SOMMAIRE
PRÉSIDENCE DE M. JEAN FAURE
1.
Procès-verbal
(p.
0
).
2.
Régime de TVA applicable aux services de télécommunications.
- Adoption d'une résolution d'une commission (p.
1
).
Discussion générale : MM. Denis Badré, rapporteur de la commission des finances
; Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget ; Mme Marie-Claude
Beaudeau.
Clôture de la discussion générale.
Texte de la résolution (p. 2 )
MM. Marc Massion, Alain Gérard, Jacques Machet.
Adoption de la résolution.
Suspension et reprise de la séance (p. 3 )
PRÉSIDENCE DE M. PAUL GIROD
3.
Dépôt d'un rapport du Gouvernement
(p.
4
).
4.
Conditions de stationnement des gens du voyage.
- Adoption des conclusions du rapport d'une commission (p.
5
).
Discussion générale : MM. Jean-Paul Delevoye, rapporteur de la commission des
lois ; Louis Besson, secrétaire d'Etat au logement ; Philippe Marini, Louis
Souvet, Daniel Eckenspieller, Daniel Hoeffel, Ambroise Dupont, Louis Boyer,
Jean-Claude Peyronnet, Philippe François, Michel Souplet, Michel Duffour, Mme
Marie-Claude Beaudeau.
Clôture de la discussion générale.
Article 1er (p. 6 )
Amendements n°s 10 du Gouvernement et 3 rectifié de M. Peyronnet. - MM. le
secrétaire d'Etat, Jean-Claude Peyronnet, le rapporteur. - Rejet des deux
amendements.
Adoption de l'article.
Article 2 (p. 7 )
Amendements identiques n°s 4 de M. Peyronnet et 11 du Gouvernement. - MM. le
secrétaire d'Etat, le rapporteur. - Retrait de l'amendement n° 4 ; rejet de
l'amendement n° 11.
Adoption de l'article.
Article 3 (p. 8 )
Amendements identiques n°s 5 de M. Peyronnet et 12 du Gouvernement. - MM.
Jean-Claude Peyronnet, le secrétaire d'Etat, le rapporteur. - Rejet des deux
amendements.
Adoption de l'article.
Article 4 (p. 9 )
Amendement n° 6 de M. Peyronnet et sous-amendement n° 13 du Gouvernement ;
amendement n° 1 de M. Souvet. - MM. Jean-Claude Peyronnet, le secrétaire
d'Etat, le rapporteur, Louis Souvet. - Rejet du sous-amendement n° 13 ; retrait
de l'amendement n° 1 ; rejet de l'amendement n° 6.
Adoption de l'article.
Article 5 (p. 10 )
Amendement n° 7 de M. Peyronnet et sous-amendement n° 14 du Gouvernement ;
amendement n° 16 du Gouvernement. - MM. Jean-Claude Peyronnet, le secrétaire
d'Etat, le rapporteur. - Rejet du sous-amendement et des deux amendements.
Adoption de l'article.
Article 6 (p. 11 )
M. Michel Souplet.
Article L. 2213-6-1
du code général des collectivités territoriales
(p.
12
)
Amendement n° 8 de M. Peyronnet et sous-amendement n° 15 du Gouvernement ;
amendement n° 2 de M. Souvet. - MM. Jean-Claude Peyronnet, le rapporteur. -
Retrait des amendements n°s 8 et 2, le sous-amendement n° 15 devenant sans
objet.
Adoption de l'article du code.
Article L. 2213-6-2 du code général
des collectivités territoriales
(p.
13
)
Amendement n° 9 rectifié de M. Peyronnet. - MM. Jean-Claude Peyronnet, le
rapporteur, le secrétaire d'Etat, Louis Boyer, Philippe Marini. - Rejet.
Adoption de l'article du code.
Adoption de l'article 6.
Intitulé. - Adoption (p.
14
)
Vote sur l'ensemble (p.
15
)
Mme Colette Terrade, MM. Jean-Claude Peyronnet, Philippe Marini.
Adoption de la proposition de loi.
5.
Ordre du jour
(p.
16
).
COMPTE RENDU INTÉGRAL
PRÉSIDENCE DE M. JEAN FAURE
vice-président
M. le président.
La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à neuf heures trente.)
1
PROCÈS-VERBAL
M. le président.
Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.
2
RÉGIME DE TVA APPLICABLE
AUX SERVICES DE TÉLÉCOMMUNICATIONS
Adoption d'une résolution d'une commission
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion de la résolution (n° 46, 1997-1998),
adoptée par la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes
économiques de la nation en application de l'article 73
bis
, alinéa 8,
du règlement, sur la proposition de directive du Conseil modifiant la directive
77/388/CEE en ce qui concerne le régime de taxe sur la valeur ajoutée
applicable aux services de télécommunications (n° E 785). [Rapport n° 37
(1997-1998).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Denis Badré,
rapporteur de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des
comptes économiques de la nation.
Monsieur le président, monsieur le
secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je voudrais d'abord préciser que la
résolution qui vous est soumise, adopté par notre commission des finances, fait
suite à une initiative de la délégation pour l'Union européenne à laquelle le
président Genton, dont je salue la présence, est très attaché.
Le Parlement a été saisi, au mois de février dernier, d'une proposition de
directive de la Commission européenne, tendant à modifier la directive
77/388/CEE en ce qui concerne le régime de TVA applicable aux prestations de
télécommunications. Cette proposition de directive a été normalement transmise
à notre délégation pour l'Union européenne, en application de l'article 88-4 de
la Constitution.
A l'examen, cette question est immédiatement apparue liée au projet d'ensemble
de la Commission relatif au système commun définitif de TVA. Ce projet de la
Commission n'a pas été officiellement transmis au Parlement. En effet - et
c'est paradoxal - il ne s'agit pas juridiquement pour l'instant d'un projet
d'acte communautaire, mais d'une simple communication de la Commission. Nous ne
pouvons donc pas en être saisis. Aussi, nous essayons, à travers l'examen de la
directive concernant les télécommunications, de donner notre sentiment sur
l'ensemble du problème.
Alors que l'objet de la communication de la Commission est plus large et,
surtout, plus fondamental, l'article 88-4 de la Constitution ne s'appliquait
pas. Nous ne pouvions donc aborder la question générale. Aussi, nous traitons
de la question particulière et, à travers elle, nous essayons d'aborder la
question générale.
Mes chers collègues, vous connaissez l'importance des enjeux. C'est tout de
même, pour la France, une question à 700 milliards de francs, soit la moitié de
nos recettes fiscales.
L'harmonisation des fiscalités est une étape redoutable sur le chemin de la
construction européenne. Lever l'impôt, c'est bien une prérogative dite de
souveraineté. Nous touchons à l'essentiel de ce que sont les difficultés de la
construction européenne.
La délégation a donc jugé nécessaire de se faire une opinion circonstanciée
sur le projet de système commun de TVA avancé par la Commission. Elle m'a alors
confié le soin de préparer un rapport d'information qui, partant du sujet
particulier des télécommunications, traite de l'ensemble. Elle a adopté ce
rapport, assorti d'un projet de résolution, au mois de mars dernier.
L'ensemble - rapport et résolution de la délégation -, a été transmis à notre
commission des finances, qui m'a, à son tour, confié le soin de rapporter à
nouveau sur le sujet. Cela explique que la résolution qui vous est soumise
comporte, elle aussi, deux volets. Le premier concerne la question du régime de
TVA applicable aux télécommunications. Le second s'appuie sur les conclusions
générales de mon rapport d'information sur le projet de régime commun définitif
de TVA avancé par la Commission. Tout cela est un peu compliqué, mais la
procédure devait être précisée au départ pour permettre un débat clair.
Arrêtons-nous d'abord sur le problème du régime de TVA applicable aux
prestations de télécommunications, qui constitue le noyau dur. Ici, les
évolutions technologiques dans le domaine des télécommunications nous
condamnent à bouger. En effet, lorsque le virtuel supplante progressivement le
réel, la fiscalité - aussi réelle soit-elle, notamment pour le contribuable -
doit, elle aussi, s'adapter.
La règle commune en matière de prestations de services veut que la TVA soit
due au lieu du prestataire. Mais cette règle de territorialité est devenue
inadaptée dès lors que les progrès des télécommunications ont permis la
délocalisation des prestataires.
Ainsi, les consommateurs européens peuvent, grâce à des mécanismes dits de «
call back
», faire transiter leurs communications par les Etats-Unis.
Les prestations de télécommunications sont alors exonérées de TVA. Il s'agit,
en quelque sorte, d'une variation fiscale sur le thème du « 22 à Asnières ».
(Sourires.)
Cette possibilité est effectivement exploitée
systématiquement par certaines banques - ce n'est donc pas simplement une
plaisanterie - qui ont ainsi organisé la délocalisation électronique de leurs
salles de marché hors de l'Union européenne. Il s'agit, certes, d'une
délocalisation virtuelle, mais c'est vers ce genre de procédures que nous
allons tout droit.
Cette obsolescence des règles de TVA applicables aux télécommunications -
anticipation de difficultés que nous rencontrerons dans bien d'autres domaines,
notamment avec Internet dans les années à venir - présente deux
inconvénients.
Le premier est l'évasion fiscale résultant de la non-imposition de prestations
de télécommunications qui sont pourtant consommées en Europe. Le second est la
position d'infériorité structurelle qui en résulte pour les opérateurs
européens par rapport à leurs concurrents des pays tiers. En effet, dès lors
qu'un opérateur est établi en Europe, ses prestations sont soumises à la TVA
aussi bien à l'intérieur de l'Union européenne que lorsqu'elles sont destinées
au reste du monde.
Il y avait donc urgence. Plutôt que de modifier dans les formes la sixième
directive sur la TVA, celle de 1977, il a été alors décidé, à Bruxelles,
d'autoriser immédiatement les Etats membres à y déroger, en exploitant une
possibilité ouverte par la directive puisque celle-ci admettait précisément les
dérogations visant à prévenir l'évasion fiscale.
Cette dérogation prévoit que, pour les prestations de télécommunications, la
TVA est due au lieu d'établissement du preneur et non plus au lieu du
prestataire. Il n'y a rien là que de très classique : on ne fait que
réaffirmer, à travers ce cas particulier, que la TVA est et doit rester un
impôt sur la consommation.
Cette solution simple a donc fait l'objet de quinze demandes de dérogation
identiques, qui ont toutes été autorisées par le Conseil, le 17 mars dernier.
Ces quinze dérogations ont ensuite été transcrites en droit interne par chacun
des Etats membres. La France, comme l'Allemagne, est allé plus loin puisqu'elle
a appliqué par anticipation la nouvelle règle à compter du 1er janvier 1997 ;
cette mesure faisait l'objet de l'article 19 de la loi de finances pour
1997.
Cette formule, constituée de quinze dérogations simultanées, est cependant
juridiquement discutable car l'ensemble formé par quinze dérogations identiques
équivaut à une modification de fond de la sixième directive sur la TVA. Elle se
situe, en fait, à la limite du détournement de procédure.
Consciente de cet inconvénient, la Commission n'avait accepté les demandes de
dérogation qu'à la condition expresse que celles-ci soient provisoires, leur
validité devant expirer le 31 décembre 1999. Pour éviter un vide juridique à
cette date, la Commission a parallèlement présenté une proposition de
modification dans les formes de la sixième directive sur la TVA. C'est la
proposition de directive qui nous a été officiellement transmise.
L'astuce juridique des dérogations parallèles et identiques était justifiée
par l'urgence du problème. Il nous faut, ici, saluer le pragmatisme de la
Commission, qui devrait devenir la norme.
Maintenant, le toilettage des textes de base s'impose. Nous allons donc
examiner cette proposition de directive.
Si la Commission s'était contentée de reprendre la dérogation en indiquant que
celle-ci devenait directive, cela aurait été trop simple. En fait, elle a
profité de l'opération pour introduire un élément nouveau, et c'est, bien sûr,
là que le bât blesse. En effet, cet élément nouveau nous pose problème ; mais
n'anticipons pas.
Pour une part, la dérogation est reprise. S'agissant des prestations rendues à
des clients situés en dehors de l'Union européenne, la Commission admet que la
TVA soit due au lieu du preneur. Cette règle de territorialité aboutit bien à
l'exonération des prestations de télécommunications exportées, ce qui rétablit
l'égalité de concurrence entre les prestataires communautaires et les
prestataires de pays tiers. C'est effectivement ce que nous souhaitons.
En quoi la proposition de directive diverge-t-elle et nous pose-t-elle
problème ? Pour les prestations rendues à des clients établis au sein de
l'Union européenne, la Commission propose de revenir à l'imposition au lieu du
prestataire. Cette formule établirait une distorsion de concurrence entre les
opérateurs communautaires en fonction des différences de taux de TVA. Elle ne
va donc pas dans le sens du marché unique. Elle nous paraît très contestable.
Plus grave, elle permettrait aux opérateurs de pays tiers de profiter de ces
différences de taux en s'identifiant à la TVA dans l'Etat membre qui a le taux
le plus bas. Nous ne pouvons donc approuver la directive sur ce point, et nous
le disons dans notre résolution.
Dans cette résolution, nous demandons que la règle de l'imposition au lieu du
preneur soit applicable dans tous les cas de figure. Cette solution est, en
effet, dans l'état actuel de la construction européenne, la seule qui permette
de garantir la neutralité fiscale, ce qui me paraît prioritaire pour bien vivre
le présent, et surtout pour préparer correctement l'avenir.
Mes chers collègues, j'en arrive au point d'articulation de mon exposé entre
l'analyse de la directive sur les télécommunications et le problème général du
passage à terme au régime définitif de TVA.
La Commission a voulu appliquer par anticipation au secteur des
télécommunications le système qu'elle préconise par ailleurs pour le régime
commun de TVA, sur lequel elle travaille, il faut le reconnaître, depuis
maintenant dix ans avec une belle constance.
La relation que nous avons choisi d'établir entre cette question particulière
des télécommunications et le problème général de l'avenir de la TVA en Europe
est donc assez naturelle. Nous suivons, à notre tour, le cheminement même de la
Commission. Celle-ci passait par la directive sur les télécommunications pour
anticiper sur le régime général définitif. Nous, nous passons par l'analyse de
cette directive pour porter un jugement sur le régime définitif. Nos démarches
sont donc parallèles, ce qui est bien naturel.
J'en viens donc au projet de régime définitif de TVA proposé par la
Commission.
Le 1er janvier 1993, alors que la Commission avait déjà proposé un système
définitif de TVA qui avait été refusé, un régime de TVA intracommunautaire
transitoire a été mis en place. Ce régime transitoire a permis de supprimer les
contrôles douaniers aux frontières, tout en préservant le principe d'imposition
dans le pays de destination. Parallèlement, la Commission a continué à
travailler sur ce que pourrait être le régime définitif. Nous avons constaté, à
l'usage, les défauts et les avantages du régime transitoire.
Le fruit des réflexions de la Commission a fait l'objet d'un document intitulé
Un système commun de TVA, un programme pour le marché unique,
qui a été
rendu public le 22 juillet 1996.
Le système proposé par la Commission, à travers ce rapport, a le mérite de la
cohérence et - je le reconnais bien volontiers - est d'essence profondément
européenne. Il repose sur quatre principes essentiels : tout d'abord, la
suppression de toute distinction entre opérations nationales et
intracommunautaires, ce qui implique la taxation des produits dans leur pays
d'origine ; par ailleurs, l'instauration d'un lieu unique de taxation pour un
même opérateur, sans distinction selon que l'opération est réalisée dans un
Etat membre ou dans un autre ; ensuite, l'harmonisation des taux de TVA, afin
d'éviter des distorsions de concurrence entre opérateurs et d'écarter - pour ce
motif du moins ! - le risque de délocalisations d'activités ; enfin, la mise en
place d'un mécanisme de réattribution des recettes de TVA entre les Etats
membres, sur la base statistique de leurs consommations respectives, afin de
redistribuer des recettes qui auront été collectées au niveau communautaire, ce
qui est complètement nouveau.
En pratique, ce projet revient à considérer le marché unique européen comme un
marché national, sous réserve du mécanisme destiné à compenser pour les Etats
membres les détournements de TVA liés aux flux commerciaux.
Le système de la TVA fonctionne dans chaque Etat membre et fonctionnerait
aussi dans l'Union européenne si cette dernière était un grand marché national,
ce qui n'est pas encore complètement le cas. C'est pourquoi nous estimons que
la mise en place de ce régime définitif est prématurée.
La Commission a assorti ce projet d'un programme de travail volontaire étalé
dans le temps.
Elle prévoit qu'en 1997 - mais cela devient un peu tard ! - seront définis les
principes de fonctionnement du régime définitif.
En 1998, seront fixées les règles de détermination du lieu de taxation et du
système de compensation en vue de la redistribution des recettes prélevées au
niveau communautaire.
Enfin, en 1999, seront déterminés des taux harmonisés, lesquels posent
également un grand problème dans la mesure où les recettes fiscales de chaque
Etat seraient bien sûr remises en cause.
Chaque étape devant être achevée deux ans après son lancement, la Commission
considère que le régime définitif pourrait entrer en vigueur complètement dès
2001.
Comme le montre le rapport d'information que j'ai eu l'honneur de signer, les
conséquences du régime commun de TVA dit « définitif » paraissent insoutenables
aujourd'hui et en l'état.
Tout d'abord, sauf à admettre des distorsions de concurrence majeures, la mise
en place de ce régime définitif impliquerait rapidement un alignement quasi
total des taux de TVA au sein de la Communauté. L'étude macroéconomique
réalisée par le Centre d'études prospectives et d'informations internationales,
le CEPII, à la demande de la délégation du Sénat pour l'Union européenne,
montre que cette harmonisation brutale des taux produirait un choc majeur, dont
les effets seraient de plus assez différents selon les Etats membres, qui
verraient leurs recettes complètement perturbées.
Par ailleurs - c'est plus grave dans l'immédiat - il en résulterait une
limitation sévère des marges de manoeuvre fiscale des Etats membres tout à fait
inopportune, alors que ceux-ci sont engagés dans des efforts budgétaires
considérables pour la réalisation et la mise en place de l'euro. Je répète que
les recettes provenant de la TVA représentent la moitié des ressources de notre
budget !
M. Jacques Genton.
Eh oui !
M. Denis Badré,
rapporteur.
On ne peut pas geler la moitié de nos ressources sans bloquer
en même temps la moitié de nos marges de manoeuvre !
S'agissant toujours de l'évolution des recettes de TVA perçues par les Etats,
le mécanisme de compensation proposé ne paraît pas fiable, compte tenu du
caractère imprécis des données statistiques disponibles. On ne peut pas
s'appuyer de manière simple sur une redistribution en fonction des résultats
des données statistiques de consommation présentées par les Etats eux-mêmes.
Les Etats ayant le meilleur appareil statistique, qui sont souvent déjà les
plus gros contributeurs au budget européen, risquent d'être défavorisés.
Certains - de mauvais esprits sûrement !
(Sourires) -
imaginent même que les administrations fiscales nationales,
n'étant plus directement motivées, pourraient exercer avec un zèle un peu moins
ardent leur contrôle.
M. Jacques Genton.
Oh !
M. Denis Badré,
rapporteur.
Le fait de compromettre les équilibres budgétaires déjà très
tendus et fragiles des Etats n'irait pas non plus dans le sens du succès de
l'union économique et monétaire.
Au total, le niveau des recettes de TVA de chacun des Etats membres ne
pourrait pas être garanti dans le système proposé par la Commission européenne.
C'est d'ailleurs le reproche le plus grave que nous adressons au projet
présenté par la Commission.
Je ferai une dernière critique, forte également : le principe du libre choix
du lieu unique de taxation encouragerait les délocalisations à l'intérieur de
l'Union européenne et créerait donc de nouvelles et inutiles distorsions de
situations, parfois dans une même branche, entre ceux qui pourraient y avoir
recours et ceux qui n'en auraient pas les moyens. Je pense, par exemple, au
secteur de la distribution : la cohérence entre la grande distribution et le
petit commerce de détail ne serait pas du tout satisfaisante.
En résumé, le projet de régime commun de TVA présenté par la Commission est
intellectuellement séduisant, satisfaisant du point de vue européen, et
pourrait convenir à un Etat fédéral. Mais son lancement aujourd'hui aurait pour
chacun des Etats membres des conséquences budgétaires, économiques et sociales
très difficiles à supporter. Une mise en oeuvre prématurée du régime définitif
paraît ainsi de nature à compromettre très sérieusement le succès de l'union
économique et monétaire et, au-delà, celui de la construction européenne.
Enfin, il faut souligner que la cohérence du système proposé par la Commission
est telle qu'il n'est pas concevable de renoncer à un seul de ses éléments sans
devoir renoncer à l'ensemble. C'est pourquoi la résolution qui vous est soumise
vise à demander au Gouvernement de ne pas retenir les propositions de la
Commission tant que toutes les conditions voulues pour le succès du passage au
régime définitif ne seront pas réunies.
J'insiste sur le fait que cette position n'est pas une opposition de principe
au système définitif de TVA proposé par la Commission, mais qu'elle correspond
à un souci de pragmatisme. En effet, je suis intimement convaincu que la
précipitation ne peut que nuire à la construction européenne et que toute
réforme mal engagée risque de se retourner contre ses promoteurs en donnant des
armes aux détracteurs de l'Europe.
M. Jacques Genton.
Très bien !
M. Denis Badré,
rapporteur.
Pour votre rapporteur, une rigueur absolue dans l'application
des principes et un grand pragmatisme dans l'exécution doivent se conjuguer
dans tous les domaines. C'est à ce prix que nous construirons une Europe forte
répondant à l'attente des Etats membres et des citoyens. Il ne faut pas
confondre rigueur et rigorisme, ni vitesse et précipitation. Mieux vaut réussir
l'Europe fiscale plus tard qu'échouer aujourd'hui en entraînant dans l'échec
l'euro, et peut-être l'Europe elle-même.
Du reste, la Commission européenne me semble aujourd'hui partager beaucoup
plus cette analyse. M. Mario Monti, commissaire européen, que j'ai eu
l'occasion de rencontrer à Bruxelles avant son audition par la commission des
finances, a parfaitement conscience qu'il serait irréaliste de mettre en oeuvre
dans l'immédiat le régime définitif de TVA. Mais - il faut le dire - cette
position est assez nouvelle. On ne joue pas avec l'Europe... Alors, écartons
toute fantaisie de notre chemin vers une fiscalité européenne.
A partir du moment où la Commission procède à cette prise de conscience, il
paraît opportun que les Etats membres travaillent de concert avec elle pour
améliorer le régime de TVA transitoire - cela aussi, c'est nouveau - puisque
celui-ci est alors appelé à durer encore un certain temps. M. Mario Monti m'a
semblé également d'accord sur ce point, ce qui est nouveau là aussi, puisque,
jusqu'ici, la Commission s'en tenait à une attitude plus rigide. Pour elle, il
fallait d'abord accepter la mise en place du régime définitif avant de discuter
de quoi que ce soit d'autre. Nous l'avons bien vu lorsque la France, à la suite
d'une initiative du Président de la République, a évoqué la vraie question du
passage au taux réduit des cédéroms éducatifs : la Commission s'y est opposée,
considérant qu'il fallait d'abord que la France accepte le passage au régime
définitif.
La Commission a évolué. Le pragmatisme est décidément possible. Nous avons
ici, mes chers collègues, la manifestation des progrès que peut permettre un
vrai dialogue, et je m'en félicite.
M. Jacques Machet.
Très bien !
M. Denis Badré,
rapporteur.
Cela me semble de nature à rassurer ceux qui croient à la
construction européenne, notamment ceux qui craignent de la voir détournée de
ses objectifs essentiels.
Nous pouvons donc aujourd'hui être écoutés, lorsque nous demandons que la
Commission exerce ses capacités, lesquelles sont très importantes, pour nous
proposer des améliorations au régime transitoire. Ce dernier est maintenant
bien entré dans les moeurs des entreprises, qui - il faut le dire - en sont
globalement satisfaites. Il présente toutefois le très grave inconvénient
d'offrir des possibilités de fraude, ce qui lui serait fatal s'il existait une
alternative. Mais, pour le moment, il n'en existe pas. Ces possibilités de
fraude condamnaient le régime transitoire tant que l'on n'imaginait pas pouvoir
y remédier. Cette impossibilité était en tout cas l'un des motifs avancés par
la Commission européenne pour justifier l'urgence du passage au régime
définitif.
Notre débat, vous le voyez, mes chers collègues, a une vraie cohérence. Les
travaux d'investigation auxquels j'ai procédé au cours des derniers mois pour
le compte tout d'abord de la délégation pour l'Union européenne puis de la
commission des finances confirment que des progrès sont possibles dans le cadre
de ce régime transitoire. Nous devons maintenant veiller à ce qu'ils puissent
être mis en oeuvre.
Le rapport présenté par le Gouvernement en juin 1996, qui allait déjà
également dans le même sens, a recensé trois principaux mécanismes de fraude
liés au système de TVA intracommunautaire : la non-déclaration d'acquisitions
intracommunautaires, la déclaration d'acquisitions intracommunautaires fictives
et la constitution de circuits frauduleux entre des entreprises éphémères,
procédés couramment dénommés « carrousels ».
Des mécanismes de contrôle spécifiques avaient bien été prévus. Ils sont
encore très largement perfectibles. Au-delà de la période de rodage inévitable,
ces mécanismes semblent souffrir encore de faiblesses constitutives, lesquelles
peuvent et doivent être corrigées.
Ainsi, les contrôles menés en France paraissent trop peu fréquents et trop
orientés sur les seules acquisitions intracommunautaires, alors que les risques
de fraude sont surtout liés aux livraisons.
A l'échelon européen, le système informatique de recoupement VIES -
VAT
information exchange system
- entre les administrations fiscales des
différents Etats membres a été conçu d'une façon un peu bancale : il
n'enregistre, sur le plan intracommunautaire, que les déclarations
d'acquisitions. Pour permettre des recoupements véritablement efficaces, il
faudrait qu'il soit réellement symétrique et enregistre également les
déclarations de livraisons. Il faut se souvenir que, lors de la création de ce
système, une majorité d'Etats membres a souhaité ne pas imposer trop
d'obligations déclaratives aux entreprises. Ce souci de simplicité doit
d'ailleurs toujours nous animer. Par conséquent, il devrait être possible de
parvenir à un peu plus d'obligations déclaratives sans atteindre un excès que
nous récusons.
De même, la coopération administrative entre les Etats membres, au-delà de la
bonne volonté affichée, se heurte à un véritable problème de motivation de nos
administrations fiscales. Cette coopération implique, en effet, que chaque
administration nationale accepte d'effectuer des contrôles pour le compte des
pays voisins. Une évolution en profondeur des mentalités serait donc
nécessaire. Or les administrations fiscales des Etats - M. le commissaire Monti
insistait sur ce point devant la commission des finances, voilà quelques
semaines - ne sont pas spontanément portées à travailler ensemble. Elles se
sentent bien gardiennes d'une parcelle de cette souveraineté fiscale que
j'évoquais en introduction.
La Commission européenne a tout de même déjà engagé des actions favorisant le
renforcement de la coopération entre ces administrations nationales, avec le
programme FISCALIS. Pour sa part, le gouvernement français a présenté, dans le
projet de loi de finances pour 1998, une mesure tendant à renforcer
l'efficacité de la déclaration d'échange de biens, déclaration qui est le
principal support des contrôles en matière de TVA intracommunautaire.
Par ailleurs, le bon fonctionnement du régime transitoire nécessite un effort
d'harmonisation supplémentaire des règles de base de la TVA. D'après les
spécialistes que j'ai eu l'occasion d'auditionner, cette harmonisation pourrait
porter notamment sur le statut de la représentation fiscale, sur les droits à
déduction et sur les seuils d'exonération.
Enfin, une autre amélioration du régime actuel consisterait à préciser la
définition communautaire du champ de la TVA en fonction de la jurisprudence de
la Cour de justice des Communautés européennes. Le décalage entre le texte
d'origine de la directive de 1997 et cette jurisprudence qui évolue très vite,
est en effet source d'insécurité juridique pour les entreprises.
Mes chers collègues, le texte de la résolution qui vous est soumise reprend
les suggestions d'amélioration du régime transitoire que je viens d'évoquer -
il est donc très constructif - et suggère au Gouvernement de les défendre
fermement au sein des instances communautaires.
Pour conclure, je voudrais également revenir sur les points sur lesquels le
Sénat est désireux de connaître la position du Gouvernement.
Vous m'autoriserez, monsieur le secrétaire d'Etat, à utiliser cette occasion
un peu exceptionnelle pour le faire, sachant que, même si je sors quelque peu
du cadre strict de la résolution dont nous débattons, je reste bien dans notre
sujet.
Le régime de TVA applicable aux télécommunications est la question la plus
urgente. En effet, le régime dérogatoire mis en oeuvre par tous les Etats
membres ne s'applique que jusqu'au 31 décembre 1999. Pouvez-vous nous dire où
en sont les autres Etats membres ? Ont-ils pris ou se préparent-ils à prendre
des positions sur la proposition de directive que nous critiquons à travers
notre résolution ?
S'agissant du système commun de TVA, il est désormais clair que le passage au
régime définitif n'est pas pour demain. Nous avons la faiblesse de croire que
les contacts que nous avons développés depuis six mois n'y sont pas
complètement étrangers.
Nous sommes aujourd'hui curieux de savoir si le Gouvernement partage ou non
notre appréciation sur les inconvénients pratiques que présenterait la mise en
oeuvre du régime définitif dans le contexte européen actuel, à un an de la mise
en place de l'union monétaire, qui interviendra le 1er janvier 1999.
Enfin, s'agissant du régime transitoire de TVA intracommunautaire et de nos
propositions visant à réduire les fraudes, la position du Gouvernement nous
intéresse, notamment sur deux grands sujets.
Le premier sujet, est bien sûr, celui de la fraude. Monsieur le secrétaire
d'Etat, pouvez-vous nous donner votre propre analyse des imperfections
actuelles du régime transitoire, en particulier du développement présumé de la
fraude ?
Je crois savoir qu'une étude a été menée par vos services sur les raisons du
décrochage observable depuis quelques années entre la base taxable et les
recettes effectives de TVA. Pourriez-vous nous le confirmer et, le cas échéant,
nous apporter des informations à ce sujet ?
Vous nous proposez, dans le projet de loi de finances pour 1998, des mesures
tendant à renforcer le contrôle des opérations intracommunautaires ; vous
reconnaissez donc, j'imagine, la réalité du problème des fraudes. Je vous
serais très reconnaissant, monsieur le secrétaire d'Etat, de nous apporter
également des éclaircissements sur ce point.
Le second sujet est celui des possibilités réelles d'harmonisation fiscale.
Quelles sont pour vous, monsieur le secrétaire d'Etat, les voies d'une
harmonisation plus grande des règles communautaires de la TVA ? Actuellement,
les administrations nationales travaillent avec la Commission européenne, dans
le cadre du programme SLIM - simplification de la législation relative au
marché intérieur - sur des mesures de simplification. Je souhaiterais savoir,
compte tenu des positions respectives des Etats membres et des implications
financières des diverses mesures envisageables, quels sont les points sur
lesquels des progrès vous paraissent possibles à court terme ou à échéance
raisonnable.
Vos réponses éclaireront la Haute Assemblée, laquelle pourra alors mieux
asseoir la position qu'elle prendra sur la résolution qui lui est soumise
aujourd'hui.
Vous l'aviez évidemment compris, mes chers collègues, je vous recommande
d'adopter la résolution que je résume en terminant mon propos.
Il s'agit d'approuver la directive concernant les télécommunications pour les
services rendus hors de la Communauté et de solliciter du Gouvernement qu'il
obtienne que cette proposition soit modifiée afin que la même procédure soit
retenue pour les prestations offertes à des clients à l'intérieur de la
Communauté.
Il s'agit encore de demander au Gouvernement d'agir pour que l'on sursoie à ce
passage au régime définitif et de peser dans le sens de l'amélioration du
régime transitoire en veillant à ce que le passage au régime définitif ne soit
mis en oeuvre que lorsque toutes les conditions seront réunies pour que cela
soit un succès et marque un réel progrès de la construction européenne.
La construction européenne, vous le savez, monsieur le secrétaire d'Etat, est,
pour moi comme pour la plupart de mes collègues, essentielle. Nous devons tout
faire pour qu'elle réussisse. Cependant, nous en avons là une nouvelle
illustration, il y faudra non seulement du temps, une rigueur de tous les
instants, du pragmatisme, un peu de technicité - vous avez pu en juger - et du
sens politique, bien sûr, mais aussi une foi à soulever les montagnes !
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et des Républicains et
Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat au budget.
Monsieur le rapporteur, vous avez su, et
avec talent, présenter de manière simple un problème touffu qui, vous l'avez
souligné dans votre rapport écrit comme dans votre exposé oral, revêt, sous des
aspects techniques parfois abscons, une importance tout à fait décisive pour
notre pays. En effet, de même qu'un train peut en cacher un autre, ce débat
apparemment technique, sinon anodin, sur une proposition de directive
concernant le régime de TVA applicable aux services de télécommunications
dissimulait un débat implicite, mais décisif, sur la façon dont, un jour, nous
sortirons du régime provisoire actuel pour aller vers un régime commun de TVA.
Vous l'avez relevé, la Commission, avec un grand talent et une obstination non
moins grande, revient à la charge sur un sujet qui l'occupe en permanence à la
faveur du projet de directive actuellement en débat.
Vous avez posé quatre questions au Gouvernement, ce qui me permet de
structurer très simplement la réponse que je vais faire à la Haute
Assemblée.
Vous interrogez premièrement le Gouvernement sur la proposition de directive
concernant le régime de TVA applicable aux services de télécommunications.
Deuxièmement, vous demandez au Gouvernement quel est l'état de ses réflexions
sur le passage éventuel à un régime définitif de TVA. Votre troisième question
porte sur la lutte contre la fraude à la TVA intracommunautaire. Enfin,
quatrième et dernière question, vous souhaitez connaître la position du
Gouvernement sur un certain nombre de mesures d'harmonisation et de
simplification. Je reprends ces quatre points.
En ce qui concerne les règles de TVA applicables aux services de
télécommunications, je veux dire d'emblée que le Gouvernement partage votre
analyse et vos préoccupations.
Nous avons obtenu - « nous », c'est-à-dire les Quinze, à l'unanimité de tous
ceux qui, dans chaque Etat, réfléchissent à ces questions - un système
dérogatoire qui permet de préserver non seulement l'avenir de notre industrie
des télécommunications mais aussi, vous y avez insisté, les recettes
budgétaires de l'Etat, ce qui n'est pas un mince objectif.
Vous avez montré, je n'y insiste pas, que les opérateurs n'ont désormais plus
intérêt à utiliser les procédures de
call back
- pardonnez-moi cet
anglicisme - pour contourner les règles fiscales en vigueur. Donc,
actuellement, selon le régime fiscal provisoire qui sera en vigueur jusqu'au 31
décembre 1999 et non pas jusqu'au 31 décembre 1998, comme je l'ai lu à la page
10 du rapport, les prestations sont toutes taxables en France dès lors que le
prestataire est établi dans un pays tiers à la Communauté.
Comment devons-nous négocier pour mettre en place un nouveau système au-delà
du 31 décembre 1999 ?
Il convient, selon moi, comme vous l'avez fait, monsieur le rapporteur - et
comme le fait d'ailleurs la Commission - de retenir une approche qui distingue
les échanges intracommunautaires de prestations de télécommunications des
échanges avec les pays tiers.
En ce qui concerne les échanges à l'intérieur de la Communauté, implicitement,
la Commission suppose que les pays membres répondent aux propositions qu'elle a
formulées en faveur du régime définitif. Je reviendrai sur la réserve émise par
la majorité des Etats de la Communauté, préférant, à ce stade, insister sur les
échanges entre la Communauté et les Etats tiers.
L'important est de ne pas se cantonner à la seule réflexion sur les
prestations téléphoniques habituelles, tant il est vrai que l'industrie des
télécommunications offre une capacité de développement considérable ; je pense,
par exemple, aux services à valeur ajoutée et au commerce électronique, qui
ouvrent des perspectives de demandes très importantes et posent donc un
problème de taxation majeur.
Par conséquent, il nous faut prendre en considération l'ensemble des
prestations et pas seulement celles dont nous avons l'habitude, notamment le
téléphone. Pour ce faire, nous devons replacer la discussion intracommunautaire
dans un cadre mondial car, vous le savez, des négociations mondiales sont en
cours sur la libéralisation des services de télécommunications.
J'ajoute, au risque de compliquer la réflexion - mais la question doit être
saisie dans son ensemble - que, jusqu'à présent, ce sont principalement les
entreprises qui ont bénéficié de ces nouveaux services de télécommunications.
Cependant, avec le développement d'Internet, notamment, les particuliers auront
de plus en plus accès à des prestations de type mondial. Il est donc important
qu'en ce qui concerne les particuliers nous puissions parvenir à une juste
perception de la taxe par l'Etat de consommation.
Sur ce point, lorqu'il y a relation entre un opérateur extracommunautaire et
un particulier intracommunautaire, la proposition de la Commission revient à
demander à l'opérateur extracommunautaire de s'installer dans un pays de la
Communauté, mais dans un seul, et c'est là le point crucial. En fait,
implicitement, la Commission nous recommande de revenir à un principe
contestable, celui de la taxation au lieu du prestataire, suivant lequel c'est
là où la compagnie américaine, japonaise ou brésilienne s'implante que doit
être perçue la TVA. On voit donc ici comment la Commission, un peu
insidieusement, même si cela part de la meilleure intention du monde, nous
entraîne vers le principe de la taxation au lieu du prestataire, nous éloignant
du principe de la prestation au lieu du preneur de services.
Pour en terminer sur le sujet précis de la proposition de directive visant à
modifier le régime de TVA applicable aux services de télécommunications,
j'ajoute que le Gouvernement est très satisfait de l'analyse et du soutien,
intellectuel et politique, que la Haute Assemblée a consignés sur le papier et
que vous avez résumés oralement, monsieur le rapporteur. Il approuve pleinement
la démarche réaliste et pragmatique qui est la vôtre pour améliorer le système
provisoire au-delà du 31 décembre 1999. Il est clair que le soutien du Sénat
sera important pour le Gouvernement français dans les négociations, très
longues et très techniques, qu'il devra mener jusqu'à cette date. Permettez-moi
donc, au nom du Gouvernement, de vous exprimer toute sa reconnaissance.
J'en viens maintenant au système commun de TVA, question implicitement posée
par le document de la Commission.
En effet, la Commission, avec une obstination que vous avez saluée, a publié
le 10 juillet 1996 un document intitulé
Un système commun de TVA, un programme pour le marché unique.
Vous le
savez, il s'agit de mettre en place une TVA européenne qui soit applicable sur
l'ensemble du territoire de la Communauté. Pourquoi cette proposition ? Elle
part d'une critique, que nous estimons un peu dépourvue de nuances, du régime
transitoire actuel. Selon la Commission, ce régime serait désormais inadapté,
et ce pour trois raisons.
Tout d'abord, l'imposition des produits dans le pays de destination oblige à
un suivi physique des biens qui se traduit par une déclaration des mouvements
de marchandises intracommunautaires. La Commission estime qu'il s'agit là de
procédures bureaucratiques et coûteuses qui tendent, à terme, à freiner le
développement des échanges.
En outre, s'il est aisé de suivre les déplacements physique des biens, en
revanche, pour ce qui est des services, la tâche est beaucoup plus difficile.
Il faut donc, pour les services, trouver de nouvelles règles d'imposition au
titre de la TVA.
Enfin, le système n'étant pas appliqué de façon uniforme dans les différents
Etats membres, la tâche des opérateurs qui font du commerce s'en trouve
grandement compliquée.
Cette construction intellectuelle proposée par la Commission nous paraît,
comme à vous-même, monsieur le rapporteur, irréaliste à court et à moyen
terme.
Premièrement, ce système porte préjudice à la souveraineté des Etats tant que
les taux de TVA en vigueur et la réglementation relative au droit à déduction
ne sont pas strictement harmonisés. Vous avez parlé d'« Etat fédéral ».
L'Europe fédérale est peut-être une perspective à long terme, mais elle n'est
pas encore une réalité quotidienne, et elle n'est pas sur le point de
l'être.
Deuxièmement, pour que ce système commun de TVA fonctionne, les taux doivent
être très rapidement unifiés. Or, votre rapport sur ce plan est tout à fait
éclairant, les taux moyens de TVA sont différents d'un pays à l'autre. Depuis
le relèvement de deux points de son taux normal de TVA, en 1995, la France est
arrivée tout en haut du tableau, alors que le Royaume-Uni se trouve tout en
bas.
Si l'on devait unifier les taux de TVA, ce serait peut-être un gain pour la
Grande-Bretagne, mais nous sommes ici au Sénat français, et nous devons nous
préoccuper de nos propres intérêts. Or le préjudice budgétaire serait
considérable pour la France : cela nous coûterait très cher !
Le Gouvernement pense que l'on ne peut pas tout faire à la fois : respecter le
pacte de stabilité, maîtriser les déficits de façon que la France puisse
adhérer à l'union monétaire, demeurer un membre de plein droit de cette union
et, en même temps, harmoniser les taux de TVA.
Enfin, troisièmement - le Gouvernement reprend à son compte cet argument - le
système de compensation que la Commission a imaginé serait peu fiable.
Ce système suppose un appareil statistique très développé, et ce n'est pas
faire injure à certains pays membres de dire qu'ils ont un appareil statistique
perfectible. De plus, certains auraient, à l'évidence, intérêt à déclarer des
recettes de TVA peut-être plus faibles que celles qu'ils perçoivent puisqu'ils
auraient ensuite un avantage dans le mécanisme de redistribution.
Le Gouvernement n'est donc pas favorable à un passage à court ou à moyen terme
au système définitif. Il est partisan d'améliorer le régime actuel de TVA
intracommunautaire, qui n'est pas si critiquable que cela. Si je puis dire,
pour « noyer le chien » du système provisoire de TVA, la Commission lui a
peut-être trouvé plus de défauts qu'il n'en a !
Depuis le 1er janvier 1993, le régime transitoire a plutôt bien fonctionné :
les échanges intracommunautaires se sont développés et la suppression des
contrôles aux frontières a réduit les coûts administratifs supportés par les
entreprises.
Il y a peut-être eu une certaine perte de recettes de TVA intracommunautaire
et, de ce point de vue, le rapport d'enquête réalisé par l'inspection générale
des finances et remis le 30 juin 1997 se présente en quelque sorte en deux
parties.
La première partie tend à démontrer que,
grosso modo
, à quelques
accidents près - la fin des années 1995 et 1996 a été perturbés, vous le savez,
par un certain nombre d'événements sociaux qui ont eu un retentissement sur les
perceptions de recettes de TVA - les recettes de TVA en France, mais pas
seulement en France, ont suivi une tendance parallèle à celle de leur assiette,
c'est-à-dire de la consommation, depuis le 1er janvier 1993, date à laquelle
les frontières ont disparu.
On ne peut donc pas dire, comme certains l'ont fait, qu'il y a eu, à partir du
1er janvier 1993, une sorte d'effondrement des recettes de TVA.
Cela dit - vous y insistez dans votre rapport - on peut être davantage
vigilant et perfectionner les dispositifs de surveillance, ce qui m'amène à la
troisième question que vous avez posée, et qui concerne la lutte contre la
fraude.
Même si le système transitoire n'a pas provoqué une explosion de la fraude à
la TVA intracommunautaire, il a tout de même suscité certaines tentations et
fait apparaître quelques nouvelles formes de fraude.
C'est pourquoi le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et
moi-même avons, dès notre entrée en fonctions, au cours du premier semestre de
cette année, demandé à ces belles administrations que sont l'administration des
impôts et l'administration des douanes de conjuguer leur action pour
intensifier la lutte contre la fraude à la TVA intracommunautaire, qui - vous
le dites dans votre rapport - porte davantage sur des livraisons fictives,
c'est-à-dire des exportations fictives de produits français vers des pays de la
Communauté donnant lieu à des remboursements - qui, eux, ne sont pas fictifs -
de TVA, que, dans l'autre sens, sur des achats fictifs de produits
européens.
Dans le projet de loi de finances pour 1998, qui sera prochainement examiné
par la Haute Assemblée, nous avons proposé un certain nombre de dispositions -
j'espère que vous les soutiendrez - qui permettraient - j'en parle encore au
conditionnel puisque ce ne sont que des propositions - de renforcer les moyens
que l'administration fiscale et l'administration douanière ont pour lutter
contre la fraude à la TVA.
J'en citerai rapidement quatre.
En premier lieu, nous renforcerons le droit d'enquête, qui permet de
rechercher les manquements aux règles et obligations de facturation auxquelles
sont normalement tenus les assujettis à la TVA, en autorisant notamment
l'utilisation des renseignements obtenus dans le cadre du droit d'enquête pour
procéder à des visites domiciliaires.
En deuxième lieu, nous améliorerons, selon des modalités dont nous aurons à
débattre, le contrôle des déclarations d'échanges de biens, qui sont
normalement l'outil qui permet de vérifier que des transactions sont bien
intracommunautaires.
En troisième lieu - le rapport Beaufret insiste sur ce point - les fraudes en
matière d'acquisition intracommunautaire de véhicules de tourisme seront
prévenues par l'obligation faite aux intermédiaires de verser la TVA. C'est
donc une sorte de caution de TVA qui permettra d'obtenir le certificat fiscal
nécessaire à l'immatriculation en France du véhicule.
Enfin, en quatrième lieu, un certain nombre de fraudes, qui ne sont pas
nécessairement de nature intracommunautaire mais qui peuvent présenter une
dimension intracommunautaire, à savoir les fraudes qui associent des donneurs
d'ordre et des façonniers, seront combattues grâce à l'institution d'une
solidarité pour le paiement de la taxe entre ces mêmes donneurs d'ordre et
façonniers.
Voilà donc un certain nombre de points sur lesquels nous souhaitons
travailler, pour l'essentiel par redéploiement puisque les effectifs du
ministère des finances vont décroître entre 1997 et 1998. Ainsi de nouvelles
équipes se consacreront à cette lutte contre la fraude à la TVA
intracommunautaire.
J'en terminerai en évoquant rapidement les mesures de simplification, le
programme SLIM, et en précisant la position du Gouvernement français sur ce
point.
Le programme SLIM, qui a été lancé avec le soutien des ministres du Conseil «
marché intérieur », constitue pour la Commission un exercice de simplification
mené parallèlement - les parallèles ne sont pas obligées de converger ! - à la
réalisation de son programme de travail pour un nouveau système commun de
TVA.
Le Gouvernement est favorable par principe à toute simplification des
obligations qui imposent des coûts et des pertes de temps aux opérateurs et qui
peuvent ainsi décourager le commerce entre Etats membres.
Cela dit, certaines mesures de simplification peuvent avoir un coût pour
l'Etat et exigent donc des études approfondies que le groupe de travail SLIM,
auquel vous avez fait allusion, n'a pu réaliser, compte tenu de la brièveté de
la durée de ses travaux.
Nous examinons donc soigneusement les mesures qui ont une incidence sur les
recettes de l'Etat, mais il est clair que le Gouvernement est prêt à soutenir
tout ce qui peut contribuer à faciliter le travail des entreprises
françaises.
Telles sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les réponses que je voulais
vous apporter.
En conclusion, je veux me féliciter et vous féliciter de cette procédure, qui
permet à la Haute Assemblée, avec sa grande sagesse et sa connaissance
technique des dossiers, d'apporter une réflexion fort utile, voire un soutien,
dans ces négociations européennes très complexes.
Le fait que le Gouvernement puisse dire que le Parlement français estime que,
sur tel ou tel point, les propositions de la Commission ne vont pas dans la
bonne direction, peut, à l'évidence, jouer un rôle important, voire décisif,
dans des négociations qui sont ardues, techniques, mais qui, très vite,
touchent à la souveraineté des Etats et, en l'espèce, à l'équilibre budgétaire
des finances publiques, auquel vous êtes aussi attachés que le Gouvernement.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la
proposition de résolution n° 265, amendée par la commission des finances de
notre Haute Assemblée, pose une des questions récurrentes de la construction
européenne, celle de l'harmonisation fiscale et des orientations que l'on peut
donner en la matière au rapprochement des régimes d'imposition directe, de
façon essentielle, des différents pays de la Communauté.
Le problème qui nous est aujourd'hui posé aurait d'ailleurs pu trouver une
issue plus favorable s'il n'y avait eu, dans le cadre de cette harmonisation
fiscale, la mise en place d'une taxation des prestations de télécommunications
au titre de la taxe sur la valeur ajoutée.
Sans vouloir faire ici offense aux membres les plus anciens de notre
assemblée, il ne me semble pas absurde de penser que nous aurions pu, il y a de
cela quelques années, en 1990 ou 1991, faire valoir à l'échelon européen la
spécificité française, qui consistait à ne pas appliquer de taxe à la valeur
ajoutée sur les prestations de services de télécommunications.
Je rappelle que cette opération a été, à l'époque, entièrement prise en charge
par l'opérateur public de télécommunications et qu'elle a donc consisté à
rendre déductible pour les entreprises une part de TVA qui était jusqu'alors
uniquement imputable en tant que charge d'exploitation courante.
Elle n'a rien modifié, soit dit en passant, pour l'usager individuel, personne
physique qui a simplement pu constater l'importance de ladite TVA sur le
montant global da sa facture.
Dans l'absolu, si cette spécificité française s'était trouvée généralisée,
nous aurions pu nous passer du débat épineux qui nous réunit aujourd'hui.
Les technologies en matière de télécommunications ont, certes, profondément
évolué ces dernières années et n'ont sans doute pas fini de nous surprendre par
la diversité de leurs applications.
Ainsi, outre les cas patents de fraude à la TVA que nous appelle à combattre
la commission des finances dans sa proposition d'acte communautaire, on ne peut
oublier que les technologies de l'information peuvent, demain, être appelées à
se substituer aux formes traditionnelles de transaction commerciale, rendant de
plus en plus aléatoire et hypothétique la localisation précise des lieux de
transaction, du fait de la dématérialisation des échanges.
Dans les couloirs de la Commission européenne, on examine d'ailleurs la
possibilité de rédiger une directive qui tendrait éventuellement à favoriser la
totale liberté des lieux de transaction sur les instruments financiers, ce qui
reviendrait
in fine
à remettre en question l'existence même des bourses
de valeurs.
Cette introduction au débat une fois faite, nous sommes en situation de porter
une analyse particulière sur les caractères de la présente proposition de
résolution et sur les attendus de l'acte communautaire qui nous est soumis.
On sait que, depuis plusieurs années, se pose la question de l'harmonisation
de la fiscalité indirecte des pays membres de l'Union européenne.
On sait aussi que cette question achoppe singulièrement sur le passage du
régime transitoire d'imposition actuellement en vigueur. Elle n'est pas sans
poser un certain nombre de problèmes, notamment en matière de fraude à la taxe
sur la valeur ajoutée intracommunautaire.
Le régime définitif présente, pour sa part, d'autres défauts non négligeables,
dont le moindre n'est pas de laisser à la Commission européenne elle-même le
soin de répartir, à partir de données statistiques d'une fiabilité non
totalement vérifiée, le produit de la taxe qui serait perçue dans le cadre des
transactions intracommunautaires.
En confiant à la Commission européenne le soin de répartir des recettes
fiscales, on crée un précédent en matière fiscale qui tend à déposséder les
administrations fiscales nationales d'une partie de leurs attributions.
Si l'on souhaite - c'est ce qui semble motiver, pour partie, la proposition
d'acte communautaire - lutter contre la fraude à la TVA intracommunautaire, on
ne peut y parvenir qu'en renforçant les compétences et les moyens des
administrations fiscales nationales.
En clair, il y a débat sur ce point - comme sur bien d'autres, d'ailleurs -
entre la conception française, à savoir l'imposition au lieu de destination des
biens et prestations de service, et la conception allemande, qui privilégie la
notion d'origine des fournisseurs du bien et/ou de la prestation de service.
Le rapport de notre collègue M. Badré - et nous savons tout l'intérêt que ce
dernier porte à la question du régime transitoire de taxe sur la valeur ajoutée
- nous éclaire d'ailleurs sur les données du problème. Il nous indique, de
façon globale, qu'un passage immédiat au régime définitif tel que celui qui est
prôné par l'Allemagne aurait comme conséquence de minorer le produit de la taxe
sur la valeur ajoutée perçue dans la plupart des pays du sud de la Communauté,
donc de la France, et d'augmenter corrélativement la taxe perçue par les pays
du nord de la Communauté.
Pour notre part, si nous pouvons être favorables à une réduction du montant
global ou de la part de la taxe sur la valeur ajoutée dans les recettes
fiscales de l'Etat - c'est là une des données constantes de notre
positionnement dans cette assemblée, et nous aurons encore l'occasion d'en
reparler lors de l'examem du projet de loi de finances - nous ne pensons pas
que cette évolution doive procéder de la simple application mécanique de règles
communautaires qui ne font pas l'unanimité, loin s'en faut.
Pour autant, alors même que le régime définitif de la taxe sur la valeur
ajoutée n'est pas encore défini, la proposition d'acte communautaire nous
invite, d'une certaine façon, à le mettre en pratique s'agissant des
prestations de service de télécommunications.
Nous ne pouvons donc que partager l'orientation fixée par M. le rapporteur,
qui tend à rejeter une part non négligeable des attendus de la proposition
d'acte communautaire en ce qui concerne les règles d'imposition au lieu
d'établissement du prestataire ou encore sur la question du lieu unique de
taxation.
Vous me permettrez seulement ici de constater, non sans ironie, que le
troisième considérant de la présente proposition de résolution fait
expressément référence aux conséquences de la libération du trafic des
télécommunications parmi les faits générateurs de la fraude à la TVA due sur
ces prestations.
J'observe également, non sans en tirer la conclusion que notre participation
aux débats de la commission des finances a permis de mesurer certains des
enjeux réels de la proposition d'acte communautaire, que M. le rapporteur
invite le Gouvernement à mettre en oeuvre des dispositions susceptibles de
placer notre pays à la tête de l'action pour l'amélioration du régime
transitoire.
J'y apporterai cependant une modulation fondamentale.
Nous ne sommes pas des partisans forcenés, chacun le sait ici, de la fiscalité
indirecte comme moteur de la politique fiscale de la nation et comme outil de
redistribution, attendu que cette fiscalité indirecte est d'abord profondément
inégalitaire et pèse plus sur les revenus modestes que sur les autres.
Nous ne sommes pas non plus des partisans acharnés de la réalisation de
l'union économique et monétaire sur le modèle du
Zollverein
allemand que
prévoit le traité de Maastricht.
Toutefois, nous demeurons attachés à la capacité de chacun des pays de l'Union
à définir sa politique budgétaire en pleine indépendance.
Que cette indépendance revête le caractère d'un choix de réduction des
déficits publics et d'un rééquilibrage de la fiscalité vers plus de fiscalité
directe et moins d'imposition du fait de consommation est essentiel à nos
yeux.
C'est aussi parce que nous souhaitons maintenir cette liberté de manoeuvre que
nous ne pourrons pas suivre totalement notre rapporteur sur sa proposition,
tout en relevant que le texte initial de celle-ci a été nettement amélioré,
puisqu'il était au départ pour le moins contradictoire.
Nous nous abstiendrons donc sur la résolution qui nous est soumise et vous
comprendrez, en outre, la raison pour laquelle notre groupe a retiré
l'amendement qu'il avait déposé.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de la résolution de la commission des finances,
du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation.
J'en donne lecture :
« Le Sénat,
« Vu l'article 88-4 de la Constitution,
« Vu la proposition de directive du Conseil modifiant la directive 77/388/CEE
en ce qui concerne le régime de taxe sur la valeur ajoutée applicable aux
services de télécommunications (E 785),
« Vu le document présenté par la Commission au Conseil le 22 juillet 1996 (COM
[96] 328 final) "Un système commun de TVA, un programme pour le Marché
unique",
« Considérant que la proposition d'acte communautaire E 785 vise à modifier
les règles de TVA applicables aux services de télécommunications ; que les
règles en vigueur ne prennent en effet pas en considération les progrès
technologiques qui permettent de fournir des services de télécommunications à
l'intérieur de l'Union à partir de pays tiers (système dit du
"call
back"
) ;
« Considérant que la proposition E 785 prévoit qu'à partir du 1er janvier 1999
le lieu des prestations de services de télécommunications sera l'endroit où le
client est installé et non plus le lieu où est établi le prestataire de
services lorsque ce prestataire est situé en dehors de la Communauté ; qu'elle
dispose en outre que si un prestataire établi en dehors de la Communauté est
identifié à la TVA dans un Etat membre pour y avoir rendu un service de
télécommunications, il sera considéré comme établi dans cet Etat membre ;
« Considérant qu'au sein même de l'Union européenne les différences de taux de
TVA entre Etats membres peuvent conduire, dans le secteur des
télécommunications, à d'importants détournements de trafic du fait de la
libéralisation et des progrès technologiques précédemment évoqués ; que la
proposition de directive E 785 n'apporte pas de solution à ce problème en
maintenant la règle de l'imposition des prestations de télécommunications au
lieu d'établissement du prestataire lorsque celui-ci est établi au sein de la
Communauté ; qu'elle est à cet égard moins satisfaisante que le régime
dérogatoire autorisé par la décision du Conseil 97/205/CE en date du 17 mars
1997 ;
« Considérant que la proposition de directive E 785 tend à appliquer d'ores et
déjà la solution esquissée pour le régime futur de TVA, à savoir le principe
d'une seule identification à la TVA à l'intérieur de l'Union européenne pour
toutes les prestations de services de télécommunications ;
« Considérant que le "système commun de TVA" proposé par la
Commission européenne relève bien des dispositions de l'article 99 du traité de
Rome qui lui ont fait l'obligation de présenter au Conseil des mesures
d'harmonisation des législations relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires,
et qu'il va bien dans le sens de la construction européenne ;
« Considérant que ce système, qui est conforme, dans son ambition, à l'intérêt
du marché unique, pose néanmoins un problème d'une tout autre ampleur que la
simple harmonisation de la TVA en Europe dans la mesure où il exige un
rapprochement substantiel des taux et un bon fonctionnement du système de
compensation entre les Etats ;
« Considérant que les propositions de la Commission sur un lieu unique de
taxation pourraient être à l'origine de nouvelles fraudes contre lesquelles il
serait difficile aux Etats membres de lutter efficacement ; que ce mécanisme du
lieu unique de taxation est par ailleurs de nature à encourager les
détournements de trafic commercial et les délocalisations de sièges
d'entreprises ; qu'il apparaît contradictoire avec le souci de réduction de la
concurrence fiscale dommageable affiché par la Commission ;
« Considérant que le rapprochement substantiel des taux, nécessaire pour
éviter une concurrence fiscale dommageable, reviendrait à limiter la marge de
manoeuvre fiscale des Etats membres à un moment où ceux-ci sont engagés dans
des efforts budgétaires liés à la mise en place de la monnaie unique ; qu'un
rapprochement des taux de TVA ne peut donc être envisagé dans un avenir proche
;
« Considérant en outre que le bon fonctionnement du système de compensation
entre les Etats membres reste plein d'incertitudes compte tenu des faiblesses
des moyens statistiques révélées par la Cour des Comptes des Communautés
européennes ;
« Considérant que le mécanisme de compensation envisagé par la Commission
pourrait avoir pour contrepartie une perte de recettes publiques dont l'ampleur
ne peut être appréciée à ce stade ;
« 1. Sur la proposition de directive concernant la TVA applicable aux services
de télécommunications :
« Approuve les règles de territorialité de la taxe proposées par la Commission
pour les services rendus par les prestataires communautaires à des clients
établis en dehors de la Communauté ;
« Demande au Gouvernement qu'il sollicite l'extension de ces règles aux
services rendus par les prestataires communautaires à des clients établis au
sein de la Communauté.
« 2. Sur le régime commun de TVA en Europe :
« Estime que la seule voie de progrès reste, aujourd'hui, dans l'amélioration
du régime dit transitoire ;
« Demande par conséquent au Gouvernement :
« - qu'il sollicite l'adoption et la mise en oeuvre des mesures nécessaires à
l'élimination des lacunes et fraudes qui ont pu apparaître lors des premières
années d'application du régime actuel de TVA en Europe ;
« - qu'il sollicite l'adoption de mesures d'harmonisation portant, notamment,
sur le statut de la représentation fiscale, sur les droits à déduction et sur
les seuils d'exonération ;
« - qu'il sollicite la redéfinition du champ d'application de la TVA en
fonction de la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes
;
« - qu'il ne retienne pas, au stade actuel, les propositions de la Commission
sur le système commun tant que les conditions pour le passage au régime
définitif ne seront pas réunies. »
Avant de mettre aux voix la résolution, je donne la parole à M. Massion pour
explication de vote.
M. Marc Massion.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
dans le secteur des télécommunications, il est possible de fournir des
prestations à des consommateurs situés dans l'Union européenne sans y être
établi, et même sans passer par des réseaux européens. Les opérateurs établis
dans des pays à fiscalité compétitive, notamment en matière de TVA, sont donc
avantagés par rapport aux opérateurs européens, et ces derniers se voient, en
quelque sorte, contraints de s'établir fictivement dans ces pays, avec toutes
les pertes fiscales que cela engendre.
Les pays européens ont réagi, avec l'accord de la Commission, en instituant la
perception de la TVA dans le domaine des télécommunications au lieu
d'établissement du preneur et non du prestataire. La France a ainsi établi
cette nouvelle règle dans l'article 19 de la loi de finances pour 1997.
Mais la Commission voudrait aller plus loin en établissant dans ce domaine,
dès 1999, le régime définitif de TVA qu'elle souhaite voir instaurer dans tous
les secteurs en 2002.
Ce régime, qui repose sur la suppression de toute distinction entre opérations
domestiques et intra-communautaires, et donc sur la taxation des produits dans
le pays d'origine, apportera une simplification des échanges européens : une
fois la TVA payée, le produit pourra circuler librement.
Cependant, plusieurs problèmes ne sont pas encore résolus.
Tout d'abord, les recettes devront être redistribuées entre les Etats membres
sur la base de données statistiques dont l'homogénéité et la fiabilité ne sont
pas encore certifiées.
Par ailleurs, il faut attendre la mise en place de l'euro.
La compensation multilatérale, ensuite, impliquera de donner à la Commission
un pouvoir d'investigation, c'est-à-dire un véritable pouvoir exécutif.
J'ajoute que les entreprises seront incitées à rechercher le système de TVA le
plus intéressant. La concurrence en sera faussée et l'on enregistrera des
délocalisations tant qu'une harmonistaion presque totale ne sera pas
effectuée.
Enfin, la lutte contre la fraude intracommunautaire doit être renforcée. La
Cour des comptes des communautés européennes a chiffré cette fraude à 100
milliards de francs pour l'ensemble des Etats membres, dont 30 milliards de
francs pour la France.
J'étais intervenu l'année dernière sur ce point lors de la discussion
budgétaire, et je me félicite que mes craintes aient été entendues par le
nouveau gouvernement, qui propose deux dispositions importantes dans le projet
de loi de finances pour 1998.
Mais, tant que les écueils que je viens d'énumérer n'auront pas été levés, il
ne m'apparaît pas sérieux de vouloir anticiper, dans le secteur des
télécommunications, le passage au régime définitif de la TVA. Il nous faut
raisonnablement attendre que des avancées significatives soient effectuées sur
tous ces points.
Cette réflexion sur le passage au régime définitif de la TVA s'applique au cas
d'espèce des télécommunications. Or les modifications réalisées l'année
dernière semblent répondre aux difficultés spécifiques posées par la perception
de la TVA dans ce secteur. Dans ces conditions, rien ne paraît justifier la
proposition de directive du Conseil.
En conséquence, notre groupe votera la résolution de la commission des
finances.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. Gérard.
M. Alain Gérard.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la
résolution adoptée par notre commission des finances, sur l'initiative de notre
collègue Denis Badré, que nous tenons à féliciter pour son excellent rapport
car il aura éclairé notre réflexion tout au long de cet intéressant débat, est
d'importance, s'agissant du régime de TVA applicable sur le plan européen à un
secteur aussi sensible que celui des télécommunications.
Nous nous réjouissons que notre commission des finances et notre délégation
pour l'Union européenne aient dénoncé l'inadaptation de la règle selon laquelle
la TVA est due au lieu du prestataire. En effet, l'évolution des techniques
permet aujourd'hui, sans difficulté, de délocaliser les prestations de
télécommunications, et donc de bénéficier de prestations hors TVA.
Nous souscrivons totalement à l'appréciation, portée par notre rapporteur, sur
la proposition de la Commission européenne tendant à appliquer la TVA au lieu
du preneur pour les seules prestations rendues à un client situé hors de
l'Union européenne. Manifestement, cette proposition rétablirait de graves
distorsions de concurrence.
Le rappel établi par la commission des finances tendant à montrer que
l'attitude des autorités communautaires sur le secteur des télécommunications
était celle que ces mêmes autorités préconisaient pour le futur régime commun
de TVA doit nous rendre attentif quant aux effets pervers d'un tel dispositif,
notamment pour ce qui est des délocalisations d'activités qui en
résulteraient.
Enfin, le mécanisme de compensation entre les Etats membres proposé par la
Commission européenne risque d'avoir pour effet des pertes de recettes
publiques dont il est difficile de mesurer les conséquences.
Dans l'attente de nouvelles propositions communautaires, il est souhaitable de
repousser les délais proposés par les autorités communautaires pour passer au
régime définitif de TVA. C'est d'ailleurs cette position qui a été récemment
adoptée par le commissaire européen en charge de la fiscalité lorsqu'il a érigé
en priorité l'amélioration du régime transitoire de TVA.
Pour toutes ces raisons, le groupe du Rassemblement pour la République
souscrit pleinement aux termes de la résolution de la commission des finances,
qu'il votera pour marquer sa volonté de voir les autorités compétentes à
l'échelon communautaire avancer de nouvelles propositions plus réalistes en
matière de rapprochement des fiscalités des Etats membres.
M. le président.
La parole est à M. Machet.
M. Jacques Machet.
Le groupe de l'Union centriste votera la résolution présentée par notre
rapporteur, M. Denis Badré. Ce dernier nous a expliqué, avec son talent de
pédagogue, des mécanismes très difficiles à comprendre pour l'autodidacte que
je suis et il nous a exposé les raisons pour lesquelles nous devions adopter
cette résolution. C'est pourquoi je suis fier de notre rapporteur, et je le
remercie.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix la résolution.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Le groupe communiste républicain et citoyen s'abstient.
(La résolution est adoptée.)
M. le président.
En application de l'article 73
bis,
alinéa 11, du règlement, la
résolution que le Sénat vient d'adopter sera transmise au Gouvernement et à
l'Assemblée nationale.
Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons
interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix heures quarante, est reprise à quinze heures cinq,
sous la présidence M. Paul Girod.)
PRÉSIDENCE DE M. PAUL GIROD
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
3
DÉPÔT D'UN RAPPORT
DU GOUVERNEMENT
M. le président.
M. le président a reçu de M. le Premier ministre le rapport sur l'exécution de
la loi de programmation militaire pour les années 1997-2002, établi en
application de l'article 4 de la loi n° 96-589 du 2 juillet 1996.
Acte est donné du dépôt de ce rapport.
4
CONDITIONS DE STATIONNEMENT
DES GENS DU VOYAGE
Adoption des conclusions
du rapport d'une commission
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 283,
1996-1997) de M. Jean-Paul Delevoye, fait au nom de la commission des lois
constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et
d'administration générale, sur :
- la proposition de loi (n° 240, 1994-1995), de MM. Louis Souvet, Michel
Alloncle, Jean Bernard,
Eric Boyer,
Mme Paulette Brisepierre, MM. Gérard
César, Désiré Debavelaere, Jacques Delong, Alain Dufaut, Alain Gérard, Daniel
Goulet, Georges Gruillot, Hubert Haenel, Emmanuel Hamel,
Jean-Paul Hammann,
Roger Husson,
André Jarrot,
André Jourdain, Lucien Lanier,
Marc
Lauriol,
Jean-François Le Grand, Dominique Leclerc, Jacques Legendre,
Maurice Lombard,
Max Marest,
Paul Masson,
Mme Hélène Missoffe,
MM. Joseph Ostermann, Jacques Oudin,
Mme Nelly Rodi,
MM. Michel Rufin,
Maurice Schumann, Alain Vasselle et Serge Vinçon, visant à clarifier les
conditions d'accueil des gens du voyage sur le territoire des communes de plus
de 5 000 habitants.
- la proposition de loi (n° 259, 1994-1995), de MM. Philippe Marini, Honoré
Bailet,
Jacques Bérard,
Jean Bernard, Mme Paulette Brisepierre, MM.
Robert Calmejane, Auguste Cazalet, Gérard César, Jean Chérioux, Désiré
Debavelaere, Jean-Paul Delevoye,
Roger Fosse,
François Gerbaud, Daniel
Goulet, Adrien Gouteyron, Georges Gruillot, Emmanuel Hamel,
Jean-Paul
Hammann,
Jean-Paul Hugot, Roger Husson,
André Jarrot,
René-Georges
Laurin,
Marc Lauriol,
Jacques Legendre, Joseph Ostermann, Michel Rufin,
Martial Taugourdeau et Alain Vasselle, relative au stationnement des gens du
voyage.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Paul Delevoye,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Monsieur le
président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, permettez-moi
tout d'abord de remercier nos collègues MM. Louis Souvet et Philippe Marini
d'avoir, par leurs propositions de loi, ouvert une discussion qui a été très
riche au sein de la commission des lois. Je tiens également à remercier nos
collègues de la commission ainsi que l'ensemble du personnel qui nous a
assisté, car le rapport qui vous est soumis a été accepté à l'unanimité.
Nous discutons aujourd'hui d'un sujet éminemment difficile, sur lequel la
tentation est grande de ne rien faire. Mais, ne rien faire, nous entraînerait
dans une spirale infernale, et nous ne connaissons que trop l'engrenage de la
violence, du laxisme, de la lassitude.
La population fait pression sur les élus locaux pour obtenir de plus en plus
de tranquillité, tandis que les maires se réfugient derrière la loi pour tenter
d'échapper à leurs obligations. Par ailleurs, les nomades sont furieux, car ils
ne trouvent pas d'aires de stationnement.
Exercer ses responsabilités, c'est au contraire regarder le problème en face
et tenter d'y apporter une solution. Celle-ci ne peut être justifiée que si
elle est équilibrée, pleine de bon sens. Dans ces conditions, il nous faut
sensibiliser les maires, les nomades et l'Etat.
Quelle est la situation aujourd'hui ? Quelle est l'ampleur du problème ?
Nous estimons que, globalement, 220 000 à 250 000 personnes sont concernées,
soit environ 70 000 itinérants, 70 000 semi-sédentaires et 110 000
sédentaires.
Ces chiffres me permettent de relever un aspect négligé par la loi mais qui
est de votre compétence, monsieur le secrétaire d'Etat, et qui mérite que nous
poursuivions la réflexion : la sédentarisation. Comment l'accompagner par une
politique qui englobera, bien évidemment, les problèmes de logement,
d'éducation, de scolarisation, d'insertion, qui sont de la compétence des
départements ?
Différentes catégories sont concernées et elles relèvent de différents
statuts. Ainsi, la loi du 3 janvier 1969 énumère les commerçants ambulants, les
caravaniers et les nomades.
A cet égard, je crois, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'il nous faut procéder
à la simplification du régime juridique applicable en matière de titres de
circulation. Actuellement, celui-ci est compliqué, mal adapté, et il nuit à la
nécessaire transparence des contrôles.
Mais il est une autre source de différence : les gens du voyage suivent des
parcours divers, des parcours internationaux, régionaux ou locaux et ils
participent à de grands pèlerinages.
Je sais, monsieur le secrétaire d'Etat, que, à l'époque de la discussion de la
loi du 31 mai 1990, vous vous étiez opposé à l'amendement qui visait à imposer
l'élaboration d'un schéma départemental obligeant toutes les communes de plus
de 5 000 habitants à établir des aires de stationnement.
Le bilan de ces schémas départementaux est d'ailleurs très mitigé, et il
suscite de grandes réserves. La grande majorité d'entre eux n'ont été approuvés
ni par le préfet ni par le président du conseil général.
Le bilan sur la mise en oeuvre de l'obligation de créer des aires de
stationnement appelle aussi une grande « réserve », dirais-je, pour m'exprimer
pudiquement.
Les raisons en sont multiples. Certains invoquent l'insuffisance des crédits
de l'Etat, d'autres des problèmes de tensions locales, d'autres encore la
pénurie foncière.
Par ailleurs, chacun reconnaît que le seuil de 5 000 habitants est aujourd'hui
quelque peu inadapté et injuste. En effet, une commune de 5 000 habitants d'une
zone urbanisée ne peut pas répondre à la demande. En revanche, une commune de
500 habitants située sur un lieu de passage traditionnel est bien évidemment
concernée.
Aux termes de la loi, toute commune, quelle que soit sa dimension, est tenue
d'assurer le stationnement des gens du voyage par un équipement minimum, les
communes de plus de 5 000 habitants, pour leur part, étant tenues d'élaborer
des aires de stationnement.
Quant aux moyens de coercition, ils sont, à l'évidence, insuffisants.
Ainsi, pour le stationnement illégal, les sanctions sont relativement faibles
et, en aucun cas, elles ne sont dissuasives. Il nous faudra donc réfléchir
également sur ce point.
Quant aux procédures judiciaires, chacun en connaît la lenteur et leur
incapacité à régler les problèmes concrets.
Après avoir procédé à de nombreuses auditions, qui nous ont d'ailleurs permis
de constater qu'à certains endroits cela fonctionne bien alors qu'à d'autres on
est au bord de l'explosion de violence, il nous a paru cohérent de proposer une
architecture globale.
Les grands pèlerinages ou les grandes migrations dépassant la capacité des
communes et des départements ; il convient donc que l'Etat s'implique
totalement dans la gestion de ces parcours prévisibles.
Je rappelle à ce sujet que 3 000 Tsiganes se rassemblent à Lourdes, 15 000 aux
Saintes-Maries-de-la-Mer et que 30 000 Tsiganes évangélistes se réunissent en
convention.
On peut parfaitement imaginer, en concertation avec le conseil national de
l'aménagement du territoire et la commission consultative des gens du voyage,
l'élaboration d'un répertoire des sites aménagés et d'un schéma national de ces
migrations ainsi, bien évidemment, que l'implication totale du préfet en
matière de police et d'environnement pour ces lieux de stationnement.
Je le dis d'autant plus volontiers qu'il nous paraîtrait curieux que l'Etat, à
l'occasion d'événements de dimension internationale et concernant le territoire
national, comme les Journées mondiales de la jeunesse ou la Coupe du monde de
football, ne s'implique pas, n'entre pas en relation avec les élus
départementaux pour tenter de maîtriser ces flux.
De la même manière, il nous paraît curieux que l'Etat estime ne pas pouvoir
faire face à ses responsabilités en matière de pèlerinages des Tsiganes,
c'est-à-dire de migrations organisées et programmées et non pas de
rassemblements spontanés pour des événements non prévisibles.
J'en viens au maintien des schémas départementaux.
Le niveau départemental est une bonne échelle et ces schémas constituent donc
une bonne base de réflexion. Toutefois, il conviendrait, pour l'Ile-de-France,
d'imaginer un schéma pluridépartemental.
La commission vous propose la suppression du seuil de 5 000 habitants, la
mutualisation des coûts entre les différents partenaires - conseils municipal,
général, voire régional, établissements intercommunaux - et la recherche d'un
équilibre entre l'offre et la demande d'aires d'accueil qui doivent être
adaptées - plutôt de petites dimensions - et, bien évidemment, souvent
gardées.
Il serait judicieux que l'Etat imagine un moyen d'inciter les départements à
réaliser le plus rapidement possible les investissements nécessaires. A l'heure
actuelle, sa participation s'élève à 35 %. Il ne serait pas inintéressant de
réfléchir à une participation dégressive - 75 %, 50 %, 35 %, 0 % - en fonction
de la rapidité avec laquelle ces schémas seraient réalisés. Une prime serait
donc accordée aux départements les plus actifs.
La réussite de cette future loi dépend - j'en parlais tout à l'heure avec M.
Peyronnet - de la mise en place concordante, dans tous les départements, de
tels schémas. Sinon, bien évidemment, le vice serait récompensé plus que la
vertu, c'est-à-dire que le département qui aurait réalisé des aires d'accueil
verrait y affluer la totalité des nomades, alors que le département qui
n'aurait rien fait serait momentanément soulagé de leur présence ! Voilà
pourquoi il convient de réfléchir à la mise en place de tels schémas au même
rythme.
Par ailleurs, nous proposons la création d'une commission consultative qui
rassemblerait toutes les personnes concernées - gens du voyage, élus, forces de
police et forces de justice - et qui serait un lieu de concertation sur la
qualité des aires d'accueil et les meilleures méthodes de gestion, ainsi, bien
évidemment, qu'un lieu de médiation en cas de conflits afin d'apporter, sur le
terrain, une réponse à ces conflits.
Enfin, la création des aires d'accueil doit engendrer
ipso facto
la
création de zones d'interdiction sur lesquelles le maire pourrait exercer ses
pouvoirs de police. L'article 6 de la proposition de loi prévoit ainsi que le
maire pourra saisir le tribunal de grande instance pour demander l'évacuation
de caravanes stationnant irrégulièrement sur le domaine privé de la commune ou
sur des terrains privés, après en avoir bien évidemment averti le
propriétaire.
Cette proposition de loi permet, je crois, un équilibre entre l'offre et la
demande, entre le nombre de places d'accueil et les besoins des nomades, grâce
à une consultation en amont et à un équilibre entre zones d'accueil et zones
d'interdiction. Cela n'exclut pas toutefois l'accompagnement en matière de
scolarisation, ainsi que nous l'évoquions tout à l'heure. Nous devrons donc
poursuivre notre réflexion sur l'équilibre entre droits et devoirs, de façon à
ne pas pratiquer un amalgame entre celles et ceux qui cherchent à se réfugier
dans des zones d'accueil et à commettre des actes délictueux, laissant croire à
l'opinion publique qu'il y aurait deux lois selon la situation dans laquelle on
se trouve.
La commission des lois a adopté un texte équilibré, qui clarifie la
responsabilité de l'Etat dans les grands pélerinages, qui associe les élus
locaux et les nomades dans l'élaboration d'un schéma équilibré entre l'offre et
la demande, et qui, en outre, permet aux communes de ne pas être isolées dans
la recherche d'une solution à ce problème et aux nomades de trouver une réponse
normale à leur besoin d'accueil.
(Applaudissements sur les travées du RPR,
des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur
certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat au logement.
Monsieur le président, monsieur le
rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, mon intervention sera brève,
puisque nous aurons l'occasion, lors de la discussion des articles, de nous
exprimer les uns et les autres. Elle le sera d'autant plus que l'introduction
de M. le rapporteur m'a beaucoup facilité la tâche.
En soulignant la difficulté du sujet, le courage qu'il faut pour l'aborder et
le souci que vous avez de trouver une solution équilibrée tout en
responsabilisant les parties - et vous n'en avez, je crois, oublié aucune -
vous me permettez d'indiquer que les réflexions du Gouvernement vont tout à
fait dans le même sens et que son souhait est d'avancer dans la résolution de
ce problème qui, parce qu'il nécessite que nous reconnaissions la dignité des
personnes et des familles en cause, exige que nous trouvions effectivement des
solution adaptées.
A partir du moment où des solutions seront mises en oeuvre d'une manière
concertée, après participation de tous les partenaires responsables, nous
pourrons annoncer à nos concitoyens, en contrepartie de leur propre effort, une
amélioration sensible de la situation.
Vous avez bien fait, monsieur le rapporteur, d'indiquer aussi que plusieurs
points méritent d'être approfondis afin de compléter cette proposition de loi
qui a été très travaillée, très approfondie par la commission des lois.
Ainsi, vous avez notamment cité les problèmes posés par l'accompagnement de la
sédentarisation, par la diversité des situations que l'on peut rencontrer et
aussi par la multiplicité des parcours suivis, et même par l'évolution de
ceux-ci. En effet, on ne peut bien évidemment pas assigner un parcours à
quelqu'un comme on l'assignerait à résidence, ce qui oblige à approfondir ce
dossier pour trouver les réponses les plus adaptées aux besoins qui
s'exprimeront, et qui évolueront.
En nous présentant, monsieur le rapporteur, l'architecture de ce texte, vous
avez affirmé que l'échelon départemental - même si la situation de la région
parisienne est spécifique, je vous l'accorde tout à fait - est sans doute le
bon.
Nous aurons l'occasion d'étudier plus en détail quelques-uns des points qui
constituent cette première avancée lors de l'examen des articles.
Les nombreuses auditions auxquelles vous avez procédé vous ont permis de
constater que, dans certains départements, les choses se passent bien, et que,
dans d'autres, en revanche, la tension est extrême. Bien évidemment, c'est de
l'exemple des premiers que nous devons tirer les meilleurs enseignements, afin
de leur donner, si possible, une portée générale. Cela exigera
vraisemblablement la coopération de tous les partenaires que vous avez
cités.
Je vous donne l'assurance qu'à cette occasion nous verrons ce que nous pouvons
faire, notamment pour prendre en compte votre suggestion d'instaurer une
participation dégressive de l'Etat afin d'inciter à une mise en oeuvre et à une
adoption, dans un délai aussi court que possible, des schémas à partir desquels
nous pourrons progresser, ce que le Gouvernement souhaite avec vous.
Telles sont, monsieur le président, les quelques rélexions que je tenais à
livrer en écho aux propos de M. le rapporteur.
Je me permets d'en rester là. En effet, l'organisation des travaux
parlementaires est telle que je dois me rendre à dix-huit heures à l'Assemblée
nationale pour défendre le budget du logement, et je vous prie par avance de
bien vouloir m'en excuser. Je m'efforcerai donc d'être synthétique, mais croyez
bien que, malgré la brièveté de mon propos, je serai toujours disponible pour
continuer à travailler avec vous et progresser sur ce dossier qui revêt toute
l'importance que vous lui avez donnée.
M. le président.
La parole est à M. Marini.
M. Philippe Marini.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je
voudrais tout d'abord saluer le travail d'écoute, de concertation et d'analyse
de la commission des lois du Sénat, en particulier de son rapporteur.
En effet, cette dernière est partie de deux propositions qui avaient, en
quelque sorte, valeur d'interpellation. Ces propositions sont issues de
l'expérience d'un grand nombre de maires et, avec plusieurs de nos collègues,
j'ai cru devoir appeler l'attention avec quelque solennité sur les graves
risques sociaux que nous courons en ce domaine.
Je voudrais, monsieur le secrétaire d'Etat, insister très brièvement sur
quelques points.
Je commencerai par le caractère explosif, ou potentiellement explosif, de
certaines situations. Naturellement, je ne porte aucun jugement de valeur sur
le mode de vie des uns ou des autres. L'existence de populations nomades est
une donnée, un fait de société que nous devons assumer, au même titre que tous
les autres, dans nos diverses communes soumises, ces temps derniers, à de
nombreuses tensions.
Le fait de connaître sur nos espaces publics ou privés, ou encore aux portes
de nos villes, des situations potentiellement explosives est grave. Il est donc
de la responsabilité du législateur de trouver des solutions pour mettre un
terme à ces tensions inéluctables, voire au moins les atténuer.
Monsieur le secrétaire d'Etat, nous devons assurer le respect des biens et des
personnes tout en évitant le développement de l'intolérance. Nous devons
également éviter les amalgames liés à l'existence et aux habitudes de vie de
telle ou telle catégorie de nos compatriotes.
Il faut bien reconnaître que l'Etat de droit dans lequel nous nous trouvons ne
permet pas de réduire les risques ni d'éviter le développement de
l'intolérance, qui, malheureusement, ne fait que s'accroître chaque jour.
Nous devons aussi constater que cet état de droit n'améliore pas les chances
d'intégration des gens qui veulent s'intégrer. En effet, les concentrations,
dont l'importance est souvent considérable sur les aires de stationnement et le
fait que les missions éducatives sont souvent très mal assumées par rapport aux
besoins spécifiques des populations concernées ne vont assurément pas dans le
sens d'une intégration aussi bonne que possible en pareille matière.
Je voudrais aussi témoigner, comme pourraient le faire un très grand nombre de
nos collègues, qu'ils soient maires ou simplement parlementaires, de la
situation extrêmement inconfortable des élus communaux, des maires en
particulier. Les propositions de loi que nous avons déposées sur le bureau de
notre Haute Assemblée représentent, par la voix notamment du président de
l'Association des maires de France, un cri de détresse des maires face à des
situations qu'ils contrôlent de moins en moins.
En effet, aux yeux de leurs concitoyens, les maires sont considérés comme
coupables, sans être en quoi que ce soit responsables.
La vision que nous avons de ce problème nous a conduits à formuler des
propositions visant à rendre aux maires les moyens d'assumer leurs
responsabilités. C'est notamment parce que nous nous sommes fixés de tels
objectifs que nous soutenons l'idée des schémas départementaux, tout en
souhaitant la suppression du seuil de 5 000 habitants, et que nous sommes
favorables à la mutualisation des coûts, et donc à la multiplication de petites
installations d'accueil plutôt qu'à la constitution de ghettos aux conséquences
sociales très difficiles à assumer.
Par ailleurs, monsieur le secrétaire d'Etat, nous avons constaté certaines
impossibilités ou, plus exactement, certains vides juridiques.
Depuis le vote de la loi du 2 février 1995, un maire est en mesure, pour des
motifs d'environnement, de notifier par arrêté à un propriétaire qui
n'entretient pas son terrain l'obligation d'exécuter à ses frais des travaux de
remise en état, après mise en demeure non suivie d'effet. C'est là la seule
base légale sur laquelle un maire peut s'appuyer pour mettre fin à une
situation inacceptable sur un terrain privé.
Lorsqu'il s'agit d'un terrain public, il est loisible de saisir en référé le
tribunal du lieu pour solliciter une ordonnance d'expulsion. Cette procédure a
beau être relativement lourde, et de plus coûteuse pour les finances des
communes, elle porte ses fruits.
S'agissant des nomades qui stationnent sur des terrains privés, elle n'est pas
utilisable et il faut passer par les aléas et les délais d'une législation qui
a été conçue pour d'autres situations.
C'est ce vide de la loi que mes collègues et moi-même, en déposant notre
proposition de loi, souhaitons combler en accordant au maire un pouvoir de
substitution au propriétaire défaillant et en lui permettant de l'exercer dans
les meilleurs délais pour faire face aux besoins manifestes, prendre en charge
les nuisances et trouver rapidement des remèdes aux nuisances provoquées par
des stationnements illicites sur des terrains privés.
Les propositions de la commission des lois contiennent bien d'autres
excellents éléments que M. le rapporteur a explicités et qui le seront
davantage encore lors de l'examen des articles.
En terminant, monsieur le secrétaire d'Etat, je vous ferai part de mes
interrogations et de ma surprise à l'écoute des propos que vous avez tenus tout
à l'heure alors que les amendements que vous avez déposés sont plutôt de nature
à refermer immédiatement un dialogue à peine esquissé.
En prenant connaissance de ces amendements, j'ai eu le sentiment - mais
peut-être l'examen des articles m'amènera-t-il à le tempérer - que vous nous
teniez quelques propos aimables ou de circonstance mais que, sur le fond des
choses et dans l'examen précis du dispositif que nous préconisons, vous nous
opposez une fin de non-recevoir ou, tout au moins, une appréciation extrêmement
négative.
Monsieur le ministre, j'espère que nous vous convaincrons grâce aux nombreux
exemples qui vont à présent être développés à cette tribune. Je ne vous ai pas
parlé de mon département, car M. Michel Souplet le fera mieux que moi. Nous
partageons la même expérience de terrain, qui nous conduit, cet après-midi, à
lancer, très solennellement et avec beaucoup de conviction, le cri d'alarme qui
est à l'origine de nos propositions de loi.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.).
M. le président.
La parole est à M. Souvet.
M. Louis Souvet.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
qu'il me soit permis en préliminaire, de remercier la commission des lois et
son président, M. Jacques Larché, d'avoir bien voulu examiner ma proposition de
loi ainsi que celle de M. Marini et de saluer la qualité et le sérieux,
reconnus de tous, du rapport de notre collègue Jean-Paul Delevoye, président de
l'Association des maires de France.
Si j'ai déposé une proposition de loi sur ce sujet, c'est parce que, au
contact des réalités, j'ai été, en tant que maire et président d'un organisme
de coopération intercommunale, confronté à la dure réalité des faits.
En dépit de l'importance des moyens à ma disposition, j'ai pu constater
quelles étaient mes difficultés face à un rassemblement de 1 000 personnes sur
un terrain qui n'était pas prévu à cet effet, avec, par exemple, un chapiteau
non conforme et qui aurait engagé la responsabilité du maire que je suis en cas
d'incident important, alors que ledit chapiteau avait été installé sans
autorisation. J'ai donc vécu personnellement les angoisses de mes collègues
maires des communes de taille modeste.
Je sais donc que ce texte est très attendu par tous les élus, répondant à ce
que M. Marini a appelé, à deux reprises, un cri de détresse.
Il s'agit pour moi non de favoriser les uns ou de compliquer la vie des
autres, mais, bien au contraire, de faire en sorte que, selon les principes
républicains auxquels nous sommes tous attachés, les uns et les autres puissent
vivre normalement côte à côte, dans le respect mutuel et dans le respect des
lois qui régissent notre système. Ce n'est pas parce que l'on se considère
comme un « Enfant de Dieu » que l'on peut échapper aux lois qui organisent
notre vie collective !
Je me permets d'ajouter, monsieur le secrétaire d'Etat, que j'ai été heureux
d'entendre vos propos précisant que cette proposition de loi va dans le sens
que souhaite le Gouvernement, ce qui démontre que, sur certains sujets, il peut
y avoir consensus à la fois entre les maires, mais aussi entre le Gouvernement
et le Parlement. Je souhaite que ce consensus perdure jusqu'à la fin de
l'examen du texte, car, à l'instar de Philippe Marini, la nature des
amendements que j'ai lus m'inquiète au plus haut point.
Je rejoins donc l'analyse de M. le rapporteur quand il insiste sur la
nécessité d'associer à la présente réforme législative une réflexion globale
sur la sédentarisation ainsi que sur la transformation du régime des titres
délivrés aux gens du voyage. Le statut des gens du voyage, inutilement
complexe, comme le rappelle notre collègue, ne correspond plus à la réalité.
La législation actuelle, nous en sommes tous bien conscients, ne permet pas de
résoudre l'ensemble des problèmes liés à l'accueil des gens du voyage. Pour
autant, soyons réalistes, si nous pouvons apporter des correctifs, des
améliorations, nous ne résoudrons pas ces problèmes d'un coup de baguette
magique. J'emploie le pluriel à dessein. En effet, le terme « gens du voyage »
regroupe de multiples sous-ensembles, qu'il s'agisse des Manouches ou Sinti,
des Gitans, des Roms, pour ne citer que les principaux groupes tsiganes. Ce
terme englobe une population difficilement quantifiable. Notre collègue M.
Delevoye situe entre 220 000 et 250 000 le nombre des Tsiganes ; les organismes
associatifs, quant à eux, font état de 400 000 personnes.
Face à cette diversité ethnique, il est souvent difficile de rencontrer des
interlocuteurs parfaitement représentatifs de populations nomades, par essence
diversifiées et très mobiles.
Les problèmes ne sont pas non plus du même ordre lorsqu'il s'agit d'un
déplacement de quelques caravanes ou lorsqu'il s'agit d'un pèlerinage, d'une
convention biblique regroupant, par exemple, plusieurs centaines de caravanes.
Les déplacements en nombre sont devenus la règle, car le nombre est synonyme de
force. Ils se disent : on ne pourra rien contre nous !
Les moyens financiers dont disposent les communes sont également très inégaux
selon leur taille. Leurs finances et leurs capacités d'investissement ne sont
pas conditionnées par le fait qu'elles sont situées sur tel ou tel axe de
pèlerinage.
L'importance et la dimension de la commune doivent être nécessairement, d'une
manière ou d'une autre, prises en compte. Ne pas inclure ce paramètre
économique et financier serait irréaliste. Les maires des communes aux moyens
modestes du fait de leur potentiel démographique ne comprendraient pas que leur
soient imposées des charges supplémentaires, charges que les communes en
question ne pourront raisonnablement pas honorer. Est-il utile de rappeler que
le coût d'une place dans une aire d'accueil peut-être évalué à 100 000 francs
en investissement et à 20 000 francs en fonctionnement annuel.
Cet impact financier pour les communes de taille modeste doit retenir notre
attention. Il serait assurément irréaliste de leur imposer la charge de
plusieurs places. Les communes de moins de 5 000 habitants ne faisant pas
partie d'un établissement public de coopération intercommunale devront réaliser
à leur charge des équipements d'accueil. Il convient donc de préciser très
clairement quelles seront les conditions financières incluses dans les
conventions conclues entre l'Etat, le département et la commune d'accueil. Il
n'est pas certain, en ces temps de rigueur budgétaire, que l'Etat ou les
conseils généraux soient prêts à accorder des subventions permettant de telles
réalisations ! Prenons garde de ne pas retomber dans le défaut de la loi du 31
mai 1990, à savoir une grave inadéquation entre la théorie et les réalités du
terrain.
J'ai relevé avec plaisir que la commission des lois a retenu la disposition
que je proposais en donnant le pouvoir aux maires des communes membres d'un
établissement public de coopération qui a réalisé ladite aire d'accueil
d'interdire par arrêté le stationnement des gens du voyage sur le reste du
territoire communal ou intercommunal. De ce fait, la commission des lois
souscrit à une mutualisation des coûts, seule solution susceptible de répondre
aux communes de dimension modeste. Il est temps d'adopter des règles qui
puissent matériellement être appliquées.
Aujourd'hui, environ un département sur deux est doté d'un schéma d'accueil,
alors que l'article 28 de la loi du 31 mai 1990 préconisait ce type de schéma
pour tous. C'est la raison pour laquelle je propose l'institution d'un
répertoire national, le fonctionnement des schémas d'accueil départementaux
augurant mal de la viabilité et de la pérennité d'un schéma national.
La mutualisation des coûts entre les communes ne deviendra effective que si
l'Etat assume clairement et pleinement ses responsabilités dans ce domaine qui
est par excellence celui de la préservation de l'ordre public et de la
salubrité publique. Après nombre de mes collègues maires, dont je me fais ici
l'écho, je rappelle que le stationnement prolongé de caravanes sur un espace
non équipé en installations sanitaires, notamment, pose rapidement des
problèmes de salubrité publique.
Lorsqu'une difficulté survient du fait d'un campement sauvage, il est
nécessaire de pouvoir s'adresser rapidement à un interlocuteur unanimement
reconnu par les siens. Il n'est pas certain qu'une instance telle que la
commission consultative départementale, même si elle a vocation à associer les
différentes parties concernées, puisse jouer pleinement son rôle dans un schéma
de concertation et de médiation à l'échelon local.
Il conviendrait d'affiner les modalités de fonctionnement d'une telle
structure afin de l'adapter aux réalités concrètes puisque c'est l'inadéquation
du précédent texte qui nous amène aujourd'hui à débattre d'un problème de
société. Sans vouloir jouer les rabat-joie, nous devons prendre en compte tous
les paramètres susceptibles d'enrayer le dispositif proposé sous peine de
retomber dans les erreurs du passé, tout en étant bien conscients qu'il est
absolument inutile d'exiger des communes un effort financier dépassant leur
capacité budgétaire.
De même, pour rendre viable ce système de mutualisation des coûts, l'Etat doit
apporter des garanties formelles de sa participation effective à la mise en
oeuvre de la nouvelle législation visant à mutualiser le coût des aires
d'accueil. Les préfectures reconnaissent d'ailleurs elles-mêmes l'insuffisance
des crédits destinés à la réalisation et au fonctionnement de telles aires.
Il convient d'ajouter que, au sein des pays concernés par l'application de
l'accord de Schengen, la suppression des contrôles aux frontières intérieures
constitue un facteur qui, à terme, peut amplifier le phénomène du parcours
international. La dimension européenne de la présente problématique doit être
prise en compte dans nos travaux. La liberté d'aller et venir est, certes, un
droit fondamental, mais ce droit doit se conjuguer avec les impératifs
d'hygiène et d'ordre public liés à l'arrêt et au stationnement prolongé de
caravanes. Nous limiterons ainsi considérablement les heurts que nous déplorons
traditionnellement dans nos villes et nos villages, heurts qui quelquefois
dégénèrent malheureusement en tragédies.
Les gens du voyage sont des citoyens comme les autres. Dans un état
républicain tel que la France, ils ont des droits, mais ils ont également des
devoirs : par exemple, le devoir de respecter, comme tout citoyen, les règles
de la République, les décisions de justice qui peuvent, en cas de non-respect
de la législation et de la réglementation, être prononcées à leur encontre. Il
est nécessaire, à cet effet, de prévoir un renforcement des pouvoirs de police
du maire. Sur ce point, le consensus me paraît général et dépasse largement les
clivages partisans, comme le prouvent les lettres ouvertes cosignées par
plusieurs de mes collègues maires appartenant, bien sûr, à toutes les tendances
politiques.
En conclusion, je me félicite que la commission envisage, comme je le
préconisais, un accroissement des pouvoirs de coordination du préfet en matière
de prise en charge des grandes migrations, ainsi que la possibilité, pour les
maires des communes membres d'un établissement public de coopération
intercommunale qui a réalisé une aire d'accueil, de pouvoir interdire par
arrêté le stationnement des gens du voyage sur le reste du territoire communal
ou intercommunal, proposition que j'avais également formulée.
La possibilité de saisir le président du tribunal de grande instance lors d'un
stationnement irrégulier de caravanes sur un terrain privé ou sur le domaine
privé communal constitue également une avancée significative.
Je suis, en revanche, beaucoup plus réservé quant à la suppression du seuil de
population dans le futur dispositif, et je m'interroge sur le contenu du schéma
national et du nouveau schéma départemental ou, plus exactement, sur les moyens
financiers que l'Etat mettra en oeuvre, ainsi que sur ceux que pourront
consentir les collectivités locales. De ces deux inconnues dépend la réussite
d'une telle réforme.
Pour ma part, j'insisterai sur le fait que l'Etat ne doit en aucun cas se
décharger de la gestion d'une telle problématique sur les collectivités
locales, qu'il ne doit pas être exigé de ces dernières des prestations qui
dépasseraient leur capacité et que, en tout état de cause, il ne faudra pas
hésiter à apporter rapidement des correctifs si le dispositif que nous allons
adopter venait à se révéler, par certains aspects, inadapté à une réalité très
complexe et subtile : il ne faudra pas attendre sept ans avant de rectifier,
éventuellement, ses modalités d'application.
Enfin, j'ajouterai que c'est par souci de « coller à la réalité » et de
perfectionner le texte que j'ai pris l'initiative de déposer deux amendements ;
je m'en expliquerai le moment venu.
Je souhaite, mes chers collègues, que nos travaux contribuent à la recherche
d'un équilibre dans les relations entre une population nomade qui, depuis cinq
cents ans, se sent rejetée de partout et une administration communale qui n'a
pas trouvé le fil de son intégration.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Eckenspieller.
M. Daniel Eckenspieller.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, il
est des circonstances dans lesquelles, à l'évidence, la loi ne suffit pas, à
elle seule, à apporter une solution acceptable et pérenne à un problème.
Ce peut être du fait de la loi elle-même, lorsqu'elle est inadaptée, au moins
partiellement, ou trop imprécise.
Cela peut tenir à des difficultés techniques et financières rencontrées sur le
terrain.
Cela peut être lié à des pesanteurs sociologiques, que l'on connaissait au
moment du vote de la loi mais dont on n'avait pas mesuré, alors, à quel point
elles étaient un facteur d'inertie.
Cela peut provenir de la mauvaise articulation entre ceux qui ont, à un titre
ou à un autre, à intervenir dans la mise en application de la loi.
Dans le cas qui nous intéresse aujourd'hui, toutes ces causes conjuguées me
semblent devoir être incriminées.
La loi de 1990 semblait,
a priori
, répondre à la préoccupation de la
répartition géographique des gens du voyage sur le territoire national dans des
conditions satisfaisant au respect de la dignité auquel nous sommes
attachés.
En ne tenant pas compte des différents types de migrations, en ne quantifiant
pas les emplacements à réaliser, en laissant en dehors du dispositif des
secteurs moins fortement urbanisés, où l'accueil serait parfois plus facile, en
ne prévoyant aucun système de péréquation financière, la loi portait déjà en
elle les germes de toutes les difficultés qui ont effectivement empêché, dans
de nombreux cas, la mise en place des schémas départementaux d'accueil des gens
du voyage et, presque toujours, lorsque leur élaboration a pu être conduite à
bonne fin, leur mise en oeuvre sur le terrain.
L'échec, aujourd'hui, est patent. L'excellent rapport de notre collègue
Jean-Paul Delevoye le souligne avec mesure, mais sans ambiguïté.
Sur 1 739 communes soumises à l'obligation, seules 378 ont mis la loi en
application, dont une cinquantaine dans un cadre intercommunal.
Certaines, et leur nombre n'est pas négligeable, ont renoncé à maintenir leur
aire d'accueil, alors même qu'elles s'étaient engagées dans la procédure avec
conviction et détermination.
Les autres constatent avec dépit et colère que l'existence d'une aire
d'accueil n'empêche pas les gens du voyage, sous les prétextes les plus divers,
de s'installer en d'autres lieux du territoire communal, aussi bien sur des
terrains publics que sur des terrains privés.
La municipalité de Strasbourg - même elle ! - se bat depuis des mois pour
libérer des espaces publics, alors qu'elle est, pour ce qui la concerne, en
pleine conformité avec la loi.
Mais c'est déjà en amont que se pose le problème, souvent quasi insurmontable
en zone urbaine ou périurbaine, du choix de l'emplacement de l'aire d'accueil.
Celle-ci doit être située en zone constructible, desservie par la voirie, les
réseaux d'eau, d'assainissement, d'électricité, Elle est donc nécessairement
proche des secteurs habités.
Que l'on s'oriente vers un quartier difficile de la ville, dont on accentue
encore ainsi la marginalité, ou vers un quartier plus résidentiel, la seule
annonce de cette éventualité - j'en fais l'expérience dans ma ville - déclenche
des avalanches de protestations, la création de collectifs, la mise en route de
procédures.
Reste, bien sûr, la solution intercommunale, que chacun applaudit des deux
mains, car chacun l'appelle de ses voeux.
Comme pour le centre de tri, le centre d'enfouissement, la plate-forme de
compostage, l'usine d'incinération ou la voie de contournement, l'unanimité se
fait pour réaliser ensemble ; l'unanimité finit aussi par se faire, moins
facilement, pour arrêter les clés de répartition financière. Mais personne ne
veut de cet équipement chez soi !
Dans l'agglomération mulhousienne, dont je préside le syndicat intercommunal à
vocation multiple, plusieurs équipements intercommunaux ont ainsi connu de
nombreuses localisations virtuelles avant d'arriver à se « poser » sur le
terrain.
Les élus locaux sont d'autant plus difficiles à convaincre qu'ils voient bien
que ceux qui ont obtempéré en ont souvent été très mal récompensés :
dégradations, rotations non contrôlées, droits de place non réglés, enfants non
scolarisés, extension sauvage de l'aire d'accueil bien au-delà de ses limites,
coûts de fonctionnement considérables, conflits entre agents communaux et gens
du voyage, refus de cohabiter avec d'autres groupes, difficulté d'identifier
les interlocuteurs. Et l'on pourrait allonger la liste !
Mais il y a plus grave encore : le stationnement anarchique en d'autres lieux
publics et privés, sans que les élus locaux ou les propriétaires puissent
compter sur quelque appui que ce soit pour mettre un terme à cette occupation
de fait. Bien sûr, la loi donne au maire la faculté de signer un arrêté
interdisant le stationnement hors de l'aire d'accueil aménagée, mais le maire
ne dispose absolument pas des moyens nécessaires pour faire respecter cet
arrêté.
La situation est telle qu'elle accrédite auprès de nos concitoyens l'idée que
la stratégie du fait accompli est infiniment plus efficace que celle du respect
des procédures réglementaires.
C'est souvent le cas s'agissant des manquements aux règles d'urbanisme ou des
problèmes de mise en décharge, de bruit et de pollution, pour lesquels des
pouvoirs relativement importants ont été donnés aux maires - on en a
abondamment informé l'opinion publique - alors qu'en fait le maire se trouve le
plus souvent démuni puisqu'il peut réglementer mais non sanctionner. Et c'est
dans ce contexte-là que l'on s'apprête encore à limiter le pouvoir déjà bien
restreint des polices municipales !
Face à cette situation, l'armée des braves gens qui se plient aux règles, qui
s'acquittent de leurs contributions, qui paient leurs contraventions, est
indignée par ce qui lui apparaît à juste titre comme un traitement
différencié.
Aussi les maires et les conseils municipaux qui ont le courage politique
d'assumer, devant leurs concitoyens, la mise en place d'une aire d'accueil des
gens du voyage doivent-ils impérativement, au moindre débordement, se sentir
assurés du plus ferme soutien.
Il faut progressivement mettre en place un dispositif de péréquation
financière, au moment où nos concitoyens sont particulièrement attentifs à
l'utilisation qui est faite de leur contribution fiscale.
Il faut faire vérifier systématiquement que l'obligation pour les gens du
voyage de choisir une commune de rattachement est bien remplie.
Il faut surveiller d'une manière beaucoup plus stricte la réalité de la
scolarisation des enfants des familles concernées.
Il faut, enfin, que le problème de leurs ressources et de leur éventuelle
fiscalisation fasse l'objet d'investigations aussi rigoureuses que celles qui
concernent les autres habitants de notre pays.
C'est uniquement si cette volonté de rigueur est clairement affirmée et si les
maires sont intimement convaincus qu'on ne les laissera pas seuls face au
problème des gens du voyage - car, seuls, ils l'ont généralement été jusqu'à
présent - que leurs réticences faibliront, qu'ils participeront avec un esprit
constructif à l'élaboration des schémas départementaux d'accueil des gens du
voyage et qu'ils contribueront ainsi à un cheminement conduisant vers une plus
grande tolérance réciproque.
Le texte qui nous est soumis aujourd'hui s'inscrit dans une telle perspective.
C'est la raison pour laquelle, avec les membres du groupe du Rassemblement pour
la République, je lui apporterai mon soutien.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Hoeffel.
M. Daniel Hoeffel.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
j'approuve, bien entendu, les conclusions de notre rapporteur, le président
Jean-Paul Delevoye. Elles sont le fruit d'un travail de concertation intense
sur les conditions d'accueil et de stationnement des gens du voyage, réalisé à
la suite des propositions de loi de MM. Souvet et Marini.
Je vous ai écouté, monsieur le secrétaire d'Etat, avec beaucoup d'attention,
vous qui avez, dès 1990, posé des jalons permettant la recherche de solutions
pratiques.
Notre débat intervient à un moment où ce problème se pose dans de très
nombreuses communes avec une grande acuité, à un moment aussi où les maires,
dans bien des régions, se sentent seuls, face à des difficultés qui irritent de
plus en plus nos concitoyens.
Dans certaines zones géographiques, et je pense en particulier aux
départements frontaliers - mais les témoignages que nous entendons aujourd'hui
montrent qu'ils sont loin d'être les seuls concernés - le stationnement sauvage
et le non-respect du droit prennent une tournure qui peut avoir des
conséquences imprévisibles, ou plutôt, hélas ! trop prévisibles.
La solution réside dans une législation efficace, mais aussi et surtout dans
la capacité des pouvoirs publics à la faire respecter.
En vertu de la loi du 31 mai 1990, des schémas départementaux devaient être
élaborés d'un commun accord entre l'Etat et les départements. Certains l'ont
été, d'autres non, et là où les schémas ont vu le jour, leur application sur le
terrain a été inégale.
Souvent, d'ailleurs, la crainte de provoquer un afflux supplémentaire de gens
du voyage ou la peur de ne pas voir les conditions d'accueil respectées se
révèlent dissuasives pour des communes qui seraient en mesure d'offrir des
terrains.
Les propositions qui nous sont soumises aujourd'hui me paraissent réalistes et
de nature à améliorer la situation : l'établissement d'un schéma national, à
l'élaboration duquel les élus seraient associés, la confirmation des schémas
départementaux, la création d'une commission consultative regroupant tous les
partenaires, l'assouplissement du seuil du nombre d'habitants, la mutualisation
du coût sont autant de mesures susceptibles de contribuer à la solution
concrète des problèmes posés.
Mais la meilleure loi ne suffira pas si, parallèlement, les maires n'ont pas
le sentiment que tous les moyens seront mis en oeuvre pour la faire respecter
et - il faut y insister - pour endiguer la montée de l'intolérance.
Occupations illicites de terrains, infractions à l'ordre public, dégradations,
saccages, voire menaces physiques deviennent fréquents. Or, en face, le maire
n'a pas toujours le sentiment de pouvoir compter sur l'appui de la force
publique.
Théoriquement, le maire peut utiliser la voie du référé, obtenir un jugement,
puis recourir à l'huissier et à la force publique. Malheureusement, des
exemples montrent que, dans la pratique, le refus du concours de la force
publique, conséquence du refus de la justice de considérer le stationnement
illicite comme une infraction pénale, est loin d'être exceptionnel.
Le maire - et je peux, moi aussi, citer l'exemple de Strasbourg - se trouve
alors isolé face à une opinion publique qui ne comprend plus, qui se demande si
la loi est encore égale pour tous.
M. Philippe Marini.
Très bien !
M. Daniel Hoeffel.
Or ce problème ne connaîtra pas de solution si préfets, justice, police,
gendarmerie, départements, maires et mouvements associatifs ne travaillent pas
main dans la main pour veiller non seulement au respect de la loi mais aussi au
respect de l'ordre public.
Ne pas arriver à cette coordination étroite, c'est ouvrir la porte à tous les
abus, c'est provoquer l'arrivée en France de gens du voyage supplémentaires
parce que, en Europe, le laxisme aspire et le respect du droit dissuade.
Veillons à ce que la France ne soit pas, sur ce plan, le maillon faible en
Europe, qu'elle ne soit pas le pays où l'autorité de l'Etat s'exerce moins
qu'ailleurs, qu'elle ne soit pas le pays maîtrisant moins que ses partenaires
le flux de ceux qui viennent et qui passent.
Il faut, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'une étroite coordination soit
assurée à l'échelon national entre vous-même, le ministre de l'intérieur et le
garde des sceaux pour sceller la nécessaire coopération sans laquelle les
dispositions que nous adoptons aujourd'hui, qui sont nécessaires, risqueraient,
hélas ! de rester lettre morte.
(Applaudissements sur les travées de l'Union
centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines
travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Dupont.
M. Ambroise Dupont.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, de
plus en plus mal considérés par les populations locales, les gens du voyage
forment un groupe marqué, on l'a dit, par une grande diversité des modes de vie
et activités pratiquées.
Accusées, à tort ou à raison, de toutes les infractions survenant pendant leur
passage, ces populations nomades connaissent de véritables difficultés
d'insertion, auxquelles s'ajoute un problème de stationnement.
La loi du 3 janvier 1969, par laquelle leur statut est principalement régi,
n'aborde en effet pas vraiment ce problème, qui est pourtant à la source des
conflits avec les populations d'accueil et, partant, des difficultés des
maires, accusés par ces dernières de ne pas les défendre.
La loi du 31 mai 1990 visant à la mise en oeuvre du droit au logement - loi
adoptée alors que vous étiez en charge du logement, monsieur le secrétaire
d'Etat - a tenté d'apporter une solution à cette situation en imposant, dans
son article 28, l'établissement d'un schéma départemental, dont M.
Eckenspieller a dit tout ce qu'il fallait dire.
Obligation est ainsi faite à toute commune de plus de 5 000 habitants
d'aménager des terrains pour accueillir les gens du voyage, ce qui permet au
maire concerné d'interdire le stationnement sur le reste du territoire
communal.
Cependant, ce dispositif s'est révélé, dans la pratique, mal adapté à la
réalité. Se trouvent en effet en présence, d'une part, une communauté qui
n'accorde pas au droit la même importance que les populations locales et,
d'autre part, des autorités qui disposent de moyens juridiques insuffisants
pour sanctionner les contrevenants ; de sorte se produisent régulièrement des
conflits que les procédures judiciaires ne résolvent pas de façon satisfaisante
car, bien souvent, il est déjà trop tard !
J'en prends pour exemple les incidents qui se sont produits en août dernier
dans mon département du Calvados. Des gens du voyage, avec plus de 120
caravanes, se sont installés par effraction sur un terrain privé situé en zone
naturelle protégée et où des bêtes étaient en pâture, alors même qu'une aire
d'accueil était aménagée et se trouvait alors aux deux tiers vide.
Par la suite, se sont produits différents troubles que l'on peut imaginer,
comme on peut imaginer les craintes ressenties tant par les habitants que par
les vacanciers : bris de clôtures, déplacements de bovins, envahissement des
sanitaires des campings - ce qui a fait fuir des campeurs - et je ne citerai
pas tous les méfaits, parfois violents, qui ont été commis l'été dernier, mais
ces exemples illustrent combien le séjour des gens du voyage pose de réels et
graves problèmes aux communes.
Risque de pollution, danger en matière d'hygiène, conflits avec le voisinage,
insécurité, telles sont les situations auxquelles doivent faire face les
autorités locales.
Le sentiment d'insécurité grandissant rend le développement, année après
année, de ce phénomène de plus en plus insupportable. Or, en la matière, les
maires ne peuvent que constater leur impuissance. Tous soulignent à quel point
il est difficile d'agir dans un bref délai pour faire expulser les gens du
voyage installés illégalement. Tous aussi se sentent seuls, mes collègues l'ont
très bien dit avant moi.
Le séjour des gens du voyage demeure donc un « casse-tête », et les
populations s'exaspèrent chaque jour davantage de voir que coexistent deux
sortes de citoyens, ceux qui respectent la loi et ceux qui ne la respectent pas
mais ne semble pas pénalisés pour autant.
Les présentes propositions de lois sont donc bienvenues et je me félicite des
très remarquables conclusions présentées, au nom de la commission des lois, par
notre rapporteur, M. Jean-Paul Delevoye, qui est à l'écoute de tous les maires
de France, unanimement d'accord sur ce sujet.
Je ne reviens ni sur l'obligation pesant sur les municipalités d'aménager des
aires d'accueil appropriées aux besoins des nomades, ni sur les pouvoirs
accordés au maire pour faire cesser le stationnement illicite, ni encore sur la
création d'une commission consultative agissant comme instance de conciliation
et associant les gens du voyage, ce qui me paraît une très bonne chose.
Je m'arrêterai seulement sur l'article 6. Si je me réjouis du fait que les
maires vont maintenant pouvoir engager des actions en justice sous forme de
référé pour permettre l'évacuation des véhicules en cas de stationnement
illicite, je me permets de souhaiter que la mise en oeuvre de cet article soit
effective et rapide ! En effet, si l'exécution devait prendre trois ou quatre
jours, les nomades seraient entre-temps partis, les dégradations témoignant
seules de leur passage.
L'article 6 répond cependant exactement aux attentes des élus locaux, qui
veulent disposer de réels moyens d'action.
Le système du « donnant-donnant » me paraît satisfaisant et plus apte à
résoudre les situations conflictuelles, hélas ! trop fréquentes. Je souligne
toutefois que l'harmonie entre populations sédentaires et gens du voyages ne
peut passer que par le respect de règles communes.
La commission, dans ses conclusions, propose un engagement de l'Etat plus
important de deux points de vue.
D'une part, du point de vue de l'organisation, elle a envisagé que soient
dressés un répertoire national des terrains aménagés et un schéma national pour
l'ordonnancement des grandes migrations traditionnelles.
Ce dernier point est important car ces migrations prennent de telles
proportions qu'elles sont ingérables par les seuls maires. Il est donc
indispensable que le représentant de l'Etat participe à leur prise en
charge.
D'autre part, du point de vue financier, la commission a avancé l'idée d'un
versement par l'Etat de subventions dégressives et proposé qu'une convention
soit conclue entre tous les partenaires concernés, dont l'Etat, pour la
réalisation d'aires d'accueil, notamment afin de permettre une meilleure
répartition des coûts d'investissement et de fonctionnement.
Je suis favorable à toutes ces propositions. Je considère en effet que, compte
tenu de ses missions régaliennes, l'Etat doit s'impliquer davantage en la
matière et mieux veiller au respect de la loi.
Les maires ont d'ailleurs demandé que les lois existantes soient appliquées et
que la force publique puisse être utilisée en cas d'infraction grave, lors de
l'assemblée générale qui s'est tenue très récemment dans le Calvados.
Tout cela correspond parfaitement aux aspirations actuelles en matière de
sécurité. On ne peut laisser impunément bafouer l'autorité publique sous peine
de la décrédibiliser, et c'est bien de la volonté clairement exprimée de faire
appliquer la législation proposée que dépendra le succès de cette dernière.
Pour toutes ces raisons, je voterai les conclusions du rapport de la
commission des lois.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Louis Boyer.
M. Louis Boyer.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
notre assemblée aborde aujourd'hui le délicat sujet des « gens du voyage », ou
« nomades ».
Ces termes, qui qualifient les populations se déplaçant sur le territoire
d'Etats auxquels elles peuvent être étrangères ou non, sont porteurs d'une
connotation de rêve, le voyage ; pourtant, ils sont bien souvent associés, pour
les populations et les autorités locales, à des opinions négatives, synonymes
de problèmes.
Qu'il s'agisse ou non de préjugés, la situation des gens du voyage est
préoccupante et les gouvernements successifs se sont efforcés de définir la
politique à suivre en la matière.
Quelles sont les données actuelles ?
Nous avons, en premier lieu, une minorité hétérogène - particularisée
cependant par certaines caractéristiques communes - dont nous devons respecter
l'identité et les spécificités culturelles et morales.
Leur condition, sur le plan social et humain, s'est considérablement
améliorée, notamment depuis la loi du 3 janvier 1969 relative à l'exercice des
activités ambulantes et au régime applicable aux personnes circulant en France
sans domicile ni résidence fixe depuis plus de six mois.
Cette loi, qui a abrogé la loi du 16 juillet 1912, dont le caractère était
purement répressif, définit le statut juridique des gens du voyage, notamment
en ce qui concerne leurs titres de circulation et leur rattachement à une
commune.
Par ailleurs, l'article 28 de la loi du 31 mai 1990 visant à la mise en oeuvre
du droit au logement a créé l'obligation pour toute commune de plus de 5 000
habitants de prévoir « les conditions de passage et de séjour des gens du
voyage sur son territoire, par la réservation de terrains aménagés à cet effet
».
A priori,
la contrepartie prévue par le troisième alinéa de cette
disposition est le pouvoir conféré aux maires d'interdire le stationnement des
nomades sur le reste du territoire communal dès lors que l'obligation légale
d'accueil est respectée.
Tel est le dispositif en place de nos jours. On pourrait donc penser que notre
arsenal législatif aménage un équilibre satisfaisant entre les droits et les
obligations réciproques des nomades et des collectivités locales. En réalité,
des problèmes subsistent et l'exaspération de la population confrontée à ces
peuples marginaux est croissante.
Les pouvoirs publics tentent de favoriser l'insertion sociale de ces
communautés tout en respectant leur différence alors que, de leur côté, les
nomades, de par leur culture, ne connaissent et ne respectent la loi que
lorsqu'elle leur convient ou leur est favorable.
Des moyens juridiques existent bien pour les sanctionner quand cela est
nécessaire, mais ils sont souvent insuffisants ou inappliqués. Les gens du
voyage le savent et abusent de leur impunité. Dans ces conditions, est-il bien
utile de légiférer à nouveau ?
Le véritable problème est celui de l'application de la loi. Les dispositions
qu'il nous est proposé d'adopter sont louables. Cependant, elles visent à
imposer de nouvelles obligations aux communes, qui rencontreront des
difficultés techniques et financières pour les mettre en oeuvre. A quoi cela
servera-t-il si le laxisme des autorités, en particulier du ministère de
l'intérieur, persiste en faveur des populations en cause ?
Je suis intervenu le 1er juin 1990 sur un cas précis, celui de la commune de
Nevoy, commune du Loiret comptant 860 habitants, où un terrain privé a été
acquis par l'association « Vie et Lumière ».
L'occupation de ce terrain contrevient aux règles de l'urbanisme mais, s'il
appartient au maire d'assurer la police municipale au sens de l'article L.
132-2 du code des communes, ce dernier ne concerne que les lieux publics et ne
peut donc s'appliquer à une propriété privée.
La commune de Nevoy a un plan d'occupation des sols et le terrain en question,
qui abrite chaque année, depuis 1990, des rassemblements groupant jusqu'à 30
000 personnes, est classé comme terrain ayant une vocation agricole. Il ne
comprend ni point d'eau ni sanitaires en rapport avec la population qui y
séjourne.
De plus, les propriétés environnantes sont régulièrement pillées, les demeures
fracturées, les arbres coupés et le gibier braconné. Ces propriétés ont donc
perdu toute valeur marchande.
Depuis 1990, quelques mesures ont été prises, mais très peu l'ont été au titre
du non-respect de la loi. S'il s'était agi d'un camping classique, il aurait
été fermé depuis longtemps. Des CRS sont envoyés pendant les périodes de
grosses concentrations, ce qui rassure un peu les populations locales, mais les
déprédations persistent. Imaginez l'atmosphère quand 30 000 personnes, pendant
huit à dix jours, font leurs besoins dans la nature !
Ces dernières années, des faits nouveaux ont été signalés avec l'apparition de
nomades originaires de pays de l'Est, Roumanie, Hongrie, ex-Allemagne de l'Est.
Ceux-ci sont particulièrement agressifs. Ils refusent de payer les commerçants
locaux et les menacent avec des armes blanches.
Après avoir connu plus de sept ans cette situation, les populations locales
sont exaspérées. Il est évident qu'un jour ou l'autre, un drame se produira,
drame dont l'Etat portera la responsabilité.
Je rappellerai également des faits survenus récemment dans une autre commune
du département du Loiret.
Le jeudi 2 octobre 1997, une quinzaine de gens du voyage sont venus chasser
sur une propriété privée. Six d'entre eux ont été interpellés par les gardes
nationaux, qui ont dressé un procès-verbal. Les gendarmes, qui avaient été
appelés, ont constaté que leurs papiers étaient en règle. Les numéros des
fusils et des voitures n'ont pu être mentionnés par les gardes et les chasseurs
ont pu emporter le gibier qu'ils avaient tué.
Le dimanche 5 octobre 1997, des gens du voyage, au nombre d'une trentaine -
dont ceux qui avaient été verbalisés le 2 octobre - sont venus pour chasser sur
la propriété citée précédemment et sur deux propriétés voisines. Le garde a
voulu relever le numéro des voitures. Deux coups de fusil ont été tirés, l'un à
sa droite, l'autre à sa gauche. L'un de ces hommes l'a menacé avec un revolver
et on lui a dit : « Si vous persistez, demain nous reviendrons à cent. »
Nous sommes loin des théories, c'est la situation sur le terrain.
Cela se passe bien dans certains départements et moins bien dans d'autres,
avez-vous dit, monsieur le secrétaire d'Etat. Malheureusement, je suis dans un
département où cela se passe vraiment moins bien.
Je souhaite que ne se reproduise pas ce qui s'est passé dans une commune de
mon département où, quarante-huit heures après l'inauguration d'un magnifique
terrain par le préfet, toutes les installations ont été démontées et vendues
chez des brocanteurs, évidemment sans qu'aucune sanction ne soit prise.
Cette proposition de loi sera contraignante pour les communes, mais elle est
nécessaire. Je la voterai donc, en souhaitant qu'elle ne demeure pas lettre
morte. Les autorités doivent avoir le courage de sanctionner les contrevenants.
La loi doit être appliquée pour tous, et non seulement pour certains.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR
et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Peyronnet.
M. Jean-Claude Peyronnet.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le
texte que nous examinons aujourd'hui ne manque pas d'originalité. Il traite
d'une population dont le genre de vie, nomade parmi les sédentaires, a très tôt
été remarqué et souvent réprouvé - ce n'est pas nouveau - par les habitants et
les autorités. Cette réprobation explique l'abondance de la réglementation
locale qui les concerne, réglementation qui a tenté de canaliser le phénomène,
alors même que la législation sur le sujet est, somme toute, assez peu
importante. Elle explique aussi les souvenirs douloureux, la répression ayant
pris parfois, hors de France il est vrai, une tournure raciste appuyée ; nous
ne devons pas oublier ces souvenirs historiques.
Les interventions précédentes ont bien montré que ce n'est pas ce côté
répressif - et encore moins raciste - qui anime nos collègues, et c'est bien
ainsi. Mais il est urgent d'agir pour éviter que les manquements de la
population concernée ne provoquent une réaction telle qu'elle entraînerait une
simple chasse à l'autre uniquement parce qu'il est différent.
Cependant, une loi - celle-ci en particulier - peut-elle résoudre cette
question ? Je n'en suis pas convaincu. Il existe effectivement un problème, et
loin de moi l'idée de me voiler la face. Les autorités départementales et
locales responsables de la police de la circulation, du stationnement et de
l'hygiène s'en font l'écho de façon quasi permanente. Je comprends donc,
monsieur le rapporteur, que le président de l'Association des maires de France
y porte une attention soutenue, reflet de celle qui anime la plupart des élus
de ce pays. A quelques jours de l'ouverture du congrès des maires de France -
et même si votre texte n'est pas un texte d'opportunité car nous l'avons
examiné en commission des lois en mars dernier - il est assuré de soulever
l'intérêt. Aussi est-il d'autant plus important que ce texte ne suscite pas
d'illusions.
Cela étant, monsieur le rapporteur, vous êtes dans une situation singulière.
En effet, vous rapportez deux textes fondus en un seul, fort différent des deux
propositions de loi initiales et dont vous êtes en partie l'inspirateur. Ne
voyez dans cette remarque aucune critique, bien au contraire : je sais le
travail que vous avez réalisé.
La proposition de loi que vous rapportez, comme la présentation que vous en
avez faite, est certes fort louable sur le plan des intentions. Cependant, elle
ne fait guère avancer les choses sur le plan de l'efficacité. Aussi, je serai
conduit à vous proposer des modifications, même si je n'ai guère d'illusion sur
leur adoption ; mais il est parfois utile de prendre date. En ce qui concerne
les intentions, je ne peux que souscrire à la proposition de la commission
visant à « rompre l'isolement des communes en parvenant à un juste équilibre
entre des conditions d'accueil satisfaisantes des gens du voyage et une
sanction effective du stationnement illicite ». Monsieur Delevoye, si vous
annoncez, lors du congrès des maires de France, en séance plénière, que vous
avez réussi tout cela, vous allez faire un tabac ! Je ne suis pas cependant sûr
que la loi vous permette de réussir parfaitement sur ce point.
Toutefois, vous avez raison, monsieur le rapporteur, de souligner l'injustice
de l'isolement dans lequel se trouvent les maires, en particulier ceux qui ont
fait l'effort de satisfaire aux obligations de la loi.
De même, impliquer d'autres acteurs - les communes non sièges d'aire
d'accueil, les conseils généraux, le conseil régional, même je suis plus
réservé sur ce dernier car je me demande si c'est bien sa mission, les
établissements publics de coopération intercommunale et l'Etat - est une bonne
idée.
La presse spécialisée a surtout retenu l'idée de mutualisation, qui ne peut
que séduire un vieux pays comme le nôtre, lequel en parle beaucoup mais en fait
très peu.
Je remarque cependant que l'article 4 de la proposition de loi, qui institue
ce que j'appellerai plutôt une coopération par convention entre les parties que
je viens de citer, n'est assorti d'aucune contrainte, même pas en termes de
délai. Dans ces conditions, les conventions proposées, qui seront, avez-vous
dit dans votre intervention liminaire, « obligatoirement » signées ne le seront
en réalité pas plus que n'ont été respectées les prescriptions de l'article 28
de la loi du 31 mai 1990, dite « loi Besson ». En la matière comme dans bien
d'autres, il n'est pas d'obligation sans sanction ! Dire le contraire, c'est se
bercer d'illusions, et je crains, en effet, que les bonnes intentions de ce
texte ne se révèlent bien illusoires.
J'en viens aux insuffisances - permettez-moi d'appeler ainsi les défauts que
je trouve à ce texte - de la proposition de loi.
Vous énumérez, dans votre rapport, les diverses catégories de gens du voyage
et les types de parcours qu'ils effectuent. Tout le monde est d'accord pour
distinguer les itinérants, les semi-sédentaires et les sédentaires effectuant
des parcours régionaux, locaux et de grands pèlerinages. Toutefois, une
catégorie n'est pas traitée dans le texte et elle est à peine évoquée dans le
rapport : celle des sédentaires ou quasi-sédentaires que j'appellerai «
contraints », c'est-à-dire des gens qui sont sédentaires ou en voie de
sédentarisation en raison des difficultés économiques. Ils posent des problèmes
particuliers, et ils sont de plus en plus nombreux. Cette question devra être
traitée.
Quoi qu'il en soit, vous avez choisi de distinguer deux grandes catégories
auxquelles sont consacrées les deux parties de votre texte : d'une part, les
grandes migrations et le schéma national dans lequel vous laissez une part
prépondérante, voire quasi exclusive à l'Etat ; d'autre part, les migrations
plus limitées, avec leur traitement départemental et local, ainsi que les
pouvoirs de police du maire.
Sur le plan intellectuel, la distinction peut se justifier. Cependant, je
conteste la méthode employée pour résoudre le problème des grandes migrations.
Elles sont connues et parfaitement prévisibles, à la réserve près qu'il peut y
avoir des rassemblements religieux fort nombreux et non répertoriés à l'avance
: certains orateurs les ont évoqué tout à l'heure. De même, des événements
familiaux comme les enterrements ou les fêtes peuvent rassembler un nombre
impressionnant de caravanes. Tout cela n'est guère prévisible, et ne sera pas
traité par la loi.
Pour le reste, la méthode très centralisée qui est proposée me semble fort
contestable. A première vue, il peut en effet sembler séduisant de décharger
les autorités locales de l'essentiel des contraintes, qui sont ainsi
transférées à l'Etat. Cependant, je ne vous apprendrai pas, monsieur le
rapporteur, que l'Etat, c'est loin, et que tout stationnement est par nécessité
réalisé sur le territoire d'une commune dans laquelle le maire a, au premier
chef, des responsabilités de police. Il sera donc de toute façon, et quoi que
vous fassiez, en première ligne. Mieux vaudrait donc l'associer dès le début,
intimement, dans un cadre départemental.
Je propose donc que, chaque département connaissant les lieux et les périodes
de passage, les schémas départementaux, établissent les conditions d'accueil de
ces grandes migrations et que le répertoire national n'étant que l'agrégation
des propositions départementales, validées par l'Etat après avis de la
commission consultative nationale.
Je comprends bien dans quelle logique se situe la proposition qui est faite.
Cependant, appliquer aux personnes qui sont concernées par cette proposition de
loi cette pure logique d'aménagement du territoire me semble contestable.
Enfin, la formulation de l'article 3, prévoyant que le préfet « peut prendre
les mesures nécessaires à une répartition équilibrée des gens du voyage sur les
terrains », est assez déplaisante. Elle donne l'impression que les hommes sont
des pions - « des billes dans des cases », ont dit les associations ou les
représentants des gens du voyage - ce qui n'est pas le cas, quels que soient
leurs défauts. Ils sont, peut-être plus que d'autres, jaloux de leurs
possibilités de mouvements et du choix de leurs voisins. Dans cette population,
les solidarités mais aussi les inimitiés familiales sont essentielles, et je ne
conçois pas une répartition autoritaire. Quand bien même les préfets le
voudraient - ce qui n'est pas assuré - ils n'auraient pas les moyens de mettre
en oeuvre dans de bonnes conditions de telles dispositions.
J'en viens au second objet de la proposition de loi, qui concerne les
mouvements de moins grande ampleur et le renforcement apparent des pouvoirs du
maire. Je dis bien « apparent » !
Vous constatez, monsieur le rapporteur, que l'article 28 de la loi Besson n'a
pas donné de bons résultats, et vous avez raison. Pour autant - et vous avez
tout aussi raison - vous maintenez la procédure du schéma départemental, mais
en suppprimant au passage le seuil de 5 000 habitants. J'y reviendrai.
Ne fallait-il pas aller plus loin dans l'analyse et essayer de comprendre
pourquoi la loi est aussi peu appliquée ? Peu de départements disposent d'un
schéma départemental, et encore faut-il constater que le fait d'avoir validé un
tel document ne garantit pas son application. A cet égard, je sais de quoi je
parle puisque, dans mon département, alors qu'un tel schéma existe depuis plus
de dix-huit mois - les discussions ont duré tout de même quatre ans - il se
passe finalement assez peu de choses en matière de stationnement des gens du
voyage.
En effet, tout dispositif doit être assorti de contraintes et d'incitations.
Ainsi, les aires d'accueil, les terrains sont forcément situés sur un
territoire communal. Or, même si, après concertation, la création d'une aire
d'accueil dans telle ou telle commune a été proposée, rien ne peut se faire si
le conseil municipal ne le décide pas. Et l'on constate que, d'une commune à
l'autre, on observe ce qui se passe là où ont été créées des structures
d'accueil et, comme celles-ci sont peu nombreuses, elles sont trop petites et
surchargées. Si, en outre, elles ne sont pas convenablement surveillées, elles
sont saccagées, comme certains l'ont rappelé, et les maires des communes
voisines restent dans leur coquille et ne réalisent pas les équipements prévus,
parce que le spectacle des difficultés rencontrées par leurs voisins les
inquiète.
Tout se passerait probablement de façon plus convenable si les aires prévues
étaient toutes créées - ce qui est loin d'être le cas - car la capacité totale
d'accueil suffirait alors à satisfaire les besoins et, avec une bonne gestion,
les choses rentreraient dans l'ordre, du moins peut-on l'espérer.
Je résume : en premier lieu, il faudrait que tout schéma soit assorti d'une
obligation de mise en oeuvre, d'une véritable contrainte, pour ne pas parler de
sanctions. En effet, faire croire que tout se résoudra gentiment entre gens de
bonne compagnie relève de l'illusion, voire de la démagogie.
En second lieu, il faudrait que le schéma s'applique de façon concomitante
dans les différentes communes concernées, en tout cas selon un calendrier aussi
serré que possible, afin que ceux qui acceptent de jouer le jeu ne soient pas
pénalisés et par les dépenses engagées et par les désordres subis.
En troisième lieu, enfin, il faudrait que les aides soient plus importantes et
les charges très légères, aussi bien en investissement qu'en fonctionnement. De
ce point de vue, la mutualisation entre les communes et le département - j'ai
émis des réserves s'agissant de la participation de la région - est une bonne
idée. Cependant, j'observe, une fois de plus, qu'elle est fondée sur le
volontariat et qu'elle risque fort de n'être qu'une illusion.
Quant à l'Etat, son intervention « renforcée », dites-vous, est nécessaire. Je
le crois aussi. Je souhaiterais, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous nous
donniez votre sentiment sur cette question. N'est-il pas nécessaire de revoir
le montant et les modalités de l'aide de l'Etat ? J'observe que des progrès
importants ont été réalisés dans la mise à disposition du parc locatif privé
lorsque les bailleurs ont pu percevoir directement l'aide au logement.
De la même façon, si l'on considère qu'une caravane est un logement situé sur
un terrain percevant ou devant percevoir une redevance, ne peut-on concevoir
qu'une aide au logement soit versée directement au gestionnaire de l'équipement
? Cela faciliterait beaucoup le fonctionnement, sans pour autant exonérer les
occupants d'une part résiduelle, qui est nécessaire, ni, surtout, du versement
d'une caution avant l'entrée dans les lieux. Là où le système a été mis en
place, la situation est assez satisfaisante.
Au lieu de cela, que nous propose-t-on ? L'article 4 de la proposition de loi
étend le dispositif de la loi Besson à l'ensemble des communes, alors même que
l'application de celle-ci pour les communes de 5 000 habitants est, au bout de
sept ans, très insuffisante. En contrepartie, il supprime l'obligation
spécifique faite aux communes de plus de 5 000 habitants, au motif, certes
louable, de favoriser l'intercommunalité et la mutualisation.
S'agissant du maintien ou non du seuil de 5 000 habitants, on peut discuter.
Nous ne faisons pas de ce seuil une religion. Cependant, le supprimer, n'est-ce
pas lâcher la proie pour l'ombre ? Notre préférence va au maintien de ce
seuil.
Pourquoi serait-il plus facile de mettre en oeuvre la loi Besson en la
généralisant à l'ensemble des communes, quelle que soit leur taille, alors que,
même là où les schémas existent, c'est-à-dire dans les communes de 5 000
habitants et plus, elle n'a pas été appliquée ?
En quoi le seuil de 5 000 habitants empêche-t-il la coopération intercommunale
et l'implantation d'une aire d'accueil sur une commune plus petite ?
Enfin, le seuil de 5 000 habitants - mais ce pourrait être aussi un seuil de 3
000, 4 000 ou 6 000 habitants - ne correspond-il pas, malgré tout, à une
certaine réalité, dans la mesure où l'on observe que les gens du voyage
privilégient, pour des raisons évidentes telle la présence de commerces et
d'écoles, les villes ou leurs alentours ?
Vous l'avez compris, monsieur le rapporteur, la proposition de loi que vous
nous présentez n'entraîne pas l'enthousiasme de mon groupe, et je dirai même,
pour employer une litote, qu'elle suscite de fortes réserves.
Les maires, auxquels il est promis des pouvoirs de police renforcés, vont se
trouver plus que jamais en première ligne. Le texte proposé par l'article 6
pour l'article L. 2213-6-2 du code général des collectivités territoriales est,
à mon avis, de ce point de vue, très dangereux : le maire, en cas de
stationnement sur un terrain privé, pourrait obtenir, sans même l'accord formel
du propriétaire, un référé d'exclusion. Je lui souhaite bien du plaisir pour le
faire appliquer ! Je crains que cette disposition n'entraîne une multiplication
des contentieux, y compris, éventuellement, avec les propriétaires de terrains.
(M. Marini proteste.)
Mais l'essentiel n'est pas là. Il est dans la tare initiale de cette
proposition de loi, qui adopte une approche trop partielle pour traiter d'un
problème qui est d'une grande complexité. Aborder cette grave question sous le
seul angle du stationnement et de la police des maires - et encore, sans la
résoudre à cet égard, à mon sens - c'est ne l'étudier que de façon sommaire et
c'est oublier que les réels problèmes posés par cette population sont aussi
d'ordre social, éducatif et sanitaire.
En un mot, l'approche doit être globale. Monsieur le rapporteur, vous écriviez
d'ailleurs, en septembre 1996, dans un article paru dans le journal
Les
Echos
, que « le traitement curatif ne peut se passer de traitement
préventif ». Je reprends tout à fait cette approche et je souhaite qu'un texte
futur, quelle qu'en soit l'origine, aborde cette question dans sa globalité.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. François.
M. Philippe François.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le
stationnement des gens du voyage donne lieu depuis quelques années à des
difficultés croissantes en Ile-de-France, notamment dans le département de la
Seine-et-Marne, du fait de l'augmentation importante de cette population ainsi
que du comportement de certains de ses représentants, qui n'entendent pas
toujours - c'est le moins que l'on puisse dire - respecter les lois et
règlements en vigueur.
La législation actuelle autorise le stationnement temporaire des gens du
voyage dans les communes, sous réserve que ce stationnement soit pratiqué sur
des terrains aménagés à cet effet. Ainsi les gens du voyage peuvent-ils faire
étape dans des conditions satisfaisantes, tant pour la commune qui les
accueille que pour eux-mêmes.
Mais cette situation devient malheureusement de plus en plus théorique en
raison du nombre excessif de demandeurs par rapport au nombre de places
disponibles dans les terrains aménagés par les communes.
Ces terrains sont naturellement d'une taille limitée afin de répondre à un
besoin normal, ce qui est logique. Ils ne permettent pas aux communes de faire
face à des concentrations excessives - notre collègue Louis Boyer a donné de ce
point de vue un exemple particulièrement éclairant - surtout lorsque celles-ci
s'accompagnent d'une durée de séjour abusive, ce que nous constatons de plus en
plus. Lorsque tel est le cas, il s'ensuit une forte dégradation des terrains, à
laquelle de nombreux maires sont de plus en plus souvent confrontés et qui
coûte très cher.
Mais il y a beaucoup plus grave. Nous constatons en effet des occupations
sauvages, par conséquent illégales, de terrains non aménagés pour ces groupes
imposants de gens du voyage. Ces derniers s'installent fréquemment sur des
terrains ruraux, sur des espaces verts communaux, sur des parcelles cultivables
temporairement en jachère, sur des prairies destinées à la pâture du bétail, ou
encore sur des terrains ayant cessé d'être cultivés parce que promis à une
prochaine urbanisation. Dans tous les cas, non seulement les gens du voyage
s'installent sans aucune autorisation, mais, au surplus, ils n'hésitent pas à
braver les défenses affichées, voire à détruire les obstacles installés en vue
d'empêcher une occupation illégale des terrains.
Il y a alors violation caractérisée du droit de propriété, occupation sans
titre et, presque toujours, déprédation des terrains ainsi occupés en toute
illégalité.
De surcroît, la présence de ces concentrations irrégulières de gens du voyage
n'est pas sans poser des problèmes de voisinage, voire d'ordre public. Dans un
certain nombre de cas, les terrains irrégulièrement occupés jouxtant des
lotissements, c'est sur les réseaux desservant ceux-ci que se branchent les
gens du voyage, dont la consommation est alors supportée par les riverains
permanents.
Plus généralement, la présence temporaire de gens du voyage sur des terrains
non aménagés, irrégulièrement occupés par leurs soins, est à l'origine de
dépôts d'ordures sauvages dont les communes sont obligées ensuite d'assurer
l'enlèvement après le départ de ces personnes. Je puis vous assurer que, en
Seine-et-Marne, ce n'est pas simple, monsieur le secrétaire d'Etat.
L'enlèvement des ordures, le nettoyage et la remise en état des terrains après
le stationnement irrégulier des gens du voyage constitue pour certaines
communes une charge insupportable au regard de la modicité de leur budget.
Lorsque l'événement se reproduit, comme c'est le cas dans plusieurs communes
d'Ile-de-France, il n'est plus possible d'y faire face.
Dans un nombre de plus en plus important de communes, la présence irrégulière
de gens du voyage est une source de tension avec les populations résidantes :
les habitants n'entendent pas fournir gracieusement à ces personnes l'eau et
l'électricité qui sont consommées à leurs dépens. Les riverains se plaignent à
bon droit des déprédations causées par le stationnement sauvage des gens du
voyage. Le trouble à l'ordre public est de plus en plus réel, de plus en plus
fréquent.
Devant l'occupation sauvage et totalement illégale de terrains non aménagés,
les maires sont désarmés. Les gens du voyage n'ont que faire de contraventions
qu'en tout état de cause ils n'acquitteront jamais.
L'expulsion immédiate des terrains irrégulièrement occupés reste la seule
ressource à la disposition des autorités municipales. Mais cette procédure
fonctionne mal. La commune ne peut l'obtenir que par voie judiciaire, et donc à
l'issue d'un certain délai. En outre, lorsque l'expulsion est ordonnée, elle
n'est en général assortie d'aucune sanction.
C'est pourquoi il convient assurément de modifier la législation existante,
d'une part, en facilitant la procédure d'expulsion des gens du voyage
irrégulièrement installés en dehors des terrains aménagés à leur intention, et,
d'autre part, en prévoyant des sanctions pénales s'ajoutant à l'expulsion
proprement dite. De ce fait, ceux des gens du voyage qui n'hésitent pas,
actuellement, à s'installer sans vergogne, de manière illégale et en bravant
les interdictions - ils savent en effet qu'ils n'encourent aucun risque -
seraient probablement, à l'avenir, beaucoup plus respectueux des lois et
règlements et veilleraient à stationner exclusivement sur les terrains
aménagés, dont l'existence traduit l'effort réel fourni par les collectivités
publiques en leur faveur.
Telles sont toutes les raisons pour lesquelles nous soutiendrons les
conclusions de la commission des lois sur les propositions de loi de MM. Marini
et Souvet, qui nous sont aujourd'hui soumises et qui ont fait l'objet de
l'excellent rapport de M. Jean-Paul Delevoye, président de l'Association des
maires de France. Ce rapport répond, je vous l'assure, à l'attente des maires
de Seine-et-Marne, que je représente ici, et à celle de la quasi-totalité des
maires de notre pays.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des
Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Souplet.
M. Michel Souplet.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
nous sommes confrontés depuis de nombreuses années à un problème qui s'aggrave
de jour en jour : celui de l'accueil et de l'hébergement des gens du voyage. Je
me réjouis donc de voir aborder cette question aujourd'hui, grâce à la
commission des lois.
Les communes de plus de 5 000 habitants sont tenues de prévoir des terrains
d'accueil équipés en eau, en électricité et en sanitaires ainsi que
l'enlèvement des ordures ménagères. Ces équipements sont plus ou moins
fréquentés, mais ils doivent permettre aux nomades de profiter d'un confort
minimum, ce qui est une bonne chose.
Néanmoins, nous savons d'expérience qu'un grand nombre de gens du voyage
répugnent à la moindre contrainte et préfèrent stationner sur des terrains
vagues, des bordures de routes, voire dans des champs cultivés. Cette situation
conduit à des heurts avec les propriétaires de ces terrains ou les usagers des
routes et des chemins.
Mon intervention portera sur les répercussions de l'installation des gens du
voyage sur le milieu rural. Les exemples que je vais vous présenter concernent
bien évidemment mon département, particulièrement la région de Compiègne. Mon
collègue et ami Philippe Marini connaît bien les difficultés rencontrées par la
population citadine ; mais, de plus en plus, les habitants des communes
environnantes, surtout les agriculteurs, se sentent désarmés par une
jurisprudence totalement inefficace.
Je voudrais, en premier lieu, aborder le problème d'occupation et de
dégradation des terres.
Dans la région de Compiègne, le gel des terres a affecté des surfaces
importantes. Ainsi, lorsque celles-ci se trouvent à proximité de routes
départementales ou nationales, elles sont fréquemment « squattées » pendant de
longues semaines, voire des mois, de telle sorte que les exploitants se
trouvent dans l'impossibilité d'entretenir leurs terrains. Outre les nuisances
de proximité, on assiste à une dégradation des récoltes et des matériels
agricoles : beaucoup d'agriculteurs sont dans l'obligation de nettoyer leurs
terres avant d'envisager toute récolte, ou de retirer devant les machines
agricoles les ferrailles, les cadres de vélo, les moteurs démontés et les
bouteilles cassées qui jonchent le sol.
Le 30 octobre dernier, j'ai adressé à M. le préfet de l'Oise un courrier dans
lequel je citais des exemples d'exactions commises récemment. Je vous en
livrerai donc quelques extraits
« J'avais saisi votre prédécesseur, il y a deux ans, d'un incident sérieux qui
eut lieu le jour de l'ouverture de la chasse. Plusieurs territoires de chasse -
La Croix-Saint-Ouen, Le Meux, Jaux, Venette - avaient été ratissés par un
commando d'une vingtaine de gitans armés et accompagnés de femmes, d'enfants et
de chiens. A La Croix-Saint-Ouen, trois chasseurs, dont deux maires, ont été
menacés, fusils sur le ventre, lorsqu'ils ont manifesté leur mécontentement. La
gendarmerie, prévenue par un garde, ne s'est pas dérangée.
« Nos amis ont prié de laisser le gibier sur place. Les braconniers ont
ostensiblement mis le gibier dans les voitures en ricanant et en déclarant :
"Les gendarmes n'ont pas le droit d'ouvrir nos voitures, vous irez
chercher les douaniers !" Il y a eu plainte, mais elle est restée sans
suite.
« Cette année, au mois de juillet, à deux reprises, on a volé une voiture de
l'exploitation dans une cour de ferme. La première fois, en plein jour, et à
l'issue d'une chasse au voleur, le gitan cambrioleur » - c'était bien un gitan
- « abandonna la voiture dans une flaque d'eau et s'échappa. Quarante-huit
heures après, mais de nuit cette fois, la même voiture fut volée dans une cour
de ferme et fut retrouvée vingt-quatre heures plus tard.
« Un agriculteur de Lachelle exploite l'une des parcelles qui jouxtent le camp
des "gens du voyage" de Jaux. Régulièrement, la pièce est traversée
en tous sens par des individus qui se complaisent à occasionner des dégâts, en
proférant des menaces si l'on s'interpose.
« Voilà deux semaines, une centaine de caravanes ont envahi une gravière à
Verberie. Le locataire de la chasse de ce plan d'eau n'a pu que constater que
tous les canards avaient été braconnés, comme la société de pêche a pu
constater que la plupart des poissons de l'étang avaient disparu. L'été
dernier, toutes les parcelles en jachère furent « squattées » pendant plusieurs
semaines malgré la réaction des agriculteurs.
« Enfin, dernièrement, sur le territoire de La Croix-Saint-Ouen, un
agriculteur et les employés de la ferme ont été agressés verbalement alors
qu'ils ensemençaient une pièce de blé après maïs. Cette parcelle, située entre
l'Oise et la RN 20, est entourée d'un chemin. Une trentaine de caravanes
installées en bordure de pièce depuis plusieurs semaines avaient causé des
dégâts. Lorsque les ouvriers sont arrivés dans la parcelle, aussi bien les
parents que les enfants les agressèrent verbalement dans des termes que je
n'oserai répéter.
« Monsieur le préfet, trop c'est trop ! » écrirais-je.
Les quelques exemples que je viens de citer pourraient être multipliés par dix
ou par cent, et le climat qui règne dans le proche environnement de Compiègne
est devenu insupportable.
Nous subissons là non pas une grande migration mais plutôt une sédentarisation
impressionnante et croissante. Les incidents sont non plus des épiphénomènes
marginaux ou occasionnels mais des situations permanentes et très
inquiétantes.
Les personnes concernées par ces exactions ont peur de porter plainte, car ces
dernières sont souvent accompagnées de menaces verbales les visant, ainsi que
leur proches : « Si t'insistes, on te fera la peau » ou « Surtout ne laisse pas
traîner tes gosses dehors ! » sont des exemples de menaces proférées.
Quels sont alors les moyens mis à la disposition des communes et des individus
pour éviter non seulement de tels comportements, mais aussi, quand ces derniers
ont lieu, pour y remédier et pour rassurer les habitants ? Comme les
intervenants précédents, je pense qu'une rigueur beaucoup plus grande quant à
l'application des peines est nécessaire, car il est anormal que les auteurs de
ces exactions ne soient pas punis.
Devant de tels agissements, les maires des communes concernées se sentent
démunis et ne savent comment agir pour assurer l'ordre public ou décider d'une
expulsion lorsqu'il y a atteinte à la sécurité ou dégradation.
Sur le plan financier, cela a été dit, les conséquences sont graves et les
indemnisations par les assurances bien rares.
Sur le plan de la sécurité, ne peut-on envisager, dans les départements
fortement concernés par le passage ou par la sédentarisation des gens du
voyage, un renforcement important des effectifs locaux de police et de
gendarmerie ? Dans ma région, compte tenu de la croissance démographique de
l'Oise, comparée à celle de l'Aisne ou de la Somme, et compte tenu de la
proximité de la région parisienne, il conviendrait d'augmenter les effectifs de
policiers de plus d'une centaine de personnes.
M. Philippe Marini.
Tout à fait !
M. Michel Souplet.
Le président du conseil général, M. Jean-François Mancel, a d'ailleurs tout
récemment adressé une pétition à cet égard au ministre de l'intérieur.
L'accueil des gens du voyage pose également problème en termes de coût et de
gestion, je n'y reviens pas, car tout cela a été dit.
Monsieur le secrétaire d'Etat, avec ces quelques remarques, je suis certain
d'être le porte-parole d'une population inquiète, désemparée, parfois
terrorisée. Je souhaitais vous interpeller en prenant des exemples quotidiens
qui sont mal vécus. Il doit être donné aux maires des moyens suffisants
d'intervention, afin d'éviter des réactions violentes de personnes
exaspérées.
Je comprends tout à fait que certains aiment vivre en nomades, et je respecte
leur choix. Il en est d'ailleurs parmi eux qui travaillent et nous avons
l'habitude d'en côtoyer : les vanniers, les rempailleurs de chaises, les
vendeurs de dentelle passent ainsi régulièrement sans jamais créer le moindre
problème. Or, depuis quelques années, bien des choses ont changé : la plupart
de ceux qui conduisent des Mercedes tractant des caravanes de grande valeur
semblent désoeuvrés et agressifs.
Le texte que nous examinons aujourd'hui me convient. Encore faut-il que les
maires puissent agir vite, que les décisions de justice soient rapides et
l'ordre respecté. N'attendons pas, monsieur le secrétaire d'Etat, que l'on
déplore des blessés ou des morts, ou que les gens se fassent justice eux-mêmes
!
Sur l'article unique de la proposition de loi de M. Marini, j'avais envisagé
le dépôt d'un amendement autorisant le maire à solliciter l'intervention
immédiate de la force publique en cas de non-respect de ses arrêtés. Il m'a été
objecté que cet amendement paraissait difficilement acceptable. Soit ! Mais
faisons en sorte que, bien que non écrite, cette possibilité existe
néanmoins.
Dans un Etat de droit, les pouvoirs publics doivent protection aux personnes
et aux biens. L'Etat de droit est aujourd'hui bafoué. Monsieur le secrétaire
d'Etat, pourquoi faire compliqué et lent, alors qu'il faut faire simple et
efficace ?
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Duffour.
M. Michel Duffour.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
l'article 28 de la loi du 31 mai 1990 a institué un schéma départemental
d'accueil des gens du voyage, élaboré par le préfet et le président du conseil
général.
Les communes de plus de 5 000 habitants ont donc l'obligation de réserver des
terrains aménagés afin d'accueillir les gens du voyage qui sont de passage ou
qui y séjournent. En contrepartie de cette obligation, les pouvoirs du maire en
matière d'interdiction de stationnement sur le reste de la commune se trouvent
renforcés.
Or force est de constater que, sept années après la promulgation de cette loi,
la mise en place des schémas départementaux d'accueil, qui s'est faite avec
beaucoup de disparités, accuse un sérieux retard ; en pratique, peu de communes
de plus de 5 000 habitants ont aménagé de tels terrains d'accueil.
Ainsi, un département sur deux se serait doté d'un schéma d'accueil, ce qui
n'est pas acceptable, et seul un petit millier de communes aurait mis des aires
à la disposition des gens du voyage, soit environ dix mille places de
caravanes, alors qu'il en faudrait, au bas mot, soixante mille.
Ces conditions d'accueil insuffisantes sont la première cause, en maints
endroits, des rapports tendus que l'on constate entre la population locale et
les gens du voyage, et elles ne favorisent pas la compréhension réciproque,
même entre gens de bonne volonté, ce qui est fort heureusement le cas le plus
fréquent.
Par ailleurs, compte tenu des difficultés financières que connaissent les
collectivités locales, il est indispensable d'envisager de les aider
financièrement, à la fois pour les inciter à aménager des terrains d'accueil
mais aussi pour que les villes qui respectent la loi de 1990 ne se sentent pas
pénalisées par rapport à celles qui ne le font pas.
L'accueil des gens du voyage soulève des questions très diverses qui ne
trouvent pas, à notre avis, de réponse dans les propositions de loi de MM.
Souvet et Marini non plus que dans les conclusions de la commission des lois.
Par exemple, la scolarisation des enfants des gens du voyage ainsi que
l'activité économique n'y sont pas du tout abordées.
Certes, les dispositions intéressantes élaborées par M. le rapporteur se
veulent rassurantes pour les maires. Elles constituent ainsi un signal fort à
leur intention.
Toutefois, les trois premiers articles du texte ne concernent que les grandes
migrations qui, si elles entraînent des déplacements d'une ampleur
particulière, soulevant ainsi des problèmes spécifiques de stationnement, ne
constituent néanmoins que des déplacements ponctuels.
Or ce sont des déplacements plus réguliers et plus fréquents que les maires
doivent gérer au quotidien. Sur ce sujet, le texte n'apporte pas de réponse
innovante, de notre point de vue.
L'article 4, quant à lui, modifie le fameux article 28 de la loi de 1990 et,
sous prétexte de ne pas retenir un seuil jugé « trop rigide et inadapté », se
révèle nettement moins contraignant que l'ancien article, dont les circulaires
d'application obligeaient les communes concernées à réaliser une aire
d'accueil.
Aussi, cette nouvelle rédaction risque fort de compromettre davantage encore
la mise en place des schémas départementaux ainsi que les initiatives déjà
entreprises par les communes.
L'article 5 ouvre la « possibilité » de créer une commission consultative
départementale des gens du voyage, dont le principe peut nous agréer.
Cependant, s'agissant d'une simple faculté, on peut s'interroger sur sa réelle
effectivité et, partant, sur son utilité. De plus, cette commission n'aura,
semble-t-il, qu'un pouvoir consultatif, alors qu'elle devrait pouvoir faire des
propositions.
Enfin, l'article 6 renforce les moyens du maire en matière d'interdiction de
stationnement et d'expulsion des gens du voyage, ce qui pourrait s'avérer, mes
chers collègues, dangereux à terme. Des excès sont à craindre, car les maires
les moins enclins à l'accueil des gens du voyage - certes, ils sont
minoritaires et transcendent tous les clivages politiques, mais ils existent,
et les descriptions de MM. Louis Boyer et Michel Souplet m'ont semblé, à cet
égard, très inquiétantes - pourront faire un usage systématique des mesures
d'expulsion en urgence.
M. Philippe Marini.
C'est le tribunal qui décide !
M. Michel Duffour.
J'ai bien dit « inquiétantes » ! De toute façon, une critique du sénateur que
je suis ne peut que vous satisfaire : elle vous permettra de montrer à vos
collègues que vous avez été suffisamment excessifs pour pouvoir être critiqués
à cette tribune.
En l'occurrence, il aurait mieux valu être patient et réfléchir à une mise à
plat complète de la législation, afin de fixer les modalités de prise en compte
et de réalisation de conditions de séjour et d'habitat adaptées aux gens du
voyage, en pleine concertation avec les associations qui les représentent.
Il convient d'être d'autant plus vigilant que le sujet est délicat. Il faut se
méfier d'une législation précipitée, qui ne ferait que renforcer le regard
souvent négatif qui est porté sur les nomades, et donc leur exclusion.
Les gens du voyage ne doivent pas se sentir l'objet de dispositions
législatives dérogatoires du droit commun. Leur mobilité est la marque de leur
liberté et de leur mode de vie original. Toutefois, il faut prendre en compte
leur désir d'avoir un point d'attache, de se sédentariser une partie de
l'année. Sur ce dernier aspect, le texte reste muet.
Nous suivrons de très près le débat et la réaction de notre assemblée aux
amendements que propose le Gouvernement. Mais, de toute façon, les sénateurs du
groupe communiste républicain et citoyen ne pourront pas adopter ce texte en
l'état.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain
et citoyen et sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le
stationnement des gens de voyage n'est pas un problème nouveau. Si l'on prend
un département comme le mien, le Val-d'Oise, on constate des arrivées massives
en mai ou en juin liées aux migrations religieuses ou aux différents
pèlerinages des mois de Marie et de Pentecôte, avec les évangélistes et les
pentecôtistes.
A l'automne, la foire de Saint-Martin, à Pontoise, ou la foire de Bezons
attirent de très nombreux forains. La présence de tombeaux au cimetière
d'Ezanville ou dans la région de Magny-en-Vexin et à Gisors, dans un
département voisin, attire de nombreux Tsiganes. Les secteurs choisis par les
gens du voyage sont connus ainsi que le mode de vie des semi-sédentaires, qui
privilégient la sédentarité par rapport aux déplacements fréquents, mais en
associant les deux.
La présence de villes près de zones agricoles fait que leur nombre est
proportionnellement à peu près le double du nombre national. Les effectifs des
gens du voyage se stabilisent et représentent 0,5 % de la communauté nationale,
soit, pour la France, 250 000 à 300 000 personnes. Mais, pour un département de
la grande couronne comme le mien, ce pourcentage atteint 1 % et concerne donc
10 000 personnes, puisque le Val-d'Oise compte un million d'habitants.
Le conseil général du Val-d'Oise et les préfets successifs ne sont pas restés
insensibles aux problèmes posés depuis le vote de votre loi, monsieur le
secrétaire d'Etat. Ils ont beaucoup travaillé et l'élaboration du schéma
départemental pour l'accueil des gens du voyage a été lancée en juillet
1993.
Au début de l'année, cinquante et une des cent quatre-vingts communes que
compte le Val-d'Oise étaient concernées par l'article 28 de la loi Besson.
Seules six d'entre elles ont aménagé une aire de stationnement, représentant
cent soixante places. C'est encore très peu. Une trentaine de projets communaux
sérieux existent. Ils avancent très lentement et nombre de communes, il faut
bien l'avouer, sont plutôt engagées dans la protection de certaines aires
naturelles et non aménagées ou de certaines aires aménagées aux fins de
réalisation de parkings commerciaux ou sportifs.
Autrement dit, malgré une bonne volonté générale, les solutions n'apparaissent
que très lentement. Pourquoi ?
Je ne pense pas que la seule question du financement soit la cause d'un tel
retard. Elle est cependant bien réelle. Pour des études préalables, seul le
secrétariat d'Etat au logement intervient, en prenant 50 % à sa charge ; pour
l'acquisition des terrains, il est aidé par le Fonds d'action sociale et par le
conseil régional.
Les points faibles concernent la prise en charge des réseaux d'assainissement
et des frais de fonctionnement des aires, à laquelle seul le conseil général
participe. Mais d'autres questions se posent.
Tout d'abord, on ne travaille que sur des aires communales réduites, alors que
les gens du voyage souhaitent de plus grandes concentrations, regroupant une
centaine de caravanes, souvent avec un lieu de prière démontable. En effet, la
communauté veut rester soudée. La solution n'est-elle pas dans des aires
régionales plutôt que dans une poussière d'aires locales ? La desserte,
l'assainissement, le confort, les sanitaires, tout en serait facilité.
A propos de la capacité d'accueil de ces aires, je souhaiterais vous lire un
extrait d'une lettre, en date du 7 avril 1997, du maire de Villiers-le-Bel au
préfet du Val-d'Oise : « Plusieurs centaines de caravanes ont investi le parc
des sports et des loisirs dans la nuit du 4 au 5 avril dernier, entraînant
ainsi et déjà des dégradations importantes qui seront loin de s'amoindrir dans
le temps. « Aujourd'hui, ce sont plus de quatre cents caravanes, soit plus de
mille cinq cents personnes, qui y sont installées à différents endroits. »
Le maire décrit les problèmes que pose cette situation et poursuit en
formulant des propositions : « Je m'interroge sur les solutions à apporter à
ces stationnements illicites à répétition au moment où la ville s'est engagée à
réaliser une aire de stationnement, laquelle comptera, de par la loi,
vingt-sept places, alors que quatre cents caravanes se sont introduites sur le
parc des sports et des loisirs, pour la troisième fois. »
M. Philippe Marini.
Eh oui !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Le maire de Villiers-le-Bel termine ainsi : « Cela pose donc une nouvelle fois
la question de la pertinence de la création d'aires communales si elle n'est
pas accompagnée, en parallèle, de la création d'aires de stationnement de
grande envergure. »
Ne décide-t-on pas trop souvent à la place des gens du voyage ou sans eux ? Ne
pas les entendre, c'est ne pas les comprendre, c'est mal choisir, mal organiser
et, en fait, provoquer les tensions.
Ne faut-il pas travailler à un niveau qui ne serait ni exclusivement
départemental ni exclusivement communal, mais plutôt - il reste à définir -
conçu comme lieu de passage, de repos des gens du voyage ?
Enfin, le choix des emplacements qui consiste à rechercher le lieu désert,
éloigné de la vie, est-il le bon ? Ne faut-il pas rechercher pour ces
populations de nouveaux lieux de vie qui n'entraînent ni une intégration
autoritaire ni une exclusion ?
Telles sont, mes chers collègues, monsieur le secrétaire d'Etat, les quelques
questions qui se posent dans un département comme le mien, situé aux portes de
Paris et qui accueille de grandes voies de circulation.
Cela étant, en écoutant les autres intervenants, il m'a semblé comprendre que
ce sont les mêmes questions qui appelaient des réponses dans d'autres
départements, dans d'autres régions. Malheureusement, je ne suis pas persuadée,
monsieur le rapporteur, que vous apportiez aujourd'hui ces réponses au travers
des propositions que vous faites.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen
et sur les travées socialistes.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Article 1er
M. le président.
« Art. 1er. _ Le schéma national d'accueil des gens du voyage définit les
conditions d'accueil des gens du voyage dans le cadre des grandes migrations
traditionnelles.
« Dans le respect des orientations de la politique nationale d'aménagement et
de développement du territoire, le schéma national fixe la liste des terrains
susceptibles d'être utilisés à cette fin et prévoit les aménagements
nécessaires qui devront être réalisés sur ces terrains.
« Le Conseil national de l'aménagement et du développement du territoire créé
par la loi n° 95-115 du 4 février 1995 d'orientation pour l'aménagement et le
développement du territoire et la commission nationale consultative des gens du
voyage sont associés à l'élaboration du projet de schéma national d'accueil des
gens du voyage. Ils donnent leur avis sur ce projet. »
Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion
commune.
Par amendement n° 10, le Gouvernement propose de supprimer cet article.
Par amendement n° 3 rectifié, M. Peyronnet et les membres du groupe socialiste
et apparentés proposent de rédiger comme suit cet article :
« Le premier alinéa de l'article 28 de la loi n° 90-449 du 31 mai 1990 visant
à la mise en oeuvre du droit au logement est ainsi rédigé :
« Un schéma départemental prévoit les conditions d'accueil spécifiques des
gens du voyage, en ce qui concerne le passage et le séjour, en y incluant,
notamment, les conditions de stationnement de longue ou de courte durée sur des
terrains publics ou privés ainsi que les conditions relatives à la
scolarisation des enfants et à l'exercice d'activités économiques. Le schéma
départemental prend en compte l'intégration dans la commune, l'environnement
naturel et la proximité des équipements publics. Il prévoit, en outre, les
conditions de l'accueil des grands rassemblements. Il est élaboré conjointement
par l'Etat et le conseil général dans le délai de dix-huit mois à compter de la
promulgation de la loi n° du relative aux conditions de séjour et
de stationnement des gens du voyage. Il est créé un répertoire national
d'accueil des gens du voyage constitué à partir de la synthèse des schémas
départementaux. Celui-ci est publié par le Gouvernement, qui en vérifie la
cohérence après consultation de la Commission nationale des gens du voyage.
»
La parole est à M. le secrétaire d'Etat, pour présenter l'amendement n° 10.
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat.
Nombreux sont ceux qui, dans la discussion générale,
ont surtout apporté des témoignages. Je leur en donne acte et leur donne
l'assurance que les éléments qu'ils ont produits devant la Haute Assemblée
seront autant de pièces qui s'ajouteront au dossier que nous constituons dans
notre démarche concertée avec les grandes associations nationales, de manière à
prendre en compte d'autres préoccupations que celles qui font l'objet de la
présente proposition de loi. M. le rapporteur l'a dit avec raison tout à
l'heure, cette proposition de loi n'a pas la prétention de résoudre tous les
problèmes posés, même si, en l'état, le Gouvernement souhaite, effectivement,
l'amender.
Ce qui ressort avant tout de la discussion générale, c'est que, trop souvent,
la loi est violée, et personne, au Gouvernement, ne peut accepter que des
situations illégales perdurent.
La difficulté tient au fait que ces violations de la loi, ou en tout cas sa
non-application, incombent non seulement aux gens du voyage mais également à
nombre de collectivités qui n'ont pas encore accepté d'appliquer la loi.
Comment voulez-vous que les pouvoirs publics aient l'autorité suffisante pour
faire respecter la loi dans la mesure où d'autres autorités publiques ne
l'appliquent pas ?
Plusieurs orateurs ont rappelé que, sept ans après la mise en oeuvre de la loi
de 1990, seul un département sur deux s'était doté d'un schéma départemental en
aires d'accueil de gens du voyage. Quant à M. Eckenspieller, il a souligné que
moins de 30 % des communes soumises à cette obligation la satisfaisaient.
Il est, dès lors, inéluctable qu'il y ait des tensions, et les choses se
passent bien comme on les a présentées : bien souvent, les gens du voyage, à
défaut d'aire d'accueil, usont du droit constitutionnel que constitue la
liberté d'aller et de venir, utilisent le rapport de forces que leur donne le
nombre pour créer une situation face à laquelle les pouvoirs de police sont
démunis.
Il faut sortir de ce cercle vicieux, où toutes les conditions sont
effectivement réunies pour déboucher sur des blocages, des affrontements, des
tensions. Nous ne devons pas avaliser les causes de ces tensions.
La présente proposition de loi peut donc être interprétée comme un signe de
bonne volonté incitant déjà à appliquer davantage le texte existant, dont je
suis le premier à reconnaître l'insuffisance.
M. le rapporteur a rappelé que l'article 28 de la loi du 31 mai 1990 avait été
adopté sans mon approbation. Ce n'est pas que je niais la réalité du problème,
mais ladite loi était relative au droit au logement et n'avait donc pas
vocation à cibler un public particulier, automatiquement considéré comme
défavorisé. D'ailleurs, la description de certains véhicules ou de certaines
attelages montre bien que nous n'avons pas seulement affaire à des populations
défavorisées !
Par conséquent, c'est seulement le refus d'assimiler ces populations à des
populations défavorisées qui avait conduit le Gouvernement à s'opposer à
l'adoption de l'amendement qui est devenu l'article 28 de la loi de 1990.
Il faut dire aussi qu'à l'époque M. le préfet Delamon, qui avait été chargé
d'une mission, devait produire des conclusions dont on espérait pouvoir tirer
l'essence même d'un vrai projet de loi pouvant couvrir l'ensemble des problèmes
posés. Or cette mission n'a pas eu de suite positive.
Cela étant, avec un peu de recul, il m'apparaît que l'article 28 de la loi de
1990, malgré ses insuffisances, a déjà permis de faire bouger un peu les
choses.
Il faut, bien sûr, aller au-delà, et je souhaite que nous puissions, ensemble,
amender quelque peu ce texte auquel vous avez consacré beaucoup de travail, de
manière que, dans une étape nouvelle, soit affirmé davantage, dans l'esprit de
l'article 28 de la loi de 1990, l'objectif qui consiste à disposer, dans le
plus grand nombre possible de collectivités, d'aires d'accueil à l'échelle des
besoins des populations concernées.
Chacun est en effet conscient, quelles que soient les appréciations qu'il peut
porter sur le mode de vie choisi par les personnes en cause, que leur liberté
de conserver ce mode de vie doit être respectée et qu'en tout état de cause il
ne saurait y avoir de solution de force à des problèmes collectifs. C'est grâce
à la concertation qu'il nous faut trouver le dispositif le plus approprié et, à
partir de là, nous mobiliser pour progresser ensemble.
J'en viens à l'article 1er et à l'amendement du Gouvernement.
Sur d'autres dispositions, vous le verrez, le Gouvernement s'exprimera
positivement ; mais tel ne pourra pas être le cas sur l'article 1er. En effet,
il ne nous paraît pas possible de prévoir un schéma national de gestion des
grandes migrations. L'échelon national est trop éloigné des réalités locales.
De plus, on ne peut enfermer les grandes migrations dans des itinéraires
obligatoires que devraient emprunter toutes les populations concernées.
A nos yeux, le niveau départemental est le plus approprié, même si, bien
évidemment, dans certains secteurs, des harmonisations régionales sont sans
doute nécessaires. Retenir le niveau national entraînerait beaucoup de
rigidités et ne correspondrait pas à l'esprit qui doit prévaloir pour que
puissent aboutir les solutions que nous souhaitons.
C'est la raison pour laquelle nous avons déposé un amendement de
suppression.
M. le président.
La parole est à M. Peyronnet, pour défendre l'amendement n° 3 rectifié.
M. Jean-Claude Peyronnet.
J'ai dit l'essentiel dans mon intervention liminaire.
L'article 1er vise les grandes migrations, qui ne me parraissent pas être à
proprement parler du ressort de l'aménagement du territoire, même s'il s'agit
de prévoir des aires d'accueil.
Par ailleurs, comme M. le secrétaire d'Etat, j'estime que le niveau national
n'est pas le niveau approprié.
En outre les propos de Mme Beaudeau ont conforté mon sentiment qu'il faut
avoir une vue extrêmement précise du terrain. En effet, si, dans son
département, il y a une forte demande de grandes unités - entendez pour des
sédentaires et semi-sédentaires et non pour des grandes migrations - dans le
mien, par exemple, la demande constante est celle de petites unités de quinze à
vingt personnes.
Dans ma proposition, la synthèse des schémas départementaux constituerait le
schéma national après avis de la commission nationale consultative. Quant à la
création d'un répertoire national des gens du voyage, elle rejoint les
préoccupations de la commission des lois. Enfin, dernière amélioration, nous
fixons un délai de dix-huit mois pour l'élaboration de ces schémas.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s 10 et 3 rectifié ?
M. Jean-Paul Delevoye,
rapporteur.
Sur un plan général, nous sommes tous frappés par le
déséquilibre, visible sur le terrain, qui existe entre des nomades qu'il ne
faut pas rendre prisonniers d'habitudes contraires à leurs traditions, des
populations prisonnières du fait du non-respect de la loi et des élus
prisonniers de situations devant lesquelles ils se sentent isolés, voire
impuissants.
A écouter les différents intervenants, et notamment Mme Beaudeau, il m'est
apparu avec encore plus de force que s'imposaient des schémas départementaux,
élaborés sur le plan local, qui prennent en compte les besoins exprimés par la
population tsigane et qui leur apportent une réponse réellement adaptée. Ainsi,
dans certains départements, il conviendra de mettre en place de petites aires ;
dans d'autres, il faudra peut-être prévoir des aires un peu plus importantes,
dont la localisation dépendra non pas de l'histoire ou de la géographie, mais
du souhait des Tsiganes d'y trouver un juste épanouissement.
M. Peyronnet s'est posé la question de savoir s'il fallait une loi nouvelle.
Voyons la situation sur le terrain. Elle est très préoccupante. On a
l'impression - bien que m'exprimant à titre personnel, je crois traduire le
sentiment d'un grand nombre de maires - que le socle républicain, le « vivre
ensemble », est aujourd'hui en train de se fissurer et que, paradoxalement,
c'est peut-être ceux qui ne respectent pas les valeurs républicaines qui
semblent être les « gagnants », que le vice est parfois mieux récompensé que la
vertu.
Si l'on entre dans cette spirale, on s'aperçoit très vite que la loi se fait
dans la rue et non pas devant les tribunaux. M. le secrétaire d'Etat vient de
le dire, comme un certain nombre de maires ne satisfont pas aux obligations,
laissant à d'autres le soin de le faire, les déséquilibres s'imbriquent les uns
les autres et l'on en arrive à des situations explosives, ou proches de
l'explosion.
Un Etat qui ne fixe pas les règles du jeu, que ce soit par voie réglementaire
ou par voie législative, en établissant très clairement la responsabilité des
uns et des autres, c'est comme un match de football sans arbitre. Je ne suis
pas persuadé que le seul esprit sportif empêche longtemps les matches de finir
en bataille de rue !
A un moment donné, il faut une règle, un arbitre, des responsabilités
respectives bien définies, de manière à obtenir un juste équilibre entre
prévention et traitement, entre insertion et sanction, entre droits et
devoirs.
Aujourd'hui, probablement parce que l'on a peut-être un peu négligé cet
équilibre en ne chargeant qu'un seul plateau de la balance, on se retrouve dans
des situations qui nous imposent de prendre les problèmes à bras-le-corps.
Par ailleurs, lorsqu'une loi est votée, comment se fait-il que les délais
d'application ne soient jamais respectés ? Je pourrais vous citer des dizaines
d'exemples de loi qui, dix ou quinze ans après, ne sont toujours pas entrées en
vigueur. A quoi sert alors le législateur ? A quoi sert celui qui doit
appliquer la loi ?
Je dirai à Mme Beaudeau que la commission consultative a justement pour
vocation d'associer la totalité des personnes concernées, les Tsiganes, les
élus, les préfets, les polices, les juges, dans une réflexion commune pour
étudier comment on peut répondre aux besoins exprimés par une offre en termes
d'aires d'accueil, mais aussi de responsabilisation. Les élus font des efforts
et, quarante-huit heures après l'inauguration des aménagements, tout est
saccagé. L'argent public mérite d'être respecté, surtout lorsqu'il a été
consacré à des structures qui sont saccagées par ceux-là mêmes auxquels elles
sont destinées.
Monsieur le secrétaire d'Etat, c'est la raison pour laquelle j'affirme que le
besoin se fait sentir d'un engagement fort de la part de l'Etat.
Vous avez cru entendre le cri de détresse des élus. Il me semble que si
l'Etat, avec raison, interpelle les élus en leur demandant pourquoi ils ne
remplissent pas les obligations qui sont prévues par la loi, il faut aussi
qu'il accepte d'entendre les maires qui demandent, en contrepartie de leur
engagement, quelle garantie les pouvoirs publics peuvent donner qu'ils feront
respecter la loi sur des terrains qui ne sont pas prévus pour engendrer
l'illégalité.
Cette suspision, cette méfiance des élus est une réalité. Ils redoutent, s'il
entreprennent une action, de ne pas être suivis par la justice et par les
forces publiques.
Il y a également suspicion de la part des nomades, qui pensent que, s'ils ne
s'installent pas de force dans une localité, parce qu'ils en ont besoin pour un
problème familial, une fête ou un pèlerinage, les élus locaux et l'Etat ne leur
offriront pas les aires dont ils estiment avoir besoin.
Ce climat de méfiance est aujourd'hui en train de monter dans notre pays ; il
met à mal notre système démocratique et notre pacte républicain.
A cet égard, notre proposition de loi n'a qu'une seule qualité, la modestie.
Je crois qu'ajourd'hui il faut se montrer modeste et, à l'évidence, il faut
afficher clairement des objectifs. Quelle que soit la qualité d'une loi, son
efficacité sur le terrain dépend de la volonté de ceux qui ont la
responsabilité de l'appliquer, les élus.
Monsieur le secrétaire d'Etat, telle est la raison pour laquelle l'implication
de l'Etat dans l'élaboration d'un schéma national est nécessaire. A partir du
moment où les grands pèlerinages sont prévisibles, il importe de négocier. Tous
les ans, d'ailleurs, le ministère de la défense et le ministère de l'intérieur
négocient avec les gens du voyage, avant les grands pèlerinages, pour savoir
sur quel aérodrome, sur quelle base militaire, sur quelle caserne ils pourront
s'installer pour faire étape.
Pourquoi l'Etat s'implique-t-il dans les grands événements internationaux
uniquement lorsqu'il s'agit d'événements sportifs ou d'événements mobilisant la
jeunesse ? Pourquoi ne pas permettre aux élus de s'en remettre à l'appareil de
l'Etat, de sorte que la population accepterait l'implantation de ces grands
pèlerinages ?
Comment ne pas comprendre l'attitude des maires des communes de 1 500
habitants confrontés à l'arrivée de 40 000 personnes ? Il est évident que la
réponse n'appartient ni à l'échelon communal ni à l'échelon départemental, mais
à la coordination de toute la puissance de l'Etat. Elle seule peut apporter aux
nomades, à la population et aux élus la garantie que les choses se passeront
bien.
C'est la raison pour laquelle ce signe, qui est inséparable de l'obligation
pour l'Etat de participer aux grandes migrations, doit aussi être accompagné
par la volonté et l'obligation pour les élus locaux de s'impliquer dans les
schémas départementaux. Ils sont en droit d'attendre que l'Etat poursuive sa
réflexion quant aux politiques d'insertion, de scolarisation, de santé,
d'accompagnement de la sédentarisation, notamment sous l'angle du logement. La
responsabilisation des uns et des autres devrait déboucher sur une loi
équilibrée, juste et efficace.
C'est pourquoi la commission est défavorable à ces amendements.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 3 rectifié ?
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat.
Tout en préférant son propre amendement, le
Gouvernement considère toutefois que l'amendement n° 3 rectifié est plus proche
de ses préoccupations que le texte initial de la commission.
M. le rapporteur vient de lancer un appel au Gouvernement pour qu'il se sente
impliqué. En cette matière, il me semble que l'implication de l'Etat doit se
traduire plutôt par une directive que par un schéma national.
En effet, si nous connaissons l'aboutissement de ce genre de migrations, le
lieu du rassemblement, nous ne pouvons pas connaître d'une manière précise les
itinéraires. Même s'il y a des habitudes, elles peuvent subir des
modifications. Si nous figions les choses, nous en viendrions à assigner un
itinéraire. Il me semble que, constitutionnellement, cela poserait quelques
problèmes face au principe de la liberté de circulation.
M. Philippe de Gaulle.
Et celle des citoyens ?
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat.
S'il s'agit d'une directive, l'approche est
différente. Je crois m'être fait comprendre, je l'espère en tout cas.
C'est pourquoi je m'en remettrai à la sagesse du Sénat sur l'amendement n° 3
rectifié.
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 10, repoussé par la commission.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 3 rectifié, repoussé par la commission et
pour lequel le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 1er.
(L'article 1er est adopté.)
Article 2
M. le président.
« Art. 2. _ Les directives territoriales d'aménagement mentionnées à l'article
L. 111-1-1 du code de l'urbanisme lorsqu'elles précisent les objectifs de
l'Etat en matière de localisation des terrains d'accueil des gens du voyage
dans le cadre des grandes migrations traditionnelles prennent en compte les
orientations du schéma national prévu à l'article premier. »
Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 4 est présenté par M. Peyronnet et les membres du groupe
socialiste et apparentés.
L'amendement n° 11 est déposé par le Gouvernement.
Tous deux tendent à supprimer cet article.
La parole est à M. Peyronnet, pour défendre l'amendement n° 4.
M. Jean-Claude Peyronnet.
Il s'agissait d'un amendement de coordination. Je le retire.
M. le président.
L'amendement n° 4 est retiré.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat, pour présenter l'amendement n° 11.
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat.
La loi de février 1995, qui fait référence aux
directives territoriales d'aménagement, n'a pas prévu que l'ensemble du
territoire serait couvert par des directives territoriales d'aménagement.
Il est donc fait référence à un document qui, en tout état de cause, ne
couvrira pas l'ensemble de l'Hexagone.
C'est pourquoi le Gouvernement propose de supprimer l'article 2.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission sur l'amendement n° 11 ?
M. Jean-Paul Delevoye,
rapporteur.
Les directives territoriales sont non pas une obligation mais
une adaptation à des situations locales ; nous sommes donc tout à fait
défavorables à cet amendement.
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 11, repoussé par la commission.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 2.
(L'article 2 est adopté.)
Article 3
M. le président.
« Art. 3. _ Il est inséré dans le chapitre V du titre Ier du livre II de la
deuxième partie du code général des collectivités territoriales un article L.
2215-1-1 ainsi rédigé :
«
Art. L. 2215-1-1
. _ Dans le cadre des pouvoirs qui lui sont reconnus
par l'article L. 2215-1, le représentant de l'Etat dans le département peut
prendre, conformément aux orientations fixées par le schéma national d'accueil
des gens du voyage prévu à l'article premier de la loi n° du relative au
stationnement des gens du voyage, les mesures nécessaires à une répartition
équilibrée des gens du voyage sur les terrains situés dans le département et
inscrits au schéma national. »
Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 5 est présenté par M. Peyronnet et les membres du groupe
socialiste et apparentés.
L'amendement n° 12 est déposé par le Gouvernement.
Tous deux tendent à supprimer cet article.
La parole est à M. Peyronnet, pour défendre l'amendement n° 5.
M. Jean-Claude Peyronnet.
Cet amendement a sa légitimité dans la mesure où la fin de l'article 3 fait
référence à une répartition « équilibrée des gens du voyage sur les terrains
situés dans le département et inscrits au schéma national ».
Cette présentation est désagréable, je l'ai déjà dit dans la discussion
générale. En outre, elle me semble totalement inefficace. En effet, je ne crois
pas, sauf à disposer d'un fichier national des personnes et des familles,
qu'elle soit opérante, parce que les personnes concernées souhaitent se
regrouper, s'installer auprès de certains voisins et pas auprès d'autres. Ce
sont des familles qui ont de grandes amitiés mais aussi de grandes inimitiés et
je crains que, de ce point de vue, l'intervention autoritaire d'un préfet
n'entraîne des illusions, et peut-être des troubles.
C'est la raison pour laquelle j'ai déposé cet amendement, tendant à supprimer
l'article 3.
M. le président.
La parole est M. le secrétaire d'Etat, pour défendre l'amendement n° 12.
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat.
Cet amendement a également pour objet de supprimer
l'article 3. En effet, la répartition équilibrée qui est proposée se heurtera à
bien des difficultés et aura toujours une tonalité quelque peu surréaliste.
En tout cas, avant que le préfet puisse éventuellement aider à une certaine
répartition, il faut d'abord que le nombre d'aires d'accueil et de places mises
à disposition soit suffisant. Or ce texte intervient avant que l'on ait cette
assurance. Sa faisabilité et sa crédibilité s'en trouvent donc, me semble-t-il,
réduites.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission sur les amendements identiques n°s 5 et 12
?
M. Jean-Paul Delevoye,
rapporteur.
On a oublié l'esprit de la loi telle que nous la proposons,
me semble-t-il ! En effet, il est clair qu'une réflexion devra être conduite
sur les déplacements et que la concertation devra être permanente entre les
gens du voyage et les représentants de l'Etat, afin de déterminer les aires
d'accueil les plus appropriées pour pouvoir accompagner les intéressés jusqu'au
terme de leur lieu de pèlerinage.
En conséquence, chaque article doit être examiné non pas de façon
indépendante, mais à la lumière de l'architecture globale de la proposition de
loi. Il est évident qu'à partir du moment où la concertation sera efficace et
la plus complète possible, toutes les mesures qui seront prises de façon
préventive éviteront les situations de crise
a posteriori.
Lorque nous parlons d'équilibre, il s'agit de l'équilibre entre les besoins et
la demande. A partir du moment où des personnes sont unies par des liens très
forts et où les représentants de l'Etat estimeront qu'il est nécessaire de
maintenir ces entités familiales, il leur appartiendra, à l'occasion de ces
grands pèlerinages, de leur offrir des aires de stationnement. En cas
d'inimitiés, il vaudra mieux le savoir avant qu'après !
Une fois les aires adaptées aux différentes situations culturelles et
ethniques, la logique veut que le préfet prenne toutes les mesures nécessaires
en matière de police, en matière sanitaire, en matière de traitement des
ordures ménagères pour que ces étapes soient le mieux possible perçues par la
population et créent le moins de nuisances possible.
C'est la raison pour laquelle la proposition de la commission des lois nous
paraît logique, cohérente, efficace et respectueuse des obligations et
traditions des uns et des autres.
La commission est défavorable aux amendements de suppression.
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix les amendements identiques n°s 5 et 12, repoussés par la
commission.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 3.
(L'article 3 est adopté.)
Article 4
M. le président.
« Art. 4. _ Les deux derniers alinéas de l'article 28 de la loi n° 90-449 du
31 mai 1990 visant à la mise en oeuvre du droit au logement sont
ainsirédigés:
« Les communes et leurs groupements concourent à la mise en oeuvre du schéma
départemental par la réservation, en fonction des orientations fixées par
celui-ci, de terrains aménagés en vue du passage et du séjour des gens du
voyage.
« Une convention conclue entre l'Etat, le département, la commune d'accueil et
la région, ainsi que, le cas échéant, un établissement public de coopération
intercommunale compétent et tout autre organisme public définit les modalités
d'aménagement de l'aire et de prise en charge des dépenses qui en résultent.
»
Par amendement n° 6, M. Peyronnet et les membres du groupe socialiste et
apparentés proposent de rédiger comme suit cet article :
« L'article 28 de la loi n° 90-949 du 21 mai 1990, visant à la mise en oeuvre
du droit au logement est ainsi modifié :
« I. - Le deuxième alinéa de cet article est ainsi rédigé :
« Tout commune de plus de 5 000 habitants prévoit les conditions de passage et
de séjour des gens du voyage sur son territoire par la réservation,
l'aménagement et la gestion de terrains destinés à cet accueil. Toutefois,
plusieurs communes membres d'un établissement public de coopération
intercommunale peuvent charger cet établissement public de réaliser un terrain
d'accueil commun. »
« II. - Cet article est complété par les deux alinéas suivants :
« Les aires d'accueil prévues à l'alinéa précédent sont réalisées dans un
délai de cinq ans à compter de la publication de la loi n° du relative
aux conditions de stationnement des gens du voyage.
« Une convention conclue entre l'Etat, la région, le département et la commune
d'accueil, ainsi que le cas échéant, un établissement public de coopération
intercommunale compétent et tout autre organisme public définit les modalités
d'aménagement des terrains ou des aires et conditionne la prise en charge des
dépenses qui en résultent. »
Cet amendement est assorti d'un sous-amendement n° 13, présenté par le
Gouvernement, et visant, à la fin de la seconde phrase du texte proposé par le
I de l'amendement n° 6 pour le deuxième alinéa de l'article 28 de la loi du 21
mai 1990 à remplacer les mots : « peuvent charger cet établissement public de
réaliser un terrain d'accueil commun », par les mots : « peuvent charger cet
établissement public de cette obligation ».
Par amendement n° 1, M. Souvet propose, après les mots : « modalités
d'aménagement de l'aire », de rédiger comme suit la fin du second alinéa du
texte présenté par l'article 4 pour remplacer les deux derniers alinéas de
l'article 28 de la loi n° 90-449 du 31 mai 1990 visant à la mise en oeuvre du
droit au logement : « ainsi que les conditions de prise en charge des dépenses
qui en résultent par les parties à la convention et par les utilisateurs ».
La parole est à M. Peyronnet, pour défendre l'amendement n° 6.
M. Jean-Claude Peyronnet.
Il s'agit de réintroduire les dispositions principales de l'article 28 de la
loi du 31 mai 1990, à savoir l'obligation de création d'aires d'accueil dans
les communes de 5 000 habitants. J'ai entendu d'ailleurs que, même parmi ceux
qui sont favorables à la proposition de loi, certains s'interrogeaient sur la
suppression de ce seuil. Je crois qu'il est préférable malgré tout de maintenir
cette contrainte.
L'amendement prévoit par ailleurs d'étendre la possibilité d'intervenir dans
ce domaine aux établissements publics de coopération intercommunale.
Il fixe également un délai de cinq ans, qui n'existait pas et qui est assez
long, pour la réalisation obligatoire des aires. Je crois qu'il est
indispensable de fixer des délais.
J'ajoute - je l'ai dit dans mon intervention lors de la discussion générale -
que c'est sans doute insuffisant malgré tout et qu'il faudrait des
contraintes.
Monsieur le rapporteur, vous présentez les choses de façon un peu idyllique.
Dans une construction intellectuelle, un tel dispositif fonctionne bien ; je ne
suis pas sûr que, sur le terrain, il en soit de même.
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat, pour défendre le sous-amendement n°
13.
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat.
Le Gouvernement appréhende quelque peu un aspect du
texte présenté qui pourrait donner à penser que, si les communes s'associent et
chargent une structure de coopération de réaliser une aire d'accueil,
l'obligation légale serait satisfaite. Si une seule aire d'accueil était créée
sur le territoire d'un groupement de communes pouvant regrouper jusqu'à
plusieurs centaines de milliers d'habitants, je crois qu'elle serait absolument
ingérable tant sa dimension serait importante.
Le Gouvernement souhaite donc qu'il soit inscrit dans la loi que cet
établissement public peut être chargé de cette obligation, et non qu'il
pourrait être chargé « de réaliser un terrain d'accueil commun ». Il prendrait
alors les dispositions permettant de satisfaire au mieux l'obligation
légale.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission sur le sous-amendement n° 13 ?
M. Jean-Paul Delevoye,
rapporteur.
Défavorable.
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix le sous-amendement n° 13, repoussé par la commission.
(Le sous-amendement n'est pas adopté.)
M. le président.
La parole est à M. Souvet, pour présenter l'amendement n° 1.
M. Louis Souvet.
Il paraît nécessaire de faire clairement ressortir dans le texte de la
convention, qui doit notamment fixer les modalités de prise en charge de l'aire
d'accueil, que les dépenses pourront être couvertes non seulement par les
parties à la convention, mais aussi, conformément à la pratique actuelle, par
les utilisateurs eux-mêmes.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s 6 et 1 ?
M. Jean-Paul Delevoye,
rapporteur.
Je voudrais rassurer M. Peyronnet : je ne nourris pas
d'illusions. En revanche, je cultive quelquefois l'utopie, le rêve nous
permettant d'envisager des quotidiens un peu difficiles !
M. Jean-Claude Peyronnet.
Voyagez !
(Sourires.)
M. Jean-Paul Delevoye,
rapporteur.
Je rappelle simplement les propos que je tenais et que
soutenait M. le secrétaire d'Etat : le système fonctionne dans certains
endroits et pas dans d'autres ; il fonctionne quand on a réuni autour d'une
table les nomades, les élus, les représentants de l'Etat et quelquefois les
professionnels, ce que j'appelle l'ingénierie. Seule une telle rencontre permet
de bien répondre aux besoins des uns et des autres.
La commission n'est pas favorable à l'amendement n° 6, qui maintient le seuil
de 5 000 habitants, parce que le bilan dressé aujourd'hui prouve que ce seuil
n'est pas du tout adapté.
Quant à l'approche intercommunale, elle nous paraît opportune.
Je rappelle que notre texte maintient l'obligation pour toutes les communes de
concourir à la réalisation d'aires d'accueil et que c'est la réalisation de ces
aires qui permettra de définir des aires d'interdiction.
Imposer un seuil de 5 000 habitants revient à aller à l'encontre de ce que
disait Mme Beaudeau tout à l'heure. Cela implique que les nomades doivent non
pas respecter leurs traditions et épouser les chemins que l'histoire ou la
géographie leur ont tracés, mais choisir les villes de 5 000 habitants. Il
convient au contraire de réfléchir au périmètre départemental, d'adapter la
localisation des aires en fonction des besoins et des traditions de déplacement
des gens du voyage.
C'est la raison pour laquelle la commission n'est pas favorable à l'amendement
n° 6.
Avec l'amendement n° 1, M. Souvet pose un principe tout à fait important et
tout à fait équitable.
L'une des clés de la réussite des expériences que nous avons pu analyser
réside dans la dimension adaptée des aires - petite le plus souvent - dans le
gardiennage, assuré par des personnes de même ethnie, dans l'accompagnement
social, la scolarisation, et dans un contact permanent.
Une autre clé de la réussite, c'est le paiement d'une redevance par les
utilisateurs. Quand cette obligation est associée au gardiennage et à
l'accompagnement social, elle ne souffre pas de difficulté et elle contribue à
la réussite ; elle est même à la source d'une relative pérennité dans les
intallations.
La commission souhaiterait cependant le retrait de cet amendement, parce qu'il
appartient à chacun de fixer la participation des uns et des autres en fonction
des situations locales.
La commission soutient totalement le principe du paiement de l'utilisateur des
aires d'accueil, mais elle souhaiterait que l'application en soit décidée au
niveau local et ne soit pas fixée dans la loi.
M. le président.
Monsieur Souvet, maintenez-vous votre amendement ?
M. Louis Souvet.
Le fait que cela soit prévu dans la convention ne gêne en rien la négociation,
monsieur le rapporteur !
Cela dit, je retire l'amendement, pour être agréable à la commission.
M. le président.
L'amendement n° 1 est retiré.
Quel est l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 6 ?
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat.
Monsieur le président, si j'ai bien compris,
l'amendement n° 6 ne pourra pas plus « prospérer » que le sous-amendement du
Gouvernement. Je donne néanmoins mon opinion sur ce texte, pour être
constructif.
Il me semble que, si le Sénat voulait adopter l'article 4, il conviendrait
qu'il retienne l'un des aspects de l'amendement de M. Peyronnet, qui me semble
important : le délai de cinq ans.
Si M. le rapporteur ne voyait pas d'objection à intégrer ce délai dans le
texte de la commission, nous ferions un pas en avant dans la solution des
problèmes posés par l'accueil des gens du voyage.
M. le président.
Monsieur le rapporteur, accédez-vous à la demande de M. le secrétaire d'Etat
?
M. Jean-Paul Delevoye,
rapporteur.
Votre proposition, monsieur le secrétaire d'Etat, pourrait
être acceptée car elle est intéressante, d'autant que vous avez fait part de
votre volonté de concertation.
L'ensemble des parties prenantes pourraient accepter une contrainte de délai,
mais seulement à partir du moment où les différents intervenants auraient pris
un engagement précis. Ainsi pourrions-nous, dès à présent, entamer une
réflexion avec la justice, la police, la gendarmerie, l'Etat, de façon à
pouvoir concilier les points de vue.
Selon moi, il serait inéquitable d'imposer un délai de cinq ans aux
collectivités locales sans que la population tsigane et l'Etat aient pris des
engagements sur les responsabilités respectives de chacun. En revanche, à
partir du moment où les parties seront directement concernées, il sera alors
possible de prévoir un délai de cinq ans.
Je réaffirme, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'il serait plus opportun,
aujourd'hui, de s'appuyer sur la volonté de concertation exprimée par le
Gouvernement et de nous y impliquer plutôt que de prévoir un délai précis de
réalisation.
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat.
Je pense, pour ma part, que l'avis de la commission,
tel qu'il vient d'être exprimé, n'est pas défavorable à la notion de délai.
J'ai simplement retenu qu'elle souhaitait que, préalablement, je réponde à
l'invitation d'engager une concertation.
Bien sûr, je ne puis dans l'immédiat donner une réponse à une question qui n'a
pas été posée à mes collègues du Gouvernement, mais je peux prendre
l'engagement, dans l'esprit de toutes mes interventions depuis le début de
cette séance, monsieur le rapporteur, que je proposerai à mes collègues
concernés de constituer ensemble un groupe de travail interministériel, dans
lequel nous pourrions associer, outre les ministères que vous avez indiqués,
éventuellement des représentants non seulement du Sénat et de l'Assemblée
nationale, mais aussi de l'Association des maires de France, de l'Association
des présidents de conseils généraux et des associations d'usagers concernés.
En effet, si l'on veut que tout le monde se responsabilise, il faut que tout
le monde participe à la réflexion à laquelle vous nous conviez, monsieur le
rapporteur.
M. Jean-Paul Delevoye,
rapporteur.
Tout à fait !
M. le président.
La commission modifie-t-elle sa position, monsieur le rapporteur ?
M. Jean-Paul Delevoye,
rapporteur.
Monsieur le président, la fixation d'un délai ne saurait pour
nous être que postérieure à la concertation et non pas préalable.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 6.
M. Jean-Claude Peyronnet.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Peyronnet.
M. Jean-Claude Peyronnet.
Tout d'abord, s'agissant du seuil de 5 000 habitants, je maintiens qu'il
s'agit d'une contrainte et que, sans contrainte légale, il ne se passe rien ou
pas grand-chose.
Par ailleurs, je crains que le rassemblement de communes, quelle que soit leur
taille, dans un cadre intercommunal ne risque de cantonner les nomades dans les
zones ultra-périphériques, ce qui aurait pour effet d'accentuer l'exclusion.
Il faudrait de plus qu'ils acceptent d'y séjourner, ce qui ne serait
vraisemblablement pas le cas. Le problème ne serait donc pas résolu, parce
qu'ils s'installeraient de façon sauvage au coeur des villes ou, en tout cas, à
proximité des agglomérations.
Je maintiens donc mon amendement.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 6, repoussé par la commission.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 4.
(L'article 4 est adopté.)
Article 5
M. le président.
« Art. 5. _ Il peut être créé une commission consultative départementale des
gens du voyage chargée d'évaluer les conditions d'application dans le
département du schéma national défini à l'article premier et du schéma
départemental prévu à l'article 28 de la loi n° 90-449 du 31 mai 1990
précitée.
« La commission consultative établit chaque année un bilan d'application
desdits schémas. Elle peut désigner en son sein un médiateur chargé d'examiner
les difficultés rencontrées dans la mise en oeuvre de ces schémas et de
formuler des propositions de règlement de ces difficultés. Le médiateur rend
compte à la commission de sesactivités.
« La commission consultative est coprésidée par le représentant de l'Etat dans
le département et par le président du conseil général. Elle comprend, en outre,
dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat, des représentants de
la région, des représentants des communes et de leurs groupements, des
représentants des services de l'Etat, des représentants des gens du voyage et
des personnalités qualifiées. »
Par amendement n° 7, M. Peyronnet et les membres du groupe socialiste et
apparentés proposent de rédiger comme suit cet article :
« Il peut être créé une commission consultative départementale des gens du
voyage. Cette commission est chargée de donner son avis sur le projet de schéma
départemental d'accueil des gens du voyage, d'évaluer son application et
d'établir chaque année un bilan d'application du schéma. Elle peut désigner en
son sein un médiateur chargé d'examiner les difficultés rencontrées dans la
mise en oeuvre du schéma et de formuler des propositions de règlement de ces
difficultés. Le médiateur rend compte à la commission de ses activités.
« La commission consultative est coprésidée par le représentant de l'Etat dans
le département et par le président du conseil général. Elle comprend, en outre,
dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat, des représentants
des communes et de leurs groupements, des représentants des gens du voyage et
des personnalités qualifiées. »
Cet amendement est assorti d'un sous-amendement n° 14, présenté par le
Gouvernement, et tendant à rédiger comme suit le début du premier alinéa du
texte proposé par l'amendement n° 7 pour l'article 5 :
« A la demande du préfet, d'un maire d'une commune sur le territoire de
laquelle existe une aire d'accueil ou d'une association membre de la commission
consultative nationale des gens du voyage, il peut être créé... »
La parole est à M. Peyronnet, pour défendre l'amendement n° 7.
M. Jean-Claude Peyronnet.
L'objet de cet amendement est non seulement de supprimer la référence au
schéma national des gens du voyage, mais aussi d'élargir le rôle de la
commission départementale, quand elle existe, à une mission d'avis sur
l'élaboration et le suivi du schéma départemental.
Il faudrait que les associations soient incluses dans les personnalités
qualifiées : cela ne figure pas dans le texte de notre amendement, mais
pourrait faire l'objet d'un engagement de votre part, monsieur le secrétaire
d'Etat. Vous-même et M. le rapporteur avez en effet indiqué que vous y étiez
favorables.
J'ajoute brièvement que je regrette le retrait de l'amendement n° 1, qui
émanait de la majorité sénatoriale, car je l'aurais voté.
M. le président.
Nul n'est plus puissant que l'auteur de l'amendement en matière de retrait
!
La parole est à M. le secrétaire d'Etat, pour défendre le sous-amendement n°
14.
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat.
Ce sous-amendement s'applique aussi bien à l'article 5
qu'à l'amendement n° 7.
Il tend à prévoir les modalités selon lesquelles la commission consultative
départementale des gens du voyage pourrait être créée.
Le Gouvernement estime qu'elle peut l'être soit à la demande du préfet, s'il
constate dans son département un certain nombre de difficultés, soit à la
demande du maire d'une commune qui aurait réalisé une aire d'accueil et qui se
rendrait compte des difficultés qu'il a à la gérer eu égard à une offre
insuffisante dans le périmètre de celle-ci, soit à la demande d'une association
reconnue à l'échelon national et membre de la commission consultative nationale
des gens du voyage, qui pourrait avoir à formuler des observations.
M. le président.
Dois-je comprendre, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous déposez un
amendement qui reprendrait le texte même du sous-amendement n° 14 mais qui
s'appliquerait non plus à l'amendement n° 7 mais à l'article 5 lui-même ?
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat.
Absolument, monsieur le président.
M. le président.
Je suis donc saisi d'un amendement n° 16, présenté par le Gouvernement, et
tendant à rédiger comme suit le début de l'article 5 :
« A la demande du préfet, d'un maire d'une commune sur le territoire de
laquelle existe une aire d'accueil ou d'une association membre de la commission
consultative nationale des gens du voyage, il peut être créé... »
Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s 7 et 16, ainsi que
sur le sous-amendement n° 14 ?
M. Jean-Paul Delevoye,
rapporteur.
La commission est défavorable à l'amendement n° 7 ainsi qu'au
sous-amendement n° 14. Par ailleurs, elle n'a pas pu examiner l'amendement n°
16, puisque nous venons de le découvrir.
La commission souhaite en rester à son texte. A l'évidence cette commission
consultative est très importante, mais elle n'a pas pour objet, parce que ce
serait un peu délicat, de remettre en cause les schémas déjà élaborés et
approuvés. De plus, cette commission, coprésidée par le président du conseil
général et par le préfet, a vocation à émettre un avis, à être consultée, à
servir d'instance de médiation.
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix le sous-amendement n° 14, repoussé par la commission.
(Le sous-amendement n'est pas adopté.)
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 7, repoussé par la commission.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 16, repoussé par la commission.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 5.
(L'article 5 est adopté.)
Article 6
M. le président.
« Art. 6. _ La section 1 du chapitre III du titre Ier du livre II de la
deuxième partie du code général des collectivités territoriales est complétée
par deux articles L. 2213-6-1 et L. 2213-6-2 ainsi rédigés :
«
Art. L. 2213-6-1
. _ Dès la réalisation d'une aire d'accueil, le maire
de la commune concernée ou les maires des communes membres d'un établissement
public de coopération intercommunale qui a réalisé ladite aire d'accueil
peuvent, par arrêté, interdire le stationnement des gens du voyage sur le reste
du territoire communal.
«
Art. L. 2213-6-2
. _ Lorsque le stationnement irrégulier de caravanes
sur un terrain privé ou sur le domaine privé communal est de nature à porter
atteinte à la salubrité, à la sécurité ou à la tranquillité publique, le maire
peut saisir le président du tribunal de grande instance statuant en la forme
des référés aux fins de faire ordonner l'évacuation desdites caravanes.
« L'assignation est, à peine d'irrecevabilité, notifiée au propriétaire, à
l'usufruitier ou à tout autre titulaire d'un droit d'usage sur le terrain
concerné. »
Sur l'article, la parole est à M. Souplet.
M. Michel Souplet.
L'article 6 me plaît dans la mesure où il permet aux maires de décider par
arrêté et d'interdire le stationnement en dehors des aires, ce qui est très
bien.
Je ne suis pas juriste, mais mon bon sens paysan m'amène à faire part d'une
réflexion à M. le secrétaire d'Etat.
M. Philippe Marini.
Le bon sens paysan est redoutable !
M. Michel Souplet.
Je paie des impôts, des taxes. Quand, dans mon village ou dans la ville de
Compiègne, un policier m'inflige une amende de 240 francs parce je suis mal
stationné, je la paie. Mais quand mon voisin demande au maire de faire enlever
la caravane d'un gitan qui, stationnée devant chez lui, le gêne, le policier de
mon village ne peut pas y aller. En effet, s'il y va et qu'il dresse un
procès-verbal, on sait ce qu'il adviendra !
Je souhaite, par conséquent, que l'on me rassure en me disant que le maire,
lorsqu'il aura décidé par arrêté d'interdire le stationnement, pourra très
facilement obtenir la force armée pour faire dégager la voie. Pour l'instant,
il est obligé d'avoir recours à un référé.
Je crains qu'il ne faille du temps pour obtenir une amélioration alors qu'il
est urgent, dans certaines régions, d'accélérer les choses.
ARTICLE L. 2213-6-1 DU CODE GÉNÉRAL
DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES
M. le président.
Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion
commune.
Par amendement n° 8, M. Peyronnet et les membres du groupe socialiste et
apparentés proposent de rédiger ainsi le texte présenté par l'article 6 pour
l'article L. 2213-6-1 du code général des collectivités territoriales :
«
Art. L. 2213-6-1. -
Dès la réalisation des terrains ou des aires
d'accueil des gens du voyage, le maire de la commune concernée ou les maires
des communes membres d'un établissement de coopération intercommunale qui a
réalisé ladite aire d'accueil peuvent, par arrêté, interdire le stationnement
des gens du voyage sur le reste du territoire communal, sous réserve de
l'application des dispositions du code de l'urbanisme relatives au camping et
au stationnement des caravanes. »
Cet amendement est assorti d'un sous-amendement n° 15, présenté par le
Gouvernement, et tendant à compléter
in fine
le texte proposé par
l'amendement n° 8 pour l'article L. 2213-6-1 du code général des collectivités
territoriales par les mots : « , ou sur le reste du périmètre intercommunal
».
Par amendement n° 2, M. Souvet propose, à la fin du texte présenté par
l'article 6 pour l'article L. 2213-6-1 du code général des collectivités
territoriales, de remplacer les mots : « sur le reste du territoire communal »
par les mots : « sur le reste du périmètre intercommunal ».
La parole est à M. Peyronnet, pour présenter l'amendement n° 8.
M. Jean-Claude Peyronnet.
Cet amendement a pour objet de préciser que les mesures d'interdiction prévues
à l'article L. 2213-6-1 ne concernent pas le stationnement des caravanes
régulièrement autorisé en application du code de l'urbanisme.
Cela dit, M. le rapporteur m'a dit en commission que le code de l'urbanisme
prévoyait déjà une telle disposition. Je lui ai alors répondu que, s'il m'en
convainquait lors du débat en séance publique, je retirerais cet amendement.
M. le président.
Monsieur le rapporteur, allez-vous convaincre M. Peyronnet ?
M. Jean-Paul Delevoye,
rapporteur.
Nous partageons tout à fait la prudence de M. Peyronnet, qui
souhaite éviter des excès de pouvoir des maires et faire en sorte que la
proposition de la commission des lois ne puisse s'appliquer pour les terrains
de camping.
La circulaire du 16 octobre 1991 qui a été adressée aux préfets définit deux
facteurs principaux sur lesquels doit se fonder le contrôle de légalité : d'une
part, les conditions générales d'accueil en fonction des besoins locaux et,
d'autre part, dans le cas d'un groupement intercommunal, l'aire géographique
desservie.
En outre - c'est le point important - la même circulaire précise que ne peut
être pris un arrêté d'interdiction de stationnement sur des terrains privés
permettant l'accueil des caravanes en application des prescriptions des
articles R. 443-7 et R. 443-4 du code de l'urbanisme.
Il est donc d'ores et déjà admis que les dispositions de la loi du 31 mai 1990
s'appliquent sans préjudice de celles du code de l'urbanisme qui permettent un
stationnement régulier sur les terrains privés.
Il faut néanmoins souligner, comme l'a rappelé dernièrement la jurisprudence
du Conseil d'Etat, que la réglementation du camping et du stationnement en
dehors des terrains aménagés permet à une commune de prendre, à l'occasion de
l'élaboration du plan d'occupation des sols, des dispositions interdisant ou
restreignant le camping ou le stationnement des caravanes. Cela signifie que la
proposition qui est ici formulée et qui concerne les gens du voyage ne permet
pas, par rapport aux recommandations de la circulaire d'octobre 1991 et du code
de l'urbanisme, des excès de pouvoir des maires.
Je comprends tout à fait la prudence de M. Peyronnet et je partage même son
souci, mais son amendement ne me paraît pas utile pour corriger les dérapages
qu'il peut légitimement craindre sur le terrain.
M. le président.
Monsieur Peyronnet, maintenez-vous votre amendement n° 8 ?
M. Jean-Claude Peyronnet.
Je le retire, monsieur le président.
M. le président.
L'amendement n° 8 est retiré.
En conséquence, le sous-amendement n° 15 n'a plus d'objet.
La parole est à M. Souvet, pour défendre l'amendement n° 2.
M. Louis Souvet.
Cet amendement se justifie par son texte même.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Paul Delevoye,
rapporteur.
Il va de soi que, conformément aux règles de droit commun,
l'arrêté du maire ne peut produire ses effets que dans la limite du territoire
communal. Par conséquent, j'entends bien que, dans la pratique, à partir du
moment où il y aura un périmètre intercommunal et où, comme le disait M. le
secrétaire d'Etat, les aires seront en quantité suffisante dans le schéma
départemental, la création des aires d'accueil engendrera
ipso facto
des
zones d'interdiction.
Dans la pratique, le maire ne peut exercer sa responsabilité que sur le
territoire communal. Il me semble que cet amendement doit donc être retiré.
M. le président.
Monsieur Souvet, maintenez-vous votre amendement ?
M. Louis Souvet.
Je le retire, monsieur le président.
M. le président.
L'amendement n° 2 est retiré. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix le texte proposé pour l'article L. 2213-6-1 du code général
des collectivités territoriales.
(Ce texte est adopté.)
ARTICLE L. 2213-6-2 DU CODE GÉNÉRAL
DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES
M. le président.
Par amendement n° 9 rectifié, M. Peyronnet et les membres du groupe socialiste
et apparentés proposent de rédiger ainsi le texte présenté par l'article 6 et
pour l'article L. 2213-6-2 du code général des collectivités territoriales :
«
Art. L. 2213-6-2. -
Lorsque le stationnement irrégulier de caravanes
est de nature à porter une atteinte grave à la salubrité, à la sécurité ou à la
tranquillité publique, le maire peut saisir le président du tribunal de grande
instance statuant en la forme des référés aux fins de faire ordonner
l'évacuation desdites caravanes. »
La parole est à M. Peyronnet.
M. Jean-Claude Peyronnet.
Cet amendement tend à préciser que le maire ne peut saisir le tribunal pour
demander l'expulsion de caravanes stationnées sur un terrain privé qu'en cas
d'atteinte grave à la sécurité.
Je n'ignore pas qu'il reviendra au juge de se prononcer sur le caractère grave
ou non. Ce texte me paraît toutefois plus conforme à la jurisprudence
habituelle. De ce point de vue, il serait donc plus satisfaisant de faire
référence à la gravité de l'atteinte.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Paul Delevoye,
rapporteur.
La commission est défavorable à cet amendement, pour deux
raisons. M. Peyronnet vient d'ailleurs lui-même de s'expliquer sur l'une
d'elles.
La première concerne la différence entre « atteinte » et « atteinte grave ».
Il n'est pas nécessaire, selon nous, de qualifier la nature de l'atteinte.
C'est au maire qu'il appartiendra d'apprécier, à partir des éléments de fait,
l'existence d'une telle atteinte. De plus, et c'est ce qui nous paraît
important, l'appréciation se fera sous le contrôle du juge, qui déterminera si
le maire a commis un excès de pouvoir ou si, effectivement, il y a bien
atteinte à la sécurité ou à la tranquillité publiques.
La seconde raison me paraît plus importante. Ce texte ne doit en aucun cas
constituer un recul en matière de protection de la propriété privée. Nous avons
donc souhaité que le propriétaire reçoive une assignation afin qu'il puisse
exposer au tribunal son point de vue et contester, le cas échéant, le motif
d'ordre public invoqué par le maire.
Telles sont les raisons pour lesquelles la commission a émis un avis
défavorable sur cet amendement et préfère en rester à son texte.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat.
Le souci du Gouvernement est de bien faire ressortir
l'esprit des dispositions qui seront prises.
Globalement, s'agissant de l'article 6, nous souhaitons que les besoins soient
pris en compte à la bonne échelle, en l'occurrence le département. A ce niveau,
si l'application de la loi s'impose aux autorités publiques, elle doit
s'imposer aussi aux autorités de police et de justice. En effet, le respect de
l'obligation de création d'aires d'accueil doit permettre d'empêcher le
stationnement illicite. Dans l'esprit du Gouvernement, les deux choses sont
liées.
S'agissant de la question de l'atteinte, à la salubrité, par exemple, le point
de notre discussion qui est intéressant et qui restera dans le procès-verbal de
nos travaux est l'adjectif « grave », qui traduit le souci de tenir compte de
la spécificité du mode de vie des personnes concernées.
Prenons un exemple élémentaire : celui des sanitaires. Aujourd'hui, les
caravanes sont pour la plupart équipées de toilettes chimiques. En l'absence de
toilettes publiques, il ne faudrait pas considérer qu'il y a atteinte à la
salubrité si ce dispositif adapté au mode de vie des gens du voyage existe.
Encore une fois, il est bon que nous précisions l'esprit de cette disposition,
même si nous pouvons faire confiance au juge saisi pour apprécier, en dernier
ressort, la réalité de la situation.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 9 rectifié.
M. Louis Boyer.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Louis Boyer.
M. Louis Boyer.
Une ambiguïté subsiste dans le texte. Fréquemment, les gens du voyage ont
l'habitude de brancher leurs caravanes sur l'éclairage public. C'est très
facile, il suffit de soulever une petite plaquette et quatre ou cinq caravanes
peuvent alors avoir de l'électricité le temps de leur séjour. S'agit-il d'une
atteinte grave ou non ?
M. Jean-Jacques Hyest.
C'est du vol !
M. Jean-Paul Delevoye,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Paul Delevoye,
rapporteur.
Mon cher collègue, il ne s'agit pas du tout d'une atteinte
grave à la salubrité ou à la tranquillité publiques. Il s'agit plutôt de
grivèlerie ou de vol, ce qui relève d'une autre procédure.
Votre remarque est judicieuse. Vous auriez même pu poser la question pour le
branchement d'eau, etc. Mais l'amendement n° 9 rectifié n'a pas été conçu dans
cet esprit.
M. Philippe Marini.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Marini.
M. Philippe Marini.
Je ne voterai pas cet amendement, car le texte de la commission me semble
suffisamment précis : bien entendu, il s'agit d'une atteinte que le maire
invoque et qui est soumise à l'appréciation du tribunal. Il ne faut pas
confondre, comme je craignais de l'entendre voilà quelques instants dans le
débat, les responsabilités du maire et celles du pouvoir judiciaire.
M. Jean-Paul Delevoye,
rapporteur.
Tout à fait !
M. Philippe Marini.
Le maire soumet une situation et le président du tribunal décide, en son âme
et consicence, en fonction de la loi et des données de fait qu'il est seul à
pouvoir interpréter.
Dans ces conditions, le texte de la commission me paraît largement suffisant
et il est tout à fait clair qu'il n'est pas utile de l'encombrer de
dispositions supplémentaires.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 9 rectifié, repoussé par la commission.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix le texte proposé pour l'article L. 2213-6-2 du code général
des collectivités territoriales.
(Ce texte est adopté.)
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble de l'article 6.
(L'article 6 est adopté.)
Intitulé
M. le président.
La commission des lois propose de rédiger comme suit l'intitulé de la
proposition de loi : « Proposition de loi relative aux conditions de
stationnement des gens de voyage ».
Il n'y a pas d'opposition ?...
L'intitulé est ainsi rédigé.
Vote sur l'ensemble
M. le président.
Avant de mettre aux voix les conclusions du rapport de la commission des lois,
je donne la parole à Mme Terrade, pour explication de vote.
Mme Odette Terrade.
Je souhaite simplement indiquer, monsieur le président, que le groupe
communiste républicain et citoyen s'abstiendra lors du vote sur l'ensemble du
texte.
M. le président.
La parole est à M. Peyronnet.
M. Jean-Claude Peyronnet.
Monsieur le président, le groupe socialiste s'abstiendra également.
Voter contre ce texte serait non seulement inutile, mais encore tout à fait
contraire à l'esprit qui a présidé à nos débats, tant il est vrai qu'il n'y a
pas entre nous de divergences fondamentales sur le sujet.
Nous ne pouvons pas non plus voter ce texte, dans la mesure où nous le
croyons inopérant. En l'espèce, il ne s'agit pas tant d'adopter de nouvelles
dispositions que d'appliquer celles qui existent.
M. Jean-Jacques Hyest.
Tout à fait ! Et c'est un principe général !
M. Jean-Claude Peyronnet.
Au demeurant, Cela vaut autant pour les nomades que pour les maires. Les
maires doivent en effet, pour leur part, satisfaire aux exigences de l'article
28 de la loi du 31 mai 1990.
Si l'on appliquait simplement la loi, on aurait déjà beaucoup avancé. C'est
pourquoi légiférer une nouvelle fois est probablement un leurre.
Quitte à légiférer, il faudra le faire après d'amples discussions et de façon
plus globale. Il conviendra de prendre en compte d'autres éléments que le
stationnement ; je pense aux aspects sanitaires, aux problèmes sociaux, à
l'éducation.
Monsieur le secrétaire d'Etat, si cette discussion a un intérêt, c'est de vous
convaincre encore plus - car je pense que vous l'étiez déjà - de la nécessité
d'agir d'une façon ou d'une autre dans ce domaine, la situation, dans certains
départements, étant effectivement assez grave.
M. le président.
La parole est à M. Marini.
M. Philippe Marini.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
dans mon propos initial, j'avais exprimé quelques interrogations.
Je me dois de dire que le déroulement des débats, les arguments échangés ainsi
que vos réponses, souvent constructives, monsieur le secrétaire d'Etat, ont
fait évoluer mon point de vue.
J'ai l'impression, au moment où s'achève cette discussion, que nous pouvons
espérer que les principales mesures que nous avons préconisées, s'agissant en
particulier des pouvoirs de police des maires et de la nécessité de les
renforcer, rencontrent une large adhésion.
Je souhaite vivement, compte tenu des avancées ainsi réalisées, que
l'Assemblée nationale puisse, dans les meilleurs délais, examiner les
dispositions que nous nous apprêtons à voter. Elles le méritent, monsieur le
secrétaire d'Etat, car, vous le savez aussi bien que nous, de très nombreux
maires et élus, ainsi que beaucoup de nos concitoyens, attendent ce signal, qui
sera sans doute de nature à apporter des apaisements.
Certes, la loi n'est pas tout, comme plusieurs de nos collègues l'ont fait
valoir. Même si ce texte est susceptible de constituer une avancée, il ne sera
pas en lui-même suffisant, car bien des décisions sont à prendre par les
acteurs de terrain, les élus, les représentants des gens du voyage. L'esprit de
responsabilité doit aussi faire des progrès, de même que la correspondance des
devoirs et des droits.
Il n'en reste pas moins, monsieur le secrétaire d'Etat, que je souhaite vous
voir soutenir la démarche qui a été engagée par le Sénat en appuyant
l'inscription, aussi prompte que possible, de ce texte à l'ordre du jour de
l'Assemblée nationale.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix les conclusions du rapport de la commission des lois
constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et
d'administration générale sur les propositions de loi n°s 240 et 259
(1994-1995).
(La proposition de loi est adoptée.)5
ORDRE DU JOUR
M. le président.
Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment
fixée au mercredi 12 novembre 1997, à seize heures et le soir :
Discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1998,
adopté par l'Assemblée nationale (n° 70, 1997-1998).
Rapport (n° 73, 1997-1998) de MM. Charles Descours, Jacques Machet et Alain
Vasselle, fait au nom de la commission des affaires sociales.
Avis (n° 79, 1997-1998) de M. Jacques Oudin, fait au nom de la commission des
finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation.
Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale :
mercredi 12 novembre 1997, à douze heures.
Délai limite pour le dépôt des amendements : mercredi 12 novembre 1997, à
dix-sept heures.
Délai limite
pour le dépôt des amendements
Conclusions de la commission des lois sur la proposition de loi de M. Jacques
Larché tendant à faciliter le jugement des actes de terrorisme (n° 72,
1997-1998).
Délai limite pour le dépôt des amendements : mercredi 12 novembre 1997, à
dix-sept heures.
Personne ne demande la parole ?...
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-huit heures.)
Le Directeur
du service du compte rendu intégral,
DOMINIQUE PLANCHON
QUESTIONS ORALES REMISES À LA PRÉSIDENCE DU SÉNAT (Application des articles 76 à 78 du réglement)
Politique des transports
115.
- 6 novembre 1997. -
M. Guy-Pierre Cabanel
rappelle à
M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement
que jamais la relation entre transport et croissance, communications et
développement, n'a été aussi évidente qu'en cette fin du xxe siècle. La crise
qui a secoué récemment le secteur des transports est à ce titre d'autant plus
importante. Il apparaît dès lors indispensable de réfléchir à une
réorganisation de ce volet essentiel de notre activité économique et sociale.
La position de notre pays au carrefour stratégique des liaisons
intracommunautaires impose des choix à faire partager à l'ensemble de nos
partenaires. C'est en particulier dans le domaine des grands transports
routiers et de ses incidences en matière d'environnement, d'aménagement du
territoire et de libre circulation des biens et des personnes qu'il importe
d'engager un vrai débat. Il pourrait déboucher sur un accord européen pour le
développement du ferroutage en transit sur le territoire français.
L'exploration de cette voie obligerait notamment la SNCF à se recentrer sur ses
missions essentielles ferroviaires et plus particulièrement à réaliser les
investissements nécessaires à ce type de transport combiné. Là n'est cependant
pas la seule difficulté. En effet, le statut social des chauffeurs routiers
nécessiterait lui aussi, pour le respect d'une concurrence équilibrée, la prise
de décisions communes au niveau de l'Union européenne. Sur ces différentes
hypothèses, il souhaiterait connaître son opinion et la détermination du
Gouvernement à poursuivre l'effort global consenti par le pays pour
l'organisation de son réseau de communication.