(La séance, suspendue à dix-neuf heures quarante, est reprise à vingt et une heures quarante-cinq, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)
PRÉSIDENCE DE M. GÉRARD LARCHER
vice-président
M. le président.
La séance est reprise.
Nous poursuivons le débat consécutif à la déclaration du Gouvernement sur
l'agriculture.
Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Rigaudière.
M. Roger Rigaudière.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ainsi que
nous en avons pris l'habitude depuis longtemps, tout débat parlementaire
national sur l'agriculture est dominé, dans une large mesure, par des
considérations sur la politique agricole commune initiée à l'échelon
européen.
Notre discussion aujourd'hui n'échappe pas à la règle puisque l'Agenda 2000 de
la Commission de Bruxelles - surnommé, abusivement sans doute, « paquet Santer
» - introduit une réforme en profondeur de la politique agricole commune, qu'il
s'agisse de ses objectifs, de ses mécanismes ou de son mode de gestion.
Cette réforme pourrait être louable dans ses ambitions mais elle officialise,
en matière de soutien communautaire, une logique qui risque d'être
préjudiciable à des catégories entières de productions, et donc d'exploitations
et de régions agricoles.
Elu d'un département du Massif central, le Cantal, situé au coeur du bassin
allaitant, je souhaiterais plus précisément me faire l'écho de la vive
inquiétude que suscitent d'ores et déjà dans le milieu de l'élevage bovin
traditionnel les perspectives d'une mise en oeuvre de la nouvelle politique
agricole commune.
Nous savons tous que l'objet central de la réforme est de consolider la place
de l'Union européenne comme grande puissance exportatrice de produits
agricoles, et, dans le contexte de totale ouverture des économies et de
mondialisation des marchés au sein duquel nous évoluons désormais, nul ne peut
mettre en doute l'opportunité d'un tel objectif.
Afin d'y parvenir, il est prévu de supprimer progressivement les soutiens au
prix en « laissant filer » ceux-ci à la baisse - moins 30 % pour la viande de
boeuf, moins 20 % pour les grandes cultures et moins 10 % pour le lait - le but
étant naturellement de garantir la compétitivité de nos produits sur les
marchés, tant européens qu'extérieurs à l'Union, et de se trouver ainsi en
position de force lorsque débuteront les futures négociations de l'Organisation
mondiale du commerce.
On attend en particulier de la baisse des prix le maintien d'un niveau
suffisant de protection aux frontières en cas de nouvelles diminutions des
tarifs douaniers ainsi qu'une atténuation de la contrainte à l'exportation,
puisque les volumes exportés sans restitutions devraient normalement
augmenter.
Cette logique paraît limpide et bénéfique et, pourtant, à y regarder de plus
près, ce pari de la compétitivité n'est pas sans risque.
Ainsi, même dans un contexte de forte baisse des prix, il est difficile de
tabler avec certitude sur une expansion notable de nos exportations vers
l'Asie, car les marchés asiatiques, cible avouée de notre effort exportateur à
venir, sont une chasse gardée des Etats-Unis et de l'Australie.
Si l'on considère la question des productions exportables et que l'on prend
l'exemple précis du lait, il y a également fort à parier que la baisse du prix
d'intervention envisagée ne soit pas suffisante pour que l'on puisse exporter
sans restitutions, ce qui bridera, de fait, l'effort à l'exportation.
Pour ce qui est du marché intérieur européen, et en considérant maintenant le
cas de la viande rouge, il n'est pas certain que la consommation progresse dans
les proportions attendues, dans la mesure où les baisses de prix à la
production risquent d'être annulées par les coûts des intermédiaires, à savoir
les industriels et les distributeurs. Autrement dit, ce n'est donc pas
nécessairement au consommateur que bénéficieront ces baisses.
On pourrait citer d'autres exemples qui montreraient, eux aussi, qu'en réalité
la logique de baisse des prix est sujette au doute et rend dès lors moins
évident l'objectif de compétitivité accrue de nos produits sur les différents
marchés.
Mais, ces observations étant faites, je tiens surtout à mettre l'accent sur
les vives préoccupations que m'inspire la logique même du « paquet Santer »
pour l'agriculture, à savoir l'articulation envisagée entre action sur les prix
et soutiens directs.
Comme nous le savons tous, l'idée centrale de la réforme de la politique
agricole commune consiste à compenser les baisses de prix consécutives à la «
mise en veilleuse » des mécanismes de compensation par des hausses des aides
directes versées aux exploitants pour les différents types de productions : en
un mot, on attend de ce rééquilibrage le maintien du revenu des
agriculteurs.
De fait, les hausses envisagées pour les aides sontsubstantielles, notamment
dans le secteur de la viande bovine. Ainsi la prime au maintien du troupeau
allaitant et la prime spéciale bovin mâle doivent augmenter de façon notable,
et une prime ainsi qu'une aide directe à la vache laitière pourraient faire
leur apparition.
A première vue, nous sommes là en présence de garde-fous, susceptibles
d'éviter aux éleveurs de faire les frais des baisses de prix sur les
marchés.
En réalité, cependant, ce nouveau dispositif risque de s'avérer hautement
préjudiciable à certaines catégories de productions - l'élevage bovin extensif
en particulier - et, par voie de conséquence, à des zones géographiques
entières spécialisées dans ces productions.
Le grand danger contenu dans les propositions de l'Agenda 2000 est, en effet,
qu'elles visent à réduire la politique agricole commune à une politique des
revenus réalisée au moyen d'aides de plus en plus découplées et uniformes, au
mépris de la diversité des systèmes de production et des spécificités
territoriales.
En m'efforçant de rester le plus bref possible, je préciserai ma critique à
travers trois remarques.
Tout d'abord, est-il besoin de rappeler, alors que ce fait très simple avait
déjà été dénoncé lors de la réforme de 1992, que le découplage entre l'acte de
prodution et le revenu engendre une logique d'assistanat social qui,
psychologiquement, est très mal vécue par les exploitants ? Il est, en effet,
humiliant de ne plus réellement vivre des fruits de son travail.
Par ailleurs, on sent bien dans ce découplage entre un acte productif vidé de
son sens et la source du revenu une forme de hiatus économique relativement
pernicieux. Qu'arrivera-t-il en effet, avec ce système de soutien du revenu par
les aides directes, le jour où les prix, abandonnés sans correctifs à la
stricte logique du marché, s'effondreront pour une raison ou pour une autre
?
En pareil cas, on ne pourra pas apporter de compensation immédiate et adaptée
à travers les aides directes, dont la fonction « naturelle » est de soutenir et
d'orienter les productions, et non de réagir aux baisses de prix. Il faut pour
cela une souplesse et une réactivité que possédaient les mécanismes
d'intervention sur les prix et les marchés, mais dont sont dépourvues les aides
directes, tout simplement parce qu'elles ne sont pas faites pour cela.
Bref, on se trompe de levier économique quand on prétend affecter ces aides à
une politique des prix, et cela peut être un piège dangereux pour les
agriculteurs, qui risquent de voir leurs revenus en pâtir.
Enfin et surtout, le « paquet Santer », en conférant aux aides directes la
fonction de maintenir le revenu qui ne devrait pas être la leur, débouche
logiquement sur une uniformisation et une forme d'évolution de ces aides qui me
paraissent menaçantes.
C'est ainsi que, pour l'élevage, une aide identique serait instaurée pour les
vaches laitières et allaitantes, sans que soient prises en considération les
conditions réelles de production et, en particulier, la zone géographique dans
laquelle se situe l'exploitation.
De plus, la nouvelle répartition des soutiens directs pénalise le cheptel
allaitant en réorientant la production vers l'engraissement des mâles, qu'ils
soient issus du troupeau allaitant ou du troupeau laitier. L'activité
d'engraissement pouvant être beaucoup plus importante, en quantité, au sein du
troupeau laitier, c'est sur ce dernier que vont se concentrer les primes. Or,
il est douteux que cette orientation soit toujours justifiée, notamment dans le
cas de l'élevage laitier intensif.
L'activité de naissage, qui compte beaucoup dans les systèmes extensifs, est
oubliée dans cette réorientation des soutiens.
Au total, le nouveau dispositif privilégie clairement les systèmes d'élevage
intensifs et industriels ainsi que la viande issue du troupeau laitier.
L'élevage allaitant extensif, pourtant vital dans des zones entières telles
que le Massif central, fait figure de sacrifié.
Je crois que l'on mesure bien, à travers cet exemple, les distorsions
introduites par la nouvelle logique de la PAC. En l'occurrence, les aides
directes sont partiellement détournées de leur vocation initiale, qui était
d'apporter un soutien adapté, différencié et important à certaines productions
afin de corriger les aléas liés aux structures d'exploitation et au
territoire.
Cette approche, qui définit la politique agricole au plein sens du terme, se
trouve aujourd'hui remise en question.
Bien entendu, j'espère qu'il est encore temps d'infléchir différemment les
orientations du « paquet Santer », en réaffirmant l'importance du lien entre
productions et territoire et en en tirant les conséquences pour l'affectation
des aides.
Ce lien entre production et territoire est un lien de dépendance réciproque,
le territoire, pour continuer à vivre, ayant besoin de voir son activité de
production dominante soutenue et encouragée. A l'inverse, l'activité de
production ne peut demeurer viable que si sont activement prises en compte les
spécificités du territoire où elle s'exerce. Il ne peut y avoir de politique
agricole digne de ce nom sans cette vision globale des problèmes.
Cette interdépendance est évidente dans le cas du grand bassin allaitant, dont
le sort est lié à celui de l'élevage bovin, et réciproquement.
Il n'est pas abusif en effet de considérer que la survie du bassin allaitant
est liée au dynamisme de l'élevage bovin, car celui-ci, bien souvent, y
représente la seule activité viable et anime, en aval, un pan entier de la vie
économique en faisant entrer en jeu de nombreux intervenants, des entreprises
de négoce aux ateliers de découpe, en passant par les activités de
transformation et de distribution, les marchés aux bestiaux et les
abattoirs.
L'affaiblissement de cette filière économique ne manquerait pas de se traduire
rapidement par une accélération des phénomènes de désertification du Massif
central et d'ailleurs.
Aussi y aurait-il quelques contre-propositions réalistes à opposer à l'Agenda
2000 pour la sauvegarde de la filière bovine traditionnelle. Je n'en citerai
que quelques-unes : d'abord, le maintien de prix élevés, dussent-ils, pour
cela, être à nouveau garantis ; ensuite, le renforcement des outils de gestion
publique des marchés, qu'il s'agisse des mécanismes d'intervention ou de la
gestion des droits à produire ; enfin et surtout, la reconnaissance du rôle
spécifique de primes telles que la prime au troupeau allaitant, la prime
spéciale bovin mâle et l'instauration d'une prime de base à l'hectare qui ne
serait accordée que pour les surfaces supportant une production.
Cette logique qui, pour l'élevage bovin à l'herbe, fait référence à un niveau
de chargement à l'hectare a déjà été introduite dans les mécanismes de soutien,
mais elle doit être développée, car elle lie judicieusement production et
occupation de l'espace. Pour l'élevage extensif, un critère de chargement à
l'hectare oscillant entre 0,3 et 1 UGB semblerait judicieux.
Quant aux autres mesures à prendre, qu'elles s'inscrivent ou non dans le
périmètre d'action du « paquet Santer », elles illustrent, cette fois, la
dépendance de la production vis-à-vis du territoire. Autrement dit, ce sont des
soutiens spécifiques à apporter au territoire, mais dans l'intérêt bien compris
de l'activité productive elle-même.
En l'occurrence, il s'agit pour l'élevage extensif de percevoir les bénéfices
d'une politique d'atténuation des handicaps menée en faveur des zones de
montagne et des zones défavorisées.
Ainsi, il semblerait indispensable de maintenir la prime à l'herbe, voire de
revaloriser son montant afin de compenser les contraintes environnementales
nouvelles.
Il faut également veiller à ce que les soutiens du type indemnité spéciale de
montagne conservent leur vocation spécifique et ne soient donc pas noyés dans
un ensemble de simples mesures agri-environnementales.
Plus généralement enfin, il ne faudrait surtout pas que nous assistions à un
début de démantèlement de la politique rurale de l'Union européenne - je songe
notamment à la diminution d'un tiers de la superficie du zonage 5b - pas plus
qu'à une remise en cause des objectifs qui ont sous-tendu jusqu'à présent la
politique de la montagne. En disant cela, je me réfère au tout nouveau concept
écologique de « zone à haute valeur naturelle », qui prendrait éventuellement
le pas sur la notion traditionnelle et économique de « handicaps géographiques
» qui, elle, a fait ses preuves.
En conclusion, monsieur le ministre, je dirai que le scepticisme que m'inspire
la nouvelle réforme de la politique agricole commune n'est en rien dicté par
une conception frileuse ou conservatrice du devenir de notre agriculture.
Comme nombre de mes collègues qui partagent mes interrogations, je suis tout à
fait partisan d'une agriculture moderne et performante, compétitive sur les
marchés et dynamique à l'exportation.
Simplement, je souhaite que cette agriculture continue à être bien répartie
dans l'espace naturel de notre pays, que son développement demeure harmonieux
d'une branche à l'autre, que sa gestion continue à intégrer des exigences liées
à l'aménagement du territoire, au développement rural et aux zones fragiles,
et, enfin, que ses productions satisfassent les aspirations de nos concitoyens
en matière de qualité, d'authenticité et d'environnement.
Je tenais à vous dire, monsieur le ministre, que je trouve encourageantes vos
déclarations récentes sur les propositions de la Commission relatives à la
viande bovine. En effet, vous avez jugées ces propositions « très
déséquilibrées au détriment de l'élevage extensif, allaitant et spécialisé »,
et vous vous êtes déclaré favorable à une « prime liée au sol ».
Pour l'ensemble des raisons que j'ai exposées, nous resterons, pour notre
part, très vigilants, et nous jugerons de l'efficacité réelle du Gouvernement à
travers sa capacité à faire entendre à Bruxelles vos propres arguments, que je
viens de citer.
(Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union
centriste et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Pourchet.
M. Jean Pourchet.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je reviens
sur un projet qui a déjà été discuté, en évoquant d'abord la mise aux normes
des bâtiments d'élevage. Je rappellerai que les éleveurs sont aujourd'hui
massivement engagés dans le programme de maîtrise des pollutions d'origine
agricole.
Le schéma de financement du programme de maîtrise des pollutions d'origine
agricole a placé un sixième des dépenses à la charge de l'Etat, un sixième à la
charge des collectivités locales, un tiers à la charge des agences de l'eau et,
enfin, un tiers à la charge des éleveurs. Les spécifications imposées, voire
excessives, ont conduit à un coût élevé des travaux.
Dans la réalité, les éleveurs sont conscients du fait qu'ils supportent
largement plus du tiers du coût des travaux, compte tenu des plafonds de
financement et de la non-prise en compte de tous les travaux contribuant à la
protection de l'environnement.
Mais il importe aussi de mettre en place une règle dite de réciprocité, visant
à limiter, voire à interdire l'implantation de maisons d'habitation à moins de
cent mètres des exploitations agricoles, afin de favoriser une bonne
cohabitation entre les agriculteurs et leurs voisins. En effet, si les
agriculteurs sont contraints de respecter une distance minimale par rapport aux
habitations pour l'édification de leurs bâtiments, la réciproque n'est pas
obligatoire, et l'on accorde encore des permis de construire pour des
habitations qui seront situées à proximité de bâtiments agricoles, le
constructeur profitant des équipements et des réseaux desservant
l'exploitation. Cela fait naître des litiges entre les agriculteurs et leurs
voisins, en raison des nuisances créées par les bâtiments d'élevage.
Au moment où les éleveurs font des efforts sans précédent dans le cadre du
programme de maîtrise des pollutions d'origine agricole, la mise en place d'un
dispositif contribuant à limiter les recours contentieux, tout en garantissant
le maintien des exploitations, paraît essentielle.
Je vous remercie, monsieur le ministre, des précisions que vous voudrez bien
m'apporter sur ce point.
Par ailleurs, mes collègues du groupe de l'Union centriste et moi-même
observons avec satisfaction que le Gouvernement a répondu à l'attente des
organisations agricoles, tout au moins en partie, s'agissant des retraites les
plus faibles.
Ainsi, vous avez fait adopter par l'Assemblée nationale, le 23 octobre
dernier, lors de l'examen du projet de budget de l'agriculture pour 1998, un
amendement qui est la traduction budgétaire de la revalorisation de certaines
pensions agricoles au 1er janvier prochain. Les conjoints ayant travaillé sur
l'exploitation, les anciens aides familiaux et ceux d'entre eux qui ont été
chefs d'exploitation pendant quelques années seulement en bénéficieront.
Si notre priorité, comme celle des organisations agricoles, va aux conjointes,
aux veuves retraitées, aux anciens aides familiaux et aux plus âgés parmi les
anciens exploitants qui ont aujourd'hui les plus faibles droits, l'objectif est
néanmoins qu'un agriculteur retraité, qui a cotisé toute sa carrière au régime
des non-salariés agricoles, bénéficie d'une pension au moins égale à 75 % du
SMIC, ce qui représenterait 3 778 francs par mois.
Certains ont dit tout à l'heure qu'il s'agissait d'une somme importante, mais
combien cela représente-t-il par rapport aux 35 milliards de francs inscrits
pour l'augmentation du SMIC ou au 0,5 % accordé à la fonction publique ?
Cette pension est indispensable pour ceux qui ont travaillé cinquante ans. En
effet, ceux qui prennent leur retraite aujourd'hui ont commencé leur vie active
à l'âge de quinze ans, parfois même avant, pour la cesser à soixante-cinq ans,
voire au-delà, compte tenu de la faiblesse de leur retraite.
Il reste donc encore beaucoup à faire, et je vous serais reconnaissant,
monsieur le ministre, de bien vouloir prendre l'engagement devant notre Haute
Assemblée que la loi d'orientation agricole, prévue pour le printemps prochain,
retiendra cet objectif qui relève de la dignité collective de la nation.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Emorine.
M. Jean-Paul Emorine.
Monsieur le ministre, après avoir entendu vos propos sur la présentation du
budget de l'agriculture et de la pêche, je voudrais dire combien je ne partage
pas votre optimisme. Une véritable volonté politique se manifeste par des
crédits en forte progression, ce qui n'est pas le cas pour certains secteurs de
ce budget.
M. Bernard Piras.
Ce n'est pas ce que le président François-Poncet a dit ce matin en commission
!
M. Jean-Paul Emorine.
Monsieur le ministre, vous avez placé ce budget dans le contexte de la réforme
de la PAC, ce qui paraît bien naturel, mais dans le même temps, vous avez
évoqué les orientations qui sont données par la Commission européenne. Elles
sont souvent contradictoires avec vos objectifs ; nous devons réaffirmer à
haute voix la spécificité de l'agriculture française dans l'Europe. Les régions
en voie de désertification sont des régions d'élevage extensif. Comment, avec
une baisse de 30 % du prix d'orientation, pouvons-nous espérer maintenir des
éleveurs et installer des jeunes agriculteurs ?
M. René-Pierre Signé.
Cela n'a pas encore été accepté !
M. Jean-Paul Emorine.
Il faut envisager des aides aux surfaces en herbe. Pour la simplification des
dossiers - c'est une de mes suggestions - ...
M. Bernard Piras.
Nous menons le même combat !
M. Jean-Paul Emorine.
... les primes pour les vaches allaitantes et les bovins mâles pourraient être
globalisées en fonction du nombre d'UGB sur l'exploitation, et surtout au
regard du livre des bovins. Parmi vos priorités, vous évoquez l'installation
des jeunes et de jeunes hors cadre familial, mais vous faites valoir
l'importance des capitaux nécessaires à leur installation, capitaux qui
n'auront qu'une faible rentabilité mais qui sont indispensables à leur
installation. Les études prévisionnelles d'installation font souvent apparaître
de lourds investissements, pour dégager un salaire disponible souvent inférieur
au SMIC. A partir du moment où des jeunes pourront avoir comme perspective un
meilleur revenu, ils s'installeront. Mais pour cela, il faut redéfinir les
conditions de transmission des exploitations, de financement à taux
préférentiel ; aujourd'hui, les marchés financiers nous le permettent.
Pour favoriser l'installation des jeunes agriculteurs, je souhaiterais que le
dispositif de préretraite soit reconduit uniquement pour les agriculteurs qui
cèdent leur exploitation à des jeunes voulant s'installer ou qui sont installés
depuis moins de cinq ans,...
M. Paul Raoult.
Très bien !
M. Jean-Paul Emorine.
... la participation de l'Union européenne représentant 50 % du coût de la
préretraite. En ce qui concerne les retraités agricoles, vous devriez prendre
davantage en compte le rôle qu'ils ont assuré dans le cadre de l'aménagement de
l'espace rural, et faire en sorte que la revalorisation des plus petites
retraites atteigne celle des autres secteurs.
Monsieur le ministre, vous avez exprimé votre volonté de donner les moyens
financiers nécessaires à l'aménagement de l'espace rural. Le Fonds de gestion
de l'espace rural pourrait être un financement très appréciable, pour les
agriculteurs mais aussi pour les collectivités locales. La dotation de 140
millions de francs n'est pas significative de votre volonté.
M. Aubert Garcia.
C'est mieux que zéro franc l'an dernier !
M. Jean-Paul Emorine.
Dans le cadre de la loi de 1995 relative à l'aménagement et au développement
du territoire, la dotation initiale s'élevait à 500 millions de francs, ce qui
semble un montant minimal pour atteindre l'objectif que vous vous fixez.
Permettez-moi, monsieur le ministre, de vous faire une proposition sur la mise
en oeuvre du Fonds de gestion de l'espace rural. Ce fonds a été institué à la
demande de la profession agricole et il doit être utilisé pour améliorer les
conditions d'exploitation et d'entretien de nos espaces ruraux. Les
agriculteurs doivent être prioritaires, ce que je conçois naturellement. En
revanche, les collectivités locales, maîtres d'ouvrage, peuvent faire réaliser
les travaux par des agriculteurs, mais souvent, s'agissant de l'entretien de
chemins d'exploitation, ces travaux ne peuvent être réalisés par des
agriculteurs, bien qu'il visent à améliorer les conditions d'exploitation.
Monsieur le ministre, compte tenu de cette difficulté, les collectivités
locales ne pourraient-elles pas confier ce type de travaux à des entreprises
?
En 1994, les débats sur l'aménagement et le développement du territoire ont
bien mis en lumière les liens profonds qui unissent nos concitoyens au monde
rural. On peut mesurer chaque jour le poids grandissant des activités agricoles
et agroalimentaires en termes d'équilibre de la balance extérieure, de maintien
de l'emploi ou de préservation de l'environnement.
Quel secteur autre que l'agriculture occupe plus de 80 % du territoire
national, tout en représentant, avec ses activités en amont et en aval, 16 %
des emplois et en dégageant un excédent commercial supérieur à 50 milliards de
francs ?
Existe-t-il un autre domaine d'activité qui symbolise tout à la fois les
valeurs permanentes de notre société et les avancées de la construction
européenne ?
Aujourd'hui, l'agriculture française est confrontée à une situation difficile.
Elle doit s'adapter à la politique agricole commune et aux accords du GATT. Nos
producteurs agricoles et nos industriels du secteur agroalimentaire doivent
impérativement augmenter leurs parts de marchés dans un monde où la concurrence
se fait chaque jour plus vigoureuse.
Tous éprouvent de multiples incertitudes, celles qu'entraîne le prochain
élargissement de l'Union européenne, celles qu'inspire l'évolution des marchés
agricoles mondiaux.
Mais - c'est là ma conviction profonde - notre secteur agricole et
agroalimentaire dispose de ressources considérables qui doivent l'aider à
affronter les enjeux d'avenir. Sa principale richesse, ce sont ces hommes et
ces femmes qui, par leur créativité et leur ténacité, ont permis en agriculture
une augmentation de la productivité et fait de notre pays le deuxième
exportateur agroalimentaire mondial.
Notre pays, à travers ses régions, est riche d'histoire, de traditions et de
savoir-faire. Les agriculteurs doivent pouvoir profiter au maximum du fruit de
leur travail.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des
Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines
travées du RSPE.)
M. René-Pierre Signé.
C'est très bien, mais il a oublié le budget de l'année dernière !
M. le président.
La parole est à M. Belcour.
M. Henri Belcour.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat
pour lequel nous sommes réunis aujourd'hui intervient avant d'autres
rendez-vous importants pour le monde agricole : l'examen futur par notre
assemblée du projet de budget pour l'agriculture, puis du projet de loi
d'orientation agricole, sur lequel vous travaillez sans doute actuellement,
monsieur le ministre.
Certains pourraient donc être tentés de qualifier le présent dialogue de
redondant. Il est, cependant, non dénué d'intérêt, car il permet au Sénat de
dresser un constat de la situation dans laquelle se trouve notre agriculture,
de faire le point et de dégager ensemble des perspectives d'action pour
l'avenir.
Notre pays jouit à la fois d'une vocation agricole qu'il convient de confirmer
sans complexe et de solides atouts qu'il nous appartient de sauvegarder avec
détermination.
On ne peut néanmoins passer sous silence la crise d'identité qui agite parfois
le milieu paysan, sème le trouble et laisse encore et toujours de nombreuses
questions sans réponse.
Cette crise revêt, en fait, plusieurs formes.
Tout d'abord, le modèle de développement, tel qu'il a été défini par les lois
d'orientation du début des années soixante, après avoir connu des années de
succès remarquables, tend à s'essouffler. Alors que des efforts de productivité
sont consentis sans cesse, le revenu diminue.
La politique agricole commune, quant à elle, bien qu'incontournable, est
parfois perçue plus comme un handicap que comme un atout. Plus globalement, le
monde rural sent le décalage entre lui et les villes s'accentuer, en même temps
qu'il voit s'accroître la distance entre le terroir et les centres de décision,
qu'ils soient nationaux, communautaires ou internationaux.
Au total, les agriculteurs peuvent apparaître à certains moments désorientés,
voire démobilisés, faute d'un véritable projet fédérateur pour leur avenir. Je
ne mettrai pas là en cause leurs organisations professionnelles, dont le
dynamisme reste exemplaire.
Il faut toutefois reconnaître que les difficultés sont nombreuses, que le
monde agricole s'avère, pour employer une expression très usitée ces temps-ci,
« pluriel » et que, par voie de conséquence, les remèdes miracles sont loin
d'être aisés à définir et à appliquer.
Je me bornerai donc, dans mon propos, à évoquer quelques questions en suspens
dont la résolution me paraît de plus en plus urgente. Mais je m'efforcerai
d'avancer en même temps, au nom de mon groupe politique, des propositions
d'action.
En tout premier lieu, et bien que certains de mes collègues s'y soient déjà
attardés, je veux revenir sur le volet agricole contenu dans le document
d'orientation présenté par le président de la Commission de l'Union européenne,
plus communément appelé « Agenda 2000 ».
Il est en effet difficile de ne pas aborder ce sujet à l'approche du Conseil
européen prévu au Luxembourg, les 12 et 13 décembre prochain, alors que se
préparent les négociations de la future Organisation mondiale prévue pour dans
deux ans.
Même si l'on est attaché à la préférence communautaire, comment ne pas se
montrer inquiet de ce qui est proposé dans le « paquet Santer » ?
On peut, certes, concevoir que l'affectation de 51 % des crédits européens à
l'agriculture peut représenter une lourde charge ; quoi qu'il en soit, on ne
saurait accepter sans conditions tout infléchissement en la matière.
Les réformes envisagées pour la politique agricole commune semblent en effet
ignorer les exigences particulières de l'élevage en zone herbagère.
L'élevage peut apparaître d'emblée défavorisé par rapport aux autres
productions soumises aux organisations communes de marché, pour lesquelles les
aides compensatoires à l'hectare sont beaucoup plus élevées.
C'est pourquoi l'Etat a judicieusement mis en place une prime à l'herbe, de
manière à participer à la rentabilité des élevages dans les zones réputées
difficiles.
Il en est ainsi de mon département, qui, situé à la lisière du Massif central,
bénéficie d'une réputation de qualité en matière de production agricole. Grâce
à ses élevages de tradition, comme celui des veaux de lait élevés sous la mère,
à son industrie laitière et fromagère connue dans le monde entier, cette région
s'efforce de répondre encore mieux aux exigences du marché, avec la mise en
place de garanties d'origine et le développement de produits biologiques, tout
cela en respectant, bien sûr, l'environnement.
C'est pourquoi, à une période où l'on parle plus que jamais de qualité des
produits, sur les plans tant gastronomique que sanitaire, il convient de
maintenir et d'encourager l'élevage traditionnel, en raison de son rôle à la
fois économique et environnemental.
Les organisations professionnelles comme les chambres d'agriculture ont d'ores
et déjà procédé à des simulations. Selon elles, le nouveau dispositif envisagé
signifierait une perte évaluée entre 1 000 francs et 1 200 francs par tête de
bétail, soit environ 40 000 à 50 000 francs pour une exploitation corrézienne
moyenne.
Les responsables agricoles ont des propos clairs et nets ; selon eux,
l'application en l'état des propositions prévues dans Agenda 2000 constituerait
« un véritable désastre ». Aussi attendent-ils instamment de vous, monsieur le
ministre, des garanties concernant la pérennisation de la prime à l'herbe,
d'une part, mais aussi et surtout un infléchissement des propositions contenues
dans le « paquet Santer », d'autre part.
Il ne faut donc pas que le Gouvernement français relâche son soutien et ses
actions en faveur de ses agriculteurs. C'est pourquoi nous aimerions savoir
quelle attitude vous adopterez lors de ces négociations, monsieur le
ministre.
Après les activités, j'en viens à présent aux acteurs, ces hommes et ces
femmes auxquels nous devons, grâce à leurs années de labeur infatigable, la
place qu'occupe aujourd'hui notre agriculture sur la scène internationale.
Et pourtant, la situation dans laquelle se trouvent les retraités agricoles
est - il faut le dire - inadmissible. Qu'on en juge par le montant des
pensions, à savoir 2 190 francs par mois en moyenne pour un ancien chef
d'exploitation, tandis que l'épouse percevra, elle, 1 147 francs dans les mêmes
conditions. La disparité avec les autres catégories socioprofessionnelles est,
en ce domaine, plus que flagrante. Peut-on, de nos jours, vivre avec 1 147
francs par mois, même si c'est à la campagne ?
Je prends la Haute Assemblée à témoin ; il s'agit avant tout d'une affaire de
dignité, et il est grand temps de porter remède à cette injustice.
Certes, il convient de le rappeler, des efforts ont été consentis par les deux
gouvernements précédents. Ce sont ainsi quelque 2,8 milliards de francs en
année pleine qui ont été apportés pour revaloriser les retraites agricoles, que
ce soit pour réévaluer les montants les plus faibles applicables aux chefs
d'exploitation en 1994, ou qu'il s'agisse de la réforme des pensions de
réversion réalisée grâce à la loi de modernisation agricole de 1995.
Il faut aussi rappeler que le projet de loi d'orientation pour l'agriculture
préparé par M. Philippe Vasseur, votre prédécesseur, monsieur le ministre,
comprenait, à la demande du Président de la République, un volet relatif aux
retraites des agriculteurs. Ce dispositif avait pour objet la revalorisation
progressive des plus faibles d'entre elles, de manière à assurer à la fois aux
chefs d'exploitation, à leurs conjoints et aux aides familiaux ayant eu une
carrière complète un niveau minimum de revenus comparable à ceux des autres
secteurs d'activités.
Il n'en demeure pas moins que de nouveaux progrès sont, à l'évidence, encore
nécessaires, notamment pour les pensions les plus faibles ou encore pour celles
des conjoints d'exploitant.
J'ai déjà eu l'occasion, pour ma part, de vous interroger à ce sujet par la
voie d'une question écrite, monsieur le ministre. Vous avez bien voulu
m'indiquer que des propositions d'amélioration étaient à l'étude. Une évolution
a été lancée par les précédents gouvernements dans ce domaine. Il vous revient,
à présent, de poursuivre cet effort de manière à parvenir à une parité
véritable entre celles et ceux qui ont travaillé la terre une vie durant et les
autres retraités.
Nous venons de le voir, notre agriculture doit énormément à ses anciens. Pour
autant, il ne faut pas perdre de vue l'importance particulière des plus jeunes
en matière de relève. L'effort en faveur de l'installation de ces derniers est
une nécessité impérieuse, tant pour la pérennité de l'agriculture elle-même
dans les zones défavorisées que pour l'équilibre du territoire.
Or, malgré les actions mises en oeuvre au cours des dernières décennies, les
installations des jeunes en agriculture n'ont cessé de régresser, passant
d'environ 33 000, en 1987, à environ 15 000 en 1995. Ce phénomène, s'il
perdure, risque d'affecter de manière profonde tout spécialement l'avenir de
l'agriculture de terroir par le défaut de mise en valeur de potentialités
naturelles susceptibles de créer à la fois de la richesse et des emplois, sans
ignorer - c'est important - les conséquences funestes de la désertification sur
la vie locale.
On ne peut, aujourd'hui, réfuter l'impact positif du système des préretraites
en matière d'installation des jeunes et d'agrandissement des exploitations
récemment mises en place.
Ne pourrait-on envisager une reconduction de ce dispositif, notamment en
faveur des exploitants en difficulté ?
Tels sont les principaux points que je tenais à évoquer et sur lesquels, je
l'espère, monsieur le ministre, vous serez en mesure de nous apporter des
orientations concrètes.
Le groupe sénatorial du Rassemblement pour la République, au seuil d'une
renégociation des modalités de la politique agricole commune, a perçu, pour sa
part, la nécessité pour notre pays de concevoir des décisions urgentes. Il a
donc pris l'initiative - l'un de mes collègues l'a dit tout à l'heure - de
déposer une proposition de loi afin de répondre aux préoccupations majeures du
monde agricole.
Ainsi, conformément à la volonté du Président de la République, qui a demandé,
dès 1995, la mise en chantier d'une grande loi d'orientation agricole, le
groupe du RPR du Sénat souhaite que des mesures soient rapidement débattues et
adoptées afin d'assurer la sauvegarde d'une agriculture française prospère au
sein de l'Union européenne.
En matière de transmission des entreprises agricoles, il propose de fixer les
objectifs prioritaires des aides financières de l'Etat, qui doivent avant tout
aller vers l'installation des jeunes, mais aussi vers la modernisation, le
regroupement et la reconversion partielle ou totale des entreprises en vue
d'améliorer leur viabilité.
En matière de fiscalité, il est proposé des mesures visant à inciter à
l'investissement dans les coopératives agricoles et à alléger les coûts de
transmission des exploitations.
Par ailleurs, s'agissant du statut du conjoint d'exploitant agricole, il est
envisagé une amélioration du point de vue social, notamment en matière de droit
à la retraite proportionnelle.
Une simplification des formalités administratives pour les emplois saisonniers
agricoles est également demandée.
Enfin, le groupe du RPR propose de faire de la politique de qualité un élément
essentiel des actions dans le domaine agricole et alimentaire.
Je suis persuadé que nous aurons l'occasion de reparler de tout cela
ultérieurement, car nous espérons bien voir cette proposition de loi soumise à
l'examen de la Haute Assemblée.
L'agriculture ne saurait être pour notre pays un fardeau désuet qu'il serait
contraint de supporter. Il faut, pour cela, lui donner les moyens d'une
modernisation accrue, afin de mieux l'adapter à la situation de la demande.
Mais il est également impératif d'établir de nouvelles relations entre la
nation et les agriculteurs, et surtout de redonner espoir à ces derniers.
En réaffirmant son attachement aux valeurs agricoles, notre Haute Assemblée
sera particulièrement attentive à votre action dans ce domaine, monsieur le
ministre.
(Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Deneux.
M. Marcel Deneux.
Monsieur le ministre, je veux d'abord vous remercier d'avoir accepté la tenue
de ce débat, qui est maintenant traditionnel au Sénat et qui nous a sûrement
permis de mieux comprendre les lignes directrices de votre action au ministère
de l'agriculture.
M. Jean François-Poncet, président de la commission des affaires économiques
et du Plan, a, dès le début de la discussion, dit l'essentiel sur ce que sont,
pour nous, les perspectives de l'agriculture française dans les années à venir
et souligné les inquiétudes qui sont les nôtres. Je n'y reviens donc pas, si ce
n'est pour dire que je partage son opinion.
Dès lors, je me contenterai de reprendre quelques points de votre exposé
liminaire, en essayant de voir avec vous si vous apportez toujours la réponse
adaptée, compte tenu des objectifs que vous affirmez vouloir atteindre.
Vous avez dit en introduction que l'agriculture avait rempli ses objectifs,
qu'il y avait eu des lois d'orientation voilà trente-cinq ans et que,
aujourd'hui, aux yeux de l'opinion publique, l'agriculture n'apparaissait plus
comme créatrice d'emplois. C'est vrai, mais il faut savoir ce que l'on veut :
on ne peut pas avoir la meilleure agriculture du monde, la première en matière
d'exportation, celle qui a la plus forte croissance et le plus fort gain de
productivité de tous les secteurs économiques du pays, tout cela avec des
quotas, et, dans le même temps, laisser supposer qu'elle va créer des emplois.
Il y a dans tout cela un équilibre.
Notre agriculture est performante dans un périmètre limité : nous ne pouvons
donc pas créer d'emplois.
« La production des denrées alimentaires reste l'objectif. » J'en prends
acte.
« Il faut un nouveau contrat où équilibre et ouverture devraient être
associés. » Equilibre, bien sûr, mais quel équilibre ? S'agit-il de
l'occupation équilibrée du territoire ? Dans la pratique, comment le ministère
utilise-t-il le Fonds de développement rural ? Qu'avez-vous fait du Fonds
d'intervention pour le développement industriel local, le FIDIL ? Avec sa
transformation en Fonds d'intervention pour l'aménagement du territoire - FIAT
- qu'y avons-nous gagné ?
Nous regrettons la disparition du FIDIL. Ce fonds commençait à faire la preuve
de son efficacité tant comme levier d'énergie et des volontés sur le terrain
que comme élément mobilisateur des financements locaux.
Que faisons-nous de la prime à l'herbe ? Dans deux mois, ce régime arrive à
son terme et nous ne savons pas ce qu'il en sera du nouveau. Etes-vous prêt à
le moderniser, à augmenter la dotation, à revoir ses critères d'accès qui sont
quelque peu désuets ?
Que faisons-nous de l'indemnité compensatrice des handicaps naturels ?
Quel devenir envisagez-vous pour l'ISM - indemnité spéciale de montagne - pour
la mécanisation agricole de la montagne ? Equilibre encore !
« La croissance des exploitations à forme sociétaire est parfois
déraisonnable. » Certes, cela peut arriver, mais il faut en discuter, analyser
l'évolution de la politique des structures, voire son adaptation par
production, par région.
Etes-vous sûr, monsieur le ministre, que, partout, tous les moyens
réglementaires qui sont à votre disposition sont utilisés pour conduire une
politique des structures correspondant aux objectifs à atteindre ?
Sur l'équilibre, monsieur le ministre, je voudrais que vous repreniez à votre
compte une formule d'un dirigeant agricole contemporain qui dit bien ce qu'elle
veut dire : « Nous souhaitons une agriculture qui ne soit ni américaine ni
tyrolienne. » Entre ces deux pôles, il y a un juste milieu. Je souhaiterais,
monsieur le ministre, que ce soit votre ligne de conduite dans les prochains
mois.
Vous nous dites encore qu'il faudra organiser le rapport de forces au sein des
filières. C'est vrai et j'y travaille depuis un certain nombre de décennies.
Mais, sur le plan réglementaire, sur le plan législatif sommes-nous prêts ?
Etes-vous prêt, monsieur le ministre, à recodifier l'ensemble des mesures
d'organisation économique des trente-cinq dernières années, à ouvrir le
chantier de la rénovation nécessaire du statut de la coopération agricole ?
Etes-vous prêt à reparler de l'économie contractuelle entre les industries
agroalimentaires et les productions agricoles, sous l'éclairage nouveau et
actuel des rapports entre les industries agricoles de transformation et les
distributeurs ?
Par ailleurs, vous insistez - et c'est une formule dont nous avons beaucoup
entendu parler au cours des dernières années - sur le fait qu'il faudrait que
des jeunes qui ne sont pas issus du milieu agricole s'installent. Bien sûr,
tous les gens qui n'ont pas trop réfléchi à cette question vous approuveront,
avec beaucoup de générosité, mais je voudrais souligner que le nombre de jeunes
concernées ne sera jamais très grand. Je n'ai pas le temps de développer ici ma
pensée, mais j'avais affirmé, en 1983, d'une façon sans doute abrupte et un peu
caricaturale, je le concède, qu'en agriculture l'avenir des installations était
un domaine où brillaient les fils uniques d'agriculteurs riches.
Ces propos sont toujours d'actualité. Si nous voulons installer des jeunes qui
ne viennent pas du milieu agricole, il nous faut créer des modalités de
transmission des entreprises et d'installation de jeunes ainsi que des
conditions fiscales et financières qui n'existent pas aujourd'hui. Alors,
parlons de ce que nous connaissons.
Il faudra essayer d'amener à l'agriculture des jeunes qui ne sont pas issus de
ce milieu, mais leur nombre ne représentera jamais qu'un pourcentage que l'on
pourra compter sur les doigts des deux mains.
Vous nous dites encore, et j'avoue n'avoir pas bien compris le sens de cette
expression, que les institutions qui gèrent le monde agricole doivent s'ouvrir.
Mon Dieu, pourquoi pas ? Mais si cette formule vise toutes les constructions
que notre génération a mises en place pour permettre l'évolution de
l'agriculture française et l'amener au niveau qui est le sien aujourd'hui,
aussi bien sur le plan économique et social que sur celui des structures,
sachez, monsieur le ministre, qu'il faudra, si vous souhaitez ouvrir ces
institutions, le faire avec beaucoup de prudence et de doigté, parce qu'elles
n'ont pas démérité dans leur forme actuelle et parce que les agriculteurs y
sont profondément attachés.
« Renforcer le lien entre la formation et la recherche. » Certes, on ne peut
que vous approuver, car cela va de soi dans toute activité qui se développe.
Mais l'orientation de l'INRA vous échappe.
Qu'en sera-t-il dans deux mois du programme Aliments demain ?
Pourquoi a-t-on abandonné le programme Agriculture demain ?
Il faudra ajuster les crédits, les actes ou les actions à l'objectif auquel,
du reste, je souscris : il nous faut renforcer le lien entre la formation et la
recherche. Mais nous n'en prenons pas le chemin.
« Il faut permettre aux produits agricoles de se développer sur des marchés
extérieurs. » Vous prêchez des convaincus ! Tous ceux qui croient au
développement de l'agriculture exportatrice ne peuvent que vous approuver. Mais
cela est-il cohérent avec l'évolution du budget de la SOPEXA ?
Dois-je rappeler que l'industrie agroalimentaire exporte pour 213 milliards de
francs, que le solde représente 58,5 milliards de francs, soit 47 % du solde du
commerce extérieur français, et que l'on brise un peu les ailes de notre
politique à l'exportation ?
Certes, vous nous avez annoncé qu'un audit était en cours. Mais je sais très
bien comment les choses vont se terminer : si, au milieu de l'année prochaine,
l'audit révélait qu'après tout il était possible de modifier les orientations
et de moduler différemment les crédits, ceux qui n'auront pas été inscrits sur
les lignes budgétaires de cette année n'existent pas. La SOPEXA disposera ainsi
d'un budget amputé de 40 millions de francs : 40 millions de francs sur une
dotation de 160 millions de francs, cela représente 25 %. Ce n'est pas ainsi
que l'on développe les exportations et que l'on encourage ceux qui
exportent.
Vous vous interrogez sur les débouchés des grandes productions. Nous aussi
!
Vous êtes inquiet quant aux débouchés de la viande bovine et des céréales. Je
partage, avec des nuances, ce sentiment. Je le partage davantage en ce qui
concerne la viande bovine que les céréales. Pourquoi ? Parce que, sur le marché
mondial des céréales, les prix français sont compétitifs et il existera
toujours un marché mondial des céréales.
En revanche, s'agissant de la viande bovine, j'ai de grandes inquiétudes que
vous semblez partager. C'est sur ce secteur qu'il faudra faire porter nos
efforts.
La viande bovine souffre actuellement de plusieurs handicaps. Je vous en
citerai trois.
Premièrement, l'abaissement du prix des céréales dans un espace géographique
fermé - c'est le cas en Europe - avantage toujours la viande blanche.
Deuxièmement, la diététique ne va pas dans le sens de l'augmentation de la
consommation de viande rouge ; nous perdons chaque année 1,2 à 1,5 % de
consommation de viande rouge depuis dix ou quinze ans.
Troisièmement - ce dernier handicap est beaucoup plus grave à mon sens - la
filière de la transformation de la viande bovine en France ne se modernise pas
assez rapidement. Cette filière n'a pas trouvé son équilibre économique. Il
n'existe pas d'adéquation permanente entre ce que nous produisons comme en
France et ce que nous consommons. En fait, nous produisons pour exporter et
nous importons pour consommer. Il y a là un vrai débat, difficile, mais telle
est la réalité de la filière de la viande bovine en France.
Vous avez émis, monsieur le ministre, quelques considérations, que je partage,
s'agissant du projet de réforme de la politique agricole commune, qui ne vous
convient pas.
Vous avez également évoqué quelques autres filières, notamment la filière
lait. S'agissant de cette dernière, des propositions ont été présentées à
Bruxelles ; elles sont bonnes, vous les approuvez pour partie. La position de
la France sur ce point est maintenant bien connue.
S'agissant de la filière des oléagineux, selon un dossier techniquement et
politiquement solide, nous manquons de protéines. Il faut se battre !
A côté de la filière des oléoprotéinagineux, un secteur est en développement,
celui des biocarburants.
Quelle est notre politique en matière de biocarburant ? Le diester, c'est du
colza transformé.
Que faisons-nous, monsieur le ministre, en matière de biomasse ? J'ai relevé
dans le document que vous nous avez envoyé,
Cinq ans de crédits publics en
agriculture
, 5 millions de francs de concours publics pour l'AGRICE en
1996.
Je vous rappelle que la Suède a un plan de développement des biomasses qui
assurera, en l'an 2000, 10 % de son énergie. Nous n'en sommes pas là, alors que
nous notre agriculture est surabondante et productive.
« Le plafonnement des aides est sur la table ». C'est vrai, nous avons tardé à
ouvrir ce dossier. Il faudra replacer les choses dans leur contexte français
et, notamment, modifier la fiscalité des exploitations et des entreprises
agricoles.
Tous les orateurs l'ont dit avant moi, tout cela est vraiment inquiétant. Il
est important que la France, premier pays agricole d'Europe, ait, dans les
négociations à Bruxelles, une position de « granit ». C'est votre
responsabilité, monsieur le ministre.
J'en arrive au projet de budget de l'agriculture pour 1998. Il s'élevait à 174
milliards de francs. Quand nous en avons pris connaissance, il était un peu
supérieur après son examen par l'Assemblée nationale. Je ferai un certain
nombre de remarques.
Il apparaît tout d'abord qu'après une longue période marquée par une
augmentation des dépenses, conséquence logique de la réforme de la PAC, ces
dernières tendent à se stabiliser, voire à décroître.
Il convient aussi de souligner la grande fragilité des chiffres qui nous sont
communiqués chaque année et qui donnent lieu, régulièrement, à de très forts
réajustements sur lesquels on ne revient pas.
Ainsi en est-il, par exemple, des versements de l'Union européenne au bénéfice
de l'agriculture française - soit 69,4 milliards de francs en 1998 - dont le
calcul est particulièrement aléatoire.
Enfin, il est nécessaire de distinguer les dépenses réellement affectées à
l'agriculture de celles - les plus nombreuses - qui ne relèvent pas d'une
politique agricole. Il en est ainsi d'un grand nombre de chapitres du budget du
ministère de l'agriculture qui n'ont pas de retombées agricoles directes, comme
les dépenses affectées au fonctionnement du ministère - 9,747 milliards de
francs - ou celles qui sont destinées à l'action éducative et qui relèvent,
in fine,
du service public de l'enseignement.
De même, il est toujours surprenant de voir comptabilisées au seul usage de
l'agriculture un certain nombre de mesures touchant tant à la politique de la
forêt qu'à celle de l'aménagement du territoire et qui, finalement, profitent à
tous les Français.
M. Paul Raoult.
Mais il ne restera plus rien !
M. Marcel Deneux.
Il faut, de plus, souligner que l'agriculture est la seule branche d'activité
qui se voit imputer des dépenses sociales. A cet égard, les 63 milliards de
francs qui correspondraient au versement du BAPSA pour 1998 ne doivent
aucunement être considérés comme une aide, mais relèvent tout à fait
normalement de la solidarité nationale entre les régimes sociaux.
M. Paul Raoult.
L'avez-vous dit l'an dernier ?
M. Marcel Deneux.
Bien sûr !
M. Bernard Piras.
C'était plus discret !
M. Marcel Deneux.
Dès lors, quel jugement porter sur votre projet de budget pour 1998, monsieur
le ministre ?
Ce budget est mauvais, si je considère les besoins de la France en 1998, et
compte tenu du fait qu'il faut réduire coûte que coûte, même dans les secteurs
qui nous paraissent cruciaux, les dépenses publiques. Nous ne pouvons pas
continuer à avoir un budget dont les dépenses publiques s'accroissent.
Sur vos quatre priorités, je suis d'accord.
Le bon budget, monsieur le ministre, serait celui qui réduirait des dépenses
improductives et qui préparerait l'avenir en favorisant les investissements
productifs. Cela est possible puisque votre projet de budget comporte
trente-six chapitres ; mais cela ne me paraît pas être le cas car, à y regarder
d'un peu plus près, un bon indicateur de l'évolution des crédits de l'Etat en
faveur de l'agriculture peut être trouvé dans l'agrégat n° 1 du budget de
l'agriculture qui s'intitule « Dépenses en faveur des activités agricoles
productives ». C'est là qu'on prépare l'avenir. Or, les crédits consacrés à ce
chapitre sont en baisse de 2,2 %. Est-ce bien la préparation de l'avenir que
nous attendons ? L'agriculture française a besoin de plus de valeur ajoutée.
Votre tâche est difficile, je le concède. Je sais que votre compétence, alliée
à votre expérience, vous permettront de prendre en compte ces diverses
réflexions, de les transformer en actions positives en faveur de l'agriculture
française et en faveur de tous ceux qui en font leur métier.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR, des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Paul Raoult.
La conclusion est très bonne !
M. le président.
La parole est à Mme Bardou.
Mme Janine Bardou.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à la fin de
ce débat, je voudrais insister sur le volet montagne de ces mesures
budgétaires, en les reliant, d'une part, à la préparation de la loi
d'orientation agricole et, d'autre part, à la politique d'aménagement du
territoire.
Lorsqu'on vous écoute, monsieur le ministre, la plupart des orientations que
vous dégagez en faveur de la politique agricole pourraient paraître conformes
aux intérêts des zones de montagne, qui représentent - je le rappelle - près de
23 % de la superficie du pays, près de 8 % de la population française, et près
de 17 % des communes.
Vous parlez de la nécessité de replacer le territoire au coeur de la politique
agricole, de favoriser la diversité des modes de développement des
exploitations, de restaurer le lien entre les agriculteurs et les produits
qu'ils élaborent.
Ces axes, je ne peux que les approuver, en tant que représentante d'un
département où les agriculteurs se battent pour maintenir non seulement
l'activité de production, mais aussi l'occupation du territoire.
Si le dialogue se bâtit autour de ces orientations, nous pourrons parvenir à
définir ensemble les voies de l'avenir. Je me permets d'insister cependant sur
la nécessité de consulter toutes les parties prenantes et de ne pas
sous-estimer les spécificités territoriales, telles celles de la montagne.
Au-delà des mots, nous attendons des actes et des mesures précises. Pris sous
cet angle, monsieur le ministre, votre projet de budget demeure
insatisfaisant.
L'une des quatre priorités affichées est l'installation des jeunes. Je
m'interroge sur la portée de la création du Fonds pour l'installation en
agriculture, censé remplacer le Fonds pour l'installation et le développement
des initiatives locales, car cette substitution présente un risque de réduction
des crédits.
Toujours concernant l'installation des jeunes, je rappelle qu'un autre frein
existe ; il s'agit de la limitation des droits à produire, qui devrait être
plus favorable pour les zones de montagne, compte tenu de la faible part de ces
productions dans l'ensemble national.
La préretraite a été très longuement évoquée par les divers orateurs ; je n'y
reviendrai pas. Cependant, en Lozère, cette mesure a permis d'installer plus de
vingt agriculteurs chaque année.
En ce qui concerne la politique de la montagne, j'ai le regret de constater
que le projet de loi de finances n'apporte aucune amélioration, puisque la part
consacrée aux indemnités compensatoires de handicaps naturels passe de 1 650
millions de francs à 1 560 millions de francs. Même en tenant compte des
financements du FEOGA et de la diminution des UGB primées, les indemnités par
tête ne sont revalorisées que de 1,5 %, soit à peine le niveau de
l'inflation.
J'insiste sur le fait que les agriculteurs demandent une augmentation de 20 %
du montant de l'ISM.
Je rappelle que, dans son memorandum pour une agriculture de montagne, le
gouvernement précédent avait défendu, en 1996, un relèvement du plafond
communautaire de 180 écus à 250 écus par UGB ou hectare. Ce relèvement, peu
coûteux, puisqu'il ne concernerait pleinement que la haute montagne et la
montagne sèche, dont les effectifs primés sont faibles, est indissociable d'une
revalorisation de l'ISM dont ne sauraient être exclues les zones confrontées
aux plus forts handicaps.
Un aménagement de l'ISM végétale serait parallèlement opportun. Des
productions végétales telles que les châtaigneraies ont en effet un rôle à
jouer en matière de gestion de l'espace, et elles devraient désormais être
éligibles à l'ISM.
S'agissant de l'aide aux bâtiments en zone de montagne, le budget n'offre
aucune perspective d'amélioration, car le chapitre « modernisation des
exploitations » pour les bâtiments de montagne reconduit en francs courants les
dépenses de 1997. Il serait pourtant souhaitable de pérenniser des moyens
budgétaires suffisants, car vous connaissez, monsieur le ministre, les surcoûts
liés à la montagne : le niveau des crédits indispensables aux bâtiments
d'élevage en zone de montagne a ainsi été estimé à 100 millions de francs. Le
plafond de la subvention, qui n'a pas été réévalué depuis longtemps, mériterait
d'être porté à 100 000 francs.
Par ailleurs - je crois que cela a déjà été dit - depuis 1991, l'aide à la
mécanisation a été réduite à la portion congrue, malgré les surcoûts supportés
en matière de matériel.
S'agissant de la prime à l'herbe, dont l'importance est réelle dans
l'utilisation plus équilibrée de l'espace agricole, l'enjeu actuel est la
revalorisation de son montant, afin de rendre la mesure plus incitative pour le
maintien et l'entretien des surfaces en herbe, mesure qui s'inscrit tout à fait
dans une réelle politique d'aménagement du territoire.
Il est enfin regrettable de constater que le programme pour 1998, destiné aux
mesures agri-environnementales, est peu ambitieux. L'enveloppe spécifique ne
serait que de 155 millions de francs. Même si ce montant représente une
augmentation de 30 % par rapport à 1997, le risque existe de ne pas satisfaire
les besoins d'accompagnement des agriculteurs vers de nouvelles méthodes de
production dont nous avons pourtant fort besoin dans les zones de montagne.
Je souhaite aussi déplorer, à la suite de mon collègue M. Jean-Paul Emorine,
l'évolution du Fonds de gestion de l'espace rural, le FGER. Ce dernier a un
impact incontournable sur l'aménagement de l'espace car il contribue à la
diversification et au maintien de l'agriculture dans les zones difficiles.
Ce fonds a pourtant souffert de trop d'aléas budgétaires et il me paraît donc
nécessaire d'instituer une ressource qui le pérenniserait. Il me semblerait
opportun de réfléchir par exemple à la création, comme cela a déjà été proposé,
d'une taxe sur les changements d'affectation des terres agricoles.
L'utilité de ce fonds est d'autant plus pertinente que, dans le plan pour
l'emploi des jeunes, figure la fonction entretien de l'espace.
Enfin, j'aborderai brièvement la question de l'aménagement du territoire.
Il est urgent que la France définisse une politique forte de cohérence
territoriale pour son agriculture et son milieu rural, en renforçant
l'équilibre produits - hommes - territoires, afin de la faire valoir au niveau
européen.
Nous aurons l'occasion de développer nos arguments sur ce point devant Mme le
ministre chargée de l'aménagement du territoire et de l'environnement. Je me
permets cependant d'insister auprès de vous, monsieur le ministre, pour que
l'agriculture soit intégrée dans la définition d'une véritable politique
européenne d'équilibre des territoires.
L'actuel projet de réforme des fonds structurels me paraît inquiétant car
nulle part la montagne n'est citée, à quelque titre que ce soit. Les élus de la
montagne ont élaboré un mémorandum dans lequel ils insistent sur la nécessité
de prendre en compte cinq objectifs majeurs pour une véritable politique de la
montagne, et cela à trois niveaux : les politiques générales ; les politiques
locales de développement des fonds structurels, où un régime plus
spécifiquement montagnard s'impose ; les « programmes intégrés et concertés de
massifs », qui paraissent être le bon échelon pour compléter les actions menées
sur le plan général et local.
Cela demande un important travail de persuasion et d'explication. Je
souhaiterais donc que vous puissiez me dire, monsieur le ministre, quelle
attention vous voudrez bien prêter à ces orientations et sur quels points
précis vous seriez prêt à prendre nos considérations en compte, voire à engager
la négociation avec les autorités européennes.
Monsieur le ministre, je vous remercie par avance des réponses que vous
voudrez bien apporter à mes observations, et je souhaite, pour ma part,
conclure sur une réflexion d'Edgar Pisani, dont je ne doute pas que vous
apprécierez la portée : « La France est un pays d'équilibre et doit le rester.
Nous ne pouvons pas nous permettre de laisser inoccupés de vastes espaces. Ce
n'est pas notre culture, ce n'est pas notre civilisation, ce n'est pas notre
intérêt. »
(Applaudissements sur les travées des Républicains et
Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées
du RDSE.)
M. Louis Le Pensec,
ministre de l'agriculture et de la pêche.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Louis Le Pensec,
ministre de l'agriculture et de la pêche.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, en choisissant de traiter d'abord des thèmes
communautaires, j'entends souligner non seulement l'importance que vous
attachez à ces thèmes, mais aussi le caractère prioritaire de cette question
pour l'avenir de notre politique agricole.
Vous avez été nombreux à vous émouvoir des propositions de réformes de la PAC
telles qu'elles sont représentées par la Commission. J'espère être exhaustif en
citant MM. François-Poncet, Huchon, Barraux, de Menou, Minetti, du Luart,
Piras, Rigaudière, Emorine, Belcour, et Deneux.
Je vous ai moi-même indiqué dans mon discours d'introduction les vives
réserves que soulevaient les propositions de la Commission, et j'y reviendrai
dans un instant.
Je voudrais dire cependant qu'il faut aborder cette dure négociation en
portant un diagnostic exact sur la situation et sur le projet qui est en
cause.
L'adaptation de la PAC ne saurait être refusée par principe. Gardons-nous
d'idéaliser la PAC telle qu'elle a fonctionné jusqu'en 1992. Le soutien des
prix, qui en constituait le mécanisme essentiel, n'a pas empêché la disparition
de plus de la moitié des exploitations agricoles de notre pays en trente ans et
l'apparition des graves déséquilibres que nous constatons.
Je dirai également qu'il est difficile de voir dans le projet de la
Commission, qui prévoit une croissance du budget agricole de l'Union européenne
de plusieurs milliards d'écus, l'expression du libéralisme économique le plus
sauvage.
Ces remarques n'atténuent pas les critiques que je porte au projet de la
Commission, mais elles signifient que nous ne devons pas nous tromper
d'enjeux.
MM. Poncelet, Barraux, du Luart, Rigaudière et Belcour ont fait part de leurs
inquiétudes sur la situation de l'élevage bovin, en relation avec les
propositions retenues par l'Agenda 2000.
Je considère comme eux que ces propositions sont inacceptables et je rappelle
en quelques mots de quoi il s'agit.
La Commission européenne propose une baisse des prix de soutien de 30 % en
trois ans, de l'an 2000 à l'an 2002. Dans le même temps, elle propose de
supprimer le système des achats à l'intervention existant actuellement, qui
conduit les autorités publiques à se porter acquéreurs de viande bovine et à la
stocker pour soutenir le marché en période de crise, pour le remplacer par un
dispositif de stockage privé inspiré de celui qui existe dans le secteur
porcin.
Cette baisse des prix de soutien serait compensée par une augmentation des
primes versées aux éleveurs. La prime à la vache allaitante augmenterait de 48
%, en passant de 958 francs à 1 421 francs par animal, tandis que la prime aux
engraisseurs de taurillons progresserait de 173 %, passant de 892 francs à 2
432 francs par animal.
Ces chiffres me conduisent à formuler une première remarque : le projet de
réforme présenté est lourdement déséquilibré. Il favoriserait l'élevage
intensif orienté vers l'engraissement des taurillons, dont la majorité sont
issus de l'élevage laitier. A l'inverse, il défavoriserait l'élevage allaitant,
qui est une composante essentielle de l'économie des zones agricoles
difficiles, donc un facteur important d'occupation équilibrée du territoire.
Seconde remarque : la réforme proposée repose sur l'idée que la baisse des
prix permettra de relancer la consommation de viande bovine dans l'Union
européenne et d'exporter sans restitutions sur les marchés tiers. Ainsi, nous
éviterions la crise annoncée au début du siècle prochain et résultant de
l'existence d'un excédent de production non exportable, en raison des
contraintes de l'OMC, de plusieurs centaines de milliers de tonnes.
En fait, rien ne prouve qu'une baisse de prix de 30 % à la production se
traduirait par une baisse de même ampleur pour le consommateur.
L'expérience récente - je pense à celle de l'année 1996 - montre au contraire
que nous pouvons assister à un effondrement des prix à la production sans
baisse des prix à la consommation. Si la même chose se reproduisait demain, la
réforme n'aboutirait qu'à augmenter les dépenses publiques, tout en mettant en
cause le revenu des éleveurs, sans améliorer l'équilibre entre l'offre et la
demande.
Par ailleurs, la suppression du système des achats à l'intervention laisserait
les pouvoirs publics désarmés face à de nouvelles crises conjoncturelles, le
stockage privé pratiqué pour réguler les crises porcines étant inadapté à la
durée des cycles de la production bovine.
C'est pourquoi, sans m'opposer à un ajustement nécessaire des prix de la
viande bovine face à la compétitivité renforcée des viandes de porc et de
volaille, je m'opposerai à la baisse brutale des prix et je soutiendrai le
principe du maintien de l'intervention publique.
Une véritable adaptation des règles de fonctionnement de la PAC dans le
secteur bovin suppose également que l'Union européenne réfléchisse à d'autres
mécanismes de maîtrise de la production que ceux qui résulteraient de la simple
baisse des prix. M. Barraux a évoqué l'idée de rendre les génisses destinées à
l'abattage éligibles à la prime à la vache allaitante. Cette suggestion me
semble intéressante. Sa mise en oeuvre serait de nature à inciter les éleveurs
à entretenir un cheptel moins important de vaches mères, et, par voie de
conséquence, à favoriser la réduction de la production de viande bovine.
Enfin, je veillerai à ce que l'élevage allaitant extensif bénéficie d'une
juste compensation des éventuelles baisses de prix, en recourant au relèvement
à un niveau approprié des primes aux éleveurs concernés.
S'agissant du secteur laitier, j'estime que la proposition de la Commission
européenne manque de cohérence. M. Deneux a évoqué ce point : elle consiste à
maintenir les quotas laitiers, à baisser les prix de soutien du lait de 10 % et
à compenser cette baisse de prix par une prime d'environ 1 000 francs par vache
laitière.
J'ajoute que la Commission propose une autre mesure qui affectera directement
les éleveurs laitiers, à savoir la suppression de l'aide au maïs ensilage.
Si le maintien des quotas laitiers me paraît être une sage décision, en
revanche, je ne conçois pas l'utilité d'une baisse des prix qui pénaliserait
l'ensemble de la production dans le seul but de permettre d'en exporter une
très faible partie sans subventions sur les marchés extérieurs à l'Union
européenne.
En outre, cette nouvelle aide aux vaches laitières serait très coûteuse, alors
qu'elle ne suffirait pas à compenser la perte de revenus des producteurs qui
seront affectés non seulement par la baisse des prix, mais aussi par la
suppression de l'aide au maïs ensilage. Il m'apparaît ainsi à la fois plus
simple, moins coûteux et plus logique de ne pas baisser les prix, de maintenir
l'aide au maïs ensilage et de ne pas instaurer une nouvelle aide aux vaches
laitières.
Toutefois, un assouplissement des règles actuelles concernant les quotas
laitiers est nécessaire pour permettre notamment d'améliorer nos performances à
l'exportation. C'est à cela que je souhaite que la Commission travaille, et
uniquement à cela.
En ce qui concerne les grandes cultures, la Commission propose une série de
mesures qui affectent à la fois le secteur des céréales et celui des oléagineux
et protéagineux.
J'estime que la proposition d'aligner les aides de toutes les productions sur
les aides céréalières est susceptible de déstabiliser l'équilibre entre les
grandes cultures. De ce point de vue, je suis très réservé sur le niveau des
aides pour la culture des graines oléagineuses.
Cette proposition risque de mettre en péril à la fois les revenus des
producteurs et l'indépendance de notre approvisionnement en matière
d'alimentation animale. Il y a là une concession anticipée aux exigences
américaines.
L'amélioration des propositions de la Commission sur cette dernière question
sera, pour moi, un élément essentiel dans la négociation.
J'espère, mesdames, messieurs les sénateurs, vous avoir convaincu de ma
détermination à défendre les intérêts de notre agriculture dans les
négociations à venir. J'ai bien entendu le sentiment que vous avez exprimé sur
cette question, j'ai compris votre volonté d'être tenus informés, associés, à
de telles discussions, ainsi que votre détermination à apporter au Gouvernement
le concours de votre Haute Assemblée pour soutenir de telles ambitions.
La France, et cela a été dit, premier pays agricole de l'Union européenne, a
une responsabilité particulière dans cette négociation. Soyez assurés que j'en
ai parfaitement conscience et que j'entends assumer pleinement cette
responsabilité.
Plusieurs d'entre vous - MM. François-Poncet et Piras - ont évoqué le
rééquilibrage des aides aux grandes cultures.
J'ai en effet, dès l'été, souhaité une plus grande équité dans la répartition
de ces aides. Une concertation a donc été conduite en septembre, à l'issue de
laquelle j'ai arrêté un dispositif de rééquilibrage. La première phase sera
mise en oeuvre pour la récolte 1999, après laquelle un bilan sera fait.
Les étapes suivantes s'intégreront dans la réforme qui résultera des
négociations sur le « paquet Santer ».
En avançant, avec prudence et progressivité, dans la voie d'une diminution des
écarts entre les différents niveaux d'aides, y compris celles qui sont
destinées aux cultures sèches et irriguées, je pense répondre aux souhaits
d'une très large majorité d'agriculteurs ainsi qu'à la volonté de l'opinion
publique.
Pour répondre à M. François-Poncet, je précise que, ce faisant, je ne condamne
pas, bien au contraire, l'irrigation bien conduite, pratiquée légitimement dans
les régions qui en ont besoin.
J'en viens au secteur des industries agroalimentaires, un des thèmes
principaux traités par M. Signé. C'est un secteur clé de notre économie
nationale et j'entends le dynamiser en donnant une forte priorité au
développement d'une politique de qualité.
Cette politique doit être prise sous ses deux acceptions : qualité au sens
organoleptique et qualité sanitaire des produits. En effet, la qualité est un
argument de vente : la qualité organoleptique pour séduire et conserver le
consommateur, la qualité sanitaire pour le rassurer et permettre les ventes à
l'exportation.
Il n'est pas nécessaire de justifier longuement cette priorité donnée à la
qualité, ne serait-ce qu'en raison des crises récentes de l'encéphalopathie
spongiforme bovine ou des contaminations dues aux listeria.
Dans ce cadre, le projet de loi concernant la qualité sanitaire des aliments -
et je réponds sur ce point à M. Deneux - va être prochainement réexaminé par le
Gouvernement. Toutefois, avant de reprendre ce projet, il me semble nécessaire
d'avoir une vision plus claire de l'organisation de la sécurité sanitaire en
France.
La proposition de loi concernant les agences de sécurité sanitaire est, vous
le savez, en cours d'examen et sera bientôt, je l'espère, discutée par
l'Assemblée nationale. Le dispositif de ces agences sera clairement établi ; le
projet de loi sur la qualité sanitaire des aliments pourra être alors
redéposé.
M. Poncelet a rappelé son souci de préserver les productions traditionnelles,
en particulier les fromages. C'est également un souci constant de mon
ministère, qui suit avec beaucoup d'attention l'évolution des projets de textes
au sein du
Codex alimentarius.
Lors de la réunion de juin dernier de la
commission du Codex, la proposition des Etats-Unis de rendre la pasteurisation
quasi obligatoire n'a pas été adoptée, notamment grâce à la mobilisation par la
France des Etats membres de l'Union européenne.
De plus, je reste vigilant pour qu'à l'occasion de l'établissement des codes
d'usage en matière de l'hygiène du lait et des produits laitiers l'acquis
communautaire reste effectif.
Afin de répondre à mon objectif de promotion des produits de qualité, que
j'estime être une base essentielle du développement du secteur agroalimentaire,
le chapitre « promotion et contrôle de la qualité » voit ses crédits augmenter
de plus de 20 % cette année.
La prime d'orientation agricole permet, comme vous le savez, le soutien des
investissements physiques des entreprises à l'aval des productions agricoles :
stockage-conditionnement, transformation. Cette prime diminue essentiellement
par un effet mécanique de l'étalement dans le temps des contrats Etat-régions
décidé par le précédent Gouvernement.
Le FEOGA est une aide communautaire pour ces mêmes entreprises. La
mobilisation de ces fonds communautaires est conditionnée à l'attribution et au
versement d'une aide d'origine nationale, et l'essentiel est préservé puisque
la mobilisation de la section Orientation du FEOGA au profit des
investissements à l'aval de l'agriculture sera assurée.
De plus, j'appelle votre attention sur le fait que la dotation disponible pour
les fruits et légumes venant de la section Orientation du FEOGA est très large.
Aussi, les projets présentés peuvent être aidés pourvu qu'ils répondent aux
orientations arrêtées dans le cadre communautaire d'appui et dans le document
de programmation approuvé par la Commission qui définissent les conditions
d'intervention du fonds européen sur la période 1994-1999.
MM. Barraux, de Menou, Mathieu et François sont intervenus sur le dossier de
la SOPEXA.
Les crédits inscrits au titre de cette société baissent de 20 % cette année.
On me permettra de faire remarquer qu'il s'agit d'un problème récurrent et de
noter que le budget global de la SOPEXA n'a cessé d'augmenter ces dernières
années. Je ne méconnais pas que des actions importantes réalisées par la SOPEXA
pourraient être compromises si des moyens alternatifs de financement n'étaient
pas trouvés ; j'ai entendu M. Deneux sur ce point.
En tout état de cause, j'ai demandé au président et au directeur général de la
SOPEXA d'élaborer un projet de contrats d'objectifs avec mon ministère, en
concertation avec les familles professionnelles concernées. L'élaboration de ce
contrat d'objectifs fournira l'occasion d'intensifier la concertation et
permettra à chacun de faire valoir ses préoccupations. Elle permettra aussi
d'examiner si les types d'actions habituellement engagées sont les mieux
adaptés ou si des réorientations s'imposent.
Parallèlement à la demande du Gouvernement, une mission d'analyse approfondie
de la SOPEXA est conduite conjointement par l'inspection générale des finances
et celle de l'agriculture. Ses conclusions sur l'adéquation entre les objectifs
et les moyens de la société devront être remises avant la fin de cette
année.
Je n'oublie pas, bien évidemment, les concours qu'apporte la SOPEXA à de
nombreuses petites et moyennes entreprises désireuses d'être présentes sur les
marchés extérieurs.
M. Poncelet m'a interrogé sur la politique de la forêt.
J'ai déjà eu l'occasion d'indiquer que j'ai souhaité dissocier le volet
forestier de la loi d'orientation agricole.
J'ai reçu les représentants des organisations syndicales et professionnelles
de la forêt et du bois. Nous allons, ensemble, reprendre le travail réalisé sur
ce projet de loi forestière, au long de l'année qui vient, considérant que,
déjà, beaucoup de matériaux ont été accumulés sur ce projet.
Sur deux priorités, les incendies de forêt et la restauration des terrains en
montagne, où la prévention a pour objet d'assurer la sécurité des personnes et
des biens, j'ai tenu à maintenir les moyens qui permettent de respecter les
objectifs affichés.
Par ailleurs, dans le domaine du boisement, de l'équipement des forêts et du
renforcement de la filière, les crédits prévus au budget de l'Etat sur le fonds
forestier national permettront de respecter l'intégralité des actions prévues
aux contrats de plan et de poursuivre les actions engagées au niveau national,
je veux parler des programmes « compétitivité plus » et « bois énergie ».
On m'a également interrogé sur les modes de vente des produits de l'ONF.
Quelle est la situation actuelle ?
Les coupes de bois sont vendues, en règle générale, par l'ONF selon la
procédure de l'appel d'offres - adjudication par enchères descendantes - en
faisant jouer la concurrence et en assurant la publicité des offres. Des ventes
amiables, prenant la forme de contrat de commercialisation, peuvent avoir lieu
dans des conditions bien définies par le code forestier. Ces ventes revêtent, à
l'heure actuelle, un caractère dérogatoire lié à l'urgence ou à l'accumulation
d'invendus.
En général, l'ONF vend des bois sur pied, qui sont abattus et débardés par les
exploitants forestiers directement ou par l'intermédiaire de sous-traitants.
Ceux-ci sont attachés à cette pratique. L'ONF tente de diversifier ses modes de
vente pour écouler ses produits, et je sais que cela ne va pas sans susciter
des interrogations chez les professionnels. Une ouverture, autorisant l'ONF à
recourir plus fréquemment aux contrats de commercialisation, paraît souhaitable
; il y a accord sur ce point des principaux partenaires. Cette mesure aura un
effet d'entraînement sur les ventes privées.
Enfin, M. Poncelet s'inquiète aussi de l'enrésinement des fonds de vallée en
zone de montagne.
Le code rural précise que les modes d'aménagement foncier, dont fait partie la
réglementation des boisements, sont conduits « en veillant au respect et à la
mise en valeur des milieux naturels, du patrimoine rural et des paysages ».
Un décret d'application en cours d'élaboration va élargir les motifs
d'interdiction ou de réglementation des boisements, ainsi que le champ des
décisions préfectorales intervenant dans les périmètres réglementés.
Ces améliorations, ainsi que les allégements de procédure qui ont déjà été
réalisés, devraient permettre aux collectivités concernées, qui ont
l'initiative de la création de périmètres de réglementation de boisement à
travers les commissions communales d'aménagement foncier, d'exercer un contrôle
accru sur l'évolution de leur territoire.
Je souligne enfin que les opérations de boisement et de reboisement
bénéficient aujourd'hui des progrès importants des connaissances réalisés en
matière de peuplement. Ceux-ci permettent de prendre en compte la biodiversité
dans la gestion forestière. Par ailleurs, la palette des essences
subventionnées par le Fonds forestier national retient cette préoccupation.
M. Poncelet m'a aussi interrogé sur la diminution de la taxe forestière
concernant les sciages. Sur cet aspect fiscal, qui requiert un développement
assez précis, je me propose de répondre par écrit à l'intervenant.
J'en viens au chapitre de l'agriculture et de l'aménagement du territoire dans
le cadre de la loi d'orientation agricole.
La politique de développement de l'espace rural, qui représente 85 % du
territoire national, est une composante de la politique d'aménagement et de
développement du territoire. A ce titre, elle a pour objet d'assurer, à chaque
citoyen et à chaque entrepreneur, l'égalité des chances sur l'ensemble du
territoire rural. J'ai noté que M. Minetti y était particulièrement sensible.
M. Rigaudière est aussi intervenu sur ce thème.
M. Minetti tient à la revalorisation de l'image des agriculteurs. Je partage
cette ambition, tout comme, je le crois, la Haute Assemblée. Il importe
effectivement d'insister sur la complexité, ainsi que sur la modernité de ce
métier. Je suis sensible à la préoccupation de la représentation nationale à
cet égard. Je souhaite que notre politique puisse y répondre pleinement.
J'entends poursuivre la réflexion quant aux voies à suivre pour atteindre ce
but.
Cinq objectifs majeurs peuvent être assignés à la politique de développement
de l'espace rural : maintenir et développer l'activité agricole et forestière,
améliorer l'accessibilité matérielle et immatérielle, assurer une présence de
services au public, gérer l'espace et, bien évidemment, créer de nouvelles
activités économiques.
Ces objectifs sont au coeur de la future loi d'orientation agricole et
guident, parallèlement, la position du ministère de l'agriculture et de la
pêche dans les négociations en cours sur la réforme de la PAC et des fonds
structurels communautaires.
A cet égard, les diverses procédures qui concourent à l'aménagement rural
doivent pouvoir être mises en cohérence et en synergie. Cela concerne notamment
les programmes « européens » de développement des zones rurales, qui
représentent actuellement un enjeu financier très important - au titre de
l'objectif 5
b
- auxquels sont actuellement éligibles 53 % du territoire
français, ainsi que les plans de développement rural relevant de l'objectif 1
et les programmes d'initiative communautaire, en particulier LEADER.
De mon point de vue, la préparation du projet de loi d'orientation agricole et
l'élaboration de la position française au niveau de l'Agenda 2000 constituent
deux occasions majeures de remplir cet objectif de synergie et de cohérence.
Mme Bardou, MM. Rigaudière et Deneux ont attiré mon attention sur la politique
de la montagne.
Dans le cadre des travaux relatifs à la loi d'orientation agricole, mais aussi
des travaux communautaires visant à réformer la PAC, j'aurai à coeur de définir
une politique spécifique en faveur des zones défavorisées, tout
particulièrement de la montagne.
Ainsi que le soulignait Mme Bardou, l'agriculture et la forêt, qui ont
largement contribué à modeler les paysages de montagne et à faire vivre cet
espace doivent continuer à jouer un rôle prédominant dans le développement de
la montagne. Il me paraît indispensable de mobiliser au bénéfice de ces zones
un ensemble cohérent de moyens publics.
Cette politique doit reposer sur la valorisation de la spécificité des
productions de montagne. Il faudra à cet égard que nous procédions à
l'inventaire des problèmes juridiques concernant l'utilisation du terme «
montagne » et que nous apportions les solutions qui s'imposent à l'occasion de
la préparation de la loi d'orientation. Il me paraît nécessaire de ne pas
travailler seulement dans le cadre législatif national. Nous devons être plus
offensifs sur ce sujet sur le plan européen, en utilisant mieux les outils
communautaires qui sont à notre disposition pour mettre enfin en place une
véritable reconnaissance, une véritable protection européenne de nos produits
de montagne.
M. Aubert Garcia.
Très bien !
M. Louis Le Pensec,
ministre de l'agriculture et de la pêche.
Les politiques de développement
agricole s'appliquent bien en montagne : l'installation y est dynamique, avec
19 % de projets agréés ; la modernisation des bâtiments s'effectue avec des
taux très privilégiés. Je serai bien sûr très attentif à cet aspect « montagne
» et au maintien des indemnités compensatoires de handicaps naturels dans le
cadre de l'Agenda 2000. J'ai déjà eu l'occasion d'intervenir sur cette question
en conseil agricole.
La politique de la montagne doit aussi s'appuyer sur des instruments
permettant de compenser les handicaps naturels spécifiques de ces zones.
Lors du conseil des ministres de l'agriculture à Luxembourg, j'ai eu
l'occasion d'insister sur la nécessité de conserver les mesures déjà existantes
qui ont fait leur preuve. Tel est le cas des aides aux zones défavorisées, qui,
en assurant la compensation des handicaps naturels, permettent le maintien d'un
tissu rural actif et dynamique.
Je pense enfin, ainsi que l'ont souligné M. Poncelet et Mme Bardou, qu'il est
essentiel de maintenir des aides aux investissements compte tenu des surcoûts
engendrés par les conditions naturelles difficiles. C'est pourquoi l'effort du
ministère de l'agriculture et de la pêche en faveur des bâtiments d'élevage
sera maintenu en 1998. En revanche, je ne partage pas l'idée d'une
globalisation des crédits consacrés aux bâtiments d'élevage. Je crois, bien au
contraire, qu'il convient de continuer à gérer distinctement les deux
enveloppes, celle qui est consacrée aux bâtiments d'élevage et celle qui est
destinée à la mise en oeuvre du programme de maîtrise des pollutions d'origine
agricole, le PMPOA. A défaut, le risque serait grand de voir cette dernière
engloutir la première.
Je ferai deux parenthèses pour répondre à des questions précises concernant,
d'une part, la sécheresse dans l'Allier et, d'autre part, la sélection
animale.
Je sais les difficultés d'approvisionnement en fourrages que connaissent les
éleveurs de certains départements du Massif central et, ainsi que l'a souligné
M. Barraux, j'ai souhaité y répondre en débloquant une aide exceptionnelle de
10 millions de francs afin de prendre en charge une partie des frais de
transport des fourrages. Cette aide viendra compléter les 10 millions de francs
mis à disposition par UNIGRAINS.
Les départements les plus touchés, c'est-à-dire ceux qui bénéficieront en
priorité de cette aide exceptionnelle, sont les suivants : la Haute-Loire, qui
est la plus touchée, une partie de la Loire, du Puy-de-Dôme, du Cantal, de
l'Ardèche, du Rhône et de l'Allier.
Tout sera mis en oeuvre pour que le paiement de cette aide aux éleveurs
intervienne avant le printemps de 1998.
Je partage le souci exprimé par MM. Signé et Poncelet en ce qui concerne
l'érosion, au cours de ces dernières années, des crédits consacrés à
l'amélioration et à la sélection. Ces crédits, figurant au chapitre 44-50,
permettent de soutenir des organismes dont le rôle est essentiel pour assurer
l'identification, la traçabilité des bovins, des caprins, des ovins et des
porcins, ainsi que l'amélioration génétique du cheptel. Ce sont des actions
déterminantes pour assurer la compétitivité de l'élevage français.
Je suis conscient que les réductions brutales qui ont eu lieu au début de
l'année 1997 ont pu créer pour certains de ces organismes, je pense en
particulier aux UPRA - Union pour la promotion des races animales - de grandes
difficultés.
J'ai voulu rompre avec cette tendance en reconduisant, au niveau de la loi de
finances de 1997, les crédits consacrés à ces actions en 1998. Je veillerai à
préserver cette dotation sur la gestion de l'exercice 1998.
Je considère, en outre, qu'il est devenu nécessaire de mieux définir quelles
doivent être les actions prioritaires dans ce domaine, afin de leur garantir un
financement stable et régulier. J'ai donc l'intention de mener avec les
professionnels concernés une réflexion sur ce sujet dans les mois à venir.
MM. de Menou et Pourchet, notamment, m'ont interrogé sur les programmes de
maîtrise des pollutions d'origine agricole, les PMPOA, que j'évoquais voilà
quelques instants pour réaffirmer mon attachement aux objectifs visés par ces
programmes.
Il est indispensable de continuer à accompagner les éleveurs qui améliorent
leurs bâtiments d'élevage et leurs pratiques de fertilisation. Les crédits que
consacre mon ministère à ces actions seront donc reconduits en 1998.
Toutefois, face aux difficultés croissantes de mise en oeuvre de ces
programmes, en particulier dans ces zones d'excédents structurels qu'évoquait
M. de Menou, il est apparu indispensable d'aménager le dispositif des PMPOA. En
liaison avec Mme Voynet, des propositions ont été faites aux organisations
professionnelles agricoles afin de rétablir un traitement plus juste entre les
élevages et d'accélérer les programmes de résorption.
Une série de réunions avec les organisations professionnelles vont permettre
de travailler à partir des orientations suivantes : un durcissement des
conditions de régularisation des élevages sur la base des effectifs constatés
au 1er janvier 1994, une limitation des surfaces d'épandage et un abaissement
des seuils de traitement ; un plafonnement des aides publiques, en vue de
permettre à des élevages de taille modeste d'accéder aux financements publics
dès lors qu'ils se trouvent dans des zones sensibles ; l'ouverture de
possibilités d'extension d'élevages familiaux ainsi que d'installation de
jeunes agriculteurs, dans le cadre des « marges » définies par les programmes
de résorption. Les élevages qui se sont développés depuis le 1er janvier 1994
et qui entrent dans l'une des deux catégories, jeunes agriculteurs ou élevages
familiaux, pourront aussi être régularisés.
M. Pourchet a soulevé le délicat problème de la distance entre les élevages et
les habitations. A cet égard, je ne peux que rappeler l'existence du cadre
juridique que constitue la réglementation relative aux installations classées.
Toutefois, rien n'interdit au voisinage, parfois incommodé par les inévitables
problèmes liés à l'activité d'élevage, de se tourner vers les tribunaux.
Dans l'attente de la réforme de la PAC, j'ai proposé à la Commission
européenne de reconduire la prime au maintien des systèmes d'élevage extensifs,
dite « prime à l'herbe », dans le cadre du dispositif communautaire
agri-environnemental.
M. Henri Belcour.
Très bien !
M. Louis Le Pensec,
ministre de l'agriculture et de la pêche.
La prime à l'herbe vient en
effet à échéance cette année. Comme vous le savez, elle fait l'objet de vives
critiques de la part de la Commission, qui considère qu'elle ne répond pas aux
objectifs des mesures agri-environnementales.
Je l'ai dit à Bruxelles, ces critiques ne sont pas justifiées et je suis, pour
ma part, très attaché à la prime à l'herbe.
Alors qu'entre 1979 et 1993 les surfaces en prairies se sont réduites de 20 %
en France, elles se sont stabilisées depuis l'instauration de la prime à
l'herbe. Depuis 1994, les alpages et les zones de faible production ont même vu
leur superficie légèrement progresser, pour dépasser 2 millions d'hectares, et
100 000 éleveurs ont ainsi bénéficié de cette aide en 1997, pour une superficie
de 4,5 millions d'hectares. Je tiens à rappeler que la moitié de ces éleveurs
se trouve en zone de montagne.
J'aurais souhaité, comme vous, que la prime à l'herbe puisse être revalorisée
cette année, afin de favoriser les élevages herbagers, qui en ont tant besoin.
Mais une telle revalorisation aurait mis en péril la prime à l'herbe : depuis
1994, la part des autres mesures agri-environnementales - les plans de
développement durable, l'agriculture biologique - n'a cessé de se réduire,
jusqu'à devenir nulle en 1996 et 1997.
Les discussions qui ont eu lieu entre la Commission européenne et mes services
m'ont convaincu de la nécessité de rééquilibrer le dispositif si l'on veut
pérenniser la prime à l'herbe.
J'ai donc proposé qu'elle soit reconduite en l'état. Je vous demande de
considérer qu'il s'agit d'une décision provisoire. Il faudra, en effet, dans le
cadre de la réforme de la PAC, intégrer dans les modalités de soutien des
marchés des instruments qui encouragent les modes d'exploitation liés à
l'espace, et je pense en particulier à des aides liées au sol, comme la « prime
à l'herbe ». Il me paraît essentiel d'intégrer ces objectifs dans les
organisations communes de marché, afin d'inciter les éleveurs à développer des
systèmes de production herbagers.
M. Emorine, en particulier, a évoqué le fonds de gestion de l'espace rural, le
FGER, notamment pour indiquer qu'il juge insuffisant le niveau de sa dotation
dans le projet de budget pour 1998.
Je dois d'abord rappeler que le gouvernement précédent avait purement et
simplement annulé cette dotation budgétaire, qui avait été ensuite rétablie
lors du débat budgétaire.
(Eh oui ! sur les travées socialistes.)
J'ai choisi, quant à moi, d'en faire un instrument essentiel de la
politique d'aménagement rural. En effet, le FGER doit prendre place dans la
réflexion sur la politique de développement rural. Le FGER sera, dans la loi
d'orientation agricole, l'instrument d'une agriculture qui s'étend sur tout le
territoire, qui s'expérimente en montagne et qui prend en charge des problèmes
d'érosion ou de gestion de la ressource en eau, ou encore qui intègre des
préoccupations paysagères.
Avec 140 millions de francs, j'ai donc quasiment maintenu la dotation dans le
projet de loi de finances pour 1998. A ces crédits s'ajouteront d'ailleurs les
crédits reportés de la gestion 1997, ce qui nous permettra de faire face
largement aux besoins recensés.
Sur le fond, le FGER est un élément central de la politique d'aménagement et
d'ancrage territorial que je souhaite promouvoir. La majeure partie de ses
actions concerne ainsi l'entretien d'espaces atteints par la déprise agricole,
l'amélioration du cadre de vie et le débroussaillage en paysage rural.
Le FGER est également un élément important de partenariat avec les
collectivités locales. Les commissions départementales de gestion de l'espace,
les CODEGE, sont précisément le lieu de concertation et de dialogue avec les
élus.
Sur la question de l'installation, sont intervenus, notamment, MM. Barraux,
Minetti, Piras et Deneux.
Les moyens consacrés à la politique d'aide à l'installation dans le projet de
budget pour 1998 me semblent être à la mesure des enjeux que je retiens dans le
cadre de la loi d'orientation agricole.
Le projet de budget pour 1998 traduit donc un effort substantiel en faveur des
jeunes candidats à l'installation : les crédits dévolus à la dotation aux
jeunes agriculteurs sont reconduits ; les crédits dévolus aux stages à
l'installation sont majorés de près de 30 %, marquant un volontarisme politique
que je souhaite imprimer en collaboration avec la profession agricole.
C'est dans cet esprit que j'ai mis en place le fonds d'installation en
agriculture, doté de 160 millions de francs. Il s'insère dans une politique
globale, celle des PIDIL, les programmes pour l'installation des jeunes en
agriculture et le développement des initiatives locales. Il vient en renforcer
les actions qui incitent à l'installation, qu'il s'agisse des actions de
parrainage ou des audits d'exploitation.
Le fonds d'installation en agriculture prolonge donc cette vocation
structurelle qui est d'aider les jeunes à prendre une décision d'installation
en toute connaissance de cause : la prime doit inciter les exploitants sans
successeur désigné à favoriser l'installation d'un jeune agriculteur. La
transmission d'exploitation ainsi favorisée s'inscrit dans les orientations de
la charte pour l'installation et du projet départemental. Il s'agit d'aider une
installation qui ne se serait pas réalisée spontanément.
J'ai évoqué le chiffre de 3 000 installations. C'est bien sûr un objectif,
sachant que 9 000 installations sont aujourd'hui aidées. C'est aussi un
objectif qui correspond aux moyens financiers dont je dispose.
MM. Minetti, Pourchet, Barraux, Raoult et d'autres ont abordé la question des
retraites.
Sans revenir sur ce que j'ai dit cet après-midi, j'indique que les mesures de
revalorisation financées en 1998 permettront à un retraité conjoint ayant
participé à l'exploitation durant trente-sept années et demie de percevoir, en
1998, 23 750 francs, au lieu des 18 650 francs prévus initialement.
J'ajoute que 700 000 retraités agricoles non imposables bénéficieront, en
1998, de la suppression de leur actuelle cotisation maladie de 2,8 % sur leur
pension, sans devoir, en contrepartie, acquitter la CSG.
Ces mesures constituent, je le répète, une première étape.
Aujourd'hui, lorsque les conjointes travaillent sur l'exploitation, elles sont
de plus en plus nombreuses à choisir d'être co-exploitantes ou associées de
société. Ces deux statuts reconnaissent pleinement leur activité et leur
permettent de bénéficier, notamment au titre de l'assurance vieillesse, des
mêmes droits que le chef d'exploitation.
Quant aux conjointes qui n'exercent pas d'autre activité professionnelle
extérieure et n'ont pas opté pour l'un de ces statuts, elles bénéficient d'une
présomption de participation aux travaux de l'exploitation qui leur ouvre droit
à la retraite forfaitaire.
Je reconnais que le problème est bien celui d'une amélioration de leur statut,
de manière que celui-ci réponde mieux à leurs aspirations légitimes. Des
réflexions sont actuellement menées sur les avancées possibles à ce sujet.
M. Raoult est intervenu sur l'enseignement et la recherche pour reconnaître la
priorité qui en est faite dans ce projet de budget.
Comme je l'ai dit dans mon propos introductif, nous disposons d'un appareil de
formation remarquable, qui présente des atouts reconnus et appréciés, le
rendant attractif au sein du dispositif national de formation initiale et
continue. Son maillage territorial mérite également d'être souligné : au total,
plus de 1 500 centres sont répartis sur tout le territoire national et bien
ancrés dans le monde rural.
Il m'est apparu dès lors indispensable de faire de l'enseignement agricole
l'une des trois priorités fortes de mon projet de budget pour 1998. Les fonds
qui seront consacrés au secteur éducatif connaîtront donc une progression très
sensible - de près de 5 % -, pour atteindre un montant de 6,438 milliards de
francs.
Par ailleurs, les crédits publics de recherche intéressant le domaine de
l'agriculture et de l'agro-alimentaire atteignent près de 3,840 milliards de
francs, en augmentation de près de 3 %, ce qui nous permet de disposer d'un
outil de recherche public bien adapté et de promouvoir des projets innovants
avec différents partenaires.
Enfin, M. Raoult a particulièrement mis l'accent sur la création du fonds
social lycéen dans l'enseignement agricole : c'est en effet une mesure tout à
fait significative, qu'il m'a paru très important de mettre en place. Géré au
plus près des familles, ce fonds permettra de faire face aux situations
sociales difficiles et d'assurer une plus grande égalité des chances entre tous
les élèves.
L'enseignement agricole prend ainsi toute sa place dans la priorité nationale
reconnue à l'éducation par le Premier ministre.
M. Serge Mathieu a abordé de façon quasi exhaustive la situation de la filière
viticole, et je veux m'efforcer de répondre à diverses questions qu'il a
posées.
Concernant la campagne 1997, même si le volume de production est légèrement
inférieur à celui de 1996, je crois que nous pouvons nous réjouir, avec
l'ensemble des viticulteurs, de la qualité globale des vendanges : cela stimule
les perspectives commerciales des entreprises, non seulement sur le marché
intérieur, mais aussi à l'exportation.
Cependant, l'avenir de cette filière, notamment la pérennité des plantations
viticoles, est également ma préoccupation et, dès le mois de juillet, j'ai
obtenu des autorités communautaires un dispositif de gestion des droits de
plantation qui nous permet d'optimiser notre quota.
Je souhaite bien entendu que les professionnels aboutissent à un accord pour
faire en sorte que les droits ainsi préservés soient effectivement utilisés.
M. Serge Mathieu a évoqué aussi l'ensemble des questions relatives aux charges
et à la fiscalité applicables à la viticulture.
Je suis, sur ces questions, en concertation permanente avec mon collègue
chargé du budget, pour rappeler la nécessité d'une meilleure adéquation des
systèmes en vigueur aux spécificités de la viticulture : je pense notamment à
la fiscalité sur les stocks à rotation lente et aux déductions pour
investissements.
Concernant le débat sur le vin et la santé publique, je sais que les
professionnels sont engagés activement dans une démarche pédagogique visant à
expliquer les conditions dans lesquelles la consommation modérée de vin est non
seulement un élément fort de convivialité, mais aussi, semble-t-il, un atout
pour la santé ; certains travaux scientifiques l'attesteraient.
Ce travail d'information commence à porter ses fruits dans les deux directions
souhaitées : la lutte contre l'alcoolisme et l'information objective des
consommateurs.
Enfin, M. Serge Mathieu a bien voulu saluer l'action que j'ai conduite cet été
en matière de distillation préventive, de soutien à l'approvisionnement des
débouchés « non-vins », ainsi qu'en faveur de l'amélioration qualitative des
vignobles et de leur restructuration.
Je lui confirme que c'est avec la même détermination que je m'efforce de
répondre aux autres préoccupations des professionnels de ce secteur, à
commencer par le financement des investissements dans les caves, notamment
coopératives, ou l'évolution du statut des syndicats d'appellation. Il en va,
nous le savons, de l'avenir de notre viticulture.
MM. François-Poncet, de Menou et Huchon sont intervenus notamment sur
l'organisation commune du marché des fruits et légumes. Ils ont évoqué la mise
en place des dispositions prévues dans le cadre de la nouvelle OCM.
Comme vous le savez, celle-ci a été négociée en 1996 et les textes ont été
définitivement approuvés début 1997. La mise en application française de ce
nouveau cadre européen est en cours de réalisation, et nous avons la volonté de
faire franchir à ce secteur très important de l'économie agricole une nouvelle
étape en matière d'organisation.
C'est la raison pour laquelle, en concertation étroite avec les représentants
des organisations professionnelles concernées, j'ai souhaité donner une chance
à tous ceux qui s'engageraient clairement et rapidement dans les schémas
proposés par la nouvelle OCM.
Il n'a donc pas été procédé à une sélection
a priori
des dossiers qui
nous sont présentés, dès lors que le respect scrupuleux des textes
communautaires apparaissait dans les dossiers transmis.
Bien entendu, l'OCM mettant en jeu des financements européens, les contrôles
les plus stricts seront réalisés dès la première année, et aucune complaisance
ne sera de mise à l'égard de ceux qui ne respecteraient pas intégralement les
objectifs fixés.
Complémentairement, nous avons engagé une réflexion sur l'organisation des
structures d'encadrement régionales et nationales des organisations de
producteurs.
En effet, une adaptation de ces structures au nouveau dispositif européen
s'avère nécessaire. Comme les professionnels responsables, je souhaite que la
prochaine campagne de fruits et légumes, qui s'inscrira pleinement dans cette
nouvelle OCM, bénéficie des opportunités réelles apportées par le nouveau cadre
européen.
M. François-Poncet s'est également interrogé sur l'opportunité de traiter
certaines filières spécialisées selon la même logique que celle qui sous-tend
le paquet Santer. Pourquoi ne pas envisager, par exemple, des aides à l'hectare
pour les fruits et légumes ? La question mérite certes réflexion.
Je dirai simplement, à ce stade des négociations du paquet Santer, que les
intérêts de la France dans ce débat ne nous conduisent pas à augmenter le
nombre des sujets et des produits en discussion.
Concernant les fruits et légumes, force est de constater que la nouvelle OCM
vient juste d'être adoptée. La question de l'opportunité d'un changement des
règles du jeu se pose donc. Par ailleurs, il me semble difficile de justifier
un soutien à cette filière au titre d'un différentiel de prix par rapport aux
marchés mondiaux, mais la question, je le répète, mérite réflexion.
Mesdames, messieurs les sénateurs, j'arrive au terme de ma réponse à vos
questions. Il ne m'a, bien évidemment, pas été possible de répondre à toutes
celles que vous avez soulevées. Au demeurant, le débat budgétaire est devant
nous.
A cet égard, j'ai entendu le jugement sévère qu'a porté M. Soucaret sur le
projet de budget de mon ministère. Je lui ai déjà fait remarquer qu'il
s'agissait d'une appréciation militante. S'il est sévère pour un budget qui
progresse de 1,2 %, je tremble à l'idée de ce qu'il a pu dire voilà deux ans
quand le budget reculait de 2,1 % et il y a un an quand il reculait de 3,8 %
!
M. René-Pierre Signé.
Il a la mémoire courte !
M. Louis Le Pensec,
ministre de l'agriculture et de la pêche.
Au terme de ces heures de
discussion, j'ai le sentiment que nous venons d'ouvrir un débat d'orientation
et non pas seulement un débat prébudgétaire. Je me réjouis de voir l'intérêt
que la Haute Assemblée porte à nos agricultrices, à nos agriculteurs, à notre
agriculture.
Comme vous, je considère que le monde agricole et agro-alimentaire, qui joue
un rôle essentiel dans notre économie, est aussi une composante primordiale de
notre culture, déterminante pour l'équilibre de notre territoire.
Nous aurons à nouveau l'occasion d'échanger nos vues dans quelques semaines
lors de la discussion du projet de loi de finances et dans quelques mois lors
du débat sur le projet de loi d'orientation agricole, dont l'ambition, je m'y
applique, sera à la hauteur de vos attentes.
(Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
Le débat est clos.
Acte est donné de la déclaration du Gouvernement, qui sera imprimée sous le
numéro 74 et distribuée.
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