M. le président. Par amendement n° I-114, MM. Régnault, Angels, Mme Bergé-Lavigne, MM. Charasse, Haut, Lise, Massion, Miquel, Moreigne, Sergent et les membres du groupe socialiste et apparentés propose d'insérer, après l'article 6 bis, un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - Le premier alinéa du 5 de l'article 39 du code général des impôts est ainsi rédigé :
« Sont également déductibles, mais pour 70 % de leur valeur, les dépenses suivantes : ».
« II. - Les deux derniers alinéas du 5 de l'article 39 du code général des impôts sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé :
« Les dépenses ci-dessus énumérées peuvent également être réintégrées dans les bénéfices imposables dans la mesure où la preuve n'a pas été apportée qu'elles sont liées directement à l'exploitation de l'entreprise. »
La parole est à M. Sergent.
M. Michel Sergent. Cet amendement concerne les frais généraux.
En principe, toutes les charges nécessaires à l'exploitation de l'entreprise sont déductibles pour la détermination du résultat fiscal. Toutefois, certaines charges - frais de réceptions, de restaurants, de cadeaux, d'automobiles, de bateaux, de logements - sont à la lisière de la notion de charges nécessaires à l'exploitation. Ainsi ont pu être observés des abus qui aboutissent à la prise en compte dans le résultat des entreprises de dépenses d'ordre privé.
Jusqu'en 1986 existait une taxe sur les frais généraux. Or, lorsqu'elle était en application, cette mesure ne déclenchait pas de polémiques.
Nous pensons donc qu'une réflexion doit être menée sur ce point. Il est certain que la distinction entre les frais utiles à l'exploitation des entreprises et les frais d'ordre privé est difficile à établir.
Sans vouloir rétablir formellement la taxe sur les frais généraux, nous pensons qu'il serait bon - c'est l'objet du paragraphe I de l'amendement - de limiter à 70 % la possibilité de déduction, mais surtout - c'est l'objet du paragraphe II de l'amendement - de donner à l'administration fiscale la possibilité de réintégrer les dépenses manifestement non liées à l'exploitation de l'entreprise.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Alain Lambert, rapporteur général. La commission des finances a estimé que l'article 54 quater du code général des impôts faisait déjà obligation aux entreprises de fournir à l'appui de leur déclaration de résultats le relevé détaillé des frais généraux qui sont visés à l'article qu'évoquait tout à l'heure notre collègue Michel Sergent, lorsqu'ils excèdent un certain montant fixé par arrêté. Il n'est pas question de passer en frais généraux les voyages de pur agrément qui ne présentent aucun caractère professionnel.
Sur un plan plus général, mes chers collègues, je dirai que, si nous voulons une économie dynamique, il va nous falloir cesser de pratiquer le soupçon systématique sur l'ensemble des charges des entreprises. Il faut savoir ce que nous voulons. Or, à l'audition des mesures que nous égrenons, les unes après les autres, j'ai l'impression que nous sommes revenus dix ans en arrière : le profit aurait quelque chose d'impur, de pas tout à fait sain. Mais, mes chers collègues, sans profit comment nos entreprises parviendront-elles à investir et donc à créer des emplois ?
Je ne voudrais pas tomber dans une appréciation idéologique, mais toutes ces mesures me semblent inspirées par le soupçon, et elles seront mal perçues par les entreprises.
La commission des finances a donc émis un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Monsieur Sergent, il est déjà prévu dans le code général des impôts - au paragraphe V de l'article 39 - que certaines dépenses doivent être contrôlées de façon particulière ; or il s'agit des dépenses auxquelles vous faites référence dans votre amendement. Les services des impôts consentent un effort particulier en la matière, effort qui pourrait sans doute être encore amplifié.
La mesure proposée, qui tend de façon uniforme à réduire à 70 % le montant des frais professionnels déductibles, frais de voyages, etc., est par trop simpliste. En effet, certaines entreprises ont besoin, pour développer leur activité, de déduire à 100 % les frais de cet ordre qui sont utiles à leur exploitation. Pour elles, la mesure proposée constituerait un handicap important. Il me semble préférable de renforcer purement et simplement les contrôles, car des abus peuvent en effet être constatés en la matière.
Je demanderai donc à M. Sergent de retirer son amendement, sinon je recommanderai à la Haute Assemblée de le rejeter. Je ne pense pas que cet amendement constitue une bonne réponse à une vraie question.
Sans vouloir engager une discussion de nature religieuse, je dirai que le Gouvernement n'a pas de méfiance à l'égard du profit. Saint-Thomas-d'Aquin est mort depuis très longtemps ! (Sourires.) Le Gouvernement souhaite, comme, je l'imagine, de nombreux sénateurs, que les profits conséquents qui ont été réalisés par les entreprises soient investis pour accroître leurs capacités de production et favoriser la création d'emplois.
Les profits réinvestis dans l'entreprise, les profits consacrés à la création d'activités nouvelles, à la recherche de nouveaux débouchés à l'étranger nous paraissent parfaitement légitimes. Ainsi, à la boutade lancée par M. le rapporteur général, je répondrai que la Gouvernement ne nourrit aucune réticence à l'égard des profits recyclés dans la création de richesses.
M. Alain Lambert, rapporteur général. Je souhaitais vous l'entendre dire.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° I-114.
M. Michel Sergent. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Sergent.
M. Michel Sergent. M. le secrétaire d'Etat a exprimé le souhait que nous retirions notre amendement tout en soulignant qu'il soulevait une bonne question : celle de la détermination exacte des frais nécessaires à l'exploitation de l'entreprise, car nous avons tous pu constater des abus en la matière.
Quoi qu'il en soit, nous pensons, nous aussi, que rien ne vaut l'investissement dans les entreprises ; je retirerai donc cet amendement en souhaitant que, à cette vraie question, il soit donné, un jour, une vraie réponse.
M. le président. L'amendement n° I-114 est retiré.
Par amendement n° I-115, MM. Régnault, Angels, Mme Bergé-Lavigne, MM. Charasse, Haut, Lise, Massion, Miquel, Moreigne, Sergent et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent d'insérer, après l'article 6 bis, un article additionnel ainsi rédigé :
« Dans le 1 de l'article 206 du code général des impôts, après les mots : "sociétés coopératives et leurs unions", sont insérés les mots : "; les sociétés en nom collectif détenues, même partiellement, par des sociétés soumises à l'impôt sur les bénéfices des sociétés,". »
La parole est à M. Angels.
M. Bernard Angels. Cet amendement vise à poser la question de l'évasion fiscale en matière d'impôt sur les sociétés, qui constitue un réel problème. M. d'Aubert comme M. Juppé, alors Premier ministre, avaient d'ailleurs reconnu l'existence de cette évasion.
L'une des principales sources d'évasion paraît résider dans les mécanismes de compensation des résultats bénéficiaires et déficitaires, qui ont permis un allégement d'impôt de l'ordre de 19 milliards de francs en 1995 ; un groupe intégré sur cinq a bénéficié d'un allégement total de l'impôt sur les sociétés.
Si ces mécanismes ne peuvent être mis en cause, il est nécessaire de tout faire pour réduire l'évasion fiscale. Les mécanismes des prix de transfert et d'abandons de créances devraient notamment être examinés.
Outre le régime fiscal des groupes, les entreprises utilisent de façon complémentaire ou non le régime des sociétés transparentes. Le cumul de ces deux régimes est devenu une pratique habituelle.
Le montage permet d'intégrer fiscalement, par le biais de filiales, le résultat de sociétés transparentes. Les sociétés de personnes permettent en effet une remontée immédiate des pertes au niveau des associés, qui sont fréquemment des sociétés de capitaux et qui constituent un instrument très souple de gestion de déficits. Ainsi, la compensation intégrée à des résultats bénéficiaires et déficitaires est étendue par montage à des sociétés transparentes sans aucune condition de détention de capital ni aucun formalisme.
C'est pourquoi nous pensons qu'il faudrait soumettre les sociétés en nom collectif détenues, même partiellement, par des sociétés à l'impôt sur les sociétés.
J'ajouterai, pour terminer, que l'utilisation des GIE, les groupements d'intérêt économique, présente souvent les mêmes caractéristiques.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Alain Lambert, rapporteur général. Il s'agit, par cet amendement, de soumettre les sociétés en nom collectif à l'impôt sur les sociétés.
La question soulevée par notre collègue mériterait un examen approfondi, car les sociétés en nom collectif, par rapport à d'autres sociétés, ont ceci de particulier que les associés ont une responsabilité indéfinie. Or cela ne devrait pas être sans conséquence au regard de la disposition fiscale proposée.
La commission des finances a estimé qu'il convenait d'examiner très soigneusement l'impact d'un changement de régime fiscal de ces sociétés avant de mettre en oeuvre une modification de cette ampleur.
De surcroît, elle a jugé qu'il fallait tenir compte du fait que la plupart de ces sociétés bénéficient du régime de l'intégration fiscale ; ainsi, la question est en partie réglée.
J'écouterai, bien sûr, avec beaucoup d'intérêt l'avis du Gouvernement sur cet amendement, mais la commission des finances a émis, quant à elle, un avis défavorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. M. Angels a souligné fort justement que les structures fiscalement translucides pouvaient constituer un moyen d'optimisation fiscale non négligeable.
Encore faut-il mesurer correctement la nature de cette optimisation et son impact sur les finances publiques.
La possibilité de faire remonter immédiatement les déficits des structures translucides pour les compenser avec les bénéfices des associés, personnes physiques ou morales, constitue indiscutablement un avantage. Celui-ci n'est cependant réellement coûteux pour les finances publiques que lorsqu'il a pour objet de décaler les déficits non dans le temps mais dans l'espace. Je veux dire par là que le risque n'existe que dans le cas où un contribuable, quel qu'il soit, personne physique ou personne morale, prend une participation dans une activité à seule fin de diminuer son impôt grâce à des déficits qui sont sans lien avec sa propre activité.
Or l'amendement que vous présentez, monsieurs Angels, ne porte que sur les sociétés en nom collectif dont les associés sont des sociétés, alors que le problème concerne également les associés personnes physiques et tous les groupements translucides.
Votre amendement ne règle pas non plus le problème des moins-values de cession de parts de sociétés en nom collectif, pour lesquelles la législation actuelle permet de déduire une deuxième fois les déficits.
Enfin, la solution que vous proposez risquerait d'affecter des accords de participation - je parle de ce que l'on appelle parfois des joint ventures - dans les secteurs de la recherche médicale ou des hautes technologies, accords qui présentent un grand intérêt pour la création d'emplois très qualifiés, pour la promotion des techniques de pointe et, donc, pour notre économie en général.
Cela étant, monsieur Angels, je m'engage à proposer ultérieurement au Parlement, sur ce sujet fort complexe - je sais que de nombreux sénateurs sont tout à fait à même d'en juger - des solutions plus adaptées que celle dont vous avez bien voulu prendre l'initiative.
Voilà pourquoi je me permets de vous inviter à retirer cet amendement, qui ne répond pas complètement au problème que vous soulevez.
M. le président. Monsieur Angels, l'amendement n° I-115 est-il maintenu ?
M. Bernard Angels. Monsieur le secrétaire d'Etat, je vous remercie de votre réponse. Bien entendu, il ne s'agissait pas pour moi, par cet amendement, de régler le problème de l'évasion fiscale. Je souhaiterais simplement vous sensibiliser, ainsi que la Haute Assemblée, à la nécessité de trouver à brève échéance un moyen de limiter cette évasion fiscale.
Dans ces conditions, monsieur le président, je retire cet amendement.
M. le président. L'amendement n° I-115 est retiré.
Article 7