilité.
Grâce, monsieur le ministre, à votre plume républicaine - mais vous ne pouvez avoir qu'une plume républicaine (Sourires.) - l'exposé des motifs du projet de loi rappelle opportunément que ce texte est marqué de l'esprit du Conseil national de la Résistance et qu'il est soutenu par une inspiration progressiste fondamentale. Cela, nous, nous le savons depuis longtemps !
M. Paul Loridant. Oh, monsieur le rapporteur !
M. Paul Masson, rapporteur. Ces fausses fenêtres ne firent pas longtemps illusion dans vos rangs.
M. Marcel Charmant. Quel « métaphoriste » !
M. Paul Masson, rapporteur. Par exemple, le groupe d'information et de soutien des travailleurs immigrés, que vous connaissez, monsieur le ministre, a pu écrire dans son rapport de novembre 1997 que « la démarche gouvernementale s'apparente à un rideau du fumée ».
Pour des raisons symétriques, la majorité sénatoriale partage ce sentiment, car, derrière quelques mesures qui tendent à renforcer le dispositif actuel - nous y reviendrons - vous proposez un ensemble de dispositions qui faciliteront en fait l'immigration irrégulière et multiplieront les facteurs de fraudes.
Ajoutons que l'examen du présent projet de loi va se conclure à quelques semaines de l'ouverture d'une nouvelle campagne électorale. Fallait-il nourrir d'une passion nouvelle un débat empoisonné ?
Est-ce rendre service à la cause du consensus, qui vous est cependant si chère, monsieur le ministre, que de persévérer une fois encore dans cette guérilla sans fin, allumée en 1981, renforcée en 1982, ravivée en 1988, et qui, depuis, épuise l'immense réserve de bons sens et de patience d'un peuple las de ses épisodes stériles ?
Il paraît que le Gouvernement a demandé l'urgence pour éviter le télescopage avec les élections prochaines. Avouez, monsieur le ministre, que c'est une réussite. (Rires sur les travées du RPR.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Vous avez fait ce qu'il fallait pour cela !
Mme Joëlle Dusseau. Vous osez parler de télescopage ?
Mme Hélène Luc. Vous ne manquez pas d'audace !
M. Raymond Courrière. C'est le pompier pyromane !
M. Paul Masson, rapporteur. Avec l'urgence, vous amputez le débat parlementaire, vous radicalisez nos échanges. Il y a, monsieur le ministre, une incontestable, fondamentale et troublante contradiction dans vos propos. Tenir un discours élevé, comme celui que vous tenez, trouver des accents forts pour rappeler les vertus de la nation, ses exigences, ses traditions de générosité et présenter à l'appui de ce discours un texte entièrement d'opportunité, cela me paraît difficilement conciliable. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Dominique Braye. Bravo !
M. Paul Masson, rapporteur. Où est l'urgence, si ce n'est dans la nécessité de mieux contrôler l'immigration irrégulière ?
Il faut bien le dire, vos appels à la construction d'un consensus républicain auraient une autre force, votre souci d'élever le débat aurait une autre allure, votre volonté d'engager une discussion loyale et mesurée aurait plus de crédibilité, si l'urgence n'était pas au bout de ce texte.
Sans entrer dans l'analyse d'un débat technique, que nous aurons mardi prochain, je voudrais relever les trois dangers que, selon moi, porte en lui un tel projet de loi.
Premièrement, la plupart des dispositions du texte conduisent à un affaiblissement marqué du dispositif en vigueur et à une régression sensible des moyens de lutte contre l'immigration irrégulière. Un appel d'air en résultera, dont l'ampleur est certaine. Et cet appel d'air, vous le provoquez par un affichage volontaire ou involontaire, mais intempestif de certaines mesures à forte connotation politique.
Deuxièmement, le projet de loi bouleverse fondamentalement la notion de droit d'asile dans l'Union européenne.
Troisièmement, enfin, le projet de loi éloigne encore un peu plus le dispositif législatif et réglementaire français des textes qui régissent cette matière chez tous nos voisins européens.
Je reprends, sans trop insister, ces trois points.
S'agissant de l'affaiblissement très marqué du dispositif, je voudrais, sans entrer dans le détail, simplement marquer ici les nouvelles brèches ouvertes dans l'ordonnance de 1945.
En ce qui concerne les visas, acte de souveraineté par excellence, le nouveau texte obligera les postes diplomatiques et consulaires à motiver certains rejets, et ce contrairement aux traditions les plus établies de notre droit.
Les certificats d'hébergement, créés en 1982, seront supprimés.
De nouvelles catégories de cartes de séjour temporaires seront créées : une catégorie « scientifique », une catégorie « vie privée et familiale » et une catégorie « profession artistique et culturelle ».
Ces adjonctions contribueront, évidemment, à rendre un peu moins lisible l'ordonnance de 1945 et un peu plus complexe le régime des titres de séjour.
L'article 4 du projet de loi aménage les cas de délivrance de plein droit de la carte de séjour temporaire. Une nouvelle rubrique « vie privée et familiale » est créée. On ouvre ainsi un nouveau cas d'attribution en faveur de l'étranger qui n'entre dans aucune des catégories habituelles d'attribution de la carte. L'appel d'air produit par un tel texte est facile à imaginer.
On affaiblit la répression de l'immigration clandestine en élargissant le cercle des personnes protégées contre l'incrimination pour aide aux séjours irréguliers. On complique les procédures concernant l'interdiction administrative du territoire et l'assignation à résidence.
L'article 17 du projet de loi assouplit les conditions des regroupements familiaux. Je citerai, entre autres mesures, la réduction de la durée du séjour régulier exigée d'un étranger demandant à être rejoint par sa famille, la souplesse introduite dans l'appréciation des ressources exigées, les conditions de vérification de la nature du logement et les facilités accordées à un étranger qui fait venir sa famille en dehors du regroupement familial.
Soulignons, enfin, monsieur le ministre, la mise à mal du malheureux article 35 bis de l'ordonnance, relatif à la rétention administrative. (M. Dreyfus-Schmidt sourit.)
On sait combien ce texte a fait couler d'encre et user de salive depuis dix ans ! On connaît le parcours du combattant organisé en dix jours au profit ou au détriment d'un étranger qui, la plupart du temps, ne maîtrise pas notre langue ; c'est la logique française ! Et voilà que l'Assemblée nationale complique encore un peu plus les procédures. On multipliera ainsi les risques d'annulation pour vice de forme. Et cela n'est pas innocent, croyez-moi, monsieur le ministre, lorsqu'on est un peu informé des conditions dans lesquelles se déroulent certaines de ces audiences dites du 35 bis.
M. Dominique Braye. Effectivement, ce n'est pas innocent !
M. Paul Masson, rapporteur. Les dispositions des articles 35 et 36 du texte remettent en cause les conditions d'attribution de certaines prestations sociales pour les détenteurs de la carte « retraite » et la suppression de la condition de nationalité pour le versement des prestations du Fonds national de solidarité et l'allocation aux adultes handicapés. M. Vasselle, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales, vous demandera les incidences financières de ces mesures.
A l'évidence, et sans être exhaustif, je dirai que toutes ces dispositions affaibliront le dispositif des lois de 1993 et de 1997. Vous l'avez dit, monsieur le ministre, à l'Assemblée nationale : « Eh bien oui ! il y aura un peu plus d'étrangers en France. » Seront-ils clandestins ou non, monsieur le ministre ?
M. Dominique Braye. Clandestins pendant un petit moment !
M. Paul Masson, rapporteur. La dérive du droit d'asile fait l'objet du titre II de ce projet de loi. Vous voulez élaborer une grande loi relative au droit d'asile. Chacun veut faire sa grande loi. Vous aurez la vôtre !
Vous instaurez deux nouvelles formes d'asile : d'une part, l'asile constitutionnel et, d'autre part, l'asile territorial.
Les autorités de la République ont, et depuis longtemps, le droit de donner asile à tout étranger persécuté, notamment en raison de son action en faveur de la liberté, mais pas uniquement pour ce motif. Jusqu'à présent, les décisions prises autour de cette notion volontairement imprécise de « combattants de la liberté » avaient été générées par des situations isolées, toujours exceptionnelles et éminemment diverses. Cas par cas, sans être enfermés dans une quelconque réglementation, les pouvoirs publics français aménagent des situations délicates avec le minimum de réactions diplomatiques.
Dès lors pourquoi introduire dans la loi ce qui est déjà dans la Constitution ? Quelle portée pratique aura la simple reconnaissance législative d'un droit constitutionnel ?
Ainsi, votre texte va faire coexister deux droits d'asile : le premier accordé selon les critères de la convention de Genève et le second, l'asile dit constitutionnel. Il est évident que le statut de réfugié accordé aux combattants de la liberté ne sera pas nécessairement établi sur la base des critères de la convention de Genève. Il ne l'a jamais été, et c'est tout ce qui lui donne sa force et son originalité. Le statut délivré officiellement à ce titre ne sera pas opposable aux autres Etats adhérant à cette convention. J'ai reçu toutes les confirmations à cet égard. Voilà qui ne simplifiera pas les choses !
Ce dispositif nouveau n'apporte, selon moi, aucune protection supplémentaire au demandeur d'asile. Il complique singulièrement l'interprétation des textes, ouvre de nouvelles procédures, allonge les délais, multiplie les moyens, en permettant ainsi aux demandeurs abusifs - il y en aura, monsieur le ministre, vous le savez, on ne fait pas d'angélisme - de se réfugier dans les plus complexes des contentieux afin de s'installer durablement dans le pays, ce qu'ils cherchent avant tout.
Mais il y a pire encore avec l'asile territorial. Dois-je rappeler qu'il est pratiqué tous les jours, sous votre responsabilité ? Vous le savez très bien, même mieux que personne.
L'asile territorial est aujourd'hui accordé sur la base d'une circulaire volontairement non publiée, afin de conserver toute la souplesse et toute la discrétion au système.
Tel qu'il est prévu dans les articles 26 et 31 du projet de loi, le dispositif nouveau apparaît essentiellement comme un droit de recours pour les déboutés du droit d'asile, sans aucune valeur ajoutée pour ceux qui en bénéficient déjà ou qui espèrent en bénéficier.
Où est l'intérêt d'officialiser une pratique simple et bien établie, dont bénéficient environ 300 personnes par an ?
Avec ce nouveau dispositif, les procédures auxquelles pourrait accéder un demandeur d'asile, sincère ou non, seront multipliées. Rien n'empêchera le débouté du statut de réfugié de tenter une nouvelle chance. Il bénéficiera d'une autorisation provisoire de séjour pour couvrir la durée de cette nouvelle période d'instruction. En cas de refus, il saisira le tribunal administratif, peu préparé à ce genre de dossiers.
A l'évidence, la France deviendra l'instance d'appel offerte aux déboutés du droit d'asile dans les autres pays européens. Par l'introduction dans le droit interne français d'une nouvelle catégorie juridiquement définie d'« asile territorial », vous incitez à la candidature tous les demandeurs d'asile déboutés des quatorze autres pays de l'Union européenne, qui, en revendiquant cette procédure, échapperont ainsi aux règles du traité de Dublin.
Tout cela pourquoi ? Par simple volonté de légiférer sur une procédure qui, vous le savez bien, fonctionne aujourd'hui parfaitement entre votre ministère, celui des affaires étrangères, l'OFPRA et la commission des recours. Pour un effet d'annonce, dont les conséquences diplomatiques sont imprévisibles, et cela aussi vous le savez.
Par l'introduction de ces deux notions d'asile, vous modifiez sensiblement la notion de réfugié en brouillant les cartes, chez nous et chez nos partenaires.
Mon troisième commentaire, monsieur le ministre, sera peut-être plus surprenant encore. Il concerne la dimension européenne, qui est singulièrement absente des réflexions gouvernementales sur l'immigration. Chacun s'accorde à penser que la maîtrise des flux migratoires et la lutte contre l'immigration irrégulière s'inscrivent de plus en plus dans le cadre d'une coopération européenne.
Un récent rapport de l'Institut national d'études démographiques rappelle que, depuis 1989, le solde migratoire de l'Europe est devenu le facteur principal de la croissance démographique des quinze pays de l'Union. Depuis dix ans, des réflexions s'organisent entre les Etats et au sein de la Commission pour analyser et contrôler ces flux migratoires.
Enfin, il y a le traité d'Amsterdam, auquel vous avez fait allusion. Selon ce texte, dans cinq ans, la Commission de Bruxelles aura le monopole de l'initiative pour la politique commune de l'asile, de l'immigration et de la libre circulation des personnes.
La Cour de justice des Communautés, en application de l'article 173 du traité, deviendra compétente pour juger des recours préjudiciels ou des procédures d'interprétation engagées par les Etats membres ou par la Commission. Si nous ratifions le traité, tout le droit que vous fabriquez en ce moment sera alors sous l'emprise de la Cour de justice internationale. Y avez-vous pensé ?
Nous allons - quand ? comment ? - nous engager dans une procédure de révision constitutionnelle pour savoir si nous acceptons que, par de nouvelles délégations de souveraineté, notre politique d'immigration soit supervisée par la Commission de Bruxelles. Nous allons donc avoir, dans quelques mois, et vous le savez mieux que personne, monsieur le ministre, un sévère débat sur le sujet.
Votre texte est cependant construit comme si tous ces débats passés, présents, futurs n'existaient pas. Il semble que le Gouvernement ait paradoxalement choisi la voie de la France seule, enfermée dans son superbe isolement. Il y aurait urgence, paraît-il, à renforcer notre singularité au coeur d'un système où nous multiplions la complexité, sans doute pour nous distinguer de nos voisins. Vos juristes, monsieur le ministre, auraient en l'espèce gagné en prudence s'ils s'étaient avisés de faire du droit comparé : on apprend aussi parfois en regardant chez les voisins !
Il semble que le Gouvernement n'arrive pas à sortir d'une logique hexagonale sur un problème de dimension européenne qui, n'en doutons pas, sera le problème majeur des vingt prochaines années.
Accordons-nous à constater que certaines dispositions du projet de loi sont valables et seront retenues par la commission des lois. Elles sont peu nombreuses, mais intéressantes. Je citerai, sans être exhaustif, la simplification du régime de séjour des ressortissants communautaires, l'accroissement des sanctions de l'aide au séjour irrégulier lorsque cette aide provient de bandes organisées et surtout l'article 19 du projet de loi, qui prévoit d'allonger le délai total de la rétention administrative, en le portant de dix à douze jours. J'irai même plus loin que vous à cet égard, monsieur le ministre, et, cherchant à vous satisfaire, je proposerai au Sénat de porter à quatorze et même à seize jours ce délai.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Cette modération vous honore !
M. Paul Masson, rapporteur. En revanche, l'article 34 est totalement inutile, monsieur le ministre. En effet, le dispositif proposé, qui vise à instituer un dossier individuel d'identification des étrangers incarcérés, existe déjà. C'est un bon exemple de cette technique des fausses fenêtres que le texte ouvre, en trompe-l'oeil, pour renforcer ses effets de symétrie.
Telles sont, monsieur le ministre, les observations que je me permets de faire en introduction à ce débat.
Au moment de conclure, je voudrais une fois encore revenir sur ce qui nous motive et nous rassemble pour affirmer notre opposition.
Nous savons très bien ce que le peuple français doit à toutes ses différences, à toutes ses composantes, qu'elles soient du nord ou du sud de l'Europe, qu'elles viennent des pays slaves, des pays du Maghreb ou des pays d'Amérique du Sud.
Croiriez-vous un seul instant, monsieur le ministre, que les membres de cette assemblée seraient insensibles au message universel que la France a toujours transmis, au-delà de ses frontières ? Nos collègues représentant ici les Français de l'étranger sont, me semble-t-il, parmi les mieux placés pour définir le nouveau sens de notre histoire de France, celui du XXIe siècle.
J'ai eu personnellement l'immense chance de partager une petite part de l'aventure africaine de la France. Je n'ai jamais considéré que le confinement était la bonne expression d'un peuple qui a porté aux quatre coins du monde le savoir et l'universalité d'un message que les peuples dominés ont longtemps entendu. Le général de Gaulle n'a-t-il pas trouvé en Afrique les forces du recours ?
M. René-Georges Laurin. Très bien !
M. Paul Masson, rapporteur. Comment oublier le message de Brazzaville ? Ce dernier était-il de droite ou de gauche ? En vérité il était celui de la France libérée.
Nous ne voulons pas que cette politique d'intégration réussie pendant tant d'années soit aujourd'hui compromise. C'est pourquoi nous devons dénoncer les effets d'annonce que votre texte provoque, effets appuyés par le voyage de Bamako.
Vous estimez que « ce qui nous fait défaut, c'est la volonté d'intégrer de nouvelles générations de parents étrangers ». Pourquoi, aujourd'hui, le peuple se met-il à douter dans son fondamental bon sens, des vertus de l'intégration ? Tout simplement parce que le peuple est persuadé que l'immigration n'est plus maîtrisée et parce qu'il constate que le système s'emballe. En ce moment même, en engageant ce débat, en le poursuivant à travers le tohu-bohu de nos discordes, nous ajoutons à ce trouble des braves gens et nous affaiblissons encore leur volonté d'intégration.
Bien que vous vous en défendiez, et pour des raisons de pure opportunité, le Gouvernement a choisi la voie de l'affrontement. Je le regrette beaucoup. Notre pays, dans toutes ses traditions, mérite mieux qu'un débat sans recul dans lequel la manoeuvre politicienne prime singulièrement le problème de fond. Il est infiniment triste, mes chers collègues, que le Gouvernement n'ait pas voulu apprécier toutes les conséquences avant de lancer cette nouvelle loi, sans concertation, comme s'il avait lancé une brassée de bois sec dans le brasier de nos affrontements.
Voilà un an, la majorité sénatoriale a clairement pris position sur un texte dont l'encre est à peine sèche, et dont tous les décrets d'application n'ont pas été pris.
Il n'y a aucune raison pour que cette majorité se déjuge aujourd'hui. Nous persévérerons dans notre conviction : il n'y aura plus d'intégration possible si l'immigration clandestine continue à se développer en France.
Votre texte, monsieur le ministre, est, dans sa majeure partie, ou laxiste ou inopportun. Il ne construit rien, il multiplie les procédures refuges permettant aux clandestins d'attendre de nouvelles régularisations à venir, celles qui résulteront de la circulaire qui succédera à celle du 24 juin 1997.
J'ai été mandaté par la commission des lois pour rejeter la plupart des articles de ce texte. Dans le débat, je défendrai un à un une trentaine d'amendements de suppression en m'efforçant de ne jamais céder à la polémique, mais sans rien cacher, à aucun moment, des funestes conséquences de votre texte, monsieur le ministre. Et je demanderai à notre majorité d'affirmer, sur chacun des points exposés, des positions claires, cohérentes et déterminées. (Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Alain Vasselle, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Parlement se trouve une nouvelle fois saisi d'un texte modifiant l'ordonnance du 2 novembre 1945 relative à l'entrée et au séjour des étrangers en France.
Le projet de loi présenté par le Gouvernement revient pour une large part sur les modifications introduites par la loi du 24 août 1993 relative à la maîtrise de l'immigration et aux conditions d'entrée, d'accueil et de séjour des étrangers en France, complétée voilà peu, comme vient de la rappeler M. le rapporteur, par la loi du 24 avril 1997, portant diverses dispositions relatives à l'immigration.
La commission des affaires sociales avait souscrit aux objectifs poursuivis par la loi du 24 août 1993 : réprimer l'immigration clandestine en France, décourager l'arrivée de nouveaux flux d'immigrants, mais aussi éviter les détournements de procédure, qui constituent des obstacles importants à la maîtrise des flux migratoires.
La politique de lutte contre l'immigration clandestine a en effet aussi pour objectif de permettre l'intégration des étrangers qui sont régulièrement installés ou admis sur notre sol, insertion dont chacun connaît aujourd'hui les difficultés. Or cette politique d'insertion des populations immigrés ne peut réussir sans une réelle maîtrise des flux d'immigration sur notre territoire.
La commission des affaires sociales a fait le choix d'examiner de manière pragmatique et constructive les dispositions du projet de loi sur lesquelles elle était amenée à émettre un avis.
Elle a considéré qu'il convenait en effet d'apporter des solutions aux problèmes qui se posent effectivement et d'éviter parallèlement une distribution trop généreuse des prestations sociales aux personnes de nationalité étrangère, afin de ne pas entraîner un effet d'appel auprès des candidats à l'immigration.
Nul ne peut ignorer, en effet, l'attrait que peut susciter dans de nombreux pays notre système de sécurité sociale. Or, comme le soulignait fort justement M. Michel Rocard, ancien Premier ministre, « la France ne peut accueillir toute la misère du monde ».
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Allez jusqu'au bout de la citation !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Cette phrase est non pas de Michel Rocard, mais de Péguy !
M. Jean Chérioux. Ell a été reprise par Rocard !
M. Alain Vasselle, rapporteur pour avis. Effectivement !
La commission des affaires sociales s'est plus particulièrement intéressée aux articles 8, 34 bis, 34 ter, 35 et 36 du projet de loi qui modifient la législation sociale ou qui auront des conséquences directes sur les comptes sociaux. Ces dispositions découlent pour l'essentiel des propositions qui ont été formulées par M. Weil dans son rapport remis à M. le Premier ministre en juillet dernier.
Sur les articles 34 bis, 34 ter, 35 et 36 du projet de loi, la commission des lois s'en est remise à l'avis de la commission des affaires sociales, ce dont nous la remercions.
Il convient néanmoins de souligner au préalable que d'autres articles du projet de loi, notamment les articles 4 et 5 qui élargissent les conditions d'accès à une carte de séjour temporaire, et l'article 17 qui assouplit sensiblement les conditions d'accès au regroupement familial, sont susceptibles d'accroître de manière indirecte les charges pesant sur les organismes de protection sociale.
En facilitant l'entrée et le séjour des étrangers en France, le projet de loi crée de nouveaux bénéficiaires des droits sociaux. L'impact financier sur la protection sociale de ces dispositions - je confirme à cet égard le propos tenu tout à l'heure par M. le rapporteur - n'a pas été évalué par le Gouvernement, mais il pourrait ne pas être négligeable, notamment s'agissant des prestations familiales. Sur ce point, je n'ai pu obtenir ni de vous, monsieur le ministre, lors de votre audition par la commission des lois, ni de Mme Aubry, par l'intermédiaire de son cabinet et de ses conseillers techniques, des informations sur les incidences financières qui résulteront de ces dispositions. On a l'impression de naviguer à vue...
M. Dominique Braye. Et pour cause !
M. Alain Vasselle, rapporteur pour avis. Au moment même où le Gouvernement place sous condition de ressources les allocations familiales en arguant du déficit de la branche famille, force est de constater qu'il va parallèlement faciliter l'entrée et le séjour de nouveaux bénéficiaires des prestations familiales. Est-ce un bon moyen de maîtriser le déficit de la branche famille ?
S'agissant des dispositions sociales, le projet de loi comporte deux volets que j'examinerai successivement : d'une part, la création d'une carte de séjour de retraité et les droits afférents à cette carte et, d'autre part, la suppression de la condition de nationalité pour l'accès aux prestations non contributives que sont le minimum vieillesse et l'allocation aux adultes handicapés, l'AAH.
L'article 8 du projet de loi instaure un nouveau titre de séjour : une carte de séjour portant la mention « retraité » qui serait délivrée aux étrangers titulaires d'une pension contributive de vieillesse et ayant séjourné en France sous couvert d'une carte de résident. Cette nouvelle carte leur permettrait, ainsi qu'à leur conjoint, de résider à l'étranger et d'entrer librement sur le territoire français afin d'y séjourner temporairement. La carte de séjour « retraité » serait valable dix ans et renouvelable de plein droit. Elle n'ouvrirait pas droit à une activité professionnelle.
Le texte proposé initialement par le Gouvernement à l'article 35 permettait en outre à un titulaire d'une carte de séjour « retraité » souffrant d'une pathologie grave de bénéficier des prestations de l'assurance maladie lors de ses séjours en France.
L'Assemblée nationale a modifié de manière importante ce dispositif. Elle a tout d'abord introduit dans le code de la sécurité sociale un article L. 161-25-3 subordonnant, pour les titulaires d'une carte de séjour « retraité », le bénéfice des prestations de l'assurance maladie, lors de leurs séjours en France, à quinze années de cotisations et à la nécessité de soins immédiats. Elle a également créé une cotisation d'assurance maladie prélevée sur les pensions de ces personnes.
Le principe de l'institution d'une carte de séjour « retraité » semble acceptable puisque celle-ci vise, selon le Gouvernement, à faciliter le retour définitif des retraités étrangers dans leur pays d'origine. Nous ne pouvons qu'approuver cet objectif.
Toutefois, pour la commission des affaires sociales, il convient d'encadrer plus strictement les modalités d'accès à cette carte et de simplifier le dispositif d'accès aux prestations de l'assurance maladie qui l'accompagne.
On remarquera tout d'abord qu'il suffit seulement d'avoir un trimestre validé pour ouvrir des droits à la retraite et que 200 heures de travail rémunérées au SMIC, soit environ un mois de travail, valident un trimestre. Dans la rédaction actuelle de l'article 8, tout étranger ayant travaillé 200 heures en France au cours de sa vie et titulaire d'une carte de résident pourra donc bénéficier de la carte de séjour de retraité. On conviendra que cela ne semble guère contraignant et paraisse peu acceptable !
Du point de vue de l'accès au droit aux prestations sociales, cette nouvelle carte pose un problème inédit : elle autorise, en effet, le séjour sur le territoire français tout en prévoyant explicitement la résidence à l'étranger du bénéficiaire. Or l'article L. 311-7 du code de la sécurité sociale subordonne, pour les personnes de nationalité étrangère, le bénéfice de prestations sociales à la résidence en France.
Il apparaît donc qu'en l'état actuel du droit les titulaires de la carte de retraité ne pourraient bénéficier des prestations sociales lors de leurs séjours temporaires en France.
Consciente de cette difficulté, l'Assemblée nationale a introduit un dispositif d'accès aux prestations en nature de l'assurance maladie complexe, ambigu et source de contentieux. Elle a entendu réserver l'accès à ces prestations aux retraités ayant cotisé au moins quinze ans et dont l'état vient à nécessiter des soins immédiats.
Elle a, par conséquent, créé deux catégories de bénéficiaires de la carte de séjour de retraité : ceux qui auraient droit aux prestations d'assurance maladie et qui se verraient dès lors prélever une cotisation maladie, et ceux qui n'y auraient pas droit et se trouveraient exclus de toute couverture maladie lors de séjours qui peuvent pourtant durer jusqu'à un an.
En pratique, ce dispositif semblait difficilement applicable et a suscité bien des interrogations de la part des responsables des différentes caisses de sécurité sociale que j'ai auditionnés, lesquels m'ont d'ailleurs indiqué que nos collègues de l'Assemblée nationale n'avait pas jugé bon, semble-t-il, de les entendre.
Il n'apparaît ni raisonnable ni responsable d'autoriser, en vertu d'un titre de séjour, les séjours répétés en France de personnes étrangères sans prévoir de manière concomitante leur couverture par l'assurance maladie. Lorsqu'elles séjourneront en France, ces personnes, si elles sont démunies de ressources, auront de toute façon la possibilité de se faire soigner et la collectivité devra de toute manière, par le biais de l'aide médicale d'Etat ou de créances hospitalières, en supporter le coût.
De même, prévoir la prise en charge par l'assurance maladie des titulaires de la carte de retraité justifiant de quinze années de cotisations « si leur état vient à nécessiter de soins immédiats » paraît inutile, difficile à mettre en pratique et, là encore, source potentielle de contentieux multiples.
On peut également s'interroger sur le sens exact et la portée de la cotisation d'assurance maladie introduite par l'Assemblée nationale aux articles 34 bis et 34 ter . La rédaction retenue est pour le moins imprécise et peut faire l'objet de plusieurs interprétations : s'agit-il d'une cotisation prélevée sur l'ensemble des étrangers retraités résidant à l'étranger, ou seulement sur les pensions des titulaires de la carte de séjour de retraité, ou seulement encore sur les pensions de ceux qui, parmi ces derniers, sont susceptibles de bénéficier des prestations d'assurance maladie ? Le texte ne permet pas de le savoir, et personne, au sein des services de Mme Aubry ou des caisses de sécurité sociale, n'a su répondre à ces questions au cours de toutes les auditions auxquelles j'ai pu procéder.
En réalité, la cotisation d'assurance maladie sur les pensions françaises des étrangers résidant à l'étranger existe déjà, et la disposition adoptée par l'Assemblée nationale est parfaitement redondante. En effet, qu'elles soient de nationalité étrangère ou française, toutes les personnes retraitées domiciliées fiscalement à l'étranger voient déjà leurs pensions faire l'objet d'une cotisation d'assurance maladie : ce principe a été réaffirmé dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 1998, qui a maintenu cette cotisation.
Pour toutes ces raisons, la commission des affaires sociales vous propose un dispositif simplifié, clarifié et plus strictement encadré.
L'accès à la carte de séjour de retraité ne se ferait plus qu'au bout de quinze années de cotisations, ce qui éviterait les risques d'abus. Parallèlement, les titulaires de cette carte pourraient bénéficier de plein droit des prestations d'assurance maladie sans limitation, ce qui n'est pas le cas dans la rédaction actuelle, notamment sans la référence à « la nécessité de soins immédiats », que le texte vise précisément.
La cotisation d'assurance maladie instaurée par l'Assemblée nationale serait supprimée dans la mesure où elle existe déjà.
Le projet de loi comporte enfin une autre disposition relative aux retraités étrangers : l'article 35 prévoit la suppression de l'obligation de résidence en France pour la perception de retraites par les personnes de nationalité étrangère.
Même si rien n'empêche, en pratique, le versement des retraites aux retraités étrangers vivant dans des pays étrangers, le droit antérieur prévoyait l'obligation pour la personne étrangère de résider en France au moment de sa première demande de liquidation de sa retraite. Le droit antérieur constituait donc un obstacle au retour du travailleur retraité dans son pays d'origine, et la modification proposée par le Gouvernement à travers l'article 35 apparaît bienvenue.
Quant à l'article 36, certainement l'article le plus sensible aux yeux de la commission des affaires sociales, il supprime la condition de nationalité pour l'accès au minimum vieillesse et à l'allocation aux adultes handicapés. Il constitue le second volet social de ce projet de loi.
L'Assemblée nationale n'a apporté aucune modification au dispositif présenté par le Gouvernement.
Cet article tend à apporter une solution à un problème juridique d'une très grande complexité : le bénéfice du minimum vieillesse et de l'AAH est aujourd'hui réservé aux nationaux, aux ressortissants de l'Union européenne et de l'espace économique européen ainsi qu'aux ressortissants de pays ayant passé une convention de réciprocité avec la France. Or cette disposition a été jugée contraire au droit européen par la Cour de justice des Communautés européennes, qui a estimé qu'il n'y avait pas lieu de priver du bénéfice de ces prestations non contributives les ressortissants de pays qui ont signé un accord de coopération ou d'association avec la Communauté européenne. C'est notamment le cas, pour citer quelques exemples, des pays du Maghreb, de la Turquie, ou encore de certains pays d'Europe centrale et orientale.
En outre, le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 22 janvier 1990, a eu une position encore plus tranchée dans la mesure où il a considéré que l'exclusion des étrangers résidant régulièrement en France du bénéfice de l'allocation supplémentaire - c'est-à-dire le deuxième étage du minimum vieillesse - dès lors qu'ils ne peuvent se prévaloir d'engagements internationaux ou de règlements pris sur leur fondement méconnaissait le principe d'égalité.
De plus, la jurisprudence communautaire est aujourd'hui strictement appliquée par les tribunaux français, et les caisses de sécurité sociale qui refusent, sur le fondement du droit en vigueur, le versement aux étrangers couverts par un accord communautaire du minimum vieillesse et de l'allocation aux adultes handicapés se voient systématiquement condamnées.
En pratique, les caisses accordent quasi systématiquement ces droits dès l'ouverture par les intéressés d'un contentieux... qu'elles sont d'ailleurs assurées de perdre compte tenu de la jurisprudence constante en la matière.
En supprimant la condition de nationalité, l'article 36 du projet de loi met donc fin à un imbroglio juridique et assure la conformité du droit français au droit communautaire. De ce point de vue, monsieur le ministre, nous n'avons pas de critiques à formuler.
Toutefois - j'avais appelé votre attention sur ce point en commission, monsieur le ministre, et j'espère que, depuis, vous avez pu en parler à Mme Aubry - la suppression de la condition de nationalité proposée par le Gouvernement ne s'accompagne d'aucun garde-fou propre à limiter les risques de dérives et d'abus et susceptible d'éviter les incitations à l'immigration.
En effet, dans la rédaction actuelle du texte, tout étranger titulaire d'un titre de séjour pourrait bénéficier, dès son arrivée sur le sol français, du minimum vieillesse et de l'AAH. Cela est-il acceptable ? Je ne le pense pas.
M. Guy Allouche. Dix minutes ! En tant que rapporteur pour avis, monsieur Vasselle, votre temps de parole est limité à dix minutes. (Protestations sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. Alain Vasselle, rapporteur pour avis. J'en ai presque terminé, mon cher collègue, je vous rassure.
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. Laissez parler M. Vasselle ! C'est grotesque de l'interrompre : tout ce qu'il dit est important !
M. Claude Estier. C'est le règlement !
M. Alain Vasselle, rapporteur pour avis. Cela vous gêne que je vous donne un certain nombre d'informations ? Je suis là pour éclairer notre assemblée !
La commission des affaires sociales vous propose donc d'aligner le régime du minimum vieillesse et de l'AAH sur celui qui prévaut aujourd'hui pour le bénéfice du revenu minimum d'insertion. D'ailleurs, je crois savoir, monsieur le ministre, que vous ne n'y seriez pas défavorable, tout au moins personnellement car je ne sais pas quelle sera la position du Gouvernement.
En exigeant, pour le bénéfice du minimum vieillesse et de l'AAH, les titres de séjour demandés pour le RMI, on instaure de facto, dans la plupart des cas, une condition de durée de résidence régulière et ininterrompue de trois ans pour l'obtention de ces prestations non contributives.
L'introduction, pour le bénéfice du minimum vieillesse et de l'AAH, des critères qui prévalent aujourd'hui pour l'obtention par les personnes de nationalité étrangère du RMI présenterait un triple avantage, et j'en termine par là, rassurant ainsi M. Allouche...
M. Guy Allouche. Je ne suis pas inquiet !
M. Charles Pasqua. Ce n'est pas M. Allouche qui préside !
M. Alain Vasselle, rapporteur pour avis. Je vous remercie, monsieur Pasqua, de nous le rappeler.
L'introduction des critères d'obtention du RMI présenterait, disais-je, trois avantages.
Tout d'abord, elle permettrait de limiter sensiblement les risques que pourrait susciter une législation trop généreuse tout en réglant le problème des étrangers présents depuis un certain temps sur notre territoire.
Ensuite, elle limiterait le coût très élevé de ces mesures - j'ai d'ailleurs eu beaucoup de mal à obtenir des chiffres - évalué à 500 millions de francs pour le fonds de solidarité vieillesse et à 300 millions de francs pour l'Etat ; le coût global pour la collectivité pourrait, il est vrai, être minoré pour partie dans la mesure où certaines des personnes concernées sont déjà bénéficiaires du RMI.
Enfin, la rédaction que propose la commission des affaires sociales présenterait l'avantage de simplifier considérablement l'état du droit existant en instituant, s'agissant des personnes de nationalité étrangère, exactement les mêmes conditions d'accès pour les trois minima sociaux que sont le RMI, le minimum vieillesse et l'AAH.
Telles sont, mes chers collègues, les observations que je souhaitais formuler sur ce texte, observations qui trouveront leur traduction dans les amendements que je vous proposerai au nom de la commission des affaires sociales. Je ne doute pas, monsieur le ministre, compte tenu du caractère technique de nos propositions et de leur pertinence - que vous avez reconnue en commission -, que vous saurez y adhérer et que vous entendrez donner raison au Sénat, qui, par son travail de réflexion, aura fait oeuvre utile pour notre pays. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'année dernière - vous en avez le souvenir - nous débattions déjà d'un projet de loi relatif à l'entrée et au séjour des étrangers. De ce débat, qui a duré de longues heures et pour lequel nous avions su persuader le gouvernement que nous soutenions de renoncer à l'urgence, il nous reste une mémoire très vive.
Nous avons entendu les rapports excellents et approfondis de nos amis MM. Paul Masson et Alain Vasselle. Grâce à eux, nous sommes en mesure de porter sur les dispositions qui nous sont proposées un jugement équilibré et serein.
L'an dernier, les amendements adoptés par le Sénat avaient notamment permis - il faut se le rappeler particulièrement - d'asseoir la constitutionnalité des dispositions votées, constitutionnalité qui a été confirmée à 95 % par le Conseil constitutionnel.
Fallait-il à nouveau remettre sur le métier cet ouvrage, qui ressemble un peu à une veille tapisserie si souvent ravaudée - j'ai nommé l'ordonnance de 1945 ?
A l'intérieur du cadre juridique que nous avions fixé, monsieur le ministre, vous pouviez déjà agir, et vous ne vous en êtes d'ailleurs pas privé en prenant une circulaire de régularisation sur la mise en oeuvre de laquelle le Sénat a créé une commission d'enquête.
Dès lors, le texte que vous nous soumettez était-il nécessaire ? Etait-il opportun ? Etait-il urgent ?
J'eusse aimé, monsieur le ministre, que vous nous invitiez à une réflexion d'ensemble à laquelle nous aurions su nous associer. Il n'en est rien. Nous sommes saisis d'un nouveau texte de circonstance, « fabriqué » peut-être pour répondre en partie aux exigences de quelques grandes consciences qui constituent ce qu'il est convenu d'appeler la gauche morale... comme s'il y en avait une autre.
Il vous appartient sans doute, monsieur le ministre, tout comme au Gouvernement, de déterminer l'ordre de nos travaux et de nous soumettre en priorité les textes qui, dans l'instant, vous semblent les plus urgents. Je ne suis pas persuadé que vos choix correspondent à l'intérêt national.
Pourquoi ces discussions concomitantes sur la nationalité et sur l'immigration ? Je le sais, vous les auriez souhaité plus rapides, je n'ose pas dire quelque peu bâclées. L'affaire est manquée !
Etait-il nécessaire de légiférer à nouveau ? Hier, une loi, aujourd'hui, une loi, demain, une autre loi.
Cette manière d'agir est génératrice, faute de réflexion d'ensemble, de complexité, de contrariété et, pour reprendre le mot de Paul Masson, d'affrontements.
De toute manière - puissiez-vous en tirer la leçon - vous aurez sans doute compris qu'il ne suffit pas de décréter l'urgence pour accélérer le cours des choses.
Vous prenez conscience, vous nous l'avez dit, que la promulgation de ces textes coïncidera - vous vouliez l'éviter, pourquoi ? - avec la campagne électorale qui s'annonce. Peut-être ces textes fourniront-ils à l'opinion publique, entre autres éléments, matière à jugement sur l'action que vous avez entreprise et sur le constat sévère que, nous le savons par expérience, cette opinion est capable d'émettre sur les discordances qu'elle constate entre ce qui a été promis et ce qui aura été réalisé.
Dans le domaine qui nous préoccupe aujourd'hui, vous vous êtes laissé aller parfois à des promesses inconsidérées. Chaleur des meetings, avez-vous dit gentiment en commission...
On vous réclame encore, ici et là, l'abrogation des lois Pasqua et Debré. Vous avez compris, et c'est à votre honneur, qu'une telle orientation n'était guère envisageable. Pour vous en « tirer » - je m'excuse d'employer ce terme - et ce n'était pas commode, vous avez jugé expédient de demander un rapport qui a servi de base à vos travaux et dont on a, ici et là, loué l'auteur, vanté les mérites, la modération. Je dois dire que, de cette modération, la commission des lois ne garde pas un souvenir particulièrement vif. (Sourires.)
Une telle tâche dépassait très nettement la capacité du sociologue averti à qui on a confié le soin d'établir ce rapport. A côté de quelques remarques qui paraissent marquées du sceau d'un bon sens dont il est facile de faire étalage transparaît une certaine inculture juridique.
A qui fera-t-on croire, dans ces termes en tout cas, qu'il est besoin d'une loi pour attirer en France des étudiants et des chercheurs ? Une directive administrative intelligente - ce n'est quand même pas impossible ! - peut y suffire et quelques crédits supplémentaires seraient évidemment les bienvenus.
Je vous reprocherai donc, monsieur le ministre, la façon dont vous abordez, à votre tour, ce problème.
Pourtant, nous sommes, vous et nous, nous le savons, confrontés à de très graves et très lourdes questions.
La pression de l'immigration est un fait, mais au nom de quels critères les mouvements qui en découlent doivent-ils être appréciés ? Nous n'en savons rien et ce texte ne nous aide pas à le découvrir, peut-être pas plus que ceux qui l'ont précédé.
Existerait-il un droit à l'immigration et un devoir d'accueil ?
L'intérêt national doit-il être l'élément déterminant de choix que l'on opère en fonction de critères économiques, de critères démographiques, eux-mêmes liés de façon très substantielle au sentiment que nous avons de l'avenir de la nation ?
Quelles relations doit-on établir entre notre politique et la francophonie ?
Je suis, vous le savez, favorable à cette politique. J'espère que le Gouvernement l'est aussi, même si l'éminent savant à qui on a confié l'éducation nationale nous affirme, du haut de sa sagesse, que l'anglais ne doit plus être tenu pour une langue étrangère. Je lui suggère de soumettre cette appréciation un peu rapide, au cours d'un prochain voyage, à nos cousins du Québec... (Sourires sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. Adrien Gouteyron. Très bien !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Enfin, dernière appréciation, importante, sur les vocables que nous utilisons avec une sorte de facilité acquise : la France, terre d'asile ? Elle l'a été, mais, dans un monde caractérisé par une capacité de circulation des hommes, des idées et des conflits, qui bouleverse les rapports entre les nations, comment peut-elle le demeurer, à quel prix et dans quelles conditions ?
De l'assimilation républicaine et contraignante, nous sommes passés à l'intégration, comme si nous avions honte d'utiliser une idée-force qui, pourtant, nous a, au cours des siècles, permis de nous constituer en nation.
L'apparition de certaines formes de communautarisation met en cause aussi bien l'assimilation, dont je regrette qu'elle ne soit pas recherchée, que l'intégration des étrangers et la cohésion nationale.
La revendication du droit à la différence glisse parfois et conduit à des solidarités ethniques, culturelles ou communautaires spécifiques. Des manifestations d'aspiration intégriste peuvent apparaître, et elles sont préoccupantes.
Le droit à la différence, trop souvent exacerbé par les médias et par certaines associations, remet gravement en cause la cohésion nationale.
Pour une certaine part, cette évolution résulte - il faut le dire - de la dégradation des mécanismes auxquels nous pouvions normalement avoir recours. Il y a un dysfonctionnement dans le système scolaire.
Croyez-vous que la situation de notre marché de l'emploi et les conditions actuelles d'assimilation - ou d'intégration - des immigrés dans notre société soient des éléments propres à faciliter l'apparition de conditions nouvelles ?
Une législation qui se veut libérale sur le droit d'asile et la délivrance d'autorisations provisoires de séjour facilitent l'implantation durable de personnes entrées irrégulièrement sur notre sol.
Vous avez été incapable, comme votre collègue Mme Aubry, ministre de l'emploi, de nous dire le coût que tout cela entraîne. Nous avons essayé de le chiffrer. Eh bien, nous constatons - cela vient de vous être dit - que cela correspond pratiquement, chiffre pour chiffre, aux allocations familiales dont vous avez privé 400 000 familles françaises !
M. Henri de Raincourt. Eh bien ! C'est du beau !
M. Dominique Braye. Le choix est fait !
M. René-Georges Laurin. C'est vrai !
M. Guy Fischer. Quel amalgame !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. C'est absolument faux ! Il ne faut pas dire n'importe quoi !
Mme Joëlle Dusseau. C'est scandaleux !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. La réaffirmation du nécessaire exercice effectif des responsabilités de l'Etat en la matière s'impose au regard de la capacité matérielle d'accueillir les personnes. Vous le savez mieux que quiconque, monsieur le ministre, vous qui avez en charge cette tentative de régularisation à laquelle je faisais allusion tout à l'heure.
La perspective de la ratification du traité d'Amsterdam, dont le Conseil constitutionnel, saisi par le Président de la République et le Premier ministre, vient d'indiquer qu'elle nécessite une révision de la Constitution, conduit à s'interroger sur la bonne coordination des calendriers européens, constitutionnel et législatif.
La révision de la Constitution rendue nécessaire nous sera soumise... à la condition toutefois que M. le Premier ministre veuille bien relire attentivement la Constitution et prendre acte des prérogatives qu'elle lui attribue en son article 89.
Je vous l'ai dit en commission, et j'ai noté que vous avez quelque peu changé de propos : que l'on veuille bien nous faire grâce de toutes ces accusations qui vous arrangent ! Ce que nous pensons en la matière nous est dicté non pas par les prises de position d'une fraction de l'opinion publique, mais par la conception que nous avons de l'intérêt national.
Nous vous le redisons : ce texte n'était ni urgent, ni nécessaire, ni opportun.
Il nous eût été facile, mes chers collègues, de le rejeter en bloc. Telle n'est pas la position que la commission des lois, sur la proposition de son rapporteur, a adoptée. Nous l'avons étudié article après article, et la démonstration est faite : il ne correspond en rien à vos déclarations de principe.
Ce n'est pas une modération apparente qui le caractérise, mais la volonté à peine dissimulée de vous orienter vers la reconnaissance de ce droit à l'immigration que vous affirmez condamner et que certains de vos amis continuent à réclamer.
Mme Joëlle Dusseau. Qui réclame cela ?
M. Jacques Larcher, président de la commission des lois. Mes chers collègues, le refus que vous lui opposerez n'est marqué, et vous devez le dire, ni de racisme ni de xénophobie.
M. Raymond Courrière. Par peur du Front national !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Il traduit simplement notre volonté d'adapter la venue d'étrangers sur notre sol à notre capacité d'accueil. Il traduit aussi cette autre volonté : maintenir l'unité profonde de notre nation et faire en sorte que tous ceux qui y vivent y connaissent une existence paisible.
Dans un très beau film sans complaisance, un film américain, sur la guerre du Viêt Nam, on voit des immigrés mobilisés revenus au pays évoquer au cours d'une beuverie leurs souffrances inutiles. Pourtant ils entonnent ce vieux chant traditionnel God bless America , « Dieu bénisse l'Amérique ».
Nous sommes capables, je crois, en tant que nation souvent exemplaire, de provoquer des adhésions aussi profondes.
Pour ma part, j'ai vu des Vietnamiens échappés de l'« enfer rouge » venir nous remercier de ce que la France avait fait pour eux. A ce moment, j'ai ressenti ce que pouvait être la lente et magnifique affirmation au cours des siècles de notre communauté en tant que nation.
Je ne pense pas, monsieur le ministre, que, par le projet de loi que vous nous proposez, vous apportiez votre contribution - je l'aurais souhaité - à cette oeuvre nécessaire. C'est pourquoi nous proposons à la Haute Assemblée de bien vouloir le refuser.
La politique de l'immigration méritait mieux qu'un projet de loi confus et prématuré. C'est ce qu'ont mis particulièrement en lumière les rapports très argumentés de nos collègues, qui n'ont conclu au rejet de ce texte ou à l'amendement de plusieurs de ses dispositions qu'au terme d'un examen scrupuleux traduisant parfaitement la conviction de la commission des lois.
Bien évidemment, mes chers collègues, je ne peux que soutenir avec force les propositions qu'ils vous ont faites et vous demander de les adopter. (Bravo ! et vifs applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
- groupe du Rassemblement pour la République, 72 minutes ;
- groupe socialiste, 61 minutes ;
- groupe de l'Union centriste, 52 minutes ;
- groupe des Républicains et Indépendants, 44 minutes ;
- groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 32 minutes ;
- groupe communiste républicain et citoyen, 29 minutes ;
- réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, 10 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons aujourd'hui besoin d'une approche apaisée et renouvelée de la question de l'immigration.
M. Jean Chérioux. C'est bien vrai.
M. Henri de Raincourt. C'est réussi !
M. Guy Allouche. Depuis près de vingt ans, l'immigration n'est traitée dans le débat public qu'avec haine ou passion, exaltation ou stigmatisation. Elle est devenue une sorte de marchandise politique, une malédiction pour les immigrés, dès le moment où, dans leurs compétitions, certains partis politiques se sont servis de cette masse humaine.
Il est grand temps de rompre avec la vision de l'immigré ennemi, de l'immigré clandestin potentiel, voire délinquant. Le temps est venu de considérer les étrangers installés en France et ceux qui aspirent à y entrer régulièrement non comme des voleurs d'espace et d'identité, mais comme des êtres humains en quête du simple droit de vivre dignement.
En France, comme dans la plupart des pays, le statut des étrangers n'a pas toujours été un modèle de conformité aux Droits de l'homme et aux libertés publiques, notamment dans les périodes de conflit ou de crise.
Quand le chômage et la précarité déstabilisent des millions de foyers, la curiosité cède le pas à la peur, la méfiance à l'hostilité. L'étranger est vite perçu comme une menace, sur laquelle sont détournés les ressentiments.
De 1980 à 1997, des lois Bonnet, sécurité et liberté, aux lois Pasqua-Méhaignerie-Debré, la France s'est enfermée dans cette logique répressive, sous prétexte de maîtriser les flux migratoires. (Protestations sur les travées du RPR.)
M. Dominique Braye. Et nous en sommes fiers !
M. Jean Chérioux. Imitez la sérénité de votre prédécesseur !
M. Guy Allouche. La systématisation des contrôles, la suspicion permanente attachée à l'étranger et la mise en cause de tout processus d'intégration n'ont jamais endigué, encore moins éradiqué l'immigration clandestine ; loin s'en faut !
A l'heure de la mondialisation, la maîtrise des flux migratoires est nécessaire. Nul ne peut contester à un gouvernement le droit de la rechercher.
Croire à l'« immigration zéro » - ce mythe ! - c'est entretenir l'illusion que cette maîtrise doit s'opérer par l'élévation de barrières, c'est prendre le risque de décevoir davantage les Français en difficulté.
Toutes les stratégies de répression ont échoué ; les poursuivre, les aggraver, serait faire peser des menaces sur l'ensemble des libertés fondamentales.
On ne saurait donc reprocher au gouvernement de Lionel Jospin...
M. Dominique Braye. Oh si, que de reproches à lui faire !
M. Guy Allouche. ... de ne pas avoir fait diligence pour atteindre l'objectif annoncé : procéder à un toilettage de la législation pour en faire disparaître les dispositions les plus contestables, dont l'effet pratique est de fabriquer des sans-papiers, des irréguliers, voire des clandestins. L'actualité est là pour nous rappeler ce constat.
Monsieur le rapporteur, vous avez employé un ton modéré - c'est votre habitude, je le reconnais et je le salue - un ton modéré... quant à l'expression, mais pas sur le fond. (Exclamations sur les travées du RPR.)
M. Jean Chérioux. Vous êtes un éternel donneur de leçons !
M. Guy Allouche. Cela fait longtemps que je n'enseigne plus, monsieur Chérioux ! (Sourires.)
Vous avez déploré la précipitation avec laquelle le Gouvernement avait engagé cette réforme.
La nouvelle majorité issue du scrutin du mois de juin 1997 n'a pas pour mission - et encore moins pour vocation - de répondre aux souhaits et aux aspirations de l'opposition.
M. Dominique Braye. Mais 76 % des Français l'ont dit aussi !
M. Guy Allouche. Ajouterai-je que j'ai l'intime conviction que le calendrier n'aurait en rien changé votre opposition systématique ?
Quant au procès en inefficacité du dispositif proposé que vous entendez instruire, croyez-vous, monsieur le rapporteur, que vos échecs dans ce domaine vous autorisent encore à prononcer de telles sentences ?
M. Pierre Mauroy. Très bien !
M. Guy Allouche. Avec la loi de 1993 dite loi Pasqua, on allait voir ce qu'on allait voir ! Eh bien, oui, on a vu !
M. Dominique Braye. Comme le chômage avec Mitterrand !
M. Guy Allouche. Quand vous proposiez coup sur coup deux réformes, l'une en 1993 et l'autre en 1997 pour réformer celle de 1993, c'était peut-être, dans votre esprit, pour apaiser ! Mais quand c'est la gauche qui veut rester fidèle aux engagements pris devant le peuple souverain et approuvés par lui, c'est pour provoquer un affrontement !
M. Josselin de Rohan. Quels engagements ? Ceux du Zénith, ou d'autres engagements ?
M. Dominique Braye. Faites un référendum !
M. Guy Allouche. Vous ne voulez pas vous déjuger, avez-vous dit. C'est votre droit !
M. Dominique Braye. Consultez le peuple !
M. Pierre Mauroy. C'est au Président de la République d'en décider !
M. Guy Allouche. Pour notre part, nous préférons entendre et suivre la voix haute et claire du suffrage universel...
M. Jean Chérioux. Celle des socialo-lepénistes !
M. Dominique Braye. C'est ce qu'on demande : un référendum !
M. Claude Estier. Il y a eu des élections, et vous les avez perdues !
M. Guy Allouche. ... bien plus que la voix sourde du Sénat. (Vives protestations sur les travées du RPR. - Exclamations sur les travées socialistes.)
J'espère que vous décompterez de mon temps de parole toutes ces interruptions, monsieur le président ?
M. le président. Poursuivez, monsieur Allouche, ne vous laissez pas impressionner.
M. Claude Estier. Il n'y a pas de quoi, c'est bien vrai !
M. Jean Chérioux. Assez de leçons !
M. Guy Allouche. L'une des caractéristiques de ce projet de loi, c'est l'esprit de rupture en profondeur avec la situation antérieure.
On ne soulignera jamais assez la logique contestable qui conduit à empiler sans fin les verrous législatifs et les mesures de contrôle dès que le moindre soupçon de fraude apparaît, et ce avec une efficacité marginale de plus en plus réduite.
M. Dominique Braye. Supprimez les verrous !
M. Guy Allouche. Le rapport Sauvaigo en est le plus bel exemple.
Les promoteurs de cette politique se sont peu souciés de la très nette dégradation de l'image de la France dans le monde, particulièrement dans sa sphère d'influence tradionnelle. Le recours à des méthodes se situant à la lisière de la violation des droits de l'homme a fortement entamé la crédibilité de notre pays, qui doit pouvoir se poser en exemple s'il entend exercer une magistrature morale en la matière.
J'ajoute, pour le souligner, que l'orientation définie par les gouvernements de 1986, de 1993 et de 1995 a eu pour seul effet tangible de conforter le mouvement extrémiste qui place l'immigration au centre de son discours, sans que les résultats sur le terrain soient convaincants.
M. Dominique Braye. Cela vous arrange : cela vous permet d'avoir la majorité aujourd'hui !
M. Guy Allouche. Les stastitiques sont assez édifiantes !
Nous avons aussi remarqué - et je ne m'en plaindrai pas - que la plupart de ceux qui avaient participé à la rédaction du rapport Sauvaigo ont été sévèrement battus aux dernières législatives. (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du groupe communiste Républicain et Citoyen. - Mme Dusseau applaudit également). A commencer par Mme Sauvaigo elle-même ! (Rires sur les mêmes travées.)
Chers collègues, dans ce domaine précisement, la surenchère démagogique et xénophobe n'est jamais gage de succès !
M. Pierre Mauroy. Très bien !
M. Josselin de Rohan. Dites donc : le Front national, vous connaissez ? (Rires sur les travées du RPR.)
M. Dominique Braye. Le Front national, vous ne connaissez pas ?
M. Paul Blanc. Ils sont associés !
M. Guy Allouche. Tout cela ne semble pas avoir servi de leçon.
Lors du débat à l'Assemblée nationale, nombreux encore ont été ceux qui ont « hurlé avec les loups », reprenant à leur compte tous les propos xénophobes de l'extrême droite (Exclamations sur les travées du RPR), se transformant ainsi en « concessionnaires » du FN. (Vives protestations sur les mêmes travées.)
M. Dominique Braye. Vos alliés objectifs !
M. Alain Vasselle. C'est vous les concessionnaires !
M. Jean Chérioux. Vous devez certains de vos élus au Front national.
M. Dominique Braye. Vous êtes les élus du Front national, et nous du RPR !
M. Charles Descours. C'est vous les concessionnaires !
M. Dominique Braye. Oui, ce sont vos alliés objectifs !
M. le président. Monsieur Allouche, ne vous étonnez pas d'être interrompu si vous provoquez vos collègues. (Protestations sur les travées socialistes. - Exclamations sur les travées du RPR.)
M. Jean Chérioux. Provocateur !
M. Alain Vasselle. Arrêtez la provocation !
M. le président. Cela étant, exprimez-vous en toute liberté. (Nouvelles exclamations sur les travées du RPR.)
La parole est à M. Allouche, et à lui seul, mes chers collègues.
M. Guy Allouche. Monsieur le président, s'il vous plaît, ne guidez pas mon expression : je suis libre de m'exprimer comme je l'entends à cette tribune. (Très bien ! sur les travées socialistes.)
M. Dominique Braye. Et nous, nous sommes libres de répondre !
M. Guy Allouche. D'ailleurs, nous croyons savoir, monsieur le ministre, que vous avez pris soin de relever lors de ce débat à l'Assemblée nationale un grand nombre de ces déclarations de députés de l'opposition. Il paraît que c'est un véritable florilège !
L'expérience a depuis longtemps enseigné que ce ne sont pas les compromis - et encore moins les compromissions - qui feront reculer l'extrême droite, mais l'affirmation et la défense de principes républicains, de convictions fortes, qui l'ébranleront et le mettront en échec.
Il est devenu impératif de définir, selon une approche pacifiée, une gestion de l'immigration qui soit acceptée par la très grande majorité des Français.
M. Dominique Braye. Pourtant, 76 % des Français refusent ce que vous proposez.
M. Paul Blanc. Faites un référendum !
M. Guy Allouche. Monsieur Braye...
M. Dominique Braye. Je répète : 76 % des Français refusent vos propositions.
M. Raymond Courrière. Arrêtez de brailler !
M. Guy Allouche. Si vous voulez que je reste correct à votre égard, monsieur Braye, laissez-moi m'exprimer.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Monsieur le président, inscrivez M. Braye dans la discussion générale !
M. Gérard Larché. M. Braye, il est gentil : il est des Yvelines ! (Rires.)
M. le président. Mes chers collègues, veuillez faire preuve de quelque tolérance. Quelle que soit la nature des propos qui vous sont infligés (Rires sur les travées du RPR), vous devez les écoutez.
Poursuivez , monsieur Allouche.
M. Guy Allouche. Avec ce projet de loi, le Gouvernement entend restaurer ces principes et ces valeurs républicaines.
Consulté, le Haut Conseil à l'intégration, présidé par Mme Simone Veil, s'est félicité « de ce projet de loi qui place le respect de l'individu et de la famille au centre des préoccupations ».
Interrogée par la commission des lois de l'Assemblée nationale, Mme Veil a déclaré : « Le projet du Gouvernement revêt un caractère cohérent et équilibré qu'il serait risqué de remettre en cause. » De même, le Conseil d'Etat n'a trouvé aucune disposition portant atteinte aux libertés individuelles dans ce projet de loi.
Voilà pour l'esprit de rupture profonde avec les législations antérieures !
Redéfinir les termes du débat sur l'immigration passe par l'équilibre à trouver entre, d'un côté, une approche univoque, obnubilée par l'immigration irrégulière, multipliant les restrictions, les contrôles, les mesures répressives et, de l'autre, une vision angélique prônant une ouverture totale des frontières, associé à un droit au séjour généralisé.
Cet équilibre repose sur quelques idées-forces, souvent invoquées, mais souvent aussi malmenées. Ainsi, l'entrée et le séjour sur le territoire doivent faire l'objet d'un régime juridique équitable, débarrassé des contraintes qui limitent la liberté de circulation, respectueux des droits des individus et des familles, soucieux de l'intérêt national.
Parallèlement, parce que la crédibilité de la loi en dépend, il faut ajuster les moyens de prévention et de répression de l'immigration irrégulière, qui doivent devenir plus sélectifs pour être plus efficaces. Il n'y a pas lieu de confondre, dans un même ensemble, l'étranger ayant un droit au séjour et celui qui en est dénué. Il faut aussi différencier les traitements dont relève l'étranger en situation administrative irrégulière des traitements applicables à celui qui est délinquant !
Toutes les statistiques sur les étrangers montrent les méfaits d'une politique qui applique de manière indifférenciée les mêmes règles à tous les étrangers. Sous couvert de lutter contre l'immigration irrégulière, phénomène réel mais, somme toute, marginal par rapport à l'immigration régulière, c'est, en fait, l'ensemble des étrangers en situation régulière qui sont déstabilisés.
Le Gouvernement, tirant vite les enseignements de ces vingt dernières années, s'est rangé à la démarche pragmatique et non idéologique prônée par le rapport de M. Weil.
Monsieur le président de la commission des lois, vous disiez il y a un instant que le rapport de M. Weil ne trouvait pas grâce à vos yeux ni d'ailleurs aux yeux de la majorité des membres de la commission des lois...
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Me permettez-vous de vous interrompre, monsieur Allouche ?
M. Guy Allouche. Je vous en prie.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Ce que j'ai noté, ce que nous avons tous noté en commission, c'est... - je cherche un mot gentil - l'assurance plutôt malvenue et une certaine tonalité dans la présentation de ce rapport qui m'ont conduit, vous l'avez souligné - et c'est la seule fois où j'ai eu à intervenir - à rappeler à l'esprit convivialité qui règne habituellement entre nous.
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Allouche.
M. Guy Allouche. Monsieur le président, je ne saurais désavouer cette remarque. (Ah ! sur les travées du RPR.) Mais je veux ajouter que toute autre personnalité qualifiée désignée par le Gouvernement n'aurait pas davantage trouvé grâce à vos yeux.
M. Jacques Larché, président de la commisison des lois. C'est faux !
M. Guy Allouche. Le rapport de M. Weil a été approuvé par le Haut Conseil à l'intégration et par la Commission nationale consultative des droits de l'homme.
Permettez-moi d'ajouter que j'estime pour ma part que, entre le rapport Sauvaigo et le rapport Weil, il n'y a pas photo !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Je n'ai pas eu à choisir !
M. Guy Allouche. Sans aller jusqu'à l'abrogation formelle des lois Pasqua-Debré - en réalité de l'ordonnance du 2 novembre 1945, « tapisserie ancienne », selon M. le président de la commission des lois - sur laquelle le Gouvernement s'est longuement expliqué, ce dernier a, en plus de certaines harmonisations formelles, dû recourir à des abrogations partielles significatives de dispositions issues des lois de 1993 et 1997.
Je veux relever la suppression de l'interdiction administrative du territoire, de la rétention judiciaire, l'abandon du refus du regroupement familial au motif que les conditions matérielles ne sont pas réunies lors de l'accueil de la famille, la remise en cause du retrait du titre de séjour en cas d'entrée de la famille, hors regroupement familial.
Sans entrer dès à présent dans le détail du projet de loi - l'examen des articles nous en fournira l'occasion - je veux rappeler les principales dispositions de ce texte.
Il s'agit tout d'abord de simplifier les formalités aux frontières et, au-delà, de faciliter l'accès au territoire français. Il n'est pas excessif de considérer que, depuis une dizaine d'années, l'entrée en France est devenue, pour beaucoup d'étrangers, qu'ils soient professionnels, chercheurs, enseignants, voire simples visiteurs, une véritable course d'obstacles semée de procédures tatillonnes et bureaucratiques qui contribuent à donner de notre pays une image peu avantageuse.
La deuxième orientation vise à garantir une meilleure intégration des étrangers ayant vocation à s'installer durablement en France, ces dernières années ayant été, hélas ! caractérisées par une fragilisation de leur situation.
Le troisième axe renforce les garanties offertes aux étrangers. La suspicion généralisée à l'encontre des étrangers, systématiquement considérés comme des clandestins en puissance, a progressivement conduit à un grignotage de leurs droits et de leurs garanties. Le projet de loi vise à inverser cette tendance.
Enfin, la dernière orientation du titre Ier est le souci de rendre plus efficaces les outils de lutte contre l'immigration irrégulière. Nous retrouvons, là aussi, cette notion d'équilibre entre l'indispensable respect de la dignité humaine lors de l'accueil, du séjour et, même, dans la situation de non-admission, une plus grande justice dans l'approche juridique de l'immigration et une très nette fermeté à l'égard de l'immigration irrégulière : celle-ci doit être traitée de manière plus efficace et ne pas se limiter à des peines d'emprisonnement.
Nous avons aussi noté une farouche détermination du Gouvernement dans la lutte contre les « passeurs » professionnels, les filières d'immigration clandestine, sans oublier les dirigeants d'ateliers clandestins, « ces esclavagistes des temps modernes ».
Le titre II vise à renforcer le droit d'asile.
Les nouvelles dispositions constituent une avancée incontestable, qui tient compte de l'évolution et de la situation politique d'un grand nombre de pays et de leurs pratiques démocratiques. On pourrait se féliciter du fait que la diminution régulière des demandes d'asile, en France en particulier, reflète l'amélioration de la situation des droits de l'homme dans le monde. Mais la sécheresse des chiffres ne saurait occulter les difficultés auxquelles les demandeurs d'asile peuvent être confrontés dans leur démarche.
Sans plus attendre, je tiens à saluer le travail remarquable effectué par l'ensemble des personnels de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, l'OFPRA.
Certes, l'OFPRA a pour mission d'appliquer strictement la législation et les conventions en vigueur, mais je veux souligner - parce que cela nous est toujours signalé - que les personnels ne font jamais abstraction de la détresse humaine des demandeurs d'asile lors de l'examen des demandes. Je veux leur témoigner toute ma gratitude.
Notre législation en la matière est fondée sur un double engagement : le préambule de la Constitution de 1946 et la Convention de Genève de 1951. L'OFPRA et la Commission des recours des réfugiés se sont vu confier le soin de reconnaître aux étrangers qui la sollicitent la qualité de réfugié. Je rappelle que les décisions rendues par cette commission, qui est une instance juridictionnelle, relèvent en cassation du Conseil d'Etat.
Cependant, force est de constater que la jurisprudence administrative et la pratique ne permettent pas d'appréhender toutes les situations d'étrangers susceptibles de trouver un refuge légitime dans notre pays. Parmi ces derniers, figurent au premier plan des personnes qui justifient craindre dans certains Etats des persécutions de la part de tiers. Or, dans la mesure où ces persécutions n'émanent pas des autorités légales et ne sont ni encouragées ni tolérées par celles-ci, ces personnes, en vertu d'une jurisprudence solidement établie depuis 1983, ne sont pas éligibles au statut de réfugié de la Convention de Genève.
Pour combler cette lacune en donnant sa pleine application au droit d'asile, qui serait ainsi renforcé, le projet de loi franchit une étape en consacrant dans la loi les principes résultant du préambule de la Constitution de 1946.
Cette extension du champ des réfugiés ne saurait, hélas ! à elle seule, appréhender toutefois l'ensemble des situations dans lesquelles les étrangers souffrent de la violence qui prévaut dans leur pays. C'est la raison pour laquelle une nouvelle disposition offre la possibilité au ministre de l'intérieur d'accorder l'asile territorial à un étranger qui serait exposé dans son pays à des traitements inhumains ou à des risques majeurs pour sa sûreté personnelle.
Loin de se contenter de légaliser des pratiques déjà existantes, cette reconnaissance de l'asile territorial prolonge le dispositif en faveur de l'attribution du statut de réfugié, puisque le directeur de l'OFPRA et le président de la Commission des recours des réfugiés pourront saisir le ministre de l'intérieur des cas de rejet du statut de réfugié qui leur semblent pouvoir relever de l'asile territorial.
Par ces dispositions, la France restera l'exemple, la référence, fidèle à son image dans le monde depuis deux siècles.
Enfin, un triple souci de renforcement des droits des étrangers, d'efficacité administrative et d'égalité de traitement entre les étrangers et les nationaux inspire les dispositions qui figurent dans le titre III et qui sont reprises du rapport Weil. Je ne les énumérerai pas, nous les traiterons lors de l'examen des articles. Cependant, je tiens à souligner que l'une des dispositions contenue dans l'article 36 du projet de loi met fin à des discriminations entre ressortissants étrangers et nationaux, discriminations condamnées à plusieurs reprises par la Cour de justice des Communautés européennes.
Je citerai volontiers une troisième fois Mme Veil, qui, devant la commission des lois de l'Assemblée nationale, a déclaré, au nom du Haut Conseil à l'intégration qu'elle préside : « Le Haut Conseil approuve le versement, sans condition de nationalité, de l'allocation aux adultes handicapés et de l'allocation supplémentaire du Fonds national de solidarité, ainsi que la suppression de l'obligation de résidence pour la demande de liquidation de leur pension de retraites par des étrangers. »
Si je rappelle cela, mes chers collègues, c'est parce que je veux encore croire que des collègues cesseront d'affirmer que nos immigrés réguliers sont avant tout des « allocataires ».
Dans son rapport, M. Vasselle fait état de certaines dispositions du droit social actuel. J'ai envie de dire à M. Vasselle : mais à quoi servons-nous ? Qui légifère ? Qui fait le droit ? Si ce qu'il dit était vrai, pensez-vous que le Conseil d'Etat aurait « laissé passer » - pardonnez-moi cette expression - de telles dispositions contraires au droit, à la Constitution... ?
M. Charles Pasqua. Le Conseil d'Etat donne un avis.
M. Jean Chérioux. Si le Conseil d'Etat compte autant, nous n'avons plus rien à faire !
M. Guy Allouche. Mes chers collègues, je voudrais que tout le monde comprenne que les minima sociaux ne sont jamais versés aux irréguliers. Cela n'existe pas !
M. Jean-Pierre Schosteck. Méfiez-vous de ce type d'affirmation !
M. Guy Allouche. Cessons de véhiculer des propos qui entretiennent le trouble dans la population !
Paradoxalement, il a été constaté - par nous-mêmes aussi - que la fermeture des frontières génère l'installation quasi définitive des immigrés.
Qui veut, en effet, prendre le risque, en retournant chez lui, de ne plus pouvoir revenir - je parle des immigrés réguliers ?
Loin d'être dissuasives, les barrières ont rigidifié les flux. Quand on ouvre nos portes, à certaines conditions, la mobilité de la main-d'oeuvre est plus grande et l'installation des familles très limitée.
M. Dominique Braye. Utopie angélique !
M. Guy Allouche. Monsieur le ministre, mes chers collègues, maîtriser les flux migratoires c'est nécessairement agir aussi sur les causes des migrations. Vous avez coutume de dire, monsieur le ministre, que « les problèmes du Sud se règlent au Sud ».
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. D'abord !
M. Guy Allouche. D'abord, oui.
La formule est juste. Qu'il me soit permis cependant d'ajouter : oui, mais avec des aides et des moyens venant seulement du Nord.
M. Charles Pasqua. Au Sud, sans perdre le Nord ! (Sourires.)
M. Dominique Braye. On ferait mieux de régler d'abord nos problèmes !
M. Guy Allouche. Monsieur Pasqua, vous savez que je suis doublement du Nord : originaire d'Afrique du Nord et élu du département du Nord !
M. Raymond Courrière. Très bien !
M. Pierre Mauroy. Alors, il ne perd pas le Nord !
M. Guy Allouche. Et je ne perds pas le Nord, comme le dit M. Pierre Mauroy !
Ce projet de loi amorce une reconfiguration de la coopération de la France avec les pays exportateurs de main-d'oeuvre. Le récent voyage de M. le Premier ministre au Maroc, au Sénégal et au Mali avait pour thème central le codéveloppement.
M. Charles Pasqua. C'est un beau succès !
M. Guy Allouche. Nous savons qu'un rapport sur une politique de codéveloppement rédigé par l'un de vos collaborateurs, Sami Naïr, vient d'être remis au Gouvernement.
Il est évident que, si l'on veut convaincre les immigrés de rester chez eux, ou d'y retourner dans les meilleurs délais, il faut engager une politique active de développement des pays du Sud et faire de l'immigration régulière un vecteur positif de développement de ces pays.
Monsieur le ministre, il serait souhaitable, et j'en formule la demande, qu'au cours de cette année 1998 nous ayons l'occasion de débattre de cette question du codéveloppement. Loin des passions, loin des clichés et des préjugés, ce débat nous permettrait d'avoir une vision aussi exacte que possible de la réalité des raisons des migrations et des moyens que notre pays, avec d'autres, et notamment l'Union européenne, pourrait mettre en oeuvre.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, en rappelant l'esprit et les principales dispositions du projet de loi, je voulais mettre en lumière le compromis réalisé entre le respect des droits des personnes et la recherche de l'efficacité optimale. Ce projet de loi change en profondeur les conditions d'accueil des étrangers et le traitement de la question de l'immigration. Vous ne serez pas surpris d'apprendre que le groupe socialiste du Sénat, au nom duquel je m'exprime, approuve toutes ces avancées parce qu'il forme l'espoir que l'opinion publique, dans sa grande majorité, acceptera, elle aussi, le contenu de cette réforme,...
M. Dominique Braye. Ah bon ? Ça c'est une nouvelle !
M. Guy Allouche. ... que l'immigration cessera d'être, de façon récurrente, un abcès de fixation du débat politique.
M. Dominique Braye. Vous vous y prenez mal !
M. Guy Allouche. Les préoccupations des Français sont autres : les questions économiques et sociales, les problèmes liés à la jeunesse, dont on mesure chaque jour l'acuité et qui soulèvent tant d'inquiétude, doivent être au coeur de nos préoccupations,...
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Ils n'y sont pas !
M. Guy Allouche. ... loin d'un débat souvent qualifié de politicien et dont nous savons tous à qui il profite !
M. Dominique Braye. Ça, c'est urgent !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Cela vous arrange bien !
M. Guy Allouche. C'est une évidence que de rappeler que le problème majeur de la France, actuellement, est non pas l'immigration, qui reste, comme l'a dit M. Stasi, une chance bien plus qu'une menace, mais bien la montée du chômage, l'aggravation de la précarité et des inégalités sociales.
M. Alain Vasselle. Vous avez là beaucoup à faire !
M. Dominique Braye. C'est là-dessus qu'il fallait légiférer ! C'est le projet de loi sur l'exclusion qu'il fallait mettre à l'ordre du jour, pas le texte sur l'immigration.
M. Guy Fischer. C'est vous qui l'avez sabordé.
M. Charles Pasqua. Monsieur Fischer, ça, c'est la meilleure !
M. Dominique Braye. Reconnaissez tout de même que l'urgence était là.
M. Guy Allouche. Cependant, rien ne serait plus absurde que de vouloir opposer une éthique de conviction à une éthique de responsabilité. Notre soutien au Gouvernement est acquis, vous le savez, monsieur le ministre, mais nous n'entendons pas pour autant faire taire certaines divergences. C'est pourquoi nous avons déposé quelques amendements.
M. Jean Chérioux. Des amendements d'éthique ou des amendements de conviction ?
M. Guy Allouche. Nous sommes toujours convaincus de la nécessité d'aller plus avant sans pour autant porter atteinte à l'équilibre du projet. Nous souhaitons que le Gouvernement accepte d'autres abrogations, à tout le moins d'autres modifications de fond.
Respectueux de l'Etat de droit, attachés à la protection des personnes et à leurs libertés, et sans mettre en cause l'administration et ses personnels compétents et dévoués, nous devons nous préserver de l'arbitraire administratif, qui « a gagné du terrain » ces dernières années. En la matière, il nous revient de redonner à la justice judiciaire, gardienne des libertés, aux termes mêmes de la Constitution, la plénitude de son autorité.
De même, nous sommes soucieux de voir respecter la jurisprudence du Conseil constitutionnel pour ce qui concerne la durée de la rétention administrative. Certes, je n'ignore pas que le Gouvernement a retenu la suggestion du Conseil d'Etat, qui, entre les dix jours actuels et les quatorze jours proposés, estime que la rétention peut passer à douze jours. Nous en débattrons plus longuement lors de la discussion de l'article auquel se rattache cette disposition, et je m'efforcerai de vous convaincre.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Oh là !
M. Jean-Pierre Schosteck. Ce sera difficile !
M. Guy Allouche. Autant je suis convaincu de la nécessité de reconduire à la frontière, d'éloigner du territoire national ceux qui n'ont pas vocation à y demeurer, autant je doute que ces deux jours supplémentaires suffisent pour ce faire.
M. Jean-Pierre Schosteck. Oui, nous aimerions avoir une réponse sur ce point.
M. Guy Allouche. Pour conclure, monsieur le ministre, mes chers collègues, je dirai que la sortie de l'impasse dans laquelle la France se trouve depuis une quinzaine d'années passe d'abord par le changement du discours public. Aucune innovation de l'action ne pourra faire l'économie de la vérité.
Alors que les conjoncturistes prévoient que, dans dix ou quinze ans au plus tard, la France devra faire appel à de nouvelles vagues d'immigration, il est urgent d'oser dire clairement que l'immigration ne sera jamais arrêtée. Contrôlée, elle restera ouverte, dans le respect de nos valeurs et pour la défense de nos intérêts, de façon limitée aux familles, aux conjoints, aux réfugiés et à quelques dizaines de milliers d'étrangers qualifiés.
L'immigration est un grand sujet pour l'avenir, en aucun cas un problème du passé. Cessons de regarder l'immigré comme un danger, considérons-le avant tout comme un être humain digne de respect, qui peut être une richesse et un défi.
Le Gouvernement a eu raison de changer, et vite, l'orientation de la politique de l'immigration. Exprimées en termes de simple protection des flux migratoires, les politiques menées en 1986, 1993 et 1997, essentiellement répressives, ne pouvaient pas réussir parce qu'elles étaient sans avenir.
Le Gouvernement actuel - vous notamment monsieur le ministre considère que l'une des solutions est à rechercher non pas au sein d'une forteresse que nul n'assiège, mais dans une politique de codéveloppement durable entre le Nord et le Sud. Il a choisi de passer d'une stratégie défensive, marquée par le souci de nous protéger de la venue des étrangers, à une politique positive, digne, parce que fondée sur les valeurs de la République, mais ferme.
C'est cette politique, porteuse d'avenir, que nous entendons soutenir. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Dusseau.
Mme Joëlle Dusseau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la majorité sénatoriale garde donc la même tactique.
Après le dépôt d'une motion référendaire sur la loi relative à la nationalité, après la quasi-suppression, article par article, de cette même loi afin de revenir à la loi Méhaignerie, vous avez décidé, mes chers collègues, d'entreprendre une démarche similaire à propos de la loi sur le séjour et l'entrée des immigrés en France et de revenir aux lois Pasqua et Debré.
M. Dominique Braye. Bien sûr, on les a votées !
M. Jean Chérioux. C'est logique !
M. Josselin de Rohan. On ne va pas se déjuger !
Mme Joëlle Dusseau. C'est une des spécificités du débat politique français : alors que nous sommes tous d'accord sur le fait qu'il faut intégrer les étrangers présents sur notre territoire et réguler nos flux migratoires pour aboutir à une immigration clandestine zéro, les fantasmes, les calculs politiques, les a priori démentis par les faits conduisent la majorité sénatoriale à des positions que je juge inquiétantes.
Oser dire, comme vous le faites, que la gauche agite le spectre du Front national pour mieux affaiblir la droite relève d'une attitude sur laquelle on ne peut que s'interroger.
Remettre en place la loi Debré, n'est-ce pas donner des gages au Front national et donc tenter de récupérer son électorat ?
On ne peut que se poser une telle question.
M. Josselin de Rohan. Vos amis sont élus avec leurs voix.
M. Jean-Pierre Schosteck. Oui, soixante-dix !
Mme Joëlle Dusseau. Cette tactique est d'autant plus étonnante qu'elle n'a pas été payante sur le plan électoral, loin s'en faut, ...
M. Jean-Pierre Schosteck. Si, pour vous !
Mme Joëlle Dusseau. ... comme l'ont montré les résultats des élections législatives, deux mois après le vote de la loi Debré. (Exclamations sur les travées du RPR.)
M. Jean-Patrick Courtois. Vous avez raison, madame, pour nous, ce ne fut pas payant ! Mais pour vous, si !
M. Jean Chérioux. C'est un aveu !
Mme Joëlle Dusseau. Et pourtant, on pouvait espérer que la droite sénatoriale, et la droite en général, aurait compris combien certaines dispositions de ces lois sont dangereuses. (Protestations sur les mêmes travées.)
Soit ces dispositions constituent une atteinte à l'état de droit, soit elles créent des catégories d'immigrés ni expulsables ni régularisables, soit, sous prétexte de lutter contre l'immigration clandestine, ce sur quoi tout le monde est d'accord, elles rendent plus difficiles, plus dures, plus incertaines les conditions de vie des immigrés en situation régulière.
Je voudrais prendre un exemple un peu marginal, et aujourd'hui hors sujet.
M. Jean Chérioux. Il ne peut être que marginal !
Mme Joëlle Dusseau. Il porte sur les certificats d'hébergement.
Les dispositions les concernant - je me rappelle les longs débats que nous avons eus à ce sujet à deux reprises - ont été considérablement durcis par la loi Debré.
On a en effet oscillé entre le système antérieur à la loi Debré, avec signature donnée par les maires, et celui qui fut adopté l'an dernier, selon lequel l'accord ou le refus dépendait de l'administration préfectorale, l'Office des migrations internationale, l'OMI, devant apprécier par des visites sur place les conditions d'accueil, qui devaient être considérées comme « normales ».
Au moment où sept millions de personnes vivent au-dessous du seuil de pauvreté en France, je laisse à penser combien la notion de « normalité » peut varier d'une catégorie sociale à l'autre !
C'est à cela, mes chers collègues, que vous voulezrevenir.
De même, vous voulez en revenir à l'obligation faite à l'étranger hébergé de remettre le certificat d'hébergement aux services de police lors de sa sortie du territoire. C'est cela, la loi Debré : une vision administrative, tatillonne, réglementaire, policière, du séjour des visiteurs étrangers. (Protestations sur les travées du RPR.)
C'est cela que vous voulez remettre en place !
M. Dominique Braye. Et bien d'autres choses encore !
Mme Joëlle Dusseau. Enfin, en rétablissant le texte de la loi Debré, mes chers collègues, vous en revenez à la notion de fichier d'hébergeants, dont vous savez à quel point elle a été l'objet d'une controverse et combien elle peut être dangereuse. (Exclamations sur les travées du RPR.)
Etes-vous bien sûrs, les uns et les autres, au moment où vous allez voter vos amendements de suppression, que vous souhaitez revenir à la situation antérieure, c'est-à-dire à cela ?
M. Dominique Braye. Oui !
M. Jean-Pierre Schosteck. Oui, sans aucun doute !
Mme Joëlle Dusseau. Sur cette question, d'ailleurs, monsieur le ministre, je voudrais vous dire à quel point je suis satisfaite que vous ayez suivi les propositions de l'Assemblée nationale.
M. Charles Pasqua. Vous avez une groupie, monsieur le ministre ! (Rires.)
Mme Joëlle Dusseau. A l'origine, ces certificats avaient été conçus pour faciliter les visites des étrangers en France. Il avait même été dit en 1982 que le certificat d'hébergement devait permettre à des étrangers à revenus modestes d'obtenir plus facilement un visa.
M. Dominique Braye. Et de pouvoir bénéficier des allocations familiales !
Mme Joëlle Dusseau. Le moins que l'on puisse dire, c'est que, entre les refus des maires du Front national et la gestion administrative de centaines de milliers de cas, on oscillait entre un Charybde politique et un Scylla administratif, avec une efficacité quasiment nulle.
Je crois donc que l'initiative de l'Assemblée nationale a été bénéfique, et votre accord pour cette modification, sage.
M. Jean Chérioux. Saluez, monsieur le ministre, saluez !
Mme Joëlle Dusseau. Il est un certain nombre d'autres points de votre texte sur lesquels je veux vous dire mon accord, monsieur le ministre. Il s'agit, selon moi, en l'espèce, de véritables avancées non seulement par rapport à la situation législative dont vous avez hérité - encore qu'elle n'ait guère eu le temps de passer dans les faits, s'agissant de la loi Debré, grâce à la diligence du Président de la République - mais aussi par rapport à la situation antérieure.
En ce qui concerne le droit d'asile, au titre duquel, nous le savons, les entrées dans notre pays ont diminué de manière drastique au cours des dernières années, je voudrais saluer une modification qui me paraît importante : la notion, un peu littéraire mais fort belle, de « combattants de la liberté », ... (Sourires sur les travées du RPR.)
M. Dominique Braye. L'angélisme le plus complet !
Mme Joëlle Dusseau. ... qui étend le bénéfice du droit d'asile aux hommes et aux femmes courant des risques majeurs dans leur pays, que ces risques soient ou non liés au gouvernement en place.
M. Josselin de Rohan. Dans quels pays ?
Mme Joëlle Dusseau. Permettez-moi, ici et en cet instant, d'avoir une pensée pour ce qui se passe en Algérie,...
M. Dominique Braye. C'est trop facile ! C'est indigne !
Mme Joëlle Dusseau. ... où la barbarie aveugle est passée de l'assassinat individuel d'intellectuels, de journalistes, d'hommes et de femmes qui prenaient le risque d'affirmer simplement leur attachement à la liberté,...
M. Dominique Braye. Trop facile !
Mme Joëlle Dusseau. ... à des assassinats collectifs toujours plus monstrueux et horribles.
M. Dominique Braye. Indigne !
Mme Joëlle Dusseau. Permettez-moi d'évoquer aussi le sort des femmes d'Afghanistan, martyrisées, lapidées, oubliées.
M. Dominique Braye. C'est indigne d'utiliser de tels arguments !
Mme Joëlle Dusseau. Oui, il est temps que notre pays réaffirme que les droits de l'homme ne sont pas un slogan creux pour discours officiels, mais qu'ils sont une réalité vivante. (Très bien ! et applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Jean Chérioux. Vous étiez moins émue devant les Français d'Algérie quand ils sont rentrés parce qu'ils n'avaient que le choix entre la valise et le cercueil !
Mme Joëlle Dusseau. Autre point sur lequel je suis d'accord : la facilitation de l'accueil des étudiants et des chercheurs,...
Mme Nelly Olin. Oh, ça !
Mme Joëlle Dusseau. ... de tout ce qui permet de multiplier les échanges scientifiques et professionnels. Cette ouverture au monde des étudiants, qui constitue un retour à nos traditions, est, de plus, conforme aux intérêts de la France. On le sait bien, les étudiants et les chercheurs d'aujourd'hui seront, demain, une fois revenus chez eux,...
M. Jean Chérioux. Ils ne veulent pas y retourner !
Mme Joëlle Dusseau. ... les cadres qui entretiendront des liens privilégiés avec notre pays.
J'exprimerai la même satisfaction en ce qui concerne l'âge, le minimum vieillesse et les retraités.
La possibilité qui est offerte à ces derniers de percevoir leur retraite dans leur pays d'origine et d'avoir un titre de séjour pour circuler en France - où ils ont vécu parfois pendant des décennies, où ils comptent des amis et, souvent, des membres de leur famille, notamment des enfants - me paraît tout à fait positive. Sur ce point, vous avez même convaincu la majorité sénatoriale, monsieur le ministre, ce qui n'est pas peu !
En revanche, je crois que certaines remarques techniques formulées par la commission des affaires sociales ne sont pas dépourvues d'intérêt.
M. Jean Chérioux. Ah !
Mme Joëlle Dusseau. Des modifications positives sont aussi intervenues en ce qui concerne le regroupement familial. En respectant l'esprit plutôt que la lettre des conditions exigées des demandeurs en termes d'emploi et de logement, on fait oeuvre d'humanité, ou simplement de bon sens, sans tomber dans le laxisme.
Je suis plus réservée sur l'exigence minimale du SMIC eu égard, d'abord, à l'importance de ce que l'on appelle les « travailleurs pauvres », dans les pays développés ; on sait que, en France, nombre de salariés ont un revenu inférieur au SMIC. De plus, cette disposition ignore le fait que le conjoint entrant en France peut alimenter le budget de la famille. Elle prend donc, à mon avis, trop en compte le revenu initial de la personne qui fait venir sa famille.
Pour autant, ces avancées font-elles des lois Pasqua-Debré une coquille vide, comme l'affirme le Gouvernement ? Je ne le crois pas. Pour ma part, c'est vrai, j'aurais préféré l'abrogation de ces lois, ne serait-ce que sur un plan symbolique, qui n'est pas forcément négligeable.
Je sais bien que, selon Gérard Gouzes, cela aurait représenté un chantier législatif considérable : il aurait fallu refondre entièrement la législation, travail de titan, selon lui. Par conséquent, dit-il et dites-vous, monsieur le ministre, mieux valait « toiletter » les lois précédentes. Mais, à ne faire qu'un toilettage des lois, on risque des oublis, ou on laisse en place des dispositifs pour le moins discutables.
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Madame Dusseau, me permettez-vous de vous interrompre ?
Mme Joëlle Dusseau. Je vous en prie, monsieur le ministre.
M. le président. La parole est à M. le ministre, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Je n'ai jamais employé le terme de « toilettage ». Je l'entends dans votre bouche, après l'avoir entendu dans la bouche d'autres orateurs, mais je considère que ce terme n'est pas approprié.
Mme Joëlle Dusseau. Monsieur le ministre, je retire ce terme très volontiers. Je croyais l'image propre à faire comprendre ma pensée : on garde le cadre de la loi initiale en ôtant les éléments qui paraissent les plus négatifs. Cette formulation vous convient-elle mieux ?
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Le terme toilettage s'applique à la gent canine. (Sourires.)
Mme Joëlle Dusseau. Et féline !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. S'agissant des lois dites « Pasqua » et « Debré » - que l'on rapproche quelquefois abusivement, car, autant que je m'en souvienne, M. Pasqua n'a pas jugé particulièrement utile de compléter son dispositif ! - j'en réforme les aspects qui avaient été « pointés » par M. Lionel Jospin pendant la campagne électorale ou, après qu'il fut devenu Premier ministre, dans son intervention de politique générale ; c'est celle-ci qui constitue le cadre dans lequel je me suis situé puisqu'il rassemble par définition l'ensemble des partis de la majorité.
M. Charles Pasqua. ... plurielle ! (Sourires.)
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Plurielle, en effet.
M. le président. Veuillez poursuivre, madame Dusseau.
Mme Joëlle Dusseau. Selon M. Gérard Gouzes, donc, mieux vaut réformer - puisque tel est le terme qui convient - les lois précédentes. Toutefois, à se contenter d'une réforme de ces lois, on risque des oublis ou on laisse en place des dispositifs pour le moins discutables. C'est pourquoi j'aurais, pour ma part, préféré la solution consistant à abolir ces deux lois, même s'il est un peu abusif, ainsi que vous l'avez dit fort justement, monsieur le ministre, de les rapprocher. Pour autant, je n'ai pas déposé d'amendement en ce sens.
Par ailleurs, je l'ai dit la semaine dernière, je regrette profondément que le Gouvernement ait adopté une position frileuse concenant la loi sur la nationalité et refusé de revenir à la loi de 1973. En effet, un certain nombre de points me gênent, qui figuraient dans les lois précédentes et que vous n'avez pas voulu supprimer, monsieur le ministre.
La loi Debré, par exemple, a prévu qu'il serait procédé à un relevé systématique des empreintes digitales des détenteurs de carte de séjour et d'en organiser le traitement automatisé. Un recours avait été déposé devant le Conseil constitutionnel, qui n'avait accepté le principe d'un tel relevé qu'avec des réserves.
Certes, cette disposition n'a pas été appliquée, le gouvernement précédent n'ayant pas eu le temps de prendre les décrets d'application. Mais ces dispositions figurent toujours dans le texte de l'ordonnance et elles me paraissent particulièrement pernicieuses. C'est pourquoi je vous demande ce que vous ferez sur ce point précis ; je compte, de toute façon, déposer un amendement de suppression de cet article sur le relevé automatique des empreintes digitales.
M. Josselin de Rohan. Nous ne le voterons pas !
Mme Joëlle Dusseau. Oh ! j'ai l'habitude d'être minoritaire dans notre assemblée, mon cher collègue ! (Rires.)
En ce qui concerne la commission du titre de séjour, il est bon qu'elle ait été rétablie, à l'initiative de l'Assemblée nationale. Cependant, en ne lui donnant qu'un rôle consultatif, on abroge « Debré » pour en revenir à « Pasqua ». Il aurait été plus judicieux de revenir à la loi Joxe et de donner à la commission un pouvoir délibératif. De plus, le fait que, sur les trois membres de cette commission, l'un soit désigné par le préfet amoindrit encore son rôle ; je le regrette.
La rétention administrative est prolongée de deux jours dans certains cas, ce qui est contestable, y compris au regard de la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
En revanche, ce projet de loi renforce les garanties de procédure en obligeant, notamment, les procureurs de la République à informer du lieu de détention la famille, les conseils, le consulat, et en autorisant le détenu à bénéficier d'un conseil dès la première heure ; cela me paraît positif.
S'agissant de la possibilité, maintenue dans la loi, de retirer sa carte de séjour à l'étranger qui emploie un travailleur immigré n'ayant pas lui-même de carte de séjour, s'il faut lutter fermement contre le travail illégal, il faut distinguer les situations.
L'expression « travail illégal » recouvre des réalités totalement différentes. Il me paraît difficile d'amalgamer l'entreprise clandestine, celui qui va repeindre l'appartement de son voisin et qui est payé au noir et celui qui emploie au noir une femme de ménage ou une baby-sitter. C'est, bien sûr, à ce type de travail clandestin que je pense ici. Il est condamnable ; chacun de nous le condamne. Il est punissable par la loi, et c'est tant mieux, même s'il n'est pas toujours facile de savoir si la personne que vous faites travailler ainsi a ou non une carte de séjour en règle.
M. Jean Chérioux. On sait bien si elle est inscrit à la sécurité sociale !
Mme Joëlle Dusseau. Cependant, ajouter à la condamnation, nécessaire et générale, de la faute, une seconde condamnation, le retrait de la carte de séjour, ne me paraît pas justifié. Je l'ai condamné voilà un an ; je ne l'approuve pas plus aujourd'hui.
Enfin, je tiens à attirer votre attention sur la référence récurrente dans le texte - aussi récurrente qu'imprécise, car laissée à l'appréciation de l'administration - au « trouble à l'ordre public », ou à la « menace à l'ordre public ». Cette notion existait dans les textes antérieurs, mais elle s'est généralisée avec les lois de 1993 et de 1997.
Il nous serait à tous assez insupportable que notre sort soit lié à des notions aussi floues. Qu'est-ce qui, aujourd'hui, constitue une « menace à l'ordre public » ? Et qu'en sera-t-il demain ?
Pour ma part, j'estime qu'il y a la loi, que l'on doit respecter, et la justice, qui s'applique quand on ne respecte pas la loi. Ce fondement de l'état de droit doit s'appliquer à tous ceux qui vivent régulièrement sur notre territoire, d'autant que, on le sait bien, les immigrés d'aujourd'hui sont les Français de demain, eux-mêmes souvent, leurs enfants presque toujours.
Dans ce domaine comme dans les autres, je suis attachée à l'égalité devant le droit. Or, ici, ceux qui sont inégaux devant le droit, ce sont les plus faibles.
Sur ce point aussi, j'ai exprimé mon opposition lors de la discussion de la loi Debré. Je n'ai pas changé d'avis.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat sur l'immigration en France a pris, en quelques années, un tour passionné, tant au Parlement que dans le pays.
M. Jean Chérioux Grâce à qui ?
Mme Joëlle Dusseau. Grâce à vous, sûrement, monsieur Chérioux, il n'y a qu'à vous entendre !
M. Jean Chérioux. Absolument pas !
Mme Joëlle Dusseau. Derrière nos affrontements verbaux, il y a la crise, d'une part, et le vote Front national, d'autre part. Et pourtant, nous savons bien à quel point, plus que d'autres pays européens sûrement, la France a été faite de vagues migratoires, à quel point cette diversité a renforcé son rayonnement et son unité.
Zola serait-il aussi français s'il n'était né de parents italiens, ce que d'aucuns ont su lui rappeler à l'époque ? Et Dumas ne doit-il pas une partie de son fabuleux talent au fait qu'il avait une grand-mère haïtienne ?
M. Charles Descours. Et Gambetta ? (Rires sur les travées du RPR.)
Mme Joëlle Dusseau. Cette intégration si fructueuse pour nous tous passe par des règles ; il faut les respecter. Elle passe par une évidente et nécessaire maîtrise de l'immigration, qui en douterait ? Elle passe aussi par un attachement très ferme au respect du droit.
Votre projet de loi comporte un certain nombre d'avancées, que je salue, monsieur le ministre. Il suscite aussi, en ce qui me concerne, sur un certain nombre de points importants, des interrogations et des réserves ; j'aurai l'occasion d'y revenir au cours de la discussion des articles. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pendant quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures quarante, est reprise à dix-sept heures cinquante-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Duffour.
M. Michel Duffour. Monsieur le ministre, vous avez souligné, en présentant votre projet de loi dans plusieurs articles de presse, que « l'attitude du Gouvernement a consisté à ne pas jeter de l'huile sur le feu ».
« Tous les maximalismes, avez-vous écrit, concourent à nourrir les fantasmes sur le sujet de l'immigration, propice à toutes les chimères. Il vaut mieux traiter de ces problèmes d'une manière responsable en faisant appel à la raison. »
Vous savez que les parlementaires communistes, dans leur grande majorité, attendaient de votre part des signes plus forts. Cela étant dit, nous pensons comme vous qu'il est sage de se départir de tout parti pris et de penser les solutions sur le long terme.
Les passions soulevées par le thème de l'immigration soulignent combien cette question en appelle à l'idée que l'on se fait de la France, de ses atouts, de son avenir.
Le souvenir du débat sur la nationalité est encore frais dans cet hémicycle et nous restons effrayés par certains des amalgames qu'il a dévoilés. Vous avez, mesdames, messieurs, censuré un texte par manque de confiance dans les atouts de notre peuple.
Nous croyons, nous, en la capacité de la République à surmonter ses retards et ses inadaptations, et à intégrer ceux qui sont sur notre sol et souhaitent se fondre dans le creuset commun.
C'est cette question que nous allons, pour l'essentiel, de nouveau aborder.
D'autres défis considérables peut-être nous guettent. Des tragédies à l'échelle de continents peuvent provoquer des migrations de masse. Mais abordons le sujet sans fantasmes. Il est vain de jouer les Cassandre et d'être un chantre du libéralisme. La financiarisation de l'économie mondiale cause en effet plus de dégâts que les variations climatiques. La Thaïlande a ainsi annoncé avant-hier l'expulsion prochaine d'un million d'étrangers.
Mettons donc fin au discours hypocrite qu'on entend trop souvent à droite et qui feint de croire qu'un libéralisme économique à tous crins peut se conjuguer à une quasi-fermeture des frontières.
Notre pays doit consacrer toute son énergie à l'émergence de nouvelles coopérations entre les peuples, à la promotion en tous domaines d'un effort d'intégration des populations les plus vulnérables, à faire respecter nos meilleures traditions en matière d'accueil et d'aide.
La révolte, voilà dix-huit mois, d'une poignée d'hommes et de femmes devant l'injustice faite à des étrangers privés de papiers et d'avenir, puis l'exceptionnelle mobilisation du printemps contre l'article 1er de la loi Debré ont été une chance pour la France.
Le réveil a été douloureux pour une partie de la classe politique mais le sursaut a été salutaire. Ce mouvement a réaffirmé qu'en dépit de tentations de repli l'idée est forte dans notre peuple que tous ceux qui vivent sur ce sol, qui y ont été accueillis, qui le respectent, doivent être considérés comme étant de ce sol.
C'est bien pourquoi nous estimons que le moment est venu de concevoir une politique nouvelle et ambitieuse en matière d'immigration. L'abrogation des lois d'août 1993 et d'avril 1997 est apparue à beaucoup, dont nous sommes, comme un passage obligé. Nous avons entendu, monsieur le ministre, votre souci de ne pas placer durablement l'immigration au centre du débat politique et vos craintes d'un vide juridique. Mais là n'était pas notre intention. Il nous paraît indispensable d'inverser les tendances, s'agissant des points sur lesquels, sous la pression forte de thèmes chers à l'extrême droite, des responsables de grands partis politiques en sont venus à prendre le contre-pied de mesures qu'ils avaient eux-mêmes votées. La crédibilité de notre pays en a été affectée. Des personnes que rien ne poussait à la clandestinité y ont versé. C'est une remise à plat d'ensemble que nous appelions de nos voeux. Nous sommes partie prenante pour ce travail.
Le Gouvernement a hérité, en juin, d'un lourd passif. Comment oublier que l'arsenal législatif « musclé » mis en place s'est trouvé constamment aux limites de l'atteinte aux droits de l'homme ? (Protestations sur les travées du RPR.)
M. Jean Chérioux. Vous êtes, vous, un spécialiste des droits de l'homme !
M. Michel Duffour. Aux limites, ai-je dit. Mais j'ai entendu certains d'entre vous se féliciter de n'avoir pas été censurés à l'époque. Cela signifie bien que vous craigniez bien d'être aux limites et que vous avez flirté avec celles-ci... (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.)
M. Jean-Pierre Schosteck. Vous avez été longtemps des thuriféraires s'agissant de ce type de comportement !
M. Michel Duffour. ... alors que, dans le même temps, aucune idée neuve n'a amélioré notre politique de coopération avec les pays du Maghreb et de l'Afrique noire ou que la fermeté vis-à-vis du travail clandestin - qui ne concerne pas que les seuls travailleurs immigrés - n'a été que tiédeur et complaisance pour cause de flexibilité, de déréglementation et de compressions salariales.
L'objectif d'« immigration zéro », irréaliste et inefficace, a été un leurre, mais a pesé sur les esprits et a fait passer ce qui était marginal pour l'essentiel.
Tout cela a contribué à entretenir une atmosphère malsaine, dont l'extrême droite fait son miel.
Le projet de loi est donc, selon nous, une avancée sensible par rapport à la législation antérieure. Un grand nombre de mesures auront des effets bénéfiques par une approche plus réaliste et plus soucieuse du respect des droits de l'homme pour l'entrée et le séjour des étrangers sur notre territoire.
Dans le même temps, ce texte suscite des réserves au sein de notre groupe. Les limites volontaires qu'il s'assigne, l'absence de mesures concomitantes sur le codéveloppement, qui fait par ailleurs l'objet de travaux, mais qui manque dans cet exposé, vos références au travail mené conjointement avec vos collègues chargés de l'emploi, de l'éducation, des affaires étrangères, mais qui ne sont pas matérialisées font d'autant ressortir le traitement parcellaire de mesures de sécurité, certes indispensables, mais qui ne relèvent pas des seuls immigrés ou le manque de contrepoids à une administration qui n'a rien à craindre d'une collaboration avec des associations ou d'autres structures.
Tout cela empêche d'adhérer pleinement à ce texte, qui aurait pu remettre plus en cause, de manière précise et concrète, ce que l'on considère, dans l'ordonnance de 1945 revue et corrigée par les lois Pasqua et Debré, comme des éléments de défiance vis-à-vis de la population étrangère.
Nous présenterons des amendements sérieux, mais en nombre limité. Nous souhaitons être entendus, monsieur le ministre.
La plupart des élus de notre groupe détiennent un mandat dans des villes où l'immigration est importante. Je ne prétends pas que cet ancrage suffise à juger du vrai et du faux, mais on ne peut nous suspecter d'irréalisme. Nous travaillons dans des quartiers avec des associations d'immigrés, composées le plus souvent de gens admirables ; nous épaulons des jeunes en quête de reconnaissance ; nous promouvons des actes forts d'intégration ; nous n'ignorons pas la montée d'idées xénophobes dans une partie de la population, mais nous y résistons.
Le projet de loi qui nous est proposé, enrichi par les amendements qui ont été adoptés à l'Assemblée nationale, nous convient sur plusieurs points.
La suppression des certificats d'hébergement, l'obligation de motiver le refus de visas pour des catégories qui remplissent les conditions requises pour l'obtention d'un titre de séjour sont des mesures positives. Bien que nous ayons le souci de ne pas voir se multiplier des titres temporaires pouvant priver, à terme, certains étrangers d'une carte de résident plus stable, nous nous félicitons tout particulièrement de la création d'un titre de séjour « vie privée ou familiale », qui donnera plus de souplesse à la régularisation des situations inextricables, d'un accès au droit de séjour pour les malades et, bien évidemment, d'une carte de dix ans pour les retraités.
Même si nous estimons que les aléas du marché du travail et la cherté du logement font de tout verrou opposé au regroupement familial un obstacle souvent inhumain, les mesures d'assouplissement prévues par le projet de loi sont appréciables. Le projet enrichit la notion d'asile. Cela correspond à la vocation de la France. Nous espérons que l'application de ces principes sera à la hauteur des attentes. Monsieur le ministre, nous approuvons votre sévérité à l'encontre des bandes qui vivent de l'immigration clandestine et s'enrichissent par le commerce du malheur et, dans le même mouvement, le refus de sanctionner la démarche d'un proche ou d'une association venant en aide de manière non lucrative à un étranger en situation irrégulière.
Je n'énumère pas nos réserves. Nous les exposerons par quelques amendements. Toutes les demandes de visa déboutées devraient, selon nous, comporter les motivations de refus. Le travail pour les consulats deviendra-t-il trop lourd ? Probablement, mais la mesure peut être progressive. La France est souveraine, nous dit-on, dans l'octroi ou non de ses visas. Mais l'image de notre pays, si nous donnons l'exemple d'une plus grande transparence, n'en sera-t-elle pas largement bénéficiaire ?
Si le rétablissement de la commission départementale de séjour est une mesure positive, le texte en l'état reste insuffisant. En effet, nous estimons, comme de nombreuses personnalités, que son avis, lorsqu'il est positif, devrait lier le préfet. Est-ce une mesure de défiance envers l'administration ? Nullement. Il reste qu'il faut éviter de la rendre trop omniprésente et puissante. M. Stéphane Hessel qui a pris, par ailleurs, position pour le projet de loi admet avoir une inquiétude sur la grande marge d'appréciation laissée aux administrations. « Même empreintes de la meilleure volonté du monde, nous savons bien qu'elles sont parfois tatillonnes », a-t-il écrit dans Le Nouvel Observateur.
Enfin, nous souhaitons une législation entièrement fondée sur les droits, et non sur les interdictions. Si l'allongement du délai de recours concernant un arrêté de reconduite à la frontière et, en particulier, l'institution d'un délai de sept jours lorsque cet arrêté est notifié par voie postale sont des mesures positives, nous ne comprenons toujours pas les raisons de l'augmentation de la durée de rétention. Fallait-il également maintenir tous ces rappels sur les fouilles et contrôles d'identité ? Cette interrogation n'est pas motivée par un doute sur le bien-fondé des efforts à fournir contre les grands délinquants. Mais ce n'est pas de cela qu'il s'agit, on le sait bien. En l'occurrence, ce sont des jeunes, des jeunes de souche immigrée qui sont, en règle général, harcelés. Nous préférerions légiférer en partant d'une réflexion fondée sur la citoyenneté, l'égalité et défendant les droits en les faisant respecter.
La machine française à intégrer a-t-elle des ratés ? Sans aucun doute ! Il est dur d'intégrer quand 11 % de la population vit dans une grande pauvreté. Un immense effort est à faire en tous domaines. Nous pensons que ce Gouvernement, à la différence de ceux qui l'ont précédé, en a la volonté.
Nous souhaitons la mise en place rapide d'une politique de codéveloppement. Elle ne réussira que si l'ambition de faire du neuf est au rendez-vous. Il ne suffira pas de juxtaposer des projets. Comme l'indique avec raison votre conseiller, M. Sami Naïr, « il faut passer d'une politique classique d'aide ou de coopération à des stratégies communes de codéveloppement avec un certain nombre de pays, surtout ceux de l'espace francophone ». Cela demande, bien évidemment, de changer des habitudes.
Notre pays ne manque pas d'atouts pour imaginer une politique neuve dans le domaine de l'immigration, une politique responsable, hardie dans ses efforts d'intégration, respectueuse des droits et des devoirs de chacun. Une partie de nos concitoyens, c'est vrai, qui se sentent délaissés, ne croient plus que l'on puisse bâtir du neuf, reprennent des thèmes de peur, de repli, ressassés par l'extrême droite. Heureusement, notre peuple, ce sont aussi des citoyens qui se dévouent dans des associations, des syndicats, des mouvements caritatifs ou qui, tout simplement, font acte de solidarité au jour le jour avec les plus démunis, les plus faibles, dans leurs activités professionnelles. La vraie majorité de ce pays, n'en déplaise à la droite, est de ce côté-là. Il est indispensable de s'appuyer sur ce potentiel de dynamisme pour aller de l'avant. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes et sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Pasqua. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Jean-Pierre Schosteck. Enfin des choses sérieuses !
M. Claude Estier. Pasqua : le retour ! (Rires.)
M. Charles Pasqua. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est une tradition que tous les anciens ministres de l'intérieur respectent à observer une sorte de délai de viduité et à ne rien faire qui puisse gêner dans l'exercice de ses fonctions, dont on connaît les difficultés et les contraintes, celui qui vous a succédé. Cette tradition, je l'ai moi-même respectée. Ce délai est aujourd'hui largement écoulé. Je monte à la tribune à la demande du groupe du Rassemblement pour la République, compte tenu des fonctions qui furent les miennes, pour souligner et dénoncer les dangers que les textes qu'il vous appartient de défendre, monsieur le ministre, au nom de M. Jospin, font peser sur l'avenir de la nation et de la République.
Le Gouvernement a choisi de proposer de modifier la législation sur l'immigration, le droit d'asile et la nationalité. N'avait-il donc pas d'autre priorité ?
M. Alain Vasselle. Il faut poser la question !
M. Charles Pasqua. Et vous-même, monsieur le ministre, n'avez-vous pas d'autres préoccupations, d'autres soucis ? Le chômage, la précarité, l'exclusion, les violences, la monté de l'anarchie... ces problèmes-là sont d'une autre gravité.
M. Alain Vasselle. Tout à fait !
M. Charles Pasqua. Ils nuisent aux droits fondamentaux, ils compromettent la vie de millions de gens.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Cela vous va bien !
M. Charles Pasqua. Voilà la réalité. Ce que les Français vivent est autrement plus important que le désir du Gouvernement de satisfaire à l'idéologie et à la démagogie. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Dominique Braye. Bravo !
M. Charles Pasqua. Non pas que les problèmes liés aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France soient ignorés des Français.
Voilà bientôt vingt ans que la question de l'immigration a envahi notre vie politique. Au même moment, ou presque, notre pays sortait d'une longue période de croissance, les « Trente glorieuses », pour entrer dans une crise qui allait se révéler tout aussi durable. La mise en parallèle de ces deux phénomènes allait donner naissance à une force politique nouvelle, aux arguments sommaires et au discours brutal...
M. Alain Vasselle. Eh oui !
M. Charles Pasqua. ... force dont la pérennité, si elle doit beaucoup à la malice politique - vous voyez ce que je veux dire, monsieur le ministre - démontre cependant l'ampleur du problème de l'immigration, parce qu'il se situe au centre de celui, plus large, d'une identité française malmenée de toutes parts.
Nous sommes en effet, ici, au coeur de l'idée que l'on peut se faire de la nation française, sur laquelle, je le sais, monsieur le ministre, nous n'avons pas, vous et moi, une conception radicalement différente.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Une valeur commune !
M. Charles Pasqua. Mais les idées sont une chose, et les projets de loi issus des délibérations gouvernementales en sont une autre. Celui que vous nous présentez, au nom du Premier ministre, va radicalement à l'encontre de cette conception, appelons-la « républicaine », pour en privilégier une autre que l'on peut qualifier de « communautariste ».
Certes, on n'y va pas aussi franchement que Jacques Attali, qui, dans Le Monde du 4 mars 1997 - vous voyez que je ne remonte pas aux calendes grecques - écrivait que « l'avenir sera en fait à la multi-appartenance »,...
M. Christian Poncelet. Voilà !
M. Charles Pasqua. ... « facteur de tolérance, et même à la multi-allégeance, facteur de démocratie ».
M. Josselin de Rohan. C'est un aveu !
M. Charles Pasqua. Je pense que vous ne partagez pas les propos éthérés de M. Attali. Mais quoi que l'on en dise, c'est pourtant bien à ce type d'opinion que ce projet de loi donne satisfaction.
MM. Josselin de Rohan et Philippe François. Eh oui !
M. Charles Pasqua. Deux voies, et deux voies seulement, s'ouvrent depuis toujours à la France, s'agissant des étrangers qui souhaitent s'installer sur son sol : celle de l'assimilation et celle du fractionnement en communautés.
Je sais bien que l'on n'ose plus employer le terme « assimilation » et que l'on préfère celui d'« intégration ». Mais les deux ne se confondent pas, vous le savez : l'intégration se satisfait d'une juxtaposition paisible ; l'assimilation suppose au contraire un mélange plus intime, dans lequel les apports nouveaux prennent, en quelque sorte, la nature de ce à quoi ils sont incorporés. Un grand écrivain ne disait-il pas d'ailleurs qu'« émigrer, ce n'est pas seulement changer de pays, c'est changer d'histoire » ?
« La France marche au mélange », avez-vous déclaré devant l'Assemblée nationale, monsieur le ministre. Je note d'ailleurs que vous étiez beaucoup plus disert et pédagogue à l'Assemblée nationale que dans cet hémicycle. (Sourires.) Mais je reconnais qu'il s'agissait du premier examen du texte. En tout cas, je crains que le mélange que l'on nous concocte ne se révèle à terme explosif.
Eh oui ! l'assimilation est la politique traditionnelle de la France, ce qui expliquait - vous le savez bien - son droit de la nationalité. Assimilation dont l'école et l'armée, à qui l'on doit le droit du sol en même temps que le service militaire, en 1889, étaient les bras séculiers.
Curieusement, dans les déclarations du Gouvernement, on n'emploie jamais ce mot auquel on préfère celui d'« intégration ». « Le vrai sujet, » déclariez-vous, monsieur le ministre, en présentant votre projet de loi, « c'est l'intégration, c'est l'accès à la citoyenneté ». Vous paraphrasant, je dirai, pour ma part, que le vrai problème, c'est l'assimilation, c'est-à-dire l'accès à la nationalité, dont la citoyenneté, selon notre Constitution, est indissoluble. (Très bien ! sur les travées du RPR.) Je crains que ce ne soit avec ce principe que tendent à rompre les textes qui nous sont proposés.
On a abandonné la référence nationale, le modèle français, au profit d'un principe humanitaire universel, comme si la France, terre d'asile de par sa volonté propre, avait du même coup la vocation et le devoir d'accueillir tous les êtres humains qui ont de bonnes raisons - nul ne le conteste - de ne pas se sentir à l'aise chez eux.
Droits nouveaux, automatiques, offerts de manière assez floue, mais très large, de plein droit, à de nouvelles catégories d'étrangers, pour des motifs politiques, sanitaires ou sociaux, droits joints à l'élargissement sans limite du regroupement familial, le tout cumulé avec le code de la nationalité le plus favorable aux étrangers de toute l'Union européenne, voilà qui va faire de notre pays une nouvelle frontière pour tous les malheureux, un havre pour tous les infortunés de la terre.
M. Alain Vasselle. Eh oui !
M. Charles Pasqua. Quand on sait que le nombre de candidats potentiels à l'immigration se chiffre, disons, par millions, on voit où peut conduire, le monde étant ce qu'il est, la moindre concession à une utopie, c'est-à-dire à un monde imaginaire que Romain Rolland, qui était plutôt de votre bord politique, monsieur le ministre, décrivait déjà ainsi : « paix universelle, fraternité mondiale, progrès scientifique, droits de l'Homme, égalité naturelle », en le qualifiant lui-même « d'utopie à la française ».
Monsieur le ministre, on a parfaitement le droit d'espérer que le xxie siècle verra cette utopie devenir réalité ; mais peut-on raisonnablement y croire ? Si oui, alors il faut voter votre projet de loi des deux mains et, plus encore, renoncer à notre force de frappe, démanteler notre armée, recycler la police, et ainsi de suite !
Le doute est cependant permis, convenez-en.
M. Josselin de Rohan. Eh oui !
M. Charles Pasqua. Dès lors, il faut maintenir les règles qui permettent à notre pays d'accueillir qui il veut et non pas qui le veut.
M. Alain Vasselle. Très bien !
M. Charles Pasqua. Ces règles permettaient d'ailleurs d'accueillir autant d'étrangers que nous le souhaitions, et un gouvernement de gauche pouvait les appliquer différemment d'un gouvernement de droite.
M. Alain Vasselle. Tout à fait !
M. Charles Pasqua. Mais la France, en toute hypothèse, conservait la maîtrise de sa politique d'immigration, alors qu'elle risque d'être condamnée à subir celle des autres.
On inverse la charge de la preuve, et tout étranger est désormais présumé souhaité sur le territoire national. (M. le rapporteur opine.) Cela n'a jamais été la tradition de la France, ni sous la monarchie ni sous la République, quel que soit son numéro d'ordre.
On fait semblant de croire, monsieur le ministre, que la tradition de la France, sa raison d'être, comme vous l'avez dit vous-même, je crois, serait d'accueillir toujours et encore de nouveaux arrivants qu'il conviendrait de transformer par un coup de baguette magique en bons citoyens français. La preuve que notre nation serait éternelle et notre république vivante, un peu comme une religion, serait ainsi leur capacité à recruter toujours plus de nouveaux fidèles.
« Voilà le vrai sujet : la France croit-elle encore suffisamment en son destin, a-t-elle encore assez de confiance en elle-même, est-elle encore capable de donner sens à son histoire pour continuer à intégrer de nouveaux Français ? », avez-vous dit au Palais-Bourbon, monsieur le ministre.
Je rappelle qu'il s'agit d'un texte sur l'immigration et non sur la nationalité. Il parle donc bien d'étrangers qui souhaitent venir chez nous en plus de ceux qui sont déjà sur notre territoire. Il parle donc - reconnaissez-le, monsieur le ministre - d'une nouvelle vague d'immigration qui serait tout à l'honneur de la France dans l'esprit du gouvernement auquel vous appartenez.
En théorie, d'ailleurs, peut-être y aurait-il bien de la reconnaissance à attendre pour la France si elle entendait devenir tout à la fois le refuge, le lazaret et le home d'enfants de l'humanité tout entière ! Mais en pratique, on voit bien les conséquences dévastatrices qu'aurait ne serait-ce que le début du commencement de l'application de ces libéralités dans un pays déjà traumatisé par la situation actuelle. Et en la matière, je ne crois pas que l'on puisse guérir le mal par le mal ; le mal, par lui-même, est déjà grand !
M. Philippe François. Tout à fait !
M. Charles Pasqua. Peut-être le Gouvernement ne s'en rend-il pas bien compte, mais c'est une mécanique infernale qui est en train de se monter.
Premier temps, on ouvre grandes toutes les portes : droit d'asile accordé désormais non plus à des individus mais, de fait, à des populations entières, droit aux soins, droit pour quiconque aura travaillé si peu que ce soit en France d'y prendre sa retraite, droit aux études.
Deuxième temps, le droit au regroupement familial, avec droit au travail, est accordé en même temps que le droit au séjour ; les conditions de ressources, de logement deviennent dérisoires ; les contrôles sont supprimés.
Mme Joëlle Dusseau. Ce n'est pas vrai !
M. Charles Pasqua. Troisième temps, l'accès automatique à la nationalité dès lors que naît un enfant sur notre territoire, conséquence naturelle du regroupement familial, vient couronner le tout. On voit mal ce qui dissuaderait dans ces conditions les candidats à l'émigration ! Ces lois seront au contraire perçues comme un appel par tous ceux que la misère pousse à s'expatrier.
M. Alain Vasselle. Eh ! oui !
M. Charles Pasqua. Le projet de loi relatif à l'entrée et au séjour des étrangers en France et au droit d'asile constitue ainsi une excellente illustration des illusions comme des contradictions du gouvernement auquel vous appartenez. Vous qui êtes, je le sais, un ministre authentiquement républicain, vous êtes conduit à donner des gages à une majorité plurielle, mais ô combien singulière dans ses erreurs, et à céder à des tentations électoralistes que, j'en suis sûr, dans le fond de votre coeur, vous devez déjà regretter tant ce gouvernement s'est trompé dans l'ordre des priorités. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Monsieur Pasqua, me permettez-vous de vous interrompre ?
M. Charles Pasqua. Je vous en prie.
M. le président. La parole est à M. le ministre, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Je voudrais dire à M. Pasqua que je l'écoute toujours avec beaucoup d'intérêt, surtout quand il cite les discours que j'ai prononcés à l'Assemblée nationale. (Sourires.)
J'ai parlé, en effet, de la capacité de la France à intégrer des étrangers qui sont déjà en France ; je n'ai pas du tout évoqué une nouvelle vague d'immigrants, et j'ai dit tout à l'heure que notre politique devait consister à proportionner l'admission au séjour aux besoins du pays et à sa capacité d'intégration, le cas échéant.
M. Dominique Braye. La capacité est déjà dépassée !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. C'est dire à quel point je me tiens près des réalités.
J'écoute néanmoins M. Pasqua avec plaisir - je dois le dire - car, pour raconter des histoires marseillaises, il n'a pas d'égal ! (Rires et applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées du RDSE. - Protestations sur les travées du RPR.)
M. Dominique Braye. C'est inadmissible !
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Pasqua.
M. Charles Pasqua. Monsieur le ministre, vous avez décidément plus mal fini que vous n'aviez commencé votre propos. Ce genre d'humour me paraît déplacé à la fois dans la bouche d'un membre du Gouvernement et dans cette assemblée.
M. Philippe François. Tout à fait !
M. Alain Vasselle. Surtout dans le contexte !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. On a de l'humour, au Sénat !
M. Charles Pasqua. Surtout vous, monsieur Dreyfus-Schmidt ! (Rires sur les travées du RPR.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Merci !
M. Charles Pasqua. J'ai pour vous de l'estime et de la considération, monsieur le ministre, mais je regrette de ne pouvoir étendre cette estime au texte que vous présentez.
Cela étant, j'avais relevé moi-même que, s'agissant de l'intégration, je faisais référence aux propos que vous avez tenus à l'Assemblée nationale ; j'avais noté également que vous avez tenus ces propos à l'occasion de l'examen d'un texte consacré aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France. Il s'agit d'un texte concernant l'immigration.
Mais je ne vous soupçonne pas de mauvaises intentions, monsieur le ministre. Je crains malheureusement que vous ne soyez dans un mauvais attelage. Mais cela, c'est un autre problème ! (Rires et applaudissements sur les travées du RPR.)
Je disais donc que la société française, malade d'une trop longue crise sociale et économique, est condamnée à subir un appel d'air favorisant une immigration nouvelle qui va aggraver ce terrible malaise. Ce débat national - justement passionné, car le sujet est essentiel - est conduit en toute irréalité - notre excellent rapporteur M. Masson le faisait d'ailleurs remarquer tout à l'heure - puisque, dans le même temps, la France signe des engagements dans lesquels elle se départit de sa souveraineté en la matière.
Je reconnais bien volontiers que ces engagements ont été également pris par d'autres avant vous ; mais cela n'enlève rien à la responsabilité de ce gouvernement-ci, qui les a fait siens.
M. Paul Masson, rapporteur. Très bien !
M. Charles Pasqua. Calcul politique, risque pour la communauté nationale, renoncement aux prérogatives de la France : voilà bien, dans l'ordre, la combinaison que nous prépare le Gouvernement.
M. Josselin de Rohan. Eh oui !
M. Charles Pasqua. En ce qui concerne tout d'abord le calcul politique, le projet de loi qui nous est proposé se veut une loi refondatrice de la politique d'immigration ; mais ce n'est qu'un texte de circonstance ! C'est vrai, on eût pu placer ce débat en dehors des joutes électoralistes ; mais il eût fallu que le Gouvernement le présentât après les prochaines échéances du printemps. Mais non ! Digne successeur, sur ce point, de François Mitterrand, M. Jospin continue à alimenter l'allié naturel et solide que constitue, pour lui, le Front national. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centristre, ainsi que sur certaines travées des Républicains et Indépendants. - Protestations sur les travées socialistes.)
M. Claude Estier. Assez !
M. Jean-Pierre Schosteck. Vous leur devez soixante-dix députés !
M. Dominique Braye. On comprend que cela vous dérange.
M. Claude Estier. Ecoutez M. Blanc !
M. Charles Pasqua. Le jeu est terriblement dangereux ; c'est celui qui marque les épousailles des vierges effarouchées et des démons maléfiques. (Rires sur les travées du RPR.) Bref, c'est celui qui, naguère comme aujourd'hui, joue tant et si bien avec la République qu'il finit par la mettre en danger.
Il fallait donc s'attaquer aux lois dites « Pasqua-Debré » pour continuer à alimenter le fonds de commerce de l'extrême-droite...
M. Alain Vasselle. Tout à fait !
M. Charles Pasqua. ... et, dans le même temps - miracle de la dialectique socialiste ! - donner des gages à l'extrême-gauche. M. le ministre de l'intérieur s'est retrouvé embarqué dans la machine électorale de M. le Premier ministre ; il a essayé - je n'en doute pas - de garder l'essentiel ; il n'a pu sauver que l'accessoire et n'a pu produire qu'un texte dont les velléités républicaines maquillent mal l'affaissement de la volonté nationale. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste ainsi que sur certaines travées des Républicains et Indépendants.)
A l'identique, comme en 1981 et en 1988, sur ce sujet si grave, on a cédé aux caricatures et aux images stéréotypées de la gauche moralisante. Peu importe les réalités des lois dites « Pasqua-Debré », peu importe leur efficacité, peu importe le sentiment véritable des Français que nul n'ignore, il faut s'attaquer à des symboles, au risque de déstabiliser l'action de l'Etat et d'obérer l'avenir du pays.
C'est ainsi qu'un républicain d'ordre comme vous, monsieur le ministre de l'intérieur, de calcul en illusion et d'illusion en gage, en vient à cautionner une opération de ce type. L'orchestration de celle-ci - car M. Jospin sait, à défaut d'autre chose, faire de la propagande - a commencé avec l'opération des « sans-papiers ».
Revenons, mes chers amis de la majorité sénatoriale, à un peu de réalisme politique et ne nous laissons pas piéger par les mots de l'adversaire. « Sans-papiers », c'est le mot de gauche pour désigner un clandestin. Mais vous noterez qu'il a une connotation tout autre : il indique que le clandestin a comme été privé d'un droit, ou qu'il aurait perdu un statut, comme un sans-abri ou un sans-emploi. (Marques d'approbation sur les travées du RPR.)
Lorsque l'on a compris cela, on a compris le fond de la philosophie socialiste sur cette question ! (Applaudissements sur les mêmes travées.)
M. Dominique Braye. Bravo !
M. Charles Pasqua. Je reconnais que c'est parfaitement le droit de nos collègues socialistes, d'ailleurs !
Il y a un droit à l'immigration et il y a un devoir pour la France de l'accueillir. Eh bien ! moi, je pense qu'il y a un droit pour la France comme pour tous les pays du monde de concevoir l'immigration en fonction de son intérêt propre et de celui de ses nationaux !
C'est à la France et à elle seule de décider librement du nombre et de la qualité des étrangers qu'elle souhaite accueillir. Tel est le principe avec lequel vous allez rompre.
M. Alain Vasselle. Eh oui !
M. Charles Pasqua. Calcul politique, risque pour la communauté nationale ensuite : nous subissons, en effet, une forte pression migratoire, et celle-ci ira croissant.
Aujourd'hui moins encore qu'hier, je le redis, l'espoir d'une vie meilleure, qui est le moteur de l'émigration pour des raisons diverses, ne peut trouver son débouché naturel dans notre pays. Tout simplement parce que la crise sociale, le chômage de masse plongent la France dans de terribles risques d'implosion de toutes ses institutions sociales.
Regardons en face cette réalité du chômage de masse, regardons en face les sept millions de personnes sans emploi ou en sous-emploi, regardons en face la situation dans nos villes, dans nos banlieues, dans nos écoles. Ayons ce courage-là, et déjà l'on comprendra mieux les risques d'ajouter à nos problèmes déjà considérables ceux de tous les autres réunis.
Pour prendre sa part, toute sa part, aux malheurs du monde par son action dans les pays éprouvés, la France ne saurait pour autant ouvrir son territoire à toutes les populations concernées. Telle n'est peut-être pas votre intention, mais tel sera le résultat des lois que vous nous présentez, monsieur le ministre.
La pression migratoire à laquelle nous sommes confrontés nécessite plus que jamais une politique qui agisse à la source du flux comme à son arrivée, ainsi que l'ont dit un certain nombre de nos collègues.
Sur ce point, nous sommes tous d'accord : la pression migratoire exige une véritable aide au développement dans les pays d'origine ; mais elle a de même besoin d'un sas tout aussi véritable chez nous pour dissuader l'immigration que nous ne souhaitons ni ne pouvons accueillir et, a fortiori, pour endiguer l'immigration clandestine.
Sans vouloir entrer dans un détail inutile, qu'il ne m'appartient d'ailleurs pas d'examiner, je me dois cependant, à la suite du président de la commission des lois, M. Jacques Larché, de notre excellent rapporteur, M. Masson, et de M. Vasselle, de signaler les dispositions qui, dans le projet du Gouvernement, vont faire sauter les verrous que nous avions placés pour juguler les entrées abusives sur le territoire.
L'instauration d'une carte de séjour de plein droit au titre du regroupement familial donnant droit à l'exercice d'une activité professionnelle va d'autant plus favoriser l'immigration que le conjoint irrégulier sera ainsi régularisé et aura droit au travail.
Après la création de cette carte de situation personnelle et familiale s'appuyant sur l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, vous verrez, soyez-en certains, multiplier les recours. En pratique, arguant des droits à la vie de famille et des droits de l'enfant, tout irrégulier ayant une famille aura vocation à l'installer dans notre pays. Je ne dis pas que cela n'est pas humainement généreux, je dis que cela n'est adapté ni aux difficultés de la nation ni à l'ampleur des pressions migratoires.
Tout se passe comme si, par une large ouverture de notre droit, le projet de loi s'employait à réduire le nombre des clandestins... en en faisant des réguliers. Ainsi faut-il dénoncer cette très grave perversion du droit républicain, qui reconnaît que, désormais, conjoints, séparés ou non, frères et soeurs, concubins, associations, ont le droit d'aider à l'entrée irrégulière sur notre territoire.
En fait, le Gouvernement met en place un droit massif au regroupement familial qui est étendu à tous les enfants des conjoints, ce qui ne manquera pas d'étendre les possibilités dans le cas de polygamie dans le pays d'origine et de poser de multiples problèmes d'interprétation des délégations d'autorité parentale.
Ainsi, un étranger entré avec un visa touristique et ayant, pendant son séjour, épousé une Française aura le droit de travailler, ce qui va évidemment multiplier les fraudes au mariage.
L'instauration d'une carte de séjour pour les chercheurs peut être une bonne chose pour attirer des scientifiques de haut niveau dans notre pays, mais une définition trop générale entraînera une multiplication des étudiants qui poursuivent leurs études... sans jamais les rattraper. (Sourires.)
Un thésard de complaisance pourra s'installer en France avec sa famille, puis arguer de cette implantation familiale pour rester sur notre territoire. On n'osera évidemment pas contrôler le sérieux de ces chercheurs, on n'osera évidemment pas définir les disciplines où nous avons de vrais besoins, on n'osera évidemment pas avoir une politique intelligente de quotas dans ce domaine, qui s'y prête pourtant tout à fait.
L'instauration d'une carte de séjour pour les étrangers malades - M. Vasselle le rappelait tout à l'heure - va multiplier les charges sociales que nous supportons...
M. Alain Vasselle. Eh oui !
M. Charles Pasqua... et aggraver les ressentiments de la population française à l'égard du poids social de l'immigration. Est-ce ce que l'on souhaite ?
M. Alain Vasselle. Eh oui !
M. Charles Pasqua. J'ai, moi, le courage de dire avec mes amis que, au-delà de son aspect apparemment humanitaire, cette disposition pose un problème de santé publique : le devoir de la République est de protéger l'environnement sanitaire de ses citoyens - c'est ce qui ressort de tous les grands débats républicains de la IIIe République - mais la France n'a ni vocation ni intérêt à devenir l'hôpital du monde, et il n'est pas sérieux, et je pèse mes mots, de limiter les cas d'exclusion uniquement à la peste, au choléra et à la fièvre jaune, tandis que d'autres pandémies nous menacent.
Les cartes de séjour pour les familles, les chercheurs, les malades, les retraités vont provoquer un fantastique appel d'air pour l'immigration. Or notre modèle républicain, miné par tous nos renoncements collectifs - et d'abord par cette vision malthusienne qui nous a fait renoncer à la croissance économique et démographique et nous a plongés dans la récession économique et la régression sociale - notre modèle républicain, hélas ! ne peut pas le supporter.
Dans le même temps, les moyens de défense de l'Etat contre l'immigration clandestine sont affaiblis : le renouvellement de la carte de résident ne peut plus être refusé pour un problème d'ordre public. C'est dire que le petit voyou étranger peut prospérer sur notre sol. Les délais de recours sont allongés et l'appel du procureur pour suspendre la fin de la rétention est supprimé. Les moyens du procureur pour s'opposer aux mariages blancs sont annihilés. Les refus de visa par l'administration devront être motivés.
Finalement, l'abrogation des lois votées par la majorité RPR-UDF en 1993 et en 1996 eût été plus nette et plus franche que ce démembrement en règle des dispositifs de sûreté que nous avions mis en place, mais c'eût été trop visible pour les Français. M. Jospin a donc préféré le camouflage, mais la réalité est là ! (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
Enfin, la modification de la loi de 1952 relative à l'OFPRA en véritable loi relative à l'asile afin de modifier l'ordonnance de 1945 est inutile et dangereuse. L'extension massive de la qualité de réfugié « à toute personne persécutée en raison de son action en faveur de la liberté », au sens de la convention de Genève, ouvre notre territoire à tous les ressortissants des pays en proie à des troubles très graves. Et l'on comprend parfaitement que ceux-ci aient l'ambition de venir chez nous !
En Algérie, aujourd'hui, le simple fait de tenter de circuler est une action en faveur de la liberté, et tous les Algériens ont donc vocation à bénéficier du statut de réfugié !
A Mme Dusseau, qui évoquait tout à l'heure la situation dans ce pays, je tiens à dire que les événements actuels en Algérie sont effectivement insupportables à la conscience humaine. Nous sommes donc en droit d'attendre du gouvernement français qu'il ne se contente pas de regarder ce que fait l'Union européenne, mais qu'il prenne lui-même un certain nombre d'initiatives. (Applaudissements sur les mêmes travées.)
Je vais lui en suggérer une, et je pense que, sur de tels sujets, il ne doit pas y avoir de clivage politique : en Algérie, au nom de l'islam, on assassine, on tue, on massacre. La première mesure à prendre, et qui pourrait commencer à peser sur la conscience des islamistes eux-mêmes, serait une condamnation de ces agissements par les plus hautes autorités religieuses de l'islam, une sorte de fatwa qui serait lancée contre les auteurs des massacres. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
MM. Paul Masson, et Serge Vinçon, rapporteurs. Très bien !
M. Charles Pasqua. Si l'on obtenait des plus hautes autorités religieuses - celles qui comptent dans le monde, depuis l'Arabie Saoudite jusqu'à l'université al-Azhar du Caire - qu'elles prononcent une telle condamnation...
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Mais c'est le cas !
M. Charles Pasqua. ... ce serait un progrès et cela apporterait un peu de réconfort.
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Monsieur Pasqua, m'autorisez-vous à vous interrompre de nouveau ?
M. Charles Pasqua. Mais certainement, monsieur le ministre !
M. le président. La parole est à M. le ministre, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Vous évoquez un point, monsieur Pasqua, qui ne m'a pas échappé.
S'agissant de l'université al-Azhar, ses plus hautes autorités ont été très claires sur ce sujet. On peut regretter que d'autres ne se soient pas exprimées avec autant de force, mais, en ce qui concerne cette université du Caire, je voudrais que les choses soient tout à fait claires.
M. le président. Monsieur Pasqua, veuillez poursuivre, je vous prie.
M. Charles Pasqua. Très bien, monsieur le ministre ! Mais le Gouvernement serait bien inspiré de demander à ses diplomates de faire des démarches du même ordre en direction de toutes les autorités religieuses musulmanes. Ce serait certainement un élément positif, un élémént de réconfort pour tous. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Je reviens au texte de projet de loi pour relever que l'asile territorial accède au niveau législatif, avec une définition très large qui permettra de casser devant le juge administratif toute décision de refus de l'Etat.
Je pense qu'il aurait fallu conserver à ce statut son fondement purement régalien.
La majorité rompt ainsi des équilibres fragiles par un texte que je qualifierai d'abord d'inutile et ensuite de dangereux, comme d'autres l'ont fait avant moi.
Le Gouvernement souhaiterait-il susciter une immigration de qualité et intégrer les nouveaux arrivants dans notre République par des mesures apparemment généreuses ? Il va, en fait, dans cette réalité que les Français vivent quotidiennement, multiplier les mariages blancs, les faux étudiants et les vrais malades, les aides au séjour irrégulier, les arrivées parafamiliales qui vont saturer nos hôpitaux, nos écoles et nos banlieues, et achever la déshérence de notre société et le désarroi de nos concitoyens en fondant un quasi-droit à l'immigration, totalement inadapté aux volontés de notre pays comme aux réalités du monde de demain.
C'est pour cela que les comparaisons avec le passé sont fausses. Nos immigrés n'arrivent pas, comme les Italiens ou les Polonais naguère,...
M. Philippe François. Très bien !
M. Charles Pasqua. ... dans de fortes cités ouvrières structurées par le plein emploi, le service militaire, les hussards noirs, les syndicats, les églises voire le parti communistes... (Sourires.)
M. Ivan Renar. Eh oui !
M. Charles Pasqua. Ils arrivent avec des cultures, des moeurs plus profondément différentes dans des villes déstructurées par le chômage de masse, l'incivisme, la ghettoïsation, la violence.
Naguère l'assurance du formidable creuset républicain, aujourd'hui la menace du multiculturalisme et de la nation éclatée : voilà toute la différence !
Le premier devoir du républicain est la lucidité. Notre société est malade, n'aggravons pas ses maux par de nouveaux flux migratoires incontrôlés, sauf à vouloir jouer les apprentis sorciers !
Je le redis haut et fort : l'immigration n'est pas un droit, la République est ouverte, mais elle doit, sous peine de se perdre elle-même, limiter les flux migratoires à ses besoins et non aux besoins des étrangers. L'épicentre de la République, c'est l'intérêt national et rien d'autre : voilà la vérité qui doit être répétée aux Français. (Applaudissements sur les travées du RPR, ainsi que sur certaines travées des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Philippe François. Parfaitement !
M. Charles Pasqua. Quand il s'agit d'ouverture de la France sur le monde, de liberté et de générosité, nous autres gaullistes n'avons aucune leçon à recevoir de quiconque. Mais nous avons quelques titres à en donner lorsqu'il s'agit d'intérêt supérieur de la nation !
Celui-ci étant en jeu, vous l'avez bien compris, monsieur le ministre, nous ne voterons pas le texte du Gouvernement,...
Mme Joëlle Dusseau. Mauvais suspense !
M. Charles Pasqua. ... fruit d'un impossible compromis entre ceux qui croient encore en la France et ceux qui ne croient plus à la République. Drôle de pâté que l'on nous propose là !
Calcul politique, risque pour la communauté nationale, renoncement aux prérogatives de la France enfin.
Vous pourriez, monsieur le ministre, je n'en doute pas, souscrire à ce que je disais en 1993, lorsque j'étais à votre place : « La France est un pays qui entend garder la maîtrise de son identité. Elle entend définir par elle-même la situation, la qualité, l'origine de ceux qui sont ou qui seront associés à la communauté nationale, dans l'esprit des valeurs de sa République dans le cadre de sa propre Constitution... ».
Et c'est ici que notre débat prend peut-être une tonalité solennelle et historique, car on peut légitimement se demander si ce ne sera pas le dernier du genre, puisque le traité d'Amsterdam placera, d'ici à cinq ans, la définition du droit d'asile, la politique des visas et les conditions d'entrée et de séjour dans notre pays entre les mains de la majorité de nos partenaires européens. Ce transfert de compétences à la Communauté ne manquera d'ailleurs pas de poser des problèmes de conscience aux belles âmes de la majorité.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Pas à vous ?...
M. Charles Pasqua. A moi ? Non ! Moi, monsieur Dreyfus-Schmidt, j'ai beaucoup de défauts, vous les connaissez certainement, et vous ne manquerez pas de les énumérer éventuellement (Sourires) , mais il y a une qualité que vous me reconnaîtrez peut-être : je suis fidèle à mes idées et je n'ai pas l'habitude de changer d'idées comme de chemise ni de retourner ma veste ! (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Moi non plus !
M. Charles Pasqua. Ce transfert de compétences à la Communauté ne manquera pas de poser des problèmes de conscience lorsque droit d'asile et procédure de rétention des clandestins seront alignés sur la moyenne des pratiques de nos partenaires européens. Alors, permettez-moi de vous le dire avec un petit sourire, vous regretterez la modération des lois « Pasqua-Debré » ! (Rires sur les mêmes travées.)
M. Henri de Raincourt. Eh oui !
M. Charles Pasqua. Allons-nous adopter le dispositif allemand, sachant que l'Allemagne refuse massivement l'asile et prévoit des internements pour les clandestins d'une durée de six mois à douze mois ? Allons-nous adopter la rétention à l'anglaise, sans limitation de durée ni justification ?
M. Christian Poncelet. Exact !
M. Charles Descours. Tout à fait !
M. Charles Pasqua. Je serai, comme nous tous, intéressé, le moment venu, par les choix et les explications de nos collègues socialistes : vont-ils mettre un mouchoir sur leur bonne conscience de gauche ou sur leur bonne conscience européiste ? (Rires sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Paul Masson, rapporteur. Ce sont de belles âmes !
M. Charles Pasqua. Entre deux idéaux, il faudra en sacrifier un. Beau débat en perspective ! (Nouveaux rires sur les mêmes travées.)
En ce qui nous concerne, nous n'avons pas ce genre de problème.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Tiens ?
M. Charles Pasqua. Pour les gaullistes, la hiérarchie des valeurs est limpide : d'abord, encore et toujours, la souveraineté nationale ! (Marques d'approbation sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Philippe François. Eh voilà !
M. Charles Pasqua. C'est pourquoi je ne partage pas le sentiment de certains, qui voient dans le traitéd'Amsterdam un garde-fou contre vos projets. Je n'approuve pas les projets du Gouvernement, il s'en faut de beaucoup, mais je ne saurais dénier à un Gouvernement français légitimement installé le droit de légiférer en la matière.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ce n'est pas gentil pour le Président de la République !
M. Charles Pasqua. En effet, ce qui touche à la nationalité et à l'immigration touche à l'âme même de la nation et au coeur de la souveraineté. C'est pour cela que nos débats sont vifs, passionnés, mais éminemment respectables sur ce sujet.
Tout transfert de souveraineté, s'agissant de l'âme même de la nation, est du ressort du peuple français tout entier.
M. Philippe François. Très bien !
M. Charles Pasqua. Ce sont les citoyens français, de toutes origines mais qui pensent que le cadre collectif de leur destin s'appelle la nation, qui peuvent seuls approuver ou désapprouver ce transfert de souveraineté.
Car il s'agit de transférer définitivement, d'abandonner, pour parler franc, notre souveraineté en la matière, sans qu'il soit possible jamais de revenir sur cet engagement. On nous dit qu'il s'agit là de vétilles. Nos débats, comme le bon sens même pour qui connaît un peu les Français, témoignent du contraire.
Voilà pourquoi, monsieur le ministre de l'intérieur, plus encore que de savoir qui a raison sur l'immigration, ce qui importe c'est que nous puissions en débattre souverainement dans notre pays et dans ses assemblées parlementaires, comme nous le faisons. Il importe que soit dissipée cette atmosphère irréelle qui pèse sur un débat national contredit par un traité qui lui enlève sa raison d'être. La représentation nationale refuse d'être un théâtre d'ombres qui joueraient la tragi-comédie d'une nation morte. Et parce que le peuple de France tient à son âme, je suis persuadé que nous sommes en accord profond avec lui !
Monsieur le président, mes chers collègues, le problème de l'immigration, comme celui de la nationalité, qui est son corollaire, ont dans notre pays une dimension particulière.
Nous le devons à notre histoire, que nous avons voulue impériale sur presque tous les continents et, d'abord, en Afrique. Nous le devons à notre idéal républicain, qui a voulu que tous ceux qui combattaient pour la liberté, contre l'oppression, puissent trouver refuge sur notre territoire. Nous le devons, plus récemment, à une vocation humanitaire, qui trouve souvent son prolongement dans l'accueil des réfugiés chez nous.
Toutes ces raisons sont bonnes et toutes ces causes sont nobles. On n'imagine pas un pays comme le nôtre renier son histoire, bafouer son idéal, mépriser toute humanité au point de se cadenasser à double tour. La France n'est pas - ne peut pas être - la Cité interdite.
Les lois que vous démantelez, monsieur le ministre, ne revenaient sur aucune de ces traditions qui sont à l'honneur de notre pays.
Mais la France ne saurait davantage tenir table ouverte, en offrant à tous les invités potentiels une sorte de mieux-disant social et familial.
Je ne parle même pas là des clandestins, qu'une régularisation devenue classique dès que le parti socialiste reprend le pouvoir encourage de nouveau ! Je parle tout simplement de tous ceux qui sont à la recherche de conditions de vie plus décentes et qui croient, de bonne foi, qu'ils sont les bienvenus chez nous.
Alors, monsieur le ministre, beaucoup d'eau a coulé sous les ponts depuis que l'Assemblée nationale a examiné votre projet de loi. Le calcul politique s'est éventé, le risque pour la cohésion nationale est apparu évident aux yeux de tous les Français et la contradiction entre ce projet et les engagements européens du Gouvernement est maintenant manifeste.
Alors, qu'allons-nous faire ? Tout gouvernement digne de ce nom retirerait un texte qui cumule tant de contradictions et recèle tant de dangers.
M. Henri de Raincourt. Evidemment !
M. Charles Pasqua. Et on ne voit pas pourquoi ce gouvernement s'obstinerait à ne pas prendre en compte l'opinion des Français sur ce sujet, quand il lui cède dans bien d'autres domaines !
Mais il ne le fera pas. Il ne le fera pas pour sacrifier à un rite obsolète, qui est de plus en plus étranger, c'est le cas de le dire, à nos concitoyens. Le Gouvernement prend ainsi le risque d'alimenter la zizanie entre les Français, entre les Français et les étrangers, entre les étrangers eux-mêmes, à un moment, vous le savez, où les problèmes économiques et sociaux ont déjà trop tendance à les opposer les uns aux autres.
M. Maurice Blin. Absolument !
M. Charles Pasqua. Voilà pourquoi la majorité sénatoriale - vous le constaterez à l'écoute des orateurs suivants - combattra pied à pied votre projet et, en définitive, le rejettera dans son ensemble.
Vous passerez outre, et l'Assemblée nationale aura le dernier mot, pensez-vous.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Heureusement !
M. Charles Pasqua. Mais, sur une question aussi grave, dont les conséquences peuvent être immédiates, nous ne saurions en rester là.
Notre Constitution donne au Président de la République, garant de l'intégrité de notre territoire...
M. Claude Estier. Le négociateur du traité d'Amsterdam !
M. Charles Pasqua. Cela ne va pas vous gêner, ce que je dis, monsieur Estier, calmez-vous !
Je recommence, afin que rien ne vous échappe : notre Constitution donne au Président de la République, garant de l'intégrité de notre territoire, le droit de vous demander d'y réfléchir à deux fois, monsieur le ministre. C'est le moins que l'on puisse faire, pour débuter.
Sur ce problème-là, nous ne pouvons attendre simplement que les faits nous donnent raison, car il sera trop tard, le mal sera fait !
Ne doutez donc pas, monsieur le ministre, que ce combat ne fait que commencer.
M. Dominique Braye. Bravo !
M. Charles Pasqua. En ce qui nous concerne, nous, Rassemblement pour la République, nous le disons de la façon la plus claire et la plus nette ce que vous faites, nous nous y opposerons avec force et, dès que les circonstances le permettront, nous déferons ce que vous aurez fait, car ce que fait le gouvernement Jospin, au nom duquel vous vous exprimez, est contraire à l'intérêt du pays et à la personnalité de la France ! (Bravo ! et vifs applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Huriet.
M. Claude Huriet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, si notre pays s'est acquis, aux yeux du monde, l'image d'une terre d'accueil, c'est que l'immigration est un phénomène ancien et fortement lié à notre propre histoire.
Cette tradition, cette histoire, nous ne pouvons les renier.
Le groupe de l'Union centriste est pour l'immigration, mais pour une immigration maîtrisée. Il est donc favorable au maintien des lois Pasqua-Debré et hostile à ce projet de loi, qui comporte un grave risque de déstabilisation du corps social.
Les motifs pour lesquels nous sommes opposés à ce texte seront développés par mon collègue et ami Michel Mercier.
Il me revient de développer les raisons qui plaident en faveur d'une politique d'immigration dans notre pays, qui ne peut être dissociée d'une politique d'aide aux pays en développement.
Deux éléments moteurs contribuent aux mouvements de populations à travers le monde : la fascination qu'exercent nos richesses sur les pays pauvres, qui rêvent à un moderne Eldorado, et le développement économique des pays industrialisés, qui, malgré l'accroissement des investissements matériels et de la productivité, ont des besoins de main-d'oeuvre qu'ils pourront, d'ici peu, de moins en moins satisfaire.
La réponse au premier « moteur » de l'immigration est l'aide au développement, qui se heurte, hélas ! à l'égoïsme des pays riches, à l'absence d'organisation des pays en développement et à la faiblesse des Etats, où règnent trop souvent la concussion et le clientélisme.
Les réponses au second moteur - le développement économique et la satisfaction des besoins de main-d'oeuvre - se situent à deux niveaux qui concernent, l'un et l'autre, la démographie, trop souvent absente des réflexions et des prises de position idéologiques ou passionnelles sur l'immigration.
La France et l'Europe vieillissent. La France et l'Europe souffrent du mal chronique, insidieux de la dénatalité. La France et l'Europe devront faire appel à l'immigration, une immigration réfléchie, maîtrisée, dont l'indispensable corollaire est l'intégration ou, mieux, l'assimilation.
L'échéance est proche, très proche. Avant huit ans, selon l'INSEE, interviendra un phénomène exceptionnel, en temps de paix tout au moins, et durable : la baisse de la population active, avec toutes les conséquences sociales et économiques que l'on peut d'ores et déjà prévoir. Cette échéance concerne également l'Europe, à quelques nuances près : une étude effectuée à la demande de la Commission européenne conclut que, pour la seule branche santé, sans parler des retraites, sous l'effet du vieillissement, il faudrait majorer le taux de cotisation de 50 % ou diminuer les remboursements de plus de 30 %. C'est impensable !
Ce qu'il est nécessaire et urgent de dire, c'est que la baisse de la population active, qui peut paraître, aux yeux de certains, qui se bercent d'illusions, comme la réponse au drame du chômage, risque de tourner en quelques années à la catastrophe, car l'accroissement de la productivité ne saurait constituer « le » remède.
Dans son tout dernier rapport consacré à « la construction démographique de l'Union européenne », l'INED, l'Institut national d'études démographiques, souligne : « Jusqu'à la fin des années quatre-vingt, la croissance de la population des quinze Etats de l'Union reposait d'abord sur l'accroissement naturel - la différence entre les naissances et les décès -, le solde migratoire - la différence entre immigration et émigration - ne constituait qu'un apport secondaire.
« Depuis 1989, au contraire, le solde migratoire est devenu le facteur principal de la croissance. Ce renversement est surtout le résultat d'une longue évolution démographique. Au fil des ans, l'écart entre les deux facteurs s'est constamment réduit, en raison de la baisse du taux d'accroissement naturel divisé par huit entre les années soixante et les années quatre-vingt-dix. »
Ainsi, dans des circonstances certes différentes de celles que la France a connues après les deux dernières guerres, qui l'ont amenée à faire appel à une main-d'oeuvre étrangère - celle-ci s'est d'ailleurs bien intégrée, car elle en avait la volonté - pour contribuer à sa reconstruction, notre pays, nos pays sont confrontés désormais à une situation nouvelle, qui est non pas conjoncturelle mais bien structurelle.
Il est donc impératif de mettre en oeuvre une politique d'immigration fondée, selon les termes du traité d'Amsterdam, sur « la maîtrise concertée des flux migratoires », car seule une maîtrise concertée peut éviter des mouvements brutaux de population d'un Etat membre à un autre et contribuer à ce qui constitue le facteur premier de la réussite d'une politique d'immigration, à savoir l'intégration ou, mieux, l'assimilation.
Qu'on la considère comme une chance, comme une nécessité ou encore comme un devoir, l'immigration ne doit pas être un facteur de déstabilisation de notre nation.
Nous considérons que les dispositions inscrites dans le projet du Gouvernement vont à l'encontre de cet objectif. C'est la raison pour laquelle nous voterons contre ce projet de loi et pour les amendements qui nous seront proposés par nos commissions. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Maman.
M. André Maman. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi relatif à l'entrée et au séjour des étrangers en France et au droit d'asile qui est soumis à l'approbation de notre assemblée constitue la vingt-sixième modification apportée aux dispositions de l'ordonnance du 2 novembre 1945 qui régit la matière, et cette modification intervient quelques mois seulement après la mise en place de la loi Debré.
En proposant ce changement dans un délai aussi bref et en déclarant de surcroît l'urgence sur le texte, le Gouvernement a remis sur le tapis le problème de l'immigration, en en faisant l'une de ses priorités politiques affichées. Pour quelles raisons l'a-t-il fait ? D'autres l'ont dit mieux que moi.
Monsieur le ministre, je vous ai entendu dire que, « parler des étrangers, c'était aussi une autre manière de parler de la France ». En prononçant ces mots, vous évoquiez la diversité naturelle du peuple français, et je pense que vous aviez raison. Je suis d'accord avec vous sur cette prémisse, mais, en même temps, je suis absolument persuadé que l'on ne peut pas légiférer sur la situation des étrangers sans prendre en compte - concrètement - la situation de la France.
De ce point de vue, il me semble que votre texte, que vous juger équilibré, répond plus à une conception angélique de l'hospitalité qu'à une prise en compte sérieuse des réalités de la France. La République doit être généreuse - nous en convenons tous - mais elle ne peut pas donner plus que ce qu'elle a.
En effet, la législation sur l'entrée et le séjour des étrangers en France a un caractère essentiellement contingent, c'est-à-dire indissociable du contexte social et économique dans lequel elle s'inscrit. Il s'agit donc de juger ce que prévoit votre projet de loi et d'apprécier le contexte dans lequel celui-ci va prendre place.
Votre texte, que je résume à grands traits, entend : assouplir les conditions du regroupement familial ; élargir le droit d'asile en étendant le statut de réfugié à ceux qui sont menacés par des autorités non étatiques ; supprimer des formalités - jugées inutilement vexatoires - portant sur la circulation des étrangers ; créer de nouvelles cartes de séjour temporaires, dites « personnelles et familiales » ; faciliter l'octroi des visas, en introduisant l'obligation de motivation en cas de refus, enfin étendre aux étrangers les derniers droits sociaux dont ils ne bénéficiaient pas, à savoir l'allocation aux adultes handicapés et la prestation du Fonds national de solidarité.
Je note d'ailleurs incidemment, en tant que sénateur représentant les Français établis hors de France, que les Français de l'étranger, eux, sont exclus de la plupart des prestations sociales auxquelles les étrangers de France ont droit.
M. Jacques Habert. C'est regrettable !
M. André Maman. Mais cela est un autre débat !
Il me paraît évident, monsieur le ministre, que ces nouvelles possibilités d'entrée régulière - qui sont généreuses quant à leur principe - favoriseront de nouveaux courants migratoires et que les dispositions de votre projet de loi iront finalement à l'encontre des efforts soutenus par tous les gouvernements - ceux de Mme Cresson et de M. Rocard compris - pour maîtriser les flux migratoires.
Il me paraît également certain que ces mesures créeront des charges nouvelles pour notre communauté et qu'elles engendreront, dans bien des cas, de nouveaux contentieux. Toutes choses dont notre pays n'a vraiment pas besoin !
Je crois, en effet, monsieur le ministre, au-delà de toutes querelles idéologiques, que votre texte est inopportun pour une raison très simple : il est complètement inadapté aux réalités du moment.
Les exemples tirés de l'observation de notre propre pays aussi bien que de celle de nos partenaires européens, en témoignent : l'heure n'est vraiment pas à l'élargissement de l'immigration de droit, ni à l'extension du droit d'asile.
Au plan européen, M. Pasqua l'a souligné, je ne puis que vous renvoyer aux dernières déclarations, plutôt fermes, du socialiste allemand Gerhard Schroder - je ne les citerai pas tant elles sont excessives - ou bien au système britannique, lequel prévoit, à la grande satisfaction du New Labour , que la durée de rétention administrative peut être étendue « aussi longtemps que nécessaire ».
J'ajoute, pour en terminer avec l'Europe, que le traité d'Amsterdam, s'il est ratifié, risque d'avoir des conséquences importantes sur le sujet qui nous occupe, puisque le troisième pilier de ce traité induit que soit rapidement mise en oeuvre une directive sur la circulation des personnes, qui sera, de toute évidence, différente et nettement plus restrictive que votre projet.
Au plan national, enfin, je ne pense pas qu'un pays qui compte plus de trois millions de chômeurs, et où un grand nombre de nos compatriotes vivent malheureusement en dessous du seuil de pauvreté, soit en mesure, avec des systèmes de solidarité dangereusement déséquilibrés, de supporter les lourdes conséquences de la législation nouvelle que vous lui proposez.
Monsieur le ministre, je ne doute nullement de la sincérité de votre vision d'une République généreuse et ouverte sur le monde qui l'entoure. Toutefois, compte tenu des raisons que je viens d'évoquer, les sénateurs non inscrits n'approuveront pas le texte proposé par le Gouvernement et se rallieront aux amendements de la commission des lois du Sénat. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR, de l'Union centriste. - MM. Durand-Chastel et Habert applaudissement également.)
M. le président. La parole est à M. Bonnet.
M. Charles Pasqua. Encore un ministre de l'intérieur ! Vous en avez deux ce soir, monsieur le ministre !
M. Ivan Renar. C'est l'hommage du vice à la vertu !
M. Christian Bonnet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, lors du long débat qui s'est déroulé à l'Assemblée nationale, vous avez dit : « Il n'est pas mauvais d'avoir un peu de passion. » Je saurai maîtriser celle qui m'habite, en un domaine dont je connais la complexité pour avoir eu à en connaître, à votre place, il y a quelque vingt ans, à un moment où l'on ne parlait guère de qui vous savez, dont je me suis toujours interdit de prononcer le nom pour ne pas lui faire de publicitéqui me mettra, je veux le croire, à l'abri des accusations d'opportunisme politicien.
Sans remonter jusqu'à l'ordonnance de 1945, il n'est sans doute pas inutile de mentionner les principales étapes législatives qui ont marqué les vingt dernières années en matière d'immigration.
En 1980, paraissait au Journal officiel une loi destinée à donner aux pouvoirs publics les moyens de lutter contre l'immigration clandestine. Dès 1981, un texte emportait son abrogation.
En 1986, était votée, sur l'initiative de M. CharlesPasqua, une seconde loi visant à sanctionner l'immigration clandestine. Dès 1989, l'alternance aidant, elle se voyait émasculée.
A la faveur d'une nouvelle alternance, un texte, défendu cette fois par votre immédiat prédécesseur, voyait le jour. Mais, derechef, un gouvernement à direction socialiste s'attache, aujourd'hui, à le mutiler.
Une telle obstination dans l'erreur a, me semble-t-il, quelque chose de pathétique, d'autant qu'à cette législation, par trois fois réductrice des moyens de lutter contre l'immigration irrégulière, sont venues s'ajouter, par trois fois là encore, de funestes opérations de régularisation.
La première - celle de 1989 - portait officiellement sur 130 000 personnes.
La seconde, moins claironnée, plus limitée, en a intéressé 14 000 en 1991.
Quant à celle qui est actuellement en cours, la seule chose que l'on puisse en dire aujourd'hui est que le Gouvernement en avait mal évalué la portée puisque les dossiers déposés sont en nombre trois fois supérieur aux prévisions qui avaient été faites.
Et, comme pour couronner l'édifice, est intervenue, au coeur même d'un pays d'émigrants, la stupéfiante déclaration de Bamako !
Monsieur le ministre, j'ai toujours eu pour vous l'estime qu'appelle un homme public intègre, patriote et habité par le sens de l'Etat. Mais force m'est d'avouer que je demeure interdit face au phénomène de dédoublement de personnalité dont vous nous donnez le spectacle.
Est-ce le même homme qui déclarait, le 22 août dernier, sur les ondes de RTL : « Il faut cesser de mettre l'immigré au coeur du débat public »... et qui, aujourd'hui, l'y place ?
Est-ce le même homme qui, sur la même radio, le 26 octobre, affirmait - dans l'un et l'autre cas, comme le plus souvent, je vous écoutais le stylo à la main - : « Il faut savoir opposer les droits de la nation aux droits de l'homme »... et qui, aujourd'hui, paraît privilégier les seconds par rapport aux premiers ?
M. André Maman. Très bien !
M. Christian Bonnet. Est-ce le même homme qui, avant-hier, reconnaissait dans un entretien accordé à un grand journal du matin : « La machine à intégrer ne réussit plus aussi bien » ... et qui défend aujourd'hui des mesures propres à en accentuer les ratés ?
Comment ne pas stigmatiser les contradictions entre les intentions affichées et leur traduction dans les textes, entre un diagnostic apparemment lucide et la prescription d'un remède propre à aggraver le mal ?
A la vérité, monsieur le ministre, le projet dont nous sommes appelés à débattre m'apparaît mal dénommé.
« Entrée et séjour des étrangers en France ». Ne serait-ce pas plutôt : « De l'extension des droits des immigrés en France » qu'il faudrait dire ?
En effet, comment ne pas relever que votre projet conduit à la dépénalisation de l'entrée irrégulière, qu'il alourdit inconsidérément, par l'assouplissement des conditions de revenu et de logement, la définition du regroupement familial, qu'il rompt avec une jurisprudence constante en matière de droit d'asile, qu'il légalise des notions impossibles à cerner en droit, telles que « combattant de la liberté », ou encore « vie personnelle et familiale », qu'il contraint les agents consulaires à motiver, dans un certain nombre de cas, les refus de visas, fût-ce dans des pays où la notion même d'état civil n'existe pas et où l'authenticité des documents fait dès lors problème ?
S'il fallait d'un mot, d'un seul, qualifier un projet qui mesure toujours à l'appareil d'Etat les moyens de lutter contre les clandestins, celui qui vient tout naturellement à l'esprit est « irréaliste ».
Irréaliste, ce texte l'est, tel le reniement de Pierre, triplement.
Irréaliste, il l'est au regard des populations des pays sous-développés.
Irréaliste, il l'est encore en considération de la situation présente en France.
Irréaliste, il l'est enfin par rapport à l'attitude de nos principaux partenaires en la matière.
Tout d'abord, comment un ministre aussi averti que vous l'êtes pourrait-il ignorer que si « la France marche au mélange » - affirmation pour le moins audacieuse ! - l'immigration, elle, marche au symbole - vérité, celle-là, d'expérience ?
Oui... toute loi du type de celle que vous nous présentez - et plus encore toute opération de régularisation - résonne presque instantanément aux oreilles de centaines de milliers de malheureux de par le monde comme une incitation à venir chercher chez nous un apaisement illusoire aux problèmes qu'ils rencontrent chez eux.
Ainsi en va-t-il de l'affirmation de Bamako suivant laquelle c'en est fini de l'ère des charters !... Depuis le premier, qui remonte à 1985, jusqu'au plus récent, seuls une quarantaine avaient été affrêtés. Mais le nombre ne faisait rien à l'affaire, tout était dans le signe que recevaient, à l'atterrissage au pays, des peuples marchant, eux, à l'image.
J'entends bien que, si s'afficher patriote apparaît passé de mode - hormis pour vous, et hormis dans les stades - il est aujourd'hui de bon ton de s'afficher humaniste.
Humanisme, hospitalité, tels sont les mots clés du discours des belles âmes des quartiers patriciens, discours qui fait irrésistiblement penser à ce passage où Tocqueville stigmatise « ces gens qui n'étaient point mêlés journellement aux affaires » et qui « s'occupaient cependant des matières qui ont trait au Gouvernement et dont, dans l'éloignement presque infini où ils vivaient de la pratique, aucune expérience ne venait tempérer les ardeurs du naturel ». (Sourires.)
Irréaliste, votre projet l'est tout autant à l'égard de nos compatriotes et des étrangers vivant régulièrement en France.
Ces derniers, ne vous y trompez pas, sont foncièrement hostiles à toute mesure susceptible d'engendrer une confusion entre eux et des clandestins acculés à la délinquance pour subsister, confusion que certaines résurgences du racisme sont trop heureuses d'exploiter.
Ce racisme, que nous condamnons, tout comme vous, sans appel, il se nourrit de trois facteurs.
Le premier est la multiplication des incantations anti-racistes, dont M. Jean Daniel a fort bien dit - je le cite - « qu'elles n'ont fait, jusqu'à présent, que multiplier les racistes ».
Le deuxième réside dans le fait que, de plus en plus nombreux, nos compatriotes prennent la mesure du poids des allocations servies à de nouveaux venus... poids que votre projet va alourdir encore par l'attribution de prestations non contributives pour un montant estimé - estimé ! - à quelque 500 millions de francs. M. le président Fourcade vous en parlerait plus savamment que moi.
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. Puis-je me permettre de vous interrompre, monsieur Bonnet ?
M. Christian Bonnet. Je vous en prie.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires sociales, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. Je remercie M. Christian Bonnet d'avoir cité les travaux de la commission des affaires sociales et d'avoir donné ce chiffre de 500 millions de francs.
Encore ce chiffre est-il partiel.
Si nous ajoutons les conséquences de l'élargissement du droit au regroupement familial, celles de la suppression de la condition de nationalité pour l'attribution du minimum vieillesse et le problème de l'allocation aux adultes handicapés, nous dépassons cette somme. Selon l'étude d'impact qui a précédé ce texte, c'est négligeable ; je pense, moi, que la dépense est de plusieurs milliards de francs.
La question que je vous pose alors, monsieur le ministre, est la suivante : allez-vous accepter les amendements que la commission des affaires sociales vous proposera pour tenter de limiter les dégâts en alignant les conditions d'accès aux minima sociaux et au fonds vieillesse dans des conditions satisfaisantes ?
Si vous ne les acceptez pas, vous serez obligé, demain, après-demain, ou dans quelques semaines, de présenter au Parlement un projet de loi de financement rectificatif de la sécurité sociale. En effet, le projet de loi de financement de la sécurité sociale que nous avons adopté il y a quelques semaines fixe des prévisions de recettes, des objectifs de dépenses et une hypothèse de déficit. La Constitution vous oblige à nous présenter un projet de financement rectificatif dès lors que ces objectifs et ces prévisions sont remis en cause.
J'espère que les sages du Conseil constitutionnel, qui en sont les gardiens, feront appliquer la Constitution, car on ne peut, aujourd'hui, légiférer en matière de prestations sociales, ouvrir des droits nouveaux, prétendre, dans une étude d'impact, que cela n'aura aucune conséquence - alors que nous savons parfaitement que cela viendra aggraver la situation de nos comptes sociaux - et rester impassible devant cette aggravation des charges sociales.
Je vous remercie, monsieur Bonnet, de m'avoir permis de vous interrompre. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Je voudrais répondre à M. Fourcade que le chiffrage par milliards de francs auquel il a procédé me paraît tout à fait fantasmatique. L'étude d'impact elle-même n'évoquait d'ailleurs que quelques centaines de millions de francs, dont il convenait de déduire le montant du RMI, qui ne serait plus versé.
De quoi s'agit-il ?
Vous avez d'abord évoqué le regroupement familial. Dois-je rappeler que ce dernier a été instauré en 1978 ?
M. Christian Bonnet. En 1976 !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. En 1976, effectivement, monsieur Bonnet. M. Giscard d'Estaing était alors Président de la République et M. Chirac était Premier ministre.
A l'époque, ce regroupement familial concernait près de 100 000 personnes par an, pour atteindre naturellement - par un phénomène d'entropie, si je puis dire - à peu près 40 000 personnes par an à la fin des années quatre-vingt et 13 000 l'an dernier.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Grâce aux lois Pasqua.
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. La raison en est très simple. L'arrêt de l'immigration de travail depuis 1974 a fait que, naturellement, le regroupement familial, comme une vague, tend de lui-même à s'étaler, à s'amortir. Par conséquent, nous sommes à la fin de ce processus et la situation, aujourd'hui, n'a absolument rien de comparable à celle qui prévalait il y a une dizaine d'années et, plus encore, il y a une vingtaine d'années !
Le très modeste assouplissement des conditions du regroupement familial, dont je rappelle qu'il consiste à apprécier le SMIC non plus sur une base mensuelle mais sur une base susceptible de varier dans l'année, parce qu'il peut y avoir un licenciement et une reprise de travail - c'est un exemple - ou bien parce qu'on oblige la personne « hébergeante » à mettre le logement nécessaire - un cinq-pièces, par exemple - à disposition au moment de l'arrivée de la famille et non pas six mois auparavant, ce modeste assouplissement, donc, ne saurait avoir que des conséquences extrêmement faibles.
J'en viens à une question plus importante du point de vue du coût financier : celle de l'extension de l'allocation aux adultes handicapés et des prestations du fonds national de solidarité aux étrangers en situation régulière.
Je tiens à préciser que seuls les étrangers en situation régulière pourront y avoir accès. Mais il s'agit là d'un principe qui figurait déjà dans notre législation, sinon au moment de l'ordonnance de 1945 du moins dans les années qui ont suivi, et qui a été appliqué quasiment complètement, dans tous les domaines, aux étrangers en situation régulière ; j'insiste à nouveau, car les étrangers en situation irrégulière ne bénéficient pas, naturellement, de droits sociaux, lesquels sont, de par la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes, les mêmes pour les Français et les étrangers en situation régulière, cela dans toute l'étendue de l'Union européenne. Nous ne faisons donc qu'appliquer une réglementation européenne.
Je regrette de vous le dire, mais, apparemment, ce point vous a échappé : le projet de loi, de ce point de vue-là, ne fait que clarifier et mettre en totale harmonie la jurisprudence européenne et le droit que nous appliquons.
De ces 300 ou 400 millions de francs - je ne sais plus - il conviendra de déduire le montant du RMI versé à ces handicapés adultes ou à ces personnes âgées, à ces vieux travailleurs, dont je dois quand même rappeler qu'ils ont cotisé, et souvent pendant de très longues années.
Nous ne devons pas oublier que ces générations de travailleurs immigrés ont joué un grand rôle dans la reconstruction et le développement de la France. Il est, après tout, bien normal qu'ils puissent disposer des mêmes droits que les Français.
J'ai voulu ramener ce sujet à ses véritables proportions, parce que j'ai entendu un orateur prétendre tout à l'heure que ce que nous avions dépensé était supérieur à ce que représentait le plafonnement des allocations familiales.
Cela n'a absolument rien à voir, je tiens à le dire. Cessons de fantasmer ! Parlons de choses sérieuses, essayons d'être objectifs et laissons parler le langage de la raison !
Je souhaite véritablement que ce débat garde le ton tout à fait élevé qu'il a eu jusqu'à présent et que ne soit pas dépeint un paysage qui ne correspond pas à la réalité.
M. Pasqua a peut-être été blessé par le fait que j'évoquais tout à l'heure des histoires marseillaises, mais je les aime beaucoup !
M. Charles Pasqua. J'espère bien !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Je pensais d'autant moins le vexer qu'il n'est pas de Marseille ! Sa vocation, non pas universelle, mais hexagonale, est bien établie. (Rires.)
J'entendais simplement dire par là qu'il avait un grand talent oratoire. Mais, puisque c'est à la mode, je lui exprime mes regrets s'il a été blessé. (Exclamations sur les travées du RPR. - M. Guy Allouche applaudit.)
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Sinon, ce serait du racisme !
M. Charles Pasqua. Nous sommes en pleine repentance !
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Bonnet.
M. Christian Bonnet. Je reprends donc le cours de mon propos.
J'évoquais le caractère triplement irréaliste de votre texte, monsieur le ministre, au regard des réactions des populations des pays sous-développés et de la situation actuelle en France. J'en venais aux sources qui alimentent le racisme : la multiplication des incantations antiracistes et le fait que, de plus en plus nombreux, nos compatriotes prennent la mesure du poids des prestations sociales versées.
La troisième des sources qui alimentent la xénophobie est la dégradation du climat qui prévaut dans certains quartiers connaissant, avez-vous dit le 7 janvier sur Europe 1, « des changements de population » - ah ! qu'en termes délicats ces choses-là sont dites - et où, organisés en bandes, ceux que l'on dénomme pudiquement « les jeunes » - mais ceux qui y vivent savent quelle réalité cette appellation recouvre le plus souvent - se livrent à des débordements, à des délits, à des violences de nature à tétaniser les habitants qui, souvent âgés et le plus souvent modestes, n'ont pas la possibilité de gagner un havre plus hospitalier.
Car l'immigration, il y a des médias qui en glosent, mais aussi des Français qui la vivent.
Il y a non seulement des donneurs de leçons, mais aussi des policiers sur le qui-vive, des enseignants stressés, des facteurs, voire des pompiers malmenés, des conducteurs de bus attaqués, dans des secteurs qualifiés pudiquement de « difficiles » et dont le « politiquement correct » interdit de préciser quelle est la population dominante.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Interdit par qui ?
M. Christian Bonnet. Irréaliste, votre projet l'est enfin si l'on considère l'attitude de nos principaux partenaires, apparemment plus sensibles à cette vérité qu'à l'affaissement de la population vieillissante de l'Europe auquel correspond une formidable explosion des naissances là où prospèrent d'autres civilisations que la sienne.
Comme j'ai déjà eu l'occasion de le rappeler, voilà peu, à votre collègue Mme Elisabeth Guigou, il en va de l'immigration comme d'un alcaloïde : à dose modérée, elle est un stimulant, à dose massive, et doublement étrangère à notre culture, elle est susceptible d'altérer une identité qui n'est plus aussi robuste qu'elle le fut.
L'immigration dans nos vieux pays ne peut s'entendre désormais en termes quantitatifs.
L'Autriche a un chancelier socialiste, la Grande-Bretagne un gouvernement néo-travailliste, l'Allemagne un gouvernement chrétien-démocrate, l'Italie un gouvernement... « pluriel » : aucune de ces nations ne régularise à tout va ses immigrés clandestins. Toutes adoptent, au contraire, des dispositions restrictives.
Et, pendant ce temps, la France se livre à une comptabilité dérisoire d'apothicaire pour savoir si la rétention doit être fixée à douze jours au lieu de dix, quand nos voisins européens pratiquent des durées de plusieurs mois, souvent renouvelables, et dans le cas de la Grande-Bretagne, pays de l' habeas corpus, as long as necessary, tant que la véritable identité n'a pas été déclinée, comme le rappelait tout à l'heure un orateur.
Que voilà bien une exception française que de prétendre pouvoir, en douze jours, maîtriser l'organisation de l'anonymat face à un étranger déterminé à vivre en France - quitte à avaler, s'il en avait un, le titre d'identité de son pays d'origine - qui ne parle pas notre langue et qui bénéficie de la mauvaise volonté, vous le savez, monsieur le ministre, de trop de consulats des pays d'origine !
En vérité, comme l'a fort bien dit Gil Robles, président du Parlement européen : « c'est au niveau européen que ce problème doit être discuté et réglé ».
Et, de fait, une politique d'immigration limitée à un pays d'une union où la libre circulation est la règle n'a pas de sens. Qui pourrait encore en douter après l'explosion du problème kurde ?
Aussi bien, le groupe des Républicains et Indépendants est-il favorable à la ratification du traité d'Amsterdam, dans la mesure où il est susceptible, hélas ! à échéance de cinq ans seulement, de mettre un terme au laxisme d'exception que vous nous proposez en matière d'immigration et de droit d'asile, étant observé, je le précise, que le transfert de compétences se fera suivant la règle de l'unanimité, ce qui permettra à la France de faire entendre sa voix et, le cas échéant, ses réserves, voire ses refus.
Que les solutions au problème - majeur, ne nous y trompons pas ! - posé par l'immigration ne soient pas évidentes, je vous l'accorde bien volontiers, monsieur le ministre.
Aide au retour en 1978, aide publique à la réinsertion en 1984, réinsertion aidée en 1991 : aucune de ces formules n'a permis d'engendrer des retours significatifs dans les pays d'origine.
Si, de toute évidence, s'impose avec ces derniers une politique de coopération axée sur leur développement, les suggestions du rapport Naïr se heurtent au peu d'inclination manifestée par les étrangers formés en France pour retourner exercer leur activité là où ils sont nés, alors que, au contraire - c'est un exemple parmi d'autres - se pressent en France les médecins titulaires de diplômes étrangers non communautaires. Le Journal officiel du 25 juillet 1997, pages 11131 à 11138, est, à cet égard, éloquent.
Oui, le problème est complexe.
Mais alors, pourquoi l'aggraver par des mesures qui risquent d'avoir un effet dévastateur ?
Votre projet exacerbe encore, s'agissant des textes, une complexité qui fait penser à « cet écheveau de fils embrouillés par un chat » dont parlait Victor Hugo. Il va, de ce fait, alimenter la perplexité des magistrats, nourrir le découragement des forces de police et de gendarmerie, et faire les beaux jours des experts en détournement de la loi républicaine.
Ainsi l'homme de rigueur, l'homme d'autorité que vous êtes consacre-t-il, paradoxalement, une conception rousseauiste de la société, une éthique de la complaisance, liées à un phénomène que l'on a pu qualifier, très justement, de « caritatif médiatique ».
Le groupe des Républicains et Indépendants s'en alarme et, tant il est vrai que les faits ne cessent pas d'exister parce qu'on veut les ignorer, c'est avec détermination qu'il combattra un projet à ses yeux néfaste pour la cohésion nationale. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
Je me permets de vous signaler, mon cher collègue, que l'ensemble de l'hémicycle souhaite écouter M. le Premier ministre, qui doit s'exprimer durant le journal de vingt heures de TF 1.
Bien entendu, il n'est pas question pour moi de limiter en quoi que ce soit votre expression. Je tenais simplement à vous avertir de la tentation que pourraient avoir certains de quitter l'hémicycle pour aller entendre M. le Premier ministre.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Mais je tiens, moi aussi, à l'écouter, monsieur le président.
Vous pourrez donc m'interrompre quand il en sera temps. Je reprendrai mon intervention lors de la prochaine séance.
M. le président. Mais je ne me permettrai pas de vous interrompre ainsi, mon cher collègue.
De toute façon, vous disposez de trente minutes.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Eh bien, nous allons essayer de « passer » !
Il est vrai que, lorsque s'expriment deux rapporteurs appartenant à la majorité sénatoriale, puis le président de la commission des lois, qui y appartient également, et que, de surcroît, certains membres de la même majorité interrompent d'autres membres de ladite majorité, cela fait évidemment un grand temps de parole pour la majorité sénatoriale !
M. Charles Pasqua. Cela fait un beau débat ! (Sourires.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Cela fait surtout partie des conditions de travail difficiles qui ont cours dans cette maison !
C'est hier que nous avons entendu le rapport verbal de notre rapporteur et c'est tout à l'heure qu'a été mis en distribution son rapport écrit. Les conditions sont telles qu'il a été obligé de l'écrire juste avant les débats en commission. Qu'importe, tant il était certain d'être suivi sur toutes ses propositions par la majorité sénatoriale.
Dès lors, il aurait pu faire ce travail il y a longtemps ; cela aurait permis d'aller plus vite.
Mais le Sénat ne veut pas aller plus vite, M. Pasqua nous l'a dit tout à l'heure très clairement : on fera tout ce qu'on pourra pour faire durer les choses ! Et d'annoncer une demande, par le Président de la République, de deuxième délibération à cet effet !
M. Charles Pasqua. C'est ce que vous avez compris !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Nous ne tenons pas, nous, à un tel débat, c'est vrai. Il y a d'ailleurs une contradiction de votre part à nous reprocher de faire en sorte qu'il ait lieu juste avant les élections, alors que cela, c'est votre méthode à vous ! Lorsque, par hasard, les élections ne sont pas prévues tout de suite après, le Président de la République dissout. C'est ainsi que les débats sur la loi Debré se sont effectivement trouvés précéder immédiatement les élections ! (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Charles Pasqua. Remerciez-nous !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Mais certainement !
Car, très souvent, vous vous trompez ! Après le vote de la loi « sécurité et liberté », en effet, la gauche l'a emporté. Après le vote de la loi Debré, il en a été de même. Vous ne vous en êtes pas moins employés ici à retarder les choses, et vous l'avez reconnu les uns et les autres, en particulier M. le président de la commission des lois. Et vous vous apprêtez à continuer à le faire !
Or il vaut mieux l'avoir ici, ce débat, que de laisser sans réponse les arguments de l'extrême droite qui développent la xénophobie et le racisme. Il est nécessaire que les étrangers qui vivent sur notre sol depuis longtemps n'aient pas une situation précaire, c'est-à-dire celle dans laquelle les lois Pasqua et Debré en placent beaucoup.
La gauche, elle, débat. Si, au sein de la majorité sénatoriale, vous êtes quasiment tous d'accord, à l'Assemblée nationale, des amendements ont été déposés par des membres de la majorité nationale, que le Gouvernement a acceptés.
M. Charles Pasqua. Oh non ! Pas tous !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Quel est le but ? Le but, M. le Premier ministre l'a dit, M. le ministre de l'intérieur l'a répété, c'est une loi « généreuse mais ferme », c'est-à-dire - et c'est ce que nous, Gouvernement et majorité gouvernementale, nous attendons d'une loi - une loi juste.
On a fait appel à mon témoignage à propos de l'urgence. Il est vrai que, en général, nous y sommes opposés.
Mais lorsqu'on voit que les amendements présentés par le rapporteur consistent seulement à demander la suppression pure et simple de tous les articles, le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il n'y a pas un apport extrêmement important à la construction d'une nouvelle loi, et d'une loi juste !
M. Paul Masson, rapporteur. C'est notre droit !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Nous regrettons toujours l'urgence, mais nous comprenons parfaitement que le Gouvernement, en l'occurrence, l'ait demandée. En effet, qu'apporterait de plus de votre part une lecture supplémentaire ?
Cela dit, qu'espérait le Gouvernement, et qu'espère-t-il encore ? Il nous l'a dit : un consensus. Puissiez-vous être entendu, monsieur le ministre !
M. Henri de Raincourt. Ça ne risque pas !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Vous voyez, monsieur le ministre !
Et vous avez entendu ce que nous a dit tout à l'heure M. Pasqua : « Impossible compromis. » M. Pasqua a, si j'ose dire, déclaré la guerre en annonçant qu'on allait sortir la grosse artillerie.
Permettez-moi de dire que ce consensus n'est malheureusement pas possible, parce que - et je voudrais que personne ne se méprenne sur ce que je vais dire - la droite reste toujours la droite.
MM. Christian Bonnet, Henri de Raincourt et Charles Ceccaldi-Raynaud. Heureusement !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Quoi que vous fassiez, monsieur le ministre, quels que soient vos efforts, nos efforts, elle nous traitera de laxistes parce qu'elle pense que cela sert ses intérêts. Oh ! ce n'est pas nouveau.
On nous dit sans cesse - c'est le refrain habituel de M. Bonnet, et nous venons de l'entendre à nouveau - que l'immigration n'est plus de même nature que celle d'« avant ». Les émigrés seraient maintenant des gens inassimilables. Nous lui avons dit déjà combien nous étions choqués d'entendre de pareils propos : un homme est un homme, d'où qu'il vienne.
Monsieur Bonnet, rappelez-vous : avant la guerre, on disait des Polonais la même chose que ce que, aujourd'hui, vous dites d'autres.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Cela ne prouve rien !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ralph Schor dans son ouvrage L'Opinion française et les étrangers, 1919-1939, rapporte ainsi : « En avril 1925, un Polonais, injustement accusé du meurtre d'une fillette dans la région de Dombasle, en Meurthe-et-Moselle, faillit être lynché par une foule partagée entre l'indignation et la fureur ; la découverte et les aveux du véritable assassin ne calmèrent pas les esprits. »
Et plus loin : « En septembre 1925, le procureur de la République de Béthune observait que ses administrés étaient "trop habitués à voir les Polonais commettre une foule de délits et de crimes". »
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. N'assimilez pas !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. A l'époque, c'étaient les Polonais, « les Polacks », « les Ritals », et je sais bien encore !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Vous oubliez les Corses ! (Rires.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Voici ce que disait, par exemple, ici même, un sénateur, le 6 avril 1925 : « Il n'y a pas un pays au monde où les étrangers soient aussi mal surveillés, où » - passez-moi le mot - » tous les résidus de l'étranger puissent venir aussi massivement sans être inquiétés. »
M. Charles Pasqua. Il était de gauche ? (Sourires.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Oh non ! Il s'appelait Gaston Japy. Il était sénateur du Doubs et membre de l'Union républicaine. Dans le dictionnaire des parlementaires, on évoque l'une de ses interventions dans laquelle « il s'élève avec violence contre la loi des huit heures, qui, selon lui, ne fera qu'inciter les ouvriers à la paresse et à la débauche et conduira l'économie française à la ruine ».
Vous voyez bien que la droite, décidément, reste la droite ! (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Il était du Territoire de Belfort !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il s'agit là de Gaston Japy, né à Dampierre-sous-Bois dans le Doubs, aux portes de Breaucourt, cité du Territoire de Belfort, d'où, effectivement, est originaire la famille et où il est mort.
Tout le monde connaît cette famille de riches industriels pour ce qu'elle a donné à la France, en particulier au président Félix Faure... (Sourires.)
Mais revenons à notre présent débat.
Il doit être enrichissant. Nous savons le respect que vous avez, à juste titre, monsieur le ministre, pour les débats parlementaires.
Dans mon intervention, j'examinerai d'abord les améliorations qui sont apportées par le projet de loi, pour évoquer ensuite celles qu'il est encore possible d'y apporter.
En vérité, mon ami Guy Allouche a dressé tout à l'heure la liste des améliorations apportées par le texte, comme l'avait d'ailleurs également fait le rapporteur du texte à l'Assemblée nationale, notre ami Gérard Gouzes. Je ne veux pas la reprendre en détail, ne serait-ce que pour éviter de vous compromettre en vous apportant un appui franc et massif.
Il reste qu'emportent notre accord la suppression de l'interdiction administrative du territoire, la possibilité de demander le relèvement d'un arrêté de reconduite à la frontière depuis la France, l'abrogation du refus de regroupement familial lorsque les conditions ne sont plus réunies lors de l'accueil de la famille, la suppression du retrait du titre de séjour en cas de venue de la famille hors regroupement familial, la suppression du recours suspensif du procureur - oui, parfaitement, monsieur Pasqua ! -, les décisions du juge judiciaire relatives à la prolongation de la rétention administrative, la suppression du certificat de logement, etc.
Notre rôle est maintenant d'essayer, si c'est possible, d'améliorer encore la loi, ...
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Dans quel sens ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt. ... car c'est au législateur qu'il appartient, en dernière analyse, de la faire.
Bien sûr, nous trouvant au Sénat, nous ne nourrissons aucune illusion. Si nous formulons des remarques ou des propositions, c'est pour essayer de vous convaincre, vous, monsieur le ministre, de convaincre le Gouvernement et, au-delà, de convaincre l'Assemblée nationale, qui aura bien entendu le dernier mot. Nous savons bien que, ici, aucun de nos amendements, quel qu'il soit, ne sera adopté.
M. Henri de Raincourt. Ne soyez pas pessimiste ! (Sourires.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Bien entendu, nous sommes et serons responsables. Il n'y a pas, au groupe socialiste, pas plus que dans d'autres groupes parlementaires, d'irresponsables. Et nous ne sommes pas irréalistes, pas plus que vous ne l'êtes vous-même, monsieur le ministre, même si, en une litanie, M. Bonnet vous a dit et répété tout à l'heure que vous étiez « irréaliste ».
M. Christian Bonnet. Parfaitement !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Vous voyez, quoi que vous fassiez, monsieur le ministre, vous serez incompris ! La recherche d'un consensus qui vous anime est, vous le constatez, rejetée ici, comme elle l'a été à l'Assemblée nationale.
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Monsieur Dreyfus-Schmidt, m'autorisez-vous à vous interrompre ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je vous en prie, monsieur le ministre.
M. le président. La parole est à M. le ministre, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Le Gouvernement cherche un consensus républicain, c'est vrai, mais il le cherche avant tout, je dois le dire, dans le pays. C'est la raison pour laquelle je me sens parfaitement à l'aise, même si je n'arrive pas à convaincre M. Bonnet. Mais est-ce que je l'espérais vraiment ? Non !
Je l'ai écouté, comme toujours, avec intérêt.
Je lui donnerai un exemple, celui des migrants kurdes, qui affaiblit considérablement sa démonstration quant à l'intérêt qu'il y aurait à communautariser l'immigration.
J'ai entendu M. Pasqua évoquer les rigueurs des législations allemande ou britannique. Mais regardez ce qui se passe en Italie, en Grèce, ou dans d'autres pays encore... Mais c'est un autre sujet, et je ne veux pas interrompre plus longtemps votre propos, monsieur Dreyfus-Schmidt, d'autant que vous avez peu de temps !
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je dois souligner les réformes que vous proposez concernant le droit d'asile et qui, évidemment, attirent notre attention et recueillent notre soutien.
Mais, dans ce débat, il y a pour nous une difficulté particulière du fait du caractère équilibré, comme vous le dites, de votre projet.
Il est équilibré entre, sans doute, la fermeté et la générosité puisque c'est une loi « ferme et généreuse ». Quand un équilibre est fragile, à peine y touche-t-on qu'on le déséquilibre ! Si nous proposons de revenir sur certaines dispositions, soit fermes, soit généreuses, nous le déséquilibrons, et si nous proposons d'ajouter d'autres dispositions, soit fermes, soit généreuses, nous le déséquilibrons aussi. Nous ne proposerons donc des améliorations que d'une main tremblante.
C'est après des discussions sereines et approfondies au sein du groupe socialiste que celui-ci a décidé de déposer onze amendements.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. C'est beaucoup !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ces amendements sont fondés sur notre volonté évidemment commune avec tous nos amis, où qu'ils siègent, de fortifier l'état de droit et de faire en sorte que l'administration, qui agit, soit contrôlée - on ne peut à la fois sérieusement agir et se contrôler soi-même - par le juge, qui est le gardien des libertés aux termes de notre Constitution.
Mais il faut aussi, bien entendu, que le pouvoir du juge soit lui-même limité.
Ces amendements, je vais vous en donner la primeur, monsieur le ministre.
D'abord, nous souhaitons qu'il ne soit pas exigé de ceux qui sont autorisés à bénéficier du regroupement familial d'être, en plus, en possession d'un visa, évidemment inutile.
Ensuite, par un amendement que je qualifierai de « tout bête », nous demanderons qu'il ne puisse y avoir de retrait d'un titre de séjour pour d'une personne inexpulsable. Si une telle disposition avait existé, il n'y aurait pas eu de sans-papiers. Si nous voulons éviter qu'il y en ait de nouveaux, inscrivons cette disposition dans la loi.
Un autre amendement concerne la « menace à l'ordre public ». Après tout, est-il important de préciser qu'il doit s'agir d'une menace grave s'il y a vraiment menace à l'ordre public ? Nous n'allons pas aussi loin que votre conseiller, M. Sami Naïr, qui, dans un article paru dans Le Monde, que nous avons apprécié, a souhaité que la menace à l'ordre public soit qualifiée de « grave ». Nous demandons seulement qu'elle soit « dûment justifiée », afin que la justice puisse exercer son contrôle.
Par ailleurs, et par souci de cohérence entre les articles 12 et 15 ter de l'ordonnance de 1945, d'une part, et l'article 25, d'autre part, nous souhaitons qu'un étranger régulièrement établi ne puisse se voir retirer définitivement son titre de séjour pour avoir employé un clandestin que si cela a entraîné sa condamnation à une peine de prison sans sursis, quelle qu'en soit la durée, comme le prévoit, précisément, l'article 25.
Nous demanderons aussi le rétablissement de la commission du séjour des étrangers.
Nous demanderons, et c'est un minimum, que soient inscrites dans la loi les réserves d'interprétation du Conseil constitutionnel selon lesquelles celui qui a été placé en rétention administrative puis libéré ne peut y être replacé qu'une seule fois.
Nous essaierons aussi de vous convaincre, monsieur le ministre, qu'il est indispensable de revenir à la situation « ante Pasqua », et je regrette l'absence de M. Pasqua, car j'aurais voulu qu'il m'entende !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Mais je suis là, moi ! (Rires)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Alors, mon cher collègue, vous rappellerez à M. Pasqua, qui aujourd'hui prétend qu'il y a mieux à faire, qu'il n'a rien eu de plus pressé, lorsqu'il est arrivé au pouvoir en 1986, que de faire voter une loi sur l'entrée, la circulation et le séjour des étrangers, et qu'il n'a rien eu de plus pressé, lorsqu'il y est revenu en 1993, que de faire inscrire à l'ordre du jour du Parlement un nouveau projet de loi sur l'entrée, la circulation et le séjour des étrangers !
Puis, comme le Conseil constitutionnel avait annulé certaines dispositions de la première loi Pasqua de 1993, il y en a eu une seconde, qui portait, sauf erreur de ma part, la date du 30 décembre.
Nous demanderons donc qu'un étranger irrégulier soit conduit devant le président du tribunal ou son délégué au bout de vingt-quatre heures et non pas seulement après quarante-huit heures.
De 1981 à 1983, en effet, il a été considéré qu'il n'y avait pas de raison qu'un étranger, fût-il en situation irrégulière, soit plus mal traité que le criminel ou le délinquant grave, lequel ne peut être mis en garde à vue - en règle générale - que pendant vingt-quatre heures avant d'être déposé à un juge. C'est l' habeas corpus .
Nous demandons donc le retour au système des vingt-quatre heures plus six jours, soit sept jours, afin que ne figure plus dans l'ordonnance le système des quarante-huit heures plus cinq jours, soit sept jours, le total, vous le voyez, étant le même.
Nous proposerons aussi que les tribunaux ne puissent, quelle que soit la peine qu'ils prononcent, l'assortir d'une interdiction de séjour si les condamnés ont des liens forts avec la France, tels ceux qui sont en France depuis l'âge de dix ans, qui ne sont jamais retournés dans leur pays, qui n'en connaissent pas la langue, qui ont toute leur famille en France - famille dont beaucoup de membres peuvent être Français.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Vous déséquilibrez complètement le texte !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Enfin, vous le savez, nous sommes nombreux à estimer que, pour le Conseil constitutionnel, la durée de la rétention administrative ne peut être encore prolongée. Après la seconde délibération qui aura sans doute lieu, la majorité sénatoriale et la minorité à l'Assemblée nationale saisiront vraisemblablement le Conseil constitutionnel. Mais le Gouvernement ne pourrait-il pas le faire lui-même ?
Nous savons bien, monsieur le ministre, que vous n'avez aucune intention de violer la Constitution. Pourquoi donc ne pas vous en remettre au Conseil constitutionnel ? Nous vous le demandons.
En ce qui concerne le traité d'Amsterdam, je remercie M. Bonnet d'avoir ramené le problème à ses justes proportions. La question sera tranchée à l'unanimité dans cinq ans, ce qui nous laisse le temps de convaincre nos partenaires de la justesse de notre position.
Monsieur le ministre, nous ne doutons pas de votre écoute. Vous pouvez vous-même compter sur nous : nous voterons contre le texte tel qu'il sortira des travaux du Sénat ! (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

4

COMMUNICATION DE L'ADOPTION DÉFINITIVE
DE PROPOSITIONS D'ACTE COMMUNAUTAIRE

M. le président. J'ai reçu de M. le Premier ministre une communication, en date du 20 janvier 1998, l'informant que :
- la proposition d'acte communautaire E 889 - « rapport de la Commission au Conseil présenté conformément à l'article 2 de la décision du Conseil 92/545/CEE du 23 novembre 1992 (application d'une mesure dérogatoire à l'article 21 de la sixième directive [77/388/CEE] en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires). Proposition de décision du Conseil autorisant le Royaume des Pays-Bas à proroger l'application d'une mesure dérogatoire à l'article 21 de la sixième directive (77/388/CEE) du Conseil du 17 mai 1977 en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires (secteur de la confection) » - a été adoptée définitivement par les instances communautaires par décision du Conseil du 19 décembre 1997 ;
- la proposition d'acte communautaire n° E 917 : « proposition de décision du Conseil autorisant le Royaume-Uni à proroger l'application d'une mesure dérogatoire à l'article 28 sexies, paragraphe 1, de la sixième directive (77/388/CEE) du Conseil du 17 mai 1977 en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires (prescription de la valeur normale retenue comme base d'imposition des acquisitions intracommunautaires de biens entre personnes liées) » a été adoptée définitivement par les instances communautaires par décision du Conseil du 19 décembre 1997.

5



DÉPÔT DE PROJETS DE LOI

M. le président. J'ai reçu de M. le Premier ministre un projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Moldavie sur l'encouragement et la protection réciproques des investissements.
Le projet de loi sera imprimé sous le numéro 230, distribué et renvoyé à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
J'ai reçu de M. le Premier ministre un projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République d'Inde sur l'encouragement et la protection réciproques des investissements.
Le projet de loi sera imprimé sous le numéro 231, distribué et renvoyé à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
J'ai reçu de M. le Premier ministre un projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de Géorgie sur l'encouragement et la protection réciproques des investissements.
Le projet de loi sera imprimé sous le numéro 232, distribué et renvoyé à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
J'ai reçu de M. le Premier ministre un projet de loi autorisant l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Fédération de Russie en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune (ensemble un protocole).
Le projet de loi sera imprimé sous le numéro 233, distribué et renvoyé à la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

6

DÉPO^T DE PROPOSITIONS DE LOI

M. le président. J'ai reçu de MM. Jean-Paul Delevoye, Luc Dejoie, Christian Demuynck, Patrice Gélard, René-Georges Laurin, Michel Rufin et Jean-Pierre Schosteck une proposition de loi relative aux pouvoirs de police des maires en matière de messages écrits ou illustrés à caractère violent, pornographique ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine.
La proposition de loi sera imprimée sous le numéro 228, distribuée et renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
J'ai reçu de Mme Gisèle Printz, M. Roger Hesling, Mme Dinah Derycke, MM. Guy Allouche, Pierre Mauroy, Paul Raoult, Léon Fatous, Roland Huguet, Daniel Percheron, Michel Sergent et les membres du groupe socialiste et apparentés une proposition de loi relative à la prévention des risques miniers après la fin de l'exploitation.
La proposition de loi sera imprimée sous le numéro 229, distribuée et renvoyée à la commission des affaires économiques et du Plan, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

7

DÉPO^T DE RAPPORTS

M. le président. J'ai reçu de M. James Bordas un rapport fait au nom de la commission des affaires culturelles sur sa proposition de résolution (n° 65, 1997-1998) présentée en application de l'article 73 bis du règlement, sur la proposition de décision du Parlement européen et du Conseil relative au cinquième programme-cadre de la Communauté européenne pour des actions de recherche, de développement technologique et de démonstration (1998-2002) et la proposition de décision du Conseil relative au cinquième programme-cadre de la Communauté européenne de l'énergie atomique (Euratom) pour des activités de recherche et d'enseignement (1998-2002) (n° E-847).
Le rapport sera imprimé sous le numéro 225 et distribué.
J'ai reçu de M. Pierre Fauchon un rapport fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale sur la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, relative à la responsabilité du fait des produits défectueux (n° 260, 1996-1997).
Le rapport sera imprimé sous le numéro 226 et distribué.
J'ai reçu de M. Jean-François Le Grand, rapporteur pour le Sénat, un rapport fait au nom de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi tendant à améliorer les conditions d'exercice de la profession de transporteur routier.
Le rapport sera imprimé sous le numéro 227 et distribué.

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ORDRE DU JOUR

M. le président. Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au jeudi 22 janvier 1998 :
A neuf heures trente :
1. Discussion, en deuxième lecture, de la proposition de loi (n° 207, 1997-1998), adoptée avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, relative au fonctionnement des conseils régionaux.
Rapport (n° 214, 1997-1998) de M. Paul Girod, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Aucun amendement n'est plus recevable.
2. Suite de la discussion du projet de loi (n° 188, 1997-1998), adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif à l'entrée et au séjour des étrangers en France et au droit d'asile.
Rapport (n° 224, 1997-1998) de M. Paul Masson, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Avis (n° 221, 1997-1998) de M. Alain Vasselle, fait au nom de la commission des affaires sociales.
Aucune inscription de parole dans la discussion générale n'est plus recevable.
Délai limite pour le dépôt des amendements : lundi 26 janvier 1998, à dix-sept heures.
A quinze heures et, éventuellement, le soir :
3. Eventuellement, suite de l'ordre du jour du matin.
4. Déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, sur la réforme de la justice.
Aucune inscription de parole dans ce débat n'est plus recevable.
Personne ne demande la parole ?...
La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures cinquante.)

Le Directeur
du service du compte rendu intégral,
DOMINIQUE PLANCHON





REMPLACEMENT D'UN SÉNATEUR

M. le ministre des affaires étrangères a fait connaître à M. le président du Sénat qu'en application de l'article L.O. 320 du code électoral, M. André Gaspard est appelé à remplacer, en qualité de sénateur représentant les Français établis hors de France, M. Pierre Croze, décédé le 19 janvier 1998.

MODIFICATION AUX LISTES
DES MEMBRES DES GROUPES
RÉUNION ADMINISTRATIVE DES SÉNATEURS
NE FIGURANT SUR LA LISTE D'AUCUN GROUPE
(10 au lieu de 9)

Ajouter le nom de M. André Gaspard.

NOMINATIONS DE RAPPORTEURS
COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES

M. Ivan Renar a été nommé rapporteur de la proposition de loi n° 141 (1997-1998) de Mme Hélène Luc et plusieurs de ses collègues relative à l'enseignement de la langue et de la culture arméniennes.
Mme Hélène Luc a été nommée rapporteur de la proposition de loi n° 143 (1997-1998) de M. Ivan Renar et plusieurs de ses collègues tendant à reconnaître aux communes le droit de moduler les tarifs des écoles municipales de musique et de danse en fonction des ressources des familles.

COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES,
DE LA DÉFENSE ET DES FORCES ARMÉES

Mme Paulette Brisepierre a été nommée rapporteur du projet de loi n° 203 (1997-1998) autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Namibie sur la coopération culturelle, scientifique et technique.
M. Hubert Durand-Chastel a été nommé rapporteur du projet de loi n° 204 (1997-1998) autorisant l'approbation de la convention d'entraide judiciaire en matière civile entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérative du Brésil.

DÉLAI LIMITE POUR LE DÉPÔT DES AMENDEMENTS
À UNE PROPOSITION DE RÉSOLUTION

En application de l'article 73 bis, alinéa 7, du règlement, la commission des affaires culturelles a fixé au lundi 2 février 1998, à 17 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à la proposition de résolution qu'elle a adoptée sur la proposition de décision du Parlement européen et du Conseil relative au cinquième programme-cadre de la Communauté européenne pour des actions de recherche, de développement technologique et de démonstration (1998-2002) et la proposition de décision du Conseil relative au cinquième programme-cadre de la Communauté européenne de l'énergie atomique (EURATOM) pour des activités de recherche et d'enseignement (1998-2002) (n° E 847).
Le rapport n° 225 (1997-1998) de M. James Bordas sera mis en distribution le vendredi 23 janvier 1998.
Les amendements devront être déposés directement au secrétariat de la commission des affaires culturelles et seront examinés par la commission lors de sa réunion du mercredi 4 février 1998, à 9 h 30.



Le Directeur du service du compte rendu intégral, DOMINIQUE PLANCHON QUESTIONS ORALES REMISES À LA PRÉSIDENCE DU SÉNAT (Application des articles 76 à 78 du réglement)


Mission des SAFER

166. - 21 janvier 1998. - M. René-Pierre Signé rappelle à M. le ministre de l'agriculture et de la pêche que la loi n° 90-85 du 23 janvier 1990 complétée par le décret du 18 août 1993 prévoit et organise le concours technique des sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER) aux collectivités. Toutefois ce concours demeure trop limité, en raison de la définition trop restrictive de la mission assignée aux SAFER relativement à la rétrocession des terres agricoles. Il en est ainsi, en particulier, de l'impossibilité encore faite aux communes, dans le cadre de ce type de procédures, de préempter des parcelles pour les destiner à des projets d'aménagement et de développement d'intérêt collectif. Il lui demande s'il envisage d'élargir la mission des SAFER dans ce domaine, approfondissant ainsi la démarche adoptée en 1990.

Calcul du financement des établissements de santé

167. - 21 janvier 1998. - M. Philippe Richert attire l'attention de M. le secrétaire d'Etat à la santé sur les calculs des points ISA (indice synthétique d'activités) dans le cadre du PMSI (programme de médicalisation des systèmes d'information) et leurs répercussions sur le financement par dotation globale des établissements de santé. En effet, les points ISA servent actuellement de support au processus d'allocation des ressources pour les établissements d'hospitalisation comportant au moins cent lits de court séjour, dont certains, au fil des années, restent manifestement sous-dotés, malgré les efforts de péréquation mis en place par le PMSI. Le rapport détaillé du PMSI de la valeur des points ISA de tous les hôpitaux de France, annexé au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1998, répertorie près de six établissements dont la valeur des points ISA est inférieure à dix (résultats PMSI 1996). Le département du Bas-Rhin s'illustre en ayant sur son territoire l'établissement le plus sous-doté de France, l'hôpital de Neuenberg. Sans remettre en cause l'ensemble du dispositif, il souhaiterait connaître le procédé par lequel le ministre envisage de pallier les sous-dotations constatées par le PMSI. Envisage-t-il des mesures incitatrices auprès des agences régionales de l'hospitalisation (ARH) afin que les inégalités de traitement soient corrigées ?