LOI DE FINANCES POUR 1998
Suite de la discussion d'un projet de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi de finances
pour 1998, adopté par l'Assemblée nationale. [N°s 84 et 85 (1997-1998).]
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Bergé-Lavigne.
Mme Maryse Bergé-Lavigne.
Monsieur le président, avant de commencer mon intervention, je tiens à
exprimer ma réprobation à l'égard des propos qui ont été tenus à cette tribune,
hier soir, par M. de Rohan à l'adresse de M. le ministre de l'économie, des
finances et de l'industrie.
Ecrites et lues, ces paroles étaient donc mûrement réfléchies et n'avaient pas
l'excuse de l'échauffement d'un affrontement spontané. Elles n'en sont que plus
graves !
Le dérapage de M. de Rohan est indigne de notre Haute Assemblée, où nous
sommes habitués à plus de noblesse dans les comportements.
A mon tour, et après bien d'autres - mais c'est normal au Sénat - je souhaite,
monsieur le secrétaire d'Etat, attirer tout particulièrement votre attention
sur les difficultés dans lesquelles se trouvent les collectivités locales. De
très nombreux maires - leur congrès s'en est fait l'écho - expriment de plus en
plus fort leur inquiétude. Il leur devient de plus en plus malaisé de boucler
leur budget, de plus en plus difficile d'administrer leur commune.
Confrontés aux transferts incessants, aux augmentations concernant les
différents contingents, aux dépenses obligatoires que leur imposent le respect
des normes européennes et les nouvelles réglementations en matière de sécurité,
les maires de France lancent un appel au secours.
Je sais bien, monsieur le secrétaire d'Etat, que votre gouvernement est tout
jeune - il a un peu plus de cinq mois - et que sa responsabilité n'est donc pas
engagée dans cette situation.
Le projet de loi de finances que vous nous présentez est sans « turpitudes »
pour les collectivités locales,...
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat au budget.
Absolument !
Mme Maryse Bergé-Lavigne.
... pour reprendre un mot de M. le président Poncelet, mais les lois de
finances précédentes ne furent pas toutes aussi exemplaires.
J'ai tenu, sachant tout l'intérêt que porte l'équipe gouvernementale aux
acteurs locaux, à vous alerter, après d'autres. Le découragement et même la
révolte gagnent les élus de base. Ils attendent dans les prochains mois des
signes positifs qui soient de nature à leur redonner confiance.
Certes, ces difficultés ne touchent pas uniformément l'ensemble des
collectivités locales, mais elles concernent la très grande majorité d'entre
elles, et plus particulièrement les plus modestes, les plus petites, qui
souhaitent que s'ouvre enfin le grand chantier de la réforme des finances
locales, afin que leurs légitimes revendications soeint prises en compte et
qu'elles aient une part plus équitable dans la répartition nationale.
Le pacte de stabilité financière mis en place par l'ancienne majorité, et que
n'a jamais paraphé l'Association des maires de France, arrive à son terme en
1998.
Ce dispositif, que vous n'avez pas eu la possibilité de modifier compte tenu
des délais très restreints pour la préparation du projet de budget pour 1998,
s'est révélé dommageable pour les collectivités locales - cette opinion est
partagée par de très nombreux élus locaux. Il a accru de manière significative
les ponctions faites sur les finances de leurs communes.
Aussi me paraît-il primordial que le Gouvernement définisse, dès l'année
prochaine, de nouvelles règles d'évolution des dotations, en revenant notamment
à une indexation des concours financiers sur la croissance.
Il faudra aussi, parallèlement et en concertation, lancer la réflexion sur des
dossiers aussi importants que la Caisse nationale de retraites des
collectivités locales, la CNRACL, et la réforme de la taxe professionnelle,
avec, pour ce sujet ô combien délicat, la ferme volonté d'aboutir à une
péréquation plus équitable permettant de réduire les disparités de richesses
fiscales entre collectivités locales.
Il conviendra aussi, monsieur le secrétaire d'Etat, de s'interroger sur la
place de la dotation globale de fonctionnement des groupements au sein de la
DGF, ainsi que sur le poids et le rôle péréquateur de cette dotation, étant
donné la constante augmentation, d'année en année, du nombre des établissements
publics de coopération intercommunale, les EPCI.
Arlésienne des finances locales, dossier ouvert depuis bientôt dix ans et
jamais mis en application : la révision des évaluations cadastrales. Le
Gouvernement envisage-t-il de mettre en application les nouvelles bases, après,
cela va sans dire, leur indispensable actualisation, les simulations remontant
à une décennie ?
Dans le présent projet de loi de finances, j'ai bien noté, monsieur le
secrétaire d'Etat, et je m'en réjouis, que les cotisations à la CNRACL ne
subissent pas d'augmentation en 1998.
Le projet de loi de financement de la sécurité sociale prévoit une possibilité
d'emprunt à hauteur de 2,5 milliards de francs, afin de répondre aux
éventuelles difficultés de trésorerie qui pourraient survenir en 1998.
Cette solution, admissible parce qu'elle est ponctuelle, ne peut en aucun cas
répondre aux problèmes de fonds posés par la CNRACL.
Monsieur le secrétaire d'Etat, le problème est devant nous : l'équilibre
financier de ce régime se posera dès 1999. La CNRACL souffre et souffrira d'une
détérioration du rapport démographique entre les cotisants et les
pensionnés.
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes
économiques de la nation.
C'est exact !
Mme Maryse Bergé-Lavigne.
L'avenir de la caisse est en jeu : en deux ans, le nombre des pensionnés s'est
accru de 8,8 %, alors que, dans le même temps, celui des cotisants ne
progressait que de 2,5 %.
Monsieur le secrétaire d'Etat, le Gouvernement compte-t-il engager une
réflexion, en concertation avec les associations de maires et le Parlement,
afin de trouver une solution satisfaisante, durable et vite traduite dans les
faits, car le temps presse ?
Je souhaite, enfin, exprimer un voeu et vous soumettre le problème que pose la
non-concordance de durée entre les emprunts et les investissements lourds.
Mon voeu est modeste ; il traduit plus spécialement une demande des maires des
communes de moins de cinq cents habitants. Ceux-ci souhaitent une
simplification et une meilleure adaptation à leurs besoins de la maquette
concernant la comptabilité M 14, mise en place depuis le 1er janvier
dernier.
La conjonction des réglementations nationales et européennes concernant les
grands dossiers du début du xxie siècle - eau, assainissement, collecte et
traitement des ordures ménagères - impose aux collectivités locales des
investissements financiers très lourds, qu'elles doivent mobiliser dans des
délais très brefs.
Les emprunts correspondant à ces investissements ne sont accordés que sur une
durée de dix ou quinze ans, ce qui fait peser toute la charge de remboursement
sur une demi-génération de contribuables locaux. En revanche, les
amortissements correspondants sont prévus sur quarante et, souvent, soixante
ans.
Cette distorsion conduit à mobiliser, pour des années, la quasi-totalité du
potentiel financier des collectivités locales, alors que la plupart de
celles-ci ne disposent pas de ressources financières importantes.
Cela fait courir, à terme, un risque certain de hausse forte et rapide des
impôts locaux, à l'heure où le Gouvernement, avec raison, souhaite se diriger
vers une refonte générale du système fiscal dans le sens d'une répartition plus
équitable de la charge au regard des capacités contributives de chacun. Or,
actuellement, la fiscalité locale est l'une de celles qui prennent le moins en
compte les différences de revenus des contribuables.
Afin d'épargner au maximum les contribuables locaux et de permettre aux
collectivités locales de faire face à ces obligations nouvelles sans devoir y
consacrer la totalité de leurs moyens, ne pourrait-on pas, monsieur le
secrétaire d'Etat, réfléchir à la mise en place d'un dispositif qui puisse
mettre en concordance les durées d'emprunt et les durées d'amortissement pour
ces investissements ?
La charge des emprunts pourrait ainsi être répartie plus équitablement sur la
durée d'une génération sans hausse excessive des impôts locaux pour des
investissements qui seront utiles à plusieurs générations.
Monsieur le secrétaire d'Etat, mon tour d'horizon consacré aux finances
locales, sans doute imparfait et aride, s'achève. J'ai essayé de vous faire
part des inquiétudes et des interrogations qui sont celles des élus locaux,
principaux acteurs de l'aménagement du territoire.
Je sais bien que vous ne pourrez pas tout faire tout de suite, mais je ne
doute pas que le Gouvernement, sensible aux préoccupations des maires, «
premiers relais politiques et citoyens de la République », apportera des
réponses claires, de nature à ramener calme, sérénité et confiance chez les
trente-six mille maires de France.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Peyrefitte.
M. Alain Peyrefitte.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous savons
tous que la discussion budgétaire est malaisée parce qu'il est difficile de ne
pas s'égarer dans un texte dont chaque détail comporte des enjeux
considérables. Il est difficile de s'en tenir aux quelques axes qui ordonnent
une politique.
Mais il y a plus. Je dirai que tout notre débat me paraît un débat faussé.
Nous voudrions, dans cet acte majeur de la responsabilité gouvernementale et
parlementaire qu'est la discussion budgétaire, parler du budget de la France.
Or nous parlons du budget de l'Etat.
Ce n'est pas nouveau, direz-vous. Certes. Mais il y a, cette année, dans ce
premier budget de la deuxième époque socialiste, quelque chose de frappant :
c'est un contraste qui saute aux yeux. En effet, ni l'économie, ni la société
française ne vont bien - nous le sentons tous sur toutes les travées de cet
hémicycle et on vient de s'en faire l'écho sur les travées de gauche à
l'instant même. Mais le budget, lui, se porte comme un charme et nous avons un
ministre des finances heureux et un secrétaire d'Etat au budget heureux.
(M. le secrétaire d'Etat sourit.)
Comment cela est-il possible ? N'y a-t-il pas là un signe de dérèglement
? N'y a-t-il pas là un nouveau signe que l'Etat, sous la direction socialiste,
évolue dans un monde à part,...
M. Marc Massion.
Mais non !
M. Alain Peyrefitte.
... un monde protégé, un monde privilégié ?
M. Marc Massion.
Oh là là !
M. Alain Peyrefitte.
Ne faut-il pas chercher, dans ce paradoxe d'un Etat prospère au sein d'une
société en crise, les raisons tragiques de ce que M. Sautter a appelé hier,
sans qu'il y ait vraiment lieu de s'en vanter, l' « exception française » ?
Un chiffre, un seul, est censé faire le lien entre l'univers du budget de
l'Etat et celui de la France. Ce chiffre est rond, sympathique, magique : 3
%.
Il est doublement magique.
Le déficit de l'ensemble des comptes publics ne dépassera pas 3 % du PIB et la
croissance du PIB ne sera pas inférieure à 3 %. C'est du moins votre
supputation. Le chiffre vous convenait parfaitement : assez confortable pour
donner de l'aisance à votre budget, assez modeste pour ne pas être suspect,
assez flatteur pour vous donner du courage.
(M. le secrétaire d'Etat sourit.)
Nous saurons dans un an s'il est avéré.
Pour le moment,
se non è vero, è ben trovato...
Nous verrons ce que sera la croissance réelle en 1998.
Mais, toute virtuelle qu'elle est, elle permet déjà au Gouvernement de
présenter un budget qui masque au pays l'étendue des réformes à accomplir, un
budget qui aggrave la fâcheuse particularité française,...
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Eh oui !
M. Alain Peyrefitte.
... un budget - permettez-moi de le dire, monsieur le ministre, à l'encontre
de vos thuriféraires - sans courage.
M. René Régnault.
Vous êtes mal placé pour le dire !
M. Alain Peyrefitte.
M. Dominique Strauss-Kahn a dit que ce budget était placé sous le signe de la
« croissance solidaire ». Je vais vous préciser la solidarité que j'y vois en
oeuvre, en effet. Oui, votre budget met la croissance économique au service de
la croissance de l'Etat. C'est, si l'on veut, une forme de solidarité. Oui,
solidarité des contribuables, des entreprises ou des particuliers envers
l'Etat. Solidarité de tous ceux qui n'ont pas la chance d'être des agents
publics envers ceux qui ont eu le bonheur de le devenir. Solidarité du secteur
à risques en faveur du secteur sans risques. Solidarité des emplois précaires
en faveur des emplois protégés. C'est tout de même paradoxal en temps de crise.
On dirait que la machine est montée à l'envers !
Prenons les choses sous un autre angle.
A qui demande-t-on des sacrifices ? La liste est longue : aux entreprises, aux
épargnants, aux employeurs de personnel de maison, aux familles,...
M. Marc Massion.
Pas aux familles, mais à certaines familles !
M. Alain Peyrefitte.
... c'est-à-dire à l'avenir de la nation, à tous ceux qui comptaient sur la
réduction progressive de l'impôt sur le revenu précédemment annoncée et
amorcée. Je n'entre pas ici dans la discussion sur la légitimité de ces
sacrifices, sur leurs effets heureux ou pervers ; je constate simplement que
presque toutes les catégories de contribuables sont appelées à contribuer
quelque peu.
M. René Régnault.
C'est la solidarité !
M. Alain Peyrefitte.
Et l'Etat ? Consent-il quelques sacrifices en retour ? Non pas ! Lui, il a
droit à une garantie de progression. Lui, naturellement. Lui seul.
On nous vante le dialogue. Mais dans un vrai dialogue, chacun fait un effort
pour comprendre les arguments du partenaire, chacun apporte sa part à l'effort
de réflexion commun, afin de progresser ensemble.
Déjà, nous avions été fâcheusement impressionnés d'entendre Mme le ministre de
l'environnement, dès sa prise de fonctions, annoncer qu'elle allait arrêter et
démonter Superphénix, sans aucune délibération préalable, sans aucun audit,
sans aucun conseil interministériel, sans autre source d'information qu'un
lobby antinucléaire d'écologistes attardés. M. le Premier ministre a
malheureusement cru devoir, quelques jours plus tard, confirmer cette annonce
dans sa déclaration de politique générale. Il a entériné, sans examen sérieux,
c'est-à-dire contradictoire, argumenté et rationnel, un fantasme de quelques
militants ignares mais forts en gueule.
(Protestations sur les travées
socialistes.)
M. Philippe de Gaulle.
Tout à fait !
M. René Régnault.
Cela frise l'insulte !
M. Alain Peyrefitte.
Entre les contribuables et l'Etat, il n'y a pas non plus de dialogue. C'est
l'Etat, ou plutôt ceux qui en ont pris les leviers, qui fixe souverainement,
unilatéralement, le coût social et fiscal des services qu'il est supposé rendre
et que, souvent, il rend bien mal, reconnaissons-le, sans aller jusqu'aux
outrances de M. Allègre...
La présentation gouvernementale masque tout cela, bien sûr.
Pour les recettes fiscales, on s'efforce de limiter la discussion à des
considérations sur la justice sociale, sur le plus ou moins grand mérite ou
démérite des contribuables visés, mais jamais on ne considère ces recettes
supplémentaires sous l'angle de leur utilité globale. Jamais on ne met en
balance les milliards de francs que l'on va prendre aux contribuables et les
milliards de francs que l'on aurait pu économiser sur les dépenses.
M. René Régnault.
On va donner aux jeunes pour qu'ils aient un emploi !
M. Alain Peyrefitte.
Supposons un instant que le Gouvernement ait dû fabriquer son budget avec un
taux de croissance de 2 %. On peut imaginer les progrès qu'aurait fait la
justice fiscale, selon votre définition ! Quels progrès auriez-vous accomplis
dans le sens du nivellement, de l'arasement, qui fait les délices de vos
idéologues ! Mais l'Etat aurait-il compté un fonctionnaire de moins ? Le
mammouth, si justement dénoncé par M. le ministre de l'éducation nationale,
aurait-il le moins du monde perdu de sa graisse ? Bien sûr que non ! Tout en
dénonçant le poids du mammouth, on l'alourdit encore, de 40 000 agents
publics.
Le Gouvernement a tenu à envoyer un message rassurant, euphorisant, aux
syndicats de la fonction publique.
(M. le secrétaire d'Etat sourit.)
Les crédits consacrés aux dépenses de
personnel de l'Etat croissent plus vite que le budget général. Mais je retiens
un chiffre plus significatif encore : le jeu des créations et suppressions
d'emplois civils aboutit à un solde positif de 490 emplois nouveaux. Quatre
cent quatre-vingt-dix, alors qu'il y a plus de 5 millions d'agents publics, ce
n'est rien, c'est presque ridicule ! L'Etat avait-il besoin de ces 490 emplois
supplémentaires ? Evidemment non ! Pas l'Etat. Encore moins la société. Mais le
Gouvernement en avait besoin. Il voulait rassurer, faire un signe de
reconnaissance, de connivence. Pas de solde zéro ! Pas de solde négatif. Non,
il fallait une augmentation, même symbolique. C'est le symbole qui compte pour
les idéologues !
M. René Régnault.
C'est de la théorie !
M. Alain Peyrefitte.
Un symbole qui fait du bien aux syndicats de fonctionnaires de culture
marxisante, et donc à votre clientèle électorale.
(Protestations sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste
républicain et citoyen.)
Peu importe si ce symbole fait du mal à la France
et à l'image de la France dans le monde.
(Sourires sur les travées socialistes.)
Autre symbole, autre message, mais avec de tout autres chiffres : les
emplois subventionnés ; les 350 000 emplois-jeunes.
Quel symbole, là encore, que la mesure majeure du Gouvernement contre le
chômage passe par une quasi-embauche dans de quasi-emplois de la fonction
publique au sens large !
M. Marc Massion.
Qu'avez-vous fait, vous, pour les jeunes ?
M. Alain Peyrefitte.
Vous en avez fait l'aveu : le Gouvernement se résigne à ce que 3 % de
croissance économique supposés n'enlèvent que 100 000 demandeurs d'emploi sur
les rôles de l'ANPE - je dis bien « se résigne ». Vous pourriez considérer que
ce piètre rendement social de la croissance retrouvée dans l'Union européenne
est un objet de scandale. Eh bien non ! Au lieu de chercher la cause là où elle
est, c'est-à-dire dans les lois qui régissent l'entreprise, l'embauche, le
salaire...
M. René Régnault.
Que faisiez-vous avant le mois de juin dernier ?
M. Alain Peyrefitte.
... le fonctionnement des syndicats et du droit de grève, au lieu de commencer
à réfléchir, le Gouvernement cède au réflexe conditionné de l'étato-centrisme.
L'Etat est la providence de l'emploi. Pauvre emploi !
M. René Régnault.
Il y a de quoi vous faire limoger !
M. Alain Peyrefitte.
Voyez comment, par la magie de l'Etat, l'emploi précaire, le
job
à
l'anglo-saxonne, si décrié quand il pointe le nez dans une entreprise, devient
soudain bienfaisant, social, prestigieux, quand il est offert par l'Etat. Fi de
la déréglementation qui a créé des dizaines de millions de modestes emplois
privés aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne ! Mais hourrah pour la
déréglementation qui crée 350 000 emplois publics, même s'il s'agit de « petits
boulots ». La budgétisation efface l'opprobre. D'ailleurs, là encore, le
message reçu dépasse la réalité à laquelle vous prétendez vous tenir. En effet,
cela fait au moins 350 000 jeunes et leurs familles qui sont persuadés d'avoir
un pied dans la maison Fonction publique, et bien décidés à l'y garder jusqu'à
l'âge de la retraite, et donc la retraite comprise !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
C'est vrai !
M. Alain Peyrefitte.
Dans cinq ans, ce seront non pas 490 emplois de fonctionnaires qu'il faudra
créer, mais 350 000. Ce qui explique la complaisance des syndicats marxisants.
(Exclamations sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste
républicain et citoyen.)
Ils attendent.
Mais la France peut-elle attendre ? Le monde nous laisse-t-il le temps
d'attendre ? L'installation du chômage au coeur de notre société nous
permet-elle de nous croiser les bras ?
Ce budget est révélateur, comme celui que la majorité précédente a voté
l'année dernière. Les socialistes ne cessent de le mettre en pièces, ce budget
1997, pour mieux mettre en valeur leur budget. Mais ces deux budgets, je les
associerai volontiers, pour la leçon qu'ils nous donnent.
M. Michel Sergent.
Ah ?
M. Alain Peyrefitte.
Oui, le redressement des déséquilibres anciens, invétérés, enkystés dans
toutes nos habitudes mentales,...
M. René Régnault.
A qui le doit-on ?
M. Alain Peyrefitte.
... c'est extrêmement difficile. Les dérives, du fait des pratiques amplifiées
après 1981
(Exclamations sur les mêmes travées.)
ont pesé très fort sur
le budget de 1997. Mais au moins les signaux étaient-ils les bons. Les
circonstances, la croissance à 3 %, donnent un peu de marge au budget pour
1998, et les dérives y pèsent un peu moins, grâce à l'effort du gouvernement
précédent. Mais ces dérives, on n'y résiste plus : on les accentue. Et vous
avez multiplié les mauvais signaux.
Certes, vous vous flattez de respecter les critères de Maastricht. Vous avez
pris grand soin qu'aucun des clignotants de l'entrée en euro ne puisse
s'allumer - je laisse à des collègues plus compétents le soin d'examiner si
c'est à bon droit - et vous pilotez le char du budget et de l'Etat l'oeil fixé
sur ces clignotants internes, sans trop vous préoccuper de ceux qui jalonnent
la voie et vous indiquent l'état de la société.
M. René Régnault.
Vous, vous étiez dans l'oeil du cyclone !
M. Michel Charasse.
L'oeil était dans la tombe...
(Sourires.)
M. Alain Peyrefitte.
Vous ressemblez, monsieur le ministre, à un automobiliste qui foncerait les
yeux rivés sur son tableau de bord, mais sans regarder les panneaux indicateurs
qui signalent le monde extérieur.
Nous sommes en train de démontrer cette vérité que nous pouvons avoir un Etat
prospère, protégé dans sa bulle aseptisée, au milieu d'une société malade.
Malade de quoi ?
M. René Régnault.
D'un manque de solidarité !
M. Alain Peyrefitte.
D'entretenir un Etat trop gros pour elle.
Pourtant, il y a, dans votre budget, un poste qui montre que vous avez osé
agir en profondeur : c'est le budget des armées.
Quand je disais que l'Etat n'avait fait aucun sacrifice, c'était en exceptant
ce poste-là. Les sacrifices que supporte la défense sont lourds, très lourds.
Ils sont d'autant plus lourds que vous n'avez pas voulu en faire ailleurs et
qu'ils portent sur l'équipement, c'est-à-dire sur l'avenir, sur le Rafale, sur
la marine, sur l'aviation.
L'armée, d'une part, et les contribuables, de l'autre, paient ensemble le prix
de ce qu'il faut bien appeler votre manque de courage.
M. René Régnault.
Oh !
M. Alain Peyrefitte.
Mais qu'au moins de ce mal il sorte un bien : qu'il en sorte la conviction
qu'une volonté politique affirmée peut faire faire à l'Etat des économies qui,
elles, soulageraient enfin la société.
A l'engraissement du pachyderme, vous sacrifiez ce qui est le coeur de l'Etat,
ce qui est la condition de l'indépendance et de la souveraineté nationale.
M. Maurice Schumann.
Très bien !
M. René Régnault.
Le mur est tombé !
M. Alain Peyrefitte.
Alors qu'il faudrait réduire l'Etat gérant pour sauvegarder l'Etat garant,
vous réduisez l'Etat garant pour gonfler l'Etat gérant.
Je reviens à votre chiffre magique, aux 3 % de croissance.
Oui, la France a d'extraordinaires capacités de croissance. Ce qui nous fait
enrager, c'est qu'elles soient si mal exploitées. Nous savons pourquoi.
M. René Régnault.
Vous n'avez pas réussi !
M. Alain Peyrefitte.
Mais ni votre budget ni votre programme législatif ne nous montrent que vous
et votre majorité l'ayez compris.
Nous savons pourquoi les entreprises souffrent, pourquoi les jeunes qui
voudraient entreprendre sont découragés, pourquoi tant d'entre eux franchissent
la Manche ou l'Atlantique pour faire leur chemin d'entrepreneur...
M. René Régnault.
C'est pour cela que vous les laissez au bord de la route ! Le problème, c'est
qu'il n'y a pas de voiture pour les prendre.
M. Alain Peyrefitte.
... et pourquoi les entreprises existantes sont découragées d'embaucher et
tentées de se délocaliser en Grande-Bretagne, en Amérique du Sud ou en
Extrême-Orient.
Toujours plus de charges sur l'emploi et toujours plus pesantes qu'ailleurs,
toujours plus de prélèvements obligatoires,...
M. Marc Massion.
Non !
M. René Régnault.
C'est faux !
M. Alain Peyrefitte.
... bien que M. Strauss-Kahn ait dit hier que c'était là un « canard ».
Je vais vous montrer que ce n'était pas un « canard ». Le Gouvernement se
targue de faire diminuer le taux global des prélèvements obligatoires
(Oui !
sur les travées socialistes)
, mais le chiffre avancé prête à sourire : de
46 %, on passe à 45,9 %.
M. Michel Charasse.
Ce n'est pas rien !
M. Alain Peyrefitte.
Une diminution de 1 - c'est admirable, n'est-ce-pas ? -...
M. Michel Sergent.
Après une augmentation de 2 % en quatre ans !
M. Michel Charasse.
L'Académie française n'est pas l'Académie des sciences : on n'est pas obligé
de savoir compter !
M. Alain Peyrefitte.
... mais sur un PIB accru par hypothèse de 3 %.
Il vous fallait à tout prix afficher une diminution, mais se targuer de 1 de
moins dans le diviseur...
M. René Régnault.
Par rapport à l'augmentation de 2 % réalisée par nos prédécesseurs, c'est
significatif !
M. Alain Peyrefitte.
... quand il y a 30 de plus dans le dividende, franchement, n'est-ce pas
avouer que l'on est dans la pure fiction ? Le 1 symbolique se retourne en
symbole inverse.
Si l'on ose annoncer seulement cette diminution infinitésimale, subliminale,
c'est qu'une véritable politique de diminution n'est pas engagée, alors que la
croissance aurait permis, justement, de diminuer carrément les prélèvements.
Et, si elle n'est pas engagée, si la pression à la hausse, tellement puissante
depuis 1981, n'est pas vigoureusement combattue, comment pourra-t-on éviter que
les prélèvements obligatoires ne continuent d'augmenter ?
Comment évacuer de notre réflexion sur le budget la loi à venir sur les
trente-cinq heures ?
Je ne parle même pas de son application à la fonction publique ni des
conséquences que la logique étatique et syndicale en tirera en termes d'emploi
; je m'en tiens aux entreprises : pour beaucoup d'entre elles, c'est un poids
supplémentaire jeté sur le mauvais plateau d'une balance déjà déséquilibrée.
Offrir du travail, c'est de plus en plus prendre des risques, des risques
incontrôlables puisqu'ils sont à chaque instant sujets à une décision
d'Etat.
« Enrichir la croissance en emplois », c'est l'expression à la mode. Eh bien
oui, passez à l'acte ! Et nous vous retournons le mot de Guizot :
enrichissez-la, cette croissance-là ! Enrichissez-la par le travail et par
l'épargne, par le travail libéré, par l'épargne encouragée...
M. René Régnault.
Par le chômage !
M. Alain Peyrefitte.
... encouragée à passer de cette assurance-vie qu'est la fonction publique et
dont la symbolique est si défensive, si peureuse, à l'épargne d'investissement,
créatrice d'avenir !
Faute de cet enrichissement-là, nous aurons plus de chômage et toutes ses
séquelles de désespoir, de violence. Séquelles que, par une inconséquence
vraiment déraisonnable, une légèreté vraiment coupable...
M. René Régnault.
C'est l'Apocalypse !
M. Alain Peyrefitte.
... - demandez à M. Mauroy ! - le Gouvernement aggrave encore...
M. René Régnault.
Ce n'est pas vrai !
M. Alain Peyrefitte.
... en donnant, pour reprendre l'expression de notre collègue Michel Rocard,
dont nous allons regretter le départ,...
M. Michel Sergent.
Ah tiens !
M. Alain Peyrefitte.
... en donnant « à toute la misère du monde » les signaux qu'elle guette pour
venir se réfugier à l'ombre de notre Etat, de nos ASSEDIC et de notre sécurité
sociale.
M. Paul Loridant.
Caricature !
M. Emmanuel Hamel.
Vous savez bien que c'est vrai !
M. Alain Peyrefitte.
Vous agissez sous le regard du monde, et ce regard est de plus en plus
goguenard. Nous voyageons, nous écoutons, nous savons ce qui se passe, nous
avons le souvenir de conversations, le souvenir de choix personnels. Vos amis
étrangers n'osent pas vous parler comme les nôtres osent vous parler.
M. Michel Charasse.
Nous n'avons pas les mêmes !
M. Alain Peyrefitte.
Lisez donc la presse anglaise, allemande, hollandaise, américaine,...
M. Michel Charasse.
Nous, on ne sait pas lire tout cela !
(Sourires.)
M. Alain Peyrefitte.
... vous serez édifiés : comment la France peut-elle ainsi gâcher toutes ses
chances, démobiliser un capital humain de toute première grandeur ? Comment ne
voit-elle pas qu'on commence à la déserter, soit que ses talents et ses
capitaux aillent travailler et s'investir ailleurs,...
M. René Régnault.
Où sont les déserteurs ?
M. Alain Peyrefitte.
... soit que les capitaux et les talents étrangers renoncent à venir
travailler et s'investir chez nous.
Nous recevons une immigration de pauvres gens sans formation, sans valeur
ajoutée, et nos jeunes bien formés, nos jeunes des écoles de commerce, des
facultés de gestion, des grandes écoles et même des IUT et des BTS, nos jeunes
pleins de valeur ajoutée et ajoutable, ils émigrent.
Ce n'est pas entièrement négatif, bien sûr, et j'espère qu'ils nous
reviendront un jour, entretenus dans leur dynamisme par les expériences qu'ils
auront vécues, par les réflexes qu'ils auront acquis. Mais combien renonceront
à revenir, si nous ne réussissons pas à relever en France le défi de la
mondialisation ?
Quant à l'investissement... La France n'était déjà que trop lente à se
transformer. Mais, enfin, les privatisations, l'amorce d'une politique fiscale
à long terme, la prise à bras-le-corps de la sécurité sociale, la rigueur
économique imposée par l'euro, tout cela allait dans le bons sens.
Le retour de la gauche a donné l'alarme. On l'a mise en observation, on s'est
flatté que Lionel Jospin écouterait son ami Tony Blair. Mais Tony Blair avait
été précédé par l'ère Thatcher !
M. René Régnault.
Quelle référence !
M. Michel Charasse.
Entre eux, il y a eu quelqu'un quand même, non ?
M. René Régnault.
Ils l'ont oublié !
M. Alain Peyrefitte.
M. Jospin a été précédé, lui, par l'ère Mitterrand. C'est toute la
différence.
Il suffit de quelques décisions pour compromettre un crédit fragile. Ceux qui
nous jugent se demandent où placer leur argent. Les trente-cinq heures, les 350
000 emplois-jeunes, votre budget d'Etat dominateur,...
M. Michel Charasse.
Marxisant !
M. Alain Peyrefitte.
... cela leur a suffi. Leur argent ira ailleurs : ce ne sont pas les endroits
qui manquent !
M. René Régnault.
Vous parlez contre la France !
M. Alain Peyrefitte.
Et, à nous, qui ne votons ni avec nos pieds ni avec notre argent, il nous
reste la parole et le bulletin pour dire ce qui se cache sous vos apparences
!
M. Michel Charasse.
C'est ce qu'ont fait les Français : ils ont utilisé leur bulletin !
M. Alain Peyrefitte.
Ce qui se cache, c'est l'immobilité satisfaite d'un Etat dans une France qui,
par vos soins attentifs, peut s'apprêter à devenir dans quelques années un pays
en voie de sous-développement. Une France où des syndicats prendront en otage
les citoyens...
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Oh !
M. Alain Peyrefitte.
... et bloqueront la circulation en Europe, tandis que des ministres, dont on
déclare publiquement être fier, iront « trinquer » avec ceux qui sont, en fait,
des délinquants de droit commun.
M. Michel Sergent.
C'est le peuple !
M. Alain Peyrefitte.
Une France où viendront s'abattre les immigrés des pays sous-développés,
s'ajoutant à un quart monde qui grandit chez nous de mois en mois. Une France
d'où partiront les meilleurs de nos jeunes, nos forces vives de demain. Une
France où nos voisins viendront passer leurs vacances et s'achèteront des
résidences secondaires : ils distribueront quelques miettes à nos artisans,
tandis que nos usines se délocaliseront.
M. Paul Loridant.
Quel souffle mais quelle petitesse !
M. Alain Peyrefitte.
Un pays en voie de tiers mondisation, voilà, hélas ! la direction que prend,
sur la pointe des pieds, votre projet de budget.
M. René Régnault.
C'était ce que vous vouliez faire !
M. Emmanuel Hamel.
C'est la vérité ! Ecoutez, apprenez !
M. Alain Peyrefitte.
Voilà pourquoi nous le repousserons.
(Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. René Régnault.
C'est ce que les Français ont fait, ils vous ont repoussés !
M. Michel Charasse.
Ce discours ne restera pas immortel !
(Sourires.)
M. le président.
Je croyais que la nuit allait moduler les propos de notre ami M. Régnault,
mais je constate qu'il est toujours en forme ce matin !
M. Emmanuel Hamel.
C'est le vent d'Armor !
M. le président.
La parole est à M. Massion.
M. Marc Massion.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je
voudrais une nouvelle fois évoquer ici le problème de la fraude fiscale. Une
nouvelle fois, parce que j'ai déjà abordé cette question dans cet hémicycle,
avec la désagréable impression de ne pas avoir été entendu par le gouvernement
précédent.
Parler à nouveau de la fraude est révélateur de constats d'échecs, tant de
l'exécutif, qui ne parvient pas à mettre en oeuvre les moyens en hommes et en
matériel nécessaires pour la combattre, que du législateur, qui ne sait pas
élaborer des systèmes incontournables ou qui, trop souvent, légifère dans la
complexité fiscale sans se rendre compte que celle-ci fait, parfois, le lit de
la fraude.
Chaque année, les socialistes stigmatisent la fraude, sur le motif de
l'incivisme fiscal, voire de ce que l'on pourrait appeler la délinquance
fiscale, sans arriver à faire en sorte que la fraude diminue pour autant.
Depuis 1993, je dois dire que nos initiatives, au Sénat comme à l'Assemblée
nationale, pour endiguer ce fléau n'ont pas été couronnées de succès. Cela ne
m'étonne d'ailleurs qu'à moitié.
Certes, le précédent gouvernement a pris quelques mesures ponctuelles en la
matière, mais l'essentiel, dans sa volonté politique, n'était pas au
rendez-vous : comment, en effet, lutter véritablement contre la fraude fiscale
quand on développe un discours prônant le moins-disant fiscal, voire «
l'allergie fiscale », pour reprendre une expression chère à un ancien
rapporteur général de l'actuelle opposition parlementaire ?
En effet, quand on décrète que nos impôts sont à des niveaux trop élevés -
spécialement l'impôt sur le revenu, alors même que cet impôt est le plus faible
par rapport à notre structure de recettes fiscales si on le compare à
l'ensemble de nos partenaires de l'Union européenne - cela ne peut qu'inciter
les contribuables à tenter de contourner l'impôt.
De même, multiplier les régimes dérogatoires qui allègent l'impôt ne peut que
susciter, chez ceux qui ne peuvent en profiter, l'envie d'y échapper. En clair,
l'évasion fiscale légale ne peut qu'induire les fraudes. Maintenant que le
Gouvernement a changé, nous pouvons espérer que les pouvoirs publics engageront
une politique véritablement volontariste sur ce sujet.
Au-delà de l'idée de morale civique, il faut bien garder à l'esprit que toute
perte de recettes fiscales induite par la fraude est compensée obligatoirement
par un transfert effectué sur les autres contribuables, ceux qui s'acquittent
honnêtement de leur impôt : qui vole l'Etat, vole le contribuable !
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat au budget.
Absolument !
M. Marc Massion.
La fraude à elle seule amplifie donc, chez bon nombre de nos concitoyens,
outre le sentiment d'injustice, l'idée même qu'ils paient trop d'impôt.
Pourtant, à l'examen, les résultats du contrôle fiscal qui ressortent du
document sur les voies et moyens du projet de loi de finances pour 1998
montrent qu'en 1996 des progrès ont été enregistrés. Les droits nets, au niveau
du contrôle tant sur place que sur pièces, sont en progression. Le nombre total
des vérifications en contrôle externe a également progressé.
Je crains toutefois que ces données ne soient en fait négatives. Elles sont,
de mon point de vue, le signe plus d'un accroissement de la fraude que d'une
amélioration de la rentabilité des contrôles. Je n'ai pas, bien sûr, les moyens
de vérifier cette impression et j'aimerais donc, monsieur le secrétaire d'Etat,
avoir votre sentiment sur ce sujet.
Une donnée supplémentaire m'inquiète également, concernant cette fois le
recouvrement. S'il est compréhensible que le taux de recouvrement ne puisse
être optimum dès la première année de mise en recouvrement de la créance, le
taux pour 1996 n'est que de 46,1 %. Certes, il est en amélioration par rapport
à l'année précédente, mais il me paraît encore trop bas. C'est d'autant plus
inquiétant que des créances sur l'Etat beaucoup plus anciennes, par exemple
datant de 1992, ne sont recouvrées, en 1996, qu'à hauteur de 71,2 % !
Cela signifie que, lorsque la fraude est constatée, son montant n'est jamais
en totalité recouvré, même dans le temps.
Et, beaucoup plus grave encore, le taux de recouvrement varie en fonction de
l'importance des créances. Plus celles-ci sont importantes et moins le taux de
recouvrement est élevé : plus la fraude est importante et moins les fraudeurs
s'acquittent
in fine
de leur dû. Il y a là un réel problème, monsieur le
secrétaire d'Etat, et je souhaiterais que vous nous indiquiez quelles sont les
intentions du Gouvernement pour enrayer ce véritable engrenage qui veut que
plus la fraude est importante, moins le recouvrement est élevé.
Je me félicite de ce que les poursuites pénales soient en progression par
rapport aux années passées ; mais je regrette qu'elles soient, comme toujours,
en nombre limité. Ainsi, 911 dossiers ont été déposés pour des poursuites
correctionnelles en 1996, 1 051 décisions de justice ont été rendues la même
année et 63 peines de prison prononcées « seulement », serais-je tenté
d'ajouter.
La pénalisation de la grande fraude est un vrai sujet que l'on ne doit pas
esquiver. C'est par l'exemplarité de la peine que l'on arrivera pour partie à
endiguer ces délits, sachant bien que, souvent, les plus gros fraudeurs
s'arrangent pour se mettre en liquidation afin, justement, d'échapper au
remboursement de l'impôt dû.
J'aimerais avoir maintenant des données actualisées sur la périodicité des
contrôles, les chiffres dont je dispose, qui datent de 1987, étant certainement
dépassés. A-t-on amélioré cette périodicité ? Elle s'établissait à 36 ans pour
les titulaires de bénéfices non commerciaux, 134 ans pour les titulaires de
bénéfices agricoles et de 74 ans à 84 ans pour les titulaires de bénéfices
industriels et commerciaux selon que leur chiffre d'affaires était inférieur à
2 millions de francs ou supérieur à 20 milliards de francs.
Je note que cette périodicité a fortement augmenté pour les petites
entreprises, puisqu'elle est passée de 74 ans en 1987 à 136 ans en 1992.
Monsieur le secrétaire d'Etat, pouvez-vous nous dire où nous en sommes sur
cette question et nous apporter quelques précisions ?
On sait que les entreprises fraudeuses utilisent le facteur temps pour
frauder.
Le cadre juridique du contrôle fiscal a permis une extension des garanties
données au contribuable faisant l'objet d'une vérification. C'est une bonne
chose lorsque l'on s'adresse au contribuable de bonne foi. Malheureusement, ce
cadre profite pour l'essentiel aux contribuables sciemment fraudeurs et
procéduriers. En règle générale, ils ont les moyens de se faire assister par
des avocats-conseils qui, soit dit en passant, viennent parfois de
l'administration fiscale.
M. René Régnault.
Ah bon ?
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
C'est vrai !
M. Marc Massion.
Durant ces dernières années, nous nous sommes régulièrement inquiétés de la
fraude générée par le système de la TVA intracommunautaire. Au cours de la même
période, les gouvernements précédents nous ont assuré que, au contraire, cette
fraude était limitée.
Le présent gouvernement reconnaît, pour la première fois donc, le bien-fondé
de nos inquiétudes et admet que le montant de la fraude se situerait autour de
35 milliards de francs.
Monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez pris de bonnes dispositions dans le
projet de loi de finances pour 1998, notamment en habilitant les douanes à
exercer un droit de communication chez les assujettis à la déclaration
d'échange de biens. En fait, ce droit était déjà exercé, mais en dehors d'un
cadre légal. Cette disposition va dans le bon sens. Mais, pour une plus grande
efficacité, il conviendrait, de mon point de vue, de reconnaître à cette
administration un droit d'investigation et donc un droit de sanction.
Actuellement, il semble plus difficile de contrôler la carte d'identité d'une
marchandise que celle d'un citoyen ! Il apparaît donc nécessaire de conforter,
à titre général, le cadre juridique dans lequel les administrations de contrôle
exercent leurs missions, avec, dans le même temps, le souci d'une harmonisation
avec les règles européennes.
Il ne me paraît pas tolérable que les ports du Benelux puissent vanter, dans
leurs publicités commerciales, des facilités de contrôle douanier, sanitaire,
phytosanitaire et autres, et ce, bien sûr, au détriment des ports français.
Enfin, il me semble qu'il convient d'améliorer les rapports entre les
différentes administrations concernées - je veux parler notamment de la
direction générale des impôts et des douanes.
En l'état actuel des procédures, bien souvent les services des douanes
appréhendent les fraudeurs mais doivent attendre que leurs collègues de la DGI,
qui ont en charge d'autres dossiers, puissent s'en saisir et, éventuellement,
poursuivre. Là encore, le temps joue contre eux, mais en faveur des
fraudeurs.
Tout cela montre que beaucoup reste encore à faire. Nous aurons l'occasion,
lors de la discussion de la deuxième partie, de proposer des amendements qui,
je l'espère, recevront un avis favorable du Gouvernement.
Nous y serons attentifs : toute idée de réforme et de justice fiscale doit
aller de pair avec une lutte efficace contre la fraude, comme elle doit, à mon
sens, aller de pair avec un effort des pouvoirs publics auprès de nos
concitoyens pour développer une politique de prévention, qui devrait tout
naturellement trouver sa place dans la relance de l'instruction civique au sein
de notre système éducatif. Je me permets donc, monsieur le secrétaire d'Etat,
de vous solliciter pour que vous fassiez une démarche en ce sens auprès de vos
collègues en charge de l'éducation nationale et de l'enseignement scolaire.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du
groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
quelques réflexions à voix haute, rapidement, pour compléter les brillants
exposés de mes amis du groupe socialiste, exposés dont un reste à venir.
Monsieur le secrétaire d'Etat, lorsque vous êtes arrivé à Bercy, je vous ai
plaint. Je me suis dit : « Quel cadeau ! » Il est vrai que le budget de 1998
avait la réputation d'être impossible à faire. On a même dit qu'il était à
l'origine d'une innovation constitutionnelle, que le budget de 1998 était la
vraie cause de la dissolution et que le Gouvernement serait tombé pour cause de
non-budget, ou torpillé par un ovni budgétaire invisible.
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Torpillé, oui !
M. Michel Charasse.
Monsieur le président de la commission, pour le moment, ce que je dis est
historique.
Vous n'aviez donc devant vous que des problèmes et peu de solutions.
La préparation du budget avait été très largement engagée sur la base de
directives du gouvernement précédent. Vous disposiez de très peu de temps pour
rendre votre copie, d'autant plus que vous attendiez les résultats de
l'audit.
Vous deviez gérer - continuité républicaine oblige - le poids des engagements
précédents, une chute inquiétante des prévisions de recettes qui creusait alors
le déficit - on sait que les choses se sont un peu arrangées depuis, avec le
collectif - et les quelque 25 milliards de francs d'allègement de l'impôt sur
le revenu qui n'étaient pas financés. Enfin, vous deviez traduire dans ce
premier budget de la législature à la fois notre engagement européen et la
politique nouvelle voulue et attendue par le pays.
Dure équation, monsieur le secrétaire d'Etat, qui suscitait, malgré votre
réputation et votre talent, quelques inquiétudes parmi vos amis !
Même si la perfection n'est pas de ce monde, spécialement en matière
budgétaire, force est de reconnaître que le Gouvernement s'est tiré plutôt avec
brio de cette quadrature du cercle, et je vous en félicite.
Les dépenses sont stabilisées en francs constants, ce qui veut dire que vous
avez réussi à éliminer les quelque 60 milliards de francs de charges
inéluctables qui menaçaient l'équilibre. Exercice très rigoureux, on s'en
doute, face aux demandes des uns et des autres. Votre talent a certainement
fait merveille, même si vous avez été un peu aidé - sans que je veuille
diminuer en quoi que ce soit vos mérites - par le noviciat caractérisant la
plupart des membres du Gouvernement, qui n'avaient pas eu beaucoup de temps
pour plonger dans les comptes de leurs ministères et endosser l'uniforme
traditionnel des conférences budgétaires : l'habit de crocodile !
(Rires.)
Au stade des prévisions, et compte tenu de l'effet croissance, les
prélèvements obligatoires, malgré certaines hausses sur 1997 et, dans une
moindre mesure, sur 1998, sont eux aussi stabilisés. On parle de moins 0,1 % ;
je préfère dire « stabilisés ». N'entrons pas dans le détail, encore que 0,1 %,
ce soit beaucoup par rapport au PIB.
Nous savons que, pour les principaux de ces suppléments fiscaux, vous avez
employé le qualificatif « provisoires » : j'espère seulement que le sens que
vous donnez à ce mot ne vient pas du même dictionnaire que celui qui fut
consulté par M. Juppé lors des 120 milliards de hausses « provisoires » de 1995
(Sourires).
Bref, il doit être définitivement entendu que ce qui est
provisoire le sera, c'est-à-dire ne sera plus à la date prévue ! Par
parenthèse, vous êtes à l'origine d'un amusant aménagement du territoire
parlementaire, puisque, avec ses 120 milliards de francs, M. Juppé faisait
crier certains de nos collègues dans les couloirs mais, avec un peu plus de 22
milliards de francs, vous les faites crier dans l'hémicycle. Décidément, ici on
n'aime pas les gratte-petit !
(Nouveaux sourires.)
M. Michel Sergent.
Très bien !
M. Michel Charasse.
Le déficit subit une réelle chute de près de 30 milliards de francs en 1998,
contre moins de 5 milliards de francs en 1997, et sans la cagnotte de France
Télécom ! La norme de 3 % est donc respectée, même si les collectivités locales
- pas si mal gérées que cela, au passage - vous aident un peu en la
circonstance.
Enfin, vous parvenez à financer les premières mesures de la politique nouvelle
récemment approuvée par le pays. Je citerai le plan emploi-jeunes, des gestes
sociaux forts, notamment en faveur du logement social, des cantines et de
l'allocation de rentrée ; l'éducation nationale est favorisée - encore qu'en
entendant M. Allègre on se demande si le problème est encore budgétaire - et la
recherche n'est plus sacrifiée.
Une première série de niches fiscales sont éliminées, et il serait d'ailleurs
opportun de ne pas revenir en arrière en rétablissant celles - rares - que le
précédent gouvernement a eu le grand courage de supprimer. Je pense en
particulier à celle à laquelle vous pensez...
(Sourires.)
Je mentionnerai - j'y reviendrai - le strict respect du pacte de
stabilité financière Etat-collectivités locales, ce qui soulève d'ailleurs,
parmi les élus locaux comme au Parlement, des cris de joie égalant en intensité
les cris d'horreur poussés en 1995 par les mêmes, dont j'étais, qui n'en
voulaient pas ! Ces applaudissements, même à titre posthume, iront, j'en suis
sûr, droit au coeur de M. Juppé !
Et tout cela sans dégradation, au contraire, du solde de l'exercice 1997,
puisque votre collectif va permettre finalement de faire mieux que la loi de
finances initiale de M. Juppé et que vous avez su résister à la tentation de
céder à la facilité habituelle de la dépense en mangeant les plus-values de
recettes.
En l'état, et tel qu'il nous vient de l'Assemblée nationale, votre budget ne
peut donc qu'être approuvé, même si nous savons bien que beaucoup reste à faire
et qu'une hirondelle ne fait pas le printemps.
D'abord, il vous faudra tenir les dépenses de l'Etat et de la sécurité sociale
tout au long de 1998 pour que vos prévisions collent avec la réalité, et, nous
le savons - prix, croissance, monnaies, emploi - elle est très capricieuse !
Fort heureusement, vos prévisions sont réalistes, ce qui vous donne une
certaine chance...
S'agissant de la fiscalité, j'espère que l'année 1998 sera bien celle de la
poursuite des réformes, à travers la suppression d'autres niches fiscales - car
il en reste encore - et la mise au point des modalités d'application de la
révision des bases des impôts locaux. Cette dernière est tout de même achevée
depuis le 2 octobre 1992, avec des valeurs arrêtées au 1er janvier 1990, si
bien que, si l'on applique cette révision, qui a demandé de nombreux efforts
aux élus locaux et aux services fiscaux, les bases nouvelles, comme le disait
hier M. le président Poncelet au Congrès des maires, auront neuf ans d'âge !
C'est presque parfait pour un bon whisky, mais cela risque d'être un peu
pénalisant pour de bonnes bases d'imposition !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Me permettez-vous de vous
interrompre, mon cher collègue ?
M. Michel Charasse.
Je vous en prie, monsieur le président.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission, avec l'autorisation de
l'orateur.
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Vous dites à juste titre que la
révision des bases est terminée depuis neuf ans et que tout cela a exigé un
effort financier de la part de l'Etat, mais surtout des collectivités locales,
avec un prélèvement de 0,4 %, comme vous le savez.
M. Roland du Luart.
Et un effort des contribuables !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Mais si la révision est
terminée, le prélèvement sur les bases continue et l'effort des collectivités
locales est maintenu. Il faudrait tout de même, au passage, le souligner !
M. le président.
Veuillez poursuivre, monsieur Charasse.
M. Michel Charasse.
Il faut bien tenir la matière imposable à jour, et cela coûte des sous ! D'où
la nécessité d'appliquer rapidement la réforme.
Cette réforme fiscale, monsieur le secrétaire d'Etat, ne se borne pas
seulement aux deux aspects que je viens de citer. Je souhaite que vous
procédiez au recensement objectif des dispositions de notre droit fiscal qui
peuvent constituer un frein à l'emploi et que le Gouvernement n'oublie pas de
ramener le taux majoré de la TVA de 20,6 % à 18,6 %, parce que c'est un élément
important pour la consommation populaire et que les pauvres ne comprendraient
pas qu'il leur faille encore supporter l'un des taux les plus forts d'Europe
pour alléger les impôts directs qui, en France, restent anormalement bas.
En ce qui concerne les dépenses, vous n'aurez plus, monsieur le secrétaire
d'Etat, la possibilité, en 1999, comme vous le faites en 1998, de raboter sur
l'enveloppe « défense », au moins dans les mêmes proportions que cette année.
Je le dis tout en déplorant que certains se comportent plus, à travers trop de
déclarations intempestives, en responsables syndicaux qu'en chefs militaires
soumis au devoir de réserve.
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Ça, c'est vrai !
M. Michel Charasse.
Mais ça, c'est ma vieille conception républicaine : elle n'est pas à la mode,
donc je n'insiste pas. Il n'en reste pas moins que, comme le fameux Lebel
autrefois, le fusil « défense » est à un seul coup, et, même si Christian
Sautter n'est pas chasseur, je lui dirai que, quand ce coup est tiré, il ne
peut pas l'être une deuxième fois.
(Sourires.)
M. Roland du Luart.
Vous avez raison !
M. Michel Charasse.
Quant au « fusil à tirer dans les coins » pour débusquer les tas de noisettes
cachés, il n'est pas encore inventé !
Or, l'exigence de contenir nos déficits publics pour diminuer la charge de la
dette s'imposera toujours en 1999 et au-delà, plus encore avec le passage à
l'euro. Cette exigence sera d'autant plus redoutable qu'il faudra fortement
solliciter la solidarité nationale pour lutter réellement contre l'exclusion et
la pauvreté, qui frappent encore neuf millions de nos concitoyens dont le
revenu est inférieur à 3 000 francs par mois. La loi sur l'exclusion, annoncée
pour 1998, ne saurait donc se contenter de l'enveloppe symbolique retenue par
le précédent gouvernement.
Alors, en matière de dépenses, monsieur le secrétaire d'Etat, le plus
difficile est devant vous, devant nous. Notre commission des finances, qui s'y
essaie rituellement chaque fois que le Gouvernement ne lui convient pas, mais
sans vraiment convaincre, malgré le talent et l'imagination de son président et
de son rapporteur général, sait combien la critique est aisée mais l'art
difficile. Car le temps des économies symboliques s'achève : pour réduire la
dette et reconstituer des marges de manoeuvre, il faudra diminuer également
certaines dépenses structurelles, en tapant dans le « gras ». Le Gouvernement
devra donc s'attaquer aux « noyaux durs » : la réforme de l'Etat, son
fonctionnement en France et à l'étranger, la répartition de ses moyens, et
notamment des effectifs, sur l'ensemble du territoire - par parenthèse, la note
Choussat, même si elle a l'allure d'un papier d'humeur, ne peut pas, à mon
avis, être évacuée d'une pichenette - ...
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Ça, c'est vrai !
M. Michel Charasse.
... surtout si, par malheur pour les contribuables, les trente-cinq heures
sont introduites dans les - je dis bien « les » - fonctions publiques, les
dépenses inefficaces du budget du travail qui, selon les engagements électoraux
de la nouvelle majorité, doivent gager les charges des emplois-jeunes, beaucoup
de subventions du titre IV, certains aspects dispendieux des contrats de plan,
et j'en passe.
Je ne doute pas, monsieur le secrétaire d'Etat, parce que je vous connais, que
vous saurez faire preuve de la volonté et du courage qu'exige l'intérêt du
pays, car votre politique budgétaire ne peut pas en rester au très brillant «
galop d'essai » des exercices 1997 et 1998. Dans la tâche rigoureuse qui vous
attend pour les années suivantes, vous pouvez compter sur vos amis !
Pour terminer, je dirai un mot de la sortie du pacte de stabilité des
collectivités locales.
Vous le respectez scrupuleusement. Nous nous en réjouissons : je n'y reviens
pas.
Pour l'avenir, et pour nourrir vos réflexions, je souhaiterais ouvrir quelques
pistes.
Le nouveau pacte - si on l'appelle « pacte » - devrait interdire formellement
tout nouvel allégement d'impôts locaux à la charge de l'Etat.
M. Roland du Luart.
Très bien !
M. Michel Charasse.
On sait combien ces dégrèvements pèsent sur le budget de l'Etat, on connaît
leur influence sur le pacte et la tentation de l'Etat de faire supporter une
part croissante de ces cadeaux par les collectivités locales. Je regrette que,
en contradiction avec votre discours sur ce point, le Gouvernement ait eu la
faiblesse d'accepter de nouvelles mesures d'allégement de la taxe
professionnelle, et surtout de la taxe d'habitation, dont la justification
sociale est loin d'être évidente.
M. Alain Lambert,
rapporteur général de la commission des finances, du contrôle budgétaire et
des comptes économiques de la nation.
Très bien ! C'est courageux de le
dire !
M. Roland du Luart.
Oui, c'est courageux !
M. Michel Charasse.
Il ne faudra pas nous les reprocher l'année prochaine pour justifier un
nouveau « serrage de boulons ». Aussi, je souhaite que vous recherchiez
activement les moyens de faire baisser les charges de l'Etat en supprimant
certaines dispositions aussi onéreuses qu'injustifiées - j'espère, monsieur le
rapporteur général, que vous me trouverez toujours aussi courageux - : ainsi
pour le remboursement des pertes de recettes résultant de l'allégement de 16 %
de bases de taxe professionnelle aujourd'hui disparues ou pour le cumul de cet
allégement avec le plafonnement valeur ajoutée. Il y a là un « gisement » de
l'ordre de 6 à 8 milliards de francs.
L'Etat devrait s'interdire, pour la période du nouveau pacte, toute politique
nouvelle, législative ou réglementaire, générant des dépenses supplémentaires
obligatoires pour les collectivités locales qui ne seraient pas accompagnées
d'une réduction équivalente d'autres dépenses obligatoires.
M. Roland du Luart.
C'est ce qu'il faut faire !
M. Michel Charasse.
Car l'Etat fait désormais des économies qui se traduisent par des charges
nouvelles obligatoires répercutées sur les collectivités locales et donc sur
les impôts locaux. Ainsi l'aide sociale : traditionnellement un appoint
complétant la solidarité nationale, elle est aujourd'hui un élément de plus en
plus essentiel de cette solidarité, et un élément de moins en moins financé par
l'Etat.
Le Premier ministre devrait interdire à ses ministres tout projet non chiffré
dont les conséquences sont épouvantables pour les collectivités locales, genre
réforme des services d'incendie, élimination des déchets, normes démentielles
arrêtées à la suite de plaintes fantaisistes traitées avec délectation par des
juges à l'écoute de mamans des beaux quartiers qui réclament réparation chaque
fois que leur gamin tombe du trottoir en bayant aux corneilles, si bien qu'il
nous faut prévoir de le faire accompagner par deux personnes, une pour
l'empêcher de regarder en l'air et l'autre pour regarder où il met les pieds
(sourires)
- je plaisante à peine ! - sans parler demain des rythmes
scolaires ou des trente-cinq heures, sauf à dégager simultanément les moyens
financiers nécessaires pour les collectivités.
Monsieur le secrétaire d'Etat, nous ne rêvons pas. Nous savons bien que l'Etat
ne peut plus augmenter ses concours et nous serions irresponsables si nous
l'exigions. Nous ne sommes pas non plus des fanatiques de l'aide publique :
nous avons besoin des concours de l'Etat parce que l'essentiel de nos dépenses
est obligatoire. Mais ces concours pourraient diminuer si l'Etat nous aidait à
faire des économies sur ces dépenses imposées par la loi et cessait de nous
imposer de nouvelles charges sans en supprimer d'autres, comme il le fait pour
lui-même.
Actuellement, l'Etat peut modérer ses dépenses obligatoires : pas les
collectivités ! Il peut modérer ou réduire sa fiscalité : pas les
collectivités. Vous me direz qu'elles peuvent économiser sur leurs dépenses
facultatives. Mais celles-ci occupent de moins en moins de place dans les
budgets locaux - voyez la chute des investissements dont parlait notre collègue
René Régnault - et, si elles devaient disparaître, si les budgets locaux
n'étaient plus qu'un empilement de dépenses obligatoires, les élus seraient
transformés en surnuméraires de la direction du budget et la liberté locale
supprimée. Du coup, l'ensemble des relations financières de l'Etat et des
collectivités locales serait contraire à la Constitution et nous serions dans
un autre régime institutionnel !
Voilà quelques éléments de réflexion pour la politique qui prendra la suite du
pacte de stabilité et pour éviter ce qu'Edgar Faure annonçait un jour à cette
tribune : « La décentralisation de l'augmentation de la pression fiscale ou la
provincialisation de l'impasse budgétaire ! »
Monsieur le secrétaire d'Etat, rien ne sera simple pour vous en 1998. Raison
de plus pour vous encourager, en votant votre bon budget, à poursuivre votre
tâche dans la voie que vous ouvrez en ce début de législature.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du
groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Sergent.
M. Michel Sergent.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le
projet de budget que nous allons examiner marque une profonde rupture avec les
budgets précédents à la fois sur le fond et dans la forme. Il constitue une
étape importante et affirme la volonté du Gouvernement de faire progresser
notre pays vers une croissance plus forte et plus solidaire, vers plus de
justice fiscale et de justice sociale.
Ce projet de loi de finances répond aux préoccupations des Français exprimées
lors des dernières élections législatives : amplifier la croissance, soutenir
l'emploi et rendre l'Etat plus juste !
L'hypothèse de croissance retenue de 3 % fait l'objet d'un certain consensus
de la part des instituts de prévision, et le résultat sera en tout cas bien
supérieur aux taux obtenus depuis six ou sept ans.
La consommation s'était sérieusement ralentie au début de 1997, mais les
premières mesures prises par le gouvernement Jospin - la hausse du SMIC, la
forte augmentation de l'allocation de rentrée scolaire, la revalorisation des
allocations de logement - ont permis à la consommation de commencer à se
redresser. Les actions proposées dans le projet de budget pour 1998 devraient
la conforter. En effet, les dépenses sont globalement stabilisées en francs
courants, et ce sont les départements ministériels dont l'incidence sur la
croissance est la plus forte qui sont privilégiés.
Soutenir la croissance permet aussi d'améliorer l'emploi, même si chacun sait
bien que la croissance à elle seule ne suffira pas à résorber le chômage, dont
les causes sont pour une grande partie structurelles.
Le projet de budget prévoit donc un effort accru pour améliorer les conditions
de fonctionnement du marché du travail, ce dont je veux ici féliciter le
Gouvernement.
Le budget de l'emploi, qui s'élève à 112 milliards de francs, est, à structure
constante, en hausse de 4,4 % par rapport à la loi de finances votée en 1997 ;
il faut d'ailleurs y ajouter 43,2 milliards de francs inscrits au budget des
charges communes.
Cette dépense importante est restructurée et réorientée. Les interventions
existantes sont rendues plus efficaces ; les crédits sont mieux calibrés.
D'abord, dans le cadre des nouvelles mesures, le programme en faveur de
l'emploi des jeunes connaîtra une inscription de 8 milliards de francs,
s'ajoutant aux 2 milliards de francs de l'année 1997. Ainsi, ce sont 150 000
emplois qui seront créés en 1998. Ce programme vise à insérer les jeunes qui en
bénéficient dans un cycle long de cinq ans ; il leur donnera une véritable
expérience professionnelle et une première approche du monde du travail. Je ne
puis donc que m'étonner du souhait exprimé par M. le rapporteur général
d'annuler une telle mesure. Nous ne pouvons, en effet, ignorer la désespérance
des jeunes.
S'ajoute à cela un dispositif d'encouragement au développement d'entreprises
nouvelles par des avances remboursables, toujours dans le cadre de la loi
relative au développement d'activités pour l'emploi des jeunes.
L'incitation à la réduction du temps de travail permettra, grâce à une
provision de 3 milliards de francs, de financer l'incitation annoncée par le
Gouvernement lors de la conférence du 10 octobre dernier pour les entreprises
qui réduiront le temps de travail de 10 % et augmenteront leurs effectifs de 6
%.
S'agissant des actions en faveur des demandeurs d'emploi, les dispositifs
d'intervention vers les chômeurs en difficulté sont largement maintenus et
recentrés sur leur véritable mission en direction des jeunes, des chômeurs de
longue durée, des RMIstes.
Je note avec satisfaction que, dans le cadre du programme concernant les
chômeurs de longue durée, la dotation en faveur des stages d'insertion pour la
formation, qui avait fortement diminué en 1997, est en progression de 17 % ;
elle permettra de financer 30 000 stages supplémentaires, ce qui portera leur
nombre à 200 000 en 1998.
La troisième priorité de ce projet de budget pour 1998 n'est pas la moins
importante : plus de justice. En effet, ce projet de budget ne vise pas
seulement à plus de croissance et d'emploi ; il répond également à une
préoccupation de justice, négligée depuis quatre ans.
L'ensemble des minima sociaux - RMI, allocation aux adultes handicapés - est
revalorisé. Faut-il rappeler que l'allocation spécifique de solidarité en
faveur des demandeurs d'emploi de longue durée n'avait pas été révisée depuis
le 1er juillet 1994 ? Ces crédits sont en augmentation de 5 %.
Dans la même perspective, les dotations réservées aux aides personnalisées au
logement progressent de 11,5 % et seront revalorisées en 1998, après l'avoir
été en juillet 1997. Comment ne pas s'en réjouir lorsque l'on sait qu'il s'agit
d'instruments essentiels à la réduction des inégalités ?
Comment aussi ne pas souligner les mesures importantes telles que la baisse à
5,5 % du taux de TVA pour la transformation et la rénovation des logements
locatifs, l'augmentation du nombre des prêts locatifs aidés, qui, de 65 000 en
1997, passe à 80 000 en 1998 ? Une question, cependant, subsiste en matière de
logement : le Gouvernement va-t-il mettre fin à la taxation des surloyers qui
pèse sur les organismes bailleurs sociaux ?
Le projet de loi de finances prévoit donc des mesures de justice sociale, mais
aussi des mesures de justice fiscale, avec un projet de budget qui restreint
les possibilités offertes aux personnes percevant des hauts revenus de minorer
leurs impôts. Je parle bien ici des titulaires de hauts revenus, et non des
classes moyennes. Vu le nombre limité des contribuables visés, ce sont bien des
classes dites supérieures à hauts revenus qui sont concernées.
Je terminerai par le dernier volet de ces mesures de justice, celui de
l'éducation ; en effet, pour nous, c'est non pas le budget de la défense mais
bien celui de l'éducation qui représente le coeur de l'Etat.
Le budget de l'éducation est en progression de 3,1 % par rapport à la loi de
finances initiale de 1997. Il prévoit 1 537 créations de postes budgétaires
dont - j'insiste sur ce point - 1 354 dans l'enseignement supérieur. N'est-ce
pas là un investissement pour l'avenir ? En effet - ne l'oublions jamais ! -
l'investissement n'est pas seulement matériel ; il prépare aussi l'avenir de
nos jeunes. N'est-ce pas le plus important ?
Dans ce projet de budget, je veux aussi souligner la réouverture de huit cents
classes fermées par le précédent gouvernement. Que de fois n'a-t-on entendu ici
dénoncer la fermeture des services publics en milieu rural, notamment celle des
classes ! Mes chers collègues, soyez logiques : ne condamnez pas aujourd'hui ce
que vous avez réclamé hier à cor et à cri !
Le quadruplement de l'allocation de rentrée scolaire, la création du fonds
social pour les cantines en faveur des familles défavorisées constituent encore
des mesures de justice. Plus de 3,5 millions de familles en sont bénéficiaires,
chiffre que je vous demande, mes chers collègues, de rapprocher des quelques
dizaines de milliers de familles qui seront touchées par la baisse des
réductions d'impôt ou de l'allocation de garde d'enfant à domicile. Ajoutons
encore, et au-delà des emplois-jeunes d'aides éducateurs, les postes
d'infirmières et d'assistantes sociales dans les établissements scolaires.
Etait-ce inutile, notamment dans les zones d'éducation prioritaires ?
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
nous avons entendu, au cours de cette discussion générale, des propos souvent
contradictoires et quelquefois nostalgiques d'un passé révolu. Nous avons
entendu faire l'apologie de la monnaie et exiger la suprématie du financier et
de l'économique.
Le président du groupe du RPR a cité en conclusion Jacques Attali. Pour ma
part, je citerai notre collègue Jean-Paul Delevoye. En ouverture de son
congrès, le président de l'Association des maires de France nous disait : « Y
a-t-il un pouvoir politique face au pouvoir financier afin que l'homme soit le
but et la monnaie un moyen et non l'inverse ? »
M. Emmanuel Hamel.
Alors, il faut sortir de Maastricht !
M. Michel Sergent.
Il ajoutait encore, applaudi par 5 000 maires : « A quoi sert le politique et
la formidable bataille pour les libertés si le droit de vote monétaire a plus
de force que le droit de vote des citoyens ? »
M. Emmanuel Hamel.
Très bien !
M. Michel Sergent.
« Faut-il accepter l'économie qui, pour le bonheur de l'actionnaire, affiche
ses richesses sur des champs de ruines humaines, naturelles, territoriales,
environnementales ? »
Mes chers collègues, dans ce projet de budget, le Gouvernement a fait un choix
très clair de société : soutenir le dynamisme de l'économie sans sacrifier les
valeurs qui font l'originalité du modèle social français et européen, soutenir
l'activité et accroître le nombre d'emplois tout en préservant la cohésion
sociale. Monsieur le secrétaire d'Etat, c'est un choix auquel, avec mes
collègues du groupe socialiste, je souscris pleinement.
(Très bien ! et
applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat au budget.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Monsieur le président, monsieur le président de la
commission des finances, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs
les sénateurs, je répondrai à tous les sénateurs qui ont bien voulu participer
à cette discussion générale sur le projet de budget que le Gouvernement
présente pour 1998. Mais je répondrai plus longuement - veuillez me le
pardonner - à ceux qui ont avancé des arguments plutôt qu'à ceux qui ont lancé
des invectives.
(Très bien ! sur les travées socialistes.)
Je crois que,
dans la Haute Assemblée, le dialogue républicain suppose que l'on échange des
raisonnements et non pas des épithètes à l'emporte-pièce.
M. Marc Massion.
Très bien !
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
M. Oudin a dit - j'ai pris cela comme un compliment -
que le Gouvernement qui présentait ce projet de budget avait trop de
conviction. Il a ajouté, et je lui laisse la responsabilité cette appréciation,
que le gouvernement précédent n'en avait pas assez.
Trop de conviction ? Je pense que l'on n'en a jamais trop !
Nous avons tous des valeurs républicaines, mais - et c'eet là une divergence
évidente entre, d'un côté, la minorité sénatoriale et le Gouvernement et, de
l'autre, la majorité sénatoriale - nous n'avons pas la même attitude vis-à-vis
de l'Etat. Vous - je m'adresse aux sénateurs de la majorité sénatoriale - vous
avez une sorte de phobie de l'Etat. Tout ce qui vient de l'Etat est mauvais.
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
Non !
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Nous pensons au contraire que le moins d'Etat n'est
pas une valeur absolue en elle-même. Mais nous ne pensons pas non plus que le
plus d'Etat serait le bon système, comme tel ou tel intervenant a cru devoir
nous le reprocher.
M. Jean Chérioux.
Une belle déformation !
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Si nous cherchons où nous situer, nous sommes du côté
du mieux d'Etat.
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
Ce qu'il faut d'Etat !
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
A partir des missions qui sont celles de l'Etat, nous
souhaitons utiliser au mieux, en faveur de la croissance et de la solidarité,
les moyens dont l'Etat dispose.
M. Peyrefitte a dit que ce projet de budget - j'ai cru comprendre qu'il visait
aussi le Gouvernement, et pourquoi pas, le ministre de l'économie, des finances
et de l'industrie - manquait de courage.
M. Alain Peyrefitte.
Oh !
M. René Régnault.
Oui !
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Je lui pose la question : est-il vraiment courageux
d'affirmer, comme j'ai cru l'entendre, que l'économie est toute puissante, que,
devant elle, l'histoire et la géographie doivent désormais s'effacer ?
Est-il vraiment courageux de réciter une conférence de l'université de Harvard
sur la toute-puissance du libéralisme et d'expliquer que la présence du chômage
chez nous, notamment du chômage des jeunes, est le résultat de nos propres
fautes, de je ne sais quelle rigidité, bref, que nous serions coupables de ces
maux et qu'il n'y aurait pratiquement rien à y faire ?
M. Alain Peyrefitte.
Je n'ai jamais dit cela !
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Je pense très sincèrement que le courage...
M. Emmanuel Hamel.
A en croire Jaurès, le courage, c'est de chercher la vérité et de la dire !
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Merci de citer Jaurès !
Le courage, c'est de regarder les problèmes en face, d'en discuter avec les
intéressés, de réfléchir avant de décider, de décider avant d'annoncer. C'est
la méthode de Lionel Jospin, ce n'était pas la méthode qui était pratiquée
voilà un an, me semble-t-il.
Le Gouvernement a récemment mis en oeuvre cette bonne combinaison entre la
fermeté et le dialogue, cet équilibre que nous devons tous rechercher, à
l'occasion du conflit des routiers. Et je n'aurai pas la cruauté de comparer ce
dernier conflit à celui que notre pays a subi l'an dernier à pareille époque
!
M. Michel Sergent.
Très bien !
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
J'évoquerai brièvement la situation internationale.
Beaucoup d'entre vous se sont en effet inquiétés des menaces qui pourraient
résulter de la crise actuelle pour la fameuse croissance de 3 %, chiffre rond
auquel certains ont prêté une vertu magique.
C'est M. de Villepin qui, grâce à sa parfaite connaissance de l'économie
internationale, me semble avoir posé la question dans les meilleurs termes. Il
a opportunément cité une récente étude de l'OCDE, laquelle explique que la
crise asiatique pourrait se traduire par un recul de 0,2 % de la croissance des
pays de l'OCDE.
Ce que je voudrais lui dire, ce que je voudrais vous dire, c'est que la même
étude démontre - et nous le voyons très clairement - que la première victime «
développée », si je puis dire, de la crise asiatique, c'est le Japon lui-même -
qui est au coeur de cette région ; que la croissance américaine - laquelle
heureusement, est forte, mais qui arrive en fin de cycle pourrait, selon le
président de la Réserve fédérale, être quelque peu touchée ; enfin, que
l'impact sur l'Europe, parce que nos échanges extérieurs avec ces pays sont
malheureusement insuffisants, devrait être relativement faible.
En contrepartie de cet effet qui pourrait peser à la marge sur notre
croissance, d'après un certain nombre d'informations - Dominique Strauss-Kahn y
a insisté, je n'y reviens pas - la demande intérieure est peut-être plus
dynamique qu'on ne pouvait le penser au début de l'été. La Banque de France
elle-même, dont vous connaissez la sagesse et la prudence, a parlé d'un «
frémissement productif. Il est donc possible, il est même probable que la
consommation et l'investissement, sans parler du logement, sont en train de
repartir dans notre pays.
M. Blair a été cité comme un exemple par M. de Rohan ou par M. Peyrefitte. Je
voudrais rappeler sur ce point deux choses.
D'abord, M. Blair, pour financer un programme d'emplois-jeunes qui n'est pas
fondamentalement différent du nôtre, a taxé de l'équivalent de 30 milliards de
francs les sociétés qui avaient été privatisées et qui sont concessionnaires de
services publics. Peut-être le Gouvernement doit-il avoir un remords en la
matière, peut-être aurait-il pu imiter M. Blair sur ce point...
(Sourires.)
Nous ne l'avons pas fait parce que nous ne voulons pas majorer massivement
les prélèvements sur les entreprises.
Ensuite - et, là, nous sommes au coeur de l'actualité, au moment où nous
parlons se tient à Luxembourg un sommet qui a été convoqué à la demande de la
France - deux principes sont en compétition.
Le premier est le principe de flexibilité, selon lequel sont désuets et
dépassés les garanties sociales, le salaire minimum, etc. Il faut revenir
d'urgence au xixe siècle, au capitalisme sauvage qui sévissait à l'époque. La
flexibilité serait la cause de tous les maux. Le chômage européen résulterait
des dispositions protectrices qui, peu à peu, au cours du temps, en 1936, en
1945, grâce au général de Gaulle, ont été prises pour que notre société soit
moins cruelle aux plus pauvres, aux plus faibles et soit davantage
solidaire.
Il y a donc à ma droite, si je puis dire, la flexibilité.
A ma gauche, il y a ce qu'on appelle d'un mot barbare « l'employabilité ». De
quoi s'agit-il ? C'est un concept britannique, et tout ce qui vient de
Grande-Bretagne, me semble-t-il, a aujourd'hui la faveur de la droite. La
question de « l'employabilité » se pose pour les chômeurs de longue durée, qui,
plus ils restent longtemps au chômage, plus ils ont du mal à trouver du
travail.
Selon le principe de « l'employabilité », les dispositifs de l'Etat devraient
être concentrés sur les chômeurs de longue durée, sur la formation des jeunes,
sur l'accès à l'emploi des jeunes.
Voilà donc deux conceptions différentes de la société qui s'affrontent : selon
l'une, la société doit donner la primeur à l'individu sur la solidarité et,
selon l'autre, il faut aider par la solidarité les individus à ne pas rester au
bord de la route.
J'ajoute, puisqu'il en a été question, que la flexibilité, ce sont les
contrats emplois-solidarité. L'« employabilité », ce sont les contrats
emploi-jeunes, qui assurent une formation, un contrat de travail de cinq
ans,...
M. René Régnault.
Une expérience !
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
... une rémunération correcte à des jeunes qui
peuvent sortir de la dépendance volontaire ou forcée de leurs parents - qui ont
fait de gros sacrifices - et veulent se lancer dans la vie.
Telles sont, me semble-t-il, les quelques remarques qu'il fallait faire sur
l'environnement international.
J'en viens au projet de budget et aux réponses que je souhaite apporter aux
différents intervenants.
Vous me permettrez de faire preuve d'un peu de partialité et de commencer par
remercier la minorité sénatoriale - M. Régnault, Mme Beaudeau, MM. Loridant,
Miquel, Collin, Mme Bergé-Lavigne, MM. Massion, Charasse et Sergent -, pour le
soutien actif, vigoureux, vigilant qu'elle apporte à ce projet de budget.
Les intervenants que je viens de citer ont beaucoup insisté sur les problèmes
des collectivités locales. Il est important que ce thème ait été abordé devant
la Haute Assemblée, qui est l'émanation des collectivités locales.
Mme Bergé-Lavigne a parlé du grand chantier de la réforme des finances
locales. Je ne sais pas si le Gouvernement a l'ambition de faire un grande
réforme. En tout cas, son intention en matière de finances locales est d'aller
dans la direction de la réforme selon la méthode qui lui est propre,
c'est-à-dire par étapes.
Il est clair que, comme M. le Premier ministre l'a indiqué devant
l'Association des maires de France, cela se fera en concertation avec les élus
nationaux mais aussi avec les diverses associations d'élus locaux.
Je reprendrai rapidement quelques points.
M. Régnault a parlé, et je pense qu'il s'est fait l'interprète de nombreux
sénateurs, de la taxe professionnelle minimale ; il a, si j'ai bien compris son
propos, souhaité qu'elle soit portée de 0,35 % à 1 %.
Je voudrais formuler deux remarques à ce sujet.
D'abord, cette mesure, qui avait été prise par l'opposition, ...
M. Michel Charasse.
Avec notre appui et conformément aux souhaits de l'Association des maires de
France !
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
C'est exact !
Cette mesure a eu un rendement assez décevant sur lequel il faudra réfléchir
collectivement. On en attendait 500 millions de francs, il n'en est résulté,
semble-t-il, que 50 millions de francs. Cela vient peut-être du fait que le
régime transitoire avait été trop balisé, ou peut-être y a-t-il d'autres
raisons. Bref, cette taxe professionnelle minimale n'est pas une ressource
miraculeuse.
Ensuite, cette taxe professionnelle minimale est prélevée sur les entreprises.
Même si nous n'avons pas la religion de la baisse des prélèvements
obligatoires, il faut tout de même y regarder à deux fois avant de majorer les
taxes sur les entreprises au-delà du minimum nécessaire.
M. Régnault avait également posé ce problème. Nous aurons l'occasion d'en
débattre à nouveau.
M. Alain Lambert,
rapporteur général de la commission des finances, du contrôle budgétaire et
des comptes économiques de la nation.
Me permettez-vous de vous
interrompre, monsieur le secrétaire d'Etat ?
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Je vous en prie, monsieur le rapporteur général.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur général, avec l'autorisation de M. le
secrétaire d'Etat.
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
Sur cette question de la cotisation minimale,
monsieur le secrétaire d'Etat, le Gouvernement rendrait un service au
Parlement, et particulièrement au Sénat, en déposant le rapport qui lui a été
demandé.
Ce rapport est en effet indispensable pour que nous ayons une juste idée de
l'impact de cette disposition, dont vous nous dites qu'il est extrêmement
faible par rapport à ce que nous pouvions en escompter. Ce rapport, qui nous
avait été promis, tarde à venir et nous manquera beaucoup pour les débats de la
semaine prochaine.
M. le président.
Veuillez poursuivre, monsieur le secrétaire d'Etat.
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Le Gouvernement tient ses promesses, monsieur le
rapporteur général, et même celles de son prédécesseur ! Ce rapport vous sera
donc communiqué.
M. Emmanuel Hamel.
Rapidement ?
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Tout ce que nous faisons est rapide, monsieur Hamel.
(Sourires.)
M. Michel Charasse.
Incessamment sous peu !
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Ce rapport constituera certainement une base de
réflexion commune tout à fait appréciable.
M. René Régnault.
Ça, c'est constructif !
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Certains sénateurs, dont M. Charasse, que je remercie
de son soutien expérimenté, ont évoqué à nouveau le problème des bases de 1970,
qui ont été recalculées en 1990.
Il est vrai que l'on a beaucoup tardé depuis 1992, et que l'on ne peut plus
rester dans cette situation ambiguë.
Je veux donc vous donner l'assurance que, l'an prochain, le Gouvernement
prendra une décision en la matière. Je pense qu'il sera amené sur ce point à
consulter à nouveau le comité des finances locales, dont les conseils sont tout
à fait précieux. Si cela est nécessaire ou si vous le jugez utile, nous en
redébattrons avec la commission des finances de la Haute Assemblée ou avec ceux
d'entre vous qui le souhaiteraient. Notre goût pour le dialogue nous y
incite.
S'agissant de la CNRACL, le Premier ministre a annoncé que les cotisations des
employeurs - les collectivités locales et les hôpitaux - ne seraient pas
majorées en 1998, pour que les collectivités locales qui le souhaitent - et,
heureusement, elles sont nombreuses dans ce cas - puissent consacrer leurs
moyens au développement des emplois-jeunes, dont le financement, s'il est
certes assuré, pour l'essentiel par l'Etat, incombe malgré tout à hauteur de 20
% aux collectivités locales et aux associations qui lanceront ce vaste
chantier.
Cependant, et nombre d'entre vous l'ont dit très clairement, il est vrai que
l'évolution démographique, qui touche ce régime de retraite et qui,
grosso
modo
, en accroît les charges de 1 milliard de francs par an, soulève un
problème à long terme.
Je renouvelle donc à la tribune de la Haute Assemblée la proposition de
conduire une réflexion commune avec la commission des finances - je crois que
son président n'y est pas hostile - pour trouver une solution durable adaptée à
ce régime de retraite, auquel, évidemment, le Sénat, les collectivités locales,
mais aussi le Gouvernement sont très attachés.
La question de l'intercommunalité a aussi été abordée. Vous savez que, sur ce
point, le Gouvernement prépare un projet de loi. Je crois pouvoir ajouter que
le projet de budget contient une disposition, que vous aurez, je pense, tous à
coeur de voter : je veux parler de la possibilité pour les groupements de
communes de bénéficier du fonds de compensation pour la TVA, et ce au rythme de
droit commun, c'est-à-dire immédiatement, et non pas avec le décalage de deux
ans habituellement pratiqué pour les communes. C'est, dans ce projet de budget,
un signe qui va, me semble-t-il, dans la direction d'une intercommunalité
effective, dont la loi de 1992 a montré toute l'importance.
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
Dans le sens que le Sénat avait voté l'année dernière
!
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
C'est exact ! Je ne cherche pas à opposer
systématiquement les uns et les autres. Sur beaucoup de chantiers, nous pouvons
travailler ensemble.
M. Emmanuel Hamel.
Très bien !
M. Jean Chérioux.
Voilà une bonne déclaration !
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Il a été question de la sortie du pacte de
stabilité.
Il est vrai que ce pacte a pesé très lourd entre 1996 et 1998. Il est vrai
aussi que l'Etat est devenu le premier contribuable local : plus de 30 % des
impôts locaux sont en effet acquittés par lui. De nouveaux rapports doivent
donc être établis entre l'Etat et les collectivités locales.
Nous ne pourrons pas faire de miracle en la matière, en raison de la situation
des finances publiques, M. Charasse a insisté à juste titre sur ce point. Ce
n'est pas parce que le projet de budget pour 1998 est difficile que le projet
de budget pour 1999 sera facile, bien au contraire. Nous établissons pour
l'Etat des budgets économes qui ne nous permettront pas de faire des miracles
l'an prochain dans les rapports entre l'Etat et les collectivités locales !
Ce qui est sûr, c'est que nous changerons de méthode. Au lieu de faire de
Matignon une cité interdite, au sein de laquelle les décisions mûrissent en
vase clos avant d'être annoncées à grands coups de trompette, comme c'était le
cas l'an dernier et antérieurement, nous utiliserons désormais la méthode du
dialogue, de la confrontation des arguments, car dialogue ne signifie pas
absence de convictions fermes. C'est simplement une démarche républicaine, qui
consiste à chercher à comprendre les points de vue des uns et des autres.
M. Michel Charasse.
Très bien !
M. René Régnault.
Quel changement !
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
M. Charasse a cité - mais il n'est pas le seul,
puisque certains orateurs de la majorité sénatoriale en ont également parlé -
un objectif qui nous est, je crois, commun : celui d'échapper, si je puis dire,
à l'emprise du dollar, voire à la pensée économique américaine, en constituant
l'euro.
Avec leur excédent de l'ordre de 10 milliards de francs, les collectivités
locales apportent une contribution tout à fait positive. Je ne sais pas si le
Gouvernement est habilité à le faire - je suis trop neuf dans le métier - mais
je félicite les collectivités locales pour leur bonne gestion...
M. René Régnault.
Vous pouvez, monsieur le secrétaire d'Etat !
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
... pour leur contribution, qui est tout à fait
exceptionnelle, puisque les autres administrations publiques ne sont pas dans
cette situation.
M. Michel Charasse.
L'ancien préfet de Paris peut apprécier !
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Mme Bergé-Lavigne a posé une question très pointue sur
le système de comptabilité M 14, qui a été mis en place le 1er janvier.
Là aussi, je dois dire que les collectivités locales y ont participé. Les
comptables du trésor ont, certes, fait un gros effort, mais ce dernier aurait
été vain si, de leur côté, les maires n'avaient pas montré leur goût du
changement et du progrès, leur volonté d'avoir une comptabilité plus moderne.
Bref, ce plan comptable M 14 est effectivement, comme toute comptabilité, un
peu subtil pour les communes de moins de 500 habitants.
M. Michel Charasse.
Totalement !
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Je ne puis répondre à votre question du haut de cette
tribune, madame le sénateur, mais je m'engage à vous faire parvenir une réponse
écrite.
Sans être trop long sur les collectivités locales, encore que le sujet vous
tienne tous à coeur, je voudrais aborder la question des charges nouvelles, qui
a été débattue antérieurement au congrès de l'Association des maires de
France.
M. le Premier ministre a pris, devant les maires de France, l'engagement de
parler avec les élus et leurs représentants de la mise en oeuvre de toute
nouvelle norme à respecter et de réaliser les études d'impact nécessaires afin
que les collectivités locales ne soient pas mises devant le fait accompli. Cet
engagement du Premier ministre est capital.
M. Massion a dit des choses importantes sur la fraude, faisant d'ailleurs écho
aux propos de M. du Luart sur le travail clandestin.
Nous en sommes tous convaincus, frauder l'impôt, c'est frauder les
contribuables honnêtes. En conséquence, la volonté commune que nous avons de
lutter contre la fraude conduira, je l'espère, la Haute Assemblée à voter un
certain nombre des dispositifs qui lui seront proposés et qui concernent
notamment les fraudes à la TVA intracommunautaire, les sociétés éphémères, les
fausses factures, les sous-traitances curieuses, les déclarations d'échange de
biens trop vagues, les droits d'enquête, qui doivent être accrus tout en
respectant scrupuleusement les droits des contribuables. Je pense que, sur tous
ces points, nous devrions être d'accord.
J'ajoute, à l'attention de M. Massion, que l'administration des finances -
vous le constaterez lorsque nous débattrons des services financiers - fait un
effort de redéploiement. Elle a en effet - M. le rapporteur général et M. le
président de la commission des finances ne pourront qu'approuver cette mesure
diminué ses effectifs de 550 postes budgétaires, et cela non pas parce que
c'est bien, mais pour permettre de créer un certain nombre de postes
d'enseignant, notamment dans l'enseignement supérieur, ou des postes destinés à
la justice. Ce chiffre de 550 est le résultat de 967 suppressions d'emploi et
de 417 créations d'emploi destinées précisément à renforcer la lutte contre la
fraude.
S'agissant du travail clandestin évoqué par M. du Luart, je mentionnerai la
possibilité qui, si vous en êtes d'accord, sera désormais offerte aux
particuliers accomplissant des travaux d'entretien dans leur logement de se
voir rembourser, avec, évidemment, un plafond, l'équivalent de la TVA. Ainsi,
il n'y aura plus, si je puis dire, de tentation de recourir au travail au noir
puisque, en embauchant des artisans homologués et en payant rubis sur l'ongle
la TVA, les contribuables effectuant de tels travaux seront remboursés, qu'ils
soient propriétaires ou locataires, et cela même s'ils ne paient pas d'impôts.
Voilà, me semble-t-il, monsieur du Luart, une mesure qui va dans le sens que
vous souhaitez.
J'ai été interrogé sur les surloyers. Nous aurons l'occasion d'en reparler.
Je vous remercie des compliments que vous avez adressés aux services de la
douane. C'est une administration qui fait peu de bruit, mais qui agit beaucoup,
notamment en matière de lutte contre le trafic de drogue. Il faut la
féliciter.
M. Emmanuel Hamel.
Très bien ! Elle le mérite !
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Je voudrais maintenant relever un certain nombre de
critiques formulées par la majorité sénatoriale, notamment dans le domaine de
l'emploi.
J'ai entendu MM. de Rohan et Peyrefitte parler de 40 000 emplois nouveaux dans
l'éducation nationale. Je me permets de vous renvoyer à l'excellent rapport
général de M. Alain Lambert. Vous y trouverez, dans le tome I, à la page 153,
le chiffre de 1 320 emplois nouveaux dans l'éducation nationale.
Vous avez beaucoup cité un inspecteur général des finances, M. Choussat. Il
faut bien lire son rapport, qui a été publié par la presse, mais dont un
certain nombre de points ont à mon avis été mal traduits. Je relèverai deux de
ses remarques, relatives aux effectifs de la fonction publique.
Selon lui, la croissance de ces effectifs a été beaucoup plus importante sous
des gouvernements de droite que sous des gouvernements de gauche, le record en
la matière appartenant à la période 1974-1981.
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
On peut tous se tromper !
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Personne n'est parfait, mais je voulais le
préciser.
La seconde remarque, qui pourrait susciter le même commentaire de M. le
rapporteur général, concerne l'emploi. Les emplois qui se sont développés le
plus depuis 1982 sont, de loin, ceux des collectivités locales. Je crois donc
que nous avons tous une responsabilité en matière d'emploi public. Je n'ai pas
la « religion exterminatrice » des emplois publics qu'ont certains. Je dis
simplement que c'est faire un procès trop facile à l'Etat et à la gauche. En la
matière, les responsabilités, si responsabilités il y a, sont largement
partagées.
J'ajouterai à l'intention de MM. de Villepin et Oudin, ainsi que de M.
Poncelet, qui a, je crois, attiré l'attention sur ce point, que le budget qui
vous est présenté marque une inflexion significative puisque les frais de
fonctionnement - le titre III, pour les spécialistes que vous êtes - diminuent
de 0,5 %. C'est rude sur le terrain, je dirai même que c'est un peu courageux.
En revanche, je tiens à préciser que les investissements collectifs de l'Etat,
les investissements civils, progressent de 6 %.
M. Oudin - nous aurons l'occasion d'y revenir - a dénoncé les mesures tendant
à modifier le système des quirats et la loi Pons. Nous aurons l'occasion d'en
débattre. Mais, je dirai tout de suite qu'en toute chose il faut préserver
l'équilibre entre l'emploi et la justice sociale. Le dossier des quirats est,
me semble-t-il, de ce point de vue, tout à fait exemplaire : les dispositions
prévues devaient coûter 400 millions de francs, elles ont coûté en réalité 2
milliards de francs ! Elles devraient profiter aux chantiers navals français,
elles ont profité à des chantiers navals étrangers.
Je sais que certains d'entre vous ont une passion pour l'Asie, et nous devons
avoir de la sollicitude pour la Corée, qui traverse une crise profonde. Mais de
là à subventionner les chantiers navals coréens...
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
Certes, nous avons tous le souci de soutenir notre construction navale et
notre marine marchande, mais je ne pense pas que le système des quirats soit le
plus économe pour atteindre ce but. Or j'ai cru comprendre que vous étiez tous
très soucieux d'une bonne utilisation des fonds de l'Etat.
En ce qui concerne la loi Pons, le Gouvernement n'a absolument pas proposé de
remettre en cause le principe d'un traitement privilégié des investissements
réalisés par l'épargne métropolitaine dans les départements et territoires
d'outre-mer. Ce n'est pas cet aspect qui est en cause. Ce n'est pas non plus
l'emploi.
Certains d'entre vous ont suggéré que, dans l'agrément, soit davantage pris en
compte le critère de l'emploi. Je vous promets que,
a priori
et
a
posteriori,
nous vérifierons que les créations d'emploi sont effectivement
au rendez-vous.
Quoi qu'il en soit, derrière cette bonne intention, il n'en demeure pas moins
un problème de justice fiscale.
En effet, grâce à la loi Pons, 5 000 contribuables sont parvenus à s'exonérer
de 1 million de francs d'impôts chacun et à se rendre non imposables, non
seulement au titre de l'impôt sur le revenu mais aussi au titre de l'impôt de
solidarité sur la fortune.
Les dispositions prévues par le Gouvernement, qui ont été quelque peu
renforcées par l'Assemblée nationale, ont simplement pour objet de conserver le
volet positif du dispositif, qui doit favoriser l'emploi dans les départements
et territoires d'outre-mer, tout en remédiant à des injustices choquantes.
Telles sont les réponses que je souhaitais vous apporter, mesdames, messieurs
les sénateurs. Si elles sont incomplètes, j'aurai le plaisir de les compléter
au cours de la discussion des articles.
Avant d'achever mon propos, je tiens à remercier M. le président de la
commission des finances et M. le rapporteur général d'avoir élaboré un
contre-budget. Je pense que cette manière d'agir est tout à fait démocratique.
Au lieu de se cantonner dans une opposition parfois un peu facile - nous en
avons eu quelques exemples au cours de ces dernières heures - la commission des
finances s'est employée à élaborer le budget que le gouvernement précédent
aurait pu présenter si la dissolution de l'Assemblée nationale n'était pas
survenue inopinément.
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
M'autorisez-vous à vous interrompre, monsieur le
secrétaire d'Etat ?
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Certainement, monsieur le rapporteur général.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur général, avec l'autorisation de M. le
secrétaire d'Etat.
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
Monsieur le secrétaire d'Etat, tout à l'heure, vous
avez en partie répondu à M. Oudin. Or, celui-ci avait également attiré votre
attention sur les investissements autoroutiers, sujet auquel, vous le savez, je
ne suis pas insensible, moi non plus. Comme votre réponse semble pratiquement
achevée, je me permets de vous interrompre pour aborder de nouveau ce sujet.
En la matière, nous sommes en présence de décisions qui n'ont pas un caractère
budgétaire puisqu'il s'agit d'autorisations d'emprunts.
Je crois nécessaire d'alerter le Gouvernement sur la nécessité de tenir les
engagements qui ont été pris par les gouvernements successifs.
Nous ne mesurons pas assez combien la prévision de tels équipements engage les
décisions de gestion des agents économiques concernés. La non-réalisation de
ces équipements nuit gravement à certains d'entre eux, qui ont procédé à des
choix importants en fonction des prévisions.
Je vous crois, monsieur le secrétaire d'Etat, parfaitement conscient de
l'importance des enjeux. En vous interpellant - ce que je ne fais absolument
pas en mauvaise part - je tiens à attirer encore plus votre attention sur le
sujet : c'est l'intérêt de la France qui est en cause.
Des engagements ont été pris par les gouvernements successifs, et il ne s'agit
pas d'engagements signés de façon imprudente par un gouvernement soumis à la
pression d'une élection prochaine ! Pour certains tronçons d'autoroutes, les
décisions ont été prises en 1987 et confirmées par les gouvernements suivants.
Il est capital que la position du Gouvernement soit très claire à cet égard.
M. le président.
Veuillez poursuivre, monsieur le secrétaire d'Etat !
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Je vous remercie, monsieur le rapporteur général,
d'avoir ranimé le dialogue sur un point sur lequel j'avais effectivement omis
de répondre.
Je vais donc dire quelques mots sur les équipements autoroutiers, qui
constituent certes un dossier important.
Comme le ministre en charge de l'équipement et des transports l'a confirmé à
l'Assemblée nationale mercredi dernier, aucun chantier engagé ne sera
interrompu.
Cette question des infrastructures autoroutières suscite deux réflexions.
Vous le savez, les sociétés concessionnaires sont, pour certaines, dans une
situation financière particulièrement fragile. Il faut donc trouver le bon
équilibre entre le financement des infrastructures et les nécessités, que
personne ne nie, d'aménagement du territoire.
La deuxième réflexion porte sur les caractéristiques de l'aménagement à
réaliser. En effet, comme le plan routier breton ou l'aménagement du Massif
central l'ont montré, une bonne route à deux fois deux voies, équipée d'une
glissière entre les deux sens, peut rendre le même service qu'une autoroute.
M. Emmanuel Hamel.
Très bien !
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Merci, monsieur Hamel !
M. René Régnault.
Ah ! la Cour des comptes !
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Ainsi, monsieur le rapporteur général, le Gouvernement
n'a absolument pas l'intention d'annuler les projets autoroutiers. Mais il
souhaite adopter une démarche multimodale, comme disent les spécialistes,
c'est-à-dire rechercher le meilleur système susceptible de répondre aux besoins
de transport des marchandises, d'une part, et de transport des personnes,
d'autre part. Je suis sûr que vous aurez à coeur de participer au débat lorsque
la loi sur l'aménagement et le développement du territoire, qui mérite d'être
ravaudée, viendra en discussion de nouveau.
Monsieur le rapporteur général, je reviens sur le contre-budget que vous avez
eu le courage de présenter.
Comme tout budget, le vôtre comporte deux colonnes : l'une pour les recettes
et l'autre pour les dépenses. Du côté des dépenses, il reste encore quelques
mystères. Mais je conçois tout à fait que vous vouliez entretenir le
suspense.
M. Paul Girod a bien évoqué le cinéma : le
suspense
fait donc partie du débat parlementaire.
(Sourires.)
En tout cas, monsieur le rapporteur général, on ne trouve pas 21,3
milliards de francs sous le sabot d'un cheval, si je puis dire. Par ailleurs,
puisque beaucoup d'entre vous ont critiqué la diminution des investissements en
matière de défense, je suis sûr que vous vous ferez un devoir de remonter les
dépenses militaires à un niveau qui vous semblera plus convenable.
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
La loi organique le permet-elle ?
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Non !
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Vous garderez alors un remords en la matière, monsieur
le rapporteur général.
M. Michel Charasse.
On peut faire des suggestions !
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Monsieur le rapporteur général, limitons le problème
aux 21,3 milliards de francs de dépenses que vous voulez supprimer. J'attends
avec curiosité et un soupçon d'impatience de savoir si vous allez supprimer 60
000 postes de fonctionnaires et quelles dépenses vous allez réduire.
La seule chose que j'ai comprise - c'est un propos que vous avez tenu
in
petto,
comme on dit au Vatican - c'est que vous ne toucherez pas à la
justice.
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
C'est un ministère régalien.
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Si je comprends bien, tous les budgets, sauf la
justice, risquent de subir le couperet de la commission. Nous attendons avec
impatience l'équarrissage auquel vous allez devoir procéder.
M. Jean Chérioux.
Les contribuables aussi !
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
A propos de la régulation budgétaire, j'ai entendu
parler de fiction, d'illusion. Je voudrais, sans vouloir trop allonger les
débats, évoquer un point qui montre le sérieux du Gouvernement. En
l'occurrence, il s'agit non pas du projet de budget pour 1998, mais du projet
de loi de finances rectificative pour 1997.
Si j'opère une comparaison sur plusieurs années entre les dépenses
effectivement réalisées par l'Etat et les prévisions fixées à l'automne
précédent - et, à mon avis, c'est un bon indicateur de la volonté d'un
gouvernement de restreindre les dépenses de l'Etat - qu'est-ce que je constate
?
En 1994, les dépenses effectivement réalisées ont dépassé de 7 milliards de
francs les prévisions ; en 1995, 37 milliards de francs supplémentaires ont été
dépensés ; en 1996, ce sont encore 6 milliards de francs supplémentaires qui
ont été dépensés. En revanche, en 1997, si les propositions du Gouvernement
sont adoptées, les dépenses seront inférieures de un milliard de francs aux
prévisions.
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
S'il vous reste du temps, remontez un peu plus dans
le passé !
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Nous le ferons ensemble !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Monsieur le secrétaire d'Etat,
me permettez-vous de vous interrompre ?
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Je vous en prie.
M. le président.
La parole et à M. le président de la commission des finances, avec
l'autorisation de M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Monsieur le secrétaire d'Etat,
vous venez de reprocher à la commission des finances de vouloir procéder, dans
un souci de réduction des dépenses publiques, à des diminutions de crédits sur
différents budgets. Je ferai remarquer que les économies proposées par la
commission porteraient exclusivement sur les crédits de fonctionnement,
figurant aux titres III et IV, et non sur les dépenses d'investissement,
figurant aux titres V et VI. Cela correspond à un souci louable, vous l'avez
reconnu vous-même.
Par ailleurs, pouvez-vous en cet instant me dire que, dans les mois à venir -
janvier, février, mars au plus tard - vous ne procéderez pas vous-même, mais
cette fois par régulation et de façon autoritaire, à des réductions de crédits
par rapport au budget que vous soumettez à notre appréciation ?
M. René Régnault.
On parle de 1997.
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Moi, je parle de 1998. Tout le
monde reconnaît que la dépense publique est trop élevée : elle atteint 55 % de
la production intérieure brute, soit un des niveaux les plus élevés des pays
européens.
Vous nous demandez sur quoi porteront nos réductions de crédits ? Pour ma
part, je vous demanderai de prendre l'engagement, à cette tribune, que
vous-même ne procéderez pas en janvier, en février, au plus tard en mars, à des
réductions de crédits, portant même sur le chapitre V relatif aux
investissements, dans le budget pour 1998. Prenez un tel engagement, monsieur
le secrétaire d'Etat, et je le saluerai.
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. Michel Charasse.
Me permettez-vous, à mon tour, de vous interrompre, monsieur le secrétaire
d'Etat ?
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Je vous en prie, monsieur Charasse.
M. le président.
La parole est à M. Charasse, avec l'autorisation de M. le secrétaire
d'Etat.
M. Michel Charasse.
Je voudrais simplement dire que tout parlementaire a le droit de réduire les
dépenses, la réduction, dit la loi organique, devant être effective,
c'est-à-dire qu'il ne doit pas s'agir d'une réduction indicative. Mais c'est le
droit de tout gestionnaire public de réguler le rythme de la dépense tout au
long de l'exercice. Nous avons souvent évoqué ce point dans notre assemblée,
monsieur le secrétaire d'Etat.
Ce que nous faisons tous les jours comme maire, comme président de conseil
général ou de conseil régional, pour veiller à notre trésorerie, vous le faites
par la régulation budgétaire pour ce qui concerne le budget de l'Etat. Je ne
vois pas pourquoi ce qui serait louable et honorable de la part d'un élu local
- M. Poncelet agit sûrement ainsi dans son conseil général ou dans sa commune -
ne le serait pas de la part de l'Etat.
La régulation budgétaire est une simple mesure, qui vise à ne pas creuser la
trésorerie de l'Etat et l'obliger à emprunter. Quant à l'annulation de crédits,
elle est prévue par l'article 13 de l'ordonnance portant loi organique relative
aux lois de finances, aux termes duquel tout crédit devenu sans objet peut être
annulé par arrêté du ministre du budget.
Cette disposition existe dans l'ordonnance de 1959 depuis l'origine ; elle
tire la conséquence d'une mesure voulue par le général de Gaulle, qui a privé
les assemblées, sous le régime de 1958, de l'initiative en matière de
dépenses.
M. Jean Chérioux.
Il a bien fait !
M. Michel Charasse.
Le seul maître de la dépense, c'est le pouvoir exécutif. On peut, bien sûr,
déplorer cette situation, mais cela nous renvoie au débat constitutionnel.
En revanche, reprocher à un gouvernement, quel qu'il soit - car je rends
hommage à l'objectivité du président de la commission des finances et du
rapporteur général : on a toujours « râlé » ici contre les régulations et les
annulations en cours d'année - de se servir d'une mesure qui est inscrite dans
la loi organique,...
M. Jean Chérioux.
Ce n'est pas cela le problème !
M. Michel Charasse.
... comme nous, en tant qu'élus locaux, nous nous servons de celle qui nous
concerne et qui figure dans la même loi organique, cela ne me paraît pas juste,
et je ne voudrais pas que Christian Sautter ait une mauvaise impression au
moment où commence la discussion budgétaire dans cette assemblée.
(Sourires et applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
Est-ce que vous vous sentiez « équarrisseur » quand
vous faisiez de la régulation ?
M. Michel Charasse.
J'ai fait de la régulation et, si c'était à refaire, j'en referais !
M. le président.
Monsieur le rapporteur général, monsieur Charasse, si vous le permettez, je
vais inviter M. le secrétaire d'Etat à poursuivre son propos.
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Le président Poncelet m'a demandé de prendre un
engagement. Je ne pense pas qu'il comptait sur mon manque d'expérience en la
matière, quoiqu'il eût pu malgré tout nourrir quelque espoir à cet égard.
(Sourires.)
Je voudrais donc prendre un engagement : je pense qu'en 1998 nous nous
comporterons mieux, durant le premier trimestre, que le Gouvernement
précédent.
(Nouveaux sourires.)
Pourquoi ?
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
Les élections...
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Je prendrai l'exemple des recettes de TVA.
Le 15 janvier 1997, les prévisions de recettes de TVA, dont on savait qu'elles
étaient surestimées, ont été révisées à la baisse, et cette baisse a été
d'environ 15 milliards de francs. Or nous suivons actuellement, mois par mois,
le profil correspondant à cette prévision sincère qui a été faite le 15 janvier
mais qui, à mon avis, aurait déjà pu l'être dès le 15 novembre ou le 15
décembre 1996.
En ce qui concerne les dépenses, je pense que nous avons fait un effort de
sincérité. Sans aller jusqu'à prendre un engagement formel - M. Charasse m'a
incité, par expérience, à la prudence en la matière - je vous promets, monsieur
le président de la commission des finances, que nous ferons mieux que nos
prédécesseurs.
M. René Régnault.
Très bien !
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Peut-être ce que nous ferons ne sera-t-il pas parfait,
mais nous ferons mieux qu'eux, et nous serons ensemble pour le constater.
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Vous le ferez en avril !
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Vous nous donnez déjà un répit, monsieur Poncelet !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Oui, parce qu'il y a des
élections entre-temps !
M. Michel Charasse.
Pariez un bon repas, monsieur le secrétaire d'Etat !
(Rires.)
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Pour déjeuner avec le président Poncelet, je n'ai pas
besoin de faire un pari : je le convie volontiers, quand il le souhaite.
Toutefois, je veux bien parier avec lui un bon déjeuner.
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Je suis toujours prêt à faire un
bon repas !
(Sourires.)
M. Emmanuel Hamel.
Aujourd'hui, vous auriez du beaujolais !
(Nouveaux sourires.)
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
J'en reviens au contre-projet dont vous allez défendre
les différentes dispositions.
Pour ce qui est des dépenses, le Gouvernement et la minorité sénatoriale
attendent de voir où vous allez porter le fer.
S'agissant des recettes, intéressons-nous à l'impôt sur le revenu, dont M.
Badré a parlé, notamment.
Pourquoi le Gouvernement n'a-t-il pas prolongé la réforme qui avait été votée
l'an dernier ?
Premièrement, me semble-t-il, cette réforme n'était pas financée. Mais vous
allez peut-être trouver de quoi la financer !
Deuxièmement, le Gouvernement a renoncé à prolonger cette réforme pour des
raisons d'harmonisation européenne, mais surtout pour des raisons de justice
fiscale, Mme Beaudeau y a insisté à juste titre.
S'il faut diminuer des impôts, c'est en revenant sur ces deux points de TVA
qui ont été imposés en 1995,...
M. René Régnault.
Absolument !
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
... qui ont cassé les reins de la progression de la
consommation et qui expliquent la croissance atone que nous avons connue
jusqu'à présent.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du
groupe communiste républicain et citoyen.)
La réforme qui a été votée l'an dernier était-elle fondamentalement juste
? Si cette réforme avait été appliquée, le taux marginal d'imposition serait
passé de 56,8 % à 47 %. De ce fait, 1,3 % des ménages imposables - ceux qui ont
des revenus imposables supérieurs à 500 000 francs - auraient bénéficié de 15 %
des allégements. A 1,3 % des ménages, 15 % des allègements : ce n'est pas
vraiment la conception que nous nous faisons de la justice fiscale !
M. Jean Chérioux.
Ce n'est pas un problème de justice ! C'est un problème d'harmonisation des
fiscalités européennes !
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
L'harmonisation de la fiscalité européenne, nous
pouvons en parler, monsieur le sénateur. D'ailleurs, M. Badré l'a fait avec
pertinence. Le commissaire Monti travaille sur ce sujet.
Il ne s'agit pas de niveler la fiscalité de l'épargne en Europe en l'alignant
sur celle qui a cours dans les îles Caïmans !
M. Jean Chérioux.
Pas de caricature !
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Nous cherchons, en Europe, à avoir une fiscalité de
l'épargne harmonisée, certes, mais pas au niveau zéro.
Je n'ai pas encore répondu aux remarques très judicieuses de Mme Beaudeau.
Celle-ci a dit que la réduction de la dette était importante non seulement
pour des raisons qui tiennent à l'Europe - certains peuvent d'ailleurs en
discuter le bien-fondé - mais également pour des raisons qui sont propres à la
France.
Mme Beaudeau a prononcé une phrase que je pourrais faire mienne : la
croissance, c'est notre chance et notre volonté. La justice sociale est aussi
notre volonté.
C'est grâce à ses amis qui siègent à l'Assemblée nationale que la taxe
d'habitation due par les contribuables les plus modestes est en partie portée à
la charge du budget de l'Etat. Certains nous ont reproché cette charge
supplémentaire.
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
Michel Charasse !
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
En effet.
Diminuer le poids de la taxe d'habitation pour les contribuables les plus
modestes n'est pas sans intérêt. En particulier, il est juste de revenir sur
des dispositions qui avaient été prises par le précédent gouvernement et qui
avaient durci les conditions de dégrèvement.
De même, il est juste de permettre à des chômeurs de longue durée - cela peut
apparaître comme un détail, mais cela a une forte valeur symbolique - de
réduire forfaitairement les frais de recherche d'un emploi sans qu'ils aient à
fournir des justificatifs.
Je mentionnerai également la révision de la taxe professionnelle lorsqu'il y a
transfert d'activité.
Voilà autant de points sur lesquels la première lecture à l'Assemblée
nationale a permis de progresser.
Comme l'a dit Michel Charasse, il faudra poursuivre avec détermination
l'effort en 1999. Cela doit notamment guider notre réflexion commune sur
l'avenir des relations entre l'Etat et les collectivités locales.
M. Paul Girod nous a reproché de retoucher la photo de la société de
l'économie française en ignorant le mouvement. Reprenant sa métaphore, je dirai
que notre pays a connu un véritable arrêt sur image : à partir de 1993, et même
un peu avant, la croissance s'est alanguie, l'investissement a piétiné. Il faut
reprendre le chemin de la croissance !
Entre sa jeunesse, sa main-d'oeuvre qualifiée, sa capacité d'épargne, ses
savoirs technologiques, ses capacités de recherche fondamentale et de recherche
appliquée, la France dispose d'un grand potentiel. Nous pouvons connaître un
taux de croissance de 3 % pendant plusieurs années.
Le 1er juin, un message d'espoir a été envoyé par le pays. Il faut sortir de
l'immobilisme.
Le projet de budget que nous vous présentons est économe. Mais, malgré une
progression des dépenses qui sera modérée, des priorités sont clairement
dégagées.
Selon M. Peyrefitte, nous piloterions une voiture en regardant le tableau de
bord. Je lui répondrai avec quelque humour que mieux vaut piloter en regardant
le tableau de bord qu'en ayant l'oeil rivé sur le rétroviseur. Au demeurant,
lorsque la voiture est arrêtée, cela n'a aucune importance ! Le problème
consiste précisément à remettre la voiture France en marche ! Il faut mettre la
jeunesse au volant ! Il faut que notre pays retrouve de l'espoir. Il ne faut
pas cultiver la nostalgie du xixe siècle.
Nous devons travailler tous ensemble, Gouvernement, majorité sénatoriale,
minorité sénatoriale, à préparer le xxie siècle pour nos enfants.
Je suis sûr que le débat que nous avons entamé et qui va se poursuivre dans
les semaines à venir va faire vivre la démocratie dans notre pays et permettre
de bien préciser les enjeux. Nous ne serons pas d'accord sur tout, mais nous
nous écouterons et nous chercherons en commun - selon le principe cher au
président Poncelet, mais aussi à beaucoup d'autres - à promouvoir l'intérêt
général.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen et du RDSE.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
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