DÉPÔT DU RAPPORT ANNUEL
DE LA COUR DES COMPTES
M. le président.
L'ordre du jour appelle le dépôt du rapport établi par la Cour des comptes au
cours de la présente année.
Huissiers, veuillez introduire M. le Premier président de la Cour des
comptes.
(M. le Premier président de la Cour des comptes est introduit selon le
cérémonial d'usage.)
La parole est à M. le Premier président de la Cour des comptes.
M. Pierre Joxe,
Premier président de la Cour des comptes.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai l'honneur de vous remettre, comme
chaque année, le rapport annuel de la Cour des comptes, qui a été publié
aujourd'hui même.
Cette année, je me bornerai à formuler quelques commentaires, non pas tant sur
les observations assez classiques de la Cour des comptes, mais plutôt sur deux
nouveautés susceptibles de retenir votre attention.
Tout d'abord, cette année, le rapport de la Cour des comptes s'ouvre par un
rapport d'activité. Nous contrôlons beaucoup les autres. Nous nous sommes donc
efforcés de nous connaître nous-mêmes, de décrire nos moyens, leur emploi dans
le cadre de nos compétences - vous les avez récemment élargies - et d'ouvrir
quelques perspectives.
Ensuite, nous avons essayé de mettre l'accent sur les suites données aux
observations de la Cour des comptes, non par recherche de publicité, mais par
souci de la vérité et pour tenter de contrebalancer l'idée fausse, mais souvent
répandue, selon laquelle les rapports de la Cour des comptes n'auraient pas
toujours de suite.
Ainsi, vous trouverez par exemple, dans ce rapport, à la page 241, une
observation sur la caisse centrale de la Mutualité sociale agricole. Vous êtes
déjà tous informés des suites du contrôle exercé par la Cour des comptes sur
cette caisse, lequel a permis de mettre au jour des situations véritablement
choquantes, à commencer par les avantages très élevés que s'accordaient les
dirigeants de cet organisme. Ceux-ci auraient peut-être pu être justifiés dans
le cas d'une entreprise réalisant des profits considérables, mais il s'agit, en
l'occurrence, d'un organisme social dont le financement est largement assuré
par des fonds publics.
Les suites de ce contrôle ont été spectaculaires puisque, en juillet dernier,
le conseil d'administration de cet organisme a été suspendu, tandis que le
directeur a été immédiatement prié de démissionner et qu'un administrateur
provisoire a été nommé. Entre-temps, le conseil d'administration suspendu a
démissionné collectivement, et un certain nombre de suites judiciaires
pourraient s'ensuivre prochainement, paraît-il, et ce très prochainement.
Cependant, ce ne sont pas seulement les suites de ce genre données au rapport
de la Cour des comptes qui sont les plus intéressantes, ni forcément les plus
significatives.
Il ne faudrait pas, en effet, focaliser l'attention sur l'affaire que je viens
d'évoquer, bien qu'elle mérite votre attention, ou sur celle de l'ARC, qui
avait donné lieu, voilà deux ans, à l'une des premières applications de la loi
élargissant la compétence de la Cour aux organismes habilités à faire appel à
la générosité publique.
Le contrôle avait révélé un scandale lui aussi très choquant mais qui n'était
pas, heureusement, représentatif des organismes faisant appel à la générosité
publique.
Dans bien des cas moins visibles, il est porté remède par l'administration,
progressivement ou rapidement, à des situations irrégulières, parfois
dangereuses pour les fonds publics. Je ne citerai que deux exemples.
Nous avons ainsi observé que le ministère de l'éducation nationale avait pris
l'habitude, pour des raisons pratiques, de déléguer irrégulièrement à des
lycées la gestion des crédits affectés aux dispositifs d'insertion des jeunes
dans l'éducation nationale. Ces irrégularités présentaient un certain nombre de
risques, pas seulement du point de vue du respect de la loi, ce qui est un
objectif en soi, mais aussi en termes de gestion publique. Dans ce rapport,
vous trouverez non seulement les critiques mais aussi la description des
remèdes qui ont été apportés pour que ce soient dorénavant les rectorats, comme
cela n'aurait jamais dû cesser d'être le cas, qui procèdent à ces
délégations.
Je prendrai un autre exemple, qui vous intéresse puique le calendrier
parlementaire va vous amener à vous pencher sur les tribunaux de commerce. Le
contrôle de ce que l'on appelle de façon à la fois euphémique et claire la «
gestion extrabudgétaire » des tribunaux de commerce a permis de constater que
la plupart d'entre eux reçoivent, outre des crédits du budget général de
l'Etat, des sommes très élevées qui sont non pas rattachées au budget par le
biais d'un fonds de concours mais gérées selon des procédures diverses, en
dépit des instructions répétées de la Chancellerie, et qui passent parfois par
des associations dites de soutien.
Ces procédés irréguliers ont parfois donné lieu à des abus. Dans le rapport,
nous évoquons, d'une part, les critiques et, d'autre part, le remède qui est
apporté par la Chancellerie.
Une quinzaine d'exemples de suites concrètes, pas forcément rapides mais
réelles, aux observations qui ont été formulées figurent dans ce rapport.
Je fois faire observer qu'on peut aussi trouver des cas inverses. Je n'en
citerai qu'un pour attirer votre attention sur le risque qu'il y a à ne pas
exercer les contrôles nécessaires dans les structures de l'Etat. Je pense aux
aides financières aux agriculteurs corses en difficulté.
(Exclamations sur
les travées du RPR.)
Depuis 1990, la dépense sur sept exercices a dépassé 400 millions de francs,
soit 2,38 fois le crédit initialement ouvert. Elle a atteint, en moyenne, 261
000 francs par exploitation aidée, soit dix fois plus que dans les autres
régions de France. Ainsi, 70 % des agriculteurs à plein temps de cette région
en ont bénéficié. Conséquence d'ailleurs perverse, en facilitant leur
endettement, ce dispositif a accru les difficultés de nombre d'entre eux au
lieu de les aider.
Le remède n'est pas très évident. Douze dispositifs d'aide différente ont été
mis en place en trente ans. Le dernier date de 1996. Dans les cas que nous
avons observés, ils ont donné lieu à des abus.
Or, si ce n'est pas l'administration française, l'Etat, qui contrôle et qui
redresse ces errements, si ce n'est pas le Parlement en commission, si ce n'est
pas la Cour des comptes de la République française, ce sera une autre autorité
qui le fera, et elle a déjà commencé à s'y intéresser : ce sera la Cour des
comptes des Communautés européennes, ou les services de contrôle de la
Commission. Et nous nous ferons rappeler à l'ordre pour un certain nombre de
pratiques anciennes, connues, décrites et réitérées, par une institution
internationale. Il serait donc utile que les critiques de la Cour des comptes
en ce domaine soient enfin entendues.
Pour conclure, j'attire votre attention sur le fait que nous avons recherché à
regrouper, dans ce rapport, un certain nombre d'observations qui peuvent vous
intéresser, par exemple sur les entreprises publiques et sur les collectivités
locales.
Enfin, les observations principales émanant des chambres régionales des
comptes, que vous connaissez, par définition, très bien, et qui sont reprises
dans ce rapport sont exemplaires. Il ne faut, toutefois, pas en tirer argument
pour affirmer que l'ensemble de la gestion des collectivités locales est
mauvaise : il est bien pris soin, dans ce rapport, d'insister sur le fait que
ces irrégularités, lorsqu'elles sont graves, répétées et qu'elles ont eu des
suites judiciaires et contentieuses, doivent être dénoncées mais que les
chambres régionales des comptes le font très bien elles-mêmes, même si la Cour
des comptes reprend un certain nombre d'exemples parmi les plus graves dans son
rapport public.
(M. le Premier président de la Cour des comptes remet à M. le président le
rapport annuel de la Cour des comptes.)
M. le président.
Monsieur le Premier président, je vous donne acte du dépôt de ce rapport.
La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes
économiques de la nation.
Monsieur le président, monsieur le Premier
président de la Cour des comptes, monsieur le ministre chargé des affaires
européennes,...
M. Emmanuel Hamel.
Monsieur le ministre conseiller à la Cour des comptes en détachement au
Gouvernement !
(Sourires.)
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
... mes chers collègues, la
publication du rapport annuel de la Cour des comptes constitue, à l'évidence,
l'un des temps forts de l'année politique. Au cours des prochains jours, les
médias vont, sans aucun doute, donner un grand retentissement aux
dysfonctionnements relevés, à juste titre, par la Cour des comptes.
Mais ce temps fort est aussi un temps éphémère. Dans une société qui est
surinformée ou, plus exactement, suréquipée en moyens d'information,
l'actualité devient une denrée éminemment périssable. Un sujet est à peine
esquissé ou évoqué que déjà les médias se tournent vers d'autres événements
pour alimenter le circuit continu de l'information.
C'est ce constat lucide qui explique sans doute, monsieur le Premier
président, votre volonté de témoigner, à notre plus grande satisfaction, de la
permanence du contrôle exercé par la Cour sous votre autorité, en publiant
plusieurs fois par an des rapports particuliers qui sont autant de sources
d'information, de mines de réflexion et de gisements de propositions pour les
commissions des finances du Parlement.
Il m'apparaît indispensable que les commissions des finances, comme vous y
avez fait fort justement allusion voilà un instant, relaient l'action de la
Cour pour donner une suite parlementaire à ses travaux. Je pense, comme vous,
monsieur le Premier président, que le bon emploi des travaux de la Cour par les
commissions des finances du Parlement constitue un élément de motivation des
magistrats de la rue Cambon.
Notre démocratie serait encore renforcée si le Parlement acceptait, dans
certains cas, de devenir le bras séculier de la Cour, en conférant une suite
aux observations qu'elle formule.
Nous devons donc jouer, en quelque sorte, mes chers collègues, un rôle de
caisse de résonance et de relais d'information vis-à-vis de nos concitoyens. A
cet égard, je me réjouis, monsieur le Premier président, que la récente réforme
du code des juridictions financières ait instauré l'envoi de droit aux
commissions des finances des référés adressés par la Cour aux ministres et
demeurés sans réponse au terme d'une période de six mois.
M. Jacques Oudin.
C'est long !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
C'est une première démarche,
peut-être longue, mais cette initiative mérite d'être soulignée et rien ne nous
interdit, par la suite, de l'améliorer. En tout cas, cette démarche est
intéressante et positive.
Vous nous avez d'ores et déjà adressé, monsieur le Premier président, des
référés laissés sans réponse. Malheureusement, certaines péripéties politiques
au cours de l'année ne nous ont, jusqu'à présent, pas permis de leur donner une
suite.
M. René Régnault.
Expérimentations hasardeuses.
(Sourires.)
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Mais, soyez rassuré, ce n'est
que partie remise.
D'une manière générale, j'estime que la Cour des comptes remplit, à la
satisfaction de tous, la mission d'assistance au Parlement que lui a conférée
la Constitution. Elle exerce de plus en plus ce rôle et s'en acquitte de mieux
en mieux.
Pour illustrer mon propos, j'évoquerai brièvement les notes sur la
consommation des crédits et les monographies sur tel ou tel ministère que la
Cour adresse régulièrement aux rapporteurs spéciaux des commissions des
finances, et je parle en l'instant sous leur contrôle.
Je note également l'accélération du calendrier de la remise du rapport de la
Cour des comptes sur l'exécution des lois de finances, qui intervient désormais
le plus tôt possible, et ce, j'insiste sur ce point, à la demande répétée du
Sénat. Le dépôt a lieu, dorénavant, au mois de juillet de l'année suivant
l'exécution du budget.
Manifestement, il s'agit là d'un grand progrès. Ceux qui siègent ici depuis
quelque temps se souviennent que ce compte rendu était remis deux ans, voire
trois ans après l'exécution des lois de finances, et que certaines d'entre
elles n'ont jamais donné lieu à un compte administratif, pour reprendre un
langage territorial.
M. Christian de La Malène.
Très bien !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Je mentionnerai, bien sûr, le
rapport sur l'exécution des lois de financement de la sécurité sociale, dont le
premier « numéro », si je puis m'exprimer ainsi - nous l'attendons avec intérêt
- sortira en 1998.
Je rappellerai, enfin, l'excellente contribution de la Cour des comptes au
débat d'orientation budgétaire qui s'est tenu au printemps dernier. A cet
égard, qu'il me soit permis d'appeler solennellement l'attention du
Gouvernement - et je demande à M. le ministre délégué chargé des affaires
européennes d'être auprès de lui notre interprète - sur la nécessité
d'institutionnaliser ce débat préalable à la construction du budget de
l'exercice à venir. Le Gouvernement exige que les collectivités engagent un tel
débat mais ne se l'impose pas à lui-même. Nous avons eu ce débat, et nous
souhaitons son maintien.
M. Jean Chérioux.
Très bien !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Informateur du Parlement, la
Cour des comptes constitue, à l'évidence, un auxiliaire précieux pour la
détermination par les commissions des finances des domaines dans lesquels elles
devraient exercer leur contrôle.
D'une manière générale, nous devons être convaincus, mes chers collègues, que
ce qui manque au Parlement, c'est non pas le pouvoir de contrôle - il en
dispose - mais plutôt la possibilité et la volonté de l'exercer. M. le
rapporteur général a d'ailleurs maintes fois exprimé le souhait d'exercer les
contrôles sur pièces et sur place, contrôles auxquels le Gouvernement ne peut
pas s'opposer.
M. Jean Chérioux.
Très bien !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Au terme de cette brève
intervention, vous devez, mes chers collègues, avoir l'impression que les
relations entre la Cour des comptes et le Parlement - tout au moins avec le
Sénat - sont idylliques dans le meilleur des mondes.
M. le Premier président sait bien qu'il n'en est rien car, lors d'un récent
colloque organisé par la Cour, j'ai eu l'occasion d'introduire ce que j'ai
appelé des « zones de clair-obscur » dans ce tableau trop lumineux.
En effet, le bilan de la coopération entre la Cour et la commission des
finances du Sénat en matière de demandes d'enquête est encore pour le moins
mitigé - c'est en tout cas mon sentiment - pour des raisons sur lesquelles je
ne reviendrai pas.
Certes, les moyens dont dispose la Cour n'ont pas suivi l'élargissement de ses
missions, en dépit des rallonges budgétaires que le Parlement lui a accordées
pour lui permettre de se doter d'un outil informatique performant. Cependant,
ne serait-il pas possible, monsieur le Premier président, d'envisager
d'accorder aux commissions des finances, en quelque sorte, un « droit de tirage
» sur une fraction de la capacité de travail annuelle de la Cour ? Connaissant
votre souci de coopération entre la Cour et le Parlement, je ne doute pas que
vous allez étudier cette question et qu'une réponse positive nous sera
prochainement apportée.
En conclusion, je voudrais, une fois de plus, réitérer mon souhait que la Cour
et le Parlement continuent de progresser dans la voie d'une intensification de
leurs relations, afin d'instituer, dans la transparence et publiquement, un
examen, en quelque sorte un audit, de la gestion publique et de contribuer à un
contrôle plus approfondi de l'usage des deniers publics, dans l'intérêt du
contribuable et à l'avantage de notre pays.
(Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste, des
Républicains et Indépendants et sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur
plusieurs travées socialistes.)
M. le président.
Huissiers, veuillez reconduire M. le Premier président de la Cour des
comptes.
(M. le premier président de la Cour des comptes est reconduit selon le
cérémonial d'usage.)
(M. Michel Dreyfus-Schmidt remplace M. René Monory au fauteuil de la
présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. MICHEL DREYFUS-SCHMIDT
vice-président
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