M. le président. « Art. 4. _ Le IV de l'article 7 de la loi n° 89-18 du 13 janvier 1989 portant diverses mesures d'ordre social cesse d'être applicable aux revenus perçus à compter du 1er janvier 1998. »
Je suis saisi de trois amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Les deux premiers amendements sont identiques.
L'amendement n° 32 est présenté par M. Oudin, au nom de la commission des finances.
L'amendement n° 64 est présenté par MM. Gérard Larcher, Braye, Gournac, Eckenspieller, Jourdain et les membres du groupe du Rassemblement pour la République.
Tous deux tendent à supprimer cet article.
Par amendement n° 6, M. Descours, au nom de la commission des affaires sociales, propose de rédiger ainsi l'article 4 :
« Le IV de l'article 7 de la loi n° 89-18 du 13 janvier 1989 portant diverses mesures d'ordre social est complété par quatre alinéas ainsi rédigés :
« Cette disposition cesse d'être applicable aux revenus perçus à compter du 1er janvier 1999.
« Toutefois, à titre transitoire, pour les revenus perçus à compter du 1er janvier 1998 :
« a ) Le taux de cotisation applicable à la partie du revenu située au-dessous du plafond visé au premier alinéa du présent IV est diminué de moitié ;
« b ) En conséquence, le taux de cotisation applicable à l'intégralité du revenu est augmenté à hauteur de la moitié du taux visé au a . »
La parole est à M. le rapporteur pour avis, pour présenter l'amendement n° 32.
M. Jacques Oudin, rapporteur pour avis. L'article 4 tend à supprimer le plafonnement très partiel, à hauteur de 0,5 point, qui subsiste sur l'assiette des cotisations familiales des travailleurs indépendants pour la fraction de revenu inférieure à 164 640 francs par an, 4,9 points étant ainsi prélevés sur la totalité des revenus.
Je crois que tout le monde sera d'accord pour estimer qu'il s'agit d'une mesure de pur rendement. Elle devrait rapporter 300 millions de francs, et le Gouvernement la justifie par un double argument de simplification et d'égalité par rapport aux salariés, dont les cotisations familiales sont totalement déplafonnées depuis 1990.
Toutefois, il convient de rappeler que les cotisations des salariés sont dues par leurs employeurs ; il s'agit donc de cotisations patronales.
Cette mesure fait partie d'un ensemble de dispositions proposées par le Gouvernement qui touchent de plein fouet les non-salariés, certaines d'entre elles figurant dans la loi de financement, d'autres dans la loi de finances et l'on retrouve, là encore, ce phénomène qui nous plonge dans une certaine perplexité.
En loi de financement, les non-salariés seraient les perdants de l'opération de basculement des cotisations sur la CSG - le débat a été suffisamment long tout à l'heure pour ne pas y revenir - tandis que leur régime de sécurité sociale serait spolié du produit de la C3S ; nous y viendrons ultérieurement.
En loi de finances, l'exonération des cotisations d'assurance maladie dont bénéficient pendant deux ans les non-salariés qui créent leur entreprise serait supprimée. Cela fait beaucoup !
C'est la raison pour laquelle la commission des finances propose la suppression de l'article 4, qui découle, semble-t-il, d'une attitude du Gouvernement manifestement défavorable à une catégorie sociale qui ne semble pas présenter pour lui un intérêt électoral particulier.
M. Charles Descours, rapporteur pour les équilibres financiers généraux et l'assurance maladie. Exactement !
M. le président. La parole est à M. Braye, pour défendre l'amendement n° 64.
M. Dominique Braye. L'article 4 vise à supprimer brutalement, en une année, le plafonnement partiel des cotisations personnelles d'allocations familiales des employeurs et travailleurs indépendants.
Ce plafonnement partiel subsiste depuis 1990, pour la seule raison que les employeurs et travailleurs indépendants sont considérés, dans un contexte économique plus que difficile, comme une catégorie socioprofessionnelle fragile, qu'il convient de préserver. Tout le monde s'accorde à dire que le travail indépendant est indispensable à la cohérence du tissu social, au coeur de nos villes comme au fond de nos campagnes. Il représente un élément de service, de dynamisme et d'animation dans des endroits où, parfois, il ne reste plus rien.
Le déplafonnement est toujours une mesure brutale ; il devient d'une injuste rigueur quand le contexte économique est par trop détérioré.
Les employeurs et travailleurs indépendants sont souvent particulièrement exposés aux aléas de la conjoncture économique et ne sont pas les privilégiés que Mme le ministre entend pénaliser. C'est le principe même de leur activité que d'être fluctuante d'une année sur l'autre, et leurs revenus sont donc extrêmement variables : les bénéfices engrangés une année ne servent souvent qu'à compenser les effets d'une mauvaise année.
Ne plus leur permettre d'assurer cet équilibre sur plusieurs années, c'est précariser leur situation et, pour beaucoup d'entre eux, la mettre en péril.
Je crois d'ailleurs qu'il est temps de réaliser à quel point la situation de certaines catégories socioprofessionnelles est devenue précaire au cours de ces dernières années.
Avec les mesures qui nous sont proposées, nous allons vers une aggravation de la fracture sociale dans le monde du travail entre ceux dont l'emploi est garanti à vie et les droits sociaux préservés et ceux qui sont exposés à la conjoncture économique, sans aucune garantie, tandis que leur accès aux droits sociaux se restreint.
En outre, il ne s'agit pas seulement d'une suppression brutale ; elle est proposée l'année même où vous entendez mettre sous condition de ressources l'attribution des allocations familiales. C'est d'un véritable acharnement contre les travailleurs indépendants que nous sommes témoins ! Vous les frappez deux fois en un seul texte : ils cotiseront davantage pour une prestation à laquelle certains d'entre eux n'auront plus droit. L'augmentation moyenne de la charge financière sur leurs revenus est estimée à 1 000 francs et elle touchera 500 000 personnes.
L'objectif de rigueur financière, que nous défendons par ailleurs avec vigueur, tout autant que vous, madame le ministre, ne justifie pas toutes les mesures, et sûrement pas le fait de pénaliser certaines catégories socioprofessionnelles, dont les travailleurs indépendants, en creusant encore plus le fossé qui existe déjà entre ceux qui cumulent toutes les garanties et ceux que vous voulez soumettre à toutes les précarités.
Aussi, mes chers collègues, je vous demanderai de voter la suppression de l'article 4.
M. le président. La parole est à M. Descours, rapporteur, pour défendre l'amendement n° 6 et pour donner l'avis de la commission sur les amendements n°s 32 et 64.
M. Charles Descours, rapporteur pour les équilibres financiers généraux et l'assurance maladie. La commission partage largement les inquiétudes des auteurs des amendements n°s 32 et 64 concernant l'agression dont sont victimes les professions indépendantes dans ce texte. Cependant, pour des raisons que j'exposerai dans quelques instants, il ne lui paraît pas possible de rejeter totalement le déplafonnement.
Nous reconnaissons en effet la nécessité de procéder à l'achèvement du déplafonnement des taux de cotisation d'allocations familiales des employeurs et des travailleurs indépendants, tout en constatant que ce déplafonnement se traduira par une charge supplémentaire importante pour les personnes concernées.
C'est la raison pour laquelle nous proposons une mise en place progressive du déplafonnement, ce qui permettra d'en atténuer la charge en 1998.
Je rappelle que les taux de cotisation, qui sont aujourd'hui de 4,9 % sur l'intégralité du revenu et de 0,5 % sur la part plafonnée, seraient, selon le dispositif transitoire, fixés respectivement à 5,15 % et à 0,25 % en 1998. En 1999, le déplafonnement serait total et le taux de 5,4 % porterait sur l'intégralité du revenu.
Je reviens maintenant sur les amendements n°s 32 et 64 et sur les problèmes qu'ils ont posés à la commission.
La suppression de l'article 4 entraînerait une perte de recettes de 300 millions de francs, comme l'a d'ailleurs fait remarquer M. Oudin. Bien entendu, il ne s'agit pas pour moi de donner des leçons à la commission des finances ; je veux seulement rappeler que nous avons choisi, dès le départ, de respecter le déficit de 12 milliards de francs ; aussi bien avons-nous cherché, quand nous avons supprimé des sources de recettes, à les compenser.
Or, en l'occurrence, la perte de 300 millions de francs n'est pas gagée. C'est une première raison de notre hostilité à la suppression de l'article.
Par ailleurs, il est clair que ce déplafonnement s'inscrit, pour ainsi dire, dans la logique, fût-elle douloureuse, de ce qui est prévu depuis près de dix ans.
Cela dit, ce qui me gêne le plus, intellectuellement, c'est que nous sommes, nous, contre la mise sous condition de ressources des allocations familiales. En d'autres termes, nous souhaitons que tout le monde puisse percevoir des allocations familiales.
M. Alain Gournac. Nous aussi !
M. Charles Descours, rapporteur pour les équilibres financiers généraux et l'assurance maladie. Je le sais bien, mon cher collègue !
Si tout le monde doit pouvoir percevoir des allocations familiales, il est clair que tout le monde doit contribuer. C'est donc aussi ce scrupule intellectuel - un scrupule que, manifestement, le Gouvernement ne partage pas - qui nous empêche d'émettre un avis favorable sur les amendements n°s 32 et 64.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 32, 64 et 6 ?
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Tout en étant conscients de l'inquiétude des travailleurs indépendants, voire en la comprenant, dans la mesure où ceux-ci perçoivent les mêmes prestations, nous demandons qu'ils paient les mêmes cotisations ; cela nous semble simplement normal. Par conséquent, nous ne pouvons que rejeter les amendements n°s 32 et 64.
Nous ne sommes pas favorables non plus à l'amendement n° 6, qui tend à diminuer de moitié le taux de cotisation applicable en 1998 et à ne prévoir le déplafonnement qu'en 1999.
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires sociales.
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. Nous comprenons très bien, comme l'a dit notre excellent rapporteur, les motivations de M. Oudin et de M. Braye. Cependant, le point de départ du travail très approfondi de la commission des affaires sociales a été de s'en tenir au chiffre prévu par le Gouvernement concernant le déficit de 1998, et c'est seulement l'articulation interne des ressources et des dépenses que nous souhaitons modifier.
L'adoption des amendements n°s 32 et 64 se traduit par une perte de recettes de 300 millions de francs ; le nôtre induit une perte de 150 millions de francs, une somme que nous avons intégrée dans le tableau d'équilibre entre les ressources et les dépenses.
Si nous voulons respecter l'objectif que nous nous sommes fixé, c'est-à-dire aboutir au déficit prévu par le Gouvernement - le Sénat ne saurait en effet aggraver le déficit - il n'est pas possible de supprimer l'article 4.
C'est la raison pour laquelle je demande que l'amendement n° 6 soit mis aux voix par priorité.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur cette demande de priorité ?
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Monsieur le président, m'étant prononcé contre les trois amendements, je n'y vois évidemment aucun inconvénient. (Sourires.)
Sur un plan purement intellectuel, il est certain que la proposition de M. Fourcade est conforme à la logique.
M. le président. La priorité est ordonnée.
M. Jacques Oudin, rapporteur pour avis. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Jacques Oudin, rapporteur pour avis. Nous avons bien compris l'explication de M. Fourcade. Simplement, la commission des finances a retenu un autre cadrage puisqu'elle a opté pour un taux d'augmentation beaucoup plus bas.
C'est la raison pour laquelle, par cohérence, je m'abstiendrai sur l'amendement n° 6.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 6, repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'article 4 est ainsi rédigé, et les amendements identiques n°s 32 et 64 n'ont plus d'objet.
Article additionnel après l'article 4