M. le président. Le Sénat va examiner les dispositions du projet de loi concernant l'éducation nationale, la recherche et la technologie : III. - Recherche et technologie.
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. René Trégouët, rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour la France comme pour toute nation, la recherche est un gage d'avenir. La croissance, le développement technologique, les emplois à haute valeur ajoutée, le rayonnement de la France dépendent de la recheche et des orientations qui lui sont données.
M. Pierre Laffitte, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles. Très bien !
M. René Trégouët, rapporteur spécial. A cet égard, l'attribution du prix Nobel de physique à Claude Cohen-Tannoudji - le troisième prix Nobel français depuis 1991 - ne peut qu'honorer la recherche française.
La recherche a besoin de moyens. Aussi, nous ne pouvons qu'être favorablement impressionnés quand nous constatons la progression, à périmètre constant, de 3,5 % des crédits du fascicule « Recherche et technologie » du ministère de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie, soit 39,6 milliards de francs.
Il me faut cependant nuancer cette première impression si nous observons avec soin l'évolution globale du budget civil de recherche et de développement technologique, le BCRD, qui, lui, ne progresse que de 1,1 % à périmètre constant : la part du BCRD dans le budget de l'Etat ne cesse de diminuer. Selon l'OCDE, la France est passée du troisième au quatrième rang mondial pour son effort de recherche, derrière la Suède, les Etats-Unis et le Japon.
Cette évolution est préjudiciable à la préparation de l'avenir de la France.
Le projet de budget de la recherche et de la technologie pour 1998 avance trois priorités.
La première concerne l'emploi scientifique. Six cents emplois seront créés dans la recherche : quatre cents emplois de chercheur dans les EPST, les établissements publics à caractère scientifique et technologique, dont près de trois cents au CNRS, le Centre national de la recherche scientifique, et cinquante à l'INSERM, l'Institut national de la santé et de la recherche médicale ; deux cents emplois d'ITA - ingénieurs, techniciens, administratifs - dans les EPST, dont cent vingt-huit au CNRS et quarante à l'INSERM.
Ces créations assureront en 1998 un taux de renouvellement des personnels chercheurs de 4 % pour l'ensemble des EPST, ce qui devrait participer à un nécessaire rajeunissement de la pyramide des âges de la recherche publique française.
La deuxième priorité de ce projet de budget porte sur le fonctionnement des structures de base de la recherche. A cet égard, la dotation des établissements publics à caractère scientifique et technologique progresse de 2,2 % en dépenses ordinaires et crédits de paiement, l'accent étant porté sur les soutiens de programmes qui constituent les dotations de base des équipes.
Enfin, le projet de budget maintient l'effort de la nation pour soutenir le développement technologique. En effet, les crédits inscrits au fonds de la recherche et de la technologie, le FRT, progressent de 1,6 % en crédits de paiement et de 1,2 % en autorisations de programme.
Je ne peux qu'adhérer à ces priorités budgétaires.
Cependant, le projet de budget de la recherche et de la technologie pour 1998 comporte des lacunes, mais aussi, et j'y reviendrai, des points qui sont franchement négatifs.
Tout d'abord, il faut noter la part de la France dans le dépôt de brevets, qui ne cesse de diminuer. Certes, le dépôt de brevets a crû de 53 % en France entre 1986 et 1996, mais, sur la même période, il augmentait de 116 % en Suède et même de quelque 396 % en Espagne. Certes, il ne s'agit pas des mêmes grandeurs, mais ces tendances sont tout de même significatives.
Ensuite, la fuite des cerveaux est un phénomène qui hypothèque lourdement les capacités d'innovation de la France. Selon diverses informations que nous nous sommes efforcés de recouper, quelque 80 000 jeunes Français hautement qualifiés ont quitté l'hexagone au cours de l'année passée pour s'installer dans d'autres pays, sous d'autres cieux, où l'esprit d'entreprise et un environnement s'appuyant sur la confiance sont plus favorables pour faire éclore des entreprises innovantes.
Ces deux faits illustrent bien les risques que court notre pays dans une économie mondialisée où la matière grise, c'est-à-dire les capacités à s'adapter et à innover, est le plus précieux des atouts.
Ce projet de budget, disais-je, comporte des insuffisances. Première insuffisance : la recherche publique française est beaucoup trop figée. La mobilité des chercheurs est très insuffisante : seulement sept chercheurs du CNRS ont, en 1997, rejoint une entreprise.
Or, si le Gouvernement a exprimé sa volonté d'accroître cette mobilité, les moyens semblent absents. Le statut des chercheurs, notamment, devrait être adapté, non seulement pour accroître leur mobilité, mais aussi pour leur permettre de créer une entreprise. Certes, la création d'un fonds de capital-risque va dans le bon sens, mais cet effort est nettement insuffisant pour créer un environnement qui, dans d'autres pays, se montre si fécond pour favoriser la création d'entreprises innovantes.
Pour mettre en évidence ce problème, il faut parler du droit. En effet, les chercheurs ne sont pas favorisés au niveau du statut de la fonction publique pour créer leur propre entreprise.
Par ailleurs, afin d'accélérer le rajeunissement de la pyramide des âges de notre recherche publique, il est nécessaire de renforcer les passerelles pour favoriser le passage des chercheurs publics vers l'enseignement supérieur.
En effet, la France bénéficie, en cette fin de siècle, d'une conjonction favorable qui ne se représentera pas avant longtemps : l'enseignement supérieur a besoin de recruter des enseignants.
Pourquoi ne pas mettre en place, sans tarder, toutes les procédures au niveau des statuts, des rémunérations, mais aussi créer un état d'esprit qui pourrait inciter des chercheurs publics à devenir des enseignants dans nos universités et nos grandes écoles ?
Je sais, monsieur le ministre, combien vous êtes favorables à la mise en place de ces passerelles fortes entre la recherche et l'enseignement supérieur, mais nous aimerions que vous nous disiez avec précision comment et quand vous comptez mener cette action importante.
Si la recherche publique manque de souplesse, la recherche menée dans les entreprises privées connaît une situation difficile.
Les travaux de recherche des entreprises privées diminuent en volume, et ce pour la troisième année consécutive.
Les effectifs dans la recherche privée sont trop concentrés. En effet, 53 % des chercheurs du secteur privé travaillent dans 158 firmes employant plus de 2 000 salariés, si bien que les grandes entreprises, qui ne représentent que 3,4 % de la totalité des entreprises exerçant des activités de recherche, exécutent 59 % des travaux de recherche et reçoivent 76 % des financements publics.
Une mesure incitative, s'appuyant sur la confiance, qui a été mise en place voilà une quinzaine d'années, je veux parler du crédit d'impôt recherche, est insuffisamment employée par nos petites et moyennes entreprises.
Cette observation est lourde de conséquences quand on sait le rôle joué par le crédit d'impôt recherche pour le développement d'entreprises innovantes dans nombre de pays concurrents de la France.
Notre système étatique et pyramidal qui, depuis des siècles, s'appuie sur la défiance, et non sur la confiance, a su créer, au cours des quinze dernières années, des anticorps qui font que les responsables des petites et moyennes entreprises ont acquis la certitude que chaque inscription d'un crédit d'impôt recherche sur leur compte d'exploitation déclenche quasi automatiquement un contrôle fiscal.
Il est vraiment dommage que, dans notre société, cette méfiance envers les agents économiques essentiels que sont les chefs d'entreprise brise trop souvent cette dynamique si nécessaire pour soutenir toute démarche innovante.
Par ailleurs, dans le domaine capital des nouvelles technologies de l'information et de la communication, au-delà des annonces faites par M. le Premier ministre à Hourtin en août, et par vous-même, monsieur le ministre, voilà quelques jours dans le domaine de l'éducation, nous regrettons que la France n'ait pas encore défini une stratégie forte et claire pour un secteur d'activité qui a su créer plus d'un emploi sur trois aux Etats-Unis depuis les années quatre-vingt-dix.
En effet, la France et l'Europe n'occupent qu'une très modeste place, sans commune mesure avec leur poids dans l'économie mondiale, dans l'industrie informatique, que ce soit dans le domaine du hardware - les matériels - ou dans celui du software - les logiciels.
Mais, comme vous le dites, monsieur le ministre, les tuyaux et la quincaillerie sont relativement secondaires, bien que non négligeables car, comme le dit fort bien Michel Serres, ce sont les tuyaux qui donnent le sens.
En revanche, dans la bataille nouvelle qui s'ouvre et qui va être d'une puissance inconnue encore, tant les moyens mis en oeuvre sont considérables, la France doit tenir toute sa place, car il s'agit de son destin et de l'avenir de nos enfants.
Les pressions technologiques, financières et sociales vont être particulièrement élevées puisqu'elles ont pour finalité de créer un mode de vie et un environnement fondamentalement nouveaux en fusionnant trois outils majeurs - le téléphone, le téléviseur et l'ordinateur - qui ont déjà profondément changé notre vie et celle de nos parents.
Or, la France s'appuie sur un socle multiséculaire de connaissances et compte des mathématiciens, des physiciens et de nombreux scientifiques et chercheurs dont les recherches fondamentales sont particulièrement précieuses pour dessiner les traits essentiels de ce monde nouveau.
Par ailleurs, contrairement à une idée très largement répandue, la France a, au niveau de l'usage des technologies de l'information, une avance certaine. Ainsi, les Français sont les premiers au monde à utiliser aussi largement le Télétel, avec un outil certes rustique mais efficace : le minitel. Les Français sont aussi les premiers au monde à utiliser aussi largement les moyens cryptés de paiement, avec les cartes à puce, qui seront si précieuses demain dans le futur commerce électronique. Les Français, dans quelques mois, devraient, proportionnellement, être parmi les plus nombreux au monde à utiliser le téléphone portable.
De plus, si les pouvoirs publics, les opérateurs et tous les intervenants savent prendre dans les prochains mois les mesures qui s'imposent, je suis convaincu que, avant cinq ans, contrairement au constat actuel, la France sera le pays au monde qui utilisera le plus les nouvelles technologies de l'information, si du moins, avec pragmatisme, nous savons faire migrer les utilisateurs du minitel vers le monde Internet.
Mais à quoi serviraient tous ces efforts et ces places enviées dans l'utilisation des technologies nouvelles si nous devions constater, dans quelques années, qu'au niveau des contenus nous n'aurions pas su valoriser au mieux le haut niveau de connaissances et d'expertise de notre pays ?
Parmi toutes les missions dont vous avez la charge, monsieur le ministre, celle qui consiste à valoriser les savoirs de notre pays pour qu'il occupe toute sa place dans cette société de l'information qui émerge est, selon moi, certainement la plus importante.
Aussi, je souhaiterais que vous nous disiez toutes les actions que vous comptez mettre en oeuvre pour que la France sache valoriser ses savoirs dans cette société nouvelle.
Il est un autre secteur essentiel : celui des sciences du vivant, dans lequel la France semble être privée d'une stratégie claire. Les équipes de chercheurs sont, dans ce domaine, beaucoup trop éparpillées. Il faut, dans ce secteur comme dans d'autres, définir des axes de force pour faire face à nos partenaires ou concurrents. Les missions de chaque organisme devraient être clarifiées et recentrées.
Je souhaiterais également que la recherche thérapeutique soit développée. Le nombre de molécules inventées chaque année en France est insuffisant. En outre, l'industrie pharmaceutique française ne représente que 5,5 % du marché mondial. La France ne figurant qu'au sixième rang mondial dans la recherche pharmaceutique, aucun médicament français n'apparaît dans les vingt-cinq premières ventes mondiales !
M. Lucien Neuwirth. C'est vrai !
M. René Trégouët, rapporteur spécial. La technologie médicale, non plus, n'est pas suffisamment favorisée, de telle sorte que nos matériels médicaux ou chirurgicaux sont, pour beaucoup importés.
Le budget de la recherche et de la technologie pour 1998 comporte aussi des points sur lesquels je ne peux porter qu'un jugement sévère.
Tout d'abord, l'arrêt du programme Superphénix et l'absence de programmes ultérieurs ne peuvent que contrarier, sinon annuler, l'avance considérable dont dispose la France grâce à l'utilisation de l'énergie nucléaire dans la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre. De l'avis de nombreux experts, ce serait particulièrement grave si l'arrêt du programme Superphénix venait à être confirmé.
Par ailleurs, bien que ces crédits ne dépendent pas directement de votre ministère, je pense qu'il est nécessaire que le grand scientifique que vous êtes soit vigilant : pour que la France ne perde pas la place qu'on lui envie dans le domaine du nucléaire, tous les puissants outils de simulation doivent être mis en place sans retard dans notre pays.
Avant de conclure, je voudrais vous parler de l'espace. Le gaulliste que je suis ne peut qu'apprécier votre volonté de préserver l'identité de la France et de l'Europe face à une démarche hégémonique des Etats-Unis qui devient de plus en plus prégnante, dans ce domaine comme dans beaucoup d'autres, d'ailleurs. Je n'ai pas la compétence nécessaire, et des experts objectifs devront auparavant nous donner leur avis, mais l'image de la France ne sera-t-elle pas dégradée dans quelques années s'il n'y a plus d'astronautes français dans les futures stations spatiales internationales ?
Permettez-moi en cet instant une observation qui n'a pour ambition que de s'appuyer sur le simple bon sens. Si vous avez la ferme volonté de garantir l'indépendance de la France dans le domaine spatial, capital pour demain, pourquoi alors avoir supprimé les 200 millions de francs de crédits du CNES qui étaient réservés à l'étude des futurs lanceurs français ? Après le récent et très beau succès du lancement d'Ariane 5, nous ne devons pas baisser la garde. En effet, là comme ailleurs, les évolutions technologiques sont très rapides, et le lancement de plusieurs milliers de satellites en constellations dans ces vingt prochaines années va profondément changer l'économie de l'espace et faire baisser de façon drastique les coûts. Or, si Ariane 5 est un lanceur de grande qualité pour mettre en orbite des satellites lourds en position géostationnaire à 36 000 kilomètres d'altitude, en revanche, malgré les innovations qui lui permettent de lancer des constellations de satellites légers placés en orbite basse, notre lanceur Ariane 5 ne sera plus compétitif pour lancer ces grappes de satellites dans quelques années.
C'est pourquoi, si nous ne voulons pas dépendre, dans dix ou quinze ans, des lanceurs étrangers, particulièrement des lanceurs américains, il nous faut très rapidement engager les études en vue du développement d'un lanceur navette qui, en revenant se poser automatiquement sur terre, nous permettrait, comme notre grand concurrent d'outre-Atlantique, de faire baisser très sensiblement nos coûts. C'est là un choix majeur pour l'avenir.
Aussi, monsieur le ministre, si vous voulez respecter votre propre engagement et manifester votre volonté de préserver l'indépendance de la France dans le domaine de l'espace, ce dont je ne doute pas, il vous faut nous proposer le transfert de ces 200 millions de francs pris sur une autre ligne de votre budget au profit du CNES. Ce transfert qui, par la modicité de son montant, ne risque pas de déséquilibrer votre budget aurait, en ces temps où il nous faut éclairer le chemin loin devant, une forte valeur de symbole.
En conclusion, après m'en être entretenu avec de nombreux collègues, et avec l'accord de M. le président de la commission des finances, je vous présenterai une demande instante. Si j'avais pu soumettre cette demande à l'ensemble de mes collègues, je suis certain que ceux-ci auraient été unanimes pour y souscrire.
Chaque année, nous organisons dans cette assemblée de grands débats sur l'agriculture, sur l'aménagement du territoire, sur la défense nationale et sur beaucoup d'autres thèmes majeurs. Or je n'ai pas souvenir que, au cours de ces quinze dernières années, nous ayons organisé ici, au Sénat, un grand débat solennel sur l'avenir de la recherche et de la technologie dans notre pays. Chacun pourtant, dans cette assemblée, comme vous, monsieur le ministre, sait combien notre recherche et le développement de nos capacités technologiques sont essentiels pour l'avenir de la France.
Il nous faut créer les conditions pour que de nombreuses entreprises de haute technologie et innovantes se créent en France. C'est là le seul chemin réel pour faire régresser durablement et de façon sensible le chômage dans notre pays. Aussi, comme vous l'avez proposé tout à l'heure pour l'université, il nous faut ouvrir, devant le Parlement et devant le pays, un vaste débat pour que le Gouvernement et la représentation nationale éclairent l'avenir et puissent briser cette désespérance qui incite de nombreux Français, souvent parmi les plus brillants, à quitter notre pays pour aller s'installer sous d'autres cieux, plus accueillants pour la recherche et l'entreprise innovante.
Si vous l'acceptiez, je suis convaincu que ce large débat sur la recherche, la technologie et le développement de l'innovation serait un temps fort de la vie de notre assemblée et un acte fort accompli pour l'avenir de la France. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Laffitte, rapporteur pour avis.
M. Pierre Laffitte, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles. Après le brillant exposé de mon collègue René Trégouët, je me contenterai d'aborder quelques points particuliers.
Je souscris tout à fait à la suggestion qu'il nous fait de créer un grand événement national annuel, peut-être avec le concours et, pourquoi pas ? sous l'égide de l'Académie des sciences, en y associant, outre des parlementaires intéressés par l'avenir scientifique de notre pays, les grands industriels et les responsables financiers et économiques de notre pays.
Cela se pratique en Suède, sous l'égide de l'académie suédoise des sciences de l'ingénieur, l'IVA. Il n'y a aucune raison que cela ne puisse pas être organisé en France, et la préparation de ce débat serait probablement une façon d'améliorer, au plus haut niveau - celui des plus grands décideurs - les relations entre le monde scientifique et technologique et celui de l'industrie et de la finance. Voilà plus de cinq ans que je le propose à chaque discussion budgétaire et je pense qu'il serait temps de passer à l'action ! J'ai d'ailleurs évoqué ce projet devant mes amis de l'Académie des sciences, le secrétaire perpétuel, notamment ; ils ont été séduits. Encore faudra-t-il mobiliser les moyens nécessaires.
Ma deuxième remarque a trait aux moyens de travail rapportés aux chercheurs. N'y voyez pas une critique du projet du budget pour 1998, mais je suis pour ma part très inquiet de constater année après année, que, rapporté au nombre de chercheurs, le montant des crédits de paiement pour les établissements publics à vocation scientifique et technologique décroît en francs courants, donc plus encore en francs constants.
Depuis 1996 - le budget était alors à peu près comparable à celui qui nous est présentée pour 1998 - cela représente une décroissance en valeur réelle de l'ordre de 10 %. Je ne pense pas que nous puissions viser à l'excellence avec une diminution des crédits de paiement en francs constants. J'émets donc une suggestion : ne pourrait-on pas faire en sorte qu'une partie des postes que vous avez créés dans ce budget soit affectée à des postes d'accueil ? On sait très bien, en effet, qu'un certain nombre de grands chercheurs américains, par exemple, bénéficiant éventuellement d'un appui de la fondation avec laquelle ils travaillent, ont la possibilité de venir en France. Eh bien, il s'agirait, sur ce modèle, d'accueillir non pas de grands universitaires, mais des chercheurs dans l'industrie, ce qui permettrait probablement d'améliorer notre ratio.
Ma troisième remarque concerne les télécommunications, prises au sens large, qui suscitent de ma part de grandes préoccupations.
Nous avions, en France, un organisme du nom de France Télécom qui appartenait à la sphère publique. Nous l'avons toujours, mais il devient un opérateur privé.
France Télécom dépensait chaque année 4 milliards de francs, bon an mal an, pour la recherche en télécommunications qui se répartissaient assez également entre l'interne et l'externe, avec respectivement 2,7 milliards de francs et 1,5 milliard de francs l'année dernière.
J'ai vainement cherché dans le projet de budget la trace d'une somme équivalente. Je sais que l'on pense utiliser, peut-être, une partie des recettes de privatisation pour l'année à venir, mais je m'inquiète en constatant que le réseau national de la recherche technologique ne dispose, pour le moment, que de quelques centaines de millions de francs. Si l'on additionne les sommes inscrites à ce titre aux budgets des ministères de la recherche et de l'industrie, soit 250 millions de francs, d'un côté, et 180 millions de francs environ, de l'autre, on arrive à un bien maigre total. On est donc loin des 2 milliards de francs pour la recherche amont, alors que l'ensemble représentera, d'ici peu, près de 50 % du produit intérieur brut.
Nous avons bien entendu, dans ces crédits, des éléments qui concernent la politique spatiale, d'autres qui concernent la recherche sur les logiciels et les matériels de télécommunications, sans oublier les recherches en microélectronique fondamentale, qui se placent en amont de la recherche industrielle. Nous avons aussi et surtout, monsieur le ministre, la recherche en sciences humaines pour l'industrie des contenus, et ce grâce à un potentiel humain de plus d'une dizaine de milliers de chercheurs tant dant les universités qu'au CNRS, qui oeuvrent dans le domaine des sciences humaines, sociales et économiques. Ce potentiel phénoménal permettrait sans aucun doute de dynamiser l'industrie du contenu multimédia en ligne, ce qui « roule » sur les autoroutes de l'information de par le monde, d'autant plus que le patrimoine français et européen est considérable.
Il me faut conclure, car le temps m'est compté. Il serait possible de parler pendant des heures. Hélas, le budget de la recherche a cela de particulier qu'il est essentiel pour le futur, mais qu'on dispose seulement de cinq minutes pour en parler !
Je terminerai donc mon propos sur l'effet de serre. La France est, en la matière, très en avance, grâce à la stratégie nucléaire qu'elle a maintenue sans interruption depuis plus de vingt-cinq ans. Bientôt, à Kyoto, s'ouvrira une nouvelle ère ; ce sera un nouveau Rio. A cet égard, nous devrions adopter une attitude très volontariste pour que l'ensemble des pays nous rejoignent, y compris sur le nucléaire. Encore faut-il que le cycle nucléaire français, notamment son aval, dispose des moyens nécessaires. Malheureusemenrt, l'arrêt de Superphénix sur ce plan ne nous aidera pas, d'autant que je ne crois pas au redémarrage de Phénix. Il y a là un trou dans la réflexion sur la façon de développer les éléments transuraniens. Bien entendu, nous réfléchissons à d'autres choses, mais ce n'est certainement pas anodin.
La commission des affaires culturelles a décidé de s'en remettre à la sagesse du Sénat. A titre personnel, je voterai le projet de budget présenté. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Rausch, rapporteur pour avis.
M. Jean-Marie Rausch, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques et du Plan. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'effort de recherche d'un pays est le meilleur garant de son avenir. Promesse de croissance, promesse d'innovation, promesses d'emplois : la recherche est la sève de notre économie, la clé de toute conquête industrielle.
La France consacre actuellement 2,34 % de son produit intérieur brut à la recherche, ce qui situe notre pays au troisième rang mondial. Pourtant, ce chiffre est en deçà de l'objectif de 2,5 % fixé par la loi d'orientation et de programmation pour la recherche et le développement technologique de la France du 15 juillet 1982, présentée alors par M. Jean-Pierre Chevènement et que j'avais eu l'honneur de rapporter.
Dans le projet de loi de finances pour 1998, le Gouvernement a souhaité donner la priorité aux dépenses ordinaires, par la création d'emplois nouveaux dans les établissements de recherche, puisque 400 postes de chercheurs seront créés, ainsi que 200 postes d'ingénieurs, techniciens et administratifs.
Quant aux dépenses en capital, les crédits de paiement du budget civil de recherche et développement diminuent de 0,2 % et un coup d'arrêt est donné aux très grands équipements de recherche, qui contribuent pourtant au progrès de la recherche scientifique dans de nombreuses disciplines et qui nécessitent un étalement pluriannuel de leur financement. Ainsi, 300 millions de francs seront économisés, avec un report de la décision d'implantation du projet SOLEIL.
La répartition géographique des chercheurs sur le territoire montre la nécessité de poursuivre le mouvement de déconcentration entamé depuis plusieurs années, à la suite de l'adoption de la loi d'orientation pour le développement et l'aménagement du territoire du 4 février 1995 et des comités interministériels d'aménagement du territoire de 1992 et 1994, qui a entraîné la délocalisation de 2 585 postes de chercheurs publics. Une récente étude du ministère de la recherche montre que la région d'Ile-de-France représente aujourd'hui 46,3 % des effectifs des organismes de recherche, contre 49 % en 1992. Cet effort doit être poursuivi, car sans une répartition équilibrée de la matière grise, il n'y pas de développement harmonieux du territoire possible.
Si la recherche publique est à un bon niveau par rapport aux autres pays, la France souffre d'un déficit de financement de la recherche par les entreprises - mon prédécesseur à cette tribune l'a dit - en particulier par les plus petites d'entre elles. La commission des affaires économiques est très soucieuse d'améliorer l'accès des petites entreprises à la recherche.
Des dispositifs incitatifs existent déjà, comme le crédit d'impôt recherche. Le précédent gouvernement avait créé un instrument financier intéressant, les fonds communs de placement dans l'innovation, visant à améliorer l'accès aux fonds propres des entreprises innovantes réalisant de fortes dépenses de recherche.
Le projet de loi de finances pour 1998 comporte deux dispositions qui ont un objet similaire puisqu'il prévoit que des bons de souscription de parts de créateur d'entreprise seront instaurées, afin de mettre fin à la fuite des créateurs d'entreprises innovantes vers les Etats-Unis. Un report d'imposition des plus-values de cession d'actions en cas de réemploi des fonds dans les petites et moyennes entreprises nouvelles sera également instauré pour développer l'apport de capitaux aux jeunes entreprises. J'ajoute que l'annonce récente de la mise en place d'un fonds, doté par l'Etat d'un milliard de francs, dont 600 millions de francs seront consacrés au soutien de l'industrie du capital risque - qui est un poumon essentiel des jeunes entreprises innovantes - va également dans le bon sens.
Mais il faudrait aller plus loin et renforcer l'osmose entre la recherche publique et les entreprises, qui sont aujourd'hui deux mondes trop étrangers l'un à l'autre. Ce rapprochement est possible, comme le montre l'exemple, fructueux, des technopoles. L'encouragement « à l'essaimage » des chercheurs vers le secteur privé, la mise en place de fonds d'amorçage par les laboratoires publics, sont des pistes qui doivent être mieux exploitées. Toutefois, il est important aussi de réfléchir au statut des chercheurs publics, qui, comme l'a souligné un récent rapport de la Cour des comptes sur la valorisation de la recherche, comporte des rigidités qui constituent autant de freins au dialogue nécessaire entre entreprise et recherche publique.
Soucieuse des efforts qui restent à accomplir, la commission des affaires économiques s'en est remis, comme la commission des affaires culturelles, à la sagesse du Sénat pour l'adoption des crédits de la recherche proposés par le Gouvernement dans le projet de loi de finances pour 1998. (Applaudissements.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République : 10 minutes ;
Groupe socialiste : 9 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants : 15 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen : 5 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen : 5 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe : 5 minutes.
J'indique également au Sénat que, en conférence des présidents, il a été estimé, en accord avec le ministre des relations avec le Parlement, que vingt-cinq minutes devraient suffire au Gouvernement, et ce afin de respecter les limites de l'épure horaire que nous nous sommes fixée.
La parole est à M. Carrère.
M. Jean-Louis Carrère. Monsieur le ministre, le projet de budget que vous nous présentez ce soir constitue un véritable sursaut pour la recherche française. Après plusieurs années d'assouplissement, sous les gouvernements de droite, et de baisse drastique de postes et de crédits, le budget civil de la recherche et du développement le BCRD, enregistre une hausse sensible de ses moyens.
Je note avec satisfaction que nous assistons surtout à une réelle politique en faveur de la recherche ; plusieurs signes apparents en témoignent et, tout d'abord, le retour de la priorité donnée à l'emploi.
Ce projet de budget est extrêmement satisfaisant en termes de créations de postes. Je ne vais pas les rappeler, ils ont été fort bien énumérés par MM. les rapporteurs.
C'est ainsi que 600 nouveaux emplois dans les établissements publics scientifiques et techniques sont prévus pour 1998 dont 400 postes de chercheurs, parmi lesquels 121 ont été financés dès la rentrée 1997.
Ces nouvelles créations permettront d'assurer, en 1998, un taux de renouvellement des personnels chercheurs pour l'ensemble des EPST pour faire face aux départs à la retraite qui vont croître, nous le savons tous, de manière très conséquente à l'horizon 2005.
Je souhaite que l'effort en emplois de cette année soit non seulement poursuivi, mais encore amplifié afin de pouvoir effectivement pallier cette recrudescence de départs. Pouvez-vous, monsieur le ministre, me donner quelques assurances à ce sujet ? D'autant que je sais que, dans certains établissements, la pratique veut qu'un quota de postes soit réservé aux enseignants du supérieur, ce qui tarit quelque peu le vivier de chercheurs pour la recherche - ou peut tout au moins le tarir.
Parallèlement à ces emplois de chercheurs, seront également financés 197 nouveaux postes d'ITA - ingénieurs, techniciens et administratifs. Cette mesure est accueillie de façon extrêmement positive dans les milieux de la recherche où les besoins, en la matière, sont criants. Il faut reconnaître que les emplois, dans la recherche, n'ont pas été épargnés par les gouvernements précédents ; à titre d'exemple, la loi de finances de l'an dernier a supprimé vingt et un postes de chercheurs mais surtout six cents emplois d'ITA ! Et vous avez été fort discrets sur ce sujet, messieurs les rapporteurs...
En dehors des nombreuses créations de postes, je constate que l'ensemble du projet de budget s'inscrit dans la même logique de rattrapage des moyens sacrifiés depuis quelques années, en améliorant l'aide aux jeunes chercheurs. Plusieurs mesures vont dans ce sens : vous nous annoncez, entre autres, la création de 300 allocations de recherche supplémentaires, dès la rentrée 1997, ce qui portera leur nombre à 3 700 ; il y en aura 3 800 à la rentrée 1998.
J'ai bien noté, par ailleurs, l'inscription d'une provision de 50 millions de francs pour permettre le financement d'un dispositif d'accueil des post-doctorants au sein des entreprises et dans les EPST, mais des détails pratiques restent à régler. Je sais - ou crois savoir - qu'une table ronde a étudié sur cette question ; aussi, peut-être, pourrez-vous, monsieur le ministre, nous donner plus de détails sur ce sujet ?
Je note également avec satifaction le financement, pour 1998, de cent nouvelles bourses de conventions industrielles de formation par la recherche, les CIFRE, ce qui portera leur nombre à 800, si je ne m'abuse.
Enfin, autre mesure significative d'aide aux jeunes chercheurs, par le financement de cent diplômes, vous incitez les entreprises au développement des stages pour la préparation du diplôme de recherche technologique.
En dehors du caractère social que présentent toutes ces mesures, je me réjouis de voir qu'elles amélioreront, pour certaines d'entre elles, les passerelles entre la recherche et l'industrie.
Monsieur le ministre, vous vous êtes, à plusieurs reprises, prononcé en faveur d'un plus grand accès du public à la recherche et pour des actions de vulgarisation - pardonnez-moi le mot de la recherche ! Or, selon moi, tout ce qui participe au décloisonnement de la recherche va dans le bon sens, et le passage de jeunes chercheurs dans l'entreprise procède, me semble-t-il, de cette démarche.
A l'heure actuelle, les passerelles entre les EPST et les entreprises sont très étroites : je me rappelle avoir lu que seuls cela vient d'être rappelé - sept chercheurs étaient à l'heure actuelle mis en disponibilité du CNRS dans des entreprises. Attention néanmoins au danger que pourrait représenter un excès de telles expériences pour la recherche fondamentale.
Je voudrais également revenir sur les 50 millions de francs octroyés pour les bourses de post-doctorat et savoir si elles constituent une mesure exceptionnelle pour 1998 ou si elles marquent le coup d'envoi d'un système de post-doctorat, en France, à l'instar de ce qui existe dans les pays anglo-saxons ?
Si telle était votre intention, j'attire votre attention, monsieur le ministre, sur la difficile adaptabilité du système français pour l'accueil de post-doctorants. En effet, les titulaires d'un doctorat ont environ trente ans et, en France, à cet âge-là, il est plus difficile d'entrer dans l'industrie, de définir des profils de carrière.
Je vous demande donc, monsieur le ministre, quel est votre sentiment sur ce point et attire votre attention sur le fait qu'il me semble qu'il faudrait peut-être changer la réglementation française préalablement à toute mise en place de post-doctorat de type anglo-saxon.
Outre les nombreuses créations de postes et l'aide apportée aux jeunes chercheurs, votre projet de budget, tout comme votre politique en faveur de la recherche, comporte d'autres points extrêmement positifs.
Je parlais tout à l'heure des risques du développement de la recherche appliquée au détriment de la recherche fondamentale ; mais les moyens supplémentaires que vous octroierez, en 1998, aux structures de base apaisent nos inquiétudes. Rompant avec la politique en faveur des programmes incitatifs menée par les gouvernements précédents, le budget civil de la recherche et du développement privilégie, cette année, le développement des moyens de base de la recherche publique afin d'encourager l'initiative et la prise de risque par les chercheurs. Vous effectuez ainsi un choix courageux en faveur de la recherche fondamentale, qui constitue l'essence même de la recherche.
Pour illustrer mes propos, je ne citerai que la dotation aux EPST, qui est en hausse. Les crédits de soutien sont concernés au tout premier chef, ce dont je ne peux que me réjouir puisqu'ils constituent la dotation de base des équipes et des laboratoires.
De la même façon, les crédits octroyés à la recherche universitaire progressent de manière substantielle, 5,4 % ; le financement de base des équipes universitaires - il s'agit du soutien aux programmes - augmente même de près de 6 %. Tout cela est extrêmement positif !
Je souhaite, monsieur le ministre, que ne soit pas oublié l'équipement des laboratoires, dont le matériel, souvent vieillissant et ne répondant plus aux besoins, est beaucoup moins performant que celui de l'industrie. Peut-être, pourrez-vous me dévoiler les projets que vous nourrissez pour pallier ce vieillissement ? Il s'agit là d'un sujet de préoccupation pour l'ensemble du milieu de la recherche.
Je voudrais, pour terminer mon propos, aborder un sujet qui vous est cher, monsieur le ministre, celui de la rationalisation des structures de recherche.
Vous avez laissé entendre que vous nourrissiez quelques projets visant à un tel objectif et, dans votre projet de budget, se dessinent déjà certaines orientations allant dans ce sens. Je me contenterai de citer la non-affectation de 42 des 600 emplois nouvellement créés en 1998, qui permettront de soutenir les efforts de regroupement thématique et d'allégement des structures. La rebudgétisation de certains programmes - aéronautique civile - ou de certains grands organismes - CEA - plutôt mal en point ces dernières années procède du même esprit de rationalisation. Mais je pense, monsieur le ministre, que vous aurez à coeur de nous indiquer plus dans le détail vos projets en faveur du regroupement en pôle des organismes de recherches.
Telles sont les principales réflexions et interrogations que m'inspire le projet de budget dont nous débattons ce soir. Pour ma part, les dispositions qu'il contient m'apparaissent extrêmement positives et je vous assure, monsieur le ministre, me reférant aux exercices antérieurs, de l'entier soutien du groupe socialiste. (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celle du groupe communiste, républicain et citoyen.

M. le président. La parole est à M. Laffitte.
M. Pierre Laffitte. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'évoquerai simplement en quelques mots le problème de la création d'emplois et du développement des sociétés innovantes. Il s'agit là d'un point tout à fait crucial en matière de politique d'emploi, de politique sociale et de politique de recherche.
En premier lieu, il faut que les fonctionnaires, puisque, malheureusement les chercheurs sont devenus des fonctionnaires, voilà un peu plus de quinze ans...
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Hélas !
M. Pierre Laffitte. Hélas oui !
Je souhaite que ces fonctionnaires puissent créer des entreprises. C'est indiscutablement une nécessité. Actuellement, cela se fait, mais dans des conditions critiquées et critiquables, ainsi qu'il a été signalé.
J'ai déposé sur le bureau du Sénat une proposition de loi en ce sens. Elle reprend d'ailleurs un texte émanant du précédent ministère de la recherche, qui avait déjà passé un certain nombre de caps, notamment le Conseil d'Etat. J'espère qu'elle pourra être inscrite à l'ordre du jour du Sénat, puis discutée à l'Assemblée nationale, et que le Gouvernement y sera favorable.
En deuxième lieu, s'agissant du financement dit de « semence », il est satisfaisant de constater qu'un certain nombre d'organismes de recherche disposent de structures adéquates déjà prévues par la loi.
C'est possible pour les universités, et certaines l'ont déjà utilisé. C'est également possible pour certains centres de recherche. Il faut que les structures s'adaptent pour faciliter cette démarche.
En troisième lieu, il y a les financements par des fonds communs de placement-innovation, par les sociétés de capital-risque, puis par des sociétés de capital-investissement et enfin l'appel au marché spécialisé, en particulier à la Société des nouveaux marchés.
De tels marchés spécialisés existent aux Etats-Unis : je pense au NASDAQ. Le Sénat a contribué à ce que ce nouveau marché puisse se développer en France. Cela a permis à des sociétés innovantes de trouver quelque 2 milliards de francs d'investissement sur le marché financier. La pompe est donc amorcée.
Il faut indiscutablement, en plus, que l'esprit entreprenarial - M. le ministre en a parlé tout à l'heure - puisse se développer, ce qui nécessite une conjonction extrêmement forte. Je crois que, sur ce plan, nous sommes sur la bonne voie.
En conclusion, je me félicite que les stockoptions reprennent une place, sous un autre nom et sous une autre forme, dans notre dispositif national. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Renar.
M. Ivan Renar. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de budget qui nous est soumis permettra à la recherche-développement de retrouver, en 1998, un niveau identique à celui de 1996.
Vous indiquez, monsieur le ministre, trois priorités budgétaires : l'emploi scientifique, les moyens des laboratoires, le développement technologique.
Alors que 527 postes ont été supprimés en 1997, vous proposez la création de 592 emplois. Ces créations de postes permettront un renouvellement à hauteur de 4 % de l'effectif des chercheurs. Ce renouvellement des équipes de recherche est un enjeu devenu fondamental pour la recherche scientifique dans notre pays, si l'on veut construire un futur à la recherche française.
Celle-ci a besoin que la communauté nationale, les pouvoirs publics, les élus et les instances scientifiques ouvrent un large débat sur son avenir.
Ces questions impliquent l'ensemble de notre société : l'engouement un peu polémiqué pour le projet Soleil illustre, s'il en était besoin, l'intérêt des pouvoirs publics à tous les niveaux pour ces questions. Mais cela va bien au-delà.
En effet, un grand nombre de citoyens prennent aujourd'hui conscience de l'interdépendance grandissante entre la science et la technologie, mais aussi et plus largement entre la science et la vie quotidienne, entre la science et le monde du travail.
Pour autant, et en dépit d'un budget en rupture, la recherche française reste aujourd'hui fragilisée. L'emploi technologique, vous le savez, mes chers collègues, s'est affaibli, et l'emploi scientifique au sein des entreprises reste parmi les plus faibles des pays développés. Depuis deux décennies, on enregistre un recul sensible du potentiel technologique dans les laboratoires et une dépendance technologique accrue, notamment dans le domaine de l'instrumentation scientifique.
Sur quels outils se formeront les étudiants de demain ? Avec quels outils les chercheurs travailleront-ils après-demain ? Qui aura la maîtrise de ces outils, et donc des orientations scientifiques dans l'avenir ? Dans ce domaine aussi, la recherche scientifique, plus que d'autres secteurs, ne souffre pas l'éphémère et a besoin de durée.
Si la recherche française reste à l'honneur - et je pense ici à Claude Cohen-Tannoudji, prix Nobel de physique, après Georges Charpak et Pierre-Gilles de Gennes - cela ne relève pas du hasard. En effet, outre le talent de nos chercheurs, la qualité reconnue de notre recherche au plan international est souvent associée à la valeur de cette organisation originale que représentent ses grands organismes publics, issus d'une grande période d'investissements qui s'est prolongée jusqu'au début des années soixante-dix. Cette période, fortifiée par une certaine ambition nationale, a été marquée par la construction d'instruments nationaux utiles aux avancées de la connaissance de ce dernier quart de siècle.
Partant des très grands équipements scientifiques, vous avez souhaité ici même, monsieur le ministre, privilégier les coopérations internationales. Que de fois, nous-mêmes, avons-nous appelé de nos voeux le développement desdites coopérations ! Bien que nécessaires, ces coopérations ne peuvent se substituer à une forte ambition nationale. La place de notre pays dans la coopération internationale scientifique sera avant tout fonction de l'ambition qu'il se donne dans ce domaine, et donc de la hauteur des moyens scientifiques dont il se sera doté.
Il faut remarquer que nos trois titulaires du prix Nobel appartiennent à une génération de scientifiques et de techniciens qui ont rendu possible les succès actuels. Cette génération part aujourd'hui massivement en retraite. Le vieillissement des équipes, provoqué par l'insuffisance du recrutement, peut rendre difficile la transmission des savoirs et des savoir-faire accumulés par les générations précédentes.
Pourtant, des dizaines de milliers de jeunes chercheurs, ingénieurs et techniciens formés dans les universités et les centres de recherche français connaissent aujourd'hui une crise des débouchés sans précédent et sont conduits à l'exil vers certains pays qui profitent à bon compte de ce formidable exode de cerveaux.
Il est de la plus haute importance d'offrir des débouchés à ces jeunes. Le crédit d'impôt recherche peut participer sur un mode incitatif au recrutement de nombreux jeunes, notamment dans les entreprises. Le projet de budget que nous examinons prévoit une provision de 50 millions de francs pour financer un dispositif d'accueil des doctorants en entreprise. Il serait souhaitable de préciser les modalités de son application.
Nous nous félicitons que la recherche fondamentale soit privilégiée au détriment des recherches à orientation « socio-économique », auxquelles le précédent gouvernement avait tant sacrifié. L'autonomie des établissements devrait y gagner.
Peut-être conviendrait-il également de redéfinir très vite les priorités des établissements publics scientifiques et techniques. Est-il sain que le budget du Centre national d'études spatiales soit amputé de 200 millions de francs ? Cette réduction aura, à n'en pas douter, des conséquences extrêmement dommageables dans un secteur où la concurrence internationale est rude.
Le souci de notre groupe, monsieur le ministre, est, vous l'aurez compris, que la recherche scientifique réponde au mieux aux intérêts de notre société tout en anticipant ses besoins, et ils sont nombreux.
Cette ambition, pour se réaliser, implique une sorte de « pari » sur l'avenir et nous impose de ne pas être frileux en matière d'investissements. La recherche ne saurait se satisfaire, à l'instar de la création artistique d'ailleurs, d'une visée comptable, voire gestionnaire. Vous le savez bien, monsieur le ministre, vous qui êtes un « semeur de désordre », au sens thermodynamique du terme. ( Sourires. )
Cela étant, le projet de budget répond pour partie à nos attentes. Cependant, il ne faudra pas relâcher l'effort ; il faudra même l'accentuer dans les prochaines années. Si, tout à l'heure, j'ai voulu saisir le moment où la recherche française est à l'honneur pour avancer quelques remarques, c'est parce qu'il me semble que ce moment doit être l'occasion non pas de célébrer la fin d'une brillante époque, mais plutôt de permettre à la communauté nationale de réfléchir et de construire son « à-venir », comme disait Louis Aragon, et celui de sa recherche.
Pour ce soir, nous voterons votre projet de budget, monsieur le ministre, en nous prononçant contre les amendements qui le dénaturent. ( Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes et sur certaines travées du RDSE. )
M. le président. La parole est à M. Neuwirth.
M. Lucien Neuwirth. Monsieur le président, monsieur le ministre de la recherche, mes chers collègues, quoi de plus universel que l'espace ? Mais, de là à déménager huit fois en dix ans la tutelle ministérielle sur le secteur spatial, c'est beaucoup !
Comme vous le savez, le Parlement français dispose en matière spatiale d'un réel outil de travail au travers du groupe parlementaire sur l'espace, tant à l'Assemblée nationale, sous la présidence de M. Pierre Ducout, qu'au Sénat.
Notre souci de participer de façon utile aux débats sur la politique spatiale nationale m'invite à profiter de cette discussion budgétaire pour vous livrer non seulement nos observations sur le projet de budget pour 1998, dans le prolongement de la discussion qui a lieu à l'Assemblée nationale, mais aussi nos espérances quant à l'élan qui peut et qui doit naître de la politique spatiale de la France. C'est pourquoi, monsieur le ministre, nous souhaitons votre engagement en faveur de l'espace et une volonté de n'ignorer aucun des enjeux et des débats qui en découlent.
Parmi les priorités de votre action, vous avez souhaité préciser les contours de notre coopération avec les Américains. Cette question est fondamentale car l'Europe n'a pas toujours eu à ce sujet une réponse claire. Notre indépendance stratégique et technologique est un préalable qui, à notre avis, n'est pas assez souvent rappelé.
Si certains ont cru voir disparaître la compétition, notamment dans le secteur spatial, avec la fin de la guerre froide, chacun sait ici qu'il n'en est rien. Le contexte certes a changé, mais les enjeux n'en ont été que renforcés. L'exemple des télécommunications par satellites suffit à en faire prendre conscience.
Mes chers collègues, dans le flou des coopérations, n'avons-nous pas perdu cet esprit de conquête qui a fait notre fierté dans le passé ? La France doit retrouver cet esprit et reprendre l'initiative en Europe afin de conserver une capacité réelle de concurrence envers les Etats-Unis, qui est le principal partenaire aujourd'hui, mais aussi pour l'avenir envers des pays comme le Japon ou la Chine, la Russie d'aujourd'hui étant de plus en plus liée aux Etats-Unis pour des raisons financières évidentes. Il suffit de constater ce qui se passe avec les fusées Pluton.
La France et l'Europe ne pourront prendre toute leur place dans ce contexte qu'en disposant d'un secteur spatial fort, c'est-à-dire d'une capacité d'innovation et de développement performante. Pour ce faire, la France doit faire des choix. Vous en avez d'ores et déjà exprimés plusieurs. Parmi ceux-là, vous savez l'attention que nous portons aux programmes Ariane 5. Il est essentiel que l'Europe conserve en matière d'indépendance d'accès à l'espace, une lisibilité à long terme. Or l'horizon aujourd'hui, vous le savez, c'est 2004... Nous devons donc retrouver une dynamique en matière de transport spatial.
Le chef de l'Etat vient de le rappeler : la maîtrise de l'espace est l'un des critères de la puissance. Il est essentiel qu'en matière de télécommunications, d'observation de la terre ou de recherche scientifique, notre effort soit maintenu et renforcé. Sans cela, nous perdrons naturellement toute perspective d'avenir.
La recherche et le développement constituent sans conteste le socle de notre politique spatiale. C'est pourquoi nous sommes sensibles à l'augmentation pour 1998 du budget civil consacré à la recherche et au développement.
Vous avez signalé à plusieurs reprises que la recherche connaissait une situation paradoxale en France, puisque 86 % de l'effort national de recherche étaient distribués entre douze entreprises alors que l'innovation technologique émerge très souvent dans les PME-PMI. Ce constat cache en vérité un double manquement.
Le premier est d'évidence : notre effort national en matière de recherche est nettement insuffisant. Le second est plus fondamental encore : si la recherche est un domaine vivant et aléatoire, elle requiert néanmoins la vision de l'Etat.
Aucun grand pays ne peut laisser sa recherche au seul bon vouloir des industriels. Les Etats-Unis, en ce domaine, conduisent une politique qui n'a rien de libéral. Là encore, l'Etat doit fixer des perspectives pour que chacun puisse s'y référer. Cet exercice, j'en conviens, est périlleux mais, ô combien nécessaire ! Cela me rappelle « l'ardente obligation du Plan ».
Monsieur le ministre, à plusieurs reprises, vous avez exprimé votre volonté de mettre en oeuvre une politique spatiale européenne autonome. Il nous paraît essentiel que cette démarche aboutisse à une définition claire de l'Europe spatiale et de son mode de décision politique. L'Europe spatiale est, pour le moins, un concept encore flou qui, de surcroît, ne peut plus être exclusivement tributaire de conseils ministériels épisodiques, où la représentation ministérielle n'est pas toujours adaptée aux enjeux, particulièrement sur le long terme.
Faut-il poursuivre à partir du cadre de l'ESA ? Faut-il conserver les agences nationales ? Faut-il revenir à une conférence spatiale européenne modifiée ? Quelle place accorder à des industries de plus en plus sollicitées financièrement ? Ces questions ont pour but de montrer que, sur le fond, les options sont nombreuses et les résultats fort éloignés les uns des autres.
Ce débat inclut bien évidemment celui de la place que nous voulons attribuer à l'Union européenne, qui n'est pas sans disposer d'atouts pour la politique spatiale, à la fois par ses sources de financement et sa capacité de négociation commerciale, en particulier par les moyens de rétorsion qu'elle peut brandir.
Quoi qu'il en soit, la réforme de l'Agence spatiale européenne ou celle du Centre national d'études spatiales ne trouveront d'utilité que si elles sont conduites dans un cadre général qui aura été préalablement et politiquement défini.
L'existence d'une véritable Europe spatiale offrira de surcroît un dispositif mieux adapté pour mener à bien les indispensables coopérations internationales. Ces dernières années l'ont bien montré, que ce soit en matière scientifique, dans le domaine de la connaissance de l'univers, pour l'observation de la terre ou encore pour le positionnement par satellites.
Vous vous êtes vous-même prononcé, monsieur le ministre, pour une participation européenne à l'exploration de Mars. Nous avons été heureux d'apprendre qu'une telle coopération était dorénavant à l'étude.
Lors de sa récente visite à Paris, M. Goldin, administrateur de la NASA, nous l'a confirmé.
Nous soutenons également les projets de coopération entre universités françaises et américaines, ainsi que les efforts que l'Europe produit en Russie et en Ukraine pour sauvegarder leur savoir-faire.
A quelques mois du lancement de Spot 4, il est indispensable que la filière d'observation de la Terre soit poursuivie. Vous en êtes conscient, nous le savons. Mais notre pays est bien loin d'exploiter la richesse que constitue la filière Spot.
Une demande publique est cruellement absente, que ce soit pour l'aménagement du territoire, l'agriculture ou l'environnement. Sommes-nous incapables dans ce domaine d'avoir une vision prospective des choses ?
Les 36 000 maires des communes françaises ont reçu l'image de leur territoire vu par satellite mais aucune des collectivités territoriales françaises, qui pourtant ont d'énormes besoins, n'a été associée à d'éventuelles exploitations techniques de cet outil fabuleux qu'est le satellite d'observation.
Ce besoin existe ; il doit émerger grâce à une structure de coordination opérationnelle qui pourrait être, par exemple, votre ministère. Ce qui est important est que cette démarche définisse des besoins spécifiques auxquels l'offre déjà existante pourra répondre.
Cela me permet néanmoins d'aborder le thème de la dualité civil-militaire. Votre volonté de faire naître des synergies est déterminante pour l'avenir. Sans qu'il soit besoin de revenir sur l'exemple américain, chacun sait combien de tels rapprochements sont efficaces. En ce moment, ce serait plutôt le contraire.
La situation de l'Europe en matière de télécommunications est préoccupante. A Genève, lors des conférences mondiales des radiocommunications, nous avons obtenu en partie satisfaction, mais cela reste insuffisant et on peut se montrer inquiet devant le grand nombre de fréquences demandées, par exemple, par le président-directeur général de Microsoft, M. Bill Gates. Or, vous le savez, le nombre de fréquences n'est pas illimité. Ne risquons-nous pas de nous retrouver un beau jour avec un big brother ?
Les principaux consortiums, notamment de téléphonie mobile, sont américains et ont d'ores et déjà commencé à mettre sur orbite leurs satellites. Mais des projets concurrents, comme Skybridge ou Célectri, sont explorés. Il est vital que l'Europe soit présente et active dans ce domaine, dont le caractère stratégique n'échappera à personne.
Vous qui êtes un chercheur, monsieur le ministre, vous savez ce qu'est l'esprit de découverte. Les grands navigateurs d'antan partaient sans trop savoir ce qu'ils allaient trouver ; aujourd'hui, l'esprit de découverte est désormais dans l'espace. C'est ainsi que, par exemple, avant son départ, personne n'imaginait que Voyager allait découvrir un satellite de Jupiter comportant un océan recouvert d'une croûte de glace. C'était totalement inattendu et imprévisible.
Aujourd'hui, Galiléo est en train de faire des photographies impressionnantes de ce satellite.
Les grandes puissances du xxie siècle seront les puissances spatiales, et la compétition sera rude. Cependant, l'aspect commercial de l'espace n'échappera à personne. Dans une période caractérisée par la faiblesse des budgets, on peut regretter que la logique de la rentabilité commerciale de notre activité spatiale n'ait pas été plus et mieux développée. Il reste, là aussi, d'énormes progrès à faire et peut-être, avant tout, dans les esprits.
Il faut faire vite, monsieur le ministre. Savez-vous par exemple que, déjà, les pénétrateurs japonais ont trente mille fois la pesanteur terrestre ?
Vous l'avez dit, vous n'êtes pas favorable aux vols habités. Pourtant, nous n'échapperons pas à une coopération homme-robot.
C'est pourquoi il nous faut former dès aujourd'hui les spationautes pour le siècle prochain.
Un autre des problèmes que n'a pas encore résolu la recherche spatiale française est la rentrée dans l'atmosphère. Nous ne pouvons, dans ce domaine, rester en arrière. Les enjeux de l'espace sont résolument tournés vers l'avenir. C'est en tout cas la façon dont nous l'avons entendu, et c'est principalement en ce sens que nous souhaitons poursuivre notre réflexion et voir votre budget confirmer nos espérances. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Habert.
M. Jacques Habert. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour apprécier les crédits de la recherche scientifique et technique, nous avons la chance d'avoir à notre disposition, dans notre assemblée, pas moins de trois rapporteurs venant de trois commissions : pour les finances, M. Trégouët, pour les affaires culturelles, M. Laffitte, pour les affaires économiques, M. Rausch. Nous connaissons leurs compétences.
Le sérieux et l'excellence de ces rapports nous dispensent de reprendre les données générales qui nous ont été fournies. Je bornerai donc mon propos à deux ou trois remarques fondées sur les observations que j'ai pu faire à l'étranger.
Vous le savez, mes chers collègues, nous n'avons pas encore réussi en France à forger la continuité nécessaire entre la recherche et les entreprises, entre l'université et l'industrie, entre les enseignements supérieurs et l'emploi, alors que cette symbiose indispensable fonctionne fort bien dans plusieurs pays, aux Etats-Unis notamment.
Vous connaissez les graves conséquences de cet état de fait : puisqu'on ne trouve pas d'emploi en France, puisqu'on ne peut pas y compléter ses recherches, on part à l'étranger. Ce sont maintenant des milliers de jeunes Français qui vont s'établir à l'extérieur, notamment en Grande-Bretagne, aux Etats-Unis, en Extrême-Orient, dans tous les pays performants. L'hebdomadaire Le Point a publié la semaine dernière un article tout à fait éloquent à ce sujet.
Après les délocalisations industrielles, après les entreprises installées à l'étranger, voilà maintenant que les meilleurs de nos jeunes partent au loin !
Certains y réussissent fort bien. Quelques jeunes Français spécialistes de l'informatique sont devenus millionnaires en quelques années dans la Silicon Valley, en Californie. A Hong Kong vivent des jeunes Français - ils se comptent par dizaines - qui ont créé leurs petites entreprises et ont réussi à les développer de façon tout à fait remarquable.
M. Jean-Louis Carrère. Ce sont eux qui vous élisent !
M. Jacques Habert. Notre rapporteur, M. Trégouët, a cité le chiffre des départs en une année, un chiffre tout de même étonnant : 80 000, a-t-il dit, d'après les estimations du ministère des affaires étrangères.
Le sénateur des Français de l'étranger que je suis s'en félicite. Le nombre de nos ressortissants se multiplie.
M. Jean-Louis Carrère. Alors, on va vous garder !
M. Jacques Habert. Il est d'ailleurs excellent pour notre expansion économique que de nombreux Français partent à l'étranger : un emploi trouvé à l'étranger, c'est un chômeur de moins en France.
M. Jean-Louis Carrère. Et un sénateur de plus !
M. Jacques Habert. Il faut qu'il y ait des départs...
M. Lucien Neuwirth. Il ne faudrait pas que ce soient les meilleurs qui partent !
M. Jacques Habert. Bien sûr ! A cet égard, le simple citoyen français que je suis ne peut s'empêcher de manifester quelque inquiétude. Si un équilibre ne se crée pas entre ceux qui restent en France et ceux qui partent à l'étranger, notre pays risque d'en subir de graves conséquences ; c'est un problème auquel il faut réfléchir.
Permettez-moi de citer des exemples précis. J'ai eu l'occasion de connaître les problèmes posés concrètement par certains travaux post-doctoraux dans des pays étrangers que je ne citerai pas - vous les connaissez, monsieur le ministre - dans des pays où la recherche universitaire et scientifique bénéficie, sans que l'étudiant-chercheur le sache quelquefois, des aides, des subventions, des financements de grands groupes industriels.
Les échanges universitaires sont une très bonne chose mais, dans des cas précis, nous les avons vu se transformer en véritables transferts de connaissances et de technologies au bénéfice d'entreprises étrangères et, parfois, dans des domaines stratégiquement sensibles comme l'aéronautique ou les biotechnologies. J'ai eu ainsi l'occasion de constater que ce que des chercheurs français ont trouvé a été utilisé au détriment de certaines de nos entreprises nationales.
Dans un domaine très particulier, notre collègue M. Darniche m'a demandé de souligner les carences évidentes des moyens accordés à la recherche sur la toxicomanie.
Trop souvent, les crédits affectés par le Gouvernement sont destinés à l'application pure et simple des programmes de sevrage à la métadone ou au temgésic, qui, fort malheureusement, maintiennent le drogué sous dépendance. Seuls la recherche fondamentale et les moyens financiers adéquats permettront à nos chercheurs de trouver enfin le remède miracle à ce terrible fléau que l'on a appelé « la stupéfiante maladie du siècle ».
En conclusion, je dirai que le vote du budget de la recherche et de la technologie est le moment fort pour prendre la pleine mesure de l'indispensable valorisation de la matière grise de notre pays, matière grise que nous devons absolument garder en France dans une grande proportion.
Nous devons mobiliser nos moyens tant humains que financiers pour pouvoir inventer, innover et surtout mettre en application nos découvertes à des fins utiles, à la fois pour le rayonnement de notre pays mais surtout pour la création d'emplois.
Telles sont les observations que, rapidement, dans le peu de temps qui m'est imparti, je souhaitais faire. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Revol.
M. Henri Revol. Monsieur le ministre, je ne citerai pas, pour ne pas alourdir la discussion, les chiffres des crédits inscrits au budget de votre ministère, ni ceux du budget civil de recherche et de développement, le BCRD. Ils ont été fort bien analysés par nos exellents rapporteurs.
Globalement, ce budget s'arrime sur des priorités que nous ne contestons pas : la relance de l'emploi scientifique et le soutien à l'innovation. Ainsi, j'approuve clairement les augmentations du nombre d'allocations de recherche pour les étudiants préparant le doctorat, ainsi que celle du nombre de CIFRE, les conventions industrielles de formation pour la recherche.
Chacun sait que l'avancée de la recherche est conditionnée par le talent et le dynamisme des hommes, par l'impulsion donnée à la recherche fondamentale, par sa nécessaire valorisation technologique. Il faut donc laisser se développer les initiatives et faire en sorte que les fondamentalistes aient toute leur place dans ce creuset.
Ne perdons pas de vue que la recherche fondamentale doit rester prioritaire dans le long terme, même si le débouché de ses applications sur les emplois du futur est actuellement un enjeu économique et social.
Ainsi, il n'est pas tolérable que 3 000 docteurs ès-sciences soient au chômage. La nation doit veiller à l'intégration professionnelle et sociale de ses élites. Sinon, nous aurons à déplorer longtemps la fuite régulière de nos cerveaux à l'étranger. Certains chiffres ont été cités : on dit que 80 000 jeunes diplômés auraient quitté notre pays en un an.
Quant à l'innovation, elle est la clef de l'aboutissement des projets, de la compétitivité de nos entreprises, de notre position internationale. Il est urgent de la développer, dans la lignée des mesures qui avaient été initiées par le gouvernement de M. Juppé ; je pense aux fonds de placement pour l'innovation, dont vous reconnaîtrez, monsieur le ministre, qu'ils étaient attendus et qu'ils furent reconnus en leur temps par la communauté des chercheurs.
La France tient actuellement la troisième place mondiale pour son effort de recherche par rapport au PIB ; c'est un point à souligner. Il faut maintenir cette position car la concurrence internationale est rude, sur le plan des publications, des applications des recherches. Sous cet angle, la situation de notre pays est encore insuffisante : il détient 5 % de la part mondiale des publications, 15 % de la part européenne et 8,3 % des contributions aux dépôts de brevets européens et mondiaux.
Il faut créer des passerelles entre recherche publique et entreprises. Dans ce sens, l'exemple des programmes REACTIF et PREDIT, qui prévoient un engagement des entreprises à accueillir des chercheurs des organismes publics, va dans le bon sens.
Je ne peux que souscrire au dispositif prévoyant, dans ce projet de loi de finances, la création de bons de souscription de parts de créateurs d'entreprises, pouvant bénéficier aux PME innovantes.
Vous avez récemment déclaré, lors de la clôture du colloque « Bio-avenir » sur un programme de recherche sur cinq ans engagé entre l'Etat et Rhône-Poulenc, que l'argent public de la recherche serait désormais réservé aux PME innovantes. Pouvez-vous nous indiquer selon quelles priorités et quels critères objectifs sera opérée la répartition ?
Je souhaite rendre hommage à notre collègue Pierre Laffitte pour ses nombreuses propositions tendant à dynamiser la recherche. Je retiens notamment la proposition de loi visant à permettre aux chercheurs des organismes publics de participer à la création d'entreprises innovantes, dans la lignée des intentions tracées par votre prédécesseur, monsieur le ministre.
Je considère également qu'on aurait tout intérêt à assouplir les textes réglementaires actuels afin de faciliter le détachement ou la mise à disposition à temps partiel des chercheurs ayant le statut de fonctionnaire.
Je suis en outre d'accord avec M. Jean-Marie Rausch sur la nécessaire poursuite de l'effort de régionalisation des activités de recherche, qui doivent être réparties sur l'ensemble du territoire national.
Après ces considérations générales, je voudrais centrer mon intervention sur trois sujets précis.
Le premier concerne les conséquences de l'arrêt annoncé de Superphénix sur les recherches effectuées au titre de l'axe 1 de la loi de 1991, portant sur les déchets radioactifs.
J'ai eu l'honneur d'être le rapporteur de ce texte, et j'ai été rassuré par la récente prise de position gouvernementale mettant fin aux polémiques sur la priorité qui aurait pu être donnée au stockage en surface des déchets, au détriment des deux autres voies que la loi préconise d'explorer. Le Gouvernement s'en tient à la loi, qui s'impose à tous : cela nous agrée.
Cela étant, l'arrêt programmé de Superphénix, dont le Gouvernement, semble-t-il, définira les modalités dans la première quinzaine de décembre, pose à l'évidence le problème de la reconversion des recherches en cours sur la transmutation des actinides mineurs. J'avais noté, au mois de juillet dernier, que vous suggériez, monsieur le ministre, d'utiliser Phénix. Plaidez-vous toujours pour cette voie ?
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Oui !
M. Henri Revol. Vous connaissez, monsieur le ministre, la vieillesse de cette installation. Faute d'avoir le temps de construire un nouveau Phénix - ce qu'envisagent certains scientifiques irréalistes, d'ailleurs adversaires de Superphénix depuis les origines -, car il convient de respecter l'échéance de 2006 fixée par la loi de 1991, il faudrait autoriser le redémarrage de Phénix et donc procéder sans doute à d'importants travaux.
En outre, les crédits consacrés aux trois voies sont en augmentation dans le projet de budget. Pouvez-vous nous préciser, monsieur le ministre, quelle sera la répartition entre chacune des trois voies ? Pour mémoire, les recherches sur la transmutation bénéficiaient de 400 millions de francs en 1997.
Enfin, je souhaiterais savoir où en est le programme GEDEON, établi entre le CEA et le CNRS, pour l'étude d'une nouvelle filière de production d'énergie et d'incinération d'actinides et de produits de fission, sur la base des propositions du prix Nobel Carlo Rubia.
J'en viens à mon deuxième point : la politique spatiale, évoquée avec pertinence par notre rapporteur spécial, ainsi que par M. Neuwirth.
Vous avez déclaré à l'Assemblée nationale qu'il fallait faire des choix. Parmi ces choix, vous avez décidé de réduire le budget des vols habités qui, à votre avis, coûtent très cher et rapportent peu.
De même, les programmes CRV et CTV - cruise rescue vehicle et cruise transport vehicle, c'est-à-dire les véhicules de transport et de secours se rendant à la navette - ne seront pas engagés.
Toutefois, la France, qui n'a qu'une parole, participera, sous limitation de ressources, à la station spatiale internationale.
C'est pourquoi je souhaite savoir comment la France et l'Europe participeront concrètement à la station.
A l'occasion de son déplacement en Guyane, le chef de l'Etat s'est prononcé en faveur de l'étude d'un véhicule de transport, moins onéreux que la navette, susceptible d'envoyer des astronautes à bord de la station et de les faire revenir sur la terre.
Nous connaissons votre position hostile sur ce point. Il reste qu'un des enjeux spatiaux pour l'avenir est la réduction des coûts de lancement. Cette perspective passe par l'étude de lanceurs réutilisables. Or cette technologie fait appel à celle de la rentrée dans l'atmosphère, ce qui renvoie aux travaux de l'ARD, l' Atmospheric re-entry development ou du CRV.
Ce qu'on présente comme une nuance de points de vue entre le Président de la République et vous, monsieur le ministre, peut-il trouver une expression concrète à travers cette recherche ?
Enfin, troisième et dernier point, les dotations budgétaires au CEA sont une source d'inquiétude, comme l'on souligné nos rapporteurs.
En 1998, la réalisation des objectifs civils du CEA représente un budget de 11 milliards de francs, financé pour 5,8 milliards de francs par une subvention de fonctionnement de l'Etat, inscrite au titre III du budget de l'industrie et du budget de la recherche, et pour 4 milliards de francs par des contributions des industriels dans le cadre de contrats de recherche. Le solde, soit 1,2 milliard de francs, correspond au montant des investissements du CEA et a vocation à être couvert par une subvention du titre VI des ministères de l'industrie et de la recherche.
Or, depuis 1995, cette subvention d'investissement a été débudgétisée, et le CEA a dû s'endetter de 285 millions de francs auprès de CEA-Industrie. En 1998, le CEA devra à nouveau mobiliser 525 millions de francs auprès de CEA-Industrie.
Mais la situation est particulièrement critique dès cette année, car les réserves de CEA-Industrie ne suffisent pas à assurer les besoins de financement exceptionnels. Le CEA ne peut plus obtenir de CEA-Industrie des ressources exceptionnelles qu'en procédant à des cessions d'actifs, lesquelles ne sont pas décidées.
Pour que le CEA puisse poursuivre ses programmes de recherche et apporter les résultats que les pouvoirs publics attendent de lui en vue de maintenir l'option nucléaire ouverte à l'horizon 2015, il conviendrait de mettre fin aux débudgétisations - et je regrette au passage que les gouvernements précédents les ai laissé s'instaurer -...
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Merci !
M. Henri Revol. ... et d'ouvrir les crédits nécessaires à la réalisation des investissements en cours.
Je vous remercie par avance, monsieur le ministre, des réponses que vous voudrez bien apporter à mes remarques et interrogations.
Le groupe des Républicains et Indépendants suivra les recommandations de notre commission des finances sur ce budget.
En ce qui me concerne, j'arrêterai ma décision finale en fonction de vos réponses. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie à l'avance de m'excuser si, à cette heure avancée, je ne fais que répondre trop brièvement sur certains sujets. Sans doute la fatigue aura-t-elle sa part dans un éventuel manque de précision de ma part.
Je rappellerai d'abord que la première des priorités de ce budget et de la politique que nous voulons mener concerne les personnels. Je ne le répéterai jamais assez : les hommes, les hommes, les hommes !
M. Michel Charasse. Et les femmes ?
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Il convient de reprendre le recrutement de chercheurs et d'enseignants-chercheurs ; notre appareil de recherche connaissait en effet une tendance au vieillissement.
Cette année, au total, seront ainsi offerts à l'ensemble des doctorants 5 000 postes nouveaux, soit dans l'enseignement supérieur soit dans la recherche.
Cela va en outre nous permettre d'absorber ce stock de doctorants qui est effectivement un scandale compte tenu de l'investissement que chacun d'entre eux a représenté pour la communauté nationale.
Afin que ce phénomène ne se reproduise plus, nous voulons désormais coordonner étroitement la « production » des docteurs. C'est pourquoi nous allons mettre en place, pour le financement des bourses de thèse, une agence indépendante du ministère. En effet, selon moi, les administrations centrales ont vocation non pas à gérer mais à impulser, à coordonner.
M. Lucien Neuwirth. Tout à fait !
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Cette agence sera animée conjointement par des représentants de l'Etat et des représentants des entreprises privées. Celles-ci participeront donc à la dévolution des bourses, comme c'est actuellement le cas au Japon.
Il s'agit de coordonner les allocations de thèse et, en même temps, de les adapter aux besoins de notre économie et de notre recherche, de manière à favoriser les transferts.
S'agissant de la mobilité des chercheurs, nous allons mettre en place un dispositif qui assurera, me semble-t-il, des conditions satisfaisantes de passage des chercheurs entre les organismes publics de recherche et l'enseignement supérieur. Pourquoi utiliser le futur ? Parce que nous ne pouvons pas, en vertu du principe de l'autonomie des établissements, créer des postes dans l'enseignement supérieur si les établissements ne les réclament pas. C'est la loi ! Par conséquent, il faut attendre que les conseils votent et que toute une procédure ait suivi son cours. Mais la possibilité est là.
Pour ce qui est du transfert des chercheurs - surtout s'ils ont « blanchi sous le harnais » - vers des entreprises privées, je ne me fais guère d'illusions. Il y a à cela tout un ensemble de raisons, notamment psychologiques.
Cela étant, nous présenterons un texte qui ressemblera à celui que M. d'Aubert avait préparé pour permettre aux chercheurs d'effectuer une mobilité vers le privé ou de créer une entreprise. Mais je sais bien que, depuis 1981, tous les gouvernements successifs, de droite et de gauche, se sont efforcés de trouver des mécanismes pour encourager cette mobilité et qu'elle reste tout à fait marginale.
En revanche, je crois profondément au passage dans le privé des docteurs qui viennent de soutenir leur thèse, dans le privé, que ce soit en rejoignant une entreprise ou en en créant une. C'est pourquoi nous mettons en place, pour les jeunes docteurs, un système de capital-risque et des bourses post-doctorales leur permettant de s'intégrer dans des PME-PMI. Car c'est bien là que se situe le problème : les grandes entreprises, elles, ont de quoi financer les transferts. Or ce sont les PME-PMI qui en auraient le plus besoin.
Quant aux postes d'accueil, je vous livre un chiffre : l'INSERM, en 1998, utilise 30 % de ses postes pour l'accueil.
Je vous ai déjà parlé de la table ronde sur les ATOS.
Telle est la politique de rajeunissement des personnels de recherche que nous entendons mener. Elle est essentielle.
J'ai dit à plusieurs reprises qu'une de nos priorités actuelles consistait à restaurer les crédits de fonctionnement...
M. Pierre Laffitte, rapporteur pour avis. Très bien !
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. ... par rapport aux crédits relatifs aux gros équipements. Mais cela ne veut pas dire que les crédits de gros équipements seront inexistants. Cela signifie que l'on donne une priorité pour un temps.
Cette priorité, ce ne sont pas seulement les 2 ou 3 % qui figurent dans le projet de budget. Au sein même des organismes qui disposent d'une certaine autonomie, cette priorité se traduira dans leurs budgets : les laboratoires connaîtront donc des augmentations sur les crédits de fonctionnement qui seront de l'ordre non pas de 2 % mais de 10 à 15 %.
J'ai été étonné d'entendre certains - non pas parmi les sénateurs, c'est vrai - faire des commentaires sans comprendre le mécanisme, qui est double : on inscrit les crédits au budget et on donne des instructions au niveau des organismes pour leur affectation.
La deuxième grande priorité est de s'assurer que l'équipement « calcul et communication » est correct. Tout à l'heure, j'ai dit qu'on avait laissé se détériorer le réseau RENATER. Nous tenons à lui redonner une capacité de transmission convenable ; il sera relié aux réseaux allemand et anglais des universités allemandes et anglaises.
Je précise, au passage, que nous devrions avoir notre réseau européen interuniversitaire avant que la Commission européenne ait fini de définir le sien.
M. Pierre Laffitte, rapporteur pour avis. Ce n'est pas étonnant !
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Par conséquent, ce réseau de calcul sera en place.
Ensuite, il faudra s'intéresser au problème des équipements moyens des laboratoires, qui ont vieilli, l'un des intervenants l'a dit. Il faut donc faire en sorte que le renouvellement de ces équipements qui, dans des équipes comme celles de Claude Cohen-Tannoudji ou de Pierre-Gilles de Gennes, constituent l'essentiel des moyens de l'activité de nos chercheurs soit assuré.
Venons-en aux grands équipements.
J'ai dit, et je le répète, que je souhaitais que les grands équipements soient européens. Parce qu'ils permettent de construire l'Europe. Parce que, lorsqu'ils sont européens, ils sont utilisés à plein temps, alors que, lorsqu'ils sont français, ils s'arrêtent gentiment de fonctionner le vendredi à dix-sept heures.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Ce sont les trente-cinq heures !
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. En même temps, leur coût devient inférieur.
Cela étant dit, je voudrais faire un commentaire sur des pratiques qui ont eu lieu dans le passé et que, personnellement, je n'approuve pas.
Le projet SOLEIL - puisque vous voulez que j'en parle - n'est pas un projet qui tombe du ciel... ni même du soleil ! Il est issu du cerveau de chercheurs qui réalisent un projet, avec une idée de localisation.
Cette technique qui consiste, après qu'ils ont conçu et inventé un projet, à le leur prendre pour en faire cadeau à d'autres est scandaleuse sur le plan de la morale.
M. Lucien Neuwirth. C'est vrai !
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Si telle ou telle région a envie d'avoir un appareil, elle n'a qu'à l'inventer et le proposer, en ayant préalablement recruté des chercheurs pour le faire fonctionner. Mais je récuse cette pratique qui a consisté à transférer ailleurs tel ou tel équipement qui devait se trouver à tel endroit. Je ne citerai pas d'exemple concret pour ne fâcher personne...
M. Jean-Louis Carrère. On a compris !
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Il est clair que certains projets n'ont pas bien marché pour cette raison.
En un mot, les hommes avant les machines !
Que ceux qui veulent du développement scientifique - et je suis prêt à les aider ! - commencent par constituer des équipes de physiciens ou de chimistes en tel point du territoire, équipes qui elles-mêmes, concevront des équipements nécessaires à la poursuite de leurs recherches.
Mais n'allons pas mettre des appareils dans un désert ! Cela n'a jamais marché. L'expérience prouve que les hommes ne suivent pas les machines.
Le dernier point concernant le fonctionnement de la recherche - personne n'en a parlé ; il s'agit pourtant d'un point important - c'est la « débureaucratisation ». Ce n'est pas une manie chez moi ! Je crois simplement qu'il faut que les chercheurs passent plus de temps à chercher et moins de temps à remplir des papiers et à participer à des commissions.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Très bien !
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Quand j'ai commencé mon travail de recherche, nous avons été un certain nombre à nous révolter contre la situation de l'époque : on faisait de la recherche pendant sa thèse ; ensuite, on était nommé professeur et on ne faisait plus de recherche.
Cette situation a été complètement inversée par ma génération, qui a vu des gens faire effectivement de la recherche : c'était mon cas voilà encore quelques semaines, celui de mon ami Pierre-Gilles de Gennes, celui de Claude Cohen-Tannoudji, qui fait encore de la recherche aujourd'hui, à plus de soixante ans.
Nous sommes en train de constater que, par suite d'un souci excessif de programmation de la recherche, de planification exagérée, on organise des réunions, on fait remplir des papiers... Actuellement, les chercheurs, notamment en province, passent leur temps dans des avions pour venir assister à des réunions à Paris et consacrent de moins en moins de temps à la recherche. On se retrouve maintenant, dans nombre de cas, dans la situation que j'ai connue, celle dans laquelle les thésards effectuent l'essentiel de la recherche. Cela ne me paraît pas sain, car la recherche est une course de fond et on accumule par l'expérience des tas d'idées qui permettent de la développer.
Il est important de libérer le temps des chercheurs, ce que font magnifiquement nos collègues anglais en faisant remplir des formulaires extrêmement courts et en s'arrangeant pour que la bureaucratie soit réduite au minimum.
Songez que le CNRS se trouvait autrefois dans un magnifique siège au bord de la Seine. Il a commencé par transformer ses bureaux en salles de réunion parce qu'il n'en avait pas assez. Ensuite, il a loué des locaux à l'Assemblée nationale, parce qu'il n'avait toujours pas assez de salles de réunion. Puis, comme ses locaux étaient toujours insuffisants, il est parti dans un autre siège... Et comme ce ne sont pas des opérateurs financiers extraordinaires, l'ancien siège a été vendu trois fois, avec doublement du prix à chaque fois ! Je me disais l'autre jour : s'ils continuent ainsi, ils vont encore construire des locaux pour en faire des salles de réunion. Parkinson lui-même n'aurait pas fait mieux ! (Sourires.)
Il faut stopper cette inflation de réunions ! Naturellement, en période de vaches maigres, c'est très bien, parce que les chercheurs dépensent beaucoup moins en participant aux réunions qu'en travaillant dans des laboratoires. Mais je ne pense pas que ce soit une bonne chose !
Pourquoi cette « débureaucratisation » ne se voit-elle pas ? Simplement, parce que j'ai demandé aux directeurs des organismes de s'en charger. Chacun y procède à son rythme. Cela ne peut pas se faire du jour au lendemain ! On devrait y parvenir progressivement, à une allure raisonnable.
J'en viens maintenant aux structures.
Il est vrai qu'il existe beaucoup d'organismes de recherche. Il est également vrai que leurs missions ne sont plus très claires. Sous des prétextes de diversification, tout le monde fait à peu près n'importe quoi.
Il me paraît nécessaire de remettre de l'ordre peu à peu. Mais il ne faut surtout pas casser ce qui est positif. Par conséquent, je ne veux pas élaborer une loi qui tendrait à regrouper les gens par rang... ou par deux... car cela casserait les efforts de recherche.
Pour l'instant, on ne touche donc pas à cela ! Mais on va probablement mettre en place une structure sans murs, qui prendra la forme soit d'une agence, soit d'un centre national de recherche technologique, afin de coordonner deux types de recherches essentielles : d'une part, les recherches sur le vivant, notamment sur les biotechnologies, qui s'effectuent dans des organismes très divers et qui, actuellement, souffrent d'un manque de coordination - l'INSERM, le CEA, le CNRS, l'INRA et un certain nombre d'autres ; d'autre part, les recherches sur les technologies liées à l'information et à l'électronique - après avoir connu un succès limité du plan dit « des filières électroniques », ces organismes ont, indépendamment, développé d'excellentes recherches électroniques de pointe, que ce soit le CNET, le CNES, le CEA ou les laboratoires universitaires.
Une coordination est donc nécessaire ! Elle est sans doute également utile dans un troisième secteur, mais nous aurons l'occasion d'en reparler lorsque la mission conjointe, qui a été confiée à M. Sillard et à M. Pelat pour rapprocher le CNES et l'ONERA, aura rendu ses conclusions. Nous verrons alors si, en matière de recherche aéronautique, la coordination ne devrait pas être plus importante. En ce qui concerne le CNES, j'y reviendrai.
Notre deuxième priorité, s'agissant des structures de recherche, est de favoriser la recherche médicale en y mettant un peu plus de médical, c'est-à-dire en privilégiant la recherche sur le médicament, sans rien enlever de ce qui existe, mais en rajoutant un peu plus de recherche clinique, d'essais thérapeutiques, d'informatique médicale, ce qui sera la grande novation de demain.
La télémédecine, qui permettra d'envoyer certains paramètres directement aux médecins, est quelque chose d'essentiel, y compris pour faire baisser les déficits de la sécurité sociale. Par conséquent, ces recherches doivent être menées à bien.
J'en viens au CEA. Pour l'instant, nous avons des contacts très fructueux avec l'administration de ce centre. Son financement est un peu moins acrobatique cette année, puisqu'on a rebudgétisé une part importante de ce qui avait été sorti du budget l'année dernière.
Il convient de s'interroger sur le mode de financement du CEA en réfléchissant à des rapprochements possibles entre les divers acteurs qui financent la recherche nucléaire.
Le CNET. Les milliards de francs qui ont été évoqués sont financés grâce à une loi qui oblige toute entreprise de télécommunications, dont France Télécom, à consacrer 5 % de son chiffre d'affaires à la recherche. Par conséquent, il s'agit d'un financement qui est alimenté à la fois par France Télécom et par les entreprises.
Je suis aussi attentif à ce que cette manne ne s'évapore pas. C'est la raison pour laquelle M. Michel Petit, ingénieur général des télécommunications et directeur de la recherche à l'Ecole polytechnique, est chargé d'établir un rapport qui porte, en particulier, sur les moyens de développer ce financement.
M. Pierre Laffitte, rapporteur pour avis. Me permettez-vous de vous interrompre, monsieur le ministre ?
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Je vous en prie.
M. le président. La parole est à M. Laffitte, rapporteur pour avis, avec l'autorisation de M. le ministre.
M. Pierre Laffitte, rapporteur pour avis. Monsieur le ministre, le problème de cette manne est lié à des décrets d'application et à des arrêtés qui sont extrêmement préoccupants, car ils conduisent à la disparition pure et simple de ces organismes !
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur le ministre.
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Je vous rappelle, monsieur le sénateur, que le présent Gouvernement n'a pas suivi le précédent : France Télécom n'a pas été privatisée ! Cette société demeure sous le contrôle de l'Etat. Par conséquent, nous exerçons un meilleur contrôle. Nous aurons l'occasion d'y revenir, mais je voulais vous apporter cette précision.
J'ai dit que l'une des priorités était la technologie et la création d'entreprises dans les domaines de la technologie. Cela passe par des mesures financières multiples.
Il s'agit, d'abord, du capital-risque ; vous l'avez rappelé. Toutefois, contrairement à ce que l'on a pu entendre ici ou là, je ne crois pas que ce mécanisme permettra réellement une prise de risque s'il est piloté par Bercy. Le capital-risque doit être investi dans des entreprises qui adoptent une attitude de prise de risque et qui développent ensuite les résultats de leurs risques.
Nous nous efforçons de le faire, notamment dans les technologies de l'éducation, avec un certain nombre de grands groupes qui acceptent d'investir dans ce domaine.
Par ailleurs, des supports juridiques sont nécessaires. Nous avons donc rétabli les stockoptions pour les entreprises innovantes.
Le crédit d'impôt recherche sera probablement étendu lors de la discussion sur le renouvellement de cette mesure. Il sera concentré sur les PME et les PMI.
Les chercheurs et les universitaires créant des entreprises auront également la possibilité de bénéficier de l'infrastructure de leur laboratoire pendant deux ans.
Par ailleurs, sur le plan psychologique, nous allons demander à ce qu'un petit enseignement juridique et financier soit mis en place dans tous les troisièmes cycles scientifiques, afin d'expliquer systématiquement aux étudiants comment on crée une entreprise, comment on se procure de l'argent, comment on emprunte, comment on gère un capital-risque.
Enfin, je confirme que M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, M. le secrétaire d'Etat à l'industrie et moi-même avons la volonté de donner par priorité l'argent de l'Etat aux PME et aux PMI. Cela ne signifie pas que les grands programmes d'investissement seront touchés, comme les grands programmes aéronautiques, qui sont d'ailleurs très souvent beaucoup plus des programmes de développement que de recherche.
Mais il ne nous paraît pas très efficace d'aider les grandes entreprises. En effet, elles absorbent cet argent mais, si elles ne décident pas elles-mêmes du thème de leurs recherches et de leurs orientations, elles ne s'y investissent pas complètement. J'ai cité tout à l'heure à ce propos l'exemple de l'électronique. Il faut qu'elles engagent leur argent pour vraiment s'impliquer dans un projet.
En revanche, les PME et les PMI ne peuvent pas investir à long terme. Nous allons donc essayer de les y aider. Mais cela ne se fera naturellement pas en un jour. Les programmes en cours qui ont été tissés avec les grandes entreprises ne seront pas arrêtés du jour au lendemain ; nous ne les casserons pas. Il s'agit simplement de donner une orientation.
Pour conclure, je voudrais répondre à une série de questions que vous m'avez posées, mesdames, messieurs les sénateurs.
La fuite des cerveaux, monsieur Habert, est beaucoup moins massive que vous ne l'avez dit.
M. Jean-Pierre Cantegrit. Elle existe !
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Il est vrai qu'elle existe - je ne le nie pas - et ce pour de multiples raisons.
D'abord, nos jeunes chercheurs parlent désormais anglais, ce qui n'était pas le cas voilà quinze ans. La barrière de la langue ne joue donc plus.
Compte tenu de l'attrait qu'exerce l'Amérique, un certain nombre de chercheurs s'y installent pour des raisons liées à la qualité de vie et aux conditions de travail dans les laboratoires. Jusqu'à présent, quelques-uns y allaient aussi pour créer des entreprises, dans la Silicon Valley et sur la route 128.
La situation n'est cependant pas dramatique ; ce phénomène n'a pas la même ampleur que celui que connaissent nos amis anglais, par exemple.
Pour autant, il ne s'agit pas de se satisfaire de cette situation. Dans le contexte de la mondialisation, il me paraît tout aussi important d'attirer des chercheurs étrangers.
C'est pourquoi la loi sur l'immigration que présentera M. Jean-Pierre Chevènement comprend une mesure extrêmement importante qui permettra aux chercheurs et aux professeurs étrangers de venir en France dans des conditions qui ne seront pas les mêmes que celles qui leur étaient réservées jusqu'à présent. Ainsi, ils ne seront plus obligés de faire des queues interminables dans les préfectures de police pour obtenir un titre de séjour. Un visa et un titre de séjour leur seront délivrés au départ par le consulat. L'arrivée de chercheurs étrangers se trouvera donc facilitée.
En matière de nouvelles technologies, la France n'est pas aussi mal placée que certains l'affirment. Vous allez pouvoir vous en rendre compte : mon ministère organisera, en effet, au mois de janvier un colloque sur les recherches françaises dans ce domaine. Vous serez surpris de constater les innovations considérables au niveau français et les efforts que nous faisons pour diffuser ces nouvelles technologies.
S'agissant de Superphénix, je fais partie de ceux qui considèrent que Superphénix fut une erreur. Je ne suis d'ailleurs pas le seul puisque M. Horowitz, qui était le plus grand spécialiste des piles, et M. Dautray, l'actuel haut-commissaire du CEA, le pensaient aussi.
Le surgénérateur a été construit pour des raisons diverses, et je pense que le Gouvernement a raison de mettre un terme à ce gouffre financier. Il est toujours difficile d'arrêter un gouffre financier. Les Américains nous ont donné l'exemple quand ils ont décidé d'arrêter le supercollider alors qu'ils avaient déjà percé un tunnel de plusieurs dizaines de kilomètes au Texas et que les bâtiments étaient construits.
L'arrêt de Superphénix est donc une bonne chose.
Mais il serait dommageable que la France perde la technologie qu'elle avait acquise en matière de surgénérateurs. Le haut-commissaire du CEA estime que Superphénix peut être rouvert mais la sûreté nucléaire n'a pas encore donné son avis sur la faisabilité. Elle le rendra à la fin du mois. J'attends personnellement d'avoir cet avis.
Pour ce qui est des déchets, je ne me prononcerai pas. Une discussion intergouvernementale réunira dans les quinze jours à venir les ministres concernés.
Les avis divergent en ce domaine, mais le Gouvernement fera connaître sa position à ce sujet. La mienne importe peu ; seule compte celle du Gouvernement. Ceux qui veulent connaître ma position peuvent lire mes anciens livres, dans lesquels elle est expliquée en détail ! (Sourires.)
Si vous voulez bien me laisser encore quelques minutes, monsieur le président...
M. Jean-Louis Carrère. Vous avez tout le temps que vous voulez, monsieur le ministre.
M. le président. Pardonnez-moi, monsieur Carrère, mais c'est moi qui préside !
Monsieur le ministre, vous pouvez disposer encore de quelques minutes, mais guère plus si nous ne voulons pas siéger trop avant dans la nuit.
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Je voudrais maintenant parler de l'espace, et je le ferai avec une certaine gravité parce que le sujet s'y prête. Nous sommes la deuxième puissance spatiale au monde et nous entraînons l'Europe derrière nous.
Permettez-moi de vous donner un ordre de grandeur des budgets en ce domaine : le budget civil consacré par les Américains à l'espace s'élève à 12 900 millions de dollars : celui qui est consacré par l'Europe est de 5 900 millions de dollars. Ces chiffres sont désormais comparables. Les Américains sont certes très en avance mais le rapport est du simple au double, ce n'est pas un facteur dix comme à une certaine époque. Nous devenons donc des concurrents sérieux.
Je suis très attaché à l'indépendance de l'Europe et à une grande politique spatiale européenne. Aussi, je vais vous dire pourquoi je ne suis pas favorable aux vols habités : comme l'a fort bien expliqué un article paru récemment dans un journal du soir, ils constituent pour les Américains le moyen d'accrocher tout le monde à leurs basques ; tel est l'objectif essentiel de leur stratégie.
Malheureusement, les crédits sont limités. Si on les met là, on ne les met pas ailleurs. Il est inexact de prétendre qu'il est possible de financer des vols habités et en même temps une politique dans les domaines des télécommunications, de l'observation de l'espace et de l'exploration planétaire. Si l'on réalise l'une, on ne fait pas l'autre. Il faut choisir.
Depuis un certain nombre d'années, les groupes de pression américains aidant, nous sommes « accrochés aux basques » des Américains. Je ne suis pas anti-américain ; je suis membre de l'académie des sciences des Etats-Unis et j'ai enseigné dans ce pays. Je connais à peu près toute la communauté scientifique américaine. Mais je veux que nous coopérions à égalité. Je ne veux pas que nous soyons condamnés à être des faire-valoir pour des programmes que nous n'aurons pas décidés.
Comme M. Hubert Curien l'a dit, l'homme dans l'espace aujourd'hui est un spectacle émouvant mais cher, car ces expériences n'apportent pas de résultats significatifs. Il s'agit en effet d'une technique maintenant aussi archaïque que celle qui consiste à souder des semi-conducteurs à la main. L'un d'entre vous disait tout à l'heure que ce sera une combinaison de l'homme et de la machine. Non ! les semi-conducteurs sont fabriqués non plus par les hommes, mais par des robots. Nous sommes arrivés à un tel point de miniaturisation que nous n'avons pas besoin de grandes usines volantes. Nous fabriquons maintenant des petits satelliques de communication qui sont suffisants et performants.
Pour vous montrer la détermination du Gouvernement, je vous rappelle que, voilà quatre ans, à Genève, l'Europe et la France notamment ont été complètement pulvérisées dans la bataille des fréquences. La semaine dernière, nous avons gagné celle-ci, parce que nous avons été actifs et qu'un certain nombre de ministres ont passé du temps à convaincre leurs collègues étrangers de réaliser une coalition pour s'opposer aux Américains. Nous y avons réussi en particulier grâce au soutien des Canadiens.
La constitution du consortium Skybridge est une chose essentielle.
M. Pierre Laffitte, rapporteur pour avis. Absolument !
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Dès l'an prochain, nous aurons un téléphone mobile qui couvrira l'ensemble de la planète, qui sera l'équivalent d'Iridium et qui sera aux mains non pas des Américains mais du consortium Skybridge. En outre, je souhaite la création d'un GPS autonome grâce au soutien de Skybridge. Enfin, ce consortium nous permettra de construire des satellites d'observation de la terre à un coût dix fois moins élevé que celui des satellites actuels.
Telle est la priorité des priorités, comme je l'ai dit à l'administrateur de la NASA, qui n'a d'ailleurs pas insisté.
Nous voulions participer à l'exploration de Mars par le biais d'Ariane. Ce projet est étudié en commun. Je vous dirai très franchement que j'espère que ce projet ne sera pas seulement franco-américain ; j'espère que ce sera un projet euro-américain. En effet, dans toute cette bataille très souterraine qui a recentré les positions européennes, les Allemands et les Italiens ont été extrêmement solidaires avec nous. Par conséquent, je trouverais personnellement malvenu - mais le Gouvernement décidera - de ne pas les associer en retour à cette aventure.
La réforme de l'ESA est nécessaire : les décisions doivent être prises à la majorité qualifiée et non plus à l'unanimité et les frais de gestion doivent être réduits.
Nous proposons, par ailleurs, de créer avec nos collègues allemands, un mécanisme de type Eureka, c'est-à-dire un mécanisme qui permette une Europe spatiale avec des coopérations bilatérales à géométrie variable, ce qui nous permettrait de ne pas passer par l'Agence européenne. Nous pourrions ainsi lancer, par exemple, des opérations franco-allemandes, franco-germano-italiennes ou franco-suédoises.
Mais je dois dire, et je le fais avec une certaine solennité, que le lobbying américain est très efficace et il se loge parfois en des lieux dans lesquels on ne l'attendrait pas.
M. Lucien Neuwirth. Absolument !
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Une part importante du produit de l'ouverture du capital de France Telecom sera probablement consacrée aux nouvelles technologies.
Je reviens, à cet égard, sur le plan sur les nouvelles technologies que j'ai annoncé. Vous savez peut-être que la France compte quelques spécialistes qui sont parmi les meilleurs au monde dans le domaine du traitement musical : je songe notamment à M. Jean-Claude Ricet, qui travaille au CNRS à Marseille.
C'est pourquoi nous avons décidé de développer en réseau - parce qu'il en existe dans différentes villes de France - un programme pour développer les technologies des médias et des métiers artistiques grâce aux nouvelles technologies, afin d'être présents sur ce marché qui est, naturellement, essentiel pour le futur.
Au lieu de reproduire le medialab du MIT, qui est concentré en un seul lieu, nous essaierons de créer une structure comparable mais en réseau, et c'est Jean-Claude Ricet qui en sera le responsable.
Je répondrai maintenant sur l'effet de serre, sur lequel j'ai quelques lumières. Tant de bêtises sont écrites à ce sujet que je préfère ne pas trop m'exprimer.

Le Gouvernement a adopté une position sage et, tout comme vous, monsieur le sénateur, je me félicite du choix nucléaire de la France qui nous offre des solutions raisonnables.
J'observe simplement, avec une petite pointe d'ironie, que mes collègues qui travaillent dans ce domaine ont découvert brutalement dans une publication récente que New York, Paris et Londres étaient des émetteurs de gaz carbonique. Voilà une bonne utilisation de la cartographie infrarouge par satellite ! Certains auraient pu le penser, comme certains avaient pensé que les satellites de Jupiter étaient revêtus de calottes glaciaires - ils l'avaient même écrit - même si cela ne remplace pas la découverte !
Je terminerai en abordant deux points.
S'agissant de la toxicomanie, je juge excellent le rapport élaboré par le comité national d'éthique car ce sujet est envisagé d'un point de vue scientifique, notamment quant aux effets d'un certain nombre de drogues sur le fonctionnement du système nerveux. Je n'insisterai pas davantage. Nous avons intérêt à poursuivre dans cette lignée des recherches fondées sur des données scientifiques et un peu moins sujettes à des pulsions ou à des réactions dans la mesure où il s'agit d'un véritable fléau qui n'est pas toujours aussi simple à comprendre.
Je prendrai un exemple : les études scientifiques montrent que le haschisch est moins toxique que le tabac. Il s'agit, certes, d'une donnée intéressante. Je n'en tire personnellement aucune conclusion définitive. Je dis simplement qu'il faut examiner les faits et les diverses études scientifiques.
Je terminerai par l'aménagement du territoire, qui vous tient à coeur.
Oui, je suis pour un aménagement du territoire. Non, je ne suis pas pour une dispersion de la recherche. Non, je ne suis pas pour une évaluation locale de la recherche. Si nous voulons être compétitifs sur le plan mondial, nous devrons définir des zones prioritaires sur lesquelles nous concentrerons les entreprises innovantes, que nous ferons bénéficier de dégrèvements fiscaux et qui seront exonérées du paiement des frais de brevets. Cela ne pourra se faire que dans un nombre limité d'endroits, qui seront sans doute difficiles à définir. Là encore, je crois que ce sont les hommes qui décident de tout. Il nous faudra le faire aux endroits où il y a des hommes, là où il y a des concentrations. Ces choix seront difficiles.
Nous nous emploierons à créer ces zones, qu'il m'est arrivé d'appeler « pôles européens », tout en travaillant à améliorer le maillage du territoire.
Pour appuyer ce que j'ai dit tout à l'heure, je voudrais souligner plusieurs points.
La biologie a commencé à vraiment se déconcentrer ; les sciences de la terre se sont déconcentrées ; les sciences de l'ingénieur sont extraordinairement déconcentrées ; la chimie est, elle aussi, très déconcentrée, la chimie de province étant globalement meilleure que la chimie parisienne.
Ce qui est moins déconcentré, c'est la physique. Malgré la déconcentration de grands équipements, elle reste très concentrée dans la région parisienne et dans la région grenobloise. Nous devons effectivement favoriser cet essaimage sur le territoire national. Je le répète : essaimage mais non saupoudrage.
Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, ce que je voulais vous dire. J'ai dépassé mon temps de parole de cinq minutes, veuillez m'en excuser, monsieur le président. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen. - MM. Rausch, Trégouët et Trucy applaudissent également.)
M. le président. Monsieur le ministre, les minutes étaient longues, mais nous avons été intéressés par vos propos.
Nous allons procéder à l'examen et au vote des crédits figurant aux états B et C concernant l'éducation nationale, la recherche et la technologie : III. - Recherche et technologie.

ETAT B

M. le président. « Titre III : 1 313 376 517 francs. »