DROIT DE VOTE DES CITOYENS
DE L'UNION EUROPÉENNE
AUX ÉLECTIONS MUNICIPALES
Adoption d'un projet de loi organique
en deuxième lecture
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion, en deuxième lecture, du projet de loi
organique (n° 21, 1997-1998), modifié par l'Assemblée nationale, déterminant
les conditions d'application de l'article 88-3 de la Constitution relatif à
l'exercice par les citoyens de l'Union européenne résidant en France autres que
les ressortissants français du droit de vote et d'éligibilité aux élections
municipales et portant transposition de la directive 94/80/CE du 19 décembre
1994. [Rapport (n° 38, 1997-1998).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les
sénateurs, pour ouvrir le débat en deuxième lecture sur le projet de loi
organique relatif à l'exercice du droit de vote et d'éligibilité des étrangers
communautaires aux élections municipales en France, je serai bref.
L'économie du texte est désormais bien connue du Sénat. Le rapporteur de votre
commission des lois, M. Fauchon, s'est livré à une analyse détaillée, en
première lecture, tant des dispositions du projet de loi que de celles de la
directive qui doit être transposée dans notre droit interne. Il n'y a donc rien
à ajouter au rapport écrit présenté par M. Fauchon en vue de votre séance du 17
septembre dernier, éclairé par les observations et par les précisions qu'il a,
ce jour-là, apportées oralement.
Mon propos se limitera donc à dresser une sorte de bilan des premières
lectures par les deux chambres et à exposer ou rappeler la position du
Gouvernement sur les points qui restent en discussion.
Globalement, on peut résumer la situation de la façon suivante : sur les dix
modifications apportées au texte par le Sénat en première lecture, l'Assemblée
nationale s'est rangée à l'avis de la chambre haute dans cinq cas et elle en a
divergé dans cinq autres. Par ailleurs, l'Assemblée nationale a voté trois
autres modifications, relativement mineures, sur des questions qui n'avaient
pas retenu l'attention du Sénat en première lecture.
L'Assemblée nationale s'est rangée à l'avis du Sénat dans cinq cas.
Il s'agit, en premier lieu, de la définition de la notion de résidence qui
fonde le droit des étrangers communautaires à se faire inscrire sur une liste
électorale complémentaire pour participer au scrutin.
Ni le traité ni la directive ne donnent une définition de la résidence. C'est
de propos délibéré, puisque cette définition peut varier selon les Etats
membres.
Or, pas plus le traité que la directive n'ont entendu toucher au droit
électoral propre à chaque Etat, ainsi que le souligne le quatrième des
considérants précédant le corps de la directive du 19 décembre 1994.
Conformément au principe de subsidiarité, il s'ensuit que la définition de la
résidence applicable en l'espèce est celle qui s'applique aux nationaux
français.
L'insertion par le Sénat d'un alinéa à cet effet dans le texte proposé pour
l'article L.O. 227-1 du code électoral le rappelle opportunément, ce qui
présente en outre l'avantage d'établir sur ce point un exact parallélisme entre
le projet de loi organique aujourd'hui en discussion et le texte de la loi du 5
février 1994 réglant la participation des citoyens communautaires à l'élection
des représentants français au Parlement européen.
En second lieu, l'Assemblée nationale a adopté conforme l'article 9
bis,
introduit par le Sénat, pour interdire à un ressortissant d'un Etat de
l'Union autre que la France de cumuler un mandat de conseiller municipal en
France avec un mandat de même nature exercé dans un autre Etat de l'Union.
Ce n'est là que l'extension au plan européen de la règle applicable en France
selon laquelle nul ne peut être simultanément membre de plusieurs conseils
municipaux. Une telle mesure est explicitement autorisée par le paragraphe 2 de
l'article 6 de la directive.
L'Assemblée nationale a été aussi d'accord avec le Sénat sur la suppression de
l'article 9, qui prévoyait initialement une procédure spéciale de dissolution
du conseil municipal lorsque celui-ci ne comprend pas un nombre de conseillers
français suffisant pour permettre la désignation du maire et d'un adjoint,
puisqu'il doit y avoir au moins un adjoint dans une commune aux termes de
l'article L. 2122-1 du code général des collectivités territoriales.
L'Assemblée nationale a reconnu que ce cas de figure n'était qu'un cas
particulier où la gestion des affaires de la collectivité ne pouvait plus être
normalement assurée, justifiant donc une mesure de dissolution. Ce cas est à
rapprocher de celui où aucun conseiller ne serait âgé de vingt et un ans
révolus, âge minimal requis pour être désigné en qualité de maire conformément
à l'article L. 2122-4 du code général des collectivités territoriales,
hypothèse qui ne donne pas non plus lieu à des dispositions spécifiques.
En quatrième lieu, l'Assemblée nationale a encore suivi le Sénat pour
approuver la solution trouvée par celui-ci, s'agissant des communes de plus de
9 000 habitants où tous les conseillers municipaux sont de droit membres du
collège électoral sénatorial, permettant de remplacer nombre pour nombre les
élus non français exclus par principe de ce collège. Ainsi, les communes
concernées disposeront-elles, au sein du collège électoral sénatorial, d'une
représentation non amputée et qui restera politiquement conforme au vote du
corps électoral. Ces communes ne seront donc pas pénalisées par la présence
dans leur conseil municipal de conseillers étrangers.
Enfin, sur un plan plus formel, l'Assemblée nationale a ratifié la rédaction
retenue par le Sénat pour l'article L.O. 227-7 du code électoral relatif aux
sanctions pénales auxquelles s'exposent ceux qui auraient cherché à fausser
l'établissement des listes électorales complémentaires.
En revanche, l'Assemblée nationale est en désaccord avec le Sénat sur cinq
autres points.
Le premier concerne la notion de réciprocité. A cet égard, l'Assemblée
nationale partage la thèse du Gouvernement, que je vous avais exposée, et selon
laquelle la réciprocité est réputée acquise, en droit communautaire, dès lors
que le traité a été ratifié par tous les Etats membres, même s'il existe encore
des Etats qui n'ont pas transposé la directive dans leur ordre juridique
interne.
Elle a donc considéré comme inopérantes les modifications apportées par le
Sénat aux articles L.O. 227-1 et L.O. 228-1 du code électoral, qui traitent
respectivement du droit de vote et du droit d'éligibilité des étrangers
communautaires.
L'Assemblée nationale est également revenue à la rédaction du projet de loi
initial, s'agissant de la prohibition des doubles inscriptions.
Le principe d'une telle prohibition figurait explicitement, je vous le
rappelle, dans les considérants de la décision du Conseil constitutionnel du 9
avril 1992 statuant sur la conformité du traité de Maastricht avec notre
Constitution. Le Conseil d'Etat s'y est référé et, dans son avis rendu le 27
juillet 1995 sur le projet de loi organique, il rappelle qu'« il y a lieu
d'exiger que le citoyen de l'Union qui demande son inscription sur une liste
électorale complémentaire s'engage à n'exercer son droit de vote qu'en France
».
Il s'agit là, à vrai dire, d'une affaire de bon sens. Le droit de voter n'est
pas un libre-service. L'argument selon lequel la directive n'interdit pas
formellement le double vote n'invite pas à l'imposer aux autres Etats membres.
Ce serait méconnaître non seulement le principe d'égalité, mais aussi le
principe de subsidiarité.
L'opinion de l'Assemblée nationale diverge encore de celle du Sénat à propos
du fonctionnement du Conseil de Paris siégeant en qualité de conseil
général.
Tout comme le Gouvernement, elle se fonde sur l'avis d'assemblée rendu par le
Conseil d'Etat le 21 juillet 1997 : les conseillers de Paris sont titulaires
d'un seul et même mandat électoral et appartiennent à une même assemblée, alors
même que celle-ci exerce à la fois des attributions de conseil municipal et de
conseil général. Il en découle clairement que pas plus le mandat de chacun de
ses membres que l'assemblée tout entière ne sont divisibles en fonction des
attributions exercées.
J'ajoute que l'Assemblée nationale et le Gouvernement sont d'accord pour
estimer que tant la nature organique du texte en discussion que les termes
mêmes de l'article 88-3 de la Constitution imposent que la participation des
étrangers communautaires aux élections municipales soit effective sur tout le
territoire national, y compris dans les territoires d'outre-mer. C'est la
raison pour laquelle l'Assemblée nationale a rétabli l'article 12 dans sa
rédaction initiale.
Enfin, l'Assemblée nationale a disjoint comme inapplicable la disposition
introduite par le Sénat par l'article 5
bis
étendant aux communes de 2
500 à 3 500 habitants les règles de présentation des candidatures prévues pour
les communes de plus de 3 500 habitants.
J'en viens maintenant aux trois points sur lesquels l'Assemblée nationale a
apporté des modifications au texte alors que le Sénat l'avait adopté en
l'état.
Il s'agit tout d'abord de deux amendements votés contre l'avis du
Gouvernement. Ils ont pour objet, l'un de supprimer la mention de la
nationalité qu'il était prévu de porter en regard du nom de chaque électeur
inscrit sur la liste électorale complémentaire, l'autre de supprimer la même
mention qui devait compléter l'identité des candidats non français sur les
listes de candidats déposées à la préfecture ou à la sous-préfecture en vue des
élections municipales dans les communes de plus de 3 500 habitants.
Il s'agit, ensuite, de la suppression de l'article 7 du projet de loi
organique, dont le contenu a paru à l'Assemblée nationale redondant par rapport
à celui de l'article 6.
En effet, dès lors que ce dernier dispose que les étrangers ne peuvent être
membres à un titre quelconque du collège électoral sénatorial, il n'est pas
nécessaire de préciser, comme le faisait l'article 7, que le choix des
conseillers municipaux ne peut se porter sur un étranger quand ils ont à
désigner leurs délégués et leurs suppléants au sein du collège électoral
sénatorial.
Tel est, brièvement résumé, le sens des différents votes exprimés au cours des
premières lectures.
Pour sa part, le Gouvernement se réjouit de ce que les deux assemblées
parlementaires soient d'accord sur le coeur du dispositif à mettre en oeuvre
pour permettre l'exercice du droit de vote et d'éligibilité des citoyens de
l'Union européenne pour les élections municipales en France. C'est bien en
effet sur les dispositions essentielles du projet de loi organique que les
Chambres ont émis des votes conformes.
Les points de désaccord ont été circonscrits. Le Gouvernement forme le voeu
que la présente navette soit l'occasion de rapprocher les points de vue de
façon significative. Il s'y emploiera pour ce qui le concerne, de sorte que la
France se trouve dans les meilleurs délais en état d'honorer ses engagements
internationaux dans le respect des principes républicains.
(Applaudissements
sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste
républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Fauchon,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Monsieur le
président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il me revient donc la
charge de vous présenter les réflexions de la commission des lois à l'occasion
de la deuxième lecture d'un texte qui tend à rendre les « Européens » électeurs
aux élections municipales.
J'ai déjà eu l'occasion de rappeler que cette démarche est extrêmement
encadrée, puisqu'elle résulte, en premier lieu, des dispositions du traité sur
l'Union européenne, en deuxième lieu, de l'article 88-3 de la Constitution, qui
a été modifié pour permettre cette transposition, en troisième lieu, d'une
directive adoptée à l'unanimité à une époque où la France était représentée par
le Gouvernement de M. Balladur et par son ministre M. Pasqua, en quatrième
lieu, d'un texte qui résulte d'un consensus, puisqu'il avait été préparé par le
précédent gouvernement et qu'il a été repris par l'actuelle équipe
gouvernementale.
Parvenu à cette seconde étape, vous avez bien voulu, monsieur le ministre,
nous rappeler les points de vue du Gouvernement sur différents sujets et ceux
de l'Assemblée nationale, que vous ne partagez pas toujours. Vous avez
également exprimé le voeu que nous avancions dans la voie d'un rapprochement
progressif entre nos textes.
Nous sommes effectivement d'accord sur l'essentiel. Le point qui aurait
peut-être suscité une divergence concernait la définition de la résidence.
Nous avons, dès le début, posé le principe que, dans l'hypothèse du vote aux
élections municipales des citoyens européens comme dans celle du vote des
Européens aux élections européennes, « l'étranger » résidant en France le fasse
au titre d'une résidence principale et qu'il n'ait pas seulement une résidence
secondaire dans notre pays. Nous nous sommes mis d'accord sur ce point qui, au
fond, était le plus important.
En ce qui concerne les autres points, nous avons une discussion qui «
n'embraie » pas beaucoup sur des réalités, mais qui a, chaque fois, un certain
intérêt symbolique.
La commission des lois a repris ces différents points et n'a pas trouvé, en
toute bonne foi et en toute sérénité, dans les réflexions de nos collègues de
l'Assemblée nationale des raisons suffisamment évidentes, à ce stade, pour
renoncer au point de vue qui avait été le nôtre lors de la première lecture.
Vous avez rappelé, monsieur le ministre, certains points à l'égard desquels
l'Assemblée nationale avait approuvé la position du Sénat.
Le plus important est la notion de résidence principale en France.
Je citerai aussi l'interdiction du cumul de mandats, et le mécanisme de
recours au suivant de liste dans les hypothèses où « l'Européen » ne peut pas
participer à l'élection, c'est-à-dire lors de l'élection des sénateurs et dans
le cas où les élus de Paris siègent en tant que conseil général. L'Assemblée
nationale n'a toutefois retenu que la première hypothèse, puisqu'elle a écarté
notre dispositif en ce qui concerne le Conseil de Paris.
J'en viens maintenant aux points de désaccord. Je passerai sur quelques
petites modifications, tout à fait formelles, qu'il ne me paraît pas nécessaire
d'évoquer à cette tribune me réservant d'indiquer les points de désaccord ayant
une certaine signification.
S'agissant tout d'abord du principe de réciprocité, vous avez rappelé,
monsieur le ministre, que votre interprétation, qui est celle de l'Assemblée
nationale, était l'interprétation officielle selon laquelle, dès lors qu'un
traité a été transposé, la réciprocité est acquise.
Nous croyons devoir, jusqu'à nouvel ordre, respecter l'article 88-3 de la
Constitution, qui a été élaboré pour cette circonstance et qui dispose
expressément : « sous réserve de réciprocité et selon les modalités prévues...
», alors que la Constitution prévoit déjà que les traités sont applicables sous
réserve de réciprocité.
De ce fait, il n'était pas nécessaire de faire ce rappel à l'article 88-3 ;
nous en avons donc conclu que, si on l'avait fait, c'est que l'on tenait, pour
cette disposition particulière relative aux conditions d'électorat et
d'éligibilité des « étrangers » aux élections municipales, à ce que la
réciprocité soit réalisée à ce niveau-là.
Nous nous trompons peut-être en termes d'analyse juridique pure, mais nous
croyons être en accord avec le bon sens. Il est en effet légitime de dire à nos
amis belges ou grecs, qui sont les seuls à ne pas avoir encore transposé la
disposition dans leur droit interne que, dès qu'il l'auront transposée, ils
pourront voter chez nous parce que les Français pourront voter chez eux. En
attendant, nous n'avons pas de raison de leur permettre de voter chez nous
alors qu'ils ne nous permettent pas de voter chez eux. C'est aussi simple que
cela !
Je suis sûr, monsieur le ministre, connaissant votre réalisme, que, dans votre
for intérieur, vous sentez bien que notre raisonnement est fondé. Il fait appel
au bon sens des uns et des autres.
Je crois d'ailleurs que cette position n'a rien de désagréable à l'égard de la
Belgique et de la Grèce. Elle est tout simplement normale et elle ne peut
qu'encourager ces deux pays à réaliser la transposition au plus vite, afin de
mettre fin à cette difficulté, qui est très ponctuelle, je le répète.
Le second point de désaccord concerne le double électorat. Il a une portée
plus symbolique que la pratique, car, qui ira vérifier si telle personne
inscrite dans une commune française va rester électeur dans telle petite
commune en Grande-Bretagne ou en Allemagne, pour ne parler que de pays qui me
tiennent à coeur ? Personne ne fera la vérification.
Mais, pour moi, il est de haute signification de ne pas priver l'étranger qui
veut voter chez nous de la possibilité de continuer de voter là où il a ses
racines, à supposer que, là où il a ses racines, il soit autorisé à continuer
de voter. Il appartient en effet au pays d'origine de priver éventuellement de
son droit de vote un citoyen qui a décidé de voter là où il a sa résidence
principale, en l'occurrence dans un pays différent.
C'est au pays d'origine de lui interdire ou non de voter. Ce n'est pas à nous,
en quelque sorte, de légiférer pour un pays étranger, même s'il s'agit d'un
pays européen.
Respectons sur ce point les dispositions que prendront nos voisins. Respectons
aussi la directive elle-même, qui ne prévoit aucune disposition à cet égard.
Respectons enfin - et cela me paraît important - le fait que, dans les autres
transpositions qui sont maintenant acquises, on n'a pas introduit une telle
disposition.
Dans ces conditions, à l'heure actuelle, telle personne que nous connaissons,
vous et moi - et nous avons eu l'occasion de citer bien des cas en commission
des lois -, peut voter à Londres, par exemple, tout en restant électrice en
France.
Les Français, eux, vont bénéficier de l'avantage de pouvoir voter là où ils
ont acquis une nouvelle activité professionnelle, par exemple, sans pour autant
être obligés de brûler leurs vaisseaux et de se couper de leurs racines.
J'ai déjà eu l'occasion de vous dire, monsieur le ministre, que, dans les
conceptions que nous partageons, notamment sur le plan européen, il n'est pas
question que l'Europe abolisse, à mon avis, les particularismes nationaux, les
structures nationales dans la mesure où leur maintien n'est pas contradictoire
avec la démarche européenne.
Bien entendu, si on fait une monnaie unique, on ne garde pas les monnaies
particulières. En l'espèce, il s'agit de citoyenneté, il s'agit de permettre
aux citoyens de voter pour l'élection d'un conseil municipal dans leur pays.
Pourquoi donc ces personnes ne continueraient-elles pas de voter dans leur pays
d'origine ? Cela ne fait de mal à personne !
Ces élections se déroulent dans des milieux politiques différents, dans des
aires géographiques, des contextes sociaux totalement différents et à des dates
qui ne sont pas les mêmes. Une telle disposition ne présente donc aucun
inconvénient. Elle est une simple conséquence du fait que la construction
européenne est, par sa nature même, une démarche qui dépasse les nations sans
les abolir, qui donne une dimension supplémentaire sans détruire l'ancienne.
Cette conception de la construction européenne nous est, je crois, commune.
Cette Europe n'est pas totalement supranationale et ce serait être totalement
supranational que de dire à tout Européen que, dès lors qu'il veut voter dans
une commune de France, il ne peut plus voter dans sa commune d'origine.
Nous ne pensons pas qu'il soit justifié d'aller jusque-là, aujourd'hui et, je
le souhaite, pour très longtemps encore.
M. Jacques Habert.
Très bien !
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Voilà pourquoi nous avons maintenu notre point de vue. Nous
avons beaucoup réfléchi, nous avons beaucoup hésité, au cours de nos deux
délibérations, pour finalement aboutir à des décisions unanimes de la
commission des lois, ce qui n'est pas si fréquent et mérite d'être
mentionné.
S'agissant maintenant de la mention sur le bulletin de vote de la nationalité
des candidats européens, nous ne comprenons pas très bien la position de
l'Assemblée nationale sur ce point, d'autant que sa majorité se réclame des
principes les plus fondamentaux de la démocratie.
Or quel est le principe le plus fondamental de la démocratie sinon le principe
selon lequel le droit de vote appartient à chaque citoyen et que l'exercice de
ce droit doit être conforme à l'idée que nous nous faisons de la démocratie et
de la dignité humaine.
Dans ces conditions, il est nécessaire que le votant sache pour qui il vote et
qu'il dispose de toutes les informations dont il a besoin. Or n'a-t-il pas
besoin de savoir si la personne pour qui il vote est l'un de ses compatriotes
ou un sujet issu d'une nation, européenne sans doute, mais qui n'est pas la
nation française ? Ce n'est pas à moi de vous le rappeler, monsieur le ministre
! Voilà une information à laquelle tout électeur a droit !
Or il faut que nos collègues de l'Assemblée nationale s'en rendent compte, si
cette mention n'est pas inscrite sur les listes et sur les bulletins de vote -
à partir du moment où les bulletins de vote sont nécessaires, c'est-à-dire à
partir de 2 500 habitants, et
a fortiori
au-delà - les électeurs ne
connaîtront pas la nationalité des candidats. Ils penseront qu'ils sont
Français, même avec un nom étranger, car les candidats peuvent avoir été
naturalisés.
Or il nous paraît tout à fait normal et légitime que les électeurs aient cette
information. C'est pourquoi nous croyons devoir maintenir notre point de vue
sur cette question de la mention de la nationalité des candidats européens sur
les bulletins de vote.
J'évoquerai le cas particulier de Paris.
Le traité de Maastricht ne vise que les élections municipales. Or, compte tenu
de la particularité du système français, à Paris, un conseiller municipal est
aussi appelé à siéger en tant que conseiller général. Mais, dans ce dernier
cas, on sort du traité sur l'Union européenne, signé à Maastricht.
Nous craignons par conséquent non seulement d'être censurés par le Conseil
constitutionnel, mais surtout d'aboutir à un système incohérent ! Il nous
semble donc normal de mentionner que « l'étranger » européen élu membre du
conseil de Paris ne siègera pas lorsque ce conseil se réunira en qualité de
conseil général, et qu'il sera alors remplacé par son suivant de liste. Ainsi
cette liste ne sera pas pénalisée puisqu'elle continuera à avoir une voix et un
siège au conseil général.
De cette façon, nous respectons à la fois le traité de Maastricht, la
directive et la Constitution que nous compilons d'une manière satisfaisante
pour respecter le statut particulier de la ville de Paris.
Je crois que cette particularité n'a pas été perçue dans l'ensemble de l'Union
européenne. Cette situation très spéciale concerne tout de même la capitale de
la France, qui est - est-il vraiment nécessaire de le rappeler ? - l'une des
capitales de la civilisation humaine ! Son statut particulier mérite donc
d'être pris en considération.
Enfin, j'en viens à la question des territoires d'outre-mer.
Je vois poindre sur les lèvres de M. Millaud un sourire qui laisse présager le
caractère redoutable et séduisant de l'argumentation qu'il nous présentera tout
à l'heure !
(Sourires.)
Je ne reprendrai pas les arguments que nous avons développés en première
lecture. Mais tant que nous n'aurons pas modifié le traité de Rome sur ce
point, nous ne pourrons pas appliquer les dispositions de cette loi organique
aux territoires d'outre-mer.
Normalement, il aurait fallu consulter ces territoires. Il est incroyable que
le Gouvernement, ou plus exactement les gouvernements successifs, car, dans ce
domaine, les responsabilités sont partagées, n'aient pas prévu une telle
consultation ! Il aurait pourtant fallu le faire ! Ce n'était pas si
difficile.
Nous savons, en revanche, que l'assemblée de la Polynésie française a délibéré
et a souhaité que la loi organique ne soit pas applicable à ce territoire. En
tout état de cause, elle a fait observer que ces dispositions ne pourraient pas
l'être, faute d'avoir prévu l'introduction des adaptations adéquates dans le
code des communes, le code général des collectivités territoriales n'ayant pas
été étendu aux territoires d'outre-mer.
Pour toutes ces raisons, nous pouvons, nous semble-t-il, maintenir notre
position, à savoir que ce texte n'est pas applicable aux territoires
d'outre-mer.
Vous ne l'avez pas répété, monsieur le ministre, mais on dit ici ou là, je le
sais bien, qu'il s'agit d'un texte de souveraineté et, par conséquent, que, en
tant que tel, il s'applique partout. Mais l'ennui, c'est que personne ne sait
ce qu'est une loi de souveraineté, et personne ne parvient à nous expliquer ce
qu'est cet animal prodigieux, mythique, fantastique, je dirais même
fantasmagorique ! Nous attendons des informations sur ce point.
Cela dit, il est vrai que nous n'aimons pas beaucoup, au Sénat, cette notion
de loi de souveraineté, qui nous semble quelque peu périmée et qui nous paraît
dater. C'est un langage quelque peu archaïque. Nous ne sommes pas des princes,
et nous ne reconnaissons comme souverain que le peuple. Encore une fois, nous
sommes très réservés sur cette notion, et nous attendons d'être éclairés sur sa
réalité dans le droit positif français.
Voilà, monsieur le ministre, mes chers collègues, où nous en sommes au stade
actuel, qui ne préjuge pas la possibilité d'un rapprochement. En effet, nous en
sommes conscients, nous devons aboutir dans cette affaire et nous ne pouvons
pas nous enliser dans une guerre de tranchées. Non seulement ce ne serait pas
convenable eu égard à nos obligations au sein de l'Europe, mais cela pourrait
être mal compris par beaucoup d'Européens qui souhaitent, et c'est une démarche
très sympathique de leur part, participer aux élections municipales dans notre
pays.
Souvenez-vous, mes chers collègues, à la fin du débat en première lecture, sur
toutes les travées de cette assemblée, y compris sur celles de certains de nos
collègues qui sont généralement très réticents sur la construction européenne,
tous se sont levés pour dire qu'ils considéraient comme un avantage le fait que
des citoyens européens participent aux élections municipales dans nos communes,
car ceux-ci apporteraient un point de vue différent et enrichiraient les débats
au sein des conseils municipaux.
Nous ne souhaitons pas différer indéfiniment ce dispositif, dont nous
attendons des résultats positifs. Mais, n'étant pas convaincus pour le moment,
nous maintenons notre position. Toutefois, nous ne désespérons pas, avec de la
patience et du temps, de parvenir à trouver un terrain d'entente.
Telles sont, mes chers collègues, les propositions que la commission des lois
vous demande d'approuver.
(Applaudissements sur les travées de l'Union
centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines
travées du RDSE.)
M. Louis Boyer.
La France aux Français !
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Je rappelle qu'aux termes de l'article 42, alinéa 10, du règlement, à partir
de la deuxième lecture au Sénat des projets ou propositions de loi, la
discussion des articles est limitée à ceux pour lesquels les deux chambres du
Parlement n'ont pas encore adopté un texte identique.
Article 1er